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En Israël, un viol collectif provoque «un
#MeToo en décalé»
PAR SALOMÉ PARENT-RACHDI
ARTICLE PUBLIÉ LE SAMEDI 29 AOÛT 2020
Une manifestation à Tel-Aviv le 23 août pour
dénoncer les violences sexuelles. © Jack Guez/AFP
Le viol présumé d’une adolescente par une trentaine
d’hommes a choqué la nation israélienne. Ce fait-
divers hors norme a rouvert le débat sur la prise en
charge des violences faites aux femmes dans le pays.
Tel-Aviv (Israël).– Tout commence à Eilat, le « Las
Vegas » israélien à la pointe du sud du pays, avec ses
boîtes de nuit, ses bateaux-casinos et ses températures
écrasantes.
Coronavirus oblige, les Israéliens ont passé l’été dans
les stations balnéaires du pays. Comme tant d’autres,
une jeune fille de 16 ans décide d’y louer une maison
avec ses amies. Un soir, le groupe rejoint une autre
bande au bar de l’hôtel « mer Rouge ».
En état d’ébriété, la victime présumée monte alors
s’allonger dans une chambre, où elle aurait été violée
par une trentaine d’hommes. Ces derniers auraient
même attendu leur tour devant sa porte. Les faits
remontent au 12 août, mais le scandale éclate une
semaine après, quand les médias relayent l’affaire à la
une.
Tout commence là donc. Ou plutôt tout repart : l’été
dernier déjà, l’acquittement d’une bande de jeunes
Israéliens à Chypre accusés d’un viol collectif avait
divisé le pays.
Dans l’affaire d’Eilat, au moins quatorze suspects
ont déjà été arrêtés, mineurs et majeurs, ainsi que
la manageuse de l’hôtel, accusée d’avoir entravé
l’enquête et de n’avoir pas empêché les événements.
« Les faits se seraient déroulés en une à deux heures
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tout au plus », précise Micky Rosenfeld, porte-parole
de la police, qui cherche à mettre la main sur les vidéos
de surveillance de l’établissement. Plusieurs suspects
ont reconnu des rapports sexuels avec la victime, mais
nient l’avoir forcée.
Une manifestation à Tel-Aviv le 23 août pour
dénoncer les violences sexuelles. © Jack Guez/AFP
L’indignation politique a été immédiate et unanime.
Le premier ministre Benjamin Netanyahou a évoqué
un « crime contre l’humanité », quand Yaïr Lapid,
leader de l’opposition, s’est fendu d’un « honte
sur vous, sales raclures », réclamant la publication
des photos des violeurs présumés. Le ministre de
la défense Benny Gantz s’est demandé « ce qu’un
homme entend prouver quand il se tient dans une
file avec des dizaines d’autres, attendant d’entrer
dans une chambre où une jeune fille inconsciente est
allongée ? »
Selon la presse israélienne, un face-à-face entre la
victime et ses bourreaux présumés n’est pas à l’ordre
du jour, « son état psychologique ne le permettant
pas ». Dans l’attente d’un hypothétique procès, la
rue s’est mobilisée, jusque dans plusieurs grandes
entreprises où des grèves spontanées ont eu lieu.
« On a l’impression que quelque chose se dénoue »,
note l’activiste Illana Weizman, dont le collectif
HaStickeriot s’inspire des colleuses parisiennes,
affichant sur les murs des témoignages de femmes
victimes de violence. Pour elle, « comme un #MeToo
en décalé », avec des échos de « la Meute » en
Espagne.
Mais c’est le parallèle avec l’affaire chypriote qui
s’impose. Un an plus tôt, une douzaine de vacanciers
israéliens, âgés de 15 à 22 ans, ont été accusés d’avoir
violé une touriste anglaise. Ils seront rapidement
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blanchis grâce à une rétractation de l’adolescente,
obtenue d’après elle sous la contrainte des policiers
locaux.
L’accueil triomphal réservé aux garçons à leur retour
à l’aéroport de Tel-Aviv provoquera un tollé en Israël.
D’autant plus que la Britannique sera condamnée pour
faux témoignage après quatre semaines et demie de
détention. Lors de son procès à Nicosie, des féministes
israéliennes feront l’aller-retour en avion low cost tous
les jours pour la soutenir.
En 2019, l’Association des centres de lutte contre le
viol en Israël (ARCCI) a reçu 192 appels de femmes
victimes de viols en réunion. Seulement 19 d’entre
elles ont porté plainte.
Comment expliquer ce décalage ? «Par un manque
de confiance dans le système, résume Noya Rimalt,
professeur de droit à l’université d’Haïfa, spécialisée
en criminologie et études de genre. Porter plainte
auprès de la police veut dire être interrogée, souvent
dans une dynamique de “votre version contre la
leur”, où les femmes ne sont pas toujours crues. Et
si elles le sont, il y a toujours ce réflexe de blâmer
la victime : elle avait bu, elle portait une jupe trop
courte, etc. » Quelque 84 % des plaintes pour viol sont
classées sans suite.
Ce « système » défaillant, la députée travailliste
Merav Michaeli en a fait son cheval de bataille.
« La législation israélienne est adéquate, assure-t-
elle. Le problème réside dans son application. » Elle
milite pour l’adoption d’une loi visant à l’ouverture
de départements spécifiques dédiés aux violences
sexuelles, dans les commissariats comme dans les
tribunaux.
Existerait-il une « culture du viol » à l’israélienne ?
Explosive, la question divise, prêtant le flanc
aux accusations d’antisémitisme. « Oui », répond
néanmoins Orit Sulitzeanu, directrice du ARCCI pour
laquelle l’image de l’homme « gever gever » (« viril »
au carré) est très ancrée dans l’ethos israélien, où
l’armée occupe une place fondamentale. « Il faut être
un homme qui ne montre pas ses sentiments et qui
multiplie les conquêtes. » Et Noya Rimalt d’ajouter :
« Une fois qu’une société est engagée dans la violence,
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même si elle est officiellement dirigée contre un
ennemi, celle-ci finit toujours par ressortir dans la
sphère privée. »
Illana Weizman préfère parler de « nuances
culturelles » et d’un patriarcat mondialisé. Elle
refuse qu’on qualifie les violeurs présumés d’Eilat de
« monstres » ou d’« animaux », comme l’ont fait
politiques et journalistes. « En disant cela, on les met
en dehors de la société et on dit que ce sont des
exceptions. Or il n’y a pas besoin de violer pour être
dans ce système. » Selon elle, le mot clé « Eilat » aurait
largement été utilisé sur le site PornHub pour retrouver
d’éventuelles vidéos des violeurs.
La religion aussi, et le conservatisme qu’elle induit,
joue aussi un rôle pour Noya Rimalt. « On vit dans
une société où certains hommes religieux se disent
capables de juger si des femmes sont suffisamment
“pudiques” ou pas, comme s’ils étaient propriétaires
des corps féminins. »
« Il ne faut pas oublier que pendant les
années 1960-70, quand les États-Unis vivaient une
révolution féministe, Israël était occupé à combattre
ses ennemis, tient à préciser Merav Michaeli. À
l’époque, le militarisme était au centre de la vie. Ce
n’est qu’à partir des années 1990, première décennie
sans grande guerre, qu’on a commencé à parler des
violences faites aux femmes. »
À propos des réactions horrifiées des principaux
acteurs de la classe politique, la députée est sévère :
« C’est bien qu’ils condamnent parce qu’avant le sujet
n’existait tout simplement pas pour eux ! Mais c’est
loin d’être suffisant. Il faut de la volonté politique,
pas seulement des mots. » En 2017, le gouvernement
Netanyahou avait validé un budget de 250 millions de
shekels (62 millions d’euros) pour la lutte contre ces
violences, mais trois ans après, aucune somme n’a été
débloquée.
Pour Orit Sulitzeanu, « on dit souvent qu’il faut tout un
village pour élever un enfant. Il faut aussi tout un pays
pour lutter contre les violences faites aux femmes ».
Et pour faire évoluer les mentalités durablement, en
commençant par exemple par rendre obligatoires les
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cours d’éducation sexuelle à l’école. Ce qu’a promis
le ministre de l’éducation, Yoav Galant, juste après
l’affaire d’Eilat.
Sur l’une des plages de Tel-Aviv, ce début de
changement s’est matérialisé par l’effacement par la
mairie d’une fresque, déjà régulièrement dégradée
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par les féministes locales. Il s’agissait d’un homme
observant des femmes se changer dans une cabine de
plage, la scène étant inspirée d’un film culte israélien
de 1972, Les Voyeurs.
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