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Cours 7 

: Théorie de la pertinence (l’interprétation des énoncés). Fodor et le


modularisme
(d’après Martine Bracops, Introduction à la pragmatique (2010) ; A. Reboul et J. Moeschler La pragmatique
aujourd’hui(1998))

 L’hypothèse linguistique de la Pertinence est que ce que fournit le système de traitement linguistique
(qui se limite à la phonologie, la syntaxe et la sémantique) est une représentation moins que
propositionnelle – une forme logique non interprétable en termes de valeur de vérité. L’un des buts de
la pragmatique est d’enrichir la forme logique à travers une forme propositionnelle reconstituée et
d’assigner une valeur de vérité à l’énoncé ce qui créent les effets contextuels de l’énoncé. Ce sont les
inférences contextuelles que le destinataire est autoriser à tirer.
 L’interprétation des énoncés, d’après Sperber et Wilson, met en œuvre deux types de processus : les
processus codiques qui interviennent d’abord (analyse linguistique – établissement de la forme logique
de l’énoncé) et puis les processus inférentiels (analyse pragmatique – les explicatures, les implicatures et
les implications contextuelles). Les processus inférentiels sont généraux, universels et non spécifiques à
l’interprétation du langage (grammaire générative !), des processus qui s’appliquent à tous les actes de
communication ostensive-inférentielle.
A un geste de la main : On se téléphone !/ Taxi  !/ Bonjour ! ainsi qu’à un énoncé, on applique le même
procédé.
Ils ne sont pas culturellement déterminés et tous les êtres humains les partagent.
 Ce modèle d’interprétation est fondé sur la théorie du philosophe et psychologue cognitiviste américain
Jerry Fodor – le modularisme (théorie modulaire des facultés). D’après cette théorie, le fonctionnement
de l’esprit humain est un fonctionnement hiérarchisé et le traitement de l’information quelle que soit la
source (visuelle, auditive, linguistique, etc.) se fait par étapes, en opposant trois niveaux du traitement :
transducteur, système périphérique (modules) et système central de la pensée.
 Lorsqu’un événement se produit, les données de la perception sont traitées dans un transducteur qui les
traduit dans un format accessible pour le système qui opère à l’étape suivante – c’est le système
périphérique.
 Le système périphérique est composé des modules, spécialisés dans le traitement des données perçues
par tel ou tel canal (traitement des données visuelles, auditives, olfactives, linguistiques, etc.). Il fait une
première interprétation des données perçus qui est largement codique.
 Ensuite, cette interprétation arrive au système central. Il complète l’interprétation en la confrontant aux
autres informations déjà connues ou fournies simultanément par d’autres systèmes périphériques et
grâce à des processus inférentiels.
Fodor et modularisme

 Fodor stipule qu’il est possible d’arriver à décrire le fonctionnement des transducteurs et des systèmes
périphériques. Chaque système périphérique constitue un module qui est spécialisé (traite les
informations d’un domaine spécifique), encapsulé (le traitement modulaire ne peut pas accéder aux
informations traitées par d’autres modules), rapide, obligatoire et superficiel. Pourtant, il est pessimiste
quant à l’interprétation du fonctionnement du système central – il est complexe et non spécialisé,
puisqu’il traite des données de la vie quotidienne ainsi que les réflexions subtiles propres à la recherche
scientifique et à l’activité artistique.

 Sperber et Wilson ne partagent pas ce pessimisme. Selon eux, la linguistique correspond à un module
périphérique, celui qui est spécialisé dans le traitement des données linguistiques. En revanche, la
pragmatique relève du système central : les processus pragmatiques sont en effet les processus habituels
du système central. Par conséquent, l’étude de l’interprétation pragmatique des énoncés permet de jeter
une lueur sur le fonctionnement des processus propres au système central.
 Sperber et Wilson plaide pour un modularisme généralisé : il n’y a pas de système central, mais des
modules perceptuels et des modules conceptuels qui ont pour entrée et pour sortie des données
conceptuelles. Les modules conceptuels s’appuient sur la théorie de l’esprit. En ce qui concerne les
données linguistiques, Sperber et Wilson sont proches à la grammaire générativiste (transformation,
structure de surface/ profonde).
 Le module linguistique ainsi livre une première interprétation de l’énoncé (sa structure profonde) qui se
présente comme une formé logique – une suite ordonnée de concepts. Ces concepts donnent accès aux
informations qui formeront les prémisses utilisées dans les processus inférentiels – ces prémisses
correspondent à la connaissance encyclopédique (à l’ensemble des données dont un individu dispose sur
le monde). L’interprétation de l’énoncé s’appuie non pas seulement sur la forme logique de l’énoncé,
mais aussi sur le contexte en intégralité. Le contexte est perçu comme un ensemble des connaissances
encyclopédiques auxquelles on a accès par les concepts de la forme logique, de données immédiatement
perceptibles tirées de la situation ou de l’environnement physique et de données tirées de la situation de
l’interprétation des énoncés précédents. Ils nomment l’ensemble de ces sources d’information
l’environnement cognitif de l’individu. Le contexte correspond à une petite partie de l’environnement
cognitif d’un individu à un moment donné.

 Le contexte n’est pas donné, il (re)construit énoncé après énoncé. Tout d’abord lors de l’interprétation
on a recours à l’adresse du concept que l’on va chercher en mémoire à long terme. Ces adresses
permettent d’avoir accès à l’information contenue dans les concepts en question et elle est organisée
sous forme d’entrées différentes :
l’entrée logique – rassemble des information sur les relations logiques que le concept entretient
avec d’autres concepts (contradiction, implication…)
l’entrée encyclopédique – rassemble toutes les informations dont on dispose sur les objets qui
correspondent au concept
l’entrée lexicale – rassemble les contreparties du concept dans une ou plusieurs langues
naturelles

 Cette approche établit la comparaison entre le fonctionnement de l’esprit humain et celui de l’ordinateur.
Cette métaphore de l’esprit-ordinateur est le commun dénominateur entre les sciences cognitives. Elles
voient toutes la pensée comme un système de transformation de l’information.

L’interprétation de l’énoncé 

 La première interprétation est linguistique et codique et livre la forme logique - une suite ordonnée de
concepts qui correspondent aux composants linguistiques de la phrase :

(Je ne resterai pas longtemps : 1er pers. Sg. Négation, « rester », futur, « longtemps » - Forme logique : Le
locuteur ne restera pas longtemps)

 Pour construire la représentation du monde, on doit refléter correctement les faits – ils doivent être
évaluables en termes de vérité ou fausseté. La forme logique de l’énoncé n’est pas capable d’en fournir,
alors on procède par les processus pragmatiques d’enrichissement de l’énoncé – les explicitations.
 La deuxième interprétation traite ce qui est dit ou manifesté dans l’énoncé. L’explication du premier
ordre se réalise par l’enrichissement de la forme logique de l’énoncé grâce à des processus pragmatiques
de désambiguïsation lexicale, syntaxique et pragmatique (référentielle) : l’énoncé est rendu plus
explicite par l’exploitation d’éléments qui y apparaissent de façon manifeste. On accède à la forme
propositionnelle : elle exprime la pensée dont le locuteur veut faire l’état. Elle est susceptible d’être
évaluée en termes de vérité ou de fausseté.

(Forme logique : Le locuteur ne restera pas longtemps ; Forme propositionnelle : Olivier ne restera pas
longtemps. Attribution d’un référent à je )

 La désambiguïsation lexicale : Je suis quelqu’un d’expérimenté. / Voilà l’homme à la fraise !


 La désambiguïsation syntaxique : La petite brise la glace. / Le vieux garde le livre.
 La désambiguïsation pragmatique (référentielle) – référents adéquats / information liée à la situation de
l’énonciation : Guêpe dans le Cola : elle meurt asphyxiée ! Si une expression renvoie à un référent
unique, elle est employée en usage référentiel : L’auteur de cet article est un homme de bon sens (le
journaliste XY). Elle est en usage attributif quand elle peut renvoyer à une série de référents (un
individu quelconque). Autonomie référentielle : L’auteur du Discours de la méthode est un grand
philosophe.
 Le troisième niveau de l’interprétation – c’est l’explicitation d’ordre supérieur qui se réalise par la prise
en compte de l’attitude propositionnelle du locuteur, de ses états mentaux et de ses intentions au moment
où il parle, ainsi que du but illocutionnaire de l’énoncé : le locuteur peut asserter, ordonner ou
questionner.

(Je ne resterai pas longtemps. Forme logique : Le locuteur ne restera pas longtemps. Forme
propositionnelle : Olivier ne restera pas longtemps. Explicitation d’ordre supérieur : assertion (négative))

 Sperber et Wilson réduisent la classification des actes de langage à deux catégories : les actes de
langages qui doivent être identifiés et reconnus par le locuteur et l’interlocuteur pour être accomplis (les
actes institutionnels – ils relèvent de la sociologie) et les actes de langage qui peuvent être accomplis
sans que leur identification soit nécessaire. Inutile de proposer des classifications complexes – la théorie
de la pertinence se limite à une tripartition des actes de langage – l’assertion (« dire que »), l’injonction
(« dire de ») et l’interrogation (« demander si »). Ces trois actes sont universels, alors que les actes
institutionnels changent suivant les cultures et les langues. S. et W. refusent la correspondance entre la
forme syntaxique de la phrase et l’acte accompli.

(Tu as allumé la télé. / Allume la télé ! / As-tu allumé la télé  ?/ Le train part à 16h. / Tu pars ce soir. Quel
film veux-tu voir ? / Quel inconscient prendrait le volant par ce temps ? Vas-y dépasse –le ! / Vas-y,
marche-moi sur les pieds !)

 Le quatrième niveau de l’interprétation comprend les prémisses implicitées ou implicitations de


l’énoncé. Elles relèvent de ce qui est communiqué par l’énoncé. Les prémisses correspondent à
l’ensemble des hypothèses qu’il est nécessaire de poser pour obtenir de l’énoncé une interprétation
cohérente et pertinente.
 Les concepts livrés par la forme logique et la forme propositionnelle donnent accès à des informations
qui forment certaines des prémisses qui vont servir de base aux processus inférentiels d’interprétations
de l’énoncé : ces premières prémisses renvoient aux connaissances encyclopédiques. Lorsqu’une
connaissance est commune, elle est appelée savoir partagé général et si elle est commune à quelques
individus, elle est appelée savoir partagé particulier.

(Tu veux un whiskey ? / L’alcool est mauvais pour la santé. Tu veux boire une tisane  ? / Non, je n’aime pas la
camomille.)

 Les prémisses supplémentaires sont tirées de la situation de la communication, de l’interprétation des


énoncés précédents ou constituées par l’énonciation elle-même (les connaissances encyclopédiques
peuvent aussi servir de prémisses supplémentaires). Elles composent le contexte de l’énoncé. Chaque
individu ayant son propre environnement cognitif doit faire la sélection des faits dont il a besoin.

(Tu veux un whiskey ? / Attention ! Jacques pourrait t’entendre.)

 Le principe de pertinence sert à borner le contexte : ne sont retenus que les informations qui ont le plus
de chance de produire un effet suffisant pour un effort raisonnable, qui sont susceptibles de produire un
effet important ou qui sont les plus accessibles.
 L’environnement cognitif mutuel déclenche le principe de manifesteté mutuelle. Ainsi fonctionnent des
énoncés à caractère humoristique.

(Qui est la compagne d’un canard aveugle ? / Une cane blanche.)

 Le cinquième niveau de l’interprétation ce sont les conclusions implicitées ou implications contextuelles


de l’énoncé. L’énoncé après avoir été enrichi par les explicitations, et une fois posées les prémisses
implicitées liées au processus inférentiel d’interprétation – il est possible d’inférer, c’est-à-dire de passer
des prémisses à la conclusion. Après l’interprétation linguistique l’énoncé subit une interprétation
pragmatique et inférentielle : ce raisonnement déductif amène à la conclusion implicitée ou implication
contextuelle. Elle représente l’acquisition d’une nouvelle information tirée de l’interprétation de
l’énoncé face au contexte (ni du seul énoncé, ni du seul contexte). Il peut y avoir plusieurs

(Tu veux une mousse au chocolat  ? Non, je ne veux pas de dessert./Je ne veux pas de mousse au chocolat.)

 Ces conclusions fournissent à l’interlocuteur les nouvelles informations pour améliorer ou compléter sa
représentation du monde.
 Explicitations et implicitations relèvent toutes deux du processus d’interprétation pragmatique –
contrairement à Grice pour qui la frontière entre les processus linguistiques et processus pragmatiques
correspond strictement à ce qui est dit et ce qui est communiqué.

 Les cas d’échec de la communication – le locuteur livre une information fausse (Le soleil tourne autour
de la terre.), le locuteur fonde son raisonnement sur une prémisse fausse ou inadéquate (La télé
m’endort. / Alors, je l’éteins.), le locuteur produit un énoncé ambigu involontairement (Je traduis un
livre sur la restauration.), le locuteur peut produire délibérément un énoncé ambigu (Achète-moi deux
chemises ! Quelle est ta taille ?) et le locuteur peut mentir. Alors il peut mentir au niveau de
l’explicitation d’ordre supérieur (Je suis malade./Monsieur le Directeur est en réunion.) ou au niveau
des prémisses (Martine est chez elle : la lumière est allumée dans le salon.)

Martine Bracops, Introduction à la pragmatique, p. 114

A analyser :

 Je veux une nouvelle cuisine.


 Une cuisine ? Equipée ?
 Qui paie ? Ben, c’est toi qui paies !

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