Vous êtes sur la page 1sur 4

Directeur de la publication : Edwy Plenel

www.mediapart.fr
1

de Santa Ana, ne sont pas encore arrivés »,a confié,


médusé, un porte-parole des autorités locales sur une
Malgré les feux de forêt, les trumpistes de
chaîne de la Central Valley.
Californie ne vacillent pas
PAR PATRICIA NEVES
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 24 SEPTEMBRE 2020

Des puits de pétrole dans la Kern River Oil Field. © PN

Plus de 3 millions d’acres (plus que l’équivalent du


Des puits de pétrole dans la Kern River Oil Field. © PN Liban) ont ainsi été détruits dans le seul État
Il y a quatre ans, Bakersfield, dans le comté californien californien. À cela s’ajoute un lourd bilan humain. Au
de Kern, avait voté majoritairement pour le candidat moins vingt-six personnes ont péri, douze sont portées
républicain. Depuis plusieurs semaines, la ville est disparues et 60 000 ont été forcées de quitter leur
confrontée à la pollution et aux immenses incendies maison pour échapper aux flammes.
qui se déclenchent à proximité. Mais ce qui intéresse Tout près de la forêt nationale de Sequoia, à une
les partisans de Trump, c’est l’emploi, la religion et les heure de route environ, le présentateur météo de
armes. KBAK-TV, diffusée à Bakersfield, principale ville du
Bakersfield (États-Unis).– Même les mules ont été comté de Kern, annonce pourtant de bonnes nouvelles.
appelées en renfort. Dans la forêt nationale de Sequoia, Au programme des prochains jours, en cette mi-
au sud de la Californie, elles arpentent des sentiers septembre, soleil et fraîcheur se réjouit le journaliste
périlleux, inaccessibles aux véhicules. de la chaîne appartenant au très conservateur groupe
Là, tous les 60 mètres, elles déchargent une partie de Sinclair. À la fenêtre, aucun rayon à l’horizon ni même
leur cargaison : de la tuyauterie. Une fois assemblés, une petite brise. Un épais brouillard de fumée et une
les tuyaux d’arrosage permettent d’irriguer les sols odeur d’essence saturent l’air.
et de lutter contre les incendies qui ravagent depuis Bakersfield, c’est le « Kern-tucky ! »,résume un
plus de trente jours la majestueuse forêt aux arbres habitant. Une référence à l’État du Kentucky, bastion
millénaires. 540 km2 de végétation, cinq fois la de la droite américaine. Situé non loin des palmiers
superficie de Paris, sont déjà partis en fumée. de Los Angeles, emblème démocrate, Bakersfield
ressemble plutôt aux badlands (terres arides et non
Sur le terrain, l’intensité des flammes qui s’étendent
fertiles) du Texas. Traversé par la rivière Kern et son
sur la côte ouest des États-Unis, dans l’Oregon,
immense champ pétrolifère, tout ici rappelle l’essor de
l’État de Washington et en Californie surprend les
l’or noir dépeint en 1956 dans le film Géant de George
plus aguerris. « En vingt-sept ans, je n’ai jamais vu
Stevens. Des puits de pétrole à perte de vue. Et des
ça […]. Et les vents chauds et secs d’automne, les vents
champs.
À quelques kilomètres du centre-ville se dessine en
effet la San Joaquin Valley, région de la Central Valley
qui permet à l’État de Californie de soutenir à lui
seul 12,2 % de l'économie alimentaire américaine. En
2016, la population de Bakersfield (près de 385 000
habitants), essentiellement blanche, héritière des

1/4
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
2

fermiers de l’Oklahoma décrits par John Steinbeck Tout ce « désordre, les feux, le virus », pour elle ce
dans Les Raisins de la colère, votait en majorité pour n’est qu’un signe de la fin de la vie sur terre, une
Donald Trump, aujourd’hui candidat à sa réélection. opportunité « de rejoindre Jésus ».
Depuis plusieurs semaines cependant, la ville est Ce qui la préoccupe en revanche ce sont
confrontée à la pollution, aux immenses incendies qui les « émeutes », les manifestations organisées ailleurs
se déclenchent à proximité et au silence du président. dans le pays en réaction à la violence policière
À Bakersfield, trois cents camions et voitures envers les Noirs Américains. « Je n’ai jamais eu
ont toutefois défilé le week-end dernier, drapeaux d’arme mais je suis très attachée à la Constitution »,
flottants, en soutien au président Trump. Une explique la sexagénaire qui se sent désormais en
démonstration de force, baptisée ironiquement insécurité. « Comment je vais faire pour protéger ma
« Corona Trump Cruise », qui a fait localement le famille sans mon arme ? », interroge également Roger,
tour des réseaux sociaux. À quelques semaines à peine 38 ans.
de l’élection présidentielle du 3 novembre, alors que
l’ouest des États-Unis et les comtés tout proches se
retrouvent littéralement en feu, comment expliquer un
tel soutien ?
« Bullshit »
Dans les rues quasi désertes – des grosses
avenues occupées par des grosses voitures –, les
habitants de Bakersfield, sans masques pour la Un mur à la gloire de l'armée américaine à Bakersfield. © PN

plupart, esquissent volontiers des réponses. « Le Emploi, religion, armes : voilà ce qui semble
président c’est tout simplement le meilleur, il séduire aujourd’hui encore, malgré les feux, les
a levé les restrictions fédérales [liées aux électeurs de Bakersfield. En 2018, les élections locales
réglementations environnementales – ndlr] eta créé de mi-mandat en donnaient déjà un avant-goût. Le
des emplois »,estime d’un ton affable John, 80 ans, député Kevin McCarthy, chef de file des républicains
vétéran de la guerre du Vietnam et ancien ingénieur à la Chambre des représentants, soutien de la première
spécialisé dans les stations de pompage d’eau. heure de Donald Trump, était réélu à plus de 65 %.
Le climat, la pandémie c’est du « bullshit » orchestré Ici, les gens qui vivent majoritairement de
par les journalistes, ajoute le retraité au chapeau de l’industrie pétrolière et de l’agriculture « sont
cow-boy. Lui, d’ailleurs, ne regarde qu’une seule généralement sceptiques quant au changement
chaîne, la seule fiable à ses yeux, One America News, climatique.Pour leurs problèmes économiques, ils
média d’extrême droite. blâment le gouverneur démocrate de Californie
Sur le parking du supermarché Costco, ils sont [Gavin Newsom – ndlr]qui veut atteindre la neutralité
nombreux à penser comme John. Le président se carbone d'ici 2045. Pas le président », observe John
préoccupe vraiment du sort des gens. « He cares about Cox, journaliste local au Bakersfield Californian.
people. » La phrase revient à plusieurs reprises. Et soudain, l’environnement s’invite dans la campagne
Il est « patriote, poursuit Pam, 63 ans, Les deux responsables se sont brièvement entretenus
institutrice. C’est un homme bon ». Les incendies, le 14 septembre dernier lors de la visite express
le réchauffement climatique ne l’inquiètent pas de Donald Trump en Californie. En campagne dans
vraiment. Très croyante, Pam murmure sa théorie. l’ouest du pays, critiqué jusqu’ici pour son mutisme
sur la question des feux de forêt, le président, climato-

2/4
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
3

sceptique, s’est finalement emparé du sujet. Le l’Agence de protection de l'environnement américaine


problème, « c’est la gestion forestière », a-t-il a marqué un tournant. L’administration Trump ne
expliqué. révise plus seulement les textes, elle réinterprète les
Longtemps, une politique d’extinction totale des lois. »
incendies a prévalu aux États-Unis. Résultat : Depuis sa ville de Wilmington dans le Delaware, Joe
d’immenses résidus combustibles se sont accumulés Biden a lui aussi critiqué, le 14 septembre dernier,
dans les forêts plus denses, moins défrichées. le bilan de son opposant. L’enjeu pour le candidat
Dénoncée par le président, cette politique est démocrate est double : séduire à la fois les plus jeunes,
désormais mise en cause par certains experts. Aux partisans à gauche du sénateur Bernie Sanders et
côtés toutefois d’autres facteurs, climatiques entre du Green New Deal, sans aliéner la classe moyenne
autres. blanche et ouvrière, notamment dans le Midwest.
En Californie, un territoire de 100 millions d’acres Un électorat centriste contradictoire
(plus de 400 000 km2) dont un tiers est recouvert de Au niveau national, deux tiers des Américains
forêt, les étés sont de plus en plus chauds et plus secs. estiment quant à eux que le gouvernement fédéral
Quelque 6,9 millions d’acres (28 000 km2) y ont brûlé n’en fait pas assez en matière d’environnement,
entre 2008 et 2017. L’incendie le plus meurtrier de d’après une récente enquête de l’institut indépendant
l’État reste d’ailleurs encore dans les mémoires. Il y Pew Research Center réalisée sur un panel de
a deux ans à peine, 85 personnes périssaient piégées 10 957 personnes. Les 2 000 milliards de dollars
en essayant de fuir au nord de l’État la petite ville de d’investissements promis par Joe Biden sur quatre ans
Paradise, détruite à 90 % par les flammes. afin d’atteindre une neutralité en carbone d’ici 2050
susciteront-ils autant d’adhésion ?
« Les preuves observées parlent d’elles-mêmes :
le changement climatique est réel », a plaidé le À Bakersfield, Johnny, retraité du secteur immobilier,
gouverneur Newsom devant Donald Trump. Début en doute. Son histoire résume à elle seule les
septembre, 49 degrés étaient enregistrés dans le contradictions de l’électorat centriste. « Trump a
comté de Los Angeles. Des températures sans été un bon président pour l’emploi, entame-t-il. Ça
précédent. « Ça finira par se refroidir », a balayé le reste un excellent businessman malgré sa gestion de
président. Derrière cette apparente légèreté se cache l'épidémie. » Est-ce qu'il sait déjà pour qui il va voter
en réalité un solide bilan en matière de dérégulations en novembre ? « Oh yes ! », répond Johnny sûr de lui.
des normes environnementales, alerte l’avocate Hana Son épouse, superviseuse chez un grand producteur
Vizcarra. de carottes, est mexicaine, confie-t-il. « Les préjugés
Avec ses collègues de la Harvard Law School, de Trump envers les Latinos… vous savez…», regrette
cette dernière a analysé près d’une centaine de Johnny, embarrassé. Il votera donc Biden.
mesures. « L’arrivée d’Andrew Wheeler à la tête de

3/4
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
4

Directeur de la publication : Edwy Plenel Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès Courriel : contact@mediapart.fr
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Capital social : 24 864,88€. Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,
publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
(Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, François Vitrani. Actionnaires directs peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier
et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, Marie- à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez
Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, Société des également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
Amis de Mediapart, Société des salariés de Mediapart. Paris.

4/4

Vous aimerez peut-être aussi