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Problèmes Économiques 1. Mécanismes Et Théories
Problèmes Économiques 1. Mécanismes Et Théories
FÉVRIER 2015 NUMÉRO 7
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comprendre
L’ÉCONOMIE
Problèmes économiques invite les spécialistes à faire le point
1. Concepts et mécanismes
problèmes économiques
HORS-SÉRIE
4 REVUES POUR ÊTRE BIEN
INFORMÉ
problèmes économiques c a h i eç r s c a h i eç r s
HORS-SÉRIE
SEPTEMBRE 2014 NUMÉRO 6
L A FRANCE
FRRANCE
PEUTTELLE RESTER
PEUTELLE
comprendre COMPÉTITIVE
OMP ? ÉCONOMIE ET POLITIQUES
DOM : 9,40 € - MAROC : 100 MAD - TUN 19 DT - CFA 5900 - LIBAN 17500 LBP
L’ÉCONOMIE MONDIALE
DE LA CULTURE
Septembre-octobre 2014
Mai-ajuin 2014
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M 01975 - 6H - F: 8,00 E - RD
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’:HIKPKG=]VUUUW:?a@d@s@c@k"
M 05068 - 380 - F: 10,00 E - RD
4,90 € 9€ 10 €
Questions
Le modèle suédois à l’épreuve
Questions
Norvège : fin de la social-démocratie ?
internationales
internationales
internationales internationales
L’influence iranienne en Irak Villes scientifiques russes vs Poutine ?
LE PATRIMOINE
Les canaux de Suez et Panama Le Nigeria au défi de Boko Haram
Histoire des capitales ivoiriennes À propos d’Incendies de Denis Villeneuve
Questions
Questions
du Sud
Les grands Une émergence en question
ports
N° 70 Novtembre-décembre 2014
N° 71 Janvier-février 2015
mondiaux
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’:HIKTSJ=YVUUUX:?k@a@r@a@a"
M 09894 - 69 - F: 10,00 E - RD
M 09894 - 70 - F: 10,00 E - RD
CANADA : 14.50 $ CAN
10 €
11,80 €
« EN VENTE EN KIOSQUE
Rédaction Nous vivons dans un monde où l’économie est omniprésente : pas un jour sans que
de Problèmes économiques les prévisions de croissance, les chiffres du chômage ou du déficit public ne fassent
Patrice Merlot (rédacteur en chef)
Olivia Montel
l’objet d’un traitement dans les médias. Ces dernières années ont été particulièrement
(rédactrice en chef des hors-série) riches en événements, puisque l’économie mondiale, et particulièrement la zone euro,
Markus Gabel (rédacteur) traverse depuis 2008 une ère de turbulences. Clef d’analyse de nombreux problèmes
Stéphanie Gaudron (rédactrice) de société, la compréhension des rouages de l’économie constitue un impératif majeur
Secrétariat de rédaction pour tous les citoyens. Il n’est donc pas surprenant que la question de la diffusion des
Anne Biet-Coltelloni connaissances économiques prenne une place aussi importante dans le débat public.
Promotion
Anne-Sophie Château
Avec cette série « Comprendre l’économie », Problèmes économiques participe une
nouvelle fois à ce projet ambitieux de vulgarisation des savoirs. Le découpage retenu
Secrétariat
Paul Oury offre une première entrée par les concepts et mécanismes fondamentaux (volume 1) et
29, quai Voltaire
une seconde par les grands problèmes économiques de notre temps (volume 2).
75344 Paris cedex 07 La réflexion des grands auteurs sur les phénomènes économiques a suscité depuis
Tél. : 01 40 15 70 00 plusieurs siècles de vives controverses, qui ont progressivement construit la
pe@ladocumentationfrancaise.fr
http://www.
science économique, et dont on retrouve l’héritage dans les savoirs contemporains.
ladocumentationfrancaise.fr/revues- C’est pourquoi ce dossier commence par un tour d’horizon des grands courants
collections/ économiques, en insistant sur les évolutions marquantes de la discipline au cours des
problemes-economiques/ trente dernières années. Les trois sous-ensembles qui suivent quittent l’histoire des
index.shtml
idées pour se concentrer sur les savoirs fondamentaux : sont ainsi analysés les outils
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de base des économistes d’aujourd’hui – externalités, imperfections d’information,
Avertissement théorie des jeux, instruments économétriques… –, le comportement – aux niveaux
Les opinions exprimées
individuel et agrégé – des principaux agents – entreprises, banques, ménages, État –,
dans les articles reproduits
n’engagent que les auteurs leurs interdépendances, mais également la dynamique et les mécanismes de régulation
de l’économie de marché. Pour finir, l’accent est mis sur le fonctionnement et les
Crédit photo :
Couverture : Corbis
dysfonctionnements de certains marchés – marchés financiers, marché du travail.
© Direction de l’information légale Les thèmes retenus ne couvrent pas tout le spectre de l’analyse économique. Outre
et administrative. Paris, 2015 l’impossibilité d’être exhaustif et le manque de place, nous avons fait le choix de
Conception graphique nous en tenir aux outils fondamentaux, avec l’ambition que ce numéro ne profite pas
Célia Petry seulement aux initiés, mais également aux néophytes. Nombre d’outils classiques mais
Nicolas Bessemoulin techniques, tels que le schéma IS-LM-BK, ne sont donc pas abordés ici en tant que
En vente en kiosque et en librairie tels. Les livraisons récentes de notre revue permettent, pour ceux qui le souhaitent,
(Adresses accessibles en ligne)
d’approfondir de nombreux points.
# Retrouvez-nous sur
Facebook et sur Twitter Olivia Montel
@ ProbEcoPE
IMPACT-ÉCOLOGIQUE
www.dila.premier-ministre.gouv.fr
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COMPRENDRE L’ÉCONOMIE
1. CONCEPTS ET MÉCANISMES
La science économique et ses évolutions
P. 5 L’économie : une discipline à haut risque ? (Pascal Le Merrer)
P. 12 Des classiques anglais à Freakonomics : l’évolution de la science
économique (Jean-Baptiste Fleury)
P. 19 Les grands temps de la macroéconomie (Bruno Ventelou et Yann Videau)
P. 26 Que reste-t-il de l’équilibre général ? (Sophie Jallais et Ozgur Gun)
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Les acteurs de l’économie
P. 87 L’entreprise dans la théorie économique (Olivier Weinstein)
P. 94 Comment (dys)fonctionnent les banques ? (Jézabel Couppey-Soubeyran)
P. 102 Consommation/épargne : les choix des ménages (Nicolas Drouhin)
P. 110 L’intervention publique (Laurent Simula)
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L’économie est régulièrement sous le feu des critiques, mais plus encore depuis la crise finan-
cière de 2007-2008. Simplement incapable de prévoir les phénomènes économiques pour
certains, elle serait d’autant plus dangereuse pour d’autres du fait d’un discours « impéria-
liste » et de son influence sur les décideurs politiques. Pour d’autres encore, elle serait
immorale, légitimant la « marchandisation » du monde et les comportements de l’homo oeco-
nomicus. Faisant le point sur ces griefs, Pascal Le Merrer montre que la discipline a su en
partie y répondre et évoluer vers plus de réalisme. Loin de rester cantonnés à l’élaboration de
modèles abstraits, les économistes orientent leurs recherches vers des sujets qui sont au
cœur des problèmes économiques contemporains.
Problèmes économiques
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Une discipline immorale
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ZOOM intérêts individuels des agents économiques,
qui est exposée dans La Richesse des
nations. Il explique que lorsque la recherche
L’ÉCONOMIE, UNE DISCIPLINE de l’enrichissement illimité prend la forme
sujets, il faut prendre en compte des ques- Ollion, et Yann Algan : « The Superiority of
[3]
Voir le document tions morales quand on traite de problèmes Economists3 ».
de travail 14/3 sur
matériels. C’est vrai pour l’économie comme
http://www.maxpo.eu/
publications_DP.asp.
[4]
pour les autres sciences sociales.
Il reste que la crainte non fondée de voir les
L’économie est-elle une science ?
Stiglitz J. (2014),
Principes d’économie économistes justifier la marchandisation du Le manuel de Joseph Stiglitz commence
moderne, 4e édition par cette affirmation : « L’économie est une
française, De Boeck,
monde révèle peut-être une autre inquiétude,
p. 17. celle d’une position dominante des repré- science sociale. Elle étudie le problème des
sentants de cette discipline qui conseillent choix dans une société d’un point de vue
les dirigeants politiques et économiques, scientifique, c’est-à-dire à partir d’une explo-
produisent des expertises pour les grandes ration systématique qui passe aussi bien par
organisations nationales et internationales et la formulation de théories que par l’examen
enfin s’expriment largement dans les médias. des données empiriques4. »
Ce sujet est aussi étudié comme le montre L’économiste construit des raisonnements
l’article récent de Marion Fourcade, Étienne logiques qui s’appuient sur des hypothèses
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pour élaborer des modèles microéconomiques anomalies sur les marchés financiers étaient
ou macroéconomiques qui sont confrontés ignorées, laissant ainsi dans l’ombre la crois-
aux données afin d’évaluer leur capacité à sance anormale de la demande des agents pri-
expliquer les situations observées et à pro- vés par le recours au crédit. Stiglitz propose
duire des prévisions. Toutefois, ces théories de fonder la reconstruction de la macroéco-
n’ont pas été capables d’anticiper correcte- nomie sur des hypothèses plus réalistes qui
ment la crise financière qui s’est déclenchée intègrent : les asymétries d’information, les
en 2007 dans une période où les macroéco- distorsions entre les rendements privés et les
nomistes se félicitaient de la « grande modé- coûts sociaux, l’incomplétude des contrats
ration5 », c’est-à-dire de la combinaison d’une négociés qui évaluent mal les prises de risque. [5]
C’est le titre d’un
réduction de la volatilité du cycle économique Les travaux théoriques qui vont dans cette discours célèbre de
et d’une faible inflation. direction font apparaître qu’il peut y avoir des Ben Bernanke en
février 2004.
Alan Kirman (2012) rappelle que les causes équilibres multiples avec des agents formant
[6]
identifiées de la crise – « défaillance des des anticipations différentes. L’économie peut Stiglitz J. (2014),
« Reconstructing
réseaux de banques, problèmes de confiance et alors se révéler instable avec des ajustements Macroeconomic Theory
de contagion à tous les niveaux » – étaient igno- de prix et de salaires qui aggravent la réces- to Manage Economic
rées par les modèles utilisés : on avait d’un côté sion et des effets de répartition qui induisent Policy », NBER Working
paper series, no 20517,
des modèles macroéconomiques fondés sur des inégalités de revenu croissantes. L’enjeu septembre.
l’idée que les marchés s’autorégulent avec des de cette reconstruction théorique est impor-
agents qui font des anticipations rationnelles tant car il conditionne la compréhension des
et, de l’autre, un modèle de marchés financiers mécanismes qui sous-tendent les choix de
« fondé sur l’hypothèse des marchés efficaces : politique économique. On le voit clairement
toute l’information disponible sur les actifs avec les débats actuels sur les politiques
financiers est contenue dans les prix » ; enfin, d’austérité dans la zone euro, sur l’évaluation
le secteur financier était mal intégré dans les des multiplicateurs budgétaires, sur les stra-
modèles macroéconomiques. tégies de désendettement des agents privés et
Des approches alternatives existent comme publics, sur l’existence de trappes à liquidité
et le risque de déflation…
le montrent les travaux de Robert Shiller, de
Raghuram Rajan, de Roman Frydman ou, du Finalement, comme le remarque François
côté francophone, avec Hélène Rey, André Bourguignon (2012) : « L’économie n’est pas
Orléan, Gaël Giraud, Michel Aglietta… Mais une science dans le sens où elle ne peut pas
il reste à faire un effort important pour inté- fournir des lois universelles et objectives
grer ces apports dans l’analyse macroéco- expliquant le fonctionnement des économies
nomique contemporaine. Joseph Stiglitz est en tout point de l’espace et du temps… mais
un exemple d’économiste qui plaide pour l’économie est peut-être plus scientifique que
une reconstruction de la théorie macroéco- d’autres sciences humaines dans la mesure où,
nomique. Dans un article récent6, il constate à partir de quelques hypothèses clairement
que la macroéconomie mainstream a été énoncées, il est possible d’expliquer un certain
dominée par deux « églises » : la première rai- nombre de phénomènes complexes. » Encore
sonnait dans le cadre d’un modèle classique faut-il, toutefois, partir d’hypothèses réalistes.
avec des marchés parfaitement flexibles, un
agent économique représentatif qui formait
des anticipations rationnelles et un secteur Vers des analyses économiques
bancaire qui ne jouait aucun rôle ; la seconde
reconnaissait qu’il pouvait y avoir des rigidi-
plus réalistes
tés de prix et de salaire, sans concevoir que Les économistes se sont éloignés du modèle
les défaillances de marché pouvaient aller abstrait de l’agent économique calculateur,
au-delà de ces rigidités. En particulier, les rationnel, en univers certain. Par exemple,
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les travaux de Jean Tirole et Roland Bénabou économiques (les inciter à ne pas fumer, à
ont fait apparaître que nos comportements mieux choisir leur alimentation, à mieux se
répondaient à plusieurs types d’incitations. protéger en prenant une mutuelle…).
Il y a évidemment les motivations extrin- Un bon exemple de la prise en compte de la
sèques qui sont celles prises en compte par complexité des déterminants qui guident nos
l’analyse économique traditionnelle – les comportements économiques est la nouvelle
rémunérations ou autres formes de récom- approche de la Banque mondiale concernant
penses qui incitent un agent à effectuer une la conduite des politiques de développement9.
action qui a un coût. Mais, comme le note Jean La réflexion est centrée sur les modes de prise
Tirole : « La plupart des gens entreprennent de décision des individus avec la distinction
des tâches ou choisissent des actions ayant entre : la pensée automatique – celle que
des bénéfices privés extrêmement faibles : l’on mobilise le plus souvent pour les actions
voter, ne pas polluer même quand on ne peut répétitives –, la pensée sociale – qui est
pas se faire prendre, donner à des organisa- influencée par ce que pensent les autres – et
tions caritatives, aider des étrangers, risquer la pensée par modèles mentaux – qui sont
sa vie, etc. Ces comportements ne sont pas déterminés par la vision du monde que par-
toujours faciles à expliquer par la théorie tagent les humains d’une même société. Ainsi,
[7]
Tirole J. « Motivation économique classique7 » car ils relèvent d’un si on veut inciter les individus à épargner ou à
intrinsèque, incitations
comportement altruiste lié aux valeurs, à la mieux gérer des ressources rares comme l’eau
et normes sociales »,
Revue économique, culture de l’agent économique. Ce sont les potable, il faut penser de nouvelles formes
2009/3, vol. 60, p. 578. motivations intrinsèques. Enfin, nos actions d’intervention qui s’appuient sur les modèles
[8]
Voir par exemple
sont aussi guidées par une troisième caté- mentaux, les stéréotypes, les attentes sociales,
Thaler R. et gorie de motivation qui est celle de l’image les schémas de coopération…
Sunstein C.R. de soi que l’on veut renvoyer ou simplement
(2003) : « Libertarian L’économie a donc élargi considérablement
avoir de soi-même. C’est ce que Tirole appelle
Paternalism », American son champ d’investigation en repensant la
Economic Review, la motivation réputationnelle. On sait, en
vol. 93, no 2, p. 175 à 179,
rationalité des agents, les problèmes d’incer-
effet, que nos comportements sont influencés
et la critique d’un titude, de défaillance de marché. On pour-
« libéral », Gilles Saint- par le fait que l’on est observé ou non.
rait aussi faire référence aux modèles dyna-
Paul : http://www.tse-fr. Si nos comportements obéissent à un système
eu/sites/default/files/ miques qui permettent d’introduire le cadre
medias/doc/wp/macro/ complexe de motivations, les incitations à temporel absent de l’analyse statique et à
wp_tse_339.pdf. mettre en œuvre pour obtenir un résultat ne se l’économie géographique qui permet d’intro-
[9]
Le rapport de la
limitent pas à la gratification matérielle. Favo- duire l’espace dans le raisonnement écono-
Banque mondiale sur riser la confiance et la collaboration pourra mique (problème par exemple de la polarisa-
le développement dans être déterminant. Il reste, comme le montre tion des activités).
le monde 2015 a pour
sous-titre :
l’économie expérimentale, que nos compor-
tements souffrent de nombreux biais. Notre
« Pensée, société et
comportement ». rationalité est limitée : nous avons tendance à Les débats actuels
surévaluer le présent et notre expérience per- Pour illustrer l’apport de l’économie dans
sonnelle, nous sommes confrontés à nos iden- la compréhension des mutations du monde
tités multiples (nous obéissons à différents contemporain, on peut citer quelques
processus mentaux : cognitifs, affectifs, ins- exemples de sujets qui mobilisent les
tinctifs), nous réagissons différemment selon réflexions des économistes.
le contexte… Tout un débat est né, à partir des
travaux d’économie comportementale, autour
de ce que l’on appelle le paternalisme libéral8,
La stagnation séculaire
c’est-à-dire l’idée que l’État devrait intervenir La stagnation séculaire est une question
par des nudges (des coups de pouce) afin de récurrente en économie. Pendant les années
corriger les biais de comportement des agents 1930, certains économistes tels que Alvin
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Hansen, Benjamin Higgins, Paul Sweezy, que
l’on a appelés les « stagnationnistes », pen-
saient qu’il y avait un épuisement de la crois-
sance quand les économies allaient vers la
ZOOM
maturité, ce qui leur semblait être le cas dans L’ÉCONOMIE POLITIQUE
les années 1930-1940. De nouveau, dans les
années 1970, cette thèse est réapparue avec DES RÉFORMES
la notion de stagflation, et voilà que Richard « La conception d’une stratégie de
Gordon l’a relancée en 2012 en s’interrogeant réformes implique aussi d’établir des
sur la fin de la croissance économique aux priorités parmi de nombreuses actions
États-Unis. Le sujet mobilise aujourd’hui des possibles. Les gouvernements essaient
économistes réputés comme Richard Bald- rarement de s’engager simultanément
win, Larry Summers, Paul Krugman, Olivier sur tous les fronts. Généralement,
Blanchard, Emmanuel Farhi, Barry Eichen- ils suivent plutôt ce que Dani Rodrik
appelle ˝la liste de courses˝ (the laundry
green, qui étudient les manifestations de
list) et choisissent les réformes qu’ils
cette stagnation séculaire, ses causes et les [10]
http://www.voxeu.
considèrent politiquement ou socialement
solutions pour la dépasser10. Ils pointent du org/sites/default/files/
faisables. Or, ce n’est pas un moyen Vox_secular_stagnation.
doigt de nombreux facteurs : la démogra- efficace pour réformer une économie, pdf.
phie, les inégalités, la déflation, l’épuisement car cela ne conduit pas à choisir les [11]
du progrès technique, le coût des ressources réformes les plus utiles ou à tenir compte
Brynjolfsson E. et
McAfee A. (2014), The
naturelles, le risque climatique, l’accumula- des complémentarités qui existent entre Second Machine Age.
tion des dettes. À l’opposé de la thèse de la des décisions relatives à différents Work Progress, and
stagnation séculaire, deux experts du MIT, Prosperity in a Time of
domaines.* » Brilliant Technologies,
Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, estiment * Pisani J., Enderlein H. (2014), « Réformes, New York, W. W. Norton
que nous sommes à l’aube du « deuxième âge investissement et croissance : un agenda pour & Company.
de la machine11 ». Une troisième révolution la France, l’Allemagne et l’Europe ».
industrielle serait en train de se produire,
mais elle serait encore peu visible dans les
statistiques car celles-ci n’arriveraient pas à a un effet négatif sur la demande et donc sur
mesurer correctement les progrès d’une éco- l’activité et l’emploi. On observe de surcroît
nomie de plus en plus immatérielle. un affaiblissement de la mobilité sociale et
une aggravation des formes d’exclusion par
Les inégalités contre la croissance l’éducation, l’emploi, le logement, la santé.
Les travaux actuels sur la croissance inclu-
Thomas Piketty n’est pas le seul à s’inquié- sive ou la croissance soutenable traitent des
ter du creusement des inégalités dans les stratégies à mettre en œuvre pour réduire ces
pays riches. L’OCDE et le FMI viennent de inégalités.
publier des études qui mettent en évidence
leurs effets négatifs sur la croissance éco-
Autres sujets
nomique. Aux États-Unis, les 10 % les plus
riches accaparaient environ 33 % du total des D’autres sujets sont débattus par les éco-
revenus dans les années 1970 contre environ nomistes comme la guerre des monnaies
50 % aujourd’hui. Le FMI montre que lorsque (y a-t-il une course à la dépréciation moné-
les inégalités se creusent, les agents écono- taire ?), le ralentissement du commerce
miques en difficulté s’endettent (c’est une international (est-il le résultat du ralentis-
composante importante de la crise financière sement de la croissance économique mon-
de 2007-2008). De plus, si les revenus de la diale ou d’une modification des stratégies
classe moyenne stagnent ou régressent, il y de production internationale des grandes
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firmes, ce que l’on appelle les chaînes de – la réglementation des loyers réduit l’offre
valeur ?), l’avenir du capitalisme (va-t- de logements ;
on vers une économie du quaternaire, une – les taux de change flottants offrent un sys-
[12]
Rifkin J. (2014), éclipse du capitalisme12 ?), l’économie poli- tème monétaire international efficace ;
La Nouvelle Société du tique des réformes (cf. Zoom p. 10).
coût marginal zéro, Paris, – les États-Unis ne devraient pas empêcher
Les liens qui libèrent. Les réflexions des économistes sont en prise les entreprises de sous-traiter l’emploi à
[13] avec les sujets majeurs qui nous interpellent : l’étranger ;
Un exemple
intéressant est les défis environnementaux, la recherche
– et la politique budgétaire stimule l’écono-
le projet : d’une croissance « plus juste », la régulation
http://core-econ.org/. mie lorsqu’il y a moins de plein-emploi ».
de la finance, la modernisation de l’action
[14]
Voir la conférence publique… Et Dani Rodrik de conclure ce billet par :
« Visions d’économistes « Les désaccords entre économistes sont une
et projets de preuve de bonne santé. Ils reflètent le fait que
société » : http://www.
touteconomie.org/
Cycle2010.
Conclusion : pour un dialogue fécond leur discipline se compose d’une collection
de modèles variés, et que la correspondance
Si nous avons insisté sur des sujets qui font du modèle à la réalité est une science impar-
débat entre les économistes, il ne faut pas faite qui laisse une grande place à l’erreur. »
oublier qu’en fait « les économistes s’ac- L’économie est une discipline vivante qui
cordent sur beaucoup de choses, dont plu- doit être accessible au plus grand nombre et
sieurs sont politiquement controversées. d’abord à ceux qui ont décidé de l’étudier13.
L’économiste de Harvard, Gregory Mankiw, Reste une question : les économistes ont-ils
en a énuméré certaines en 2009. Les idées sui- une idée du type de société vers lequel on
vantes ont été soutenues par au moins 90 % devrait converger si on réalisait les réformes
des économistes : qu’ils suggèrent14 ?
– les taxes d’importation et les quotas
réduisent le bien-être économique général ;
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De l’économie politique des XVIIIe et XIXe siècles à la science économique contemporaine, la
discipline a connu de profondes transformations. Celles-ci concernent ses méthodes – l’usage
de la modélisation mathématique s’est généralisé –, mais aussi son domaine d’analyse et par
suite sa définition même : alors que l’économie politique s’intéressait à la production, la
consommation et la distribution des richesses, l’économie contemporaine a étendu ses objets
d’étude à l’ensemble des comportements humains et ne tire plus sa spécificité que de ses
méthodes et outils. Et, si elle s’est confrontée aux faits, c’est par le recours croissant aux sta-
tistiques et à l’expérimentation et non par l’analyse des faits historiques. Des classiques
anglais à l’économie empirique contemporaine, en passant par la macroéconomie keyné-
sienne et la constitution de l’hégémonie néoclassique, Jean-Baptiste Fleury retrace les
grandes lignes de l’évolution de l’économie depuis la fin du XVIIIe siècle.
Problèmes économiques
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La genèse de la science Par conséquent, la notion de richesse (sa
création, l’évolution de son accumulation et
économique : l’école classique de sa distribution dans le temps) est au cœur
des préoccupations des classiques. Ils déve-
Il est de coutume de considérer l’ouvrage loppent tout d’abord une théorie de la valeur
d’Adam Smith, La Richesse des nations fondée sur la notion de travail. C’est en effet
(1776), comme fondateur de la théorie éco- la quantité de travail nécessaire à la produc-
[1]
Cf. Béraud A. et nomique1. Bien que novatrice, la démarche tion d’un bien qui en détermine la valeur, ce
Faccarello G. (2010) de Smith n’est pas isolée de toute influence qu’ils appellent le « prix naturel ». Les clas-
[1992]. Les deux
premiers tomes de intellectuelle : elle s’inspire, par exemple, de siques ont bien conscience que la rencontre
cet ouvrage servent la théorisation des motivations humaines entre l’offre et la demande via le mécanisme
de référence pour les élaborée par David Hume, mais également
présentations des
de marché fixe également les prix. Mais ceux-
courants de pensée des philosophes politiques tels que Thomas ci ne peuvent durablement s’écarter du « prix
classiques, de Marx, Hobbes ou John Locke. Smith n’est pas non naturel » et ne font, au final, que graviter
mais également des
marginalistes et
plus le premier à réfléchir sur les mécanismes autour de lui.
premiers néoclassiques. au cœur de la création de richesse et de sa À l’instar des physiocrates, la société que les
[2]
distribution dans la société : les physiocrates, classiques analysent est divisée en classes,
Voir, par exemple,
Say J.-B. (1829),
entre autres, ont développé en France une chacune jouant un rôle distinct et recevant
« Histoire abrégée des théorie qui aborde des thèmes et des notions une rémunération propre. Les travailleurs
progrès de l’économie connexes. Néanmoins, si Smith est considéré
politique » in Cours offrent leur force de travail contre salaire.
complet d’économie comme un auteur majeur, c’est parce que son Les propriétaires fonciers louent la terre
politique pratique, vol. 2, œuvre est à l’origine de l’« école classique », à contre une rente. Au final, l’accumulation des
Paris, Economica, 2010. partir de laquelle se construiront nombre de richesses est assurée par les capitalistes (les
notions qui restent aujourd’hui diffuses dans entrepreneurs), qui investissent l’épargne
le courant dominant de la discipline (qualifié pour accroître la division du travail, le pro-
d’approche « néo-classique »). grès technique et la production. Par le jeu du
Cette école classique n’est pas homogène et libéralisme économique, mettant en concur-
les sources de discorde entre auteurs sont rence des individus uniquement mus par
nombreuses. Cependant, ce qui relie les théo- leurs intérêts propres, la liberté d’investir
ries de David Ricardo, Robert Malthus, John là où l’on trouve meilleure rémunération
Stuart Mill, Jean-Charles de Sismondi ou conduit la société à l’enrichissement : c’est
Jean-Baptiste Say est leur volonté d’écrire l’allégorie de la « main invisible ». Le rôle de
en réaction à l’ouvrage de Smith. S’étalant l’État dans l’activité économique, bien que
entre la fin du XVIIIe et le milieu du XIXe siècle minimisé, n’est toutefois pas circonscrit aux
(l’ouvrage de J.S. Mill, paru en 1848, marque seules fonctions régaliennes : chez la plupart
la borne temporelle supérieure), leur contri- des classiques, l’État doit également inter-
bution à ce qu’on appelle alors « l’économie venir dans la création d’infrastructures, de
politique » tente d’apporter une réponse à services publics ou la régulation de certaines
la question de l’organisation sociale et poli- industries monopolistiques. De plus, la ques-
tique d’une nation. Ainsi, l’économie est tion des crises économiques les divise : alors
« politique » car les principes scientifiques que certains, suivant Say, pensent que la pro-
qui gouvernent la production et la distribu- duction d’un bien assure, de par le revenu
tion des richesses, facteurs essentiels pour qu’elle génère et distribue, sa vente (c’est
la prospérité du Prince et des membres de la la « loi des débouchés »), d’autres, tels que
société, répondent à des lois qui sont indé- Malthus ou Sismondi, pensent qu’une crise
pendantes du pouvoir politique (ce que les générale de surproduction peut persister.
physiocrates considèrent déjà au milieu du Enfin, tous ne partagent pas les craintes de
XVIIIe siècle comme un « ordre naturel2 »). Ricardo concernant la baisse du taux de pro-
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fit (donc de l’incitation à accumuler), lequel déterminées. En effet, au milieu du XIXe siècle,
serait comprimé par la hausse de la rente et les principales critiques qui s’élèvent à
des salaires du fait d’une croissance démo- l’encontre de l’école classique sont le fait
graphique forçant l’exploitation de terres de théoriciens appartenant à l’« école histo-
toujours moins fertiles. rique allemande », par exemple Gustav von
Schmoller. Pour ces économistes, la notion de
loi naturelle est une chimère. Seule l’analyse
Les critiques des classiques historique compte. Cette critique du scien-
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mant. En revanche, dans le désert, l’eau peut dans son objet d’analyse, mais également par
acquérir plus de valeur que le diamant. la méthode. Menger rejette l’utilisation des
Cette approche peine à s’imposer. Concernant mathématiques, tandis que Walras et Jevons
Menger, ses premiers travaux ne sont pas les placent au centre de la rigueur scienti-
recensés dans la revue de G. Schmoller. Il ne fique. Malgré leur faible influence immédiate,
sera reconnu que lorsqu’il s’attaquera direc- Walras et Jevons participent d’un mouve-
tement à la méthodologie de l’école historique, ment plus général de mathématisation dont
en revendiquant l’individualisme méthodo- les travaux d’Antoine-Augustin Cournot et
logique et l’importance de la formulation de des ingénieurs français tels que Jules Dupuit
lois exactes, abstraites et potentiellement sont précurseurs. Ce mouvement se renforce
anhistoriques. La Methodenstreit (« querelle à la fin du XIXe siècle avec, notamment, les
des méthodes ») qu’il déclenche opposera ces travaux d’Alfred Marshall, qui connurent,
économistes jusqu’à la Première Guerre mon- eux, un succès immédiat. Marshall et ses
diale. Cependant, l’héritage de Menger n’est contemporains, comme, par exemple, Francis
Edgeworth et Vilfredo Pareto, développent le
pas représentatif de l’héritage du margina-
courant qualifié de « néoclassique » en appro-
lisme dans son ensemble. Menger devient plu-
fondissant les outils du marginalisme autour
tôt le père fondateur d’une tradition de pen-
de thèmes chers aux classiques, mais que
sée qui se développera en parallèle du courant
ces derniers n’avaient paradoxalement que
dominant tout au long du XXe siècle, qualifiée
très peu analysés. Parmi ceux-là, le rôle de
d’« école autrichienne », et dont les contribu-
la demande et de l’offre, provenant d’agents
teurs les plus célèbres seront Eugen Böhm-
rationnels au comportement maximisateur,
Bawerk, Ludwig von Mises, Friedrich von
dans la détermination du prix de marché.
Hayek, ou Israel Kirzner. L’école autrichienne
Ainsi, après Jevons, le cadre analytique et
adopte notamment une position subjectiviste :
ses hypothèses simplificatrices sont raffi-
l’économiste fait lui aussi partie des agents
nées avec l’introduction du calcul de varia-
qu’il analyse, il ne peut s’extraire de la société
tion, des multiplicateurs de Lagrange, de la
qu’il observe, comme ce sera le cas dans la
fonction d’utilité. Edgeworth développera
théorie néoclassique. Les individus, bien que
aussi les courbes d’indifférence, illustrant
rationnels, ne sont pas en situation d’infor- bien l’évolution (débattue) d’une théorie qui
mation parfaite et complète. Dès Menger, les passe d’une utilité cardinale – c’est-à-dire le
Autrichiens ne s’intéressent pas à la question fait que la satisfaction d’un individu peut se
de savoir quel sera le prix fixé par le marché mesurer dans une unité qui la rendrait direc-
et les quantités précisément échangées par tement comparable avec la satisfaction d’un
les individus – question qui intéresse Walras, autre individu – à une utilité « ordinale » par
Jevons et leurs successeurs – mais plutôt aux laquelle une telle comparaison interperson-
mécanismes par lesquels la main invisible nelle est impossible. Avec l’utilité ordinale,
coordonne les décisions individuelles et mène la satisfaction individuelle s’analyse comme
à l’émergence d’institutions sociales (comme un ordre de préférences permettant de clas-
la monnaie ou certaines lois) par le jeu d’un ser différents biens, et dont la cartographie
ordre spontané. Le marché joue dans ces pro- implique une courbe d’indifférence.
cessus un rôle de producteur d’information
Les néoclassiques reprennent également à
facilitant la coordination des agents.
leur compte la défense de la concurrence et
du capitalisme déjà présente chez les clas-
Vers une approche « néoclassique » siques. Ainsi, l’échange marchand est optimal
au sens de Pareto, c’est-à-dire que le bien-
Le marginalisme autrichien se distingue de être d’un individu ne peut être augmenté sans
celui de Walras et Jevons, non seulement diminution du bien-être d’un autre. Malgré
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les ambitions scientifiques des premiers marché, le rôle du droit et de la réglementa-
néoclassiques, ce résultat, très important, tion économique (en particulier des services
ne sera rigoureusement démontré que dans publics), celui des syndicats et des relations
les années 1950 par Kenneth Arrow, Gérard de travail. Préoccupés par la réforme sociale
Debreu et Lionel McKenzie. et la résolution de problèmes concrets, ces
Les transformations de la science écono- auteurs seront notamment influents au sein
mique à la fin du XIXe siècle ne sont pas uni- du Brain Trust de Franklin Roosevelt, lors du
quement intellectuelles : l’économie s’ins- New Deal.
titutionnalise. Walras, Menger, Jevons et
Marshall furent professeurs à l’université,
ce qui n’était pas le cas de leurs prédéces- La stabilisation de la science
seurs. De plus, la communauté scientifique
internationale se développe, ce qui soutient
économique après la Seconde Guerre
l’influence croissante du néoclassicisme. Il
apparaît alors comme plus homogène que ses
mondiale
critiques (réformateurs radicaux, auteurs de Malgré tout, l’institutionnalisme perd pied à
l’école historique) qui pensent que l’économie partir de la fin des années 1930. En effet, sur
manque de considérations pour l’histoire, la le terrain scientifique, l’approche de John
sociologie, ou le socialisme. Maynard Keynes s’impose progressivement,
Néanmoins, au début du XXe siècle, le néo- car elle permet de comprendre les maladies
classicisme qui se développe avec John Bates contemporaines de la dépression et du chô-
Clark ou Irving Fisher n’exerce pas la domi- mage. Keynes raisonne dans un cadre macro-
nation observée de nos jours. Jusqu’à la fin économique plus large, considérant des gran-
de la Seconde Guerre mondiale, il subsistera deurs agrégées. En particulier, la demande
un important pluralisme au sein de la dis- globale d’un pays est composée de la consom-
cipline3. D’ailleurs, au tournant des années mation des ménages et de l’investissement des [3]
Cf. Morgan M. et
1920 aux États-Unis, l’institutionnalisme entreprises, mais également des commandes Rutherford M. (1998),
publiques à ces mêmes entreprises. Si l’inves- From Inter-War
s’impose rapidement comme un courant Pluralism to Post-
alternatif et influent. Les écrits de Thorstein tissement privé venait ainsi à se contracter et, War Neoclassicism,
Veblen acquièrent une influence majeure sur avec lui, la demande et l’offre globales, l’État supplément annuel
de History of Political
ses leaders, à savoir Wesley Mitchell et John pourrait se substituer aux entreprises afin de
Economy, vol. 30,
R. Commons4. Les institutionnalistes pro- soutenir l’activité pour éviter la dépression et Durham, Duke
posent une approche scientifique différente et le chômage de masse. Keynes contribue éga- University Press.
prometteuse, inspirée des sciences naturelles lement à développer les instruments statis- [4]
Cf. Rutherford M.
de l’époque, mettant l’accent sur l’empirisme, tiques compatibles avec cette approche : la (2000), « Institutionalism
comptabilité nationale émerge. Between the Wars »,
la collecte d’observations et les tests statis- Journal of Economic
tiques. Ils y insèrent également les apports Force est de constater que la Seconde Guerre Issues, vol. 24.
de la psychologie, du droit, de la philosophie mondiale apporte son lot de bouleversements
et de l’histoire. En rupture avec l’abstraction majeurs. En effet, la plupart des économistes
des néoclassiques, ils étudient l’économie et sont réquisitionnés pour l’effort de guerre, en
le comportement des firmes, non pas comme particulier aux États-Unis. Ils développent
la résultante d’un ordre naturel dont il fau- alors leurs compétences théoriques et statis-
drait dégager les lois, mais comme l’aboutis- tiques pour rationaliser la production mili-
sement d’une construction institutionnelle. taire, l’efficacité de l’armement, la gestion
Cette approche leur permettra d’aborder des de la demande globale et des prix. La nou-
sujets que la théorie néoclassique peine à velle orthodoxie d’après-guerre émerge de
étudier avec les hypothèses de l’agent ration- ces changements. Les économistes, à l’image
nel maximisateur, tels que les défaillances de des physiciens, construisent désormais des
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« modèles ». En particulier, ils approfon- des travaux d’économistes de Chicago. L’un
dissent de manière concomitante le cadre d’eux, Gary Becker, fait de sa refonte de l’éco-
analytique néoclassique walrassien (repré- nomie du travail le socle lui permettant d’étu-
sentant l’équilibre général issu d’une multi- dier la discrimination, le mariage ou le crime.
tude d’agents rationnels aux comportements Les années 1960 voient ainsi se développer
interdépendants), les outils de statistique l’« impérialisme de l’économie » menant à la
appliquée (l’« économétrie »), mais également disparition des frontières séparant la science
le « keynésianisme de la synthèse », qui tra- économique des autres sciences sociales. La
duit les principaux apports de Keynes dans science économique ne se définit alors plus
un cadre néoclassique moyennant quelques que par sa méthode : l’offre, la demande et
changements d’hypothèses. Les économistes le comportement rationnel peuvent analyser
américains et, plus précisément, ceux de désormais les problèmes de droit, d’anthro-
la Cowles Commission et du MIT (Kenneth pologie, de sociologie, de science politique, et
Arrow, Lawrence Klein, ou Paul Samuelson) même les comportements animaux.
jouent un rôle central dans ces développe- La rationalité des individus fait également
ments. Dans un contexte de guerre froide, son retour en force en macroéconomie au
la mathématisation croissante permet aux tournant des années 1970. À cette époque,
économistes de faire passer le message key- l’échec récurrent des politiques de relance
nésien, concernant l’intervention de l’État, keynésiennes soutient la critique de l’école
sans soulever trop de suspicions. Le keyné- de Chicago, en particulier celle de Milton
sianisme de la synthèse gagne une nouvelle Friedman et Robert Lucas. La modélisation
fois en respectabilité au cours de la décen- de Lucas, notamment, introduit la notion
nie 1960, lorsque ses enseignements seront d’« anticipations rationnelles » afin de rendre
directement appliqués dans la politique compte du phénomène de stagflation ren-
économique de nombreux pays. En plus de contré dans la plupart des économies occi-
faire partie des conseillers de John Kennedy, dentales après le choc pétrolier de 1973. Ses
Samuelson jouera un rôle clé dans la diffu- fondements microéconomiques définiront la
sion de cette orthodoxie par le biais de son nouvelle orthodoxie académique. Durant la
manuel, Economics, qui devient rapidement décennie 1970, ce revirement de la pensée
un best-seller à une période marquée par la accompagne une tendance sociale plus géné-
massification de l’enseignement supérieur. rale conduisant à la remise en cause de l’in-
À l’orée de la guerre froide, les critères de terventionnisme étatique. Avec les élections
scientificité ont changé : les sciences sociales de Ronald Reagan et Margaret Thatcher, les
doivent pouvoir produire des propositions idées de dérégulation, de décentralisation et
idéologiquement neutres et vérifiables empi- de privatisation marquent le retour en force
riquement. Le complexe militaro-industriel du libéralisme économique, soutenu, entre
américain et les fondations philanthropiques autres, par l’école de Chicago (cf. Backhouse
soutiennent ainsi une recherche mathémati- et Fontaine, 2010).
sée qui mène, notamment, au développement
de la théorie des jeux, branche des mathéma-
tiques développée par John von Neumann et
Un tournant empirique
qui étend l’analyse du comportement ration- Depuis les années 1970, la discipline semble
nel aux interactions stratégiques. Cette théo- s’être stabilisée autour d’un noyau dur fait
rie sera rapidement assimilée par les micro- de microéconomie, de théorie des jeux et
économistes néoclassiques. La microéconomie d’économétrie. Qu’il considère des situations
s’impose également dans le domaine de l’éco- d’asymétries d’information ou qu’il se range
nomie du travail, un des derniers bastions de au côté des « néokeynésiens », le macroécono-
l’institutionnalisme, en particulier à la suite miste a vu sa discipline se renforcer par de
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solides fondements microéconomiques. Par années 2000. Récemment encore, à l’occasion
ailleurs, l’empirisme gagne du terrain. Tout de la crise des subprimes, nombre de voix se
d’abord parce que l’économétrie devient une sont élevées contre l’orthodoxie contempo-
méthode très prisée des publications scien- raine. Seul le temps pourra dire si ces critiques
tifiques : son développement est plus rapide parviendront à faire s’éloigner la science éco-
que celui des publications théoriques (Le nomique de ses fondements actuels. En effet,
Merrer, 2008). La popularité, dans les années un certain nombre d’économistes orthodoxes
1980, de la notion d’« expérience naturelle », ne sont pas prêts à en changer radicalement.
qui consacrera, entre autres, Steven Levitt En témoigne le développement, depuis les
ou David Card, n’en est qu’une illustration. années 1990, d’ouvrages vulgarisant l’ap-
De plus, l’économie se dote d’un volet expé- proche microéconomique, qui, en s’appuyant
rimental après les travaux de Daniel Kah- sur le phénomène d’impérialisme de l’éco-
neman, Amos Tversky ou encore Vernon nomie, essaient de démontrer que la science
Smith. Ces expérimentations de laboratoire économique est capable d’analyser des pro-
empruntent progressivement les outils de blèmes très concrets. La plupart, y compris
la psychologie et des neurosciences. Ce fai- le best-seller Freakonomics, représentent
sant, les frontières séparant la science écono- l’économiste comme un naturaliste explo-
mique des autres sciences sociales regagnent rant les paradoxes de la vie quotidienne,
en porosité, comme en témoigne également le analysant les vérités cachées du sport ou des
développement de la sociologie économique. jeux télévisés. Ce faisant, ils promeuvent les
Depuis les années 1970 et 1980, rien ne semble récents développements de la discipline mar-
empêcher le développement de la mathéma- quée par la prévalence de l’empirisme sur
tisation de l’économie, déjà accélérée durant fond de microéconomie, ainsi que par l’ab-
les années 1940. À tel point que, de manière sence de frontières limitant a priori le champ
récurrente, certains étudiants et chercheurs du questionnement économique5. D’analyses [5]
Fleury J.-B. (2012),
philosophiques centrées sur la théorie de la « The Evolving Notion of
dénoncent l’isolement des économistes face Relevance », Journal of
au monde réel, et, donc, le manque de perti- valeur au tournant du XIXe siècle, le travail de Economic Methodology,
nence et de réalisme de leurs théories et des l’économiste politique s’est mué en celui d’un vol. 19, n° 3.
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Discipline à l’usage des gouvernants, la macroéconomie étudie les relations entre les grands
agrégats économiques, à l’inverse de la microéconomie, dont le point de départ est le comporte-
ment des individus. Au-delà de cet objectif de base, ses méthodes et ses centres d’intérêt ont
évolué au cours du temps. « Science de l’enrichissement national » à l’époque des Classiques,
elle s’est constituée en véritable sous-champ de l’économie avec les travaux de J. M. Keynes, en
offrant une voie d’analyse et de résolution des crises et des problèmes monétaires. Dans les
années 1960, le « keynésianisme de la synthèse » en fait une science de l’interaction entre des
marchés en déséquilibre. Enfin, avec la remise en cause de l’hégémonie keynésienne et le
succès de la notion d’anticipations rationnelles, le problème central étudié par la macroécono-
mie devient la « coordination ». Bruno Ventelou et Yann Videau présentent ainsi les grandes évo-
lutions de la macroéconomie, à partir des définitions successives qu’elle s’est attribuées.
Problèmes économiques
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La macroéconomie comme les théories de la croissance. Cependant, ces
approches s’en écartent fondamentalement
la science du pouvoir et de dans la mesure où la dynamique de l’écono-
mie est caractérisée par une baisse tendan-
l’enrichissement « national » cielle du taux de profit devant conduire in
fine à un état stationnaire.
La macroéconomie a toujours été une disci-
Dans le même temps, des analyses en termes
pline à l’usage des gouvernants. S’il l’on veut
de circuit économique plus ou moins com-
remonter le temps au-delà même de la fon-
plexes, mettant en évidence les flux réels et
dation de l’économie politique comme disci-
monétaires, sont présentées. On retrouve
pline autonome, les économistes précurseurs
donc très tôt l’approche macroéconomique
qu’étaient les mercantilistes et les physio-
selon laquelle une économie fonctionne tel
crates ont plutôt été des « macroéconomistes »
un circuit fermé où la richesse créée circule
(mais le terme n’existait pas) qui s’intéres-
entre les grands agents économiques – dits
saient d’abord à l’équilibre global du terri-
« représentatifs ». Mais, les rapports de pou-
toire contrôlé par le pouvoir, pouvoir royal à
voir entre les différents groupes sociaux
l’époque, et à son enrichissement (autrement
n’ayant pas encore été gommés par les éco-
dit l’expansion économique). Déjà, à cette
nomistes sous couvert de la logique imper-
époque, la recherche des facteurs détermi-
sonnelle du marché, l’analyse en termes de
nant la grandeur ou le déclin des nations est circuit se double bien souvent d’une descrip-
une préoccupation, bien avant Adam Smith et tion de la hiérarchie sociale qui caractérise
sa Recherche sur la nature et les causes de cette période. Des auteurs comme Boisguil-
la richesse des nations de 1776. Dès le XVIe bert, Cantillon, et un peu plus tard François
siècle, les mercantilistes ont cherché à guider Quesnay avec son Tableau économique (1758),
le Prince dans sa volonté de puissance et de ont fourni une représentation simplifiée du
richesse en mettant en évidence trois sources fonctionnement de l’économie d’un pays
potentielles de prospérité (donc de pouvoir) : en retraçant les principaux échanges réels
l’abondance des hommes, main-d’œuvre en et/ou monétaires entre les différentes
puissance (suivant en cela la maxime de Jean classes. Ces travaux annoncent, quelques
Bodin ou encore d’Antoine de Montchrestien : siècles en avance, ce qui deviendra l’un des
« Il n’est de richesse que d’hommes ») ; l’abon- instruments les plus importants de la macro-
dance de métaux précieux (or et argent) ; le économie, la comptabilité nationale, dont
commerce avec la recherche d’une balance l’objectif est de fournir un modèle simplifié
commerciale excédentaire. Pierre le Pesant de des interdépendances économiques permet-
Boisguilbert, ensuite, s’est intéressé aux rai- tant à la fois la quantification de la richesse
sons de l’appauvrissement de la France sous créée dans une économie et l’analyse de sa
Louis XIV et a avancé comme principal déter- répartition entre différents groupes d’agents
minant l’insuffisance de la consommation, économiques homogènes (les « secteurs ins-
anticipant avec deux siècles et demi d’avance titutionnels »). C’est aussi l’opérationnali-
l’analyse de John Maynard Keynes. Les éco- sation des idées de Keynes qui poussera à
nomistes classiques, au premier rang des- la création d’outils statistiques sophisti-
quels Adam Smith, David Ricardo ou encore qués de mesure des principaux agrégats
Thomas Malthus, ont proposé aussi une ana- (production, consommation, épargne, inves-
lyse de la répartition de la richesse entre les tissement…) et fera émerger de véritables
différentes catégories d’agents économiques. systèmes nationaux de comptabilité dès les
Ils ont particulièrement mis l’accent sur la années 1940 (sous l’impulsion de Richard
dynamique d’accumulation des richesses (du Stone et James Meade en Grande-Bretagne,
capital pour être précis), préfigurant en cela de Jan Tinbergen aux Pays-Bas…).
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La macroéconomie comme la convenablement accompagner les politiques
de relance budgétaire ;
science de la monnaie et des crises – les monétaristes (Milton Friedman), eux-
C’est la crise de 1929 et la remise en cause de mêmes héritiers des « quantitativiste »
l’économie politique classique qui fait appa- (Richard Cantillon, Irving Fisher), qui pensent
raître la nécessité de développer une nou- que la monnaie est fondamentalement neutre
velle section de recherche en économie, sec- sur le niveau réel d’activité (et le chômage) et
tion qui serait dédiée tout entière à l’analyse qu’il faut au contraire en éviter toute manipu-
des grandes fluctuations de l’activité d’un lation. Le débat s’étale sur cinquante ans (de
pays ou d’une nation et qui sera véritable- 1936 aux années 1980), et la macroéconomie
ment intitulée « macroéconomie ». L’écono- est tellement associée à la monnaie que dans
mie classique, calquée sur une économie de la nomenclature de l’Association américaine
troc, ne dispose pas d’outils pour penser les d’économie (AEA), qui propose une partition
crises générales de surproduction : le volume de l’économie en différentes sous-sections,
d’échange – à l’intersection de tous les agents l’entrée « Macroeconomics and Monetary
de l’économie – doit nécessairement s’équi- Economics » résume la production scienti-
librer puisque les dépenses des uns font les fique en macroéconomie. L’AEA propose la
ressources des autres (« loi de Say ») et la définition suivante du champ : « La macro-
monnaie n’est qu’un intermédiaire neutre économie recouvre les études théoriques et
des échanges. J. M. Keynes lance alors la vraie empiriques au sujet des performances agré-
première époque de la macroéconomie, vue gées d’une économie : son niveau de produc-
comme corpus de réflexion autonome sur le tion, son niveau d’emploi, ses prix, ses taux
lien entre monnaie, taux d’intérêt et emploi, d’intérêt et leurs déterminants. »
le taux d’intérêt devenant une variable moné- L’approche keynésienne, en décrivant le fonc-
taire là où les Classiques en faisaient une tionnement d’une économie monétaire de
variable réelle sur le marché des fonds prê- production où les agents économiques sont
tables. Il publie en 1930 un premier ouvrage, dotés d’une préférence pour la liquidité et
Treatise on Money. Puis dans son livre Théo- où la demande peut être insuffisante pour
rie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la conduire l’économie vers le plein emploi,
[1]
Keynes J. M. (1936) monnaie de 19361, Keynes remonte un schéma constituera une rupture dans l’histoire des
(1988), Théorie générale causal qui va, à rebours du titre de l’ouvrage,
de l’emploi, de l’intérêt grandes idées économiques. Avec Keynes,
et de la monnaie,
du marché de la monnaie vers le niveau du c’est un horizon temporel court qui s’impose
Paris, Payot. chômage, pour faire du marché monétaire dans l’agenda. L’étude de la dynamique de
la cause, mais aussi la porte de sortie de la long terme de l’économie privilégiée par les
crise économique. Il retrouve d’ailleurs des économistes classiques laisse la place à une
réflexions antérieures (des bullionistes du étude des fluctuations de l’activité, à tra-
XVIIe siècle à Sismondi au XIXe) qui avaient déjà
vers notamment la théorie des cycles. Selon
posé le délicat problème de l’intégration de la l’approche du National Bureau of Economic
monnaie dans le schéma de fonctionnement
Research (NBER), ces cycles proposent une
de l’économie.
séquence de phases telles que l’expansion, la
La macroéconomie s’est donc pendant long- récession, la contraction et la reprise. Cette
temps identifiée à la question monétaire. Les analyse des cycles repose soit sur l’observa-
(op)positions peuvent être séparées en deux tion d’un grand nombre de séries statistiques
camps : spécifiques concernant le prix des matières
– les keynésiens, pour qui la monnaie est un premières, les taux d’intérêt…, soit sur l’ana-
instrument de politique économique qui va lyse de l’écart de l’évolution de l’activité éco-
aider à sortir des crises – a minima elle doit nomique par rapport à la tendance de long
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terme (notion d’output gap). L’explication L’intuition générale est que les processus
de ces cycles passe par l’analyse de l’inves- concrets de formation des prix sur les mar-
tissement, composante la plus volatile du chés peuvent être défaillants : les marchés
PIB, et de la politique publique. On retrouve échouent dans leur rôle d’allocation efficace
notamment l’analyse de Paul Samuelson en des ressources et c’est le point d’entrée de la
termes d’oscillateur (19392), qui combine les politique économique4 et de l’intervention de [2]
Samuelson P. A. (1939),
approches en termes d’accélérateur simple et l’État sur les marchés en dehors de ses fonc- « Interactions between
de multiplicateur, et celle de Goodwin (19513) the Multiplier Analysis
tions régaliennes. Celle-ci s’appuiera notam-
and the Principle of
en termes d’accélérateur flexible. ment sur la comptabilité nationale, qui prend Acceleration », Review
une place grandissante dans l’analyse macro- of Economics Statistics,
vol. 21.
économique, à travers le recours aux modèles
La macroéconomie comme science macroéconométriques popularisés par les [3]
Goodwin R.M. (1951),
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[6] prix) qu’on obtient une relance de l’activité. économie « déflatée » du niveau des prix).
Lucas R. E., Jr (1976),
« Econometric Policy Ceci jusqu’à un certain point, où les agents L’école du « real business cycle10 », née dans
Evaluation: A Critique », réalisent leurs erreurs et ajustent leurs les années 1980, en est emblématique : com-
Carnegie Rochester
Conference Series on comportements (l’économie redevient alors ment les cycles économiques apparaissent-
Public Policy, vol. 1. « classique »). Cette vision va tenir jusqu’à la ils lorsqu’ils ne sont pas dus à des manipula-
[7]
Sargent T. J. et Wallace N. crise de 1973 et l’entrée des pays de l’OCDE
(1975), « “Rational”
tions monétaires ? Comment se propagent-ils
Expectations, the dans la stagflation. dans l’économie, à travers le temps et/ou
Optimal Monetary
Instrument, and the
l’espace ? Ce nouveau moment de la macroé-
conomie recentre totalement la recherche sur
La macroéconomie comme science
Optimal Money Supply
Rule », Journal of
Political Economy,
les mécanismes de formation du capital et de
[8]
vol. 83, no 2.
Barro R. J. (1974), « Are de la coordination la croissance économique. En la matière, le
modèle de référence est celui de Solow (1953).
Government Bonds Net
Wealth? », Journal of La macroéconomie, en évoluant dans ses Il est d’ailleurs à noter qu’entre les années
Political Economy, réflexions, et face à sa confrontation au réel, 1950 à 1990 et les années 1990-2010, dans
vol. 82, no 6.
[9] a donc été conduite à mettre au premier plan les universités et dans les manuels, les cours
Diamond P. (1965),
« National Debt in a le rôle des anticipations et l’importance des magistraux de macroéconomie changent de
Neoclassical Growth point de départ : dans la première période,
Model », American
hypothèses faites sur l’horizon temporel des
Economic Review, agents. Dans les années 1970, la littérature tout honnête professeur de macroéconomie
vol. 55, no 5. passait les cinq premières séances de son
[10]
produite par les économistes et publiée dans
King R., Plosser Ch.
et Rebelo S. (1988), les revues scientifiques est édifiante : tous les cours sur IS-LM ; depuis la fin des années
« Production, Growth résultats d’efficacité de la politique écono- 1990, c’est par le modèle de Solow qu’on com-
and Business Cycles.
I. The Basic Neoclassical mique en viennent à être conditionnés sur la mence, en étudiant la dynamique de l’accu-
Model », et « Production, présence, ou non, d’erreur systématique d’es- mulation du capital par tête.
Growth and Business
Cycles. timation des agents (Lucas, 19766 ; Sargent Bien sûr, le modèle de Solow n’intègre pas
II. New Directions », et Wallace, 19757) ou sur la présence d’hori- véritablement de problème de coordination :
Journal of Monetary
Economics. zons de vie limités (Barro, 19748) : Robert c’est une « robinsonnade » où l’agent écono-
Kydland F. et Prescott E. Lucas nous explique que la politique écono- mique, isolé, « joue » contre la nature (hostile,
(1982), « Time to mique est inefficace quand les agents font
Build and Aggregate puisque définie par des rendements décrois-
Fluctuations », des « anticipations rationnelles » car toute sants). Mais l’histoire, généralement, ne s’ar-
Econometrica, vol. 50. variation de la demande globale est alors
Long J. et Plosser C. rête pas là. Il suffit d’ajouter un autre agent
(1983), « Real Business correctement anticipée ; Robert Barro obtient à la « robinsonnade » (disons « Vendredi », un
Cycle », Journal un résultat d’inefficacité de la politique bud-
of Political Economy, second entrepreneur) pour que les problèmes
vol. 91, no 1. gétaire lorsque les agents font des choix de surgissent dans l’équilibre économique.
[11]
Stiglitz J. (1999), consommation calculés sur des horizons Reprenons un exemple de Stiglitz (199911),
Economics of the Public
Sector, Norton.
de vie dynastique (chose qui ne tient pas, a avec une économie fictive fermée, composée
[12]
Attention, la coupure contrario, dans des modèles où les agents ont de deux biens, le café et le sucre. Nous suppo-
du droit de propriété un horizon d’optimisation fini, comme dans serons que l’on ne consomme le café qu’avec
des entreprises sur
les deux secteurs les « modèles à générations imbriquées » – du sucre, et le sucre qu’avec du café : les deux
compte beaucoup le résultat de suraccumulation de Diamond biens sont donc parfaitement complémen-
dans l’histoire, et il
est évident qu’une des (19659). taires. Imaginons aussi que, dans cette éco-
solutions au problème
posé ci-dessous est la
De fait, peu à peu, les questions de niveaux nomie fictive, il existe une seule firme produi-
création d’une seule des prix, ou en amont de la monnaie, sont sant du café, la firme dirigée par Vendredi, et
entité décisionnaire,
compétente à la fois pour
évacuées de la macroéconomie (cela ren- une seule firme produisant du sucre, celle de
le sucre et le café. Cet voie à la « super-neutralité » de la monnaie Robinson. Quelles sont les décisions de pro-
exemple est évidemment
une parabole simpli-
avancée par Thomas Sargent et Neil Wallace) duction des deux firmes prises isolément12 ?
ficatrice destinée à faire et on revient à une réflexion qui s’intéresse On peut reconnaître que les deux entreprises
saisir le problème
(y compris le problème
uniquement à la coordination des agents au font face à un problème de coordination :
de la « propriété »…). sein d’une économie « réelle » (au sens, d’une soit les deux firmes produisent des quanti-
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Marchés et productions complémentaires, surance contre les méventes : c’est parce que
un exemple les entrepreneurs ne peuvent pas couvrir le
risque d’une surproduction lors de la mise en
Production vente de leur production qu’ils sont dépen-
de sucre Plans de production dants l’un de l’autre et que l’incertitude
du producteur de café
demeure14, et ce malgré des anticipations
Plans de production rationnelles « justes » en moyenne.
du producteur
B de sucre Ce problème définit selon nous le champ
actuel occupé par la macroéconomie, à savoir
M la question des équilibres multiples et des
prophéties autoréalisatrices15. Les écono- [13]
Cooper R., John A.
(1988), « Coordinating
Production de café mistes travaillant sur ce sujet retiennent Coordination Failures
notamment de Keynes que l’équilibre in Keynesian Models »,
macroéconomique résulte d’un processus de Quarterly Journal of
Ici, au moins deux systèmes de prix d’équilibre sont possibles et deux Economics, vol. 103, no 3.
niveaux de la demande : dans l’un des systèmes, les prix et la production coordination entre des décideurs placés en [14]
Grandmont J.-M.
de café et de sucre sont nuls (M sur le graphique) ; dans l’autre non (B).
Il y a, en utilisant le registre de la macroéconomie théorique, information incomplète (parfois en « incer- (1976), « Théorie de
« multiplicité d’équilibres ». l’équilibre temporaire
titude radicale »). Éclairée par les concepts
général », Revue
de la théorie des jeux, l’analyse économique économique, vol. 27,
tés positives des deux biens, tenant compte montre alors que les solutions de coordina- no 5, septembre.
[15]
de la demande jointe potentielle du pays pour tion entre un petit nombre d’agents-inves- Cass D. et Shell K.
(1983), « Do Sunspots
ce mélange de biens ; soit elles peuvent tout tisseurs sont multiples : au premier titre, Matter? », Journal of
aussi bien se coordonner sur un « équilibre » la croissance ou la récession sont toutes Political Economy,
où aucune d’entre elles ne produit les biens, no 91 ; Azariadis C. et
les deux possibles a priori16. Face à cette Guesnerie R. (1986),
tablant sur un comportement identique chez indétermination, « l’état de confiance » « Sunspots and Cycles »,
l’autre (voir graphique : les plans de produc- Review of Economic
(les « animal spirits ») est un déterminant Studies, no 53 ; Guesnerie
tion des deux firmes sont imbriqués). Les essentiel de l’investissement en situation R. et Woodford M.
agents, même parfaitement informés, ne dis- d’incertitude, comme Keynes l’avait déjà (1992), « Endogenous
Fluctuations » in
posent pas d’un critère définitif (précisément, souligné17. La détermination d’un équilibre Laffont J.J., Advances
une valorisation monétaire – une espérance peut se faire en fonction de croyances appa- in Economic Theory,
Cambridge MA.,
de profit associé à un prix) pour se coordon- remment arbitraires (déclenchées par des Cambridge University
ner sur une action plutôt que l’autre. Cette aléas purement extrinsèques, comme des Press, vol. 2.
dimension de la décision économique s’op- taches solaires), mais ces croyances collec- [16]
Cooper R. et John A.
pose à la vision développée notamment par (1988), op. cit. ; Evans G.S.
tives ont une dimension autoréalisatrice18. Honkapohja et al. (1998),
Walras d’une coordination complète, réalisée À l’équilibre, l’économie est interprétée « Growth Cycles »,
multilatéralement par le système de prix. À American Economic
dans le cadre de récits qui viennent valider Review, vol. 88.
l’appui de ces réflexions, mais en oubliant la et donner une apparence de rationalité à [17]
Le processus de
facilité pédagogique du café et du sucre, on nos actes. Notons que les systèmes théo- coordination est déjà
peut par exemple se référer à Cooper et John précisément dépeint par
riques eux-mêmes, classique et keynésien, Keynes dans la Théorie
(198813), s’inspirant eux-mêmes des intui- peuvent jouer ce rôle de « récits coordina- générale sous le terme de
tions de Keynes (1936 et 1937), qui montrent teurs19 ». Les rêves deviennent réalité… C’est « demande effective » au
chapitre 5. On y trouvera
que des défauts de coordination, liés à des précisément la conclusion de la Théorie un détail du processus,
complémentarités stratégiques entre agents générale, qui présente les « chimères » – le d’abord mental puis
effectif, par lequel les
économiques, débouchent sur des situations système théorique construit par Keynes lui- entrepreneurs fixent
d’équilibres macroéconomiques multiples. même – comme susceptible de se réaliser. le volume de l’activité
par un « équilibre en
Fondamentalement, l’incertitude économique anticipations rationnelles
subie par les entrepreneurs au moment de *** croisées » (comme pour
Robinson et Vendredi,
la détermination des niveaux de production Cette très brève présentation de la macro- mais sans l’idée de biens
doit être reliée à l’absence de marchés d’as- économie, surtout cette dernière section, complémentaires).
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[18]
Azariadis C. (1981), pourrait sembler faire de celle-ci un simple s’être détournée de ses sujets fondamentaux :
« Self-Fulfilling
Prophecies », Journal of
complément de la science économique. La les sujets du moment, notamment des ques-
Economic Theory, vol. 25. macroéconomie se serait constituée avec un tions relatives à l’instabilité financière21 ;
Azariadis C. et objectif de correction des insuffisances de la et les sujets fondamentaux intemporels, à
Guesnerie R. (1982),
« Prophéties créatrices microéconomie, correction parfois très acces- savoir les relations de domination sociale qui
et persistance des soire, parfois très critique, mais toujours avec structurent l’échange économique entre des
théories », Revue
économique, vol. 33. Une l’idée de simple « patch » correctif. Mais la acteurs de puissance inégale. Il serait alors
littérature étudie les macroéconomie, c’est aussi, pour certains nécessaire de « rebâtir » (selon les termes
trajectoires multiples,
le chaos et les cycles
économistes, la volonté de poser une opposi- d’Olivier Blanchard22) une macroéconomie
endogènes dans les tion, un « no bridge », entre ce qui se passe au trop aveuglée par ses certitudes. Le nou-
modèles dynamiques niveau des agents et au niveau de la société vel agenda de recherche s’intéresserait par
agrégés ; voir par
exemple Grandmont J.-M. tout entière. On revient au premier temps de exemple aux interactions entre la dynamique
(1985), « On Endogenous la macroéconomie, comme la science du pou- des systèmes financiers et celle du système
Competitive Business
Cycles », Econometrica, voir, à ne pas interpréter comme la science économique réel, dans le but de mieux com-
vol. 53 ; Benhabib J. au service du pouvoir (en tant qu’institution prendre et prévoir le caractère endogène de
et Farmer R. (1994),
« Indeterminacy and gouvernementale), mais la science qui instille certaines crises. Il pourrait aussi retourner
Increasing Returns », la relation de pouvoir (synonyme de « domi- à une pluralité de modèles d’équilibre par-
Journal of Economic
Theory, vol. 63.
nation »), dans la microéconomie simpliste de tiel qui, réassemblés, prendraient peut-être
[19]
Ventelou B. (2001), l’individu représentatif. mieux en compte la complexité d’une écono-
Au-delà de la rareté, la Aujourd’hui, en effet, on peut reprocher à mie globalisée (un « meta-NBER », coordo-
croissance économique
comme construction la macroéconomie, non seulement de s’être nateur de politiques publiques mondiales ?),
sociale, Paris, laissé ré-enfermer dans un cadre microéco- ou encore se rapprocher d’autres sciences
Albin Michel ; sociales comme l’histoire, la sociologie ou la
Ventelou B. (2004), nomique, où le primat donné à l’individua-
Millennial Keynes: The lisme méthodologique et à la recherche de psychologie qui permettraient de mieux com-
Origins, Development
l’équilibre stationnaire pourrait empêcher de prendre l’économie, insérée dans la société, et
and Future of Keynesian
Economics, New York, penser les interactions complexes à l’échelle en interaction avec elle.
M.E. Sharpe Publisher. d’une nation (Boyer20, 2014), mais aussi de
[20]
Boyer R. (2014),
« L’économie peut-elle
(re)devenir une science
sociale ? » À propos
des relations entre
économie et histoire,
Revue française de socio-
POUR EN SAVOIR PLUS
économie, no 13.
[21]
Cartapanis A. (2011), BLANCHARD O. et COHEN D. DE VROEY M. et ROMER D. (1997),
« La crise financière et (2010), Macroéconomie, Paris, MALGRANGE P. (2007), « La Macroéconomie approfondie,
la responsabilité des Pearson, 5e éd. théorie et la modélisation Edi-science.
économistes », Tracés.
Revue de sciences macroéconomiques, d’hier à
humaines [En ligne]. aujourd’hui », Revue française
[22]
Dans une interview d’économie, vol. 21, no 3.
donnée au journal
Les Échos le 25 juin 2013.
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Cœur de la théorie néoclassique, le modèle de l’équilibre général a longtemps été le modèle
« standard » de la microéconomie à partir duquel on pouvait, en relâchant progressivement les
hypothèses les plus éloignées de la réalité, comprendre les imperfections de marché. La
théorie de l’équilibre général a toutefois buté sur de sérieuses difficultés : ni l’unicité de l’équi-
libre ni la forme décroissante de la demande agrégée n’ont pu être démontrées. Si ces résultats
décevants ont poussé les microéconomistes à raisonner plutôt en termes d’équilibre partiel,
les macroéconomistes, soucieux de donner des fondements microéconomiques à leurs
modèles, se sont en revanche saisis à leur tour de la théorie de l’équilibre général, ce qui a
donné naissance aux modèles « DSGE » – équilibre général dynamique et stochastique. Selon
Ozgur Gun et Sophie Jallais, des problèmes sérieux demeurent dans ces modèles, notamment
celui de la non-prise en compte de l’hétérogénéité des agents et de leurs interactions, éléments
essentiels, par exemple, pour comprendre la crise récente.
Problèmes économiques
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autrement dit s’ils augmentent lorsque la Après ce résultat remarquable, on pensait
demande est supérieure à l’offre et diminuent qu’il ne restait plus qu’à prouver que l’équi-
dans le cas contraire, alors ils convergent vers libre était unique et que, grâce à la « loi de
un équilibre général – une situation où, pour l’offre et de la demande », il était stable
chaque bien, l’offre est égale à la demande, et (les prix convergeaient vers l’équilibre). La
où, en conséquence, chacun est satisfait, ses démonstration n’arriva cependant jamais
objectifs étant atteints. et les théoriciens s’accordèrent pour dire
Pour que cette question de la convergence qu’elle était impossible, et que l’unicité et
vers (ou stabilité) des prix d’équilibre se la stabilité de l’équilibre étaient l’exception
pose, il faut bien évidemment que des prix plutôt que la règle : en raison de l’interdé-
d’équilibre existent (en théorie). Préalable- pendance des offres et des demandes des dif-
ment au questionnement sur sa stabilité, les férents biens, une hausse du prix d’un bien
théoriciens devaient donc démontrer qu’un peut, en effet, avoir un impact globalement
tel équilibre général existait. Pour ce faire, positif sur sa demande, remettant ainsi en
ils imaginèrent un monde dans lequel les cause la forme décroissante habituellement
[1]
Du moins quand on offres et les demandes des agents résultent attribuée aux fonctions de demande1. Il s’en-
raisonne en « équilibre
de la maximisation de leur fonction objec- suit que les courbes d’offre et de demande du
partiel », c’est-à-dire sur
le prix et la demande tif (fonction d’utilité pour les ménages et de modèle peuvent avoir des formes telles que,
d’un seul bien en faisant profit pour les entreprises) et sont confron- même à supposer que la loi de l’offre et de la
comme si les autres demande soit vérifiée, les prix ne convergent
biens n’existaient pas.
tées globalement. Ils s’attachèrent ensuite à
prouver que, sous certaines conditions sup- pas vers les prix d’équilibre général.
plémentaires, il existe des prix auxquels ces Il s’ensuit également qu’il est impossible de
offres et demandes sont égales. Plus préci- prouver, dans un cadre suffisamment géné-
sément, supposant que les agents formulent ral, l’existence de « lois » ou de régularités
leurs demandes et leurs offres, notées respec- concernant, par exemple, les effets sur les
tivement d(P) et o(P), à des prix P = (p1, …, pn) prix d’une variation dans les fondamentaux
donnés (un prix pour chacun des n biens de de l’économie. L’habitude a été prise de par-
l’économie), leur question fut alors de savoir ler de « théorème de Sonnenschein-Mantel-
si, parmi tous les prix possibles, il en existe Debreu (SMD) » à propos de ces résultats
certains – les prix d’équilibre général –, notés négatifs, qui portèrent un coup fatal au pro-
Pe, tels que d(Pe) = o(Pe) : l’offre est égale à la gramme de recherche sur l’équilibre géné-
demande pour chaque bien. ral, aussi bien en concurrence parfaite qu’en
Au milieu des années 1950, Kenneth Arrow concurrence imparfaite.
et Gérard Debreu apportèrent une réponse
positive à cette question en faisant appel
à des mathématiques relativement com- Des problèmes qui persistent
pliquées et à des hypothèses concernant le
cadre institutionnel et les « fondamentaux »
en concurrence imparfaite
de l’économie, c’est-à-dire les goûts et les Le modèle d’équilibre général évoqué dans la
techniques de production. Ces hypothèses partie précédente est construit autour de l’hy-
sont donc autant de conditions d’existence pothèse selon laquelle les agents considèrent
de prix d’équilibre Pe au sens (mathéma- les prix comme donnés : ils sont « preneurs
tique) d’existence d’une solution au système de prix » – condition pour que les expressions
d’équations d(Pe) = o(Pe). L’ensemble de ces d(P) et o(P) aient un sens. Tout le monde étant
conditions et la démonstration du théo- de ce point de vue sur un pied d’égalité, on dit
rème d’existence, appelé « modèle Arrow- que l’on est en « concurrence parfaite ». C’est
Debreu », est la version la plus élaborée du d’ailleurs la raison pour laquelle le modèle
modèle d’équilibre général. d’équilibre général de Arrow et Debreu est
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également appelé modèle de concurrence rigueur et de la cohérence. Selon eux, elle devait
parfaite. Cela dit, sortir de ce cadre, idéal notamment permettre de donner des « fonde-
mais difficile à justifier, ne permet pas d’évi- ments microéconomiques » à leur discipline –
ter l’écueil décrit plus haut. la macroéconomie étant alors caractérisée par
Lorsque l’on suppose que certains agents des modèles superposant des identités comp-
prennent l’initiative de proposer des prix, tables, des relations de comportement obser-
on parle de « concurrence imparfaite » par vées globalement et des équations en équilibre
opposition au modèle précédent. Le cas le plus partiel, le tout n’étant pas forcément cohérent
simple est celui où un bien est produit par (Kydland et Prescott, 1990).
une unique entreprise, ses éventuels clients Parler d’équilibre général en macroécono-
se comportant en « preneurs de prix ». C’est le mie ne va toutefois pas de soi. À la diffé-
cas dans le modèle dit du monopole, qui est rence de la microéconomie, la macroécono-
relativement facile à traiter… du moins en mie a, en effet, pour vocation de construire
équilibre partiel, où l’on ne tient compte que des modèles susceptibles d’être testés empi-
du bien en question, à l’exclusion de tous les riquement puis utilisés dans le cadre de la
autres, le modélisateur « se donnant » alors mise en œuvre des politiques économiques.
une courbe de demande du bien décroissante. Elle opère, en outre, sur des agrégats tels
La situation est autrement plus ardue en équi- que le PIB, la consommation, l’investisse-
libre général, puisque l’entreprise doit déter- ment, le niveau des prix, dont le calcul mêle
miner la demande qui s’adresse à elle pour le plus souvent des quantités et des prix. Les
les divers prix qu’elle peut proposer, mais agents, enfin, y sont eux aussi considérés de
en tenant compte, cette fois, de ce que cette façon globale – du moins par grandes caté-
demande dépend, entre autres, de la rému- gories. L’approche diffère donc de celle de
nération de ses salariés et des profits qu’elle l’équilibre général décrite plus haut, où prix
distribue à ses actionnaires. On se retrouve et quantités sont soigneusement séparés et
en fait, côté demande, dans la même situation où une attention toute particulière est accor-
que dans le cas de la concurrence parfaite, où dée aux interactions entre les décisions des
s’applique le théorème de SMD : la forme de agents considérés séparément.
la fonction de demande peut être quelconque. Deux grands types de modèles macroécono-
Il se peut donc que le problème du monopole miques se réclament pourtant aujourd’hui
n’ait pas de solution et, en conséquence, que de la théorie de l’équilibre général : les
le modèle n’ait pas d’équilibre. Or, sans équi- modèles d’ « équilibre général calculable » et
libre, un théoricien néoclassique n’a plus de les modèles « dynamiques et stochastiques
point de repère. C’est la raison pour laquelle, d’équilibre général ». Les premiers accordent
loin de l’idéal d’une théorie unifiée que la une place essentielle aux interactions entre
théorie de l’équilibre général semblait pro- secteurs et catégories d’agents. Les seconds
mettre, les microéconomistes durent se replier mettent l’accent sur la maximisation de la
sur une approche d’équilibre partiel, selon eux fonction objectif d’un agent qualifié de repré-
bien moins rigoureuse, et qui, surtout, se tra- sentatif car ses choix sont censés représenter
duit par une multitude de petits modèles qui ceux de l’ensemble de l’économie.
dépendent de choix a priori du théoricien.
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lancèrent dans la recherche d’algorithmes les variables exogènes (celles que le théori-
permettant le calcul (théorique) de ces prix. cien considère comme données) aux variables
Leur première idée fut d’appliquer la « loi endogènes (déterminées dans le modèle).
de l’offre et de la demande » en partant de Malgré leur grande différence – dans leurs
prix quelconques et de fonctions d’offre et références théoriques, leurs objectifs, le
de demande ayant les propriétés du modèle choix des variables exogènes et endogènes,
Arrow-Debreu. Elle fut toutefois vite aban- les techniques utilisées –, les approches par
donnée, la convergence s’avérant trop lente, l’équilibre général et par les matrices de
voire inexistante (confirmant le théorème comptabilité sociale furent « combinées »
de SMD). D’autres techniques mathéma- dans les années 1980, sous l’impulsion de
tiques furent alors proposées, notamment la Banque mondiale, pour créer les modèles
par Herbert Scarf (1973). Contre-intuitives dits d’« équilibre général calculable » (EGC).
sur le plan économique, et en particulier Ceux-ci sont ainsi constitués par un modèle
fort éloignées de l’idée de « loi de l’offre et d’« équilibre général » agrégé, avec des
de la demande », elles demandent de longs agents et des biens « représentatifs », les
calculs dès que les biens et les agents sont prix d’équilibre étant obtenus par égalisa-
en nombre important. tion des offres et des demandes globales
Au même moment, la collecte et le traite- calculées à partir des données fournies par
ment statistique des données connaissaient les matrices de comptabilité sociale ; ce qui
un essor considérable, dans le cadre de la pose un problème de cohérence : les élé-
comptabilité nationale, dont la logique ments de la matrice de comptabilité sociale,
« emploi-ressources » présente des simi- mesurés en valeur, dépendent des prix, alors
litudes avec celle de l’équilibre général. que les prix font partie des « inconnues » du
L’économiste norvégien Leif Johansen modèle d’équilibre général (ses variables
construisit sur cette base des « matrices de endogènes) – problème récurrent, qui se pose
comptabilité sociale » pouvant notamment chaque fois que des agrégats sont utilisés
être utilisées par des planificateurs (Johan- dans une démarche de type microéconomique
sen, 1960). Inspirées par les tableaux input/ (Guerrien et Gün, 2014). Une autre difficulté
output de Vassily Leontief, ces matrices logique rencontrée par les modèles d’EGC
rendaient compte à la fois des interdépen- provient de ce qu’ils assimilent les identi-
dances entre les divers secteurs productifs tés comptables de la matrice de comptabilité
de l’économie, des flux de revenus qui y sociale, toujours vérifiées par définition, à des
sont engendrés, de leur répartition entre les conditions d’équilibre, qui ne sont vérifiées
diverses catégories d’agents et de l’affecta- qu’exceptionnellement. Enfin, il découle de la
tion de leurs dépenses entre les divers pro- façon dont est construite la matrice de comp-
duits. À la différence des modèles d’équi- tabilité sociale que le nombre de variables
libre général « purs » étudiés par Scarf et est en général supérieur à celui des équa-
ses étudiants, ces modèles, dont le but était tions, ce qui oblige à considérer certaines de
de tester diverses politiques économiques, ses variables comme exogènes (problème de
raisonnaient directement sur des agrégats « bouclage » du modèle). Souvent, c’est l’offre
calculés en valeur, à prix donnés. de « facteurs » (travail, capital) ou l’investis-
La différence entre les conceptions de Scarf sement qui joue ce rôle, alors que, pour les
et de Johansen apparaît nettement au niveau théoriciens de l’équilibre général, seuls les
des mathématiques utilisées : alors que Scarf fondamentaux de l’économie sont exogènes.
faisait appel à des techniques relativement Toutes ces limites expliquent que les théo-
[2]
Aucun « prix Nobel » compliquées consistant à approcher l’équi- riciens soient très réservés à l’égard de ces
d’économie n’a par
exemple été décerné à libre par itérations successives, Johansen modèles2, qui sont pourtant utilisés par les
des travaux sur l’EGC. n’avait qu’à inverser la matrice qui reliait praticiens – surtout des pays en développe-
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ment – auxquels ils fournissent une boîte à sentatif) à maximiser, dont les variables
outils d’utilisation relativement facile, dans sont soumises à des contraintes techniques
des contextes variés. (résumées par la fonction de production de
l’économie). La solution de ces programmes
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biens produite et pour le « capital », l’équi- laquelle ils peuvent en partie se substituer.
libre est qualifié de « général ». Quant à L’État utilise l’argent emprunté pour ses
l’affectation des ressources, elle est « opti- dépenses et affecte ainsi le choix, et l’uti-
male », puisque le choix de l’agent l’est, par lité, de l’agent représentatif. Il le fait aussi
[3]
Il est courant chez définition3. lorsqu’il lui fait payer des taxes, ne serait-
les auteurs de ces ce que pour pouvoir lui rembourser les bons
modèles de décrire À l’origine, les modèles DSGE avaient pour
la situation comme objectif de rendre compte d’un certain qu’il lui a vendus.
résultant du choix d’un
nombre de « faits stylisés » en adoptant Au nom du « réalisme », les modèles DSGE
« planificateur » (social
planner) (King et Rebelo, une démarche « fondée microéconomique- ont été ainsi progressivement élargis en y
2001, p. 17 ; Christiano ment », contrairement à celles des modèles introduisant, outre la monnaie et l’État,
et Eichenbaum, 1992,
p. 433), tout en
existants, obtenus par superposition de un temps de travail réglementé, des « fric-
l’assimilant à une sorte relations de comportement ou d’équilibre tions » dans la production, des décalages
de marché idéal (une fois partiel. Puis des économistes formés à la dans la mise en route des investissements
les prix introduits).
macroéconomie à agent représentatif furent ou dans le versement du salaire par l’entre-
recrutés par les grandes administrations prise, une perception limitée ou avec retard
économiques, notamment les banques cen- des « chocs », etc. (Smets et Wouters, 2002).
trales, où ils cherchèrent à adapter ce qu’ils Toutes ces entraves font que le choix de
avaient appris pour répondre aux ques- l’agent représentatif n’est plus optimal com-
tions qui leur étaient posées. Ils furent ainsi paré au cas sans entraves, d’où la nécessité
conduits à introduire la monnaie comme de « réformes structurelles » pour les élimi-
variable dans la fonction d’utilité de l’agent ner et se rapprocher ainsi de l’optimalité. Si
représentatif – ce que les microéconomistes cela n’est pas possible, ou en attendant, il
refusent de faire, la monnaie n’étant pas, en revient aux politiques monétaires et budgé-
soi, source d’utilité. Ce nouveau besoin, qui taires d’atténuer les effets de ces « imper-
se traduit par une demande de monnaie, ne fections ».
peut être satisfait que si quelqu’un en offre, La crise récente a porté un coup très rude
sous certaines conditions. D’où la nécessité aux modèles DSGE. Elle ne peut, en effet, être
de supposer l’existence d’un nouvel agent, comprise qu’en considérant un ensemble
appelé « banque centrale » et caractérisé par hétérogène d’agents dont les décisions
une règle concernant l’offre de monnaie. On peuvent, contre leur gré, les précipiter dans
peut ensuite ajouter un agent supplémen- un gouffre.
taire – l’« État » – qui émet des « bons » por-
teurs d’intérêt, contrairement à la monnaie à
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POUR EN SAVOIR PLUS
CHRISTIANO L. J. et Business Cycles », in Taylor SCARF H. (1973), The
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Market Fluctuations », The à 1007. SMETS F. et WOUTERS R.
American Economic Review, KYDLAND F. et PRESCOTT E. (2002), « An Estimated
82(3), p. 430 à 450. (1990) « The Econometrics Dynamic Stochastic General
GUERRIEN B. et GÜN O. (2014), of the General Equilibrium Equilibrium Model of the
« En finir pour toujours avec Approach to Business Cycles », Euro Area » ECB Working
la fonction de production Research Department Staff Paper Series, no 171.
agrégée ? » Revue de la Report 130, Federal Reserve SUWA A. (1991), « Les
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JOHANSEN L. (1960), MITRAH-KAHN B. (2008), calculable », Analyse et
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KING R. G. et REBELO S.T. Schwartz Centrer Economic
(1999), « Resuscitating Real Politicy Analysis.
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L’équilibre de l’offre et de la demande et le processus d’ajustement par les prix sont des méca-
nismes fondamentaux des économies de marché. Implicites chez Adam Smith dans la métaphore
de la « main invisible », ils ont été théorisés dans les années 1950 sous le modèle de l’équilibre
général. Pourtant, comme nous le rappellent Jean-Pierre Biasutti et Laurent Braquet, le
mécanisme d’égalisation de l’offre et de la demande, simple en apparence, est en fait complexe
et incertain. Le passage d’une analyse en termes d’équilibre partiel à une analyse en termes
d’équilibre général proposé par la microéconomie pose notamment des difficultés non résolues
liées aux incertitudes pesant sur les courbes de demandes agrégées. L’analyse macroécono-
mique des fonctions d’offre et de demande, présentée ici sous la forme du modèle offre globale/
demande globale, permet toutefois de comprendre la détermination et les fluctuations des prin-
cipales grandeurs macroéconomiques telles que le PIB et le niveau d’emploi.
Problèmes économiques
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ne doit pas tromper car elle masque des phé- ce qui introduit une relation positive entre
nomènes très disparates et de plus en plus prix de marché et quantité offerte : c’est la
vagues lorsqu’on passe du niveau microéco- fonction d’offre O(p). L’offre totale d’un bien
nomique au niveau macroéconomique. sur le marché sera ensuite obtenue en addi-
tionnant les offres individuelles pour chaque
niveau de prix.
Offre et demande comme résultat Sur le graphique 1, la courbe d’offre associe à
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1. Courbes d’offre et de demande
Prix
Offre
excédentaire
O (p) ZOOM
Ɖϭ
Pour un prix p1, O>D
LA NOTION
NOTION
ƉĞ
(surproduction), le prix
diminuera jusqu’à pe .
Pour un prix p2 , O<D (pénurie),
le prix P augmentera jusqu’à Pe .
D’ÉLAASTICITÉ-PRIX
D’ÉL
ƉϮ L’élas
’élasticit
ticité-prix
é-prix de la demande (ou de
Demande l’offr
’offre)
e) d’un bien permet de mesurer
mesurer la
excédentaire
sensibilité
sensibilit é de la demande (ou de l’offr
l’offre)
e)
D(p)
Quantité
d’un bien par rapport
rapport à son prix : ainsi,
K;ƉͿс;ƉͿ l’élas
’élasticit
ticité-prix
é-prix de la demande (offre)
(offre) du
bien X se mesure
mesure en calcalculant
culant le
le rapport
rapport
entre
entr e le
le taux
taux de variation
variation de la demande
ce dernier par des unités supplémentaires du (offre)
(offr e) du bien X et lele taux
taux de variation
variation
bien A (effet de substitution) ; du prix de ce ce bien.
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prix. Par ailleurs, l’offre et la demande doivent
Tâtonnement ou marchandage ?
LA CONCURRENCE
CONCURRENCE Le modèle précédent pose un problème de
IMPARF
IMP ARFAITE
AITE ET LES fond. Si les hypothèses de la concurrence
« FAISEURS DE PRIX » pure et parfaite sont respectées, tous les
acteurs sont « preneurs de prix », ce qui
L’irr
’irréalisme
éalisme de l’hypothèse
l’hypothèse des « pr preneur
eneurss signifie qu’aucun d’entre eux ne peut agir
de prix » (qui suppose un proc proces
essus
sus hyper- sur ces prix : comment expliquer alors que
centr
entralisé)
alisé) a conduit
conduit au dév dével
eloppement
oppement ceux-ci fluctuent ? L’analyse économique
des modèles
modèles de concurr concurrenc encee imparfait
imparfaite e recourt à une solution coûteuse pour son réa-
qui se rappr
rapprochent
ochent de l’é l’évidenc
vidence e lisme mais indispensable pour sa cohérence.
empirique : ce ce sont lesles entreprises
entreprises qui font font Elle suppose en effet que le tâtonnement qui
les prix. Dans ces ces situations modélisées, conduit à l’équilibre est le fait d’un agent fic-
les agents, du fait fait de leur
leur faibl
faible
e nombre
nombre
tif qui se charge d’annoncer les prix en fonc-
ou de leur
leurss inter
interactions
actions strstrat
atégiques,
égiques, ont
tion des écarts qu’il constate entre les offres
un pouvoir
pouvoir sur le le marché
marché qui s’e s’exprime
xprime
et les demandes pour chaque bien. Ce « secré-
dans leur
leur capacit
capacité é à fixer
fixer ou à influer les les
prix ; ils sont « pric price e maker
makerss ». Le cas cas le
le
taire de marché » ou « commissaire-priseur »,
plus extr
extrême
ême est est celui
celui du monopol
monopole e dans seul agent non intéressé du modèle, doit agir
lequel un seul productproducteur eur satisfait
satisfait à tout
toute e d’une façon bien spécifique : si la demande
la demande du marché. marché. Il peut alor alorss fixer
fixer nette (demande-offre) est positive, il aug-
le prix qui détermine
détermine la quantitéquantité vendue
vendue mente le prix ; si elle est négative, il le baisse
maximisant son profit. profit. Cette
Cette situation jusqu’à arriver au prix qui l’annule (offre =
peut être
être approchée
approchée par des entreprises
entreprises demande). Dans l’attente, les agents ne pro-
qui, par l’inno
l’innovvation ou le le marquage
marquage cèdent pas aux échanges et ne les mettent en
publicitair
publicit aire,
e, réduisent
réduisent la substituabilit
substituabilité é œuvre qu’une fois le prix d’équilibre établi.
des produits
produits pour le le consommat
consommateur eur et Ce processus implique donc une organisation
peuvent
peuv ent alor
alorss fixer
fixer un prix plus éle élevé pour très centralisée peu congruente avec l’idée
leur produit
produit ainsi différ différencié
encié (c(concurr
oncurrenc
ence e que l’on se fait spontanément de la « main
monopolistique)
monopolis tique).. Les modèles
modèles invisible » du marché.
d’oligopole
d’oligopol e montrent
montrent que la « compétition
En revanche, l’analyse d’un processus plus
entre
entr e quelques-uns » conduit conduit à une
décentralisé, comme l’échange entre deux
manipulation des prix mais ont un résult résultatat
agents en face-à-face, montre que le choix du
pluss indéterminé
plu indéterminé sur l’équilibrl’équilibre e final.
prix est indéterminé à l’intérieur d’une plage
Jean-Pierre
Jean-Pierre Biasutti et Laurent
Laurent Braquet
Braquet qui rend l’échange mutuellement avantageux.
Domine alors un marchandage dont le résul-
tat dépend de variables étrangères à l’écono-
mie (rapport de forces, us et coutumes).
dis que les producteurs maximisent leur pro-
fit. Les gaspillages sont éliminés. Dans la pratique, force est de constater que
les prix ne sont pas déterminés ainsi. Ils
Cependant, un certain nombre de conditions sont dans l’ensemble très rigides, ce qui
doivent être respectées pour que les méca- rend les mécanismes d’ajustement suppo-
nismes du marché fonctionnent ainsi. Il est sés entre l’offre et la demande très lents et
d’abord nécessaire que la concurrence joue générateurs de déséquilibres importants
normalement sur ce marché ; en particulier, dans l’entre-deux. Beaucoup sont fixés par
aucun intervenant ne doit pouvoir imposer ses le producteur et déterminés par application
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d’un coefficient de marge à ses coûts (« mark 2. Courbes d’offre globale (OG) et de demande
up »). Pour se rapprocher de cette situation, globale (DG)
il faut accepter de sortir de la concurrence
OG
pure et parfaite en considérant que certains (long
OG
(court
terme)
agents ont un pouvoir de marché et qu’ils Niveau
général des
terme)
ne subissent plus la « loi de l’offre et de la prix
P
demande » comme une contrainte compa-
WΎ
rable à la gravitation universelle. On entre
alors dans un monde d’interactions stra-
tégiques dans lequel chacun essaie d’être DG
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3. Chocs d’offre et de demande
Y2 Y1 Y1 Y2
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Dans le cas contraire (prix flexibles sans vité des entreprises et déplacent la courbe OG ;
erreurs d’anticipation), la courbe d’offre les chocs de demande (exemple : pessimisme
globale est une droite verticale qui retrouve des consommateurs, politique de relance)
les prédictions de l’analyse néoclassique. Le affectent la dépense et déplacent la courbe DG.
marché du travail est à l’équilibre de plein Le modèle OG/DG permet d’analyser les consé-
emploi (tous les facteurs sont utilisés), une quences de ces chocs sur l’activité économique
augmentation des prix ne peut avoir d’effet et sur le niveau général des prix (graphique 3).
sur l’offre. Ce niveau de production corres- Un choc d’offre négatif (graphique 3a) va
pond au PIB potentiel (ou offre globale de par exemple déplacer la courbe OG vers la
long terme) qui augmente en général au fil gauche. C’est le cas d’un choc pétrolier qui,
du temps sous l’effet de l’accroissement de la parce qu’il réduit la rentabilité des entre-
population active, des équipements et du pro- prises en élevant leurs coûts de production,
grès technique. Son augmentation n’est plus les conduit à réduire leur offre globale pour
liée alors à celle du niveau général des prix. un niveau de prix plus élevé, c’est-à-dire une
Le point d’équilibre est donné par l’intersec- situation de « stagflation ». En revanche, un
tion des deux courbes. Pour autant, il n’y a choc positif (exemple : contre-choc pétrolier,
pas de mécanisme automatique qui permet- exploitation du pétrole bitumeux) déplace la
trait un retour à l’équilibre en affichant des courbe vers la droite. Dans les deux cas, on
prix et en attendant la réponse des offreurs note que les mouvements de la production et
et demandeurs. Qu’une courbe ou l’autre se des prix sont inversés.
déplace et ce sont les niveaux de prix et de
Un choc de demande positif (graphique 3b)
l’activité qui se modifient. Malgré la simili-
déplace la courbe de DG vers la droite. Il
tude formelle avec les courbes associées aux
entraîne, à la différence d’un choc d’offre, à la
fonctions microéconomiques (cf. supra), elles
fois une inflation et une hausse de la produc-
ne procèdent pas d’un calcul maximisateur
tion. C’est le cas d’une politique budgétaire
de la part des agents économiques. D’autre
expansionniste mais ce choc pourrait décou-
part, alors que, dans le modèle microéco-
ler aussi d’un relèvement des anticipations de
nomique, le prix est celui d’un bien donné,
croissance des entreprises ou des ménages.
dans le modèle OG/DG le prix représente
Symétriquement, un choc de demande négatif
le niveau général des prix de l’économie.
(exemple : politique budgétaire restrictive à
Enfin, les courbes d’offre et de demande sont
partir de 2010 dans la zone euro) entraîne une
construites conditionnellement à ce qui se
baisse simultanée des prix et de la production,
passe sur d’autres marchés (marché de la
c’est-à-dire une « déflation ».
monnaie, marché du travail). Pour cette rai-
son, on qualifie ces courbes de « quasi-offre » Le graphique permet aussi de comprendre les
et de « quasi demande ». dilemmes des politiques économiques face à
ces chocs. Par exemple, dans le cas d’un choc
Les chocs et les déplacements des d’offre négatif, les autorités peuvent choisir
courbes d’offre et de demande globale de maintenir inchangée la demande globale
en misant sur le fait que la baisse de l’acti-
Les déplacements des courbes d’offre et de vité finira par peser sur les coûts de produc-
demande dans le plan résultent soit de chocs tion avec la montée du chômage et poussera
exogènes affectant l’économie de manière les entreprises à augmenter leur offre. Elles
spontanée, soit des politiques économiques peuvent aussi choisir de stimuler la demande
menées. Les chocs d’offre (exemple : législa- pour relancer l’activité au prix d’une inflation
tion environnementale restrictive, revendica- plus importante.
tions salariales, prix du pétrole modifié par un
cartel de producteurs) modifient la compétiti-
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POUR EN SAVOIR PLUS
ASENSIO A. (2008), GÉNÉREUX J. (2014), MONTOUSSÉ M. et WACQUET I.
Le fonctionnement des Jacques Généreux explique (2013), 100 Fiches pour
économies de marché, l’économie à tout le monde, comprendre la microéconomie
Bruxelles, De Boeck. Paris, Seuil. et la macroéconomie, Paris,
BEITONE A., BUISSON E. et GUESNERIE R. (2013), Bréal.
DOLLO CH. (2012), Économie – L’économie de marché, Paris, WASMER É. (2014), Principes
Aide-mémoire, Paris, Sirey, Le Pommier. de microéconomie, Paris,
5e éd. MANKIW G. (2010), Pearson, 2e éd., chap.12.
Macro-économie, Bruxelles,
De Boeck, 5e éd., chap. 9.
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Au cours des Trente Glorieuses, la croissance du PIB s’est imposée comme l’objectif premier
des politiques économiques, le plein-emploi, la réduction des inégalités ou l’augmentation du
bien-être collectif étant supposés en découler directement. Si ce que certains dénoncent
comme un véritable « dogme » est toujours d’actualité, les critiques – formulées dès les années
1970 – à l’égard du productivisme, de l’impact écologique de la croissance et de l’utilisation du
PIB comme indicateur principal des performances économiques d’une nation sont de plus en
plus nombreuses et ont donné lieu à des réflexions sur l’élaboration d’autres indicateurs de
richesse. Que mesure réellement le PIB et quelles sont ses limites ? Thomas Fabre fait le point
sur ces questions, avant de présenter les conceptions théoriques de la croissance.
Problèmes économiques
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pris dans son ensemble, c’est au nom de duction payants. Il ne peut donc pas rendre
l’intérêt général que la plupart des gouver- compte de certaines activités productives
nements font de son augmentation un axe qui échappent encore au marché, relevant
majeur des politiques économiques, comme par exemple des sphères domestique, ami-
moyen indirect d’accroître le niveau de vie cale, ou associative. Encore que cette lacune
de la population, de faciliter le financement soit aussi affaire de conventions : au début
des services collectifs et de la protection des années 1970, l’INSEE a par exemple inté-
sociale, ou encore de lutter contre le chômage gré au PIB les services non marchands four-
– à condition toutefois que la croissance du nis par les administrations publiques, en les
PIB soit supérieure à celle de la productivité. évaluant, faute de prix de vente, au coût de
Mais le PIB permet-il pour autant d’évaluer production ; plus récemment, en juin 2014,
la « véritable » richesse d’une société ? Est-il la France, à la différence de l’Espagne ou de
un indice de bien-être social ? En somme, que la Belgique, a refusé de se plier à une recom-
mesure-t-il vraiment ? mandation européenne invitant à compta-
biliser les activités liées à la drogue et à la
prostitution dans la richesse nationale.
Que mesure réellement le PIB ?
Le PIB mesure un flux
Le PIB mesure les activités de production
marchandes
Ensuite, le PIB ne mesure pas un stock de
Tout d’abord, le « contenu » en biens et ser- richesses, mais un flux : il est plus juste de
vices d’un PIB se transforme au cours du dire qu’il mesure une « richesse nouvelle-
temps. Si la croissance économique est un ment créée » en une année que simplement la
phénomène historiquement récent – selon richesse d’un territoire. C’est donc, au sens
Angus Maddison, elle débute réellement au strict, plus un indicateur d’activités donnant
XIXe siècle pour « exploser » dans le second lieu à rémunération que de quantités pro-
XXe siècle –, les comparaisons intertempo- duites et accumulées – on parle d’approche
relles ne considèrent que l’aspect quantitatif « non patrimoniale » –, même si le volume de
de la croissance : on produit beaucoup plus ces activités est nécessairement fonction d’un
aujourd’hui qu’il y a cent ans. Elles masquent « capital » (matériel, technique, humain, natu-
ainsi de nombreux aspects qualitatifs : on rel, etc.) mis en œuvre pour produire. Une des
produit, en proportion, de plus en plus de critiques principales adressée au PIB est jus-
services, dont certains n’existaient pratique- tement sa non-prise en compte de l’enrichis-
ment pas il y a cent ans, dans les domaines sement (ou de l’appauvrissement) patrimonial
du transport, de la santé ou de la finance par d’une société, notamment lorsqu’on inclut la
exemple. En outre, certains biens ou services notion de capital naturel ou de capital humain
(on pense en particulier au vaste ensemble (dont la santé des individus). Une catastrophe
des « services à la personne »), au fur et à nucléaire comme celle de Fukushima, en 2011,
mesure qu’ils deviennent des marchandises, constitue un exemple parlant : la mobilisation
contribuent à alimenter la croissance. Cette des habitants et du gouvernement a permis au
dernière a donc une dimension strictement PIB japonais de repartir à la hausse en 2013,
sociale, dans la mesure où elle reflète l’exten- sans que cela donne la moindre idée de l’am-
sion de rapports ou d’échanges sociaux fai- pleur et de l’irréversibilité des pertes liées à
sant l’objet d’une contrepartie monétaire. la pollution des sols, de l’air et de l’océan,
Par ailleurs, le PIB ne comptabilise que les ni des dégâts sanitaires et psychiques ayant
biens et services marchands ou non mar- affecté le bien-être de la population (Fitoussi
chands obtenus à l’aide de facteurs de pro- et Stiglitz, 2011).
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ZOOM (mesuré par la formation
(mesuré
fixe),
fixe), en ajoutant
commer
formation brute
ajoutant le
ommercial
ciale
brute de capit
capital
le solde de la balance
e (cf. Compl
Complément).
ément).
balance
al
LE PIB : APPROCHES
APPROCHES Troisième cascas : l’appr
l’approche
oche par les
les re
revenus
ET MODES DE CALCUL
CALCUL PIB = rémunér
rémunération
revenus mixtes
ation des salariés + EBE +
mixtes + impôts sur la production
production et
Il exis
existte trois
trois modes de cal calcul
cul du PIB aux les importations
importations – subventions.
subventions. On additionne
« prix du marché
marché » d’un pays ou d’une région. région. ici les
les re
revenus primaires
primaires (du trav
travail
ail et du
Premier
Pr emier cascas : l’appr
l’approche
oche par la production
production capit
apital).
al). Puis, pour obtenir
obtenir le
le PIB au « prix
PIB = somme des val valeur
eurs s ajoutées
ajoutées + du marché
marché », on ajoute
ajoute le
le supplément
supplément payépayé
impôts sur les les produits
produits – subventions
subventions sur du fait
fait des impôts (nets des subventions)
subventions)
les produits.
produits. En sommant des « val aleur
eurss sur la production
production et les
les importations.
importations.
ajoutées
ajout ées », on fournit
fournit une estimation
estimation des
On obtient le le PIB « réel » (ou PIB « en
flux de production
production annuels. Les val valeur
eurss
volume ») en retr retranchant
anchant du PIB à prix
ajoutées
ajout ées étant
étant évévaluées sans les les impôts sur
cour
ourants
ants (ou PIB « en val
valeur
eur ») les
les effets
effets
les produits
produits comme
comme la TVA, TVA, on ajoute
ajoute ces
ces
dernierss pour obtenir
dernier obtenir lele PIB aux « prix du de l’inflation.
l’inflation. Si un PIB en val
valeur
eur croît
croît de
marché
mar ché », puis on soustr
soustraitait les
les subventions
subventions 3 % et que l’inflation
l’inflation est
est de 3 %, la quantité
quantité
sur les
les produits
produits (dont le le but est
est d’influencer
d’influencer supplément
suppl émentairaire
e de marchandises
marchandises produit
produites
es
les niveaux
niveaux de production,
production, les les prix ou la estt global
es globalement
ement nulle
nulle : on dit alor
alorss que
rémunér
émunérationation des fact
facteur
eurss de production).
production). le PIB réel
réel st
stagne.
Deuxième cas cas : l’appr
l’approche
oche par la demande Pour mesurer
mesurer le
le niveau
niveau de vie moy
moyen de
PIB = dépenses de consommation
consommation finale finale + la population, on utilise le
le PIB par habitant
habitant
FBCF + export
exportations
ations – importations.
importations. qui, par définition, ne croît
croît que si la
On considèr
considère e ici le
le PIB sous l’angl
l’anglee de crois
croissanc
sance
e du PIB est
est supérieure
supérieure à cell
celle
e
la « demande globalglobale e », c’est-à-dir
c’est-à-dire e de de la population.
la consommation
consommation et de l’inv l’inves
estis
tissement
sement Thomas Fabr
Fabre
e
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croissance) peut recouvrir des situations
qualitativement fort disparates, que ce soit Les sources de la croissance
en termes d’inégalités sociales, de sécurité, Pour produire, il faut des ressources natu-
de libertés des individus ou de dégradations relles (parfois appelées « capital naturel »),
de l’environnement. Ces lacunes expliquent du capital physique ou technique (soit, pour
la constitution, depuis les années 1980, de aller vite, des machines, des terrains et des
nouveaux indicateurs de richesse, mieux à bâtiments), et du travail (parfois assimilé à
même de rendre compte du bien-être social la mise en œuvre d’un « capital humain »).
et de son évolution, tels l’indice de dévelop- La croissance requiert par conséquent l’uti-
pement humain (IDH), l’épargne nette ajustée, lisation d’une quantité accrue et/ou l’amélio-
le « PIB vert » ou encore l’indice de santé ration de l’efficacité productive (ou produc-
sociale (cf. Gadrey et Jany-Catrice, 2005). tivité) de ces « facteurs de production ». Les
Mais ceux-ci peinent à détrôner le PIB, et théories de la croissance se rejoignent d’ail-
plus largement la croissance comme réfé- leurs pour voir son origine dans l’augmen-
rents premiers des politiques et discours tation des capitaux productifs et/ou dans le
économiques. G.W. Bush, alors président des « progrès technique ». La diversité des raffi-
États-Unis, affirmait en 2002 : « La crois- nements et sophistications théoriques est en
sance n’est pas le problème ; c’est la solu- partie imputable à la priorité accordée à tel
tion. » De nombreux gouvernants continuent ou tel facteur, à tel ou tel acteur économique
de se tourner vers les économistes, afin de à même d’en favoriser l’essor.
trouver les ressorts permettant de continuer Les historiens de l’économie, et notamment
à « libérer la croissance » (selon l’expression l’école de la régulation, considèrent la crois-
de J. Attali), ceux-ci n’étant pas toujours sance du premier capitalisme comme prin-
d’accord ni sur les moyens ni sur la possibi- cipalement extensive, c’est-à-dire fondée
lité même de continuer à croître. sur la mobilisation toujours plus importante
de capital et de travail, la diffusion du pro-
Origine, forme et devenir grès technique jouant au XIXe siècle un rôle
de déclencheur et d’accompagnateur. Mais la
de la croissance économique plupart des explications de la croissance ont
été développées au XXe siècle, lorsque celle-ci
Que l’on prête ou non allégeance à la crois- s’accélère pour atteindre des taux exception-
sance du PIB comme objectif premier des nels pendant les Trente Glorieuses (autour de
politiques publiques, le phénomène histo- 5 % par an dans les pays occidentaux) : c’est
rique demeure : depuis les débuts du capi- alors le progrès technique – qui comprend au
talisme contemporain, soit depuis deux sens large les gains de productivité permis
siècles, nos sociétés s’organisent autour par l’organisation scientifique du travail –
de la production toujours plus importante qui est mis en avant. Reste à en identifier les
de marchandises. Selon l’exclamation de sources : le développement scientifique, l’in-
Karl Marx dans le premier tome du Capi- novation impulsée par les « entrepreneurs »
tal (1867), le mot d’ordre en serait : « Accu- (J.-A. Schumpeter), les rendements d’échelle
mulez, accumulez ! C’est la loi et les pro- croissants permis par l’accumulation de
phètes ! ». Comment, alors, rendre compte capitaux humains et publics (croissance
de la perpétuation dans le temps de cette endogène) ou encore l’efficacité des « insti-
accumulation sans cesse renouvelée ? Est- tutions » formelles et informelles (D. North).
elle vouée à se poursuivre indéfiniment ? De Notons que la plupart des théories récentes,
façon régulière ? Telles sont les questions même lorsqu’elles s’inscrivent dans la tradi-
posées par les différentes théories de la tion du libéralisme économique, soulignent
croissance (voir tableau). le rôle primordial des pouvoirs publics, via la
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Diverses conceptions de la croissance économique
Sources principales Facteurs limitant Place et rôle des
Auteurs/théories
de la croissance la croissance crises économiques
Division du travail, Croissance
A. Smith
progrès technique potentiellement infinie
Croissance
de la population,
Progrès technique
Modèle de Solow rythme du progrès
« exogène »
technique ; croissance
potentiellement infinie
Absence de crises
Degré d’internalisation économiques
des externalités majeures,
Accumulation de capitaux
positives de productivité autorégulation
Théories de (physique, humain, public),
par l’État ; croissance supposée des marchés
la « croissance endogène » innovations et externalités
potentiellement (tradition libérale)
positives
infinie : hypothèse de
« croissance durable »
Rendements
Libéralisation décroissants
D. Ricardo du commerce international, de la terre ; croissance
progrès technique finie, butant sur un
« état stationnaire »
Inefficacité
Analyse centrée sur
« Nouvelle histoire Institutions (contraintes des institutions
les différentiels de
économique » formelles et informelles, allant d’encadrement
croissance à long
des lois aux normes et usages), du marché ; question
(R. Fogel, D. North) terme, non sur la
changements techniques de la finitude de la
question des crises
croissance non posée
Ralentissement des
Alternance de crises
« Grappes d’innovations » gains de productivité
et périodes
autour d’un facteur clé, et des taux de profit
J.-A. Schumpeter de croissance
concurrence en fin de cycle long ;
économique
et progrès technique question de la finitude de
(cycles longs)
la croissance non poséee
Baisse tendancielle
Concurrence, accumulation de du taux de profit ; Crises économiques
capital, gains de productivité croissance probablement répétées, non-viabilité
K. Marx
(via les gains de « plus-value finie via l’épuisement du système capitaliste
relative ») de la terre et des à long terme
travailleurs
Croissance sinon
Crises régulières
Accumulation extensive finie du moins « non
des « modes
et/ou intensive du capital ; durable » en raison de
Théorie de la régulation de régulation »
compromis sociaux permettant l’incompatibilité entre
(M. Aglietta, R. Boyer) (épuisement des
de trouver des débouchés dynamique capitaliste
gains de productivité,
à la production et préservation des
conflits de répartition)
ressources naturelles
Croissance finie en « Crise » économique
Ressources naturelles raison du caractère fini pensée sous
Club de Rome (rapport
transformées en énergie des ressources naturelles l’angle écologique,
Meadows), écologie politique,
mécanique par le biais (fossiles en particulier) s’accentuant avec
courant de la décroissance
d’innovations techniques qui sont à la base de la l’épuisement des
croissance capitaliste ressources naturelles
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construction d’infrastructures de transport respect de la nature et des hommes) serait
et de communication, l’éducation, les inves- incompatible avec le capitalisme comme sys-
tissements dans la recherche et le dévelop- tème fondé sur la recherche incessante de
pement, la sécurisation des échanges, etc. La nouveaux moyens d’accumulation du profit4. [1]
Sans compter ses
croissance économique apparaît en ce sens aspects « culturels »,
redevable d’un cadre institutionnel adéquat1. « Durabilité » et crises déjà mis en avant
par Max Weber dans
Est-ce cependant suffisant pour assurer une du capitalisme L’Éthique protestante
accumulation infinie de marchandises ? et l’esprit du capitalisme
On ne sera alors pas forcément surpris de (1905).
constater que les économistes libéraux parti-
La croissance peut-elle se poursuivre
[2]
À l’exception
sans de la « durabilité faible » ne prêtent pas notable de David
une grande attention aux crises majeures : ils Ricardo qui anticipait
indéfiniment ? postulent non seulement la toute-puissance
l’avènement d’un
« état stationnaire »
Si l’on excepte les penseurs qui ne posent de l’innovation technologique, mais aussi en raison de la fertilité
l’autorégulation des marchés. décroissante des terres
pas explicitement la question, le caractère cultivées.
potentiellement fini ou infini de la croissance Opposées aux conceptions libérales, les
[3]
H. Daly définit
donne lieu à deux grandes postures, à la fois théories issues de la tradition de critique
la « durabilité
prédictives et normatives. du capitalisme et du productivisme affir- forte » comme le
ment en revanche que les crises majeures développement
n’altérant pas le stock
« Durabilité faible » contre sont « normales » et ont partie liée, depuis existant de capital
les chocs pétroliers des années 1970, avec la naturel. Pour des
« durabilité forte »
raréfaction des ressources naturelles. Leur auteurs comme Dennis
et Donella Meadows,
D’une part, la plupart des économistes libé- donner raison conduit à souligner derechef tout porte à croire que
raux2 font l’hypothèse que la croissance et les carences du PIB mondial comme lanceur cette notion n’a de sens
le développement peuvent être « durables », d’alerte, puisqu’il n’a depuis lors pratique- que dans une société
« postcroissance ».
autrement dit se poursuivre sans entamer ment pas cessé de croître, même à un rythme
[4]
les capacités de bien-être des générations toujours faiblissant. Nombreux sont d’ail- Dans le documentaire
leurs ceux qui, aujourd’hui, estiment que le de Marie-Monique Robin
futures, misant sur les progrès techniques « Sacrée croissance ! »
et les gains d’efficacité énergétique à venir. PIB a, au plan de la légitimité scientifique ou (Arte, 2014), Jean Gadrey
Cela implique de considérer capital naturel et politique, largement fait son temps. rappelle la célèbre
boutade de Kenneth
capital artificiel comme substituables (hypo- Boulding : « Celui qui
thèse dite de la « durabilité faible », formulée
par J.-M. Hartwick en 1977). Conclusion : « Au-delà du PIB »5 ? pense qu’une croissance
exponentielle infinie est
possible dans un monde
Au contraire, les partisans de l’écologie poli- Toute comptabilité nationale repose sur des fini est soit un fou,
tique, de la « décroissance » ou les théori- conventions sociopolitiques : il s’agit de défi- soit un économiste. »
Voir aussi Rousseau S.
ciens de la régulation pensent que la crois- nir des agrégats (ce qui ne va déjà pas de et Zuideau B.
sance propre aux sociétés capitalistes est soi), de choisir des instruments et des uni- (2007), « Théorie
en train de buter sur des limites naturelles tés de mesure, des critères de démarcation, de la régulation
et développement
et humaines, sur l’épuisement de ressources etc. Lorsqu’il s’agit de définir la « richesse durable », Revue de la
non renouvelables auquel les avancées tech- nationale », on devine la multiplicité des régulation, no 1.
niques ne sauraient trouver de substituts voies à emprunter. Étudiant le cas français, [5]
En référence à
suffisants ; et ce d’autant que les ressources François Fourquet montre en 1980 comment l’ouvrage éponyme de
naturelles renouvelables et l’environnement les « comptes de la puissance », au sortir de Dominique Méda (2008).
en général connaissent des dégradations en la Seconde Guerre mondiale, préjugent de la [6]
Fourquet F. (1980),
partie irréversibles, qui altèrent les capaci- supériorité de systèmes économiques fondés Les Comptes de la
tés de production futures3. Autrement dit, le sur la « juste et libre concurrence », la pro- puissance. Histoire de la
comptabilité nationale
développement durable (soit la poursuite de duction industrielle de masse et l’extension et du plan, Paris,
la croissance moyennant un « authentique » des rapports sociaux marchands6. Le PIB, Éditions Recherches.
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comme indice de richesse, et sa croissance, contenus et des externalités économiques
comme priorité des politiques économiques, associés au phénomène, dont on oublie ou
sont alors au faîte de leur légitimité. Dans un ignore parfois le caractère statistiquement
contexte de reconstruction, puis de guerre construit. Sans compter l’inertie certaine des
froide, alors que l’État-providence s’est géné- représentations économiques : « À court et
[7]
Par exemple,
ralisé, interroger les insuffisances et la légiti- moyen termes, [la croissance] est donc appré-
le rapport mité du PIB ou dénoncer les nuisances envi- ciée positivement par de larges fractions de
du Club de Rome, ronnementales accompagnant la croissance la population, d’autant plus larges d’ailleurs
(ou « rapport Meadows »),
Halte à la croissance !,
ne fait pas recette, si l’on peut dire. qu’on ne leur communique qu’un chiffre final
est publié en 1972. Avertissements et remises en cause ne (le taux de croissance réalisé ou espéré), en
[8] manquent pourtant pas, dès les années 19707, esquivant la question de son contenu (qu’est-
Sur ces questions,
voir Pessis C., Topçu S. et mais leur audience demeure limitée et éphé- ce qui s’est amélioré ?) ou de sa répartition
Bonneuil C. (dir.) (2013), mère. C’est que définir le bien-être collectif (le partage de la valeur ajoutée) » (Gadrey et
Une autre histoire des Jany-Catrice, 2005). Aujourd’hui, l’idée per-
« Trente Glorieuses ». et ses enveloppes langagières est aussi un
Modernisation, enjeu de luttes sociales et politiques8. Nous dure mais chancelle selon laquelle, sans la
contestations et l’avons suggéré, ne parler que de croissance croissance, point de salut.
pollutions dans la France
d’après-guerre, Paris, – et implicitement, ne faire référence qu’au
La Découverte. PIB – peut être un moyen de ne rien dire des
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1. Les différents comptes de la balance des paiements
Crédits Débits Soldes
1. Compte des Exportations de biens ou Importations de biens ou
transactions de services, salaires et revenus de services, salaires et revenus
courantes du capital et transferts de du capital et transferts de S1
revenus (des non-résidents revenus (des résidents vers
vers les résidents) les non-résidents)
2. Compte de capital Remises de dettes (des non- Remises de dettes (des résidents
résidents vers les résidents), vers les non-résidents), achats S2
ventes de brevets, marques... de brevets, marques...
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2. Balance des paiements de la France (en milliards d’euros)
2012 2013
1. Compte des transactions courantes – 31,8 – 30,3
Biens (balance commerciale) – 54,6 – 42,5
Services 24,7 18,3
Revenus et transferts – 1,9 – 6,0
2. Compte de capital 0,5 1,8
3. Compte financier 21,0 14,2
Investissements directs – 14,1 5,1
Investissements de portefeuille 26,5 69,8
Dérivés financiers 14,3 16,8
Autres investissements – 1,7 – 79,0
Avoirs de réserve – 4,0 1,5
4. Erreurs et omissions 10,3 14,3
Source : Banque de France ; Direction générale des statistiques.
Toute inscription au crédit dans les comptes au plan des services, la France dégage un
des transactions courantes et de capital doit excédent et continue de posséder un point fort.
entraîner une inscription égale au débit du Concernant le compte financier, on constate
compte financier. en 2012 et 2013 un excédent pour les
Si la balance des paiements est équilibrée investissements de portefeuille et les produits
par construction, les différents comptes qui la financiers dérivés, traduisant des entrées
composent peuvent révéler des déséquilibres nettes d’épargne de la part des non-résidents
donnant des indications sur certaines forces en contrepartie du besoin de financement déjà
ou faiblesses d’une économie nationale, et évoqué. Les « autres investissements » voient
orienter les choix de politiques économiques. leur solde devenir nettement négatif en 2013 :
La somme des soldes de transactions les prêts et crédits commerciaux accordés par
courantes et de capital, si elle est positive, des résidents à des non-résidents ont nettement
révèle une capacité de financement de dépassé ceux réalisés en sens inverse.
la nation : l’épargne intérieure excède Enfin, on appelle « solde de la balance
l’investissement et permet de couvrir le déficit globale » la somme de tous les soldes,
d’épargne des non-résidents et/ou d’accroître moins les avoirs de réserve : lorsqu’il est
les réserves de changes (opérations qui se excédentaire (comme en 2012), cela signifie
traduisent par un déficit du compte financier) ; que la banque centrale a accumulé des
inversement, une somme négative révèle un réserves de change durant l’année, ce qui se
besoin de financement de la nation. traduit par une augmentation de la masse
En France, en 2012 et 2013, les résidents monétaire ; et inversement, lorsqu’il est
ont globalement un besoin de financement, déficitaire (comme en 2013). Attention : un
le solde des transactions courantes étant solde excédentaire se traduit par un signe
nettement déficitaire : c’est là une faiblesse négatif sur la ligne « avoirs de réserves » ;
récurrente de l’économie française. On un solde déficitaire, par un signe positif.
remarque néanmoins que cette faiblesse est
d’abord imputable au déficit de la balance Thomas Fabre
commerciale (ligne « biens »), lui-même lié (1) Pour une présentation plus détaillée, voir Chamblay D.
aux problèmes de compétitivité rencontrés (2008)., « La balance des paiements », Cahiers français
par l’industrie nationale. Et que, au contraire, no 345, Paris, La Documentation française, juillet-août.
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Les biens collectifs et les externalités sont les deux cas les plus célèbres de défaillance du marché.
S’ils appellent l’action publique, celle-ci peut revêtir plusieurs modalités, de la plus intervention-
niste – la réglementation – à la plus respectueuse des mécanismes de marché – l’attribution de
droits de propriété, en passant par l’instauration de taxes et de subventions. Marion Navarro fait
le point sur ces configurations sous-optimales en termes de bien-être collectif et sur les moyens
d’y faire face en s’appuyant sur l’exemple des problèmes d’environnement.
Problèmes économiques
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Le fait qu’un individu profite d’un service de Peu de producteurs vont se lancer dans la
nettoyage d’une plage publique n’empêche production d’un bien non excluable pour
pas un autre agent d’en bénéficier simulta- ensuite chercher à le vendre. Tout le monde
nément. Ce service est non rival, ce qui n’est pouvant en bénéficier librement, le produc-
pas le cas d’un service de coiffure : deux per- teur n’a aucune garantie de tirer ensuite un
sonnes ne peuvent simultanément bénéficier revenu lui permettant de couvrir ses coûts.
du travail d’un même coiffeur. Un bien est Prenons le cas des feux d’artifice qui sont
excluable si le producteur peut en réserver un exemple de bien collectif. Aucun artificier
l’accès à ceux qui en ont payé le prix. Le ser- ne va lancer de lui-même un feu d’artifice et
vice de nettoyage d’une plage publique est passer ensuite dans la foule des spectateurs
aussi non excluable. Une fois que la plage a pour essayer de tirer une rémunération du
été nettoyée, on ne peut empêcher certains service dont ils ont bénéficié. Les consom-
individus de profiter d’une plage propre mateurs n’ont pas non plus intérêt à payer
puisqu’elle est publique et accessible à tous. à l’avance pour que le bien soit produit car
Le service de nettoyage d’une plage privée ces biens sont généralement très coûteux à
est à l’inverse excluable car il est possible produire et il est très peu probable qu’un
consommateur ait une disposition indivi-
de refuser l’entrée de la plage aux personnes
duelle à payer supérieure ou égale au prix de
qui refuseraient de payer le prix imposé par
vente du bien. Dans certains cas, par exemple
le propriétaire.
lors d’un grand mariage, un individu va
Le marché est défaillant dans la gestion des accepter de payer pour qu’un feu d’artifice
biens collectifs : trop peu de ressources sont ait lieu car le but est justement d’en faire
mobilisées pour les produire alors même profiter tout le monde gratuitement, mais la
qu’ils ont de l’intérêt aux yeux de la popula- plupart des feux d’artifice sont financés par
tion. Comment expliquer cela ? les collectivités locales.
LA TRAGÉDIE
TRAGÉDIE DES BIENS alor
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peut ensuite
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(1) Hardin
Hardin G. (1968), « The TrTragedy of the Commons »,
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Science
Scienc vol. 162, no 3 859.
e, vol.
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(particulièrement (2) Ostrom E. (1990) Go
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une fois
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Sans intervention publique, les biens collec- possible d’imposer par la contrainte régle-
tifs sont ainsi produits en quantité insuffi- mentaire la mise en œuvre de cette poli-
sante et le bien-être de la population n’est tique et seule la coopération entre États peut
pas maximal. Considérons le cas d’individus conduire à une action concertée de réduction
qui seraient prêts à payer individuellement des émissions de GES.
20 euros pour que la plage publique où ils
se baignent habituellement soit nettoyée.
Le plaisir qu’ils gagneront à être sur une La défaillance du marché
plage plus propre vaut ainsi 20 euros à leurs
yeux : ils sont prêts à renoncer à 20 euros
en présence d’externalités
d’autres biens (comme l’achat d’un T-shirt) Une externalité représente la conséquence
pour que ce service soit produit. Supposons du comportement d’un agent économique
que 1 000 personnes soient concernées, ce sur d’autres agents économiques qui ne fait
qui fait que collectivement, la disposition pas l’objet d’une transaction marchande. Les
à payer des utilisateurs de la plage serait externalités peuvent être positives, si l’effet
de 20 000 euros. Supposons que le coût de sur les autres agents conduit à améliorer leur
nettoyage de la plage soit de 15 000 euros. situation, ou négatives si au contraire il la
Il serait logique que ce service soit produit dégrade.
puisque cela accroîtrait la satisfaction des Pour déterminer leur comportement, les
utilisateurs de la plage. Aucune entreprise agents économiques comparent les coûts
ne va toutefois nettoyer la plage, ces der- qu’ils subissent et les avantages qu’ils
nières sachant que les riverains ne paieront retirent de chaque possibilité envisagée.
pas ensuite pour ce service, l’accès à la plage Ainsi, lorsqu’un producteur de voitures se
étant gratuit. Aucun usager n’étant prêt demande s’il doit en produire une de plus,
à payer 15 000 euros de sa poche pour que il compare le coût de production de cette
ce service soit produit, le plus probable est unité supplémentaire (coût marginal privé)
donc que la plage reste sale sans interven- à la recette qu’il pourra retirer de sa vente
tion publique. (rendement marginal privé) et décidera de la
De nombreux services qui contribuent à la produire si le coût est inférieur à la recette. Il
préservation de l’environnement sont des ne tient pas compte du fait qu’en produisant
biens collectifs. Ainsi en est-il de la politique cette voiture, il va émettre des produits pol-
climatique. En effet, il s’agit d’un bien non luants qui auront un coût sur d’autres agents
rival (le fait qu’un individu bénéficie de la économiques (coût marginal externe).
stabilité du climat n’empêche pas un autre Le coût total d’une activité, qu’on appelle coût
d’en bénéficier) et d’un bien non excluable (il social, représente la somme du coût privé
n’est pas possible d’exclure un individu ou de réalisation de cette activité pour l’agent
un pays de l’avantage social que constitue la économique qui en est à l’origine et du coût
réduction des émissions de GES par un autre externe. Le rendement total d’une activité,
individu ou un autre pays). Par conséquent, qu’on appelle rendement social, représente la
personne ne va produire spontanément cette somme du rendement privé et du rendement
politique climatique. Dans la plupart des cas, externe. En présence d’externalités négatives,
la production des biens collectifs est prise en il existe un coût externe positif et les agents
charge par une autorité publique (soit direc- économiques vont sous-estimer le coût de
tement, soit à travers une délégation de ser- leur action dans leur prise de décision. À
vice public) et financée par les prélèvements l’inverse, en présence d’externalités posi-
obligatoires. Pour la politique climatique, le tives, il existe un rendement externe positif
cas est plus complexe car comme il n’existe et les agents économiques sous-estiment
pas de gouvernement mondial, il n’est pas le rendement de leur action. Trop de res-
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sources vont ainsi être affectées à la réalisa- La réglementation
tion d’activités qui génèrent des externalités
négatives et trop peu pour des activités qui Le recours à la réglementation consiste à
génèrent des externalités positives. L’alloca- ce qu’un pouvoir hiérarchique définisse des
tion des ressources par le marché n’est donc normes qui s’imposent à tous les agents
pas optimale. Les ressources disponibles ne pour ensuite en contrôler l’application. On
sont pas utilisées d’une façon qui maximise emploie souvent l’expression anglo-saxonne
le bien-être de la population car les effets de command and control pour désigner ce
externes ne font pas l’objet de transactions type de politique. La réglementation peut
marchandes. Les signaux envoyés par les prix consister à interdire l’utilisation de certains
sont faussés car ils ne reflètent plus le ren- biens au cours du processus de production,
dement ou le coût véritable des différentes limiter la quantité d’émissions polluantes
activités. De nombreux problèmes environ- autorisées, etc. Cet instrument semble effi-
nementaux peuvent être compris en mobi- cace pour modifier le comportement des
lisant cette analyse. Les émissions de gaz à acteurs puisqu’en interdisant ou limitant
effet de serre (GES) sont ainsi une externalité par la réglementation certains comporte-
négative générée par la réalisation de nom- ments qui génèrent des externalités, l’inter-
breuses activités. Les acteurs n’intègrent pas vention de la puissance publique conduit
dans leur calcul les véritables coûts de leurs mécaniquement à une modification de leurs
actions, ce qui conduit à une émission de GES choix. Pour la gestion des externalités posi-
supérieure à celle qui serait observée s’ils en tives, l’État peut à l’inverse forcer certains
tenaient compte. individus à réaliser certaines activités. Le
fait de se former est une activité qui génère
des externalités positives et l’État contraint
Quelle régulation publique ainsi les individus à aller à l’école jusqu’à 16
ans (les motivations de cette décision sont
pour internaliser les externalités ? plus larges mais cette décision peut être en
partie interprétée en ces termes).
Deux catégories d’instruments sont mobili-
sables pour modifier les choix individuels en Cet instrument présente néanmoins de nom-
matière de production et de consommation : breux défauts. Prenons le cas des émissions
polluantes. La puissance publique peut défi-
– les instruments non économiques, qui ren- nir le niveau d’émissions qui serait sociale-
voient aux règles qui encadrent le comporte- ment optimal et imposer des quotas d’émis-
ment des acteurs. La réglementation repose sion ensuite aux acteurs privés de telle sorte
sur l’autorité hiérarchique des administra- que la somme des quotas individuels corres-
tions publiques, qui peuvent contraindre les ponde au volume global d’émissions désiré.
agents économiques à adopter ou pas tel ou Les entreprises devront donc réduire leurs
tel comportement ; émissions en transformant leurs méthodes
– des instruments économiques qui ont de production de façon à moins polluer et
recours à un signal-prix pour inciter les cela induira des coûts. Ces coûts ne sont pas
agents à modifier leurs comportements. les mêmes pour toutes les entreprises et en
L’idée est de faire en sorte que des « signaux- leur demandant un effort uniforme, l’objectif
prix » permettent aux individus de prendre de réduction des émissions n’est pas atteint
en compte dans leur calcul économique le de la façon la plus efficace possible. Il aurait
coût et le rendement sociaux – et non unique- été économiquement rationnel de deman-
ment privés – de leurs décisions. Il s’agit des der aux acteurs pour lesquels les coûts de
systèmes de taxes et subventions, d’une part, dépollution sont plus faibles de réduire
et des marchés de quotas, d’autre part. relativement plus leurs émissions. La puis-
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sance publique ne connaissant pas les coûts inférieur à la taxe préféreront dépolluer plu-
de réduction des émissions des différents tôt que de payer la taxe alors qu’à l’inverse
acteurs, elle ne peut définir au niveau indi- les producteurs pour lesquels le coût de
viduel les quotas d’une façon appropriée. dépollution est supérieur ne réduiront pas
Il est par ailleurs très difficile d’évaluer le leurs émissions et préféreront payer. L’objec-
niveau auquel l’État doit fixer le niveau glo- tif de réduction des émissions est atteint à
bal d’émission car il ne connaît pas la valeur moindre coût, l’effort de réduction n‘étant
précise du coût externe des émissions. Ce pas réparti de façon uniforme. En imposant
type d’instrument est toutefois adapté pour un tel système de taxe et subvention, les déci-
les émissions polluantes dangereuses aux sions privées des acteurs conduiraient théo-
effets locaux importants où une réglemen- riquement à atteindre un optimum social. En
tation stricte est nécessaire car il importe pratique, cela est plus complexe car l’État ne
que tous les acteurs, quels qu’ils soient et connaît qu’imparfaitement la valeur du coût
où qu’ils se situent, respectent ces normes. marginal externe et du rendement marginal
externe des différentes activités qui génèrent
Les systèmes de taxes des effets externes et ne peut parfaitement
et subventions calibrer les taxes et subventions qu’il met en
place. Par ailleurs, si les incitations qu’ont
Une alternative à la régulation par des les acteurs à adopter tel ou tel comportement
normes consiste à agir sur les prix. En taxant sont modifiées avec la mise en place d’un tel
les acteurs responsables d’externalités néga- système, leurs choix vont évoluer s’il leur est
tives ou en subventionnant ceux à l’origine possible d’adopter un comportement alterna-
d’externalités positives, les agents sont tif. Un individu qui habiterait dans une zone
conduits à tenir compte des effets externes géographique reculée où aucun système de
de leur action. Une taxe égale au coût mar- transport en commun n’existe serait moins
ginal externe (taxe dite pigouvienne) et une incité à utiliser sa voiture si une taxe sur les
subvention égale au rendement marginal émissions polluantes était mise en œuvre
externe conduiraient à faire converger coût mais il continuerait à l’utiliser de la même
social et coût privé, ainsi que rendement façon s’il ne peut faire autrement.
social et rendement privé. Prenons l’exemple
simple suivant : supposons qu’en produisant Les marchés de quotas
une voiture supplémentaire, un constructeur
automobile génère à chaque fois une exter- Rétablir les droits de propriété
nalité négative d’une valeur de 20 euros. En pour rétablir l’efficacité du marché
imposant une taxe de 20 euros par voiture Le problème des externalités peut être vu
produite, le producteur automobile va inté- comme découlant d’une mauvaise définition
grer dans son calcul la valeur des externali- des droits de propriété. Si l’effet externe ne
tés que génère son activité de production. S’il fait pas l’objet d’une transaction marchande,
produit 10 000 voitures, il aura à supporter c’est qu’il n’existe pas un droit sur lequel
le coût de production de ces 10 000 voitures l’acteur qui subit l’effet externe pourrait s’ap-
plus 200 000 euros de taxes (20 × 10 000). puyer pour exiger un dédommagement finan-
L’avantage de cet outil par rapport à un sys- cier pour le préjudice subi. Si un agent écono-
tème de quotas uniformes est qu’il permet mique possède un terrain à proximité duquel
d’atteindre le niveau de pollution souhaité il habite et qu’une entreprise veut y déposer
à moindre coût. En effet, si nous reprenons des déchets malodorants, cette dernière devra
l’exemple précédent, nous voyons facilement l’indemniser et l’acteur n’acceptera que s’il
que les producteurs d’automobiles pour les- estime que la somme proposée compense le
quels le coût de réduction des émissions est préjudice subi. À l’inverse, si le terrain n’ap-
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partient à personne et qu’il n’y a pas de régle- L’institutionnalisation des marchés
mentation publique sur le rejet des déchets, de quotas par la puissance publique
l’entreprise pourra y déposer librement ses Dans la réalité, les coûts de transaction sont
déchets et la personne qui habite à proximité souvent très élevés, notamment quand les
ne pourra demander aucune compensation. effets externes touchent de nombreux indi-
Ronald Coase proposait ainsi de résoudre le vidus. Prenons le cas d’une entreprise qui
problème des externalités en redéfinissant possède un terrain sur lequel elle rejette
les droits de propriété et en laissant ensuite des déchets toxiques, ce qui a pour consé-
les acteurs négocier directement entre eux quence de polluer l’eau que consomment des
des arrangements. Le théorème de Coase sti- milliers d’individus situés dans des zones
pule ainsi que si les coûts de transaction sont géographiques variées. Il va être très com-
nuls (c’est-à-dire s’il n’existe pas de coûts à plexe pour ces derniers de négocier avec
la négociation, à la conclusion et à la surveil- l’entreprise. C’est pour ces raisons que, en
lance de l’exécution du contrat, etc.), les agents s’inspirant des travaux de R. Coase, certains
sont capables de trouver une solution efficace économistes ont pensé à institutionnaliser
pour internaliser les externalités, sans que la négociation entre les acteurs en créant
l’intervention de l’État soit nécessaire. Ce des marchés auxquels les individus sont
résultat est valable quelle que soit la façon obligés d’avoir recours. Les marchés sont
dont sont répartis initialement les droits de des institutions qui n’émergent pas spon-
propriété. Reprenons l’exemple précédent. Si tanément et sur lesquels s’échangent des
la propriété du terrain est attribuée à l’entre- titres de propriété. L’État peut ainsi impo-
prise, le riverain a intérêt à engager une négo- ser à tous les émetteurs de GES de détenir
ciation avec la firme afin de trouver un accord des titres de propriété correspondant à des
dans lequel l’entreprise réduit ses déchets quotas d’émission qui limitent la quantité
en échange d’une compensation financière. que chaque agent est autorisé à émettre.
Le riverain sera prêt à payer pour la réduc- Ces titres s’échangent sur des marchés
tion d’une unité de déchet tant que le bénéfice spécifiques mis en place par la puissance
qu’il retire de la moindre présence de déchet publique. Supposons que celle-ci donne ini-
est supérieur à l’indemnité qu’il doit verser à tialement à certains acteurs des droits (peu
l’entreprise pour qu’elle émette une unité de importe à qui elle les attribue au départ),
déchets en moins. Cette dernière va accepter chaque droit permettant d’émettre une tonne
de réduire ses déchets d’une unité tant que la de GES. Les acteurs détenant des droits et
somme versée pour les réduire d’une unité est qui émettent des émissions polluantes vont
supérieure au coût marginal de réduction des chercher à vendre leurs droits si le coût de
déchets. Ils vont ainsi négocier un accord tel réduction des émissions d’une tonne de GES
que le niveau optimal de déchets sur le terrain est inférieur au prix du titre sur le marché
est atteint. Le marché n’est donc pas défail- et à l’inverse les acteurs qui génèrent des
lant dans ce cas de figure car les droits de pro- émissions mais qui n’ont pas les droits
priété ont été bien définis au départ. En fonc- suffisants vont préférer acheter des droits
tion de la façon dont les droits de propriété plutôt que de réduire leurs émissions si le
sont répartis initialement, la répartition des coût de la réduction excède le coût d’achat
revenus entre le riverain et l’entreprise ne des droits. Du point de vue des personnes
sera pas la même (puisque dans le scénario où qui subissent les préjudices liés à l’émission
le terrain appartient au riverain, c’est l’entre- de GES, ces derniers vont acheter des droits
prise qui verse une indemnité alors que c’est sans intention d’émettre de GES mais pour
l’inverse si le terrain appartient à l’entreprise) faire diminuer le niveau global d’émission,
mais la quantité de déchets présents sur le si la satisfaction qui découle de la baisse
terrain sera, elle, identique. de la pollution excède le coût d’achat des
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titres. À l’inverse, les acteurs qui détiennent des titres peuvent être achetés dans le but
des titres mais qui ne polluent pas vont les d’empêcher d’autres agents d’émettre des
vendre si la satisfaction liée au fait d’avoir GES) et les autorités craignent de ce fait que
un revenu supplémentaire en vendant les le prix du titre soit trop élevé. Il pourrait
titres excède la perte de plaisir liée à l’exis- en résulter une forte hausse des coûts des
tence d’une pollution plus forte. Le prix du entreprises, créant des problèmes de com-
quota sur le marché va dépendre de l’offre et pétitivité si tous les pays n’ont pas adopté
de la demande de titres et va ainsi à l’équi- un tel système. Les entreprises ont ainsi fait
libre se fixer à un niveau tel qu’il reflète la pression pour qu’un tel système ne soit pas
valeur du préjudice subi par les acteurs du adopté. Des marchés de quotas d’émission
fait de l’émission de GES. Comme dans le cas existent néanmoins et c’est ainsi que, à la
de la taxe, un tel système va permettre d’in- suite des accords de Kyoto, un marché euro-
ternaliser les externalités et ce à moindre péen du carbone a été créé en 2005. Il est
coût, les efforts de réduction des émissions réservé à certaines entreprises européennes
n’étant pas répartis de façon uniforme. qui émettent des GES. Le marché n’est donc
L’avantage par rapport à la taxe est que ouvert qu’aux pollueurs et uniquement à
l’État n’a pas besoin de connaître la valeur certains d’entre eux. La puissance publique
des effets externes pour les acteurs, ces der- définit un quota annuel global d’émission
niers révélant cette information à travers (qui n’est pas forcément optimal) et répar-
leurs décisions de vente et d’achat de titres. tit au début de chaque année les droits
Le volume global d’émissions polluantes ne entre les entreprises concernées, droits qui
correspond pas forcément à l’équilibre au s’échangent ensuite sur le marché européen
volume autorisé qui est défini par le volume du carbone. On emploie souvent l’expres-
de titres émis initialement par l’État car sion cap and trade pour désigner une poli-
des titres ont pu être sortis du marché par tique qui consiste à fixer un plafond (par
des acteurs motivés par la préservation de exemple pour les émissions de GES), puis
l’environnement et qui sont prêts à payer à laisser ensuite répartir l’effort de réduc-
pour que moins de GES soient émis. L’État tion entre les agents par des mécanismes
n’a donc pas besoin de connaître le volume de marché. Le bilan de ce marché est peu
optimal d’émission, il est révélé par le fonc- favorable. Les quotas ont été attribués de
tionnement du marché. façon trop généreuse et le prix des quotas
a été trop bas en moyenne pour constituer
Des difficultés de mise en pratique une incitation suffisante à réduire les émis-
De tels systèmes n’ont pourtant jamais été sions de GES. Par ailleurs, le prix a été trop
mis en pratique d’une façon parfaitement volatil, ce qui brouille le signal envoyé par
conforme à la théorie, car cela supposerait les prix et rend difficile pour les entreprises
de pouvoir identifier tous les acteurs à l’ori- la programmation de leurs investissements
gine d’émissions polluantes et de contrôler destinés à réduire les émissions de GES.
qu’ils détiennent bien les titres correspon- Ces problèmes pourraient être résolus en
dant à leurs émissions. Cela est très com- attribuant moins de quotas et en régulant
plexe à effectuer, notamment dans le cas le fonctionnement du marché, en mettant
des émissions des ménages. Par ailleurs, par exemple en place un prix plafond et un
en autorisant tous les acteurs à acheter des prix plancher afin de réduire la volatilité du
quotas sur le marché et pas uniquement les prix du quota.
pollueurs, la puissance publique ne contrôle
pas le niveau global d’émission (puisque
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POUR EN SAVOIR PLUS
BIEN F. et MÉRITET S. Paris, La Découverte, communs : pour une nouvelle
(2014), Microéconomie – coll. « Repères ». approche des ressources
Les défaillances de marché, BONTEMS P. et ROTILLON G. naturelles, Bruxelles,
Pearson, coll. « Bachelor (2013), Économie de De Boeck.
Licence ». l’environnement, Paris, La REGARDS CROISÉS
LAURENT É. et LE CACHEUX J. Découverte, coll. « Repères ». SUR L’ÉCONOMIE. (2009),
(2012), Économie de LÉVÊQUE F. (2004), Économie « Les économistes peuvent-
l’environnement et économie de la réglementation, ils sauver la planète ? », no 6,
écologique, Paris, Armand Paris, La Découverte, coll. novembre 2009.
Colin, coll. « Cursus ». « Repères ». VALLÉE A. (2011), Économie
ROTILLON G. (2010), Économie OSTROM E. (2010)[1990], de l’environnement, Paris,
des ressources naturelles, Gouvernance des biens Points, coll. « Points Essais ».
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Depuis les années 1960, le concept d’asymétrie d’information a acquis une importance fonda-
mentale pour expliquer les dysfonctionnements de l’économie de marché. Le fait que des caté-
gories opposées d’individus – salariés et employeurs, prêteurs et emprunteurs, entreprises et
législateur – n’aient pas accès à la même information permet ainsi de comprendre le chômage,
les défauts du marché du crédit, ou encore les inefficacités de la politique de la concurrence.
Anne Corcos et François Pannequin présentent les différents types d’asymétrie d’information
– antisélection et aléa moral – ainsi que leurs conséquences, selon que la partie la mieux
informée est celle qui conçoit le contrat ou l’autre partie. Ils font également le point sur les
réponses à apporter à ces défauts de marché.
Problèmes économiques
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tion économique qui lie la partie qui conçoit prêteurs (les banques par exemple) ne
le contrat, qualifiée généralement de princi- connaissent pas parfaitement la nature
pal (P), à l’autre partie, qualifiée d’agent (A). À (risquée, solvable) du projet de l’emprunteur.
cette première dichotomie (pré/postsignature Ils ne peuvent donc pas proposer un taux
du contrat) s’ajoute une seconde dichotomie, d’intérêt en relation avec le risque que l’em-
selon que la partie la mieux informée est le prunteur leur fait courir.
principal ou l’agent. On est ainsi confronté à Dans le second contexte (AS_P), le principal est
quatre grandes familles de situations décrites la partie qui détient l’information. Ces situa-
puis résumées dans le tableau ci-après. tions d’antisélection caractérisent plus géné-
ralement les biens d’expérience ou les biens
[2]
Akerlof G. (1970), Antisélection ou sélection adverse de confiance (Nelson, 1970)2, pour lesquels la
« The Market for
qualité du bien n’est révélée, dans le meilleur
Lemons », Quarterly Les deux premiers cas (AS_P et AS_A)
Journal of Economics, des cas, qu’au moment de sa consommation.
relèvent de situations dans lesquelles les
vol. 84. L’exemple le plus emblématique est celui de
agents n’ont pas passé de contrat mais sont
G. Akerlof (1970), relatif au marché des voi-
en passe de le faire. On parle d’antisélection
tures d’occasion (marché des « lemons ») sur
ou sélection adverse car l’une des parties ne
lequel les vendeurs ont une bien meilleure
connaît pas précisément les caractéristiques
connaissance de la qualité réelle de leur véhi-
de l’autre partie.
cule que les acheteurs potentiels.
Dans le contexte AS_A, l’agent est la partie la
mieux informée ; la modélisation confronte le
Aléa moral
principal à un agent qui peut revêtir autant
de « types » que de caractéristiques plau- La seconde grande famille d’imperfection de
sibles. Le principal est doté de croyances l’information caractérise les comportements
relatives au type de l’agent. Cette situation se opportunistes qui peuvent surgir après la
rencontre très fréquemment en pratique. Les signature du contrat entre le principal et
marchés d’assurance ont été les premiers à l’agent. On retrouve principalement des pro-
avoir identifié ces situations d’antisélection. blématiques d’aléa moral. Une fois encore,
Un assureur est en effet en situation d’antisé- on peut distinguer selon que la partie infor-
lection s’il est face à un assuré dont il ignore mée est le principal (AM_P) ou l’agent (AM_A).
le réel degré d’exposition au risque. Or, cette Les exemples de situations présentant un
information constitue un élément majeur de risque d’aléa moral sont pléthoriques. Elles
sa tarification puisqu’elle lui permet d’établir se retrouvent une fois encore sur le marché
des primes « actuarielles », qui couvriront, en du travail et vont caractériser par exemple
moyenne, le montant des indemnités qu’il l’employé qui « tire au flanc » dans le contexte
aura à verser en cas d’accident. En présence AM_A ou l’employeur qui a recours à des sta-
d’antisélection, il ne sera alors pas à même de giaires en leur promettant une embauche
lui proposer un contrat adapté. qu’il n’a pas l’intention de réaliser dans le
On retrouve également des situations d’an- contexte AM_P.
tisélection sur le marché du travail quand Les exemples relatifs au marché de l’assu-
un employeur n’a pas accès à certaines rance sont également très nombreux : ils
caractéristiques du candidat (efficace/peu vont des agents (AM_A) qui, une fois assurés
efficace ; motivé/peu motivé…). L’employeur ne prennent pas suffisamment de précaution
encourt donc le risque d’embaucher un (oublient de fermer les portes, etc.) ou fraudent
salarié qu’il payera un montant supérieur à au moyen de fausses déclarations. Mais on
sa productivité. retrouve également cet opportunisme du côté
Le marché du crédit est également le lieu des assureurs (AM_P) qui peuvent, à l’occasion
de situations d’antisélection puisque les d’un sinistre, montrer un certain nombre de
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réticences, ou allonger les délais avant d’in- avoir pour effet d’évincer les « bien portants »
demniser l’agent qui a subi un sinistre. trouvant le tarif trop cher. Il ne resterait plus
Un dernier domaine, également embléma- alors sur le marché que les individus « à
tique de ce type de problème – mais la liste risque », incitant les assureurs à ajuster leurs
ne prétend pas à l’exhaustivité – est celui tarifs à la hausse. À leur tour, les clients ris-
des experts (principal) face à un agent, non qués, s’estimant insolvables ou trouvant les
informé (AM_P) et dont les intérêts peuvent prix prohibitifs, pourraient quitter le marché.
être en conflit. On retrouve ici, par exemple, En résumé, « la mauvaise qualité chasse la
certains couples garagistes/propriétaire de bonne ». De tels processus d’éviction peuvent
la voiture, avocat/client, médecin/patient... être plus ou moins marqués et induire poten-
La situation renvoie au risque que l’expert tiellement la disparition du marché.
pose un diagnostic qui serve ses intérêts En ce qui concerne l’aléa moral, le principal
davantage que ceux de son client. n’observe pas les caractéristiques de l’agent
et cela peut altérer, voire compromettre leur
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fié différents outils analytiques inhérents à sorte que chacun soit incité à ne choisir que
la théorie des contrats, parfois spécifiques à le contrat qui lui est destiné. On dit que les
une situation, parfois communs à plusieurs individus « s’autosélectionnent ».
situations, qui ont profondément modi- Dans l’exemple du monopole confronté
fié l’appréhension des phénomènes écono- à deux types d’acheteurs (ou davantage),
miques. Ils sont résumés dans le tableau comme l’ont montré Maskin et Riley (1984)4,
ci-après. Un trait commun à tous ces méca- la meilleure stratégie du vendeur implique
nismes contractuels tient au fait que la partie de n’offrir que deux assortiments de consom-
informée bénéficie d’une rente information- mation différenciés, à la fois par leurs prix
nelle dont il convient de comprendre, voire de et leurs quantités, afin de séparer les ache-
contrôler les effets. teurs en fonction de leurs préférences : ceux
En exploitant le croisement des distinctions qui sont prêts à payer cher et ceux dont le
entre asymétries pré- et postsignature du consentement à payer est plus faible.
contrat, et asymétries en faveur du princi- La bonne stratégie revient à proposer un
pal ou de l’agent, on peut faire ressortir deux menu de contrats5 construit à l’aide de deux
familles de mécanismes contractuels : ceux à paramètres (le prix et la qualité ou le prix et
l’initiative de la partie non informée et ceux à la quantité) – tout en respectant des impé-
l’initiative de la partie informée. ratifs d’incitation : chaque type d’acheteur
doit préférer l’assortiment qui lui est des-
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Typologie des situations et remèdes
Asymétrie en faveur Asymétrie en faveur
du principal P de l’agent A
Problème AS_P : antisélection sur la AS_A : antisélection liée aux
qualité du bien (marché des caractéristiques de l’agent :
biens d’expérience ou marché son type (risqué/pas risqué),
des biens de confiance) ses préférences (aime le bien/ne
l’aime pas), son goût pour
le risque
Asymétrie Principe de révélation :
Remèdes – Signal à l’initiative du
présignature
principal (certifications, labels, – menus de contrats qui
Antisélection
garanties, réglementations, permettent que les individus
AS
réputation (marques, avis des s’autosélectionnent
acheteurs [sur internet])
– enchères
– Réglementations : contrôle
– signal : diplômes,
technique (auto)
avis des vendeurs (sur internet)
– réglementations : obligations
d’assurance
Problème AM_P : experts, garagistes, AM_A : salarié tire-au-flanc,
dentistes, avocats fraude à l’assurance
Asymétrie
postsignature Remèdes réglementations, syndicats, – théorie des incitations
Aléa moral AM comités… – réglementations : contrôles,
expertises
dans le temps (exemple : les garanties sup- dépendent à la fois de la conjoncture écono-
plémentaires proposées pour certains biens mique et des actions commerciales.
durables permettent d’autosélectionner ceux Lorsque le principal n’observe pas l’effort –
qui anticipent un usage plus intense du bien, qui est coûteux pour l’agent –, celui-ci peut
alors que les autres se contenteront de la
être influencé par la forme du contrat. Dans
garantie de base du fabricant) et ils peuvent
le cas de l’agent commercial, un salaire
être améliorés par le recours à des dispositifs
fixe l’assure complètement contre les aléas
complémentaires (exemple : en assurance, le
conjoncturels et n’encourage pas les efforts.
bonus-malus tire parti de l’expérience obser-
Le contrat optimal passe alors par un arbi-
vée – survenue ou non de sinistres –, ce qui
trage entre partage de risque (lié au caractère
permet d’ajuster les termes contractuels en
aléatoire du résultat) et incitation à l’effort.
fonction du risque de l’assuré).
Le principal va inciter l’agent à l’effort (inob-
servable), en conditionnant ses paiements
Aléa moral et incitation aux résultats (observables). De nouveau,
Les situations économiques dans lesquelles l’équilibre entre les deux parties relève d’une
les résultats obtenus sont aléatoires, mais optimalité de second rang plutôt que de pre-
dépendent également des actions choisies mier rang. Cela tient au fait que l’agent qui
par les agents économiques relèvent de l’aléa tire au flanc bénéficie d’une rente liée au fait
moral. C’est typiquement le cas de l’agent que l’effort est inobservable et que le résultat
commercial dont les résultats de ventes ne le révèle pas parfaitement.
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Les enchères bien de bonne qualité. On conçoit aisément
qu’une amélioration de l’information puisse
Les enchères constituent un mécanisme per- être mutuellement avantageuse. Dans ce but,
mettant à un vendeur de révéler le consente- le vendeur peut envoyer une information sus-
[8]
Les procédures ment à payer du ou des acheteurs8. Le cadre ceptible de convaincre l’acheteur de la qua-
d’enchères peuvent, principal-agent permet de les représenter : un
symétriquement, être lité du produit. Le vendeur peut faire état de
le fait d’un acheteur principal (le commissaire-priseur) fait face à consommateurs précédemment satisfaits,
désirant organiser la des agents (les enchérisseurs) qui détiennent produire une certification émise par une auto-
mise en concurrence
chacun une information privative : la valeur rité indépendante ou encore offrir des garan-
de producteurs, comme
l’illustre le cas des qu’ils accordent au bien mis en vente. ties. Ces différents éléments renseignent sur
procédures d’appel
d’offres.
On distingue les enchères ascendantes (ou la qualité du bien et ont été identifiés par la
anglaises), descendantes (ou hollandaises) théorie économique comme des « signaux ».
[9]
Vickrey W. (1961), et les enchères sous plis scellés (premier et
« Counterspeculation Pour analyser le rôle joué par de tels signaux,
second prix). On doit à Vickrey (1961)9 plu-
and Competitive on distingue l’émetteur (le vendeur dans le
Sealed Tenders », sieurs résultats de base qui ont été large-
Journal of Finance,
précédent exemple) et le récepteur (l’ache-
ment relayés depuis lors par une recherche
vol. 16. teur). Pour qu’un signal soit économiquement
foisonnante. Selon le théorème d’équiva-
[10]
pertinent, le récepteur doit pouvoir en véri-
Celui qui annonce le lence du revenu : lorsque les enchérisseurs
premier prix remporte fier l’exactitude, le signal doit être crédible,
sont neutres au risque, l’espérance de revenu
l’enchère et paie le il faut qu’il soit coûteux pour l’émetteur et
second prix annoncé. du vendeur est indépendante du type d’en-
ce coût doit différer en fonction de la qualité
chères qu’il choisit d’utiliser. Toujours selon
[11]
Spence A. (1973), de l’émetteur (par exemple, offrir une année
Vickrey (1961), face à des enchères au second
« Job Market Signaling », supplémentaire de garantie est plus coûteux
Quarterly Journal prix10, il est optimal pour un acheteur d’an-
pour un fabricant de moindre qualité).
of Economics, vol. 87. noncer le prix maximal qu’il est prêt à payer.
Ces résultats, et bien d’autres, obtenus sous C’est à Spence (1973)11 que l’on doit le premier
l’hypothèse d’imperfection de l’information, modèle de signal. Dans un contexte où la rela-
ont motivé le recours massif actuel à ce type tion employeur-employé se caractérise par
de procédures. une forte asymétrie d’information, Spence a
développé une analyse novatrice consistant
à appréhender l’éducation comme un signal
Les mécanismes à l’initiative de la d’aptitude au travail. Si l’employeur ne dis-
partie informée : la théorie du signal cerne pas, a priori, les capacités de son futur
employé, il peut s’avérer pertinent d’investir
Nous avons vu que certains agents pouvaient dans un signal de qualité : le diplôme. En
tirer parti de l’imperfection de l’information inventant les modèles de signaux, dans les-
et qu’ils n’avaient alors aucun intérêt à ce quels c’est la partie informée qui exhibe sa
que leurs caractéristiques soient publique- caractéristique, Spence a produit une justi-
ment dévoilées. Nous portons maintenant fication convaincante de l’éducation, inves-
notre attention sur des situations pour les- tissement en capital humain qui représente
quelles la divulgation d’une information aussi le coût que subissent les travailleurs
privée peut être dans l’intérêt des personnes efficaces pour informer l’employeur sur leur
informées (qu’elles soient en position de aptitude au travail. Cette théorie montre
principal ou agent). notamment qu’un travailleur efficace peut
En présence d’asymétrie d’information sur être amené à surinvestir en éducation afin de
la qualité d’un bien, le vendeur d’un article signaler ses compétences.
de bonne qualité peut être lésé alors même Ces modèles débouchent principalement
que l’acheteur serait prêt à payer davantage sur deux catégories d’équilibres : l’équilibre
s’il avait la certitude d’être en présence d’un mélangeant dans lequel chaque individu
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envoie le même signal (un diplôme identique) testée sur les marchés d’assurance sur les-
et l’équilibre séparateur dans lequel les indi- quels la présence d’antisélection se traduit
vidus choisissent des signaux différenciés en en théorie par une relation croissante entre
fonction de leur caractéristique (un individu « sinistralité » des individus et niveau de cou-
plus doué investit davantage dans l’acquisi- verture. Les résultats des tests empiriques de
tion d’un diplôme car cela lui coûte relative- cette relation sont mitigés et font apparaître
ment moins). des situations de sélection avantageuse (dans
lesquelles les individus faiblement risqués
choisissent des degrés élevés de couverture,
Tests et prolongements en raison d’une forte aversion au risque).
Les principes présentés ont donné lieu à L’État peut également intervenir de diffé-
des prolongements théoriques et des tests rentes manières pour améliorer l’allocation
empiriques. Ils ont également inspiré des des ressources en présence d’asymétries
politiques publiques. Ainsi, les modèles de d’information. Il peut avoir un rôle de garant
la théorie des contrats se sont progressi- en dernier ressort pour pallier les situations
vement adaptés à la plupart des contextes d’incomplétude des contrats. Mais il a sur-
économiques. D’abord focalisés sur des rela- tout la possibilité de légiférer en établissant
tions bilatérales, des contextes statiques, par exemple des obligations d’assurance,
des contrats complets, ils se sont aventurés en réglementant le fonctionnement de cer-
à l’étude des relations multilatérales, des taines activités (banques, entreprises du
relations dynamiques (exemple : un contrat bâtiment…), en imposant des labellisations
à plusieurs périodes amène l’agent à révéler ou des réglementations permettant de mieux
davantage d’information) ou encore à l’étude observer la qualité des biens (exemple : le
des contextes où les contrats sont incomplets. contrôle technique). Cependant, si l’État
interfère positivement dans la plupart des
D’abord essentiellement théorique, cette lit-
mécanismes correcteurs étudiés, il se subs-
térature économique a donné lieu à différents
titue parfois au marché sans être le mieux
tests empiriques depuis le début des années
informé et se trouve lui-même initiateur
2000, suscitant de nouveaux questionnements
d’aléa moral.
et l’exploration de nouvelles hypothèses.
L’asymétrie d’information a, par exemple, été
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Utilisée en économie à partir du milieu du XXe siècle, la théorie des jeux fait désormais partie de
la boîte à outils classique de la discipline. Elle permet de prendre en compte les interactions
stratégiques entre les agents et explique des situations aussi diverses que la concurrence
imparfaite, la surexploitation des ressources environnementales ou le dumping fiscal. Nicolas
Eber en présente les éléments de base avant de faire le point sur les différents types de jeux et
leurs applications économiques.
Problèmes économiques
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ZOOM Plus formell
formellement,
statique es
de joueurs,
ement, un jeu non coopér
estt car
caract
actérisé
coopératif
érisé par : (i) le
joueurs, (ii) l’ensembl
l’ensemble e des str
atif
le nombre
strat
nombre
atégies
égies à la
JEU NO 1 : DILEMME disposition de chaque joueur,
joueur, (iii) les
les résult
résultats
ats
DU PRISONNIER du jeu pour chaque joueur dans les
configur
onfigurations
ations possibl
possibles,
es, (iv) les
les différ
les préf
différent
préfér
érenc
entes
ences
es
es
des joueurs
joueurs conc
concernant
ernant les
les résult
résultats
ats du jeu.
Joueur 2
Dans l’e
l’ex
xempl
emple e du jeu 1, il y a deux joueurs
joueurs
C D
(1 et 2), chacun ayant
ayant à sa disposition deux
Joueur 1 C 3,3 0,5 str
trat égies (C et D). Les deux joueurs
atégies joueurs jouent
D 5,0 1,1 simultanément
simult anément (jeu st statique) et connais
connaissent
sent
parfait
parf aitement
ement la structur
structure e du jeu (jeu à
Par conv
convention,
ention, dans chaque case
case du tabl
tableau,
eau, information
information compl
complèt ète).
e). Le tabl
tableau
eau qui
le premier
premier chiffre
chiffre corr
correspond
espond à l’utilit
l’utilité
é du repr
eprésent
ésente e le
le jeu est
est appelé
appelé « matric
matricee des
joueur 1 (en ligne) et le
le second
second à l’utilit
l’utilité
é du gains » : il donne le le gain de chaque joueur
joueur 2 (en col
colonne).
onne). dans les
les quatre
quatre configur
configurations
ations possibl
possibles.
es.
Cette situation corr
Cette correspond
espond à un « jeu », au Enfin, les
les « gains » corr
correspondant
espondant ici à des
sens d’une inter
interaction
action strstrat
atégique
égique entre
entre niveaux
niv eaux d’utilité,
d’utilité, les
les préf
préfér
érenc
ences
es des joueurs
joueurs
plusieurss individus (les
plusieur (les joueur
joueurs s) libres
libres de sont reflét
reflétéesées direct
directement
ement par la val
valeur
eur de ces
ces
leur
eurss choix (leur
(leurss str trat
atégies
égies).). Puisque les
les gains, chaque joueur recher recherchant
chant le
le niveau
niveau
deux joueurs
joueurs jouent simultanément,
simultanément, on d’utilité
d’utilit é le
le plus éle
élevé.
parle
parle de jeu simultané
simultané ou encor encore e de « jeu
statique ». Par
Par ailleur
ailleurs, s, les
les deux joueurs
joueurs
(1) Une branche
branche de la théorie des jeux, initiée par von
von
ne pouvant
pouvant pas s’engager
s’engager préalabl
préalablement
ement à Neumann et Morgens
Morgensttern et qualifiée de « coopér
oopérativ
ative
e »,
prendr
prendre e cert
certaines
aines décisions, il s’agits’agit d’un « jeu s’int
’intér
éres
esse
se au contr
contrair
aire
e aux cas
cas où les
les joueurs
joueurs cherchent
cherchent
non coopér atif (1) ».
coopératif à former
former des coalitions
coalitions pour coor
coordonner
donner leur
leurss décisions.
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de Nash. Considérez attentivement le jeu no 2
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ZOOM ZOOM
JEU NO 3 : DILEMME JEU NO 4 : EXEMPLE
DU VO
VOYAGEUR DE JEU SÉQUENTIEL
Vous êtes
Vou êtes parti en vo
voyage avec
avec un ami. Joueur 1
Vous aviez exact
exactement
ement les
les mêmes affair
affaires
es
dans vos
vos valises.
valises. À votr
votree ret
retour
our,, votr
votree
valise ainsi que cell
celle
e de votr
votree ami sont A C
perdues.
per dues. La compagnie
compagnie aérienne décide
de vous
vous indemniser et vous vous demande Joueur 2
1,5
d’estimer
d’es timer la val
valeur
eur de votr
votre
e valise.
valise. Mais,
anticipant votr
votre
e propension
propension à sures
surestimer
timer B D
cett
ette
e val
valeur
eur et tenant
tenant compt
compte e du fait
fait que
vous n’avez
n’avez aucun moy moyen de communiquer
communiquer
avec
avec votr
votree ami au moment de fair fairee votr
votree 0,0 2,2
déclaration,
déclar ation, elle
elle vous
vous annonce
annonce :
Chaque point sur la figure
figure est
est appelé
appelé
« Nous savons
savons que les
les deux valises
valises
« nœud de décision », chaque flèche
avaient
avaient exact
exactement
ement le
le même cont
contenu
enu
repr
eprésent
ésentantant un « coup du jeu ». Les gains
et nous acc
accept
epter
erons
ons une indemnisation
sont notés
notés pour chaque issue
issue possibl
possiblee
comprise entre
entre 180 et 300 euros,
euros, mais
du jeu, lele premier
premier chiffre
chiffre corr
correspondant
espondant
chacun sera
sera indemnisé du montant
montant égal
à l’utilit
l’utilité
é du joueur 1, le
le second
second à cell
celle
e
au minimum des deux év évaluations qui
seront
ser ont soumises. En outre,
outre, si les
les deux du joueur 2.
estimations
es timations diffèr
diffèrent,
ent, nous donnerons
donnerons
une prime de 5 euros
euros à la personne
personne ayant
ayant
déclaré
déclar é la val
valeur
eur la plus faibl
faible
e et nous de « jeu dynamique » ou encore de « jeu
déduirons
déduir ons une pénalité
pénalité du même montant
montant séquentiel ». Ce type de jeu est représenté
de 5 euros
euros à la personne
personne ayant
ayant déclaré
déclaré la sous forme dite « extensive », c’est-à-dire
val
aleur
eur la plus éle
élevée. » sous la forme d’un arbre de décision.
Votr
otre
e estimation
estimation doit néces
nécessair
sairement
ement être
être On peut « résoudre » ce type de jeu en appli-
un nombre
nombre entier d’euros
d’euros compris
compris entre
entre quant un raisonnement appelé « induction
180 et 300. à rebours » (« backward induction »). Cette
méthode consiste à remonter le jeu de la fin
Quel montant
montant déclarez-v
déclarez-vous
ous ?
vers le début. Que va faire le joueur 2 s’il
est amené à agir, c’est-à-dire si le joueur 1 a
choisi C ? Il choisira D puisque 2 > 0. Sachant
jeu (option A) ou le continuer (option C). Si le cela, quel est le meilleur choix du joueur 1 ?
joueur 1 décide d’arrêter, il obtient une utilité C’est de choisir C puisque 2 > 1. Ainsi, l’issue [6]
Le critère de
de 1 et le joueur 2 une utilité de 5. S’il décide « rationnelle » du jeu sera (C, D). Technique- perfection (en sous-
de continuer, le joueur 2 intervient alors en ment, cette combinaison de stratégies consti- jeux) a été proposé par
choisissant entre deux options, B et D : s’il tue un équilibre de Nash « parfait6 ». Reinhard Selten et
permet de ne retenir
choisit B, les deux joueurs obtiennent 0 ; s’il De nombreux jeux expérimentaux ont cher- que les équilibres
choisit D, les deux joueurs obtiennent 2. ché à tester la robustesse de l’analyse théo- de Nash crédibles
séquentiellement, c’est-
Dans ce jeu, les joueurs n’agissent plus simul- rique par l’induction à rebours. Considérez à-dire reposant sur des
tanément, mais l’un après l’autre. On parle par exemple le problème suivant. menaces crédibles.
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l’accepte, mais aurait rejeté une offre égale à
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ZOOM val
aleur
eur entre
corr
entre 0 et 10 euros
probabilit
probabilité).
orrespond
é). La val
euros avec
valeur
espond à la mo
avec la même
eur réell
éelle
e de l’objet
l’objet
moyyenne des deux signaux.
signaux.
JEU NO 6 : ENCHÈRE Chaque joueur doit fair fairee une offre
offre sous pli
À VALEUR
VALEUR COMMUNE
COMMUNE cachet
acheté é (sans savoir
savoir quelle
quelle est
est l’offr
l’offre
e de
l’autr
’autree joueur). Celui qui faitfait l’offr
l’offree la plus
Le jeu conc
concerne
erne deux joueurs,
joueurs, le
le joueur 1
éle
él evée emporte
emporte l’enchèr
l’enchère e et reç
reçoit
oit donc
(« vous ») et le
le joueur 2. Les deux joueurs
joueurs
reç
eçoiv
oivent
ent un signal priv
privéé conc
oncernant
ernant la l’objet. Par
Par conséquent,
conséquent, le le gain du vainqueur
vainqueur
val
aleur
eur d’un objet mis aux enchères.
enchères. Ce signal de l’enchèr
l’enchère e sera
sera égal à la valvaleur
eur réell
réellee de
corr
orrespond
espond à une valvaleur
eur comprise
comprise entre
entre 0 et l’objet diminuée du montant
montant de son offre, offre,
10 euros.
euros. Même s’ils’il ignore
ignore la val
valeur
eur du signal alor
al orss que le
le perdant
perdant gagne 0 euro. euro. (En cas
cas
de son partenair
partenaire,e, chaque joueur sait que la d’égalité
d’égalit é des offres,
offres, il y a tirage
tirage au sort pour
val
aleur
eur de ce
ce signal est
est distribuée
distribuée de manière
manière déterminer
dét erminer le le vainqueur
vainqueur.) .)
uniforme
unif orme (ce
(ce qui signifie que lesles signaux des Votr
otre
e signal indique une val
valeur
eur de 8 euros.
8 euros.
joueurss peuvent
joueur peuvent prendr
prendre e n’importe
n’importe quelle
quelle Quelle
Quell e offre
offre fait
faites-v
es-vous
ous ?
sissent une offre correspondant exactement à qué au sujet des enchères visant à attribuer les
la moitié de la valeur de leur signal, c’est-à- licences de téléphonie mobile ou encore lors de
dire bi = si/2 (cf. Zoom). On notera que, puisque l’attribution des droits de retransmission télé-
la valeur réelle de l’objet est (s1 + s2)/2, le vain- visuelle sur les grands événements sportifs.
queur de l’enchère fait toujours, à l’équilibre Un point important est que ce problème est lié
de Nash, un gain positif 9. à la rationalité limitée des acteurs. En effet, si
[9]
Dans le cas où s1 > s2 ,
on a : b1 = s1/2 > b2 = s2 /2 ;
Les résultats expérimentaux montrent que tout le monde joue l’équilibre de Nash, per- c’est donc le joueur 1 qui
les joueurs font des offres trop élevées par sonne ne peut être victime de la malédiction ! remporte l’enchère et il
rapport à la solution de Nash. Ce constat est Il s’agit donc d’un cas où la solution théo- réalise un gain égal à
(s1 + s2 )/2 – s1/2 = s2 /2.
important car il explique pourquoi le vain- rique n’est pas évidente et pourrait servir de
queur de ce type d’enchère fait bien souvent repère normatif puisque les joueurs perdent
des pertes, un phénomène connu sous le nom de l’argent lorsqu’ils s’en éloignent.
de « malédiction du vainqueur » (winner’s
curse). Prenons un exemple simple pour l’il- ***
lustrer. Supposons que les signaux des deux Une des évolutions majeures de la théorie des
joueurs soient s1 = 8 euros et s2 = 1 euro. La jeux moderne réside dans le développement
valeur réelle de l’objet est donc 4,50 euros. Si de la théorie des jeux comportementale qui,
le joueur 1 pense jouer la prudence en faisant sur la base d’observations expérimentales,
une offre de 5 euros bien en dessous de la cherche à intégrer des facteurs psycholo-
valeur de son signal (mais au-dessus de l’offre giques dans l’analyse du comportement des
de Nash), il gagne l’enchère, avec un gain final joueurs. Comme nous l’avons vu, les observa-
de 4,50 euros – 5 euros = – 0,50 euro < 0. Il a tions expérimentales n’invalident pas néces-
gagné l’enchère, mais a perdu de l’argent : il sairement les concepts d’équilibre, mais
est victime de la malédiction du vainqueur ! invitent plutôt à enrichir le modèle comporte-
mental des joueurs, et le cadre conceptuel de
Ce phénomène a été mis en évidence pour
la théorie des jeux est suffisamment flexible
la première fois dans le cas de la vente aux
pour intégrer ces nouveaux paramètres.
enchères des droits d’exploitation de gise-
ments de pétrole et il est fréquemment invo-
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ZOOM est : (s1 + E[s2|gagner avec
est
Par conséquent,
avec l’offr e b1])/2 =
l’offre
(s1 + E[s2|s2 < 2b1])/2 = (s1 + 2b1 /2)/2 =
(s1 + b1)/2. Par conséquent, la fonction
fonction de gain
RÉSOLUTION DU JEU espéré
espér s’écrit : G1 = (2b1 /10)[(s1
é du joueur 1 s’écrit
D’ENCHÈRE À VALEUR
VALEUR + b1)/2 – b1] = b1s1 /10 – b1²/10. Le gain espéré
G1 es
estt maximum lor sque dG1/db1 = s1 /10 –
lorsque
espéré
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retire le maximum (10 jetons), avec un gain unitaire c. On suppose que ces deux
individuel de 20 euros. On notera que ce jeu entreprises n’ont pas de contrainte de
relève d’une logique proche du dilemme capacité, au sens où elles peuvent produire
du prisonnier puisque les incitations n’importe quelle quantité (et donc répondre
individuelles se font contre l’intérêt général à la totalité de la demande du marché). Les
; en effet, chacun gagnerait le double, soit deux entreprises proposent les prix pA et pB
40 euros, si personne ne retirait de jeton respectivement. Si une entreprise est moins
du pot commun ! chère que l’autre, elle récupère la totalité du
Ce type de jeu est utilisé en économie marché ; si les deux prix sont identiques, les
de l’environnement pour conceptualiser deux entreprises se partagent le marché.
la tendance des individus à surexploiter Quel est l’équilibre de Nash de ce jeu en
les ressources communes au détriment prix ? Notons tout d’abord que à l’équilibre,
de la collectivité, phénomène connu sous les deux prix sont forcément égaux (pA = pB)
le nom de « tragédie des biens communs ». ; en effet, si ce n’est pas le cas, l’entreprise
En effet, retirer un jeton dans le jeu peut la plus chère a toujours intérêt à changer de
s’assimiler à prélever dans une ressource stratégie pour s’aligner sur son concurrent.
naturelle, au détriment du groupe. De plus, tant que les prix sont supérieurs
au coût de production, et donc que les
C’est en étudiant des versions élaborées
entreprises font des profits positifs, il est
de ce jeu qu’Elinor Ostrom (Prix Nobel
toujours profitable pour chaque firme de
d’économie en 2009) a proposé une vision
choisir un prix un centime plus bas que son
nouvelle de la tragédie des biens communs.
concurrent (afin de récupérer la totalité
Constatant expérimentalement que face à
de la demande). Ainsi, toute situation dans
ce type de jeu, les individus sont capables
laquelle les deux entreprises pratiquent un
de faire émerger des normes sociales de
même prix supérieur au coût c ne peut pas
coopération, elle développe l’idée qu’une
être un équilibre. Au final, l’unique équilibre
« autogestion » des biens communs peut
de Nash est caractérisé par pA = pB = c.
être, dans certains cas, plus efficace que
Cet équilibre conduit à une tarification au
les solutions basées sur la propriété privée
coût unitaire et donc à des profits nuls
et la compétition marchande ou sur l’action
pour les deux entreprises.
coercitive de l’État.
Ce résultat est souvent qualifié de
Théorie des jeux et concurrence imparfaite « paradoxe de Bertrand » car il montre
La théorie de l’organisation industrielle, que la présence de deux entreprises sur le
développée notamment par Jean Tirole marché peut suffire à restaurer l’équilibre
(Prix Nobel 2014), applique la théorie des concurrentiel (profits nuls). Ce modèle
jeux à l’étude de la concurrence imparfaite, très simple a été développé et enrichi dans
c’est-à-dire des structures de marché dans de nombreuses directions : introduction
lesquelles les entreprises cherchent à obtenir de contraintes sur les capacités de
un pouvoir de marché par des stratégies production, prise en compte de stratégies
de prix, de différenciation de produits, etc. de différenciation du produit, etc. Dans
Un exemple classique de ce type d’analyse sa version la plus simple, il a le mérite de
est le modèle de duopole avec concurrence mettre en exergue la logique stratégique
en prix, parfois qualifié de « duopole de de « guerre des prix » et de montrer à la fois
Bertrand » en référence au mathématicien l’intérêt (pour les entreprises) et l’instabilité
français Joseph Bertrand qui en avait donné potentielle d’une entente sur les prix.
l’intuition dès 1883.
On considère deux entreprises A et B
produisant un même bien au même coût Nicolas Eber
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L’économétrie s’est fortement développée après la Seconde Guerre mondiale. Partie empirique
des sciences économiques, elle vise à identifier et quantifier des causalités entre des phéno-
mènes économiques. Luc Behaghel en présente ici les instruments de base. Il commence par
rappeler en quels termes se posent les problèmes de causalité, puis expose les outils permettant
leur appréhension : la régression simple, la régression multiple et les variables instrumentales.
Problèmes économiques
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miné (variable de résultat, ou variable expli- sion, on peut en déduire que le médicament a
quée), en utilisant l’outil économétrique le un effet bénéfique. Les outils économétriques
plus simple : la régression simple. correspondant à cette approche sont les esti-
Deuxième cas de figure, tous les paramètres mateurs par variable instrumentale.
entrant dans la décision de prescription du Présentons maintenant ces outils plus en
médicament sont connus de l’économètre. détail.
C’est le cas, par exemple, si la décision de
prescription est prise sur la base de l’infor-
mation contenue dans le dossier médical du
La régression simple
patient, et si l’économètre a accès au dossier La régression simple permet d’analyser la
du patient. Dans ce cas, il suffit de compa- relation entre une variable de résultat (la
rer un à un des patients dont les dossiers variable expliquée ou dépendante, notée y)
médicaux sont identiques, mais dont l’un est et une variable explicative (ou indépendante,
traité, l’autre non. Si, en moyenne, le patient notée x). La relation est décrite par un modèle
traité est en meilleure santé que son homo- linéaire :
logue à l’issue du traitement, cette différence y = b0 + b1 × x + u,
de résultat peut être attribuée au traitement.
dans lequel þ0 et þ1 sont deux paramètres
Les outils correspondant à cette approche
à estimer, et u est un terme d’erreur, dû au
sont la régression multiple et les estima-
fait que le lien entre et y et x est imparfait.
teurs par appariement (« matching »).
b0 + b1 × x est appelé « droite de régression » et
Troisième et dernier cas, un événement fortuit correspond aux variations de y que le modèle
fait que le médicament est plus fréquemment peut expliquer. u correspond à la partie non
prescrit dans certains groupes de patients expliquée, ou résiduelle, qui comporte tous les
que dans d’autres pourtant comparables. facteurs explicatifs de y autres que x, ainsi que
Imaginons par exemple que l’entreprise l’erreur de mesure sur y. L’estimateur de loin
pharmaceutique qui produit le médicament le plus utilisé dans ce contexte est l’estima-
veuille tester une stratégie de promotion de ce teur des moindres carrés ordinaires (MCO) :
traitement auprès de médecins prescripteurs. il consiste à choisir b0 et b1 tels que la somme
Elle invite au hasard la moitié des médecins des carrés des résidus (u2) soit minimale, dans
présents à un congrès à une session d’infor- un échantillon donné. Visuellement, la droite
mation sur le médicament. À la fin du congrès, de régression passe alors au milieu du nuage [2]
D’autres critères
de points (x,y) de l’échantillon2. seraient possibles pour
elle fait passer un questionnaire auprès de ajuster le modèle aux
tous les médecins (invités ou non à la ses- Le rôle important joué par l’estimateur des données, par exemple,
sion) les interrogeant sur leurs intentions de MCO s’explique par le fait qu’il est facile minimiser la somme
des valeurs absolues
prescription, ce qui lui permet de conclure si à calculer et se généralise aisément au cas des écarts plutôt que
cette campagne est efficace. Cette campagne avec plusieurs variables explicatives (voir la somme des carrés
de promotion est tournée vers les médecins. ci-dessous). Mais il tient aussi au fait que des écarts.
Mais elle crée aussi une variation au niveau l’estimateur de b1 s’interprète directement [3]
Mathématiquement,
des patients : les patients de médecins qui comme l’effet causal moyen de x sur y, sous l’espérance de u sachant
x est nulle :
ont été informés sur le traitement ont plus de une hypothèse clé : l’hypothèse de moyenne E (u|x) = 0
chances de recevoir ce traitement, et ce pour conditionnelle nulle du terme d’erreur3,
[4]
une raison qui n’a rien à voir avec leur état de c’est-à-dire que l’effet moyen des variables On vérifie alors
que l’effet moyen sur
santé initial (puisque la campagne de promo- omises est le même pour les différentes y d’une augmentation
tion a ciblé les médecins de façon aléatoire). valeurs de x4. Cette hypothèse est vraie par d’une unité de x vaut :
S’il s’ensuit une amélioration de leur état de construction dans le cas d’une expérimen- E (y|x = x0 + 1) –
E (y|x = x0) =
santé par rapport à ceux des patients des tation contrôlée : en vertu du tirage au sort, b1 + E (u|x = x0 + 1) –
médecins qui n’ont pas été invités à la ses- les variables omises du modèle prennent E (u|x = x0) = b1
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en moyenne les mêmes valeurs dans les à supposer, pour interpréter b1 causalement,
groupes test et témoin. Mais elle risque fort que la durée des études est indépendante
d’être violée dans d’autres applications sur du milieu d’origine, ou que le milieu d’ori-
données non expérimentales. Considérons gine n’a pas d’effet sur le salaire, puisque
l’estimation des rendements de l’éducation l’effet du milieu d’origine est explicitement
par le modèle de la régression simple : y est pris en compte dans le modèle. En revanche,
le salaire, x le nombre d’années d’études. Le il faut maintenir que les autres facteurs
terme d’erreur u comporte alors toutes les explicatifs omis (par exemple les capacités
variables explicatives omises du modèle : individuelles) ne viennent pas perturber la
réseaux sociaux et familiaux, capacités comparaison entre les différents groupes
individuelles, etc. L’hypothèse de moyenne définis par une durée d’étude x1 et un milieu
conditionnelle nulle du terme d’erreur sti- d’origine x2. Autrement dit, l’interprétation
pule que ces caractéristiques sont distri- causale de b1 (comme effet des études) et b2
buées de la même façon quel que soit le (comme effet du milieu d’origine) repose sur
niveau d’éducation considéré. On peut et l’hypothèse d’indépendance conditionnelle
doit en douter : ceux qui font des études E (u|x1, x2) = 0.
[5]
L’appariement longues sont en moyenne issus de milieux
exact n’est pas Pour estimer le modèle de la régression mul-
toujours possible. plus favorisés, ce qui facilite l’accès aux tiple, on procède de la même façon que pour
En effet, les variables emplois plus rémunérateurs ; par ailleurs, la régression simple, en minimisant la somme
explicatives sont
souvent nombreuses
on peut penser que les capacités indivi- des carrés des résidus (estimateur des MCO).
et peuvent prendre duelles favorisent l’obtention d’un salaire Mais pour bien comprendre la logique sous-
un grand nombre de plus élevé et la poursuite des études. Le jacente, il est utile d’introduire un estimateur
valeurs, si bien que les
cellules à considérer
modèle de la régression simple conduirait proche de l’estimateur des moindres carrés,
sont trop nombreuses et à attribuer aux études non seulement leur l’estimateur par appariement (« matching »).
parfois vides. Différents effet propre, mais aussi l’effet lié aux dif-
estimateurs ont été
Sous sa version la plus simple (apparie-
développés pour prendre
férences de milieu ou de capacité, si bien ment « exact »), cet estimateur consiste à
en compte ce problème qu’on surestimerait vraisemblablement constituer autant de cellules qu’il existe de
de dimensionnalité. Leur l’effet causal des études. Un tel biais est
principe commun est
valeurs prises par les variables explicatives.
de ramener le problème appelé biais de la variable omise. C’est le Par exemple, si on considère deux catégories
à un appariement sur problème que les outils suivants essaient d’études (longues et courtes) et six catégo-
une seule variable, de résoudre.
appelée le score de ries sociales, on constitue douze cellules.
propension. On peut L’effet des études longues sur le salaire est
en effet montrer que,
pour estimer l’effet d’un
traitement, comparer
La régression multiple alors estimé à partir de comparaisons deux à
deux, à catégorie sociale donnée, entre salaire
des individus qui ont les
mêmes caractéristiques
et les estimateurs par appariement moyen après études longues et salaire moyen
après études courtes. On obtient ainsi six
observables revient La régression multiple généralise la régres-
au même que de estimations, une par catégorie sociale. L’effet
comparer des individus sion simple en prenant en compte le fait moyen toutes catégories confondues s’obtient
qui ont la même qu’une variable expliquée dépend de plu- en faisant la moyenne de ces six effets, pon-
probabilité de recevoir
ce traitement au vu de
sieurs variables explicatives potentielle- dérés par la part de chaque catégorie sociale
leurs caractéristiques ment corrélées, dont il faut donc démêler dans la population5.
observables. les effets par une analyse jointe. Dans le cas
La récente étude de Ly et Riegert (2013)6
[6] avec deux variables explicatives, on écrit le
Ly S. et Riegert A. constitue une bonne application de la régres-
(2013), « Persistent modèle statistique :
Classmates: How
sion multiple. Les auteurs analysent l’effet
Familiarity with Peers y = b0 + b1 × x1 + b2 × x2 + u. de conserver les mêmes camarades de classe
Protects from Disruptive Par exemple, le salaire y d’un individu dépend entre collège et lycée. La difficulté de l’ana-
School Transitions »,
PSE Working Papers, de ses études x1 et de son milieu d’origine x2. lyse est que les classes ne sont pas consti-
no 2013-21. L’intérêt de ce modèle est de ne plus avoir tuées au hasard par les proviseurs : on peut
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donc craindre que les élèves qu’on main- celui du choix de faire des études. On peut
tient ensemble d’une année sur l’autre ne certes contrôler le milieu d’origine, mais il
soient spécifiques (par exemple, moins dissi- est plus difficile de mesurer la motivation
pés ou plus motivés). Mais Ly et Riegert ont ou les capacités individuelles. La régres-
accès précisément à l’ensemble des données sion multiple et les modèles d’appariement
du dossier scolaire dont disposent les pro- sont alors inopérants. Les variables instru-
viseurs au moment de la constitution des mentales constituent une alternative. On
classes (y compris, par exemple, les notes de n’essaie plus de contrôler tous les facteurs
comportement). Leur approche consiste alors de sélection dans un traitement. Plutôt, on
à constituer des paires d’élèves issus d’une fait reposer l’estimation sur une sous-par-
même classe de troisième et qui ont exac- tie des entrées en traitement, celles dont on
tement le même dossier scolaire en fin de pense qu’elles sont dues à un événement
troisième. Lorsque deux élèves d’une même fortuit (ou du moins sans lien direct avec
paire sont alloués à deux classes différentes, l’effet à expliquer). C’est ce caractère fortuit
ce choix est nécessairement fait au hasard, ou « exogène » d’une partie du traitement
dans la mesure où ces deux élèves sont qui permet d’identifier un effet causal sans
indiscernables du point de vue du proviseur. craindre le problème de la variable omise : il [7]
Angrist J. et
Par conséquent, les élèves envoyés vers une joue un rôle analogue au tirage au sort dans Krueger A. (1991),
classe de seconde où ils retrouvent des élèves l’approche expérimentale. « Does Compulsory
School Attendance
de leur classe de troisième sont en moyenne
Pour isoler cette variation exogène du traite- Affect Schooling and
comparables à leurs homologues, issus de la Earnings? », Quarterly
ment, on utilise un instrument, c’est-à-dire
même paire mais envoyés vers une classe de Journal of Economics,
une variable qui remplit deux conditions : vol. 106.
seconde voisine où ils ne retrouvent pas de
camarades de l’année précédente. Les résul- – elle est pertinente, au sens où elle a un [8]
En effet, dans la
tats obtenus sur la base de cette comparaison impact sur la variable explicative dont on plupart des États
souhaite mesurer l’effet ; américains, la loi stipule
sont frappants : le fait de garder un cama- qu’on entre à l’école en
rade de classe entre collège et lycée réduit de – elle n’a pas d’impact direct sur la variable septembre de l’année
13 % le risque de redoubler la seconde (pour expliquée (cette deuxième condition est la calendaire de ses 6 ans.
Ainsi, une personne née
des élèves qui étaient en troisième dans la condition d’exclusion). un 31 décembre rentrera
deuxième moitié de la distribution) et aug- Par exemple, dans le cas des rendements de à l’école en septembre
mente d’autant la probabilité d’obtention du de la même année, à
l’éducation, un instrument est une variable l’âge de 5 ans et 8 mois,
baccalauréat. La familiarité avec une partie qui explique la durée des études sans avoir mais une personne née
de ses camarades de classe facilite la transi- d’effet direct sur les salaires. Angrist et le lendemain rentrera
en septembre de l’année
tion vers le lycée. Krueger (1991)7 proposent pour cela d’uti- suivante, à l’âge de 6 ans
liser, aux États-Unis, le trimestre de nais- et 8 mois. Comme la
scolarité est obligatoire
Les variables instrumentales sance. L’idée est que naître à un moment ou
à un autre de l’année civile est un événement
jusque 16 ans, la
première personne devra
fortuit, indépendant de tous les détermi- faire au moins 10 ans
L’exemple précédent illustre bien comment et 4 mois d’études, et
l’hypothèse de moyenne conditionnelle nants du salaire, mais qui a un effet sur la la seconde seulement
nulle du terme d’erreur peut se justifier durée de scolarisation, en raison des règles 9 ans et 4 mois d’études.
Comme il existe une
quand l’économètre a accès à l’ensemble de scolarisation obligatoire8. L’instrument
certaine partie de la
des variables qui déterminent l’entrée dans impacte la durée des études : la condition population qui souhaite
un « traitement » donné. Mais pour beau- de pertinence est bien remplie. La condition faire des études courtes
et pour laquelle l’âge
coup d’autres « traitements », le proces- d’exclusion semble également remplie : en minimum de fin d’études
sus de sélection est beaucoup plus difficile quoi le fait d’être né tel ou tel jour de l’an- est une contrainte, la
à observer et dépend potentiellement de née serait-il lié au salaire, sinon via la durée durée moyenne d’études
observée dépend bien,
variables inobservables qui font craindre le des études ? Supposons alors qu’on observe dans la population, de la
biais de variable omise. L’exemple type est que les personnes nées au premier trimestre date de naissance.
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de l’année civile fassent en moyenne des 10 % de salaire en plus. On vérifie bien que
études plus longues et aient des salaires C = B × A : 1 % = 0,1 × 10 %.
plus élevés. Alors, comme on n’a pas de rai-
son de penser que le trimestre de naissance Schématisation du raisonnement
en lui-même explique le salaire, on attribue de l’estimation par variables instrumentales
ces salaires plus élevés aux études. Il n’y a
Facteurs parasites :
plus lieu de s’inquiéter du biais de variables capacités individuelles,
omises : certes, le salaire dépend aussi du milieu d’origine, etc.
milieu social d’origine, des capacités indi-
viduelles, etc. Mais si ces caractéristiques Trimestre Durée Salaire
Effet B Effet A
sont en moyenne les mêmes quel que soit le de naissance des études (Variable
trimestre de naissance, les omettre ne crée (instrument) (variable expliquée)
d’intérêt)
pas plus de biais que dans le cas d’une expé-
Effet C
rience contrôlée.
Le schéma ci-contre illustre ce raisonne- Relation causale directement mesurable
ment. Les variables instrumentales consti- Relation causale non directement mesurable
tuent un chemin détourné pour mesurer l’ef-
fet causal A de l’éducation sur le salaire. Une Trouver des instruments est difficile. Ainsi,
mesure directe n’est en effet pas possible, les résultats d’Angrist et Krueger ont été cri-
car toutes sortes de variables omises, non tiqués dans la mesure où il existe, en réalité,
observées, viennent « parasiter » la relation une différenciation sociologique de la saison-
entre ces deux variables. En revanche, il est nalité des naissances : les cadres ont des pics
possible de mesurer l’effet causal B du tri- de conceptions pendant l’été et pendant les
mestre de naissance sur la durée des études, vacances d’hiver, pics qu’on ne retrouve pas
ainsi que l’effet causal C du trimestre de chez les indépendants, ouvriers, employés,
[9]
Grenet J. (2010), naissance sur le salaire. Reste alors à faire chômeurs et inactifs9. Pour utiliser le tri-
« La date de naissance une hypothèse cruciale, qui correspond à la mestre de naissance comme instrument, il
influence-t-elle les
trajectoires scolaires et
condition d’exclusion : le trimestre de nais- est alors nécessaire d’étudier séparément les
professionnelles ? Une sance doit n’avoir aucun effet direct sur différents groupes sociaux ou encore de com-
évaluation sur données le salaire, c’est-à-dire que tout l’effet doit biner variables instrumentales et régression
françaises », Revue
économique, vol. 61, no 3. transiter par la durée des études. Alors, l’ef- multiple. L’outil le plus fréquemment utilisé
fet causal du trimestre de naissance sur le pour cela est celui des doubles moindres car-
salaire est le produit d’un effet causal du tri- rés (« two-stage least squares »).
mestre de naissance sur la durée des études
et d’un effet causal de la durée des études
sur le salaire (C = B × A). Comme on mesure Extensions : doubles différences
B et C, on peut déduire A. Angrist et Krueger
(1991) observent ainsi que les personnes nées et discontinuité de la fonction
au premier trimestre d’une année calendaire
font des études en moyenne d’un dixième
de régression
d’année plus courtes que les personnes nées On le voit, moindres carrés ordinaires et
plus tard dans l’année (effet B). Ces mêmes variables instrumentales sont des outils
personnes gagnent en moyenne des salaires dont l’interprétation doit être pesée avec
1 % plus faibles (effet C). Donc un dixième soin. Mais ils constituent aussi la matrice
d’année d’études en moins réduit le salaire de multiples approches économétriques. On
de 1 % ; par une simple règle de trois, cela peut, pour ouvrir la discussion, reprendre
implique que le rendement d’une année l’exemple initial de l’effet d’un médicament,
d’études supplémentaires (effet A) est de et considérer deux autres situations :
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Première situation, la prescription du traite- Par exemple, les autorisations de mise sur le
ment obéit, au moins partiellement, à un cri- marché conduisent le médicament à être dis-
tère discontinu. ponible plus tôt dans certains pays que dans
Par exemple, le médicament est recom- d’autres. Si ces pays voient la pathologie
mandé pour les nouveau-nés qui font moins visée par le médicament diminuer relative-
de 2 000 grammes à la naissance. De ce fait, ment aux autres pays, alors que les tendances
la fréquence du traitement est plus élevée étaient auparavant parallèles, on conclura
parmi les enfants situés juste au-dessous que le médicament a des effets bénéfiques.
du seuil. Si leur état de santé est par la Cette stratégie est connue sous le nom de
suite meilleur que celui des enfants situés doubles différences, puisqu’elle effectue une
juste au-dessus du seuil, on en déduit que le double différenciation dans le temps (évolu-
traitement a été bénéfique. Il s’agit là en tion de la pathologie) et dans l’espace (entre
fait d’une application particulière des pays). Mais il ne s’agit pas d’autre chose que
variables instrumentales, connue sous le de moindres carrés ordinaires dans lesquels
nom de regression discontinuity design. La la variable de résultat, plutôt que d’être
relation d’exclusion nécessaire est que le mesurée en niveau, est mesurée en tendance,
fait que l’enfant se situe juste au-dessous et où l’hypothèse de moyenne conditionnelle
du seuil de 2 000 grammes plutôt que juste nulle du terme d’erreur correspond au fait
au-dessus n’a d’effet sur sa santé que via le que les écarts de mise sur marché du trai-
traitement. tement sont en moyenne indépendants des
tendances qui auraient prévalu en l’absence
Seconde situation, le médicament a été intro-
de médicament.
duit à des dates différentes à différents
endroits.
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Thème central de la science économique, la monnaie fait l’objet de controverses qui se sont
révélées durables. Les fonctions de la monnaie suffisent-elles à en donner une définition satis-
faisante ? La monnaie est-elle neutre ou active ? Exogène ou endogène à l’activité écono-
mique ? Revenant sur ces grandes questions, Alain Beitone montre que les postures quant à la
monnaie sont moins simples qu’il n’y paraît et qu’elles se superposent difficilement aux clivages
traditionnels de la pensée économique.
Problèmes économiques
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d’approche « chartaliste », pour signifier que respond aux thèses de la Currency School
la valeur de la monnaie ne repose pas sur qui aboutissent à la réforme monétaire de
une « substance » (les métaux précieux) mais 1844 en Grande-Bretagne (Bank Charter Act
sur une validité proclamée par l’État. Cette ou Peel’s Act). Celle-ci limite la création de
approche conduit à insister sur le lien entre monnaie en subordonnant toute émission
monnaie et souveraineté politique. De nom- supplémentaire de billets à une couverture
breux travaux, tout en relativisant la survalo- en or à 100 %. Dans cette approche quanti-
risation de l’État par Knapp, mettent l’accent tativiste, il faut soit imposer une contrainte
sur le fait que la monnaie doit être comprise métallique stricte grâce à l’étalon-or
en relation avec la société, avec la cohésion (J. Rueff), soit imposer une règle intan-
du groupe social au sein duquel elle circule. gible à la banque centrale en matière de
À la suite de Simmel, on peut souligner que la création monétaire (c’est la fameuse « règle
monnaie est une composante du lien social et, des k % » de M. Friedman). En se fondant
avec Michel Aglietta, que « la monnaie est le sur le mécanisme du multiplicateur de cré-
mode de socialisation des sujets sous la forme dit, les tenants de la théorie de la monnaie
de l’auto-organisation » (Aglietta, 1988, p. 93). exogène considèrent qu’il suffit de contrô-
À l’approche de la monnaie comme objet ler la quantité de monnaie centrale pour
remplissant des fonctions s’oppose donc la contrôler l’ensemble de la création de mon-
conception de la monnaie comme rapport naie par le système bancaire.
social. Le débat doit être abordé avec pru- À l’inverse, les conceptions de la monnaie
dence, car, par exemple, un texte célèbre du endogène considèrent que ce qui est pre-
très orthodoxe Milton Friedman traite de la mier est le crédit accordé par les banques
monnaie de pierre dans l’île de Yap et déve- aux entreprises qui souhaitent financer leur
loppe une conception de la monnaie comme production. Dans ses travaux postérieurs
rapport social1. Soulignons aussi que pour à la Théorie générale, Keynes intègre cet [1]
Friedman M. (1993),
les économistes autrichiens, comme pour La Monnaie et ses
aspect à travers le « motif de finance » dans
pièges, Paris, Dunod.
nombre d’hétérodoxes, la monnaie est une l’analyse de la demande de monnaie. C’est
[2]
institution et non un simple objet. grâce à l’impulsion que constitue la création La formule et le dessin
font référence à la
de monnaie que les entreprises vont pouvoir politique de quantitative
produire et distribuer des revenus, qui vont
Monnaie exogène alimenter une demande adressée à l’éco-
easing conduite par la
banque centrale des
États-Unis en réaction
et monnaie endogène nomie (débouchés pour la production). Au
total, les entreprises, à partir des produits
à la crise financière
mondiale de la fin
de la vente, vont pouvoir rembourser le cré- des années 2000.
La formule « helicopter Ben » (et le dessin
humoristique associé) pour désigner Ben dit initial. Il s’agit d’une analyse en termes
Bernanke, alors président du conseil des de flux : la monnaie est considérée comme
gouverneurs de la Réserve fédérale des une dette et la dynamique de l’économie est
États-Unis2, illustrent bien la conception assurée par la succession des opérations de
de la monnaie exogène. La monnaie serait, création et de destruction de monnaie. Cette
dans cette perspective, soit le résultat des approche est déjà formulée par la Banking
découvertes d’or (au temps de l’étalon-or), School au XIXe siècle. Les auteurs de ce cou-
soit le fait de la décision de la banque cen- rant, notamment Thomas Tooke, considèrent
trale : elle aurait son origine à l’extérieur que l’inflation a des causes réelles plutôt
de l’économie. Dans cette perspective, que monétaires et mettent en avant la « loi
défendue par de nombreux économistes, de du reflux » en vertu de laquelle toute mon-
David Ricardo à Milton Friedman en pas- naie créée (et injectée dans le circuit écono-
sant par Jacques Rueff, ce qui importe, c’est mique) finit par revenir dans les banques au
la quantité de monnaie. Cette approche cor- moment du remboursement. Ce qui importe
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ZOOM Dans l’appr
crédit,
cr
par acc
l’approche
accor
order
oche en termes
édit, on considèr
considère
termes de diviseur de
e que la banque commenc
der des crédits
crédits en sélectionnant
commence
sélectionnant
e
MULTIPLICATEUR
MULTIPLICA TEUR DE CRÉDIT des clients solv solvabl
ables.
es. Ce faisant,
faisant, elle
elle crée
crée de
L’appr
’approche
oche en termes
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multiplicat ateur
eur centr
entral
ale.
e. Ce n’est
n’est que dans un secondsecond temps
temps
de crédit
crédit esestt cell
cellee qui, dit-on, a conv
convaincu
aincu qu’elle
qu’ell e cherche,
cherche, s’ils’il y a lieu, à se procur
procurer er
les banquiers
banquiers qu’ils créaient
créaient bien de la les liquidités
liquidités qui lui sont néces nécessair
saires.
es.
monnaie. Dans cett cettee approche,
approche, on suppose Dans cett
cette e seconde
seconde reprreprésent
ésentation
ation de la
que lesles banquiers
banquiers disposent de réserv réserveses création
cr éation monétair
monétaire e par lesles banques, la
excédent
édentairaires,
es, en monnaie banque centr centralale,
e, banque centrcentral ale
e n’a pas la maîtrise de la
c’est-à-dir
c’es t-à-dire e d’une quantité
quantité de monnaie création
cr éation monétair
monétaire. e. En effet,
effet, lor
lorsque
sque les
les
centr
entralalee ex
excesessiv
sivee par rapport
rapport à cece qui est
est banques manquent de liquidité liquidité et qu’elles
qu’elles
néces
néc essair
sairee pour fair
fairee fac
facee aux retr
retraits
aits des ne parviennent pas à se la procur procurer er sur lele
clients et aux règl règlements
ements interbanc
interbancair
aires.
es. marché
mar ché interbanc
interbancair aire,e, la banque centr
centralalee est
est
On montre
montre aloralorss que l’octr
l’octroi
oi d’un prêt
prêt placée
plac ée dev
devant le le fait
fait acc
accompli. La monnaie
corr
orrespondant
espondant à cett cettee réserv
réserve e ex
excédent
édentair
airee de banque a déjà été été créée.
créée. Refuser de
va déclencher
déclencher un effet effet en chaîne au sein du fournir des liquidités
liquidités conduir
conduiraitait à un risque
systtème bancair
sys bancaire, e, de tell
telle
e sorte
sorte que, en fin d’illiquidité
d’illiquidit é pour une banque particulière,
particulière,
de compt
compte, e, la quantité
quantité tottotal
alee de monnaie voir
oire
e pour le le syst
système bancair
bancaire e dans son
créée
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est un multiple
multiple du crédit
crédit initial. Le ensemble.
ensembl e. Dans cett
cettee approche,
approche, ce ce qui est
est
multiplicat
multiplic ateur
eur est
est égal à l’inv
l’inver
erse
se du taux
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pr emier est est l’octr
l’octroi
oi de crédit
crédit par les
les banques
de réserv
réserve e que lesles banques respect
respectent
ent pour de second
second rang,
rang, donc la contr contraint
ainte e de liquidité
liquidité
disposer en permanence
permanence d’une quantité quantité qui pèse sur ces ces banques est est une contr
contraint
aintee
suffisante
suffisant e de liquidités.
liquidités. Dans cett cette
e conc
conception,
eption, souple.
soupl e. Réciproquement,
Réciproquement, comme comme le le montre
montre
l’e
’exis
xisttenc
ence e d’avoir
d’avoirss en monnaie banque l’e
’expérienc
xpérience e réc
récent
ente e de la politique monétair
monétaire, e,
centr
entralalee (base monétair
monétaire) e) est
est une condition
condition si la banque centr central
alee fournit
fournit en abondance
abondance des
néces
néc essair
sairee pour que les les banques de second
second liquidités
liquidit és aux banques de second second rang,
rang, cela
cela ne
rang créent
créent de la monnaie. La banque centr centralale
e garantit
gar antit pas que ces ces dernières
dernières vontvont acc
accororder
der
a donc dans ce ce cas
cas la maîtrise de la création
création des crédits
crédits aux agents non bancair bancaires.es.
monétair
monét aire,
e, puisqu’elle
puisqu’elle décide de la création
création
de la base monétair
monétaire. e. Alain Beitone
Beitone
donc, c’est la qualité de la monnaie (plutôt « circuitistes » français (A. Parguez, F. Pou-
que sa quantité), c’est-à-dire la solvabilité lon, etc.), les régulationnistes (M. Aglietta,
des agents auxquels les banques accordent R. Boyer, etc.) et les conventionnalistes (A.
des crédits. De plus, on considère que les Orléan, etc.).
banques commencent par accorder des cré-
dits et se préoccupent ensuite d’assurer
leur liquidité en se procurant la monnaie La neutralité de la monnaie
banque centrale nécessaire aux règlements
interbancaires. La création de monnaie doit
et la théorie quantitative
[3]
Le Bourva J. (1962), être pensée en termes de diviseur de crédit3. Les versions successives
« Création de monnaie La conception endogène de la monnaie est
et diviseur de crédit »,
Revue économique, défendue par les post-keynésiens (N. Kaldor, Une longue tradition de l’analyse économique
vol. 13, no 1. J. Robinson, M. Lavoie, H. Minsky, etc.), les considère que la monnaie est neutre. Les for-
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ZOOM rembour
embourser
conc
oncept
ser ni le
de Minsky conduit
le principal ni la dette.
conduit à démontrer
ept de « par
parado
adox
dette. L’anal
L’analyse
démontrer,, à partir du
xe de la tranquillit
tranquillité
yse
é », que
MONNAIE ENDOGÈNE ET dans une situation d’endettement
avec
av ec de faibl
faibles
es taux
d’endettement prudent
taux d’intér
d’intérêt,
êt, cert
certains
ains agents
HYPOTHÈSE
HYPOTHÈSE D’INST
D’INSTABILITÉ au profil
profil plus risqué vont vont emprunter
emprunter pour
FINANCIÈRE bénéficier de ces
vont acc
accept
epter
ces taux
taux faibl
er de leur
faibles.
leur prêt
prêter
es. Les banques
er pour bénéficier
C’est à partir de la conc
C’est conception
eption endogène de de rendements
rendements un peu plus éle élevés. Au tot
total,
al,
la monnaie que Hyman Minsky a formul formulé é son le taux
taux moy
moyen d’endettement
d’endettement augmente
augmente et
« hypothèse d’inst
d’instabilit
abilité é financière
financière ». avec
av ec lui le
le niveau
niveau de risque. Au bout d’un
En effet,
effet, si la création
création de monnaie résult résultee cert
ertain
ain temps,
temps, lesles niveaux
niveaux d’endettement
d’endettement
d’une demande de crédit crédit des agents et de risque sont dev devenus trop
trop forts,
forts, les
les
économiques
éc onomiques et d’une offre offre de cr
crédit
édit des banques contr
contract
actent
ent leur
leurss crédits.
crédits. Certains
Certains
banques, il importe
importe de ss’int ’interr
erroger
oger sur le le agents font
font défaut
défaut parc
parce qu’ils ne peuvent
peuvent pas
comport
omportement
ement des uns et des autres. autres. se réendett
réendetterer pour rembour
rembourserser les
les crédits
crédits
Minsky montre
montre que trois trois types de financement
financement antérieur
ant érieurs.s. La période de boom marquée
marquée
sont conc
conceevabl
ables
es : lle
e financement
financement prudent par la hausse
hausse du prix des actifs s’int s’interr
errompt,
ompt,
estt le
es le financement
financement où les les flux de re revenu de cert
ertains
ains agents vendent
vendent leur
leurss actifs pour
l’emprunt
’emprunteur eur peuvent
peuvent rembour
rembourser ser lele principal se désendetter
désendetter (c’est
(c’est le
le « moment Minsky »),
et l’int
l’intér
érêt
êt de la dette
dette ; le le financement
financement ils précipit
précipitent
ent la baisse
baisse des prix, cece qui aggrav
aggravee
spéculatif estest lle
e financement
financement où le le flux de la situation, etc.
etc.
revenu de l’emprunt
l’emprunteur eur peut rembour
rembourser ser L’anal
’analyse
yse de Minsky met donc en évidenc
évidence
e
l’int
’intér
érêt
êt mais pas lele principal (l’emprunt
(l’emprunteur eur l’ins
’insttabilit
abilité
é endogène des économies
économies de
doit alor
alorss s’endett
s’endetterer à nouveau
nouveau à l’échéanc
l’échéance e marché
mar ché et lele lien entre
entre marché,
marché, financement
financement
pour rembour
rembourser ser sa dette)
dette) ; enfin le le
et spéculation.
spéculation.
financement
financ ement Ponzi
Ponzi estest un financement
financement
où les
les flux de re revenus ne permettent
permettent de Alain Beitone
Beitone
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Dans ces conditions (et dans ces conditions des anticipations rationnelles. Pour eux, les
seulement), tout accroissement de M plus agents sont capables en permanence de trai-
rapide que l’accroissement de T conduit à ter au mieux toute l’information disponible
une hausse des prix. sur la base du modèle économique pertinent.
Comme l’a fait remarquer le grand histo- Ils ne sont donc jamais victimes d’illusion
rien de la pensée économique Mark Blaug, monétaire et prennent leurs décisions en
il existe un lien nécessaire entre la loi des fonction des grandeurs réelles de l’économie.
débouchés de Jean-Baptiste Say et la théo- La monnaie est neutre à court et à long termes
rie quantitative de la monnaie. Si les agents (on dit parfois qu’elle est « superneutre »).
sont rationnels et si la monnaie ne peut pas
perturber leurs décisions, alors le système Neutralité monétaire et monnaie
des prix relatifs déterminé par les marchés endogène : deux postures
conduit à ce que tous les marchés soient incompatibles
simultanément en équilibre : il ne peut pas y
avoir de surproduction générale et durable. L’idée de neutralité de la monnaie est évi-
On peut donc aussi faire un rapprochement demment incompatible avec les théories qui
avec l’analyse walrasienne relative à l’équi- mettent l’accent sur son caractère endogène.
libre général des marchés qui repose sur une Si la monnaie est une dette qui permet de s’ac-
représentation des échanges marchands dans quitter de toutes les dettes, c’est parce qu’elle
laquelle la monnaie n’a aucune place : il suf- est créée en réponse à une demande de crédit
fit qu’un bien quelconque soit choisi comme des agents économiques. On ne saurait sépa-
unité de compte afin de faciliter les échanges. rer une sphère réelle et une sphère monétaire.
Schumpeter le soulignait avec force, l’analyse
Au début des années 1960, J. Le Bourva pen- monétaire s’oppose radicalement à une ana-
sait que cette approche quantitativiste avait lyse « réelle », car la prise en compte de la
définitivement perdu la partie dans les débats monnaie interdit de rendre compte de l’écono-
des économistes à propos de la monnaie. Sur mie avec un modèle de troc. Les auteurs qui,
ce point, il se trompait. On a assisté à un pre- comme Marx et Keynes, rejettent la loi de Say,
mier retour en force de la théorie quantitative rejettent donc aussi toute idée de neutralité
avec les analyses de M. Friedman. Pour l’éco- de la monnaie. Les économistes autrichiens
nomiste de Chicago, « l’inflation est toujours adoptent sur ce point une position similaire.
et partout un phénomène monétaire ». La Von Mises qualifie d’hérésie la théorie quanti-
hausse de la quantité de monnaie peut avoir tative de la monnaie. Hayek, quant à lui, parle
un effet réel à court terme, mais pas à long d’effet Cantillon pour indiquer que toute aug-
terme. En effet, les agents économiques ont mentation de la quantité de monnaie se tra-
des anticipations adaptatives : à court terme, duit par une modification de la structure des
les variations nominales de prix et de revenu prix relatifs, ce qui modifie les décisions des
peuvent les conduire à modifier leurs com- agents. Hayek, comme Gunnar Myrdal, s’ap-
portements (effets réels), mais à long terme, puie sur les analyses de Knut Wicksell pour
ils vont constater qu’ils se sont trompés et qui l’écart entre le taux monétaire de l’intérêt
ils vont corriger leurs choix en fonction des et le taux d’intérêt naturel déclenche des effets
grandeurs réelles de l’économie (et non plus cumulatifs qui peuvent conduire à une modifi-
des grandeurs nominales). La monnaie est cation de la longueur du détour de production
donc active à court terme et neutre à long et à de l’inflation (lorsque le taux monétaire
terme. Cette position est encore aujourd’hui est inférieur au taux naturel) ou à du chômage
celle de nombreux macroéconomistes. (lorsque le taux monétaire est supérieur au
La défense de la neutralité de la monnaie taux naturel). Les variables monétaires ont
est radicalisée par les tenants de la théorie donc, pour les économistes suédois comme
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ZOOM monnaie (l’inflation)
légitimit
égitimité
(l’inflation) est
la crise de l’ins
é du pouvoir
est la manifes
l’institution
manifesttation de
titution monétair
monétaire. e. La faibl
pouvoir politique conduit
faible
conduit à
e
LA THÉORIE QUANTIT
QUANTITAATIVE des difficultés
difficultés crois
l’impôt. La fuite
croissant
santes
fuite en avant
es de coll
collect
ecte
e de
avant dans l’inflation
l’inflation
À L’ÉPREUVE
L’ÉPREUVE DE L’HIS
L’HISTTOIRE estt la manifes
es manifesttation d’une prof
du lien social.
profonde
onde crise
La théorie quantitativ
quantitative
e de la monnaie dispose
de solides fondements
fondements académiques,
académiques, mais Le second
second ex exempl
emple, e, c’est
c’est la situation de
elle
elle est
est dev
devenue aussi
aussi une sorte
sorte de poncif, l’éc
’économie
onomie mondiale
mondiale depuis 2008. En effet, effet,
de discour
discourss du sens commun,
commun, qui conduit
conduit à les banques centr central ales,
es, surtout
surtout dans les les pays
penser que tout
toute
e augmentation
augmentation de la quantité
quantité industrialisés,
indus trialisés, ont trèstrès fort
fortement
ement accru
accru la
de monnaie pro provoque de l’inflation.
l’inflation. taill
aillee de leur
leur bilan. Afin d’évit
d’éviter
er une crise de
liquidité
liquidit é et de soutenir
soutenir l’activit
l’activitéé économique,
économique,
Pourt
ourtant,
ant, quelques épisodes hist historiques
elles
ell es ont monétisé des créanc créances es (qui se
marquants
mar quants conduisent
conduisent à relativiser
relativiser
retr
etrouv
ouvent
ent à l’actif
l’actif de leur
leur bilan) et émis en
fort
ortement
ement cett
cette e idée reçue.
reçue. Le premier
premier
contr
ontrepartie
epartie de la monnaie centr centralale
e (qui se
estt l’hyperinflation
es l’hyperinflation allemande
allemande des années
trouv
tr ouve e au passif
passif de leur
leur bilan). Elles
Elles ont, cece
1920. Le travtravail
ail fondat
fondateureur d’Albert
d’Albert Aftalion
Aftalion
faisant, refinanc
refinancé é pratiquement
pratiquement sans limitation
limitation
(Monnaie, prix et change, 1927) montrait montrait déjà
les banques de second second rang
rang et à des tauxtaux
sur la base d’un solide appareil appareil st statis
atistique
tique
d’intér
d’int érêt
êt pratiquement
pratiquement nuls. Pour Pour autant,
autant, cett
cette
e
que l’augment
l’augmentationation de la quantité
quantité de monnaie
création
cr éation abondante
abondante de monnaie n’a pas conduit conduit
était
ét ait consécutiv
consécutive e à la hausse
hausse des prix et non
à l’inflation.
l’inflation. Bien au contr contrairaire,
e, dans la zone
l’inv
’invererse.
se. C’est
C’est la dépréciation
dépréciation du mark qui
euro,
eur o, c’est
c’est la déflation qui menace.menace. Il n’y a
produit
pr oduit de l’inflation
l’inflation importée.
importée. Le mouvement
mouvement
donc pas de relation
relation mécanique
mécanique entre entre quantité
quantité
estt amplifié par les
es les anticipations des agents
de monnaie et inflation. L’e L’explic
xplication
ation est
est assez
assez
économiques,
éc onomiques, conduisant
conduisant à l’augment
l’augmentation
ation de
simple
simpl e : l’e
l’exis
xisttenc
ence e de réserv
réserves es ex
excédent
édentairaires
es
la masse
masse monétair
monétaire. e. L’anal
L’analyse
yse proposée
proposée par
en monnaie banque centr central ale
e ne suffit pas à
A. Orléan
Orléan et M. Aglietta
Aglietta met l’ac l’acccent sur le
le fait
fait
conv
onvaincr
aincre e les
les banques d’acc d’accor
order
der des crédits
crédits
que l’inflation
l’inflation doit êtreêtre comprise
comprise en liaison
lor
orsque
sque leur
leurss anticipations de crois croissanc
sance e sont
avec
av ec la conflictualit
conflictualité é sociale
sociale global
globale.
e. C’est
C’est le
le
pessimis
pes simisttes et lorlorsqu’ell
squ’elles es pensent que l’octr
l’octroi
oi
cont
onte ext
xte
e international
international (la question
question du trait
traitéé
de crédit
crédit serait
serait trop
trop risqué. Réciproquement,
Réciproquement,
de Ver
Versaill
sailles
es et des répar
réparations)
ations) et lele cont
conteext
xte
e
les ménages et les les entreprises
entreprises ne sollicitent
sollicitent
intérieur
int érieur (écrasement
(écrasement de la ré révolution
pas de crédit
crédit lor
lorsqu’ils
squ’ils pensent que la
spartakis
spart akistte, agitation
agitation d’extr
d’extrême
ême droit
droite,
e, grè
grèves
demande va va continuer
continuer à st stagner et que
insurrectionnell
insurr ectionnelles,es, attent
attentats
ats politiques) qui
le chômag
hômage e va
va res
restter éle
élevé.
sape la légitimit
légitimité é de la république
république de Weimar
Weimar..
Si la monnaie est est une institution
institution qui exexor
orcise
cise
la violenc
violence e sociale,
sociale, la perte
perte de la val
valeur
eur de la Alain Beitone
Beitone
pour les économistes autrichiens, des effets économie marchande. C’est ce que souligne
réels : la monnaie n’est pas neutre. On le voit, M. Aglietta : « Concevoir la monnaie comme
le clivage entre les économistes libéraux et les le médiateur de la socialisation des sujets
autres n’est pas pertinent à propos du quan- économiques, c’est affirmer que l’analyse
titativisme et de la neutralité de la monnaie. de la monnaie et celle de l’économie mar-
chande sont un seul et même problème. On
Monnaie, marché et institutions est aux antipodes des théories naturalistes
de l’économie qui ne voient dans la monnaie
Pour comprendre la nature de la monnaie et qu’un intermédiaire technique commode des
son rôle dans le système économique, il faut échanges, ou même une marchandise particu-
partir de la compréhension de ce qu’est une lière. » (Aglietta, 1988, p. 98).
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Une économie marchande est en effet une luer le temps de travail dépensé pour pro-
économie dans laquelle des producteurs duire les marchandises. Pour les Autrichiens,
décident indépendamment les uns des autres la valeur est subjective et la monnaie permet
de l’usage qu’ils vont faire des ressources de surmonter et de mettre en relation les
productives. Dans le langage de Marx, on peut préférences subjectives des agents. Pour les
dire que des producteurs privés décident de auteurs conventionnalistes, comme A. Orléan,
l’allocation du travail social. Rien ne garan- il n’y a pas de valeur intrinsèque des mar-
tit a priori que cet usage du travail social chandises ; la valeur, comme la monnaie, sont
soit conforme aux attentes de la société. des conventions sociales. Mais le point com-
Bien sûr, si le producteur produit pour son mun de toutes ces analyses est bien que la
propre usage, cela n’a aucune importance, monnaie est une institution indispensable à
mais s’il produit pour vendre sur le marché, la coordination des décisions des agents dans
la question de la validation sociale des tra- une économie de marché décentralisée.
vaux privés se pose. On est en présence d’un
problème de coordination : il s’agit de rendre
cohérentes entre elles des décisions qui ne Monnaie, crédit et production
le sont pas nécessairement ex ante. C’est ici Cette analyse de la monnaie comme institu-
qu’intervient la monnaie : elle est une insti- tion, lien social et procédure de coordination
tution qui permet de surmonter l’opposition permet de comprendre le lien entre mon-
entre le privé et le social : un instrument de naie, crédit et production. Mais il faut pour
validation sociale des travaux privés. Pour cela produire une analyse en termes de cir-
M. Aglietta, « la monnaie est un rapport glo- cuit monétaire de production, qui est, selon
bal entre des centres de décision économiques B. Schmitt, commune à Marx, à Keynes et aux
et la collectivité qu’ils forment grâce auquel Autrichiens : la monnaie et la production
les échanges entre ces agents acquièrent sont nécessairement articulées. Ce sont les
[4]
Aglietta M. (1986), une cohérence4 ». Lorsqu’un producteur indi- banques et les crédits qu’elles accordent qui
La Fin des devises clés,
viduel (qui peut être une firme de grande taille) constituent le premier temps (et l’impulsion)
Paris, La Découverte,
Coll. « Agalma », p. 17. présente sa production sur le marché (c’est le du circuit. Un entrepreneur s’endette néces-
stade de la réalisation dans le vocabulaire de sairement, comme le soulignait Schumpeter.
Marx), il se confronte, à travers la monnaie, La monnaie est donc une dette (de l’emprun-
à une procédure de validation. Réciproque- teur) et une créance (de la banque). En déci-
ment, la monnaie qu’il reçoit en paiement, si dant d’octroyer le crédit, la banque valide par
sa production est validée, constitue un droit anticipation la production que l’entrepreneur
sur l’ensemble de la production sociale. Selon se propose de réaliser. Elle fait l’hypothèse,
la judicieuse formule de G. Simmel, la mon- après évaluation du projet de l’entrepreneur
naie est « une lettre de change sur laquelle et des risques qu’il comporte, que les moyens
le nom de l’intéressé n’est pas porté ». Autre- de production ainsi financés conduiront à
ment dit, la monnaie est une créance d’un une production qui sera validée par le mar-
montant déterminé sur l’ensemble des biens ché (c’est le « pari bancaire »). Si les choses se
et services qui résultent de l’utilisation du passent comme prévu, à l’issue du cycle de
travail social. La monnaie permet notamment production, l’entrepreneur est en mesure de
de rendre commensurables des biens et des rembourser sa dette, qui disparaît en même
services singuliers : elle permet d’en mesurer temps que la créance correspondante et la
la valeur à travers les prix. Un débat subsiste monnaie est détruite. Dans cette perspective,
sur ce point. Pour Marx et pour les classiques, les banques ne sont pas de simples intermé-
la monnaie ne joue ce rôle que parce que la diaires ; elles jouent un rôle décisif dans la
monnaie a, directement ou indirectement, une sélection des projets productifs qui seront
valeur travail et qu’elle permet ainsi d’éva- mis en œuvre. Elles exercent ainsi la fonc-
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tion essentielle de création de monnaie sans la création monétaire et la dynamique de la
laquelle la croissance économique est impos- production.
sible. Comme le soulignait Evsey Domar, La crise de 2008 et ses conséquences durables
la croissance ne dépend pas du niveau de en termes de croissance rappellent le rôle
l’investissement mais de l’augmentation de décisif de la monnaie et du crédit dans la
l’investissement : la simple mobilisation de dynamique économique : la compréhension
l’épargne préalable ne permet, au mieux, que des phénomènes monétaires est indispen-
de maintenir le niveau de la production. Il n’y sable à la régulation de l’économie.
a croissance que si, ex ante, du fait de la créa-
tion monétaire des banques, l’investissement
est supérieur à l’épargne. On ne peut séparer
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Agent économique central, l’entreprise a paradoxalement longtemps été réduite dans la
théorie économique à un agent individuel maximisant mécaniquement son profit. Avant une
époque récente, seules des analyses en marge de l’approche dominante se sont intéressées à
son organisation, sa « gouvernance » ou ses fonctions.
Après un rappel de ces travaux fondateurs, Olivier Weinstein fait le point sur les théories
récentes de l’entreprise. Si une nouvelle analyse dominante s’est construite autour de la
conception de la firme comme « nœud de contrats », des approches alternatives telles que la
firme comme « système de compétences » se sont développées en parallèle.
Problèmes économiques
[1]
Ce texte développe
1970, qu’une place très marginale dans la
tradition dominante des enseignements En marge de la théorie économique
standard : trois approches de la firme
et actualise l’article :
« Comment la
économiques. Qu’il s’agisse de la théorie de
théorie économique l’équilibre général, des théories des marchés
tente d’apprivoiser ou de la plus grande partie de l’économie
l’entreprise »,
industrielle, la firme est réduite à peu de Berle et Means : la « révolution
Alternatives
économiques, hors- choses : une « firme point », c’est-à-dire assi- managériale »
série no 43, 1er trimestre milée à un agent individuel, sans prise en
2000. Il a été publié Une première analyse majeure de l’entre-
dans Cahiers français considération de son organisation interne, et
o
n 345, Découverte de une « firme automate » qui, supposée parfai- prise se trouve chez Adolf Berle et Gardiner
l’économie. Concepts, tement rationnelle comme tout agent écono- Means. Leur ouvrage publié en 1932, L’Entre-
mécanismes et théories
économiques, Paris, mique, ne fait que transformer, de manière prise moderne et la propriété privée2, point
La Documentation efficiente, des facteurs de production en de départ de ce que l’on a appelé la « révolu-
française, juillet- tion managériale », a eu une influence consi-
produits et s’adapter mécaniquement à des
août 2008. dérable. La thèse centrale qui a été retenue
contraintes techniques et des environne-
[2]
Berle A. A. et ments donnés. Cette vision de la firme se du livre est que le développement de la
Means G. C. (1932), comprend relativement à ce qu’a été pen- grande société par actions et la dispersion
The Modern Corporation
and Private Property, dant longtemps l’objet central de la micro- de la propriété entre un grand nombre d’ac-
New York, Macmillan. économie : l’étude des marchés et des méca- tionnaires tend à entraîner la séparation de
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la propriété et du contrôle de l’entreprise ; L’approche de Chandler
le pouvoir de décision passe alors des
actionnaires aux « managers ». C’est à par- Il faut enfin évoquer les travaux d’Alfred D.
tir de là que va être posée la question cen- Chandler, le grand historien américain de
trale de la « gouvernance d’entreprise », qui l’entreprise. Dans trois ouvrages majeurs4, il
est revenue sur le devant de la scène depuis offre des matériaux et des réflexions essen-
une vingtaine d’années. Indépendamment tielles qui ont eu une influence notable sur
de cette thèse, l’ouvrage de Berle et Means la théorisation de la firme. Tout d’abord,
est important parce qu’il offre un mode une caractérisation de l’entreprise moderne
de théorisation de l’entreprise marqué par comme institution complexe, fondée sur un
trois traits : système de coordination administrative de
– les caractéristiques, le fonctionnement et nature hiérarchique, ce qui rejoint l’ana-
le comportement de la firme se comprennent lyse de Coase que nous allons voir plus loin.
en considérant les rapports entre différents Ensuite, une analyse des liens entre les chan-
groupes, aux intérêts propres : les action- gements dans la technologie et la concurrence
naires et les managers, mais également les et les transformations de l’entreprise. Enfin,
salariés et les fournisseurs de crédits ; il met en évidence l’importance des formes
de propriété et de contrôle et des conditions
– une question centrale est celle de savoir qui
de coopération entre agents pour expliquer la
contrôle l’entreprise ;
diversité nationale des formes d’entreprises
– le cadre institutionnel, en l’occurrence le et des formes de capitalisme.
système de la société par actions et la consti-
tution de marchés financiers, joue un rôle
essentiel dans la structuration de la firme.
La nouvelle orthodoxie : la firme
Cyert et March : l’approche comme « nœud de contrats »
« béhavioriste » de la firme
Firme et coûts de transaction
L’ouvrage de Richard Cyert et James March
de 1963, A Behavioural Theory of the Firm3, Les analyses précédentes se situent en [3]
Cyert R. M. et
qui ouvre la voie à la théorie dite « béha- dehors du noyau central de l’enseignement March J. G. (1992) [1963],
vioriste », constitue une deuxième étape économique. Elles sont sur bien des points A Behavioural Theory
en opposition avec l’orthodoxie néoclas- of the Firm, Oxford,
essentielle dans l’histoire des théories de Wiley-Blackwell.
la firme. C’est là que s’affirme la vision sique. À partir des années 1970, la théorie
[4]
de l’entreprise comme une organisation économique de la firme va être profondé- Chandler A. D. (1972),
Stratégies et structures
complexe, constituée de groupes aux inté- ment renouvelée, sur une autre base : la de l’entreprise, Les
rêts divers, dans des rapports simultanés redécouverte d’un article de Ronald Coase Éditions d’organisation.
de conflits et de coopération. L’analyse de de 1937, qui n’avait connu jusque-là que peu Chandler A. D. (1988), La
Main visible, Economica.
Cyert et March ajoute à cela un autre aspect d’audience5. Coase soulève la question de « la Chandler A. D. (1990),
essentiel qui sera repris et développé par nature de la firme » : qu’est-ce qu’une firme, Scale and Scope,
les évolutionnistes : la firme est le lieu d’ap- et pourquoi les firmes existent-elles ? Coase Cambridge (Mass.),
Harvard University
prentissages collectifs. Ainsi apparaissent propose un type de réponse qui reste, dans Press.
les deux dimensions clés autour desquelles sa forme générale, couramment admise : la [5]
Coase R. (1937), « The
vont se construire les théories actuelles de firme constitue un mode de coordination Nature of the Firm »,
la firme : d’un côté l’analyse des modes de économique alternatif au marché. Alors que Economica, novembre.
gestion des conflits d’intérêts, de l’autre les sur le marché la coordination des compor- Traduction française :
« La nature de la
conditions de constitution d’une capacité tements des individus se fait par le système firme », Revue française
collective à produire. de prix, la firme se caractérise par une coor- d’économie no 2.
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dination administrative, par la hiérarchie. Droits de propriété et théorie
Il reste alors à se demander pourquoi le de l’agence
recours à une coordination administrative
peut être nécessaire. La réponse de Coase Les néoclassiques tentent de rendre compte
est que la coordination par les prix entraîne des problèmes de la firme sans remettre
des coûts, ignorés dans les analyses stan- en question leur vision du monde et leur
dards du marché, ce que l’on appellera par approche de l’économie, c’est-à-dire une
la suite des coûts de transaction. Quand ces représentation fondée sur des comportements
coûts sont supérieurs aux coûts d’organisa- individuels supposés parfaitement ration-
tion interne, la coordination dans la firme nels et, au moins pour les néoclassiques les
s’impose. On trouve ainsi chez Coase deux plus strictement libéraux, la démonstration,
thèses, qui seront fortement discutées par la ou l’affirmation, qu’un système de relations
suite : (1) firme et marché constituent deux « libres » entre agents conduit à l’optimum
modes de coordination profondément diffé- social. Cela a été fait en développant une
rents ; (2) ce qui caractérise fondamentale- théorisation qui s’appuie sur deux corps
ment la firme, c’est l’existence d’un pouvoir d’analyse complémentaires, les droits de pro-
d’autorité ; la firme est en effet une organi- priété et la théorie de l’agence. La théorie des
sation hiérarchique. droits de propriété est au cœur de l’approche
néoclassique des institutions. Son objet est
L’analyse de Coase constitue le point de montrer comment les systèmes de droits
de départ de la conception de la firme de propriété agissent sur les comportements
aujourd’hui dominante chez les écono- individuels et sur l’efficience des systèmes
mistes : la vision contractuelle. Dans cette économiques, en insistant sur les vertus des
perspective, la firme s’analyse comme un droits de propriété privés. Dans ce cadre, la
système de relations contractuelles spéci- firme est caractérisée par une structure par-
fiques entre agents. Au centre de ces analyses ticulière de droits de propriété, définie par
se trouvent les problèmes résultant de la un ensemble de contrats. Un « bon » système
divergence des intérêts des parties, suppo- de droits de propriété est celui qui permet de
sées guidées par des motivations égoïstes, profiter des avantages de la spécialisation,
et des asymétries d’information : un agent et du fait que les différents agents ne
peut disposer d’informations que les autres détiennent pas les mêmes informations et
n’ont pas, et en tirer un profit personnel, au connaissances, et qui assure un système
[6]
Sur ce point, voir dans détriment des autres6. Le problème est alors efficace d’incitation. Dans un article célèbre,
ce même numéro l’article de trouver le système contractuel le plus effi-
d’Anne Corcos et
Armen Alchian et Harold Demsetz (1972)7
François Pannequin, p. 58. cient, en fonction de différents paramètres, tentent de démontrer sur ces bases que la
[7]
et en particulier de contraintes techniques et firme capitaliste « classique », l’entreprise
Alchian A. et Demsetz H.
(1972), « Production,
de la nature des informations détenues par individuelle, est la forme d’organisation la
Information Costs, and les parties. plus efficiente quand la technologie impose
Economic Organization », le « travail en équipe », c’est-à-dire quand le
American Economic On peut identifier trois grandes variantes de
Review vol. 62, décembre. produit résulte de la coopération de différents
cette vision contractuelle : (1) la vision défen-
agents, sans qu’il soit possible de mesurer
due par ceux qui se situent dans un cadre
la contribution individuelle de chacun.
néoclassique renouvelé, incluant principale-
ment la théorie de l’agence ; (2) la théorie La théorie de l’agence est aujourd’hui le cadre
des coûts de transaction, développée princi- d’analyse standard des questions d’organisa-
palement par O. Williamson ; (3) la théorie la tion dans les approches néoclassiques ; elle
plus récente, la théorie des contrats incom- complète la théorie des droits de propriété.
plets, qui tente de reformuler la théorie des Elle repose sur la notion de relation d’agence,
coûts de transaction. qui sert à formaliser les relations entre des
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individus aux intérêts différents, et à déter- dit Coase en 1937, et comme l’a montré Simon
miner des contrats incitatifs optimaux adap- dans un article fondamental de 195110.
tés aux situations les plus diverses. L’applica-
tion de la théorie de l’agence à l’analyse de la La théorie des coûts de transaction
firme est marquée par l’article fondateur de
Michael Jensen et William Meckling (1976)8. La théorie de Williamson est compatible avec [8]
Jensen M. C. et
En approfondissant l’analyse des propriétés cette vision des choses et se situe directe- Meckling W. H. (1976),
« Theories of the
des structures contractuelles de la firme, ce ment dans le prolongement de Coase11. Elle Firm: Managerial
courant de pensée se propose de démontrer développe l’analyse des coûts de transaction Behaviour, Agency
l’efficience des formes organisationnelles pour expliquer, en particulier, dans quels cas Costs, and Ownership
Structure », Journal of
caractéristiques du capitalisme contem- la firme s’impose comme mode de coordina- Financial Economics,
porain, et en particulier de la société par tion, c’est-à-dire dans quel cas l’intégration vol. 3, no 4, octobre. Voir
aussi : Jensen M. C.
actions. C’est dans le cadre de la théorie de d’une activité dans la firme sera préférée au (1998), Foundations of
l’agence que se sont développées les analyses recours au marché, l’extériorisation. Organizational Strategy,
récentes sur la « corporate governance » et Williamson se distingue des approches néo- Cambridge (Mass.),
Harvard University
les thèses qui soutiennent la supériorité du classiques que nous venons de voir, par ses Press.
modèle anglo-saxon pour lequel les managers hypothèses sur le comportement des agents [9]
doivent défendre les intérêts des seuls action- C’est le point de vue
économiques, et sur les caractères des contrats. défendu par Alchian et
naires (le modèle « shareholder »). Parallèle- Il reprend la théorie de la rationalité limitée Demsetz, et repris par
ment, les théoriciens des droits de propriété d’Herbert Simon : les agents ont des capa- Jensen et Meckling.
se sont attachés à démontrer l’inefficience de cités cognitives limitées, ils ne peuvent pas, [10]
Simon H. A. (1951),
l’entreprise publique et de la firme autogérée. dans des environnements complexes, envisa- « A Formal Theory
of the Employment
Notons ici un aspect majeur de cette vision ger tous les événements possibles et calculer Relationship »,
qui inspire des conceptions ultralibérales. La parfaitement les conséquences de leurs actes. Econometrica, vol. 19.
firme étant caractérisée comme un « nœud En conséquence, les contrats seront, le plus [11]
Voir, par exemple :
de contrats » entre les détenteurs des diffé- souvent, des contrats incomplets, qui n’envi- Williamson O. E.
rents facteurs de production, les auteurs que sagent pas tous les événements possibles. Le (1994), Les Institutions
nous venons de citer s’opposent à Coase sur problème est alors de savoir ce qui va se pas- de l’économie,
InterÉditions.
deux points : (1) il n’y a dans la firme aucune ser, après signature d’un contrat, en cas d’évé-
relation d’autorité, mais simplement des nement imprévu. L’incomplétude des contrats
rapports contractuels libres ; (2) il n’y a pas laisse une marge de manœuvre aux parties, ce
d’opposition entre firme et marché : la firme qui va permettre les comportements opportu-
n’est pas fondamentalement différente d’un nistes, la manipulation de l’information par
marché, elle est un « marché privé ». Cette les agents. C’est là que se situe, pour William-
conception conduit à nier toute spécificité son, le problème essentiel : l’opportunisme,
à la relation d’emploi : le contrat de travail et la manière de s’en protéger, sont au centre
est censé être similaire à un contrat commer- des choix organisationnels. Ce problème se
cial9. Pour apprécier ce point de vue, il est pose tout particulièrement quand, pour une
utile de rappeler un point clé des analyses de transaction, les agents doivent réaliser des
Marx, que l’on retrouve en économie du tra- investissements spécifiques, non réutilisables
vail : le salarié de l’entreprise capitaliste ne en dehors de la transaction, qui les rendent
vend pas son travail, c’est-à-dire des presta- dépendants l’un de l’autre. Chaque partie
tions de service comme le fait un travailleur peut alors craindre que l’autre s’approprie le
indépendant, il loue sa force de travail. La bénéfice de la transaction, qu’il y ait « hold-
firme acquiert par contrat le droit d’utiliser up ». C’est essentiellement dans ce cas où une
à son gré les compétences du salarié, et de le transaction implique des investissements for-
diriger. Il y a bien ainsi entre l’employeur et tement spécifiques que, selon la théorie des
l’employé une relation d’autorité, comme le coûts de transaction, la coordination dans
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la firme sera préférée à la coordination par Ce qui conduit Oliver Hart à insister sur un
le marché. À la suite de R. Gibbons, on peut point essentiel : l’incomplétude des contrats
estimer que la théorie des coûts de transac- donne une grande importance à la définition
tion propose en fait deux théories de la firme : des rapports de pouvoir dans les relations
la théorie du « hold-up », et une « théorie de contractuelles. La firme est définie comme un
l’adaptation ». Pour cette dernière, le propre ensemble d’actifs (non-humains), soumis à
de la firme, fondée sur un rapport d’autorité, une propriété unifiée, et à un contrôle unifié.
est de donner à l’une des parties le pouvoir de La définition des arrangements institution-
prendre de manière discrétionnaire les déci- nels et des systèmes de droits de propriété
sions adaptées aux événements, et donc de vise à « allouer le pouvoir entre les agents ».
permettre une adaptation de l’organisation, Cette allocation du pouvoir est liée à la défi-
sans renégociation. Son avantage est d’ac- nition des droits de propriété sur les facteurs
croître la capacité d’adaptation de l’organisa- de production, et en particulier sur le capi-
tion à son environnement. tal : on retrouve ainsi, comme le note O. Hart
La firme, pour Williamson, est ainsi un sys- lui-même, un aspect des thèses marxistes !
tème contractuel particulier, un « arrangement Il reste que, comme le dit B. Holmstrom14, la
institutionnel » caractérisé par un principe formalisation proposée implique que c’est un
hiérarchique selon lequel c’est la direction individu, et non pas la firme, qui est censé
de l’entreprise qui a le pouvoir de prendre les détenir les actifs, et passer un contrat avec
décisions en cas d’événement non prévu par les d’autres parties. Cette vision qui reste dans
contrats, et qui permet de limiter les risques une logique de contrats entre individus
liés à l’opportunisme. La grande importance rend difficile la compréhension de la firme
donnée dans cette vision à la spécificité des comme une entité cohérente15, et ainsi la
actifs est très discutée, d’un point de vue empi- prise en compte de la production proprement
[12]
Voir, par exemple : rique aussi bien que théorique (Coase notam- dite. C’est là une des limites majeures des
Hart O. (1995), Firms, ment s’est opposé sur ce point à Williamson). approches contractuelles.
Contracts and Financial Il est également permis de se demander en
Structure, Oxford,
quoi l’internalisation limiterait les comporte-
[13]
Clarendon Press.
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rattachée à ce courant. Les travaux qui se Ce type d’approche de la firme peut donner
situent dans cette perspective sont très divers une réponse à la question de Coase sur le
et ne constituent pas une théorie unifiée. Ils choix entre firme et marché, totalement diffé-
se distinguent cependant tous des approches rente des réponses contractuelles. Une firme
contractuelles par les questions qu’ils traitent serait conduite à choisir entre l’internalisa-
et par leurs fondements théoriques. tion d’une activité et le recours au marché,
essentiellement en fonction des compétences
qu’elle détient. Ce qui signifie que deux firmes
Les compétences au cœur pourront, de manière rationnelle, faire des
des performances de la firme choix différents. Cette manière d’aborder la
L’objet premier de ces analyses est d’expliquer question des frontières de la firme est celle
pourquoi certaines firmes ont durablement que l’on trouve dans un article ancien de
des performances supérieures, ou plus géné- George B. Richardson (1972)17. Plus générale-
ralement, chez les évolutionnistes, « pourquoi ment, il faut admettre que les firmes pourront,
les firmes diffèrent durablement dans leurs y compris dans un même secteur, avoir des
caractéristiques, comportements et perfor- formes d’organisation et de gouvernance dif-
mances16 ». Une réalité essentielle, que les férentes. Ce qui va à l’encontre de l’idée domi- [16]
Dosi G. et Marengo L.
nante selon laquelle il y aurait toujours, dans (1994), « Some Elements
approches contractuelles peuvent difficile- of an Evolutionary
ment expliquer. La réponse à cette question un contexte donné, un mode d’organisation Theory of Organizational
va être recherchée dans l’analyse des dyna- efficient unique qui devrait s’imposer à tous. Competences » in
England R. W. (ed.):
miques d’accumulation de connaissances et Evolutionary Concepts
de compétences spécifiques par les firmes. Formation et évolution in Contemporary
Chaque firme détient des compétences qui lui Economics, Ann Arbor,
des compétences University of Michigan
sont propres, que les autres firmes ne peuvent Press.
pas acquérir rapidement, parce qu’elles sont L’accent placé sur les compétences de la firme
[17]
difficiles à imiter et qu’elles ne peuvent être conduit à s’interroger sur les conditions dans Richardson G. B.
(1972), « The
acquises sur le marché. Et cela en particulier lesquelles ces compétences se forment et évo- Organisation of
parce que les compétences reposent en partie luent. Cette question est abordée depuis long- Industry », Economic
sur des connaissances tacites, non formali- temps par la théorie des organisations ; elle Journal, no 82.
sées, qui sont difficilement transférables entre est particulièrement développée par les évolu-
individus ou entre organisations. Ainsi, l’acti- tionnistes dans un cadre théorique qui se veut
vité et la compétitivité de chaque firme repose une alternative au paradigme néoclassique.
sur un ensemble de compétences « foncières » L’analyse repose d’abord sur une théorisation
(core capabilities). On pourrait dire que l’on des comportements individuels construite
a ainsi une vision de la firme comme « nœud dans la lignée de H. Simon et J. March, et
de compétences » plutôt que comme nœud de mobilisant des avancées des sciences cogni-
contrats. Ces analyses se situent pour la plu- tives. Elle donne une place centrale à l’étude
part dans une perspective dynamique, don- des processus d’apprentissage. Elle aborde
nant une grande importance aux changements tout particulièrement les apprentissages orga-
technologiques et aux processus d’évolution. nisationnels, afin de comprendre comment se
D’où l’accent mis par certains sur les compé- construisent dans la firme des apprentissages
tences dynamiques, qui donnent à la firme la collectifs et des compétences collectives qui
capacité de se transformer, de suivre et d’im- vont se matérialiser dans un ensemble de
pulser les changements technologiques et les « routines organisationnelles ». L’analyse de la
transformations de l’environnement. Chan- firme renvoie ainsi, comme dans les approches
dler, qui s’est fait le défenseur d’une théori- contractuelles, aux modes de coordination
sation de la firme à partir des compétences, entre les individus et les groupes, mais il
contre la théorie des coûts de transaction, se s’agit d’une coordination « cognitive » visant
situe dans cette perspective. à combiner les connaissances et les compé-
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tences individuelles et à favoriser les appren- contractualistes. Il est possible, tout en restant
tissages, par opposition à une coordination sur le terrain des approches contractuelles, de
« politique » qui vise à rendre compatibles les construire une théorisation de la firme centrée
intérêts des individus. sur les questions de pouvoir. C’est ce qu’ont fait
les radicaux américains en analysant la firme
Forces et faiblesses de l’approche à partir d’une double fonction : une fonction
par les compétences de coordination et d’allocation, seule prise en
L’accent placé par ces approches sur les pro- compte dans la vision néoclassique, et une fonc-
blèmes de connaissances et d’apprentissage, tion disciplinaire, assurée par un système de
sur la dimension cognitive des organisations est pouvoir. En faisant de celle-ci la fonction prin-
à la fois leur force et leur faiblesse. Leur force, cipale, on est conduit à une tout autre vision de
car elles touchent ainsi à une question essen- l’entreprise et de sa logique d’organisation, et
tielle pour comprendre ce que sont les firmes et l’on peut soutenir, que, à l’encontre des thèses
comment elles fonctionnent, et cela tout parti- des théoriciens de l’agence, la firme capitaliste,
culièrement quand la capacité d’innovation est et le système de droits de propriété qui la fonde
[18]
Voir par exemple,
la condition de leur survie. Leur faiblesse, dans sont profondément inefficients18.
Bowles S., Gintis H.
et Gustafsson B. la mesure ou cela conduit à ignorer, le plus sou- On peut enfin chercher à resituer l’analyse
(eds.) (1993), Market vent, les dimensions conflictuelles des rapports de la firme et de ses formes dans le cadre des
and Democracy : systèmes institutionnels où elle s’insère. C’est
Participation, économiques, et le fait que les firmes capita-
Accountability and listes sont des organisations particulières, dont ce que fait, d’une certaine manière, la théorie
Efficiency, Cambridge, la finalité n’est pas tant la production pour elle- des conventions en analysant la diversité des
Cambridge University formes de rationalité et des modes de coordi-
Press.
même, que la recherche du profit.
nation. Ce qui lui permet d’avancer une lecture
Le problème central que doit traiter la théo-
[19]
Voir notamment, originale des conditions de la coordination
Orléan A. (ed.) (2004),
rie de la firme est celui de la combinaison
dans différents modèles d’entreprises, en déve-
Analyse économique de la dimension cognitive et de la dimension
loppant les implications de l’incomplétude des
des conventions, Paris, « politique ». On peut trouver des éléments
PUF, coll. « Quadrige » contrats, et notamment du contrat de travail19.
et Eymard-Duvernay F.
qui vont dans cette direction dans les ana-
C’est ce qu’a fait, d’une autre manière, la théo-
(2004), Économie lyses de la firme japonaise, chez M. Aoki
rie de la régulation en analysant la firme for-
politique de l’entreprise, notamment, qui montrent comment les sys-
Paris, La Découverte. diste comme composante d’un certain système
tèmes d’incitation et les modes d’organisa-
de formes structurelles, ou encore les travaux
[20]
Voir notamment, tion et de gouvernance peuvent favoriser les
d’analyse institutionnelle comparée20. Cela
Aoki M. (2006), apprentissages et l’innovation.
Fondements d’une conduit à mettre en évidence la dimension his-
analyse institutionnelle torique des institutions et des formes d’orga-
comparée, Paris, Autres alternatives
Albin Michel.
nisation et à considérer la diversité des formes
Le dépassement des approches contractuelles de firme et des « modèles productifs »21, notam-
[21]
Boyer R. et peut se faire dans des directions très différentes ment selon les contextes nationaux. Il y a dans
Freyssinet M. (2000), de celle des approches fondées sur les compé- ces différentes voies des éléments essentiels
Les Modèles productifs,
Paris, La Découverte.
tences. On évoquera pour terminer deux axes pour comprendre les traits fondamentaux de
de réflexion qui touchent à des questions essen- la firme capitaliste et les formes qu’elle prend
tielles. Il y a tout d’abord la question du pouvoir, dans la période actuelle.
qui ne fait qu’affleurer dans certains travaux
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Les banques sont des acteurs essentiels de l’économie puisqu’elles jouent un rôle-clé dans
son financement. Sous l’effet de la libéralisation financière amorcée dans les années 1980,
elles ont profondément diversifié leurs activités. Celles en lien avec les marchés de capitaux
ont connu un essor considérable relativement aux activités traditionnelles, ce qui apparaît
nettement dans l’évolution de la structure du bilan des établissements bancaires. La taille des
bilans s’est aussi fortement accrue, de telle sorte que les grands groupes du secteur ont
aujourd’hui en Europe un poids comparable au PIB de leur pays d’origine. Après avoir rappelé
le rôle et les activités des banques, Jézabel Couppey-Soubeyran fait le point sur leurs évolu-
tions récentes. Celles-ci posent un certain nombre de problèmes, qui se sont notamment
illustrés lors de la crise financière de 2007-2008.
Problèmes économiques
Comment (dys)fonctionnent
les banques ? 1
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(PME), en raison d’un accès aux marchés verselle additionne les risques de la banque
financiers limité ou inadapté. Et même pour de détail et de la banque d’investissement,
les grandes entreprises qui se financent sur met en danger les dépôts en les exposant
les marchés de titres, ce sont souvent les aux risques de turbulence des marchés
banques qui, en bout de chaîne, détiennent financiers, et crée des conflits d’intérêt entre
une partie des titres émis. Au total, les finan- les deux métiers.
cements bancaires au sens large (qu’il s’agisse
des crédits octroyés ou des titres que les
banques détiennent sur les entreprises émet- Comment les banques
trices) représentent encore 70 % du finance-
ment externe des entreprises en Europe. ont-elles fait évoluer leur activité
En pratique, les banques exercent plusieurs
types de métiers plus ou moins orientés vers
depuis les années 1980-1990 ?
les particuliers et les entreprises. Les banques ont considérablement fait évoluer
leur activité depuis la fin des années 1980. Les
Les services de banque de détail (ou banque années 1990-2000 ont vu ces changements s’ac-
commerciale) s’adressent à une clientèle de célérer. La principale transformation réside
particuliers et de PME et consistent à gérer dans un adossement de plus en plus important
des dépôts, fournir des moyens de paiement aux marchés de capitaux. Cela a profondé-
– chéquier, carte bancaire, virement… – et ment modifié tant la taille que la structure des
octroyer des crédits. bilans des banques (cf. Zoom p. 96).
Les services de banque de financement et Jetons un coup d’œil pour commencer sur
d’investissement (BFI) s’adressent à une la structure, c’est-à-dire la composition des
clientèle de très grandes entreprises et leur bilans bancaires. Au passif, la part des res-
permettent de réaliser des transactions sur sources de marché s’est accrue au cours
les marchés financiers. des dernières décennies, tandis que celle
Au-delà, les banques ont élargi leurs ser- des dépôts s’est réduite (sur ce terrain, les
vices à la gestion d’actifs consistant à gérer banques françaises ont subi la concurrence
des portefeuilles de titres et d’OPCVM pour des assurances-vie et des SICAV monétaires,
le compte de clients épargnants ou d’entre- ainsi que celle de leurs propres filiales). À
prises. La plupart des groupes bancaires l’actif, les activités de marché ont gagné du
français offrent aussi des services d’assu- terrain sur les activités plus traditionnelles
rance : c’est la bancassurance. de prêts. Dans les grandes banques univer-
Depuis la fin des années 1990, en France selles cotées en bourse, les prêts à la clien-
tout particulièrement, mais plus largement tèle de proximité ne représentent plus qu’un
aussi dans la plupart des autres pays d’Eu- gros tiers de l’activité, amplement déployée à
rope, ces métiers sont le plus souvent logés l’étranger sur les marchés de titres et de pro-
sous un même toit, celui de la banque dite duits dérivés. Les banques mutualistes ont, en
« universelle ». Ses mérites sont débattus. revanche, maintenu leurs activités de détail,
Certains y voient une structure productive ce qui les complexait avant la crise, et au
plus efficace, permettant de réaliser des éco- contraire aujourd’hui rassure leur clientèle.
nomies d’échelle (un coût moyen plus faible Ce faisant, c’est aussi la structure des revenus
grâce à une échelle d’activité plus grande) et des banques qui a changé. Les métiers exercés
d’envergure (un moindre coût global en pro- par les banques engendrent deux principaux
duisant plusieurs services ensemble plutôt types de revenus : des intérêts et des commis-
que séparément). Les études empiriques sont sions. Quand la banque octroie un crédit, elle
toutefois loin d’être unanimes sur le sujet. Et fait payer à l’emprunteur un taux débiteur.
pour d’autres, au contraire, la banque uni- La banque paie elle-même des intérêts quand
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ZOOM collectés est à vue ou à court terme, beaucoup
de crédits octroyés sont à long terme. La banque
pratique donc la « transformation d’échéance »
QU’EST-CE QU’UN BILAN (c’est son métier !) et se trouve ainsi exposée à un
risque d’illiquidité, si elle ne peut faire face aux
BANCAIRE ? demandes de retraits de fonds de ses clients*.
Un bilan est un document effectuant la synthèse [Ce risque d’illiquidité s’est significativement
des emplois (à l’actif) et des ressources (au accru au tournant des années 2000, en lien avec
passif) d’une entreprise, actif et passif étant l’augmentation de la part des dettes de marché au
par construction égaux. Le bilan d’une banque bilan des banques, contractées à des échéances
commerciale est principalement constitué très courtes. Très instables, ces ressources
à l’actif de titres et de crédits octroyés aux soumettent les banques à la nécessité de les
clients et au passif de dépôts de la clientèle et renouveler sans cesse et à un risque de panique
de fonds propres, les dépôts étant largement
non plus à ses guichets mais sur le marché
plus importants que les fonds propres (qui
interbancaire.]
représentent moins de 10 % de la taille du bilan).
Cette structure de bilan particulière fait apparaître * Courderc N. et Montel-Dumont O. (2009), Des Subprimes à
la fonction des banques et les risques inhérents à la récession. Comprendre la crise, Paris, La Documentation
cette activité : alors qu’une large part des dépôts française/France info, p. 86.
elle se procure des ressources nécessaires à pour la moitié des grandes banques euro-
son refinancement et rémunère l’épargne de péennes). Au sein des activités de détail, qui
ses clients. Ces services de banque de détail représentent elles-mêmes environ 70 % du
sont très rémunérateurs en commissions : la PNB total de l’ensemble des banques fran-
banque facture ainsi notamment ses services çaises, les commissions clients représentent
de gestion de compte et de mise à disposition entre 40 % et 50 % du PNB.
des moyens de paiement. Dans ses activités Si l’essor des activités de marché a largement
d’investissement et de financement, la banque contribué à l’essor des commissions, il faut
perçoit aussi des commissions (conseils aux souligner que les activités de détail ne sont
entreprises pour s’introduire en bourse, réa- pas en reste en la matière. Les services factu-
liser des fusions-acquisitions…) et des inté- rés à la clientèle de détail concernent princi-
rêts (crédits, achats de titres…). Le produit palement la gestion de compte (mise à dispo-
net bancaire (PNB) mesure l’ensemble de ces sition de moyens de paiement : chéquier, carte
revenus, nets des charges de refinancement bancaire, virement…) et l’octroi de crédits.
associées aux activités de la banque : c’est le La part des commissions dans les revenus
chiffre d’affaires d’une banque. d’activité des banques a fortement augmenté
Le PNB se répartit ainsi entre une marge depuis les années 1990, en particulier celles
d’intérêts et des commissions. Que sait-on qui se rapportent à la gestion de comptes et
de cette répartition ? Comparés aux autres aux moyens de paiement. Alors même que
grandes banques européennes, les revenus l’activité de détail a vu sa part diminuer dans
des grandes banques françaises proviennent les bilans bancaires jusqu’à la crise, les reve-
relativement moins de la marge d’intérêt nus qui en sont issus ont continué de croître,
(environ 50 % du PNB des banques françaises du fait de l’augmentation des frais bancaires.
contre 60 à 65 % pour près de la moitié des Cette hausse ne s’est sensiblement ralentie
grandes banques européennes), et relative- que depuis la crise.
ment plus des commissions (environ 30 % du Toutes ces activités et les revenus qui s’y rap-
PNB des banques françaises contre 20 à 25 % portent sont, pour une part qui a significati-
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1. Combien pèsent les plus grosses banques ?
180 en % du PIB domestique
160
140 en % du PIB de l’Union européenne
120
100
80
60
40
20
0
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Note : ce graphique mesure l’actif total des groupes bancaires en pourcentage du PIB national. En France par exemple, le total de bilan
de BNP-Paribas pèse l’équivalent de 100 % du PIB. Source : rapport Liikanen (2012).
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ZOOM 1) L’importance des activités transfrontières.
2) La taille du bilan et des engagements
hors bilan.
LA TAILLE N’EST PAS LE SEUL 3) Les interconnexions avec les autres
CRITÈRE DE « SYSTÉMICITÉ » institutions financières.
4) Le degré de substituabilité des activités
Le Comité de Bâle retient cinq critères de exercées.
classification d’un établissement financier en 5) La complexité des activités (activités de
institution financière d’importance systémique marchés, produits dérivés, taille des actifs
mondiale ou G-SIFIs (Global Systematically (difficiles à évaluer).
Important Financial Institutions) :
Jézabel Couppey-Soubeyran
Tout cela s’est opéré dans un contexte très En prenant du poids, de nombreux groupes
permissif. D’abord au niveau de la politique bancaires sont devenus systémiques. L’Europe
monétaire, très accommodante à partir du compte à peu près la moitié des 29 banques
début des années 2000 (suite au krach Internet systémiques listées par le Conseil de stabilité
de 2000, puis aux attentats du 11 septembre financière (Financial Stability Board). Concrè-
2001) : les banques ont bénéficié du niveau tement, même si la taille n’est pas l’unique
bas des taux d’intérêt. Ensuite, au niveau de critère de systémicité (cf. Zoom), plus le bilan
la régulation financière. Les activités de mar- d’une banque pèse lourd, plus les dommages
ché des banques ont été jusqu’à la crise trop collatéraux en cas de faillite sont impor-
peu exigeantes en fonds propres (et sans aucun tants : beaucoup d’entreprises se retrouveront
garde-fou en matière de liquidité). Les activités à court de financement, beaucoup de dépo-
de crédit l’étaient davantage mais la titrisation sants à court de moyens de paiement, d’autres
d’un côté, les modèles internes de l’autre ont banques seront touchées à leur tour sur le
permis aux banques de desserrer la contrainte, marché interbancaire, etc. C’est pourquoi les
tout en nourrissant un formidable excès de pouvoirs publics se refusent à laisser tomber
confiance. Cette prise de risque accrue est bien une banque si elle est trop importante. Le prin-
entendu l’un des facteurs de la crise actuelle. cipe « too big to fail » (TBTF) part d’une bonne
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3. L’emballement du crédit (crédit au secteur privé – entreprises et ménages – en % du PIB national)
Pays-Bas 198
89
États-Unis 193
97
Royaume-Uni 188
27
Suisse 176
106
Japon 170
129
Suède 136
74
Canada 128
72
Italie 122
55
France 116
101
93 1980
Belgique 29
0 100 200
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en un an dans un pays), serait de l’ordre de actifs pondérés par les risques (risk weighted
110 % dans les pays avancés. Le fait est qu’il assets – RWA) est vérifiable dans les résultats
est dépassé à peu près partout dans ces pays. de l’évaluation globale des bilans à laquelle
Le crédit s’est emballé, c’est un fait, et il n’a a procédé la Banque centrale européenne.
pas contribué comme il aurait dû à l’écono- Ce n’est toutefois pas sur cet aspect que
mie réelle. Cela peut sembler paradoxal. Cela la BCE a choisi d’axer sa communication le
l’est moins dès que l’on essaie d’identifier la 26 octobre 2014… Elle a de loin préféré ras-
destination des crédits avant la crise. Quand surer les marchés en insistant sur le grand
le crédit coulait à flot avant la crise, que nombre de banques ayant réussi le stress test.
finançait-il ? L’immobilier pour une grande On constatera néanmoins que la solidité du
part, la consommation également, mais l’in- secteur bancaire européen s’apprécie en des
vestissement des entreprises… fort peu. C’est termes très différents selon la mesure que l’on
là un point à souligner, d’autant que la crise retient de la solvabilité.
n’a guère changé les choses en la matière. Les ***
crédits aux entreprises représentent ainsi à Aujourd’hui, en Europe, pratiquement plus
peine 10 % du bilan agrégé du secteur ban- aucun État n’a les moyens de sauver indivi-
caire français, ceux aux PME à peine 5 %. duellement ses banques en cas de problème.
En se développant, les banques n’ont donc pas Les superviseurs nationaux sont comme des
forcément contribué davantage à l’économie nains face aux géants que sont devenues les
réelle. Elles sont aussi devenues plus fragiles banques transfrontières. L’Union bancaire
car elles ont financé leur croissance par la arrive à point nommé ! D’une part, elle trans-
dette, contractée à des échéances de plus en fère la supervision des grands groupes ban-
plus courtes. De quoi se retrouver subitement à caires à la bonne échelle, celle de l’Europe,
cours de liquidité et dans l’incapacité d’épon- du moins celle de la zone euro, en confiant la
ger par elles-mêmes des pertes éventuelles. Les tâche à la BCE. D’autre part, elle va permettre
exigences de fonds propres que les régulateurs de réintroduire progressivement l’idée même
ont imposées aux banques à partir de la fin qu’une faillite, du moins un démantèlement,
des années 1980 (accords de Bâle 1 puis Bâle est possible en cas de problème.
2 avant ceux plus conséquents de Bâle 3), sous La crise bancaire et financière a coûté très
la forme d’un ratio pondéré par les risques, ne cher à l’Europe : entre octobre 2008 et
les a pas empêchées d’accroître considérable- octobre 2012, la Commission européenne
ment leur levier d’actif. Tout en satisfaisant a approuvé environ 5 050 milliards d’euros
l’exigence réglementaire de fonds propres, les d’aides d’État (aides directes et garanties de
banques européennes ont fonctionné avec en toutes sortes) en faveur des banques, ce qui
moyenne 97 % de dette à leur bilan (soit une représente environ 40 % du PIB de l’Union
part de fonds propres en pourcentage de leur européenne. La réglementation des banques
actif total – sans les pondérations – de l’ordre a été « un peu » renforcée, les marchés « un
de 3 %). Cet écart constaté au niveau des grands peu » réorganisés, la supervision « un peu »
groupes entre ratio de solvabilité standard et réagencée : « un peu » signifie que nous ne
ratio de levier (fonds propres sur actif total) sommes pas à l’abri d’une prochaine crise.
ou, ce qui revient au même, entre actif total et
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¶ COMPLÉMENT rapport d’au moins 8 % entre les fonds propres
et les actifs exposés au risque de crédit (en
pondérant ces actifs par le risque).
L’esprit des accords de Bâle L’activité risquée des banques ne se réduit
cependant pas aux crédits accordés. De plus
Pourquoi réglementer les banques ? en plus actives sur les marchés de titres et de
Une banque n’est pas une entreprise comme produits dérivés depuis le début des années
les autres. D’une part, elle investit l’argent de 1990, les banques sont aussi exposées aux
ses clients qui ne sont guère en capacité de risques de marché (risque de variations du
lui imposer qu’elle le gère dans leur intérêt cours des titres détenus, risque de taux,
plus que dans le sien. D’autre part, la faillite risque de change…). Quant à l’incorporation
d’une banque entraîne pour la collectivité des des avancées technologiques dans les
coûts bien supérieurs à ceux de n’importe services bancaires, elle a renforcé le risque
quelle autre faillite d’entreprise. La difficulté opérationnel (risque de panne informatique,
d’une banque a vite fait de s’étendre à d’autres de défaut de procédure, d’erreur humaine,
puisque toutes sont liées financièrement de fraude, etc.). L’exigence de fonds propres
sur le marché interbancaire. Par contagion, a donc dû être étendue, d’abord aux risques
une faillite bancaire peut ainsi s’étendre à de marché, puis au risque opérationnel avec
l’ensemble du secteur et devenir une crise les accords de Bâle 2.
systémique. De plus, le dérèglement ou pire
l’interruption des services bancaires sont très Une organisation en trois « piliers »
paralysants pour l’économie : sans moyens de Trois piliers ont dès lors été définis : un pilier
paiement et sans financement, les échanges « exigences minimales de fonds propres »
ne peuvent plus se dérouler normalement. Le (maintenue à 8 % pour couvrir les trois
régulateur doit autant veiller à la protection catégories de risques – risque de crédit,
des déposants qu’aux problèmes d’externalités risque de marché et risque opérationnel),
qui viennent d’être mentionnés. La régle- un pilier « surveillance prudentielle »
mentation des banques répond à ces deux permettant aux superviseurs, s’ils le jugent
objectifs et les exigences de fonds propres nécessaire, d’exiger plus que la norme, un
en sont devenues l’instrument principal. pilier « discipline de marché » exigeant
de la transparence et de la communication
Risque de crédit, risques de marché d’informations. Les accords de Bâle 2 ont
et risque opérationnel aussi donné aux banques le choix entre une
Le comité de Bâle s’est en tout premier lieu approche réglementaire standard et une
préoccupé du risque de crédit. C’est le risque approche dite avancée les autorisant, sous
auquel la banque s’expose quand elle octroie certaines conditions, à utiliser leurs modèles
un crédit. Si l’emprunteur fait défaut, la banque internes d’évaluation des risques, ce qui a
subit une perte. Pour absorber cette perte sans permis à certaines d’entre elles de réduire
risquer elle-même de faire défaut vis-à-vis sensiblement la charge en fonds propres.
de ses créanciers, la banque doit disposer Les accords de Bâle 3 ont toutefois rapidement
d’un capital suffisant. Exiger des banques emboîté le pas du fait de la crise. Ils
qu’elles détiennent un montant de fonds rehaussent en quantité et en qualité l’exigence
propres proportionnel aux risques qu’elles de fonds propres, introduisent également un
prennent est une mesure qui permet donc de simple ratio de fonds propres non pondéré par
réduire le risque d’insolvabilité de la banque. les risques (ratio de levier) et deux ratios de
La réglementation des fonds propres oblige liquidité pour éviter aux banques de succomber
les banques à détenir plus de fonds propres à une rupture subite de liquidité*.
qu’elles ne s’y contraindraient par elles-
mêmes. * Couppey-Soubeyran J. (2013), « De Bâle 2 à Bâle 3 :
la nouvelle réglementation bancaire internationale »,
Les premiers accords de Bâle en 1988 ont Cahiers français no 375, Quelle finance après la crise ?,
recommandé l’adoption du ratio Cooke : un Paris, La Documentation française.
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Les ménages partagent leurs revenus entre consommation et épargne. Qu’est-ce qui détermine
leurs décisions ? En microéconomie, elles sont expliquées par un modèle calqué sur la théorie
standard du choix de consommation à deux biens. Dès lors qu’ils ont accès à un marché des
fonds prêtables, les ménages arbitrent entre consommation présente et consommation future
et déterminent donc un profil intertemporel de consommation et d’épargne. Nicolas Drouhin
présente ici les hypothèses et les principaux résultats de ce modèle.
Problèmes économiques
Consommation/épargne :
les choix des ménages
C’est au début du XXe siècle que l’économiste NICOLAS DROUHIN
américain Irving Fisher a donné le premier
une modélisation rigoureuse de la décision École normale supérieure de Cachan,
d’épargne. La version la plus aboutie de sa Centre d’économie de la Sorbonne (UMR CNRS 8174)
théorie a été publiée en 1930, sous le titre
The Theory of Interest1. Cet ouvrage a eu un
tion respectives de chaque période. Le couple
retentissement important à l’époque, mais,
(c1, c2) sera appelé profil intertemporel de
sans doute trop novateur, il a ensuite été un consommation. Il est choisi par les ménages
peu oublié. Ce n’est que dans les années 1950, et c’est ce choix qui va déterminer la quan-
avec les travaux de Modigliani et Brumberg tité de revenu épargnée à chaque période.
(1954) et de Milton Friedman (1957)2 que le L’épargne de la période 1 va alors être égale, [1]
modèle de choix intertemporel s’est large- Fisher I. (1930), The
par définition, à la différence (w1– c1). Theory of Interest, as
ment diffusé dans la communauté des écono- Determined by Impatience
On suppose que le ménage a accès au marché
mistes au point de devenir l’une des clés de to Spend Income and
des fonds prêtables. S’il souhaite consom- Opportunity to Invest it,
voûte de l’analyse économique moderne. New York, Macmillan.
mer plus que son revenu en première période
(épargne négative), il doit emprunter, emprunt [2]
Modigliani F. et
Un modèle à deux périodes qu’il remboursera, majoré des intérêts, en
période 2. Au contraire, un ménage qui sou-
Brumberg R. (1954),
« Utility Analysis and the
Consumption Function:
Nous étudions le cas d’un ménage qui vit deux haite consommer moins que son revenu en An Interpretation of Cross
périodes, la période 1 et la période 2, au cours période 1 aura une épargne positive qu’il Section Data », in Post
desquelles il perçoit des revenus monétaires Keynesian Economics,
prêtera en période 1 à d’autres agents qui Rutgers University Press.
notés respectivement w1 et w2. Le couple lui rembourseront en période 2 le montant Friedman M. (1957),
constitue ce que les économistes appellent emprunté majoré des intérêts. Le contrat de A Theory of the
Consumption Function,
le profil intertemporel de revenu, mais aussi prêt définit le taux d’intérêt qui va jouer un Princeton (New Jersey),
la dotation initiale. De la même manière, nous rôle important dans la décision de consom- Princeton University
noterons c1 et c2, les dépenses de consomma- mation et d’épargne. Press.
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ZOOM Le point W correspond à la richesse de
l’agent, qui, comme nous l’avons souligné
précédemment, correspond au cas
LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE extrême dans lequel l’agent déciderait de
consommer l’intégralité de ses ressources
INTERTEMPORELLE durant la première période. À l’opposé,
le point Z correspondrait au choix inverse
1. La contrainte budgétaire intertemporelle d’un agent choisissant de consommer
toutes ces ressources en deuxième période
Ressources (c1 = (1+r) w0 + w1). Bien évidemment, tous
futures Z
les choix intermédiaires sont possibles. Par
Contrainte budgétaire exemple, si, partant de sa dotation initiale,
intertemporelle
un agent souhaite renoncer à une unité de
consommation présente, il peut obtenir
(1 + r) unités de consommation future à la
w2 D place. Ainsi, grâce à l’accès au marché des
fonds prêtables, tous les points du segment
de droite (ZW) constituent-ils des profils de
1+ r
consommations possibles, ceux entre lesquels
w1 W Ressources présentes l’agent a la possibilité de choisir. Ils ont pour
caractéristique d’avoir tous la même valeur
actualisée, égale à la richesse de l’agent.
L’axe des abscisses représente les quantités C’est la contrainte budgétaire intertemporelle.
de ressources en période 1 et l’axe des Formellement :
ordonnées les quantités de ressources en
période 2. Le profil intertemporel de revenu
c1 w1
c0 + = w0 +
de l’agent est donc représenté par le point
1+r 1+r
de coordonnées (w1, w2), point que nous
dénommons D, pour « dotation initiale ». Nicolas Drouhin
Pour un ménage ayant accès au marché des initial des ménages. On remarque que la
fonds prêtables, quelle est la quantité maxi- définition économique de la richesse est plus
male de dépense de consommation qui peut générale que celle du sens commun. L’agent
être réalisée en période 1 ? En fait, le ménage est riche non seulement de son revenu pré-
pourrait consommer la totalité de son sent et de son patrimoine, mais également
revenu de première période, majoré du mon- de tous ses revenus futurs. Ainsi, toutes les
tant maximum qu’il peut emprunter, c’est aptitudes, capacités et connaissances qui
à dire w1+w2 / (1 + r) puisque, dans ce cas, le permettront dans l’avenir de recevoir un
ménage devra rembourser w1, soit la totalité revenu font partie intégrante de la richesse.
de son revenu de seconde période. Le mon- On remarquera également que la richesse
tant w1 / (1 + r) correspond au pouvoir d’achat dépend du taux d’intérêt.
présent d’un revenu futur, ce que les écono- En présence d’un marché des fonds prêtables,
mistes et les actuaires dénomment valeur les ménages peuvent avoir, à chaque période,
actualisée. Le montant W = w1+w2 / (1 + r) une dépense de consommation différente de
définit ce que les économistes appellent la leur revenu. Ils peuvent emprunter ou prêter
richesse. C’est la somme des valeurs actuali- de l’argent. Mais, au bout du compte, tous les
sées des revenus présent et futurs, à laquelle montants empruntés ou prêtés devront être
il faut éventuellement ajouter le patrimoine remboursés et, in fine, seront consommés. Les
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ménages restent donc contraints par la valeur 2. La carte des préférences d’un ménage
actualisée de l’ensemble des ressources per- Préférence croissante
Ressources
futures
çues au cours de leur existence, c’est-à-dire
leur richesse. Le graphique 1 représente l’en-
semble des paniers de consommation pos-
c2b Cb
sibles pour les ménages (cf. Zoom p. 103).
Préférence croissante
Les préférences des ménages C
Ca
c2c
Comme dans le modèle microéconomique
de base des choix de consommation entre
deux biens, on suppose que les ménages sont
45°
capables de classer l’ensemble des profils c1b c1c Ressources présentes
intertemporels de consommation par ordre
de préférence. Pour connaître cet ordre de
préférence, on peut demander à un ménage de dépense de consommation présente, de
d’exprimer son choix entre deux profils C combien dois-je augmenter ma dépense de
et C’. En fonction de leurs goûts, il pourrait consommation future pour que ma satis-
répondre qu’ils préfère C à C’ ou au contraire faction reste la même ? » Cette notion a une
C’ à C, ou enfin, troisième possibilité, qu’ils interprétation graphique simple, il s’agit de
sont indifférents entre C et C’. la valeur absolue de pente de la tangente
Le graphique 2 est un exemple de carte des à la courbe d’indifférence en C. Sur le gra-
préférences. Chaque point du graphique est phique 2, on voit que le taux marginal de
un profil de consommation intertemporel. substitution tend à décroître lorsque l’on se
Chaque ligne courbe du graphique est une déplace de la gauche vers la droite, le long
courbe d’indifférence. Par exemple, Cb et Cc d’une courbe d’indifférence.
appartiennent à la même courbe d’indiffé- L’inverse de la vitesse à laquelle le TMS
rence : le ménage est indifférent entre les pro- décroît définit la deuxième notion impor-
fils de consommation Cb et Cc. Évidemment, tante, celle d’élasticité de substitution
cette « carte » est spécifique à un ménage par- intertemporelle, qui caractérise l’inten-
ticulier. sité de la réponse des agents à une varia-
La carte d’indifférence représentée au gra- tion du taux d’intérêt : si le taux d’intérêt
phique 2 possède un certain nombre de pro- augmente de 1 %, quelle est la variation de
priétés : la consommation présente du ménage ? Si
– les courbes d’indifférence ne se coupent l’élasticité de substitution intertemporelle
pas ; est très forte, cela signifie que les courbes
d’indifférences sont presque plates (le TMS
– elles sont ordonnées entre elles ;
décroît très lentement). Au contraire, si
– elles sont convexes. l’élasticité de substitution intertemporelle
Les préférences d’un ménage peuvent être est faible (proche de zéro) cela signifiera que
caractérisées par trois paramètres : le taux les courbes d’indifférence sont très coudées.
marginal de substitution, l’élasticité de subs- En pratique, cette élasticité va caractériser
titution intertemporelle et le taux de préfé- l’intensité de la réponse des agents à une
rence pour le présent. variation du taux d’intérêt.
Le taux marginal de substitution (TMS) On peut calculer le taux marginal de subs-
répond à la question suivante : « à la titution, le long de la première bissectrice,
marge, si je renonce à une petite quantité c’est-à-dire pour tous les profils correspon-
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3. Le choix de consommation et d’épargne
a) Épargne positive (ménage prêteur) b) Épargne négative (ménage emprunteur)
Ressources présentes
Ressources présentes
Z Z
w′2 D′
c2 C c2 C
w2 D
δ γ 1+r δ′ γ 1+r
c1 w1 W Ressources présentes
w′1 c1 W Ressources présentes
Épargne Épargne
négative
dant à une même dépense de consomma- sur la courbe d’indifférence la plus « en haut
tion aux deux périodes. En général, ce taux à droite » parmi celles qui ont au moins un
est supérieur à 1. Cela signifie que, pour ces point commun avec la contrainte. On com-
profils de consommation, si les ménages prend que c’est le profil de consommation C
renoncent à une unité de dépense de consom- qui va être choisi par le ménage. En effet, les
mation courante, il faut leur donner plus autres points de la contrainte sont situés sur
d’une unité de consommation future en plus, des courbes d’indifférence situées en dessous
pour qu’ils restent indifférents. Le pourcen- de celle qui passe par C et sont donc moins
tage de consommation qu’il faut leur donner satisfaisants pour le ménage. Les courbes
en plus définit le taux de préférence pour le d’indifférence située au-dessus de celle qui
présent. Un ménage souhaitera d’autant plus passe par C vont quant à elles au-delà de
consommer en première période que sa préfé- la contrainte budgétaire intertemporelle :
rence pour le présent est forte. elles sont donc inaccessibles compte tenu des
ressources.
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Un point remarquable qui découle de ce qui La richesse affecte donc le niveau de la
précède est que, lorsque les agents ont accès consommation : un ménage plus riche pourra
au marché des fonds prêtables, la pente du consommer plus aux deux périodes, mais le
profil de consommation, déterminé par le rapport c2 / c1 restera inchangé.
rapport entre la consommation présente et
Pour résumer, la décision de consommation
future ne dépend pas du profil de revenu.
et d’épargne est expliquée par la volonté des
Cette propriété n’est pas particulièrement
agents de répartir leur consommation de
intuitive, et c’est justement une des contri-
manière régulière au cours du temps. Le pro-
butions importantes de la théorie du choix
fil de consommation intertemporel possède
intertemporel que de permettre de la com-
deux caractéristiques essentielles :
prendre (cf. Zoom p. 103).
– la pente qui dépend du taux d’intérêt et des
Un résultat essentiel de la théorie de la
préférences des agents, caractérisées par le
consommation et de l’épargne est que le
taux de préférence pour le présent et l’élasti-
signe de la pente du profil intertemporel de
cité intertemporelle de substitution ;
consommation est uniquement déterminé
par la différence entre le taux d’intérêt (r) et – le niveau qui dépend de la richesse.
le taux de préférence pour le présent (θ). Ce Si le profil de consommation ne dépend en
résultat est extrêmement intuitif. Le taux de rien de la pente du profil de revenu, il en va
préférence pour le présent incite les agents différemment de l’épargne.
à consommer plus dans le présent que dans
le futur. Mais, de l’autre côté, le taux d’inté- Revenons au graphique 3. Dans le cas a,
rêt incite les agents à être patients. Plus le on voit que la consommation choisie en
taux d’intérêt est élevé, plus les ménages sont période 1, c1, est inférieure au revenu de
incités à différer leur consommation dans le période 1, w1. L’épargne est donc positive.
futur. On comprend bien que c’est la diffé- On pourrait faire le même raisonnement
rence de ces deux taux qui va déterminer quel à partir des pentes des profils de consom-
effet l’emporte. Si θ > r, les ménages consom- mation et de revenu. Dans le graphique 3a,
meront plus en début de vie qu’en fin de vie. la pente du profil de revenu (mesurée par
Au contraire, si θ < r les ménages consomme- l’angle δ) est plus faible que la pente du pro-
ront moins en début de vie qu’en fin de vie. fil de consommation (mesurée par l’angle γ).
Cet effet va être amplifié ou amorti selon la Puisque le profil de consommation et le pro-
valeur de l’élasticité de substitution inter- fil de revenu ont la même valeur actualisée,
temporelle du ménage considéré. Dans le si le revenu croît moins vite que la consom-
cas où l’élasticité intertemporelle de subs- mation, le ménage va être épargnant en
titution est forte (σ > 1), l’écart entre le période 1 et consommer plus que son revenu
taux d’intérêt et le taux de préférence pour en période 2.
le présent va avoir un effet amplifié sur la À l’inverse, dans le graphique 3b, c1 > w’1,
pente du profil de consommation. À l’in- l’épargne est négative, le ménage est
verse, lorsque l’élasticité est faible (σ < 1), emprunteur en première période. Le même
l’effet va être considérablement amorti, le raisonnement que précédemment peut être
cas limite étant que lorsqu’elle est proche fait sur les pentes des profils de consom-
de zéro : le profil de consommation sera mation. Quand le revenu croît moins vite
alors quasiment plat, le ménage choisissant que la consommation, le ménage va vouloir
de garder une consommation constante tout
emprunter en première période. En seconde
au long de la vie.
période, il remboursera son emprunt et sa
En revanche, les ménages restent soumis consommation sera alors plus faible que son
à la contrainte budgétaire intertemporelle. revenu.
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Effet d’une variation du taux d’intérêt 4. Effet de hausse du revenu courant
Ressources futures
et sur l’épargne Z
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ZOOM Le ménage du graphique 5b a les mêmes
préférences que celui du graphique 5a (les
courbes d’indifférences sont les mêmes). Il a
L’IMPACT D’UNE HAUSSE la même richesse initiale (les deux contraintes
budgétaires de départ sont confondues). La seule
DU TAUX D’INTÉRÊT SUR LA différence est la structure de la richesse. Le
ménage du graphique 5a perçoit des ressources
CONSOMMATION ET L’ÉPARGNE aux deux périodes alors que celui du graphique
5b dispose de l’intégralité de sa richesse en
Commençons par analyser le graphique 5a. Nous
période 1. Le point de dotation initiale est
raisonnons à profil de revenu donné, c’est-à-dire
donc situé sur l’axe des abscisses. Ce serait
à dotation initiale donnée (D est donc invariant).
typiquement le cas d’un ménage « rentier » qui
En revanche, le taux d’intérêt définit la pente
disposerait d’un patrimoine initial important
de la contrainte budgétaire auquel appartient
et ne travaillerait pas. Ce ménage épargne
le point D. Puisque D est invariant, cela signifie
plus, puisqu’il doit financer l’intégralité de sa
que la hausse du taux d’intérêt se traduit par un
consommation de période 2 par son épargne.
pivotement de la contrainte budgétaire autour du
Il est donc relativement plus enrichi par la
point de dotation initiale. Quel va être l’effet sur
hausse du taux d’intérêt. L’effet de substitution
la consommation ? L’effet de substitution va se
est le même pour les deux ménages puisque
traduire par un déplacement de la consommation
les préférences sont les mêmes. C’est donc
vers un rayon formant un angle plus élevé par
sur le même rayon (d’angle γ′) que va se situer
rapport à l’axe des abscisses (γ → γ′). C’est
la nouvelle consommation. Mais la contrainte
l’intersection de ce rayon avec la nouvelle
budgétaire pivotant autour d’un point de dotation
contrainte budgétaire qui détermine le nouveau
initiale « beaucoup plus à droite », la hausse
point de consommation C’. Dans le graphique 5a,
du taux d’intérêt implique que la consommation
la nouvelle consommation en période 1 est plus
en période 1 est plus élevée qu’initialement.
faible après la hausse du taux d’intérêt. Comme
Donc l’épargne diminue avec la hausse du taux
le revenu de première période est invariant,
d’intérêt. Dans le graphique 5b, l’effet de richesse
l’épargne augmente.
l’emporte donc sur l’effet de substitution.
Nicolas Drouhin
5. Effet d’une hausse du taux d’intérêt sur la consommation et sur l’épargne de ménages
initialement épargnant
a) Cas intuitif b) Cas contre-intuitif
Ressources futures
Ressources futures
C
c2 C c2
w2
D
γ γ′ w2 γ γ′ D
c′1 c1 w1 W Ressources présentes c1 c′1 W=w1 Ressources présentes
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le cas des ménages initialement emprunteurs, négatif, est une contribution essentielle de la
les deux effets jouent dans le même sens : la théorie du choix intertemporel à l’analyse éco-
hausse du taux d’intérêt implique une baisse nomique. Elle a de nombreuses implications
de la consommation présente et donc une pratiques. Ainsi, il n’est pas du tout évident
hausse de l’épargne (c’est-à-dire une baisse qu’une hausse de la fiscalité sur les revenus
du montant emprunté). En revanche, pour du patrimoine (assimilable à une baisse du
un ménage initialement prêteur (c’est-à- taux d’intérêt effectivement perçu par les
dire dont l’épargne est positive en première ménages) implique une baisse de l’épargne,
période), effet de substitution et effet de contrairement à ce que qui est généralement
richesse jouent en sens inverse. L’effet total affirmé. Dans le cas, réaliste, d’une élasticité
va être ambigu. Le graphique 5 illustre ces de substitution intertemporelle faible, c’est
possibilités (cf. Zoom p. 108). au contraire une hausse de l’épargne qui est
La meilleure compréhension des effets pos- prévisible pour les plus hauts patrimoines.
sibles d’une hausse du taux d’intérêt sur
l’épargne, incluant la possibilité d’un effet
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Le rôle économique de l’État est majeur dans les pays développés puisque la dépense publique
y représente entre 35 % et 57 % du PIB. Si certains domaines d’intervention – principalement
les fonctions régaliennes – font l’unanimité, d’autres – dépenses sociales, production de biens
et services collectifs – suscitent plus de débats. Laurent Simula rappelle les principaux
domaines et justifications de l’action publique avant de faire le point sur sa définition et sa mise
en œuvre. Il rappelle que si les défaillances du marché appellent l’intervention des pouvoirs
publics, il est important de considérer aussi les défaillances de ces derniers.
Problèmes économiques
L’intervention publique
L’État au sens large regroupe l’État central, LAURENT SIMULA
les collectivités territoriales et les admi-
nistrations de sécurité sociale. Il constitue Université d’Uppsala, Suède
aujourd’hui un acteur économique majeur
– les dépenses d’investissement visent à
dans l’ensemble des pays développés. Pour-
renouveler ou à accroître le capital public
tant, cela n’a pas toujours été le cas, jusqu’à
(achat de matériels et de mobiliers, construc-
récemment. S’il appartient aux historiens
tions de bâtiments et d’infrastructures) ;
et aux sociologues d’expliquer cette évo-
lution, la science économique permet de – les dépenses de transfert modifient la répar-
comprendre pourquoi la main invisible du tition primaire des revenus par le marché.
marché ne peut se passer de la main visible On peut distinguer les transferts en nature
de l’État. (prise en charge des dépenses de médica-
ments ou de soins, enseignement gratuit…)
et les transferts en numéraire, subventions
Une intervention multidimensionnelle aux entreprises et revenus sociaux versés
aux ménages (retraite, allocations familiales,
L’intervention publique est un phénomène minima sociaux…).
pluriel. Il est en effet possible de distinguer
En 2012, la dépense publique représentait
six domaines principaux d’action (cf. Zoom
entre 35 % et 57 % du PIB parmi les États
p. 111).
membres de l’Union européenne. La carte 1
En fonction de l’importance relative de chacun permet de distinguer divers modèles d’inter-
de ces domaines, on obtient différents modèles vention et souligne la position particulière
d’intervention publique, allant de l’État mini- occupée par la France.
mal centré sur les fonctions régaliennes à De façon plus générale, l’importance de la
l’interventionnisme le plus poussé. Il est inté- dépense publique constitue un phénomène
ressant à ce titre de considérer le volume et récent, comme en témoigne son évolution
la structure des dépenses publiques. Celles-ci sur plus d’un siècle (voir graphique). Avant
peuvent être classées en trois catégories : la Première Guerre mondiale, la dépense de
– les dépenses de fonctionnement servent l’État représentait, en France comme dans les
à la bonne marche des services publics, à autres pays occidentaux, entre 10 % et 15 % du
l’exemple des dépenses courantes de person- PIB. L’intervention publique se limitait alors
nel et d’entretien ; essentiellement aux fonctions régaliennes
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ZOOM non marchands pour les ménages et les
entreprises. Des services publics et des
entreprises jouant un rôle économique
LES DOMAINES PRINCIPAUX essentiel ou stratégique peuvent également
être contrôlés par l’État. Par exemple,
DE L’INTERVENTION PUBLIQUE l’État français contrôle directement ou
indirectement près de 87 % du capital d’Areva,
1. Définir et appliquer des règles du jeu.
dont les activités sont principalement liées
Selon la formule de Lacordaire, entre le fort
à l’énergie nucléaire.
et le faible, c’est la liberté qui opprime et la
loi qui libère. Des lois, une justice, une police 5. Contribuer à la résolution de problèmes et
et une armée chargée de la sécurité nationale agir comme médiateur. Les pouvoirs publics
sont nécessaires à l’échange marchand. L’État peuvent favoriser l’émergence de solutions,
s’assure également du respect des règles par exemple lorsque des entreprises sont
de la concurrence et supervise certaines en difficulté, lors de fusions-acquisitions
activités (professions réglementées, marchés ou de délocalisation. Leur marge d’action
financiers…). est cependant limitée comme le montre
la fermeture des hauts fourneaux lorrains
2. Émettre et gérer la monnaie. Cette fonction
d’ArcelorMittal (2012-2014).
est généralement assurée aujourd’hui par
une banque centrale qui conduit la politique 6. Négocier des accords avec d’autres pays.
monétaire selon les règles fixées par la Ces accords peuvent concerner chacun des
puissance publique (les traités au sein de la domaines que nous venons de mentionner.
zone euro). On peut penser en particulier à l’ensemble
des accords qui ont permis la création du
3. Lever l’impôt et dépenser les recettes
« marché intérieur » de l’Union européenne,
publiques. Les politiques fiscale et budgétaire
aux règles régissant le commerce
modifient les arbitrages des ménages et des
international dans le cadre de l’Organisation
entreprises, influencent la productivité globale
mondiale du commerce (OMC) ou encore
de l’économie (dépenses en infrastructures,
aux négociations relatives à la réduction
éducation, recherche…) ainsi que le niveau de
des émissions de gaz à effet de serre
la demande agrégée.
(protocole de Kyoto).
4. Produire des biens et des services. L’État
au sens large produit des biens et services Laurent Simula
que sont la loi, la justice, la police, la défense de la concurrence afin d’éviter les pratiques
et la monnaie. C’est avec la crise des années déloyales contraires à l’intérêt public. Au-
1930 puis au cours des Trente Glorieuses que delà des missions régaliennes, l’intervention
l’intervention publique dans l’économie a publique dans les pays développés est donc
connu une progression marquée. Jusqu’à la loin de se limiter à la dépense. Cette évolu-
fin des années 1970, de nombreux États inter- tion correspond à la fois à une redéfinition
venaient directement dans l’économie, dans des objectifs et des instruments d’action des
le secteur de l’énergie, des transports ou des pouvoirs publics.
banques. Ce modèle n’était pas très propice
à la recherche de l’efficacité et à l’innovation.
Il a progressivement cédé la place, dans les Pourquoi intervenir ?
années 1980 et 1990, à une intervention plus
indirecte, fondée sur deux volets : régulation
Les trois piliers de l’action publique
des monopoles naturels (réseau ferré, d’élec- La justification de l’intervention publique est
tricité, de distribution du gaz) et politique avant tout d’ordre normatif et s’appuie sur
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trois piliers principaux : allocation des res- 1. Dépense publique en 2012 (en % du PIB)
sources, stabilisation de l’activité et redis-
tribution. Les fonctions d’allocation et de > 55 %
stabilisation ont avant tout pour objectif la 50 à 55 %
meilleure efficacité de l’économie. La fonction 45 à 50 %
40 à 45 %
de redistribution permet l’obtention d’une 35 à 40 %
répartition des richesses plus équitable. Ces < 35 %
trois champs d’action soulignés par Richard
[1]
Musgrave1 ne sont pas cloisonnés et, en pra- Musgrave R. (1959),
Theory of Public Finance,
tique, de nombreuses mesures ont des effets
New York, McGraw Hill.
dans chacun d’entre eux. Il est cependant
utile de les examiner un à un afin de mieux
cerner la raison d’être de l’action publique.
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2. Dépenses et recettes publiques en France, des connaissances qui bénéficient à la col-
1872-1974 (en % du PIB) lectivité dans son ensemble, soit immédiate-
ment soit lorsque les brevets tombent dans
% Dépenses le domaine public. Ces externalités sont au
Recettes totales fondement des théories de la croissance
50 endogène. Le problème est que le bénéfice
Recettes fiscales
40 marginal social de ces activités est supérieur
30 au bénéfice marginal privé. Par conséquent,
le libre jeu du marché conduit à un niveau
20
d’activités inférieur à celui qui prévaudrait
10 à l’optimum de Pareto. Il existe différentes
façons de corriger les externalités. L’État
peut redéfinir les droits de propriété, en don-
50
60
70
0
80
7
4
19
19
19
18
18
18
19
19
19
19
19
19
nant par exemple aux riverains d’une usine le
Source : André Ch. et Delorme R. (1991), « Deux siècles de finances droit à un air propre. Il peut également fixer
publiques : de l’État circonscrit à l’État inséré », Revue d’économie
financière, vol.1, hors-série. des quotas ou introduire une fiscalité cor-
rectrice afin d’égaliser les coûts marginaux
de limiter l’entrée de firmes concurrentes, privés et sociaux dans le cas des externalités
pourtant porteuses d’idées nouvelles et négatives. Au contraire, il peut subvention-
potentiellement sources de progrès. La poli- ner les agents en cas d’externalités positives,
tique de la concurrence a pour objectif de afin d’inciter l’agent (investisseur ou consom-
limiter les pratiques déloyales faisant obs- mateur) à augmenter son activité jusqu’au
tacle au fonctionnement sain des marchés. niveau qui maximise le bien-être social.
Il peut s’agir par exemple de l’interdiction
des ententes ou des abus de position domi-
Biens publics
nante, ou encore de l’interdiction de la vente Les biens publics soulèvent des difficultés
[2]
Pratique commerciale à perte et de l’encadrement des ventes liées2. proches des externalités. Il s’agit de biens
consistant à subordonner La politique de la concurrence est l’un des ou services consommés collectivement,
la vente d’un produit
à l’achat d’un autre. piliers de la construction européenne. Elle sans rivalité ni exclusion entre les usagers,
fait partie des compétences communes attri- à l’exemple du savoir et des techniques (à
[3]
Sur les asymétries l’issue de la période de protection par les
d’information, voir dans
buées à la Communauté économique euro-
ce même numéro l’article péenne (CEE) par le traité de Rome de 1957. brevets). Dans la mesure où de nombreux
d’Anne Corcos agents peuvent profiter de ces biens sans en
et François Pannequin, Externalités payer le prix, le marché produit spontané-
p. 58.
Par ailleurs, en présence d’externalités, les ment ces biens en quantité insuffisante par
arbitrages individuels ne tiennent pas compte rapport au niveau Pareto-optimal. Les pou-
des effets de la production ou de la consom- voirs publics peuvent financer la production
mation sur les autres agents. Les externali- de ces biens, ou bien créer des institutions
tés sont « négatives » lorsqu’elles diminuent chargées de protéger ceux qui les produisent
l’utilité de ces autres agents. On peut penser des comportements de « passagers clandes-
à une entreprise pétrochimique qui pollue tins », sans pour autant porter préjudice au
l’atmosphère. Dans ce cas, les externalités bon fonctionnement de la concurrence et à
conduisent à un niveau de pollution supé- l’innovation.
rieur à l’optimum de Pareto. En ce sens, il y
a « trop » de pollution. Mais les externalités Défauts d’information
peuvent également augmenter l’utilité des Tous les agents ne disposent pas de la même
autres agents. Elles sont alors « positives ». information3. Lorsqu’une entreprise sou-
La recherche développement génère souvent haite recruter un nouvel employé, elle ne peut
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observer directement sa productivité et est tive) leur garantissant une protection contre
donc contrainte d’inférer celle-ci sur la base les risques santé ou vieillesse. Les pouvoirs
de certains signaux, comme ses diplômes ou publics peuvent donc organiser un dispositif
bien les lettres de recommandation adressées obligatoire (épargne forcée) afin de corriger
par ses précédents employeurs. L’employeur les problèmes liés à l’horizon temporel trop
dispose donc d’une information imparfaite court de certains ménages.
en ce qui concerne le « type » (ici la producti- Toutes ces défaillances du marché, d’ordre
vité) des employés potentiels qu’il interviewe. essentiellement microéconomique, justi-
Il fait face à un problème d’antisélection. En fient une intervention publique structurelle.
outre, une fois le contrat d’embauche conclu, Ces mesures de régulation ont pour objectif
rien ne garantit que l’employé se consa- d’accroître l’efficacité des marchés de façon
crera sérieusement aux tâches qui lui seront durable et d’élever le trend de croissance de
confiées. L’employeur dispose d’une informa- l’économie à long terme.
tion imparfaite en ce qui concerne le compor-
tement ultérieur à la signature du contrat. Stabilisation de l’activité
On parle alors d’aléa moral. En raison de ces
deux problèmes informationnels, l’entreprise Il convient de distinguer le trend de crois-
peut hésiter à embaucher lorsque les formali- sance, correspondant au niveau de croissance
tés de licenciement sont très contraignantes. « potentiel » (YP), du niveau de l’activité écono-
L’intervention publique peut alors consister mique à court terme (YT). La différence YT–YP
à réformer les contrats de travail. Les pays correspond à l’écart de production (output
d’Europe du Nord ont ainsi réformé le marché gap), positif en cas de surchauffe de l’écono-
du travail afin d’autoriser une plus grande mie et négatif en cas de crise. Les politiques
facilité de licenciement pour les entreprises publiques de stabilisation cherchent à minimi-
tout en accordant des indemnités plus impor- ser cet écart. Tout comme les politiques corri-
tantes aux salariés licenciés qui bénéficient geant l’allocation des ressources, elles ont pour
en outre d’une formation professionnelle per- maître mot l’efficacité. Cependant, alors que
sonnalisée (flexisécurité). les premières ont à dessein d’élever le niveau
Les problèmes d’information peuvent même de croissance potentiel, les secondes ont pour
aboutir à l’effondrement et à la disparition objectif de faire coïncider croissance effective
de certains marchés, comme l’a souligné et croissance potentielle à court terme. Elles
George A. Akerlof, prix Nobel d’économie sont donc essentiellement conjoncturelles.
2001. Le système de marché est alors incom- Ces fluctuations de court terme peuvent
plet. Il est par exemple difficile pour un étu- résulter d’une part de mauvaises anticipa-
diant d’emprunter pour financer ses études tions par les agents. Les sentiments et émo-
dans une université française. L’État peut tions humaines, les « esprits animaux » selon
alors proposer des bourses à destination de l’expression de Keynes, peuvent conduire
ces étudiants, ou encore créer des dispositifs à des prises de décisions peu rationnelles.
spécifiques de prêt4, afin de corriger l’incom- Les fluctuations peuvent également résulter [4]
On peut citer sur ce
plétude spontanée des marchés. de rigidités microfondées. Ces « viscosités » point les travaux de
Robert Gary-Bobo et
limitent les ajustements de prix à court terme, Alain Trannoy. Voir par
Problèmes de rationalité intertemporelle sur le marché du travail (salaires), des biens exemple : Gary Bobo R.
Enfin, les agents peuvent prendre à court (prix) et de la monnaie (taux d’intérêt). Par et Trannoy A. (2008),
« Efficient Tuition Fees
terme des décisions qui ne maximisent pas exemple, en raison de l’asymétrie d’informa- and Examinations »,
leur utilité sur l’ensemble de leur cycle de tion sur le marché du travail, un employeur Journal of the European
vie. Par exemple, les jeunes actifs ne sont pas Economic Association,
peut fixer le salaire à un niveau supérieur
vol. 6, no 6.
nécessairement conscients de l’importance à la productivité de ses salariés, pour deux
de disposer d’une épargne (privée ou collec- raisons tout à fait rationnelles : attirer les
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meilleurs éléments, d’une part, et encoura- égalitaire et une société pauvre. La théorie de
[5]
Les salariés ger l’effort, d’autre part5. Le salaire ne jouant la fiscalité optimale fondée par James A. Mirr-
qui tireraient au flanc lees, Prix Nobel d’économie 1996, a pour objec-
plus le rôle de variable d’ajustement sur
ne trouveraient pas
d’emploi aussi bien le marché du travail, le marché du travail tif de trouver le meilleur compromis entre les
rémunéré par la suite. s’ajuste par les quantités, ce qui est source deux objectifs, compte tenu d’une conception
[6] de déséquilibres macroéconomiques. donnée de la justice sociale.
Mirrlees J. (1986),
« The Theory of Optimal
La macroéconomie contemporaine utilise le Dans certains cas cependant, les politiques
Taxation », in de redistribution peuvent contribuer à une
Arrow K. J. et modèle offre globale/demande globale, qui
Intrilligator M. D. intègre ces diverses rigidités, afin d’appré- meilleure efficacité. On peut citer les mesures
(eds), Handbook of
hender quelles politiques de stabilisation facilitant l’accès des ménages pauvres aux
Mathematical Economics, soins médicaux et à l’éducation, qui corrigent
vol. 3, Amsterdam, sont efficaces. Ce modèle distingue notam-
Elsevier. les inégalités, mais contribuent aussi à l’aug-
ment deux types de choc, à l’origine de l’écart
mentation de leur productivité et permettent
de production. Les chocs d’offre affectent la
donc des gains d’efficacité. En outre, de façon
relation entre production et prix, à l’exemple
plus générale, il semble y avoir sur le long
des chocs pétroliers ou technologiques. Les
terme une corrélation positive entre le niveau
chocs de demande modifient quant à eux la
de la croissance potentielle et la faiblesse des
relation entre demande et prix. La réunifi- inégalités : les sociétés les plus riches sont
cation allemande après 1989 constitue un moins inégalitaires que les plus pauvres.
exemple de ce type de choc, la reconstruction
dans les nouveaux Länder ayant créé une
forte demande supplémentaire. L’efficacité
relative des politiques budgétaire, monétaire
Comment intervenir ?
et fiscale dépend de la nature des déséqui- De la définition à la mise en œuvre
libres macroéconomiques ; il est donc essen-
tiel de les identifier clairement afin de rendre des politiques publiques
l’intervention publique efficace. Le cheminement logique qui préside à la
détermination de l’intervention publique pro-
Redistribution des richesses cède en trois temps. Il convient tout d’abord
de s’entendre sur les objectifs poursuivis
Une allocation des richesses efficace peut par le décideur public. Ces objectifs peuvent
être jugée inéquitable selon les critères de notamment résulter d’un processus démo-
justice sociale retenus par la puissance cratique. Il s’agit ensuite d’examiner les dif-
publique. L’intervention publique peut alors férents moyens d’atteindre les fins poursui-
chercher à la rendre plus équitable, par vies, compte tenu des contraintes matérielles,
exemple, en maximisant le bien-être des institutionnelles ou informationnelles. Enfin,
plus mal lotis (« maximin »). il reste à identifier la meilleure solution réa-
Elle peut tout d’abord mobiliser le système lisable, celle qui satisfait au mieux les objec-
socio-fiscal (impôts et prestations sociales). Le tifs au sein de l’ensemble des possibles. On
problème est que les transferts monétaires et suit ainsi la démarche préconisée par James
les impôts modifient dans la plupart des cas Mirrlees (1986)6 : « Une bonne façon de gou-
les arbitrages des agents. Par exemple, l’impôt verner est de s’entendre sur les objectifs,
sur le revenu modifie les arbitrages travail/ découvrir ce qui est possible et optimiser. »
loisir. En raison de l’effet de substitution, un
agent riche peut avoir tendance à travailler Le socle normatif :
moins ou à réduire son niveau d’effort. L’agré- la définition des objectifs
gation de ces effets induit une perte sèche pour
la société. Il existe ainsi un arbitrage entre L’approche « bien-êtriste » considère que le
l’équité et l’efficacité, entre une société très bien-être social procède de l’agrégation des
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utilités individuelles. Les différents poids (dépense publique et fiscalité) constituent
sociaux utilisés lors de ce calcul dépendent les deux volets de l’intervention macroé-
de l’aversion de la société envers les inégali- conomique conventionnelle. On trouve à
tés. Si cette aversion est infinie, par exemple, leurs côtés un ensemble riche d’instruments
tous les agents auront un poids social nul, microéconomiques : réglementation, dans
à l’exception des plus mal lotis. On obtient le domaine de la concurrence, par exemple ;
alors la solution « maximin » qui s’inspire structure des prélèvements directs et indi-
de la philosophie de John Rawls. Si, à l’in- rects, sur les ménages et sur les entreprises ;
verse, le poids social est identique pour tous transferts au titre de la sécurité sociale ;
les individus, l’objectif social correspon- investissements publics dans des domaines
dra à la simple maximisation de la somme stratégiques, etc.
des utilités individuelles. On retrouve alors L’efficacité de ces instruments est limitée par
l’utilitarisme de Jeremy Bentham. Amartya certaines contraintes. Par exemple, la poli-
Sen, Prix Nobel d’économie 1998, a souligné tique de régulation des monopoles est sou-
le rôle des libertés substantielles en matière mise à deux difficultés, comme l’ont montré
de justice sociale. Ces libertés sont par Jean-Jacques Laffont et Jean Tirole, lauréat
exemple la faculté d’échapper à la famine, à du prix Nobel d’économie 20148. D’une part, le
la malnutrition, à la morbidité évitable et à régulateur a une information très incomplète
la mortalité prématurée, aussi bien que les sur les capacités du monopole, en matière de
libertés qui découlent de l’alphabétisation, réduction des coûts et d’innovation. D’autre
de la participation politique ouverte ou de la part, le monopoleur peut craindre d’être [7]
libre expression7. exploité par le régulateur dans le futur s’il
Sen A. (2000), Un
nouveau modèle
Si la conception de la justice constitue le divulgue certaines informations. Ce sont économique.
point de mire de l’intervention publique, il est aussi des problèmes de crédibilité qui ont Développement, justice,
liberté, éditions
en pratique souvent nécessaire de définir des motivé le transfert de la politique monétaire Odile Jacob.
objectifs intermédiaires. Il peut par exemple à des banques centrales indépendantes. Au
[8]
s’agir du niveau de vie, du plein emploi, de la sein de la zone euro, la Banque centrale euro- Laffont J.-J. et
Tirole J. (1993),
stabilité des prix, de la répartition des reve- péenne a pour seule mission le maintien de la A Theory of Incentives
nus ou de l’accès de tous aux services essen- stabilité des prix. Une contrainte institution- in Procurement and
tiels (à l’exemple de la CMU en France). Ainsi, Regulation, Cambridge,
nelle interdit l’utilisation de cet instrument à MIT Press.
le Full Employment and Balanced Growth des fins concurrentes.
Act de 1978 définit les objectifs de la poli- De façon plus large, l’efficacité des instru-
tique économique des États-Unis : croissance ments de l’action publique dépend de l’envi-
stable, plein emploi, inflation faible, équilibre ronnement institutionnel. Douglas C. North,
budgétaire et équilibre de la balance des Prix Nobel d’économie 1993, a souligné l’im-
paiements. Ces différents objectifs intermé- portance des institutions publiques, mais
diaires sont parfois contradictoires et il est aussi de droit privé, comme les syndicats,
alors nécessaire de les hiérarchiser. dans le processus de croissance. Ces institu-
tions influencent le fonctionnement des mar-
Les contraintes positives : chés, notamment du marché du travail.
des instruments en nombre limité
et à l’efficacité circonscrite L’État stratège
Une fois les objectifs définis, il convient de L’intervention publique doit disposer d’un
faire l’inventaire des instruments d’action nombre d’instruments au moins égal au
disponibles et de tenir compte de leurs nombre d’objectifs visés. Il est sinon impos-
limites respectives. La politique monétaire sible d’atteindre tous les objectifs simultané-
(action sur les taux d’intérêt) et budgétaire ment (règle de Tinbergen).
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En pratique, les objectifs sont souvent bien décision en démocratie. Il est par nature
plus nombreux que les instruments. L’inter- difficile de dégager l’intérêt général à partir
vention publique apparaît dès lors comme des intérêts particuliers, comme l’a montré
une succession d’arbitrages entre différentes la théorie du choix social à la suite de Ken-
fins, mais également entre différents hori- neth Arrow. En outre, la définition des objec-
zons, en fonction des préférences du décideur tifs peut être influencée par certains lobbies.
public pour le plus ou moins long terme. On À cela s’ajoutent des délais peu compres-
peut ainsi penser à l’endettement public, qui sibles. La prise de décision en démocratie
peut être bénéfique à court terme mais qui repose sur un processus relativement lourd.
représente une lourde charge pour les géné- En raison de problèmes d’agenda, certaines
rations futures lorsqu’il atteint des niveaux mesures, appliquées trop tard, peuvent
excessifs. Pour chaque politique envisagée, s’avérer moins efficaces que prévu et même
l’État doit opérer une analyse coûts/béné- parfois avoir l’effet inverse du but recher-
fices. Aux côtés des coûts directs, il convient ché. D’autres aspects sont liés au fonction-
d’ajouter les coûts d’opportunité, les res- nement même des administrations et des
sources consacrées à une politique donnée organismes publics. Comme toute forme
n’étant pas disponibles pour conduire une d’organisation, ces derniers peuvent avoir
politique alternative. tendance à se « bureaucratiser » et adop-
L’État peut opérer soit des arbitrages à la ter des comportements « routiniers » qui en
marge soit des arbitrages structurels. Ainsi, limitent l’efficacité. Frank Kafka décrit ainsi
la courbe de Phillips, très populaire dans dans Le Château une administration dans
les années 1970, décrit une relation néga- laquelle « les gens travaillent à leur propre
tive entre l’inflation et le taux de chômage. confusion ».
Un arbitrage à la marge consiste à prendre ***
des mesures pour se déplacer le long d’une S’il n’existe pas un modèle unique d’interven-
courbe donnée. Un arbitrage structurel repo- tion publique, certaines formes d’interven-
sera sur un ensemble de politiques suscep- tion se révèlent plus efficaces que d’autres.
tibles de déplacer la courbe elle-même et de Les nouvelles théories de la régulation, aux-
changer ainsi de régime. quelles Jean-Jacques Laffont et Jean Tirole
ont énormément contribué, ont souligné que
Des défaillances du marché le « sens commun » conduisait souvent à
aux défaillances de l’État l’adoption de mesures sous-optimales. L’éva-
luation, en amont comme en aval, apparaît
Le processus que nous venons de décrire, dès lors un élément indispensable à la légiti-
allant de la définition des objectifs à la mise mité de l’intervention publique.
en œuvre des politiques publiques, n’est
pas aussi lisse qu’il y paraît. Certaines dif-
ficultés sont inhérentes à la prise même de
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Lieu abstrait de rencontre entre offreurs et demandeurs, le marché est théorisé par les écono-
mistes comme un mode de coordination particulièrement efficient : une unique variable, le
prix, permet en effet d’ajuster les intérêts d’une multitude d’agents. S’intéressant avant tout
aux conditions qui permettent aux marchés de bien fonctionner, les économistes ont tendance
à délaisser la question de leur élaboration et de leur place au sein de la société, réduisant
même parfois les liens sociaux à des liens marchands ou à des liens imparfaits qui gagneraient
à être conformes à l’idéal du marché.
François Vatin présente ici l’approche du marché développée par la sociologie économique :
mêlant les conceptions des économistes et des sociologues, elle analyse la diversité de
l’échange, fonctionnant selon des mécanismes hybrides relevant tout autant de la logique
économique que des valeurs et conventions sociales.
Problèmes économiques
Marché et marchés :
une approche institutionnelle
des modalités de l’échange
économique
Marché et société FRANÇOIS VATIN
Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense
L’approche des économistes
Pour la science économique, le marché est un « pur et parfait » pour définir les normes selon
concept, sans cesse retravaillé depuis trois lesquelles doit s’exercer la concurrence (ato-
siècles. Il vise à concevoir les modalités de micité des agents offreurs et demandeurs,
l’échange dans une situation abstraite où homogénéité des produits, liberté d’entrée et
s’ajustent autour d’une seule variable – le prix de sortie, transparence de l’information). C’est
– les intérêts opposés des vendeurs et des ache- à ces conditions exclusives, en effet, que l’on
teurs. Le plus souvent, l’économiste contem- aurait affaire à un « vrai » marché, conforme
porain, héritier de la pensée de Léon Walras, à la théorie. La formulation d’un tel concept
ajoutera au terme de « marché » les adjectifs n’empêche aucunement les économistes d’être
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conscients par ailleurs que les formes sociales nature la plonge dans l’historicité, rétros-
d’échange observables sont plus ou moins pective comme prospective (le problème du
proches d’un tel schéma et en sont parfois « changement social »). Or c’est précisément
même très éloignées. cette historicité que tend à gommer la théo-
[1]
Steiner Ph. et
Une telle conceptualisation ne s’oppose pas rie économique en proposant, sous la figure
Vatin F. (2013), « Le fait
forcément au point de vue du sociologue éco- du marché, une algèbre universelle et intem-
économique comme
fait social », in Traité de nomiste, si on y voit un idéal-type au sens porelle des relations sociales.
sociologie économique,
Paris, PUF, 2e édition, de Max Weber. Elle devient problématique La leçon d’Émile Durkheim rejoint alors
introduction, p. 1 à 11. en revanche dans le cadre de deux régimes celle de Karl Marx quand il critiquait le
[2] argumentatifs que pratiquent parfois les « fétichisme de la marchandise » des éco-
Durkheim É. (1901)
[1988], Règles de la économistes : nomistes classiques4. Ceux-ci auraient,
méthode sociologique, selon ce dernier, pris les « relations entre
Paris, Flammarion, coll. – si on attache au concept une valence histo-
les hommes » pour des « relations entre les
« Champs », préface à rique universelle, comme si les liens entre les
la 2e édition, p. 90. choses » ; ils hypostasieraient la société
hommes avaient toujours été des liens mar-
capitaliste de marché qui serait pour eux
[3]
Durkheim É. (1895), chands, l’étaient tous aujourd’hui et devaient
la forme universelle et intemporelle des
Les Règles de la méthode toujours l’être jusqu’à la fin des temps
sociologique, op. cit., relations sociales ; ils naturaliseraient en
(« naturalisation » du marché) ;
chapitre 2. ce sens le marché comme une forme indé-
[4] – si l’idéal théorique est mué en idéal social, passable d’organisation économique de
Marx K. (1867) [1993],
Le Capital, livre Ier, avec l’idée qu’il faudrait en toutes circons- la société. Par cette vive critique, Marx ne
chapitre 1er, § 4, tances rapprocher la réalité du concept en répudiait pas pour autant la théorie éco-
« Le caractère fétiche
de la marchandise et
transformant les liens sociaux concrets nomique. Il considérait au contraire celle-
son secret », Paris, PUF, « imparfaits » en véritables liens marchands ci, dans sa forme la plus achevée (selon lui,
p. 81 à 95. conformes à l’idéal théorique (« normalisa- celle de Ricardo), comme une clé de lecture
[5]
Il faut ici rappeler la tion » du marché). incontournable de la société de son temps.
définition canonique de Il entendait seulement historiciser les caté-
la science économique
par Lionel Robins en L’approche du sociologue gories naturalisées par Ricardo.
1932 : « Science qui
étudie le comportement Pour le sociologue, les « faits économiques » L’approche de la sociologie
humain comme une
sont des « faits sociaux » comme les autres
relation entre des fins économique
et des moyens rares et relèvent en ce sens d’une investiga-
qui ont des usages tion « positive » : il faut les décrire pour Dans le sillage de Marx, la sociologie écono-
alternatifs. » La notion
de marché n’est pas
en expliquer la cohérence et la façon dont mique, quand elle s’intéresse au marché, ne
explicitement présente ils s’insèrent dans la dynamique globale peut ignorer la conceptualisation des écono-
dans cette définition des sociétés1. Le marché est en ce sens mistes. Mais elle prend pour une question,
qui pose la théorie
économique comme la une « institution » sociale, selon le sens ce que les économistes posent comme un
science de l’allocation qu’Émile Durkheim a donné à ce terme : postulat : l’existence même du « marché ». Il
rationnelle (optimale) « toutes les croyances et tous les modes de faut ici faire une remarque qui, derrière son
des moyens aux fins.
Mais, selon la théorie conduite institués par la collectivité2 ». Les apparence terminologique, est en fait de pre-
néoclassique, le marché institutions sont le produit de l’histoire mière importance. Si l’on considère, comme
constitue l’instrument
efficace d’une telle
des sociétés ; elles sont ce dont les indi- il est fait communément, que la théorie éco-
allocation optimale. vidus sociaux héritent, qu’ils ne peuvent nomique est la science qui étudie la forma-
Notons toutefois que modifier par simple effet de leur volonté. tion des prix sur un marché, alors, toute éco-
l’économiste polonais
Oskar Lange avait
Elles se présentent donc à eux comme des nomie est nécessairement « marchande5 ». A
montré, dès les années « contraintes », ce qui justifie la formule si contrario, pour fonder son programme, la
1930, la convergence du controversée de cet auteur selon laquelle sociologie économique exige une définition
marché pur et parfait
et de la planification il faut « prendre les faits sociaux pour des plus large de l’économie, comme agence-
parfaite. choses3 ». Mais le caractère social de cette ment des relations entre les hommes visant
119 MARCHÉ ET MARCHÉS : UNE APPROCHE INSTITUTIONNELLE DES MODALITÉS DE L’ÉCHANGE ÉCONOMIQUE
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à la reproduction matérielle de la société.
Cette définition couvre les champs classi- Institution historique du marché :
quement reconnus comme « économiques » :
la production, la distribution, la consomma-
la sociologie économique
tion, et ouvre la possibilité que les fonctions
économiques soient assurées par des dispo-
polanyienne
sitifs marchands ou par d’autres dispositifs Des sociétés traditionnelles
sociaux6. aux sociétés capitalistes : [6]
Polanyi K. (posthume,
1977) [2011] ,
La sociologie économique peut alors rendre le « désencastrement » du marché La Subsistance de
compte de contextes sociaux où la distri- La première question reste attachée au nom
l’homme. La place
de l’économie dans
bution des biens et des positions n’est pas de Karl Polanyi, déjà cité7. Dans ses travaux l’histoire et la société,
régie, ou pas exclusivement régie, par des d’histoire et d’anthropologie économique, il a Paris, Flammarion,
dispositifs marchands. De plus, si elle peut insisté sur l’ancienneté historique des formes
2011, et notamment le
chapitre 2 : « Les deux
admettre la conceptualisation du marché marchandes, mais, aussi, sur le statut radi- significations du terme
par les économistes comme un cas-limite, calement nouveau du marché dans les socié- économique. »
elle doit l’inscrire dans un champ de formes tés contemporaines. Depuis la plus haute [7]
Outre l’ouvrage cité
sociales possibles et ne lui donner aucune antiquité et dans des sociétés de nature très supra, voir, Polanyi K.
prééminence a priori. Il lui faut à la fois différente, les hommes ont noué des rela- (1944) [1983], La grande
comprendre l’émergence du marché comme transformation, Paris,
tions marchandes. Mais, souligne Polanyi, Gallimard, ainsi que le
forme sociale, son caractère plus ou moins celles-ci ne dominaient pas l’ensemble de la riche recueil d’articles
central dans l’organisation des sociétés vie sociale. Les marchés constituaient des
parus entre 1922 et 1964,
réunis dans ses Essais,
et la multiplicité de ses formes concrètes, « poches » au sein de sociétés, dont la repro- Paris, Le Seuil, 2008.
dans l’histoire, comme dans le présent. Cela duction reposait pour l’essentiel sur d’autres
nécessite aussi de penser l’hybridation entre institutions sociales. Il distingue à cet égard
le « marché » comme catégorie idéaltypique trois modalités fondamentales des économies
et d’autres catégories sociologiques, rele- « traditionnelles » : l’autarcie (la vie domes-
vant de l’ordre du politique, du symbolique, tique), la réciprocité (le don - contre-don) et
du technique, etc. Enfin, la sociologie ne la redistribution (par une autorité centrale
saurait accorder au marché et, a fortiori, au qui prélève des richesses). Les marchés pro-
« marché parfait », aucune valeur normative prement dits, quand ils existent, sont, selon
a priori : il y a d’autres modalités possibles sa formule qui a connu une grande postérité,
d’échange entre les hommes que le marché « encastrés » (« embedded ») dans la société ;
et un marché « parfait » ou, plutôt, un mar- leur pouvoir régulateur sur l’ensemble de la
ché qui s’en rapprocherait asymptotique- société reste faible.
ment, n’est pas forcément plus souhaitable
qu’un autre. Ce qui caractérise en revanche la société
capitaliste moderne pour Karl Polanyi, c’est
Sur cette base, il est possible de distinguer le principe du « marché autorégulateur ». Dès
deux questions emboîtées : lors, le marché devient l’institution sociale
– celle de la place historique du marché dominante, chargée d’allouer « mécanique-
parmi d’autres institutions économiques ment » (c’est-à-dire par le jeu impersonnel de
dans l’organisation des sociétés ; l’offre et de la demande) l’ensemble des res-
sources économiques aux personnes. Polanyi
– celle des formes différenciées du marché,
montre que pour que le marché soit ainsi
notamment dans les sociétés contempo-
autorégulateur, il faut élargir la catégorie de
raines où cette institution domine la repro-
« marchandise ». Dans les sociétés tradition-
duction sociale.
nelles, les marchandises ne sont que les biens
produits. La production elle-même, régie par
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les principes d’autarcie et de réciprocité naie (dissolution du politique dans la finan-
(entraide), échappe au règne du marché. Pour ciarisation).
que le marché devienne autorégulateur, il faut Selon Polanyi, le règne du marché autorégula-
donc que ce que les économistes appellent les teur aurait provoqué des contre-mouvements
« facteurs de production » deviennent égale- sociétaux (« autoprotection de la société »),
ment des marchandises. Polanyi distingue se traduisant par un retour de la domination
trois facteurs de production : le travail (la vie de l’instance politique, dont la forme exacer-
productive des hommes), la terre (la nature) bée est le totalitarisme des années 1930 (fas-
et la monnaie (les instruments de paiement cisme, nazisme et communisme soviétique). Un
libératoires émis par une instance politique). peu comme son contemporain John Maynard
Pour que le marché devienne autorégula- Keynes, il était à la recherche d’une « troisième
teur, il faut que ces trois biens soient traités voie » permettant le maintien d’une société
comme des marchandises. Or, nous dit Pola- politiquement libérale9, ce qui suppose que le
nyi, ces biens ne sont pas « produits » ; ils marché soit régulé et donc « ré-encastré » dans
sont traités comme des marchandises sans le social. Ce projet social correspond assez bien
en avoir les propriétés constitutives. Ce ne aux modes d’organisation qui se sont mis en
sont que des marchandises « fictives ». place aux États-Unis dans le cadre du New Deal,
puis en Europe occidentale après la Seconde
Un processus socialement Guerre mondiale. Pensons, par exemple, à la
destructeur signification, en France, de l’établissement
d’un « salaire minimum », norme sociale définie
Le développement du marché autorégulateur en fonction d’une mesure des besoins vitaux
correspond pour Polanyi à un processus de (salaire minimum interprofessionnel garanti :
« désencastrement » du marché. Ce processus Smig établi en 1950), puis incorporant l’idée
est pour lui socialement destructeur, car le d’une juste redistribution des fruits de la crois-
marché n’est pas capable d’assurer harmo- sance (salaire minimum interprofessionnel de
nieusement la reproduction de ces biens. Le croissance : Smic, établi en 1970). A contrario,
marché autorégulateur a un caractère parasi- le « néolibéralisme », né des « contre-révolu-
taire ; il se développe aux dépens de ce dont tions libérales » au Royaume-Uni (période du
il se nourrit. Polanyi rejoint en quelque sorte gouvernement de Margaret Thatcher) et aux
la célèbre formule de Marx, qu’il a critiqué États-Unis (présidence de Ronald Reagan), peut
mais auquel il doit beaucoup : « La produc- être vu comme un nouveau désencastrement du
tion capitaliste ne développe la technique marché, lequel est gros de risques politiques, si
et la combinaison du procès de production on adhère à la thèse polanyienne.
social qu’en ruinant dans le même temps les
sources vives de toute richesse : la terre et le
[8]
Marx K., op. cit., p. 567. travailleur.8 » On peut donc, en s’appuyant sur
Une thèse radicale
[9] Polanyi, développer une critique des effets La limite de l’argumentaire polanyien résulte
Keynes J. M. (1936)
[1988], Théorie générale pervers de la « société de marché » (c’est-à- toutefois de sa radicalité. Même si, comme
de l’emploi, de l’intérêt dire, non d’une société où existent des mar- on l’a vu, des dispositifs d’autoprotection de
et de la monnaie, Paris, chés, mais d’une société où l’ensemble de la
Payot, chapitre 24. la société contre le règne exclusif du marché
régulation sociale est confiée au marché) : ont été mis en place tout au long des XIXe et XXe
– critique de la marchandisation du travail siècles, et, notamment, dans la période qui a
(salariat ou « question sociale ») ; succédé à la seconde guerre mondiale, il faut
bien admettre que, globalement, les relations
– critique de la marchandisation de la nature marchandes n’ont cessé de s’étendre, tant sur
(écologie ou « question naturelle ») ; un plan spatial (le capitalisme conquérant de
– critique de la marchandisation de la mon- nouveaux espaces), qu’en ce qui concerne la
121 MARCHÉ ET MARCHÉS : UNE APPROCHE INSTITUTIONNELLE DES MODALITÉS DE L’ÉCHANGE ÉCONOMIQUE
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nature des biens susceptibles d’être « mar- faire éclater la catégorie de marché : peut-
chandisés » : extension mondiale du salariat, on en effet considérer comme relevant d’un
privatisation généralisée des terres, mais même modèle, les marchés de quartier ou de
aussi émergence de nouvelles marchandises village où l’on va acheter fruits et légumes,
« virtuelles » comme les assurances, les biens ceux des valeurs mobilières qui se déroulent
mobiliers, etc. Or, en dépit des inquiétudes dans les « salles de marché » des grandes
de Polanyi et de ses nombreux disciples, la banques et autres institutions financières,
société « tient », ce qui n’est pas dit ici pour ou le « marché du carbone » organisé entre
invalider les craintes fondées de ces auteurs États en application du protocole de Kyoto de
sur les risques liés à la marchandisation géné- 1997 ? Oui, diront les économistes, si, dans
ralisée des sociétés, mais comme un fait que chaque cas, on peut mettre en évidence un
la sociologie économique se doit de prendre en mécanisme de concurrence qui se traduit
considération. par l’établissement d’un prix et de quantités
La sociologie économique contemporaine est échangées à ce prix. Mais le sociologue ne
alors amenée à regarder la question d’une peut en rester là. Il doit observer les acteurs
autre manière. La limite de l’analyse de Pola- en présence et la nature des liens qui s’éta-
nyi est, d’une certaine manière, d’être restée blissent entre eux : ceux de la ménagère et
trop proche de la pensée des économistes, en du maraîcher sur le marché du village ne res-
posant la notion de marché comme un concept semblent guère à ceux de deux institutions
homogène au statut incertain. Le marché étatiques sur le marché du carbone. Il doit
s’oppose-t-il radicalement aux trois institu- aussi observer les formes pratiques, tech-
tions économiques traditionnelles (autarcie, niques, de l’échange : la présence ou non de
réciprocité et redistribution) ou doit-il être produits, les modalités de leur évaluation et
considéré comme une quatrième institu- certification, la temporalité des transactions
tion ? Si le marché est une institution, il est (les transactions sur le marché hebdoma-
par nature lui-même « encastré » et l’idée de daire du village ou les échanges à la vitesse
« désencastrement » devient conceptuelle- de la lumière entre les traders), etc.
ment problématique. Mais si le marché n’est C’est à l’examen de toutes ces questions,
pas une institution, quel peut-être le statut de posées sur les terrains les plus divers, que
ce concept pour la sociologie économique ? s’est attelée la sociologie des marchés. Il n’est
Les recherches récentes de sociologie écono- pas question ici de présenter de manière
mique adoptent donc plutôt la première pos- exhaustive ce courant de recherche, ni même
ture. Elles se détachent alors de la catégorie de tenter d’en faire un bilan raisonné, mais
abstraite de marché pour étudier les marchés seulement de citer quelques cas exemplaires
dans leurs formes variées, en considérant les qui permettent d’exposer la nature des ques-
[10]
capacités socialement intégratrices de ces tions en jeu et l’heuristique de la démarche10. Voir, pour une revue
riche et pédagogique de
dispositifs à la fois matériels et politiques, la littérature, Steiner Ph.
qui ne sont donc plus, selon ce schéma, consi- Quelques cas exemplaires (2011), La Sociologie
dérés comme « désocialisateurs » par nature. économique, Paris, La
Le marché aux fraises solognot Découverte, 4e éd.
[11]
Il faut d’abord citer l’étude de Marie-France Garcia-Parpet M.-F.
La diversité des marchés éclairant pour notre sujet puisqu’il porte cadran de Fontaines-
en-Sologne »,
sur le passage d’une forme de marché à une Actes de la Recherche
L’investigation empirique (l’enquête) qui autre. L’auteur montre en effet comment on en sciences sociales,
caractérise la méthode des sociologues par est passé d’un marché « de gré à gré » entre vol. 65, novembre.
rapport à celle des économistes conduit à les producteurs et des intermédiaires qui se
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connaissaient et nourrissaient entre eux des son acceptabilité sociale : peut-on « jouer de
liens complexes obligés (puisque la familia- l’argent » sur la mort ? On voit ici à l’œuvre
rité sociale n’empêchait pas la divergence la dimension morale du marché qui renvoie
des intérêts économiques, à court terme en aux interrogations polanyiennes. Quels sont
tout cas) à un marché impersonnel, reposant les biens qui peuvent être soumis aux « lois
sur un dispositif technique : le « cadran ». du marché » et quels sont ceux qu’il faudrait
Dans ce nouveau cadre, les acheteurs et les au contraire protéger contre ce mécanisme
vendeurs ne se fréquentent plus ; plus exac- social aveugle d’allocation des ressources13 ?
tement, les relations sociales qu’ils peuvent L’étude de Zelizer montre que la question ne
entretenir ne peuvent plus interférer avec le peut se résoudre au seul sein de l’institution
« mécanisme du marché », c’est-à-dire l’éta- marchande. C’est un changement sociétal
[12]
Muniesa F. blissement d’un prix et les appariements dans la considération même du statut de la
et Callon M. (2013), entre offres et demandes. On voit ici à l’œuvre mort qui a pu rendre possible le marché de
« La performativité des une logique de « performation économique » l’assurance-vie aux États-Unis14.
sciences économiques »,
in Steiner Ph. et Vatin F. (transformation de l’économie réelle par la
(dir.), op. cit. mise en œuvre de l’économie théorique12), Donneurs et receveurs d’organes
[13]
La nature des biens
puisque l’acteur social qui a promu cette Dans le même ordre d’idées, Philippe Steiner
dont la marchandisation nouvelle organisation (jeune diplômé d’une a étudié les mécanismes de circulation des
est rejetée varie école de commerce) a explicitement cherché organes entre un « donneur » et un « rece-
suivant les sociétés. On
comprend les tabous à rapprocher les modalités d’échange sur ce veur » en montrant précisément que nos
qui s’attachent au marché de l’idéal théorique que constitue sociétés « libérales » avaient, en ce cas d’es-
corps ou à la mort des le marché walrassien. Cette étude montre pèce, mis en place des dispositifs technico-
hommes, mais peut
jouer aussi le statut donc que le marché « walrassien » ne consti- juridiques complexes pour éviter l’allocation
social des animaux, voire tue qu’une forme de marché parmi d’autres, marchande de la ressource extrêmement rare
même de leur produit
(traditionnellement
que son instauration (ou, plus exactement, et demandée que constituent les organes15.
les Maures rejetaient l’instauration de relations marchandes qui
la commercialisation s’en inspirent) est le produit de décisions Un marché scolaire ?
du lait), sans parler du
cas de la terre, dont
« politiques », qu’elle exige des dispositifs Si, assurément, le champ des biens suscep-
l’appropriation privée matériels particuliers (ici le « cadran »), et, in tibles d’être mis sur le marché est, dans nos
et surtout le transfert fine, qu’elle reconfigure les rapports de force sociétés, plus large qu’il ne l’a probablement
de propriété par le
marché ont été rejetés entre offreurs et demandeurs, mais aussi jamais été dans l’histoire de l’humanité, tous
longtemps dans la l’ensemble de l’organisation sociale autour les biens ne sont pas marchandisables et
plupart des sociétés. de ce marché, tout au long de la « filière » qui d’autres dispositifs sociaux d’allocation des
[14]
Zelizer V. A., (1979), mène les fraises des serres des producteurs ressources existent.Ainsi, faut-il se méfier éga-
Morals and Markets. aux assiettes des consommateurs. lement de l’usage métaphorique de la notion
The Development of
Life Insurance in the
de marché pour désigner tout mécanisme
United States, New
Le marché de l’assurance-décès d’allocation de ressources. On a souvent cou-
Brunswick, Transaction Un problème différent est posé par l’étude tume, par exemple, de parler de « marché sco-
books. Soulignons
l’euphémisation de Viviana A. Zelizer sur l’instauration du laire » pour rendre compte de l’appariement
qui consiste, encore marché de l’assurance décès aux États- entre des élèves, définis par leurs attributs
aujourd’hui, à Unis dans la seconde moitié du XIXe siècle. sociaux (origines sociales, niveaux scolaires),
dénommer « assurance-
vie » ce qui est en fait En effet, dans le cas des fraises, le produit et les établissements, plus ou moins cotés. Ici,
une « assurance-décès ». existe et son caractère marchand n’est pas aussi, la société connaît un problème d’allo-
[15]
Steiner Ph. (2010),
mis en doute ; il s’agit seulement du passage cation de ressources rares (les places dans
La Transplantation d’une forme de transaction à une autre. En les « bonnes » écoles), mais les mécanismes
d’organes : un commerce revanche, dans le cas de l’assurance-décès, sociaux d’allocation de ces ressources ne sont
nouveau entre les
êtres humains, Paris, l’enjeu est la construction même de la mar- pas, en France, pour l’essentiel, de nature
Gallimard. chandise, qui est un bien immatériel, et de marchande, ne serait-ce que parce qu’ils ne
123 MARCHÉ ET MARCHÉS : UNE APPROCHE INSTITUTIONNELLE DES MODALITÉS DE L’ÉCHANGE ÉCONOMIQUE
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s’appuient pas sur des prix. Rien n’interdit, les théories économico-financières mathé-
pourtant, la mise en place d’un marché du matisées du comportement rationnel sur un
produit éducatif, qui existe effectivement aux marché de valeurs16. Moins que nulle part [16]
McKenzie D. et Millo
marges de notre système d’enseignement (ne ailleurs, le marché n’apparaît ici comme la Y. (2003), « Construction
d’un marché et
serait-ce que pour le soutien scolaire). Mais, résultante mécanique du libre jeu spontané performation théorique.
pour le moment en tout cas, qu’on le regrette des acteurs, puisque ce jeu est étroitement Sociologie historique
ou que l’on s’en félicite, l’organisation sociale encadré par des formules résultant de la d’une bourse de produits
dérivés financiers »,
de l’espace éducatif français reste fondée sur théorie, laquelle est censée rendre compte de Réseaux, no 122.
des logiques non marchandes. la façon dont les acteurs agiraient en situa-
tion de marché pur.
Les marchés financiers
Un dernier exemple mérite d’être cité dans ***
cette brève revue, celui des marchés finan- Les marchés, même ceux qui se rapprochent
ciers modernes. On est ici au plus proche, en le plus des modèles élaborés par la théorie
apparence tout au moins, du marché walras- économique, apparaissent donc toujours, au
sien idéaltypique, puisque l’information regard de l’enquêteur sociologue, comme des
circule à la vitesse de la lumière dans les institutions sociales spécifiques appuyées sur
réseaux électroniques et que les transactions des dispositifs matériels. Le marché des éco-
s’opèrent en fonction d’une seule variable : nomistes (la rencontre mathématique d’une
le prix. Pourtant, ces marchés ont des parti- courbe d’offre et d’une courbe de demande)
cularités sociales significatives. D’une part, n’est que la formulation résumée, et après
comme on l’a vu, ils reposent, tel le marché coup, de mécanismes complexes d’apparie-
au cadran des maraîchers solognots, sur des ment entre acteurs économiques. L’établisse-
infrastructures matérielles, mais ici beau- ment du prix lui-même dépend de ces formes
coup plus complexes : ces fameuses « salles marchandes : le rapport de force entre ven-
de marché » qui sont des nœuds de réseaux deurs et acheteurs de fraises est modifié par
informatiques particulièrement denses, dotés l’introduction du cadran, comme l’établisse-
de multiples écrans et autres outils de com- ment des valeurs financières est modifié par
munication. Si les biens échangés sur ces l’introduction des formules de mathématiques
marchés apparaissent de plus en plus « vir- financières dans les ordinateurs des salles de
tuels », au sens, non pas d’une déconnexion, marché. Pensées comme des relations sociales
mais d’une médiatisation croissante par rap- comme les autres, les relations marchandes,
port aux biens économiques « tangibles », en multiples dans leur forme, ne peuvent être
revanche, les transactions ne peuvent s’opé- considérées comme désocialisatrices par
rer que grâce à la mise en œuvre d’un appa- nature. Pour autant, toutes les sociétés, même
reillage technique qu’il faut analyser comme la nôtre, mettent des bornes à l’emprise des
on le ferait d’un quelconque outil industriel. relations marchandes, qui ne constituent pas
Or, comme l’ont montré les études de Donald la seule modalité possible d’allocation des
McKenzie, cet appareillage est de plus en biens, et, a fortiori, la seule forme concevable
plus doté d’automatismes marchands incor- de relations d’échanges entre les hommes.
porés dans les logiciels qui sont fondés sur
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Condition nécessaire à l’efficacité des marchés, la concurrence est également un processus
fragile et autodestructeur. En effet, sans intervention publique, l’activité économique peut
déboucher spontanément sur la concentration et l’accaparement du marché par quelques
firmes. Or, les situations de monopole et d’oligopole sont dommageables à long terme pour la
collectivité car les entreprises en position dominante pratiquent des prix plus élevés tout en
étant moins incitées à innover. La politique de la concurrence, qui vise à éviter les abus de
position dominante et les ententes anticoncurrentielles, fait néanmoins partie des politiques
publiques les plus contestées, comme le montre Frédéric Marty. On lui reproche notamment de
réduire la motivation des entreprises les plus innovantes, incitées à prospérer par les perspec-
tives de surprofit liées au dépassement des concurrents. Tout l’enjeu des politiques de concur-
rence est ainsi de sanctionner les pratiques déloyales sans réduire les incitations à l’efficacité.
Problèmes économiques
Marchés, concurrence
et réglementation
FRÉDÉRIC MARTY Ces différentes approches s’accordent sur
le fait que le fonctionnement même du pro-
CNRS, groupe de recherche en droit, économie et gestion cessus de concurrence puisse être altéré, soit
UMR 7321 université Nice Sophia Antipolis par les comportements des acteurs, soit par
la structure même du marché. Le premier
Le marché peut être aussi bien appréhendé facteur de risque relève de la politique de
comme un ordre spontané que comme un concurrence. Il s’agit de prévenir et de sanc-
[1]
Sur ce point, voir construit social1. De la même façon, la tionner les stratégies de marché susceptibles
dans ce même numéro
concurrence peut être conçue comme un de compromettre la pérennité de l’ordre
l’article de François
Vatin, p. 118. équilibre ou comme un processus. Dans cette concurrentiel. Le second facteur relève de la
seconde hypothèse, on peut considérer soit politique de régulation au sens large. Il s’agit
que le marché conduit inexorablement à la de corriger les défaillances de marché, voire
concentration et donc à son propre blocage, de construire des marchés concurrentiels.
soit qu’il est autorégulateur. Dans le premier
cas, la politique de la concurrence est une
condition essentielle à la pérennité de l’ordre La concurrence
concurrentiel. Dans le second, elle doit prin-
cipalement veiller à la préservation de la
comme un processus instable ?
« contestabilité » des marchés. La concurrence est à la fois l’aiguillon essen-
tiel de l’efficacité économique et un proces-
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sus fragile, dont la dynamique même peut être au moins pour partie rattachées à l’école
conduire à son propre blocage. ordolibérale allemande (Gerber, 1998), qui a
Tout d’abord, les acteurs du marché ont une vision plus pessimiste du processus de
rationnellement intérêt à échapper à la concurrence et admet une intervention éta-
concurrence. Ils pourront réaliser un sur- tique pour en assurer la pérennité. Ensuite,
profit en abusant d’un pouvoir de mar- ce n’est pas la position dominante qui est
ché résultant d’une position dominante. sanctionnée en elle-même mais son abus,
Une situation de monopole, ou dans une lequel peut passer, au-delà des pratiques
moindre mesure une configuration de car- d’éviction des concurrents, par l’imposition
tel, permettent de dégager un surprofit par de prix excessifs. Or, dans le cadre améri-
rapport à l’équilibre de concurrence pure cain, une firme qui a obtenu une position de
et parfaite où chaque facteur de produc- monopole par ses propres mérites (notion
tion n’est rémunéré qu’au niveau de son recouvrant une efficacité supérieure, un
coût marginal. Échapper à la concurrence avantage lié à l’arrivée plus précoce sur le
permet également de maîtriser les risques marché, voire la simple chance) est libre
de marché. Comme le notait John Hicks de pratiquer des prix de monopole. Cette
en 1935, le plus grand profit du monopole liberté est vue comme essentielle à la fois
n’est pas tant un surcroît de rentabilité que pour récompenser les investissements et
la garantie d’une vie paisible, à l’abri des les prises de risques passés et pour inciter
risques concurrentiels2. des concurrents potentiels à entrer sur le [2]
Hicks J.R., (1935),
marché et donc à revigorer le processus de « Annual Survey of
La concentration du pouvoir économique a Economic Theory: The
plusieurs conséquences négatives. Elle se concurrence. Theory of Monopoly »,
traduit tout d’abord par l’imposition de prix Econometrica, vol. 3, no 1.
supérieurs aux prix de concurrence pure et
parfaite, entraînant à la fois une perte sèche Les politiques de concurrence [3]
Pour une présentation
générale des politiques
de bien-être dans l’économie et un transfert
de richesses entre les agents au détriment comme outil de dissuasion de concurrence,
voir Combe E. (2005)
et Marty F. (2010).
de ceux dépourvus de pouvoir de marché. En
termes dynamiques, elle conduit également
contre les atteintes au marché
à un coût économique majeur en amoindris- Face aux risques liés à la concentration du
sant les incitations des firmes à innover. pouvoir économique, les finalités des poli-
Apparue pour la première fois aux États- tiques de concurrence se déclinent en trois
Unis en 1890 avec le Sherman Act3, la poli- volets.
tique de concurrence doit contrecarrer cette
tendance naturelle et inexorable. Les deux Dissuader toute pratique
premières sections de cette loi constituent préjudiciable en termes
la matrice des politiques de concurrence qui de bien-être du consommateur
se généraliseront au XXe siècle. La première
sanctionne les ententes entre concurrents La politique de concurrence a en premier lieu
et la seconde les entreprises qui acquièrent, un rôle dissuasif. Il s’agit, par l’imposition
maintiennent ou étendent une position de de sanctions pécuniaires, de dissuader les
monopole sur d’autres bases que celles rele- entreprises d’acquérir une position domi-
vant de leurs propres mérites. La législation nante par d’autres moyens que ceux relevant
européenne a repris cette même structura- d’une concurrence par les mérites ou d’en
tion, tout en s’en distinguant sur plusieurs abuser au détriment des consommateurs.
aspects. Il ne s’agit tout d’abord pas d’un L’activation des règles de concurrence peut
simple transplant de la législation améri- également permettre de remédier à de telles
caine. Ses racines sont internes et peuvent situations au travers de mesures correctives
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de nature comportementale ou structurelle.
Il peut s’agir, par exemple, d’injonctions Quels risques concurrentiels et
conduisant à cesser la commercialisation
d’une offre ayant pour effet d’étendre une
quels outils de politiques publiques ?
position dominante d’un segment de marché
Les risques concurrentiels
à un autre (via des offres groupées). Il peut
également s’agir de remèdes structurels Les atteintes au marché peuvent prendre des
induisant des cessions d’actifs dès lors que formes diversifiées. Les modalités les plus
l’abus serait considéré comme consubstan- évidentes sont les pratiques anticoncurren-
tiel à une structure de marché donnée. tielles.
Il peut tout d’abord s’agir de pratiques uni-
Garantir l’accès au marché latérales. Une firme porte atteinte au proces-
sus concurrentiel sans escompter une réac-
La politique de concurrence peut également tion coopérative de ses concurrents. Il s’agit,
viser à garantir l’accès des firmes au mar- en droit de l’Union européenne, des abus de
ché. Il s’agit de faire pièce aux stratégies de position dominante. Ceux-ci peuvent prendre
« forclusion », c’est-à-dire de verrouillage deux formes ; les abus d’exploitation et les
anticoncurrentiel, que pourraient mettre abus d’éviction. Les premiers recouvrent les
en œuvre des opérateurs dominants. Les situations dans lesquelles les firmes tirent
injonctions en termes d’accès à des réseaux profit de leur pouvoir de marché pour prati-
(théorie dite des facilités essentielles) ou quer des prix supérieurs aux niveaux concur-
des licences obligatoires de brevets sur la rentiels. Les seconds correspondent à des
base de conditions dites FRAND (fair, rea- stratégies d’éviction des concurrents. Ils
sonable and not discriminatory) font écho peuvent passer par des pratiques tarifaires,
à cette logique. telles des stratégies de prédation ou de com-
pression des marges, des remises de fidé-
Maintenir la diversité de l’offre lité auxquelles les concurrents ne peuvent
répondre, ou encore par des stratégies non
Il peut également s’agir de défendre la tarifaires tenant, par exemple, à des refus
liberté de choix du consommateur. Même d’accès à des actifs essentiels, à des offres
si une situation de monopole peut s’avérer groupées, à des stratégies de préemption
plus efficace qu’une configuration concur- ou de forclusion basées sur l’obtention de
rentielle, la politique de concurrence peut clauses d’exclusivité, etc. Il s’agit, au final, de
veiller à laisser disponibles des offres alter- stratégies permettant d’évincer du marché un
natives pour le consommateur. La décision concurrent a priori aussi efficace que soi.
de la Commission européenne dans l’affaire Les pratiques anticoncurrentielles peuvent
Microsoft en 2004 témoignait de ce souci. également être coordonnées entre concur-
L’efficacité dynamique (maintien des incita- rents. Il peut s’agir d’accords verticaux
tions à innover du fait de la menace concur- (par exemple des accords de distribution
rentielle) peut être invoquée en contrepartie exclusive) ou d’accords horizontaux allant
de l’acceptation d’une moindre efficacité de de l’échange d’informations entre concur-
court terme. Dans certains domaines, à l’ins- rents jusqu’au cartel, forme la plus aboutie
tar des médias, la politique de concurrence de coordination horizontale. Les ententes
peut porter des objectifs non exclusivement anticoncurrentielles sont les pratiques les
économiques, tel le maintien d’un degré suf- plus préjudiciables au consommateur et ne
fisant de pluralisme. peuvent trouver de justification en termes
de gains d’efficience. À ce titre, elles sont les
plus lourdement sanctionnées.
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Les outils des politiques contrats de long terme…) ou accepter des
de concurrence cessions d’actifs pour réduire leur puissance
de marché.
Sanctions pécuniaires
Contrôle des concentrations
En matière de pratiques anticoncurrentielles, et encadrement des aides publiques
les sanctions pécuniaires constituent un outil
Il convient également de prendre en consi-
de dissuasion privilégié. Le montant optimal
dération les deux autres volets de la poli-
de l’amende doit être égal au surprofit lié à
tique de concurrence, à savoir le contrôle
la pratique anticoncurrentielle pondéré par
des concentrations et l’encadrement des
la probabilité de détection et de sanction. En
aides publiques. Le contrôle préalable des
d’autres termes, si la probabilité d’être sanc-
concentrations vise à éviter que les firmes
tionné est de un sur dix, la sanction optimale
n’atteignent une situation de monopole ou ne
devra atteindre dix fois le surprofit. Dans les
bénéficient d’une configuration de marché si
faits, le montant de la sanction est basé sur
étroitement oligopolistique qu’un équilibre
un pourcentage de la valeur des ventes liées
collusif même tacite puisse être aisément
à l’activité en cause et plafonnée à 10 % du
obtenu. Le rôle de la politique de la concur-
chiffre d’affaires du groupe auquel appar-
rence est d’interdire de telles opérations
tient l’entreprise. Pour renforcer cet effet dis-
de concentrations ou de les conditionner
suasif, l’antitrust américain s’appuie sur le
à des pratiques de nature à éviter qu’elles
versement de dommages et intérêts et sur la
ne puissent porter des dommages irréver-
criminalisation de certaines pratiques anti-
sibles à la concurrence. L’encadrement des
concurrentielles. Ce volet pénal fait courir un
aides d’État est une spécificité européenne.
risque de sanctions pécuniaires pour les per-
Il vise à juguler deux types de distorsions de
sonnes physiques ainsi que de peines priva-
concurrence découlant de soutiens publics à
tives de liberté. Sur le continent européen, une
des entreprises. Celles-ci peuvent résider en
directive de novembre 2014 sur les actions en
des avantages concurrentiels indus au profit
réparation des dommages liés aux pratiques
des firmes aidées ou en des risques de pro-
anticoncurrentielles vise également à renfor-
cessus de concurrence fiscale entre les États
cer l’effet dissuasif de la sanction en favo-
membres. Pour autant, les aides publiques ne
risant le dédommagement des victimes des
sont pas interdites. Elles peuvent être autori-
pratiques anticoncurrentielles.
sées dans la mesure où elles soutiennent des
Remèdes comportementaux et structurels objectifs relevant de la stratégie de croissance
de l’Union, visent à compenser des handicaps
Des remèdes comportementaux et structu-
économiques régionaux ou des coûts liés à la
rels, sur le modèle des mesures correctives
prise en charge de missions d’intérêt écono-
dans le domaine du contrôle des concentra-
mique général. Il s’agit alors pour la Commis-
tions, peuvent également être mobilisés. Dans
sion européenne d’apprécier la nécessité de
le cadre de procédures contentieuses, il s’agit
l’aide et de jauger sa proportionnalité.
d’injonctions ; dans le cadre de procédures
négociées, il s’agit d’engagements volon-
taires pris par les entreprises pour obtenir Les politiques de concurrence
la clôture de la procédure sans une décision en débat
reconnaissant formellement une infraction
aux règles de concurrence. Au travers de ces Une politique récente et contestée
mesures correctives, les firmes dominantes Malgré leur place dans la politique euro-
doivent ajuster leurs stratégies pour prévenir péenne, les politiques de concurrence furent
l’éviction de concurrents (octroi de licences longtemps contestées et ne jouissent que
d’exploitation de brevets, renonciation à des d’une faible adhésion.
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Un recul historique montre que les cartels, politique industrielle, susceptible d’entraver
qui constituent pourtant la pratique anti- le développement de champions nationaux
concurrentielle par excellence, ont fait l’ob- (ou européens) ou de pénaliser les firmes par
jet d’une longue tolérance. Un arrêt de la rapport à des concurrents étrangers. La poli-
Cour suprême allemande du 4 février 1897 tique de la concurrence pourrait également
reconnut leur licéité sur la base de la liberté être vue comme une entrave au développe-
contractuelle. De nombreux économistes les ment d’entreprises innovantes, notamment
défendirent en raison des gains d’efficience dans le secteur des technologies de l’infor-
liés à la concentration et à la rationalisa- mation et de la communication qui se carac-
tion des capacités de production ou encore térise par un très fort rythme d’innovations,
comme une condition nécessaire à la com- des rendements croissants, de forts effets de
pétitivité internationale. Après la grande réseaux et donc par des situations de quasi-
guerre, la coordination entre les firmes fut monopole. Une intervention trop précoce ou
défendue sur la base d’une concurrence régu- imposant des remèdes disproportionnés ou
lée appelée à se substituer à une concurrence dont les effets seraient irréversibles pour-
« coupe-gorge ». Cette approche, qui entre- rait donc porter préjudice au processus de
tient quelques liens avec la notion de cartel concurrence et donc au consommateur.
de crise, trouva une consécration aux États- Cependant, malgré les risques induits, la
Unis dans les premières années du New Deal politique de concurrence peut s’avérer essen-
avec le NIRA (National Industry Recovery tielle pour la défense des intérêts du consom-
Act) avant d’être abandonnée dès 1937 au mateur. À court terme, elle le protège de prix
profit d’une relance de la politique antitrust. abusifs ou de conditions contractuelles désé-
Des tensions analogues existent pour les pra- quilibrées ; à long terme, elle prévient l’appa-
tiques unilatérales. En 1891, la décision de rition de positions dominantes irréversibles.
la Chambre des Lords dans l’affaire Mogul Dans le domaine des hautes technologies
Steamship mit en doute la possibilité même logicielles, le fait de disposer d’une large
de sanctionner une entreprise pour avoir base de clientèle peut rendre irrémédiable-
évincé du marché une firme concurrente. Les ment plus efficace une firme que ses concur-
lois antitrust américaines n’interdisent pas rents, même si ces derniers sont devenus
à une firme dominante de pratiquer les prix plus innovants. De la même façon, l’opérateur
qu’elle désire, fussent-ils des prix de mono- dominant peut être naturellement choisi par
pole. La difficulté de caractériser une pratique des partenaires commerciaux (par exemple
comme anticoncurrentielle peut faire craindre en matière de droits audiovisuels) pour négo-
le risque de multiplications de décisions sanc- cier des accords d’exclusivité qui risquent
tionnant à tort des entreprises qui n’ont prati- de structurer l’industrie en autant de silos
qué qu’une concurrence par les mérites. étanches et donc de verrouiller le consomma-
teur en lui imposant de forts coûts potentiels
Ainsi, la politique de concurrence peut-elle de changements d’opérateur.
s’avérer porteuse de risques juridiques pour
les entreprises dominantes. Cet argument fut
De la défense de l’ordre
celui de l’École de Chicago aux États-Unis
dans les années 1960 et 1970 pour contes- concurrentiel à la construction
ter l’activisme des juridictions chargées de du marché ?
l’application du Sherman Act et pour plaider Cependant, il n’y a pas loin entre la défense
en faveur d’un cadre plus sécurisant pour les de l’ordre concurrentiel par la prévention
opérateurs dominants. de situation de dominance irréversible et
La politique de concurrence a ainsi pu, et une possible tentation de constructivisme
peut toujours apparaître, comme une anti- concurrentiel. En d’autres termes, alors que
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la politique de concurrence vise sur le prin- pic théorique. Ce faisant, ces capacités ne
cipe à sanctionner ex post des pratiques qua- couvrent pas obligatoirement leurs coûts et
lifiées d’anticoncurrentielles, il est possible devraient en toute logique être démantelées.
de s’interroger sur une possible action ex Pour autant, elles protègent potentiellement
ante passant par un jeu sur les structures de le système électrique du risque de black-out.
marché et sur les degrés de liberté des firmes Le fait qu’elles demeurent en réserve four-
dominantes. La pratique décisionnelle de nit donc un service essentiel à la collectivité
la Commission européenne, et surtout de la qui n’est pas rémunéré par le marché. Une
Cour de justice de l’Union européenne par- intervention publique est nécessaire pour les
ticipe d’une telle logique de construction du maintenir en service.
marché intérieur (Gerber, 1998). L’application Une régulation publique intervenant ex ante
des règles de la concurrence dans le domaine peut donc être indispensable pour prévenir
de l’énergie montre comment la Commission les dommages à la concurrence, pour per-
s’est saisie de cette politique pour peser sur mettre au processus de concurrence de se
la structuration du marché, en obtenant au développer et pour porter des objectifs rele-
travers de décisions, souvent issues de procé- vant de l’intérêt général et dépassant donc
dures négociées, des remèdes comportemen- le strict bien-être du consommateur. Il en est
taux ou structurels, tels des cessions d’ac- par exemple ainsi dans le domaine de l’inter-
tifs de production ou encore des réseaux de net. La position de marché de Google a sus-
transport de l’énergie, la conduisant ainsi à cité des appels à une régulation publique,
construire une structure de marché qu’elle ne non seulement sur la base d’une possible
pouvait obtenir des États membres par voie disparition progressive de la contestabilité
de directives. même de sa position de marché, mais aussi
sur la base de sa capacité à réguler lui-même
De l’insuffisance du recours le marché. Ainsi, l’intervention publique
aux règles de concurrence pour pourrait-elle être défendue non seulement
garantir l’ordre concurrentiel sur la base de la prévention d’un dommage
concurrentiel (en termes de bien-être du
Cependant, si l’action au travers des règles de consommateur), mais également en termes de
concurrence peut dissuader les firmes d’en- prévention d’un possible risque de régulation
gager des pratiques anticoncurrentielles et du marché (c’est-à-dire des conditions tari-
à la marge corriger certaines imperfections faires ou techniques d’accès au marché) par
de marché, elle peut s’avérer insuffisante dès des pouvoirs économiques privés. Le débat
lors que les structures mêmes du marché font sur la neutralité de l’internet actuellement
obstacle au développement du processus de en cours aux États-Unis et la prise de posi-
concurrence ou que l’on doit faire face à des tion du Président Obama pour une régulation
défaillances de marché. publique témoignent de la nécessité dans
Il peut en aller ainsi lorsque le fonctionne- certaines configurations d’aller au-delà de la
ment spontané du marché ne permet pas de seule politique de concurrence.
parvenir à une solution souhaitable en termes La régulation sectorielle participe d’une
collectifs. Par exemple, dans le domaine de logique de politique industrielle allant au-
l’électricité, les centrales sont appelées par delà de la défense de l’ordre concurrentiel
ordre de coût marginal de production crois- mais portant également des objectifs de déve-
sant (ordre de préséance économique). En loppement des infrastructures ou de soutien
d’autres termes, les centrales les moins effi- aux investissements. À ce titre, la politique
caces ne sont mobilisées qu’un nombre extrê- de concurrence seule est insuffisante pour
mement réduit d’heures pendant l’année, garantir le bon fonctionnement à long terme
voire jamais si la demande n’atteint pas son de certaines industries, notamment quand
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subsistent des segments en monopole naturel Il apparaît donc que malgré les défauts de la
ou existent des dimensions d’intérêt général régulation publique et les possibilités d’ins-
que les signaux du marché ne peuvent relayer. trumentalisation des règles de concurrence,
L’adage « concurrence autant que possible, les logiques d’autorégulation des marchés
État (ou régulation) autant que nécessaire » ne puissent réellement être envisagées. En
s’applique alors pleinement. Cette com- 1996, Easterbrook et Fisher s’interrogeaient
plémentarité est d’autant plus importante sur l’efficacité de la régulation en matière
qu’elle peut prendre des formes diverses dans de sanction aux manquements des opéra-
le temps et selon les industries. Dans certains teurs en matière de diffusion d’informa-
cas, comme celui des télécommunications, il tions financières au marché, considérant que
est possible que la régulation mise en place l’anticipation d’un dommage réputationnel
[4]
Easterbrook F. et au moment de l’ouverture à la concurrence irréversible suffit à discipliner les firmes4.
Fischer D. (1996), The
s’efface peu à peu au profit de la seule appli- En d’autres termes, la menace de sanction
Economic Structure of
Corporate Law, Harvard cation ex post des règles de concurrence. du marché suffirait à les dissuader. Au vu de
University Press. Dans d’autres secteurs, à l’inverse, le besoin l’expérience de la crise financière de 2007-
de régulation sectorielle pourra être pérenne. 2008 et des ententes anticoncurrentielles
C’est comme nous l’avons vu le cas dans le sanctionnées sur les marchés du LIBOR et de
secteur de l’énergie. Plus généralement, plus l’EURIBOR par la Commission européenne, la
les dimensions de biens publics, d’externa- nécessité de protéger l’ordre de marché par la
lités et de monopoles naturels sont fortes, politique de concurrence et, si nécessaire, par
moins la libéralisation se traduit par une une régulation publique spécifique apparaît
dérégulation. En d’autres termes, la libéra- indispensable.
lisation crée un besoin en régulation que la
seule application des règles de concurrence
ne peut satisfaire.
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Le volume et la rapidité des transactions ainsi que la réglementation, perçue comme minimale,
font que les marchés financiers sont souvent considérés comme relativement proches de
l’idéal concurrentiel. S’ils possèdent en effet, par rapport aux autres marchés, des propriétés
qui les en rapprochent – un fort degré d’atomicité et de transparence –, ils ne correspondent
pas non plus parfaitement au modèle de la concurrence pure et parfaite, qui reste, comme
nous le rappelle Yves Jégourel, une abstraction.
Problèmes économiques
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et d’une demande de logements et faire émer- si leur accès est aisé, si les transactions sont
ger un prix d’équilibre, dont la valeur infor- rapides, si la diffusion de l’information est
mationnelle n’est en définitive que très rela- efficace et si aucun agent économique présent
tive. Certains marchés financiers, enfin, ont n’a de réelle influence sur les prix.
un rayonnement international et ont valeur Il importe enfin de préciser à quels niveaux les
de référence, alors que d’autres n’ont, au mécanismes concurrentiels sont observés :
mieux, que pour seule vocation d’orienter les entre les places financières qui cherchent à
flux d’épargne nationale, limitant leur impor- attirer émetteurs et investisseurs ou entre
tance dans le système économique. acteurs des marchés financiers eux-mêmes,
Rappelons, en second lieu, que le concept de qu’il s’agisse des émetteurs, des investis-
« concurrence » est, à l’inverse de celui de seurs ou des spéculateurs ? Dans le cas des
« marché financier », particulièrement pré- places financières qui sont animées par des
cis, pour le moins dans sa forme absolue entreprises à part entière telles que Euronext,
que les économistes néoclassiques appellent force est de reconnaître que les hypothèses
la concurrence pure et parfaite (CPP). Pour de concurrence parfaite ne sont pas vérifiées.
qu’un marché fonctionne sous un tel régime, C’est au contraire une concurrence impar-
il faut en effet que plusieurs conditions faite de type oligopolistique ou monopolis-
soient réunies : tique qui s’observe, où chaque bourse tente
de parvenir à une situation de monopole
– atomicité : un nombre important d’ache-
sur un produit grâce au processus de diffé-
teurs et de vendeurs présents, sans comporte-
renciation. Une action ou obligation cotée à
ment collusif, de telle sorte qu’aucun d’entre
New York ne le sera a priori pas à Paris et
eux n’ait le pouvoir d’influencer durablement
ne sera de toute façon pas libellée dans
les prix ;
la même monnaie. Les produits financiers
– homogénéité : le produit échangé sur un tel permettant de gérer les risques de prix sur
marché est de qualité homogène, poussant matières premières agricoles seront, quant
les acteurs présents sur le marché à ne fonder à eux, massivement présents à Chicago, tan-
leur choix d’achat ou de vente que sur le prix ; dis que la place financière de référence pour
– transparence : l’information est parfaite- gérer le risque de prix sur les métaux se
ment disponible, sans coût, et aucun agent situe à Londres. Lorsque ce questionnement
économique ne dispose d’une information porte sur les relations entre les acteurs de
que les autres n’ont pas ; ces marchés et non sur celles caractérisant
les marchés eux-mêmes, l’analyse devient en
– absence de barrière à l’entrée ou à la sortie :
revanche plus complexe.
tout agent peut entrer ou sortir sans délai de
ce marché ;
– libre circulation des facteurs de produc-
tion : les facteurs capital et travail, néces-
Des marchés financiers :
saires à l’activité productive, sont libres une accessibilité relative
d’entrer ou de sortir du marché en fonction Bien que la notion de financiarisation de
des conditions de rémunération (rendements l’économie, traduisant le fait que les mar-
et salaires) offertes. chés financiers occupent une place crois-
À la lecture de cette énumération, on compren- sante dans le système économique des pays
dra aisément que peu de marchés répondent à industrialisés et émergents, soit bien connue
des critères aussi précis. Dans cette optique, des médias et des étudiants en économie, il
il s’agit en réalité de s’interroger sur la capa- importe de rappeler que l’accès aux marchés
cité des marchés financiers à approcher un tel financiers n’est pas libre et que le recours à
idéal. Cela revient notamment à déterminer un intermédiaire est bien souvent nécessaire.
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C’est ici que la distinction entre marchés étrangers. À titre d’exemple, il serait ainsi
organisés fonctionnant sur le principe d’une compliqué, sinon impossible, pour un épar-
Bourse, et marchés dit de gré à gré ou OTC gnant français d’investir directement sur des
(over the counter) prend tout son sens. bourses chinoises. La théorie financière met
en outre en évidence que quiconque souhaite
Marchés OTC placer ses capitaux en Bourse doit diversi-
fier ses supports d’investissements. Ainsi, si
À la différence des marchés organisés, les un individu peut dans l’absolu accéder à des
marchés OTC n’imposent pas le recours à actions peu coûteuses, il sera contraint, s’il
une chambre de compensation comme inter- souhaite optimiser son portefeuille financier,
médiaire obligataire entre un acheteur et un de multiplier les investissements, conduisant
vendeur : les transactions sont ainsi réa- de facto à un accroissement du capital néces-
lisées directement entre intervenants. Le saire pour accéder efficacement au marché
marché des changes, qui compte parmi les boursier. C’est la raison pour laquelle la plu-
marchés OTC les plus importants, est d’une part des épargnants privilégient tradition-
taille considérable avec un volume de tran- nellement l’achat de parts d’organismes des
sactions journalier de près de 5 300 milliards placements collectifs en valeurs mobilières
de dollars en 2013, selon les données de la (OPCVM), permettant de bénéficier avec un
Banque des règlements internationaux (BIS, capital réduit de cet effet de diversification,
2014). L’accès à ce marché est en théorie libre plutôt que d’investir directement en Bourse.
puisque tout opérateur qui achète ou vend Le recours au secteur bancaire est, une fois
des devises est considéré comme appartenant encore, souvent nécessaire.
à ce marché. En pratique néanmoins, toute
transaction impose le recours à ce qu’il est Pour une entreprise ou un État, se financer sur
convenu d’appeler un teneur de marché, dont les marchés financiers – c’est-à-dire émettre
le rôle est précisément de se porter systéma- des actions ou des obligations – est égale-
tiquement contrepartie des offres d’achat ou ment un processus qui peut s’avérer long et
de vente de devises. Ce rôle est assumé par complexe. Les conditions légales sont en effet
la plupart des banques commerciales, expli- multiples et d’autant plus contraignantes
quant ainsi pourquoi le marché des changes que le marché sur lequel ces titres sont émis
offre un degré de concertation des interve- est important. Dans le cas des marchés d’ac-
nants élevé : seulement 9 % des transactions tions français, trois segments peuvent être
étaient en effet, en 2013, réalisées par des distingués : Eurolist, Alternext et le Marché
contreparties non financières. libre. Si ce dernier, comme son nom l’indique,
est relativement accessible, les deux autres
imposent un certain nombre de critères pour
Marchés organisés
une admission à la cote : au moins 25 % du
Sur les marchés organisés, qu’il s’agisse des capital social (ou 5 % si le montant est équi-
marchés d’actions, d’obligations ou de cer- valent à au moins 5 millions d’euros) de
tains produits dérivés, toute opération d’achat l’entreprise doit être émis pour une admis-
ou de vente impose de recourir à un membre sion sur les marchés réglementés européens
de la Bourse. Pour un particulier comme une d’Euronext, contre 2,5 millions d’euros pour
entreprise, acheter un titre financier est un le marché Alternext dédié aux entreprises de
processus a priori simple, mais qui nécessite plus petite taille ; la production de deux et
de trouver au préalable un courtier, appelé trois ans d’états financiers certifiés, en norme
broker. Si les marchés financiers nationaux IFRS dans le cas d’Eurolist, ainsi que l’édition
sont, de ce point de vue, faciles d’accès car d’un prospectus d’information visé par l’Au-
ce rôle d’intermédiation est assumé par les torité des marchés financiers (AMF). Autant
banques, tel n’est pas le cas pour des marchés d’éléments qui démontrent que l’accès aux
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marchés financiers n’est pas simple, contre- sur les marchés financiers de gré à gré peu
disant ainsi l’hypothèse de concurrence pure liquides, tels que celui des actions non cotées.
et parfaite.
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Certaines banques, membres du London revanche garantie sur les marchés organisés.
Metal Exchange (LME), marché londonien de Grâce notamment à la présence d’agences
référence pour ces métaux, ont ainsi été sus- dédiées à la production et à la diffusion
pectées de jouer sur le niveau des stocks, élé- d’informations financières, à la multiplica-
ment déterminant du niveau des prix de ces tion des indices boursiers visant à offrir aux
matières premières. investisseurs une information agrégée sur
la dynamique globale des prix et en raison
Homogénéité de la centralisation des ordres d’achat et de
vente au sein de la chambre de compensa-
Il n’est de plus pas certain que l’hypothèse
tion, tout agent peut, en temps réel, comparer
d’homogénéité des produits soit vérifiée sur
l’ensemble du prix des actifs cotés en Bourse.
les marchés financiers, en dépit de l’exis-
Il peut ainsi réaliser des opérations d’arbi-
tence d’une norme internationale de renta-
trage entre deux places financières et de ce
bilité. Il faut, pour le comprendre, rappeler
fait favoriser la cohérence des prix. En effet,
les similitudes existant entre les marchés
si une même action cotée sur deux Bourses
de biens et services et les marchés de capi-
différentes, Paris et New York, venait à avoir
taux. Sur le marché automobile par exemple,
des prix différents, les opérateurs l’achète-
l’hypothèse de concurrence pure et parfaite
raient immédiatement, là où elle est la moins
n’est pas vérifiée car le bien échangé peut
chère, pour simultanément la revendre au
être différencié par la qualité (on parle alors
prix le plus élevé, contribuant de ce fait à un
de différenciation verticale) ou par la variété
rééquilibrage entre places. Une fois encore, ce
(différenciation horizontale). Dans le cas
constat évolue lorsque les marchés OTC sont
des marchés financiers, et notamment des
considérés. Les actifs étant par définition non
marchés d’actions et obligataires, il en est
standardisés et les opérations qui y sont réa-
de même puisque le « produit » est unique,
lisées étant, à la différence des marchés orga-
intrinsèquement lié à la nature de l’émet-
nisés, de nature strictement privée, leur prix
teur. Cela ne signifie pas pour autant que la
ne peut être obtenu, empêchant de facto toute
comparaison entre actifs financiers n’a pas
tentative de comparaison entre produits.
de sens, bien au contraire. Les investisseurs
La crise des subprimes de 2007 s’est ainsi
fondent en effet leur choix sur le couple
transformée en crise financière mondiale une
rendement-risque que l’actif financier leur
année plus tard car un des produits déri-
procure. Si une obligation d’État français
vés les plus en vogue alors, le Credit Default
est, par nature, différente de celle émise par
Swap (CDS) était échangé sur un marché OTC
le Trésor britannique ou italien, celles-ci
particulièrement opaque. Au moment de la
seront néanmoins systématiquement compa-
faillite de Lehman Brothers, en septembre
rées au regard du rendement qu’elles offrent
2008, personne ne savait en effet combien
et du niveau de risque qu’elles impliquent,
au même titre que le sont les automobiles de CDS avaient été émis et par qui. Le para-
de marques différentes, mais appartenant doxe veut pourtant qu’un tel produit ait pour
à une gamme similaire. Un investisseur fonction de venir indemniser un investisseur
compose ainsi son portefeuille en choisis- lorsqu’un ou plusieurs émetteurs des obliga-
sant les titres qui satisferont à ses objectifs tions qu’il détient fait défaut. Les opérateurs
de rendement, compte tenu de son aversion du marché ne connaissant pas, par nature,
au risque. le montant des indemnisations requises à la
suite des faillites à répétition, il n’en fallait
pas plus pour que la panique se diffuse. C’est
Transparence une des raisons pour lesquelles les autorités
Le sujet demeure assez largement débattu, financières nationales et internationales se
mais la transparence des marchés semble en sont attachées depuis à imposer aux marchés
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OTC une compensation centrale des transac- pas être le cas pour les marchés OTC qui
tions, les rapprochant de facto des marchés demeurent, par nature, moins transparents.
organisés. La concurrence y est forte, mais elle n’est ni
*** pure ni parfaite. Si l’on porte ce raisonnement
Les éléments précédents démontrent qu’il au niveau des places boursières elles-mêmes,
est difficile de conclure de façon radicale l’hypothèse de concurrence imparfaite – exis-
sur le type de concurrence prévalant sur les tence d’oligopoles ou de monopoles locaux –
marchés financiers. La grande diversité des apparaît en revanche raisonnable. Ce constat
mécanismes et des objectifs qui les caracté- en demi-teinte a néanmoins pour mérite de
risent explique assez largement cette indéter- rappeler que l’hypothèse de concurrence pure
mination. Si les marchés organisés peuvent et parfaite, l’idéal néoclassique d’un marché
présenter certaines caractéristiques de la sans dysfonctionnement, relève bien plus de
concurrence pure et parfaite, et notamment la théorie que de la réalité.
la pleine disponibilité des prix, tel ne semble
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Loin de l’idéal-type de la concurrence parfaite, le marché du travail connaît des déséquilibres
durables que l’insuffisance de la demande ou le coût excessif du travail ne peuvent expliquer
à eux seuls. Des caractéristiques propres à ce marché permettent de mieux comprendre la
persistance du chômage. François Fontaine met ainsi en évidence son caractère frictionnel :
tandis que les créations et destructions d’emplois sont massives, l’information imparfaite, les
coûts liés à la mobilité professionnelle et l’inadéquation entre l’offre et la demande de travail
font que des personnes ne trouvent pas de travail alors que des emplois restent vacants. Dans
ce contexte, les institutions du marché du travail telles que l’assurance chômage ne sont pas
un frein à son fonctionnement mais s’avèrent au contraire nécessaires.
Problèmes économiques
Le marché du travail,
un marché en mouvement
Comme dans beaucoup de champs de l’écono-
FRANÇOIS FONTAINE
mie, l’usage des données microéconomiques
a révolutionné notre compréhension du mar- Professeur à l’université Paris-I
ché du travail. Avant les années 1980, il était membre de l’Institut universitaire de France
impossible d’observer à l’échelle d’un pays la
croissance ou la disparition des entreprises, Or, nous savons désormais que nos écono-
ou les mobilités des individus entre entre- mies sont en permanence le théâtre de réal-
prises. Le chômage était analysé soit comme locations massives, c’est-à-dire de mobilités
la résultante d’un coût du travail trop élevé, d’une entreprise à l’autre avec parfois un
soit comme la conséquence d’une demande de passage au chômage, et de destructions et de
biens et de services insuffisante. Il s’agissait créations d’emplois simultanées. Avant même
en réalité de deux visions complémentaires : la crise économique, on estimait que, chaque
les entreprises ne produisent que s’il y a une jour, environ 10 000 emplois étaient détruits
demande à satisfaire et que si la satisfaction tandis que 10 000 autres étaient créés1. Plus [1]
On pourra consulter
de cette demande leur est profitable. Du point étonnant, les firmes qui licencient ou ne avec profit l’ouvrage
de Cahuc P.
de vue du cycle des affaires, on considérait renouvellent pas certains contrats sont aussi et Zylberberg A.
qu’il y avait des périodes où les licenciements des firmes qui créent des emplois. En moyenne (2004).
constituaient la majeure partie des mouve- sur une année pour une embauche nette, une
ments sur le marché du travail et d’autres, firme se sera séparée de quatre travailleurs et
plus favorables, où les embauches étaient en aura embauché cinq. Par ailleurs, les sala-
dominantes. riés sont mobiles et certains changent d’em-
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ploi de manière répétée durant leur carrière, qui pourraient lui convenir. En outre, la col-
voire au cours d’une même année. Enfin, les lecte de telles informations prend du temps.
entrées au chômage sont fréquentes même en Enfin, accepter un poste est en soi une prise
période de boom économique et il faut sou- de risque et cela implique parfois de suppor-
vent y rester plusieurs mois avant de retrou- ter des coûts importants, par exemple parce
ver un emploi. qu’il faut déménager. De même, un employeur
Si l’on pense à ces larges mouvements de n’observe pas sans effort les personnes qui
main-d’œuvre, les manières dont on expli- pourraient convenir pour le poste qu’il pro-
quait par le passé le fonctionnement du pose. C’est à la fois un problème de localisa-
marché du travail ne semblent plus satisfai- tion des candidats et d’évaluation de la qua-
santes. Elles ne disent rien sur le temps que lité des candidats.
passent les travailleurs au chômage alors que Embaucher prend du temps, trouver un emploi
ces durées ont un impact important sur le aussi. Ainsi, coexistent sur le marché du tra-
bien-être des travailleurs. Elles n’expliquent vail des emplois vacants et des chômeurs. Les
pas pourquoi une même firme embauche et données dont nous disposons aujourd’hui
licencie, et pourquoi certains postes restent montrent que cela est vrai au niveau du mar-
vacants. En outre, elles restent silencieuses ché du travail pris dans son ensemble, mais
sur le rôle que les institutions du marché du aussi au sein d’un même secteur ou d’une
travail, et notamment de l’assurance chô- même profession. Il ne s’agit à proprement
mage, peuvent jouer dans ces mouvements parler ni d’un problème de demande, ni d’un
incessants. problème de rigidité des salaires. Si l’on sou-
haite améliorer le fonctionnement du marché
du travail et rapprocher demandeurs d’em-
Le marché du travail plois et emplois vacants, il faut donc appro-
fondir notre compréhension de ces imperfec-
est un marché frictionnel tions que les économistes nomment frictions.
Sentant les limites des approches qui, à leur
époque, étaient considérées comme stan-
dards, plusieurs économistes ont cherché Les destructions créatrices
dans les années 1970 à proposer une des- Comme nous l’avons évoqué, même lorsque
[2]
George Stigler, prix cription plus réaliste du marché du travail2. l’environnement économique est stable, des
Nobel 1982, a été l’un
des premiers à avoir
Celle-ci, sans repousser nécessairement les entreprises disparaissent tandis que d’autres
appliqué la théorie des explications que nous avons déjà données, sont créées. Parallèlement, au sein des entre-
frictions de recherche insiste particulièrement sur deux écarts à la
au marché du travail prises qui poursuivent leurs activités, cer-
dans un article de 1962. concurrence parfaite : l’asymétrie de l’infor- tains emplois sont détruits, de nouvelles
Une brève présentation mation3 et l’existence de coûts à échanger, personnes sont embauchées et des employés
de ces développements c’est-à-dire en l’occurrence à chercher un
peut être trouvée changent de tâches. Cela vient du fait que nos
dans le discours emploi ou, pour les employeurs, à embaucher. économies fonctionnent en partie par des-
prononcé lors de la On parle de frictions du marché du travail. tructions créatrices. L’idée n’est pas nouvelle,
remise de son
prix Nobel en 2010 par Cette nouvelle manière de voir fut popula- elle a été popularisée par l’économiste autri-
Dale T. Mortensen. risée quelques années plus tard par P. Dia- chien Joseph Schumpeter dans les années
[3]
Sur les différents mond, D.T. Mortensen et C. Pissarides. Elle 1940 même s’il n’existait pas de données à
types d’asymétrie valut à ces trois économistes un prix Nobel l’époque pour la tester. Elle est somme toute
d’information, voir le en 2010. Elle part d’un raisonnement très très simple : des activités ou des produits en
texte d’Anne Corcos
et François Pannequin, simple. Lorsqu’un individu est à la recherche perte de vitesse sont poussés vers la sortie
p. 58. d’un emploi, il ne dispose pas d’une vision par de nouvelles activités et de nouveaux
parfaite des postes qui sont disponibles et produits. Tandis que certaines professions
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deviennent obsolètes, d’autres sont créées d’emploi impliquent alors des mobilités qui
pour s’adapter aux nouvelles activités ou sont coûteuses (déménagement, contraintes
parce que certaines innovations ont changé familiales). In fine, ces difficultés limitent de
la manière de produire et de travailler. C’est manière importante les réallocations sur le
en principe une source de croissance si les marché du travail, même en période où l’acti-
activités à forte valeur ajoutée prennent le vité économique est favorable, et vont venir
pas sur les autres, mais en pratique, ce pro- aggraver l’impact des baisses d’activité.
cessus pose un certain nombre de difficultés. Si l’on s’intéresse maintenant à l’efficacité
Celles-ci, comme nous allons le voir, trouvent des réallocations, il est probable qu’elles ne se
leurs origines dans les imperfections du mar- font pas toujours dans le bon sens, c’est à dire
ché du travail que nous avons déjà évoquées. qu’elles ne correspondent pas nécessairement
Pour le comprendre, supposons au contraire à des départs d’entreprises à faible valeur
que le marché du travail soit parfaitement ajoutée vers des entreprises à forte valeur ajou-
concurrentiel. Cela suppose que les travail- tée. Le marché du travail étant frictionnel, les
leurs observent tous les postes disponibles travailleurs ne vont pas nécessairement vers
et que leurs mobilités ne sont pas coûteuses. les « meilleures » entreprises. Ils cherchent
Cela suppose en outre, hypothèse discutable avant tout à travailler ou, lorsqu’ils ont déjà
sur laquelle nous reviendrons, que les salaires un emploi, à améliorer leurs salaires et condi-
reflètent la productivité des emplois, c’est-à- tions de travail. Dit autrement, ils accepte-
dire de la valeur ajoutée qu’ils génèrent. Dans ront toute offre qui améliore la situation dans
ce cas, un salarié qui perd son emploi, car laquelle ils se trouvent. Ainsi, de nombreux
celui-ci est obsolète, ira vers l’un des emplois travaux montrent que des firmes pourtant peu
nouvellement créés pour lequel il est le mieux productives survivent et continuent à embau-
rémunéré et donc (du fait de l’hypothèse sur cher5. Les imperfections du marché du travail
les salaires) où il est le plus productif4. Le font que leurs salariés ont du mal à trouver [4]
Ici, le terme
processus de destruction créatrice est effi- d’autres postes et que les chômeurs n’ont pas « productif » se rapporte
à la valeur ajoutée
cace car les réallocations vont des postes les nécessairement la possibilité de refuser leurs supplémentaire que
moins productifs vers ceux qui le sont le plus. offres d’emploi. Elles bénéficient donc d’une l’embauche de ce
main-d’œuvre à moindre coût qui leur per- travailleur génère
Que change l’existence d’imperfections sur pour l’entreprise. Elle
le marché du travail ? Tout d’abord, comme met de rester profitables et donc de survivre. dépend de son efficacité
trouver un emploi n’est pas instantané, une À l’inverse, certaines entreprises, pourtant au travail mais aussi
des technologies de
grande partie des réallocations de main- à plus forte valeur ajoutée, auront du mal à production de l’entrepise
d’œuvre se fait par un passage des salariés par trouver les employés dont elles ont besoin et et de la profitabilité du
le chômage. Si cette transition est trop lente, n’auront pas la croissance qu’elles auraient secteur sur lequel elle
opère.
les coûts sur le bien-être et la santé peuvent pu avoir si le marché du travail était moins
être importants. En France, la durée moyenne frictionnel. [5]
Voir par exemple
Bartelsman E. J.
des épisodes de chômage était de 14 mois en et Doms M. (2000),
2012, à égalité avec la moyenne des pays de
l’Union européenne, mais deux fois plus éle- Les salaires, « Understanding
Productivity: Lessons
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il peut prétendre, ceux-ci reflètent les diffé- de demandeurs d’emploi. Pour embaucher,
rences de productivité entre les emplois. il suffira à l’employeur de fixer un salaire
Ce serait le cas si le marché du travail était un supérieur à ce que l’individu touche au chô-
marché en concurrence parfaite c’est-à- dire mage. Il n’y a donc pas de raison pour que
sans frictions. Dans cette situation, un deman- le salaire reflète la productivité du salarié.
deur d’emploi observe l’ensemble des postes Si l’on généralise un peu l’idée, il est aisé
disponibles et les salaires qui y sont asso- de comprendre que plus la compétition
ciés. Il peut donc choisir l’employeur qui offre entre employeurs pour conserver leur main-
les meilleures conditions. Cette possibilité d’œuvre est importante et plus le salaire est
de choisir le meilleur emploi disponible exa- proche de la productivité. De manière géné-
cerbe la compétition entre les employeurs. Elle rale, les employeurs prennent en compte les
devient telle que la rémunération à laquelle ce opportunités extérieures de leurs salariés
travailleur va pouvoir prétendre correspond et, en fonction de celles-ci, le salaire oscille
au salaire maximal qu’il peut obtenir sans que entre le montant des allocations chômage et
l’entreprise ne perde de l’argent. Le salaire est la productivité de l’emploi.
alors égal à ce que le travail du salarié rap- Lorsque l’information sur les postes est
porte à l’entreprise (sa productivité). imparfaite et que les mobilités sont coû-
Comment tester ce qu’il en est en réalité ? teuses, le marché du travail peut donc être
Il suffit de remarquer que si le salaire est vu comme une loterie. Certains travailleurs
égal à la productivité, il est alors fonction vont avoir la chance de trouver un employeur
des technologies utilisées pour produire et proposant des salaires élevés ou auront une
d’éléments observables, comme l’éducation, opportunité de carrière qui leur permettra
l’expérience, l’âge, ou inobservables, comme de changer d’entreprise et d’améliorer leurs
la motivation, qui affectent la productivité. conditions salariales. D’autres ne bénéficie-
Or, les études empiriques sur la question ront pas de cette chance et auront des salaires
ont montré que les caractéristiques obser- plus faibles et des carrières salariales moins
vables n’expliquent qu’une part limitée des dynamiques. Les imperfections du marché
différences de salaires entre individus (entre du travail sont donc une source importante
un tiers et la moitié en fonction des études). d’inégalité salariale entre travailleurs à la
Même si l’on prend en compte le fait que productivité pourtant identiques.
l’on n’observe pas tous les déterminants de
la productivité et que l’on contrôle ce que
les statisticiens nomment l’hétérogénéité
Une vision mesurée
inobservée, il reste entre un tiers et la moitié
des différences de salaires à expliquer. Dit
du fonctionnement du marché
autrement, des individus, identiques sont du travail
[6]
Il ne s’agit pas de payés différemment6.
discrimination car On le voit bien, le salaire n’est pas un simple
celle-ci repose sur des Éclairant cette énigme empirique, de nom- prix de marché permettant d’égaliser offre et
éléments observables breux travaux théoriques ont montré que, demande de travail ; il est l’expression des
(comme le sexe) qui
sont donc contrôlés en si la productivité affecte bien les rémuné- imperfections de marché qui se trouvent au
première étape. Les rations, la manière dont elle se reflète dans cœur des analyses modernes. Celles-ci ne
études existantes sont le salaire dépend fondamentalement des sont pas antithétiques avec les approches
assez techniques, on
pourra trouver une imperfections du marché du travail. L’idée keynésiennes, liant étroitement la demande
présentation abordable est simple. Pour l’illustrer, imaginons le cas de travail et la demande de biens et services,
des principaux résultats
dans Kramarz F. (2004).
inverse de la concurrence parfaite, c’est- ni avec la vision néoclassique où la demande
à-dire un univers dans lequel il n’existe de travail dépend du salaire et où le chômage
qu’un seul employeur et un grand nombre découle des rigidités sur les salaires.
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D’un côté, la demande de biens et services durées sont particulièrement longues dans
détermine la profitabilité d’une embauche. beaucoup de pays. L’assurance chômage est
Elle pousse donc l’entreprise à ouvrir des donc nécessaire pour limiter les pertes de
postes qui seront d’abord vacants avant d’être revenus qui en résultent. Elle est obligatoire
éventuellement pourvus ou, au contraire, à dans la majeure partie des pays et est sou-
réduire le nombre d’employés. De l’autre, les vent financée par une taxe sur les salaires
salaires sont bien un facteur pris en compte (6,4 % du salaire brut en France). Ce mode
par l’entreprise lorsqu’elle crée ou détruit de financement permet une mutualisation
des emplois. Ceux-ci sont rigides dans le des risques sur le marché du travail. Cette
sens où ils ne s’ajustent pas parfaitement aux mutualisation est essentielle car de nom-
chocs de productivité. L’existence d’éléments breux salariés ne disposent pas d’un niveau
comme les allocations chômage les poussent d’épargne suffisant pour financer leurs épi-
à la hausse mais, à l’inverse, les imperfections sodes de chômage.
du marché du travail permettent à l’employeur
de verser des rémunérations plus faibles que Premier effet direct sur les mobilités, des
ce qu’ils verseraient en concurrence parfaite. allocations suffisamment généreuses per-
mettent aux demandeurs d’emploi de ne pas
Un accroissement de la demande de biens accepter la première offre venue. Convena-
et services peut créer des emplois, de même
blement assurés, ils peuvent chercher des
qu’une baisse du coût du travail. Cependant,
emplois qui correspondent à leurs compé-
leurs effets sont limités par la présence de
tences. C’est a priori une bonne chose car
frictions de recherche d’emploi qui ralen-
l’adéquation entre le salarié et le poste qu’il
tissent les sorties du chômage et allongent
occupe favorise la stabilité de la relation
le temps nécessaire pour pourvoir les postes
d’emploi et limite le risque de retourner
ouverts. Ce constat appelle à compléter les
rapidement au chômage. C’est aussi positif
politiques d’offre et de demande habituelles
pour la productivité globale de l’économie.
par des mesures pouvant affecter les frictions
Dans ce sens, l’assurance chômage permet
en elles-mêmes en modifiant la structure du
de financer une recherche d’emploi efficace.
marché du travail.
Réduire le service public pour l’emploi aux
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Au-delà de l’intermédiation, l’une des mis- montré que la durée du chômage de ceux qui
sions de ce service public est d’accompa- bénéficiaient d’un renforcement de l’accom-
gner les demandeurs d’emploi, c’est-à-dire pagnement diminuait très significativement.
de les conseiller sur la meilleure manière Les chômeurs bénéficiant de ce suivi renforcé
de chercher un emploi, sur les secteurs à ont ainsi vu leur taux de sortie du chômage
prospecter, de les aider à rédiger leur curri- augmenter d’environ 30 % durant la première
culum vitae et de les orienter si nécessaire année où ils étaient inscrits au chômage9.
vers les formations les plus pertinentes. Cet
accompagnement est très important pour le ***
bon fonctionnement du marché du travail. Il Le marché du travail est un marché en mou-
accentue l’efficacité des recherches d’emploi vement continuel, traversé par de gigan-
en réduisant les imperfections d’information tesques flux de main-d’œuvre. Ceux-ci sont
et en améliorant l’adéquation entre les postes essentiels au bon fonctionnement de l’éco-
à pourvoir et les candidats. C’est une autre nomie mais se heurtent aux imperfections
dimension par laquelle le service public pour du marché, en particulier à ce que les écono-
l’emploi limite les frictions de recherche mistes ont appelé les frictions de recherche
d’emploi. d’emploi. Ces frictions ralentissent ces mou-
Cela explique sans doute que le renforcement vements, les rendent coûteux en termes de
de l’accompagnement est l’une des rares bien-être et réduisent leur contribution à la
politiques pour l’emploi dont l’efficacité est croissance économique. Cette compréhen-
avérée par un grand nombre d’études por- sion relativement récente du fonctionnement
[8]
Un panorama des tant sur de nombreux pays8. Nous ne don- du marché du travail permet de saisir les
études sur la question nerons ici qu’un exemple. La France a expé- limites des politiques d’offre et de demande
est proposé par Fontaine F. telles qu’elles étaient conçues par le passé.
et Malherbet F. (2013). rimenté en 2006 un dispositif appelé « suivi
mensuel personnalisé ». Destiné aux deman- A contrario, elle redonne toute leur place à
[9]
L’évaluation a été
deurs d’emploi présentant un risque faible des politiques qui, comme le renforcement de
menée par Thomas le l’accompagnement des chômeurs, modifient
Barbanchon et Maël à modéré de chômage, il mettait en place,
Fontaine (Document dès le quatrième mois passé sur les listes de directement le fonctionnement du marché.
d’étude n°175 de la
DARES).
l’agence pour l’emploi, un entretien mensuel
avec un conseiller. L’évaluation existante a
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N° 70 Novtembre-décembre 2014
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problèmes économiques
Problèmes économiques invite les spécialistes à faire le point
HORS-SÉRIE
FÉVRIER 2015 NUMÉRO 7
comprendre
L’ÉCONOMIE
1. Concepts et mécanismes
Rédigé par des enseignants et des universitaires, ce premier tome
de la série « Comprendre l’économie » présente de façon simple et
non formalisée les savoirs fondamentaux des sciences économiques.
Le numéro commence par une présentation de la discipline et de ses
grands courants de pensée pour se concentrer ensuite sur ses outils et
ses acteurs. Une dernière partie s’intéresse aux mécanismes des marchés
et à leurs dysfonctionnements éventuels, en présentant les marchés les
plus emblématiques, tels que les marchés de capitaux et du travail.
Directeur de la publication
Bertrand Munch
Direction de l’information
légale et administrative
Tél. : 01 40 15 70 00
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