Vous êtes sur la page 1sur 99

Une

ARCHITECTURE DES
CARRIÈRES
Entre métamorphoses et dormance

Énoncé théorique du travail de master en architecture


Présenté par Florian Rochat
Sar, epfl, 2013.
Groupe de suivi : Luca Ortelli, Chrisitian Gilot, Alexandre Buttler
Expert : Stefano Zerbi
Cahiers

n0 1 : Éléments premiers pour une architecture des carrières

n0 2 : Histoire et territoire des carrières en Suisse

n0 3 : Principes et techniques d’extraction

n0 4 : Nature.s

n0 5 : Espace.s

n0 6 : Une architecture entre métamorphoses et dormance


Éléments premiers pour une
ARCHITECTURE DES
CARRIÈRES

Cahier n0 1
Remerciements
Ce travail n’aurait pas été possible sans les critiques de Luca Ortelli, Christian Gilot, Alexandre Buttler
et Stefano Zerbi que je remercie chaleureusement. Je remercie aussi Grégoire Testaz pour les précieuses
informations sur la géologie, Marion Beetschen pour son aide à l’élaboration de ce travail, ainsi que mes
amis et collègues d’études pour leur soutien.
Table des matières
Un regard 7

Carrière.s 12

Problématique 13

Éléments premiers pour une architecture des carrières 14


Pierre, matière et forme 16
Lignes, surfaces et volumes 18
Espace architectonique 20
Architecture 22

Archétypes 24
Une « collecte des origines » 24
Extraction: architecture d’un espace soustrait 26

Notes 34
Bibliographie 36
Un regard
Durant toute l’élaboration de ce travail, je suis allé à la recherche de ce
qui était n’était encore pour moi qu’une présence vague et fuyante, à la fois
sous des principes théoriques et sous les apparences d’un monde trop concret,
trop « plein de matière ». C’est donc en parcourant les carrières à la recherche
d’une lecture intermédiaire, portée sur l’un des « usage du monde »1 que sont
les carrières, que ce travail s’est orienté et structuré. Aux travers de nombreux
parcours, errances parfois, dans un territoire aux contours alors incertains, c’est
tenter d’observer simplement, de poser un regard sur l’architecture et la carrière
comme « la manifestation sensible du milieu, la réalité spatiale vue et ressentie,
[qui] naît lentement et péniblement de la réalité naturelle et géographique »2.

Carrières de la Molière.
7
Pierres, blocs, poussières
Partout les immenses façades
d’une Architecture
en devenir Disparaît
dans la végétation

La pierre Encore
tout autour

Titans d’un Monde


oublié perdu dans le Chaos
des commencements où
la terre se creuse
D’ombre et de lumière

Le bruit Les cris


des machines dans la Pierre
devenant matière et
Les mains lourdes
pesantes sur les Outils
donnent Forme

Carrières de Andeer Page suivante : Carrières de Krauchtal


Carrière.s Problématique
Le mot « carrière » décrit, pour l’objet qui nous intéresse ici, « le terrain d’où La construction des carrières concerne à plusieurs titres les architectes :
l’on extrait les pierres, le sable, etc., nécessaires à la construction »3. Il décline d’une part par les matériaux employés quotidiennement dans la construction
également deux autres significations : la première se rapporte au « terrain et d’autre part par les espaces considérables que ces prélèvements de matériaux
entouré de barrières et aménagé pour des courses de chars, des courses à pied, induisent sur le territoire. En occident, plus de 80 % des matériaux employés
[et] des passes d’armes »4 et décrit par métonymie l’« espace à parcourir dans dans la construction proviennent du sous-sol, extraits de carrières ou de mines,
une course »5 ; la seconde décrit, dans le génie militaire, « une distance qu’un générant par la même occasion des espaces considérables, le plus souvent à
cheval peut parcourir sans perdre haleine »6. l’étranger9. C’est l’un de ces espaces, la carrière de pierre de taille, que ce travail
Si, de nos jours, le mot décrit l’ensemble des types d’extractions de matières se propose d’explorer. Les problématiques qui y sont liées, auxquelles nous
minérales, y compris l’extraction minière, regroupant ainsi sous un seul tenterons de répondre, s’articulent autour de deux questions fondamentales :
nom marnières, ardoisières, ballastières, grésières, marbrières, glaisières et la carrière est-elle une architecture ? Dans ce cas, quelles relations spatiales la
autres gravières, son acception première se rapportait à l’extraction de pierre structurent ?
de construction. L’étymologie du mot « carrière » remonte aux mots latins Poser la question d’une architecture des carrières, c’est aussi se poser la
quadrus, qui sous-entend quadrus lapis, « pierre de taille », et cayre « pierre question des limites, à la fois de la discipline de l’architecture et de son rôle
carrée, moellons »7. C’est par métonymie que la quadrus, littéralement « carré », dans le monde contemporain, mais encore de celles, physiques et théoriques,
décrira la « carrière », alors qu’une seconde déclinaison donnera naissance à la de l’architecture elle-même. Bien que la portée de ce travail soit limitée et que
carraria ou via carraria, « chemin de chars »8. La « carrière » se définit donc, l’ampleur de la tâche portant à la définition de l’architecture ne peut être, je
selon son étymologie, par un concept géométrique abstrait, le « carré » du le crois, que le fruit d’une recherche théorique et pratique de toute une vie, je
quadrus, plus que par la pierre, lapis, et la matière elle-même. Ce n’est ensuite tenterai tout d’abord de poser une structure théorique en m’appuyant d’une
que par métonymie que le quadrus décrira le lieu d’extraction ou les chemins part sur quelques éléments premiers, préalable à l’exploration des archétypes
de chars. des carrières. Par la suite, une exploration plus approfondie des carrières en
Si l’anglais conserve avec quarry et cars la même étymologie, l’italien utilise Suisse, dans une perspective historique, naturelle et technique, permettra
le terme de cava pour parler de la « carrière ». Proche du français « cave », de comprendre les différents types et morphologie des carrières, dans leurs
à rapprocher de cavus et du grec kôos, « creux, caverne, prison », la cava est variations temporelles et spatiales. En guise de conclusion, le travail s’ouvrira
dérivée du latin cavus, « creux » ou « fossé » et définit un objet indépendant, sur les intentions du projet et une brève présentation du site.
dont les relations en « creux » au territoire semblent plus évidentes que les Le travail se structure autour de six cahiers et une annexe rassemblés dans
quadrus géométriques et immatériels. un coff ret. Non reliés entre-eux, ils fonctionnent comme un projet ouvert à des
Enfin l’allemand, plus pragmatique, définit la carrière par un mot composé : compléments, qui se développerons dans le projet à venir.
Steinbruch. Ici, le mot Stein, « pierre », s’associe du mot Bruch, « brèche, cassure »,
pour décrire cette fois un lieu. Steinbruch, comme une action, presque un verbe,
décrit donc le lieu d’action pour extraire la roche, la séparer de la masse à
laquelle elle appartient.
Au travers de cette brève recherche étymologique, ce sont trois regards de
la carrière que l’on met en avant, décrivant trois facettes d’un même objet : la
géométrie, le territoire et l’extraction.

12 13
Éléments premiers pour une architecture
des carrières
« On ne trouve pas l’espace, il faut toujours le construire »
Gaston Bachelard10

Poser la question d’une architecture des carrières, c’est poser la question d’une
définition, et donc des limites, à la fois de la discipline qu’est l’architecture et
de son rôle dans le monde contemporain, mais aussi des limites physiques
et théoriques de l’architecture elle-même. Comment aborder un thème aussi
vaste, dans un travail si limité, à la fois dans le temps et l’espace, sans tomber
dans les banalités, les évidences, les dogmatismes ou encore les généralités de
définitions exclusives, qui anéantiraient la présence physique et l’expérience de
l’œuvre architecturale ?
Le texte qui suit se propose d’explorer une architecture au travers de cette
matière qui lui donne corps, que ce soit dans la réalisation du projet ou déjà
au travers du papier et de l’ordinateur lors de l’élaboration de ce dernier. Un
questionnement donc sur les éléments d’une architecture des carrières, non pas
celle qui se construit à partir de cette dernière ou celle qui pourrait y prendre
place, mais bien l’architecture produite par l’extraction de la matière même.

Entrée des carrières des Baux-de-Provence.


Source: Pouillon, Fernand, Les Baux-de-Provence, Fernand Nobele, Paris, 1960, planche 1.

14 15
Pierre, matière et forme
La pierre est peut-être la première raison d’être de la carrière. Elle y est
omniprésente, écrasante, étouffante d’une poussière épaisse, portant les traces
d’un long dialogue entre une matière, difficilement gagnée sur la nature, et la
mise en forme des blocs, émergent lentement sous les outils des carriers. Entre
matière et forme, il y a donc une forme d’émergence, que clarifie Aristote à
travers une métaphore : un sculpteur dispose d’un bloc de marbre ; tant qu’il
ne l’a pas attaqué de ses ciseaux avec la volonté d’y inscrire une forme, le bloc
contient encore toutes les formes possibles d’un bloc de marbre. Il y a donc
d’une part le bloc de marbre prêt à contenir un grand nombre de formes, mais
pas toutes car sa matière ne les supporte pas toutes, et d’autre part la volonté du
sculpteur à vouloir inscrire une forme particulière, avec des outils particuliers.
La sculpture, une fois réalisée, se trouvera ainsi comme la détermination d’un
des possibles, articulé entre les possibles de la matière et la détermination de
la forme11.
La pierre de la carrière peut être ainsi définie comme l’émergence d’un
ensemble de possibles, desquels il faudra par la suite déterminer une forme ;
la carrière, quant à elle, peut être définie comme le lieu d’un premier passage,
d’une première détermination.

L’esclave des jardins Boboli, «Atlas», sculpture sur marbre de Michel Ange, 1519.
Source: La Sculpture - De la Renaissance au XXe siècle, Taschen, Paris, 1996.

16 17
Lignes, surfaces et volumes
De ce dialogue entre matière et forme se dessine, au sein de la carrière, de
nombreuses lignes et surfaces ainsi que de nombreux volumes. Lignes, surfaces
et volumes décrivent un système de falaises et de terrasses, affirmant la verticale
et l’horizontale dans une nouvelle géométrie. Prises dans leur ensemble, elles
définissent les dos des blocs arrachés à la masse rocheuse, en une composition
qui semble hésiter à laisser sa forme à la matière, et donner sa matière à la forme.
En les parcourant, on peut y lire, comme sur des esquisses, les gestes sûrs et
si longtemps répétés par les mains et le corps des carriers pour s’approprier la
matière, tout comme la résistance de cette dernière. Lignes, surfaces et volumes
constituent ainsi un ensemble permettant de saisir un premier rapport entre
le plein et le vide, entre le dedans et le dehors, prémisses à la définition d’un
espace. La carrière se détache ainsi des continuités environnantes pour établir
un lieu particulier dans des rapports qui lui son propres.

Lignes surfaces et volumes.

18 19
« Espace architectonique »
L’extraction de matériaux laisse un espace en creux, contenu dans un territoire
et une matière constellés de traces, qui sont autant de lignes, de surfaces et de
volumes distincts de leur environnement. L’espace de la carrière est ainsi tenu
entre les découpes pratiquées dans une matière qui n’avait jusqu’ici pas de
forme architecturale particulière. Si la matière extraite constitue les blocs et
donc les possibles d’une architecture à venir, la matière restante définit, elle,
l’espace de la carrière. En d’autres termes, l’espace de la carrière est constitué
de l’espace laissé entre ce qui, ailleurs, a pris forme et l’espace laissé entre ce qui
attend d’être extrait. En ce sens, l’espace de la carrière est le lieu d’articulations,
de passages de la matière et de l’espace d’un état à un autre, décrivant de
constantes métamorphoses.
Mais si cette observation permet d’établir un lien entre la matière, la forme
et l’espace, elle ne clarifie par encore en quoi cet espace est différent de l’espace
environnant et en quoi il se rapprocherait d’un espace en architecture.
Dom Hans Van Der Laan, architecte hollandais, traduit cette préoccupation
par la définition de ce qu’il appelle « l’espace architectonique »12. Définissant
deux conditions d’espace préalable, « celui horizontalement orienté de
notre expérience, et celui verticalement orienté de la Nature », il définit le
commencement de l’architecture « au moment où nous plaçons des murs «Espace architectonique».
verticaux sur la surface horizontale de la terre »13. Si l’architecture commence par
le mur, l’espace architectonique, « pour se différencier de l’espace environnant,
a besoin de deux murs, placés de telle sorte à ce qu’un nouvel espace soit défini
entre eux »14. Cet espace, formé par deux murs, n’est pas pour autant retranché
de l’espace immense et ouvert de la nature, mais vient s’y superposer, établissant
ainsi une relation intérieur-extérieur telle que « l’un et l’autre [des espaces
peuvent, dans une contraposition,] s’agrandir et se compléter tout en formant
en même temps un tout »15.

20 21
Architecture
À la lumière de cette définition, la carrière établit, par les éléments premiers
décrits ci-dessus, un système de plans définissant un espace. Cet espace revêt
cependant un caractère particulier : les plans qui le définissent ne sont pas
véritablement construits, au sens où il ne s’agit pas d’une addition d’éléments,
mais de parties coupées dans une masse plus grande. Si les murs décrits ci-dessus
par Van der Laan sont construits, ayant deux faces définissant et reliant deux
espaces, les plans de la carrière n’ont, quant à eux, qu’une seule face articulant,
dans un rapport d’asymétrie, la matière d’un côté et l’espace de l’autre. Ces
murs, à la fois aussi profonds que les montagnes et aussi fins que leur surface
marquée par l’extraction, appartiennent à la fois à la matière et à l’espace qu’ils
définissent. Leur structure évoque ainsi un langage de l’extraction, en miroir de
l’espace architectonique.
La carrière peut donc être définie comme une architecture particulière en ce
sens que, par un système de lignes, de surfaces et de volume laissés dans la matière
par l’extraction et qui constituent un système spatial, elle évoque l’architecture
qui sera par la suite construite avec les matériaux extraits. C’est donc d’une part
l’appropriation de la matière et d’autre part la capacité d’évocation d’un espace
architectonique qui caractérisent l’architecture des carrières.

Adolphe Appia, Prométhée. L’atelier détruit., 1910.


Source : Berne collections suisse du théâtre. Publié dans : Gubler, Jacques, Adolphe Appia ou le renouveau de
l’esthétique théâtrale. Dessins et esquisses de decors., éditions Payot, Lausanne, 1992, p. 80.
22 23
Archétypes
Le texte qui suit observera, au vu des éléments qui viennent d’être posé,
deux moyens d’appropriation de la matière, comme deux des archétypes d’une
architecture des carrières : la collecte et l’extraction.
Si le premier de ses deux archétypes ne sera pas développé plus loin
dans ce travail, il établit certaines règles qui nous semblent fondamentales
à la construction d’une théorie architecturale sur les carrières. La collecte se
caractérise par le ramassage d’objet « trouvés » qui seront intégrés à un bâtiment,
alors que l’extraction, elle, se caractérise par fabrication d’une matière.

Une « collecte des origines »


Le ramassage de pierres décrit une sorte de « collecte des origines » – pour
reprendre les termes de Jean-Pierre Adam16 – , dans laquelle les pierres sont
« trouvées » à même le sol, dans les champs, les pierriers et les rivières, mais Cairn, marqueur d’un chemin.
aussi dans des architectures abandonnées ou en ruine. Ainsi, aussi simple soit- Source: Chollier, Alexandre, Autour du cairn, édition Héros-Limites, Genève, 2009, p.175.
elle, cette « collecte des origines » structure déjà un espace décrivant l’un des
archétype possible de la carrière et de l’architecture.
Dans les pierriers, le long des chemins, des pierres, organisées en piles parfois
appelées « cairn »17, fixent les points de repère de cheminements parcourant et
structurant un territoire. Dans toute leur fragilité, ces constructions assemblées
de pierres trouvées à même le sol, libèrent tout au tour une aire fragile, un
espace diffus ou l’absence de pierre indique la présence et l’action humaine,
articulant ainsi une centralité et une périphérie. Cette sorte de degré zéro
de l’architecture contrapose donc l’horizontalité du sol à la verticalité de la
construction, la surface dégagée à la masse bâtie, la carrière à l’architecture.
La construction des murs, pour établir une frontière, un champ, renverse
les rapports spatiaux posés par le cairn. L’aire dégagée occupe maintenant la
centralité, alors que les murs la définissent en périphérie. L’aire libérée, formant
un locus inclusus encore fragile mais retranché du reste du territoire, peut dès
lors être travaillée et utilisée pour l’agriculture ou l’élevage.
Encore instables et fragiles, parfois à peine perceptibles, le cairn et les champs
ne décrivent pas des objets finis, mais sont les parties prenantes d’un véritable
processus, demandant une attention constante à cette relation précaire entre
matière, architecture et territoire.

Mur en pierre sèche délimitant des champs dans le Jura.


Source: www.patrimoine.vd.ch
24 25
Extraction : architecture d’un espace soustrait
Souvent en parallèle de la « collecte des origines » et de la fondation utilisée
comme carrière, dont nous ne pouvons aujourd’hui que mesurer l’éloignement
avec les pratiques contemporaines, des carrières se sont développées selon
d’autres modes de prélèvement de la matière : l’extraction. Cette dernière ne se
contente plus de « ramasser » une pierre, mais retranche d’une masse rocheuse
« une pierre à bâtir dont on peut discipliner la forme au gré des besoins ou
modes »18, produisant par là même un « espace creux », proche du cavus latin
qui a donné en Italie l’origine du mot cava, carrière. Cet « espace creux »
entretient un double rapport avec l’architecture, devenant soit partie prenante
d’une architecture sous forme de fondation, soit architecture à part.
Dans l’Antiquité grecque et romaine, les espaces creux générés par les
carrières ont souvent été utilisés pour asseoir les bâtiments. La carrière peut
ainsi se faire socle ou cave d’un bâtiment, définissant le lieu de fondation de Tribune de la Pnyx à Athènes.
l’architecture. Autant les architectures vernaculaires que savantes semblent Source: Benevolo, Leonardo, Histoire de la ville, éditions Parenthèses, Paris, 1983, [1975], p. 51.
avoir exploré et exploité ce rapport entre la matière produite par la fondation et
le bâtiment lui-même. Les architectures de l’Antiquité grecque principalement,
peut-être par nécessité ou par opportunisme, semblent avoir particulièrement
bien su tirer profit de ce mode d’extraction, en exploitant des roches proches
des grandes constructions et parfois intégrant la carrière à l’architecture
même19. À titre d’exemple, la tribune du Pnyx à Athènes, ou encore les temples
d’Apollon puis d’Athéna à Karthaia, en Grèce, ont ainsi un socle taillé dans la
roche, alors que l’espace alentour est abaissé, de façon à fournir une partie des
matériaux nécessaires à l’élévation des temples. De nombreux théâtres de la
même époque sont également « construits » de cette manière, parfois avec les
marches directement taillées dans la roche, comme le théâtre d’Argos.
Dans les villes, ces carrières comme fondation ont parfois produit des espaces
considérables, participant soit en surface soit en souterrain à l’espace urbain.
En surface, ces carrières ont souvent été utilisées comme plans de fondations
disparaissant ainsi de l’espace urbain. Certaines architectures ont en revanche
thématisé la carrière, notamment par leur intégration à des jardins. Le
palais Pitti, à Florence, est à ce titre exemplaire. Les carrières employées à la
construction du palais ont été récupérées, à la fin du chantier, pour fabriquer
le jardin. Ainsi le grand Amphithéâtre qui articule le palais au jardin, est, tout
comme la grotte comme un théâtre en plein air, les grottes de Buontalenti,
partie d’une ancienne carrière.

Palais Pitti avec les jardin en second plan.


Source: Peinture du Giusto Utens, 1599. Museo di Firenze Com’era, www.museicivicifiorentini.it.
26 27
Dans les villes, ces « carrières-fondations » se sont parfois prolongées sous
terre, devenant de véritables mondes souterrains. « La ville a le vide au-dessous
d’elle, c’est son appui. À notre masse du dessus correspond autant d’ombre. C’est
elle qui porte le corps de la ville »20, écrit Erri de Luca à propos de Naples.
Tout comme Naples, les villes de Paris, Rome ou Syracuse, pour ne citer
que les plus célèbres, ont développé des systèmes de carrières souterraines,
fournissant de nombreux matériaux de construction aussi bien que des espaces
plus ou moins utilisés selon les époques et les cultures. Ces villes ont en commun
un sous-sol de roche tendre, sédimentaire ou volcanique, facile à creuser avec
des outils rudimentaires pouvant se limiter à des piques et des scies. Il en
résulte souvent des espaces labyrinthiques, creusés dans une géométrie simple
mais déclinée dans d’innombrables variations.

Les Latomies de Syracuse.


Source: Karl Friedrich Schinkel, Latomien, alte Steinbrüche bei Syracusa, gravure sur cuivre, 1804. Staatliche
Museen zu Berlin.

non plus sous la ville, mais au coeur du processus urbain. L’espace de la carrière
devient une partie importante de l’espace de la ville, en parallèle duquel vont
se construire bâtiments publics et infrastructures avec les matériaux excavés22.
À Lalibela aussi bien qu’à Petra, les ordres de l’architecture classique sont
directement sculptés dans la masse rocheuse qui met en abîme un processus de
construction pétrifié dans la pierre.

Naples, Carrière de Tuf de Posillipo, Naples.


Source: Fiore, Vittorio, Il verde et la roccia, sul recupero della Latomia dei Cappuccini in Siracusa, Edizioni
della Meridiana, Milan, 2009, p. 244.

Syracuse illustre peut-être mieux que tout autre, avec ses gigantesques carrières
exploitées au cœur de la ville pendant plus de 2000 ans, ce rapport complexe
entre ville et carrière. À la fois souterraines et à ciel ouvert, les carrières de
Syracuse, appelées les Latomies, furent utilisées aussi bien en tant que prison et
carrière, que couvent, terrains agricoles, jardins ou encore décharges, décrivant
un organisme urbain tout à fait singulier, à la fois structurant et structuré au
cours du temps par le tissu urbain de Syracuse21.
Certaines villes, parmi lesquelles Petra en Jordanie ou Lalibela en Éthiopie, Carrière de Cusa, Sélinonte, Sicile.
se sont établies dans les masses rocheuses mêmes, plaçant cette fois l’excavation, Source: Phillipson, David, Ancient Churches of Ethiopia, Yale University Press, Yale, 2009, p. 151.
28 29
La recherche de matériaux de meilleure qualité a parfois concouru, Les carrières de Carrare, situées dans les Alpes apuanes, exploitant des
parallèlement à l’extraction et l’utilisation de la carrière comme fondation, gisements de marbre apparemment sans limites et d’une qualité réputée
à la l’ouverture de carrière indépendante du lieux d’édification. Désormais extraordinaire, sont sans doute l’une des manifestations les plus complexes
uniquement dédiées à l’extraction de pierre, les carrières deviennent des espaces de cette articulation entre la carrière et son contexte particulier. Exploitées
à part entière, où se développeront des méthodes et techniques d’extraction de façon continue depuis presque 2000 ans, les carrières de Carrare se sont
spécifiques. L’architecture des carrières suit dès lors ses propres règles entre : développées en une architecture des carrières sans précédent jusqu’au 20e
la matière, la technique et les éléments d’architecture à extraire. Parallèlement, siècle. Autant par leur taille que les multiples variations de leur morphologie,
l’architecture est libérée des contraintes liées à l’emploi des matériaux locaux. elles articulent un espace entre la géologie et la géométrie des parois verticales
Cette autonomie de la carrière, et d’une certaine manière de l’architecture aussi, et des terrasses, formant gradins, tunnels, galeries et chambres souterraines.
a pour corollaire la construction d’une distance qui demande d’importantes L’exploitation en blocs souvent de grandes dimensions, qui étaient jusqu’au
infrastructures autant politiques, économiques, et technologiques, que de début du 20e siècle transportés par des luges en bois et des chars jusqu’au port,
transport23. à structurer un ensemble de terrasses reliées par des rampes.
En tant qu’objet autonome, la carrière peut se spécialiser dans la fabrication Si l’extraction de « blocs » de marbre caractérise les carrières de Carrare,
d’un ou plusieurs matériaux, sous forme de pierres de construction, voire d’éléments certaines carrières se caractérisent par l’extraction d’autres formes, comme des
d’architecture. Chaque carrière ainsi « spécialisée » développera une forme, une meules, des bornes ou alors des colonnes. La carrière de Cusa, à Sélinonte en
structure ainsi qu’un espace particulier, évoluant dans le temps, et qui sont Sicile, a extrait d’immenses tambours pour les colonnes des temples et villes
liés à la fois à la nature pétrographique de la roche, à la morphologie naturelle antiques de Sélinonte et Syracuse. Les tambours, creusés à la verticale sur une
préalable au site d’extraction, aux technologies et savoirs-faire disponibles, hauteur allant jusqu’à trois mètres, pesaient un poids considérable, nécessitant
aux moyens de transport et infrastructures, ainsi bien sûr qu’aux matériaux la mise en place d’une exploitation se développant horizontalement de manière
de construction souhaités. L’architecture d’une carrière particulière répondra à pouvoir faire, par la suite, rouler les tambours jusqu’aux chantiers. De plus,
ainsi à la fois d’une logique interne propre à ce qui y est extrait et d’un contexte la forme des tambours a laissé les marques très visibles d’une matière encore
particulier. émergeante.

Saverio, Salvioni, dessin des carrières de Carrare. Carrière de Cusa, Sélinonte, Sicile.
Source : Julien, Pascal, Marbres de carrières en palais, édition le bec en l’air, 2006, p. 136. Source: Siza, Alvaro, Esquissos de viagem/Travel sketches, Documentos de Arquitectura, Porto, 1988, p. 32.
30 31
Page suivante : L’Idole.
Image du tournage du film Le testament d’Orphée, de Jean Cocteau, aux Beaux-de-Provence.
Source : Photographie de Jean Clergue, 1959. www.anneclergue.fr
32 33
Notes Bibliographie
ADAM, Jean-Pierre, La construction romaine, A. et J. Picard, Paris, 1984.
1 Bouvier; Nicolas, L’usage du monde, Payot, Paris, 1992.
2 Turri, Eugenio, Antropologia del pasaggio, Edizioni du Communità, Milan, 1983, p. 51. Cité par
ADAM, Jean-Pierre, L’archietcture grecque. 1. Les principes de la construction, A.
Camporesi, Piero, Les belles contrées, Gallimard, Paris, , 1995, [traduit de l’italien par Brigitte Pérol, et J. Picard, Paris, 2002.
1992], p. 12.
BACHELARD, Georges, Le nouvel esprit scientifique, PUF, Paris, 1983.
3 Rey, E., Dictionnaire étymologique de la langue française, Le Robert, Paris, 1992, p. 355.
4 Ibid. BABLET, Denis ; et al., Adolphe Appia : 1862-1928 : acteur, espace, lumière, Pro
5 Ibid. Helvetia, Zürich, 1981.
6 Ibid. BENEVOLO, Leonardo, Histoire de la ville, éditions Parenthèses, Paris, 1983,
7 Ibid. [1975].
8 Ibid.
9 Office Fédéral des Statistiques (www.bfs.admin.ch).
CAMPORESI, Piero, Les belles contrées, Gallimard, Paris, , 1995, [traduit de
10 Bachelard, Georges, Le nouvel esprit scientifique, PUF, Paris, 1983. l’italien par Brigitte Pérol, 1992].
11 Hersch, Jeanne, L’étonnement philosophique, Gallimard, Paris, 1981, p. 59. CHOLLIER, Alexandre, Autour du cairn, Héros-Limites édition, Genève,
12 Van Der Laan, Dom Hans, Der Architektonische Raum, E. J. Brill, leiden, 1992, 42. 2009.
13 Ibid., p. 6.
FIORE, Vittorio, Il verde et la roccia, sul recupero della Latomia dei Cappuccini
14 Ibid., p. 12. « Um jedoch ein Stück Raum vom Großen abzutrennen, wird eine zweite Wand
benötigt, die sich so zur ersten verhält, daß ein neuer Raum zwischen den beiden entsteht ». in Siracusa, Edizioni della Meridiana, Milan, 2009.
15 Ibid., p. 13. « Die beiden Raumbilder können so aufeinander abgestimmt weren, daß sie sich Gubler, Jacques, Adolphe Appia ou le renouveau de l’esthétique théâtrale. Dessins
wechselseitig voll ergänzen und gleichsam ein Ganzes bilden ». et esquisses de decors, éditions Payot, Lausanne, 1992.
16 Adam, Jean-Pierre, La construction romaine, A. et J. Picard, Paris, 1984, p. 23.
17 Voir à ce sujet : Chollier, Alexandre, Autour du cairn, Héros-Limites édition, Genève, 2009.
HERSCH, Jeanne, L’étonnement philosophique, Gallimard, Paris, 1981.
18 Adam, Jean-Pierre, La construction romaine, A. et J. Picard, Paris, 1984, p. 23. JULIEN, Pascal, Marbres de carrières en palais, édition le bec en l’air, 2006.
19 Adam, Jean-Pierre, L’archietcture grecque. 1. Les principes de la construction, A. et J. Picard, Paris, PHILLIPSON, David, Ancient Churches of Ethiopia, Yale University Press,
2002, p. 74.
Yale, 2009.
20 Erri de Luca, Le jour avant le bonheur, Gallimard, 2010 (traduit de l’italien), p. 15.
21 Fiore, Vittorio, Il verde et la roccia, sul recupero della Latomia dei Cappuccini in Siracusa, Edizioni della REY, E., Dictionnaire étymologique de la langue française, Le Robert, Paris,
Meridiana, Milan, 2009, p. 51-60. 1992.
22 Phillipson, David, Ancient Churches of Ethiopia, Yale University Press, Yale, 2009, p. 87.
SIZA, Alvaro ; et al., Esquissos de viagem/Travel sketches, Documentos de
23 Développements dans le Cahier n0 2.
Arquitectura, Porto, 1988.
VAN DER LAAN, Dom Hans, Der Architektonische Raum, E. J. Brill, leiden,
1992.

ARCHIVES DU CANTON DE VAUD : www.patrimoine.vd.ch.


MUSEO DI FIRENZE COM’ERA : www.museicivicifiorentini.it.
BIBLIOTHÈQUE DE L’UNIVERSITÉ CALVIN, Genève : http//:library.
calvin.edu.

34 35
HISTOIRE ET TERRITOIRE
des carrières en Suisse

Cahier n0 2
«O land, you who bring everything back to yourself, as the ultimate measure. You
are truly the modulus that enters into each thing. You have moulded the city and the
forms of government. You have conducted the sounds of language. You have defined
the arts of the word and the figure ».
Dimitris Pikionis1
Table des matières
Histoire d’un territoire 6

Distribution territoriale des carrières en Suisse 16

Entre artisanat et industrie 20

Notes 24

Bibliographie 26
Histoire d’un territoire
Depuis l’Antiquité grecque au moins, l’exploitation des carrières a fabriqué
ce qui pourrait se dénommer un territoire de l’extraction. Cette exploitation a
souvent su tirer parti des espaces ainsi gagnés à la nature pour acquérir des
matériaux permettant de repousser, d’une certaine manière, les conditions
humaines à la fois limitées dans l’espace et le temps.
Bien que les traces écrites révélant l’existence de carrières dans l’Antiquité
soient rares, voire inexistantes, les bâtiments et les carrières, qui ont perduré
jusqu’à nos jours, révèlent une maîtrise de la pierre et des technologies relatives
à l’extraction, à la taille, au transport ainsi qu’à la mise en œuvre.
L’extraction se faisait à l’aide d’outils simples qui sont pour la plupart encore
utilisés de nos jours : pics de carriers ou smilles, têtu-pics, escoudes, leviers,
masses et coins en bois ou métalliques. Dans les carrières les plus simples,
les affleurements des bancs étaient simplement décapés horizontalement à
l’aide d’un levier forcé dans les fissures ou les « diaclases2 naturelles3 ». « Par la
suite, c’est le principe du front de taille qui va s’imposer avec plusieurs modes
d’attaque :
- des blocs carrés où le plus souvent rectangulaires sont définis par
creusement au pic léger de tranches d’extraction, qui sont des fossés
plus ou moins larges, sur trois côtés et si possible le long des lits de
carrière ; sur un autre côté du bloc, des emboîtures régulièrement
espacées désignent l’emplacement de coins qui seront encastrés à coups
synchronisées de masse pour provoquer la rupture du bloc […],
- le système des cavités préparatoires alignées prévaut pour la taille en
gradins, à partir du haut ou du bas. […] Dans ce cas, au moins deux des
faces du bloc étant déjà dégagées par l’enlèvement du bloc précédent, il
se trouve fissuré par la rainure puis détaché par une forte pression aux
angles ;
- monolithes et taillées en tambours, les colonnes sont progressivement
dégagées en position verticales par une galerie circulaire où s’introduit
le carrier [souvent un enfant pour limiter la taille de la galerie]. Pour
finir, la base est à son tour entaillée en creusant une ligne de rupture.
Aux temps romains, les fûts seront extraits de préférence en position
couchées […] »4.

Les blocs, une fois détachés des bancs rocheux, étaient retaillés sur place ou
découpés, avant d’être transporté vers les ateliers. Le transport se faisait à l’aide
de treuils, de traîneaux en bois, de chariots, de bateaux ou encore de machines
de transport telles celles de Chersiphron de Métagénès5.

Saverio, Salvioni, dessin des carrières de Carrare.


Source : Julien, Pascal, Marbres de carrières en palais, édition le bec en l’air, 2006, p. 136.
6 7
Les carrières étaient situées généralement à proximité du site de l’édification,
et ceci « même si la qualité du matériau laissait à désirer » et « pouvait
contraindre les constructeurs à adopter certaines pratiques architecturales »6,
comme la réduction des cannelures des colonnes ou l’ajout d’un enduit afin de
préserver les pierres. L’édification de sanctuaires nécessitait cependant parfois
des pierres d’excellente qualité, qui ne se trouvaient pas à proximité du site.
Dans de tels cas, les pierres devaient provenir de carrières plus lointaines situées
en bord de mer pour en faciliter le transport, appartenant dans la plupart des
cas aux différents États7. Ainsi se construit dans l’Antiquité grecque, puis
romaine, un territoire de l’extraction, composé d’une part de carrières ouvertes
temporairement et parfois intégrées aux bâtiments et aux villes, et d’autre part
de carrières exploitant des pierres de meilleurs qualité sur de plus longues
périodes, souvent éloignées des lieux de construction8. Cette structuration
entre carrières courantes et exploitées de façon temporaire et ne demandant
que peu de moyens et de savoirs-faire techniques, et carrières produisant des
pierres d’exceptions, parcourra dès lors toute l’histoire des carrières, dans une
certaine mesure jusqu’à nos jours.
Les Grecques et les Romains de l’Antiquité, poursuivant l’exploitation Principales villes gallo-romaines sur le territoire suisse actuel.
Source : Freudiger, Sebastien, Le temps des Romains (La Suisse du Paléolithique à l’aube du Moyen-Age, vol. 5
parallèle de ces deux types de carrières, ont étendu et diversifié les roches Epoque romaine), Infolio, Bâle, 2002, p. 19, fig. 8.
exploitées et la capacité de les transporter à tout le pourtour de la Méditerranée.
Le développement d’un réseau de transport à la fois terrestre, fluvial et
maritime, a permis l’utilisation à Rome et dans le reste de l’Italie, de marbre Les carrières, des territoires de l’Antiquité gallo-romaine aujourd’hui
venu de Tunisie, de Grèce ou encore d’Egypte9. circonscrits par la Suisse exploitaient majoritairement des grès, des calcaires
coquillés ou encore des travertins, pour les villes romaines se concentrant
principalement sur le Plateau suisse. Les roches cristallines, comme les gneiss
ou granites, inexistantes sur le Plateau – à l’exception des blocs erratiques–,
étaient réservées à quelques éléments d’architecture particuliers, comme les
meules, les bornes cadastrales ou encore les sarcophages10. Les carrières les plus
importantes se trouvaient ainsi à proximités des anciennes colonies romaines de
Vindonissa (Windisch), Augusta Raurica (Augst) et de Aventicum (Avenches),
à Leuzingen, Dittingen, Würenlos ou encore à La Lance. Cette dernière,
proche de Concise fait exception, puisque les roches étaient transportées à
travers le lac de Neuchâtel sur une cinquantaine de kilomètres11.
Des marbres, importés de Grèce ou d’Italie, témoignent des échanges
commerciaux importants qui ont pu avoir lieu à cette époque, tout comme
de la qualité des infrastructures nécessaires à de tels transports, contrastant
d’autant plus avec les utilisations limitées, locales et parcimonieuses des pierres
de construction qui aura cours au Moyen Age12.

Saverio, Salvioni, dessin des carrières de Carrare.


Source : Julien, Pascal, Marbres de carrières en palais, édition le bec en l’air, 2006, p. 152.
8 9
Au Moyen Age en Suisse, alors que les technologies et infrastructures héritées
des Romains ont presque complètement disparu, l’exploitation de carrières de
roches dures a presque totalement disparu, à l’exception de certaines carrières
fournissant principalement des meules de moulins, dont les plus connues sont
celles de La Molière, d’Ins, de Brüttelen, de Schnottwil, de Würenlos et de
Mels13. Les carrières sont alors exploitées avec des techniques d’extractions
rudimentaires, consistant principalement au simple délitement des pierres
avec un levier ou l’extraction au pic, à proximité immédiates des chantiers.
Les carrières sont de plus liées à la construction d’un édifice ou d’un bourg
en particulier, voyant l’exploitation de carrières de roches particulière presque
totalement disparaître. Elles forment alors souvent les caves et les fondations
des bâtiments, ou encore les douves d’un bourg. Les pierres ainsi extraites sont
souvent assemblées à d’autres « pierres trouvées »14 soit récupérées sur des
édifices plus anciens, soit ramassées dans les moraines ou rivières avoisinant
le chantier. Ces modes d’extraction se poursuivent jusqu’au au Haut Moyen
Age, et dans certaines régions bien au-delà, sous une forme d’autochtonie
architecturale15.
Ce n’est que vers le début du 12e siècle, avec l’ouvertures de grands chantiers
pour les édifices religieux et « l’obligation donnée par [certaines] administrations
communales de l’époque de réduire les risques d’incendies dans les centres des
villes »16 par la construction de murs coupe-feu, que de grandes carrières vont
à nouveau être ouverte sous l’impulsion de la noblesse et du clergé. Limitées
cependant à s’installer à proximités des grandes villes à cause de moyens et
d’infrastructures de transports encore limités, dont la seule exception est le
transport fluvial et surtout lacustre – région lémanique, de Zürich-Obersee,
Rorschach-Bodensee-Schaffhouse –, elles exploitent alors principalement les
grès de la mollasse du Plateau17. La grande majorité de ces carrières, situées à
proximité immédiate des Cités et des Bourgs, a aujourd’hui presque totalement
disparu sous les agrandissements urbains successifs.
En parallèle des développements architecturaux de la Renaissance, en Italie,
puis dans le reste de l’Europe dès les 16e et surtout 17e siècles, l’extraction
de pierre de taille, de revêtement et de décoration, est fortement appelée a
augmenter18. Les marbres, dont principalement les « marbres noirs », et les
calcaires furent les plus demandés, avant la recherche de pierres polychromes
exploitées, dès le 17e siècle, dans le Chablais, la vallée du Rhône, à Grindelwald
ou encore dans les brèches d’Arzo au Tessin19 et mises en œuvre principalement
dans les cantons catholiques.
Depuis la Renaissance, de nombreux traités d’architecture, de géologie et
de minéralogie relatent, dans la continuité de ceux de l’Antiquité Romaine,
en Italie, puis en France et en Angleterre, la recherche de matériaux et de
minéraux dans les sous-sols, décrivent parfois de véritables épopées. Piero
Camporesi, dans son ouvrage Les belles contrées, décrit cette recherche, menée
par des « praticiens investigateurs », comme « la pratique des signes gravés par Carrière du Cloître de Schönau.
Dessin du 16e siècle. Source : Museum Nürnberg, www.museen.nuernberg.de.
10 11
la bienveillance de la nature »20. La terre est ainsi perçue et représentée dans de
nombreuses peintures comme une visualisation « scientifique » de nombreux
fragments de « pays », comme le montrent certains tableaux de Piero de la
Francesca ou encore d’Andrea Mantegna21.
Cherchant à expliquer la présence et l’existence des roches, de nombreuses
croyances magiques, peut-être en partie héritées du Moyen Âge, complètent
encore une vision scientifique de plus en plus dominante22. Le territoire de
l’extraction est encore le sujet et le support de maintes légendes sur la régénération
des veines de roches et de minéraux, décrivant la terre comme un organisme
vivant, quasi divin. Parfois représentés en une arborescence souterraine, les
gisements sont capables de se reconstituer au fur et à mesure des extractions23.
« Le corps vivant de la nature », auquel les hommes pratiquent « une saignée
perpétuelle des veines les plus secrètes »24, sera l’objet de maints débats à la fois
pour et contre l’exploitation des roches et minerais. Pour Athanase Kircher,
dans son ouvrage Mundus Subterraneus [...] (1678), l’« Inaccessa Naturae
Latibula »25 est mis à mal par l’extraction et l’exploitation des roches et des
minéraux.
Les carrières de la Renaissance sont ainsi le fruit d’un travail à la fois
scientifique et empirique, tout comme d’un imaginaire fantastique, tel que
décrit par Kircher ou Agricola, non pas nostalgique, comme il peut l’être parfois
aujourd’hui, mais ouvert sur les inconnus de nos existences.
Le retour à une architecture classique, dès le 18e et surtout 19e siècle,
puis l’industrialisation et les besoins de la Confédération26 et des Cantons
en matière de bâtiments et d’infrastructure, vont marquer un âge d’or pour
le développement des carrières qui ne s’arrêtera qu’avec la première guerre
mondiale et le crash boursier de 192927. Les nouvelles infrastructures routières
puis ferroviaires et les bâtiments publics de la Confédération et des Cantons
ont grandement participé à définir les emplacements parfois encore actuels des
carrières.
Si en Suisse jusqu’au milieu du 19e siècle le transport de pierres se fait
essentiellement par chariots et par bateaux, la construction des premières
lignes de chemin de fer voit le développement de nombreuses carrières tout
au long de son parcours. Le train et les infrastructures qui l’accompagnent
deviennent, dès 186028, l’un des plus grands consommateurs de pierre de
taille, notamment avec la construction de la ligne du Gothard, terminée en
188229, qui, en reliant Luzerne à Chiasso, permettait de relier pour la première
fois par voie ferroviaire le sud et le nord de l’Europe à travers la Suisse. « La
construction de la ligne du Gothard a ainsi nécessité environ 502’280 m3 de
pierre de taille, provenant pour la plupart des cas des carrières situées [de part
et d’autres] du St. Gothard »30. Le Tunnel du Simplon, construit entre 1889
en 190631, reliant Brigue à Domodossola en Italie, renforça encore la première
ligne du St. Gothard.
Andrea Mantegna, La madone de la carrière, 1489.
Galerie des Offices, Florence, www.polomuseale.firenze.it.
12 13
De nombreuses carrières sont alors ouvertes le long de la ligne du St. utilisé aussi bien à Paris pour certaines parties de l’Opéra de Charles Garnier
Gothard et du Simplon pour exploiter, dans le Chablais vaudois, les calcaires qu’à Londres pour la construction du British Museum32, que l’importation de
très durs du Jura Helvétique, et dans la vallée du Rhône et le Val Levantine, les nombreuses pierres, dont les marbres de Carrare.
gneiss et granites – voir carte page 18. L’ouverture de ces deux lignes de chemin Comme mentionné précédemment, « le déclin de l’utilisation de la pierre
de fer a ouvert de nouvelles perspectives commerciales permettant aussi bien naturelle dans les constructions commença avec la première guerre mondiale »33,
l’exportation de nombreux marbres alpins, comme le marbre cipolin de Saillons pour se prolonger, soutenu par le crash boursier de 1929, jusqu’à la deuxième
guerre mondiale où la pierre remplaça, pendant le temps des rationnements de
charbon, les matériaux désormais inévitables : les briques et surtout le béton
armé. Depuis l’après-guerre, de nombreuses carrières de pierre de tailles ne
furent plus utilisées que comme carrières d’agrégats et de ballast.
Au cours de l’histoire, les carrières ont été de nombreuses fois ouvertes, puis
fermées et à nouveau ré-exploitées par la suite, selon des cycles plus ou moins
longs. L’exploitation d’une carrière pouvait s’entrecouper de pause, de manière
à ce que l’abandon d’une carrière n’était que rarement définitif, ou alors causé
par l’épuisement des pierres de qualité, et s’inscrivait plutôt comme une longue
période de repos avant une nouvelle exploitation.

Barque dans la rade de Genève, vers 1880.


Source: Auteur inconnu, www.patrimoine.vd.ch.

Carrières des Andonces, St. Triphon, vers 1900.


Source: Auteur inconnu, www.patrimoine.vd.ch.
14 15
Distribution territoriale des carrières de pierre
de taille en Suisse
Aujourd’hui, les carrières de pierre de taille se retrouvent dans les trois régions
principales de la Suisse, exploitant les trois groupes de roches principales et
caractéristiques de la géomorphologie suisse : les gneiss du massif alpin, les
grès de la mollasse et les calcaires du Plateau et enfin les calcaires du Jura. Le
massif alpin, avec l’exploitation des gneiss, compte le plus grand nombre de
carrières, concentrées principalement au Tessin et aux Grisons, dans le Val
Levantina – voir double page suivante.
Les carrières du Plateau se regroupent principalement autour des centres
urbains de Fribourg, Berne et le lac de Zürich et de Constance. Les roches qui
y sont extraites servent en majorité pour la rénovation de ces mêmes villes.
Le Jura, quant à lui, ne compte plus que deux carrières encore en activité, à
Neuchâtel et de Laufen.
Si historiquement les carrières se sont toujours développées en des lieux
facilitant les transports, que ce soit par voie fluviale, lacustre ou terrestre, Carte du réseau ferroviaire national.
ce critère est devenu, avec le développement d’un réseau routier sur tout le
territoire, moins prépondérant aujourd’hui. Cependant, la concentration
des exploitations de grande taille, ouverte au début du 20e siècle, le long des
principaux tracés ferroviaires datant du 19e siècle, dans les vallées alpines,
structure encore aujourd’hui la répartition des carrières sur le territoire. Ceci
bien que le transport ferroviaire, autrefois l’un des principaux motifs de leur
Carte du réseau routier. Autoroutes et routes nationales.
installation, ait été largement remplacé par le transport par camions.

16 17
Principales régions géologiques et position des carrières.
Distribution des carrières selon Niggli, 1915. Carte composée d’après : De Quervain, François, Die nutzbaren Gesteine der Schweiz, Kümmerly & Frey,
Source : Niggli, Peter, « Die natürlichen Bausteine und Dachschiefer der Schweiz », In: «Beitrage zur Bern, 1969, p. 120 ; Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011,
Geologie der Schweiz», geotechnische Serie V», Francke, Bern, 1915, p. 221. p. 60.
18 19
Une économie entre industrie et artisanat mise en œuvre en tant qu’entreprise de construction, stockages de matériaux et
décharges. Si cette diversité de produits extraits de la carrière et de l’utilisation
de son espace correspond souvent à des besoins économiques, les carriers
En Suisse en 2006, presque 80% des matières premières consommées semblent avoir depuis l’Antiquité su tirer parti de toutes les pierres produites
par années sont extraites du sous-sol, dont 45% proviennent de l’étranger34, lors de l’extraction.
constituant inévitablement un territoire et des espaces considérables pour la Les entreprises d’extraction de pierre de taille peuvent êtres distinguées
plupart cachés, ou au mieux délaissés. Les matériaux minéraux, ne comprenant en deux groupes41 : celles d’une taille suffisante et largement industrialisée
ni les matériaux fossiles ni les métaux, constituent à eux seuls 50% des matières et diversifiée, permettant de rivaliser avec une concurrence européenne, voir
premières extraites en Suisse, dont presque 90% se composent de sables, mondiale, et celles presque artisanales, employant moins de dix employés, mais
graviers et ciment réservés à la construction. L’extraction de pierre de taille produisant une pierre recherchée utilisée en grande partie pour la rénovation.
ne représente quant à elle que 1% de l’extraction des matériaux minéraux en Les premier type d’entreprises, que nous qualifierons ici d’industrielles,
Suisse35. représente en réalité des entreprises bien petites en comparaison internationale.
La production actuelle de pierre de taille des 23 plus grandes carrières Comprenant en moyenne une trentaine de d’employés42, elles produisent souvent
analysées dans la thèse de Stefano Zerbi, atteint environ 225’600 m3 par an, d’autres matériaux pierreux tout en exerçant des activités liées à la construction.
représentant un volume d’exploitation légèrement supérieur à celui qui s’était Les carrières de La Cernia, à Neuchâtel, ou encore celles d’Ostermundigen, à
stabilisé entre les années 1960 et 200036. Ceci bien que le nombre d’exploitations Berne, sont en ce sens exemplaires. Toutes deux sont rattachées à une entreprise
ait été, dans le même intervalle, considérablement réduit, passant de 230 en 1965 de construction, exploitant la carrière non seulement pour la pierre de taille,
à 63 en 200537. La production par entreprise, après avoir été constante depuis mais encore pour des matériaux, tels que les sables et graviers, et espaces de
le début du 20e siècle jusque dans les années 1980, est aujourd’hui environ stockages de machines et matériaux.
10 fois supérieure. Cette augmentation dénote d’une part l’amélioration des Les entreprises d’extraction de petite taille, employant moins de dix employés,
méthodes d’extraction et d’autre part « une pression grandissante sur le peu de exploitent ce qui serait convenu d’appeler des « micro-carrières ». Ces dernières
gisements encore exploités, [impliquant] un plus grand impact au niveau de produisent des pierres relativement rares, peu exploitées et parfois réservées
l’environnement »38. à un usage exclusif comme les pierres ollaires du val d’Hérens, exploitées à
La majorité de la production suisse de pierre de taille est consommée dans Évolène pour la construction de fourneaux.
le pays même, l’exportation étant relativement limitée. L’importation de pierre
de taille, quant à elle, représente l’équivalent d’environ 80% de la production
indigène39.

Les types de roches exploitées sont majoritairement des roches dures,


gneiss et calcaires, alors les roches plus tendres, telles que les grès, largement
exploitées jusqu’au 19e siècles, ne sont exploitées plus que de façon limitée,
principalement pour la rénovation. Schwarz40 en donne en 1980 la répartition
suivante :

- Calcaires et marbres 44 %
- Granites et gneiss 33 %
- Grès 13 %
- Schistes 6%
- Diverses 4%

Les entreprises d’extraction de pierre de taille se structurent souvent en


complémentarité avec d’autres activités : production de matériaux pierreux
divers – sables, agrégats, ballast, gabions, etc.–, travail de taille de la pierre,

20 21
35 Office Fédéral des Statistiques (www.bfs.admin.ch).
Notes 36 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 126.
37 Ibid., p. 99.
1 Kenneth, Frampton et al., Dimitris Pikionis, Architect 1887-1968: A Sentimental Topography, 38 Ibid., p. 126. L’impacte sur l’environnement est développée dans le cahier n0 3.
Architectural Association, London, 1989. 39 Ibid., p. 126.
2 Cassure de terrain sans déplacement relatif. « Le terme de diaclases peut s’appliquer à tout système 40 Schwarz, Hanspeter, Die Steinbrüche in der Schweiz, Drückerei Wetzikon AG, Zürich, 1983, p. 72,
à peu près régulier de fissures effectives de la roche, qu’elles soient approximativement planes ou cité dans : Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011,
franchement gauches » (Géol., 1972, p. 486 [encyclop. de la Pléiade]), (www.cnrtl.fr). p. 101.
3 Adam, Jean-Pierre , L’architecture grecque. 1. Les principes de la construction, A. et J. Picard, Paris, 41 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 126.
2002, p. 77.
42 Ibid., p. 126.
4 Ibid., p. 77.
5 Ibid., p. 81.
6 Ibid., p. 74.
7 Ibid., p. 74.
8 Ibid., p. 80.
9 Adam, Jean-Pierre, La construction romaine, A. et J. Picard, Paris, 1984, p. 24.
10 Kündig, Rainer, et al., Die Mineralische Rohstoffe der Schweiz, Schweizerische Geotechnische
Komission, ETHZ, Zürich, 1997, p. 176-177.
11 Ibid., p. 176.
12 Ibid., p. 177.
13 Zerbi Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p.
96.
14 Kündig, Rainer, et al., Die Mineralische Rohstoffe der Schweiz, Schweizerische Geotechnische
Komission, ETHZ, Zürich, 1997, p. 177.
15 Ibid., p. 177.
16 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 96.
17 Ibid., p. 96.
18 Ibid., p. 96.
19 Ibid., p. 96.
20 Camporesi, Piero, Les belles contrées, Gallimard, Paris, traduit de l’italien par Brigitte Pérol, 1995
[1992], p. 41.
21 Ibid., p. 41.
22 Ibid., p. 41.
23 Ibid., p. 55.
24 Ibid., p. 64-65.
25 Ibid., p. 60..
26 La Confédération Suisse est née de la Constitution Fédérale de 1848 (Dictionnaire historique Suisse,
www.hls-dhs-dss.ch).
27 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 97.
28 Hans-Peter Bärtschi, Anne-Marie Dubler, Dictionnaire historique suisse, édition en ligne, consulté
le 27 décembre 2012 (www.hls-dhs-dss.ch).
29 Ibid.
30 Schwarz, H., Die Steinbrüche in der Schweiz, Drückerei Wetzikon AG, Zürich, 1983, p. 14, cité
dans : Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p.
97.
31 Construite entre 1882.
32 Septfontaine, Michel, Belles et utiles pierre de chez nous, Musée cantonal de géologie, Lausanne,
1999, p. 13.
33 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 97.
34 Kohler, Florian ; Zecha, Laurent, Besoins matériels de la Suisse Statistique suisse de l’environnement No.
14, OFS, Neuchâtel, 2006, p 8-10. Note : les auteurs considèrent le poids des matériaux et non
leur volume.
22 23
Bibliographie
ADAM, Jean-Pierre, La construction romaine, A. et J. Picard, Paris, 1984.Adam,
Jean-Pierre, L’archietcture grecque. 1. Les principes de la construction, A. et
J. Picard, Paris, 2002.
BEYELER, Anton, Jungo, Patricia, Klaus, Gregor, Les zones protegées et leurs
utilisations, Office Fédéral des Statistiques, Neuchâtel, 2004.
CAMPORESI, Piero, Les belles contrées, Gallimard, Paris, traduit de l’italien
par Brigitte Pérol, 1995 [1992].
DE QUERVAIN, François, Die nutzbaren Gesteine der Schweiz, Kümmerly &
Frey, Bern, 1969.
DU COLOMBIER, Pierre, Les chantiers des cathédrales, J. & P. Picard, Paris,
1978.
FRAMPTON, Kenneth et al., Dimitris Pikionis, architect 1887-1968: A
Sentimental Topography, Architectural Association, London, 1989.
FREUDIGER, Sebastien, Le temps des Romains (La Suisse du Paléolithique à
l’aube du Moyen-Age, vol. 5 Epoque romaine), Infolio, Bâle, 2002.
JULIEN, Pascal, Marbres de carrières en palais, édition le bec en l’air, 2006.
KOHLER, Florian, Zecha, Laurent, Besoins matériels de la Suisse Statistique
suisse de l’environnement No. 14, OFS, Neuchâtel, 2006.
KÜNDIG, Rainer, et al., Die Mineralische Rohstoffe der Schweiz, Schweizerische
Geotechnische Komission, ETHZ, Zürich, 1997.
LABHART, Toni, Decrouez, D., Géologie de la Suisse, Delachaux et Niestlé,
Lausanne, 1997.
NIGGLI, Peter, « Die natürlichen Bausteine und Dachschiefer der Schweiz
», In: «Beitrage zur Geologie der Schweiz», geotechnische Serie V», Francke,
Bern, 1915.
POUILLON, Fernand, Les Baux-de-Provence, Fernand Nobele, Paris, 1960.
SEPTFONTAINE, Michel, Belles et utiles pierre de chez nous, Musée cantonal
de géologie, Lausanne, 1999.

GALERIE DES OFFICES, Florence, www.polomuseale.firenze.it.


MUSEUM NÜRNBERG, www.museen.nuernberg.de
24
Principes et techniques
d’EXTRACTION

Cahier n0 3
Table des matières
Principes et techniques d’extraction 7
Principes d’extraction 8
Principe d’extraction en gradins 8
Principe d’extraction en bandes verticales 10
Principe d’extraction souterrain 10

Les techniques d’extraction 12


Techniques par perforations 12
Techniques par sciage 15

La pierre extraite 18
Dimensions des blocs de carrières 18
Outils de découpe et de façonnage de la pierre 20
Produits 22
Déchets et co-produits 23
Stockage et transport dans la carrière 24

Notes 26

Bibliographie 27
Principes et techniques d’extraction
Les différents types et leur morphologies relatives décrits ci-dessus, sont
tous reliés à des principes et techniques d’extractions particulière, décrivant le
processus d’extraction dans son ensemble. Les principes déterminent les règles
pour extraire un ou plusieurs blocs soit en gradins, en bandes verticales ou en
souterrain. C’est eux qui déterminent la volumétrie possible de l’extraction. Les
techniques, quant à elles, décrivent les moyens d’extraction. Dans une sorte de
« stéréotomie à l’envers »1, elles définissent, par les outils, la texture à la fois des
fronts de la carrière et des matériaux extraits. À travers les outils, comme le dit
Henri Focillon2, c’est la main qui se prolonge, une relation au monde qui se
construit, une mesure qui prend forme, une dimension qui s’établit et enfin des
possibles qui s’ouvrent dans la matière et l’esprit.

Carrière souterraine de Krauchtal.


Source : Trachsel, Hansueli, Sandstein, Stämpfli Verlag AG, Berne, 2007, p. 15.
6 7
Principes d’extraction
Extraction en gradins
L’extraction en gradins se caractérise par le dégagement de deux plans, l’un
horizontal, l’autre vertical, à partir desquels le travail s’organise. La hauteur des
gradins varie selon la nature pétrographique de la roche, sa structure en l’endroit
donné, la destination des roches extraites et les outils employés pour l’extraction.
L’extraction proprement dite se fait par la découpe d’un grand bloc, d’environ
12 par 6 par 3 mètres, disposé soit horizontalement, soit verticalement.
Dans le premier cas, le bloc horizontal, disposé sur sa plus grande face, est
d’abord découpé sur son pourtour, puis sous toute sa face inférieure. Il est
ensuite découpé en blocs plus petits, mesurant généralement 3 par 1.5 par
1.5 mètres, qui seront soit vendus tels quels, soit acheminés vers un atelier
dans ou à proximité de la carrière. Les gradins qui en résultent mesurent donc
environs 3 mètres de haut par 6 de large, selon la pente. La largeur des gradins
est importante car elle doit permettre le passage des machines autant pour la
découpe que pour le transport des blocs.
Dans le deuxième cas, où le bloc est découpé verticalement, il doit être
couché sur le côté, afin d’être découpé en blocs plus petit comme le précédent.
Pour ce faire, des écarteurs hydrauliques ou à coussins d’air, ou encore une pelle
mécanique avec un poussoir peuvent être utilisés. Lors du basculement, le bloc
est amorti par des troncs d’arbres, du sable ou des pneus afin d’éviter qu’il ne
se brise. Il est ensuite découpé en blocs plus petits avec la même technique
que celle employée pour la division des blocs horizontaux. Les gradins de la
carrière mesurent alors environs 6 mètres de hauteur, pour 8 mètres de larges.

Principe d’extraction en gradin: Principe d’extraction en gradin:


bloc horizontal bloc vertical
8 9
Extraction en bandes verticales
L’exploitation en bandes verticales est le plus souvent présente dans les
carrières en fosse ou en puits. L’exploitation se déroule par coupes horizontales
successives se superposant sur toute la hauteur du front de taille. Le plan
d’extraction se développe ainsi vers le bas, par bandes verticales successives qui,
répétées les unes à côté des autres, dégagent une seule paroi. La surface du plan
d’extraction dépend du nombre de carriers et des machines utilisées. À titre
d’exemples, la carrière de molasse de Ostermundigen, près de Berne, emploie
deux carriers avec deux haveuses et une scie à fil diamanté pour extraire une
surface de 60 mètres carrés par semaine, sur une hauteur de 1.5 mètres.
En général toute la surface est découpée d’une seule fois, avant d’être divisée
en blocs plus petits. Le découpage est alors similaire à celui des grands blocs
horizontaux des carrières en gradins, à cette différence que le plan d’extraction
est complètement entouré de vide. Les blocs sont ensuite extraits par une grue
ou un derrick – autrefois, ils étaient balancés dans le vide sur le tas de sable et
de gravats formés par les déchets d’extractions.

Extraction souterraine
Si, dans les deux techniques présentées jusqu’ici, la roche à extraire présentait
toujours au minimum deux faces dégagées, la carrière souterraine, du moins lors
de sont avancement, ne présente qu’un seul plan d’extraction. Les machines ne
peuvent donc plus, dans un premier temps, être déposée sur la matière, mais
doivent se positionner face à elle. Le front de taille est alors découpé, soit par
haveuse, soit par perforation, selon un maillage. Une fois les blocs découpés sur
quatre de leurs côtés, le cinquième composant le front de taille, il peut alors
être détaché par l’introduction de coins écarteurs, afin de le libérer de sa partie
arrière encore prise dans la masse rocheuse. Une fois le banc supérieur dégagé
et le ciel de carrière prolongé, les blocs peuvent à nouveaux être exploités en
gradins ou en bandes verticales.

Principe d’extraction en bandes Principe d’extraction souterraine


verticales
10 11
Les techniques d’extraction
Les outils d’extraction de pierre de taille se fondent sur deux techniques :
la perforation et le sciage. La première cherche à provoquer une fissuration de
la roche, parfois aidée d’explosif, tandis que la seconde procède par sciage de
la roche dans une masse homogène. Si la première technique, dont les outils
fondamentaux sont la masse et le coin, existe depuis très longtemps, la technique
par sciage est elle plus récente, datant probablement de la Renaissance. Bien
que le développement de cette deuxième technique ait été pendant longtemps
limités par les coûts important d’investissement qu’elle représentait, elle est,
depuis les années 1980 abondamment employées3.

Techniques par perforations


La perforation en ligne
La technique par perforation en ligne cherche à exploiter au maximum les
fissures existantes en les contrôlant de sorte à obtenir des blocs rectangulaires.
Des perforations, de 22 à 63 mm de diamètre4, sont pratiquées à l’aide d’une
foreuse, à partir d’une fissure naturelle, soit côte à côte de manière à découper
directement la roche, soit sur une même ligne avec un espacement de 10 à
30 centimètres5, parfois 60 centimètres selon la roche et la technique, ce qui
demande une découpe ultérieure du bloc par l’utilisation de coins, de mortier
expansif ou encore d’explosifs.
Les foreuses, qu’elles soient pneumatiques ou hydrauliques, peuvent êtres
manuels ou à colonnes, fixées sur un rail ou le bras articulé d’une machine. Ces
foreuses ont parfois plusieurs têtes de forages descendant en même temps dans
la roche.
Perforation en ligne côte à côte
Les perforations sont pratiquées côte à côte sur une même ligne et sur toute
la hauteur du bloc. Afin d’empêcher au maximum la déviation de la tête de
forage, à cause de la présence d’un vide sur un côté du trou de forage, la mèche
doit avoir un diamètre important, généralement 63 mm6. Les trous sont ainsi
pratiqués tous les 114 mm, de manière à garantir une coupe continue sur toute
la hauteur du bloc, cette dernière se limitant généralement à 3 mètres – au-
delà, la déviation des fores est souvent trop grande pour découper le bloc.
Coins, coins écarteurs et écarteurs hydrauliques
La technique d’extraction utilisant les coins et les coins écarteurs est
probablement la plus ancienne. Ne demandant presque aucun matériel – une
masse et un coin –, elle est cependant harassante pour le carrier. La technique
consiste à chasser des coins ou coins écarteurs « à l’aide d’une masse dans
des fores ou des saignées préalablement réalisées »7 dans la roche. La hauteur
des blocs varie selon la nature de la roche, sa ténacité8 et la hauteur des bancs Techniques d’extraction d’après Zerbi.
Source : Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 115.
12 13
naturels. Lorsque que les bancs ne dépassent pas 3 mètre et que leurs lits sont Coussins écarteurs
suffisamment marqués, les blocs sont généralement découpés sur toute la Des coussins écarteurs placés dans des saignées peuvent également être utilisé
hauteur du banc sans qu’une découpe horizontale ne soit nécessaire. pour détacher un bloc. Ils sont alors introduit dans des fentes préalablement
Afin de profiter des fissures existantes, des fores sont réalisées généralement pratiquées, d’environ 4 à 10 cm d’épaisseur selon la technique employée, puis
dans les veines de la roche et de façon rapprochée de manière à provoquer la gonflés à l’aide d’un compresseur à air. Cette technique présente l’avantage de
fissuration. D’un diamètre de 22 à 34 mm, elles sont réalisées avec des foreuses ne pas faire de bruit.
manuelles hydrauliques ou pneumatiques sur une profondeur d’au minimum
20 centimètres, avec des répétitions toutes les 20 à 30 cm de manière à décrire
une ligne qui deviendra le plan de cassure9. Les coins écarteurs métalliques
Techniques par sciage
se composent, en plus du coin, de deux plaques de métal – parfois en bois –
Haveuse
enchâssées préalablement dans les fores ou saignées et entre lesquelles le coin
Les haveuses sont des sortes de tronçonneuses à chaînes diamantées,
va coulisser. Les coins écarteurs sont parfois eux-mêmes remplacés par des
placées sur un rail que l’on peut prolonger avec l’avancement de la machine.
écarteurs hydrauliques, dont le rôle est identique, mais qui sont beaucoup plus
La chaîne diamantée est placée sur un bras articulé, pouvant mesurer jusqu’à
puissant
huit mètres – deux à trois mètres en général en Suisse –, capable de couper
L’utilisation des coins et coins écarteurs produit sur la roche des marques se
la pierre autant horizontalement que verticalement. Placée sur des rails que
limitant principalement aux fores et saignées, le reste de la surface découpée
les carriers prolongeront au fil de son avancement, la haveuse se déplace en
est quant à lui, suivant le plan de clivage naturel de la roche et la texture de
coupant la roche toujours selon le même angle. L’épaisseur de la lame, de 40
celle-ci, plus ou moins lisse et régulier. Dans certaines roches, la présence d’une
à 60 millimètres, laisse des sillons dans la roche, visibles sous forme de petites
stratigraphie particulière ou d’une cassure préférentielle sur certains minéraux,
corniches dans les parois verticales.
comme les micas des gneiss, dévoile une couleur, une teinte une texture
Afin de refroidir la lame et d’empêcher l’obstruction des sillons par les boues
particulière, ainsi qu’une structure particulière.
de sciage et la propagation de la poussière, de l’eau s’écoule constamment dans
Mortier expansif
les sillons au fil de l’avancement de la découpe. Cette opération demande
Le mortier expansif, généralement à base de silicate, utilise les propriétés
des quantités souvent très importante d’eau, qu’il faut par la suite laisser se
expansives de ce dernier une fois hydraté pour fendre la pierre. Introduit dans
décanter et dépolluer avant de pouvoir à nouveau être utilisée. L’utilisation
des fores espacées de 30 à 50 centimètres et se développant sur environ 70%
de l’eau empêche, à cause des risques de gel, une exploitation hivernale des
de la hauteur du bloc10, il va faire fendre le bloc en environ 24 heures11, ne
carrières.
produisant pas de vibrations, de bruit ou encore de poussière. Les fores ne
Scie circulaire diamantée
peuvent être produites par un moyen de forage utilisant de l’eau, à moins que
La scie circulaire diamantée sur chariot, placée sur des rails, découpe la
le mortier ne soit placé dans une gaine en plastique la protégeant d’une eau qui
roche au fur et à mesure de son avancement. Elle peut avoir une scie verticale
empêcherait une bonne expansion.
ou horizontale, et est parfois munie de deux scie, l’une horizontale l’autre
Fils détonants et explosifs
verticale, placées l’une derrière l’autre et permettant d’extraire en un passage les
Les fils et explosifs sont placés dans des fores de manière à « couper » la
blocs de matière qui seront ensuite redécoupés. La scie est refroidie par un jet
roche sur un plan régulier. À l’inverse des explosifs à fracturations, utilisés
d’eau tout au long de la découpe, qui permet aussi d’évacuer les boues de sciage.
dans les gravières et les exploitations de minéraux ne cherchant pas de grands
Le diamètre de la scie ne dépassant généralement pas 3 mètres, les bancs sont
blocs homogènes, les fils détonants et explosifs de carrière de pierre de taille
limités à une hauteur et une profondeur de 1 à 1.5 mètre. Produisant de grands
cherchent à garder une roche la plus homogène possible. Placés dans des fores
gradins successifs, ce type d’extraction est généralement réservé aux roches
espacées généralement de 15 à 60 cm, selon les propriétés de la roche, et se
tendres, comme les tufs ou les grès.
développant sur environ trois quarts de la hauteur du bloc12, les fils détonnant
Si les scies circulaires diamantées ne sont pas utilisées en Suisse pour
et explosifs permettent de détacher le bloc par l’expansion des gaz libérés13. La
l’extraction de blocs, elles sont en revanche couramment utilisées, fixées sur un
surface de la pierre est alors principalement marquée par des stries verticales,
cadre, pour le redécoupage des blocs.
sortes de cannelures, laissées par les fores désormais coupées en deux. La surface
Scie à fil diamanté
fissurée est quant à elle plus ou moins texturée selon la nature de la roche.
Tout comme la scie circulaire diamantée, la scie à fil diamanté est également

14 15
placée sur un chariot. Posté sur des rails, ce dernier maintient une tension
constante tout au long de la découpe, de manière à permettre une coupe
régulière de la pierre. Le fil diamanté, de 8 à 12 millimètres de diamètre, est
constitué d’une succession d’anneaux métalliques sertis de diamants reliés par
un câble. Mesurant jusqu’à 80 mètres, il est possible de le diviser par tranche
de 4 à 5 mètres au fur et à mesure de la découpe de façon à garder le chariot
sur une même portion de rail.
Le fil se place dans deux voire trois fores ou saignées préalablement pratiquées
dans la roche et se coupant à angle droit sur un plan vertical ou horizontal. La
scie à fil diamanté étant souvent employée en Suisse en complément d’une
autre technique d’extraction – par perforation en ligne ou par haveuse –, elle
se limite généralement à la découpe des grandes faces de blocs mesurant 12
par 6 par 3 mètres, qui sont redécoupés sur place. La découpe peut cependant
largement dépasser ces dimensions, comme dans la carrière de Salvan qui
découpe à l’aide de cette technique un tunnel d’une trentaine de mètres, en
tranches de 4 mètres de haut par 1.5 de larges, afin de ménager un nouvel accès
à la carrière.
Water-jet et Flam-jet
Les techniques relativement récentes du Water- et du Flam-jet découpent la
pierre en employant respectivement des jets d’eau à très haute pression et une
flamme à très haute température. L’eau et la flamme sont guidées au bout d’une
lance tenue par un homme ou une machine, produisant des sillons d’environs
dix centimètres de large et pouvant atteindre une profondeur de 3 mètres pour
le Water-jet et de 20 mètres pour le Flam-jet14. Dans les deux cas, la surface de
roche débitée est relativement lisse et homogène. Ces techniques, demandant
des quantités d’eau ou d’énergie considérables – en comparaisons des autres
techniques – posent de nombreux problèmes environnementaux outre ceux
purement économiques liés aux énergies considérables qu’elles nécessitent15.
Elles ne sont actuellement pas utilisées en Suisse.

Page suivante: outils d’extraction d’après Zerbi.


Source : Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 116.
16 17
Matériaux extraits
Dimensions des blocs de carrières
Si les dimensions des blocs exploités se rapprochaient par le passé des
dimensions des éléments qui allaient y être taillées, les blocs sont aujourd’hui
extraits dans des dimensions les plus grandes et constantes possibles16. La
production actuelle se concentrant principalement sur des plaques minces
destinées aux revêtements, le format des blocs extraits en carrières corresponds
en grandes partie à la capacité maximale de sciage des machine de découpe.
Il existe ainsi un « bloc marchand » idéal pour la production de plaques,
défini par Piero Primavori, et qui mesurant environ 3 x 1.75 x 1.75 mètres17,
principalement employé par les gros gisements dans le monde18. Les blocs
exploités en Suisse, selon le tableau ci-contre établit par Stefano Zerbi19, sont
relativement plus petites.

Dimensions de blocs de carrières d’après Zerbi.


Source : Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 131.
18 19
Outils de découpe et de façonnage de la pierre
Si les outils traditionnels de la taille de pierre n’ont que très peu d’influence
sur la pierre de carrières, les outils de découpe et de façonnage plus récents,
comme les scies à cadre, les scies à fil diamanté ou encore les fraise, ont une
influence importante, notamment sur la dimension des blocs et la texture de
la pierre. Nous ne ferons ici qu’évoquer brièvement les principaux outils jouant
un rôle déterminant pour l’extraction, de par les dimensions qu’ils imposent
aux blocs extraits, en ce référent à la thèse de Stefano Zerbi.
Découpe manuelle
« Les roches présentant des fractures naturelles sont façonnées par cassure à
l’aide de marteaux piqueurs ou de masse et coin écarteurs. C’est la technique la
plus ancienne, parfois encore exercée dans la carrière même.
Scie à fil diamanté sur châssis
Un fil diamanté, similaire à celui utilisé pour la découpe des blocs en carrière,
est fixé sur un portique. Le déplacement d’un cadre à l’intérieur de ce dernier
va découpé un bloc dont la hauteur peut atteindre 2.5 mètres, et un plan de 3
par 4 mètres.
Scie à lame sur châssis
Une ou plusieurs lames sont entraînées par un châssis, découpant un bloc
pouvant mesurer jusqu’à 3.6 par 2 mètres pour une hauteur d’environ 2.5
mètres.
Scie circulaire
La scie circulaire, également fixée sur un châssis, découpe la pierre en
une multitude d’aller et retour sur une même ligne. Il est parfois possible de
l’orienté, de manière à obtenir un deuxième sens de coupe.

Page suivante: outils de façonnage d’après Zerbi.


Source : Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 121.
20 21
Produits Déchets et co-produits
Les éléments façonnés à partir des pierres naturelles au sein des carrières, Les « déchets » et « chutes » de carrières, produites lors de l’extraction et
se limitent en Suisse généralement à la production de blocs, de plaques et du façonnages, représentent parfois jusqu’à 50% du volume exploité. Elles ont
d’éléments de jardins. Cependant, avec le développement récent des machines depuis les débuts l’activité extractive fait partie des co-produits de la carrière21
CNC de plus en plus de produits sont directement façonnés à l’intérieur de et été valorisé selon les roches et types de carrières particulières.
la carrière. Leurs influences sur la morphologie des carrières est donc, comme Parmi les déchets, on compte ainsi :
nous l’avons déjà ci-dessus, beaucoup plus faible qu’autrefois où ils déterminait - les poussières ;
la taille du bloc à extraire. seront ici présentés ceux jouant un rôle dans - les boues de sciages, contenant des sables, des limons et argiles22 ;
l’extraction et donc la morphologie des carrières. Selon Schwarz 20, les produits - les graviers et cailloux ;
de pierre naturelles se répartissent de la façon suivante : - et enfin, les blocs trop fracturé ou ne correspondant pas aux critères
mécaniques et esthétique de la roche exploitée.
- Pierres pour la construction routière 44 %
- Pierres pour les aménagements de jardins 27 % Si les poussières sont surtout présente dans les carrières utilisant les fils
- Pierres de pavages et dallages- Schistes 17 % détonants et les explosifs, les boues de sciages sont elles présentes dans presque
- Pierres pour la construction 13 % toutes les carrières. Traitées dans des bassins de décantation, elles doivent la
- Pierres pour les œuvres d’art 3% plupart du temps être traitées pour en enlever les composés polluants déposés
par l’abrasion des outils. Peu stables, elles sont généralement stockées dans la
carrière même.
Les blocs de déchets, lorsqu’il sont de taille suffisantes, sont parfois vendu
pour la consolidation de digue, berges de rivières, etc., ou alors intégré à la
construction des rampes parfois nécessaires à l’exploitation.

22 23
Stockage et transport dans la carrière foreuses, etc. qui doivent êtres déplacées d’un gradin à l’autre, ou du fond de
carrière à la surface.
Les moyens de transport, utilisés pour le déplacement des matériaux Enfin, les treuils, placés en haut ou en bas de la carrière, selon la position où
extraits, et les relations qu’ils entretiennent avec les différents types de carrières l’on souhaite amener les blocs, permettent de faire « glisser » les blocs du front
influencent fortement la structure et la gestion spatiale de ces matériaux. Le de taille jusqu’à un point donné, où ils seront généralement pris en charge par
transport est effectué par des machines mobiles ou immobiles. un dumper ou chargés avec une pelle mécanique sur un camion. Pour faciliter
Les machines mobiles comprennent des dumpers, des camions et des pelles la manœuvre, des déchets d’extraction et des boues sont disposés de sorte à
mécaniques. Elles présentent l’avantage d’un développement spatial étendu former un lit sur lequel les blocs vont être ensuite soit retenus, soit entraînés
qui demandera en contrepartie de nombreux accès parfois complexes à réaliser, par un treuil. Cette technique est quasiment identique à l’une de celles utilisées
comme des routes ou des rampes. Ces dernières sont généralement construites depuis l’Antiquité pour déplacer de grands blocs sur des lits d’argile.
à l’aide de déchets produit par l’extraction. Constituant un stock, ces derniers Le stockage des matériaux extraits se fait généralement au sein même de
seront parfois réemployés comme agrégats. Les rampes que nous avons pu la carrière. Une fois les blocs détachés du front de taille, ils sont stockés à
observer étaient larges d’environ 4 mètres à leurs sommets, s’ouvrant sur leur proximité de ce dernier, avant d’être travaillés dans des ateliers. Ce stockage
base d’un angle d’environ 30 degrés, selon la nature des déchets employés. permet de constituer une réserve de blocs pour la période hivernale. En effet, à
N’autorisant la circulation que dans un sens, les véhicules doivent se croiser cette période l’extraction se voir fortement réduite, voire totalement arrêtée, et
soit à un contour, soit à la base de la rampe. les blocs, déjà extraits, sont alors travaillés en atelier. Les produits sortant des
Les dumpers, ou bouteurs, sont capables de porter des charges parfois ateliers sont stockés sur une autre aire de stockage plus grande que la première
très importantes sur des chemins demandant un minimum d’aménagement. et protégée des intempéries. Les aires de stockages et les ateliers occupent une
La rampe maximale que ces machines peuvent gravir dépend en partie du surface largement supérieure au front de taille, ce qui nécessite parfois leur
chargement, qui doit se trouver en amont du véhicule pour empêcher un déplacement dans des espaces industriels. Dans ce cas, le stockage en carrière
basculement, et de la qualité de la piste ; l’angle de la rampe est généralement de peut être limité à quelques jours de production.
15 degrés. Les camions permettent de charger des charges souvent équivalentes
aux bouteurs, mais ils ne sont pas indépendants : ils doivent être chargés, à la
différence des bouteurs, par une autre machine. Ainsi sont-il généralement
limités aux transports entre les différentes phases de façonnage des blocs de
pierre.
Le deuxième type de machines, immobiles celles-ci, comprend des grues,
des derricks et plus rarement des treuils. Les matériaux extraits peuvent êtres
déplacés sur un rayon limité à partir d’un point fixe, et plus rarement mobile
dans le cas où les grues sont fixées sur des rails. L’utilisation des grues et derricks
off re l’avantage, par rapport aux moyens de transports mobiles, de ne pas avoir
à aménager des surfaces de circulation parfois considérables. En revanche, elles
ne permettent pas un développement sur une vaste étendue.
Les grues sont généralement placées au fond de la carrière, limitant la
hauteur du front de taille à la hauteur de la grue. Placées sur des rails, elles
permettent de suivre l’avancement d’un voire plusieurs fronts de tailles. Ne
permettant pas un développement vertical aussi important que les grues, les
derricks sont, quant à eux, généralement placés en amont de la carrière ou
sur un des côtés de cette dernière. Ancrés en plusieurs points, ils permettent
en revanche un déplacement latéral des matériaux souvent plus larges que les
grues, ce qui les a longtemps fait préférer à ces dernières. Les grues et derricks
rencontrés dans les carrières sont souvent limités au déplacement d’un poids de
40 à 50 tonnes, correspondant aux poids des machines, pelleteuses, dumpers,
24 25
Notes Bibliographie
1 Je fait ici référence au concept de « ruines à l’envers » que Robert Smithson décrit en ces mots : FOCILLON, Henri, La vie des formes, puf, Paris, 1943.
2 Focillon, Henri, La vie des formes, puf, Paris, 1943, p. 111.
3 Singewald, Christian, Natursteinwerk. Exploration und Gewinnung, Rudolf Müller, Köln, 1992, SINGEWALD, Christian, Natursteinwerk. Exploration und Gewinnung,
p. 5. Rudolf Müller, Köln, 1992.
4 Ibid., p. 160.
5 Ibid., p. 155.
ZERBI, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL,
6 Ibid., p. 160. Lausanne, 2011.
7 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 110.
8 Ténacité : « résistance à la rupture d’un matériau » (source : www.cnrtl.fr).
9 Singenwald, Christian, Natursteinwerk. Exploration und Gewinnung, Rudolf Müller, Köln, 1992,
p. 161.
10 Ibid., 1992, p. 165.
11 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 111.
12 Observation à Lodrino.
13 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 113.
14 Ibid., p. 114.
15 Ibid., p. 113.
16 Ibid., p. 132.
17 Ibid., p. 122.
18 Ibid., p. 122.
19 Ibid., p. 131.
20 Ibid., p. 103.
21 Ibid., p. 141. Note : ces chiff res ne prennent pas en compte les « déchets » produits lors de
l’extraction, et qui sont aujourd’hui en partie valorisé.
22 Selon la norme européenne, les argiles sont des particules mesurant moins de 2μm, les limon entre
2μm et 20μm et les sables entre 20μm et 2mm (source : www.wikipedia.org).

26 27
NATURE.S

Cahier n0 4
Table des matières
Une autre nature 7

Géologie 9
Minéralogie et pétrographie 10
Formation des roches 12
Tectonique 13

Principales régions géologiques de la Suisse 14


Le Jura 15
Le Plateau 16
Les Alpes 17

« Dessins géologiques » et dessins tectoniques 18

Ecologie.s 23
Notions d’écologie générale 24
Dynamiques des milieux et successions complexes 26
Végétation suisse 27
Quelques habitats des carrières 27
Plancher 28
Dépôts et déchets d’exploitation 28
Falaises 30
Plateaux 31
Lisières ou ourlets 32
Plans d’eau 32

Des îles dans le territoire 34

Notes 36

Bibliographie 38
Une autre nature
Ce cahier explore les carrières dans leurs relations à la nature sous deux
dimensions particulières et complémentaires : la géologie et l’écologie. Celles-
ci concourent toutes deux à la définition d’une architecture des carrières en
établissant, l’une par la roche, l’autre par le vivant, les limites à la fois spatiales
et temporelles des carrières. Une nature plurielle donc, aussi bien proie aux
lentes dérives des continents qu’aux transformations quotidiennes du monde
vivant, qui participe à la définition des espaces en constantes transformations
des carrières.

7
Géologie
« De fait notre globe n’est qu’un grand édifice […] ».
Viollet-le-Duc1

En étudiant « la nature, l’origine et la situation des roches »2, la géologie


définit une sorte de charpente du globe terrestre, comme semblait le découvrir
et décrire Viollet-le-Duc au travers de ses nombreuses recherches sur le massif
du Mont Blanc3. Elle permet de comprendre les principaux mécanismes qui
ont formé, et forment encore, d’une part les roches, mais aussi, au travers des
mouvements tectoniques, le territoire. La géologie tient donc un rôle primordial
aussi bien pour comprendre la position des carrières dans le territoire que leur
morphologie respective ou encore la nature des matériaux extraits.
Le chapitre qui suit observe, dans un premier temps, la structure des roches et
les principaux mécanismes de leur formation, puis présente leurs influences sur
la morphologie du territoire suisse et l’implantation des carrières. Ce chapitre
s’appuie d’une part sur la thèse de Stefano Zerbi et les principaux ouvrages qui
y sont cités, d’autre part sur des entretiens avec le géologue Grégoire Testaz4
et enfin sur les nombreuses informations et pierres récoltées lors de visites de
carrières effectuées tout au long de cette année.

Structures des bancs de carrières, carrière à Andeer.


8 9
Minéralogie et pétrographie
Les roches se composent de minéraux cristallins, organisant les atomes en
sept systèmes géométriques, et de minéraux amorphes, dont les atomes sont
distribués de façon non ordonnée5.
La structure cristalline des roches définit, outre diverses caractéristiques,
celles fondamentales pour l’exploitation et l’utilisation des roches comme
matériaux de construction : le clivage, la dureté, la gélivité et la couleur.
Le clivage décrit un voire plusieurs « plans de cassure particuliers selon
lesquels un cristal se rompt préférentiellement quand il est soumis à une
contrainte mécanique »6. Selon la forme des cristaux, le clivage peut se faire
sur un ou plusieurs plans, voire aucun si les cristaux ne possèdent pas de
structure particulière, comme dans les structures cristallines amorphes. Le
clivage définit donc fortement l’extraction, le travail et la mise en œuvre d’une
roche particulière. L’exploitation de roche comme pierre de taille suppose
une grande connaissance du clivage, afin de pouvoir d’une part exploiter des
roches homogènes et cohérentes et d’autre part faciliter une extraction par
l’exploitation.
La dureté des roches peut se mesurer selon diverses échelles, dont la plus
répandue est l’échelle établie en 1822 par Friedrich Mohs, dite « échelle de
Mohs ». Les roches sont classées selon leurs capacités à rayer une roche qui
sera alors dite plus tendre, et à être rayée par une roche dite plus dure. Cette
échelle comprend dix échelons : sur le premier, le plus tendre, se situe le talc
et sur le dernier, le plus dur, se trouve le diamant. Elle mesure donc l’abrasivité
d’une roche, qui sera déterminante pour le choix des outils à employer pour
l’extraction et la taille de pierre.
La gélivité d’une roche définit sa propension à se fracturer sous l’action
du gel7. Les roches gélives se fracturent selon le plan de clivage de la roche,
pouvant, dans le cas des carrières, fortement déstabiliser les parois.
Enfin, les couleurs des roches sont déterminées par l’organisation des cristaux
qui les composent. C’est ensuite par « l’absorption plus ou moins sélective de
la lumière [que va se définir] leur transparence, leur opacité et leur couleur »8.
Lors du travail de taille, la couleur d’une roche sera plus ou moins prononcée
selon les outils employés. Ainsi, plus une roche sera travaillée avec des outils
fins, plus la couleur des cristaux sera prononcée. À l’opposé, une roche travaillée
plus « grossièrement » sera plus claire, donnant généralement des tons plus
gris.

Les sept familles de cristaux.


Carte composée d’après : Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne,
2011, p. 58.
10 11
Formation des roches l’augmentation de température et l’action des fluides sur les roches magmatiques
et sédimentaires. Elles se forment donc, en dehors des phénomènes liés
Selon leur mode de formation, les roches se répartissent en trois grandes au magmatisme et à la sédimentation, par la forte modification des roches
familles principales : les roches magmatiques, les roches métamorphiques et les aux niveaux « chimiques et physiques, [ainsi que de leur] composition
roches sédimentaires. Chaque famille participe d’un processus de formation des minéralogique, [de leur] texture (arrangements des cristaux), et [enfin de leur]
roches, ayant à chaque fois un impact spécifique tant au niveau de la structure structure – géométrie à l’échelle de l’affleurement »14.
des roches que de la morphologie terrestre.
Les roches magmatiques se forment par la solidification du magma soit sous Tectonique
terre, soit à la surface. Sans entrer ici dans les différents types de magmas et de
solidifications qui y sont liées, il est important de noter que le magmatisme est Les trois types de roche décrits ci-dessus sont formés par des mécanismes
lié à la formation de la lithosphère (orogenèse). Solidifiés en profondeur dans se déroulant à l’échelle du globe, appelés la tectonique des plaques. La terre se
la lithosphère, ils donneront principalement des granits. Solidifiés lors d’une structure en couches successives, plus ou moins liquides ou solides, s’organisant
éruption volcanique, les magmas se transformeront en tufs, pouzzolanes9. autour d’un noyau. Les couches les plus proches de la surface constituent un
En Suisse, les roches magmatiques constituent l’essentiel du massif alpin. manteau dont la partie supérieure se compose de l’asthénosphère, qui dans
Structurées en couches homogènes, appelées bancs dans les carrières, elles un état solide et ductile supporte les plaques rigides de la lithosphère. Les
sont par la suite déformées et parfois fracturées, complexifiant passablement mouvements de la lithosphère sur l’asthénosphère décrivent une tectonique
l’exploitation en carrière. des plaques, produisant et engloutissant les roches, respectivement sur les rides
Les roches sédimentaires se caractérisent par le phénomène d’érosion. medio-océaniques et les zones de subduction. Ce grand mécanisme est, dans
Les roches érodées, soit par altération soit par fragmentation, sont alors l’étude de la formation des roches, fortement lié au magmatisme mentionné
transportées par les airs, par l’eau, par gravitation ou encore sous forme ci-dessus.
ionique par dissolution des cristaux de roche dans l’eau, et enfin déposées. Les En Suisse, la géographie est fortement marquée par la collision entre la plaque
dépôts se forment, selon les matériaux érodés et le mode de transport, par continentale africaine et eurasiatique, cette dernière s’enfonçant et se repliant
sédimentation, dans les milieux océaniques, continentaux ou encore dans des sous la première. La formation des Alpes, et des roches relativement jeunes
dépressions par dépôts éoliens10. Les dépôts sédimentaires forment un système qui les composent, est issue du soulèvement de la plaque africaine, tandis que
de strates superposées les unes aux autres, dont la formation peut fortement le Jura fait partie de l’enfoncement, du plissement et parfois du retournement
varier. Selon les mouvements tectoniques, elles peuvent être par la suite plus ou du bassin océanique qui se trouvait autrefois à côté de la plaque africaine. Le
moins inclinées11, déformées ou fracturées. Plateau suisse quant à lui est issu de la sédimentation des matériaux alpins
Le milieu sédimentaire continental forme en Suisse le bassin mollassique, érodés et déposés en milieux soit marins soit terrestres15.
constitué de roches érodées au massif alpin et s’étendant de Vienne à Chambéry.
Les roches qui s’y déposent forment, selon les environnements particuliers,
des moraines, des cônes alluvionnaires ou des bassins sédimentaires, en
majorité exploités comme agrégats. Les blocs erratiques, souvent granitiques,
appartenant à ce type de dépôts sédimentaires, ont été abondamment exploités
pour fournir des pierres plus résistantes que les pierres de la molasse locale,
jusqu’au début du 20e siècle sur tout le Plateau suisse.
Le milieu sédimentaire océanique, qui produit la grande majorité des roches
sédimentaires, peut donc être considéré comme le réceptacle final des matières
érodées sur la terre12. Trois catégories de dépôts sédimentaires composent
alors ces roches : « les sédiments détritiques, [déposés par gravitation avec la
diminution de la vitesse des courants], les sédiments biogènes, formés par des
organismes vivants océaniques, et les sédiments hydro-chimiques, issus de la Coupe géologique nord-sud.
Carte composée d’après : Labhart, Toni ; Decrouez, Danielle, Géologie de la Suisse, Delachaux et Niestlé,
précipitation physico-chimique des sels contenus dans l’eau de mer »13. Lausanne, 1997, p. 15.
Les roches métamorphiques se constituent par des pressions mécaniques,
12 13
Principales régions géologiques de la Suisse Le Jura
Le Jura s’étant d’Est en Ouest sur presque 300 kilomètres entre Chambéry,
Après avoir observé quelques grands principes, il est important de se
en France, et la Lägern, proche de Zürich, et sur 30 kilomètres du Nord au
concentrer maintenant sur la géologie de la Suisse. Les territoires, somme toute
Sud, entre le Bassin rhénan au Nord et le Plateau suisse au Sud. Il se compose
mouvementés, de la Suisse, peuvent se diviser en trois régions géologiques
de deux régions principales : le Jura plissé et le Jura tabulaire. Le premier se
principales : le Jura, le Plateau et les Alpes ; ayant chacune à la fois une
caractérise, comme son nom l’indique, par une série de plissements parallèles,
pétrographie et une topographie propres, conduisant, dans le cas des carrières, à
entrecoupés de vallées perpendiculaires érodées par l’eau. Il s’étire de la vallée
des logiques d’implantation et des types de carrières chaque fois spécifiques. de Joux jusqu’aux environs de Bâle. Le Jura tabulaire se caractérise, au contraire
du Jura plissé, par une morphologie beaucoup plus plane, s’étendant sur les
territoires de Bâle-Ville, d’Argovie et de Schaffhouse.
Constitué presque exclusivement de roches sédimentaires, le Jura comprend
une multitude de roche dont une grande majorité de calcaires, en partie encore
exploitées en tant que pierres de taille aujourd’hui, mais aussi des marnes, des
argiles, des dolomies ou encore des grès16. Le calcaire, composé de calcite et de
dolomite, auxquelles s’ajoutent souvent des fossiles17, est la pierre caractéristique
du Jura. Il se trouve sous quatre formes principales18 : les calcaires spathiques,
les calcaires oolithique, les calcaires siliceux et les tufs calcaires19. Les calcaires
sont aujourd’hui utilisés principalement pour la fabrication de ciments, de
gypse et de calcaire à chaux20 ; deux carrières exploitant encore des calcaires
sont encore en activités dans le Jura à Neuchâtel et Laufen.
L’implantation des carrières se fait majoritairement, au Jura, à un point de
rupture de pente, qui correspond souvent à une sorte de déchirure de la croûte
terrestre. C’est le cas des carrières de La Chaux-de-Fonds, aujourd’hui presque
toutes abandonnées, et des carrières situées en bordures de Neuchâtel, dont
une est encore en activité.

Principales régions géologiques et implsantation des carrières.


Carte composée d’après : De Quervain, François, Die nutzbaren Gesteine der Schweiz, Kümmerly & Frey,
Bern, 1969, p. 120 ; Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, Géologie du Jura plissé avec implantation des carrières.
p. 60. Carte composée d’après : Labhart, Toni ; Decrouez, Danielle, Géologie de la Suisse, Delachaux et Niestlé,
Lausanne, 1997, p. 48.
14 15
Le Plateau Les Alpes
Le Plateau traverse la Suisse d’Est en Ouest, de Saint-Gall à Genève, sur Formant un arc se développant de Vienne à Nice, les Alpes trouvent en
une largeur de 40 à 70 kilomètres. Il se compose « d’une série de couches Suisse leur plus haut développement. Résultat de la collision des plaques
[sédimentaires] successives, dont la plus récente [est] la Molasse »21, et qui tectoniques africaine et européenne, les Alpes décrivent un système complexe,
comprend conglomérats, grès, marnes et argiles. À sa surface se trouvent de autant dans leur morphologie et que dans leur géologie, composées de massifs
nombreux dépôts glaciaires, comme des blocs erratiques, des graviers et des et de nappes. À la différence du Jura, les roches alpines, dont les plus profondes
moraines, ainsi que, plus rarement, des couches de tuf calcaire. ont été métamorphisées, ont été déplacées après leur formation, donnant
La molasse, roche relativement tendre et donc facile à exploiter, est de loin la naissances à six régions principales d’origines très éloignées26, dont la plupart
roche la plus répandue sur le Plateau, et pour cette raison celle qui a été pendant sont exploitées dans les nappes helvétiques et penniniques.
longtemps largement exploitée. D’une épaisseur allant de 5 kilomètres, au Les nappes helvétiques au Nord des Alpes, bordant le Plateau, se composent
Nord des Alpes, à quelques centaines de mètres22 au pied du Jura sur lequel elle de roches sédimentaires, exploitées depuis longtemps pour leurs propriétés
repose, la molasse se constitue de différents sédiments, de plus en plus fins en mécaniques élevées pour les fondations, les encadrements, les dallages, etc.,
direction du Nord. Cette déposition est due aux dépôts de sédiments selon leur et plus récemment pour la production de ballast réservé à la construction
granulométrie et la force de courants qui les ont transportés. On trouve ainsi, ferroviaire. Les nappes penniniques, quant à elles, recouvrent la majorité
déposé du Sud au Nord du Plateau, les conglomérats du Nagefluh, les grès, des Alpes valaisannes au Sud du Rhône, les Alpes tessinoises et l’Ouest des
les argiles et enfin les marnes. « La Molasse est [de plus] caractérisée par une Grisons. Composées de roches cristallines, elles fournissent la majorité des
alternance de couches liées aux différents niveaux du bassin de sédimentation et roches utilisées dans la construction, parmi lesquelles : granite, quarzit, marbre,
de la mer. On a ainsi une Molasse marine et une d’eau douce »23, respectivement dolomite, serpentine et ardoise27.
supérieure et inférieure, selon qu’elle a été formée en milieu marin ou océanique Les vallées alpines sont caractérisées par un profil en « U », formé par
en deux périodes successives. De plus, l’érosion a érodé plus de 2000 mètres l’érosion glaciaire et celle due aux intempéries. Dans ce contexte, les carrières
de molasse, laissant aujourd’hui affleurer successivement d’Est en Ouest vont généralement se situer en deux lieux distincts : au pied des falaises et sur
la molasse d’eau douce inférieure, plus récente dans la région de Zürich, la les plateaux supérieurs. Les premières, généralement au-dessus des derniers
molasse marine supérieure, entre Berne et Fribourg, et enfin la molasse d’eau villages de la plaine, exploitent d’une part les alluvions – graviers, boulets, blocs
douce supérieure, la plus ancienne dans la région lémanique24. erratiques – et d’autre part la roche affleurant dans les falaises. Les secondes
À proximité des villes, les carrières se situent en grande majorité dans les carrières, plus hautes en altitudes sont plus rares et plus petites. Elles exploitent
massifs de molasse formant les collines généralement boisées et typiques également les alluvions, mais aussi des roches particulières – pierres ollaires,
du Plateau suisse, appelées drumlins25. Les nombreuses falaises, aujourd’hui serpentine – ne se trouvant pas dans la plaine.
presque toutes cachées par la végétations, peuvent aisément être utilisées
comme début de front de taille. Il n’est pas rare que les carrières se développent,
par la suite, en puits ou en souterrains.

Géologie du Plateau avec implantation des carrières sur un drumlin. Géologie des Alpes, vallées glaciaires avec implantation des carrières.
Carte composée d’après : Labhart, Toni ; Decrouez, Danielle, Géologie de la Suisse, Delachaux et Niestlé, Carte composée d’après : Labhart, Toni ; Decrouez, Danielle, Géologie de la Suisse, Delachaux et Niestlé,
Lausanne, 1997, p. 48. Lausanne, 1997, p. 94.
16 17
« Dessins géologiques » et dessins tectoniques et géologique, sur ses transformations et sur l’état ancien et moderne de ses
glaciers »31. Il y présente deux thèses au travers desquelles il tente d’expliquer
la formation des Alpes. La première repose sur l’existence d’une structure
John Ruskin et Eugène Viollet-le-Duc, deux architectes contemporains cristalline, modèle géométrique capable de structurer et de donner forme – ou
du 19e siècle, ont exploré la pierre au travers de dessins, que Stefano Zerbi Forme – aux montagnes ; la seconde repose, elle, sur les érosions successives
nomme les « dessins géologiques »29, à la fois comme matériau d’architecture, de cette géométrie. Si les thèses avancées par Viollet-le-Duc sont aujourd’hui
mais aussi comme celui de la géologie. Ils ont tout deux recherché, à travers le insuffisantes, et en partie erronées, pour décrire et expliquer la formation des
dessin, les structures géologiques fondamentales et structurantes le paysage ; Alpes, elles décrivent un modèle métaphorique dans lequel architecture et
des structures qui seront plus tard décrites par la phénomènes tectonique. Ces géologie se rencontrent.
recherches les amèneront tout les deux à poser des hypothèses qui, si elles ne se Pour Viollet-le-Duc, la formation actuelle des Alpes, qui pourrait être
sont pas révélées toutes exactes on contribué de manière significative au débat étendue à la formation de toute la croûte terrestre, décrit l’état actuel d’un long
scientifique. processus d’érosion pratiqué sur un état original – qu’il faut comprendre ici
C’est à travers ses livre « The Stone of Venice » et « Works »28 que John Ruskin comme un système, comme le suggère Jacques Gubler dans un essai sur Viollet-
aborde le long chemin des pierres, des montagnes à l’architecture, jusqu’à la le-Duc32. En d’autres termes, et pour reprendre ceux de Pierre Frey dans son
ville. Son expérience s’appuie en grande partie sur les nombreuses observations ouvrage consacré à Viollet-le-Duc, « la beauté de la montagne, qui vaut pour
consignées lors de ses divers voyages à travers les Alpes et une passion pour toute la terre, est qu’en prenant forme, elle perde sa Forme – originelle »33.
la géologie. Au travers de ces dessins, Ruskin semble chercher, au-delà de La géologie prend, au travers des regards de ces deux architectes, la
préoccupations picturales, l’architecture d’un paysage. dimensions particulière d’une architecture faite de parties contenues dans un
système. Ce dernier fonctionne comme un système théorique qui, confronté
aux épreuves du temps, prendra sa forme en confrontation avec les pluies, les
neiges, les glaces, et l’érosion qui en découle, qui cacheront souvent une lecture
directe des phénomènes géologique dus à la tectonique.
La carrière donne, par la mise à nu de la structure tectonique de la géologie,
un nouveau regard sur ce à ce système. La carrière produit donc, par un processus
de prélèvement de la matière, comme les dessins axonométriques écorchés si
chères à Viollet-le-Duc, une forme de tectonique à l’envers, se situant entre
celle géologique, où elle emprunte sa matière, et celle architecturale à laquel les
matériaux extraits seront destinés.

John Ruskin, Les aiguilles blaitières, 1856.


Source : Ruskin, John, Works, The Library Edition, London, 1903-1912, volume 4.

Viollet-le-Duc affirme, quant à lui, que « de fait notre globe n’est qu’un grand
édifice […] »30. Réduisant ainsi l’étendue terrestre à un édifice, l’imagination
peut dès lors aisément établir des rapports entre des parties terrestres désormais
distinctes et identifiables. Les longues études qu’il mène aux cours de nombreux
séjours à Chamonix puis à Lausanne amèneront à publier, en 1876, un ouvrage
intitulé Le Massif du Mont-Blanc, portant « sur sa constitution géodésique

18 19
Viollet-le-Duc, Modifications apportées à un sommet.
Source : Viollet-le-Duc, Le massif du Mont Blanc, étude sur sa constitution géodésique et géologique, sur ses
transformation et sur l’état ancien et moderne de ses glaciers, J. Baudry éditeur, Paris, 1876, p. 76. Tectonique à l’envers.
20 21
Ecologie.s
« Vint la vie : une humidité sophistiquée, promise à un destin inextricable ; et
chargée de secrètes vertus, capable de défis, de fécondité. Je ne sais quelle glue précaire,
quelle moisissure de surface, où déjà enfièvre un ferment. Turbulente, spasmodique,
une sève, présage et attente d’une nouvelle manière d’être, qui rompt avec la
perpétuité minérale, qui ose l’échanger contre le privilège ambigu de frémir, de
pourrir, de pulluler ».
Robert Caillois, Pierres, Gallimard, Paris, 1966, p.128.

L’écologie est définie, en tant que discipline scientifique, comme « la science


qui étudie les relations entre les êtres vivants (humains, animaux, végétaux)
et le milieu organique ou inorganique dans lequel ils vivent »34. Le terme
« écologie », dont l’acception française est empruntée à l’allemand Ökologie,
formulé en 1866 par le biologiste allemand Ernest Haeckel35, est composé
du grec oîkos, la « maison », et logia, « théorie». Autrement dit, l’« écologie »
formule une « théorie de la maison », décrivant un système de relations spatio-
temporelles.
L’écologie utilise le concept d’« écosystème » pour décrire les différents
ensembles qui la composent. Chacun de ces écosystèmes décrit un ensemble
de relations différentes inscrites à la fois dans l’espace et le temps. Longtemps
extraites de ces analyses, les relations entre l’homme et ses environnements
sont aujourd’hui communément admises comme faisant partie intégrante de
nombreux écosystèmes – certains scientifiques considèrent que les relations
anthropiques, au travers de la pollution, ont atteint tous les écosystèmes de la
planète36. L’architecture, en tant que discipline portant sur la définition d’un
habitat particulier – la notion d’« habitat » est à comprendre au sens large du
terme – en un lieu et un temps donnés, peut dès lors être considérée comme
partie d’un écosystème particulier.
Dans le sujet qui nous occupe ici, les carrières, la notion d’écosystème,
dans ses dimensions spatio-temporelles, permet de compléter la vision
typomorphologique abordée précédemment. L’extraction et la végétation se
complètent, participant alors d’une définition à la fois spatiale et temporelle,
que nous traiterons dans le chapitre qui suit en étudiant, outre quelques notions
d’écologie générale, les différents habitats des carrières. Pour cette analyse,
nous nous appuierons principalement sur Le guide des milieux naturels de Suisse,
Renaturierung von Abbaustellen, La construction en pierre massive en Suisse, ainsi
que quelques notions d’Écologie générale données par le prof. Alexandre Buttler
dans la faculté SIE de l’epfl.

Carrière de la Molière, Murist.


22 23
Notions d’écologie générale
Si nous avons ci-dessus brièvement défini la notion d’écologie, précisons
qu’elle se compose d’écosystèmes, formant, sur une aire géographique données,
un biome. Ce dernier, caractérisé par l’« expression des conditions écologiques
[d’un] lieu à l’échelle régionale ou continentale »37, décrit de grands ensembles
d’écosystèmes favorables ou probables en un lieu et climat donnés. Paul
Ozenda, dans son livre Végétation du continent européen38, donne les principales
caractéristiques des biomes pour l’Europe, tout en retraçant leur histoire par
rapport à l’ensemble de la planète. Ce développement l’amènera, par la suite,
à évoquer l’existence d’un « continent théorique »39 qui, de manière similaire
à la Pangée qui a permis d’expliquer les principaux mouvements tectoniques
au cours du temps, permet d’expliquer la présence de végétations et d’animaux
similaires dans des aires géographiquement et temporellement très éloignées.
Ainsi, tout comme la dérive des continents structure la tectonique terrestre, Répartition des grandes formations végétales dans le monde.
les biomes, se déplaçant à des échelles tout aussi importantes, structurent Source : Clément, Gilles, Eloges des vagabondes, Nil Edition, Paris, 2002, tableau 1.
l’évolution des espèces végétales et animales tout comme les milieux où elles
résident. caractéristiques, et d’autre part quelques-uns des mécanismes principaux
Mais revenons aux écosystèmes caractéristiques des carrières. Ces régissant leurs relations. La biocœnose définit « un ensemble de communautés
derniers décrivent donc l’« ensembles de communautés végétales et animales végétales [phytocœnose] ou animales [zoocœnose] »41, regroupant elles-mêmes
[biocœnose], de leur biotope [habitat] et des relations qui existent entre plusieurs populations dans « un endroit déterminé, à un moment donné et qui
eux »40. Ils se composent ainsi de trois entités fondamentales : la biocœnose, présentent une organisation spatiale et temporelle ainsi que des interactions
l’habitat et leurs relations ; dont nous préciserons d’une part les principales fonctionnelles structurantes »42. Parfois aussi appelé biotope, l’habitat est, quant
à lui, « l’espace occupé par une biocœnose [et] caractérisé par un ensemble
de conditions abiotiques globales »43. Il est donc définissable, dans le cas des
carrières, par la nature du sol et des roches, l’ensoleillement et le climat.
Dans l’ensemble des écosystèmes continentaux européens, aussi appelé
« biome continental européen », il est généralement admis que le milieu
primaire a disparu, à l’exception de quelques écosystèmes particuliers et isolés
de toutes activités humaines, comme les moraines glaciaires alpines44.
Les carrières, en tant qu’entités spatiales se transformant dans le temps,
structurent un habitat pour de nombreuses espèces animales et végétales
qui vont, à leur tour, influencer voire transformer cet espace. À l’intérieur
d’un milieu, la transition entre deux communautés va définir un espace45 de
transition appelé « écotone »46, influencé par les deux communautés. Cet espace,
typique des haies, ourlets et bordures, est souvent caractérisé « par davantage
de diversité et certaines espèces inféodées à la transition »47. Les pourtours des
carrières voient ainsi régulièrement apparaître des ourlets extrêmement denses,
empêchant souvent de saisir l’ensemble de l’espace de la carrière.
Enfin, un dernier système spatial de succession des espèce se structure selon
des « juxtapositions spatiales des communautés […] »48 ; c’est ce qu’on appelle
la « zonation »49.
Continent théorique.
Source : Clément, Gilles, Eloges des vagabondes, Nil Edition, Paris, 2002, tableau 1.
24 25
Dynamiques des milieux et successions complexes Dans le cas des carrières, l’extraction agit tout d’abord comme facteur
externe exerçant d’une part la destruction pure et simple d’une partie du milieu
Les écosystèmes qui, nous l’avons vu, sont caractérisés par un habitat et une et d’autre part le stress induit par cette destruction sur le reste de ce même
biocœnose, décrivent de constantes transformations, induisant une modification milieu. Dès lors, le milieu va réagir soit en continuant son développement
de l’espace et de sa perception au cours du temps. Ces transformations après une stagnation plus ou moins longue, soit en régressant lorsque le stress
s’inscrivent dans une dynamique de successions de communautés végétales ou est trop important, mais en restant toujours dans une succession primaire.
animales, s’effectuant selon trois stades : pionniers, transitoires et matures50. L’installation d’une carrière peut, par exemple, amener une forêt environnante
Elles font ainsi passer un milieu dit « exogène », c’est-à-dire caractérisé à régresser petit à petit à un stade de bosquets, d’arbustes voire de boccages
par « l’ensemble des éléments du milieu qui préexistent à l’installation des caractéristiques d’un stade pré forestier. L’environnement peut également
organismes vivants et qui contribuent à conditionner leur existence »51, vers évoluer vers un tout autre milieu ; on parlera alors de succession secondaire,
un milieu dit « endogène », caractérisé par « l’ensemble des éléments du milieu ou la carrière sera dès lors non plus un élément de stress et de destruction,
créés ou modifiés par les organismes »52. mais caractéristique de ce nouveau milieu transformé56. Décrivant ainsi non
Si les communautés végétales et animales du stade pionnier caractérisent plus uniquement une métamorphose évolutive ou régressive du milieu, mais la
l’instabilité du milieu exogène, celles du stade mature tend, lors d’un processus mutation de ce dernier en un autre milieu.
de succession53 des espèces, vers un état momentanément stable, appelé
« climax »54. Les successions sont progressives, dans le cas où le milieu tend vers
son climax, ou régressives, dans le cas ou le milieu s’éloigne de ce même climax. Quelques habitats des carrières
Ces dynamiques de successions impriment toutes des modifications au milieu
où elles se trouvent ; c’est ce qu’on appelle la modification endogène d’un milieu. Les dynamiques des milieux correspondent au sein de la carrière à des habitat
Dans le biome continental européen, il est admis que le climax, pour presque particuliers, caractérisés, en ce qui nous concerne, par un espace particulier.
tous les milieux, est atteint par une forêt55, voyant ainsi la prairie herbacée se Ainsi, on trouve un système de falaises, corniches, bermes, monticules, planchers
transformer petit à petit en forêt. L’espace, décrit par cette évolution, se referme ou encore plateaux, caractéristiques de l’architecture des carrières. Ces habitats
de plus en plus, voyant un espace caractérisé par l’horizon se transformer en un peuvent devenir autant d’habitats potentiels, et parfois de substitutions lorsque
espace beaucoup plus vertical et fermé, défini par les arbres. On mesure ainsi à les pressions sur les milieux environnants similaires sont importantes, pour les
quel point l’espace actuel des territoires européens, autrefois en grande partie espèces végétales et animales. Chaque carrière, même en activité, définit dès
couverts de forêts primaires, est fortement liés d’une part aux perturbations et lors un écosystème, au sens large du terme, participant à sa définition spatiale.
au stress induits par l’homme, et d’autre part aux réactions et modifications de Les carrières de pierre de taille se caractérisent, contrairement aux autres
ces écosystèmes liées à ces mêmes stress. formes de carrières, d’une part par le prélèvement de blocs de grandes dimensions,
générant un système de falaises plutôt que de talus, et d’autre part par la nature
Milieu endogène relativement homogène des roches exploitées57. En effet, l’exploitation par fils
détonants, fils diamantés et haveuses laisse place à une structure géométrisée
Forêt à épicea Climax correspondant aux bancs de roche, différente de celle laissée par les explosifs à
fracturation ou les pelleteuses des autres types d’exploitations.
Saulnaie - Aulnaie Outre les facteurs habituellement déterminant pour la végétation et les
Stades transitoires animaux, comme l’ensoleillement, le potentiel hydrogène (ph), la capacité des
évolution vers roches à retenir l’eau et l’humidité, ainsi que la gélivité, le type et l’intensité
un autre milieu Saulnaie à Salix elaegnos
des actions anthropiques dues à l’extraction jouent dans les carrières un rôle
particulièrement important. Ces actions comprennent, outre les blocs extraits,
Communauté herbacées Stades pionniers aussi bien la pollution des sols, de l’eau et de l’air, bien que généralement limitée
dans les carrières – parfois à la différence des autres types d’extractions–, que
Milieu exogène dynamique regessive le déplacement de matériaux par des véhicules pesant jusqu’à cinquante
dynamique progressive
tonnes. La pollution des sols, de l’eau et de l’air se limite généralement aux gaz
Successions complexes conduisant à un écocomplexe. d’échappement, aux poussières, ainsi qu’aux métaux, dus à l’abrasion des outils,
D’après : Buttler, Alexandre, Ecologie générale – Essentials of ecology, inédit, epfl, 2012.
26 27
présents dans les boues de sciage.
Les principaux habitats des carrières composent donc un système complexe
en constante métamorphose, qui seront ici comparés avec des habitats naturels
présentant des conditions similaires.

Le plancher
Le « plancher » ou le « sol de la carrière » se compose généralement d’un
banc de roche affleurant ou faiblement couvert par des dépôts minéraux. Ces
derniers se forment principalement par l’accumulation de poussières, de sables,
de graviers ou de pierres, tombant lors des nombreux transports de matériaux,
projetés dans l’air lors de l’extraction, ou encore transportés et déposés par
les eaux de sciage et de pluie. Ainsi, le sol de la carrière, sans cesse piétiné
par le déplacement des véhicules, est généralement formé d’un sol pauvre en
substrat, peu fertile et peu capable de retenir l’eau, de réguler l’hydrométrie
et les importants écarts de températures. Il présente souvent des conditions
extrêmes propices à l’installation d’une végétation pionnière et thermophile,
voir xérophile58, contrastant souvent avec celle des sols environnants. La
végétation qui y prend forme est en général herbacée, sous forme d’une prairie
mi-sèche, voire sèche, ou alors de buissons59.
Il faut encore préciser que la dimension des particules de matière présentes
dans l’air et les boues de sciages, relative au mode d’extraction, peut modifier Plancher et front de taille. Carrière d’Arzo, Tessin.
grandement le sol, notamment sa fertilité et sa capacité à réguler l’hydrométrie
et la température. Ainsi, les loess, particules dont la dimension se situe entre
les argiles et les sables, sont très fertiles, alors que les argiles, plus fines, ne le
sont pas. Ces dernières par contre retiennent beaucoup mieux l’eau, à tel point
que des réserves d’eau peuvent se former même en surface60, donnant lieu à
l’apparition d’une végétation humide.

Les dépôts et déchets d’exploitation


Les dépôts de pierres et de sables se constituent d’une part des « déchets »
d’exploitation, stockés en tas, intégrés à des rampes d’accès et parfois déplacés
aux cours de l’exploitation, et d’autre part des éboulements au pied des falaises,
qui forment de petits monticules. Les déchets de grandes dimensions ne
présentent quasiment aucun intérêt pour la végétation ; en revanche, les insectes
et les animaux peuvent y trouver un refuge. Les sables, parfois mélangés aux
déchets de plus grande taille, sont souvent emportés par les eaux de pluie avant
même de pouvoir se stabiliser totalement, laissant place à des graviers61.
Les fréquents dépôts et déplacements de terre, favorisent le développement
de certaines espèces, dont les plantes rudérales62, souvent nitrophites. De plus
une part importante de ces dernières possèdent un système de germination
demandant un enfouissement des graines, puis leur exposition à l’air et au
soleil par retournement de la terre63 pour pouvoir se développer.
Dépôts et déchets. Carrière d’Ostermundigen.
28 29
La falaise
Le front de taille, en gradins successifs ou en falaises, présente un
milieu similaire aux falaises pour la végétation et la faune. L’exploitation
ne se faisant presque jamais sur l’entier du front de taille, les falaises qui le
composent sont constamment habitées par des plantes et animaux profitant
des anfractuosités de la roche. Le peu d’eau et de substrats, dont l’apport est
limité aux dépôts de poussières successifs, parfois des loess, limite dans un
premier temps le développement d’une végétation xérothermophile qui peut,
par des modifications endogènes que ces dernières peuvent entraîner sur le
substrat, favoriser une végétation xérophile. La capacité de certaines roches à
emmagasiner et restituer l’humidité – c’est le cas de certaines molasses –, ou la
présence d’une source coulant sur la parois, peut faire apparaître un milieu de
plantes humides et de nombreuses mousses qui donnant une teinte aux parfois
rocheuses. Ainsi, des méthodes d’extraction différentes, comme par exemple
la découpe à la haveuse ou par perforation en ligne, produisent sur une même
roche différentes teintes.

Paul Klee, Steinbruch bei Ostermundigen, 1915.


Source : Zentrum Paul Klee,Bern, www.zpk.org.

Les bermes, se développant le long des falaises, sont très pauvres en


substrats. De plus, très exposées aux intempéries et au soleil, elles décrivent
des conditions climatiques souvent fort différentes des habitats environnants.
Les plantes pionnières qui s’y développent forment dès lors souvent le milieu
d’atterrissement d’une prochaine végétation64.
La corniche, au sommet de la carrière, souvent instable, voit l’apparition
de nombreux rapaces, tels faucons, aigles, hiboux ou encore corneilles65, qui y
Falaise. Carrière de Stockeren, Bolligen. trouvent un repère ou un territoire de chasse.
30 31
Les plateaux Les plans d’eau
Les plateaux définissent des espaces en hauteurs, plans et horizontaux, Les carrières comprennent souvent de nombreux plans d’eau, apparus par la
délimités du reste de la carrière et du territoire par des parfois verticales. rétention naturelle de l’eau au fond de la carrière ou créés intentionnellement
Comparables à des dalles rocheuses, ils sont généralement recouverts d’une – utilisés dans ce cas pour le refroidissement des outils, pour la décantation des
couche de terre fine, causant souvent un assèchement et des conditions boues de sciage, ou encore, et de plus en plus souvent, servant de compensation
climatiques extrèmes66. Les végétations qui s’y développent se caractérisent écologique. La pollution qui s’y trouve généralement, presque toujours des
donc par leur capacité à retenir l’eau et à survivre dans un milieu sec. Les métaux lourds, favorise le développement de plantes nitrophiles, souvent
lichens et mousses s’y développent ainsi particulièrement bien67. absentes des milieux environnants. Dans le cas de plans d’eau claire, servant
parfois de compensation écologique, la végétation qui se développe est souvent
complémentaire à la végétation environnante69.

Bermes et plateaux. Carrière de Seiry.


Plans d’eaux. Carrière de la Molière, Seiry.
Les lisières ou ourlets
L’implantation des carrières dans un milieu végétal, forestier dans une
grande majorité des cas, construit avec le milieu environnant une limite qui
se qualifie souvent par une épaisseur. Cette épaisseur, faisant frontière entre
la carrière proprement dite et ce qui l’environne, décrit un espace limite, un
seuil, appartenant à la fois à la carrière et à ce qui l’entoure. La végétation
s’y caractérise, comme mentionné ci-dessus, « par davantage de diversité
et certaines espèces inféodées à la transition »68. Les ourlets sont souvent
extrêmement denses, empêchant parfois même de pénétrer dans la carrière et
formant une importante barrière visuelle entre l’intérieur de la carrière et ce
qui l’environne.

32 33
Des îles dans le territoire
Les différents habitats des carrières, décrits ci-dessus, révèlent la grande
diversité des espaces, mais aussi l’extrême fragilité d’un système spatial inscrit
dans de constantes métamorphoses. Ces modifications spatiales continues
rendent souvent extrêmement complexe une lecture de l’impact réel des
carrières sur l’environnement. Aussi bien parmi les professionnels de la pierre
et les scientifiques que dans le monde politique, les avis portant sur l’impact
des carrières sont très divergents, tant en ce qui concerne leur implantation ou
leur exploitation que leur « renaturation ».
Selon l’Office Fédéral de l’Environnement, dont un rapport est publié
chaque année, pendant « longtemps, les gravières et les carrières ont été
assimilées à des fractures dans le paysage [mais] aujourd’hui […] ces surfaces
représentent de précieux habitats complémentaires aux zones alluviales des
cours d’eau, dont la majeure partie a disparu sur le Plateau »70. Les carrières,
en grande partie abandonnées, puis dans un deuxième temps classées comme
zones naturelles, décrivent ainsi une valeur particulière, outre celle culturelle ou
géologique. Elles peuvent ainsi, et de manière paradoxale quand on considère
la destruction qu’elles impliquent, définir « des refuges ou des îles non
seulement intéressantes pour la diversité qui s’y trouve, mais encore comme
documentation »71. Les mêmes auteurs précisent que ces valeurs, écologique Albrecht Dürer, Steinbruch, 1495/97.
et documentaire, devraient contribuer à une autre vision que celle, souvent Source : British Museum ; www.britishmuseum.org
normative, portée sur l’environnement, et qui veut que la majorité des carrières
sont remblayées et « renaturées » une fois l’exploitation arrêtée.
La nature « délaissée »72 des carrières, partie d’un territoire souvent en marge
de la planification territoriale, trouve parfois, sous la forme de « palympseste
vivants »73, de nouveaux espaces de liberté, « sauvages » et imprévisibles.
Milieu 1 Transition Milieu 2 Milieu 1 Transition 1 Milieu de la Transition 2 Milieu 2
carrière

Habitat avant la carrière. Habitat pendant l’exploitation.


34 35
37 Source : wikipedia.org
Notes 38 Ozenda, Paul, Végétation du continent européen, Delachaux & Niestlé, Lausanne, 1994.
39 Clément, Gilles, Eloges des vagabondes, Nil Edition, Paris, 2002, tableau 1.
1 Frey, Pierre Allain, E. Viollet-le-Duc et le massif du Mont-Blanc 1868-1879, Lausanne, Payot, 40 Buttler, Alexandre, Ecologie générale – Essentials of ecology, epfl, cours de bachelor SIE.
1988, p. 116. 41 Ibid.
2 www.cnrtl.ch 42 Ibid.
3 Viollet-le-Duc publie un livre à ce propos : Viollet-le-Duc, Eugène, Le massif du Mont Blanc, 43 Ibid.
étude sur constitution géodésique et géologique, sur ses transformations et sur l’état ancien et moderne de 44 Ozenda, Paul, Végétation du continent européen, Delachaux & Niestlé, Lausanne, 1994, p. 1.
ses glaciers, J. Baudry éditeur, Paris, 1876. La versions consultée est disponible sur internet : www. 45 La littérature scientifique parle habituellement de zone. Nous y substituerons ici, à dessein, la
archive.org. notion d’espace pour bien mettre en évidence les structure spatiales qui caractérisent différents
4 Grégoire Testaz est géologue. Il a notamment travaillé au Service d’Aménagement du territoire et milieux et leurs relations.
dans l’enseignement public. Il est aujourd’hui présendent de l’Association des Amis du Musées de 46 Buttler, Alexandre, Ecologie générale – Essentials of ecology, epfl, cours de bachelor SIE.
Géologie de Lausanne. 47 Ibid.
5 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 52. 48 Ibid.
6 Parriaux, Aurèle, Géologie. Bases pour l’ingénieur, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, 49 Ibid.
Lausanne, 2006, p. 146. Cité dans : Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse 50 Ibid.
EPFL, Lausanne, 2011, p. 54. 51 Ibid.
7 www.wikipedia.org 52 Ibid.
8 Deferne, Jacques, « Introduction à la cristallographie », 2010, p. 125. Disponible en ligne, consulté 53 Une succession primaire décrit des « successions de biocoenose à partir d’un milieu exogène jusqu’au
le 14 décembre (www.kazuku.ch). climax, avec création et développement d’un milieu endogène », alors que la succession secondaire
9 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 46. est elle caractérisée par des « successions « à partir d’un stade intermédiaire ou de climax, à partir
10 Ces derniers, appelés « loess », sont très importants, car très fertiles, pour le développement de la d’un milieu endogène déjà constitué ». Source : Buttler, Alexandre, Ecologie générale – Essentials of
végétation. ecology, epfl, cours de bachelor SIE.
11 L’inclinaison d’une strate se nomme le pendage. 54 Buttler, Alexandre, Ecologie générale – Essentials of ecology, epfl, cours de bachelor SIE.
12 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 50. 55 Ibid.
13 Parriaux, Aurèle, Géologie. Bases pour l’ingénieur, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, 56 Ibid.
Lausanne, 2006, p. 342. Cité dans : Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse 57 Bruns, Daniel, Gilcher, Sabine, Renaturierung von Abbaustellen, Verlag Eugen Ulmer GmbH &
EPFL, Lausanne, 2011, p. 50. Co., Stuttgart, 1999, p. 64.
14 Ibid., p. 397. Cité dans : Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, 58 Ibid., p. 67.
Lausanne, 2011, p. 51. 59 Delarze, René, Gonseth, Yves, Guides des milieux naturels de Suisse, écologie menaces espèces
15 Kündig, Rainer, et al., Die Mineralische Rohstoffe der Schweiz, Schweizerische Geotechnische caractéristiques, Delachaux et Niestlé, Lausanne-Paris, 2008, p. 110, 168 et 238.
Komission, ETHZ, Zürich, 1997, p. 13-15. 60 www.wikipedia.org
16 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 61. 61 Bruns, Daniel, Gilcher, Sabine, Renaturierung von Abbaustellen, Verlag Eugen Ulmer GmbH &
17 Ibid., p. 72. Co., Stuttgart, 1999, p. 67.
18 Une autre forme de roche calcaire en encore présente en Suisse se trouve au Tessin, à Arzo. 62 Delarze, René, Gonseth, Yves, Guides des milieux naturels de Suisse, écologie menaces espèces
19 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 72. caractéristiques, Delachaux et Niestlé, Lausanne-Paris, 2008, p. 321. Ainsi que : Clément, Gilles,
20 Kündig, Rainer, et al., Die Mineralische Rohstoffe der Schweiz, Schweizerische Geotechnische Eloges des vagabondes, Nil Edition, Paris, 2002.
Komission, ETHZ, Zürich, 1997, p. 12-13. 63 On parle alors de « dormance ». Cette dernière définit un « mécanisme physiologique permettant
21 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 62. à un organisme vivant de cesser toute ou une partie de son activité pendant la mauvaise saison
22 Ibid., p. 62. sous l’effet du froid, de la sécheresse, d’un éclairement insuffisant ». Source: www.cnrtl.fr. Notes de
23 Ibid., p. 62. cours : Art et histoire des jardins, Laurent Daune, 2011.
24 Ibid., p. 62. 64 Bruns, Daniel, Gilcher, Sabine, Renaturierung von Abbaustellen, Verlag Eugen Ulmer GmbH &
25 Labhart, Toni, Decrouez, D., Géologie de la Suisse, Delachaux et Niestlé, Lausanne, 1997, p. 28. Co., Stuttgart, 1999, p. 66.
26 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 63. 65 Ibid., p. 66.
27 Kündig, Rainer, et al., Die Mineralische Rohstoffe der Schweiz, Schweizerische Geotechnische 66 Delarze, René, Gonseth, Yves, Guides des milieux naturels de Suisse, écologie menaces espèces
Komission, ETHZ, Zürich, 1997, p. 17. caractéristiques, Delachaux et Niestlé, Lausanne-Paris, 2008, p. 331.
28 Publié en en 1851-58 et 1879. 67 Ibid., p. 331.
29 La note est publiée en 1867, dans la revue « Geological Magazine ». Voir à ce propos : Zerbi, 68 Buttler, Alexandre, Ecologie générale – Essentials of ecology, epfl, cours de bachelor SIE.
Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 34. 69 Ibid.
30 Frey, Pierre Allain, E. Viollet-le-Duc et le massif du Mont-Blanc 1868-1879, Lausanne, Payot, 70 Klaus, Gregor ; Les zones protégées d’importance nationales et leur utilisation, statistique suisse de
1988, p. 116. l’environnement, n0 13, OFS, Neuchatel, 2004, p. 22.
31 Viollet-Le-Duc 1876, 1. 71 Tränkle, Uwe ; Poschlod, Pieter ; Kohler, Alexandra ; Steinbrüche und Naturschutz.
32 Gubler, Jacques, et al. Viollet-le-Duc: centenaire de la mort à Lausanne : exposition au Musée historique Vegetationskundliche Grundlagen zur Schaffund von Entwicklungskonzepten in
de l’Ancien-Évêché, Lausanne, 22 juin-30 septembre 1979, catalogue d’exposition, Musée historique Materialentnahmestellen am Beispiel von Steinbrüchen, Universität Hohenheim, Institut für
de l’Ancien-Évêché, Lausanne, 1979. Landeskultur und Pflanzenökologie, Karlsruhe, 1992, p. 1.
33 Frey, P. , E. Viollet-le-Duc et le massif du Mont-Blanc 1868-1879, Lausanne, Payot, 1988, p. 115. 72 Je me réfère ici à la définition des plantes considérées comme « envahissantes » donnée Gilles
34 www.cnrtl.ch, consulté le 21 décembre 2012. Clément dans son livre Eloge des vagabonde, Nil édition, Paris, 2002, p. 164. : « Les délaissées
35 www.cnrtl.ch, consulté le 21 décembre 2012. constituent […] les seuls refuges d’importances pour les pionnières des sols abandonnés, nus,
36 Voir : Ozenda, Paul, Végétation du continent européen, Delachaux & Niestlé, Lausanne, 1994. « retournés » ou en décombre. Opportunité pour une certaine expression de la diversité ».
73 Jakob, Michel, Paysage et temps, infolio, Gollion, 2007, p. 60.
36 37
Bibliographie glaciers, J. Baudry éditeur, Paris, 1876, p. 76.
ZERBI, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL,
BRUNS, D., Gilcher, S., Renaturierung von Abbaustellen, Verlag Eugen Ulmer Lausanne, 2011, p. 63.
GmbH & Co., Stuttgart, 1999. ZENTRUM PAUL KLEE,Bern, www.zpk.org.
BUTTLER, Alexandre, Ecologie générale – Essentials of ecology, inédit, epfl,
cours de Bachelor SIE, 2012.
CAILLOIS, R., Pierres, Gallimard, Paris, 2005.
CLÉMENT, Gilles, Eloges des vagabondes, Nil Edition, Paris, 2002.
DEFERNE, Jacques, « Introduction à la cristallographie », 2010, p. 125.
Disponible en ligne, consulté le 14 décembre (www.kazuku.ch).
DELARZE, René, GONSETH, Yves, Guides des milieux naturels de Suisse,
écologie menaces espèces caractéristiques, Delachaux et Niestlé, Lausanne-
Paris, 2008.
FREY, Pierre Allain, E. Viollet-le-Duc et le massif du Mont-Blanc 1868-1879,
Lausanne, Payot, 1988.
GUBLER, Jacques, et al., Viollet-le-Duc: centenaire de la mort à Lausanne :
exposition au Musée historique de l’Ancien-Évêché, Lausanne, 22 juin-30
septembre 1979, catalogue d’exposition, Musée historique de l’Ancien-
Évêché, Lausanne, 1979.
JAKOB, M., Paysage et temps, Gollion, Ed. Infolio, 2007.
KIENAST, D., Die Poetik des Gartens. Über Chaos und Ordnung inder
Landschaftsarchitektur, Birkhäuser, Basel 2002.
KÜNDIG, Rainer, et al., Die Mineralische Rohstoffe der Schweiz, Schweizerische
Geotechnische Komission, ETHZ, Zürich, 1997.
LABHART, Toni, Decrouez, D., Géologie de la Suisse, Delachaux et Niestlé,
Lausanne, 1997
MAROT, S., L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture, Paris, Ed. de la
Villette, 2010.
OZENDA, Paul, Végétation du continent européen, Delachaux & Niestlé,
Lausanne, 1994.
PARRIAUX, Aurèle, Géologie. Bases pour l’ingénieur, Presses Polytechniques
et Universitaires Romandes, Lausanne, 2006.
RUSKIN, John, « The Stone of Venice », D. Estes & Co, Boston, 1851. Consulté
sur www.gutenberg.org.
RUSKIN, John, Works, The Library Edition, London, 1903-1912, volume 4.
consulté sur www.gutenberg.org.
TRÄNKLE, Uwe ; POSCHLOD, Pieter ; KOHLER, Alexandra ; Steinbrüche
und Naturschutz. Vegetationskundliche Grundlagen zur Schaffund von
Entwicklungskonzepten in Materialentnahmestellen am Beispiel von
Steinbrüchen, Universität Hohenheim, Institut für Landeskultur und
Pflanzenökologie, Karlsruhe, 1992.
VIOLLETLEDUC, Le massif du Mont Blanc, étude sur sa constitution géo-
désique et géologique, sur ses transformation et sur l’état ancien et moderne de ses
38
ESPACE.S

Cahier n0 5
Table des matières
Glossaire 6
Métamorphoses 8

Types et morphologies 8
La carrière en flanc de taille 12
La carrière en fosse 18
La carrière en puits 24
La carrière souterraine 28
Règles de composition des espaces des carrières 34
Types et morphologies
Ce cahier analyse les carrières en activité en Suisse selon leur type et leur
forme ; ceci pour mettre en évidence les principes spatiaux et les structures des
carrières, ainsi que leur transformation dans le temps. La géologie d’une part,
et les méthodes et techniques d’extraction d’autre part sont intimement liées
pour définir les types et la formes des carrières.
Les carrières de pierre de taille en activité en Suisse peuvent êtres divisées
en deux catégories principales1 : les carrières à ciel ouvert et les carrières
souterraines. Les carrières à ciel ouvert se déclinent, selon leur morphologie,
en trois types principaux : en « flanc de taille », en « puits » et en « fosse ». Les
carrières souterraines, peu présentes en Suisse, se développent généralement en
galeries ou en chambres.
Ces différentes morphologies sont le plus souvent combinées au sein d’une
même carrière, que se soit dans l’espace ou dans le temps. Il en résulte un objet
dont la métamorphose est probablement la seule constante spatiale, donnant
forme à une sorte d’indétermination spatiale au sein de la carrière. De plus,
au sein d’un même type de carrière, l’exploitation de roches différentes ainsi
que l’utilisation de techniques différentes impliquent des variations et des
morphologies très contrastées.

6 7
Glossaire
1 Découverte

2 Plancher ou sol de carrière

15 3 Pied de carrière
9
4 Front de taille

5 Ciel de carrière
8
9
6 Pilier tourné, demi tourné
1
4
7 Berme ou vire
7
10 8 Corniche
3

14 9 Plateau

10 10 Aires de stockage
5
2
11 Eaux
6
12 Déchets
4 12
13 Ateliers bureaux
13
14 Lits de carrière
11
15 Derrick

8 9
Dielsdorf-Steinmaur
Rorschach
St. Margethen
Lisberg
Mägenwil Teufen

Bollingen Lehholz
Soleure Bollingen Uznaberg

Nuolen-Gweiduntliweid

Root
Neuchatel
Kraunchtal
Ostermundigen
Alpnach

Seiry Gurten-Köniz

Murist Massonens

Villardlod
Andeer

S.Bernardino

Legiuna

Cresciano
Maggia
Calanca
Lodrino

Onsernone
Salvan

Carrière souterraine Carrière en fosse


Distribution territoriale des carrières en activité selon leur type.
La carte ne comprend pas toutes les carrières en activité, mais uniquement celles observés
Carrière en flanc de taille Carrière en puits lors des visites. Carte d’après Dufour, source : epfl, http//:library.epfl.ch
10 11
La carrière en flanc de taille
La carrière en flanc de taille, située généralement au pied d’une montagne ou
d’une colline, produit un espace concave, proche de l’hémicycle, dont le volume
extrait forme souvent un demi-cylindre tronqué sur une ligne rejoignant son
centre. C’est la forme de carrière la plus répandue, depuis l’Antiquité jusqu’à
nos jours, peut-être pour sa simplicité et le peu de technique qu’elle demande.
L’espace concave en hémicycle des carrières en flanc de taille, creusé dans la
montagne et s’ouvrant sur un paysage, se trouve à la source de nombreux théâtres
ou lieux d’assemblées dans l’Antiquité grecque. Taillée en gradins successifs, la
carrière en flanc de taille articulait dans sa forme « en creux », pour reprendre
l’étymologie du mot italien cava, le territoire entre le ciel et la terre.
La géologie, le territoire et la pente déterminent fortement l’implantation, la
forme et le développement de la carrière, dans la mesure où les bancs profonds
seront plus facilement atteints dans une pente fortement marquée que dans une
pente plus faible. Vu le profil riche en déclivité de toutes sortes de la Suisse, c’est
donc naturellement que la carrière en flanc de taille est le type le plus répandu,
principalement dans les vallées alpines du Tessin, du Valais et des Grisons2,
qui bénéficient de bonnes connexions aux réseaux de transports. Le profil en
« U » typique des anciennes vallées glaciaires est primordial pour comprendre
d’une part la morphologie et d’autre part l’histoire et les développements
de ce type. La vallée s’articule entre le fond de vallée et les coteaux, habités,
cultivés et comprenant les voies de circulation, la forte pente mise à nu par
l’érosion glaciaire, en partie recouverte de forêts, et un plateau supérieur, où
se concentrent les alpages, avant le développement des hauts massifs. Dans
cette coupe théorique, les carrières trouvent généralement place au sommet des
derniers coteaux cultivés, proches de la rupture de pente où le massif rocheux
affleure. Ainsi, située au pied des versants, les carrières bénéficient d’une roche
se trouvant à une faible profondeur, d’espace pour le travail de la pierre en
lien avec le tissu bâti et d’accès aux moyens de transport. Ces derniers seront
d’ailleurs déterminants lors de la construction des premières lignes de chemin
de fer.
Les carrières en flanc de taille sont donc caractérisées avant tout par la pente
où elles prennent place. Exploitées en gradins ou en bancs verticaux, elles se
développent le plus souvent dans la forêt ou dans une végétation non cultivée.
Un système de rampe ou de derricks permettent aux hommes et machines de
se rendre dans la partie supérieure de la carrière pour procéder à l’extraction de
la pierre, de même que pour acheminer les matériaux au « pied de carrière ».

Carrière en flanc de taille, Cresciano.


12 13
Morphologie

De la première carrière en flanc de taille, sorte de théâtre idéal de la


condition humaine, se structurant autour d’un espace concave mais ouvert
sur le territoire, va pouvoir se développer deux variantes : l’une parallèle à
la pente, par l’ouverture d’un voire de deux fronts de tailles latéraux, l’autre
perpendiculairement à la pente, avec le prolongement du front de taille dans le
massif rocheux. Par la suite, ces carrières seront parfois prolongées en carrières
souterraines.
En se développant parallèlement à la pente, de part et d’autre du front de
taille initial, la carrière forme alors une sorte de plateforme, nouveau niveau
de référence, permettant parfois à certaines activités de taille et de stockage de
prendre place directement au sein de la carrière. Les fronts de tailles avançant
parallèlement à la pente sont alors toujours de la même hauteur, comme dans
les carrières en fosse, limitant un développement vertical qui pose dans certains
cas des problèmes de stabilité.

Carrière en flanc de taille.


14 15
Les carrières en flanc de taille perpendiculaires à la pente sont souvent
beaucoup plus limitées dans leur développement, si elles ne se transforment
pas en carrières souterraines. En effet, la hauteur du front de taille devient
vite très importante et parfois dangereuse pour l’exploitation. En revanche, ces
carrières permettent d’atteindre des couches géologiques profondes, tout en
limitant la découverte et les pertes qui y sont liées lorsque la roche profonde
ne peut pas être exploitées.

Carrière en flanc de taille.


16 17
La carrière en fosse
Si la carrière en flanc de taille était caractérisée par la pente, celle en fosse
l’est par l’horizontale. Elle s’inscrit, par un abaissement subit du sol, comme un
trou dans le territoire. Souvent remblayée une fois l’exploitation abandonnée,
elle exerce une présence « absente » dans le territoire ; à double titre, puisqu’elle
retranche une partie importante du territoire, tout en fixant un nouveau niveau
de référence invisible sous l’horizon du regard. Cette carrière en « trou », que
l’allemand définit si bien par Steingrube – littéralement le « trou à pierre » –, est
aussi la carrière du sous-sol, parfois des villes, où se fondent les bâtiments.
En Suisse, les carrières en fosse furent répandues principalement sur tout
le Plateau et parfois le Jura, pour quasiment disparaître au cours du 20e siècle,
parfois au profit de gravières3. Se développant à partir d’un terrain plat ou peu
pentu et sur une structure géologique relativement homogène constituée de
couches sédimentaires, ce type de carrière exploite des bancs de roches proches
de la surface – pouvant atteindre jusqu’à cinquante mètres de profondeur –
généralement sur toute leur hauteur. Les carrières en fosse se trouvent donc,
en Suisse, en contact tendanciellement plus étroit avec des espaces cultivés –
agriculture et sylviculture principalement –, voire bâtis, ce qui n’est le cas avec
les carrières en flanc de taille. Les plans cadastraux jouent ainsi souvent une
influence importante quant à la morphologie des carrières en fosse.

Carrière en fosse, Mägenwil.


18 19
Morphologie

L’accès au front de taille se fait dans ce type de carrières soit par un système
de rampe, s’organisant dans les carrières de grandes dimensions en de véritables
spirales, soit par des derricks ou grues disposées sur des rails sur le « sol de
carrière ». Une fois les limites de l’espace d’exploitation atteintes, et si aucune
possibilité d’agrandissement n’est possible horizontalement, la carrière peut
éventuellement se développer en carrière en puits ou en carrière souterraine.
À partir d’une première creuse, ou d’un accident naturel du terrain
– changement de déclivité, affleurement rocheux –, le banc est généralement
dégagé sur toute sa hauteur puis exploité. Suivant la structure géologique, un
front de taille sera ouvert et se prolongera de manière rectiligne, de sorte à
générer un fossé, ou de manière rayonnante.
Les carrières en fosse, se développant de façon rectiligne,suivent généralement
un banc de roche pris latéralement entre deux bancs non exploitables. Une fois
toute la largeur du banc dégagé, soit en gradins, soit de manière à former une
falaise constituée parfois par les plans de clivage entre deux types de roches
différentes, le front de taille avance de façon régulière toujours dans la même
direction. Si la carrière est exploitée suffisamment longtemps, l’espace prendra
la forme d’un immense fossé.

Carrière en fosse.
20 21
La carrière en fosse peut aussi se développer de façon rayonnante à partir
d’un point central, par l’ouverture simultanée ou successive de plusieurs fronts
de taille. Chacun de ces fronts cherche à exploiter la roche au maximum,
dans le périmètre donné par le parcellaire, et parfois ses variations de teintes,
structures et duretés. L’ensemble de la carrière définit alors un nouveau plan
horizontal, artificiel et en dessous du niveau « naturel » du terrain, autour
duquel les différents fronts se font face en un espace introverti. Ce nouveau
plan de référence accueille parfois, lorsque les fronts de taille sont suffisamment
éloignés de son centre, certaines activités propres à la fabrication des produits
de la carrière et leurs nécessaires aires de stockage. Ainsi prend parfois forme,
entres les grues, les derricks et les dumpers, un ensemble de bâtiments, souvent
hétéroclites et « blanchis » de poussières, comprenant hangars, ateliers de taille,
bureaux, bétonnière ou encore châteaux d’eau.

Carrière en fosse.
22 23
La carrière en puits
La carrière en puits est caractérisée par une forte verticalité qui contraste
souvent avec l’horizontalité du terrain environnant. Dangereuse, sombre,
étroite, profonde, elle se confond aux interstices d’une géologie crevassée,
presque souterraine et invisible de la surface. C’est cette carrière, telle une tour
inversée, bordée de derricks et de grues qui étaient autrefois accompagnées
d’immenses « cages d’écureuils », et parcourue d’escaliers interminables, étroits
et précaires.
Tout comme les carrières en fosse dont elles peuvent être un prolongement,
les carrières en puits se développent principalement sur le Plateau suisse. Ayant
aujourd’hui presque totalement disparu en Suisse – il n’en reste plus que deux
exemples à proximité de Rapperswil –, les carrières en puits encore en activité
exploitent des roches sédimentaires, connues sous le nom de molasse d’eau
douce inférieure4, se trouvant sur le Plateau.
Se développant verticalement jusqu’à des profondeurs de cinquante mètres
– parfois plus dans d’autres pays –, les carrières en puits demandent une
technique plus précise et complexe pour l’extraction que les autres types de
carrières. Outre les grues et derricks, devenus indispensables au déplacement
des blocs et des machines de la surface au fond de la carrière, il faut de plus
évacuer les déchets d’extraction et l’eau qui a tendance à s’y accumuler, afin de
dégager un minimum de place pour l’extraction. L’eau remplissant souvent une
partie du fond de carrière provient de la pluie, de sources ou encore de la nappe
phréatique environnante et, si elle sert au refroidissement des machines, elle
doit être évacuée et traitée en surface. L’étroitesse de la fosse concourt, dans
certains cas de carrières se développant longitudinalement, au resserrement des
parois, qui doivent dès lors êtres consolidées afin d’empêcher la propagation de
fissures qui déstabiliseraient l’ensemble.

Carrière en puit, Lehholz.


24 25
Morphologie

Les carrières en puits se développent verticalement par l’extraction d’une


surface toujours égale de matière, qui doit être remonté en surface. Cette
opération, parfois délicate voire dangereuse, demande un savoir-faire et des
technologies qui ont souvent fait défaut dans l’histoire suisse, excepté peut-
être dans les régions bernoises, bâloises et zurichoises. Une fois la profondeur
maximale du puits atteinte – par épuisement du banc de roche, risque de
déstabilisation ou encore contraintes techniques dues aux machines –, les
carrières peuvent se développer de façon longitudinale ou périphérique. Il n’est
par ailleurs pas rare que ce type de carrière se prolonge souterrainement pour
gagner des bancs de roches de bonne qualité sans avoir à enlever une nouvelle
fois la découverte.
Les carrières se prolongeant longitudinalement, par l’abattement successif
d’un ou deux fronts de taille se faisant face, donnent corps à une sorte de
longue fosse rectangulaire fermée de toutes parts. L’espace dégagé au fond
de la carrière permet l’utilisation de machines telles que pelles mécaniques
ou dumpers qui ne trouvaient jusqu’ici pas de place, ainsi que le stockage de
certains déchets, qui devaient auparavant être remontés en surface.

Carrière en puits.
26 27
La carrière souterraine
La carrière souterraine est peut-être la plus étrange des carrières : sorte
de grande grotte artificielle, elle invite aux transports de l’inconscient et de
l’imaginaire. Si tous les autres types de carrières s’articulent entre une matière,
un territoire et le ciel, la carrière souterraine est celle de la totale immersion
dans la matière, le vide et l’ombre ; la nuit. Cachée sous la ville ou enfouie
dans la montagne, elle est un monde en miroir de celui de la surface, véhicule
d’un imaginaire proche de la grotte des origines, dont l’écho distordu ne fait
qu’évoquer les méandres interminables. Une grotte immense et « bizarre »
donc, pour reprendre un terme cher à l’architecture baroque qui en fera un
thème particulier, à cheval entre deux mondes, seuil entre la matière et le vide,
interrogeant « le rêve et la nuit, la part d’inconscient sans laquelle tout ce qui
se tient à la lumière apparaîtrait avec la seule violence des certitudes : un décor
de vanité »5.
Il ne reste en Suisse plus qu’une seule carrière souterraine de pierre de
taille encore exploitée, celle de Krauchtal, à proximité de Berne. Les carrières
souterraines ne furent jamais très répandues en Suisse, peut-être à cause de
l’abondance de pierre de construction en surface ou à faible profondeur. La
plupart, de tailles relativement réduites, se trouvaient sur le Plateau et dans les
Alpes. La région de Berne en concentre quatre de taille plus importantes, dont
une encore en activité aujourd’hui.
Les carrières souterraines, si elles présentent l’avantage de ne pas subir les
intempéries, variations de température et d’humidité qui contraignent parfois
à la fermeture des carrières pendant la période hivernale, posent des problèmes
d’éclairage, de ventilation et de circulation. Si l’éclairage peut être facilement
résolu de nos jours, la ventilation doit d’une part évacuer les nombreuses
poussières et d’autre part amener de l’air frais autant pour les hommes que
pour les machines. Le plus souvent, les cavités successivement excavées
sont remplies avec les déchets produits par l’extraction au fur et à mesure
de l’évolution de cette dernière, ne permettant pas d’apprécier l’ensemble de
l’espace ainsi généré.

Carrière souterraine de Krauchtal.


Source : Trachsel, Hansueli, Sandstein, Stämpfli Verlag AG, Berne, 2007, p. 26.
28 29
Morphologie

Les carrières souterraines doivent exploiter, plus que les autres types de
carrières, la structure naturelle de la roche, afin de garantir la stabilité de
l’ensemble. L’extraction est ainsi fortement déterminée par la recherche d’un
« ciel de carrière » stable, constitué de préférence par un banc de roche continu,
horizontal ou voûté. Lorsque la résistance de la roche est insuffisante, un
système de consolidation, voûtes, ancrages, est mis en place.
Les carrières souterraines se développent horizontalement – un
développement vertical proche de celui des mines est très rare – à l’intérieur
d’un massif rocheux. À partir d’une galerie principale, prolongeant parfois
une carrière en flanc de taille ou en fosse, elles se ramifient latéralement en
divers couloirs ou chambres successives, qui seront parfois reliés entre eux. Les
carrières souterraines se développent en trois types, qui décrivent souvent trois
phases successives d’exploitation : les carrière à couloirs, chambres et piliers
tournés6.
Le type à couloirs se limite à percer une galerie qui fournit les matériaux.
Elle peut ensuite être multipliée latéralement soit perpendiculairement soit
parallèlement à la première galerie, qui est alors utilisée pour évacuer les
matériaux. À cette fin, des rails sont parfois fixés en hauteur, de part et d’autre
du couloir, de façon à pouvoir sortir les blocs extraits sur une sorte de cadre
mobile7. Ce système, que l’on retrouvera dans les deux autres types de carrières
souterraines, permet d’évacuer des blocs alors même que l’exploitation se
déroule sur le sol.

Carrière souterraine en couloirs parallèles. La partie supérieur du massif


rocheux est coupée
30 31
Le type à chambres exploite la roche en définissant des sortes de pièces
reliées par un système de couloirs. Les chambres sont soit régulières, lorsque la
roche est homogène et stable pour permettre l’exploitation sur une géométrie
répétitive, soit irrégulière, lorsqu’elle suit les opportunités de bancs de plus ou
moins bonne qualité. Le ciel de carrière est généralement plat, constitué par un
banc de roche plus résistant.
Le type à piliers tournés structure la carrière en laissant de grandes piles,
souvent aussi larges que hautes, qui vont se répéter de façon à définir un
maillage, régulier ou non, portant le ciel de carrière.

32 33
Métamorphoses
Suite à l’analyse qui précède, nous pouvons établir les quelques règles
suivantes concernant la composition des espaces des carrières. Tout d’abord, les
carrières sont structurées à la fois par la masse rocheuse et par l’espace nécessaire
aux déplacements des machines. Les roches, par l’épaisseur , l’orientation et les
éventuelles fractures des lits de carrière, forment ainsi la structure principale
de la carrière.
Enfin, les carrières, dans leurs transformations successives, décrivent des
métamorphoses qui établissent un système temporel et spatial tout à fait
différent de celui habituellement en cours dans l’architecture. Le temps
s’articule entre le geste quotidien d’un prélèvement et celui, beaucoup plus
long, de la géologie, qui verra se succéder, souvent sur plusieurs décennies voire
siècles, les carriers successifs.
La carrière exploitée est constamment en mouvement, définissant un espace
en transformation et e n extension. Son développement dans la matière ne
se fait pas de manière homogène, mais procède des exploitations relatives de
veines, bancs et strates de roches particulières. Le carrier, ne pouvant connaître
totalement à l’avance la qualité et la nature de la roche qu’il exploite, projette
un espace encore vague, comme une idée, qui se formera par les rencontres de
ses outils avec la pierre.
Le travail d’exploitation d’une carrière se rapproche de celui de l’architecte,
en ce sens qu’il projette puis gère la construction et le développement d’un
espace dans le temps. Le travail de projection se révèle cependant limité
car, dans l’impossibilité de prendre en compte la nature exacte de la pierre
à exploiter, il doit se concentrer à la définition d’un espace, d’une structure
ouvertes aux imprévus de la matière qu’il rencontrera au fur et à mesure de
l’extraction.

34 35
Notes Bibliographie
1 Acocella, Alfonso, Stone architecture : ancient and modern construction skills, Skira, Milan, 2006, p. ACOCELLA, Alfonso, Stone architecture : ancient and modern construction
598.
2 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 104. skills, Skira, Milan, 2006.
3 Kündig, Rainer, et al., Die Mineralische Rohstoffe der Schweiz, Schweizerische Geotechnische CLÉMENT, Gilles, Un brève histoire du Jardin, JC Béhar, Paris, 2012.
Komission, ETHZ, Zürich, 1997, p. 208.
4 Zerbi, Stefano, Construction en pierre massive en Suisse, Thèse epfl, epfl, 2011, p. 63.
CHABERT, Jacques, et al., Les carrières souterraines, Acte du 2e symposium
5 Clément, Gilles, Un brève histoire du Jardin, JC Béhar, Paris, 2012, p. 49. international sur les carrières souterraines, Paris, 1991.
6 Dujardin, Laurent, Les carrières souterraines de Caen et du Département du Calvados (Basse- DUJARDIN, Laurent, Les carrières souterraines de Caen et du Département du
Normandie), 1991, p. 163. In : Chabert, Jacques, et al., Les carrières souterraines, Acte du 2e
symposium international sur les carrières souterraines, Paris, 1991. Calvados (Basse-Normandie), 1991.
7 Ibid., p. 171. In : Chabert, Jacques, et al., Les carrières souterraines, Acte du 2e symposium international FOCILLON, Henri, La vie des formes, puf, Paris, 1943, p. 111.
sur les carrières souterraines, Paris, 1991. KÜNDIG, Rainer, et al., Die Mineralische Rohstoffe der Schweiz, Schweizerische
9 Focillon, Henri, La vie des formes, puf, Paris, 1943, p. 111.
10 Singewald, Christian, Natursteinwerk. Exploration und Gewinnung, Rudolf Müller, Köln, 1992, p. Geotechnische Komission, ETHZ, Zürich, 1997.
5. PAVAN, Vicenzo, Architetture di cava. Quarry Architecture, Collona di
11 Ibid., p. 160.
12 Ibid., p. 155.
Architettura, Faenza Scientifics, Faenza, 2010.
13 Ibid., p. 160. SINGEWALD, Christian, Natursteinwerk. Exploration und Gewinnung,
14 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 110. Rudolf Müller, Köln, 1992.
15 Ténacité : « résistance à la rupture d’un matériau » (source : www.cnrtl.fr).
16 Singewald, Christian, Natursteinwerk. Exploration und Gewinnung, Rudolf Müller, Köln, 1992, p. TRÄNKLE, Uwe, Poschlod, P., Kohler, A., Steinbrüche und Naturschutz.
161. Vegetationskundliche Grundlagen zur Schaffund von Entwicklungskonzepten
17 Ibid., p. 165. in Materialentnahmestellen am Beispiel von Steinbrüchen, Universität
18 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 111.
19 Observation de l’auteur. Hohenheim, Institut für Landeskultur und Pflanzenökologie, Karlsruhe,
20 Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 113. 1992.
21 Ibid., p. 114.
22 Ibid., p. 113.
ZERBI, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL,
23 Ibid., p. 132. Lausanne, 2011.
24 Ibid., p. 122. VIOLLETLEDUC, Le massif du Mont Blanc, étude sur sa constitution
25 Ibid., p. 122.
26 Ibid., p. 131. géodésique et géologique, sur ses transformation et sur l’état ancien et moderne
27 Ibid., p. 103. de ses glaciers, J. Baudry éditeur, Paris, 1876.
28 Ibid., p. 141.
29 Selon la norme européenne, les argiles sont des particules mesurant moins de 2μm, les limon entre
2μm et 20μm et les sables entre 20μm et 2mm (source : www.wikipedia.org).

36 37
Une architecture entre
MÉTAMORPHOSES ET
DORMANCE

Cahier n0 6
Table des matières
Variation sur un thème 6

Entre dormance et métamorphose 7

Ouverture 11
Variations sur un thème Carrière : entre métamorphose et dormance
La carrière décrit un espace architectural constitué en premier lieu par l’acte La carrière est un lieu de changements constants et le point d’ancrage de
d’appropriation de la pierre qui caractérisera les structures principales de la carrière métamorphoses de différents types. D’une part, elle donne lieu à des métamorphoses
aux travers de lignes, de plans et de volumes. Ces éléments vont évoquer, par une sorte spatiales : l’espace de la carrière évolue en fonction de l’exploitation des matériaux.
de « tectonique à l’envers », l’espace architectonique qui sera construit des matériaux Des parties de la carrière se développent à travers l’activité humaine d’extraction de
extraits. La carrière est ainsi définie a priori par des architectures qui seront construites la roche tandis que d’autres sont – en tout cas temporairement – délaissées, l’espace
postérieurement à son exploitation. de la carrière restant ainsi en mouvement. D’autre part, la carrière est le lieu de
La carrière a un rapport très rapproché au territoire puisqu’elle s’inscrit physiquement métamorphoses matérielles : la pierre extraite change de forme pour devenir matériau
en son sein. Cette relation se modifie au cours du temps, la carrière n’étant pas de construction. La carrière est ainsi formée des matériaux constituant les constructions
immuable : elle peut être exploitée durant un temps, abandonnée ensuite, ré-ouverte, futures permises par son exploitation ; elle est constitutive d’un espace architectonique
etc., suivant des cycles d’activité et de latence. existant au-delà, au niveau spatial et temporel, de la carrière elle-même. La carrière est
Des temps différents co-existent dans la carrière, qui se chevauchent et sont rendus donc au carrefour entre la matière et l’architecture.
perceptibles par la nature. Premièrement, un temps du quotidien : des êtres vivants – Comme on l’a vu, la carrière peut vivre des cycles d’exploitation et d’abandon. Elle
végétaux, animaux et humains – habitent la carrière jour après jour. En parallèle, un peut donc être, par période, soustraite de l’exploitation par l’homme. Tels certains
temps géologique : les lents « grincements de la tectonique » se mesurent en milliers végétaux, la carrière ainsi abandonnée est toutefois un espace en dormance : alors
d’années, modifiant les lieux de manière imperceptibles pour les êtres d’une temporalité que les graines de certaines espèces de plantes peuvent attendre des dizaines voire
à plus court terme. des centaines d’années, dans un état stable, que les conditions soient propices à leur
La carrière est un lieu de nature, influencé par l’action de l’homme. En effet, germination, la carrière abandonnée est sans cesse susceptible d’être l’objet d’une
l’exploitation d’une carrière modifie un milieu naturel lui pré-existant. Là où réactivation par l’homme. Elle est en état de dormance en ce sens qu’elle peut à tout
certaines plantes et certains animaux co-habitaient avant l’ouverture d’une carrière, moment, alors qu’elle est délaissée par l’homme, être retravaillée par l’activité par celui-
d’autres plantes et d’autres animaux profitent du milieu que la carrière implique. Un ci.
nouvel équilibre est ainsi constitué, qui pourra se modifier inlassablement selon les La carrière est ainsi une architecture au carrefour entre métamorphoses et dormance.
développements et les cycles d’exploitation de la carrière. Lorsqu’elle est en activité, c’est le temps des métamorphoses : c’est l’homme qui gère
L’exploitation de la carrière se fait à l’aide d’outils et de techniques en lien avec le l’espace, la carrière se transforme en fonction de l’exploitation et des matériaux de
type de roche exploité d’une part et l’utilisation qui sera faite de celle-ci d’autre part. construction sont produits, constitutifs de futures constructions architecturales.
Les outils donnent la mesure de la carrière, la taille des blocs résultant de l’exploitation Lorsque la carrière est délaissée par l’homme, elle est en dormance : la nature reprend
étant en lien avec ceux-ci. le dessus et la carrière est en attente d’une remise en activité par l’homme.

La carrière est le lieu de prélèvement de la matière constitutive d’une architecture à


venir. Elle se développe en lien avec celle-ci et est ainsi en partie définie par elle. C’est
en ceci que la carrière trouve sa définition architecturale.

6 7
Ouverture
L’espace du projet architectural, au sein de la carrière, se voit presque toujours
limité à une intervention a posteriori, consistant le plus souvent, en Suisse, en
une renaturation ou parfois encore en une réhabilitation. Ces interventions
après-coup dans une carrière abandonnée se font généralement dans l’optique
d’un « embellissement », d’une « réparation » ou encore d’une « remise à un
état d’origine » d’un paysage, réduisant ainsi souvent les qualités spatiales,
temporelles, architecturales et enfin poétiques de la carrière à un résidu de la
production de matière première. Le projet veut considérer la carrière comme
une architecture s’articulant dans l’espace et le temps, entre métamorphoses et
dormance, et ouvrir la porte vers de nouvelles figures, sans pour autant prétendre
à la généralisation systématique de cette démarche à toute les carrières.
Le site choisi pour le projet à venir est la carrière de Ostermundigen, à côté
de Berne. Encore en activité, cette carrière est l’une des nombreuses carrières
de molasse de la région bernoise, dont une grande partie furent ouvertes à la
fondation de la ville de Berne en 11912. La carrière d’Ostermundigen était, à la
fin du 19e siècle, l’une des plus grande de Suisse. Reliée au système ferroviaire,
elle a permis de fournir des pierres pour la construction des nombreux bâtiments
publics de la ville et du canton de Berne ainsi que de l’administration fédérales.
Une grande partie de la carrière, abandonnée dans les années 1930 puis utilisée
comme place d’arme jusque dans les années 1970, est aujourd’hui inutilisée et
propriété de la commune d’Ostermundigen. Aujourd’hui en bordure de la ville,
la carrière a été intégrée dans le plan d’aménagement des communes bernoise
en 2012 et définie comme espace pouvant accueillir des « activités culturelles,
artisanales ou industrielles ». L’activité extractive est, selon la concession en
vigueur, garantie pour au moins les vingt prochaines années.
La carrière d’Ostermundigen, à la fois en activité et abandonnée, rassemble
donc les conditions idéales pour traiter dans le projet les thématiques de
métamorphose et de dormance précédemment énoncées dans ce travail. En
termes de programme, le projet entend prolonger ces thématiques d’une part
par l’intégration de l’activité extractive comme acteur et moteur du projet,
et d’autre part par l’implantation, dans une recherche de dynamiques entre
l’architecture et la carrière pouvant mener au recyclage de « vieux bâtiments »,
les bureaux, les ateliers et les lieux de conservation de l’office des monuments
historiques de la ville et du canton de Berne.
Ce programme, ouvert au public notamment sous forme de parc, permettra
l’articulation entre la ville, l’architecture, la carrière et le territoire.

Carrière d’Ostermundigen.
8 9
N
Stockere

Ostermundigen
Oste

Gürten-Köniz

La ville de Bern se situe à un point charnière entre le Plateau, et sont développement La carrière d’Ostermundigen se situe, à l’est de Bern, sur l’un de ces drumlins,
d’est en ouest, et le débouché alpin menant sur la vallée du Rhône puis l’Italie. Le prolongeant un système de falaise, autrefois dégagées, et aujourd’hui cachées par la
sous-sol se compose, au niveau géologique, presque exclusivement de mollasse, avec végétation. La carrière d’Ostermundigen se développe principalement en surface,
des partie plus résistantes, et donc moins érodées par les glaciations, qui forment les selon le type d’une carrière en fosse. Elle comprend aussi certaines partie exploitée en
drumlins. Ces derniers, légèrement plus élevé que le reste du bassin mollassique, plus puits et en souterrains, aujourd’hui toutes abandonnées, qui se retrouvant dans d’autres
sec et comportant moins de terres végétale, sont caractéristiques à la fois du paysage carrières de la région, notamment à Stockere et Krauchtal.
du Mittelland et de l’implantation des carrières sur le Plateau.

10 11
N

La carrière de Ostermundigen.
Notes
1 Je me réfère ici au système de valeur définit par Zerbi, auquel j’ajoute une valeur
environnementale prenant en compte le rôle que peuvent avoir les carrières pour les écosystèmes.
Zerbi, Stefano, La construction en pierre massive en Suisse, thèse EPFL, Lausanne, 2011, p. 113.
2 Dictionnaire historique Suisse, www.hls-dhs-dss.ch.
3 Les carrières, alors propriété de la ville de Berne, sont pour la première fois attestée dans un écrit
datant de 1269. In : Trachsel, Hansueli, Sandstein, Stämpfli Verlag AG, Berne, 2007, p. 32.
4 Trachsel, Hansueli, Sandstein, Stämpfli Verlag AG, Berne, 2007, p. 33.
5 Ibid., p. 33.
6 Ibid., p. 33.
7 Ibid., p. 33.

Bibliographie
TRACHSEL, Hansueli, Sandstein, Stämpfli Verlag AG, Berne.

14

Vous aimerez peut-être aussi