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J. Cottraux
Depuis sa description clinique par Leo Kanner en 1943 [1], puis Hans Asper-
ger en 1944 [2], et l’ouvrage de Bernard Rimland en 1964 [3], montrant
qu’il s’agissait d’un trouble neurodéveloppemental, l’autisme infantile est
devenu un domaine de recherche particulièrement fertile.
Il suffit pour s’en convaincre d’examiner le développement exponentiel
des recherches de la génétique et des neurosciences cognitives au cours
de ces quinze dernières années et également d’envisager la longue pos-
térité du travail pionnier d’Ole Ivar Lovaas [4] qui avait montré, dans une
cohorte, que 49 % des enfants autistes pouvaient être améliorés par la thé-
rapie comportementale conduite selon la méthode d’analyse appliquée du
comportement (applied behavior analysis ou ABA en anglais). Cette introduc-
tion s’efforcera de synthétiser un certain nombre de points essentiels pour
la compréhension de cet ouvrage.
Il faut, avant toute chose, insister sur la nécessité d’un diagnostic et d’une
intervention psycho-éducative précoce, qui permette l’émergence d’un
langage fonctionnel avant 5 ans, ce qui est de bon pronostic. Le destin de
l’enfant et de ses parents repose sur les épaules du clinicien. Celui-ci va se
trouver en face d’un enfant dont le développement fait problème : il a donc
besoin d’un guide fiable. C’est ce que propose la description rénovée que
donne de l’autisme le DSM-V [5], sous le nom de trouble du spectre autis-
tique (TSA).
Encadré 1
Dépouillement :
j attribuer un point pour accord total ou accord léger aux items 1,7, 8 et 10 ;
5, 6 et 9 ;
j seuil décisionnel : si le total dépasse 6 sur 10, il faut envisager de consulter un
Classification du DSM-V
Dans le DSM-V, une seule catégorie diagnostique est utilisée pour définir
l’autisme, celle de trouble du spectre de l’autisme dont l’acronyme est TSA
(autism spectrum disorder ou ASD en anglais). En effet, l’autisme est conçu
comme un trouble unique, dont les manifestations sont rangées le long
d’un même continuum. La prévalence du TSA est d’environ 1 % de la popu-
lation générale. Il est plus fréquent dans le sexe masculin (75 %).
En général, le trouble est diagnostiqué entre 12 et 24 mois, mais dans cer-
tains cas les symptômes sont remarqués avant 12 mois ou bien ils peuvent,
dans les formes subtiles, n’être reconnus qu’après 2 ans. Dans certains cas,
le diagnostic n’est fait qu’à l’âge adulte devant des complications sociales
qui amènent à reprendre l’histoire du développement.
Signes d’alerte
Les signes d’alerte qui peuvent faire penser à un TSA chez l’enfant sont :
1. l’inquiétude des parents évoquant une difficulté de développement de
leur enfant ;
2. dès la première année, l’absence ou la rareté du sourire social, du contact
par le regard, de l’orientation à l’appel du prénom ;
3. au fur et à mesure du développement de l’enfant, des perturbations du
langage ou de la socialisation ;
4. des comportements répétitifs ou stéréotypés ;
5. quel que soit l’âge, l’existence d’une régression dans le développement du
langage ou des relations sociales.Les parents peuvent s’aider d’un question-
naire validé, le M-CHAT, qui est disponible à l’adresse Internet suivante :
4 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)...
http ://www2.gsu.edu/∼psydlr/M-CHAT/Official_M-CHAT_Website_files/
M-CHAT_French.pdf
Pour un diagnostic rapide chez l’adulte, le lecteur trouvera dans l’enca-
dré 1 une traduction du quotient du spectre de l’autisme (AQ-10) ou autism
spectrum quotient [6] développé au Royaume-Uni par le National Institute for
Health Research (NIHR).
du diagnostic de TSA selon les critères du DSM-V, mais non selon ceux du
DSM-IV-TR. Sur cette base, la prévalence des TSA pour l’année 2008 se serait
élevée à 1 % de la population générale. La réduction des proportions de
sujets avec autisme ou troubles apparentés sera sans doute moins impor-
tante avec l’application du DSM-V que ne le redoutent ses détracteurs.
les empêche d’interagir avec les autres, même si lorsque leur intelligence
est normale, ce qui est le cas des autistes à haut niveau. Selon certains
auteurs [15], il est possible qu’une partie de la population avec TSA ait un
déficit relativement isolé et primaire de processus socio-cognitifs, mais il
est peu probable qu’un tel déficit concerne la majorité des personnes avec
TSA, car il s’agit d’un groupe très hétérogène dans lequel l’impact de la dys-
fonction sociale est tributaire du contexte dans lequel il se développe.
Cependant des arguments nouveaux, en faveur d’un trouble central de
la maturation du système nerveux, sont apportés par une étude de connec-
tivité effectuée avec l’IRM fonctionnelle chez 25 patients présentant un
TSA et 25 sujets contrôles [16]. Elle montre une connectivité anormale
entre deux réseaux qui sont le support de l’empathie et qui normalement
devraient être distincts. Le premier réseau est celui des neurones miroirs
qui permettent de comprendre les émotions et les actions des autres en
les imitant à l’intérieur de soi par simple observation : c’est le réseau des
représentations partagées. Le second réseau de neurones est le réseau de
la mentalisation qui va permettre une interprétation des états d’esprit, des
croyances et des intentions d’autrui : c’est un réseau cognitif et inférentiel.
En cas d’immaturité du système nerveux central, ces deux réseaux demeu-
rent trop interconnectés et cette absence de déliaison pourrait expliquer les
déficits de la communication sociale empathique dans le TSA.
Facteurs génétiques
Une estimation haute donnait une héritabilité de l’autisme de 70 % [17]. Une
nouvelle étude [18] révise l’héritabilité de l’autisme à la baisse car elle
ne retrouve que 50 %. Il est prématuré de proposer des tests génétiques
de l’autisme [19], car l’hérédité demeure polygénique avec plusieurs gènes
« candidats ». Les études qui sont publiées à un rythme accéléré ne permet-
tent pas actuellement des conclusions définitives.
Bien que le TSA diffère, en ce qui concerne la clinique et l’anatomie
fonctionnelle, de la schizophrénie et du trouble bipolaire, des données
épidémiologiques existent montrant que le risque d’apparition d’un TSA se
trouve augmenté en cas de présence de schizophrénie et, à un degré moin-
dre, de trouble bipolaire dans la famille [20]. Cela pose la question d’une
étiologie unique en amont de la clinique de ces trois troubles neurodéve-
loppementaux.
Conclusion
Le TSA est corrélé principalement à des dysfonctionnements cérébraux dans
les régions du sillon temporal supérieur, de l’amygdale, du cortex préfrontal,
et du réseau de l’empathie et des cognitions partagées. Il existe un facteur
génétique important mais dont le poids varie suivant les études. Récemment,
le rôle de facteurs environnementaux pré-, péri- et post-nataux a été souligné.
Le diagnostic précoce doit guider le clinicien vers la mise en place
immédiate d’une approche psycho-éducative du trouble dans laquelle
les thérapies cognitives et comportementales ont une place essentielle à
travers trois méthodes validées qui sont décrites dans cet ouvrage par des
spécialistes expérimentés : Vinca Rivière pour la méthode ABA, Gisela Regli
pour le modèle d’intervention précoce de Denver et Cécile Coudert pour la
méthode TEACCH.
Le véritable enjeu d’une intervention précoce est la possibilité pour
l’enfant d’acquérir un langage fonctionnel, d’entrer dans la scolarisation
et d’apprendre les bases relationnelles de la socialisation. La réussite de ce
programme permettra d’éviter qu’à l’âge adulte, il ne soit réduit à l’institu-
tionnalisation en milieu psychiatrique ou bien reste à domicile à la charge
de parents vieillissants. Il faut malheureusement reconnaître que notre
pays a pris beaucoup de retard dans la mise en place d’intervention psycho-
éducatives efficaces, ce que soulignent avec constance les associations de
familles d’enfants autistes.
Dans le chapitre 12, Paul Trehin, père d’un enfant autiste, propose
une approche originale issue de la psychologie positive. Elle se fonde sur
l’étude des processus créatifs originaux qui font parfois des autistes à haut
niveau des personnes d’exception qui contribuent par leur singularité et
leurs dons à l’avancement de la société.
Références
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12 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)...
V. Rivière
Résumé
Bien que récemment le nombre de publications scientifiques ou
médiatiques concernant l’autisme ait connu une évolution exponen-
tielle, l’histoire, la clinique et le diagnostic de l’autisme ont débuté
très tôt avec l’avènement de la psychiatrie et de la psychologie
scientifique au début du xixe siècle. Ce chapitre retracera les grandes
étapes de cette évolution. Nous verrons les différentes classifications
permettant la pose d’un diagnostic et les problèmes qui y sont
associés. Le développement d’un cadre international commun qui
définit les troubles du spectre autistique est primordial pour la pose
d’un diagnostic le plus précis possible, afin de mettre en œuvre une
prise en charge adaptée. Une étude de cas permettra d’illustrer ces
propos et conclura ce chapitre.
Difficultés du diagnostic
Nous pouvons observer toutes sortes de termes dans les dossiers des enfants
vus en consultation : TED, traits autistiques, dysharmonie évolutive ou psy-
chotique, troubles de la personnalité, psychose infantile, autisme atypique,
schizophrénie infantile, dépression précoce autistique, etc. On parle aussi
Historique et diagnostic 19
les fils du téléphone. Ils peuvent être attachés à des objets inhabituels pour
des enfants, une pièce d’un jeu ou une cordelette.
Un autre point concerne l’hyper- ou l’hyposensibilité. Une fois de plus,
les excès sont impressionnants. L’enfant peut sembler insensible à la dou-
leur, au froid ou à la chaleur et par contre présenter une hypersensibilité
à certains bruits, qui sont pour nous, anodins. Cette hypersensibilité peut
se retrouver au niveau du toucher, du goût ou de l’odorat. Pour certains
enfants, l’ensemble des sens peut être touché. Cette hypersensibilité peut
se retrouver dans la fascination pour certains bruits, odeurs ou stimulations
lumineuses. L’enfant va ainsi s’orienter vers des bruits comme ceux du lave-
vaisselle ou d’une porte automatique de voiture que l’on ferme, vers des
lumières ou vers les pages d’un livre que l’on tourne pour en capter les
odeurs ou le vent que ce mouvement produit.
Les manifestations de ce trouble du spectre autistique varient de façon
considérable selon le niveau de développement et l’âge chronologique2 de
l’individu. Tous les éléments présentés peuvent se retrouver chez tous les
enfants neurotypiques, mais l’intensité et la persistance sont les aspects sur
lesquels il faudra se focaliser. C’est bien un envahissement du développe-
ment et non quelques petits troubles épars.
Dans le TSA, il est important de prendre en compte également la sévérité
du trouble. Différents niveaux peuvent être observés. En reprenant les deux
domaines présentés, nous pourrons observer des différences dans la sévérité.
Ainsi pour certains enfants avec trouble léger, nous allons pouvoir
observer des déficits dans la communication sociale surtout au niveau des
initiations et des patterns de réponses entravant la mise en place de ces
comportements sociaux. L’enfant peut apparaître comme peu intéressé par
les autres. Les comportements rituels et répétitifs sont la cause de pertur-
bations dans un ou plusieurs contextes. Lors de l’arrêt par l’entourage de
ces activités ou des comportements stéréotypés, on observe une résistance
massive.
Pour le niveau moyen, les déficits dans les compétences sociales verbales
ou non verbales sont importants. Les initiations sociales sont limitées et les
réponses aux incitations d’interactions sont inadaptées. Les comportements
répétitifs et les rituels sont rapidement observables par un observateur naïf
et interfèrent avec le développement dans un grand nombre de situations.
Les troubles émotionnels apparaissent lors de la rupture de ces rituels ou de
ces comportements de stéréotypies.
Pour le niveau sévère, dans le domaine de la communication sociale, les
déficits des compétences sociales verbales ou non verbales provoquent des
perturbations importantes du développement. Les interactions sociales sont
2. L’âge chronologique fait référence à l’âge réel de l’enfant. Il est comparé à l’âge
mental, âge obtenu lors d’évaluation standardisée par des tests spécifiques.
22 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)...
« Mais vous êtes inconscients ! Jamais votre enfant ne pourra aller à l’école ! Il
faut maintenant faire le deuil d’une possible scolarité. Votre enfant doit être hos-
pitalisé afin de travailler les interactions de groupe. »
Benoît a maintenant 5 ans et demi. Il est suivi dans cet hôpital sans que
les parents ne sachent concrètement ce qu’il y fait. Les progrès de Benoît
sont minimes. Il ne parle toujours pas. Les crises augmentent progressive-
ment. Un beau jour, ils reçoivent une convocation du pédopsychiatre :
« Votre enfant ne peut plus être accueilli dans notre hôpital. Après avoir tout
tenté, nous ne pouvons plus rien pour lui. Il devra quitter l’hôpital dans un délai
de 6 mois ! Nous avons fait tout notre possible mais cela ne relève plus de notre
établissement. »
Les parents tentent alors de trouver une solution. En France, ce sont les
parents qui recherchent les solutions : un SESSAD (service d’éducation
spéciale et de soins à domicile) ? un IME (institut médico-éducatif) ? une
école ? L’hôpital les contacte à nouveau en insistant fortement :
« Vous n’avez qu’à l’inscrire à l’école. Il sera au moins quelque part ! De toute
façon c’est obligatoire, il a plus de 6 ans ! »
Voici sans la romancer, l’histoire de Benoît. Un enfant qui, du fait de
l’incompétence et de l’ignorance des professionnels, s’est retrouvé aban-
donné, soutenu par une famille désemparée et perdue face à la pathologie
de leur fils. Cette pathologie est pourtant connue et il faut rappeler que
cette histoire a commencé en 2003.
Cet exemple nous montre comment le diagnostic tarde à être donné alors
que les parents eux-mêmes l’avaient suspecté dès 12 mois. Les propositions
faites par le député Chossy [20] recommandaient pourtant un dépistage et
un diagnostic le plus tôt possible, obligatoirement avant 3 ans, et si possible
entre 15 et 18 mois. Par ailleurs, la discordance des avis donnés aux parents
est criante : on passe de troubles psychologiques à un autisme sévère.
Pourtant le diagnostic de Benoît n’était pas difficile à poser. Les profes-
sionnels avaient tous les éléments. Reprenons ceux qui sont nécessaires
pour pouvoir évoquer la suspicion d’autisme avant 18 mois : selon Fer-
rari [6], il faut pouvoir retracer l’histoire clinique de l’enfant obtenue lors
d’entretiens avec les parents. Puis un examen neuropédiatrique doit être
réalisé soigneusement. Le mieux serait même de filmer les entretiens avec
les parents et leur enfant, alors nous aurions tous les éléments pour poser
ce fameux diagnostic. En outre, dès que les manifestations apparaissent,
avant l’âge de 3 ans, nous pouvons selon Ferrari être sûrs de ne pas être
dans le cas d’une dysharmonie psychotique selon la classification française,
puisque les manifestations de ce trouble n’apparaissent que beaucoup plus
tardivement.
Dans l’exemple de Benoît, rien de tout cela n’a été réalisé, aucune piste
possible, aucune orientation n’a été proposée. Rappelons que l’ouvrage
de Ferrari date de 1999 [6] et que de nombreux ouvrages de psychiatrie
Historique et diagnostic 27
Références
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2 Principes et pratique
de la réhabilitation
psychosociale du trouble
du spectre autistique
V. Rivière
Résumé
Étudier le comportement en adoptant une démarche scientifique
a été un enjeu crucial en analyse du comportement. L’analyse
du comportement est une approche compréhensive de l’étude du
comportement des organismes. Cette science fait partie des sciences
naturelles et a pour objectif principal la découverte des principes et
lois qui gouvernent le comportement. Ce chapitre présentera les
principaux concepts fondamentaux utilisés en sciences appliquées
du comportement. Rendre compte du développement selon une
approche comportementale nous permettra de proposer un modèle
explicatif de l’autisme en lien avec l’ensemble des recherches en
neurosciences.
Conceptualisation du développement
selon l’approche comportementale
En sciences du comportement, le développement est défini comme les
changements progressifs dans les interactions entre une personne (un
comportement) et son environnement [7]. Nous pouvons ainsi voir appa-
raître des modifications du comportement en fonction des conséquences
qui le suivent. On parle de comportements qui opèrent sur l’environne-
ment [8-11]. Cette approche comportementale du développement a fourni
un grand nombre de preuves expérimentales permettant de rendre compte
de cette interaction comportement–environnement. De nouveaux compor-
tements vont émerger de cette interaction, en fonction de l’environnement
1. Dans ce type de recherches, le sujet est soumis à plusieurs conditions, il est son
propre contrôle. S’il y a un réel effet du traitement, alors on doit voir apparaître
des changements lors de l’implémentation du traitement. On réalise alors des
mesures avec et sans traitement pour vérifier son efficacité (voir Rivière V. L’ana-
lyse du comportement appliquée à l’enfant et à l’adolescent. Presses Universitaires du
Septentrion ; 2006).
32 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)...
dans lequel l’enfant va être placé. Quel que soit le domaine du développe-
ment (développement cognitif, social, moteur ou du langage), l’étude des
interactions environnement–comportement va s’étendre : tout au long
des décennies à venir, des recherches en analyse du comportement et les
applications qui en découleront vont apparaître.
En sciences du comportement, l’apprentissage est un processus de base
du développement humain. Il est responsable de changements. L’apprentis-
sage est défini comme un changement relativement permanent du compor-
tement dans la relation qu’il entretient avec l’environnement. Il y a trois
parties essentielles dans cette définition :
1. l’apprentissage est un changement dans la relation comportement–envi-
ronnement. Le comportement peut changer, mais il le fait en relation avec
des événements de l’environnement. Notre comportement change lorsque
nous apprenons à marcher, tenir debout seul sans appui, puis avancer d’un
pas avec appui, etc. ;
2. ce changement est relativement permanent. Ainsi, les changements ne
sont pas simplement momentanés, comme un éternuement mais durable
dans le temps. Lorsque nous apprenons à marcher, la modification compor-
tementale obtenue se maintient, sauf problème moteur spécifique. Une fois
le comportement acquis, il reste dans le répertoire du sujet. Si le comporte-
ment n’est pas relativement permanent (nous émettons le comportement
sur une période de temps courte : par exemple, apprendre à dénommer un
mot dans une autre langue), nous n’avons pas appris à émettre le comporte-
ment. Pourquoi avons-nous besoin du qualificatif « relativement » ? Parfois,
les comportements disparaissent après avoir été appris : par exemple, lorsque
nous oublions ce qu’un mot signifie ou que des troubles moteurs apparais-
sent comme pour la marche. Le temps nécessaire d’apprentissage pour parler
est vague mais les chercheurs définissent souvent explicitement l’apprentis-
sage comme un nombre ou pourcentage de réponses correctes à la suite ;
3. le dernier point de cette définition est que l’apprentissage est dû à l’expé-
rience avec l’environnement. Ainsi, les conditions dans lesquelles le sujet
sera placé lui permettront d’acquérir des compétences, adaptées ou non
en fonction des conséquences reçues, mais également de les maintenir au
cours du temps.
Rappelons notre définition du développement : changements progressifs
dans les interactions entre une personne et son environnement. Spécifi-
quement, nous nous focaliserons sur ce que la personne présentera comme
comportements ou réponses. Les termes comportement et réponse peu-
vent être utilisés de façon interchangeable. Ils sont les actions ou les chan-
gements que les individus font : faire claquer ses doigts, marcher, parler,
chuchoter ou écrire une lettre sont tous des comportements. Imaginer un
coucher de soleil et penser à ce que l’on fera demain sont aussi des éléments
inclus dans les actions de l’individu, donc des comportements.
Principes et pratique de la réhabilitation psychosociale du trouble... 33
par exemple des balancements mais les stimulations visuelles ne sont pas
des stimulations fonctionnelles. De la même façon, on peut émettre l’hypo-
thèse que la personne avec autisme ne présente pas de comportements sté-
réotypés du fait de son autisme mais bien parce que l’environnement n’est
pas un environnement fonctionnel. Certaines recherches apportent des
éléments dans ce sens : la personne avec autisme présente des différences
de perception des stimuli. Ne pas percevoir les éléments pertinents de son
environnement de façon adaptée et typique va avoir des conséquences
importantes sur son développement global. Les troubles du développement
observés ne seraient donc que la conséquence de ces troubles de percep-
tion ou de discrimination. Faisons le parallèle avec le développement d’un
enfant sourd qui n’aurait pas été appareillé : les troubles du comportement,
l’isolement, les stéréotypies vont apparaître mais progressivement. Tous
ces comportements ne sont que la conséquence d’un trouble perceptif, ici
l’audition. Dans le cas de l’autisme, la recherche doit encore progresser pour
mettre en évidence les différences réellement observées.
Dès 1971, Lovaas examine chez des enfants avec autisme des troubles
de la discrimination. Ses recherches sont d’une richesse incroyable et res-
tent à l’heure actuelle une préoccupation scientifique importante [12]. Ses
résultats montrent que ces enfants présentent des phénomènes appelés de
sursélectivité [13-15]2, ce qui évoque plutôt des troubles de la perception.
Il faudra attendre les années 1990 pour que les recherches s’orientent dans
cette voie plutôt que vers les hypothèses reliées aux troubles relationnel et
psychique. L’équipe de Zilbovicius [16] a également apporté de nouvelles
données concernant la modalité sensorielle auditive. Ainsi, la voix humaine
n’a pas les mêmes effets de stimulation chez des personnes avec autisme
que chez les personnes neurotypiques. On peut alors comprendre que ces
différences peuvent avoir des répercussions sur le développement du lan-
gage ou sur la mise en place des interactions sociales. D’autres recherches
montrent le même phénomène concernant les stimuli visuels : se focaliser
sur des lumières ou des objets serait lié à un défaut de perception et non au
trouble autistique en lui-même, ce qui indique que les troubles sont plutôt
liés à l’interaction comportement–environnement.
Lorsqu’on regarde le spectre de l’autisme, certaines personnes présentent
des troubles liés aux stimuli antécédents, stimuli qui n’évoquent pas le
comportement, comme nous avons pu le voir dans la stimulation sonore
de la voix humaine. D’autres personnes vont présenter des troubles liés aux
conséquences car les conséquences sociales (le toucher, le regard, les sourires,
les félicitations, etc.) peuvent n’avoir aucun effet sur le comportement. Enfin,
d’autres personnes avec autisme vont associer les deux types de troubles. En
adoptant ce type d’analyse, nous pouvons donc imaginer comment mettre
en place des traitements comportementaux pour y remédier.
Deux éléments semblent être en cause, soit le stimulus discriminatif, soit
la conséquence. Concernant le stimulus discriminatif, les troubles enva-
hissants du développement ont pour particularité, nous l’avons vu, des
troubles de la discrimination. Sans une analyse précise des troubles, nous
pourrions placer pendant des heures l’enfant en situation d’apprentissage
avec des conséquences appétitives adaptées sans obtenir de résultats. Les
recherches indiquent en effet que ces personnes peuvent avoir des difficultés
à regarder de façon globale les stimuli présentés. Prenons l’exemple d’une
image présentée à l’enfant illustrant un chien. L’objectif d’apprentissage
serait d’associer l’image d’un chien avec la consigne « montre le chien ».
Pour pouvoir répondre à cette consigne, plusieurs compétences sont en jeu,
d’une part regarder la carte, d’autre part écouter la consigne. Pour certains
enfants, le fait de regarder le stimulus présenté (la carte) ne nous permet
pas d’affirmer que c’est réellement le cas. Que regarde réellement l’enfant ?
L’ensemble de l’image présentée, le bord de la carte, le fait que la carte pré-
sente une pliure à un endroit ? Sans une analyse visuelle précise, nous pour-
rions faire perdre du temps à l’enfant. Ces troubles de l’apprentissage font
partie du trouble envahissant du développement (TED), il faut donc analy-
ser, finement, d’où peuvent provenir les problèmes d’apprentissage. Lorsque
nous rencontrons des enfants qui présentent ces difficultés d’apprentissage,
nous mettons alors en place d’autres techniques permettant de fournir la
réponse plus rapidement, sous contrôle de la consigne. Dans notre exemple,
on peut augmenter la taille de l’image du chien, agir sur le contraste de
l’image ou utiliser un dispositif d’analyse de poursuite oculaire pour ren-
forcer les réponses de poursuite réalisées sur l’image présentée. Cette der-
nière possibilité est ce que nous réalisons en laboratoire pour accélérer les
apprentissages des enfants qui présentent des troubles de la discrimination
visuelle. Si les problèmes concernent le stimulus, sans analyse précise nous
ferons perdre un temps précieux à l’enfant ou à la personne [17-19].
Un autre problème en résulte : il faudra tester les conséquences afin de
s’assurer qu’elles sont bien à même de jouer la fonction de renforçateurs.
Nous avons vu que cela ne peut être prévu à l’avance. Par exemple, on ne
peut dire à l’avance qu’une sucette soit un renforçateur pour un enfant. La
sucette en elle-même n’est pas un renforçateur. C’est uniquement son rôle
fonctionnel qui est à prendre en compte et donc son effet sur les réponses.
Chez la personne avec autisme, les perturbations pourraient être expliquées
par des problèmes liés aux renforçateurs.
En effet, les parents ou intervenants indiquent souvent leur difficulté
à trouver des conséquences positives pour l’enfant. La recherche des pré-
férences nécessite la connaissance de techniques spécifiques mais cette
Principes et pratique de la réhabilitation psychosociale du trouble... 37
difficulté doit bien être considérée comme un des problèmes majeurs des
personnes avec autisme [20, 21]. Ce problème de développement naturel
des renforçateurs permet également de comprendre la notion de spectre
de l’autisme, ce qui est souvent déterminant lors de l’évaluation princeps de
l’enfant et du pronostic de récupération. En effet, lorsque très tôt, l’enfant
présente des intérêts variés pour des objets ou activités, ceci permet d’envi-
sager un pronostic favorable.
Chez certains enfants, les activités sont très restreintes, focalisées unique-
ment sur un ou deux objets, portées vers les autostimulations ce qui évoque
souvent l’interprétation de repli sur soi. Chez ces enfants, les objectifs pre-
miers seront d’augmenter le nombre de renforçateurs potentiels en utilisant
les techniques adaptées car sans renforçateurs variés, le développement de
l’enfant ne peut apparaître, limitant les apprentissages. Lorsqu’on observe
un bébé sans trouble spécifique de 15 mois, le nombre de conséquences
positives rencontrées dans son environnement naturel est important, varié
et les apprentissages sont quotidiens. Sans se focaliser sur la diversification
des renforçateurs, les apprentissages chez l’enfant avec autisme sont plus
faibles, ce qui ralentit son développement. Donc lorsqu’on entreprend des
apprentissages afin d’augmenter le nombre de renforçateurs chez l’enfant
avec autisme, on se rend compte de la perte de temps engendrée en compa-
raison à d’autres enfants qui auront déjà dans leur répertoire un grand
nombre d’items, activités ou personnes, susceptibles d’augmenter les
comportements en apprentissage.
Pour certaines personnes présentant un autisme, l’élément le plus inquié-
tant est le fait que les conséquences sociales ne prennent pas la fonction de
conséquences positives mais au contraire de conséquences aversives. Cer-
tains parents ont déjà noté que le fait de toucher l’enfant, de lui parler, de
le regarder, provoque des comportements de rejet, de cris ou d’automutila-
tion, ce qui est totalement déroutant pour les parents ou les professionnels.
L’objectif principal lors de l’apprentissage sera alors d’associer des éléments
ayant comme fonction d’être des renforçateurs aux stimulations comme
le toucher, la voix de la mère ou les approbations. Ces techniques ont été
mises en évidence en recherche fondamentale [22, 23].
Les recherches en neurosciences comportementales s’intéressent éga-
lement aux conséquences renforçatrices ou aversives des stimuli chez les
personnes avec autisme. En effet, la libération de dopamine, suite à l’arrivée
d’une stimulation appétitive, permet de rendre compte de l’émergence de
comportements sur le plan physiologique. La libération de dopamine est
nécessaire lors des apprentissages, mais plus du tout lors de la période
de maintien des comportements. Les recherches se poursuivent car nous
sommes encore bien loin d’avoir toutes les connaissances dans ce domaine
[24]. Des perturbations à ce niveau sont supposées jouer un rôle dans
l’autisme ou dans d’autres pathologies comportementales [25, 26].
38 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)...
Références
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Principes et pratique de la réhabilitation psychosociale du trouble... 39
V. Rivière
Résumé
L’ABA, trois lettres qui dans le monde de l’autisme ont fait couler
beaucoup d’encre. Un grand nombre d’explications et d’interpré-
tations existent à propos de l’ABA provoquant parfois des incom-
préhensions. Nous reviendrons ainsi sur les dix éléments principaux
essentiels à la compréhension de l’analyse appliquée du comportement.
Afin de reprendre l’historique de ces traitements comportementaux,
deux exemples de suivis mis en place chez l’adulte avec autisme
datant des années 1980 et 1990 seront présentés. Ces deux exemples,
ceux de Harry et Helle, mettent en évidence la rigueur scientifique
nécessaire pour offrir à ces personnes une vie d’adulte la plus auto-
nome possible.
et pour certains enfants 100 essais, pour une seconde consigne (cinq, dix
ou 20 essais) et pour la troisième consigne (un, cinq ou dix essais). Il sera
important de s’assurer que l’enfant apprend à apprendre : l’association entre
la consigne et la réponse est de plus en plus rapide. Sans cette précision dans
les techniques d’apprentissage, on peut faire perdre du temps à l’enfant.
Nous avons précisé précédemment que l’apprentissage doit être efficace.
Si l’objectif d’apprentissage n’est pas atteint, il faudra analyser précisément la
contingence [24-26].
Cependant, les essais discrets ne représentent pas l’ABA, qui peut être
réalisée sans DTT. Il faut insister sur le fait que les DTT sont une partie
importante de l’apprentissage, non seulement pour les enfants avec
autisme mais aussi pour ceux en situation d’apprentissage général, même
les adultes. En effet, ces techniques sont utilisées pour des étudiants en
classe préparatoire ou en médecine où le nombre d’informations à intégrer
est considérable [27]. Utiliser les DTT accélère l’apprentissage et permet un
pourcentage de réussite bien supérieur aux techniques traditionnelles sans
fondement théorique [28]. Ces techniques sont utilisées chez l’enfant en
situation scolaire pour un certain nombre d’apprentissages nécessitant une
réponse précise [29, 30].
Il serait extrêmement réducteur de résumer les sciences appliquées du
comportement aux DTT. Au contraire, l’ABA a mis en évidence un nom-
bre considérable de procédures permettant aux personnes avec troubles
du développement d’augmenter leur répertoire comportemental et donc
d’avoir une autonomie maximale. Nous détaillerons dans ce qui suit un
certain nombre de techniques.
r enforcement. De façon naturelle, ils utilisent ces principes sans s’en rendre
compte ni pouvoir expliquer concrètement ce qu’ils font. Le spécialiste lui,
pourra réaliser l’analyse des contingences mais le parent ou l’enseignant
n’en auront aucune utilité. Par contre, lorsque des troubles apparaissent, il
faut donner aux parents ou aux enseignants les moyens d’agir. C’est pour-
quoi les techniques sont présentées de façon accessible à tous, ce qui permet
aux programmes éducatifs d’être suivis dans la plupart des environnements
de l’enfant.
Parfois, ils peuvent aussi être surpris d’apprendre que certains items peu-
vent être source de renforcement.
Harry
Harry est un jeune américain de 25 ans. Il a été placé en hôpital psychia-
trique depuis des années, du fait de comportements violents. Les compor-
tements d’automutilation deviennent de plus en plus importants, ce qui
contraint l’équipe de l’hôpital psychiatrique à lui placer des attelles pour
l’empêcher de se taper. Progressivement elles deviennent une camisole
complète, le contraignant totalement dans la liberté de ses mouvements.
Les attelles sont problématiques car elles occasionnent à Harry des escarres,
du fait de la mauvaise circulation sanguine. Pourtant sans elles, Harry pré-
sente des troubles tels que cela en devient dangereux pour sa vie. Par contre,
toutes les tâches quotidiennes, comme se nourrir, se laver ou aller aux toi-
lettes, lui sont difficiles puisqu’il faut dans ces situations lui ôter les attelles
ou la camisole. Les troubles sont si violents qu’il se casse le nez à plusieurs
reprises et hurle jusqu’à ce que les attelles lui soient replacées.
Il arrive dans le service du Dr Foxx2 en mars 1978. C’est le moment où
le reportage commence. L’ensemble du traitement est enregistré en vidéo
pour présenter l’évolution du développement d’Harry. Plusieurs séances
sont réalisées avant le traitement afin de coter et mesurer la sévérité des
troubles d’un point de vue objectif, la présence ou non de comportements
inadaptés comme crier, tirer les habits, se taper ou se mordre. Les procé-
dures utilisées qui réduisent les troubles du comportement se nomment
« time-out » ce qui signifie « mise au calme ». On va apprendre à Harry
à présenter des comportements adaptés pendant un temps extrêmement
court, seulement quelques secondes, avant d’avoir à nouveau la possibilité
de remettre les attelles. S’il est calme pendant cinq secondes, alors on lui
Helle
Helle est une jeune adulte de 20 ans habitant le Danemark. Elle a été adoptée
à l’âge de 2 mois. La famille adoptive consulte rapidement les pédiatres pour
les troubles du comportement de leur enfant. Pourtant, à 3 ans, Helle sait
lire et compter mais les troubles sont déjà impressionnants. Elle ne peut
être laissée seule. Pour manger, la maman explique qu’il fallait lui tenir les
mains et pour se promener, la tenir par la main sinon elle se laissait tomber
sur la tête. Les parents sont optimistes : si ses troubles sont dus à l’adoption,
alors en lui donnant le maximum d’amour et d’attention, ils devraient dis-
paraître. La maman explique qu’elle a toujours dormi avec Helle, même
lorsqu’elle était grande. Elle a dormi environ 2 semaines dans son lit, mais
les aller-retour vers la chambre des parents et celle de Helle étaient tellement
fréquents, et avec une présence sans relâche, que les parents ont craqué pour
54 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)...
Références
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56 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)...
V. Rivière
Résumé
Ce chapitre présente le concept de l’analyse fonctionnelle en détaillant
les différents composants. Après avoir présenté les bases de l’analyse
du comportement en tant que partie des sciences naturelles, nous
étudierons la perspective fonctionnelle en sciences du comporte-
ment. Comprendre l’apparition de comportements en analysant les
événements antécédents qui les évoquent mais aussi les événements
qui suivent leur émission ou conséquences est essentiel en analyse du
comportement. Une méthodologie rigoureuse est nécessaire et doit
être spécifiquement utilisée. Ce chapitre développe des concepts cen-
traux en analyse du comportement et permet au lecteur de compren-
dre l’essence même de l’analyse du comportement.
Sélection du comportement
Skinner [1] analyse la psychologie comme l’étude du comportement des
organismes. La psychologie est donc une sous-discipline de la biologie et
ses principes s’inscrivent dans le contexte de la sélection naturelle. Skinner
parle alors de sélection par les conséquences. La sélection par les consé-
quences s’applique à trois niveaux :
• la sélection des caractéristiques d’une espèce (la sélection naturelle) ;
• la sélection du comportement au cours de la vie d’un individu (sélection
du comportement opérant) ;
• la sélection de patterns de comportements (les pratiques) des groupes
d’individus au cours de leur vie (la sélection culturelle).
La source biologique du comportement est présentée comme la capacité
d’un organisme à répondre à des stimuli qui peuvent devenir source de
contrôle du comportement de l’organisme au cours de sa vie. Le compor-
tement réflexe apparaît lorsque des stimuli provoquent le comportement
de l’organisme. Par exemple, toucher une casserole chaude provoquera le
comportement de retrait rapide de la main chez l’enfant ou l’adulte. De tels
comportements réflexes ont valeur de survie de sorte que le comportement
de retrait d’un stimulus chaud évite les brûlures à court ou long terme. On
parle également de comportements innés [2]. Les relations répondantes,
stimulus–réponse réflexe, sont considérées comme étant le produit de
l’héritage phylogénétique. Il existe toujours un stimulus qui provoque
une réponse.
La deuxième source du comportement est l’évolution d’un compor-
tement opérant au cours de la vie d’un organisme. Certains comporte-
ments deviennent plus ou moins probables que d’autres, dus aux consé-
quences qui suivent ces comportements. Ce type de comportement opère
sur l’environnement pour produire des conséquences et le changement
dans le comportement résulte d’un processus de sélection d’une classe de
réponses appelé conditionnement opérant. Le comportement opérant dif-
fère du comportement réflexe selon la façon dont chacun d’eux évolue et
est conditionné. Le comportement opérant est un comportement appris,
acquis par contact entre le comportement émis et les événements de l’envi-
ronnement. Il n’est pas inné, mais se développe de façon continue au cours
de la vie de l’individu.
La troisième source du comportement est l’évolution culturelle. Dans
toute culture, un certain nombre d’institutions (comme le gouvernement,
les lois, la religion, les codes éthiques, l’éducation, l’économie) déterminent
quels sont les comportements acceptables à développer pour la commu-
nauté. Le comportement des membres d’une culture peut être renforcé en
suivant les règles de ces institutions, en augmentant l’apparition de tels
comportements dans le futur. La sélection culturelle évolue de façon gra-
duelle sur plusieurs générations.
Analyse fonctionnelle du comportement : les principes 61
Fonctions de l’environnement
Le terme environnement est défini comme étant les stimuli et événements
qui modifient le comportement. Ces événements peuvent être externes
ou internes (physiologie interne). Le son d’une moto qui démarre ou la
64 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)...
Comprendre ces concepts permet d’avoir une vision claire des applications
qui en découlent.
Classes de stimuli
Nous avons parlé de classes de réponses, réponses qui produisent des effets
similaires mais qui présentent des différences topographiques. Les stimuli
qui régulent les comportements répondant ou opérant varient aussi d’un
moment à l’autre. Lorsque les stimuli varient selon la dimension physique
mais ont des effets similaires sur le comportement, on parle de classe de sti-
muli. Bijou et Baer [16] utilisent le concept de classe de stimuli dans leur ana-
lyse du développement de l’enfant. Le visage d’une mère peut être considéré
comme un stimulus, cependant ce stimulus n’est jamais le même : visage de
la mère au lever, cheveux mouillés, avec un chapeau, etc. À l’inverse, si vous
prenez un père qui a une barbe et qui se rase après quelques mois, il n’est pas
rare de constater que le bébé qui n’avait aucune peur de voir son père avec
la barbe, peut présenter des comportements de peur, comme il le ferait avec
n’importe quel inconnu. Le stimulus ici n’était pas le père en tant qu’entité,
mais bien la vision d’un stimulus qui ne présente plus la même fonction.
Bien évidemment, le nouveau stimulus « visage du père sans barbe » va vite
prendre la fonction de sources de renforcement en quelques essais.
être traités par des interventions, en analysant les fonctions de ces compor-
tements, plutôt que par l’analyse du diagnostic ou de la topographie du
comportement problème. De même, des interventions similaires peuvent
être réalisées pour des troubles observés dans le syndrome Gilles de la Tou-
rette (troubles du comportement de type tics vocaux et moteurs à des taux
élevés). Ces troubles peuvent être réduits après analyse fonctionnelle et
mise en place de traitements comportementaux adaptés [26-28].
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5 Méthodologie de l’analyse
fonctionnelle
V. Rivière
Résumé
L’analyse fonctionnelle du comportement nécessite de respecter
un cadre méthodologique spécifique. Plusieurs méthodes existent
afin de répéter les fonctions des comportements. Cependant seule
l’observation directe et la manipulation des variables permettront
de trouver la fonction des comportements cibles. L’analyste du
comportement à la recherche des fonctions du comportement est
un peu comme un détective et toutes les informations qu’il peut
recueillir sont importantes. La caractéristique principale consiste
à se poser une question et d’essayer d’y répondre le plus préci-
sément possible. Nous présenterons les différentes formes d’ana-
lyses comme l’analyse descriptive, l’observation directe et l’analyse
fonctionnelle dite expérimentale. Ces outils sont nécessaires avant
toute mise en place de procédures visant à modifier le comporte-
ment d’une personne.
Analyse descriptive
L’analyse descriptive implique des méthodes d’observation à la fois directes
et indirectes du comportement cible et des événements environnemen-
taux. Ces méthodes sont implémentées en situation naturelle, lieux où les
troubles du comportement apparaissent.
Méthodes indirectes
Le terme « observation indirecte » signifie que ces méthodes ne néces-
sitent pas d’observation au contact de la personne présentant les troubles
du comportement et utilisent des entretiens et échelles comportementales.
Il s’agit de s’appuyer sur les rapports obtenus des intervenants qui sont
habituellement avec la personne, comme les parents, les intervenants, les
aides-soignants, les enseignants, etc. Ces rapports peuvent être obtenus par
la personne elle-même. Un grand nombre d’outils existent généralement en
langue anglaise tels que :
• functional analysis interview (entretien d’analyse fonctionnelle) ou FAI de
O’Neill et al. [2] ;
• motivation assessment scale (échelle d’évaluation de motivation) ou MAS
de Durand et Crimmins [3] ;
• questions about behavioral function (questionnaires à propos des fonctions
comportementales) ou QABF de Matson et Vollmer [4].
O’Neill et al. [2] développent une évaluation systématique permettant de
réaliser l’entretien avec l’ensemble des participants autour de la personne
concernée. Des questions ouvertes sont posées aux intervenants sur les
caractéristiques des comportements problèmes (durée et topographie par
exemple), les événements plus ou moins proches susceptibles d’évoquer
ces comportements et les conséquences qui suivent les comportements
et qui peuvent le maintenir. Ce type de protocole peut être intéressant
lorsque le comportement apparaît à un taux relativement faible, mais avec
une intensité élevée. Suite à cet entretien qui dure 45 à 90 minutes, nous
allons pouvoir proposer différentes hypothèses concernant la fonction
des troubles reportés. Ce type d’entretien peut être utilisé et adapté en
fonction de chaque personne. Cette échelle a été validée par différentes
études [5, 6].
Les échelles telle la QABF (questions about behavioral function) [4] sont
apparues comme une alternative aux lignes de base (voir p. 145). La QABF
est composée de cinq sous-échelles contenant cinq variables potentielles : le
renforcement non social (automatique) ; le renforcement tangible ; l’atten-
tion ; l’échappement ; l’inconfort physique. L’intérêt de ce questionnaire
est de prendre en compte les éléments concernant l’évitement social et
l’inconfort de la personne.
Ces méthodes indirectes sont faciles à utiliser et sont économes en temps.
Elles sont les plus utilisées par les psychologues [7]. Leur inconvénient est
que les intervenants doivent se souvenir des événements qui peuvent avoir
eu un rôle fonctionnel dans l’apparition du comportement problème, ce
qui peut conduire à des erreurs d’analyse de la part de ces intervenants et
donc des biais dans les données recueillies.
Méthodologie de l’analyse fonctionnelle 73
Observation directe
Les relations comportement–environnement sont enregistrées de façon
systématique lors d’observations directes. Les méthodes d’observations
directes sont la base de l’approche d’analyse fonctionnelle. Elles ont été
développées dès les années 1960 [9]. Différents outils sont disponibles. Toute
personne est susceptible de réaliser une observation directe, parents, édu-
cateurs, psychologues ainsi que la personne présentant des comportements
problèmes. Les antécédents et les conséquences sont observés et enregis-
trés dans l’environnement naturel où le comportement problème apparaît
principalement.
La méthode scatter plot est un outil permettant de repérer les caractéris-
tiques temporelles des troubles du comportement [10]. En fonction des
comportements problèmes, on enregistre si le comportement apparaît
ou non sur des intervalles allant de 5 à 30 minutes. Après plusieurs jours
d’observation, nous sommes capables de repérer le moment de la journée
où le comportement problème apparaît le plus souvent. Dans notre exem-
ple, les comportements problèmes sont observés au cours des activités
d’écriture et des jeux collectifs. Lorsque nous observons que les compor-
tements apparaissent à certains moments, nous pouvons alors poursuivre
l’analyse par des observations nommées ABC pour ces périodes précises
(figure 5.1).
L’avantage principal des observations ABC sur les méthodes indirectes
est que l’observateur enregistre les antécédents et les conséquences
lorsqu’ils se produisent et non en fonction des souvenirs des intervenants.
La précision des données est renforcée dans le cadre d’observations directes
comme l’ABC. Bien évidemment, ces méthodes ABC prennent du temps
et nécessitent des efforts plus importants lorsqu’elles sont comparées aux
méthodes indirectes. De plus, même si les observations ABC produisent
des informations objectives et fiables concernant les antécédents et les
conséquences, elles ne mettent pas en évidence de relations fonctionnelles
mais une corrélation entre les antécédents, les conséquences et le compor-
tement problème [13]. Si l’on souhaite mettre en évidence une relation
fonctionnelle, l’analyse fonctionnelle expérimentale doit être menée.
Méthodologie de l’analyse fonctionnelle 75
Cette méthode d’observation ABC peut être réalisée avant tout entretien
au préalable ou avant que toute hypothèse soit posée sur la fonction du
comportement (tableaux 5.1 et 5.2).
Dans les exemples des tableaux 5.1 et 5.2, on peut remarquer que les infor-
mations recueillies ne nous permettent pas de conclure sur la fonction du
comportement. Nous pouvons émettre l’hypothèse de renforcement positif
76 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)...
Tableau 5.2. Exemple de grille obtenue chez un jeune enfant avec autisme
en classe ordinaire.
Antécédent Behavior–comportement Conséquence
L’enseignant demande L’enfant crie très fort L’enseignant le sort
à l’enfant de s’asseoir dans la classe de la classe
Méthodes expérimentales
(analyse fonctionnelle)
Les méthodes expérimentales d’observation du comportement constituent
l’étape ultime de l’évaluation des troubles du comportement. La caractéris-
tique la plus importante de cette méthode d’analyse concerne le fait de
manipuler systématiquement et en direct les variables qui maintiennent
potentiellement le comportement problème [13]. De toutes les techniques
d’évaluation, c’est l’analyse fonctionnelle qui a été une des plus utilisées.
Cette approche a été employée avec succès dans l’analyse et le traitement
de troubles du comportement comme l’agression [18], les comportements
d’automutilation [19] et dans les comportements de stéréotypies [20].
Le terme expérimental indique que les variables indépendantes vont
être modifiées pour voir les effets sur la variable dépendante. Il n’est pas
question de réaliser une expérimentation, mais bien de manipuler les
variables en jeu. C’est pourquoi, sans ce type de manipulation, nous ne
pourrons connaître précisément les variables responsables des troubles du
comportement. Rappelons que les variables indépendantes font référence
aux antécédents et aux conséquences. Les variables dépendantes sont les
comportements. Ainsi, en modifiant les antécédents et les conséquences,
nous pourrons voir les effets sur le comportement problème.
Cette forme d’analyse est intéressante à plusieurs niveaux. D’une part,
nous pouvons obtenir des informations sur les contingences qui maintien-
nent le comportement problème plutôt que de décrire ses caractéristiques
topographiques (par exemple, se taper la tête ou se mordre). D’autre part, le
comportement « se mordre » peut avoir deux fonctions différentes. Ce sera
la même topographie mais la fonction pourra être soit d’attirer l’attention,
où l’attention aura pour fonction le renforcement positif, soit au contraire
d’échapper à une situation aversive (fonction de renforcement négatif). Il
est alors aisé de comprendre que selon la fonction du comportement, les
traitements à adopter ne peuvent être les mêmes, même si la topographie
du comportement est identique.
Iwata est le chercheur qui a le plus contribué au développement de
l’analyse fonctionnelle. En 1982, il tente avec ses collègues d’évaluer la
fonction de comportements d’automutilation présents chez des personnes
avec retard mental sévère [21]. Dans cette recherche, ils manipulent les
antécédents comme le contexte et les possibles sources de renforcement.
Pour tester l’attention comme source possible de renforcement des troubles
d’automutilation, ils aménagent une condition dans laquelle l’enfant
ne reçoit aucune attention de l’adulte présent dans la pièce et lorsqu’un
trouble du comportement apparaît, l’adulte lui fournit de l’attention sous
forme de désapprobation sociale (« arrête de faire ça/ne fais pas ça/je t’ai
dit de ne pas faire ça »). Quatre conditions sont testées de façon alternée.
78 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)...
On peut observer que les comportements peuvent être maintenus pour cer-
tains enfants par l’attention, pour d’autres par échappement et enfin pour
d’autres par renforcement automatique.
2. Pour une présentation détaillée des plans à cas unique, voir Rivière, 2006 [1].
3. On appelle non contingent le fait de délivrer une conséquence de façon aléa-
toire. Ici, l’attention sociale apparaît quel que soit le comportement présenté par
la personne.
Méthodologie de l’analyse fonctionnelle 79
par contre, ils sont fréquents en situation « no attention ». Ainsi, ces compor-
tements apparaissent uniquement en l’absence d’interactions sociales. Les
auteurs proposent donc que la fonction du comportement soit de l’auto
stimulation car lorsque l’enfant est seul, il présente un taux élevé de compor-
tements problèmes, non observés en présence d’intervenants.
L’analyse fonctionnelle utilise les exigences de la méthodologie scien-
tifique, notamment qu’un antécédent évoque une réponse et qu’un type
spécifique de conséquence renforçante maintient le comportement. Cepen-
dant, il peut être difficile d’implémenter une analyse fonctionnelle dans
certaines situations du fait du contrôle rigoureux indispensable et des
limitations liées à l’équipe, au temps nécessaire et aux équipements [23].
Il faut pourtant se rendre à l’évidence que sans cette possibilité, poser une
hypothèse sur la fonction du comportement sans base expérimentale, en
modifiant simplement les variables, est comme de proposer un traitement
sans analyse préalable pour un médecin.
On peut même faire perdre du temps à la personne, qui présente, rappe-
lons-le, des comportements problèmes à risque. Même s’il est dit que ce type
d’analyses est coûteux en énergie et en temps, elle peut être réalisée assez
rapidement sur une session de 90 minutes par exemple [24]. Pour aller dans
le même sens, O’Reilly, O’Kane, Byrne et Lancioni [25] réalisent l’analyse
fonctionnelle sur une session de 60 minutes chez une personne présentant
des comportements d’automutilation. Ces manipulations expérimentales
permettent de mettre en œuvre les traitements adaptés et de réduire au plus
vite ces troubles sévères.
On peut également évoquer le problème des conditions dans lesquelles
les sujets sont placés, qui sont souvent trop éloignées du milieu naturel.
C’est un problème à ne pas négliger et on peut de plus en plus observer
dans la littérature le fait que les conditions se rapprochent au plus près des
situations naturelles, voire sont réalisées dans le contexte naturel, à l’école
par exemple [26, 27].
Nous pourrions résumer les étapes d’une analyse fonctionnelle en exami-
nant la figure 5.3.
donner contre des personnes, des objets ou sur lui-même. L’équipe nous a
donc contactés afin de réaliser une analyse fonctionnelle et déterminer quel
traitement adopter pour l’enfant.
Nous avons donc mené dans un premier temps une analyse fonction-
nelle indirecte, composée d’un entretien avec l’équipe mais aussi avec les
parents. Lors de ces entretiens, nous orientons les questions pour obtenir
des informations pertinentes concernant la topographie du comportement,
la fréquence, la durée et l’intensité. Le comportement de coup de tête est
décrit par les éducateurs comme des mouvements rapides de la tête vers
une personne ou un objet (mur, chaise, etc.). L’intensité peut être élevée
notamment lorsque les coups sont portés vers une personne (la force des
coups est souvent indiquée par l’équipe en fonction de l’élan que l’enfant
prend pour donner le coup de tête). Quant à la situation actuelle de l’enfant,
aucun élément n’a été repéré comme la prise de médicaments récente,
le sommeil ou l’alimentation. Le changement d’éducateurs est réalisé au
même rythme depuis 6 mois. Il y a eu des remplacements, sans que cela ne
modifie la fréquence des troubles. Concernant des événements spécifiques,
le moment de la journée, l’activité réalisée ou l’éducateur en intervention
avec l’enfant, rien n’a été repéré comme étant susceptible d’entraîner ces
troubles du comportement. Pour les conséquences environnementales, les
parents comme les éducateurs notent que ces comportements apparaissent
en leur présence. Il leur est difficile de savoir si ces comportements sont
présents lorsque l’enfant est seul, car il n’est pratiquement jamais dans cette
situation.
82 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)...
Pour la condition contrôle, le jeu libre, l’enfant est placé dans une salle
contenant des jouets appréciés et l’éducateur est présent, lui apportant
l’attention lors des jeux. Cette condition permet de contrôler que d’autres
facteurs (internes par exemple) ne sont pas en jeu dans l’émission des
troubles du comportement.
Les résultats sont présentés sur la figure 5.4.
L’analyse fonctionnelle expérimentale nous permet de conclure que la
fonction des comportements de coups de tête est l’attention obtenue par
renforcement social positif. Ces résultats nous permettent de proposer à
l’équipe un traitement adapté à ces troubles du comportement, notamment
apprendre à Rémy à utiliser un mot présent dans son répertoire pour obte-
nir de l’attention de la part de l’adulte, réponse la moins coûteuse pour
Rémy. Le traitement, nommé entraînement à la communication fonction-
nelle, sera utilisé. Dans ce cas, nous voyons que l’absence de moyens de
communication adaptés produit des troubles du comportement. Ce n’est ni
l’enfant lui-même ni sa pathologie qui produisent ces troubles du compor-
tement mais bien le fait qu’il ne peut communiquer de façon adaptée. C’est
la première compétence à développer quel que soit l’âge de la personne. Lui
permettre d’émettre des comportements simples, peu coûteux, aura pour
conséquence la diminution des troubles du comportement.
Figure 5.4. Fréquence des comportements de coups de tête obtenue lors de l’analyse
fonctionnelle de Rémy.
Différentes conditions sont réalisées, la condition attention, la condition échappement,
la condition seul et la condition jeu libre.
Méthodologie de l’analyse fonctionnelle 85
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6 Thérapie
comportementale :
gestion de la pathologie
V. Rivière
Résumé
Lorsque le diagnostic est posé, peut-on mettre en place un traitement
adapté afin de réduire la situation de handicap dans laquelle est pla-
cée la personne avec autisme ? Actuellement, différents traitements
existent et il est souvent difficile pour les parents mais aussi pour les
praticiens de savoir quelle orientation prendre. Nous avons choisi de
présenter les différents traitements comportementaux les plus connus
et qui ont montré une efficacité d’après la littérature scientifique. Ces
traitements sont utilisés maintenant chez l’enfant très jeune (après un
dépistage précoce bien sûr) et chez l’adulte. Nous indiquerons l’ensem-
ble des éléments d’un traitement comportemental. Nous exposerons
aussi les grandes lignes des avancées scientifiques depuis les premiers
résultats dans les années 1980, en incluant l’évolution de ces traite-
ments dans les décennies qui ont suivi. Une dernière partie sera consa-
crée à la définition d’une session d’apprentissage et aux conditions
qui s’y rapportent. Nous détaillerons ainsi les différentes possibilités
d’application de ces traitements en fonction du lieu de vie de l’enfant
et des enjeux de sa vie d’adulte (scolarisation ou non, établissement
spécialisé ou non, etc.). Nous présenterons enfin un exemple de protocole
comportemental chez un enfant que nous avons suivi.
Le rôle du parent lors d’un traitement comportemental est plus clair que
lors de problèmes médicaux. Si un enfant souffre d’une maladie comme
une leucémie par exemple, dans la plupart des cas, le parent n’applique pas
lui-même le traitement. La responsabilité du traitement est simplement de
reconnaître que leur enfant nécessite un suivi médical précis et de consulter
si nécessaire. Le choix du traitement revient au médecin. À l’inverse des
analystes du comportement, les médecins peuvent convaincre les parents
d’abandonner les traitements superflus et de respecter précisément les poso-
logies proposées.
Pour les analystes du comportement, les traitements validés scientifique-
ment ne sont pas encore considérés comme les traitements à adopter en
priorité. Les parents d’enfants présentant des troubles du développement
ne sont pas systématiquement envoyés dans des services ou des consul-
tations adoptant une approche scientifique. Les traitements choisis relè-
vent souvent du hasard des rencontres, de lectures ou de l’influence de
leur entourage. Adopter une démarche scientifique n’est pas une entreprise
facile, surtout lorsque les professionnels en charge de l’enfant ne l’adoptent
pas (voir chapitre 3).
En dépit de ces obstacles, les parents souhaitent que leur enfant progresse
et lorsque nous leur présentons les traitements comportementaux avec
toutes les contraintes que cela suppose, ils abandonnent souvent rapide-
ment les traitements inefficaces. Le manque de consensus concernant les
traitements ne fait que rendre le travail des parents plus difficile. Le plus
important sera d’adopter une stratégie permettant aux parents de compren-
dre pourquoi un tel traitement sera plus adapté qu’un autre.
De plus en plus, ces problèmes se retrouvent également dans le monde
médical. Les traitements proposés sont-ils efficaces ? Le livre des profes-
seurs Bernard Debré et Philippe Even [1] est un exemple qui va totalement
dans ce sens. Lorsqu’on reçoit un médicament, nous n’avons, nous patient,
aucune expertise, aucun moyen de savoir si c’est le bon traitement à pren-
dre dans le cas de notre pathologie. Nous faisons entièrement confiance au
médecin qui le délivre. Pourtant, de plus en plus, on s’aperçoit que les traite-
ments n’ont peut-être pas été testés ni utilisés pour la pathologie dont nous
sommes atteints. De même, on se rend compte que certains médicaments n’ont
pas d’effets ou au contraire ont des effets secondaires plus importants que ceux
que la pathologie elle-même peut causer. Le seul critère à adopter sera d’obte-
nir des études reproduisant leurs effets pour définir les protocoles qui don-
nent les meilleurs résultats. Pour les traitements comportementaux, l’objectif
est le même. La seule façon de mettre en évidence l’efficacité des traitements
comportementaux comme celle des traitements médicamenteux sera d’adop-
ter une démarche scientifique qui valide les effets s’ils sont reproductibles par
différents centres de recherche indépendants et sur différents échantillons
de patients couvrant tous les degrés de la pathologie. Mais cette façon de
Thérapie comportementale : gestion de la pathologie 89
concevoir notre monde fait souvent peur, car, selon certains, l’individu y per-
drait toute liberté, et toute spontanéité.
Ainsi, dans l’approche développementale, il est dit par exemple que le jeu
joue un rôle essentiel dans le développement, au niveau social et émotion-
nel, de la communication et des compétences cognitives. Bien évidemment,
la compétence de jeu est essentielle au développement mais pour certains
enfants présentant un TSA, le jeu n’est pas du tout un environnement fonc-
tionnel : il faudra passer par des techniques d’apprentissage spécifiques en
fonction des compétences de l’enfant et des troubles qu’il peut présenter
pour que le jeu devienne une source de renforcement, à la fin de la mise en
place de la procédure, et puisse être utilisé comme tout enfant le ferait et
comme les développementalistes peuvent le décrire [13, 14].
Ces différents programmes peuvent être proposés soit dans des services
spécialisés souvent affiliés aux universités ou hôpitaux (sauf pour LEAP ou
DIR). Certains services proposent des interventions à domicile (UCLA Young
Autism Project, PCDI, Douglass Developmental Center, TEACCH, modèle
de Denver et project DATA) et/ou en milieu scolaire et à la maison (LEAP,
TEACCH, modèle de Denver).
L’implication des familles est un élément essentiel pour tous les pro-
grammes. La façon d’impliquer les familles sera différente, allant de l’édu-
cation parentale à l’entraînement à l’application des programmes, à des
visites à domicile et à l’élaboration des objectifs comportementaux. Pour
certains programmes, les familles peuvent être simplement responsables de
l’implémentation de stratégies d’apprentissage (DIR, TEACCH) ou peuvent
être encouragées à suivre les programmes à la maison en situation naturelle
(Walden Early Childhood Program), alors que d’autres vont intégrer les parents
complètement (Project DATA, Children’s Toddler School, UCLA Young Autism
Project). Les programmes orientés vers l’intégration scolaire (modèle de
Denver et LEAP) mettent l’accent sur l’implication des parents dans la rédac-
tion du programme éducatif individualisé (PEI). Certains modèles (PCDI,
TEACCH, Project DATA) réalisent des enquêtes de satisfaction des parents et
de leur implication comme mesure supplémentaire des conséquences pos-
sibles du traitement.
Le point le plus important et le plus complexe de ces différents pro-
grammes concerne l’évaluation scientifique de leur efficacité. Le National
Research Council [15] a tenté d’identifier les forces, les limites et la qualité
des interventions proposées aux enfants avec autisme. Les études mises
en œuvre posent des problèmes méthodologiques, d’une part à cause des
faibles effectifs d’enfants inclus dans ces recherches et d’autre part parce
qu’il arrive que seuls les effets avant et après traitement soient mesurés sans
avoir eu recours à un groupe contrôle, groupe qui n’a été soumis à aucun
traitement spécifique. La difficulté de réaliser des groupes contrôles tient à
ce que, d’un point de vue déontologique, il est impossible de demander aux
familles d’accepter que leur enfant ne bénéficie d’aucun traitement pen-
dant tout le temps de l’étude, juste pour évaluer les effets d’un traitement
Thérapie comportementale : gestion de la pathologie 91
énommer ce que l’enfant voit, les actions, les attributs, les prépositions, les
d
pronoms. On travaille aussi les catégorisations et les fonctions des objets. La
partie langage est de plus en plus élaborée : l’enfant doit pouvoir continuer
un mot, une phrase, une conversation, poser des questions ou y répondre.
Les apprentissages concernent aussi les émotions : savoir les reconnaître et
les exprimer, le jeu devient de plus en plus adapté, de plus en plus élaboré,
par le jeu symbolique par exemple. Le traitement intéressant les compé-
tences d’adaptation est poursuivi. Lors de la troisième année du traitement,
l’intégration à l’école devient de plus en plus importante et indispensable.
L’enfant est alors capable d’imiter les autres, de répondre aux consignes des
enseignants, de jouer et d’interagir avec l’adulte. L’école permet dans ce cas
de tester la généralisation des comportements et des situations. L’enfant
peut avec l’aide d’une tierce personne adulte suivre le cours classique en
situation scolaire. Les compétences langagières sont toujours travaillées.
L’objectif est d’arriver à un langage pragmatique, de pouvoir maintenir une
conversation avec un pair. Il devra à la fin de cette année être capable de
reconnaître les émotions de ses pairs, de réaliser des inférences, de manifes-
ter ses croyances et de développer de façon autonome ses connaissances. Le
travail sur la fluidité des comportements est accentué. Il apprend à planifier
ses activités et ses jeux. Le traitement lors de cette troisième année porte
sur toutes les compétences et prioritairement sur les compétences sociales.
La quatrième année est composée de 10 heures à domicile et de 30 heures
à l’école au cours de laquelle il est capable de travailler sans l’intervention
d’une tierce personne. Les enseignants sont maintenant à même de s’occu-
per seuls de l’enfant. Les compétences sociales sont travaillées en généra-
lisation. Le travail sur la représentation de soi est développé : être capable
de s’estimer, de parler de soi, de se projeter dans l’avenir, de faire un choix
professionnel. Les compétences scolaires sont poursuivies de la même façon
que pour n’importe quel enfant.
Matson et ses collègues [16], qui ont recensé plus de 550 études entre
1980 et 1995 et plus de 100 depuis 1995, mettent en évidence l’efficacité
des procédures comportementales et les méthodologies pour l’acquisition
de compétences comme :
• apprendre à apprendre : regarder, écouter, imiter, suivre des consignes,
différencier des stimuli, etc. ;
• communication : verbale et non verbale, compréhension et production,
allant de simples vocalisations à une conversation complexe ;
• sociales : de simples échanges réciproques, jouer avec des pairs, partager,
exprimer ses émotions, empathie, jeu dramatique, etc. ;
• l’autonomie : hygiène, sécurité, vivre en communauté, etc. ;
• les compétences scolaires : lecture, écriture, calcul ;
• les compétences motrices globales et fines ;
• l’orientation professionnelle : choisir un métier, une orientation.
Thérapie comportementale : gestion de la pathologie 93
1. The Carolina Curriculum for Preschoolers with Special Needs. 2nd ed. CCPSN ; 2005.
Thérapie comportementale : gestion de la pathologie 101
du fait de son statut, ceci sans prendre en compte les difficultés de l’enfant
et sans connaissance des techniques d’apprentissage nécessaires, ne nous
permettra pas d’obtenir les résultats escomptés. On parle alors de perte de
chance pour ces enfants [56].
De plus, les enfants avec autisme sont souvent acceptés ou plutôt tolérés
en classes maternelles, mais dès l’âge de 6 ans, le contexte change et seules
quelques écoles acceptent de poursuivre la scolarisation. Le problème de
continuité dans la scolarisation de l’enfant se pose et a souvent pour consé-
quence une perte de temps importante.
On peut donc retrouver des enfants placés en intégration scolaire mais
où aucun objectif précis n’est présenté ou, lorsqu’il existe, correspond au
« développement des conduites sociales ». Sans objectif clairement défini
et en l’absence de techniques d’apprentissage des compétences sociales,
l’intégration en milieu scolaire peut entraver le développement de compor-
tements adaptatifs [57].
lorsque vous leur parlez, cela les fera reculer, même s’ils vous connaissent
bien. Par contre, dans les conduites de séduction, ces comportements vont
au contraire prendre d’autres formes et le rapprochement déclenchera
d’autres comportements complexes, émotionnels et sexuels [65].
Ainsi, lorsqu’on apprend à l’enfant à émettre le comportement de regard,
il est essentiel de prendre en compte ces considérations : la distance, la
durée du contact oculaire, l’ajustement avec ce que fait la personne, etc.
Ces programmes sont souvent critiqués pour le côté répétitif dans lesquels
les enfants seraient placés sans qu’ils aient besoin d’agir. C’est justement
ignorer la définition du terme opérant que nous avons vu précédemment.
Lorsque le comportement de regard opère sur l’environnement, il ne
doit être suivi de conséquences que si la réponse est correcte. La réponse,
l’action du sujet est donc nécessaire à l’apparition de conséquences. Pour
cela, différentes techniques d’apprentissage existent, comme le façonnage,
les programmes de discrimination, etc. Et la façon la plus simple d’évaluer
l’efficacité d’un programme et de le considérer comme acquis, c’est lorsque
les personnes extérieures au traitement sont incapables de voir s’il y a eu ou
non apprentissage artificiel pour la compétence.
De la même façon, nous aurons comme objectif les compétences
d’imitation. C’est un programme essentiel car il permet d’apprendre
d’autres comportements de façon non structurée. L’imitation portera
sur des comportements moteurs mais aussi des comportements vocaux.
Des objectifs précis seront posés concernant l’apprentissage de demandes
d’items ou d’activités renforçantes. Le fait de commencer par de l’imitation
motrice est important car guider ces comportements d’imitation est facile
à faire d’un point de vue physique. Une fois que la compétence d’imitation
motrice est en place, nous pourrons passer à l’imitation vocale. Puisque les
vocalisations spontanées sont importantes chez Juliette, l’objectif sera placé
plus sur les compétences d’imitations vocales. Ce répertoire permettra de
développer les objectifs de compétences verbales, notamment les demandes
et les échoïques qui sont envisagés au chapitre 7.
Les compétences de jeu seront un des objectifs de ce curriculum. Appren-
dre à utiliser les jouets de façon fonctionnelle lui permettra d’augmenter
les compétences d’interaction avec les pairs. Ainsi, apprendre à faire rouler
une balle ou taper dans un ballon lui permettra de participer à des activités
sociales. Lors de ces programmes, nous poursuivons en même temps les
premiers apprentissages, notamment le regard. Pour lancer une balle, il faut
regarder l’autre et pour la recevoir aussi. Tout programme doit avoir une
utilité immédiate dans l’environnement de l’enfant.
Les troubles du comportement étant importants, la situation en classe
n’est pas encore appropriée. Dans ce curriculum, il est important de placer
des objectifs concernant ce que l’on appelle l’observance (compliance en
anglais). Le fait de pouvoir poser des consignes simples à l’enfant comme
Thérapie comportementale : gestion de la pathologie 109
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Thérapie comportementale : gestion de la pathologie 113
V. Rivière
Résumé
Un des enjeux des sciences du comportement est de présenter des
modèles explicatifs respectant les principes scientifiques et notam-
ment celui de la parcimonie. Ainsi peut-on décrire, prédire et contrô-
ler tout comportement. Les comportements complexes, interactions
sociales ou comportements verbaux, peuvent-ils être analysés en
gardant le même cadre explicatif de la contingence présentée au
chapitre 2 ? Nous souhaitons au cours de ce chapitre présenter l’état
des recherches en analyse du comportement à propos du compor-
tement verbal et social et des applications qui en découlent. Dans
une première partie, nous exposerons les recherches en sciences
fondamentales qui ont permis de développer des applications,
notamment dans le domaine des personnes présentant des troubles
de la communication. Ces recherches fondamentales nous permet-
tront d’exposer les hypothèses concernant les personnes qui présen-
tent des troubles du développement sur l’absence de communication
ou des perturbations des troubles de la communication. Une seconde
partie sera consacrée au développement des comportements sociaux
et à leur relation avec le comportement verbal. Enfin, nous présen-
terons un exemple de protocole d’apprentissage de comportements
sociaux chez le très jeune enfant et chez un enfant avec autisme en
situation scolaire.
langage est souvent plus présentée comme une compétence réservée aux
humains du fait de la constitution du système nerveux. Ainsi, l’Homme
serait constitué pour parler. Cependant, sans approche fonctionnelle de ce
comportement, il est difficile d’appréhender les techniques que l’on pour-
rait utiliser pour développer ces compétences lorsque celles-ci n’apparais-
sent pas spontanément.
Skinner propose donc une analyse fonctionnelle et trouve différentes
fonctions du comportement verbal, que l’on nomme aussi opérants ver-
baux. Utiliser le terme de « comportement verbal » a été important pour
Skinner pour le différencier de la notion de « langage ». Le langage fait réfé-
rence à l’approche structurale qui se focalise sur la forme du comportement
en intégrant la source innée de ces compétences [3-5].
Adopter une approche fonctionnelle par opposition à une approche
structurale n’est pas simplement un problème théorique ou d’experts. Cela
a des conséquences sur les techniques de remédiation et d’apprentissage
pour les personnes présentant des troubles du développement. Actuelle-
ment, il faut savoir qu’un nombre important d’adultes avec troubles du
développement ne présentent aucun moyen de communication leur per-
mettant d’avoir accès à leurs besoins les plus primaires. Nous avons évoqué
dans la partie sur l’analyse fonctionnelle que le manque de moyens de
communication est un facteur aggravant pour l’émergence des troubles du
comportement.
Selon l’approche développementale ou structurale, on présente une
vision descriptive concernant la forme que prennent les comportements
comme le babillage, le babillage dupliqué, puis les proto-mots, les mots et
les phrases. Un programme inné semble se dérouler sans qu’on puisse agir
sur celui-ci. Adopter une telle approche limite les possibilités d’interven-
tion, alors que l’approche comportementale permet d’analyser les contin-
gences et les comportements à développer.
En reprenant les éléments présentés précédemment et concernant les
comportements de façon générale, nous allons adopter la même présen-
tation pour le comportement verbal. Nous avons indiqué qu’un compor-
tement est fonction de ses conséquences et que, par ailleurs, un même
comportement, quelle que soit sa forme, peut avoir la même fonction.
Ainsi, des gestes, des signes, des sons ou des topographies vocales diffé-
rentes (les différentes langues) peuvent avoir les mêmes fonctions, même
s’ils diffèrent de façon considérable par leur forme [6, 7]. Dès les premières
heures de vie, le bébé va apprendre par un nombre d’essais considérables la
fonction du comportement de crier. Cette première réponse, le cri, réflexe
au départ, va progressivement opérer sur l’environnement : cette classe de
réponses va évoluer et grâce à cette interaction avec l’environnement (les
efforts des parents sont essentiels), les sons produits par la culture linguis-
tique seront suivis de conséquences positives.
Applications de techniques spécifiques aux interactions sociales 117
Opérants verbaux
Échoïques
Les échoïques sont des opérants verbaux vocaux émis sous contrôle de
stimuli verbaux. On parle de correspondance point par point (la topogra-
phie est similaire) et d’une similarité formelle des stimuli verbaux qui les
contrôlent. Les conséquences qui suivent ces réponses sont nommées renfor-
cements automatiques, c’est-à-dire que c’est la réponse elle-même qui pro-
duit la conséquence. On retrouve ces comportements très tôt chez le bébé,
notamment vers 4 mois au moment où le larynx change de position, ce
type de comportements augmente. Certains parents rapportent que le bébé
« se parle » tout seul dans son lit, le matin ou le soir avant de s’endormir. La
relation avec une autre personne n’est pas en jeu lors de la mise en place de
cet opérant. Ce comportement est essentiel au développement du compor-
tement verbal, car il permet de développer une classe de réponses de plus en
plus importante. Les cordes vocales sont des muscles, il est donc essentiel que
ces muscles soient en action le plus rapidement possible pour être opération-
nels. Cette classe de réponses va évoluer par rapport à des environnements
fonctionnels pour atteindre ce qu’on appelle l’imitation vocale. Le bébé est
capable de dire « maman » lorsqu’on lui présente le modèle vocal « maman ».
qui est souvent omis ou mal compris. Nous parlons bien de « tacts » ou
« contacts » car la fonction de ce comportement est d’obtenir de l’atten-
tion de l’autre. On retrouve très tôt ce type d’opérants dans le répertoire
d’un enfant typique. On parle aussi d’attention conjointe en psychologie
du développement [8, 9]. Le pointage est une forme de réponses de tacts.
On peut observer des aller-retour au niveau du regard de l’enfant qui lui
permettent d’obtenir des conséquences sociales (sourire, être pris dans les
bras, lui parler, etc.).
Intraverbaux
Pour les intraverbaux, les stimuli antécédents sont des stimuli verbaux. Il
n’y a pas de correspondance point par point avec le stimulus antécédent.
Les conséquences ne sont pas spécifiques.
Ces intraverbaux font référence aux conversations et notamment au fait
de répondre à des questions du type « qu’est-ce que tu vois ? », « comment
t’appelles-tu ? », « comment fait-on un gâteau ? » ou de poser des questions
du même type.
Textuel
Pour cet opérant, les stimuli antécédents seront les mots écrits. La réponse
verbale sera le mot lu et la conséquence sera une conséquence non spéci-
fique, sociale ou non. Pour cet opérant, il y a correspondance terme à terme
mais aucune similarité formelle entre le stimulus et la réponse produite. Le
fait de pouvoir prononcer le mot « chat » lorsqu’on voit écrit le mot chat
est un exemple d’opérant verbal de base textuel. Les mots sont des stimuli
visuels, composés de lettres, alors que la réponse textuelle est une réponse
vocale composée de phonèmes.
La lecture n’inclut pas la compréhension de ce qui est lu. Ainsi, vous êtes
capables de lire des mots en japonais, par exemple bonsaï ou arigato (le r
se prononce l) sans pour autant, si vous n’avez aucune connaissance du
japonais, comprendre ce que vous lisez. Le terme textuel est utilisé plutôt
que le mot lecture, car la lecture faire référence à plusieurs processus en
même temps.
Transcription
Cet opérant consiste à écrire et épeler les mots qui sont présentés, le sti-
mulus verbal contrôlant la réponse (écrite, tapée ou signée). Il y a une cor-
respondance terme à terme entre le stimulus et la réponse produite mais
aucune similarité formelle. On peut demander à l’enfant d’épeler le mot
« chien ». La réponse « C-H-I-E-N », a une correspondance terme à terme
avec le stimulus mais cette réponse n’appartient pas à la même modalité
sensorielle et/ou n’a pas les mêmes caractéristiques physiques.
Les retards de développement du comportement verbal peuvent être
compris en reprenant une analyse fonctionnelle du développement mais
Applications de techniques spécifiques aux interactions sociales 119
Tableau 7.1. Présentation des opérants verbaux de base d’après Skinner [1].
Variables antécédentes Réponse Conséquence
Contexte motivationnel : chaleur Mand : « ouvre Renforcement spécifique
importante la fenêtre » (arrivée d’air par la fenêtre
ouverte)
Stimulus non verbal : voir un jouet Tact : « jouet » Renforcement social
(félicitations et attention)
Stimulus verbal avec une Échoïque : dire « oui Renforcement automatique
correspondance terme à terme oui avec son taxi » et/ou renforcement social
et une similarité formelle : entendre (félicitations et attention)
« oui oui avec son taxi »
Stimulus verbal sans correspon- Intraverbal : dire Renforcement social
dance terme à terme ni similarité « trois p’tits chats* » (félicitations et attention)
formelle : entendre « un deux et/ou renforcement
trois… » automatique
Stimulus verbal avec une Textuel : dire Renforcement social
correspondance terme à terme « couleur » (félicitations et attention)
sans similarité formelle : voir et/ou renforcement
« couleur » écrit automatique
Stimulus verbal avec une Transcription : écrire Renforcement social
correspondance terme à terme « C-O-U-L-E-U-R » (félicitations et attention)
sans similarité formelle : entendre et/ou renforcement
« couleur » automatique
* Chanson enfantine.
Ces entraînements, nous le verrons un peu plus loin, sont très proches de
ce que l’on appelle en psychologie du développement, l’attention conjointe.
On peut considérer l’attention conjointe comme un ensemble de tacts :
devant un objet, le bébé pointe un objet ou une image et regarde de façon
simultanée l’adulte pour obtenir une approbation sociale.
Cette prise en compte des renforçateurs généralisés comme l’attention
sociale est souvent omise dans les programmes de développement des tacts.
On parle plus de dénominations pures sans que l’intervention de l’adulte
par exemple joue un rôle dans la contingence. On présente une image de
chien à l’enfant, il donne la réponse orale « chien » et il obtient une consé-
quence non spécifique, une conséquence alimentaire ou une approbation
sociale. Le fait de produire la réponse sans la présence de comportements
non verbaux, comme d’obtenir le regard de l’adulte avant de dénommer
ou de pointer l’objet, bloque l’apparition de tacts spontanés. En effet, les
variables qui ont permis l’entraînement ne sont pas les mêmes que celles en
jeu dans la situation naturelle. Dire bonjour lorsque quelqu’un arrive dans
une pièce est un tact. En présence de la vision d’une personne, la réponse
« bonjour » sera renforcée par la réponse de la personne entrant dans la
salle. Nous commençons à percevoir la mise en place des comportements
sociaux [16].
Une fois encore, en fonction du répertoire de l’enfant, il faudra décom-
poser les apprentissages pour obtenir les comportements dits spontanés,
c’est-à-dire sans que d’autres stimuli hormis ceux retrouvés en situation
naturelle apparaissent. Obtenir des tacts spontanés nécessite donc de bien
connaître ces éléments d’analyse du comportement verbal. Le fait que
l’enfant connaisse le nom de plus de 100 items, objets ou actions, ne lui
permettra pas de développer des tacts spontanés si ces précautions n’ont
pas été prises [17].
Progressivement, l’enfant sera placé en situation de dénomination, c’est-
à-dire qu’il pourra donner la réponse verbale associée à l’image ou à la situa-
tion présentée. Une fois encore, ces réponses peuvent être réalisées par des
signes, par des images ou par une réponse vocale. La forme de la réponse
n’est pas un objectif mais on se focalise sur la fonction de ces réponses. Ces
compétences vont évoluer vers les compétences de ce que l’on appelle le
langage réceptif, c’est-à-dire le fait de pouvoir dénommer un certain nom-
bre d’objets, toujours de son environnement quotidien.
Chaque apprentissage nécessite une connaissance précise du développe-
ment typique du langage de l’enfant, des contingences naturelles qui régu-
lent nos comportements et du répertoire réel de l’enfant.
Dans la mise en place des traitements comportementaux, des recherches
se sont focalisées sur la façon d’aménager les apprentissages des mands et
des tacts. Carroll et Hesse [18] étudient les effets de l’entraînement alterné
aux tacts et aux mands. Pendant l’entraînement aux mands, une réponse
128 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)...
réponse sera renforcée positivement lorsque l’enfant porte son regard sur
l’objet cible. Trois jouets mobiles et mécaniques pouvant être activés sont
présentés dans trois lieux différents. Le fait de varier les objets et les empla-
cements permet d’augmenter la généralisation des comportements. L’inter-
venant regarde vers un des trois jouets cibles. Si l’enfant regarde l’item cible
selon le stimulus discriminatif non verbal (le regard de l’intervenant), une
conséquence positive apparaît. Si le comportement cible n’est pas émis,
le jouet est activé, puis progressivement l’intervenant diffère l’apparition
de l’activation du jouet pour transférer le stimulus contrôle (le jouet activé)
vers le stimulus discriminatif de la situation naturelle (le regard de l’adulte).
Cette procédure permet l’augmentation de la réponse de suivi, mais le
développement de l’attention conjointe nécessite aussi le fait d’initier les
réponses. De la même façon, des procédures ont été développées en ana-
lysant les composantes en jeu dans la contingence. Durant l’entraînement,
un item choisi selon une évaluation des préférences est présenté de manière
à ce que l’enfant le perçoive, contrairement à l’expérimentateur. L’expéri-
mentateur attend 10 secondes pour que l’enfant émette un comportement
d’initiation. Si le comportement cible est présent, un agent renforçateur est
délivré et un feed-back est émis en alternant le regard de l’adulte entre l’item
cible et le regard de l’enfant. Si aucune initiation n’est émise, le jouet est
retiré [34].
Mais peut-on comprendre pourquoi ces comportements, qui semblent se
développer sans difficulté chez l’enfant typique, n’apparaissent pas chez la
personne avec autisme, même lorsqu’elle possède des compétences intellec-
tuelles exceptionnelles, comme les personnes Asperger ? Une fois encore,
les recherches permettent d’obtenir des éléments d’analyse sur ces contin-
gences et sur la façon de mettre en place les apprentissages.
Les outils technologiques ont permis le développement de nouvelles
recherches, notamment celles sur la poursuite oculaire. Il semble que les
éléments d’un visage, lors de situation de discrimination d’expression émo-
tionnelle, varient selon les expressions [35]. Par exemple, pour l’expres-
sion de joie ou de surprise, la bouche est la région qui est la plus corrélée
à la discrimination correcte, alors que pour l’expression de peur, c’est la
région des yeux. Les personnes avec autisme présentent, dans ces tâches
de discrimination, des patterns différents de poursuite oculaire des visages
par rapport à des personnes typiques. La plupart des études sont surtout
réalisées chez l’adulte de haut niveau, souvent des personnes Asperger, qui
sont capables de suivre des consignes simples avec un niveau verbal élevé.
Le contrôle des réponses de discrimination par le stimulus antécédent n’est
pas en place chez ces personnes et en particulier le pattern de poursuite
peut être inefficace dans le sens où la personne regarde des zones non per-
tinentes (figure 7.3).
132 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)...
Études de cas
toutes les 5 minutes pendant environ 30 minutes. Les données sont présen-
tées à la figure 7.5.
À partir de la session 11, l’intervenant touche systématique les objets de
Paul si aucun trouble du comportement n’apparaît. La cotation se poursuit
de la même façon.
Après plusieurs sessions, Paul accepte que l’intervenant reste assis à
côté de lui pendant 30 minutes sans cris ni autre comportement agressif.
L’étape suivante sera que Paul accepte qu’on prenne un de ses objets et
qu’on lui redonne à nouveau. La durée de prise de l’objet sera croissante,
1 à 2 secondes au début en augmentant progressivement en fonction des
comportements de Paul. Avant de prendre l’objet, l’intervenant indique ce
qu’il fait : « Je prends ton jeu, Paul. » Au bout de huit sessions, les troubles du
comportement de Paul ont complètement diminué. L’intervenant, toujours
en indiquant ce qu’il va faire, peut rester avec un objet de Paul dans les
mains et à côté de lui pendant au moins 10 minutes sans qu’aucun trouble
n’apparaisse.
Dans une autre phase, l’intervenant va commencer à approcher Paul
de plus en plus près afin qu’il accepte la présence d’autrui et le fait d’être
touché sans que des troubles du comportement n’apparaissent. Le contact
physique est une conséquence aversive pour Paul qui peut engendrer des
troubles importants. L’intérêt sera d’associer le contact physique avec une
conséquence appétitive (agréable pour Paul). En même temps que l’inter-
venant touche Paul, il lui donne accès à ses objets préférés (fils, cordelettes,
etc.). Au bout de quelques sessions, l’intervenant est capable de prendre
Paul par la main sans que cela ne produise le moindre trouble. Cette tech-
nique d’apprentissage est importante car elle permet d’obtenir rapidement
des comportements adaptés et dans des conditions optimales. Le contexte
d’apprentissage doit toujours être positif.
Paul est maintenant capable de tolérer d’avoir une personne à côté de
lui et qu’on le touche en lui prenant les mains par exemple. L’intervenant
Applications de techniques spécifiques aux interactions sociales 137
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8 Gestion des troubles
d’automutilations chez
la personne avec autisme
V. Rivière
Résumé
Les troubles du comportement sont une des manifestations compor-
tementales les plus observées chez les personnes avec autisme. Ils
sont parfois considérés comme faisant partie de la pathologie alors
qu’ils restent une conséquence d’un faible répertoire comporte-
mental verbal et social. Nous présenterons les caractéristiques de
ces troubles du comportement et en particulier pour les troubles
d’automutilation. Un rapide rappel historique nous permettra de
retrouver les éléments évoqués au cours du chapitre 2 concernant la
définition de l’autisme et ses classifications. Différentes recherches
seront présentées afin d’évoquer les techniques d’intervention qui
sont le plus utilisées actuellement. En faisant appel aux éléments
développés dans les chapitres 5 et 6 sur l’analyse fonctionnelle, nous
présenterons les différentes procédures validées dans la littérature
et adaptables en fonction des résultats obtenus lors d’une analyse
fonctionnelle.
Caractéristiques et prévalence
des comportements d’automutilation
chez les personnes avec autisme
Des caractéristiques communes peuvent être retrouvées chez les personnes
avec autisme. On peut observer des comportements répétitifs des mem-
bres, de la tête, du tronc ou d’autres parties du corps, qui conduisent à
des dommages physiques potentiels ou réels. Certains comportements
peuvent sembler peu problématiques mais c’est leur côté répétitif qui pose
problème, par exemple, se frotter le nez avec le doigt. Ces épisodes apparais-
sent plusieurs fois par jour, avec le même mouvement ou des mouvements
similaires. Dans la plupart des études, les troubles sévères du comportement
engendrent des hospitalisations répétées, des dosages élevés de neurolep-
tiques et des dommages physiques sévères [4].
Premières recherches
Les théories psychanalytiques ont tenté de proposer des hypothèses liées
aux causes psychopathologiques des CAM [5]. Ces CAM étaient interprétés
comme des comportements symboliques, reflétant les perturbations créées
par l’isolement social maternel [6, 7].
D’autres chercheurs, mêlant l’éthologie et la physiologie, notent que
les personnes avec autisme semblent sur-stimulées ou au contraire sous-
stimulées. L’automutilation peut être considérée comme participant à la
régulation de l’éveil physiologique. Ils considèrent que les CAM bloquent
l’effet aversif des stimulations excessives (par exemple certains bruits). Un
grand nombre d’adultes avec autisme ou de parents rapportent que certains
bruits sont pour eux des sources aversives de stimulation. De la même façon,
ces CAM pourraient augmenter le niveau d’éveil des personnes avec autisme
en cas de non-stimulation (on peut observer ces comportements lorsque
les personnes sont en isolement profond ou même chez des personnes
aveugles). Ces hypothèses sont difficiles à confirmer du fait du caractère
individuel de ce que l’on peut appeler sur-stimulation ou sous-stimulation.
En effet, les stimulations sonores peuvent avoir un effet aversif pour une
personne et non pour une autre [8]. Nous verrons que ces recherches sont
en relation avec les approches fonctionnelles du comportement.
Les premières recherches en analyse appliquée du comportement ont
souvent été consacrées à la réduction de troubles sévères du comportement.
Lovaas et Simmons [9] considèrent les CAM comme des comportements
appris, comme tout autre comportement, et qui peuvent être augmentés
ou réduits en fonction des contingences de renforcement positif, néga-
tif, d’extinction ou de conséquences aversives. Progressivement, on voit
apparaître l’hypothèse selon laquelle les CAM peuvent avoir la fonction
d’attention sociale (maintenus par renforcement positif social), la fonc-
tion d’échappement ou d’évitement de situations ou d’activités aversives
(renforcement négatif) ou encore une forme d’autostimulation (autoren-
forcement) [10, 11]. Iwata et al. [12] développent une méthodologie qui
concerne l’évaluation et l’analyse fonctionnelle. En sciences du compor-
tement, le nombre d’articles sur la gestion des troubles du comportement
est impressionnant et ce depuis plus de 40 ans. En effet, les études ont pu
mettre en évidence que les CAM peuvent être traités par des techniques
comportementales et notamment par l’apprentissage de moyens de
Gestion des troubles d’automutilations chez la personne avec autisme 147
Renforcement automatique
Une relation entre les mouvements stéréotypés, répétitifs et les événements
de l’environnement sans manipulation des contingences sociales a été
observée [32]. Des personnes avec retard mental présentent des taux élevés
de stéréotypies lorsqu’ils ne peuvent avoir accès à leurs activités préférées.
Les CAM sont aussi parfois observés de façon exclusive en l’absence de toute
conséquence sociale [33]. Les recherches en neurochimie nous permettent
de comprendre que les sources de renforcement proviendraient de sources
internes (opioïdes, endorphines, etc.). Ces contingences non sociales ont
été définies comme renforcement automatique car produit par le corps lui-
même [34, 35].
Le renforcement automatique peut également apparaître lors de stimu-
lations douloureuses. Lorsque quelqu’un se cogne par accident, il n’est pas
150 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)...
rare de voir la personne se frotter très fort pour calmer la douleur. De même,
des personnes ayant des maux de dents peuvent avoir des comportements
CAM : certaines ont rapporté le fait qu’elles auraient été prêtes à s’arracher
elle-même la dent si le professionnel n’était pas intervenu. Les études sur
les acouphènes vont aussi dans ce sens. L’occurrence des CAM peut être
liée à des situations de douleur de la personne [36]. Dès 1963, de Lissovoy
[37] observe que des enfants ayant une otite présentent des CAM (se taper
la tête) à des taux élevés. Certains chercheurs observent que les CAM sur-
viennent uniquement dans des conditions douloureuses : règles pour les
jeunes filles, reflux gastroœsophagiens, privation de sommeil [38, 39].
Renforcement social négatif
Des comportements inadaptés, que ce soit des CAM ou des comportements
agressifs, apparaissent le plus souvent lorsque les personnes sont placées
dans des situations de contrainte (tâches éducatives ou ménagères, activités
de la vie quotidienne, etc.). Ces données indiquent que les CAM peuvent
être renforcés négativement, ce qui permet d’échapper ou d’éviter les situa-
tions aversives pour le sujet. Seule l’analyse des comportements de l’enfant
permet de vérifier que la situation est appétitive ou pas. Une fois de plus,
ces interprétations supposent de considérer l’environnement de façon fonc-
tionnelle et non de considérer l’apparition des troubles du comportement
comme un symptôme dû à une pathologie comme l’autisme.
Modifier le contexte
Le contexte, nous l’avons vu, est un événement antécédent qui peut alté-
rer la fonction d’une conséquence renforçante et altérer la fréquence du
comportement qui historiquement produit la conséquence. La procédure
la plus efficace concernant la modification du contexte consiste à utiliser
une procédure de renforcement non contingent (noncontingent reinforcement
ou NCR en anglais). Le renforçateur est délivré de façon systématique et
indépendamment de la réponse produite. Cette procédure peut être utilisée
lors de troubles du comportement maintenus par échappement, en pro-
posant de façon régulière la possibilité d’échapper de la tâche et ce, quel
Gestion des troubles d’automutilations chez la personne avec autisme 151
Entraînement à la communication
fonctionnelle
L’entraînement à la communication fonctionnelle ou ECF (functional
communication training ou FCT) consiste à apprendre à la personne des
comportements spécifiques de communication qui ont la même fonction
que le comportement problème [56, 57]. C’est un exemple de procédure de
renforcement différentiel. Cet apprentissage est d’une importance capitale
car encore de nos jours, un grand nombre de personnes avec troubles du
développement n’ont toujours aucun moyen de communication, même
le plus simple possible. Pourtant, ces apprentissages peuvent être mis en
place quels que soient la personne et son handicap et devraient être une
priorité.
La réponse de communication doit être fonctionnellement équivalente
afin que le trouble du comportement et la réponse de communication
appartiennent à la même classe puisqu’ils engendreront les mêmes consé-
quences. Différentes procédures d’apprentissage existent. L’ECF est souvent
154 Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)...
Conclusion
Prendre en compte les troubles du comportement est une priorité pour
tout professionnel ou parent impliqué dans l’éducation et le traitement
de personnes avec autisme. L’approche fonctionnelle des contingences a
apporté des moyens considérables et efficaces sur la gestion de ces compor-
tements.
Tout traitement ne peut être qu’individualisé en prenant en compte le
maximum d’éléments permettant d’adopter une vision compréhensive
de ces troubles qui incluent les relations entre l’environnement et les
troubles du comportement. La prise en compte d’un grand nombre de fac-
teurs en relation avec ces troubles du comportement est essentielle, comme
l’anxiété ou la dépression [62, 63], l’inconfort physique [64], les effets
secondaires des médicaments [65], et parfois complexe pour des personnes
présentant des déficits développementaux sévères. L’enregistrement et
l’analyse des relations entre les troubles du comportement et les conditions
environnementales restent la caractéristique centrale de la méthodologie
de l’analyse fonctionnelle. Les troubles du comportement sont analysés
comme un objectif final provenant de l’histoire comportementale du sujet.
Dans la pratique quotidienne, cinq étapes sont à respecter :
1. conserver les principes essentiels qui sont d’identifier le problème, de le
sélectionner et de le définir de façon opérationnelle ;
2. réaliser des recueils de données de façon directe et indirecte, et réaliser
des entretiens avec les parents et les professionnels intervenants ;
3. réaliser une analyse fonctionnelle en testant les hypothèses qui ont été
formulées grâce à l’analyse des données précédentes ;
4. mettre en place les traitements en fonction des relations obtenues lors de
l’analyse fonctionnelle ;
5. évaluer l’efficacité du traitement.
Gestion des troubles d’automutilations chez la personne avec autisme 155
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Conclusion 161
G. Regli
Résumé
Le modèle d’intervention précoce de Denver est adapté aux tout-petits
et vise à accélérer le rythme du développement afin d’éviter les
effets négatifs du trouble du spectre autistique (TSA) sur le fonction-
nement cérébral et la socialisation. L’accent est mis sur la motivation
et l’engagement à travers les jeux et les activités stimulantes adap-
tées au profil unique de chaque tout-petit. Il est axé sur les familles
et intègre des éléments du modèle développemental initial de Den-
ver, des travaux sur l’attention sociale dans le TSA et des procédures
de l’analyse appliquée du comportement (ABA ou AAC). Il met en
particulier l’accent sur l’enseignement des réponses pivots et utilise
des stratégies de soutien au comportement positif afin de pallier les
effets négatifs des comportements problématiques qui compromet-
tent la vie sociale de la personne souffrant de TSA. L’enseignement
des thérapeutes et la formation des parents intègrent les procédures
comportementales de l’ABA dans un ensemble d’interventions
développementales, cognitives, émotionnelles et relationnelles.
Gisela Regli, qui est une thérapeute accréditée de ce modèle,
présente dans ce chapitre ses fondements théoriques et son application
pratique. De plus, elle effectue une synthèse des travaux expérimentaux
qui ont permis qu’il soit validé par la HAS dans ses recommandations
de 2012 pour la prise en charge du TSA.
Selon cette hypothèse, les différences neuronales déjà présentes chez les
nouveau-nés seraient responsables d’un manque d’attention sociale qui
entraînerait un schème atypique de comportement. Une des modalités
d’intervention reposant sur cette hypothèse est le modèle d’intervention
précoce de Denver (early start denver model ou ESDM en anglais) [3]. Il vise
à réamorcer le processus de développement alors que la plasticité cérébrale
est encore grande afin d’éviter que le manque d’engagement social n’ait
une influence négative sur l’imitation, l’attention conjointe, le langage et
la cognition. En 2008, Dawson et ses collègues ont proposé d’augmenter les
échanges sociaux réciproques chez les tout-petits qui présentent un risque
de TSA, afin de rétablir la trajectoire développementale le plus tôt possible.
Ils ont conduit un essai clinique contrôlé et randomisé pendant 2 ans afin
de vérifier cette hypothèse de travail. Les résultats très encourageants de leur
étude [4] ont été publiés tout juste avant le lancement du livre sur le modèle
d’intervention précoce de Denver en 2010 [3]. Les auteures Sally Rogers et
Géraldine Dawson présentent les principes fondamentaux, les approches
et les méthodologies qui sous-tendent ce modèle ; elles décrivent aussi en
détail les modalités d’application et la mise en œuvre de l’évaluation et de
l’intervention. Leur livre a été traduit en français sous le titre L’intervention
précoce en autisme : le modèle de Denver pour jeunes enfants [3].
Ce chapitre représente une introduction qui permettra au lecteur de
comprendre les modalités de cette approche et d’avoir une vue simplifiée
de ses résultats très prometteurs. Cette présentation consistera en trois points :
• un bref rappel des fondamentaux du modèle ;
• une présentation sommaire des résultats de la recherche ;
• un survol des étapes de son application clinique.
Principes fondamentaux
Description générale
Le modèle d’intervention précoce de Denver découle du modèle de Denver
initial [5] adapté aux besoins des tout-petits âgés de 12 à 48 mois. Il s’agit
d’un modèle comportemental, développemental et relationnel qui vise à
accélérer le rythme du développement et à réduire la sévérité des symp-
tômes de TSA afin d’éviter les effets négatifs sur le développement du cer-
veau. La priorité d’intervention est mise sur la motivation et l’engagement
social à travers les jeux et les activités stimulantes adaptées au profil unique
de chaque tout-petit. Pour ramener l’enfant dans un environnement riche
d’interactions et de communication sociale, la valeur renforçatrice de la
communication est augmentée via des procédures issues de l’analyse appli-
quée du comportement (ABA ou AAC [6]). Ainsi, l’enfant est orienté vers les
aspects judicieux de son environnement social afin d’apprécier les visages,
Prise en charge du trouble du spectre autistique par le modèle... 167
Modèle de Denver
Le modèle original de Denver est une approche développementale déve-
loppée par Sally Rogers dans les années 1980 [10] en se fondant sur les
théories de Jean Piaget (1896–1980) portant sur le développement cognitif
et les propositions concernant l’importance de l’imitation de Daniel Stern
(1985). Le modèle développemental met en priorité l’accent sur l’inter-
action et l’initiation des comportements tout en insistant sur l’imitation et
la communication non verbale et pragmatique. Dans les premières années
de son application, l’enseignement intensif a été proposé à des groupes
préscolaires pendant des activités de jeux afin d’aider l’enfant présentant
un autisme à établir une relation et à comprendre que la communication
implique un échange affectif entre les personnes. Au fil des années, le
modèle a intégré des procédures comportementales.
cingulaire antérieur qui joue le rôle de médiateur dans les processus atten-
tionnels et qui est également responsable du traitement de la récompense [2].
Le manque d’attention et de motivation sociale semble être responsable du
développement de connexions cérébrales atypiques, avec un impact subsé-
quent sur les comportements sociaux chez les tout-petits ayant un TSA [1].
De ce fait, le modèle d’intervention précoce de Denver aborde les TSA comme
un trouble neurologique entraînant un schéma comportemental atypique.
Les expériences sociales et cognitives précoces cruciales pour un déve-
loppement cérébral typique sont entravées. Ainsi, un tout-petit peut passer
beaucoup de temps à se focaliser sur des stimuli non sociaux, tels que les
objets, les mouvements ou des lumières et des sons non organiques, ce qui
va entraver encore plus son développement neuronal. Des comportements
atypiques sont observables dès la première année de vie. Plusieurs recherches
ont rapporté que le premier signe d’autisme qui soit visible dès l’âge de 6 mois
est un manque d’intérêt social, qui se traduit de manière observable par un
déficit à s’orienter vers les visages, et également un déficit dans l’expression
de sourires communicatifs aussi bien que dans la capacité de répondre à
son nom. Des analyses par des vidéos effectuées dans des maisons d’enfants,
dont les pensionnaires ont été plus tard diagnostiqués comme présentant
un TSA [11], des techniques de suivis du regard (eye tracking) [12] ainsi que
le suivi de bébés ayant un frère ou une sœur présentant un TSA [13] ont
tous apporté des résultats similaires. Ils suggèrent que les altérations dans le
développement du cerveau débutent bien avant l’apparition des symptômes
comportementaux de TSA. Ces résultats sont en accord avec l’hypothèse
d’un rôle central d’une perturbation de l’attention sociale dans la genèse du
TSA [1, 2]. De plus, ils peuvent expliquer pourquoi la trajectoire développe-
mentale d’un enfant présentant ce trouble va s’éloigner de plus en plus de
celle d’un enfant neurotypique. En effet, le tout-petit rate des milliers d’occa-
sions d’apprentissage du fait de ce manque d’interactions sociales. Plus il
grandit, plus le schéma comportemental atypique va se renforcer en boucle :
le trouble d’attention sociale va entraîner un déficit des interactions avec
les autres, et ce déficit va non seulement perpétuer le trouble, mais encore
l’aggraver, tout au long du développement psychosocial.
Partant de ce constat, le modèle d’intervention précoce de Denver
vise à réamorcer le processus de développement précocement, c’est-
à-dire au moment où la plasticité cérébrale est la plus grande, ce qui
permettra d’empêcher que le manque d’engagement social ait une
influence négative sur l’imitation, l’attention conjointe, le langage et
le développement cognitif.
doit être examinée et évaluée en continu et être basée sur les sept principes
de l’AAC/ABA décrits par les auteurs en 1968 :
1. analytique : une relation fonctionnelle entre le comportement et les
événements environnementaux doit être identifiée ;
2. appliqué : les interventions doivent être appliquées aux comportements
socialement significatifs ;
3. comportemental : le comportement ayant besoin d’être amélioré doit
changer de façon mesurable ;
4. conceptuellement systématique : les résultats doivent être étroitement
liés aux principes de base ;
5. efficace : les changements doivent être significatifs pour le participant ou
sa famille ;
6. technologique : une description claire, détaillée et spécifique des procé-
dures, permettant une reproduction exacte ;
7. généralisé : les effets du changement persistent à travers le temps, les
conditions, les variations procédurales et ils sont transférés à de nouveaux
comportements.
Ce bref rappel historique vise à souligner que l’AAC/ABA n’est pas un
ensemble prédéterminé de techniques d’intervention, mais plutôt une
approche ciblant les comportements socialement significatives et visant à
identifier et à fournir des interventions efficaces, individualisées et adap-
tées. Le modèle d’intervention précoce de Denver a incorporé les procé-
dures de l’AAC/ABA pour l’enseignement afin de s’assurer du progrès de
l’intervention.
Étude 1
Un essai clinique randomisé et contrôlé conduit par Dawson et Rogers [4]
a permis d’évaluer l’efficacité du modèle d’intervention précoce de Denver
Prise en charge du trouble du spectre autistique par le modèle... 173
Étude de suivi
En 2012, Dawson et ses collègues [18] ont voulu investiguer comment
l’intervention du groupe du modèle d’intervention précoce de Denver et du
groupe de contrôle de l’essai clinique (étude 1 [4]) avait modifié les circuits
neuronaux responsables du développement social en réponse à l’inter-
action entre le tout-petit et son environnement social.
Dawson et al. [19] ont mesuré l’activité électro-encéphalogramme (EEG)
lors de la visualisation des stimuli sociaux (visages) et non sociaux (jouets)
chez les enfants du groupe « modèle d’intervention précoce de Denver »
et du groupe de contrôle, 2 ans après l’essai clinique (étude 1 [4]). Un
troisième groupe d’enfants neurotypiques du même âge (48 à 70 mois) que
les deux groupes de l’étude 1 a été ajouté pour fin de comparaison des
résultats. Le traitement perceptif des visages n’a pas montré de différence
entre les trois groupes. Cependant, les mesures de l’engagement et l’atten-
tion sur des stimuli sociaux versus non sociaux ont montré que les enfants
174 Voies nouvelles et perspectives futures
Vérifications indépendantes
Warren et al. [17] ont suggéré que les données concernant l’intervention chez
les enfants de moins de 2 ans devaient être reproduites. Ils ont également
souligné que les variables influençant le progrès, comme par exemple les
caractéristiques des enfants plus susceptibles de bénéficier de l’intervention,
devaient être identifiées. En 2013, Vivanti et al. [19] ont publié leur véri-
fication indépendante de l’efficacité du modèle d’intervention précoce de
Denver. Les enfants ayant des compétences plus avancées dans l’imitation et
l’utilisation fonctionnelle des objets ont eu les meilleurs gains en développe-
ment comparativement aux résultats moins favorables pour les enfants ayant
un TSA sévère avec une déficience intellectuelle subsumée.
Sur une base purement clinique, nos observations auprès de tout-petits
recevant le modèle d’intervention précoce de Denver tendent également à
mettre en évidence son efficacité. En effet, les résultats préliminaires d’une
étude à cas unique présentement en cours montrent des améliorations
importantes du profil social, émotionnel et des comportements adaptatifs
d’un enfant ayant un TSA léger et qui présente un mutisme sélectif. Une
augmentation de 27,5 points sur le QI a ainsi été observée après 12 mois
Prise en charge du trouble du spectre autistique par le modèle... 175
Intervention
La connaissance du fonctionnement d’un tout-petit est un facteur impor-
tant pour la mise en œuvre des activités adaptées et individualisées. La
perception, l’attention, la motivation et les comportements atypiques du
Prise de données
Une fiche de cotation contentant chaque étape de l’analyse de tâche pour
chacun des objectifs du plan d’intervention sert pour la prise de données. Le
clinicien note ce qu’il a observé pendant 15 minutes et peut par conséquent
vérifier quels objectifs n’ont pas encore été enseignés. Pour chaque objectif, le
critère de mesure pour l’acquisition est noté. Quand une étape est maîtrisée,
la date est transcrite dans une fiche de suivi des compétences. Celle-ci permet
d’évaluer et analyser le progrès. Le modèle d’intervention précoce de Denver
fournit aussi une évaluation de la fidélité de l’enseignement. Cet outil permet
au clinicien d’auto-évaluer si l’intervention est bien mise en œuvre selon les
critères du modèle. Il peut évaluer s’il a capté et bien géré l’attention et la
motivation de l’enfant, s’il a pu moduler l’affect et l’éveil et gérer des compor-
tements indésirables. L’utilisation des techniques d’enseignement, la qualité
de l’engagement dyadique, l’affect positif, la sensibilité et la réceptivité, des
opportunités de communication multiples et variées sont aussi évaluées. Le cli-
nicien vérifie si le langage a été adapté au niveau de l’enfant et si l’élaboration
des activités conjointes et la transition entre les activités correspondent aux
critères. Cette évaluation est aussi utilisée pour l’accréditation du thérapeute.
178 Voies nouvelles et perspectives futures
Formation parentale
Les parents font partie intégrale du modèle d’intervention précoce de Den-
ver et ils sont impliqués dans le choix des objectifs, de l’environnement où
l’intervention a lieu et de la mesure de leur contribution à l’intervention.
Il peut s’appliquer au domicile, dans une clinique ainsi que dans les lieux
préscolaires ou communautaires. Les parents sont formés pour en utiliser
des stratégies dans leur quotidien. Rogers et Dawson considèrent que la
participation des parents pendant leur recherche a constitué un apport
important aux résultats favorables.
Un livre pour les parents
Confrontés aux difficultés et à la complexité de l’autisme chez leurs tout-
petits, il est compréhensible que les parents soient à la recherche de conseils.
Pour répondre à ce besoin, Rogers, Dawson et Vismara ont publié un
livre pour les parents sous le titre Un départ précoce pour votre enfant ayant
un trouble du spectre autistique [22]. Il contient des stratégies simples et des
activités quotidiennes pour aider l’enfant à se connecter, à communiquer
et à apprendre. Dans leur introduction, les auteurs du livre notent : « Dans
notre travail avec de nombreux enfants au cours de plusieurs années, nous avons
découvert que chaque enfant peut apprendre à communiquer, à mieux jouer et à
aimer le contact social. Nous avons pu noter que les parents développent un sens
d’accomplissement et de fierté vis-à-vis de leur enfant, en l’aidant à progresser et
à apprendre. » Le livre utilise un langage non technique et est une source
d’aide pour tous les parents, autant ceux n’ayant pas accès ou étant en
attente de services professionnels que les parents dont les enfants reçoivent
l’intervention.
Vérification indépendante
Dans le cas où une intervention intensive n’est pas possible, il est intéres-
sant d’étudier les effets de la formation des parents qui ont la volonté et la
possibilité d’apprendre les stratégies et de les appliquer à domicile. Dans ce
qui suit, on donne l’exemple d’une intervention d’une heure par semaine
avec une fillette ayant un TSA léger, mais présentant des comportements
inadaptés à domicile et surtout en garderie. L’objectif principal de la mère
est de voir une augmentation du nombre spontané des demandes et
d’initiations de communication. Le niveau de base montre une fréquence
stable de 0,02 demande par minute, soit une demande spontanée toutes
les 25 minutes en moyenne. L’objectif du plan d’intervention, basé sur une
session d’une heure par semaine pendant 12 semaines, est d’augmenter la
fréquence à trois demandes par minute, soit 150 demandes spontanées,
sans incitation, par période de 50 minutes. La mère est présente pendant
chaque session et est formée pour appliquer les procédures à domicile et en
garderie. Après seulement 10 semaines, l’objectif est atteint. La figure 10.1
Prise en charge du trouble du spectre autistique par le modèle... 179
Perspectives futures
L’intervention pour les très jeunes enfants atteints de TSA reste un sujet
complexe pour les cliniciens et pour les chercheurs, à cause de l’hétérogé-
néité des TSA. Très peu d’essais cliniques randomisés et contrôlés ciblant
l’intervention pour les enfants de moins de 2 ans ont été publiés à ce jour.
La recherche médicale exige cependant ce type d’essais pour accorder un
support expérimental à un modèle d’intervention. Le modèle d’intervention
précoce de Denver est aujourd’hui le seul modèle d’intervention très pré-
coce supporté par des résultats prometteurs qui sont issus de la recherche
randomisée et contrôlée. Des études indépendantes viennent appuyer l’essai
clinique [19] et pourraient fournir les éléments requis à l’obtention de son
support expérimental. Le modèle d’intervention précoce de Denver fournit
un outil d’évaluation développemental et un guide d’intervention permet-
tant de mettre en œuvre une intervention individualisée et adaptée au profil
de chaque tout-petit ayant un TSA. Le livre sur ce modèle [3] est ainsi une res-
source indispensable pour le professionnel qui veut profiter de l’expérience
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everyday activities to help kids connect, communicate, and learn. Guilford
Press; 2012. 342 p.
11 Enseignement structuré
selon TEACCH et thérapies
comportementales
et cognitives
C. Coudert
Résumé
Dans ce chapitre, Cécile Coudert nous fait part de son expérience
clinique avec la méthode TEACCH (treatment and education of
autistic and related communication-handicapped children) et
elle montre comment cette méthode et les thérapies cognitives
et comportementales peuvent aider la personne présentant un
trouble du spectre autistique (TSA) et sa famille tout au long de la
vie. La méthode TEACCH vise à renforcer les compétences paren-
tales, le professionnel leur apprenant à se servir d’outils pratiques
et les soutenant. Elle valorise la connaissance qu’ont les parents de
l’enfant et les aide à prendre conscience de leurs forces, à sortir de
l’isolement en rejoignant des associations de parents et à réduire
leurs inquiétudes au sujet de l’éducation de l’enfant qui présente un
TSA. Le fondateur de cette méthode, Eric Schopler, a pour objectif
de réduire l’anxiété de la personne autiste, réduire la distraction
environnementale, donner du sens à l’environnement pour per-
mettre à la personne d’y interagir et vivre de manière autonome
dans un milieu le moins restrictif possible. Les patients deviennent
ainsi de cothérapeutes actifs au lieu de s’auto-accuser, du fait d’un
sentiment d’impuissance et de désespoir. La méthode TEACCH est
centrée sur le renforcement des compétences pour les parents et
les enfants mais aussi sur l’acceptation et la reconnaissance des
déficits, du diagnostic, de la différence. À travers des cas cliniques
Fonctionnement de la personne
avec un trouble du spectre autistique
Définitions et outils
Troubles du spectre autistique
Depuis la parution du DSM-V en mai 2013 [1], on parle de trouble du spec-
tre autistique (TSA) en remplacement du trouble envahissant du développe-
ment (TED). Cette nouvelle terminologie créée par Lorna Wing [2] et Doris
Allen [3] permet de comprendre que l’autisme revêt un spectre très large.
Entre les deux représentations très stéréotypées que l’on se fait communé-
ment de la personne TSA, celle qui ne parle pas et se tape la tête versus celle
qui est dotée d’une intelligence exceptionnelle et d’un don particulier, il
existe une multitude d’expressions de l’autisme. Dans son manuel psycho-
éducatif pour autistes, Peter Vermeulen [4] explique cette notion de spectre
par une comparaison concrète avec « le spectre de la lumière tel qu’on peut
l’observer dans un arc-en-ciel ».
Ainsi « l’autisme prend une teinte différente chez chaque personne. L’autisme
peut être rouge chez une personne, bleu chez une autre (…) une personne autiste
typique n’existe donc pas. Chaque personne avec autisme est unique (…) mais
éprouve des difficultés dans les mêmes trois domaines (communication, inter-
actions et intérêts restreints) » [4]. Cette notion de spectre est plus claire
puisqu’elle exprime les différences interindividuelles que l’on peut observer
en travaillant auprès de personnes autistes. Ces différences étaient difficiles
à classer dans les catégories précédentes : autisme typique, autisme de
haut niveau, autisme Asperger, autisme atypique. Dans l’appellation TSA,
la diversité est exprimée de façon dimensionnelle alors qu’elle n’était que
catégorielle dans l’appellation TED. Toutefois le terme « envahissant » des
TED reste justifié dans la mesure où l’autisme a des répercussions sur la
personne dans sa globalité :
• sur son fonctionnement comportemental, cognitif et émotionnel ;
• sur l’entourage, en particulier sur la qualité de vie des proches et sur leur
parcours de vie.
Enseignement structuré selon TEACCH et thérapies comportementales... 185
précise les modifications qu’il est utile d’ajouter aux thérapies cognitives
et comportementales dans le cas des personnes autistes. Sur la forme, ces
modifications consistent en adaptations visuelles sur les buts à atteindre.
Elles consistent à faire travailler plus particulièrement l’acquisition de
compétences précises relatives à la manipulation d’émotions, à l’expres-
sion des sentiments et à la perception sociale, domaines dans lesquels les
personnes autistes rencontrent des difficultés.
Les thérapies cognitives et comportementales et l’approche TEACCH
proposent un éventail d’outils et différentes stratégies éducatives qui vont
s’adapter aux besoins de chacune des personnes et ceci à tous les âges de la
vie. Ces deux approches recommandent et intègrent une étroite collabora-
tion entre professionnels et famille.
Autisme et famille
la personne autiste va avoir une image soit très négative, soit dans l’exagé-
ration inverse, c’est-à-dire une image trop positive et exagérée. Voilà encore
un domaine où les parents peuvent avoir besoin d’apprendre des stratégies
efficaces !
Collaboration avec la famille et la personne autiste
Quand on parle de collaboration, on évoque souvent les parents, mais il y
a d’autres acteurs importants : les personnes autistes elles-mêmes et leurs
frères et sœurs. En effet, la personne autiste a le droit de savoir ce qu’elle
a et doit pouvoir bénéficier d’outils pour développer sa compréhension
d’elle-même : « l’explication augmente toujours l’implication » [31]. La per-
sonne autiste, selon ses compétences, demande à comprendre ce qui fait
qu’elle se ressent différente des autres, qu’elle est en difficulté dans des
domaines semblant aisés pour autrui (par exemple celui des interactions
sociales). Elle souhaite aussi comprendre les raisons pour lesquelles elle
bénéficie d’aides extérieures et consulte une multitude de thérapeutes
d’où l’importance du diagnostic posé et explicité. La personne autiste se
doit aussi d’être impliquée dans les choix qui la concernent. Il est pri-
mordial qu’elle puisse, autant que faire se peut, comprendre l’autisme et
être en mesure de le décrire par elle-même, qu’elle puisse se représenter ce
qu’implique l’autisme dans son propre fonctionnement pour faire face à sa
propre détresse [32].
La fratrie peut être également actrice et souvent elle l’est de fait, parce
que la vie fait que les frères et sœurs répondent à des manques d’accompa-
gnement ou juste parce que c’est un frère ou une sœur. Eux aussi ont besoin,
sauf souhait contraire explicite, de ne pas être laissés dans l’ignorance et
l’incompréhension. Pour jouer avec leur frère ou leur sœur, ils deviennent
aussi des acteurs à qui il est important de donner de l’information.
Gunilla Gerland [11] écrit « Christine, mon aînée de 3 ans, avait toutefois
avec moi un langage commun qui n’était pas seulement composé de mots. Parais-
sant soupçonner les contours de ce que j’étais en réalité, elle pouvait servir de
liaison dans la communauté avec mes parents (…). Je trouvais plus raisonnable
d’écouter ma sœur » ou encore « Christine faisait partie des bons côtés de ma
vie : je pouvais jouer avec elle, bien que par ailleurs, j’avais du mal à le faire avec
des enfants » et « Christine était celle qui réussissait le mieux à établir avec moi
un contact, que je souhaitais d’ailleurs ».
Cette collaboration avec la famille au sens large, qui passe comme
nous l’avons vu par le partage d’informations, de connaissances et par
un échange de conseils, permet une cohérence dans l’accompagnement,
une diminution du stress et de rompre avec l’isolement. La famille
est une source riche d’informations pour les professionnels. Le thérapeute
construit des stratégies à partir des informations que lui transmettent les
parents ou les frères et sœurs. Il est pour cela essentiel que les familles
194 Voies nouvelles et perspectives futures
Évaluation et intervention
Évaluation
Importance de l’évaluation
Dans le domaine de l’évaluation, il est primordial de savoir d’où l’on part
et où l’on va, comme lors d’un déplacement en voiture, c’est-à-dire en pre-
nant le moins de risques pour les personnes avec autisme tout en cherchant
l’itinéraire le plus adapté pour atteindre les objectifs. Il s’agit de se créer
un recueil d’informations précises identifiant les particularités, les forces,
les compétences, les intérêts spécifiques de la personne autiste : qu’est-ce
qu’elle aime ? Comment s’exprime-t-elle ? Que sait-elle faire ?
Sans la collaboration étroite entre le thérapeute et la famille, ces
informations sont forcément incomplètes. En effet, il est utile de savoir
comment la personne autiste demande, ce qui est moteur pour elle. Cette
compétence, les parents l’ont et les professionnels en ont besoin en plus
des évaluations informelles qu’ils peuvent faire dans le cadre de leurs
interventions. En complément, des évaluations plus formalisées doivent
être proposées pour identifier le niveau de développement de la personne
autiste et son fonctionnement cognitif et intellectuel. Il est important de
connaître ses stratégies cognitives. Des échelles composites peuvent être
proposées :
• celles de Wechsler (WPPSI-IV, 2014 ; WISC-IV, 2006 ; WAIS-IV, 2011 ;
WNV, 2009, ECPA) [34-36] ;
Enseignement structuré selon TEACCH et thérapies comportementales... 195
Évaluation continue
Les évaluations suivantes ont pour finalité l’individualisation de l’inter-
vention et l’élaboration des objectifs :
• tests des fausses croyances de Baron-Cohen et Frith ;
• épreuves de théorie de l’esprit évaluant la compréhension des causes et
conséquences des émotions et celle sur la compréhension des croyances
Nader-Grobois [45] ;
• évaluation des compétences d’interactions sociales ;
• questionnaires sur les habiletés sociales et grille d’identification des
besoins (Bernier et Lamy, socioguide [46]) ;
• échantillon de communication de Watson [47] ;
• évaluation fonctionnelle par observation ou formulaire d’entretien d’éva-
luation fonctionnelle (EEF). L’EEF avec l’élève aiguille le professionnel sur le
niveau opérationnel actuel.
L’évaluation est un processus continu prenant aussi appui sur beaucoup
d’évaluations informelles par des grilles d’observation afin de permettre un
réajustement de l’action auprès de la personne autiste. Des périodes de tran-
sition, comme le passage à l’adolescence, peuvent conduire à des problèmes
d’anxiété, de dépression, de troubles obsessionnels compulsifs (TOC)
et d’hostilité envers les autres [48]. Pour évaluer la nature et le degré du
trouble de l’humeur, certaines échelles peuvent être proposées mais aussi
l’interview clinique. Pour une revue complète des outils spécifiques à l’éva-
luation chez l’enfant et l’adolescent, il est recommandé de voir les deux
volumes sous la direction de Bouvard [49]. Les déficits sociaux ne sont pas
homogènes d’une personne autiste à une autre, ils sont étroitement liés aux
capacités cognitives et intellectuelles et ces différents outils d’évaluation
Enseignement structuré selon TEACCH et thérapies comportementales... 197
Intervention
Objectifs de l’intervention
Les objectifs sont individualisés selon les besoins de l’enfant en lien avec
les priorités de la famille et respectant des principes généraux. Il s’agit en
fait de :
• développer les compétences parentales et celles de l’enfant par du mode-
ling éducatif, de la psycho-éducation ;
• développer la confiance en soi et l’affirmation de soi, passer d’une image
de soi négative à une image positive ;
• développer l’entraînement et la pratique des compétences fonctionnelles,
quand les compétences langagières le permettent, en communication, en
interaction sociale (pour prévenir des situations sociales qui peuvent pro-
voquer de l’anxiété) et dans l’expression des émotions, des sentiments ;
• améliorer la symptomatologie anxieuse.
Voici quelques exemples de thèmes d’apprentissage précis :
• savoir écouter l’autre ;
• demander de l’aide ;
• démarrer la conversation ;
• entretenir la conversation ;
• identifier des émotions simples sur photos, dans un film, sur mon
camarade ;
• reconnaître sa propre émotion ;
• qu’est-ce que ça fait dans mon corps quand je suis inquiet ? Reconnaître
et normaliser les sensations corporelles ;
• exprimer mon émotion ;
• qu’est-ce que c’est l’autisme, la différence, le handicap ?
• savoir perdre ;
• respecter l’opinion, le choix des autres ;
• les trois styles de communication : affirmé, agressif, inhibé ;
• savoir gérer la colère ;
• apprendre à se recentrer sur les réussites et non les échecs ;
• apprendre à persévérer ;
• savoir résoudre des problèmes ;
• s’affirmer ;
• faire un compromis ;
• identifier les pensées et travailler le lien pensées–émotions–comporte-
ment.
198 Voies nouvelles et perspectives futures
Méthodes d’intervention
Les séances peuvent être individuelles et/ou en groupe. Il est important
de rappeler que les apprentissages ne peuvent pas se faire en groupe pour
tous les enfants, l’évaluation permettra de vérifier si c’est possible. À la base
du travail thérapeutique avec un enfant autiste se trouve l’enseignement
structuré, outil apporté par TEACCH et déjà introduit auparavant et qui
s’appuie sur les deux piliers suivants :
• l’enseignement des compétences pour encourager les comportements
actifs, l’autonomie et l’adaptation de la personne autiste ;
• l’organisation active de l’environnement, les aménagements et adapta-
tions qu’il est nécessaire de mettre en place pour compenser les faiblesses
de l’autisme et créer un environnement propice pour l’enseignement ; il
s’agit de diminuer l’anxiété, d’augmenter la compréhension de l’environ-
nement, de compenser les problèmes sensoriels et exécutifs. Ce volet est
utilisé au cours des séances thérapeutiques avec l’enfant, l’adolescent ou
l’adulte autiste selon le besoin identifié.
Il s’agit de s’appuyer sur la force du traitement visuel, sur les intérêts
particuliers, ainsi que sur l’attachement aux rituels et routines, et de met-
tre de la structure là où elle est nécessaire pour chaque enfant autiste. Les
séances, soit individuelles soit en groupe, sont structurées dans le temps :
cela consiste à organiser et communiquer les séquences dès le début, à
décrire visuellement chaque activité à l’enfant afin de clarifier pour lui ce
qu’il est supposé faire, combien de fois il doit le faire, quand cela s’arrête et
ce qui viendra par la suite. Si l’activité est de décrire des émotions, l’enfant
est informé de la durée de l’exercice par le nombre de photos disposées
à sa gauche. Si l’activité est de mimer des situations le nombre de scènes
que l’enfant va devoir jouer est écrit : deux cartes signifient deux pas-
sages. Il verra le temps passer en cochant ce qui terminé ou en rangeant les
cartes dans une boîte évidée regroupant ce qui est déjà effectué et qu’on ne
refera pas.
L’usage de la structuration nécessite un apprentissage, une individualisa-
tion et n’est en aucun cas magique. Il est évident que la mise en place de cet
outil nécessite une formation approfondie du professionnel. Cet outil per-
met d’introduire des techniques de thérapie cognitive et comportementale
qui sont parfois trop conceptuelles pour être directement accessibles dans
l’autisme. Comme les personnes avec autisme sont des penseurs visuels, on
se sert de cette force pour travailler avec elles.
Pour travailler sur le concept, il est nécessaire de le clarifier en utilisant
des aménagements visuels qui focalisent sur la notion importante, qui
découpent et explicitent les notions sous-jacentes. Il est souvent indispen-
sable de mettre une planification très claire et visible par tous. L’utilisation
d’aides visuelles avec des enfants autistes constitue une stratégie d’enseigne-
ment efficace. Les notions travaillées sont décomposées en sous-chapitres.
Enseignement structuré selon TEACCH et thérapies comportementales... 199
En effet, la pratique montre que des outils trop généraux ne sont pas acces-
sibles sans apprentissages très concrets et précis. Par exemple, la résolution
de conflit nécessite l’apprentissage de compétences plus ciblées comme
savoir faire des compromis, accepter de perdre à un jeu, accepter que l’autre
nous refuse quelque chose. De même, la restructuration cognitive néces-
site un travail en amont très découpé sur les émotions, sur les pensées des
autres.
L’approche est directive : on peut établir ensemble un contrat très expli-
cite avec des règles qui déterminent et clarifient les rôles et les attentes de
chacun. Ceci permet un climat de confiance qui apporte cohérence et pré-
visibilité, aspect important pour respecter les personnes autistes. On utilise
aussi le questionnement socratique très directif, avec des questions fermées,
dirigées pour arriver à une solution donnée extraite par les jeunes partici-
pants. Cette démarche est très guidée dans la période d’apprentissage. Elle
est accompagnée d’un support visuel qui sera par la suite un référentiel et
un rappel pour exercer cette démarche de façon autonome.
filment entre eux avec, pour chacun, un rôle précis : acteur, cameraman
et metteur en scène. Ils apprécient particulièrement la tablette numérique,
matériel très ludique qui permet un visionnage direct de la scène et des réac-
tions immédiates. Cela permet également de revoir plusieurs fois les vidéos
en adoptant des points de vue différents. Et de permettre des variantes dans
les jeux de rôle suivants. Ces derniers sont prolongés par des taches assi-
gnées dans la vie quotidienne.
Résolution de problèmes
Les étapes de la résolution de problèmes permettent de travailler et d’entraî-
ner la flexibilité. Il s’agit déjà d’identifier la situation problème puis d’ima-
giner plusieurs solutions à cette situation. Cet exercice est très difficile au
début mais toutes les solutions sont acceptées, y compris des solutions far-
felues. Cela permet l’afflux d’idées et la quantité amène la qualité : des idées
nouvelles et adaptées arrivent alors. La résolution de problèmes est béné-
fique en groupe puisqu’elle offre aussi la possibilité de voir la multitude de
solutions et de voir si le problème est partagé par les autres. Cet outil est
également très intéressant à développer et à partager avec les parents.
202 Voies nouvelles et perspectives futures
Routines
Rappelons tout d’abord qu’elles sont appréciées par les personnes autistes
et font partie de leur « culture ». Il est important d’en proposer de façon
constructive lors des enseignements. Apprendre à la personne autiste à
consulter ses rappels visuels, ses listings de solutions possibles, remplir ses
mesures d’émotions, ses cahiers de réussites ou de la colère est autant de
routines constructives et utiles pour son autonomie. Ces supports doivent
être toujours accessibles, y compris en cas d’anxiété où l’information ver-
bale et le raisonnement peuvent être perturbés. L’accessibilité est d’autant
plus aisée avec les moyens technologiques modernes comme les tablettes
numériques ou les téléphones portables.
204 Voies nouvelles et perspectives futures
Respiration et relaxation
Pour apprendre à se détendre, on peut lier deux axes qui sont d’une part
l’enseignement de techniques et d’autre part la mise en place de temps
agréables et intéressants au cours de la journée afin de garder un équilibre
émotionnel et perceptif. Par cette adaptation réciproque, la personne autiste
apprend à se détendre selon des techniques et l’entourage doit accepter
de son côté la planification de temps particuliers durant lesquels elle peut
parler des remontées mécaniques, penser aux nombres premiers ou réciter
les derniers résultats de l’équipe favorite de rugby… Ces temps particuliers
représentent pour la personne autiste des moments de détente tels que
nous arrivons tous à nous octroyer dans la journée. Ces moments peuvent
être également plus sensoriels comme écraser ou jeter. Certains enfants et
adolescents ont besoin, pour se détendre dans la journée, d’accéder à ces
activités particulières. Prévoir une activité recyclage peut alors permettre
une régulation émotionnelle.
Collectionner des objets, c’est un moyen simple de se rassurer. Ainsi,
Stéphanie Bonnot-Briey organise et range régulièrement sa collection
de schtroumpfs pour se détendre, comme le montre le DVD Le syndrome
d’Asperger ? J’assume... de Philip et Lhuissier [58].
Le travail sur la respiration peut être bénéfique, mais amener certains
enfants à comprendre ce qu’on attend d’eux est parfois difficile. Concrétiser
le geste en soufflant sur une balle de ping-pong est un moyen intéressant,
surtout s’ils apprécient de voir des objets tomber. Dans ce cas, ils soufflent
sur un nombre défini de balles posées sur une table et qui tomberont dans
Enseignement structuré selon TEACCH et thérapies comportementales... 205
Tableau 11.1. Repérage des émotions et des pensées en lien avec la situation
donnée. Mise en avant des stratégies du patient.
Ce qui s’est Mon émotion Ce que j’ai pensé Comment j’ai
passé quand c’est arrivé quand c’est arrivé essayé de gérer
cette émotion
Exemples : Exemples :
– des pensées à propos « j’en ai parlé aux
des autres : « il a fait exprès surveillants » ;
de me bousculer » ; « j’ai pensé à quelque
« ils ne comprennent rien » ; chose que j’aime
« il me cherche… » bien » ; « j’ai essayé
– des pensées à propos de parler à celui
de moi : « je dois écrire quelque qui m’embêtait… »
chose qui va avoir une bonne
note, j’ai peur d’échouer… »
206 Voies nouvelles et perspectives futures
Figure 11.2. Dessin explicatif de la situation problème réalisé en séance par A., autiste
en classe pour l’inclusion scolaire (CLIS) cycle 3.
Enseignement structuré selon TEACCH et thérapies comportementales... 207
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Enseignement structuré selon TEACCH et thérapies comportementales... 209
P. Trehin
Résumé
Paul Trehin, ancien professeur associé en gestion des ressources
humaines et marketing à l’université de Nice, est le père de Gilles
Trehin, dessinateur professionnel présentant un trouble du spectre
autistique (TSA). Dans ce chapitre, il nous livre ses réflexions sur les
rapports entre la créativité et le TSA dans des domaines spécifiques
qui ont été identifiés dans des films comme Rainman, mais surtout
au travers de travaux scientifiques, de témoignages de personnes
autistes comme Temple Grandin ou Daniel Tammet et de l’étude
attentive de la biographie de certains musiciens comme Glenn Gould
et Erik Satie. Paul Trehin livre ici le point de vue d’un parent ayant vécu
une très longue expérience dans le milieu associatif de l’autisme : il a
été, en particulier, vice-président d’Autisme Europe de 1998 à 2008.
On sait que ces associations de parents ont grandement contribué à
la reconnaissance du TSA, au soutien de projets de recherche et à la
mise en place de soins conformes à l’état des connaissances scienti-
fiques, ce qui est loin d’être le cas dans notre pays. Dans ce chapitre,
il se livre à un exercice de psychologie positive en montrant que
l’apport artistique ou scientifique du sujet avec TSA peut compenser
son déficit en communication sociale « neurotypique ». À travers de
nombreux exemples très vivants se profile l’idée relativiste que le
sujet avec TSA présente un style cognitif alternatif qui peut aider à
l’évolution de l’humanité ; une idée qui se fait jour aussi actuelle-
ment dans le cadre des troubles bipolaires et de la schizophrénie.
Ne pas rechercher des compétences et quand on en trouve, ne pas
les développer peuvent conduire à une déperdition de talents. Les
rechercher et les utiliser peuvent donner une valeur sociale au sujet
avec TSA, augmenter son estime de soi et apporter une contribution
non négligeable à la communauté.
Autisme et incapacités
À propos d’autisme, il n’est pas surprenant que la plupart des publications,
interventions lors de conférences et discussions sur les forums mettent
l’accent sur les aspects incapacitants et handicapants de l’autisme ou encore
sur les bases médicales, psychologiques et les conséquences de l’autisme
entraînant une qualité de vie médiocre.
En effet, vivre avec l’autisme est souvent un défi, pour la personne elle-
même, sa famille et son entourage. Cela est tout à fait perçu de manière évi-
dente dans les cas d’autisme sévère, mais également dans les cas d’autisme de
haut niveau ou de syndrome d’Asperger. Les personnes issues de ce second
groupe se plaignent notamment du fait que les personnes de leur entourage
s’attendent à ce qu’ils fonctionnent à haut niveau dans tous les domaines
de leurs activités, alors qu’ils ont des difficultés dans un grand nombre d’entre
eux. Ces difficultés ressenties par les personnes elles-mêmes, leur famille et
leurs amis sont la raison pour laquelle la grande majorité des articles sur la
recherche, les services et le soutien s’orientent vers ces aspects déficitaires.
Toutefois, quelques caractéristiques de l’autisme, envisagées d’une
manière différente, pourraient être utilisées au bénéfice des individus, de
214 Voies nouvelles et perspectives futures
Compétences spéciales
Les compétences spéciales ont trop souvent été négligées dans l’édification
de stratégies éducatives. Il arrive même parfois que ces compétences « extra-
ordinaires » soient considérées comme non propice au développement de
l’enfant, en particulier de sa socialisation. Certains intervenants pensent
qu’il ne faut pas laisser l’enfant s’enfermer dans son monde.
Dans beaucoup de cas, l’aspect « extraordinaire » des compétences a été
mis en avant, plutôt que leur potentiel à améliorer les processus d’appren-
tissage, ainsi que leurs capacités à l’intégration dans le tissu social. Cela a été
en partie amplifié à travers le film Rainman.
La plupart des personnes atteintes d’autisme de haut niveau ou du syndrome
d’Asperger n’apprécient pas ce type d’attention envers l’exceptionnalité…
Autisme et créativité : envisager l’autisme de manière différente 215
Jim Sinclair, personne autiste fort connue pour ses positions dans la défense
des droits des personnes autistes, a souvent évoqué les conférences sur
l’autisme où « on s’attend à ce que nous ne nous exprimions que lorsque les
personnes neurotypiques nous adressent la parole et à seule fin de fournir des
informations au bénéfice des autres, un peu comme des créatures d’un parc zoo-
logique parlant d’elles-mêmes » [3].
Toutefois, certains auteurs ont traité le sujet des « éclats de compé-
tences » [4] et des talents exceptionnels de manière scientifique, plutôt que
sensationnelle. Afin d’être précis dans les concepts, il est habituel de faire la
distinction entre « éclats de compétences » et « talents exceptionnels » bien
qu’il y ait en réalité un continuum entre ces deux catégories. Au-delà des
« éclats de compétences » et « talents exceptionnels », certaines caractéris-
tiques de l’autisme, habituellement perçues comme négatives, peuvent être
utilisées de façon positive pour aider au développement d’une meilleure
qualité de vie pour les personnes autistes.
Éclats de compétences
Les « éclats de compétences » sont des capacités qui émergent au-dessus des
autres compétences plus ou moins déficientes qu’on observe fréquemment
chez une personne autiste. Ces compétences plus avancées que les autres ne
sont pas pour autant réellement remarquables par rapport aux compétences
usuellement observées dans la moyenne de la population.
En effet, l’autisme appartient à la catégorie des troubles envahissants du
développement (TED). Une des particularités des TED est un profil dévelop-
pemental irrégulier. On peut constater que les compétences se développent
de façon hétérogène chez un même individu, avec des pics de compétences
et des zones de compétences très faibles.
En général, les compétences visuelles ont tendance à être meilleures que
les compétences verbales, mais ce n’est pas toujours le cas. Plusieurs outils
d’évaluation ont été créés pour mesurer cette disparité dans les compétences
chez un même individu, comme le profil psycho-éducatif (PEP) [5]. Reuven
Fueurstein avait lui aussi développé un « outil » d’évaluation multifonction-
nelle, le learning potential assessment device (LPAD).
Notons que ces évaluations visent plus à chercher des potentiels d’appren-
tissage qu’à enfermer les enfants dans leurs déficiences. Dans le cadre du
PEP, il s’agit d’identifier les compétences en émergence qui correspondent
à ce que Lev Vygotski a appelé les zones proximales de développement,
décrites dans ses études sur le développement précoce de l’enfant. Pour
faire simple, il s’agit de déterminer de manière la plus objective possible
ce que l’enfant connaît déjà et ce qu’il est prêt à apprendre, cela en tenant
compte des difficultés de compréhension et d’expression de l’enfant lors
de l’évaluation, par exemple en proposant des exercices visuels pour les-
quels les déficits de communication verbale ne viennent pas ou peu biaiser
216 Voies nouvelles et perspectives futures
Talents exceptionnels
Les talents exceptionnels sont observés essentiellement, mais pas exclusi-
vement, chez les personnes atteintes d’autisme [7]. Il s’agit de compétences
qui seraient considérées comme remarquables, même dans la population en
général. Bien qu’il n’y ait pas d’études épidémiologiques scientifiques, on
peut estimer qu’environ 10 % de la population des personnes autistes pos-
sèdent de tels talents [8]. Les estimations de certains spécialistes sont plus
basses (1 % selon Williams [9]) ou beaucoup plus élevées : Patricia Holin
a donné une estimation de 30 %. On doit cependant se demander si de
tels écarts ne seraient pas liés à une définition trop imprécise de ce qu’on
appelle talents exceptionnels : s’agit-il de talents exceptionnels, relative-
ment au reste des compétences de la personne ou de talents exceptionnels
par rapport à l’ensemble de la population ?
Il est important de noter que ces talents ne sont pas en lien avec les
autres capacités cognitives générales de ces individus. En particulier, elles
ne sont pas, ou peu, liées au quotient intellectuel. Des personnes autistes,
lourdement handicapées par ailleurs, peuvent avoir des compétences
Autisme et créativité : envisager l’autisme de manière différente 217
Dessin et sculpture
Ce sont les talents les plus visibles et usuellement les plus identifiables. Ils
s’expriment souvent chez de très jeunes enfants atteints d’autisme :
• le cas de Nadia est assez connu [10] : à 3 ans et demi, Nadia dessinait, en
trois dimensions, de magnifiques vues de chevaux de carrousel ou d’autres
animaux ;
• Alonzo Clemons est un sculpteur américain ayant « un syndrome
savant ». Malgré un traumatisme crânien sévère ayant causé une déficience
mentale grave (QI entre 40 et 50), il est capable de créer des sculptures
d’animaux en glaise qu’il n’a parfois aperçus que quelques secondes. Il est
devenu un artiste connu, certaines de ses œuvres ont été vendues pour plus
de 40 000 dollars. Il a reçu des commandes de plusieurs villes pour des
statues d’animaux en grandeur nature. Pour des sculptures de tailles plus
modestes, il les crée souvent en moins d’une heure.
Alonzo est devenu célèbre mais d’autres personnes atteintes d’autisme
sont restées dans un quasi anonymat. Ainsi, un jeune homme autistes que
j’ai pu observer localement (région de Nice) est un sculpteur hors pair ;
tout comme Alonzo Clemons, il arrive facilement à créer des sculptures en
trois dimensions à partir d’image en deux dimensions, c’est-à-dire l’inverse
de ce que peuvent faire certains savants autistes qui reproduisent en deux
dimensions des sujets qu’ils ont vus en trois dimensions.
Dans les deux cas, il s’agit d’une transformation cognitive très complexe
leur permettant de passer facilement de deux à trois dimensions.
Autisme et créativité : envisager l’autisme de manière différente 219
Notre fils, Gilles, dessinait déjà assez bien à l’âge de 8 ans et même avant.
Lors d’une visite chez ses grands-parents, il faisait en apparence un gribouil-
lage ne correspondant pas à ses capacités en dessin. Au bout d’un certain
temps son grand-père lui a demandé : « Qu’est-ce que tu fais ? » Notre fils lui
a répondu : « Je dessine une montagne. » Son grand-père lui rétorquant qu’il
savait « mieux dessiner que ça », Gilles a froissé le papier faisant apparaître un
relief ressemblant à une montagne. Sur son dessin à plat, il avait figuré des
arbres, notamment des sapins. En repliant la feuille de papier, on pouvait
voir tous ces arbres dans une position verticale. Cela pose tout de même des
questions au sujet du déficit de la cohérence centrale : notre fils avait bien
une vision d’ensemble de son sujet, mais avait dessiné les détails avant de
proposer une représentation de l’ensemble.
Cette capacité de partir de détails, tout en ayant une vision globale
interne de l’ensemble de la création recherchée, peut se manifester dans
des formes d’art abstraites comme c’était le cas de Philippe, jeune adulte
autiste sévèrement atteint, de la région du sud-ouest de la France. Il pei-
gnait une à une des dizaines de pages au format A4 en apparence sans but
spécifique. Il les assemblait ensuite, en une composition très esthétique
où tout avait été prévu : lignes, couleurs et assemblage (figure 12.4 : voir
cahier couleur).
Quelques auteurs ont suggéré des hypothèses concernant l’origine des
capacités en matière de dessin ; Darold Treffert, Beate Hermelin et Neil
O’Connors ont été les premiers chercheurs à proposer une approche scien-
tifique de la question [4, 11]. Julia Kelman s’est penchée spécifiquement
sur les compétences en dessin, émettant l’hypothèse que le dessin était une
façon alternative d’exprimer ses expériences [12]. Cela est cohérent avec la
description que fait Temple Grandin de sa façon de penser en images [13].
Mais certains dessinateurs « savants » ont conservé leurs capacités artis-
tiques après avoir développé un langage verbal.
La perception en détail, une des caractéristiques bien analysée dans
l’autisme, associée à une mémoire exceptionnelle est l’explication la plus
logique des compétences en dessin dans l’autisme. Alan Snyder, du Center
for the Mind à Sydney, a émis l’hypothèse que la perception des enfants
autistes n’est pas filtrée par la cognition [14]. En d’autres mots, elle n’est
pas influencée par la connaissance conceptuelle que les autres enfants
ont de la scène qu’ils représentent. Lorsqu’on lui demande de dessiner
une maison, l’enfant autiste dessine une maison spécifique qu’il a en
mémoire, alors que l’enfant neurotypique dessine une maison générique,
tel qu’il la conceptualise dans son esprit en fonction d’apprentissages de
base. Les parents ou les éducateurs utilisent souvent des représentations
schématiques des objets usuels : la maison est un rectangle surmonté d’un
triangle, schéma de base auquel sont adjoints de petits rectangles tenant
lieu de fenêtres et de portes. L’aspect symbolique du schéma dessiné par
220 Voies nouvelles et perspectives futures
les parents ou les éducateurs n’est le plus souvent dû qu’à leur manque
de compétence à dessiner en perspective. Et dire qu’un nombre important
d’évaluations psychologiques se fondent sur les capacités d’un enfant à
dessiner une maison ! Un enfant autiste ayant des talents en dessin, ne
dessinera pas « UNE » maison, mais la maison où il habite réellement,
peut-être même en perspective, ce qui n’entre pas dans les canons de
l’évaluation des psychiatres et psychologues !
Pour revenir à l’analyse des talents réellement exceptionnels en dessin,
utilisant l’exemple de Nadia cité plus haut, Nicholas Humphrey a écrit un
article dans lequel il émet l’hypothèse que de tels talents innés en dessin
pourraient être à l’origine de l’art paléolithique [15]. J’ai également déve-
loppé cette hypothèse tout à fait indépendamment, quoique mon hypo-
thèse se situe dans une perspective différente de celle du Pr Humphrey, me
penchant sur l’ensemble des aspects créatifs de ces artistes en comparant la
forme et la structure des dessins créés par les autistes savants à celles des des-
sins créés par les artistes de la Préhistoire dans les grottes ornées ainsi que
sur des supports mobiles : gravures sur os ou sur plaquettes d’ardoise [16].
Musique
Les capacités musicales sont également relativement fréquentes chez les
personnes atteintes d’autisme. Elles sont souvent la conséquence de fac-
teurs innés, telle l’oreille absolue [17], c’est-à-dire la capacité à reconnaître
n’importe quelle note sur une gamme, sans avoir besoin d’une note de réfé-
rence telle que celle fournie par un diapason. Il est possible que l’oreille
absolue soit également une des capacités développementales qui disparais-
sent relativement tôt chez les enfants « neurotypiques ». Les nourrissons
semblent avoir l’oreille absolue dans leurs premiers mois de vie et la perdre
lorsqu’ils grandissent [18].
Ces individus musicalement doués ont aussi en commun une mémoire
exceptionnelle des airs de musique. Certains en connaissent plusieurs mil-
liers. Et ils ne se rappellent pas seulement de la mélodie, mais des harmo-
nies complexes et de la structure musicale. Mon fils, Gilles, a appris à jouer
de la basse électrique, puis est passé à la contrebasse, qu’il a apprise seul. Il
a un sens inné de l’harmonie, accompagnant des œuvres de jazz fort riches
de ce point de vue.
Quelques observations nous amènent à penser qu’ils ont une perception
et construction différentes de la musique, comme une expérience globale
mais avec tous les détails de sa structure. Mary Newport, qui a reçu un diag-
nostic tardif du syndrome d’Asperger, peut écrire la musique à l’envers, en
commençant par la dernière page ou au milieu de la partition. Elle explique
que c’est parce que la musique est déjà écrite dans son cerveau [19].
Au-delà de leur perception innée de la musique, on peut noter la remar-
quable fonction exécutive de la plupart des savants musicaux. Ils semblent
Autisme et créativité : envisager l’autisme de manière différente 221
apprendre les compétences pour jouer à une vitesse qui dépasse l’imagination.
Toutefois, et nous y reviendrons plus tard, leur capacité à travailler de manière
répétitive leur permet de pratiquer des exercices sans se lasser.
La plupart des musicologues seront d’accord pour dire que Glenn Gould était
un génie de la musique. Toutefois comme c’est le plus souvent le cas, le génie
n’est qu’en partie attribuable à des talents innés : ces derniers constituent des
prédispositions. On peut voir dans le documentaire Genius within – The inner
life of Glenn Gould de M. Hozer et P. Raymont que, comme tous les « génies de
la musique », Glenn Gould a reçu une éducation musicale par les plus grands
maîtres et pouvait travailler plus de 8 heures par jour au piano, poursuivant
parfois ses exercices jusqu’à tard dans la nuit. Plusieurs chercheurs ont émis
l’hypothèse que Mozart aurait pu être un savant autiste. Méfions-nous cepen-
dant de ces diagnostics posthumes ; cependant comme dit précédemment la
partie géniale de Mozart ne se serait pas autant développée sans l’éducation
musicale intensive reçue de son père Léopold Mozart qui envoya son « génie
de fils » suivre les enseignements des plus grands maîtres de la musique en
Europe [22].
Tony Deblois est lui aussi un musicien aveugle et autiste. Il joue très bien d’un
nombre impressionnant d’instruments, mais il excelle surtout au piano et en
improvisation musicale. Comme Derek Paravicini, ses talents ne sont parvenus
à éclosion que grâce à un énorme travail soutenu par de très grands maîtres
en musique à la Berklee School of music de Boston. Toutefois, son niveau cog-
nitif en dehors de la musique reste très faible comme celui de Derek.
Aussi bien Derek que Tony éprouvent un très grand plaisir à jouer en public.
Ils sont devenus musiciens professionnels, donnent des concerts et sortent des
disques. Derek et Tony font souvent preuve d’un humour surprenant, le ren-
dant fascinant.
Il y a quelques autres musiciens exceptionnels parmi les personnes autistes,
même si elles n’atteignent pas le niveau suffisant pour jouer en public. Noël
Patterson peut reproduire n’importe quel morceau au piano juste en l’ayant
entendu une seule fois, Noël est apparu dans le programme de la BBC, The
foolish wise ones. Pendant une séquence, il joue une mélodie au piano avec
sa main droite, tout en tapant les accords sur le manche d’une guitare posée
sur ses genoux.
*La comparaison faite avec Glenn Gould pourrait paraître osée, toutefois nombreux
sont les spécialistes de l’autisme à penser que Glenn Gould aurait probablement reçu
aujourd’hui un diagnostic appartenant au spectre autistique. Lorna Wing, une des plus
grandes spécialistes du diagnostic d’autisme, en était convaincue. Des vidéos de Glenn
Gould, Derek Paravicini et Tony Deblois sont disponibles via internet sur YOUTUBE.
Calcul et mathématiques
Parents et professionnels rapportent fréquemment qu’ils observent une
aisance surprenante de leur enfant autiste avec les nombres et une mémoire
incroyable des dates. Mais pour certains individus, cela va bien plus loin et
ils peuvent calculer de tête des opérations arithmétiques complexes, telles
Autisme et créativité : envisager l’autisme de manière différente 223
artistiques disparaissent. Lors d’une conversation avec des amis nous avions
parlé de cette hypothèse : acquisition du langage entraînant une baisse des
capacités en dessin. Notre fils avait entendu notre conversation et il est
revenu quelques minutes après avec un magnifique dessin d’un des ponts
reliant l’île de Manhattan au reste des États-Unis (figure 12.5).
Il arrive parfois que les premiers dessins semblent sans intérêt pour
l’entourage : très répétitifs et représentant des sujets pas particulièrement
esthétiques. Ces personnes autistes peuvent produire des milliers de ces
représentations. On peut émettre l’hypothèse qu’ils affineraient ainsi
leurs capacités à dessiner, travaillant la motricité fine. Toutefois certains
enfants semblent aller directement à une remarquable qualité du dessin.
Dans le cas de notre fils, avant 5 ans, il ne produisait pratiquement que
des gribouillages. Son premier dessin représentant quelque chose a été une
table vue en trois dimensions avec tous les ustensiles qui s’y trouvaient.
Mais le trait reste encore imprécis (figure 12.6).
Il est fréquent que les enfants autistes doués en dessin aiment à utiliser
des cadres très formels : Alain, jeune adulte autiste de la région parisienne,
ne dessine que sur du papier A4 qu’il divise de manière rigide en quatre
rectangles (figure 12.7 : voir cahier couleur).
On trouve souvent un attrait pour le format « bandes dessinées », les
enfants reproduisent alors avec force détails les personnages de ces BD. Un
d’entre eux a même créé une BD avec des personnages vus dans des dessins
animés à la télévision, ce qui implique à la fois une perception rapide et une
mémorisation à long terme.
Autisme et créativité : envisager l’autisme de manière différente 227
Écholalie
L’écholalie est un comportement verbal que l’on rencontre très fréquem-
ment dans l’autisme qui conduit le sujet à reproduire avec une précision
228 Voies nouvelles et perspectives futures
souvent surprenante les paroles prononcées par leur entourage et à les répé-
ter sans cesse.
Comme peuvent en attester de nombreux parents et professionnels,
cela peut vraiment taper sur les nerfs des personnes vivant en présence
d’enfants autistes… C’est toutefois une phase normale du développement
dans l’enfance. Les jeunes enfants commencent avec l’écholalie, mais évo-
luent vite vers un langage construit. L’écholalie peut être perçue comme un
trait positif, comme l’expliquent Barry Prizant et Adriana Schueller [31] :
« Autrefois, les thérapeutes du comportement voyaient principalement [dans]
l’écholalie une caractéristique “déviante” ou socialement indésirable de l’autisme
et tentaient de la faire disparaître au moyen de procédures de punition. À travers
un certain nombre d’études, nous avons été capables de démontrer que l’écholalie
avait d’importantes fonctions communicatives pour les enfants ayant des troubles
dans le continuum autistique et qu’elle reflétait leur stratégie particulière pour
acquérir le langage, qui résultait de leur style d’apprentissage ; de ce fait, [elle] est
maintenant perçue comme un facteur positif dans le pronostic du développement
du langage et de la parole. »
Notez que nous utilisons fréquemment l’écholalie en tant qu’adultes neu-
rotypiques, toutefois, nous intériorisons les mots et ne les disons pas tout
haut. Cette écholalie interne est peut-être liée à l’activation de neurones
miroirs qui nous fait ressentir les actions des autres lorsque nous les voyons
ou les entendons [32]. Elle peut également être utilisée comme levier pour
développer l’empathie.
Comportements répétitifs
Les comportements répétitifs et stéréotypés, comme l’écholalie, ont ten-
dance à être considérés parmi les comportements autistiques les plus
négatifs. Il est vrai que des comportements répétitifs pouvant durer des
journées entières finissent par devenir insupportables, en particulier s’ils
sont bruyants ou repoussants.
Pourtant, les comportements répétitifs peuvent être utilisés de façon posi-
tive de plusieurs façons :
• indirectement : par exemple, en en faisant une récompense motivante pour
avoir accompli une tâche ou avoir correctement répondu à une question ;
• directement : en orientant progressivement le comportement répétitif
vers une utilisation de plus en plus pragmatique.
Il est également possible de progressivement étendre le domaine d’intérêt
lié aux comportements répétitifs et de les orienter vers des comportements
plus acceptables socialement. Par exemple, transformer un « alignement »
d’objets en une collection ayant du sens, comme le feraient beaucoup de
collectionneurs… Cela peut être un excellent moyen de socialiser avec
d’autres personnes ayant un intérêt exclusif…
Autisme et créativité : envisager l’autisme de manière différente 229
Penser en détail
Penser en détail est un des processus de traitement de l’information des plus
communs dans l’autisme. C’est souvent associé aux résultats des recherches
sur la cohérence centrale [40], mais il se trouve que beaucoup d’individus
atteints d’autisme de haut niveau ou du syndrome d’Asperger ont une
très bonne perception globale des choses et des situations, même s’ils ont
commencé leurs analyses par une observation en détail.
La perception visuelle fine résultant de ce mode de pensée peut très
bien induire une capacité à observer les choses de façon plus complète
et détaillée que ne le font les personnes neurotypiques. Les per-
sonnes atteintes d’autisme se débrouillent extrêmement bien avec des
tests visuels qui demandent une vision détaillée, comme par exemple
les cubes de Kohs (block design tasks) [41], ou ont moins tendance à
succomber aux illusions d’optique [42]. Certains utilisent cette capacité
lorsqu’ils dessinent : ils construisent des dessins complets de scènes
complexes en commençant par de minuscules détails, sans dessiner au
préalable les lignes générales.
Cette habileté à penser en détail est également illustrée par les excellents
scores dans le test de la « figure imbriquée », meilleurs chez les personnes
autistes que chez les autres [43, 44]. Dans une figure complexe, une autre
plus simple est imbriquée et on demande aux enfants de la retrouver. Les
enfants autistes sont meilleurs étant donné qu’ils sont habitués à penser en
détail.
De telles compétences pourraient être très utiles dans une variété de
tâches impliquant la reconnaissance de formes. J’ai émis l’hypothèse que
cela aurait été le cas pour certains artistes du Paléolithique qui utilisaient
des formes et des particularités préexistantes des murs des cavernes pour
commencer ou compléter un dessin d’animal [16].
Difficultés d’imitation
Alors que l’imitation sous forme d’écholalie ou d’échopraxie semble plutôt
bien développée dans l’autisme, l’imitation pragmatique est souvent limi-
tée [45]. Cette dernière implique que la combinaison d’attitudes imitées
mène à un comportement ayant du sens.
Là où la plupart des personnes intègrent assez facilement un ensemble de
mouvements, les personnes autistes ont beaucoup de mal à le faire. C’est
un souci pour certains domaines de la vie, en particulier parce que ça rend
l’apprentissage incident plutôt difficile. Pourtant, dans certains cas, de telles
232 Voies nouvelles et perspectives futures
Particularités sensorielles
Les meilleures descriptions des particularités sensorielles ont été fournies
par les personnes autistes elles-mêmes [25, 47]. Dans leurs écrits ou leurs
conférences, eIles parlent souvent de situations très pénibles, pouvant pro-
voquer une douleur intense, voire insupportable. Il est souvent difficile de
reconnaître une surcharge sensorielle, car le signal qui la cause peut être res-
senti comme totalement anodin par une personne neurotypique. Temple
Grandin décrit la douleur horrible qu’elle a ressentie à la vue d’une bicy-
clette jaune citron, qu’elle avait reçue pour Noël.
Temple Grandin [47] exprime de manière très parlante les douleurs
qu’elle ressent quand elle perçoit certains stimuli : « Le grincement d’une
porte sur ses gonds provoquait des douleurs dans mes oreilles, semblables à la
douleur provoquée par la roulette du dentiste qui touche un nerf. »
Les anormalités sensorielles peuvent s’exprimer sous la forme d’hyper- ou
hyposensibilité. Quelques sons très faibles peuvent être ressentis comme
une véritable torture, alors que des stimulations de haut degré peuvent ne
pas être perçues. Gunilla Gerland décrit, de façon assez spectaculaire, son
insensibilité à la douleur. Quelques enfants sont presque totalement insen-
sibles aux températures extrêmes. Certains peuvent se brûler fortement
sans pleurer, certains peuvent rester dans l’eau froide sans ressentir le froid.
Cependant, les dégâts physiologiques sur leur corps sont toujours là ! Les
parents et les professionnels doivent donc rester très attentifs aux condi-
tions physiques de l’environnement qui peuvent déclencher des situations
dramatiques suite à une telle insensibilité.
Toutefois, de telles hypo- ou hypersensibilités peuvent être utilisées au
bénéfice de l’enfant ou l’adulte atteint d’autisme. Il existe des activités
qui exigent des sensibilités extrêmes à certains stimuli. Par exemple, Rita
Autisme et créativité : envisager l’autisme de manière différente 233
8 La vision qu’a l’enfant de ce qui est pertinent et important dans une situation peut
ne pas coïncider avec celle des autres (Frith, 1989)
9 L’enfant peut être fasciné par : les choses « à motifs » qu’elles soient visuelles
(formes), numériques (horaires), alphanumériques (plaques d’immatriculation) ;
les listes (de voitures, de chansons)…
10 L’enfant peut être fasciné par les systèmes, qu’ils soient simples (interrupteurs, robinets),
un peu plus complexes (les fronts météorologiques) ou abstraits ( mathématiques)
11 L’enfant peut avoir une forte propension à collectionner des catégories d’objets
(ex. : capsules de bouteilles, cartes de réseaux ferroviaires) ou des catégories
d’informations (ex. : types de lézards, types de roches, types de tissus)
12 L’enfant a une forte préférence pour les expériences contrôlables plutôt
qu’imprévisibles
* Traduction personnelle de P. Trehin du tableau tiré de Baron-Cohen S. Is Asperger’s syndrome/high-functioning
Autism necessarily a disability ? Invited submission for Special Millennium Issue of Developmental and Psychopa-
thology Draft : 5th January 2000.
Parents et professionnels savent très bien que les périodes de loisirs sont
souvent à l’origine de troubles de comportement [49].
Quelques-uns parmi les individus les plus talentueux ont fait l’expérience
d’évolutions remarquables au niveau de leur intégration sociale comme mem-
bres à part entière de groupes sociaux. Ils sont reconnus comme de grands
contributeurs de la société. Mais même ceux qui ont des talents moins excep-
tionnels peuvent grandement bénéficier de l’exploitation de leurs compé-
tences. Cependant, dans tous les cas, cela requiert beaucoup de soutien autour
de la personne, mais aussi de compétences spécifiques dans le domaine du
talent à développer.
2. Cultivez ces compétences : en ce sens, les enfants atteints d’autisme ne sont
pas différents des autres. Les compétences doivent êtres entretenues, même
si elles semblent naturelles et aisément acquises chez certains des individus
les plus talentueux. Cela exigera peut-être des approches différentes d’ensei-
gnement, appropriées aux styles cognitif des personnes autistes. Toutefois, on
peut compter sur la motivation, la concentration sur certains intérêts, l’absence
d’ennui que provoquent les exercices répétitifs et quelques-uns des aspects
dont nous avons parlé plus haut.
Exemple. Brad Fremmerlid est un homme de 25 ans atteint d’autisme. Il ne peut
pas parler et ne sait pas lire, mais cela ne l’empêche pas de réaliser de grandes
choses : Brad peut construire n’importe quoi à partir d’un schéma de mon-
tage ! Brad est très proche de son père Mark. Il passe beaucoup de temps avec
lui et celui-ci l’encourage à toujours donner le meilleur de lui-même. Après
avoir mangé, le jeune homme se met toujours à fabriquer quelque chose.
Brad ne comprend peut-être pas les mots, mais ça ne l’arrête pas du tout. Il
comprend tous les diagrammes et les images des plans des meubles, peu
importe leur complexité. Brad construit donc toutes sortes de choses et il le fait
de façon impeccable. Brad détient un talent hors du commun et son père l’a
aidé à fonder sa propre entreprise à Edmonton au Canada : Made By Brad. Mark
espère que l’histoire de son fils va inspirer les gens et montrer aux employeurs
que les jeunes autistes peuvent aussi contribuer. Brad sait relever n’importe
quel défi et, malgré sa maladie, est un membre actif de la communauté qui
l’emporte toujours contre les meubles IKEA [50] !
3. Réexaminez les particularités dans l’autisme et sachez les utiliser :
• « Pensez positif ! » Essayez d’envisager quelques-uns des traits de l’autisme
comme un mode de pensée différent, plutôt que comme une incapacité ;
• utilisez-les comme levier pour les apprentissages ;
• utilisez les domaines de compétence les plus hauts pour aider dans l’acquisi-
tion de compétences dans les domaines où l’enfant a le plus de difficultés ;
• utilisez-les pour motiver l’individu ; nous avons vu que la motivation est un
facteur décisif qui peut être issu des compétences spéciales dans l’autisme, que
ce soit une motivation directe (intérêt pour la tâche) ou indirecte (récompense
pour un comportement approprié) ;
• utilisez-les pour développer l’estime de soi ; cela fera prendre à l’enfant une
attitude plus positive envers son propre potentiel.
4. Encouragez le partage social. La plupart des personnes autistes les plus
talentueuses ont tendance à garder leur travail pour elles. Beaucoup n’ont
pas conscience que ce qu’elles ont créé est magnifique et que ça pourrait
être partagé avec d’autres. Il peut s’avérer nécessaire de mettre en place une
stratégie pour éduquer un tel partage du succès. En revanche quand ces per-
sonnes autistes prennent conscience de l’effet positif qu’ont leurs talents sur
leur entourage proche ou élargi, elles sont ravies de partager avec les autres
ce qu’elles ont créé ou ce qu’elles interprètent, dans les cas des arts vivants
comme le théâtre ou la musique. Toutes les vidéos d’artistes interprètes a utistes
Autisme et créativité : envisager l’autisme de manière différente 237
montrent à quel point ils éprouvent du plaisir à se produire en public : plaisir
non dissimulé et non simulé.
5. Un excellent moyen pour limiter les soucis durant les temps de loisir. En fin
de compte, comme nous le savons tous, les temps de loisir peuvent être les plus
difficiles à gérer avec les personnes autistes [49]. Exploiter les intérêts particu-
liers et les talents peut se révéler être un très bon moyen pour réduire considé-
rablement ces problèmes de comportement. De nombreux parents témoignent
de l’augmentation des troubles du comportement lors des périodes d’oisiveté
et la réduction de ces troubles du comportement quand la personne autiste
dispose d’un moyen d’occuper agréablement son temps. Pour ces cas, point
besoin d’appartenir au groupe des autistes savants ayant des talents excep-
tionnels : il s’agit seulement de permettre l’expression de talents et d’intérêts
particuliers. Toutefois quand un talent plus marqué semble apparaître, il serait
dommage de ne pas le cultiver par des apprentissages plus poussés : même
pour un exercice « amateur » de la musique ou des arts plastiques, des
apprentissages spécifiques apportent une liberté d’expression dont la personne
bénéficiera au niveau du plaisir de créer, tout au long de sa vie.
Conclusion
Je crois sincèrement que quelques individus autistes sont de vrais créateurs
ou à l’origine d’idées très novatrices, celles que Margaret Boden, philosophe
des sciences, a appelé « la créativité dure » [46]. Cela peut être difficile à
accepter dès lors que nous sommes bien trop habitués à associer l’art et les
découvertes technologiques aux compétences intellectuelles et sociales, ainsi
qu’à la représentation symbolique. Quelques auteurs ont contesté la créati-
vité des artistes autistes [51], mais les exemples extraordinaires de créativité
magnifique venant d’artistes jeunes et moins jeunes viennent contredire ce
point de vue. On s’aperçoit que des compétences intellectuelles n’entraînent
pas forcément des compétences artistiques : bien des scientifiques ou des
ingénieurs sont incapables de dessiner ou de peindre d’une manière artis-
tique, ils ont parfois même des difficultés à dessiner des schémas de leurs
inventions ; schémas que Temple Grandin réalise à merveille.
Il y a le point de vue opposé, des auteurs récents pensent que presque
tous les grands créateurs faisaient et font partie du spectre autistique [52].
Il s’agit le plus souvent d’un abus du diagnostic posthume d’autisme ou du
syndrome d’Asperger présumés par les auteurs, sur de simples remarques
anecdotiques et dans ce cas avec un préjugé favorable aux personnes TSA.
C’est tout de même très exagéré, bien qu’Asperger lui-même a dit : « Il sem-
blerait que pour réussir en science et en art, une pointe d’autisme soit essentielle. »
Je pense également que dans des cas d’autisme plus sévères, il existe
des potentiels qui pourraient être utilisés pour améliorer la qualité de
vie des personnes autistes, et j’irai même plus loin, nombre de ces personnes
238 Voies nouvelles et perspectives futures
plus handicapées ont aussi des possibilités d’apporter une part d’évolu-
tion à notre humanité. Ne pas rechercher des compétences et quand on
en trouve, ne pas les développer peuvent conduire à une déperdition de
talents comme le dit très bien Daniel Tammet, personne présentant un syn-
drome d’Asperger et auteur de plusieurs livres et articles : « Ceci est l’histoire
de plusieurs esprits gaspillés, bourrés de talents, mais privés d’opportunités de les
exercer. Heureusement je n’ai pas suivi ce processus, avec le soutien et les encoura-
gements continus de ma famille, j’ai trouvé les moyens de nourrir mes talents. Cet
environnement ouvert et favorable m’a permis de jouer au Scrabble avec mes frères
et sœurs, et de réciter des poèmes aux quelques rares amis que j’ai eu la chance de
me faire. J’ai aussi réalisé qu’être différent était une bénédiction et non un poids
à traîner. » [53]
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Glossaire
CARS acronyme de childhood autism rating scale. Cet outil d’évaluation est utilisé
pour aider à l’identification et à la récolte de données concernant les troubles
du spectre autistique. Il évalue les compétences spécifiques, comportements en
excès et comportements en déficit.
Chaînage procédure d’apprentissage qui permet de relier des comportements sim-
ples pour aboutir à un comportement complexe. Les réponses sont renforcées
en séquence. Chaque élément de la chaîne est un renforçateur pour la réponse
précédente et un stimulus discriminatif de la réponse suivante. Par exemple, le
comportement « se laver » peut être décomposé en une somme de comporte-
ments comme ouvrir le robinet, prendre le savon, mouiller le savon, poser le
savon, se savonner le corps, etc.
CIM-10 acronyme de classification internationale des maladies (version 10).
Classe de réponses réponses opérantes qui peuvent varier en topographie mais qui
produisent des conséquences identiques.
Classe de stimuli ensemble de stimuli qui ont des propriétés communes. Ces stimuli
peuvent être reliés fonctionnellement à une classe de réponses.
Colère classe de réponses faisant référence à une agitation comportementale suite à
un stimulus spécifique. Cette classe de réponses peut contenir différentes formes
de comportements (se rouler par terre, se taper, taper l’autre, détruire des objets,
etc.). Les fonctions de cette classe de réponses sont souvent liées à la frustration,
l’évitement ou l’échappement ou à des tentatives de communication. Les colères
chez les enfants ou adultes avec autisme ont souvent un côté spectaculaire.
Communication comportement dont la fonction est la transmission d’information
d’un individu à un autre. Ce comportement peut être verbal, écrit, symbolique
ou gestuel.
Communication facilitée à l’origine, cette technique a été proposée pour aider
des personnes avec troubles sévères du développement à communiquer par un
support physique (prendre la main de la personne) pour taper des messages
sur un clavier. Malheureusement, les études réalisées en double aveugle n’ont
pas permis de valider cette technique. À ne pas confondre avec les techniques
d’augmentation de la communication.
Comportement toute action produite par un individu. Il existe des comportements
publics (observables par un observateur extérieur) et des comportements privés
(observables uniquement par la personne qui les produit, par exemple la pensée).
244 Glossaire
Contingence relation « si–alors » qui décrit la cause et l’effet d’une relation entre un
comportement donné et une conséquence de ce comportement. Si vous effec-
tuez un comportement spécifique (taper sur la touche T de l’ordinateur), alors
vous obtiendrez une conséquence (voir apparaître la lettre T à l’écran).
Contingence de renforcement relations entre une situation environnementale don-
née (une « occasion »), une classe d’opérants et les conséquences qui suivent le
comportement. Voici un exemple quotidien qui montre que les lois de l’appren-
tissage fonctionnent partout :
1. un stimulus interne, état de motivation : la faim à 12 h 30 en sortant du bureau ;
2. un stimulus discriminatif qui indique à la personne un type de réponse possible-
ment efficace : sur son chemin elle trouve un distributeur automatique de sand-
wichs allumé qui propose un vaste choix de produits ;
3. la réponse comportementale : mettre deux euros dans la fente du distributeur et
appuyer sur le bouton de son choix ;
4. les conséquences de ce comportement peuvent être de trois types :
a. renforçatrices positives. Le sandwich distribué est de bonne qualité. Et le client
reviendra au même distributeur en cas de nouvelle faim,
b. négatives. Il s’agit de punition ou d’aversion. La machine donne un sandwich
pourri ou bien punit le client en ne rendant pas la monnaie tout en ne donnant
pas de sandwich, c. absentes. Il s’agit alors d’extinction du comportement. La
machine ne distribue pas de sandwich bien qu’il y en ait en vitrine et rend la
monnaie, montrant au client qu’agir ou ne pas agir revient au même. L’inter-
relation entre ces quatre éléments est une contingence du renforcement.
Contrôle du stimulus un contrôle du stimulus est présent lorsque le taux, l’intensité,
la durée, etc. d’un comportement peuvent se modifier en présence d’un stimu-
lus particulier. Par exemple, le taux d’apparition du comportement « répondre
au téléphone » est modifié suivant la présence ou non du stimulus « sonne-
rie du téléphone » ; le comportement de réponse au téléphone est alors sous
le contrôle du stimulus « sonnerie ».
Corrélation mesure statistique de la relation qui peut exister entre deux variables
dépendantes (mesurées par l’expérimentateur). La corrélation entre deux
variables n’implique pas nécessairement de relation causale entre ces
deux variables. Par exemple, nous pouvons observer une corrélation entre le
nombre d’accidents sur la route et le niveau socio-culturel des conducteurs. Cela
ne signifie pas pour autant que le nombre d’accidents sur la route soit causé par
le niveau socio-culturel des personnes ! D’autres variables peuvent entrer en jeu
pour rendre compte de ces corrélations.
CP abréviation de comportement problématique.
CPM abréviation de color progressive matrice.
Critère le critère fait référence au niveau de compétences que l’on souhaite obte-
nir pour un objectif comportemental spécifique. On parle d’atteinte du critère
lorsque la personne atteint l’objectif comportemental. Par exemple, des outils
comme l’ABLLS ou le VB-MAPP (verbal behavior milestones assessment and pla-
cement program) proposent des objectifs comportementaux à atteindre en pré-
cisant les critères pour chaque niveau de compétence. Exemple : l’apprenant
dénomme « au moins quatre noms de vêtements ».
Curriculum ensemble des compétences d’une personne obtenues et ensemble des
objectifs choisis pour lesquels des programmes d’apprentissage seront réalisés.
Certains outils permettent de réaliser les curricula (ABLLS, VB-MAPP, AFLS, etc.).
246 Glossaire
Jeu symbolique ce terme fait référence à un type de jeux dans lequel les enfants
utilisent un objet pour représenter un partenaire. Par exemple, l’enfant peut
faire semblant de jouer à la marchande, à la maman avec une poupée, etc. C’est
une forme de jeu élaborée qui apparaît assez tôt au cours du développement.
Chez des enfants avec autisme, cette compétence est souvent absente lors de la
pose du diagnostic.
Langage expressif terme utilisé pour catégoriser les compétences verbales des per-
sonnes concernant l’expression verbale (répondre à des questions, poser des
questions, etc.).
Langage réceptif terme utilisé pour catégoriser les compétences verbales des per-
sonnes concernant le suivi de consignes.
Ligne de base c’est une période d’observation du comportement avant la mise en
œuvre de l’intervention. Lors des programmes d’apprentissage, la ligne de base
correspond au niveau de compétence de la personne avant de mettre en place
toute intervention. Elle permet de comparer les résultats obtenus par l’inter-
vention avant son implémentation. (Voir aussi Plan à cas unique.)
250 Glossaire
Renforçateur tangible stimuli qui peuvent être manipulés par la personne ou aux-
quels la personne peut participer (par ex. : jouets, jeux, aller au parc, aller diner
au restaurant).
Renforcement procédure qui produit des conséquences pour un comportement donné
et qui augmente ou maintient la fréquence d’apparition de ce comportement.
Renforcement différentiel toute procédure qui combine extinction et renforcement
pour modifier la fréquence d’apparition d’un comportement problématique
cible. Dans la nomenclature de l’analyse appliquée du comportement, il y a
trois procédures principales :
– renforcement des comportements alternatifs (differential reinforcement of alternative
behaviors ou DRA en anglais) : on sélectionne et renforce un comportement qui
n’est pas compatible topographiquement avec le comportement inapproprié que
l’on souhaite éliminer. Parler doucement en classe au lieu de crier durant x jours
permet d’obtenir des jetons ou des points nécessaires à l’obtention de privilèges
qui ont auparavant été clairement définis. Dans cette procédure, on ne porte pas
attention aux cris (extinction), mais seulement au comportement approprié :
parler doucement (renforcement différentiel du comportement alternatif) ;
– renforcement d’un autre comportement (differential reinforcement of other behaviors
ou DRO en anglais) : on peut par exemple renforcer un enfant pour ne pas s’être
engagé dans un comportement inapproprié, comme frapper les autres enfants.
Seul le « zéro réponse » est renforcé durant un intervalle de temps défini. Une
seule occurrence du comportement inadéquat dans l’intervalle de temps choisi
aboutit à l’absence de renforcement. Il faut que le renforçateur soit aussi puis-
sant que celui obtenu par le comportement inadéquat ;
– renforcement de la diminution de la fréquence des comportements problématiques
(differential reinforcement of low rate behaviors ou DRL en anglais) : le renforcement
est donné après un intervalle de temps spécifié et à condition que la fréquence
d’un comportement problème se situe en dessous d’un seuil ; par exemple, crier
cinq fois au lieu de six durant une heure de classe. Ensuite, le professeur abaisse
la limite à quatre fois et ainsi de suite jusqu’au zéro.
Renforcement négatif l’apparition d’un comportement est immédiatement suivie
par le retrait d’un stimulus ou d’un événement désagréable, aversif, ce qui aug-
mente la probabilité d’apparition du comportement. Pour une maman, prendre
son bébé dans les bras pour stopper les cris du bébé est un exemple de cette
contingence. La probabilité future du comportement de prendre le bébé va aug-
menter, car ce comportement est suivi par l’arrêt des pleurs du bébé qui est une
situation aversive pour la maman.
Renforcement non contingent ce terme est utilisé lorsqu’il n’y a pas de relation
entre un comportement et une conséquence. On peut par exemple fournir des
conséquences quel que soit le comportement produit par la personne. Cette
procédure est souvent utilisée dans les troubles du comportement.
Répertoire comportemental comportements qu’un organisme peut produire car ils
figurent parmi ses compétences.
Réponse unité de comportement qui a un début et une fin clairement identifiables.
Les réponses peuvent être opérantes ou répondantes selon qu’elles sont contrô-
lées par ce qui les suit (conditionnement opérant, ou instrumental ou skinne-
rien) ou par les stimuli qui les précèdent (conditionnement répondant, classique
ou pavlovien).
254 Glossaire
Tact d’après l’ouvrage de Skinner (1957), Verbal Behavior, c’est un opérant verbal
contrôlé par un stimulus non verbal (un objet, une action, un événement…) et
dont les conséquences qui suivent la réponse sont des renforçateurs sociaux. Les
Prise en charge du trouble du spectre autistique (TSA)... 255
premiers tacts sont les réponses de pointage chez l’enfant. Par exemple, l’objet
pointé par l’enfant n’a pas pour objectif de recevoir celui-ci mais bien d’obtenir
l’attention de l’adulte.
Taux nombre de fois qu’un événement ou qu’une réponse apparaît pour une période
de temps spécifique. Les taux de comportement sont souvent indiqués en
réponses par minute, réponses par heure ou réponses par jour. On parle aussi
de débit de réponses.
TCC abréviation de thérapie cognitive et comportementale.
TEACCH acronyme de treatment and education of autistic and related communication-
handicapped children. Traitement et éducation des enfants avec autisme ou
atteints de troubles associés de la communication. C’est un programme d’inter-
vention qui s’adresse aux personnes avec autisme tout au long de leur vie.
Time-out mise au calme ou, selon certains, « temps mort ». Mise à l’écart d’une
situation qui entraîne des conséquences négatives pour la personne et/ou les
autres. Procédure qui fait référence au fait de ne plus permettre l’accès à un
renforçateur donné pendant une courte période de temps, de façon contingente
à un comportement inapproprié. Seule une analyse fonctionnelle au préalable
permet de repérer précisément les conséquences qui maintiennent un compor-
tement problème. Cette procédure est toujours accompagnée d’une procédure
de renforcement positif pour les comportements alternatifs associés.
Topographie configuration spatiale ou forme d’une réponse, parfois aussi lieu (par
exemple, place sur le dispositif où l’enfant va aller appuyer pour répondre). Les
topographies peuvent être complexes et sont plus souvent décrites verbalement
que quantitativement.
Troubles du spectre autistique (TSA) ce terme fait référence à une classe de troubles
du développement apparaissant autour de 3 ans. Les TSA intègrent le trouble
autistique (autisme), le syndrome d’Asperger, les troubles envahissants du déve-
loppement non spécifiés, les troubles désintégratifs de l’enfance. Le mot « spec-
tre » fait référence au fait que pour chacun de ces troubles, le caractère adaptatif
de l’individu peut être observé le long d’un continuum (allant de trouble sévère
à trouble léger). Classiquement, les domaines de compétences présentant des
perturbations concernent les compétences de communication, les compétences
d’interactions sociales et l’apparition de comportements non adaptatifs (comme
l’inflexibilité et des comportements de stéréotypies). Le terme « envahissant »
implique que les effets du trouble sont observés sur l’ensemble du répertoire
comportemental d’une personne.
Troubles envahissants du développement (TED) troubles du développement carac-
térisés par des altérations qualitatives des interactions sociales réciproques et des
modalités de communication ainsi que par un répertoire d’intérêts et d’activités
restreints, stéréotypés et répétitifs. La sévérité des symptômes est variable d’une
personne à une autre.
TTAP abréviation de TEACCH transition assessment profil.
Validité sociale les objectifs, les procédures et les résultats obtenus lors d’une inter-
vention sont socialement acceptables par la personne et son entourage, l’ana-
lyste du comportement et les règles de la société.
256 Glossaire
Variabilité ce terme fait référence au degré de différences qui peut être observé pour
un comportement donné par une personne. L’individu s’engage dans une variété
de réponses nécessaires au développement. Les procédures d’extinction favori-
sent souvent l’émission de comportements variés (pendant le burst d’extinction)
lors de phase de façonnement.
Variable toute condition dans une expérience qui peut être manipulable ou claire-
ment observée et qui peut être modifiée.
Variable dépendante elle correspond à la mesure réalisée par l’expérimentateur ou
l’intervenant. Cela peut être le nombre de réponses correctes, le nombre de cris
d’une personne en situation de groupe, le temps mis pour réaliser une activité,
etc. Elle est en lien avec la ou les variables indépendantes. Lorsque des chan-
gements d’une variable indépendante sont observés au niveau de la variable
dépendante, nous disons qu’elles sont fonctionnellement reliées.
Variable indépendante toute condition qui varie systématiquement lors de l’étude
d’un changement de la variable dépendante. Elle correspond aux conditions
d’une intervention ou d’un traitement. Elles sont contrôlées par l’expérimenta-
teur ou l’intervenant.
WISC-IV abréviation de Wechsler intelligent scale for children, 4e édition (échelle
d’intelligence de Wechsler pour enfants et adolescents en français).
WNV abréviation de Wechsler non verbal.
WPPSI-IV abréviation de Wechsler preschool and primary scale of intelligence, 4e édition.