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RTD Com.

RTD Com. 1992 p.304

Règles de concurrence. Droit des ententes, Système de distribution sélective ou exclusive des produits
cosmétiques en pharmacie d'officine
(Décis. Commission du 11 janv. 1991, Vichy, JOCE L 75, 21 mars 1991, p. 57)

Christian Bolze, Professeur de droit privé à l'université de Toulon et du Var ; Chargé d'enseignement
au Centre Européen Universitaire de Nancy

L'affaire de la distribution des produits cosmétiques en pharmacie d'officine connaît désormais une première
conclusion sur le terrain du droit communautaire pur (V. pour les autorités et juridictions françaises : décis. 87-D
15 du Conseil de la Concurrence du 9 juin 1987, BOCCRF du 17 juin 1987, p. 177 ; arrêt de la cour d'appel de
Paris du 28 janv. 1988, DS 1989. J. 499, note C. Bolze et la bibliographie citée ; arrêt de la Cour de cassation, Ch.
com. 25 avr. 1989, BOCCRF du 10 mai 1989, p. 135).

En l'espèce, les laboratoires Vichy ont notifié en août 1989 à la Commission un système de distribution mixte,
fondé, pour la France, sur la sélection de revendeurs qui doivent avoir la qualité de diplômé en pharmacie et, pour
dix autres membres de la Communauté, sur des accords d'exclusivité au profit des pharmaciens d'officine ou de
grossistes répartiteurs les approvisionnant. La cohésion du système d'exclusivité est garantie par une clause qui
figure dans les documents contractuels et commerciaux de Vichy et oblige les membres du réseau à ne revendre les
produits cosmétiques qu'à d'autres membres ou à des distributeurs qui acceptent par écrit de respecter cette même
clause.

Comme cela a déjà été relevé au cours de la procédure française, les produits cosmétiques se différencient des
médicaments non seulement par leurs propriétés - beauté et hygiène du corps et des cheveux, parfumerie - mais
également par leur innocuité qui n'exige pas de précautions particulières au moment de l'emploi ; en outre, leur
composition étant secrète, le pharmacien détaillant ne peut procéder aux contrôles usuels de sa profession. Leur
marché est segmenté en plusieurs circuits de distribution dont les caractéristiques de présentation, de prix et de
clientèle diffèrent sensiblement, cette segmentation étant renforcée par le recours systématique à des marques
distinctes pour chaque circuit (grande distribution ; distribution sélective ; pharmacie d'officine ; vente directe par
correspondance, réunion-ventes ou téléachats). En ce qui concerne le circuit officinal, certaines disparités opposent
les réglementations nationales relativement à l'établissement d'une officine (limité par un numerus clausus dans
huit Etats membres) ou encore à la notion de produits de parapharmacie (limitée par une liste dans cinq Etats
membres, par l'éthique professionnelle dans les autres) ; en outre, dans les pays anglo-saxons, il n'y a même pas de
monopole des pharmaciens pour la distribution des médicaments. Néanmoins, les pharmaciens d'officine
constituent globalement une profession et un mode d'activités relativement homogène du point de vue du droit de
la concurrence.

Dans son appréciation juridique, la Commission examine successivement l'applicabilité de l'article 85-1, puis celle
de l'article 85-3.

• S'agissant de l'article 85-1, elle constate en premier lieu que les contrats de distribution conclu avec les grossistes-
répartiteurs et certains pharmaciens d'officine sont des accords entre entreprises, comme le sont les conditions
générales de vente figurant sur l'ensemble des documents commerciaux de Vichy (bons de commande, liste de
prix, factures) et implicitement acceptées par les autres distributeurs du laboratoire. Ces accords stipulent que
l'agrément pour être revendeur des produits Vichy est subordonné à la qualité de pharmacien d'officine et c'est
l'impact de cette clause sur le fonctionnement du marché communautaire de produits cosmétiques que la
Commission évalue en second lieu.

Le système de sélection ainsi retenu se subdivise en deux éléments distincts, la qualité de diplômé en pharmacie,
d'une part, l'exploitation d'une officine, d'autre part. Or, si le premier élément constitue bien un critère objectif
définissant la qualification professionnelle du revendeur, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice, le
deuxième constitue en revanche un critère quantitatif aboutissant à limiter le nombre de revendeurs
sélectionnables, sans que la nature ou la qualité du produit distribué ne justifie une telle exigence. En effet, la
réglementation applicable à la fabrication et la mise sur le marché des produits cosmétiques suffit à assurer la
protection des consommateurs et le souci d'offrir aux clients les prestations d'une pharmacie officinale relève de la
stratégie commerciale de Vichy, non de nécessités découlant des propriétés du produit. En conséquence, l'exclusion
de toute autre forme de commercialisation est de nature à restreindre la concurrence.

Une analyse comparable avait déjà été faite par la Commission dans une décision du 14 décembre 1989 relative à
un contrat-type conclu entre l'Association pharmaceutique Belge (APB) et des fabricants de produits
parapharmaceutiques (JOCE L 18, 23 janv. 1990, p. 35). Par ce contrat, APB offrait de contrôler la conformité des
produits parapharmaceutiques et autorisait en conséquence les fabricants à y apposer son timbre ; en contrepartie,
ces derniers s'engageaient à distribuer lesdits produits par le seul circuit des pharmaciens d'officine. Cet
engagement d'exclusivité restreignait la liberté des producteurs d'organiser le mode de commercialisation de leurs
produits et limitait également la concurrence entre les pharmaciens et les autres distributeurs, il compromettait
donc la validité du contrat-type. A la suite de la communication des griefs de la Commission, APB acceptait d'en
modifier la portée en limitant l'exclusivité du circuit officinal aux seuls produits revêtus de son timbre, le
producteur ayant la possibilité de distribuer les mêmes produits, sans timbre, à travers d'autres réseaux de
commercialisation.

• S'agissant de l'article 85-3, la Commission réfute l'argumentation de Vichy en partant du principe selon lequel il
n'est pas question d'interdire la vente de ses produits cosmétiques en pharmacie mais d'ouvrir le système de
distribution à d'autres réseaux de commercialisation satisfaisant les critères objectifs de sélection imposés par le
laboratoire ; l'évaluation des bienfaits de l'accord notifié doit donc s'inscrire dans cette alternative entre exclusivité
et simple sélection. Dans un tel contexte, les conditions du paragraphe 3 ne peuvent être satisfaites puisqu'aucun
des avantages invoqués par Vichy n'est la suite causale directe de l'accord en cause - ils résultent de l'organisation
professionnelle des pharmacies d'officine - et que l'exclusivité n'est nullement indispensable pour en disposer ; en
outre, la concurrence intramarque risque d'être considérablement limitée par l'influence de la déontologie et de
l'éthique professionnelle des pharmaciens, si la commercialisation des produits Vichy se réalise entièrement à
travers le réseau officinal.

A l'issue de cet examen du système de distribution notifié par Vichy, la Commission condamne les accords
conférant le monopole de la commercialisation des produits cosmétiques aux pharmaciens d'officine comme
contraire à l'article 85-1. Elle corrobore ainsi l'analyse des juridictions françaises qui avaient condamné les réseaux
d'exclusivité officinale institués par les principaux fabricants français de dermopharmacie. Mais la décision
commentée n'est que provisoire ; la Commission réserve en effet sa position en ce qui concerne le réseau de
distribution sélective mis en place en France après cette condamnation et prépare l'adoption d'une décision
définitive sur l'ensemble du système. Il semble néanmoins qu'elle considère de prima facie ledit réseau comme
conforme aux exigences de l'article 85 et cherche surtout, par la décision commentée, à contraindre Vichy et sans
doute les autres producteurs, à ouvrir la commercialisation des cosmétiques à d'autres circuits que les pharmacies
d'officine.
Mots clés :
CONCURRENCE * Entente illicite * Distribution exclusive * Distribution sélective * Produit cosmétique *
Distribution en pharmacie

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