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Dresser un animal qui puisse promettre : n'est-ce pas précisément la tâche paradoxale que la nature

s'est assignée à l'égard de l'homme ? N'est_ce pas le véritable problème de l'homme ? Que ce
problème soit résolu à un dégré élevé doit apparaître d'autant plus étonnant à qui sait pleinement
apprécier la force antagoniste, celle de l'oubli. L'oubli n'est pas simplement un vis inertiae, comme
le croient les esprits superficiels, mais plutôt une faculté de rétention active, positive au sens le plus
rigoureux à laquelle il faut attribuer le fait que tout ce que nous vivons, éprouvons, ce que nous
absorbons, accède aussi peu à la conscience dans l'état de digestion (on pourrait l'appeler
« absorption spirituelle ») que tout le processus infiniment complexe, selon lequel se déroule notre
alimentation physique, ce qu'on appelle « assimilation ». Fermer de temps à autre les portes et les
fenêtres de la conscience ; rester indemne du bruit et du conflit auxquels se livre, dans leur jeu
réciproque, le monde souterrain des organes à notre service ; faire un peu silence, ménager une
tabula rasa de la conscience, de façon à redonner de la place au nouveau, surtoit aux fonctions et
fonctionnaires les plus noles, au governement, à la prévoyance, à la prédiction (car notre organisme
est organisé d'une manière oligarchique), voilà l'utiié de ce que j'ai appelé l'oubli actif, qui, pour
ainsi dire, garde l'entrée, maintient l'ordre psychique, la paix, l'étiquette : ce qui permet incontinent
d'apercevoir dans quelle mesure, sans oubli, il ne saurait y avoir de bonheur, de belle humeur,
d 'espérance, de fierté, de présent.

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