Au lendemain de son indépendance, et parallèlement à la consolidation du
pouvoir central, le Maroc a initié, dès 1960, un processus de décentralisation qui a fait l’objet, au fil des années, de plusieurs aménagements partiels ou ponctuels. Cette décentralisation à laquelle on fait allusion s’est dès le départ imposée comme une sérieuse alternative à la centralisation administrative qui est considéré comme une mode d’organisation de l’État dans lequel les décisions administratives relèvent des organes centraux de l’État.
Ce système dépassé, aujourd’hui, signifiait dans son essence que les
échelons locaux, si elles venaient à exister, elles n’avaient pas la possibilité de prendre de décisions administratives, comme c’est le cas présentement dans le cadre de la décentralisation. Il signifiait également qu’il n’était pas possible d’avoir sur le plan local des autorités élues susceptibles d’être proche des citoyens, étant donné le monopole du pouvoir de décision qui structure un système centralisateur. Même s’il était possible avec le processus d’atténuation de la centralisation qui est la déconcentration, d’avoir une division administrative du territoire, les autorités représentants ces territoires étaient la plupart du temps dépourvues du pouvoir de décision. Toujours soumises au pouvoir hiérarchique, les autorités déconcentrées n’avaient qu’un pouvoir d’information et de sollicitation de l’autorité centrale. Il n’était donc pas faux que de dire que la déconcentration, c’est une modalité d’atténuation imparfaite de la centralisation.
Brièvement, il faut remarquer que la déconcentration consiste, la plupart
du temps, à accorder à des organes déconcentrés des pouvoirs de décision limitée, dans la mesure où les autorités déconcentrées sont étroitement soumises au pouvoir hiérarchique d’une autorité centrale compétente. Ainsi, l’organisation déconcentrée suppose l’existence de deux éléments : des organes centraux également appelés administrations centrales ; des organes déconcentrés également appelés organes extérieurs.
Les organes déconcentrés sont étroitement subordonnés aux organes
centraux qu’ils représentent au niveau local. Tel est le cas, par exemple, du préfet en France qui représente l’autorité centrale dans les départements et les régions ou le Wali au Maroc qui est nommé par l’autorité centrale.
Un tel système d’organisation du territoire a certes permis, dans certains
contextes, de consolider le pouvoir de l’État. Il aura également permis, au sens de Prelot, d’accroitre, de compléter et de couronner l’unification politique. Mais, il n’en demeure pas moins que la centralisation, avec les exigences de plus en plus accrues des citoyens, a montré ses limites, ses défauts.
Aujourd’hui, pour plusieurs raisons, il est possible de dire qu’un système
administratif totalement centralisé est irréaliste, étant donné qu’il s’avère impossible pour les autorités centrales et les autorités déconcentrées de répondre de façon adéquate aux besoins et sollicitations grandissants des citoyens. Les organisations administratives centralisées sont la plupart du temps lourdes à gérer. On imagine bien que l’accroissement de la population dans un territoire met à rude épreuve la capacité d’un tel système à contenir les demandes des citoyens. Très vite, les services publics se retrouvent débordés. Les décisions sont prises avec des retards causants des préjudices aux citoyens. En outre, il faut aussi remarquer que l’autorité centrale se situe loin des préoccupations locales. Pour ces raisons et bien d’autres encore, un système administratif centralisé ou déconcentré n’est guère concevable de nos jours.
L’alternative, à défaut de l’institution d’un État fédéral, est bien entendu
la décentralisation. Cette dernière se pose comme un choix sociétal et politique qui dépasse le simple cadre administratif et arrive jusqu’au politique. La décentralisation dans laquelle s’insère la régionalisation est, pour ainsi dire, un processus politico-administratif qui engage la société dans son ensemble. Plusieurs définitions de cette dernière sont possibles ou ont été avancées par différents auteurs ; ce cours sera l’occasion de revisiter ces différentes conceptions de la décentralisation. Toutefois, il convient de retenir dans ce cours sur les élus et l’autorité centrale que la décentralisation peut être entendue comme un processus d’aménagement de l’État unitaire consistant à opérer des transferts de certaines compétences administratives de l’État vers des collectivités locales ou territoriales créées par le même État.
La décentralisation qui favorise la création des échelons locaux et la
naissance des élus au niveau local est toujours présentée comme une piste sérieuse pour résorber les écarts de développement entre les territoires à l’intérieur des États d’une part, d’autre part, elle fut présentée comme un chemin pour la consolidation de la démocratie et le développement. Dès cet instant, plusieurs arrangements institutionnels vont être mis en œuvre pour concrétiser la décentralisation. On verra naitre dans les États africains notamment au Maroc des entités appelées mairies, départements, provinces, et régions à la tête desquelles on trouve, aujourd’hui, des personnes élues par les populations. Ces élus locaux, selon les contextes, disposent des compétences plus ou moins étendues selon les objectifs visés par la décentralisation et selon la volonté de l’État central de dessaisir de certaines de ses prérogatives.
Au Maroc, le processus ayant conduit au renforcement des positions des
élus est graduel et progressif. La promulgation de la Charte communale de 1976, qui succédera à celle de 1960, marquera un véritable tournant à travers l’élargissement des compétences de la commune et le renforcement du rôle de son président, ainsi que par l’engouement qu’elle a suscité chez les élites locales pour la gestion des communes. Avec la Constitution révisée de 1992, le Maroc franchira une nouvelle étape dans le processus de décentralisation par la promotion de la région au rang de collectivité locale. La loi fixant le régime juridique de la région, promulguée le 2 avril 1997, traduit une approche prudente et graduée des pouvoirs publics dans la mise en place du système de décentralisation.
Avec le règne inauguré par le roi Mohammed VI, l’opportunité d’une
réforme globale des institutions locales se présente. Ainsi, la refonte de la charte communale et de la loi sur les préfectures et provinces en octobre 2002 a constitué un nouveau pas dans le processus de décentralisation à travers, notamment, une meilleure définition des compétences des assemblées locales, la clarification des règles de fonctionnement de ces dernière set des rapports entre leurs organes internes, l’amélioration du statut de l’élu local, l’assouplissement des contrôles de tutelle et le retour à l’unité de la ville.
L’année 2009 marquera une nouvelle étape dans le processus de
décentralisation, à travers la modification de la Charte communale préconisant une démarche participative et sensible au genre pour l’élaboration du plan de développement communal ainsi que le renforcement des structures de l’administration communale et de la gestion des services publics locaux. Mais c’est la constitution de 2011 e t les lois organiques de 2015 qui marqueront un tournant majeur
À la faveur du nouveau contexte politique marqué par l’annonce de la
politique de régionalisation avancée et l’adoption d’une nouvelle constitution en juillet 2011 visant à renforcer la transition démocratique et le développement socio-économique du pays et améliorer la qualité des politiques et des services publics dans leur ensemble, le processus de consolidation de la décentralisation franchira de nouveaux paliers. En précisant que l’organisation territoriale du Royaume est décentralisée et qu’elle est fondée sur une régionalisation avancée, la nouvelle constitution consacre une configuration spatiale basée sur la gestion partagée du territoire par l’Etat et les assemblées locales élues; de même, en troquant l’appellation «collectivités locales »pour celle de «collectivités territoriales», elle traduit bien la volonté de souligner une nouvelle vision qui fait de la dimension territoriale un aspect majeur de la gestion des politiques publiques.
Le nouveau texte constitutionnel affirme ainsi que l’organisation
régionale et territoriale repose sur les principes de libre administration, de coopération et de solidarité (art. 136), et qu’elle assure la participation des populations concernées à la gestion tout en favorisant leur contribution au développement humain intégré et durable. Même si des différences persistent entre les pays aux territoires de grande taille (Égypte et Algérie) et les autres, les pays du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) sont unitaires et ont des structures similaires comprenant des unités régionales et locales. Chaque pays a mis en œuvre sa propre organisation en fonction des réalités de son territoire, de manière à assurer au mieux sa mission de service public.
Dans la nouvelle configuration spatiale, la région assure donc un rôle
prééminent par rapport aux autres collectivités territoriales dans l’élaboration et le suivi des programmes de développement régionaux et des schémas régionaux d’aménagement des territoires, sans que cela n’implique une quelconque hiérarchie entre les différentes catégories de collectivités territoriales. De même, la répartition des compétences des collectivités territoriales est basée sur le principe de subsidiarité, avec des compétences propres, des compétences partagées avec l'État et des compétences transférables. Ceci dit, un faisceau important de liens unissent et président les relations entre les élus et l’autorité centrale, il sera question dans ce cous de tenter d’explorer la nature et la consistance de ces liens. En nous appuyant particulièrement sur l’institution communale qui représente l’un des piliers de la décentralisation, nous verrons que les liens unissant les élus et les autorités centrales sont régis dans le cadre des Etats unitaires par de grands principes immuables qui n’empêchent pas pour autant aux élus de bénéficier d’une marge de manœuvre relativement importante dans des domaines importants pouvant favoriser le développement des territoires locaux.
Objectifs du cours
Ce cours vise principalement à approfondir les connaissances des
étudiants en matière de décentralisation, notamment sur les relations entre les autorités centrales et les élus. En analysant la décentralisation marocaine, il décrira et analysera les ressorts essentiels du processus de décentralisation et des relations entre les élus et les autorités centrales. Ce cours qui ne sera pas seulement cantonné dans le droit administratif permettra également aux étudiants du master de comprendre la complexité existante derrière les processus d’organisation des territoires par la décentralisation.
Déroulement du cours
Le cours se déroulera sous forme de séminaire agrémenté par des
exemples pratiques. Il sera question vous fournir les outils théoriques vous permettant de mieux comprendre les relations entre les élus et l’autorité centrale. Pour atteindre cet objectif, il est indispensable de revenir sur les fondamentaux de la décentralisation, particulièrement ceux de l’institution communale. Cela nous dit, nous mettrons également en perspective l’institution régionale qui aujourd’hui a acquis un nouveau statut au Maroc.
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