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Dans le chapitre 3 du livre "La philosophie devenue folle" de Jean-François Braunstein,

intitulé "Morts suspectes : la redéfinition de la mort", l'auteur nous plonge dans une
exploration approfondie de l'évolution récente de la conception de la mort en Occident. Ce
texte, riche en nuances et en réflexions profondes, nous invite à une réflexion
multidimensionnelle sur le concept de la mort et ses implications sur la société moderne.

Au cœur de cette évolution se trouve la notion controversée de "mort cérébrale", une


redéfinition de la mort qui a émergé aux États-Unis et s'est répandue dans le monde entier,
à l'exception du Japon. L'auteur nous plonge au cœur de cette transformation, nous incitant
à questionner les fondements de notre compréhension traditionnelle de la mort.

L'une des principales connexions établies dans ce texte est le lien direct entre cette nouvelle
définition de la mort et les progrès majeurs dans le domaine de la transplantation d'organes.
Cette reconfiguration de la mort n'est pas simplement une question médicale, mais soulève
également des questions éthiques profondes qui touchent au cœur de notre humanité.

L'auteur explore la "mort cérébrale", qui a redéfini notre conception de la mort en raison de
la nécessité d'obtenir des organes pour les greffes. L’origine de cette redéfinition, remontant
aux années 1950 lorsque les neurologues français Pierre Mollaret et Maurice Goulon ont
introduit la notion de "coma dépassé". Cette catégorie médicale va au-delà du coma
profond, car elle englobe des patients dont le cerveau est gravement endommagé, mais
dont le cœur continue de battre grâce aux techniques de réanimation.

L'auteur souligne l'importance de trouver des solutions pour les patients inconscients et sans
espoir de rétablissement, en particulier ceux pouvant devenir des donneurs d'organes. Il
évoque le travail de l'anthropologue Margaret Lock, qui a enquêté sur les opinions
divergentes parmi les professionnels de la santé concernant la mort cérébrale. Lock a révélé
que malgré la fiabilité de la définition de la mort cérébrale, de nombreux médecins
considèrent ces patients comme biologiquement vivants jusqu'au prélèvement d'organes,
illustrant la complexité de cette notion.

Ii y’a eu un débat concernant l'anesthésie des donneurs d'organes en état de mort


cérébrale, une pratique controversée car ces donneurs sont déjà considérés comme
décédés. En Angleterre, des opinions divergentes existent parmi les anesthésistes, certains
étant en faveur de cette mesure par précaution, tandis que d'autres estiment qu'elle peut
compliquer les relations avec les proches des donneurs. De plus, le texte souligne que peu
de membres des équipes de transplantation sont eux-mêmes donneurs d'organes, ce qui
suscite des interrogations sur leurs motivations et perspectives.

L'auteur explore comment notre société contemporaine manifeste un intérêt croissant pour
ce qu'il qualifie de "mort digne", une notion qui va au-delà de la simple discussion sur
l'euthanasie. Cette vision émergente tend à traiter la mort comme un problème technique,
une idée qui gagne du terrain grâce à des auteurs tels que Yuval Noah Harari, qui décrivent
la mort comme un défi qui pourrait être résolu grâce à des avancés technologiques.

Ce changement de perspective, où la mort passe des préoccupations religieuses aux


considérations technologiques, est illustré par les idées de transhumanistes comme Robert
Freitas, qui envisagent sérieusement la possibilité de vaincre la mort grâce à des avancées
génétiques, la restriction calorique ou la cryogénisation.

En parallèle, l'auteur suggère que la mort ne devrait plus être perçue comme une tragédie
inévitable, mais plutôt comme un accident qui peut être évité. Cette perspective nous invite à
remettre en question la notion traditionnelle de la mort en tant qu'événement incontournable.

De plus, le texte se penche sur le célèbre raisonnement bioéthique de la "loterie de la


survie", attribué à John Harris. . Cet argument soulève une expérience de pensée assez
troublante où un médecin est confronté à la décision de tuer une personne en bonne santé
pour prélever ses organes et sauver ainsi deux vies en danger imminent. Harris défend cette
action du point de vue utilitariste, affirmant qu'elle maximise le nombre de vies sauvées. Il
explore également des mécanismes pour éviter un choix arbitraire des médecins dans de
telles situations.

Cependant, l'auteur n'hésite pas à critiquer cette argumentation en soulignant la différence


fondamentale entre tuer intentionnellement une personne en bonne santé et laisser
quelqu'un mourir de maladie..

Le texte nous plonge ensuite dans le débat contemporain sur la crémation en tant que
pratique funéraire. Cette approche, justifiée par des considérations écologiques et
économiques, est décrite comme visant principalement à se débarrasser rapidement des
corps décédés, remettant en question la symbolique traditionnelle des cérémonies funèbres.
L'auteur cite des penseurs tels que Robert Redeker, qui qualifie la crémation d'"expression
d'une passion triste" et d'"haine de la matière", et Michel Houellebecq, qui défend
l'inhumation traditionnelle comme un acte de respect envers l'individualité humaine.

Une perspective distincte émerge dans le texte, soulignant l'importance de préserver la


mémoire individuelle et la singularité de chaque être humain après sa mort.

Le texte continue en évoquant une exposition controversée appelée


"Körperwelten/Body-worlds", créée par l'anatomiste allemand Gunther von Hagens. Cette
exposition est particulièrement intrigante car elle présente des cadavres humains plastinés,
c'est-à-dire préservés de manière à ce qu'ils ne se décomposent pas, dans des poses et des
situations qui évoquent la vie quotidienne. Cette présentation a suscité diverses réactions de
la part du public et des experts.

De plus, l'exposition "Körperwelten/Body-worlds" a été critiquée pour avoir enlevé la


sacralité associée à la mort en utilisant des cadavres à des fins esthétiques. Elle offre une
expérience visuelle de la mort, transformant ainsi quelque chose de traditionnellement
considéré comme sacré en un objet d'observation et d'appréciation esthétique.

Enfin, l'auteur se tourne vers la perspective du philosophe australien Peter Singer, qui
propose de "repenser la vie et la mort" d'un point de vue rationnel, en mettant de côté les
angoisses et la sacralité associées aux religions et à la culture traditionnelle. Cette
perspective repose sur la notion de "perte permanente des fonctions cognitives" comme
critère pour définir la mort, ce qui a des implications profondes pour notre compréhension de
la vie humaine et des droits des patients en état de mort cérébrale.

Hans Jonas s'oppose à la nouvelle définition de la mort adoptée par le Ad Hoc Committee
de Harvard. Cette nouvelle définition est critiquée par Jonas car elle est considérée comme
pragmatique, principalement orientée vers la collecte d'organes pour la transplantation. Il
craint que cette redéfinition de la mort ne soit utilisée pour avancer l'heure de la mort afin de
prélever des organes, plutôt que de simplement arrêter la réanimation.

Jonas exprime ses préoccupations quant aux dérives potentielles autour des individus en
état de mort cérébrale, qui ne sont ni vraiment morts ni encore tout à fait vivants. Il craint
que des intérêts médicaux puissants ne poussent à exploiter ces individus pour maximiser la
valeur des organes à prélever, voire pour des expérimentations médicales.

Il souligne l'importance de résister à cette nouvelle définition de la mort, arguant que sous la
pression de l'intérêt médical, il est probable que la mort soit déclarée de plus en plus
précocement, ce qui entraînerait une perte de confiance des patients envers leurs médecins.
Jonas défend le droit à une mort respectueuse et s'oppose à toute utilisation opportuniste du
corps du défunt.

Finalement, Jonas constate que malgré ses efforts, la définition de la mort comme "mort
cérébrale" s'est imposée presque universellement, ce qu'il considère comme une forme de
mépris du corps au profit de la conscience. Il voit dans cette nouvelle définition une
résurgence du dualisme cartésien, où la vie humaine est définie uniquement par la pensée,
négligeant ainsi l'importance du corps dans l'expérience humaine.

L'auteur discute d'un amendement à la loi de modernisation du système de santé en France


de 2015. Cet amendement voulait renforcer le consentement présumé au don d'organes,
permettant le prélèvement sauf si une personne s'opposait explicitement. Les familles
n'auraient plus été consultées. Cette idée a été critiquée comme une "nationalisation des
corps".

Il mentionne également les réactions négatives de l'Ordre des médecins et d'autres


professionnels de la santé. Finalement, l'amendement a été retiré, mais il souligne que cela
reflète une tendance à considérer les corps comme des biens collectifs, mettant en danger
la volonté individuelle et les droits des familles. L'auteur critique aussi la notion de "solidarité
obligatoire" où les corps deviendraient la propriété de l'État, soulignant l'importance de
préserver l'humanité et la dignité humaine dans ces débats.

L'auteur explore comment des idées telles que la théorie du genre, les droits des animaux et
l'euthanasie, souvent motivées par des principes d'amour, de bienveillance universelle et de
soulagement de la douleur, peuvent aboutir à des conclusions choquantes lorsqu'elles sont
poussées à l'extrême. Par exemple, remettre en question la pertinence du sexe biologique
ou de l'identité de genre peut conduire à des hypothèses absurdes sur la transformation
corporelle, la fluidité des genres et même des pratiques comme la zoophilie.
L'auteur critique ces idées en soulignant qu'elles sont basées sur des présupposés erronés
et que la morale ne peut pas être réduite à des problèmes logiques ou juridiques. Il met en
avant l'importance de s'appuyer sur les traditions morales de l'humanité et de ne pas justifier
des actions immorales sous prétexte de logique. En fin de compte, l'auteur appelle à rejeter
ces fondements erronés et à préserver la "décence ordinaire" qui guide nos actions en tant
qu'êtres humains dignes de ce nom.

L'auteur explore comment des idéologies contemporaines cherchent à abolir les distinctions
traditionnelles, remettant en question la dualité des sexes, la séparation entre l'homme et
l'animal, et la sacralité de la mort. Ces penseurs encouragent la transcendance des
catégories binaires de genre, voulant voir l'homme comme un simple animal parmi d'autres,
et considérant la mort comme une question technique dépourvue de sacré, à rationaliser et
à productiviser.

Donna Haraway est mise en avant comme la théoricienne la plus radicale, passant de l'idée
du "cyborg" à celle de fusion avec les animaux. Son désir que l'humanité devienne du
compost est présenté comme une vision régressive et menant à la disparition de l'humanité.

L'auteur conclut en appelant à choisir la "direction humus" plutôt que la "direction homo" et à
résister à ces idéologies qui semblent conduire à la dissolution de l'humanité.

L'auteur aborde l'importance des frontières et des limites pour la constitution de l'humanité. Il
critique les idéologies contemporaines visant à effacer ces frontières, qu'elles soient liées au
genre, à la distinction entre l'homme et l'animal, ou à la perception de la mort.

Il soutient que l'humanité s'est formée en définissant et en maintenant ces frontières, qui
sont essentielles pour préserver son identité en tant qu'entité distincte. Malgré les nuances
révélées par la science, la pensée humaine a toujours cherché à établir des distinctions
claires.

L'auteur souligne que reconnaître l'existence de limites et de frontières est essentiel pour la
formation des identités individuelles et collectives. Les idéologies qui prônent leur dissolution
remettent en question les fondements de nos identités.

Il conclut en expliquant que les frontières ne sont pas des barrières strictes, mais des
éléments permettant de dépasser, de questionner et de subvertir les limites. Elles préservent
la diversité qui enrichit le monde, que ce soit dans le domaine humain ou animal. En
comparaison avec les idéologies politiquement correctes favorisant l'uniformité, l'auteur met
en garde contre le danger de nier la diversité au profit de la conformité.

L'auteur remet en question l'auto-présentation de certains auteurs comme subversifs ou


transgressifs. Il affirme que de vrais auteurs subversifs jouent avec les frontières au lieu de
les effacer.

Il souligne l'importance des limites et des interdits dans la transgression authentique, citant
Foucault pour montrer le lien entre limite et courage. La disparition totale des limites
signifierait la fin de la transgression et du courage.
L'auteur rappelle ensuite le rôle des limites dans la formation de l'humanité, en notant que
l'humanisme s'est développé en repoussant les limites imposées par la nature. L'homme se
définit dans sa confrontation à l'altérité et à la négativité, cherchant à repousser les limites
du monde par la découverte, la science, la médecine et l'exploration.

En conclusion, l'auteur évoque l'idée que l'homme, dans l'humanisme, est celui qui brave le
monde pour dépasser ses limites, illustré par la devise "plus oultre" de Charles Quint.

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