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À lire également en

Que sais-je ?

COLLECTION FONDÉE PAR PAUL ANGOULVENT

Jean-Claude Monfort, La psychogériatrie, no 3333.


Marie-Frédérique Bacqué et Michel Hanus, Le deuil,
no 3558.
Serge Tisseron, La résilience, no 3785.
ISBN 978-2-13-079799-9
ISSN 0768-0066

© Presses Universitaires de France / Humensis, 2017


170 bis, boulevard du Montparnasse, 75014 Paris

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


Introduction

Il nous a paru évident à tous trois qu’il fallait, sur un sujet si grave,
croiser l’apport de la médecine, de la philosophie et du droit pour tenter de
s’y retrouver dans l’écheveau des termes employés et des doctrines en
présence. L’ordre de nos contributions nous a paru aller de soi : d’abord les
faits, médicaux (chap. I à III, Ph. Letellier 1), puis la réflexion philosophique
qui s’exerce sur eux (chap. IV à VI, N. Aumonier), puis l’avis du droit sur ce
qui doit être (chap. VII à IX, B. Beignier). Ce dispositif ne doit pas faire
penser que les auteurs ont une thèse – ce qui doit être – et la défendent à
tout prix. Cependant, le lecteur doit être prévenu d’emblée qu’il existe à peu
près deux positions inconciliables sur la question euthanasique, l’une, qui
est en fait un interdit à ne surtout pas transgresser sous peine de bafouer
gravement le respect dû aux personnes, de ruiner la confiance des malades
en leur médecin et de faire éclater le corps social ; l’autre, qui considère
l’euthanasie comme un droit naturel qui reste encore en partie à conquérir
sur le terrain du droit positif et comme le respect de l’autonomie d’une
personne. Chacune de ces deux thèses, pour ainsi dire chacun de ces deux
partis possède son vocabulaire, ses arguments, ses relais associatifs.
Pouvions-nous échapper à l’un de ces deux camps et adopter quelque
troisième voie ? L’avis du Comité consultatif national d’éthique du
27 janvier 2000 a cru pouvoir le tenter, mais se ramène en réalité à la
seconde thèse. La loi du 22 avril 2005, sans mentionner le terme
d’euthanasie ni vouloir la légaliser, n’interdit pas seulement la poursuite
d’actes ou de traitements médicaux selon une obstination déraisonnable,
mais reconnaît aussi le droit pour un patient de refuser tout traitement, y
compris d’alimentation et d’hydratation artificielles. Qu’apporterait de plus,
ou de moins, une légalisation de l’euthanasie ? Pour tenter de le
comprendre, chacun s’interrogera pour savoir si les deux thèses
mentionnées, ou les deux interprétations possibles d’une troisième voie –
permission implicite ou légalisation explicite –, possèdent chacune le
même poids rationnel. Quant à nous, pensant à la fois que la collection
« Que sais-je ? » n’est pas le lieu d’une prise de position idéologique, mais
qu’il est impossible d’échapper ici au choix d’un parti, tant les conditions
de la mort de ceux que nous aimons nous importent, nous exposerons, le
plus honnêtement qu’il nous sera possible, l’état de la question, persuadés
cependant que les différences philosophiques et juridiques apparemment
irréconciliables peuvent se rejoindre sur le terrain de l’attention pleine et
entière aux personnes singulières, c’est-à-dire aux personnes dont chacune
engage, à sa manière toujours particulière, la condition de tous.

1. Nous tenons ici à remercier Régis Aubry, médecin des hôpitaux, professeur associé des
universités et président de l’Observatoire national de la fin de vie, pour sa relecture attentive de
ces premiers chapitres.
CHAPITRE PREMIER

Le contexte médical actuel

La mort fait peur, plus encore du fait des progrès de la médecine


moderne qui ont donné à croire qu’on pourrait la repousser indéfiniment. Le
médecin est fait pour soigner, soulager, parfois guérir. On le sollicite
d’adoucir la mort. Il le peut de mieux en mieux. On lui demande désormais
de faire mourir pour éviter la souffrance. Le doit-il ?

I. – Un terme ambigu. Une réalité interdite


Le lecteur trouvera au chapitre IV une histoire du mot euthanasie, passé
du sens de bonne mort ou mort douce et sans souffrance (Littré) à celui de
mort provoquée pour épargner au malade des souffrances physiques ou
psychiques insoutenables (Petit Larousse). Pour distinguer entre mort douce
et mort provoquée, certains établissent une différence entre l’euthanasie
passive (indirecte), administration d’analgésiques à hautes doses, arrêt ou
limitation de traitement disproportionné pour laisser venir la mort, et
l’euthanasie active (directe), acte, tel le suicide assisté ou l’injection d’une
substance mortelle, qui provoque délibérément la mort. Avec ou sans
adjectif, le terme d’« euthanasie » reste ambigu. Dans les discussions
publiques, il est employé indifféremment dans son sens étymologique de
bonne mort ou dans son acception moderne de mort provoquée ; on présente
les choses en faisant comme si le choix devait se faire entre l’euthanasie et
l’acharnement thérapeutique, ou entre l’euthanasie et l’abandon du malade,
comme si les soins palliatifs et l’accompagnement des mourants
n’existaient pas. Périodiquement, des sondages sont effectués auprès du
public et des médecins pour savoir s’ils veulent « mourir dans la dignité »,
« mourir sans souffrir », « être aidé à mourir », « être accompagné dans leur
mort ». La grande majorité des réponses sont favorables, tant ces formules
peuvent s’appliquer aussi bien aux soins palliatifs qu’à la mort provoquée.
Or, la relation de confiance qui doit exister entre le patient en fin de vie,
conscient ou non, et son médecin semble imposer le choix d’un seul sens,
de préférence précis et non ambigu.
Nous entendrons ici l’euthanasie comme l’action ou l’omission dont
l’intention première vise la mort d’un malade pour supprimer sa
souffrance.
Ainsi définie, l’euthanasie est interdite dès le préambule et l’article 1er
de la Déclaration des droits de l’homme et par le Code civil. Elle est
interdite aux médecins depuis Hippocrate, dont le serment dispose : « Je ne
remettrai à personne de poison si on m’en demande, ni ne prendrai
l’initiative d’une pareille suggestion », repris par le Code de déontologie
médicale, article 38 : « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à
ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité
d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son
entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. » Assimilé
à l’euthanasie, le suicide médicalement assisté, acte par lequel une personne
se donne elle-même la mort à l’aide de moyens fournis par un tiers est
interdit. On peut distinguer deux situations – l’assistance au suicide, d’une
part, le suicide assisté ou l’euthanasie, d’autre part – au nom de l’idée selon
laquelle donner la possibilité à une personne de se donner la mort n’est pas
identique à donner la mort à quelqu’un à sa demande.

II. – L’évitement de la mort


Pendant des siècles, la mort a été naturelle et acceptée. Roland, Tristan,
Don Quichotte et les moujiks de Tolstoï sentent la mort venir et se
couchent. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, du moins dans nos campagnes, cela
e
se passait ainsi. Progressivement, à partir du milieu du XX siècle, la mort a
quitté le monde des choses familières pour se retirer furtivement. La mort,
réalité obscène, est désormais cachée, taboue, d’autant plus abominable
qu’elle est inavouable, d’autant plus insensée qu’elle est impensée. Aussi se
réfugie-t-elle dans les hôpitaux, les hospices, les maisons de retraite où
meurent seuls et de plus en plus âgés près de 80 % de nos contemporains
qui ne sont pas tous parents de mal-logés. L’exiguïté des habitations,
l’éclatement de la famille moderne, le culte de la jeunesse, de la vitesse, de
l’efficacité et de la rentabilité, l’individualisme, tout concourt au transfert
du grand malade et du vieillard dans une institution. De son côté, « la
technologie médicale prolonge entre la vie et la mort le temps incertain
d’interminables agonies » (Chaunu).
Le cérémonial de deuil a été allégé. Souvent les enfants en sont exclus.
De moins en moins de gens se rendent au cimetière. Le développement de
l’incinération peut être un moyen d’échapper au culte des morts. Pourtant,
nul ne peut échapper à la douleur devant la mort. Certains souhaitent une
mort brutale qui paraît sans douleur. D’autres, qui ont accepté leur mort,
souhaitent au dernier moment mourir chez eux et se heurtent à la volonté
inflexible d’un conjoint révolté qui, n’ayant pas encore accepté cette mort,
refuse énergiquement au mourant, à la mort, de pénétrer à l’intérieur du
domicile.
III. – Dire ou non la vérité ?
1. La médiatisation de la médecine. – La vulgarisation des
connaissances médicales à travers différents médias a suscité un grand
intérêt, faisant comprendre ce que les médecins, parfois trop pressés,
n’avaient pas le temps d’expliquer. Mais inévitablement simplificatrice et
limitée, elle a pu donner l’illusion du savoir et d’un droit à la santé. Les
malades, mieux informés, sont de moins en moins conscients de
l’incertitude médicale qui persiste. Ils ne comprennent pas toujours qu’il
faut du temps pour établir certains diagnostics ou qu’il reste souvent
difficile d’évaluer un pronostic.
2. L’inhumanité du mensonge. – Autrefois, en cas de maladie grave, le
médecin cachait le diagnostic au malade, mais le révélait à la famille. Cette
« conspiration du silence » a été dénoncée, elle est heureusement de plus en
plus rare, car elle aboutissait à mentir au patient et à le laisser parfois
effroyablement seul jusqu’à l’approche de sa mort : « Ce mensonge, admis
on ne sait pourquoi par tous, qu’il n’était pas malade et non pas mourant, et
qu’il n’avait qu’à rester calme […]. Il souffrait de ce qu’on mentît en
l’obligeant à prendre part à cette tromperie » (Tolstoï, La Mort
d’Ivan Ilitch).
3. Des mots qui tuent. – Si le mensonge doit être écarté, celui qui
réclame la vérité n’est pas toujours prêt à l’entendre. À son chirurgien qui
venait de lui révéler qu’il avait un cancer, Freud s’écria : « De quel droit me
dites-vous cela ? Qui vous a donné le droit de me tuer ? » La prudence
s’impose avec les malades dont on aurait attendu la plus grande force d’âme
et avec ceux qui vous pressent de leur dire la vérité. « Il n’y a pas une
vérité, mais les vérités de chaque instant, la vérité que le malade désire et
peut entendre » ; « en dire trop, trop tôt, peut faire autant de mal qu’en dire
trop peu, trop tard » (Saunders et Baines). Il faut donc du temps au malade,
et à sa famille, pour entendre et comprendre ; le malade est notre guide, lui
seul sait ce qu’il veut et peut entendre. Il faut faire preuve d’un tact si subtil
qu’il ne pourra jamais être codifié : « On n’a pas le droit de jeter bas, d’un
seul coup, d’une seule parole, tout l’espoir d’un homme » (Bernanos,
Journal d’un curé de campagne). Un homme brutalement informé d’une
maladie assortie d’un pronostic de moins de trois mois mourut en état de
choc quinze jours plus tard. Un autre, qui ne voulait pas en savoir trop,
s’endormait dès qu’il apercevait le masque d’effroi de son épouse à qui le
chirurgien avait révélé la nature du mal. Un troisième, sachant tout du mal
qui le gagnait, feignit jusqu’au bout de se plaindre d’une vieille blessure de
guerre, sans pourtant refuser les soins qui lui parurent raisonnables. Un
quatrième, posant brutalement la question, fut réellement libéré par la
révélation du diagnostic, qui lui permit de régler ses affaires et de se
préparer courageusement et sereinement à la mort. Il faut du temps pour
faire le deuil de sa santé. Il faut aux médecins du temps, de l’expérience et
beaucoup d’écoute pour comprendre leurs malades.

IV. – La peur de mal mourir


1. Le déni de la douleur. – Jusqu’à une époque récente (en France, les
années 1980), la douleur faisait l’objet d’un déni quasi général de la part du
corps médical. Elle existait certes, personne n’aurait pu la nier ; elle était un
symptôme, un signal d’alarme utile pour guider le médecin dans son
diagnostic, mais son soulagement n’était pas une priorité. Elle était en
quelque sorte le prix à payer pour guérir. On ne se posait pas la question de
calmer les douleurs postopératoires, de faire une anesthésie locale pour
certaines petites chirurgies. Quant aux nouveau-nés et enfants en bas âge,
on pensait que l’immaturité de leur système nerveux les protégeait de la
douleur.
2. La douleur inacceptable. – Désormais, la douleur fait l’objet d’un
interdit social : elle est d’autant plus inacceptable que l’on dispose des
moyens de la soulager. On sait maintenant qu’il suffit de quelques jours, de
quelques heures parfois, pour qu’un enfant dont la douleur n’a pas été
rapidement soulagée s’enferme dans le mutisme et l’immobilité
(A. Gauvin-Piquard, M. Meignier (1993), La Douleur de l’enfant, Paris,
Calmann-Lévy). On sait aussi que de telles réactions se rencontrent chez le
vieillard et, plus rarement, chez l’adulte. Le « bon médecin » ne doit plus
attendre que le malade se plaigne de douleurs, il doit constamment y penser,
interroger l’entourage, les aides-soignants, les infirmières, et observer, car
la douleur qui dure anéantit celui qu’elle ronge, le recroqueville,
l’immobilise et l’enferme dans la désespérance : « La douleur qui se tait
n’en est que plus funeste » (Racine, Andromaque, acte III, scène 3).
3. La morphine irremplaçable. – Quant à la morphine, le plus puissant
des antalgiques, elle était taboue : c’était une drogue dangereuse, à l’origine
de toxicomanies et d’arrêts respiratoires. Il n’était donc pas question de
l’employer. De plus, sa prescription était délicate, car les malades la
redoutaient, pensant qu’elle était réservée aux affres de l’agonie. Or, la
morphine peut opérer des miracles. Un homme de 50 ans, hospitalisé pour
une suspicion de cancer du poumon, ne se plaignait pas, mais restait le plus
souvent immobile sur son lit. Quand on lui demandait s’il souffrait, il
répondait invariablement non. Pourtant, son immobilité et la tristesse de son
regard intriguaient. Le troisième jour, une complication redoutable imposa
l’administration immédiate de corticoïdes et de morphine. Le lendemain
matin, il était debout, plein d’entrain. Désormais, la douleur peut être
soulagée dans la majorité des cas. Ses traitements actuels sont nombreux,
puissants et efficaces. La morphine ne doit plus faire peur, elle n’altère pas
la lucidité et ne rend pas fou.
4. La déchéance intolérable. – Tout autant que la douleur, la déchéance
qui touche des sujets déments, des vieillards décatis ou des handicapés
majeurs terrorise chacun d’entre nous. Pour échapper à une telle fin, ils sont
nombreux, après 65 ans, à se suicider ou à réclamer un droit au suicide
assisté (à l’exemple des Pays-Bas, de la Suisse, de l’État d’Oregon) ou un
droit à l’euthanasie (Pays-Bas, Belgique).
5. La douleur morale. – Mais la douleur ne se résume pas à la
souffrance physique des grands malades. La douleur morale est leur
compagnon obligé, et la douleur spirituelle n’a pas disparu. Traiter la
souffrance du grand malade, c’est donc aussi l’entourer pour rompre le
cercle infernal de la dépression et de la solitude. Aucun antalgique, aussi
puissant soit-il, ne peut remplacer un regard, une parole, une présence.
Entourer, c’est être présent sans oppresser, respecter une personnalité, un
besoin de dignité, de responsabilité, de générosité, de tendresse aussi, savoir
partager une peine, se taire parfois, s’occuper de tous les soins du corps,
entretenir l’espoir jusqu’au bout. « Qui ne fait pas de projet, même à l’heure
de sa mort ? » (Bernanos.) Le traitement de la douleur est peu de chose par
rapport à la qualité de vie qu’il permet à nouveau.

V. – Les progrès de la médecine scientifique


1. Performance et humanité. – Les prodigieux progrès de la
technologie médicale n’ont ni supprimé la mort ni adouci les agonies. Bien
au contraire, la technique a souvent déshumanisé ce temps, privant le
mourant de sa mort, au rebours d’une exigence de lucidité : « Je crois que je
souhaiterais mourir en pleine connaissance, avec un processus de maladie
assez lent pour laisser en quelque sorte la mort s’insérer en moi »
(Marguerite Yourcenar, L’Œuvre au noir). Aujourd’hui, la mort est devenue
imprévisible, incertaine, intolérable. « C’est trop long » ; « ça ne peut plus
durer » ; « je n’en peux plus » ; « faites quelque chose » ; « ayez pitié,
docteur ». De telles suppliques réitérées jour après jour, par des moribonds
au regard angoissé, bouleversent l’entourage et les soignants. Quel est celui
qui ayant vécu de telles souffrances n’a pas ressenti le désir éperdu « que ça
finisse » ?
2. L’obstination déraisonnable. – Le réflexe de tout médecin est
toujours de vouloir tenter quelque chose. Pourtant, le grand principe du
respect de la vie ne signifie pas sa prolongation au prix de tous les excès.
Une décision de réanimation en vient peu à peu à considérer la qualité de la
vie qui sera ou non prolongée. S’agit-il d’un processus préeugéniste ?
Appartient-il au réanimateur de choisir ? Ou de ne pas choisir ? La
difficulté consiste à apprécier l’utilité des efforts en fonction de la gravité
de la situation. L’incertitude médicale est importante, la médecine n’est pas
une science exacte, et le médecin est souvent incapable de prévoir l’issue
d’un traitement, a fortiori dans l’urgence, lorsque le pronostic vital est
d’emblée engagé, ne laissant que quelques minutes, parfois moins, au
médecin pour prendre sa décision. Les erreurs de pronostic sont fréquentes.
Le médecin expérimenté ne conclut pas trop vite que le malade est perdu –
ne parle-t-on pas d’acharnement thérapeutique lorsque le traitement
échoue, et de miracle lorsqu’il réussit ?… La ligne de partage entre
l’obstination courageuse et l’obstination déraisonnable est floue. La liberté
du malade doit rester fondamentale. Mais la souffrance, l’inconscience ou
l’absence de connaissance peuvent fragiliser cette liberté.
Lorsqu’une nonagénaire, de nouveau hospitalisée pour une énième
poussée d’insuffisance cardiaque, refuse de manière constante et lucide
toute alimentation et tout traitement sans que personne n’ait de prise sur sa
décision, elle renonce à des moyens qui lui paraissent disproportionnés pour
se préparer à la mort. Son refus lucide de soin n’équivaut pas à un suicide,
mais à une libre acceptation de sa condition. Sa décision ne peut qu’être
accompagnée et respectée.
Lorsqu’une épouse, inquiète de voir partir en trois semaines son mari
sans qu’aucun traitement ne fasse de l’effet, exige le transfert immédiat de
son mari par hélicoptère dans un CHU parisien, elle donne l’exemple d’une
attitude qui conduit les équipes médicales, malgré elles, à un véritable
acharnement thérapeutique.
Lorsqu’un homme atteint d’insuffisance respiratoire contracte une
pneumopathie si grave qu’il faut le transférer en réanimation d’où il ressort
au bout de huit semaines, amaigri de 16 kg, mais lucide et heureux de vivre,
la décision de réanimation n’a pas à être regrettée.
Lorsqu’un homme, au stade terminal d’un cancer du poumon, souffre
d’insuffisance respiratoire et de douleurs atroces liées à des métastases aux
os, au foie, il n’y a alors plus de traitement curatif, et seuls les soins de
confort doivent être poursuivis.
La famille doit être consultée, lorsqu’elle existe encore, mais ses
critères d’appréciation ne valent que s’ils respectent le seul intérêt du
malade. Il faut donc la consulter, mais il serait dangereux de lui faire porter
tout le poids de la décision.

VI. – Les nouveaux droits des malades


Pour des raisons diverses, les relations des patients à leur médecin sont
passées de la confiance totale, autorisant une sorte de paternalisme médical,
à l’affirmation de plus en plus nette de la capacité de choix et de
l’autonomie de patients plus instruits qui participent aux décisions de santé
qui les concernent. Ces droits des malades se sont récemment trouvés
o
renforcés par la loi n 2002-303 du 4 mars 2002 et les articles L. 1110-5,
L. 1111-4, L. 1111-10, L. 1111-11, L. 1111-12, L. 1111-13 du Code de la
santé publique dans leur rédaction issue de la loi no 2005-370 du 22 avril,
relative aux droits des malades et à la fin de vie.
La loi :
– reconnaît au patient un droit au refus de l’obstination déraisonnable,
pour les actes apparaissant inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre
effet que le seul maintien artificiel de la vie ;
– définit une procédure collégiale pour les décisions de limitation ou
d’arrêt de traitement lorsque le patient n’est pas en capacité d’exprimer sa
volonté ;
– reconnaît au patient le droit de désigner une personne de confiance
dont l’avis, lorsque la personne qui l’a désignée est en fin de vie et dans
l’incapacité d’exprimer sa volonté, prévaut sur tout autre avis non médical à
l’exclusion des directives anticipées ;
– reconnaît la possibilité de rédiger des directives anticipées,
instructions écrites rédigées par une personne majeure et consciente, sur les
conduites de limitation ou d’arrêt de traitement qu’elle souhaiterait voir
respecter si elle se trouvait en fin de vie et dans l’impossibilité de
s’exprimer, sous réserve que ces directives aient été établies moins de trois
ans avant sa perte de conscience ;
– impose des obligations palliatives aux établissements de santé.
Toutes ces dispositions représentent un progrès indiscutable tant pour le
grand malade que pour les médecins qui, jusqu’alors, prescrivaient une
analgésie morphinique, une sédation ou un arrêt de traitement en redoutant
d’être à la merci de poursuites pénales pour non-assistance à personne en
danger.
Mais ces droits renforcés ont aussi des inconvénients : exigence
irréaliste de certains malades, abus d’explorations complémentaires,
coûteuses et inutiles, nomadisme médical, apparition d’une revendication
d’un droit à la santé avec pour conséquence une juridiciarisation croissante
de l’art médical.
Si toute la responsabilité de la décision repose sur un seul, médecin ou
malade, un déséquilibre se crée qui infantilise le patient ou lui fait courir le
risque d’un véritable acharnement thérapeutique ou d’une euthanasie non
volontaire. Aucun des deux ne doit donc idéalement abdiquer sa part de
responsabilité dans la décision.

VII. – Les actes médicaux


de fin de vie qui se différencient de l’euthanasie
et leur analyse au regard de la loi et du Code
de déontologie médicale français
Nous pouvons en distinguer quatre :
(1) l’administration d’analgésiques à des doses progressives
susceptibles d’accélérer la mort ;
(2) la limitation ou l’arrêt de traitement(s) devenu(s) inutile(s) ou
refusé(s) par le patient ;
(3) l’arrêt de(s) dispositif(s) de survie artificielle (alimentation,
respirateur ou rein artificiels) ;
(4) la sédation : sommeil artificiel réservé aux souffrances absolument
réfractaires.
L’acte (1) : Un homme de 62 ans, tabagique, affecté d’un cancer du
poumon, souffre de métastases osseuses atrocement douloureuses.
L’augmentation des doses de morphine est suivie d’une mort rapide. La
mort n’est pas voulue, bien que le risque soit connu. Il ne s’agit pas d’une
euthanasie (argument du double effet : chap. VI).
Les actes (2) et (3) : Une femme de 60 ans, atteinte d’une maladie
neurologique dégénérative, est paralysée des quatre membres et nourrie par
sonde gastrique. Elle est hospitalisée pour l’apparition de troubles
respiratoires. Elle a toute sa lucidité et désire participer au choix des
traitements. Pendant quelques jours, avec l’aide d’oxygène délivré par
sonde nasale, nous lui expliquons la respiration artificielle : ses avantages,
ses inconvénients aussi, avec honnêteté, de façon à la laisser prendre sa
décision. Elle n’en veut pas. Elle meurt en quelques jours avec la sédation
qu’elle avait souhaitée. La décision de poser une alimentation artificielle
doit être, elle aussi, mûrement réfléchie et le patient doit pouvoir la refuser
ou y renoncer secondairement. Ces actes (2) et (3) s’opposent à
l’obstination déraisonnable dans le respect de la volonté du malade, quand
il est conscient. Lorsque le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, ces
actes ne peuvent être réalisés sans avoir respecté la procédure collégiale
définie par le Code de déontologie médicale et sans que la personne de
confiance ou la famille ou à défaut un de ses proches et, le cas échéant, les
directives anticipées du malade aient été consultés.
Le renoncement à l’obstination déraisonnable est conforme au Code de
déontologie médicale, article 37 : « En toutes circonstances, le médecin doit
s’efforcer de soulager les souffrances de son malade, l’assister moralement
et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la
thérapeutique », à la recommandation 1418 de l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe du 25 juin 1999, aux nouvelles lois : nos 2002-303
et 2005-370, et à la déclaration du pape Jean-Paul II du 25 mars 1995. Les
soins de confort et l’accompagnement du malade doivent être assurés
jusqu’à la fin en vertu de l’article 38 du Code de déontologie médicale. Les
actes (2) et (3) sont des actes de soins au service d’une personne le plus
possible protégée contre la douleur et l’obstination déraisonnable.
L’acte (4) est lui aussi un acte de soins respectant la volonté du malade
laissant venir la mort naturelle.
CHAPITRE II

La demande d’euthanasie

I. – La pratique euthanasique : réalité, silence


En France, la pratique euthanasique s’est répandue, en marge de la loi,
depuis les années 1980. Elle utilise le cocktail lytique ou DLP, mélange de
trois drogues sédatives, le Dolosal, le Largactyl et le Phénergan, en
injection intraveineuse à forte dose, et recourt plus rarement à des injections
de potassium. Personne ne nie l’existence de ces pratiques, mais les avis
divergent sur leur fréquence, car le silence qui les entoure est la règle. Elles
paraissent cependant moins fréquentes que ne le laissent supposer les
sondages, car il y a souvent confusion, au sein même du corps médical, sur
le sens de ce mot : beaucoup d’abstentions thérapeutiques ou
d’interruptions de traitement (entre 75 000 et 100 000 par an) devenu
disproportionné sont comptées comme des euthanasies. L’étude française de
recueil des données de 113 unités de soins intensifs de février à mars 1997
(Étude latarea : E. Ferrand, R. Robert, P. Ingrand, F. Lemaire, Lancet,
6 janvier 2001, 357 [9249], 9-14) ne porte que sur les arrêts et limitations
de traitements, non explicitement sur des actes d’euthanasie. L’étude
montre simplement que, sur 7 309 patients admis en soins intensifs durant
cette période, les traitements ont été interrompus ou non commencés pour
807 patients (avec 336 cas d’abstention et 471 cas d’arrêts de soins),
soit 11 % des malades hospitalisés et 54 % des 1 175 décès. Mais selon les
chiffres d’une étude de 1995 de Didier Peillon réalisée par questionnaire
auprès de 140 anesthésistes réanimateurs de centres hospitalo-universitaires
en France sous couvert de l’anonymat, 26 % d’entre eux répondent
positivement à la question : « Vous arrive-t-il de provoquer le décès par
injection de médicament ? » Une autre étude française de 1999 des
docteurs Pochard et Azoulay précise que 20 % des décisions de limitations
ou d’arrêts de traitements actifs sont des « injections avec intentionnalité de
décès ».

II. – Qui demande l’euthanasie ?


1. Les personnes bien portantes surtout. – Les demandes
d’euthanasie émanent de l’entourage, de la famille, principalement, ou d’un
soignant. Cette demande provient presque toujours de sujets bien portants,
ou tout au moins de patients qui ne sont pas mourants. Dès que l’état de
santé s’altère, dès que la maladie devient sérieuse, le discours change : le
malade n’a plus qu’un souhait, être soulagé, soigné, et si possible guérir.
L’observation suivante en est l’illustration :
La peur rétrospective du « testament de vie ». Un homme de 60 ans,
grand bronchopathe chronique, est traité pour un état de détresse
respiratoire : intubation trachéale, ventilation artificielle pendant trois
semaines, au terme desquelles, avec beaucoup de difficultés, il est sevré de
sa prothèse respiratoire et recouvre son autonomie. Au moment de quitter le
service, il vient rencontrer l’équipe médicale pour la remercier de ses bons
soins ; il ajoute : « J’ai eu très peur. » « Certes, lui répond le médecin, nous
aussi. » « Ce n’est pas cela, ajoute-t-il, j’ai craint pendant toute la durée de
l’hospitalisation, que vous ne découvriez dans mon portefeuille le papier sur
lequel j’avais écrit il y a cinq ans, qu’en aucun cas je ne voudrais être
réanimé. » Cette histoire, rapportée par le professeur Mantz (Le
Supplément, no 192), montre bien la valeur relative du « testament de vie ».
2. Les malades. – La demande est exceptionnelle chez les malades,
même à l’hôpital ; elle est rarement faite de façon directe : « Faites-moi une
piqûre » ; « arrêtez les perfusions et les appareils » ; mais bien souvent avec
des formules du type : « Je suis une charge pour ma famille » ; « il faut que
cela se termine » ; « c’est trop long » ; « aidez-moi ». Pourquoi ce malade
demande-t-il la mort ? Peut-être parce qu’il a des douleurs intolérables : on
peut presque toujours les vaincre ; ou bien parce qu’il est déprimé à certains
stades de sa maladie : cela aussi se soigne ; ou bien parce qu’il ne veut plus
dépendre des autres, donner du mal, être un poids pour les siens ; ou bien
parce qu’il craint que les médecins ne veuillent à tout prix le maintenir en
vie. L’ambivalence d’une demande de mort par le malade est donc très
grande.
Certains expriment des demandes contradictoires. « Je suis en
contradiction avec moi-même : je vous demande une piqûre pour en finir et,
en même temps, j’engueule l’aide-soignante parce qu’elle apporte le repas
en retard…, cela veut dire que j’ai envie de vivre. »
« M. L…, atteint d’un Sida, demande à mourir aujourd’hui, et en même
temps, il veut attendre trois jours pour connaître les résultats de son fils »
(Regnard, Davies et Salamagne, Revue francophone de soins palliatifs,
no 31).
Ces demandes sont un appel à l’aide, une invitation à donner plus
d’attention, plus de présence, plus de tendresse pour atténuer l’angoisse et
le sentiment d’abandon. Prendre le malade au mot serait refuser d’entendre
sa détresse, ne pas comprendre ce qu’il attend de son entourage : savoir
qu’il est vivant, que sa fin de vie a un sens, et que nous sommes là pour
l’aider à la vivre jusqu’au bout. Le regard que nous portons sur ces malades
a la plus grande importance, car nous n’ignorons pas qu’une personne peut
projeter sur une autre son propre désir, en l’occurrence celui de mettre fin à
une situation trop pénible (Verspieren). Certains patients se laissent mourir
pour ne pas déranger leur entourage. Mais lorsque la douleur des malades
est soulagée, leur demande d’euthanasie est exceptionnelle.
3. Les familles. – Cette demande est le plus souvent formulée de façon
indirecte : « Ce n’est plus possible », « c’est intolérable », « il faut que cela
cesse ».
Une demande d’euthanasie d’une famille épuisée par les soins à
domicile et la solitude du médecin face à cette demande. Il n’y avait plus
rien à faire, avaient dit les médecins. Tous les traitements avaient échoué.
La tumeur progressait inexorablement, rongeant la face de cette femme de
64 ans. Elle voulait mourir chez elle. Ses deux filles l’entouraient de leur
tendresse, se relayant à son chevet jour et nuit, assurant avec l’aide
d’infirmières et d’un médecin compétents des soins constants. Cela durait
depuis bientôt quatre mois quand la situation empira et devint atrocement
pénible. Jusqu’alors, elles étaient parvenues avec des prodiges
d’imagination et de courage, cachant leur peine, à dissimuler l’horrible
délabrement, faisant les soins de toilette jour et nuit, réussissant à maintenir
la literie immaculée, la chambre aérée et toujours fleurie. Mais la hideur du
visage et l’odeur de cette moribonde devenaient insoutenables. Il n’était
pourtant pas question de l’hospitaliser : elles avaient promis. La lassitude, le
découragement gagnèrent bientôt tout le monde. Un soir, une des filles, à
bout, dit au médecin : « Faites quelque chose, ça ne peut plus durer. » Il
revint le lendemain et fit une injection mortelle.
On ne peut s’empêcher d’admirer ces deux femmes qui ont tenté
jusqu’à la limite de leur force de tenir leur promesse. Donner de tels soins à
l’hôpital est déjà éprouvant et même difficilement tolérable pour des
professionnels travaillant en équipe ; à domicile, la difficulté est énorme,
épuisante, insoutenable pour les accompagnants qui ne peuvent compter sur
l’aide de professionnels tout au plus une à deux heures par jour, et doivent
assumer toutes les tâches le reste du temps. Il aurait fallu les convaincre
d’accepter l’hospitalisation de leur mère pour mieux la soulager et adoucir
son agonie. Il en aurait résulté un sentiment de frustration et de culpabilité
sans doute, mais le remords des « survivants » eût été moins intense et
durable qu’après cette euthanasie sans consentement de la malade pourtant
restée lucide. Le médecin qui pratique un acte euthanasique le fait par
compassion, dans une situation extrême. Il n’a pas toujours conscience,
alors, que la mort lui fait peur, car cette mort de l’autre lui renvoie l’image
de sa propre mort à venir. Or, il a été formé à décider et à agir ; il souffre de
son impuissance aussi, et cet acte peut constituer une ultime manifestation
de sa volonté de puissance ou de sa détresse… !
L’expérience nous l’a maintes fois confirmé : savoir qu’elles peuvent
encore compter sur l’équipe hospitalière afin de passer un cap, se reposer
quelques jours, constitue pour beaucoup de familles un encouragement de
valeur et peut éviter des demandes d’euthanasie.
La demande d’euthanasie d’une famille épuisée et la réponse de
l’équipe hospitalière. À la demande de sa famille durement éprouvée par
plusieurs mois d’accompagnement à domicile, un homme de 72 ans, atteint
d’un cancer généralisé, est hospitalisé. Le malade, détruit par le mal qui le
ronge, n’est plus que « souffrance », incapable de communiquer avec les
siens, pourtant très attentifs et qui l’entourent jour et nuit. La famille,
épuisée et désespérée, fait d’emblée une demande d’euthanasie : « C’est
intolérable, c’est affreux, monstrueux de laisser souffrir pareillement un
malade. Il ne peut même plus bouger, il a du mal à parler, il n’est plus que
“douleurs”, ce n’est plus notre père, si au moins, il pouvait dormir…
Dormir, est-ce qu’on ne peut pas le faire dormir profondément ? » Devant
notre silence, la fille, aide-soignante, qui a pris la parole d’emblée et dont le
visage trahit la tension extrême et l’épuisement, ne peut contenir sa révolte :
« Les docteurs ne s’occupent pas des malades qu’ils ne peuvent plus guérir.
C’est à nous, infirmières et aides-soignantes, d’assumer seules ces fins de
vie atroces. » Nous n’en pouvons plus, et si nous sommes là, « c’est que
nous ne voulons pas de cela pour notre père, c’est révoltant, nous nous
plaindrons ». À ce moment, la deuxième fille, d’une voix calme et mesurée,
prend la parole : « Il faut comprendre, docteur, nous sommes tous à bout de
force depuis des semaines que cela dure. Ma sœur est aide-soignante, elle
s’est beaucoup donnée, plus que tous. »
Après que chacun s’est exprimé, le médecin va tenter d’expliquer et de
faire accepter son attitude thérapeutique d’accompagnement.
« Je comprends votre colère, elle est le résultat d’une grande souffrance
et d’un épuisement physique et moral. Vous n’avez pas à vous culpabiliser
d’hospitaliser votre père. Vous l’avez entouré avec amour et tendresse, vous
avez bien agi. Mais il est temps de passer la main ; je viens de l’examiner, il
a besoin de soins vingt-quatre heures sur vingt-quatre : franchement, il
n’était plus possible d’éviter l’hospitalisation. Pour lui, comme pour vous,
c’est mieux ainsi. Je vous assure que tout sera fait pour le soulager et que
rien ne sera fait pour prolonger sa souffrance. Je vous invite aussi, pas tous
à la fois, le ou la plus valide d’entre vous aujourd’hui, à rester à côté du
malade et à vous relayer ensuite de façon à assurer une présence continue
auprès de lui. » Le patient décédera au bout de cinq jours, n’ayant plus
souffert, assisté de sa famille jusqu’au bout. Celle-ci, reconnaissante, nous
adressera une lettre de remerciement.
Hélas, l’issue d’une telle négociation n’est pas toujours gagnée
d’avance. Nous nous souvenons d’un cas tout à fait similaire – le malade
avait été hospitalisé durant la nuit. Tôt le matin, toute la famille se retrouve
dans le service et réclame de toute urgence l’administration d’un « cocktail
lytique ». Devant le refus de l’infirmière et de la surveillante, nous sommes
appelés en renfort mais ne parviendrons pas à être entendus. La famille
« kidnappera » son malade, l’emmenant avec son lit dans un autre service
où elle avait reçu l’assurance d’obtenir ce qu’elle souhaitait…
Si l’épuisement et la souffrance sont les causes principales de telles
demandes, certaines familles ont des motivations moins nobles, le plus
souvent inavouées.
La demande d’euthanasie intéressée. Nous avons le souvenir d’un
homme âgé, atteint d’une maladie incurable qu’il supportait vaillamment,
gardant toutes ses facultés intellectuelles et son autonomie jusqu’à la phase
terminale. À plusieurs reprises, nous avons dû affronter les demandes
pressantes de son fils désireux que nous « abrégions » les souffrances de
son père… La date de son départ pour une croisière avec son épouse était
imminente.
4. Les soignants. – Il peut arriver aussi que les aides-soignantes, les
infirmières, les médecins ne supportent plus certaines situations et en
souhaitent la fin : malade en proie à une souffrance globale, insuffisamment
soulagé, malade totalement détruit par une souffrance morale imperméable
à toute tentative d’apaisement, ou bien épuisement de l’équipe à la suite de
plusieurs décès successifs, sentiment d’inutilité des efforts entrepris ou
d’abandon, de la part du corps médical, lui-même divisé sur la conduite à
tenir.
Le péril de l’hésitation. Cet homme avait contracté à l’âge de 35 ans
une maladie de Hodgkin dont il avait guéri. Dix années plus tard apparut
une maladie des muscles qui allait, malgré tous les traitements entrepris, le
conduire au bout de quinze ans à un état grabataire et, à l’époque de sa
dernière hospitalisation, à une insuffisance respiratoire sévère. Fallait-il le
transférer en réanimation avec la quasi-certitude de le condamner à y
terminer son existence, alors que nous venions de découvrir une leucémie
aiguë incurable et rapidement mortelle ? Bien qu’épuisé, le malade gardait
sa lucidité, oscillant de l’espoir au désespoir, désirant un jour « le traitement
de la dernière chance » et le lendemain qu’on le laisse « en paix ». L’équipe
était divisée sur la conduite à tenir. La souffrance morale du malade
s’aggravait, résistant à tous nos efforts. En l’absence de consensus dans
l’équipe, mais avec le consentement du malade et de sa famille, la décision
était prise de l’endormir. Il mourra quelques jours plus tard de sa mort
naturelle. Mais l’équipe n’a pas oublié ce malade et a gardé le souvenir de
sa souffrance aggravée par nos hésitations.
CHAPITRE III

Les soins palliatifs

Soigner ne peut consister à donner la mort. Si la décision de faire


mourir avant l’heure devait entrer dans les prérogatives médicales, la
confiance des grabataires, des vieillards dépendants, des infirmes en leur
médecin serait aussitôt ruinée (Beignier). Les soins palliatifs (SP)
constituent donc la meilleure réponse à une demande d’euthanasie. L’un de
ses grands promoteurs, en France, fut le professeur Maurice Abiven qui
créa la première unité de ce type à l’hôpital de la Cité universitaire de Paris
en 1987 et fut l’initiateur de la loi de 1999 (Le Monde, 7 juin 2007, p. 24).
Pour le comprendre, il faut examiner leurs caractéristiques propres.

I. – Les soins palliatifs s’appliquent à tous


les grands malades
Aux cancéreux, bien sûr, aux malades du Sida, mais aussi aux malades
jeunes ou moins jeunes, atteints d’insuffisance respiratoire, cardiaque,
rénale, hépatique, aux malades porteurs d’affections neurologiques diverses
(Alzheimer, sclérose latérale amyotrophique) et à bien d’autres encore.
II. – Les soins palliatifs sont des soins actifs
qui réclament une compétence technique
et scientifique
Dame Cicely Saunders, la fondatrice de Saint-Christopher’s Hospice de
Londres, les définissait comme « tout ce qui reste à faire quand il n’y a plus
rien à faire » et précisait qu’ils sont étroitement liés aux soins curatifs dans
une « continuité des soins qui se poursuivent auprès de la famille et des
soignants avec un travail de deuil » (Saunders). « Prescrire un soin palliatif,
ce n’est pas ignorer les soins curatifs possibles, c’est savoir opter pour une
qualité de vie quand le mot « guérison » perd petit à petit son sens, c’est
déplacer les buts à atteindre, remplacer progressivement durée par qualité »
(Salamagne). Entre soins curatifs et soins palliatifs, la frontière est
mouvante.
Une femme âgée nous est adressée pour une phase terminale d’un
cancer généralisé. Très vite, ses douleurs sont soulagées, mais des
complications surviennent qui nous conduisent à refaire une IRM vertébrale
et des biopsies osseuses. Le diagnostic est révisé, il s’agit d’un lymphome
et non d’un cancer. La malade est transférée dans le service spécialisé où la
chimiothérapie lui procure rapidement une rémission. Les soins palliatifs
sont des soins actifs qui excluent la résignation. « Faire tout ce qui reste à
faire » implique une permanente et exigeante attention à tout ce qui peut
être fait, sans exclure une éventuelle révision de la stratégie diagnostique et
thérapeutique.

III. – Caractères des soins palliatifs


1. La lutte contre la douleur. – Tout doit être mis en œuvre pour abolir
la douleur. Cette priorité requiert un examen minutieux, un diagnostic
précis, une évaluation pluriquotidienne de l’efficacité antalgique et une
parfaite maîtrise de tous les médicaments : morphine et ses dérivés, mais
aussi radiothérapie, chirurgie de consolidation, neurostimulation électrique,
blocs nerveux locorégionaux…
2. Le contrôle de tous les symptômes sources d’inconfort. – Fatigue,
perte de l’appétit, fièvre, troubles bucco-pharyngés, digestifs, respiratoires,
cutanés : escarres qu’il faut prévenir à tout prix ; troubles
neuropsychiques, etc. Les soins du corps sont un facteur important de la
qualité de la fin de vie. Nous avons le souvenir d’un malade au stade
terminal de son cancer bronchique, envahi de douleurs que le moindre
mouvement exacerbait, et qui, un matin, avec sa voix déjà bien affaiblie,
réclama un bain. Après concertation avec l’équipe, la décision fut prise
d’accéder à sa demande. Le malade en sortit apaisé et reconnaissant envers
tous. Il était littéralement transformé et ses douleurs semblaient avoir
disparu. Il mourut quelques heures après.
3. Une exigence de juste compassion. – La souffrance du malade en
fin de vie est indicible : c’est la souffrance globale. La meilleure aide à lui
apporter est de le respecter, de le considérer, malgré ses handicaps, tel qu’il
a toujours été, et de lui montrer jusqu’au bout qu’il est toujours aimé des
siens et le restera après sa mort. Cette tâche est lourde. Les soignants, qui y
sont peu préparés, doivent trouver une compassion équilibrée. D’autre part,
le médecin n’est plus le maître. C’est le malade qui a la parole, et la mort, le
dernier mot (Schaerer). Les soins palliatifs requièrent une formation et une
équipe pluridisciplinaire : médecin, psychologue, infirmiers, aides-
soignants, religieux, assistant social, bénévoles.
4. Le bilan des soins palliatifs
(A) La demande d’euthanasie est exceptionnelle lorsque le malade est
bien accompagné. – Au Saint-Christopher’s Hospice de Londres, des
milliers de malades en fin de vie ont été entourés, soutenus, sans qu’aucune
demande d’euthanasie ait été formulée. À l’unité de soins palliatifs de
Montréal, sur les 2 500 personnes décédées en huit années, seulement deux
ont réclamé l’euthanasie. Le meilleur contrôle de leurs douleurs leur a
permis d’y renoncer (Abiven, 2000).
(B) La mort, étape essentielle de la vie. – Les soins palliatifs permettent
à certains grands malades, accompagnés avec compétence et humilité,
empathie et compassion, de faire de leur dernière marche une étape
essentielle de la vie : lui donner un dernier sens, conclure un projet, se
réconcilier avec un proche… réunir pour un dernier adieu sa famille et tous
ceux qui lui sont chers.
(C) Les difficultés. – Les soins palliatifs sont encore le parent pauvre de
notre système de santé qui manifeste plus de considération pour la
technique et pour la science que pour l’humain. À l’heure actuelle, quinze
jours d’accompagnement d’un malade en fin de vie ne donnent pas plus de
points (dans le système de cotation des actes médicaux) qu’une
endoscopie… ! C’est décourager les soignants dont l’investissement
personnel et l’engagement solidaire sont particulièrement forts et
éprouvants.
(D) Les échecs. – Les pratiques palliatives peuvent comporter des
échecs. Les causes en sont certaines douleurs résistantes à toutes les
thérapeutiques antalgiques bien conduites et surtout certaines souffrances
morales irréductibles. Dans ces cas exceptionnels, on peut avoir recours à la
sédation (sommeil induit), grâce à l’utilisation de sédatifs visant à faire
dormir et non à abréger la vie, tout en poursuivant l’hydratation. Mais
prendre une telle décision réclame plusieurs conditions : s’être assuré qu’il
n’y a plus d’autre solution pour apaiser le malade, avoir recueilli l’accord
de l’ensemble de l’équipe médicale, l’avoir expliquée au malade et ne
l’appliquer qu’avec son accord, en lui précisant bien qu’il ne s’agit pas de le
faire mourir « proprement », mais de le faire dormir.
Le refus de traitement de survie artificielle. – L’exemple, déjà évoqué,
d’une femme de 60 ans atteinte d’une sclérose latérale amyotrophique
(SLA) paralysée des quatre membres et nourrie par gastrostomie, chez qui
des troubles ventilatoires viennent d’apparaître illustre ce cas : elle a toute
sa lucidité et refuse la ventilation artificielle qui lui est proposée. Elle meurt
en quelques jours avec la sédation qu’elle avait souhaitée. Il est parfois
possible, avec l’accord préalable du malade, de le réveiller au bout de
quelques jours, et de constater un net apaisement de sa souffrance.
L’intention n’est pas d’accélérer le trépas, mais d’apaiser le patient et de
laisser la mort naturelle venir.
De grands progrès ont été réalisés dont les malades sont les premiers
bénéficiaires. Mais la technicisation a ses revers. Privilégier la qualité de la
vie est désormais un impératif pour tous les médecins. Une réaction
humaniste se dessine, dont le mouvement des soins palliatifs est un
exemple. Envisager de développer les soins palliatifs, la réflexion éthique et
le dialogue en équipe, et se préparer à les enseigner aux étudiants en
médecine, aux médecins spécialistes et aux infirmières, constitue sans doute
un des enjeux importants de la médecine et de la société à venir.
Il y a d’ailleurs eu un programme national de développement des soins
palliatifs et de l’accompagnement entre 2008-2012. À ce jour, 133 unités de
soins palliatifs, 450 équipes mobiles et 4 500 lits identifiés de soins
palliatifs existent. La formation des médecins intègre plus les soins
palliatifs et l’accompagnement. Un futur plan est annoncé, tourné vers le
développement des soins palliatifs à domicile et dans les établissements
médicosociaux ; vers le renforcement de la formation médicale.
Rappel : un « numéro azur » relatif aux soins palliatifs a été mis en
service le 19 mai 2005 : 0 811 020 300.
CHAPITRE IV

Histoire et définition d’un mot

I. – Histoire philosophique de l’euthanasie


L’histoire du mot et de la pratique qu’il recouvre (Abiven [2000], 19-
46 ; Aurenche [1999], 14-18 ; Hocquard, 5-12 ; Maret, 15-32, 335-341)
révèle quatre sens : l’art d’une mort douce ; les euthanasies utilitariste,
eugéniste et compassionnelle.
1. La mort douce et son art
(A) L’Antiquité : l’euthanasie ou belle mort, entre mort douce et
suicide. – Le poète grec Cratinos (Ve siècle av. J.-C.) emploie l’adverbe
euthanatôs pour désigner aussi bien une belle mort qu’une mort douce.
Chez Posidippe (vers 300 av. J.-C.), euthanasia signifie autant bonne mort
que mort douce : l’homme « ne désire rien de mieux qu’une mort douce »
(Fragment 16). Suétone (63 av. J.-C.-14 apr. J.-C., Vie des douze Césars,
« Auguste », 99) rapporte que l’empereur Auguste, expirant dans les bras de
Livie, eut l’euthanasia (mort rapide et sans souffrance) qu’il avait toujours
souhaitée.
Mais une mort violente, un suicide, une reddition suicidaire peuvent être
jugés préférables, c’est-à-dire bons, sans être doux. L’historien grec Polybe
prête au roi de Sparte Cléomène, après son échec militaire, le désir de se
suicider pour trouver une mort belle et honorable (euthanatesai) plutôt que
de tomber entre les mains de ses ennemis (Polybe [202-120 av. J.-C.],
Histoires, V, 38, 9). Cicéron (106-43 av. J.-C.) paraît avoir souhaité une
bonne mort (euthanasian) dont Atticus lui écrit qu’elle ressemblerait à une
désertion (Lettres à Atticus, XVI, 7, 3). Flavius Joseph raconte l’histoire de
ces quatre lépreux qui préférèrent avoir une mort « plus douce » en se
rendant à l’ennemi pour périr égorgés, plutôt qu’en mourant d’inanition
hors de la ville (Antiquités juives, IX, 4, 5).
Le terme d’« euthanasie » oscille donc entre deux significations
opposées, celle de mort douce et celle de suicide, jugé préférable à une mort
plus pénible.
(B) Bacon et l’art médical de la mort douce : les soins palliatifs. – Dans
deux textes, presque semblables, de 1605 et 1623, Francis Bacon, homme
d’État et philosophe anglais (1561-1626), assigne à la médecine une double
tâche, celle de soigner et celle d’adoucir la douleur, y compris au moment
de la mort. Le terme d’« euthanasie » y apparaît au sens de mort douce
entourée de soins : « De euthanasia exteriore [De l’euthanasie physique].
Plus encore, j’estime que c’est la tâche du médecin non seulement de faire
recouvrer la santé, mais encore d’atténuer la souffrance et les douleurs, non
seulement quand un tel adoucissement est propice à la guérison, mais aussi
quand il peut aider à trépasser paisiblement et facilement », à la manière
d’Auguste, d’Antonin le Pieux et d’Épicure, dont les morts ressemblèrent
beaucoup « à un endormissement bénin et agréable ». Les médecins
devraient ainsi « faciliter et adoucir l’agonie et les souffrances de la mort »
(F. Bacon [1605], Du progrès et de la promotion des savoirs, livre II, Paris,
Gallimard, 1991, p. 150-151). En 1623, Bacon réaffirme que la tâche du
médecin n’est pas seulement de rétablir la santé, mais aussi d’adoucir les
douleurs des maladies, jusqu’à procurer au malade, lorsqu’il n’y a plus
d’espoir de guérison, « une mort douce et paisible » ; au lieu d’abandonner
leurs malades lorsqu’ils sont à l’extrémité, les médecins devraient tout faire
« pour aider les agonisants à sortir de ce monde avec plus de douceur et de
facilité ». Cette recherche sur l’euthanasie extérieure qui prépare le corps,
distincte de l’euthanasie intérieure qui a pour objet la préparation de l’âme,
fait partie de ce qu’il faut souhaiter (F. Bacon [1623], De Dignitate et
augmentis scientiarum libri novem [De la dignité et de l’accroissement des
sciences], Instauratio magna, I, IV, 2). Les exemples pris par Bacon et ses
explications ne laissent donc aucun doute : l’euthanasie du corps consiste en
une maîtrise de la douleur. Il ne s’agit pas de hâter la mort, mais de faire en
sorte, lorsqu’elle viendra, qu’elle agisse sans douleur.
2. L’euthanasie utilitariste. – Au sens très général que John Stuart Mill
(1806-1873), reprenant Bentham (1748-1832), donne à ce mot,
l’utilitarisme désigne la doctrine « qui reconnaît l’utilité comme règle, sans
vouloir désigner par là telle ou telle façon d’appliquer cette règle »
(J. S. Mill [1863], p. 48-49). L’utilitarisme soutient que « la seule chose
désirable comme fin est le bonheur, c’est-à-dire le plaisir et l’absence de
douleur » (ibid., p. 48). Lorsque la douleur l’emporte sur le plaisir, la vie
devient inutile. Lorsque cette inutilité est définitive ou sans issue, il
convient, pense l’utilitariste, d’y mettre un terme.
Cette conception utilitariste est très ancienne. Déjà, à Sparte, d’après
Plutarque (46-125 apr. J.-C.), un père n’était pas maître d’élever l’enfant qui
lui naissait. Il le confiait aux plus anciens qui examinaient le nouveau-né.
S’il était fort et bien formé, ils ordonnaient de l’élever et lui assignaient un
des 9 000 lots de terre. S’il était faible ou difforme, ils l’envoyaient au bord
d’un précipice, jugeant cela préférable pour lui-même et pour tous (« Vie de
Lycurgue », Vies parallèles, Paris, Les Belles Lettres, t. I, p. 143). Strabon
(58 av. J.-C.-25 apr. J.-C.) rapporte que tout habitant de Céos qui atteignait
l’âge de 60 ans devait boire la ciguë afin que la nourriture soit toujours
suffisante pour tous (Géographie, VII, 10, 5, 6, Paris, Les Belles Lettres,
1971, p. 110). D’après Valère Maxime, un poison à base de ciguë, préparé
et conservé dans les services de l’Assistance publique de Marseille, était
donné à qui avait exposé devant les Six Cents (Sénat de la ville) les raisons
pour lesquelles il lui fallait se donner la mort : « Procédure courageuse
tempérée de bonté, ne permettant pas qu’on quitte la vie sans raison tout en
offrant à celui qui sait clairement pourquoi il désire en sortir un moyen
rapide de réaliser son destin » (Valère Maxime [Ier siècle av. J.-C.-Ier siècle
apr. J.-C.], Faits et dits mémorables, II, VI, 7 d, Paris, Les Belles Lettres,
1995, t. I, p. 181-182).
On retrouve cette attitude dans une page d’Utopie de Thomas More
(1478-1535). Si la maladie, incurable, s’accompagne de souffrances
incessantes et atroces, les prêtres et les magistrats exhortent le malade,
devenu une charge pour lui-même et pour tous, à accepter la mort et à se
débarrasser lui-même de la vie ou à inviter les autres à l’en délivrer. Il fera
preuve de sagesse en quittant des douleurs atroces, et de piété en suivant les
conseils des prêtres, interprètes de la divinité. Il peut alors cesser de se
nourrir ou se faire endormir. Personne cependant ne sera mis à mort contre
son gré ni ne cessera d’être soigné. Mais on refusera la sépulture à
quiconque déciderait de se faire mourir sans que ses raisons aient été
approuvées par les prêtres et par le Sénat (Thomas More [1516], Utopie,
A. Prévost, [éd.] Paris, 1978, p. 549). Cette page ne doit pas être comprise
comme une apologie du suicide auquel Thomas More était fermement
opposé, mais comme la description du système de pensée purement
rationnel des Utopiens (ceux qui habitent Ou-topia, le non-lieu) qui, pour
être heureux, construisent un monde purement utilitariste (ibid., p. 189
et 699).
Enfin, chez les Esquimaux de Nunaga, les Yuit des îles Saint-Laurent ou
les Chuckchee du Nord-Est de la Sibérie, l’euthanasie est décrite comme
une institution. L’homme ou la femme âgée, lorsqu’ils n’arrivent plus à
courir derrière les chiens et ne peuvent plus apporter aucune contribution à
la famille, demandent généralement à leur fils favori de les aider à mourir,
d’un coup de fusil, de couteau ou de harpon, par étranglement ou
pendaison. Chez les Chuckchee du Nord-Est de la Sibérie, celui qui n’a plus
la force de vivre ou qui est un poids pour les autres demande ouvertement
qu’on le tue. Cette demande suscite une grande peur, mais aussi l’obligation
morale d’y répondre. Si cette demande est maintenue, elle devient
irréversible, car elle a provoqué les Kelet ou mauvais esprits qui ne se
calmeront pas tant que quelqu’un ne sera pas mort. Cette demande de mort
crée donc une menace collective. Lorsque la décision est prise et que
l’exécuteur est désigné, la cérémonie a lieu très rapidement (J. Baechler
[1975], Les Suicides, Paris, p. 506).
3. L’euthanasie eugéniste : hygiénistes, eugénistes et crimes d’États.
– Dans le prolongement du mouvement hygiéniste des années 1830-1840,
un cousin de Charles Darwin, Sir Francis Galton (1822-1911), crée en 1883
le terme d’« eugénique » (eugenics, construit sur le grec bien naître) pour
désigner une science de l’amélioration de la lignée permettant d’améliorer
l’hérédité de l’espèce humaine en luttant contre les facteurs de
dégénérescence. En 1888, Georges Vacher de Lapouge appelle eugénisme
le résultat de cette eugénique. Un peu partout en Europe, des médecins et
des biologistes, soutenus par un important mouvement populaire, créent des
sociétés et des revues d’eugénisme. De 1907 à 1940, de nombreux États
(35 États des États-Unis, deux provinces canadiennes, l’Allemagne, le
Danemark, la Finlande, la Norvège, la Suède et la Suisse) promulguèrent
des lois de stérilisation, volontaire ou imposée, de personnes affectées de
maladies présumées héréditaires, jugées dangereuses pour la société
(maladies mentales, délits sexuels, tendances dites socialement
dangereuses) (Michel Morange, « Eugénisme », in Canto-Sperber, 1996 ;
Michel Veuille, « Eugénisme », in Lecourt, 1999). En 1912, année où la
Société française d’eugénisme est créée, Charles Richet, prix Nobel de
médecine et de physiologie en 1913, écrit dans La Sélection naturelle qu’il
« ne voit aucune nécessité sociale à conserver [les] enfants anormaux ».
En 1920, Karl Binding, juriste, et Alfred Hoche, psychiatre, publient à
Leipzig Die Freigabe der Vernichtung lebensunwerten Lebens (La
Libéralisation de la destruction d’une vie qui ne vaut pas d’être vécue).
Pour K. Binding, juriste, « le vouloir-vivre de chaque individu, même des
êtres humains les plus malades et soumis aux plus grands supplices, doit
être respecté […]. Il va de soi qu’il ne sera jamais question de libéraliser
l’homicide d’un handicapé mental à condition qu’il soit heureux de sa vie »
(ibid., p. 83). L’établissement d’une procédure minutieuse (formulation
d’une requête en libéralisation [demande d’euthanasie] par la personne
atteinte d’une maladie mortelle ou par son médecin ou par un proche
agissant par délégation ; présentation de cette requête devant une
commission qui doit se prononcer à l’unanimité ; si la demande est jugée
recevable, exécution de l’acte par un expert, suivie d’un rapport à la
commission) permet de déterminer au cas par cas la recevabilité d’une
demande d’euthanasie. K. Binding estime qu’il faut respecter la volonté de
vivre des malades, même les plus inutiles à la communauté. Mais A. Hoche,
psychiatre, estime qu’il existe des « morts mentaux » dont l’existence est un
poids pour la société et dont la valeur n’a pas, dans ce cas, à être
surestimée, surtout dans le contexte de compétition que connaissent les
différentes nations entre elles, qui doivent, comme des organismes, savoir
éliminer les parties mortes qui freinent leur développement (Goffi, 37-42).
Hitler reprend ces thèses dans Mein Kampf en 1924. À partir de 1933,
l’opinion est préparée. Toute vie improductive est considérée comme une
vie sans valeur (Congrès d’avril 1933 réunissant à Brême près de
500 eugénistes). Un comité d’euthanasie est créé à la demande de Hitler.
Dirigé par le professeur Linden, il comprend 25 médecins, dont 7 sont
titulaires d’une chaire de neurologie et de psychiatrie. Le 1er septembre
1939, Hitler lance l’Aktion T4 (dirigée depuis l’immeuble situé 4,
Tiergartenstrasse à Berlin), appelée aussi Aktion Gnadentot pour donner,
littéralement, la « grâce de la mort » aux malades mentaux. La sélection des
malades s’effectue sur la base d’un questionnaire adressé aux directeurs
d’hôpitaux et d’asiles sur la capacité de travail de leurs patients. Les
malades déclarés inaptes au travail (soit parce qu’ils le sont, soit parce que
de nombreux directeurs d’hôpitaux espèrent ainsi les protéger) sont envoyés
dans des Fondations charitables pour les soins hospitaliers où ils sont mis à
mort. Leur avis de décès mentionne le plus souvent une broncho-pneumonie
ou un amaigrissement. Le transport des malades est assuré par une société
créée à cet effet. Les bâtiments sont entourés de grands panneaux signalant
le risque de contagion afin d’éloigner les curieux. Le personnel médical et
paramédical, recruté sur la base du volontariat, doit prêter serment
d’obéissance et de secret. Toute violation de ce serment euthanasique est
passible de mort. Devant l’opposition des autorités religieuses, d’une partie
de l’armée, d’un nombre croissant de médecins, Hitler arrête l’opération le
24 août 1941. Elle a déjà tué plus de 100 000 handicapés et environ
75 000 personnes âgées (Bayle F. [1950], Croix gammée contre caducée.
Les expériences humaines en Allemagne pendant la seconde guerre
mondiale, Imprimerie nationale, Neustadt-Palatinat, 1 521 p. ; Ternon et
Helman [1971], Le Massacre des aliénés, Casterman ; Abiven [2000],
p. 36-44). En France, on estime à 40 000 le nombre de malades mentaux
que le régime de Vichy a laissé mourir de faim dans les hôpitaux
psychiatriques (Abiven [2000], p. 39).
Dans les années d’après-guerre, la révélation des crimes commis au
nom d’une euthanasie d’État et d’un eugénisme d’État eut tendance à
discréditer toute forme d’euthanasie dite humanitaire. L’ouvrage de
C. Binet-Sanglé, L’Art de mourir. Défense et technique du suicide secondé,
qui reprenait en 1919 les arguments d’un droit au suicide assisté et décrivait
plusieurs techniques de suicide sans douleur, recommandait également la
création d’un institut d’euthanasie financé par l’État, dans lequel
officieraient des euthanasistes. Or après 1945, encadrées ou clandestines,
secondées ou non, ces pratiques renvoyèrent à la mémoire de crimes
hygiénistes et eugénistes d’État.
Une vingtaine d’années plus tard, plusieurs procès émurent l’opinion
(Van de Putte, Liège, 1962 ; Livio Daviani, Rome, 1970 : noyade par son
père d’un enfant malformé dans le Tibre). Les auteurs des homicides furent
acquittés. Bien que ces homicides ne fussent en aucune façon des
euthanasies et qu’ils n’eussent été perpétrés ni pour améliorer la lignée ni
pour remédier à une insupportable souffrance, ils contribuèrent à faire
avancer l’idée d’euthanasie.
4. L’euthanasie compassionnelle
(A) Les six Russes de l’Hôtel-Dieu que Pasteur ne parvient pas à
soigner. – Léon Daudet, jeune étudiant en médecine, décrit cet épisode
exemplaire. Pasteur venait de découvrir le traitement de la rage. Six paysans
russes mordus par un loup enragé furent expédiés à Paris et placés en
surveillance à l’Hôtel-Dieu. Pendant huit jours, Pasteur vint doser les
injections de son sérum. À partir du neuvième jour, les tortures de la rage
s’abattent sur eux en crises insoutenables qui disloquent les corps de
douleur. Pendant les répits, ils supplient qu’on les achève. « Après une
consultation entre le pharmacien en chef de l’hôpital […] et Pasteur, on s’y
résolut. Le pharmacien prépara cinq pilules – le premier enragé étant mort
enfin – qui furent administrées aux cinq autres avec toute la discrétion
d’usage en pareil cas. Quand le silence retomba […], nous nous mîmes tous
à pleurer d’horreur. Nous étions à bout de nerfs, anéantis » (L. Daudet
[1915], Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux,
chap. II : « Devant la douleur », Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins »,
p. 171).
La décision prise est à la fois secrète et collégiale, particulière tout en
appartenant à un genre de décisions analogues. Est-il légitime de passer du
genre à la loi, ou bien les motifs sont-ils à chaque fois si singuliers qu’ils ne
peuvent être reconnus que par une ou plusieurs consciences qu’aucune loi
civile ne pourra jamais contraindre ? La compassion peut-elle être ici
revendiquée comme un droit ?
(B) L’euthanasie compassionnelle revendiquée comme un droit. – De
e
nombreuses déclarations s’élevèrent au XX siècle en faveur de l’euthanasie
compassionnelle. À la suite de la création en 1935 en Angleterre de la
Voluntary Euthanasia Association (VES), qui prit plus tard le nom d’EXIT
et, en 1938, aux États-Unis, de la Society for the Right to Die, qui prit
en 1975 le nom d’Euthanasia Society of America, plusieurs associations
voient le jour dans le monde à la fin des années 1970, réclamant le droit à
mourir dans la dignité. Ces associations, regroupées dans la World
Federation of Right to Die Societies (Fédération mondiale des associations
pour le droit de mourir), comptent aujourd’hui environ 500 000 membres
dans le monde, dont environ 60 000 en Suisse et 25 000 en France.
er
Le Figaro publia le 1 juillet 1974 un manifeste en faveur d’un droit à
l’euthanasie, signé par 40 universitaires, médecins et pasteurs, dont trois
prix Nobel : George Thomson, Linus Pauling et Jacques Monod : « Nous
soussignés, nous déclarons, pour des raisons éthiques, en faveur de
l’euthanasie. Nous croyons que la conscience morale réfléchie est assez
développée dans nos sociétés pour permettre d’élaborer une règle de
conduite humanitaire en ce qui concerne la mort et les mourants. Nous
déplorons la morale insensible et les restrictions légales qui font obstacle à
l’examen du cas éthique que constitue l’euthanasie. » Les signataires
demandent à l’opinion publique éclairée de dépasser les tabous traditionnels
qui imposent des souffrances inutiles au moment de la mort. Ils croient à la
valeur et à la dignité de l’individu, revendiquent son droit d’être traité avec
respect et sa liberté de se suicider s’il est atteint d’une terrible et incurable
maladie. Si elle est voulue par le malade, la pratique de cette euthanasie
humanitaire dans un souci de justice et de bonté améliorera la condition
humaine.
Ce manifeste resta sans grand écho. Le 17 novembre 1979 parut dans le
journal Le Monde, occupant toute la page 2, un article de Michel Lee Landa
intitulé « Un droit », affirmant la nécessité de reconnaître aux grands
vieillards, aux grands malades et aux grands infirmes le droit de mourir
volontairement et d’y être aidés. L’abondant courrier qui suivit cet article
donna naissance, au printemps 1980, à l’Association pour le droit à mourir
dans la dignité (ADMD). Trois ans après sa création, l’ADMD comptait
près de 10 000 membres. L’ADMD ne s’occupe pas directement de ses
adhérents, mais est « un mouvement d’opinion dont le but est de faire
évoluer les idées, les comportements, les réglementations et éventuellement
les lois, pour que les êtres humains puissent mourir dans les conditions
qu’ils jugent les meilleures pour eux-mêmes » (Pohier, 1998, p. 319).
er
L’article 1 de ses statuts dispose : « L’Association a pour but : – de
promouvoir le droit légal et social de disposer, de façon libre et réfléchie, de
sa personne, de son corps et de sa vie ; – de choisir librement la façon de
terminer sa vie, de manière à la vivre jusqu’à la fin dans les conditions les
meilleures » (ibid.). « Les trois objectifs essentiels sont donc ici formulés :
le droit à la lutte contre la douleur, le droit au refus de l’acharnement
thérapeutique et le droit à l’euthanasie volontaire, chaque adhérent étant
libre de ne réclamer pour lui-même que l’un ou l’autre de ces droits, mais
reconnaissant que l’Association doit lutter pour que l’ensemble de ces trois
droits soit reconnu et praticable pour tous ceux qui le réclameraient » (ibid.,
p. 320). Aujourd’hui, l’ADMD « milite pour que chaque Française et
chaque Français puisse choisir les conditions de sa propre fin de vie.
Conformément à ses conceptions personnelles de dignité et de liberté. Dans
cette perspective, l’ADMD entend obtenir qu’une loi visant à légaliser
l’euthanasie et le suicide assisté et à assurer un accès universel aux soins
palliatifs soit votée par le Parlement, comme le réclament 96 % des
Français interrogés par l’institut de sondage Ifop en octobre 2014. Avec le
vote de cette loi, les Français bénéficieraient de leur ultime liberté, comme
les Néerlandais, les Belges, les Luxembourgeois et les Suisses en disposent
dans leur propre pays » (Site d’accueil de l’ADMD). Tout adhérent à
l’ADMD reçoit un formulaire de directives anticipées et de désignation de
la personne de confiance, accompagné de conseils pour le remplir, un
fascicule sur les droits relatifs à la personne malade et à la personne en fin
de vie, ainsi que les coordonnées du délégué ADMD dont la personne
dépendra. De plus, l’adhérent a accès à un service d’écoute. Enfin, depuis le
11 août 2006 (agrément renouvelé le 24 juin 2011), l’ADMD est agréée
pour représenter les usagers de santé dans les instances hospitalières ou de
santé publique. À ce titre, elle représente l’ensemble des usagers de santé,
au-delà de ses seuls adhérents. L’ADMD conclut sa page d’accueil en
proposant à tout adhérent de voir respecter son droit à la maîtrise de sa fin
de vie.
Dans les années 1980, le docteur Hacketal ouvre la clinique Eubios,
près de Munich, pour des patients qui demandent une assistance au suicide.
Le docteur Peter Admiraal fait de même dans une section de l’hôpital Saint-
Hippolyte à Delft (ND). En 1990, le docteur Jack Kevorkian (Detroit,
Michigan) élabore une machine à se suicider qu’il appelle le Mercytron,
composé de trois flacons à perfusion, l’un, de sérum pour dilater les veines,
l’autre, de Pentothal pour anesthésier le patient, le troisième, de potassium
pour provoquer l’arrêt cardiaque qui survient dans les cinq minutes. Quatre
fois inculpé pour assistance au suicide, et quatre fois acquitté, le
docteur Kevorkian a été condamné le 13 avril 1999 à une peine de dix à
vingt-cinq ans d’emprisonnement pour le meurtre au second degré de
Thomas Youk le 17 septembre 1998. La qualification d’assistance au
suicide n’a pu être retenue, car le médecin a déclaré n’avoir jamais compris
un mot de ce que disait son patient.

II. – Problèmes de définition


1. Cinq types d’actes médicaux possibles en fin de vie.De manière
très schématique, cinq actes médicaux très différents sont possibles sur une
personne hospitalisée, ou médicalisée à domicile, lorsqu’elle est au seuil de
sa vie et qu’elle souffre terriblement. Ces actes, de ceux qui posent le moins
de problèmes à ceux qui en posent le plus, sont :
(1) l’administration d’analgésiques à des doses élevées qui accélèrent
éventuellement le décès ;
(2) la limitation ou l’abstention des traitements actifs ou des traitements
de réanimation ;
(3) l’arrêt des dispositifs de survie artificielle (débrancher un respirateur
ou un rein artificiels) ;
(4) l’aide au suicide ou suicide assisté ;
(5) l’injection d’une substance mortelle.
Trois modes d’expression de la volonté du patient existent logiquement
pour chacun de ces cinq actes : soit il est effectué sur un patient qui le veut,
soit il l’est sur un patient qui est hors d’état d’exprimer sa volonté, soit il
l’est sur un patient qui ne le veut pas. L’acte peut être ainsi volontaire (à la
demande du patient), involontaire (sans demande du patient) ou non
volontaire (contre la demande du patient).
Cette présentation très schématique appelle trois remarques. 1. Pour
qu’une absence de traitement puisse être appelée un acte, il faut qu’elle soit
le résultat d’une décision médicale et non d’une négligence. 2. Si l’on
associe (1) et (5), une surdose d’analgésiques peut être mortelle ; il est
habituel de lire que l’accoutumance imposerait d’augmenter les doses et
qu’à un moment l’escalade de dose entraîne la mort sans aucune différence
ni de geste ni de conscience, puisque l’anticipation du résultat (la mort) est
présente à l’identique dans la conscience de celui qui fait le geste. 3. Il est,
semble-t-il, courant que l’arrêt d’un respirateur artificiel (3) soit associé à
ou, plutôt, juste précédé de l’injection d’une substance analgésique (1), afin
d’épargner à la personne la très grande douleur d’une mort par étouffement.
Qu’appeler ici « euthanasie » ? Deux thèses s’affrontent. La première,
soutenue par les associations de développement des soins palliatifs
(JALMALV, SFAP) et par l’ensemble des autorités religieuses (à
l’exception peut-être de certains protestants), affirme l’existence d’une
rupture radicale entre les trois premières situations, qui sont des actes de
soins au service d’une personne le plus possible protégée contre la douleur
et l’acharnement thérapeutique, et les deux dernières qui sont
respectivement une aide au suicide et un assassinat ou meurtre avec
préméditation. La seconde thèse, soutenue par les signataires de l’appel
des 132 du 12 janvier 1999 paru dans France-Soir, par les associations pour
le droit à mourir dans la dignité (ADMD), par la Libre-Pensée, par les libres
exaministes belges, estime qu’il existe une continuité fondamentale entre
ces cinq situations qui sont toutes les cinq des actes d’euthanasie :
l’analgésie à dose maximale, parce que le médecin sait très bien ce qui va se
passer (la mort par escalade de doses) et le fait ; la deuxième et la troisième,
parce que l’abstention d’un traitement ou l’arrêt d’un respirateur artificiel
précipitent la mort et que le médecin le sait. La théorie du double effet (voir
ici même, VI, 1) qui sert d’argument aux tenants de la thèse discontinuiste
est refusée par les tenants de la thèse continuiste comme une hypocrisie.
2. Essai d’une définition rigoureuse. – Une définition de l’euthanasie
doit-elle varier en fonction des cas très divers auxquels elle s’applique, ou
bien peut-elle être énoncée indépendamment de cette diversité ?
Il est courant de distinguer l’euthanasie active (acte de tuer
délibérément une personne malade, à sa demande ou non, en fonction de
son état et de sa douleur physique et morale, acte auquel nous pouvons
rattacher les actions nécessaires à l’assistance au suicide), et l’euthanasie
passive dont les trois modalités principales consistent à débrancher un
appareil dont l’arrêt provoque la mort, ou à limiter un traitement ou l’usage
d’une machine, ou à prescrire un traitement antidouleur dont la nécessaire
escalade de doses induit la mort. En pratique, cependant, cette distinction
est confuse. J. Rachels, dans un célèbre article (« Active and Passive
Euthanasia », The New England Journal of Medicine, 9 janvier 1975, 292,
2, 78-80), constate que laisser se noyer un enfant pour en hériter est tout
aussi criminel que de le tuer, que laisser mourir n’est pas plus moral en soi
que tuer, et qu’il n’y a pas lieu d’opposer une euthanasie active qui serait
interdite, à une euthanasie passive qui serait moralement permise.
Qu’est-ce qui caractérise la réalité de l’acte euthanasique ? Il ne semble
pas nécessaire d’étudier au préalable toutes les situations possibles, ni de se
perdre dans un arbre de distinctions qui fractionnent et obscurcissent la
perception qu’en peut avoir la conscience. Est-il légitime d’admettre
l’homicide compassionnel sous certaines conditions ? Lorsque la douleur
est intolérable, que vaut l’interdit du meurtre ?
Pour maintenir l’exigence de ces questions, nous entendrons ici
l’euthanasie comme l’acte dont l’intention première vise la mort d’un
malade pour supprimer sa souffrance. Cette définition fournit un critère
simple à la conscience : l’euthanasie est une mort imposée qui s’oppose à la
mort naturelle.
Même violente, la mort infligée par la nature à celui qui meurt lui
appartient, tandis qu’une mort qui lui est imposée par un tiers, fût-ce à sa
propre demande, lui restera toujours étrangère. La première relève d’une
violence physique, la seconde, d’une violence morale. De quel droit,
lorsque la douleur physique est à peu près maîtrisée, un tiers, un acteur de
soins voleraient-ils à un mourant la seule manière d’être qui lui soit encore
donnée : sa manière bien à lui de mourir ?
Certes, il peut arriver que la coexistence de plusieurs types de motifs
obscurcisse la véritable intention de l’acteur à ses propres yeux comme à
ceux d’autrui. Mais croire que la réalité serait continue entre l’euthanasie
active et l’euthanasie passive reviendrait à annuler toute différence entre la
mort naturelle et la mort imposée, et par là toute notion d’action, d’intention
et de conscience morale. La définition employée permet de mettre au jour la
différence d’intention et de résultat objectifs entre une mort causée ou
infligée sans être voulue, et une mort voulue et imposée (par un tiers).
La définition célèbre de T. L. Beauchamp (« une mort est considérée
comme une euthanasie quel qu’en soit le type si et seulement si les
conditions suivantes sont satisfaites : 1/ cette mort est visée par au moins
une autre personne, laquelle contribue, par son action, à la causer ; 2/ la
personne qui meurt est soit affligée de souffrances intenses, soit plongée
dans un coma irréversible (ou le sera bientôt), et cette condition, à elle
seule, constitue la raison première qui fait que la mort est visée ; 3/ les
procédures choisies pour provoquer la mort doivent être aussi peu
douloureuses que possible, ou bien alors il faut qu’il existe une raison
moralement justifiée de choisir une méthode plus douloureuse »
(Beauchamp, 1996, 4 ; Goffi, 25)) n’est pas, pour la conscience, d’un
maniement immédiat. Surtout, puisque la compassion n’intervient pas
nécessairement dans la raison première invoquée, cette raison peut être,
rationnellement, celle de l’acteur sans être celle de celui qui souffre ou se
trouve dans le coma. Cette définition autorise ainsi une euthanasie
rationnelle et, pour ainsi dire, de sang-froid, pratiquée par quelqu’un qui ne
supporterait pas ou plus la souffrance ou l’état d’autrui. Enfin, les termes
employés (mort visée, causée) éliminent de la description la violence d’être
enfermé dans un corps dont je ne pourrais sortir, ou la violence d’une mort
qui m’est imposée, fût-ce à ma demande, sans retour possible et contre ma
nature d’être vivant, qui peut bien savoir qu’il va mourir, ou même le
demander, mais qui ne peut le subir d’un tiers ou de soi-même sans une
violence morale. Que cette violence morale puisse être parfois jugée
préférable à la violence d’une mort naturelle est un fait évident. C’est
pourquoi une définition de l’euthanasie doit tenir compte de cette violence
si elle veut éclairer la conscience.
La distinction entre une mort imposée et une mort naturelle reste bien
imparfaite, puisque les deux violences peuvent être concurrentes. Pourtant,
malgré son imperfection, cette distinction éclaire la conscience, pour savoir
dans quel type d’acte elle se trouve, peut-être plus rapidement encore que le
test kantien de la possibilité d’universaliser la maxime de ma volonté
(« Agis de telle sorte que tu puisses vouloir que la maxime de ton action
devienne une loi universelle », Fondements de la métaphysique des mœurs,
II). Et tout ce qui importe à la conscience est bien ici d’être éclairée.
Certains cependant, avant de se fier à l’existence problématique d’un
quelconque « instinct divin » (Rousseau, Émile, IV) qui s’exprimerait au
sein de la conscience, auront à cœur de connaître le point de vue des
différentes autorités religieuses et morales.
CHAPITRE V

Le point de vue des autorités


religieuses et morales

I. – Le point de vue des autorités religieuses


1. La position des juifs. – Pour un juif (Gugenheim Grand Rabbin
Ernest [1982], Les Portes de la loi, Paris, Albin Michel, p. 246-255), la vie
est fondamentalement un don de Dieu qui a créé l’homme à son image
(Genèse, 1, 27 et 2, 7). La vie de chaque être humain image de Dieu est
donc un bien sacré. « Celui qui détruit une vie est comme s’il détruisait un
monde entier » (Michna de Sanhédrin, 37 a), car un seul instant d’une vie
humaine peut être celui de la conversion du pécheur. Les décisionnaires
sont donc unanimes à déclarer interdit tout ce qui peut hâter la mort, même,
ajoutent certains, si c’est la compassion qui inspire ce geste. Intervenir sur
un malade au risque d’abréger sa vie est cependant licite si ce geste peut
avoir une chance de le sauver, pourvu qu’il ne s’agisse pas d’acharnement
thérapeutique (Déclaration commune de responsables juifs et catholiques,
Le Monde, 4 avril 2007, p. 14).
2. La position de l’Église catholique
(A) Trois déclarations de Pie XII
(a) Le décret du Saint-Office du 27 novembre (2 décembre) 1940, sous
la forme dépouillée des réponses de droit canonique, se prononce sans
ambiguïté, en pleine opération T4 nazie, contre l’euthanasie eugéniste des
handicapés psychiques et physiques : « Question : Est-il licite de tuer
directement, sur ordre de l’autorité publique, ceux qui, sans avoir commis
aucun crime qui mérite la mort, ne sont pourtant plus en état, par suite de
déficiences psychiques ou physiques, d’être utiles à la nation, et qui sont
considérés au contraire comme lui étant à charge et comme faisant obstacle
à sa vigueur et à sa force ? Réponse (confirmée par le souverain pontife le
1er décembre) : Non, puisque cela est contraire au droit naturel et au droit
divin positif. »
(b) Le Discours à des médecins sur les problèmes moraux de
l’analgésie du 24 février 1957, prononcé devant près de 500 médecins du
monde entier, énonce premièrement que la douleur n’est pas essentielle au
salut. Sa suppression est licite et peut faciliter la prière et élever l’âme. Il est
donc légitime d’utiliser des analgésiques pour des malades en péril de
mort, même si l’analgésie doit raccourcir la vie. Deuxièmement, la
privation de la conscience de soi chez les mourants est permise seulement si
la douleur est trop forte, car « il ne faut pas sans raisons graves priver le
mourant de la conscience de soi », c’est-à-dire le déposséder de sa mort.
Troisièmement, « toute forme d’euthanasie directe, c’est-à-dire
l’administration de narcotiques afin de provoquer ou de hâter la mort, est
illicite, parce qu’on prétend alors disposer directement de la vie ». Les
analgésiques ne doivent donc pas être utilisés pour donner la mort ou
accélérer l’agonie, mais pour calmer une souffrance trop pénible à
supporter. L’euthanasie est illicite parce que le suicide est illicite.
(c) Le Discours sur les problèmes de la réanimation du 24 novembre
1957. Les premiers respirateurs artificiels apparaissent en 1953. Des
médecins demandent à Pie XII s’il est licite ou non d’utiliser ce type
d’appareil et de le débrancher lorsqu’il paraît seul maintenir le malade en
vie. Le pape répond en distinguant les moyens ordinaires et les moyens
extraordinaires : l’homme, s’il est malade, a le devoir de se soigner pour
conserver sa vie et sa santé, mais ce devoir « n’oblige habituellement qu’à
l’emploi des moyens ordinaires (suivant les circonstances de personnes, de
lieux, d’époques, de culture), c’est-à-dire de moyens qui n’imposent aucune
charge extraordinaire pour soi-même et pour un autre ». Le médecin a donc
le droit de pratiquer la respiration artificielle et celui de la faire cesser
lorsqu’elle se révèle inutile. Dans ce dernier cas, il n’y a pas euthanasie, car
« l’interruption des tentatives de réanimation n’est jamais qu’indirectement
cause de la cessation de la vie ».
(B) Sous le pontificat de Jean-Paul II. – La Déclaration sur
l’euthanasie de la Congrégation pour la doctrine de la foi du 5 mai 1980
(D, 1980), le Catéchisme de l’Église catholique (C, 1992) et la lettre
encyclique L’Évangile de la vie. Sur la valeur et l’inviolabilité de la vie
humaine (Evangelium vitae [EV], 1995) sont les trois principaux textes
catholiques récents sur l’euthanasie. Ils contiennent trois affirmations
principales.
1/ L’euthanasie est un meurtre injustifiable. « Action ou omission qui,
de soi ou dans l’intention, donne la mort afin de supprimer ainsi toute
douleur » (D, 1980), l’euthanasie « constitue un meurtre gravement
contraire à la dignité de la personne humaine », meurtre « toujours à
proscrire et à exclure » (C, 2277).
2/ L’euthanasie relève soit d’un utilitarisme prométhéen, soit d’une
perversion de la pitié. L’attitude de l’homme est « prométhéenne » lorsqu’il
croit pouvoir s’ériger en maître de la vie et de la mort (EV, 15). Ce pouvoir
absolu de l’homme sur et contre les autres est en réalité « la mort de la
vraie liberté » (EV, 20), et correspond à une « mentalité utilitariste » (EV,
64) qui cherche à éviter à la société des dépenses improductives trop
lourdes ou à maximiser la possibilité de dons d’organes (EV, 15). Le grand
respect et l’attentive protection dus aux personnes qui souffrent d’une
manière intolérable s’opposent à la tentation de la fausse pitié. Même si un
contexte de très grande souffrance peut conduire quelqu’un à estimer qu’il
peut légitimement demander la mort ou la donner à autrui, « l’erreur de
jugement de la conscience – fût-elle de bonne foi – ne modifie pas la nature
du geste meurtrier qui demeure en soi inacceptable. Les supplications de
très grands malades demandant parfois la mort ne doivent pas être
comprises comme l’expression d’une vraie volonté d’euthanasie ; elles sont
en effet presque toujours des demandes angoissées d’aide et d’affection »
(D, 1980). Collaborer à l’intention suicidaire de quelqu’un « ne peut jamais
être justifié, même si cela répond à une demande » (EV, 66). L’encyclique
cite saint Augustin : « Il n’est jamais licite de tuer un autre, même s’il le
voulait, et plus encore s’il le demandait parce que, suspendu entre la vie et
la mort, il supplie d’être aidé à libérer son âme qui lutte contre les liens du
corps et désire s’en détacher ; même si le malade n’était plus en état de
vivre, cela n’est pas licite » (Lettre 204, 5). Même si le motif n’est pas
égoïste, l’euthanasie est « une fausse pitié », « une “perversion” de la
pitié », car non seulement la vraie compassion rend solidaire de la
souffrance d’autrui sans supprimer celui dont on ne peut supporter la
souffrance, mais elle ne peut consister à tromper la confiance d’une
personne affaiblie en effectuant sur elle le geste euthanasique (EV, 66).
3/ Les lois qui autorisent et favorisent l’euthanasie s’opposent au bien
de l’individu et au bien commun. Elles sont donc dépourvues de toute
véritable validité juridique. Non seulement elles ne créent aucune obligation
pour la conscience, mais elles entraînent « une obligation grave et précise
de s’y opposer par l’objection de conscience » (EV, 72-73). Cette obligation
de désobéissance civile ne s’adresse pas aux seuls catholiques mais à tout
être humain au nom des Droits de l’homme.
3. La position des musulmans. – Les grands principes de la loi
coranique sont le respect et la dignité de la vie humaine, don de Dieu, ce qui
entraîne l’interdit du crime, du suicide et de l’euthanasie. L’éminente
dignité de l’homme lui vient de son statut de vicaire de Dieu sur terre. Le
moment de la mort est issu du seul décret de Dieu. Nul n’est autorisé à le
devancer. Euthanasie et acharnement thérapeutique sont tout autant
interdits.
4. La position des orthodoxes. – Cette position est identique à celle du
magistère catholique. Le professeur John Breck (Abiven [2000], p. 100)
souligne qu’il n’y a pas de bonne mort, que celle-ci restera toujours
tragique, de sorte que l’euthanasie « n’apporte pas de solution au problème
que pose le fait de devoir mourir, si ce n’est d’avancer l’heure de
l’inéluctable » (ibid., p. 101). Il ne convient donc pas d’opposer le caractère
sacré de la vie à la qualité de celle-ci. Le critère qui doit inspirer les
dernières décisions médicales est celui du bien-être spirituel du malade. La
séparation de l’âme et du corps doit pouvoir s’accomplir dans la paix.
L’équipe médicale ne doit pas chercher à prolonger à tout prix la vie du
mourant, mais chercher à soulager sa souffrance, pour qu’il puisse se
préparer à la mort de façon adéquate (ibid., p. 102-103).
5. La position des protestants. – Les protestants (Abiven [2000], p. 96-
99) privilégient l’éthique concrète de responsabilité par rapport à une
éthique de conviction qui peut rester plus théorique, et appuient cette
éthique de responsabilité sur l’examen d’un contexte unique, et sur la
dignité de la personne, image unique de Dieu et dont nul ne peut ni disposer
ni administrer le critère. Aucune loi ni aucune instance morale ne peut
prétendre supprimer la responsabilité éthique du patient, des médecins et de
l’entourage en légalisant ou en interdisant comme un meurtre la pratique de
l’euthanasie (Fédération protestante de France, Livre blanc de la
commission d’éthique, 1991).
6. La position des bouddhistes. – Les bouddhistes souhaitent tout faire
pour supprimer la souffrance, sans pour autant accélérer la venue de la
mort, analogue pour eux à un sommeil qui sépare définitivement le corps et
l’esprit. Or, puisque la souffrance ne cesse pas à la mort du corps, mais
continue jusqu’à épuisement de l’effet des actions qui ont créé la
souffrance, se suicider ou aider quelqu’un à le faire en croyant échapper à la
souffrance n’a aucun sens. Il importe donc de pouvoir mourir
consciemment pour pouvoir se libérer de la souffrance en contrôlant la
douleur sans engourdir la conscience. Les bouddhistes souhaitent donc le
développement des services de soins palliatifs dont la difficulté d’accès
reflète, d’après eux, notre société matérialiste (Abiven [2000], p. 106-108).
Dans leur ensemble, les traditions religieuses considèrent donc
l’euthanasie comme un meurtre (juifs, catholiques, musulmans, orthodoxes)
ou comme une fausse réponse à la souffrance de la mort (bouddhistes,
protestants).

II. – La position des autorités morales


1. La recommandation du Conseil de l’Europe du 25 juin 1999. –
Dans sa recommandation no 1418 intitulée Protection des Droits de
l’homme et de la dignité des malades incurables et des mourants, adoptée le
25 juin 1999 (Gazette officielle du Conseil de l’Europe, juin 1999,
http://stars.coe.fr), le Conseil de l’Europe affirme « l’obligation de respecter
et de protéger la dignité d’un malade incurable ou d’un mourant »,
« conséquence naturelle de la dignité inviolable inhérente à l’être humain à
tous les stades de la vie » (§ 5). Les États membres doivent donc assurer
« aux malades incurables et aux mourants la protection juridique et sociale
nécessaire » contre les risques d’une douleur insupportable, de
l’acharnement thérapeutique, d’une mort isolée ou du suicide à justification
prétendument altruiste. La loi doit reconnaître comme des droits individuels
l’accès des malades incurables et des mourants à une gamme complète de
soins palliatifs, leur droit à l’autodétermination et l’interdiction absolue de
mettre intentionnellement fin à leur vie, puisque « le droit à la vie est
garanti par les États membres » et que « le désir de mourir exprimé par un
malade incurable ou un mourant ne peut jamais constituer un fondement
juridique à sa mort de la main d’un tiers » (§ 9). « Il faut également bannir
toute décision qui reposerait sur des jugements de valeur générale en
vigueur dans la société et veiller à ce qu’en cas de doute la décision soit
toujours en faveur de la vie et de la prolongation de la vie » (ibid.). Tous ont
donc droit à des soins palliatifs. L’euthanasie, comme terme
intentionnellement mis à la vie de malades incurables et de mourants, est
interdite.
En 2002, le Comité des ministres prend acte de la diversité des
législations nationales sur la question, après le vote des lois néerlandaises et
belges, et invite à une nouvelle réflexion.
En 2009, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe demande
aux pays membres de faire du développement des soins palliatifs « un pilier
essentiel du droit des patients ».
Le 25 janvier 2012, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ,
dans la résolution no 1859 « Protection des droits humains et de la dignité
humaine par la prise en compte des vœux des patients exprimés à l’avance »
demande que l’euthanasie soit interdite par ses 47 États membres :
« L’euthanasie, dans le sens de l’usage de procédés par action ou par
omission permettant de provoquer intentionnellement la mort d’une
personne dépendante dans l’intérêt allégué de celle-ci, doit toujours être
interdite. » Cette résolution, fortement incitative, marginalise les lois votées
aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg, et renforce la position des pays
qui, comme la France, récusent l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie.
2. Le Comité consultatif national d’éthique a rendu plusieurs avis
relatifs à la fin de la vie. – Le premier, du 24 juin 1991, s’oppose
fermement à la proposition de résolution de la Commission de
l’Environnement, de la Santé publique et de la protection des
consommateurs autorisant l’euthanasie. Il observe que les soins palliatifs
« rendent rares les demandes d’euthanasie », qu’une formation palliative
donnée à tous les médecins en réduira encore le nombre, que la légalisation
de l’euthanasie « serait source d’interprétations abusives et incontrôlables »,
la demande du patient étant « profondément ambivalente », que la
légalisation de l’euthanasie trahirait la finalité de la mission du médecin,
jetterait le soupçon sur les acteurs de soin, risquerait de faire intervenir
d’autres considérations (économiques, hospitalières, familiales ou
idéologiques) sans rapport avec la détresse du patient, et manifesterait une
prise de pouvoir exorbitante sur la vie d’une personne, réduisant la dignité
d’une personne à son degré de conscience ou d’autonomie.
Le second (27 janvier 2000) tente une synthèse entre deux positions
qu’il décrit comme inconciliables, mais sans y parvenir puisque la manière
dont il exprime cette synthèse équivaut, dans la réalité, à l’une des deux
positions. Après une première partie consacrée aux méfaits de
l’acharnement thérapeutique et aux bienfaits des soins palliatifs dont la
« mise en œuvre devrait permettre, autant que faire se peut, à chaque
individu de se réapproprier sa mort » (Conclusion du titre II : « Mieux
mourir aujourd’hui »), l’avis expose tout d’abord les arguments de ceux qui
affirment « le respect de toute vie humaine » : un tiers ne peut disposer
d’une vie qui n’est pas la sienne ; la dignité est un caractère intrinsèque à
toute personne ; il n’y a pas continuité entre la personne qui demande qu’il
soit mis fin à ses jours dans telles circonstances, et la même personne à
l’approche de la mort ; une personne peut exprimer un désir d’euthanasie
pour ne pas déranger son entourage ; il peut falloir protéger une personne
contre le désir de mort de son entourage ; le médecin doit toujours avoir
pour tâche de soulager ; la justification légale de l’euthanasie pourrait
empêcher le développement des soins palliatifs (3. 2. 1). Puis le Comité
expose, en se référant explicitement à l’ADMD, la logique de ceux qui
pensent que « mourir dans la dignité implique un droit qui doit être reconnu
à qui en fait la demande » (3. 2. 2, premières lignes), au motif que :
l’individu est seul juge de la qualité de sa vie et de sa dignité ; que
l’euthanasie doit être dépénalisée ; que personne ne peut obliger quelqu’un
à vivre ; que le respect de la clause de conscience est impératif ; qu’il ne
s’agit pas d’un droit de tuer accordé à un tiers, mais « de la faculté pour une
personne consciente et libre d’être comprise puis aidée dans une demande
exceptionnelle qui est celle de mettre fin à sa vie » ; qu’une demande
d’assistance à une mort consentie ou qu’une demande d’euthanasie active
restent l’ultime espace de liberté auquel a droit l’homme ; et que la
confiscation de ce droit est injustifiable.
Pour sortir de ce dilemme, le comité propose deux notions : celle
d’engagement solidaire et celle d’exception d’euthanasie (titre 4). La notion
d’engagement solidaire, qui consiste à « faire face ensemble à
l’inéluctable » (titre 4, § 1), reprend le vocabulaire compassionnel des soins
palliatifs, du respect de la personne, de la solidarité et de la fraternité, mais
le détourne de toute base objective (la vie de la personne), pour le mettre au
service d’un désir de mort dont tous les professionnels de
l’accompagnement des grands malades et des mourants soulignent les
fluctuations et les contradictions, en montrant que l’expression de ce désir
est celle d’un désir de ne plus souffrir, c’est-à-dire d’un désir de vie.
Satisfaire ce désir de mort équivaut à la non-assistance à personne en
danger, et l’incitation à cette non-assistance pourrait être qualifiée
d’incitation au meurtre, fût-il compassionnel. La notion d’exception
d’euthanasie vient alors répondre à cette objection. Il ne s’agit nullement de
dépénaliser l’euthanasie – qui reste pénalement répréhensible. Il s’agit
seulement de créer une instance particulière, chargée d’examiner s’il y a
lieu de poursuivre ou non le médecin qui a pratiqué une euthanasie. Cette
instance judiciaire exceptionnelle aurait à se prononcer a posteriori, ce qui
constitue en pratique au moins deux bons moyens de protection juridique
des auteurs d’euthanasie, et non de leurs éventuelles victimes, fussent-elles,
avec ambiguïté, consentantes : d’une part, des magistrats d’« exception »
viendraient expliquer qu’il ne faut pas ici juger ordinairement, c’est-à-dire,
explique le Comité, non pas juger une « culpabilité en fait et en droit, mais
des [et non pas les] mobiles qui les ont animés [qui ont animé les auteurs
d’une euthanasie] » (titre 4, § 16) ; d’autre part, des médecins, si même ils
ne se défaussent pas sur les infirmiers, pourraient toujours dire, a posteriori,
ce qu’ils veulent sans véritable crainte d’être démentis. Le citoyen
s’interrogera peut-être sur l’utilité d’une instance judiciaire qui ne jugera
pas, mais dont la fonction sociale semble être seulement de normaliser
l’exception. Peu à peu, l’exception deviendrait la règle (comme le montre le
professeur Jochemsen à propos de l’expérience hollandaise). L’ambiguïté de
la notion de consentement ferait le reste : si la personne à la demande de
laquelle on souhaite répondre n’émet pas de volonté distincte à l’instant où
l’acte serait envisagé, il resterait toujours la possibilité de demander l’avis
d’un tiers, sur le modèle de ce qui existe déjà dans le consentement à une
recherche biomédicale (titre 4, § 7), ce qui, reconnaît avec une soudaine
force le Comité, exclut les personnes sans domicile fixe : « Hors
consentement, aucun acte euthanasique ne saurait être envisagé. Aussi, en
l’absence de tiers (pour des personnes sans domicile fixe par exemple), cet
acte se révèle-t-il tout simplement inacceptable » (titre 4, § 9).
Si l’euthanasie n’est pas reconnue comme un droit objectif, comme le
réclament les membres de l’ADMD, la procédure exceptionnelle aboutit en
pratique à ce droit, sans aucune garantie pour les personnes qui seraient
hors d’état de consentir, mais dont le consentement pourrait toujours être
présumé. La tentative de synthèse que prétend présenter le Comité n’en est
pas une. Cet avis équivaut à un permis de tuer, en contradiction avec la
recommandation 1418 du Conseil de l’Europe du 25 juin 1999.

L’Avis sur les questions éthiques liées au développement et au


financement des soins palliatifs du 12 novembre 2009 recommande la
création de postes de professeurs des universités-praticiens hospitaliers en
médecine interne, spécialité soins palliatifs. Le rapport Sicard (Penser
solidairement la fin de vie) remis le 18 décembre 2012 au président de la
République, constate que l’on meurt plutôt mal en France, estime que
l’euthanasie et le suicide assisté ne répondent pas à la demande des patients,
que les services de soins palliatifs sont en trop petit nombre, et propose que
la Conférence des doyens réforme les études médicales en formant tous les
étudiants de médecine à la lutte contre la douleur. Cette recommandation a
été ignorée. Le gouvernement a préféré demander aux députés Jean Leonetti
et Alain Claeys de présenter une nouvelle proposition de loi. Tant que
l’Académie de médecine et le Conseil national des universités n’accepteront
pas que la lutte contre la douleur passe du statut de pratique infirmière à
celui de véritable spécialité médicale, les conditions du mourir ne
changeront guère en France.

En 1996, Paul Van der Maas et Gerrit Van der Wal firent paraître les
résultats d’une enquête sur les décisions prises en fin de vie de leurs
patients par les médecins néerlandais (Van der Maas P., Van der Wal G.
et al. [1996], « Euthanasia, Physician-Assisted Suicide, and Other Medical
Practices Involving the End of Life in the Netherlands, 1990-1995 », The
New England Journal of Medicine, 28 novembre 1996, 335, 22, 1699-
1705). En 1995, sur 135 000 décès observés aux Pays-Bas, 14 200 arrêts ou
abstentions de traitement ont été pratiqués sans demande explicite du
patient et pour abréger intentionnellement sa vie (Jochemsen, Henk [2000],
« Euthanasie. Leçon des Pays-Bas : la régulation est-elle opérante ? »,
Laennec, octobre 2000, 48, 6, p. 4-9). Bien des euthanasies effectuées sans
demande du patient ne sont pas déclarées et restent clandestines (A. van der
Heide, « Physician assistance in Dying without an Explicit Request by the
Patient », in S. J. Youngner & G. K. Kimsma (2012), Physician-Assisted
Death in Perspective, New York, Cambridge University Press, p. 137).
Pourquoi des professionnels qui auraient pratiqué des euthanasies sans le
consentement de leurs patients iraient-ils déclarer volontairement un acte
irréversible, à plus forte raison s’ils le regrettent ? Une régulation a
posteriori fondée sur la déclaration volontaire ne pourra jamais faire sortir
de la clandestinité des actes criminels. L’argument employé pour justifier
l’euthanasie volontaire et le suicide assisté : les autoriser pour faire cesser
des pratiques clandestines, est donc inutile puisque, dans ces deux cas, le
patient exprime son consentement devant des tiers. En revanche, il renforce
l’impunité de pratiques secrètes qui pourront toujours se prévaloir d’une
présomption de consentement.
La justification de l’euthanasie compassionnelle entraîne l’impunité de
fait de l’euthanasie utilitariste et, bientôt, de l’euthanasie eugéniste
d’enfants très lourdement handicapés – H. Jochemsen en estime le nombre
à 90 en Hollande en 1995 (art. cit., p. 7). Il conclut en constatant « qu’une
fois que l’euthanasie est officiellement approuvée et pratiquée, la pratique
développe sa propre dynamique qui résiste à un contrôle efficace et qui tend
à s’élargir. Cette situation mine les fondements de notre État
constitutionnel » (ibid., p. 9). Il est des exceptions théoriques qui menacent
réellement les Droits de l’homme et constituent, en pratique, une rupture du
contrat social qui unit entre elles les personnes.
CHAPITRE VI

Les conflits conceptuels

Trois problèmes au moins demeurent : 1/ entre les cinq actes médicaux


distingués plus haut (p. 41) : l’analgésie à doses de plus en plus fortes (1), la
limitation ou l’abstention de traitement (2), l’arrêt de traitement (3), le
suicide assisté (4) et l’injection d’une substance mortelle (5), y a-t-il
continuité ou discontinuité ? Les actes (4) et (5) constituent-ils des ruptures
par rapport aux trois premiers ? La réponse à cette question dépend en
partie du statut que l’on donne à l’argument du double effet ; 2/ la décision
ou l’abstention à l’égard de l’euthanasie dépend de la manière dont nous
comprenons la notion de respect des personnes ; 3/ qu’en est-il du poids de
rationalité respective des thèses en faveur et en défaveur de l’euthanasie ?

I. – Continuité ou discontinuité des actes


médicaux en fin de vie : l’argument du double
effet
La présentation de cet argument se trouve dans la Somme théologique
de saint Thomas d’Aquin (IIa, IIae, q. 64, a. 7) à propos de la licéité de
l’homicide en état de légitime défense : « Rien n’empêche qu’un même acte
ait deux effets, dont l’un seulement est voulu, tandis que l’autre ne l’est pas.
Or, les actes moraux reçoivent leur spécification de l’objet que l’on a en
vue, mais non de ce qui reste en dehors de l’intention, et demeure […]
accidentel à l’acte. Ainsi, l’action de se défendre peut entraîner un double
effet : l’un est la conservation de sa propre vie, l’autre la mort de
l’agresseur. Une telle action sera donc licite si l’on ne vise qu’à protéger sa
vie, puisqu’il est naturel à un être de se maintenir dans l’existence autant
qu’il le peut. Cependant, un acte accompli dans une bonne intention peut
devenir mauvais quand il n’est pas proportionné à sa fin. Si donc, pour se
défendre, on exerce une violence plus grande qu’il ne faut, ce sera illicite.
Mais si l’on repousse la violence de façon mesurée, la défense sera licite.
[…] Et il n’est pas nécessaire au salut que l’on omette cet acte de protection
mesurée pour éviter de tuer l’autre ; car on est davantage tenu de veiller à sa
propre vie qu’à celle d’autrui. »
L’emploi de la théorie du double effet suppose des conditions très
strictes : 1/ il faut que l’acte soit bon en soi ; par exemple, une piqûre de
potassium ou l’injection d’un cocktail lytique (DLP) sont en soi mauvaises ;
2/ l’effet mauvais ne doit pas être voulu, même s’il est prévu ; car prévoir
n’est pas vouloir (sinon, par exemple, plus personne ne construirait de
voiture, à cause des accidents mortels qui suivent parfois de leur
utilisation) ; 3/ l’effet mauvais ne doit pas être utilisé comme moyen
d’obtenir l’effet bon ; par exemple, rien ne peut légitimer l’usage de la
torture ; 4/ il ne faut pas que l’effet mauvais soit pire que l’effet bon ; dans
l’administration d’analgésiques forts, puisque de toute façon la maladie
entraîne la mort, celle-ci ne peut être un maléfice absolu par rapport à la
souffrance ; 5/ enfin, il faut ne pas pouvoir vouloir faire autrement (réponse
à Goffi, p. 75) ; par exemple, il ne faut pas utiliser des analgésiques
dangereux s’il en existe d’inoffensifs. Les attaques de Pascal contre les
distorsions casuistiques de l’argument du double effet ne doivent pas en
interdire l’usage lorsque ces cinq conditions sont strictement respectées
(Vincent Carraud et Chaline Olivier, article « Casuistique », in Canto-
Sperber, 1996).
C’est au nom de l’argument du double effet que l’analgésie peut être
utilisée même si celui qui la prescrit ou l’administre sait que l’augmentation
des doses entraînera la mort. Le moyen est bon en soi ; l’effet mauvais n’est
pas voulu, et même s’il est prévu, le moment auquel il surviendra ne peut
être connu avec une entière certitude ; quant aux trois autres conditions,
elles sont satisfaites de manière évidente. Les adversaires de cet argument,
lorsqu’ils ne le déforment pas, confondent néanmoins l’intention et la
prévision, le motif d’une action et ses conséquences, la conscience d’une
intention et la représentation mentale d’une prévision, ce qui implique
l’acteur et ce qui ne l’implique pas. Croire enfin qu’il serait hypocrite de
vouloir le bien (premier effet) sans vouloir le mal (second effet) reviendrait
à postuler que notre vraie conscience d’un bien cache un mal. Pourquoi
notre conscience serait-elle nécessairement trompeuse ? (P. Byrne, in
Canto-Sperber ; D. Sulmasy, E. Pellegrino (1999), « The Rule of Double
Effect », Arch. Inter. Med., 159, 22 mars, 545-550 ; T. Quill, R. Dresser,
D. Brock (1997), « The Rule of Double Effect. A Critique of Its Role in
End-of-Life Decision-Making », New England Journal of Medicine,
décembre 1997, 337, 24, 1768-1771). La différence, dans la conscience
réelle, entre le bien d’une intention et le mal d’une conséquence non voulue
permet de distinguer l’euthanasie des justes moyens de lutte contre la
douleur. Mais l’existence de signes cliniques défavorables permet bien plus
sûrement de réorienter l’antalgie, à temps, sans avoir à entrer dans la
question – finalement très théorique – du double effet.

II. – Le respect des personnes


En médecine, le respect des personnes semble pouvoir être compris soit
comme le respect de leur liberté et de leur autonomie, soit comme le fait de
faire ce qui est bon pour elles, y compris sans leur consentement, ou peut-
être même contre leur gré. Lorsqu’une personne n’est plus en état
d’exprimer une préférence, faut-il la tuer ou la laisser se tuer par respect de
sa dignité ?
Le véritable respect ne peut être abstrait. Il se tient nécessairement au
plus près d’une personne concrète. Ce n’est jamais une liberté abstraite
qu’il s’agit de respecter, mais toujours la liberté d’une personne concrète.
Le bien et la liberté d’une personne lui sont reliés. Le conflit entre deux
interprétations du respect n’existe ainsi que dans l’hypothèse où une
personne pourrait émettre un désir contradictoire, comme l’est,
logiquement, une demande de suicide. Par une telle demande, une personne
se respecte-t-elle entièrement elle-même ? Faciliter l’accès au suicide
revient à réduire une personne à une personne enfermée dans la douleur. La
première des urgences consiste à tout faire pour qu’une personne
redevienne libre en cessant de souffrir tout en étant restée une personne.
S’imaginer à la place d’une personne que l’on aime peut fournir un bon
critère de décision. Lorsque Leibniz affirme que « la place d’autrui est le
vrai point de vue pour juger équitablement lorsqu’on s’y met » (Nouveaux
Essais, I, II, § 4, fin), il s’agit d’un point de vue universel qui tient compte à
la fois de la situation particulière de la personne, de sa singularité, mais
aussi de toutes les obligations auxquelles elle se trouve reliée. Le respect
des personnes ne peut séparer ici leur dignité, leur liberté, leur singularité et
leur socialité concrètes. Par suite, cette mise à la place concrète d’autrui
évite d’avoir faussement à choisir entre la liberté et le bien. Le vrai bien
d’une personne n’est pas dissociable de sa liberté concrète.
III. – Évaluation rationnelle des thèses
en présence
Bien des préférences peuvent jouer dans l’adoption d’une position
philosophique qui admette ou refuse l’euthanasie. Mais les deux positions
ont-elles le même poids rationnel ?
Deux observations, tout d’abord. Si la recommandation 1418 du Conseil
de l’Europe énonce bien un droit de tous à une mort digne et à des soins
palliatifs, elle ne reconnaît pas un droit de chacun au suicide, au suicide
assisté ou à l’euthanasie. L’avis no 63 du CCNE va dans le même sens,
puisqu’il ne change pas le Code pénal, ni ne reconnaît un droit objectif de
chacun à un suicide assisté ou à une euthanasie, qui contraindrait un tiers à
l’exécuter. Un droit pour ainsi dire subjectif et qui ne pourra jamais être
universel, une exception ne peuvent avoir le même statut qu’un droit
objectif. La seconde observation tient à l’existence de pressions
économiques. À partir du moment où l’on peut calculer qu’un malade
incurable, en situation de grande dépendance et inconscient, coûte plus cher
à garder qu’à euthanasier, jusqu’à quel point le ou les évaluateur(s) sauront-
ils se garder d’arguments utilitaristes ou eugénistes ? Que le coût des Droits
de l’homme soit jugé exorbitant ou non, l’argument économique ne peut
être mis sur le même plan que le respect des personnes que si ce dernier a
préalablement cessé d’être inconditionnel.
Trois paralogismes sont alors couramment utilisés par les partisans de
l’euthanasie : le paralogisme de la suppression de la vie pour supprimer la
souffrance ; le paralogisme de la permanence de la personnalité ; et le
paralogisme du droit à l’exception, opposé au droit.
Supprimer la vie pour supprimer la souffrance n’a logiquement aucun
sens : il est absurde et impossible de supprimer la substance pour supprimer
les prédicats qui s’y rattachent : une personne morte n’est pas une personne
non souffrante, puisqu’elle n’est théoriquement plus une personne, à moins
de supposer une vie après la mort, ce qui n’est pas ordinairement
l’hypothèse la plus fréquemment retenue par les partisans de l’euthanasie.
Le deuxième paralogisme est employé pour reconnaître à d’éventuelles
directives anticipées (DA) un pouvoir légal de contraindre – et non pas
seulement d’éclairer – la décision médicale. La validité des DA postule une
continuité réelle entre la personne qui les a rédigées et la personne qu’elle
sera à la fin de sa vie. Or, une décision prise par une personne en bonne
santé, ou dans un état qui est encore éloigné de la réalité de la mort, ne
saurait engager la même personne à l’article de la mort que si l’on considère
que ces deux personnes sont identiques. Si l’état civil d’une même personne
à deux moments de sa vie est bien le même, les intentions de cette
personne, c’est-à-dire sa volonté concrète, peuvent varier radicalement, sans
que la personne dans son dernier état puisse communiquer ce changement
de décision. Il paraît donc prudent de considérer que le respect d’une
personne doit tenir compte de la pluralité des volontés possibles de cette
personne. Il n’y a donc pas d’identité réelle entre deux états ou volontés
d’une même personne. La loi du 22 avril 2005 permet au patient d’exprimer
sa volonté par des « directives anticipées » datant de moins de trois ans, qui
peuvent constituer d’utiles indications pour reconnaître ce qui serait ou non
« obstination déraisonnable » dans la poursuite d’un traitement. Mais ces
dispositions ne peuvent entamer le niveau de protection auquel le patient a
droit de la part du médecin, seul responsable, en dernier ressort, d’une
limitation ou d’un arrêt de traitement. Il paraît donc prudent, comme
l’énonce la loi, de « tenir compte » de ces indications sans s’y laisser
enfermer.
Enfin, contre le troisième paralogisme, nous savons, depuis Kant, qu’il
n’existe aucun droit de mentir, ni par humanité (lorsque quelqu’un ment à
des poursuivants qui en veulent à un homme qui s’est réfugié chez lui) ni
pour quelque raison que ce soit, puisque, lorsqu’il s’agit du mensonge, la
transformation d’une exception en loi universelle empêcherait de savoir si
celui qui parle ment ou dit vrai (Kant I. [1797], Sur un prétendu droit de
mentir par humanité). Admettre une loi qui justifierait un droit à ne pas
respecter le droit ruinerait ainsi toute vérité juridique. On ne peut fonder un
droit sur un simple désir subjectif, par essence fluctuant. Tout droit suppose
une universalité qui n’existe pas dans les cas chaque fois très particuliers
des demandes d’euthanasie ou de suicide assisté.
La conscience est en nous l’instance qui éclaire le risque de vivre. Elle
peut choisir de fuir le réel ou de s’y tenir. Pourvu que ce réel exclue toute
douleur insoutenable, par la mise en place d’analgésies et de réconforts
appropriés, lui seul semble pouvoir rendre la personne libre, à l’intérieur de
cette vie qui lui reste à vivre. La liberté d’agir autrement (euthanasie,
suicide assisté) aurait beau exister, et la conscience des acteurs aurait beau
l’estimer justifiée, elle ne saurait être érigée en droit sans susciter de
terribles contradictions, ni rester secrète sans risquer d’être criminelle. Le
propre de l’exception est de ne pouvoir être entièrement justifiée. Aucune
loi ne pourra jamais dispenser la conscience de réfléchir à deux fois.
CHAPITRE VII

Législations étrangères

Sur tout cela, un excellent document de synthèse publié par le Sénat :


Les droits des malades en fin de vie, Série Législation comparée
(no LC 139, novembre 2004, un peu ancien déjà mais toujours utile). L’on
observe « Une communauté de vues des législations sur la fin de vie en
Europe » (titre d’un article d’un bon connaisseur de ces législations, Yves-
Marie Doublet, Études, avril 2012, no 4164, p. 417 sq.). Législations
conformes à la résolution 1859 du 25 janvier 2012 de l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe.

I. – Les États-Unis
Aux États-Unis, l’euthanasie est illégale dans tous les États
(C. H. Baron, 2004). Toutefois, la question de la légalisation de l’euthanasie
n’y est pas nouvelle. En 1906, une loi de l’État de l’Ohio organisant
l’euthanasie fut jugée inconstitutionnelle par la Cour suprême de cet État.
En revanche, un grand nombre d’États a légiféré pour permettre au
patient de laisser des instructions quant à la fin de sa vie, lui permettant de
demander la cessation d’un traitement devenu sans objet. Il peut soit laisser
un testament de fin de vie, soit désigner un mandataire de santé (certains
États utilisent les deux procédés). Ce type de législation fut inspiré de la loi
californienne, le Californian Natural Death Act du 30 septembre 1976,
promulgué le 1er janvier 1977 (législation américaine :
http://www.rights.org).
Ces divers textes ont été inspirés par l’affaire Karen Ann Quinlan
en 1976 (Charles H. Baron, « De Quinlan à Schiavo : le droit à la mort et le
droit à la vie en droit américain », RTD civ., 2004. 673). Cette jeune fille
plongée, le 14 avril 1975, dans un coma profond fut maintenue en vie par
un respirateur artificiel durant plus d’un an. Ses parents, après consultation
des autorités religieuses, sollicitèrent l’arrêt de la réanimation devenue sans
espoir. Devant le refus des médecins, ils portèrent l’affaire en justice et
obtinrent gain de cause par l’arrêt de la Cour suprême de l’État du New
Jersey du 31 mars 1976 (Baron, p. 102). S’inclinant devant ces injonctions,
les médecins, le 22 mai suivant, arrêtèrent le processus de réanimation. À la
stupeur générale, Karen continua de respirer toute seule. Un second
problème se posa : devait-on continuer à l’alimenter ? Il fut décidé d’y
procéder dès lors que la survie n’était pas, elle-même, artificielle. Karen
survécut dix ans et mourut de sa mort le 13 juin 1986. Le cas Quinlan posait
deux questions : une personne peut-elle solliciter l’arrêt de soins estimés
superflus ? Peut-elle obtenir que l’on mette un terme à une vie gravement
atteinte ? À la suite de cette célèbre affaire, divers États élaborèrent des
législations entendant répondre à l’une ou l’autre de ces deux questions. La
loi californienne a pour finalité déclarée de laisser se dérouler d’une
manière naturelle une mort imminente. Le médecin va cesser le traitement
tendant à maintenir la vie, mais non celui qui permet l’allégement de la
douleur.
La loi permet à tout malade de signer une « directive » (terme consacré
par elle) qui porte le nom de living will qui peut se traduire par « testament
de vie ». Pour pouvoir établir un tel document, il faut avoir 18 ans au
moins, être sain d’esprit et agir de sa propre volonté. La validité du
consentement est assujettie à la présence de deux témoins, lesquels ne
doivent avoir aucun intérêt dans la suite du destin de celui qui souhaite
laisser ses ultimes volontés. Lorsqu’elle est rédigée, la « directive » a une
durée de validité de cinq ans, terme au bout duquel elle doit être réitérée
dans les mêmes formes. S’agissant d’une femme, ses effets sont suspendus
durant la grossesse de celle-ci. Une fois établie, la « directive » doit être
communiquée au médecin traitant qui en garde copie dans le dossier du
malade. Il va sans dire que cette « directive » est révocable à tout moment.
La loi californienne, très largement approuvée, a inspiré diverses autres
législations d’États et finalement celle du Congrès lui-même qui, par le
Patient Self Determination Act de 1991, a astreint chaque hôpital à remettre
à tout patient, lors de son entrée, une information suffisante à ce sujet.
En 1992, un projet de loi visant à instaurer une véritable euthanasie dans
l’État de Californie fut refusé par référendum.
Le droit pour une personne capable de refuser un traitement médical a
valeur constitutionnelle depuis l’arrêt Union Pacific Railroad
Co. v. Botsford de 1891 (droit découlant du droit à l’intégrité corporelle).
À l’opposé, l’État de l’Oregon (Baron, 2004), par un référendum en
date du 8 novembre 1994 (51 % en faveur et 49 % de votes hostiles), admit
une loi favorable à l’euthanasie sous le nom de Death with Dignity Act, qui
n’était qu’une admission pure et simple du suicide médicalement assisté.
Cette loi fut suspendue immédiatement après son vote par le recours d’un
avocat l’estimant contraire à la Constitution, au motif qu’elle privait
arbitrairement des personnes de la même protection à l’égard du suicide
dont jouissent les autres. Toutefois, la loi fut confirmée par un référendum
le 27 octobre 1997 (60 % contre 40 %). C’est elle qui a permis, entre 1998
et 2004, à 208 patients de recevoir une prescription létale. Cette loi permet à
« un adulte capable […] dont le médecin traitant et un médecin consultant
ont établi qu’il souffrait d’une maladie en phase terminale (qui entraînera la
mort dans les six mois) et qui a volontairement exprimé son souhait de
mourir, de formuler, une requête pour obtenir une médication afin de finir
sa vie d’une manière humaine et digne ». Un troisième médecin devait
vérifier que le patient ne souffrait pas de dépression.
La jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis, sur l’euthanasie, se
compose de deux arrêts. Le premier fut rendu le 26 juin 1997 (Washington
v. Glucksberg ; voir E. Zoller [1997], no 74). L’État de Washington
incrimine, comme la plupart des autres États, l’aide au suicide d’autrui. Le
docteur Harold Glucksberg avait reconnu avoir l’intention d’aider des
mourants à se donner la mort. La loi l’interdisant, il déposa un recours
(Compassion in Dying v. State of Washington et alii) en inconstitutionnalité
devant la cour fédérale de district compétente en se fondant sur le fameux
14e amendement et sa clause du due process qui prévoit, en particulier,
qu’« aucun État ne […] privera aucune personne de vie, de liberté ou de
propriété sans le bénéfice des protections dues par le droit » (without due
process of law, c’est-à-dire selon une procédure juste, impliquant
l’obligation d’accorder une égale protection à tous les citoyens). Il obtint
e
satisfaction devant cette juridiction, puis devant la cour d’appel du 9 circuit
de Washington (mars 1996). La Cour suprême cassa cet arrêt à l’unanimité
et déclara que, « dans presque tous les États, en fait, dans presque toutes les
démocraties occidentales, c’est un crime que d’aider un tiers à se suicider.
L’interdiction faite par les États d’aider un tiers à se suicider n’est pas une
nouveauté. C’est plutôt une expression fort ancienne de l’obligation des
États de protéger et conserver toute vie humaine. […] En vérité,
l’opposition au suicide, sa condamnation – et a fortiori celle du suicide
assisté – sont des valeurs permanentes en harmonie avec notre patrimoine
philosophique, juridique et culturel ». Contre les requérants, la loi de l’État
de Washington fut donc jugée constitutionnelle.
Le second, en date du 17 janvier 2006, précisément relatif à la loi de
l’Oregon. La Cour suprême décida, alors, que la liberté d’expression, issue
du premier amendement de la Constitution, autorisait un État à légiférer de
manière à ce qu’un individu puisse réclamer assistance à son suicide.
Les deux arrêts peuvent sembler contradictoires. En réalité, ils ne le
sont pas. Du premier découle le principe qu’un État peut refuser de se doter
d’une législation favorable à l’euthanasie (l’euthanasie n’est pas un droit
déterminé par la Constitution) ; du second, l’autre principe qui permet à un
État de voter une loi autorisant l’euthanasie (l’euthanasie n’est pas interdite
explicitement par la Constitution). Cela signifie une totale neutralité du
droit fédéral (ce qui est la règle dominante dans le droit américain qui est,
d’abord et avant tout, un droit des États). La Cour suprême reconnaît qu’un
État peut tout aussi bien interdire l’euthanasie que l’autoriser.
En définitive, de manière cohérente, la législation de la quasi-totalité
des États de la fédération interdit le suicide assisté ou toute forme
d’euthanasie mais permet à toute personne d’être maîtresse des soins qui lui
sont administrés. La mort, le 31 mars 2005, de Terri Schiavo, après
l’autorisation donnée par un juge fédéral, confirmée par la Cour suprême,
de cesser l’alimentation de cette personne estimée en état végétatif (mais il
y avait discussion sur ce point), relance le débat. Le président Bush avait
tenté d’empêcher cette mort provoquée en promulguant, le 21 mars, une loi
votée d’urgence par le Congrès, qui se révéla inefficiente.

II. – L’Australie
En 1988, les États de Victoria et celui du Territoire du Nord admirent le
testament de vie alors que le Territoire de la capitale australienne et celui
d’Australie méridionale préférèrent avoir recours au mandataire ad hoc.
Puis, le 25 mars 1995, ce fut l’assemblée du Territoire du Nord qui légalisa
l’euthanasie en tant que suicide assisté par le Right of the Terminal Ill Act.
Le Parlement fédéral, à l’instigation du Premier ministre fédéral,
John Howard, par une décision du 9 décembre 1996 de la Chambre des
représentants confirmée par une seconde du 23 mars 1997 du Sénat,
révoqua la loi en question par l’Euthanasia Laws Act no 17/1997.

III. – La Grande-Bretagne
Dans un pays où le droit est principalement issu de la jurisprudence
judiciaire, celle de la Chambre des Lords Justice (qui était alors la
juridiction suprême du Royaume, jusqu’à la création de la Cour suprême du
Royaume-Uni à compter du 1er octobre 2009), celle-ci est fixée par deux
arrêts très importants. Le premier est l’arrêt Airdedale NHS Trust v. Bland,
du 9 février 1993, qui déclare qu’un malade peut refuser un traitement. En
ce cas, « un médecin n’a pas le droit de passer outre, même s’il apparaît
évident pour tous, y compris pour le malade, que des conséquences
néfastes, et même la mort, pourront s’ensuivre et s’ensuivront ».
Au-delà, la jurisprudence britannique admet que toute personne laisse
des instructions pour ses derniers jours. La validité d’un tel document est
subordonnée à quatre conditions : le patient doit disposer de sa capacité
mentale au moment où il exprime son souhait, saisir la portée de sa décision
dans l’hypothèse où il viendrait à perdre cette capacité, comprendre les
conséquences de son souhait et ne pas avoir été soumis à une influence dans
sa décision. À défaut de document aussi explicite, l’arrêt des soins peut être
ordonné par l’accord et de l’équipe soignante et de la famille (c’est ce que
décida l’arrêt précité du 4 février 1993).
C’est donc un pays qui admet le droit à l’abstention du traitement, du
moins la poursuite de soins devenus inutiles y compris (dit l’arrêt) si ce
refus peut provoquer le décès du patient. Il faut ajouter que, dans un
important rapport rendu le 31 janvier 1994, la Chambre des lords a validé la
théorie dite du « double effet » qui ne constitue pas une raison de refuser au
malade un traitement qui pourrait le soulager, dès lors que le médecin se
conforme à la pratique médicale admise et qu’il n’a pas la volonté de tuer
mais seulement de soulager la douleur.
L’autre arrêt des lords est celui rendu dans la dramatique affaire
Diane Pretty, le 29 novembre 2001. Cette malheureuse femme paralysée
par une dégénérescence nerveuse incurable et évolutive demandait que son
mari puisse l’aider à se suicider (ce qu’elle ne pouvait faire toute seule) sans
encourir une condamnation. La Chambre des lords refusa de consacrer un
possible « droit au suicide ». C’est cette décision qui fut ensuite contestée
devant la Cour européenne des droits de l’homme (voir plus bas). Les lords
se sont fondés sur le Suicide Act de 1961 qui interdit toute assistance à un
suicide. Toutefois, par une décision du 23 septembre 2009, les Law Lords
ont admis qu’un Anglais accompagnant un autre citoyen de ce pays en
Suisse, pour se faire assister dans son suicide, pouvait, sous certaines
conditions, ne pas être poursuivi.
Le Mental Capacity Act de 2005 introduit dans la législation des
directives anticipées proches de celles connues en France par la loi de la
même année.

IV. – Le Canada
Le Québec est fidèle à la tradition romaine. Le droit y est écrit et
codifié. Ainsi, le nouveau Code civil du Québec de 1994 comporte un
article 11 : « Nul ne peut être soumis sans son consentement à des soins,
quelle qu’en soit la nature, qu’il s’agisse d’examens, de prélèvements, de
traitements ou de toute autre intervention. »
« Si l’intéressé est inapte à donner ou à refuser son consentement à des
soins, une personne autorisée par la loi ou par un mandat donné en
prévision de son inaptitude peut le remplacer. »
Article 12 : « Celui qui consent à des soins pour autrui ou qui les refuse
est tenu d’agir dans le seul intérêt de cette personne en tenant compte, dans
la mesure du possible, des volontés que cette dernière a pu manifester.
« S’il exprime un consentement, il doit s’assurer que les soins seront
bénéfiques, malgré la gravité et la permanence de certains de leurs effets,
qu’ils sont opportuns dans les circonstances et que les risques présentés ne
sont pas hors de proportion avec le bienfait qu’on en espère. »
Sur le terrain pénal, l’euthanasie est classiquement un homicide. Un
arrêt de 1992 de la Cour suprême, B. Nancy v. hôtel-Dieu de Québec, opère
toutefois une nette distinction entre l’interruption de traitement et
l’euthanasie par compassion.
Le 5 juin 2014 (D. 2014.1281) fut votée une loi tendant à autoriser, sous
certaines conditions, l’assistance à la mort à la demande de « malades
incurables » endurant des « souffrances exceptionnelles ».

V. – Allemagne, Suisse et pays scandinaves


En Allemagne, le terme même d’euthanasie n’est jamais employé tant il
rappelle d’atroces souvenirs. L’on n’use donc que du mot Sterbehilfe (aide à
la mort). Il est absolument impensable d’envisager légiférer sur une telle
er
question, dans la mesure où l’article 1 de la Loi fondamentale (la
Constitution fédérale) protège le droit à la vie et le respect de la dignité de
la personne. Toutefois, la Cour fédérale de justice, par un arrêt du
13 septembre 1994, a opéré un revirement de jurisprudence, en admettant
que soit interrompue une alimentation artificielle d’une patiente plongée
dans un coma depuis de nombreuses années. La pratique a encouragé la
rédaction d’un Patiententestament qui est parfaitement licite (exemple de
formule : JCP, 1998, p. 1783 sq.). Une loi du 12 septembre 1990 autorise,
pour le cas d’un majeur incapable, la désignation par le tribunal des tutelles
d’un mandataire apte à prendre une décision. C’est toutefois ce même
tribunal qui devra confirmer la position arrêtée par le mandataire.
Il faut aussi compter avec les directives de la Chambre fédérale des
médecins.
En Suisse, le Code pénal protège la vie d’une personne de manière
absolue, même contre sa volonté. Celui qui tue intentionnellement une
personne est coupable d’homicide ou de meurtre (art. 111). « Celui qui,
cédant à un mobile honorable, notamment à la pitié, aura donné la mort à
une personne sur la demande sérieuse et instante de celle-ci » encourt des
peines d’emprisonnement (art. 114). Enfin, « celui qui, poussé par un
mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté
assistance en vue du suicide » encourt des peines d’emprisonnement
(art. 115), ce qui autorise de fait l’aide au suicide si le mobile égoïste de
l’assistant n’est pas établi. Des associations d’aide au suicide (Exit,
Dignitas) accompagnent les patients incurables qui ont choisi de mettre un
terme à leur vie (« En Suisse, rendez-vous avec la mort » entretien avec
Ludwig. A. Minelli, fondateur de Dignitas, Le Monde, 25-26 mai 2008,
p. 13). Elles fournissent toute l’assistance nécessaire, mais ne peuvent jouer
aucun rôle actif. C’est le patient lui-même qui doit accomplir le geste
mortel. En fait, les textes pénaux ne furent pas, à l’origine, prévus pour
cela, aussi l’interprétation donnée par ces associations est un détournement
pur et simple de l’intention du législateur suisse qui n’a jamais voulu
instaurer le « suicide assisté ». Devant les risques d’abus, l’Office fédéral de
la justice invite les cantons à faire respecter la législation fédérale actuelle,
qui se réfère aux directives médico-éthiques sur l’accompagnement médical
des patients en fin de vie ou souffrant de troubles cérébraux extrêmes
rédigés en 1995 par l’Académie suisse des sciences médicales. Ces
directives autorisent la limitation ou l’arrêt de traitements de survie et
l’administration de traitements palliatifs même s’ils abrègent la vie du
patient. L’assistance active au suicide est prohibée, faute d’être un acte
médical. L’Office ne souhaite pas formuler de législation fédérale plus
précise, de peur d’entrer dans une bureaucratisation des actes de fin de vie
ou dans une légalisation de l’euthanasie. Les autorités de la Confédération,
soucieuses de mettre un terme à un surprenant « tourisme létal » (Le
Monde, 18 novembre 2005-22 septembre 2007), songent de plus en plus à
encadrer la revendication de ces textes (D. Montariol, « L’assistance au
suicide en Suisse. Un droit controversé », Médecine et Droit, 2008, p. 106).
Un arrêt de la Cour EDH du 20 janvier 2011 (Haas) y invite, rappelant que
« lorsqu’un pays adopte une approche libérale (à propos du suicide assisté),
des mesures de prévention des abus s’imposent » (§ 57) et qu’il convient de
s’assurer « qu’une décision de mettre fin à sa vie correspond bien à la libre
volonté de l’intéressé » (§ 58). Les équipes médicales ne reconnaissent pas
les directives anticipées ou testaments de vie. L’arrêt Gross c/ Suisse du
14 mai 2013 souligne pourtant l’imperfection des critères de la loi suisse.
o
Au Danemark, la loi n 351 du 14 mai 1992 (art. 6) modifiant l’exercice
o er
de la médecine et la loi n 482 du 1 juillet 1998 (art. 16) sur le statut
juridique du patient autorise une personne, majeure et capable, à rédiger un
testament de vie, pour refuser un traitement inutile. La loi danoise permet à
la personne de demander, préventivement, qu’elle ne soit pas maintenue en
vie en cas d’accident grave. Cette législation consacre aussi la théorie du
double effet. En Suède, la solution découle largement de la pratique
judiciaire. En effet, l’article 2 du chapitre 23 du Code criminel prévoit une
diminution de peine si la mort a été donnée par compassion. Cela étant,
l’acte est toujours incriminé.

VI. – L’Espagne et le Portugal


Le nouveau Code pénal de 1995 (art. 143-4) prévoit que « celui qui
causera ou participera activement à des actes provoquant, après une
demande expresse, certaine et non équivoque, la mort d’une personne
souffrant d’une maladie grave qui conduira nécessairement à sa mort ou qui
produira des douleurs graves et permanentes, sera puni de
l’emprisonnement simple d’une durée de six mois à un an ». Il s’agit d’une
législation minorant sensiblement la peine encourue. En dehors du droit
commun à tout le pays, l’Espagne dispose de droits propres à diverses
« communautés autonomes » (les provinces). La Catalogne s’est dotée le
21 décembre 2000 d’une loi sur les droits du patient. Ce texte permet à un
malade de laisser des directives anticipées. À la suite de ce texte, le
Parlement national, par une loi du 14 novembre 2002, a fixé le cadre
général à l’intérieur duquel les communautés autonomes peuvent exercer
leurs compétences en matière de santé publique. Depuis, 13 des
17 communautés concernées ont légiféré dans le même sens que la
Catalogne. Signalons, dans ce pays, l’émotion suscitée par la sortie du film
d’Alejandro Amenábar, Mar adentro, au printemps 2005.
En fin de mandat, le gouvernement de M. Zapatero a déposé un projet
de loi reprenant largement les termes de la loi française de 2005. Projet qui
fut repris sous forme d’une proposition de loi du groupe socialiste du
13 décembre 2011 à la suite des élections législatives ayant entraîné une
alternance du pouvoir.
Le Portugal n’a pas de législation particulière, toutefois, le Conseil
national d’éthique pour les sciences de la vie, par un avis du 7 juin 1995, a
condamné comme liés l’euthanasie et l’acharnement thérapeutique et
encourage les soins palliatifs.

VII. – Les pays du Benelux


Actuellement, en Europe, ces trois pays, historiquement très liés, sont
les seuls à avoir des législations qui passent pour légaliser l’euthanasie, ce
qui ne correspond pas toujours à la réalité juridique.
1. La Belgique. – Ce pays a admis l’acte euthanasique par une loi du
28 mai 2002, complétée par la loi du 22 août 2002 relative aux droits du
patient. La loi du 28 mai 2002 est d’abord une loi qui fait de l’euthanasie un
fait justificatif pour le médecin qui y a recours (art. 3) moyennant le respect
de certaines conditions vérifiées par une procédure. Le patient doit être
majeur ou mineur émancipé, capable et conscient au moment de sa
demande. La demande doit être faite d’une manière volontaire, réfléchie et
répétée, sans résulter d’une pression extérieure. Surtout, le patient doit se
trouver « dans une situation médicale sans issue et [faire] état d’une
souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut
être apaisée et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique
grave et incurable ».
Le médecin doit « informer le patient de son état de santé et de son
espérance de vie, se concerter avec le patient sur sa demande d’euthanasie
et évoquer avec lui les possibilités thérapeutiques encore envisageables
ainsi que les possibilités qu’offrent les soins palliatifs et leurs
conséquences ». La loi l’oblige à « arriver, avec le patient, à la conviction
qu’il n’y a aucune solution raisonnable dans sa situation et que la demande
du patient est entièrement volontaire ». La suite de la procédure tend à
réitérer de tels entretiens et à consulter un autre médecin ou l’équipe
soignante. Il doit s’écouler un délai d’un mois entre la demande écrite du
patient et l’acte d’euthanasie. Cela fait, le médecin effectue l’acte létal puis
constitue un dossier qu’il remet à une Commission fédérale de contrôle et
d’évaluation (composée de médecins, de juristes et de personnalités
qualifiées). Cette commission vérifie le bon suivi de la procédure légale. Si
elle estime que la loi n’a pas été respectée, elle transmet le dossier au
procureur du roi chargé de diligenter les poursuites. Elle a aussi pour
mission d’établir un rapport deux ans après l’entrée en vigueur de la loi sur
cette dernière.
La loi permet l’objection de conscience de tout médecin et de tout
personnel soignant. Elle ajoute qu’une personne morte par euthanasie est
réputée décédée de mort naturelle et non par suicide (au regard de la loi sur
les assurances).
Cette loi est entrée en vigueur le 23 septembre 2002. L’annonce de la
mise en vente (contrôlée), dans les pharmacies, d’un « kit euthanasie »
(permettant aux médecins généralistes de pratiquer l’euthanasie à domicile),
en mai 2005, a soulevé de grandes interrogations sur les pratiques.
Il est aussi préoccupant de noter que le rapport de l’Observatoire
national de la fin de vie (publié le 15 février 2012) fait état d’une étude
démontrant qu’un tiers des euthanasies pratiquées dans ce pays le sont sans
demande explicite du « patient ».
Néanmoins, le 13 février 2014, fut votée une loi complémentaire à la
précédente, élargissant son domaine aux mineurs (sans limite d’âge alors
qu’une telle limite de 12 ans existe dans le pays voisin des Pays-Bas). Cette
loi impose toutefois que l’enfant ou l’adolescent soit en « capacité de
discernement » : notion indéfinissable, chacun le sait.
2. Les Pays-Bas. – En 1973, l’arrêt Postma de la Cour suprême
appliqua purement et simplement le droit commun à un cas d’euthanasie.
L’émotion suscitée par cette décision amena un revirement de jurisprudence
en 1984 (arrêt Schoonheim). Dans les années qui suivirent, les juges firent
preuve de beaucoup d’indulgence, les cas de classements sans suite
devinrent fréquents. Plusieurs projets de loi n’eurent aucune suite. Les
élections de 1989 changèrent les données politiques, et le nouveau
gouvernement sollicita d’une commission un rapport, déposé en 1991. Le
21 juin 1994, la Cour suprême confirma plusieurs arrêts de la cour d’appel
de La Haye qui avaient relaxé des personnes poursuivies pour assistance à
la mort volontaire d’autrui. Cette jurisprudence faisait incliner la position de
la conférence des procureurs généraux à ne plus poursuivre de tels
agissements.
C’est ainsi que l’on en vint à la première loi sur la question, en
décembre 1993, qui entra en vigueur le 1er juin 1994. Au terme de ce
premier texte, l’euthanasie restait un acte illégal, et l’assistance au suicide
était punie. Le 17 décembre 1994, le décret d’application de la nouvelle loi
instituait une procédure de notification qu’un médecin pratiquant
l’euthanasie devait respecter. Cette notification était destinée au procureur
du roi qui décidait s’il y avait lieu ou non d’intenter des poursuites.
La loi de 1993 fut donc une loi de consécration d’une pratique
euthanasique déjà couverte par la jurisprudence. Elle ne visait qu’à faire
respecter par le médecin procédant à une euthanasie, qui doit être
obligatoirement le médecin traitant du malade, la loi exigeant un « rapport
de confiance » entre les deux (ce qui en pratique rend quasiment
inapplicable la loi aux non-résidents), des « critères de minutie » permettant
de vérifier notamment la situation désespérée du malade, sa souffrance
intolérable, l’absence d’autre solution, sa décision libre et consciente, la
consultation d’un second médecin. Moyennant quoi, il y avait lieu de faire
application de l’article 40 du Code pénal néerlandais : « N’est pas
punissable celui qui commet un fait auquel il est contraint par la force
majeure. »
Cette loi fut suivie par une seconde loi, du 12 avril 2001, « relative au
contrôle de l’interruption de vie pratiquée sur demande et au contrôle de
l’assistance au suicide et portant modification du Code pénal ainsi que de la
loi sur les pompes funèbres ». Cette loi reprend celle de 1993 et fournit un
long questionnaire de 46 questions auquel doit répondre le médecin ayant
administré la mort à un malade.
L’euthanasie accomplie, le médecin est invité à dresser un rapport à
l’intention du médecin légiste local qui décrit l’historique de la maladie et
tout le processus qui a conduit à la décision finale. L’acte d’euthanasie doit
être décrit avec précision (substances utilisées, heure, témoins). Le rapport
est remis à l’une des cinq commissions régionales de contrôle (chacune est
composée d’un médecin, d’un juriste et d’un spécialiste de l’éthique). La
commission adresse ensuite son propre rapport à l’inspecteur régional de la
santé, lequel peut saisir le Conseil de l’ordre des médecins. Mais la
commission peut aussi décider de saisir directement le procureur du roi si
les poursuites paraissent nécessaires.
La loi ne dépénalise donc pas l’euthanasie, mais l’encadre en
introduisant une excuse exonératoire de responsabilité pénale au profit du
médecin qui respecte les critères de minutie qu’elle énonce. Aux chiffres,
en très forte augmentation depuis 2007, des euthanasies notifiées (2007 :
2 120 ; 2008 : 2 331 ; 2009 : 2 636 ; 2010 : 3 136 [2,3 % des 136 058
décès] ; 2011 : 3 695 [2,7 % des 135 741 décès] ; 2012 : 4 188 [2,9 % des
140 813 décès] ; 2013 : 4 829 [3,4 % des 141 245 décès]), il convient
d’ajouter les euthanasies non déclarées que le ministère de la Santé
néerlandais évalue à 20 % des euthanasies notifiées. En 2008, les
parlementaires français estiment que les critères d’évaluation du degré de la
souffrance du patient sont flous, que l’existence d’un contrôle a posteriori
fait porter la vérification plus sur le respect de la procédure que sur la
réalité des motifs médicaux, que l’appréciation du médecin est subjective et
que, sous couvert d’autonomie de la personne, la loi consacre en réalité un
immense pouvoir médical qu’aucune sanction ne vient inquiéter (Rapport
d’information fait au nom de la mission d’évaluation de la loi no 2005-370
du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie,
Assemblée nationale, Jean Leonetti, p. 131 à 136). Des questions
demeurent.
Existe-t-il une euthanasie des malades mentaux ? Des nouveau-nés ?
Enfin, les mineurs peuvent demander l’euthanasie, mais en dessous de
16 ans le consentement des parents est requis.
Au-delà de tout ceci, la Cour de cassation hollandaise, par un arrêt du
24 décembre 2002, a considéré qu’un médecin qui avait euthanasié l’un des
patients las de vivre par dépression (un ancien sénateur) ne pouvait se
prévaloir de la loi. La même année, le projet du ministre de la Santé, du
Bien-Être et des Sports, de mise en vente en pharmacie (sur ordonnance
médicale) de « pilules de la dernière volonté », permettant un suicide rapide
et certain, pour les personnes âgées qui, sans être malades, souffrent d’une
vie prolongée à l’excès, a suscité de grandes interrogations dans tout le pays
(le projet n’a eu aucune suite).
Dans son éditorial du 13 avril 2001, Le Monde faisait paraître le
commentaire suivant : « La décision néerlandaise ne découle pas d’une
situation nouvelle créée par un progrès technique, à l’instar d’autres
problèmes bioéthiques comme la fécondation in vitro ou les manipulations
génétiques. L’euthanasie se pose dans les mêmes termes éthiques
aujourd’hui qu’hier. La question technique n’est que marginale : d’un côté il
est plus facile d’interrompre une vie avec les moyens hospitaliers modernes,
de l’autre il est désormais possible de juguler la souffrance, ce qui est tout
l’enjeu des soins palliatifs. Du coup, on s’interroge : qu’est-ce qui est en
train de changer ? Une certaine conception de l’homme. Cela mérite
réflexion. »
3. Le Luxembourg. – À son tour, le grand-duché de Luxembourg a
voté (à une très courte majorité) une loi autorisant l’euthanasie, entrée en
vigueur le mardi 17 mars 2009. L’on retiendra que la promulgation de ce
texte a entraîné une crise institutionnelle notable. Le grand-duc Jean, par
objection de conscience, refusa de promulguer la loi et sollicita lui-même
une révision constitutionnelle supprimant la sanction du souverain pour
rendre exécutoire une loi.
CHAPITRE VIII

L’euthanasie au regard du droit


français

Pénalement, l’acte d’euthanasie peut recevoir deux qualifications


(E. Dunet-Larousse, 1998 ; A. Prothais, 2004). Ou bien il est un homicide,
s’il s’agit du fait de donner directement la mort à quelqu’un ; ou bien il est
une aide au suicide d’autrui, délit distinct du premier. L’euthanasie ne peut
recevoir une semblable qualification que si l’acte vise une personne
distincte de l’agent. L’euthanasie sur soi-même n’est qu’un suicide
ordinaire. Si l’on met de côté le cas de l’euthanasie infligée à autrui sans
son assentiment (le cas de l’affaire Malèvre, l’infirmière de Mantes-la-Jolie,
jugée en 2003), le véritable problème juridique est celui de l’euthanasie
sollicitée et consentie.
Répondre à cette question suppose de résoudre un problème juridique
préalable, lequel est de clarifier la place du suicide dans le droit pénal
contemporain. Si le suicide est simplement dépénalisé, alors cela signifie
que l’auteur de l’acte, qui se confond avec la victime, ne peut être
sanctionné, que son acte soit achevé ou non. Cela ne veut nullement dire, en
revanche, que le droit approuve l’acte lui-même et le justifie. Si le suicide
est un droit, alors il faut en déduire que, pour revendiquer
l’accomplissement de ce droit subjectif, la personne a la faculté de se faire
assister dans la recherche de sa mort. En clair, existe-t-il un droit à la mort ?
Ce sont ces deux points que nous aborderons successivement :
l’euthanasie imposée relève du droit pénal ordinaire ; par ailleurs,
l’euthanasie sollicitée ne peut reposer sur un quelconque droit à demander
la mort, le seul droit qui existe est celui de faire respecter sa mort et de
pouvoir l’approcher dans la dignité.

I. – L’euthanasie, homicide de droit commun


La question précise est de savoir si l’arrêt d’un traitement voué à
l’échec entre dans la catégorie de la non-assistance à personne en péril.
L’argumentation qui va suivre démontrera l’importance qu’il y a, pour
fournir une réponse pertinente, à dissocier l’arrêt du traitement curatif de
l’arrêt du traitement palliatif (ou arrêt du traitement et arrêt des soins). Le
premier est licite, non le second.
1. Les qualifications possibles en droit pénal de l’acte euthanasique.
– Le Code pénal définit le meurtre comme « le fait de donner
volontairement la mort à autrui » (art. 221-1). Il est puni de trente ans de
réclusion criminelle. Le meurtre prémédité est un assassinat (art. 221-3) qui
encourt la réclusion criminelle à perpétuité. En l’état de la législation
française, l’euthanasie dite active ne peut recevoir que l’une ou l’autre de
ces deux qualifications.
Le meurtre suppose la conjonction d’un élément matériel et d’un
élément intentionnel. L’élément matériel est constitué par l’acte ayant
entraîné la mort (ou susceptible de l’entraîner). Dans tous les cas, le meurtre
ne peut être réalisé que par un acte positif (le fait de donner une substance
létale, par exemple). C’est ce que l’on dénomme une « infraction de
commission ». Cela permet de distinguer soigneusement le meurtre d’autres
infractions ayant entraîné la mort d’autrui mais par « abstention », la plus
connue étant la non-assistance à personne en péril.
L’élément intentionnel, dénommé animus nocendi, est l’élément
déterminant de l’infraction, car « il n’y a point de crime ou délit sans
intention de le commettre » (art. 121-3 C. pén.). Il ne peut y avoir que l’état
de nécessité reconnu par la loi qui estompe cette intention. Ces cas se
résument à l’ordre de la loi résultant d’un commandement légitime
(art. 122-4 C. pén.) ou de la légitime défense (art. 122-5 C. pén.)
rigoureusement définie. Néanmoins, la preuve de l’intention criminelle est
toujours délicate à apporter. Dans l’hypothèse d’un acte d’euthanasie, il sera
souvent bien difficile à l’accusation d’aboutir dans cette démonstration. Il
ne suffira pas de prouver que le médecin a inoculé une substance létale
(élément matériel), il faudra encore convaincre qu’il l’a fait dans une
intention criminelle (élément intentionnel).
Il ne faut pas confondre l’intention criminelle avec les mobiles. Les
mobiles expliquent l’accomplissement de l’acte par l’accusé. L’intention
criminelle existera, même si la victime y avait consenti. C’est là qu’entre en
ligne de compte le caractère particulier de la juridiction des assises. Les
jurés sont toujours sensibles aux mobiles. Les critères de qualification de
l’acte s’imposent au juge d’instruction et à la chambre de l’instruction mais
laissent toute liberté d’appréciation aux jurés lors du jugement proprement
dit de l’acte ainsi qualifié.
Le meurtre, lorsqu’il est prémédité, revêt la qualification d’assassinat
(art. 221-3 C. pén.). On entend, par « préméditation », le dessein formé par
l’auteur, avant l’action, d’attenter à la vie de la victime. Il n’y a donc jamais
préméditation si l’acte est perpétré sous le coup de la colère ou de toute
autre passion faussant le discernement. L’acte d’euthanasie risque fort
d’être, presque par excellence, le meurtre de cette nature. Le consentement
de la victime ne modifie en rien l’appréciation de l’acte décisif.
Le meurtre peut, enfin, être commis dans des circonstances l’aggravant.
Hypothèses prévues à l’article 221-4 du Code pénal et qui rassemblent le
meurtre du mineur de 15 ans, de l’ascendant légitime ou naturel des père ou
mère adoptifs, mais surtout, au regard de la question qui nous préoccupe,
« d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une
maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un
état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur ».
Le meurtre est puni dans la personne de son auteur, mais également du
coauteur ou du complice. Un membre du personnel soignant qui fournirait à
un malade une substance entraînant sa mort pourrait être poursuivi en ces
qualités, alors même qu’il n’a fait qu’obéir (mais consciemment) à une
prescription d’un supérieur, car l’ordre n’était pas légitime.
2. Arrêt du traitement et arrêt des soins. – Attendre la mort, dans la
paix ; l’appeler, dans l’angoisse. Voilà ce qu’il faut distinguer.
En droit (J.-R. Binet, Droit médical, Lextenso, 2010), les choses sont
d’une parfaite clarté. Depuis le célèbre arrêt du 20 mai 1936 Mercier
c/ Nicolas, la Cour de cassation considéra que le lien qui unit le patient à
son médecin était celui d’un contrat, dont le patient était le bénéficiaire et
dont le médecin était l’exécutant, en tant que fournisseur des services que
sont les soins (il était tenu d’une obligation non de résultat mais de
moyens). Toutefois, il faut tenir compte d’un autre arrêt de la Cour de
cassation, tout aussi important que le premier, du 9 octobre 2001 qui fonde
désormais la relation médicale, d’abord, sur le principe constitutionnel du
respect de la dignité de la personne : respect de la volonté du patient,
respect de son éminente dignité, tels sont les principes juridiques (de droit
civil). Reste une donnée majeure : dans tous les cas, la volonté du malade
est prépondérante (Pronost H., Volonté et acte médical, Thèse université
Toulouse-I, 2009 ; D. Roman, « Le respect de la volonté du malade : une
obligation limitée ? », RDSS, 2005. 423).
Problème juridique classique et épineux : le refus d’une transfusion
sanguine pour des motifs philosophiques. La jurisprudence est incertaine
mais incline à décharger le médecin de toute responsabilité en cas
d’opposition du malade (CA Aix-en-Provence, 21 décembre 2006, JCP,
2007-II-10126 ; RCA, 2007. 128, D., 2007. 1848).
Lorsque le patient fait connaître au médecin qu’il désire l’arrêt d’un
traitement curatif, celui-ci n’est pas dans une situation où ce souhait est
pour lui une « excuse » ou un « fait justificatif », puisque nous ne nous
trouvons pas sur le terrain du droit pénal mais sur celui du droit civil. Le
médecin n’a, tout simplement, plus le droit de continuer le traitement
(obligation juridique du respect de la volonté du patient) ; il doit poursuivre
les soins mais dans une autre perspective que celle de la guérison
impossible (obligation déontologique et juridique du respect de la dignité
du patient). Ce n’est pas une faculté mais une obligation. Le médecin,
comme tout professionnel, est soumis à son client, et non le contraire.
Depuis la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins
palliatifs, l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique dispose en ce
sens : « La personne malade peut s’opposer à toute investigation ou
thérapeutique. » C’est encore plus vrai avec la grande loi du 4 mars 2002
relative aux droits des malades qui consacre le droit de refuser des soins
dans l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique : « Toute personne
prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des
préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Le
médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des
conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou
d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout
mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables.
Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le
consentement libre et éclairé de la personne, et ce consentement peut être
retiré à tout moment […]. »
Risque-t-on, dans ce cas, de commettre une faute de non-assistance à
personne en danger ? Ce délit (ce n’est pas un crime) trouve son siège dans
l’article 223-6 du Code pénal, alinéa 2, qui punit « quiconque s’abstient
volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans
risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action
personnelle, soit en provoquant un secours ». Ce texte est à compléter par
l’article 9 du Code de déontologie médicale : « Tout médecin qui se trouve
en présence d’un malade ou d’un blessé en péril doit lui porter assistance ou
s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires. »
Pour qu’il y ait situation de non-assistance à personne en danger, il
importe qu’il y ait danger grave et imminent pour cette personne, mais le
délit n’est pas consommé lorsqu’un malade oppose un refus « obstiné et
même agressif » de se soumettre aux soins prescrits par le médecin (Crim.
3 janv. 1973, D, 1973. 220).
Le péril de mort doit exister. Sur ce point, on n’oubliera pas qu’il n’y a
évidemment pas d’interrogation à avoir quand la personne est… morte. Le
droit français, depuis 1968, retient comme critère de la mort celui de la
« mort cérébrale ». Ce critère est aujourd’hui défini par le décret du
2 décembre 1996.
Il est vrai que le Conseil d’État, par une ordonnance en référé du
16 août 2002 (JCP 2002-II-10184 note Mistretta ; RTD civ. 2002. 781 obs.
Hauser), a paru passer outre ce texte en disant, en substance, qu’imposer
des soins est une atteinte à la liberté du malade, sauf si sa vie est en danger.
Cela étant, il s’agissait d’une affaire assez particulière (un refus de
transfusion sanguine par un témoin de Jéhovah), dont on ne peut transposer
la solution (par ailleurs critiquable en droit) au cas du refus d’un traitement
curatif devenu sans perspective. A contrario, la décision du Conseil d’État
va même dans ce sens (dès lors qu’une guérison est inespérée, le traitement
est sans objet donc le refus licite). De son côté, le Comité consultatif
national d’éthique, dans un avis du 9 juin 2005, a souligné l’importance du
respect de la volonté du patient dans l’administration des soins. Le refus de
soins est d’une parfaite légalité en France (« Le refus de soins », PA, 14 déc.
2007).
En résumé, face à un malade qui, en toute conscience et liberté, souhaite
interrompre un traitement devenu inutile quant à un espoir de guérison, le
médecin doit respecter cette volonté, il n’est nullement dans un cas de non-
assistance à personne en péril, puisqu’il ne délaisse pas la personne. Le
traitement est interrompu, non les soins. Il y a assistance dans l’agonie. Il
n’y a pas là d’euthanasie, ni active, ni passive.
L’euthanasie est toujours un acte, quels que soient les moyens, directs
ou indirects, employés pour l’accomplir, elle est toujours active, puisqu’elle
recherche un résultat ; tandis que l’abstention de traitement ne fait que
s’incliner devant une situation irrémédiable et se trouve attendre une issue
fatale. La Cour de cassation a eu l’occasion de bien dissocier les deux
hypothèses. Dans un arrêt en date du 19 février 1997 (D, 1998. 236, note
Legros), elle a retenu la qualification d’homicide à l’encontre d’un médecin
anesthésiste qui avait mis un terme à une réanimation (contre l’avis du reste
de l’équipe soignante), sachant que son geste entraînerait rapidement la
mort du patient, alors même que tout espoir n’était pas perdu. Ce cas est
celui d’un arrêt des soins, que l’on ne confondra pas avec l’abstention de
traitement qui consiste à ne plus entreprendre de nouveaux traitements ou à
passer d’un traitement curatif à un traitement palliatif. Un arrêt des soins
n’a aucun substitut. Une abstention d’un traitement curatif suppose de
passer à des soins palliatifs. C’est cette situation qui est visée par
l’article 38 du Code de déontologie médicale impartissant au praticien
d’accompagner le malade « jusqu’à ses derniers instants » et d’« assurer par
des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin ». L’arrêt
des soins est un arrêt de mort, non l’abstention d’un traitement devenu
inopportun. L’arrêt du traitement est licite ; l’arrêt des soins est prohibé. Il
est superflu de qualifier de « passif » un acte qui n’est pas une
« euthanasie » (sur cette délicate ligne frontière voir le document publié par
l’INED le 3 décembre 2012 sur les décisions médicales en fin de vie).
II. – Existe-t-il un « droit à la mort » ?
Il n’y a pas, en droit français, un « droit à la mort », mais un « droit de
la mort ».
1. L’impossible « droit à la mort ». – D’où vient l’idée d’un « droit à
la mort » ? On déduit beaucoup trop souvent, du principe voulant que tout
ce qui n’est pas interdit est permis, l’énoncé d’un droit. L’équation est
fausse. Un simple exemple suffit à le démontrer. Le droit français ne
réprime pas la prostitution, en tant que telle. Sont répréhensibles le
proxénétisme ou le racolage sur la voie publique mais pas le commerce de
son corps. Cela ne signifie nullement qu’il y a un « droit à se prostituer ».
L’absence de sanction pénale n’implique pas l’existence d’un droit
(Jean-Paul Delevoye, « Libre de mourir ? Le débat sur l’euthanasie est trop
complexe pour répondre de façon binaire », Le Monde, 29 avril 2008,
p. 16). De même, la dépénalisation n’équivaut pas à la création d’un droit
(B. Beignier, « Existe-t-il un droit à la mort ? », Le Monde, 27 mars 2008).
Si l’on fait retour à la question du suicide, le droit français a aboli
définitivement l’incrimination du suicide en 1791. Ce silence, de respect et
de pudeur, ne signifie qu’une dépénalisation de l’acte du suicidé lui-même.
Il n’a jamais voulu dire que le droit reconnaissait un quelconque « droit au
suicide ». Pour preuve, la loi du 31 décembre 1987, qui incrimina la
« provocation » au suicide, disposition reprise aujourd’hui aux articles 223-
13 à 15 du Code pénal. Mais il ne s’agit bien que de la « provocation ».
Néanmoins, le droit n’est pas indifférent envers le suicide (Terré F. [dir.], Le
Suicide, Paris, Puf, 1994 ; A. Lepage, « Suicide et droit pénal », Mélanges
J.-H. Robert, 2012, p. 399 sq.). Le Code des assurances dispose que si
l’assuré se suicide dans l’année (dans les deux ans en cas d’assurance de
groupe) qui suit la conclusion d’un contrat d’assurance sur la vie, celui-ci
est considéré comme nul. S’il y avait un « droit au suicide », naturellement
de telles dispositions seraient sans fondement. Tout comme il serait aberrant
de consacrer des efforts à lutter contre (Journée nationale de prévention
chaque 5 février). Devant le mystère du suicide, le droit s’abstient. De cette
abstention ne peut, naturellement, découler un droit. Surtout, il ne peut y
avoir de « droit » sans un « créancier » et un « débiteur » ; le droit est un
rapport d’obligation entre une personne qui peut en exiger le bénéfice face à
une autre qui le doit. Cet « autre » peut être un individu ordinaire (c’est
l’obligation de droit privé) ou la société dans son ensemble (ce sont les
droits de l’homme et du citoyen). Ce caractère distributif manque
catégoriquement au prétendu « droit à la mort » (Thomas Givanovitch, « Le
suicide est-il l’un des Droits de l’homme ? », Rev. intern. dr. pén., 1952,
p. 407 sq.). C’est d’ailleurs ce qu’a explicitement déclaré la Cour
européenne des droits de l’homme dans son arrêt Diane Pretty (voir plus
haut, p. 71).
Il convient d’ajouter qu’il est même inapproprié de prétendre que le
suicide est toujours une « liberté ». Pareille conclusion ne peut valoir que
pour le suicide parfaitement lucide et conscient. La plupart des psychiatres
spécialistes du suicide (P. Moron, Le Suicide, Paris, Puf, coll. « Que sais-
o
je ? », n 1569) attestent que, dans l’immense majorité des cas, le suicide est
un appel au secours vers les autres. Axel Kahn écrit, très justement
(L’Ultime liberté ?, Plon, 2008, p. 39) : « […] Dans l’immense majorité des
cas, les gens qui se suicident ne perçoivent pas, au moment où ils le font,
lorsqu’ils en prennent la décision, ce qu’ils pourraient faire d’autre. » La
liberté suppose d’arriver à un carrefour, pas dans une impasse.
2. Le nécessaire « droit de la mort ». – Le droit à la mort n’existe pas,
mais le droit à mourir dans la dignité est une certitude. La mort ne peut
découler du droit, mais la mort exige le respect. La dignité de la personne
humaine, du commencement de sa vie à son achèvement, est la clef de
voûte du droit. La dignité de la personne n’est pas un droit de l’homme, elle
est l’assise du concept de « Droit de l’homme ».
Certes, on se trouve à nouveau sur le terrain des ambiguïtés
terminologiques. De ce point de vue, on ne peut légitimer la fausse alliance
entre les soins palliatifs et l’euthanasie, car « les spécialistes de
l’accompagnement des mourants dénoncent la confusion entre soins
palliatifs et euthanasie » (Le Monde, 23 mars 1999).
L’euthanasie répond à une philosophie absolument opposée à celle des
soins palliatifs. La première tend à nier la phase ultime de l’agonie, alors
que les seconds en assurent l’aboutissement paisible. L’euthanasie passive
étant une illusion, il ne peut y avoir aucune relation entre l’euthanasie et les
soins palliatifs. Admettre dans une même législation les soins palliatifs et
l’euthanasie, c’est faire cohabiter la loi de l’effort et celle de la facilité.
L’euthanasie commence toujours par euthanasier les soins palliatifs.
Au sujet de la mise en place d’un système efficace de soins palliatifs, on
citera la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins
palliatifs mais encore la loi 2009-879 du 21 juillet 2009 dite « loi
hospitalière » (ou « loi Bachelot »). Il reste beaucoup à faire dans ce
domaine.
À cela, bien évidemment, les partisans d’une légalisation de
l’euthanasie répliquent avec constance que les soins palliatifs ne sont pas la
panacée, qu’il existera toujours des douleurs irréductibles et insupportables.
Nul ne le nie. Le juriste n’a pas à se prononcer sur ces situations, les
médecins seuls peuvent apprécier leurs caractères en faisant des exceptions
insurmontables. La solution appartient encore moins au juriste. Le médecin
n’a pas à dire le droit, mais le juriste n’a pas à s’ériger en médecin. Le
juriste sait que le droit doit tenir compte du « cas de conscience ». La
morale contemporaine est éprise d’une éthique cherchant essentiellement à
établir des principes. Le droit ne vaut rien sans la justice ; la morale ne sert
à rien sans l’humanité. C’est, d’un côté, la jurisprudence, de l’autre, la
casuistique, disqualifiée avec outrance par le génie incendiaire de Pascal.
Lorsque Louis Pasteur, impuissant à sauver les paysans russes enragés par
des loups et trop tardivement arrivés à Paris, ordonna de mettre un terme à
leurs atroces souffrances, dépourvu de tout autre moyen d’agir pour
contenir leur douleur, il a tranché en conscience.
CHAPITRE IX

Le droit de la fin de vie

Très clairement, le législateur français a refusé de suivre l’exemple de


certains pays : l’euthanasie est interdite en France. En revanche, le
Parlement a voté une loi plus raisonnable et plus humaine sur « la fin de
vie », promulguée le 22 avril 2005. La loi a donc regardé dans d’autres
directions que celles proposées par le Comité consultatif national d’éthique.
Il est vrai aussi que c’est une grande erreur que de penser que le droit pénal
français n’apporte aucune solution de nuance. Pour reprendre le titre d’un
excellent article d’A. Prothais, « Notre droit pénal permet plus qu’il
n’interdit en matière d’euthanasie. » (Dr. pén., mai 2011, étude 11.) Avant
de vouloir réformer le droit commun, il suffit de l’appliquer intelligemment.

I. – Les propositions inutiles


Dans son avis du 3 mars 2000, le Comité consultatif national d’éthique
a voulu poser les termes du débat, dans la perspective d’une future
législation (voir chap. V, II, 2). Cet avis a aussitôt provoqué des discussions
(G. Mémeteau, « La mort aux trousses », RRJ, 2000-3, p. 913 ; B. Legros,
« Sur l’opportunité d’instituer une exception d’euthanasie en droit
français », Médecine et Droit, no 46). Jacques Ricot a mis en évidence les
contradictions et les insuffisances de cet avis (« Un avis controversé sur
l’euthanasie », Esprit, novembre 2000, p. 98) qui, au sein de la communauté
des juristes, a surtout engendré la perplexité. Comment vouloir compliquer
à dessein un système qui fonctionne déjà parfaitement bien ?
L’exception d’euthanasie visée par le Comité n’est rien d’autre que le
« cas de conscience » classique des moralistes, dont nous venons de parler.
En droit, cela se dénomme l’« état de nécessité », visé à l’article 122-7 du
Code pénal. Ces données, tenant au droit et aux institutions françaises, ont
été occultées de la délibération du Comité.
1. La procédure pénale de droit commun. – Pour ce qui est de la
responsabilité pénale, l’article 122-7 du même Code rappelle que « n’est
pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force
ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister ». C’est ce que l’on
dénomme la contrainte. En revanche, le droit français ne connaît pas
d’autres excuses ou d’autres circonstances atténuantes, tels, par exemple, le
crime passionnel ou le crime compassionnel.
On peut en être surpris. Mais l’explication se trouve ailleurs, dans la
procédure pénale. Les crimes relèvent d’une juridiction tout à fait
particulière qui est la cour d’assises, dont l’élément essentiel est la présence
du jury populaire. Il est capital de souligner que la cour d’assises bénéficie
de ce que l’on dénomme une plénitude de juridiction. Cela signifie que sa
compétence est sans restriction dès lors qu’elle est saisie. Ce principe joint à
celui de l’intime conviction, il est aisé de comprendre que les assises
constituent une juridiction infiniment originale dans le droit juridictionnel
français. Elle est plus obligée par la procédure que par le droit. Lorsqu’ils
ont à répondre aux questions, les jurés sont libres de leur appréciation.
Le droit pénal français ignore les circonstances atténuantes liées au
crime passionnel ou compassionnel, parce que le jury d’assises, souverain
dans l’appréciation des faits soumis à son jugement, n’en a nul besoin.
Par ailleurs, le Code de 1994 ne comporte plus de peine minimale, mais
seulement une peine maximale. Par exemple, la peine du meurtre est d’un
maximum de trente ans de réclusion (art. 221-1 C. pén.). La cour peut
parfaitement décider de ne condamner qu’à une peine inférieure et même
très minime. Enfin, on sait communément que toute peine, même
criminelle, peut être assortie du sursis de son exécution (art. 132-29 s.
C. pén.). Dans ce cas, si le condamné ne se rend pas coupable d’un nouveau
crime ou d’un nouveau délit dans les cinq ans qui suivent la condamnation,
celle-ci est réputée non avenue (art. 132-35 C. pén.). Le 14 juin 2006 fut
acquitté, par la cour d’assises du Maine-et-Loire, un mari qui avait tué sa
femme en phase terminale d’un cancer. Le 15 mars 2007, la cour d’assises
de la Dordogne a condamné à une peine d’un an avec sursis le docteur
Laurence Tramois et a acquitté l’infirmière Chantal Chanel. Le 9 avril
2008, la cour d’assises du Val-d’Oise acquitta une mère qui avait donné la
mort à sa fille gravement handicapée. Le 25 juin 2014 la cour d’assises des
Pyrénées-Atlantiques acquitta le docteur Bonnemaison, poursuivi pour
avoir donné la mort par empoisonnement à sept personnes, lesquelles
n’avaient rien demandé (on notera incidemment que ce médecin, dans l’un
des pays du Bénélux, aurait également encouru des poursuites pour avoir
agi seul et sans aucune concertation). Sur appel du parquet, un nouveau
procès a lieu à Angers. Le médecin fut alors condamné le 24 octobre 2015 à
la peine de deux ans de prison avec sursis (pour avoir donné la mort à l’un
de ses patients) et il fut acquitté pour les soixante décès. Hors du droit pénal
et au titre du droit disciplinaire, ce médecin fut radié de l’Ordre et cette
décision confirmée par un arrêt du Conseil d’État (conforme à sa
jurisprudence antérieure) en date du 30 décembre 2014 (D. 2015.81 obs.
Vialla). Il demande la révision de cette décision.
Dans ces conditions, on ne comprend absolument pas que, dans son avis
o
n 63, le Comité consultatif national d’éthique ait pu écrire : « Sur le plan
du droit, ces constatations ne devraient pas conduire pour autant à la
dépénalisation, et les textes d’incrimination du Code pénal ne devraient pas
subir de modification. Les juridictions, chargées de les appliquer, devraient
recevoir les moyens de formuler leurs décisions sans avoir à user de
subterfuges juridiques faute de trouver dans les textes les instruments
techniques nécessaires pour asseoir leurs jugements ou leurs arrêts. »
Pourquoi réclamer ce qui existe déjà ?
Enfin, et d’abord dans l’ordre chronologique, entre en jeu le principe dit
de « l’opportunité des poursuites ». L’article 40 du Code de procédure
pénale dispose : « Le procureur de la République reçoit les plaintes et les
dénonciations et apprécie la suite à leur donner. Il avise le plaignant du
classement de l’affaire ainsi que la victime lorsque celle-ci est identifiée. »
Que signifie ce principe ?
Cela implique que le procureur (sur instruction du garde des Sceaux) est
parfaitement dans son droit de privilégier la répression de telle ou telle
catégorie de délits ou de crimes, plutôt que telle autre (car la répression
absolue est impossible). Il ne s’agit pas là d’un quelconque arbitraire ou
caprice judiciaire. Le procureur exerce ce pouvoir de discernement dans
l’intérêt commun. Il se peut encore que la poursuite d’un acte incriminé par
la loi soit inopportune pour des raisons tenant à l’ordre public ou tout
simplement à l’équité. Certains parricides ne furent jamais soumis aux
cours d’assises parce qu’à l’évidence les circonstances plaidaient en faveur
du meurtrier (le cas d’une jeune fille tuant son père incestueux). Mieux vaut
alors passer outre que de voir les jurés prononcer un acquittement, certes
justifié en stricte justice, mais inutilement perturbateur de l’ordre juridique.
L’oubli est une vertu. Non-lieu à poursuite : telle fut la solution suivie par le
juge d’instruction, sur réquisitions conformes du parquet, pour mettre un
terme à l’affaire Vincent Humbert, le 27 février 2006 (cette décision est
publiée en annexe d’un article d’Alain Prothais in Mélanges J.-H. Robert,
2012, p. 619 sq., le docteur Chaussoy a publié un livre sur son choix repris
en livre de poche) alors même que cette affaire semble beaucoup moins
claire qu’il n’y paraît ; la mère reconnut avoir été fortement influencée par
l’ADMD et, en novembre 2007, le kinésithérapeute du jeune pompier
fournit un témoignage contraire aux affirmations répandues dans la presse
quant à son souhait de recevoir la mort.
Or, pour revenir à la question de l’euthanasie, si les condamnations sont
rarissimes, c’est que les poursuites le sont tout autant (parce que les
dénonciations sont quasi inexistantes). On en veut pour preuve cette affaire
(Le Monde, 22 septembre 1998) où se trouvait en cause un médecin de
Séverac-le-Château (Aveyron) qui avait administré une piqûre de chlorure
de potassium à une malade âgée de 92 ans, hémiplégique, atteinte de
gangrène et ayant sombré dans le coma. Ayant agi seul, sans l’opinion du
reste de l’équipe médicale ni de la famille de la malade, il fut dénoncé par
ses confrères, et sa hiérarchie avait déposé plainte. Mais le procureur de la
République du tribunal de grande instance de Millau préféra ne pas ouvrir
d’information judiciaire et se contenta de saisir, sur le plan disciplinaire,
l’ordre des médecins. Le Conseil de l’ordre de la région Midi-Pyrénées
décida, le 19 septembre 1998, qu’il n’y avait pas eu faute déontologique (ce
qui est tout à fait discutable au regard des textes précis du Code de
déontologie, en particulier l’article 38 : « […] Il n’a pas le droit de
provoquer délibérément la mort »). Le procureur fit alors appel devant le
Conseil national de l’ordre qui, en juillet 1999, réforma la décision de
Toulouse et l’interdit d’exercice pour un an. Cette sanction fut approuvée
par un arrêt du Conseil d’État du 29 décembre 2000 (Dr. fam.,
septembre 2001). Ce qu’il importe ici de souligner n’est pas la
condamnation mais sa mansuétude : aucune peine correctionnelle et encore
moins criminelle, parce qu’aucune poursuite judiciaire n’avait été intentée.
Tout cela est parfaitement légal et concret ; l’avis semble l’ignorer et
raisonner dans l’abstraction (Jean-Yves Naud, « La loi, la mort, la
transgression », Le Monde, 2 avril 2008 ; le très bon article de M. de
Hennezel et P.-O. sur « Euthanasie : ne pas l’autoriser et savoir ne pas la
punir », Le Figaro du 30 mars 2012, p. 16).
Tout ceci est parfaitement mis en place par une circulaire limpide du
20 octobre 2011 relative à la mise en œuvre de la loi sur la fin de vie. Ce
texte de politique criminelle a été adressé par le ministre de la Justice à tous
les procureurs généraux et procureurs de la République (Crim/2011-25/G4-
20.10.2011 ; NORJUS-D112 88 36 C). Il est publié au Bulletin officiel du
ministère (mais pas au JO).
2. Une exception ambivalente et indéfinissable. Pourquoi une
« exception d’euthanasie » et comment la définir ? Sur le point de la
procédure pénale, le moins que l’on puisse dire est bien que le Comité s’est
aventuré en utilisant le mot « exception », tantôt dans un sens juridique
(l’exception de procédure), tantôt dans un sens général (le cas
exceptionnel), aboutissant à cette étrange déduction que l’exception
procédurale pourrait être invoquée dans des cas exceptionnels. La
conclusion est incompréhensible car une « exception de procédure » n’a
strictement rien à voir avec des circonstances exceptionnelles. Le terme
signifie simplement un moyen de procédure permettant de contester la
procédure suivie par la partie adverse (exemple : soulever l’incompétence
du tribunal est une exception de compétence). Or, l’exception ne peut être
un moyen de défense au fond. C’est pourtant dans ce sens que le Comité
use du terme (Milhaud J. [2000], « À propos d’un avis du CCNE »,
Médecine et Droit, 2000, no 43). Il a oublié que le jury d’assises comme le
tribunal correctionnel, par la maîtrise de la qualification du délit de non-
assistance à personne en péril, tiennent déjà implicitement compte des
mobiles, ainsi qu’on vient de le voir. Pourquoi dénommer « hypocrisie » ou
« déviances » ce qui n’est que la saine et souple application de la loi ?
Mais si l’on retient la seconde acception du terme « exception », comme
voulant dire « cas extraordinaire », l’incertitude quant au but poursuivi est
aussi grande. Ce qui est exceptionnel ressort de l’espèce, non du genre. On
parle de « cas » exceptionnels. Or, la loi a vocation à définir non les
exceptions, mais les principes. Les exceptions apparaissent d’elles-mêmes
dans la vie, et ce sont les juridictions qui doivent en tenir cas. L’idée même
de la définition de l’exception est un non-sens en droit pénal (P. Verspieren
[2000], « L’exception d’euthanasie », Études, mai 2000, p. 581). Un juge
est précisément établi pour discerner les nuances, les variantes et les
exceptions. Le Comité n’a pas clairement vu ce qui incombe au législateur
et ce qui est la mission du juge.
L’exception, en droit comme en tout, conforte la règle dès lors qu’elle
est marginale et discrète. Il s’agit de bien s’entendre sur l’essentiel
(Éditorial signé Esprit, « Qu’est-ce qu’une exception ? À propos de
l’euthanasie », Esprit, juillet 2000). Si le principe réside dans le respect de
la vie et, plus encore peut-être, de la dignité de l’homme mourant, en
estimant que la vie n’appartient pas à l’homme et que sa dignité le
transcende et engage toute l’humanité, alors vraiment les exceptions
doivent être cantonnées. Si le principe est la relativité de la vie et la
contingence de la dignité humaine, en croyant que la vie est un bien de
l’homme, que celui-ci n’est pleinement homme que sain et en bonne santé,
et qu’il n’est que quantité négligeable parmi les milliards de ses semblables,
alors les exceptions ont champ libre et déterminent, au bout du compte, un
principe inverse. Selon la valeur que l’on donne aux principes fondateurs,
on admet ou non leurs limites. Il est, dans tous les cas, contradictoire,
comme le fait l’avis du Comité, de prétendre se fonder sur, non pas un
principe et son exception, mais bien deux principes opposés.

II. – Le « testament de vie » en droit français


On préférera un précédent avis (no 26) rendu en 1991, bien plus limpide
dans ses principes et son argumentation. Il avait conclu que « le Comité
consultatif national d’éthique désapprouve qu’un texte législatif ou
réglementaire légitime l’acte de donner la mort à un malade ».
Le moyen de faire connaître son hostilité à l’acharnement thérapeutique
peut être ce que l’on appelait « testament de vie ». (Sur l’ambiguïté du
terme testament, voir Rép. minist. du 8 mai 2000, no 46009, JOAN, 25 déc.
2000, p. 7377) et que la loi du 22 avril 2005 nomme plus justement
« directives anticipées » (A. Sériaux, Le « testament de vie » à la française :
une institution à parachever, D. 2012.1195). Une personne est dans son
droit en demandant que l’on s’abstienne des soins « extraordinaires » à
l’heure de son agonie. Un tel document est-il requis pour empêcher
l’acharnement thérapeutique ?
Déjà, depuis le nouveau Code de déontologie médicale, issu du décret
du 6 septembre 1995, « l’acharnement thérapeutique » (selon une
expression courante mais contestable) est une faute déontologique précise.
L’article 37 du décret dispose : « En toutes circonstances, le médecin doit
s’efforcer de soulager les souffrances de son malade, l’assister moralement
et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la
thérapeutique. » L’article 38 poursuit : « Le médecin doit accompagner le
mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures
appropriées la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du
malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer
délibérément la mort. »
Dans ces conditions, les directives anticipées risquent fort de se
contenter de répéter ce que prescrit, en règle générale, le Code de
déontologie. Ne mésestimons pas ce que peut avoir de réconfortant pour le
médecin un document clair établi par son patient. En un temps où la
jurisprudence charge sans cesse sa responsabilité, cette pièce n’est pas
superfétatoire. Simplement, même sans ce document, un médecin ne doit
pas craindre de cesser une thérapie déraisonnable.
Le « testament de vie » ou les directives anticipées ne peuvent, en l’état
du droit, comporter d’autres souhaits que celui de l’abstention de soins
déraisonnables.

III. – Obstacles juridiques fondamentaux


à une loi autorisant le recours à l’euthanasie
Deux obstacles majeurs se dressent : celui du consentement à l’acte
euthanasique et celui du principe de la dignité de la personne humaine.
1. Le consentement à l’euthanasie. – Le caractère particulier du
consentement à l’acte médical (L. Guignard ; S. Mounier) est d’autant plus
problématique en matière d’euthanasie que celle-ci ne peut être qualifiée
d’acte médical, ou alors, dans tous les cas, d’une manière infiniment
dérogatoire à l’acte médical normal.
Comment appréhender la question sous un angle juridique ? Un
consentement doit être, pour sa légitimité et sa validité, « libre et éclairé ».
Libre, cela signifie qu’il y a matière à nullité en cas de constat de l’un des
trois vices du consentement : erreur, dol (tromperie) ou violence. Éclairé,
cela implique que la personne profane soit renseignée (critère objectif) et
conseillée (critère subjectif) sur les termes de l’option qui s’offre à elle. Et,
surtout, le consentement doit émaner d’une personne capable (capacité
d’exercice) et saine d’esprit : « Pour faire un acte valable, il faut être sain
d’esprit » (art. 489 C. civ.).
La demande d’euthanasie ne devrait donc être possible que par une
personne ayant sa pleine capacité et son entière raison, non trompée ni
contrainte et ayant bénéficié d’un conseil précis et pertinent. D’emblée sont
exclus les malades mentaux mais également les personnes frappées de
sénescence ; évidemment, les mineurs.
Qu’en est-il du devoir de renseignement et de conseil du médecin ?
L’incertitude est grande au regard des strictes exigences de la jurisprudence
contemporaine. Celle-ci décide en effet que, « hormis les cas d’urgence,
d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, un médecin est tenu
de lui donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques
graves afférents aux investigations et soins proposés et [qu’]il n’est pas
dispensé de cette obligation par le seul fait que ces risques ne se réalisent
re
qu’exceptionnellement » (1 civ., 7 octobre 1998, JCP, 1998-II-10179). Et
c’est sur le médecin que repose « la charge de prouver qu’il a bien donné à
son patient une information loyale, claire et appropriée sur les risques des
investigations ou soins qu’il propose afin d’y donner un consentement ou
un refus éclairé » (1re civ., 14 octobre 1997, JCP, 1997-II-22942).
Dans l’hypothèse envisagée, il faudrait admettre non seulement que le
médecin donne des conseils sur les suites de l’acte d’euthanasie, ce qui est
assez simple à expliquer, mais surtout qu’il puisse, par avance, prévoir les
diverses situations dans lesquelles viendrait à se trouver son patient et qui
justifieraient de passer à la phase finale. On est dans un cas bien différent
du devoir de conseil ordinaire où le médecin se trouve face à une situation
donnée. Là, on lui demanderait, littéralement, de prédire l’avenir. Or, la
jurisprudence explicite le devoir de conseil en précisant que « c’est à
l’époque des soins qu’il convient de se placer pour apprécier l’information
re
que doit donner le médecin » (1 civ., 7 juillet 1998). Quadrature du cercle :
le médecin devrait conseiller son patient bien des années avant l’acte
d’euthanasie, alors que son conseil devrait intervenir au moment précis de
l’acte.
Au-delà, peut-on assimiler le consentement, dans cette hypothèse, à un
acte médical ? Rien n’est moins sûr car l’euthanasie n’est pas, en toute
rigueur, un acte médical. C’est si vrai que tous ceux qui invitent à la
légaliser se situent sur le terrain du droit pénal. Le consentement serait ici
celui de la victime. On revient alors à la difficulté invincible qu’un tel
consentement n’est pas un fait justificatif exonératoire de la culpabilité de
l’agent.
Ainsi, en se plaçant sur le terrain du droit médical, le consentement du
patient risque d’être donné trop tôt et dans des conditions rendant
impossible le devoir de conseil pertinent ; en restant sur celui plus classique
du droit pénal, le consentement de la victime est sans portée quant à la
culpabilité de l’auteur de l’acte.
Mais on est en droit de se demander si la France pourrait légaliser
l’euthanasie. Il lui faudrait franchir le cap du Conseil constitutionnel, d’une
part, et craindre, d’autre part, la sentence de la Cour européenne des droits
de l’homme.
2. Le principe fondamental du respect de la dignité humaine. – Pour
ce qui est de la position du Conseil constitutionnel, on doit avoir présente à
l’esprit sa décision signalée du 27 juillet 1994 relative aux premières lois de
bioéthique. Ayant à statuer sur un article de la loi, devenu depuis l’article 16
du Code civil et disposant : « La loi assure la primauté de la personne,
interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être
humain dès le commencement de sa vie », le Conseil avait marqué d’une
pierre blanche le principe fondamental du droit de l’éminente dignité de la
personne humaine, incidemment cité par le Préambule de la Constitution
de 1946 auquel fait référence le Préambule de celle de 1958 et qui se trouve
donc inclus dans ce que l’on dénomme le « bloc de constitutionnalité ». Le
Conseil a donc inscrit ce principe matriciel au rang des principes ayant
valeur constitutionnelle (Luc Perrouin, La Dignité de la personne humaine
et le droit, thèse dactyl., Toulouse, 2000).
Certes, les tenants de l’euthanasie ne manqueront pas d’objecter que,
précisément, la voie qu’ils préconisent sauvegarde la dignité de la personne.
De bonnes raisons, juridiques, autorisent à douter que cette conception soit
celle du Conseil. En droit constitutionnel comparé, le principe de dignité de
la personne a été utilisé par la Cour suprême des États-Unis dans son arrêt,
déjà étudié, de 1997 refusant de valider une législation favorable à
l’euthanasie. On voit mal le Conseil français opiner d’une manière
différente.
D’autant plus que, par une décision du 26 juin 1999, confirmée le
25 janvier 2012, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a, sans
détour, condamné la pratique de l’euthanasie, au nom de « la protection des
Droits de l’homme et de la dignité des malades incurables et des
mourants ». L’Assemblée réprouve tout autant l’acharnement thérapeutique
qui est la plus solide racine de l’euthanasie : « Respecter et protéger la
dignité d’un malade incurable ou d’un mourant, c’est avant tout créer
autour de lui un environnement approprié lui permettant de mourir dans la
dignité. Priorité doit donc être donnée au développement des soins palliatifs
et des traitements antidouleur ainsi qu’à l’accompagnement social et
psychologique des malades et de leur famille. » Dans sa décision,
l’Assemblée admet que ces ultimes soins peuvent avoir pour conséquence
d’abréger la vie des personnes malades, mais elle conclut sur
« l’interdiction absolue de mettre intentionnellement fin à leur vie ».
À la suite de cette recommandation, le Comité des ministres du Conseil
de l’Europe a pris, lui-même, une recommandation en date du 12 novembre
2003, à l’adresse des États membres, encourageant la mise en pratique
effective des soins palliatifs pour permettre une mort dans la dignité,
« estimant que les soins palliatifs relèvent d’une démarche qui est tournée
vers la vie, reposant sur l’idée que la mort est un processus normal, et n’est
guidée ni par le désespoir ni par le fatalisme ».
Par ailleurs, la Cour européenne de Strasbourg semble peu favorable à
une telle législation (M. Levinet [dir.], « Le droit au respect à la vie au sens
o
de la CEDH », Droit et Justice, n 93, Bruylant, 2010). Certes, l’article 8 de
la Convention fixe le principe du respect de la « vie privée », dont la Cour
se fait de plus en plus une représentation proche de la privacy américaine
(droit au libre développement de la vie personnelle). Mais dans un arrêt des
plus importants du 29 avril 2002 (JCP, 2003-II-10062 ; Dr. fam., 2003,
chr. 9 par Chvika) rendu dans la tragique affaire Diane Pretty (voir p. 71), la
Cour a explicitement affirmé qu’il n’existe pas un « droit à mourir »
(considérant 40). Elle a ajouté qu’un État ne peut se voir « obliger à
cautionner des actes visant à interrompre la vie » car une pareille obligation
ne peut se déduire de la Convention européenne. D’une manière très
humaine, la Cour déclare qu’« il ne paraît pas arbitraire à la Cour que le
droit reflète l’importance du droit à la vie en interdisant le suicide assisté
tout en prévoyant un régime d’application et d’appréciation par la justice
qui permet de prendre en compte dans chaque cas concret tant l’intérêt
public à entamer des poursuites que les exigences justes et adéquates de la
o
rétribution et de la dissuasion » (n 76).
Vue confirmée par l’arrêt Haas c/ Suisse du 20 janvier 2011 (JCP G
o
2011 doctr. 914, n 13, obs. Sudre). Il faut ajouter un arrêt plus ambigu du
14 mai 2013 (Gross c/ Suisse).
Peut-on conclure, en quelques lignes, le débat juridique sur
l’euthanasie ? Lorsqu’on dissipe les incertitudes terminologiques et les
confusions conceptuelles, on s’aperçoit, tout d’abord, que les positions, de
bonne foi, sont bien plus nuancées, et donc proches, que la polémique
ordinaire ne le laisse supposer. La discussion sur l’agonie ne peut se réduire
à être pour ou contre l’euthanasie.
L’euthanasie, dans son acception contemporaine, est un acte cherchant à
provoquer la mort. Une abstention n’est pas un acte de cette nature. Cela
permet de dire que, si la distinction entre euthanasie active et passive est
sans fondement, il faut, à l’inverse, bien différencier l’arrêt des soins (qui
est euthanasique) de l’arrêt du traitement (qui ne l’est pas). C’est ce dernier
cas que la doctrine espagnole dénomme, à bon droit, euthanasie naturelle,
mais en prenant le mot dans son sens d’origine.
L’acte euthanasique en droit pénal français peut recevoir la qualification
de meurtre ou d’assassinat, voire de non-assistance à personne en péril.
Mais la procédure pénale française permet, dans l’hypothèse d’un cas de
conscience particulier, soit de ne pas poursuivre, soit de laisser le jury des
assises totalement libre de son appréciation. C’est ce qui explique l’extrême
rareté des poursuites et l’infime nombre de condamnations. L’euthanasie
n’est punie en France que dans les cas criminels avérés. Une « exception »
d’euthanasie n’a aucun sens procédural concret.

IV. – La loi sur la fin de vie du 22 avril 2005


À la suite de la dramatique affaire Vincent Humbert (26 septembre
2003), le président de l’Assemblée nationale, à l’instigation de plusieurs
députés, au nombre desquels M. Gaëtan Gorce et Mme Nadine Morano (Le
Monde, 12 avril 2005, p. 14), a mis en place une mission d’information
ayant pour mission de s’interroger sur le point de savoir quelles sont les
réformes législatives requises pour éviter semblable cas. Sa présidence fut
assurée par M. Jean Leonetti (député UMP des Alpes-Maritimes) qui en a
dirigé le rapport. Composée de 31 membres représentant toutes les
sensibilités politiques, elle a procédé à 81 auditions organisées en cinq
cycles. Elle a ainsi entendu des historiens, des philosophes, des sociologues,
des théologiens et des religieux, des représentants des loges maçonniques,
des médecins et des représentants du secteur hospitalier, des associations les
plus diverses, des juristes ; enfin, elle s’est déplacée en Belgique et aux
Pays-Bas. Son travail particulièrement conséquent s’est déroulé entre
octobre 2003 et juin 2004 : elle a adopté à l’unanimité le rapport de son
président le 30 juin, publié en juillet 2004, en deux tomes (Assemblée
nationale, document no 1708) sous le titre Respecter la vie, accepter la mort
qui en constitue un parfait résumé. En première lecture, le 30 novembre
2004, la proposition a fait l’objet d’une quasi-unanimité (moins une voix).
Assez étrangement, le Sénat se divisa le 14 avril 2005. La loi fut
promulguée le 22 avril 2005 (voir site Légifrance, JO du 23 ; sur cette
législation un dossier complet dans RLDC, no 108, octobre 2013).
La mission proposait deux réformes, celle du Code de déontologie
médicale et celle du Code de la santé publique, dans sa partie issue de la loi
sur les malades de 2002. Le Code de déontologie ayant une nature
réglementaire, seul un décret peut le modifier. La loi du 22 avril ne touche
qu’au seul Code de la santé publique (pour l’essentiel).
Le nouvel article L. 1110-5 du CSP dispose que les actes médicaux « ne
doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils
apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul
maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être
entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et
assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10
(les soins palliatifs) ».
L’on signalera que, pour la première fois, une juridiction prononça une
condamnation d’un établissement hospitalier pour « obstination
déraisonnable ». Ce fut le jugement du tribunal administratif de Nîmes en
date du 2 juin 2009 (D. 2010.419, note J.-S. Borghetti ; étude de M.-
I. Malauzat-Martha, RLDC, 2011, no 84, p. 19) à propos de la réanimation
d’un nouveau-né, né en état de « mort apparente ».
Mais il faut convenir que cette notion est très délicate à définir. L’affaire
Vincent Lambert suscita de vifs débats au printemps 2014 (Le Monde,
29 janvier 2014, p. 19). Dans un premier temps, le Tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne, le 11 janvier 2014 (D. 2014.149, Le Monde du
18 janvier), prononça la suspension de la décision des médecins (en cela
opposés aux parents du patient) d’interrompre les soins. Saisi, le Conseil
o
d’État ordonna, le 14 février (Procédures, 2014, n 127), une expertise à la
suite de laquelle par un arrêt d’assemblée du 24 juin (J.C.P. 2014.825 obs.
F. Vialla) il jugea en sens opposé du tribunal que la décision médicale était
fondée. Mais cette décision fut aussitôt suspendue par la Cour européenne
des droits de l’homme le même jour (D. 2014.1856 note D. Vigneau ; DF
2014, com. 141 obs. Binet). Puis, statuant sur le fond, la même Cour rendit
un arrêt le 5 juin 2015 (D. 2015.1625 note F. Vialla) dans lequel elle donna
raison au Conseil d’État. Incidemment, et cela est à souligner, la Cour jugea
(§ 160) que la loi française constitue un cadre législatif et procédural qui,
sous le contrôle du juge, est satisfaisant au regard de l’article 2 (droit au
respect de la vie) de la CEDH (J.C.P. 2015.805 obs. Sudre).
Mais, depuis lors, les querelles familiales ont fait que les médecins
n’ont trouvé aucune solution de compromis.
Le dernier alinéa consacre la doctrine du « double effet » : « Si un
médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en
phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en
soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet
secondaire d’abréger la vie, il doit en informer le malade (ou la famille ou
un proche). La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical. »
La loi examine ensuite diverses modalités de limitation et d’arrêt de
traitement selon que la personne est consciente ou non. L’article L. 1111-10
énonce le droit d’un patient de limiter ou d’arrêter tout traitement :
« Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection
grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, décide de limiter ou d’arrêter
tout traitement, le médecin doit respecter sa volonté après l’avoir informée
des conséquences de son choix. La décision du malade est inscrite dans son
dossier médical. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la
qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10. »
« Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai
raisonnable » (L. 1111-4). Le droit d’un patient d’arrêter tout traitement (y
compris toute alimentation et hydratation artificielles, ce qui ouvre la porte
d’une mort décidée, mais dépourvue de la violence d’un acte létal effectué
par le patient lui-même ou par autrui) est tenu à l’obligation de réitérer sa
demande après un délai raisonnable, ce qui implique, entre le malade et
son médecin, le temps nécessaire au dialogue et à la réflexion.
Question délicate : l’arrêt des soins curatifs autorise-t-il l’arrêt de
l’alimentation ? (Le Monde, 5-6 févr. 2006, p. 15). La réponse ne peut être
que négative : la loi, évidemment, ne permet pas de faire mourir de faim un
malade.
Lorsqu’une personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la loi fait
obligation au médecin de, simplement, « tenir compte » des directives
anticipées, si elles existent, ou de l’avis de la personne de confiance ou de
la famille, ou des proches : « Toute personne majeure peut rédiger des
directives anticipées pour le cas où elle serait un jour incapable d’exprimer
sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne
relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou de l’arrêt
de traitement. Elles sont révocables à tout moment. À condition qu’elles
aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la
personne, le médecin en tient compte pour toute décision d’investigation,
d’intervention ou de traitement la concernant » (art. L. 1111-11).
Enfin, la loi rend possible la désignation d’une « personne de
confiance », dont l’avis, lorsque le patient est « hors d’état d’exprimer sa
volonté », et « sauf urgence ou impossibilité, prévaut sur tout autre avis non
médical, à l’exclusion des directives anticipées, dans les décisions
d’investigation, d’intervention ou de traitement prises par le médecin »
(L. 1111-12). (Sur les modalités pratiques de tels actes, voir Claude
Destame, « Formules à utiliser », Defrénois, 2007, p. 1262). Avec
pertinence, il est proposé que ces directives puissent être enregistrées sur la
carte Vitale (Louis Puybasset et Marine Lamoureux, Euthanasie, un débat
tronqué, Calmann-Lévy, 2012).
Directives anticipées et avis de tiers peuvent exister pour éclairer la
décision médicale, non pour s’y substituer. Le médecin doit s’enquérir de
leur existence, mais non s’y soumettre. Le respect d’un patient ne consiste
pas à l’enchaîner à une préférence passée, mais à lui laisser, au présent,
l’ultime possibilité de changer d’avis. Les directives anticipées ou avis de
tiers ne peuvent donc venir éclairer qu’une décision d’arrêt de traitement
devenu déraisonnable, non une décision d’euthanasie.
De manière générale, la loi impose au corps médical de ne prendre que
des dispositions collégiales pour éviter le désarroi ou les décisions
unilatérales.
D’autre part, la loi invite les facultés de médecine à un renforcement de
la formation relative aux soins palliatifs (art. L. 6143-2-1 CSP). Elle invite à
récrire les articles 37 et 38 du Code de déontologie, en particulier pour
consacrer la théorie du « double effet » et délivrer de scrupules infondés les
médecins qui viendraient à cesser un traitement curatif inutile. L’interdit de
provoquer délibérément la mort subsiste bien évidemment.
Trois décrets (nos 2006-119, 2006-120, 2006-122) du 6 février 2006
complètent la loi en précisant les modalités que la décision de limitation ou
d’arrêt de traitement, toujours collégiale, doit respecter : « La décision est
prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe
de soins si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en
qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique
entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un
deuxième consultant est demandé par ces médecins si l’un d’eux l’estime
utile » (2006-120, II, al. 2). « La décision prend en compte les souhaits que
le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans les directives
anticipées, s’il en a rédigées, l’avis de la personne de confiance qu’il aurait
désignée ainsi que celui de la famille ou, à défaut, celui d’un de ses
proches » (al. 3). Le décret no 2006-119 précise les modalités d’expression
et de conservation des directives anticipées. Si leur auteur est capable
d’exprimer sa volonté, mais non de l’écrire ni de la signer, il peut demander
à deux témoins, dont la personne de confiance, lorsqu’elle est désignée,
« d’attester que le document qu’il n’a pu rédiger lui-même est l’expression
de sa volonté libre et éclairée » (art. 1, al. 3). Enfin, le décret no 2006-122
mentionne, pour un projet d’établissement, « les actions de coopération
nécessaires à la réalisation du volet relatif aux soins palliatifs ». Il faut
ajouter l’importante circulaire d’application du 20 octobre 2011 déjà citée.
S’inspirant de la législation de la plupart des pays occidentaux (voir à ce
propos l’article précité de M. Doublet), la loi et ses décrets d’application
consacrent donc véritablement un droit au respect de la dignité de la
personne dans sa mort.
C’est postérieurement à l’entrée en vigueur de ce texte que se produisit
la très médiatique « affaire Chantal Sébire » au printemps 2008. Cette
dernière était atteinte d’un rarissime cancer des sinus (un
esthésioneuroblastome). Des soins permettant de ralentir la maladie étaient
possibles : elle les refusa, comme elle refusa également, son état empirant,
des soins palliatifs. Elle voulait la mort, mais elle voulait que cette mort lui
soit « administrée » par un personnel médical. Son avocat (vice-président
de l’ADMD) sollicita cela de la justice, laquelle ne put, par ordonnance
rendue en référé par le vice-président du tribunal de grande instance de
Dijon le 17 mars 2008 que rejeter une telle prétention. Le juge fit valoir
qu’au regard de l’article 2 de la Convention européenne des droits de
l’homme (droit à la vie), « il n’est pas possible de déduire (de ce texte) un
droit à mourir, que ce soit avec la main d’un tiers ou par assistance d’une
autorité publique » (Le Monde, 19 mars 2008).
Face à ses responsabilités et sa seule volonté, elle-même se donna la
mort le 19 mars 2008.
Cette affaire fut parfaitement orchestrée, et chacun peut exprimer, dans
une démocratie, son point de vue (Le Monde, 22 mars 2008, p. 20, une page
d’enquête). On fera simplement observer deux choses : Chantal Sébire
s’était elle-même placée dans une situation d’impasse qui n’était pas
irrémédiable ; elle s’est suicidée seule, démontrant d’une manière quasi
parfaite que sa demande d’assistance dans son acte ne relevait d’aucune
nécessité. Elle pouvait être soignée : elle le refusa. Elle voulait mourir : on
le lui refusa, mais elle y parvint d’elle-même. Pour dramatique qu’elle fût,
cette affaire était plutôt la confirmation que la loi Leonetti répond largement
aux problèmes concrets dès lors qu’on veut bien la mettre en pratique.
Chantal Sébire a rejeté cette loi ; elle ne pouvait soutenir que les solutions
étaient insuffisantes dès lors qu’elle entendait contester les moyens mis en
œuvre. L’emballement général (Bertrand Mathieu, « Euthanasie : ne pas
céder à l’émotion », JCP, 2008, 222) a entraîné la constitution d’une
commission d’évaluation des résultats de la loi sur la fin de vie, confiée à
son initiateur, laquelle rendit ses conclusions le 2 décembre 2009. Il ne fut
préconisé aucune modification de fond de la loi, mais on retiendra diverses
propositions tendant à en améliorer la mise en pratique : la constitution d’un
observatoire des pratiques de la fin de vie (décret no 2010-158 du 19 février
2010, il publia son premier rapport le 15 février 2012, dans Le Monde du
16 : « Fin de vie : la France néglige toujours ses mourants ») et la création
d’un médecin référent en soins palliatifs ainsi qu’une révision simplifiant la
mise en œuvre d’une décision de limitation ou d’arrêt de traitement (décret
no 2010-107 du 29 janvier 2010) ; la réécriture d’une partie du code de
déontologie médicale pour sensibiliser les médecins à la lutte contre la
douleur, en particulier la sédation terminale pour éviter les agonies
douloureuses, enfin l’aménagement d’un congé, assorti d’une allocation
journalière, au profit des proches d’une personne en fin de vie (loi no 2010-
209 du 2 mars 2010).
De même, l’affaire du docteur Nicolas Bonnemaison (Centre hospitalier
de la Côte Basque, à Bayonne) en août 2012 (Le Monde du 12 août 2012)
est exemplaire d’un comportement peu rationnel. Il aurait suffi que ce
médecin appliquât les dispositions prévues par la loi pour ne pas se trouver
dans une situation injustifiable. On ne peut prétendre que la loi de 2005 est
« insuffisante » si on commence par en refuser l’application. On ne peut se
dire dans une impasse dès lors qu’on s’y engage sciemment tout en sachant
qu’une autre voie est possible.
Toute la question est maintenant de savoir si ceux qui sont des partisans
déterminés de l’euthanasie parviendront à mettre à terre une loi qui donne
de vraies solutions humaines qu’ils refusent pour des raisons non pas
pratiques mais idéologiques. La loi (mais est-ce une exception ?) est encore
inconnue de deux Français sur trois, et moins de 3 % des médecins
généralistes ont eu une formation adéquate aux soins palliatifs. Or,
lorsqu’elle est connue, cette loi donne toute satisfaction : « La majorité des
praticiens hospitaliers estiment que la loi Leonetti leur permet
d’accompagner dignement leurs patients jusqu’à la mort » (Le Monde,
8 septembre 2011, p. 14). Les mêmes ajoutent n’être, dans la vie ordinaire,
« quasiment jamais confrontés aux demandes claires d’euthanasie active ».
Une douzaine de propositions de loi (PL) ont été publiées ou déposées
devant l’Assemblée nationale ou le Sénat : PL Yves Cochet (Les Verts)
instituant le droit de mourir dans la dignité et garantissant aux médecins le
droit de conscience (24 février 2004), PL Jean Leonetti (UMP) relative aux
droits des malades et à la fin de vie (26 octobre 2004), PL Laurent Fabius
(PS) relative au droit de finir sa vie dans la dignité (20 mars 2008), PL
Henriette Martinez (UMP) relative à l’aide active à mourir (7 mai 2008), PL
Alain Fouché (UMP) relative à l’aide active à mourir dans la dignité et
garantissant aux médecins le droit de conscience (29 octobre 2008), PL
Wojciechowski (UMP) autorisant le fait de mourir dans la dignité
(18 décembre 2008), PL Gérard Charasse (PRG) instaurant un droit de
vivre sa mort (17 juin 2009), PL Germinal Peiro (PS) sur la reconnaissance
de l’exception d’euthanasie et de l’aide active à mourir (8 juillet 2009), PL
Jean-Marc Ayrault (PS) relative au droit de finir sa vie dans la dignité
(7 octobre 2009), PL Jean-Pierre Godefroy (PS) relative à l’aide active à
mourir (12 juillet 2010), PL Guy Fischer (PC) relative à l’euthanasie
volontaire (13 octobre 2010), PL Roland Courteau (PS) relative à
l’assistance médicale pour mourir et à l’accès aux soins palliatifs (8 juin
2012).
Toutes les propositions qui épousent le vocabulaire et les thèses de
l’ADMD ont été jusqu’ici repoussées.
La campagne pour l’élection présidentielle du 6 mai 2012 a relancé le
débat (Le Monde, 27 mars 2012). Lors d’un discours prononcé le mardi
17 juillet 2012, à la maison Notre-Dame-du-Lac (92), spécialisée dans les
soins palliatifs, le président François Hollande annonça confier une mission
de concertation au professeur Didier Sicard, ancien président du Comité
consultatif national d’éthique. Le président de la République a tenu à
préciser qu’il n’avait pas usé du terme « euthanasie ».
Au terme de plusieurs semaines de « débats citoyens » la commission
de réflexion animée par le professeur Sicard remit son rapport au chef de
l’État le 18 décembre 2012 (deux pages « débats » dans Le Monde du
14 décembre, p. 22/23 ; F. Vialla, D. 2013.259 et JCP G, actu 68, p. 114 ;
texte consultable sur le site de la Documentation française).
Le rapport souligne « l’utopie de résoudre par une loi la grande
complexité des situations en fin de vie » et « le danger de franchir la
barrière de l’interdit ».
La commission insiste sur la nécessité d’une meilleure connaissance et
application concrète de la loi de 2005 et sur le développement absolument
nécessaire d’une culture palliative et l’abolition de la frontière entre soin
curatif et soin palliatif.
La commission exprime le souhait de deux variantes des directives
anticipées : l’une courante et l’autre en cas de maladie grave diagnostiquée
ou en cas d’intervention chirurgicale pouvant comporter un risque majeur. Il
conviendrait aussi de constituer un fichier national de ces documents en
s’inspirant du fichier notarial des dernières volontés.
S’agissant des moments ultimes de la vie, la commission ne souhaite
pas instaurer un droit au suicide assisté. Toutefois, pour compléter la loi de
2005, elle estime que le « laisser mourir » est insuffisant et qu’il suppose un
« accompagnement » dans la mort ; d’où un engagement à réfléchir sur la
« sédation en phase terminale » (qu’on ne confondra pas avec une
« sédation terminale » : les mots ont ici tout leur sens).
Proposition qui rejoint celle formulée par le Conseil national de l’ordre
o
des médecins (Cnom) le 14 février 2014, mais également l’avis n 121 du
1er juillet 2013 rendu par le Comité consultatif national d’éthique.
(D. 2013.1690).
S’inspirant fortement des recommandations de ce rapport, une
proposition de loi fut déposée par les députés Leonetti (UMP) et Claeys
(PS). Innovation dans « la fabrique de la loi », une plate-forme numérique a
permis à tout citoyen d’exprimer son avis à ce sujet (D. 2015.326). Ce texte
tend à rendre obligatoire des « directives anticipées » et à faciliter le recours
à la « sédation en phase terminale ». Le 17 mars 2015 (D. 2015.686) elle fut
adoptée (par une large majorité de 436 pour 83 abstention et 34 contre) par
l’Assemblée nationale (rejetant dans le même temps une autre proposition
de loi autorisant l’euthanasie). Très curieusement, le Sénat ne parvint à
aucun accord et dut rejeter (pour des raisons procédurales) cette proposition
(le 23 juin) reportant ainsi son vote à l’automne 2015 (D. 2015.1372 note
Vialla).
Au-delà, peut-on esquisser une conclusion à une réflexion dont le
lecteur aura mesuré combien il est téméraire de prétendre la conduire en si
peu de pages ?
Il n’y a pas lieu d’établir un quelconque parallèle entre soins palliatifs et
euthanasie. Ce n’est pas là une alternative, laquelle supposerait deux
principes de même valeur. Le principe est celui de l’accompagnement de
l’agonisant par des soins palliatifs (Cécile Prieur, « Vivre jusqu’à la mort ?
À quoi sert une unité de soins palliatifs ? », Le Monde, 3 déc. 2008, p. 18).
L’exception marginale doit être l’euthanasie dans des situations
extraordinaires. Non l’inverse. La loi a vocation à se fonder sur des
principes, non sur des exceptions.
Il n’existe aucun droit à la mort, mais un droit de la mort. La dignité de
l’homme est de l’accepter à son heure ; celle du soignant de l’accompagner
sans la provoquer.
Ces arguments sont forts, ils ne sont pas arbitraires ; ils n’oublient ni
l’humanité des mourants ni celle des soignants. Le droit est un art de la
mesure, pour trouver la solution juste et bonne pour tous. Il ne s’agit
nullement de s’ériger en juge des intentions de ceux qui militent en faveur
de l’euthanasie, c’est souvent la générosité et une extrême attention à la
souffrance de l’autre qui animent leur combat. Leur conscience n’est pas
suspecte. Ces qualités peuvent servir une autre cause qui est, en définitive,
la leur. Au terme de tout, on s’aperçoit que l’euthanasie est pour l’essentiel
un faux débat parce qu’elle ne peut, tout simplement, concerner l’homme. Il
faut, décidément, réserver ce terme à la pratique vétérinaire (art. 21-13-1 du
Code rural, tel qu’issu de la loi du 6 janv. 1999 relative aux « pitbulls » et
de la loi du 20 juin 2008 sur les chiens dangereux ; 1re civ., 9 juill. 2009, 07-
19.796, D. 2009.1977). Les juristes aiment réduire en brocards ou en adages
les points de droit les plus saillants. Puisse-t-on, un jour, voir frapper en
maxime celui qui affirmera : « En France, on euthanasie les animaux, non
les personnes. » La loi du 22 avril 2005 est une loi qui l’illustre
parfaitement.
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ASSOCIATIONS
Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), 50, rue de
Chabrol, 75010 Paris, 01 48 00 04 16, www.admd.net
Jusqu’à la mort accompagner la vie (JALMALV), 76, rue des Saints-Pères,
75007 Paris, 01 45 49 63 76 ; federation.jalmalv@outlook.fr
Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), 108,
avenue Émile-Zola, 75015 Paris, 01 45 75 43 13, sfap@sfap.org.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction

CHAPITRE PREMIER - Le contexte médical actuel

I. – Un terme ambigu. Une réalité interdite

II. – L’évitement de la mort

III. – Dire ou non la vérité ?

IV. – La peur de mal mourir

V. – Les progrès de la médecine scientifique

VI. – Les nouveaux droits des malades

VII. – Les actes médicaux de fin de vie qui se différencient de l’euthanasie et leur analyse
au regard de la loi et du Code de déontologie médicale français

CHAPITRE II - La demande d’euthanasie

I. – La pratique euthanasique : réalité, silence

II. – Qui demande l’euthanasie ?

CHAPITRE III - Les soins palliatifs

I. – Les soins palliatifs s’appliquent à tous les grands malades

II. – Les soins palliatifs sont des soins actifs qui réclament une compétence technique
et scientifique
III. – Caractères des soins palliatifs

CHAPITRE IV - Histoire et définition d’un mot

I. – Histoire philosophique de l’euthanasie

II. – Problèmes de définition

CHAPITRE V - Le point de vue des autorités religieuses et morales

I. – Le point de vue des autorités religieuses

II. – La position des autorités morales

CHAPITRE VI - Les conflits conceptuels

I. – Continuité ou discontinuité des actes médicaux en fin de vie : l’argument du double effet

II. – Le respect des personnes

III. – Évaluation rationnelle des thèses en présence

CHAPITRE VII - Législations étrangères

I. – Les États-Unis

II. – L’Australie

III. – La Grande-Bretagne

IV. – Le Canada

V. – Allemagne, Suisse et pays scandinaves

VI. – L’Espagne et le Portugal

VII. – Les pays du Benelux

CHAPITRE VIII - L’euthanasie au regard du droit français

I. – L’euthanasie, homicide de droit commun

II. – Existe-t-il un « droit à la mort » ?

CHAPITRE IX - Le droit de la fin de vie


I. – Les propositions inutiles

II. – Le « testament de vie » en droit français

III. – Obstacles juridiques fondamentaux à une loi autorisant le recours à l’euthanasie

IV. – La loi sur la fin de vie du 22 avril 2005

BIBLIOGRAPHIE
www.quesais-je.com
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