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rassurant face aux errements et dénis du locataire


de la Maison Blanche. « Heureusement qu’il est là
L’expérience du sida peut-elle aider face
pour rééquilibrer toutes les bêtises proférées par
au Covid-19? Trump », juge Didier Lestrade, fondateur d’Act Up-
PAR JOSEPH CONFAVREUX
ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 27 MARS 2020 Paris, qui vient de rédiger un texte pour souligner les
points communs et les différences entre le sida et le
Peut-on tirer des leçons du précédent désastre sanitaire
coronavirus.
mondialisé qu’a été le sida, même si les modes de
transmission et la létalité sont incomparables ? Alors L’expérience du sida ne garantit pourtant pas de
que les conseillers des gouvernements sont souvent lucidité particulière sur ce qui se passe aujourd’hui,
des médecins spécialistes du HIV, éléments de réponse comme le dit dans un sourire Daniel Defert,
avec des anciens d’Act Up et d’AIDES. fondateur d’AIDES et ancien compagnon de
Michel Foucault : « Je vois un point commun entre
L’installation, mardi 24 mars par l’Élysée, de la
hier et aujourd’hui, qui est le flou médical. Il y a deux
virologue Françoise Barré-Sinoussi, co-lauréate du
semaines, je me suis rendu aux obsèques de Jacques
prix Nobel de médecine pour sa participation à
Leibowitch, médecin pionnier de la lutte contre le
la découverte du virus du sida et présidente de
sida. Nous étions environ 500 personnes, dont toute la
l’association Sidaction, à la tête d’un comité d’analyse
communauté sida et celle des infectiologues, réunies
et de recherche et expertise chargé de conseiller
dans le crématorium du Père-Lachaise. Et tout le
le gouvernement sur les traitements du Covid-19,
monde s’embrassait et se serrait dans les bras
permet-elle de tisser un continuum entre le VIH et le
alors que le virus circulait déjà ! » Daniel Defert
coronavirus actuel ?
comme Didier Lestrade évoquent aussi l’infectiologue
Christine Katlama, professeur à la Pitié-Salpêtrière,
infatigable et excellente clinicienne du sida, qui
a publiquement sous-estimé la nature réelle du
Covid-19.
Toute comparaison entre deux époques et deux virus
est encore compliquée par la « temporalité, juge
Philippe Mangeot, ancien président d’Act Up-Paris.
Le sida, c’est 40 millions de morts et une létalité
de 100 % au début de l’épidémie. Mais cela fait
maintenant 40 ans, alors que le coronavirus n’a que
six mois. On manque vraiment de recul. »
Même si, estime Didier Lestrade, « on peut déjà
repérer des points communs, comme l’impact sur la
Anthony Fauci en 2007. © DR sexualité, avec des sentiments de peur vis-à-vis des
Aux États-Unis, le scientifique chargé de la partenaires, bien que ce ne soit pas du même ordre
lutte contre l’épidémie actuelle est le médecin puisque ce n’est pas par le sexe que se transmet la
immunologue Anthony Fauci, connu et reconnu pour maladie, ou encore le fait qu’on refuse d’attendre tous
son rôle dans l’amélioration du suivi thérapeutique et les protocoles. Ce qui se passe autour du professeur
de la reconstruction immunitaire des patients atteints Raoult et de la chloroquine me rappelle l’usage
du VIH. Son absence récente aux conférences de sauvage qu’on avait de certains traitements pendant
presse quotidiennes de Donald Trump a d’ailleurs le sida, où un médecin prenait la responsabilité
inquiété toute l’Amérique, tant il fait figure de référent d’administrer un médicament qui ne faisait pas encore

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consensus, parce qu’il fallait aller vite et que cela réponses à notre échelle » ou d’avoir précocement
permettait d’obtenir des données, même si elles fait attention « pour ne pas transmettre à d’autres
étaient moins fiables que dans un essai thérapeutique y compris des pathologies bénignes pour nous
régulier. » mais potentiellement graves pour nos amis immuno-
déprimés » permet de s’inspirer de ces « savoirs et
solidarités » alors mis en œuvre, pour aujourd’hui
« essayer de mettre fin à la circulation du virus, pallier
les risques d’isolement, d’abandon, livrer des courses,
alimentaires ou de médicaments ».
En matière d’auto-support et de réponse
communautaire à la maladie – deux des acquis
de la lutte contre le sida –, Didier Lestrade juge
également qu’on peut puiser dans le passé du sida
quelques enseignements pour aujourd’hui. « Je suis
impressionné par les mouvements d’entraide qui
s’organisent aujourd’hui, en ville ou à la campagne,
alors qu’on n’en est qu’au tout début, qu’il s’agisse
de distribution de repas pour les SDF ou de cagnottes
Françoise Barré-Sinoussi. © DR
mises en place pour les travailleur.se.s du sexe. »
Peut-on alors, au-delà de quelques figures
emblématiques, effectuer des parallèles utiles et tirer Philippe Mangeot demeure plus nuancé sur la
des leçons de l’épidémie du sida, afin de mieux possibilité de transposer la réponse communautaire
saisir celle qui se répand aujourd’hui à travers le développée pendant l’épidémie du sida à la
monde ? Dans l’entretien qu’elle a accordé au situation actuelle. « L’entraide aujourd’hui demeure
Monde, Françoise Barré-Sinoussi juge que l’épidémie ponctuelle et de voisinage. Toute maladie ne crée
actuelle lui « rappelle en bien des points beaucoup des pas une communauté. Même dans le sida, on
choses douloureuses des débuts de l’épidémie VIH- n’a pas inventé une communauté, on a opposé
sida ». Elle souligne ainsi qu’il y avait alors « des une réponse communautaire à une épidémie qui
crises d’hystérie et d’angoisse parfois déraisonnées attaquait une communauté en particulier et des
et déraisonnables du grand public, liées, entre pouvoirs publics qui s’en foutaient car elle ciblait
autres, à des informations contradictoires, à de la d’abord des homosexuels, des toxicomanes ou des
désinformation, que je retrouve là en partie avec cette prostituées. Beaucoup d’activistes sida sont ensuite
pandémie ». Et juge également que « pour le VIH-sida, allés travailler dans des associations de lutte contre
notre force a été la solidarité, le “tous ensemble” que le cancer et cela n’a pas créé de communauté cancer.
pour le moment je ne trouve pas suffisant dans cette Ce qui n’a pas été possible avec le cancer me semble
épidémie ». encore plus difficile avec le coronavirus qui ne cible
Dans une tribune récente, Gwen Fauchois, ancienne
vice-présidente d’Act Up, juge qu’il est possible
d’apprendre de l’expérience du sida, à condition
« d’éviter les comparaisons idiotes entre les
épidémies de coronavirus et de VIH. Deux virus
et deux épidémies qui, médicalement, ne sont pas
comparables ». Mais en rappelant que le fait d’avoir
« su et dû ne pas attendre l’État pour organiser des

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pas des populations en particulier pour ce qui est de la Selon Didier Lestrade, les conséquences de cette
transmission, même si les prisonniers ou les étrangers contagiosité très différente introduisent une rupture
en détention sont plus exposés. » majeure entre le temps du sida et celui du corona. « Je
crains que les situations d’isolement psychologique ne
soient pires, avec l’impossibilité de visiter les malades
à l’hôpital. Des gens sont en train de mourir sans avoir
leurs proches à côté d’eux, on n’a jamais vu cela dans
le sida. Même si, au tout début, les pompes funèbres
refusaient de s’occuper des malades, on assiste là
à quelque chose d’inédit, avec des familles qui ne
peuvent pas assister aux enterrements. »
« Les enterrements font pourtant partie intégrante
des épidémies, abonde Daniel Defert. La plupart
des malades du sida, dans les premières années de
l’épidémie, étaient accompagnés jusque dans la mort,
parfois avec des chants. » Le fondateur d’AIDES
souligne à ce sujet une autre différence : « Ce soutien
aux malades se faisait parfois à l’encontre du corps
Daniel Defert en 2015. © Claude Truong Ngoc médical, dont une partie était homophobe ou jugeait
Daniel Defert juge également que cela suscite un qu’il s’agissait d’un virus mineur car concernant
différentiel important entre le sida et le coronavirus : « seulement les pédés. Aujourd’hui, je trouve très
Les épidémies, historiquement, révèlent un différentiel bien que les gens sur les balcons applaudissent les
social important selon les personnes touchées. Si, soignants et les médecins sur les balcons, mais je
aujourd’hui, les soignants ou les personnes obligées pense que ça n’aurait pas pu être pareil au début
de continuer à travailler sont davantage exposés, il du sida, où l’on n’avait pas le même rapport à
semblerait que tout le monde, hormis les questions l’institution médicale. »
d’âge ou de système immunitaire, soit à la même
Un autre écart important réside dans le rapport à
enseigne de risque, comme le montre le fait que de
l’État. « Je lis beaucoup de choses sur le retard à
nombreux politiques soient atteints. »
l’allumage de l’État au sujet du coronavirus, juge
Pour les activistes de la lutte contre le sida, Philippe Mangeot. Mais cela se chiffre en jours ou en
les différences paraissent ainsi primer sur les semaines, alors que pour le sida, il a fallu des années.
ressemblances. Une des plus importantes est liée Cette fois-ci, la mobilisation de la population ne s’est
au mode de contagion. « Le sida était une crise faite que lorsque la puissance publique a imposé des
sanitaire gravissime, enchaîne Philippe Mangeot. mesures. »
Mais il était, somme toute, facile d’empêcher son
Il y a eu « des retards et des erreurs, mais on ne peut
extension, contrairement à ce qu’on voit aujourd’hui,
pas comparer cela avec les débuts du sida, enchaîne
où la réduction des libertés individuelles nécessaire
Didier Lestrade. Le mépris de la politique nationale
pour enrayer la contagion est bien plus forte. Même
vis-à-vis des prisonniers, des personnes qui travaillent
si les pédés ont pu, au moment du sida, s’offusquer
dans les supermarchés, des livreurs, des sans-abri,
dans un premier réflexe, compréhensible vu le passif,
sans parler des étrangers dans les camps de rétention,
de la reprise en main de leur sexualité par l’État, il
peut certes évoquer la manière dont l’engagement
n’était pas question d’une telle entrave aux libertés
contre le sida a été retardé parce qu’il n’était visible
publiques. »
que chez certaines minorités. Mais il n’y avait pas

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du tout d’argent pour le VIH, censé toucher trop peu l’époque d’Act Up, on n’y allait pas de main morte sur
de gens, alors que là on est dans un effort national. le vocabulaire ou les symboles, puisqu’on avait repris
Nous avons dû nous battre pour que les laboratoires le triangle rose de l’époque nazie ! En Europe, cela fait
produisent davantage, alors que, cette fois-ci, ils sont longtemps qu’on ne sait plus ce que signifie vraiment
déjà sur le pied de guerre. » l’expérience de la guerre. C’est une métaphore, mais
En dépit de ces écarts irréductibles, les pionniers de la qui a du sens, en termes de mobilisation, même si
lutte contre le sida se retrouvent dans l’idée, pourtant ce n’est pas une guerre classique, avec des ennemis
décriée dans une certaine partie de la gauche, que la identifiables. » À la nuance près, que souligne Daniel
lutte contre l’épidémie actuelle peut s’apparenter à Defert, qu’à l’époque du sida, « ce n’étaient pas les
une guerre. « Je n’ai pas été choqué par le discours autorités qui décrétaient que nous étions en guerre,
de Macron sur ce point, affirme Philippe Mangeot. À mais les malades ».

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