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Notions Culture Civilisation PDF
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La notion de culture
Extraits du chapitre IV: «Culture, civilisation et idéologie», de GUY ROCHER, Introduc-
tion à la SOCIOLOGIE GÉNÉRALE. Première partie: L'ACTION SOCIALE, chapitre IV,
pp. 101-127. Montréal: Éditions Hurtubise HMH ltée, 1992, troisième édition.
tive et on peut ajouter qu'elle ne met la pensée, s'étendent à toutes les formes
peut-être pas en lumière tous les caractères d'expressions des sentiments aussi bien
que l'on attribue maintenant à la culture. qu'aux règles qui régissent des actions ob-
Depuis Tylor, bien d'autres définitions de la jectivement observables. La culture s'adresse
culture se sont ajoutées; Kroeber et Kluck- donc à toute activité humaine, qu'elle soit
hohn les ont colligées, classées et commen- cognitive, affective ou conative (i.e. qui
tées 1. Un bon nombre de ces définitions concerne l'agir au sens strict) ou même sen-
sont loin d'être aussi heureuses que celle de sori-motrice. Cette expression souligne en-
Tylor; plusieurs ont cependant contribué à fin que la culture est action, qu'elle est
cerner d'un peu plus près la réalité cultu- d'abord et avant tout vécue par des person-
relle. nes; c'est à partir de l'observation de cette
action que l'on peut inférer l'existence de la
Nous inspirant de la définition de Tylor culture et en tracer les contours. En retour,
et de plusieurs autres, nous pourrions définir c'est parce qu'elle se conforme à une culture
la culture comme étant donnée que l'action des personnes peut être
dite action sociale.
un ensemble lié de manières de penser, de
En second lieu, ces manières de pen-
sentir et d'agir plus ou moins formalisées
ser, de sentir et d'agir peuvent être «plus ou
qui, étant apprises et partagées par une
moins formalisées»; elle sont très formali-
pluralité de personnes, servent, d'une ma-
sées dans un code de lois, dans des formules
nière à la fois objective et symbolique, à
rituelles, des cérémonies, un protocole, des
constituer ces personnes en une collectivi-
connaissances scientifiques, la technologie,
té particulière et distincte.
une théologie; elles le sont moins, et à des
degrés divers, dans les arts, dans le droit
L'explication de cette définition va coutumier, dans certains secteurs des règles
nous permettre de mettre en lumière les ca- de politesse, notamment celles qui régissent
ractéristiques principales qu'anthropologues les relations interpersonnelles impliquant
et sociologues s'entendent pour reconnaître des personnes qui se connaissent et se fré-
à la culture. quentent de longue date. Moins les manières
de penser, de sentir et d'agir sont formali-
Caractéristiques principales sées, plus la part d'interprétation et d'adapta-
de la culture tion personnelle est permise ou même re-
quise.
On notera d'abord que nous avons re-
pris la formule particulièrement heureuse de La troisième caractéristique de la
Durkheim et que nous parlons de «manières culture, que comprend notre définition, est
de penser, de sentir et d'agir». Cette for- absolument centrale et essentielle; ce qui
mule est plus synthétique et aussi plus géné- fait d'abord et avant tout la culture, c'est que
rale que l'énumération de Tylor; elle est par des manières de penser, de sentir et d'agir
ailleurs plus explicite que la formule «ma- sont partagées par une pluralité de person-
nière de vivre» («way of life») qu'on trouve nes. Le nombre de personnes importe peu; il
dans beaucoup d'autres définitions. Elle pré- peut suffire de quelques personnes pour
sente l'avantage de souligner que les modè- créer la culture d'un groupe restreint (un
les, valeurs, symboles qui composent la «gang»), alors que la culture d'une société
culture incluent les connaissances, les idées, globale est nécessairement partagée par un
grand nombre de personnes. L'essentiel est
que des façons d'être soient considérées
1 Op. cit., pages 75-154.
Guy Rocher, La notion de culture 5
comme idéales ou normales par un nombre individu doit apprendre pour vivre dans une
suffisant de personnes pour qu'on puisse re- société particulière». Recourant à des for-
connaître qu'il s'agit bien de règles de vie mules différentes, un grand nombre de défi-
ayant acquis un caractère collectif et donc nitions de la culture, celle de Tylor y com-
social. La culture, au sens anthropologique prise, ont retenu ce caractère; certains l'ont
et sociologique du terme, bien qu'elle s'indi- même érigé en trait principal ou dominant
vidualise, n'est cependant pas individuelle de la culture.
de sa nature; on la reconnaît d'abord et prin-
cipalement à ce qu'elle est commune à une Aspects objectif et symbolique
pluralité de personnes. Nous avons vu pré- de la culture
cédemment comment la notion de culture,
qui ne pouvait d'abord s'appliquer qu'à des Apprises et partagées, les normes et va-
individus, en est venue à prendre une nou- leurs culturelles contribuent à former, d'un
velle signification collective. On voit aussi certain nombre de personnes, une collectivi-
du même coup que la notion de culture ne té particulière qu'il est possible et même re-
s'applique pas qu'à une société globale. Les lativement aisé de reconnaître et de distin-
sociologues parlent volontiers de la culture guer des autres collectivités. Cette collecti-
d'une classe sociale, d'une région, d'une in- vité, la culture contribue à la constituer
dustrie, d'un «gang». Ou encore, il arrive d'une double façon - et c'est là un autre trait
qu'on emploie l'expression «sous-culture» de la culture, essentiel à notre avis, et qui
pour désigner une entité partielle au sein n'apparaît pas assez souvent dans les défini-
d'une société globale (la sous-culture des tions de la culture-: d'une manière objective
jeunes) ou lorsqu'on veut faire état des liens et d'une manière symbolique. D'une ma-
entre une culture et une autre plus étendue nière que nous appelons objective
dans laquelle elle s'inscrit. d'abord, car les manières de penser, de sen-
tir et d'agir que des personnes ont en com-
Un quatrième caractère de la culture, mun établissent entre elles des liens que
auquel de nombreux auteurs ont accordé une chacune ressent comme bien réels; ce dé-
importance presque égale au précédent, con- nominateur commun est pour chacune de
cerne son mode d'acquisition ou de trans- ces personnes et pour toutes une réalité aussi
mission. Rien de culturel n'est hérité biolo- «objective», aussi évidente que d'autres ré-
giquement ou génétiquement, rien de la alités plus tangibles qu'elles peuvent aussi
culture n'est inscrit à la naissance dans l'or- avoir en commun, telles qu'un territoire, des
ganisme biologique. L'acquisition de la immeubles publics, des monuments, des
culture résulte des divers modes et méca- biens matériels, etc. La culture est donc un
nismes de l'apprentissage (ce dernier terme des facteurs que l'on trouve à la source de ce
étant entendu ici dans un sens plus large que que Durkheim appelait la solidarité sociale,
celui que nous lui attribuons dans le chapitre et Auguste Comte, le consensus de la socié-
suivant). Les traits culturels ne sont donc té.
pas partagés par une pluralité de personnes
de la même façon que peuvent l'être des Mais c'est bien plus encore d'une
traits physiques; on peut dire que les der- manière symbolique que la culture fonde
niers fruits sont le fruit de l'hérédité, tandis cette relative unité d'une collectivité et
que les premiers sont un héritage que cha- qu'elle lui donne son caractère distinctif. Et
que personne doit recueillir et faire sien. cela à un double titre. Tout d'abord, les ma-
Plusieurs auteurs ont d'ailleurs défini la nières collectives de penser, de sentir et
culture comme étant un «héritage social»; d'agir sont, pour Lin bon nombre d'entre el-
d'autres ont pu dire que c'est «tout ce qu'un les, des symboles de communication ou à
tout le moins des symboles qui rendent pos-
Guy Rocher, La notion de culture 6
sible la communication. Le cas du langage d'une nation, d'un parti politique, d'un syn-
est particulièrement clair; mais les joueurs dicat et même d'une famille. S'abstenir de
d'une équipe de hockey communiquent entre participer à des réunions, de porter un insi-
eux d'une façon non verbale, à travers la gne, de signer une pétition, etc., manifeste
connaissance parfois inconsciente qu'ils ont symboliquement qu'on se détache d'un parti,
de la signification que prennent pour eux d'un syndicat, d'une association. Comment
certaines manières d'agir de chacun des au- le sociologue et l'ethnologue discernent-ils
tres joueurs. Ce dernier exemple sert à illus- les groupements, les collectivités, les socié-
trer le fait que les manières d'agir servent tés ainsi que leurs frontières, si ce n'est à
elles-mêmes de symboles de communication travers les symboles de participation que
dans l'action sociale. fournit la conduite des personnes? La
culture prend ainsi le caractère d'un vaste
Mais surtout, c'est de symbolisme de ensemble symbolique, dont les racines pui-
participation que sont lourdes les manières sent des réalités psychosociales une signifi-
collectives de penser, de sentir et d'agir. Le cation et des manifestations essentielles à la
respect des modèles, comme nous l'avons vie collective humaine.
déjà dit, symbolise généralement l'adhésion
à des valeurs, qui symbolise à son tour l'ap- Le système de la culture
partenance à une collectivité donnée. Dès
lors, la solidarité entre les membres d'une Un dernier caractère enfin de la culture
collectivité, si elle est ressentie comme une est de former ce que nous avons appelé «un
réalité, est par ailleurs saisie, perçue et ex- ensemble lié», c'est-à-dire de constituer ce
primée à travers un vaste appareil symboli- qu'on peut appeler un système. Les diffé-
que, auquel chacun des membres contribue. rents éléments qui composent une culture
Autrement dit, l'adhésion à la culture est donnée ne sont pas simplement juxtaposés
constamment réaffirmée par chaque membre l'un à l'autre. Des liens les unissent, des
de la collectivité et par tous, à travers et par rapports de cohérence les rattachent les
la signification symbolique de participation uns aux autres; lorsque des changements
attachée à leur conduite extérieurement ob- s'effectuent dans un secteur d'une culture, ils
servable. C'est aussi la signification symbo- entraînent des changements dans d'autres
lique des conduites qui permet aux membres secteurs de cette culture. Ces liens et ces
d'une collectivité comme à ceux qui n'en rapports n'ont généralement rien de néces-
sont pas, de tracer la frontière immatérielle saire, c'est-à-dire qu'ils ne résultent pas d'un
entre les membres et les non-membres, entre raisonnement logique et rationnel qui les
les citoyens et les étrangers, entre les saints, imposerait de nécessité. Ce sont plutôt des
les fidèles et les païens. Le catholique qui liens et des rapports ressentis subjectivement
s'abstient délibérément de la messe domini- par les membres d'une société. La cohérence
cale témoigne d'une manière symbolique à d'une culture est donc par-dessus tout une
ses propres yeux, aux yeux de ses coreli- réalité subjectale c'est-à-dire vécue subjecti-
gionnaires et de tous les autres, qu'il est en vement par les membres d'une société. C'est
voie de se détacher ou qu'il s'est déjà déta- d'abord chez les sujets et pour les sujets
ché de la collectivité ecclésiale. L'apparte- qu'une culture prend le caractère d'un sys-
nance à une collectivité religieuse, de nature tème. En effet, bien des arrangements diffé-
mystique, ne peut évidemment s'exprimer rents sont possibles entre les éléments d'une
qu'à travers des symboles de cette nature; culture; l'étude de Kluckhohn et Strodbeck
mais il faut bien voir que la même exigence sur les valeurs prouve qu'ils est bien diffi-
s'impose, de façon plus ou moins marquée, cile, du moins dans l'état actuel de nos
pour toute autre collectivité, qu'il s'agisse connaissances, de démontrer des liens objec-
Guy Rocher, La notion de culture 7
tivement nécessaires entre certaines valeurs riées de parenté. Il en est de même de la co-
(par exemple entre la valorisation du présent habitation du territoire ou de la division du
et la valorisation du faire). Les seuls liens travail, que la culture utilise pour forger les
«nécessaires» sont ceux que les sujets idées de nation, de patrie, de propriété, de
eux-mêmes jugent nécessaires, qui leur ap- hiérarchie sociale, de prestige social, de
paraissent tels et qu'ils acceptent ainsi. classe sociale; ce sont là d'ailleurs non seu-
lement des idées mais des faits que la culture
Pour parler de l'existence et de la struc- a contribué à créer et à maintenir.
ture du système culturel, le sociologue doit
donc passer d'abord par la perception qu'en
ont les membres d'une collectivité. Si par
La culture apparaît donc comme l'univers
conséquent, on peut parler du système de la
mental, moral et symbolique, commun à
culture, c'est qu'une culture est perçue et vé-
une pluralité de personnes, grâce auquel
cue en tant que système. Cet aspect du sys-
et à travers lequel ces personnes peuvent
tème culturel n'a généralement pas été assez
communiquer entre elles, se reconnaissent
souligné et analysé par les auteurs qui ont
des liens, des attaches, des intérêts com-
parlé du système de la culture.
muns, des divergences et des oppositions,
se sentent enfin, chacun individuellement
et tous collectivement, membres d'une
3 FONCTIONS DE même entité qui les dépasse et qu'on ap-
LA CULTURE pelle un groupe, une association, une col-
lectivité, une société.
Fonction sociale de la culture
Fonction psychique de la culture
À partir de ce qui précède, il est mainte-
nant relativement aisé d'expliciter les fonc- S'il en est ainsi, c'est qu'en même
tions psycho-sociales de la culture. Sociolo- temps la culture remplit, sur le plan psycho-
giquement d'abord, nous avons vu que la logique, une fonction de «moulage» des per-
fonction essentielle de la culture est de ré- sonnalités individuelles. Une culture est en
unir une pluralité de personnes en une col- effet comme une sorte de moule dans lequel
lectivité spécifique. D'autres facteurs contri- sont coulées les personnalités psychiques
buent aussi au même résultat: les liens du des individus; ce moule leur propose ou leur
sang, la proximité géographique, la cohabi- fournit des modes de pensée, des connais-
tation d'un même territoire, la division du sances, des idées, des canaux privilégiés
travail. Mais des facteurs eux-mêmes, que d'expression des sentiments, des moyens de
l'on peut appeler objectifs, sont transposés et satisfaire ou d'aiguiser des besoins physio-
réinterprétés dans et par la culture, qui leur logiques, etc. L'enfant qui naît et grandit
donne une signification et une portée bien dans une culture particulière (nationale, ré-
au-delà de celles qu'ils ont naturellement. gionale, de classe, etc.) est destiné à devoir
Ainsi, les liens du sang deviennent les liens aimer certains mets, à les manger d'une cer-
de parenté, sont étendus et compliqués par la taine manière, à relier certains sentiments à
prohibition de l'inceste, par les règles qui certaines couleurs, à se marier selon certains
définissent les mariages permis et les maria- rites, à adopter certains gestes ou certaines
ges prohibés et par les normes qui régissent mimiques, à percevoir les «étrangers» dans
les rapports entre personnes d'un même une optique particulière, etc. Le même en-
groupe de parenté, etc. À partir des liens fant, s'il avait été déplacé dès sa naissance et
biologiques du sang, les hommes ont élabo- soumis à une autre culture, aurait aimé d'au-
ré, à travers la culture, des formes très va- tres rites, ne recourrait pas à la même mimi-
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