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LA LETTRE DE LA CHANCELLERIE

ET DU BUREAU DES MARIAGES


Archevêché de Sens & Auxerre – CS 287 – F-89005 AUXERRE CEDEX
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PARUTION IRRÉGULIÈRE
N° 2019-20 009 / avril 2020

ONCTION DES MALADES ET MISÉRICORDE DE DIEU


C’est en raison de la crise sanitaire actuelle, que sont des temps forts de l’existence, et bien sou-
nous proposons aujourd’hui une Lettre, non pré- vent des situations de fin de vie. Des moments
vue dans la planification initiale, sur le thème de cruciaux, non seulement pour ce qui est de la vie
l’onction des malades. elle-même biologiquement parlant, mais aussi de
sa dimension spirituelle, du sens ultime que l’on
Il n’est pas possible ces temps-ci de conférer le peut encore percevoir ou donner à sa vie dans la
sacrement. Mais la situation que nous vivons sus- perspective d’une mort annoncée. Pour cette rai-
cite des questions ; d’où, sans prétention d’ex- son, il est assez fréquent que lorsqu’une per-
haustivité, les quelques repères qui suivent, en sonne demande l’onction des malades, elle de-
quatre sections : onction des malades et finitude mande aussi, simultanément, l’absolution de ses
humaine (I) ; fondements bibliques et théolo- péchés et la communion eucharistique qu’on lui
giques de l’onction des malades (II) ; miséricorde portera en viatique3.
divine et sacrement (III) ; célébration du sacre-
ment (IV). Toute créature est appelée à mourir un jour et,
exception faite des morts brutales, passe dans de
nombreux cas par l’expérience d’une maladie
I.- Onction des malades et finitude humaine plus ou moins grave qui durera quelques temps.
La différence entre l’être humain et les autres
« L’onction des malades est un peu le parent créatures4, c’est que l’homme en a conscience et
pauvre des sacrements. On en parle peu1 ». Et que la maladie et l’idée de mort lui font souvent
« il a fallu beaucoup de temps pour que l’onction peur. C’est une source d’angoisse, qui mine
des malades soit reconnue comme un sacre- l’existence humaine et peut même altérer le dis-
ment2. » Mais étonnamment, aussi « parent cernement, que la maladie soit physique ou psy-
pauvre » qu’elle soit, l’onction des malades est chique. Mortelle ou non, la maladie fragilise l’être
sans doute celui des sept sacrements qui se rap- humain et le place dans une position de dépen-
porte le plus directement à des questions existen- dance. Le malade est non seulement atteint dans
tielles de vie et de mort : maladie, horizon d’une sa santé, mais il est, dans bien des cas, privé de
mort plus ou moins prochaine, imminente ou res- sa liberté5, laquelle étant, pour les chrétiens, don
sentie telle, angoisses et doutes… L’onction des de Dieu.
malades nous renvoie à notre finitude.
Jusqu’à la moitié du vingtième siècle, dans notre
Dans la majorité des cas, les moments de la vie société, la maladie et la mort faisaient partie, pour
durant lesquels l’onction des malades et deman- ainsi dire, de la vie quotidienne : les gens tom-
dée, encore fréquemment en termes de « der- baient malades chez eux. Certains, bien sûr,
niers sacrements » ou d’« extrême onction », mouraient dans des hospices, déjà au Moyen
Âge. Mais le phénomène n’était pas aussi massif

1
Bernard SESBOÜÉ, Invitation à croire. Des sacrements crédibles et désirables, Paris, Cerf, 2009, p. 213.
2
Jean-Claude SAGNE, Les sacrements de la miséricorde, Paris, Médiaspaul, 2008, p. 150.
3
Il existe, en français, un rituel unique (Sacrements pour les malades. Pastorale et célébrations, Paris, Chalet-
Tardy, 1977, 128 p.) dans lequel est proposé, pour les cas de nécessité, un déroulement de célébration unique
contenant le sacrement du pardon, l’onction des malades et la communion portée en viatique (p. 72-79).
4 Dans l’état actuel de nos connaissances !
5
Il est remarquable que dans le discours dit du jugement dernier (Matthieu 25, 31-46) la situation du prisonnier
et celle du malade soient directement liées, en ce sens qu’elles possèdent en commun d’en appeler à la visite
du frère.

-1-
qu’aujourd’hui en Occident6. La plupart guéris- homme en noir, lorsqu’il franchit aujourd’hui la
saient ou mouraient à domicile, de sorte que le porte de la chambre d’hôpital, le malade étant
passage à la mort était vécu non seulement par seul le plus souvent, peut donner l’impression
le mourant lui-même, mais aussi par ses proches, d’apporter lui-même la mort. De sorte que cer-
eux-mêmes acteurs dans l’événement. On assis- taines personnes âgées à qui est proposé le sa-
tait à la mort au milieu des repères habituels. La crement le refusent parfois, habitées par le senti-
mort biologique n’était pas une mort sociale. Puis, ment plus ou moins diffus que c’est le sacrement
pour les pays du Nord, avec l’évolution croissante qui donne la mort... ce qui est pour le moins pa-
de la médecine et son corollaire l’allongement de radoxal d’un point de vue théologique. Dans ce
la durée de l’espérance de vie, beaucoup de ma- contexte, le pape saint Paul VI7, avec le concile
lades sont conduits dans des établissement hos- Vatican II, a préféré que l’on passe du vocabu-
pitaliers, univers éventuellement déroutant, sans laire, vécu comme tragique, de l’extrême onction,
les repères habituels, au milieu des appareils et à l’appellation d’onction des malades, élargissant
instruments de contrôle, entourés d’un personnel par le fait les situations dans lesquelles il est op-
spécialisé qui fait tout son possible pour conduire portun de recourir au sacrement. La dramatique
les patients quels qu’ils soient à la guérison et ac- n’est plus tout à fait la même. Mais il faudra du
compagner les mourants d’une attention soute- temps pour intégrer ce recentrage.
nue. C’est un défi pour le personnel soignant lui-
même, qui n’avait pas partagé le quotidien du
malade avant l’arrivée de celui-ci dans l’établis- II.- Fondements bibliques et théologiques de
sement : le cadre est nouveau pour le patient, et l’onction des malades
le patient est nouveau pour les soignants. La ma-
ladie s’est déplacée du domicile à l’hôpital. Et la À propos de l’onction des malades, l’Église utilise
mort aussi, si elle advient. Là où il y avait conti- le mot remède. L’onction est-elle un médica-
nuité, il y a rupture. ment ? Pour Bernard Sesboüé, il faut entendre
cette terminologie dans un sens éminemment
Dans les sociétés traditionnelles, la maladie ne symbolique : traditionnellement, l’huile est utilisée
pouvait être appréhendée qu’à partir du moment « pour soigner les blessures8 », comme par
où elle se déclarait extérieurement (symptômes). exemple dans la parabole du bon samaritain, en
Lorsqu’elle apparaissait irréversible, alors la Luc 10, 29-37. Le « remède » de l’huile signifie
seule « guérison » était paradoxalement le décès l’attente de guérison non pas d’une blessure en
lui-même, qui revêtait bien moins le caractère tra- particulier, mais de « tout l’homme9 ».
gique et anxiogène que nous éprouvons à notre
époque. Pour Jean-Claude Sagne, « l’onction des ma-
lades est […] un peu au sacrement de la réconci-
Il est inévitable que la pratique de l’onction des liation ce que la confirmation est au baptême : un
malades se ressente de ces évolutions : lorsque achèvement10 » ; de sorte que, « depuis le
le curé de la paroisse (« l’homme en noir » Moyen Âge, ce sacrement était devenu l’extrême
comme disaient des anciens) franchissait le seuil onction11 ». Avant Vatican II, cet achèvement
du domicile familial, le mourant l’attendait, plus ou était davantage le terminus de la vie biologique
moins paisible, comme il attendait sa mort ; il sa- que la récapitulation de l’ensemble d’une exis-
vait sa fin prochaine et savait aussi que l’homme tence à présenter en offrande au Seigneur (posi-
en noir était l’homme de cette fin, à moins d’avoir tion de Vatican II12). Le concile opère un « recen-
perdu conscience. L’entourage savait aussi. trage décisif13 » dans lequel l’onction des ma-
Mais, rappelons-le, la mort pouvait être appré- lades concerne toujours la fin de vie, y compris
hendée comme un remède à la maladie et à la au sens biologique du terme, mais en tant que
souffrance. L’expression d’extrême onction ne re- cette fin de vie marque l’accomplissement de
vêtait pas la connotation tragique actuelle : ex- toute une histoire. Quelqu’un qui, dans la foi, de-
trême onction signifiait ultime onction. Le même

6
Il serait intéressant d’actualiser notre propos sur la base d’une étude comparative récente entre ce qui se
passe à l’hôpital et ce qui se passe dans d’autres établissements, type Établissements d’Hébergement pour
Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD).
7
Cf. Saint PAUL VI, Constitution apostolique sur le sacrement de l’onction des malades, Rome, 30 novembre
1972.
8
Bernard SESBOÜÉ, op. cit., p. 222.
9
Ibid.
10
Jean-Claude SAGNE, op. cit., p. 145 ; notons que le sacrement des malades est conféré aussi dans une dy-
namique de pardon des péchés, comme le dit la formule liturgique requise (RR 76).
11
Ibid., p. 146.
12
Cf. Concile Œcuménique Vatican II, Constitution sur la sainte liturgie (SC), 4 décembre 1963, n° 73.
13
Jean-Claude SAGNE, op. cit., p. 145.

-2-
mande l’onction des malades, attend implicite- de l’onction des malades comme il a institué les
ment une bonne nouvelle, d’autant plus s’il sait sa autres sacrements18.
maladie incurable. Cette bonne nouvelle est alors
espérée bien plus que comme un message ponc- Il est fondamental, outre les références bibliques
tuel : elle concerne le sens de l’existence. Le sa- citées, de s’arrêter sur l’attitude de Jésus à
crement vient alors faire symboliquement de la l’égard des souffrants dans les récits évangé-
personne et de la totalité de son histoire et de ses liques de guérisons. Notons que les miracles de
relations, dans un mouvement de récapitulation, Jésus sont en rapport avec la foi, et que ce rap-
une ultime offrande à Dieu : c’est en ce sens, se- port fonde la liturgie du sacrement19. Dans bien
lon nous, qu’on peut parler d’achèvement. Car en des passages de l’Évangile, Jésus présente les
proclamant le mystère pascal présent au cœur de guérisons qu’il opère comme des signes du salut.
tout sacrement, l’Église annonce la vie définiti- Une chose est d’être guéri (temporairement),
vement acquise. Dans cet esprit – mieux : dans autre chose est d’être sauvé (définitivement).
cette foi – l’Église propose un sacrement spéci- L’onction des malades est signe sacramentel du
fique finalisé sur la guérison, avec néanmoins salut définitif, manifesté dans les récits évangé-
une possible ambigüité : l’onction des malades liques de miracles, et obtenu par la croix du
pourrait être comprise comme un acte quelque Christ. Et quand bien même la science aurait rai-
peu magique, qui fournirait immédiatement une son de la maladie, cela ne supprime pas l’« effi-
guérison biologique. Il faut donc lever le doute cacité » du sacrement quant au salut. Salut divin
éventuel : s’agissant d’un sacrement, la guérison et guérison humaine : nous sommes sur deux re-
dont il s’agit, comme d’ailleurs la guérison du pé- gistres différents, en rapport l’un avec l’autre bien
ché, c’est le salut définitif en Jésus Christ, la vie sûr, qui ne s’opposent pas, et qui témoignent de
dans laquelle toute mort aura disparu. L’onction différentes dimensions de la vie physique et spi-
des malades manifeste comme paradoxalement rituelle de l’homme. Le sacrement est « efficace »
la présence concrète du Christ ressuscité dans célébré et reçu dans la foi.
des situations extrêmes, et procure l’espérance
d’un salut au-delà de la finitude et des limites hu- La vie sacramentelle en général dépasse chacun
maines. L’onction plonge le malade qui la reçoit des sacrements en particulier, et elle est essen-
dans la grâce originelle de son baptême. tiellement christologique. C’est pourquoi, même
si nous ne disposons que de deux références
Si, comme l’exprime Bernard Sesboüé, l’onction néotestamentaires pour asseoir scripturairement
des malades est « parent pauvre » parmi les sa- l’institution de l’onction des malades comme sa-
crements, c’est notamment parce que les deux crement, il convient de s’intéresser en général
seules références bibliques directes – néotesta- aux paroles, faits et gestes de Jésus, tels que les
mentaires – sont Marc 6, 13 (Les disciples rapportent les évangiles, à l’égard des personnes
« chassaient beaucoup de démons, ils faisaient qu’il guérit. À travers les récits rapportés, l’atti-
des onctions d’huile à beaucoup de malades et tude miséricordieuse de Jésus transparaît ; et
ils les guérissaient ») et Jacques 5, 14-15 (« L’un cette attitude, les apôtres puis les pasteurs sont
de vous est-il malade ? Qu’il fasse appeler les an- appelés à la faire leur au nom de Jésus Christ,
ciens de l’Église, et qu’ils prient après avoir fait car le « Christ est fondement des sacrements
sur lui une onction d’huile au nom du Seigneur. plus que fondateur20. »
La prière de la foi sauvera le patient ; le Seigneur
le relèvera et, s’il a des péchés à son actif, il lui
sera pardonné. ») Cette dernière référence étant III.- Miséricorde divine et sacrement
primordiale, parce qu’elle fonde le prêtre14 (et non
le diacre) comme ministre de ce sacrement15. Le Si le ministre du sacrement adopte une attitude
concile de Trente déclare en outre qu’en confé- miséricordieuse, c’est parce qu’il témoigne de la
rant l’onction d’huile en vue de la guérison des miséricorde de Dieu lui-même. La miséricorde du
malades, les apôtres ont suivi l’ordre de Jésus16, Père, dont le Fils est le visage21, est expression
lui qui les envoie guérir en son nom ceux qui sont de l’amour éternel du Père, amour plus fort que
atteint de maladies17. Ce, dans une logique tradi- toute mort.
tionnelle : Dieu lui-même a institué le sacrement

14
Le mot ancien traduit ici le grec presbuteros, qui donne prêtre en français.
15
Cf. CIC 83, c.
16
Concile de Trente, 13ème session, 11 octobre 1551 (Dz n° 1695).
17
Cf. Matthieu 10, 1 et // ; Marc 16, 18.
18
Cf. Rituel de la messe chrismale, formule de consécration du chrême.
19
Cf. Catéchisme de l’Église catholique (CEC), n° 1504.
20
Bernard SESBOÜÉ, op. cit., p. 229.
21
Cf. pape FRANÇOIS, Misericordiae Vultus, Bulle d’indiction du jubilée extraordinaire de la miséricorde,
11 avril 2015.

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Littré définit la miséricorde comme « le sentiment est actuellement exclu. Ce qui est vrai pour l’onc-
par lequel la misère d’autrui touche notre tion des malades est vrai pour l’eucharistie et
cœur22. » Dans l’idée de miséricorde, il y a donc pour le sacrement du pardon. C’est pourquoi la
comme une inversion : quelqu’un est atteint par Pénitencerie apostolique, dans un décret du 19
la misère (le mal, la maladie), et c’est un autre qui mars 202025, accorde l’indulgence plénière aux
en assume la souffrance. Cette miséricorde est malades du Covid-19 et aux soignants, et aussi
donc encore plus forte que l’empathie. À titre plus largement. Cette indulgence suppose de de-
d’exemple, pensons à ce qu’une maman peut meurer, au cœur de l’épreuve, concrètement uni
éprouver lorsque son enfant est malade : la ma- à la foi et à la prière de l’Église, en usant des
man communie aux souffrances de l’enfant, au moyens proposés par notre diocèse et nos pa-
point qu’elle en ressent quasi physiquement la roisses en contexte de confinement.
douleur. C’est l’enfant qui est malade, mais c’est
la mère qui souffre. Théologiquement, une telle ❑ P. Hugues GUINOT
miséricorde est un attribut de Dieu lui-même, qui
culmine remarquablement dans les souffrances
de la croix. C’est, selon nous, la logique intrin-
sèque de l’épisode du bon samaritain en Luc 10,
29-37.

IV.- Célébration du sacrement

L’Église catholique propose deux formes pour la


célébration du sacrement : la forme communau-
taire, qui manifeste publiquement que « la com-
munauté chrétienne porte ce souci de la compas-
sion et de l’accueil des malades. Son action s’ins-
crit dans une pastorale générale, au service des
malades. La célébration communautaire du sa-
crement de l’Onction des malades en est une ex-
pression23 » ; et la forme individuelle, spéciale-
ment pour les cas d’urgence. Depuis Vatican II,
l’Église cherche à privilégier autant que faire se
peut la forme communautaire.

Cependant, dans le contexte actuel du confine-


ment, il n’est pas possible de célébrer commu-
nautairement. Mais il est également impossible
de célébrer individuellement, en raison des
risques épidémiologiques liés aux contacts hu-
mains. Cela ne signifie pas pour autant que nous
ne pouvons rien faire. D’ailleurs, dans les offres
diverses de célébrations, la prière pour les ma-
lades et pour ceux qui les secourent est intensé-
ment présente. Nous ne sommes pas directe-
ment dans la célébration du sacrement à stricte-
ment parler. Mais nous sommes dans un cadre
ecclésial et communautaire, qui existe même
dans la distanciation sociale. Il y a là, paradoxa-
lement, une authentique dimension sacramen-
telle, parce que nous sommes bel et bien dans la
sacramentalité de l’Église24.

Célébrer le sacrement de l’onction des malades

22
Émile LITTRÉ, Dictionnaire de la langue française, Paris, Éditions universitaires, 1963.
23
Directoire canonique et pastoral pour les actes administratifs des sacrements, Recloses, Paroi-Services,
1994, p. 239.
24
Cf. Vatican II, Constitution dogmatique Lumen Gentium sur l’Église (LG), n° 1.
25
Cf. http://www.vatican.va/roman_curia/tribunals/apost_penit/documents/rc_trib_appen_pro_20200319_de-
creto-speciali-indulgenze_fr.html [site consulté le 4 avril 2020].

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