DOI: 10.

1051/odf/2011102 Rev Orthop Dento Faciale 2011;45:9-14

© Revue d’O.D.F.

Pierre Fauchard,
sa vie, son œuvre

Xavier DELTOMBE

RÉSUMÉ

Pierre Fauchard (1678-1761) est connu comme le père de la chirurgie

dentaire. Cette partie de la médecine n’a pas échappé aux progrès scien-
tifiques du siècle des Lumières. Une relecture de son ouvrage, Le Chirurgien
dentiste, les publications récentes sur les praticiens du 18e siècle, et la
découverte de nouveaux documents permettent de mieux comprendre
l’homme, le clinicien et le scientifique dans son siècle.

MOTS-CLÉS

Pierre Fauchard

« Le Chirurgien dentiste »

Grand-Mesnil

Orthodontie

Histoire de la médecine.

Adresse de correspondance : Conflits d'intérêts déclarés par l'auteur : AUCUN

X. DELTOMBE, Article reçu : 7-2010.
39, avenue Georges-Henri Rivière, Accepté pour publication : 10-2010.
35000 Rennes.
xdeltombe@orange.fr 9
Article disponible sur le site http://odf.edpsciences.org ou http://dx.doi.org/10.1051/odf/2011102
 XAVIER DELTOMBE
INTRODUCTION
Le nom de Pierre Fauchard n’est pas
inconnu des praticiens de la médecine den-
taire, qui ont, bien souvent, suivi des cours
dans un amphithéâtre portant ce nom. Celui
que l’on nomme le père de la dentisterie, a
révolutionné le monde de la médecine en
publiant en 1728 un ouvrage au nom évoca-
teur : Le Chirurgien dentiste1. Ce mot com-
posé est d’une telle évidence que l’on n’ima-
gine pas qu’il ait fallu un jour le créer... Du
titre de son ouvrage jusqu’à la dernière des
900 pages, il n’y a que réflexion scientifique,
observation, sens clinique et précision des
mots. Prévention, anatomie, chirurgie, ortho-
pédie dento-faciale, soins de la bouche et
des dents sont autant de domaines peu ou
pas étudiés jusqu’alors, et qui vont l’être par
un grand clinicien et grand scientifique du
L’ORIGINE DE PIERRE FAUCHARD
Le nom de famille Fauchard est spécifi-
quement breton, dans cette partie orientale
appelée haute Bretagne, partie romane ou
gallesante de la Bretagne. Au 18e siècle, la
langue est le gallo, la langue d’oïl spécifique
de la haute Bretagne. Pierre Fauchard n’a
rien dit de ses origines ni de sa famille.
Parlait-il le gallo, c’est possible, puisqu’il ne
monte à Paris qu’à l’âge adulte, en 1719.
UN PRATICIEN CURIEUX ET BIEN FORMÉ
Né en 1677 ou 1678, décédé à 83 ans le
21 mars 1761 à Paris, il se forme2 auprès
d’un chirurgien major des Vaisseaux du Roi,
Alexandre Poteleret : «très expérimenté
dans les maladies de la bouche. Je lui dois
les premières teintures des connaissances
que j’ai acquises dans la chirurgie que
10
siècle des lumières. «J’ai pris grand soin de
n’avancer rien dans ce traité, que ce que j’ai
exactement vérifié par la pratique... Je me
suis abstenu à hasarder des conjectures
vagues sur des choses qui ne sont pas enco-
re suffisamment connues».
Travailleur infatigable, pédagogue et
humble scientifique, il conclut son ouvrage
par ces mots : «je souhaite que ceux qui me
succéderont, travaillent encore avec plus de
succès sur cette matière».
Ce sont autant de raisons de l’intérêt
porté à cet homme, dans le monde entier,
particulièrement par les historiens de la
médecine, mais aussi par les Académies et
les Universités qui ont compris l’importance
de l’enseignement de l’histoire de la méde-
cine.
Les différentes biographies de Pierre
Fauchard, exceptée celle de Georges
Dagen, en 1961, sont le plus souvent le
fruit de l’imagination d’auteurs à la
recherche d’une vie romancée : il s’agit
d’une forme de littérature, parfois fort sym-
pathique, mais bien irréelle : Fauchard den-
tiste de Louis XIV, alors qu’il ne monte à
Paris que 4 ans après la mort du Roi...
j’exerce ; et les progrès que je fis avec cet
habile homme me donnèrent l’émulation
qui m’a conduit dans la suite à des décou-
vertes plus considérables...».
Bien formé, infatigable, doué d’un sens
clinique remarquable, Fauchard développe
rapidement une activité professionnelle
Deltombe X. Pierre Fauchard, sa vie, son œuvre.
 PIERRE FAUCHARD, SA VIE, SON ŒUVRE

auprès d’une population entre Angers,

Rennes, Tours et Nantes. Tous les détails
de ses observations de soins donnés à des
malades permettent de suivre son exercice
en province, jusqu’à son installation à Paris
en 1719, à 41ans. Vingt-trois années d’ex-
périences et d’observations justifient une
rapide réputation dans la capitale, après son
installation rue des Fossés Saint-Germain-
des-Prés, puis rue des Cordeliers en 1747.

UN BON PÈRE DE FAMILLE

Il se mariera trois fois, sera veuf deux
fois. La belle-famille de sa deuxième femme
vit dans et par le théâtre, à commencer
par son beau-père Pierre-Jean Duchemin,

Figure 1
Pierre Fauchard. Portrait inédit (Coll. privée).

acteur de la Comédie-Française ; à l’excep-

Figure 2
Pierre-Jean Duchemin, beau-père de
Pierre Fauchard, acteur et sociétaire de
la Comédie française. (Coll. privée).
tion du fils de ce dernier, Laurent-Tugdual (la
famille est bretonne), qui sera l’un de ses
associés professionnels, comme Antoine
Leroux de la Fondée, ou Pierre Gaulard.
Le seul fils de Pierre Fauchard, Jean-
Baptiste, né en 1737 sera avocat, puis
deviendra l’un des plus talentueux acteurs
de la Comédie-Française. Il y a, dans les
lettres de Pierre Fauchard, récemment
découvertes, une certaine déception de ne
pas voir son cher fils prendre la suite pater-
nelle.
Suffisamment aisé, il achète un domai-
ne, le manoir de Grand-Ménil à l’ouest de
Paris, en bordure des chasses royales, qui

Rev Orthop Dento Faciale 2011;45:9-14. 11

 XAVIER DELTOMBE

avait abrité les amours de François Ier et de nom d’acteur de son fils devint Fauchard de
la duchesse d’Etampes. C’est ainsi que le Grand-Mesnil.

Figure 3
Lettre de Pierre Fauchard à son fils Jean Baptiste.

Figure 4
« allez mon fils, souvenez vous que celui qui cour deux lièvres n’en a souvent pas un. »

LA CHIRURGIE DENTAIRE AU 18e SIÈCLE

ET LE RÔLE DE PIERRE FAUCHARD
C’est petit à petit et surtout vers la fin du
18e siècle3-5,10,11 que naissent dans les
villes de province, de nouvelles catégories
de praticiens diplômés, ayant un bagage
théorique et technique suffisant par rapport
aux connaissances de la science à cette
époque. Ces praticiens sont donc reconnus
professionnellement, mais aussi sociale-

12 Deltombe X. Pierre Fauchard, sa vie, son œuvre.

 PIERRE FAUCHARD, SA VIE, SON ŒUVRE
ment, ce qui les différencie des « opéra-
teurs » qui ne sont pas « experts », et des
marchands d’orviétan à but thérapeutique
dentaire6-9.
La publication de l’ouvrage Le Chirurgien
dentiste, ou Traité des dents, en 1728, fut
salué comme un événement professionnel
médical majeur. Les rééditions améliorées
de 1746 et 1786, la traduction de cet ouvra-
ge en allemand en 1733, et les remarques
des contemporains de Fauchard prouvent le
succès de son ouvrage. Lecluze, Bourdet,
Jourdain et surtout Bunon le considèrent
comme un grand maître, au point qu’il ne
manque pas de témoigner dans son livre de
sa «sensible reconnaissance». Le caractère
LE CHIRURGIEN DENTISTE, OU TRAITÉ DES DENTS
Les premiers chapitres abordent l’anato-
mie des dents, l’hygiène, les pathologies
dentaires et gingivales, l’ergonomie pour la
pratique des soins (tome 1, chapitre 1 à 23) ;
viennent ensuite les observations cliniques
sur 20 ans d’exercice (chapitre 24 à 38) ; les
techniques opératoires de soins (tome 2,
chapitre 1 à 7), l’orthodontie et la chirurgie
(chapitre 8 à 12), les techniques prothétiques
(chapitre 13 à 26). Fauchard modifie de nom-
breux instruments et en crée de nouveaux ;
il décrit l’instrumentation pour la confection
des dents artificielles, pour l’intrados des
prothèses, les matériaux utilisés pour la
confection des dents artificielles (les dents
en porcelaine datent de 1790). Pierre
Fauchard décrit avec précision les tech-
niques de prothèse adjointe partielle, de pro-
thèse complète ; l’or, l’argent, l’os sont utili-
sés, les techniques de plaques, de ressorts,
de tenons et mortaises sont décrites avec un
luxe de détails illustrés par de nombreuses
Rev Orthop Dento Faciale 2011;45:9-14.
archaïque de l’enseignement de la médeci-
ne à l’aube du 18e siècle contrastait avec
l’essor naissant d’une évolution intellectuel-
le qui devait faire de cette période une des
plus brillantes de l’histoire.
Au moment où les facultés et collèges
de médecine sortaient à peine d’un ensei-
gnement médiéval, que les chirurgiens se
démarquaient péniblement des médecins,
et trois ans avant la création de l’Académie
de chirurgie, un homme définit le terme chi-
rurgien-dentiste, et publie en 1728 un
ouvrage complet, fruit d’une grande
réflexion, après 20 ans d’observations cli-
niques. Cet ouvrage sera la référence pen-
dant plus d’un siècle.
planches. L’émaillage des prothèses amélio-
rant l’esthétique des dentiers est une inno-
vation majeure de Fauchard (page 290,
planche 37) en travaillant avec les meilleurs
émailleurs de la capitale. Il décrit une tech-
nique extrêmement actuelle de traitement
de racine (parage canalaire et obturation).
Il décrit avec 200 ans d’avance la triade
d’équilibre de Housset (1959) : sustentation,
stabilisation, rétention.
Il apporte, tout au long de son ouvrage
une attention particulière à l’ergonomie vis-à-
vis du patient et de l’instrumentation utilisée.
Au début du siècle des Lumières, un
homme a inventé avec lucidité une branche
de la médecine et l’a appelée d’un nom nou-
veau : la chirurgie-dentaire. Il lui a consacré
toute sa vie, son intelligence intuitive et pra-
tique ; son sens de la pédagogie a fait le
reste à travers son ouvrage, trois fois modi-
fié et augmenté.
13
 XAVIER DELTOMBE

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