Vous êtes sur la page 1sur 50

UNIVERSITÉ D’ORLÉANS

2020-2021

LICENCE 1 - SEMESTRE 2

HISTOIRE MÉDIÉVALE
LE HAUT MOYEN ÂGE (476-888)

Bréviaire d’Alaric
Manuscrit copié vers 803-814 dans la vallée de Loire
Paris, BNF, lat. 4404, f. 197v

COURS MAGISTRAUX : CHANTAL SENSÉBY


TRAVAUX DIRIGÉS : GILLES LEMARQUAND
SOMMAIRE

Bibliographie p. 2-3
Cartes générales p. 4-5
Schémas généalogiques p. 6-7
Glossaire p. 8-11
Conseils méthodologiques p. 12-13

I-Introduction 
1. Un festin au Palais-du-Cerf p. 14
2. Rétablissement de la paix entre Gontran et Childebert p. 14
4. Un festin champêtre organisé par Judith p. 15
5. Le repas de Radegonde avec Clothaire p. 15
II- Une nouvelle carte de l’Europe (fin Ve-début VIe s.)
1. L’ivoire Barberini p. 16
2. La tombe de Childéric p. 17
3. Le récit du baptême de Clovis par Grégoire de Tours p. 18
4. Le règne de Reccarède par Isidore de Séville p. 19
III- L’exercice du pouvoir dans la Gaule mérovingienne
1. Éloge du roi Chilpéric par Venance Fortunat p. 20
2. La mort de Chilpéric par Grégoire de Tours p. 21
3. Didier, évêque de Cahors p. 22-23
IV- La diffusion et l’affirmation du christianisme
1. Extraits du concile d’Orléans (541) p. 24
2. Pérégrination de saint Colomban p. 25-26
3. Instructions de Grégoire Ier pour l’évangélisation de l’Angleterre p. 27
4. Trésors et reliques p. 28
V- L’Empire carolingien. Formation et organisation
1. Le sacre de Pépin p. 29
2. Portrait de Charlemagne par Éginhard p. 30-31
3. Aix-la-Chapelle p. 31-32
4. Admonition de Louis le Pieux aux ordres de l’Empire p. 32
VI- L’Église carolingienne
1. Épitaphe du pape Hadrien p. 33
2. Le concile de Tours (813) p. 34-35
3. La réforme monastique de Benoît d’Aniane p. 36
4. Privilège d’immunité pour Corbie p. 37
VII- La Renaissance carolingienne. Idéologie et culture
1. Extraits de l’Admonitio Generalis p. 38
2. Extraits du testament d’Évrard de Frioul p. 39
3. Le palais d’Ingelheim p. 40-41
4. Manuscrits et images de la royauté carolingienne p. 42-43
VIII- La Francie de 840 à 888
1. Serments de Strasbourg p. 44
2. Conseils de Dhuoda à son fils Guillaume p. 45
3. Les Carolingiens face aux Normands p. 46
4. L’éclatement de l’empire d’après Réginon de Prüm p. 47
Postérité du haut Moyen Âge
1. A. Maignan, Hommage à Clovis II p. 48
2. C. Von Steuben, La Bataille de Poitiers p. 48
3. C. et L. Rochet, Charlemagne et ses leudes p. 49
4. L’œuvre de Charlemagne p. 49

1
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

Dictionnaires et instruments de travail


- Oliver Guyotjeannin, Les sources de l’histoire médiévale, Paris, Livre de Poche, 1998.
- François-Olivier Touati, Vocabulaire historique du Moyen Âge, Paris, La Boutique de l’Histoire,
2002.
- Georges Duby (dir.), Atlas historique, Paris, Larousse, 1978.
- Michel Balard, Bruno Laurioux, Régine Le Jan, Dictionnaire de la France médiévale, Paris,
Hachette Carré Histoire, 2003.
- Jacques Le Goff, Jean-Claude Schmitt (dir.), Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Paris,
Fayard, 1999.
- André Vauchez (dir.), Dictionnaire Encyclopédique du Moyen Âge, 2 vol., Paris, Le Cerf, 1997.
- Claude Gauvard, Alain De Libera, Michel Zink (dir.), Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, PUF, 2002.
- Pierre Riché, Dictionnaire des Francs, t. 1 : Les Mérovingiens, Paris, 1996 et t. 2 : Les Carolingiens,
Paris, 1997.
- Noëlle Deflou-Leca, Alain Dubreucq (dir.), Sociétés en Europe (mi VIe – fin IXe siècle), Paris,
Atlante (Clefs Concours), 2003.

Sources
* Analyse des sources
- Olivier Guyotjeannin, Les sources de l’histoire médiévale, Paris, Le Livre de Poche, 1998.
- Bernard Merdrignac, André Chédeville, Les sciences annexes en histoire du Moyen Âge, Rennes,
Presses Universitaires de Rennes, 1998.
- Régine Le Jan, La société du haut Moyen Âge, Paris, A. Colin, 2003 (chapitre 1, Les sources).
- Claude Gauvard, La France au Moyen Âge du Ve au XVe siècle, Paris, PUF, 1999 (encadrés).
* Recueils de sources
- Olivier Guyotjeannin, Archives de l’Occident. Le Moyen Âge Ve-XVe siècle, Paris, Fayard, 1992.
- Ghislain Brunel et Élisabeth Lalou (dir.), Sources de l’histoire médiévale (IXe-milieu du XIVe siècle),
Paris, Larousse, 1992.
- François Bougard (dir), Le christianisme en Occident du début du VII e au milieu du XIe siècle, Paris,
SEDES, 1997.
- Anne Wagner (dir.), Les saints et l’histoire. Sources hagiographiques du haut Moyen Âge, Rosny-
sous-Bois, Bréal, 2004.
- Cécile Treffort, Paroles inscrites. À la découverte des sources épigraphiques latines du Moyen Âge
(VIIIe-XIIIe siècles), Rosny-sous-Bois, Bréal, 2008.
- Laurent Feller et Bruno Judic, Les sociétés du haut Moyen Âge en Occident, Paris, 2010.

Manuels
* Manuels de base 
- Sylvie Joye, L’Europe barbare 476-714, Paris, A. Colin, 2015 (2e éd.).
- Geneviève Bührer-Thierry, L’Europe carolingienne 714-888, Paris, A. Colin, 2015 (3e éd.).
* Approches régionales 
- Régine Le Jan, Histoire de la France médiévale, t. 1 : Des origines à 1180, Paris, Hachette, 2012 (4e
éd).
- Claude Gauvard, La France au Moyen Âge du Ve au XVe siècle, Paris, PUF, 2010 (rééd.)
- Geneviève Bührer-Thierry, Charles Mériaux, 481-888. La France avant la France, Paris, Belin
(Histoire de France, 1), 2010.
- Régine Le Jan, Les Mérovingiens, Paris, PUF, 2011 (2e éd.).
- Jean-Pierre Delumeau, Isabelle Heullant-Donat, L’Italie au Moyen Âge (Ve-XVe siècles), Paris,
Hachette, 2000.
- Denis Menjot, Les Espagnes médiévales, 409-1474, Paris, Hachette, 1996.
- Michel Parisse, Allemagne et Empire au Moyen Âge, Paris, Hachette, 2002.

2
* Approches thématiques
- Régine Le Jan, La société du haut Moyen Âge, Paris, A. Colin, 2003
- Philippe Depreux, Les sociétés occidentales du milieu du VI e siècle à la fin du IXe siècle, Rennes,
PUR, 2002.
- Jean-Robert Armogathe, Pascal Montaubin, Michel-Yves Perrin (dir.), Histoire du christianisme, des
origines au XVe siècle, 2 vol., Paris, PUF, 2010.
- François Bougard (dir), Le christianisme en Occident du début du VII e au milieu du XIe siècle, Paris,
SEDES, 1997.
- Laurent Feller, Église et société en Occident VIIe-XIe siècles, A. Colin, 2004.
- Anne-Marie Helvétius, Jean-Michel Matz, Église et société au Moyen Âge, Ve-XVe siècles, Paris,
Hachette, 2014 (2e éd.).
- Laurent Feller, Paysans et seigneurs au Moyen Age VIIIe-XVe, Paris, A. Colin, 2007
- Jean-Pierre Devroey, Économie rurale et société dans l’Europe franque (VIe-IXe), Paris, Belin, 2003.
- Isabelle Catteddu, Archéologie médiévale en France. Le premier Moyen Âge (V e-XIe siècles), Paris,
La Découverte, 2009.
- Philippe Contamine (dir.), Histoire de la France politique 1. Le Moyen Âge. Le roi, l’Église, les
grands, le peuple 481-1514, Paris, Le Seuil, 2002.
- Olivier Guillot, Alain Rigaudière, Yves Sassier, Pouvoirs et institutions dans la France médiévale,
t. 1 : des origines à l’époque féodale, Paris, A. Colin, 1996.
- Magali Coumert, Bruno Dumézil, Les royaumes barbares en Occident, Paris, PUF, 2010.
- Dominique Barthélémy, La féodalité. De Charlemagne à la guerre de Cent ans, Paris, La
Documentation française, 2013.
- Janet Nelson, Charles le Chauve, Paris, Aubier, 1994.
- Michel Banniard, Genèse culturelle de l’Europe, Paris, Le Seuil, 1989.
- Michel Sot, Jean-Patrice Boudet, Anita Guerreau-Jalabert, Histoire culturelle de la France, t. 1 : Le
Moyen Âge, Paris, Le Seuil, 2005.
- Rome et les Barbares. La naissance d’un nouveau monde, Palazzo Grassi – Skira, Venise, 2008.
- Trésors carolingiens. Livres manuscrits de Charlemagne à Charles le Chauve, Catalogue
d’exposition, Marie-Pierre Laffitte, Charlotte Denoël, Marianne Besseyre (dir.), Paris, 2007.
- Patrick Geary, Quand les nations refont l’Histoire. L’invention des origines médiévales de l’Europe,
Paris, 2004.

Ressources complémentaires
* Sur internet 
- Persée : http://www.persee.fr/web/revues/home : portail de revues de sciences humaines et sociales
en accès libre : voir notamment la revue Médiévales, les Actes des Congrès de la Société des
Historiens Médiévistes de l’Enseignement Supérieur Public...
- Ménestrel : http://www.menestrel.fr/ : réseau documentaire consacré au Moyen Age (présente les
lieux et les acteurs de la recherche, les bibliothèques, des ressources thématiques)
- Trésors carolingiens : http://expositions.bnf.fr/carolingiens/index.htm: exposition virtuelle de la
BNF
* Quelques revues récentes 
- « Le renouveau carolingien (730-980) », L’Archéo-thema, n° 8, mai-juin 2010.
- « Aux origines du Moyen Âge (Ve-XIe siècle). À la découverte des sociétés rurales », Dossiers
d’Archéologie, n° 344, mars-avril 2011.
- « Le baptême de Clovis », Religion et histoire, n° 41, novembre-décembre 2011.
- « Charlemagne. Les habits neufs de l’empereur », L’Histoire, n° 406, décembre 2014.

N’oubliez pas que les références indiquant la provenance de chaque texte peuvent vous donner
des pistes bibliographiques plus précises...
Des compléments bibliographiques (ouvrages et articles spécialisés) seront donnés en TD.

3
CARTES

Référence : R. Le Jan, Origines et premier essor, 480-1180, Paris, 2007 (3e éd), p. 29.

4
Référence : C. Bonnet et C. Descatoire, Les Carolingiens (714-987), Paris, 2001, p. 6.

5
SCHÉMAS GÉNÉALOGIQUES

1. Les Mérovingiens

6
2. Les Carolingiens

Référence : G. Bührer-Thierry, C. Mériaux,


481-888. La France avant la France, Paris, 2010 p. 158, 262, 636.

7
GLOSSAIRE

Alleu : terre possédée en toute propriété, c’est-à-dire ne dépendant pas d’un seigneur (par opposition à
la tenure) ; celui qui possède un alleu est un alleutier.
Antrustion : membre de la truste d’un souverain.
Aprision : en Septimanie ou dans la marche d’Espagne, terre à défricher remise en bénéfice par le roi
à des réfugiés de l’Espagne musulmane, dont ils seront propriétaires alleutiers au bout de trente ans.
Archevêque : dignité ecclésiastique personnelle puis liée à un siège particulier, elle se généralise au
VIIIe siècle. L’archevêque dirige une province ecclésiastique qui regroupe plusieurs diocèses voisins
dont les évêques sont les suffragants.
Avoué : dans le ressort d’une immunité, laïc remplissant les fonctions militaires et judiciaires à la
place des clercs.
Ban : le droit de ban appartient au roi et consiste à pouvoir commander, juger et contraindre les
hommes libres ; le roi le délègue à ses représentants, notamment les comtes.
Baptistère : durant le haut Moyen Âge, édifice particulier où se donne le baptême (par immersion
dans une piscine).
Bénéfice (beneficium) : tout bien dont le propriétaire concède la jouissance à une autre personne, la
plupart du temps en échange d’un service.
Bénéfice ecclésiastique : charge ou dignité ecclésiastique à laquelle se trouve attaché un revenu.
Capitulaire : acte public émanant du roi, divisé en chapitres et qui a force de loi ou de règlement. Il
existe aussi des capitulaires épiscopaux rédigés par les évêques et destinés aux membres du clergé.
Cathédrale : désigne l’église de l’évêque ; durant le haut Moyen Âge occidental, l’évêque et son
clergé utilisent divers bâtiments désignés sous le terme de groupe cathédral (plusieurs églises, un
baptistère, le palais épiscopal, un monastère…).
Chancelier : à partir de l’époque carolingienne, clerc responsable de la chancelerie royale. Vérifie et
expédie les diplômes, y appose le sceau royal. Sous le contrôle de l’archichancelier, un personnage
souvent très influent dans l’entourage royal.
Chapelle : ensemble des ecclésiastiques qui disent l’office pour le roi et la cour. Ils se confondent
souvent avec le personnel de la chancellerie.
Chaser : lorsqu’un seigneur confie une terre en bénéfice à son vassal, on dit qu’il chase ce vassal sur
une terre.
Chanoine : clerc vivant sous une règle particulière (du grec kanôn, « règle »), distincte de celle des
moines par l’absence de clôture ; on distingue au haut Moyen Âge occidental deux catégories de
chanoines :
- les chanoines qui entourent l’évêque pour le service liturgique de la cathédrale ; ils
constituent une communauté appelée le chapitre cathédral qui a part aux revenus de la cathédrale
(mense capitulaire) avec l’évêque (mense épiscopale).
- ceux qui sont groupés en collèges auprès d’églises qui n’ont pas rang de cathédrales et sont
alors nommées collégiales.
Clerc : homme qui a reçu une ordination (voir ordres sacrés), et assume dès lors une fonction
ecclésiastique.
Clergé régulier : hommes d’église vivant selon une règle (moines et chanoines).
Clergé séculier : ensemble des clercs vivant dans le siècle. Les uns appartiennent à un ordre mineur
(portier, lecteur, exorciste, acolyte), les autres à un ordre majeur (sous-diacre, diacre, prêtre, évêque).
Commendatio : acte que fait celui qui se recommande à un plus puissant que lui, en promettant de se
mettre à son service et de lui garder sa fidélité, de manière à en obtenir protection et bienveillance.
Colon : paysan libre dépendant, installé sur une tenure concédée par le maître.
Comte : principal agent de l’administration territoriale, qui exerce les droits du roi, notamment le droit
de ban, par délégation du pouvoir royal, dans une circonscription appelée pagus (ou Gau dans les pays
germaniques).

8
Concile : assemblée d’évêques, abbés et autres responsables ecclésiastiques, souvent convoquée par le
roi ou par le prince et qui décide en matière de dogme et de discipline ecclésiastique  ; les canons des
conciles ont force de lois.
Dîme : en Occident, redevance sur les fruits de la terre versée en principe à l’Église ; son taux n’est
pas toujours égal à un dixième.
Diplôme royal : acte royal confirmant ou concédant des droits à un individu ou à une personne
morale. Jugement royal.
Douaire : donation du mari à sa future épouse.
Droit canonique : du grec kanôn = « règle » ; désigne le droit de l’Église.
Échevin : mis en place par Charlemagne pour aider les comtes à rendre la justice. Les échevins
remplacent alors les rachimbourgs.
Écolâtre : moine ou clerc chargé de diriger l’école d’un monastère ou d’une cathédrale.
Église : du grec ecclesia (assemblée du peuple), désigne l’ensemble des fidèles du Christ ; a pris un
sens plus restreint : l’ensemble des membres du clergé (Église) ; voire un sens monumental : le lieu où
se déroule le culte chrétien (église).
Évêque : étymologiquement, « celui qui surveille » ; a reçu l’ensemble des ordres sacrés et peut à son
tour les conférer ; responsable d’un diocèse dont il dirige la vie religieuse.
Excommunication : sanction qui exclut le fidèle (clerc ou laïc) de la communauté des croyants et le
prive notamment des sacrements et de la sépulture en terre chrétienne.
Exemption : privilège libérant un monastère ou un ordre monastique de la juridiction de l’évêque.
Faide : à l’époque mérovingienne, système de la vengeance, pratiqué par les grandes familles de
l’aristocratie.
Fisc : ensemble des domaines et revenus royaux. Ce terme désigne souvent les biens fonciers, en
particulier les domaines et les palais.
Foedus : traité signé entre Rome et un autre peuple, qui est alors « fédéré ».
Gîte : obligation de loger et de nourrir le roi, puis par extension le prince et le seigneur.
Hagiographie : tout récit racontant les hauts faits de la vie, de la mort en martyr et des miracles des
saints.
Hérésie : du terme grec « je choisis » ; opinion personnelle émise au sein de l’Église par des clercs ou
des laïcs et condamnée par elle comme incompatible avec ses dogmes.
Heures : prières récitées régulièrement au fil des heures de la journée dans les communautés
religieuses de tous les ordres et les chapitres de chanoines. Les fidèles peuvent s’y associer dans les
églises, lors des offices (au cours desquels il n’y a pas de consécration eucharistique, à la différence de
la messe).
Honor (pl. honores) : charge publique concédée par le roi, qui comprend à la fois délégation de
pouvoir et ensemble des revenus attachés à cette délégation, au titre de sa rétribution (ex : comté,
marche, evêché, abbatiat laïque...)
Immunité : privilège accordé par le roi interdisant aux agents royaux d’exercer leurs prérogatives sur
un territoire. Les terres immunistes sont le plus souvent des monastères ou des églises.
Investiture : mise en possession d’une charge civile ou ecclésiastique.
Leudes : nobles liés au roi mérovingien par un serment de fidélité.
Lignage : groupement de parenté, qui s’organise progressivement au Moyen Âge autour de la
transmission directe d’un honneur familial.
Limes : zone frontière ponctuée de points de surveillance fortifiés, située aux limites de l’empire
romain, au point de contact avec les barbares.
Maire du palais : à l’origine, responsable de la gestion des domaines royaux, puis, à partir du VII e
siècle, personnage très influent à la cour, qui devient le principal personnage du royaume après le roi.
Mallus : tribunal du comte, où les hommes libres doivent se rendre périodiquement.
Manse : unité d’exploitation familiale, de taille variable. C’est aussi une unité foncière qui sert de
base aux prélèvements domaniaux.

9
Marche : à l’époque carolingienne, vaste circonscription territoriale destinée à protéger une frontière.
Elle regroupe souvent plusieurs comtés sous l’autorité d’un « comte de la marche » (marchio).
Mense abbatiale : partie des revenus monastiques attribuée à l’abbé.
Mense conventuelle : partie des revenus monastiques réservée aux moines.
Ministerial (pl : ministériaux) : agent seigneurial ayant une fonction de police ou d’administration.
Missi dominici : représentants du roi, envoyés en tournée d’inspection dans des circonscriptions
appelées missatica dans la partie centrale de l’Empire.
Moines : étymologiquement, « solitaires » : les moines sont des personnes qui vivent retirées du
monde. On distingue les cénobites, qui vivent en communauté, et les ermites, qui vivent seuls. Au
haut Moyen Âge, les moines vivent en communauté, dans un monastère, selon une règle et sous
l’autorité d’un abbé ou d’une abbesse. Ils suivent en grande majorité la règle bénédictine, qui impose
trois vœux : renoncement au monde ou conversion des mœurs (pauvreté personnelle ; chasteté…),
obéissance au supérieur et stabilité (demeurer dans la communauté où ils s’engagent).
Ordalie : jugement de Dieu. Elle consiste à prendre Dieu à témoin de la bonne foi de l’accusé par
différents procédés : le duel judiciaire, l’épreuve du chaudron ou du fer chauffé à blanc... Ce type de
preuve n’était cependant requis que dans des cas d’accusation précis, comme l’adultère ou la haute
trahison, lorsqu’on ne pouvait pas trouver d’autre preuve.
Ordres sacrés : ordres mineurs (portier, lecteur, exorciste, acolyte) et majeurs (sous-diacre, diacre,
prêtre, évêque).
Orthodoxie : « opinion droite », par opposition à l’hérésie (arianisme, nestorianisme,
monophysisme…), définie par les 7 conciles œcuméniques de 325 à 681. NB : L’opposition entre
« catholiques » (« universel » ou « publique ») et « orthodoxes » ne s’affirme qu’à partir du XI e siècle,
(dans le contexte du schisme de 1054 et de la réforme grégorienne).
Ost : désigne l’armée ainsi que le service militaire dû au roi par tous les hommes libres.
Pagus : circonscription d’action du comte.
Pape : évêque de Rome ; bénéficie d’une primauté d’honneur dans l’Église jusqu’à ce que la réforme
grégorienne au XIe siècle en fasse un véritable souverain, chef de l’Église universelle.
Paroisse : cellule ecclésiale dont les fidèles reçoivent les sacrements et la direction spirituelle d’un
centre unique, l’église paroissiale. Dans les tout premiers siècles du Moyen Âge, la paroisse se
confond avec le diocèse ; à partir du IXe siècle, il y a subdivision en unités plus petites.
Plaid : assemblée des hommes libres, avec une fonction judiciaire ou législative. Le plaid peut être
convoqué par le comte à l’échelle de son comté ; le plaid général est convoqué par le roi dans l’une de
ses résidences et peut rassembler plusieurs centaines de grands et plusieurs milliers de guerriers prêts à
partir en expédition.
Polyptyque : description des domaines des grands propriétaires carolingiens, avec inventaire des
réserves et des tenures, des noms des tenanciers et des charges dues par chaque tenure.
Précaire : concession d’une terre en usufruit à vie, moyennant un sens modique. À partir de
Charlemagne, les précaires au nom du roi (precaria verbo regis) sont des concessions de terres
ecclésiastiques aux vassaux royaux.
Rachimbourgs : hommes libres désignés par le comte pour l’assister au tribunal. Ils sont remplacés
par les échevins à partir du règne de Charlemagne.
Référendaire : à l’époque mérovingienne, laïc chargé de la vérification et du scellement des actes
royaux. Remplacé par le chancelier à l’époque carolingienne.
Réserve : partie d’un domaine réservée à l’usage direct du maître et exploitée en faire valoir direct.
Elle s’oppose aux tenures, concédées par le propriétaire à des tenanciers.
Sacre : cérémonie par laquelle le roi reçoit l’onction qui fait de lui un personnage « consacré  », à
l’égal des évêques, choisi par Dieu et donc intouchable. Seuls les évêques ont le pouvoir de sacrer. À
ne pas confondre avec le couronnement.

10
Sacrement : signe visible et efficace de la grâce divine qui marque la vie chrétienne ; la fixation à sept
sacrements n’a été atteinte que progressivement au cours du Moyen Âge occidental :
- le baptême marque l’entrée du fidèle dans la communauté des croyants ; d’abord conféré par
immersion et aux adultes, il a progressivement été conféré par aspersion et aux enfants ;
- la pénitence : sanctionne la réconciliation du pécheur avec Dieu ; son usage connaît au
Moyen Âge occidental une grande évolution, de la pénitence antique à la confession individuelle en
passant par la pénitence tarifée ;
- l’eucharistie : administrée durant la messe, cérémonie qui réactualise le dernier repas pris
par le Christ avec ses disciples et au cours de laquelle les fidèles sont invités à communier au corps
(pain) et au sang (vin) du Christ ;
- l’ordre : confère le pouvoir d’administrer les sacrements et de remplir certaines fonctions
dans l’Église ; n’est pleinement acquis qu’après avoir reçu l’ensemble des ordres sacrés (voir aussi
clerc séculier) ;
- la confirmation : conférée par l’évêque, elle renouvelle l’engagement du baptême pris pour
les enfants par leurs parrains et marraines ;
- le mariage : bénédiction donné par l’Église à l’union des époux (union consensuelle,
indissoluble, monogame et exogame au 7 e degré canon (= 14e degré romain) depuis l’époque
carolingienne ;
- l’extrême-onction : conférée aux malades et mourants.
Seigneur : dans un contrat vassalique, le seigneur est celui qui accepte la fidélité d’un homme libre et
le prend à son service, en échange de l’entretien et de la protection qu’il étend sur lui.
Serf : non-libre ou personne jouissant d’une liberté réduite.
Tonlieu : taxe sur le commerce et les marchandises.
Truste : garde privée des rois mérovingiens, liée au souverain par un serment de fidélité.
Vassal : homme libre qui se met volontairement au service d’un plus puissant en se « recommandant »
à lui, en échange de l’entretien et de la protection.
Viguier : officier chargé d’assister le comte dans son comté.
Wergeld (« le prix de l’homme ») : amende de composition destinée à arrêter la vengeance (faide) de
la famille de la victime. Ce prix est fixé par les différentes lois germaniques en fonction de la qualité
de la personne.

11
L’ANALYSE D’UN TEXTE
CONSEILS MÉTHODOLOGIQUES

La grille d’analyse suivante est un travail préparatoire indispensable à la compréhension d’un


document. Elle doit vous permettre de dégager l’intérêt historique de celui-ci, et donc de formuler une
problématique et des axes d’analyse pour le commentaire écrit ou oral.

I- Autour du texte
* Titre du texte et titre de l’œuvre : bien distinguer le titre du texte (souvent donné par les
historiens, parfois pour orienter la lecture) et le titre de l’œuvre. Les auteurs ne donnaient pas
forcément un titre à leur écrit (on s’en tient pour les désigner à un nom générique).
* Nature du texte : elle dépend du type de source, et oriente l’interprétation du document. Il
faut donc connaître les particularités des différentes sources médiévales.
* Composition du texte : là encore, elle varie en fonction du type de source. Pour certains
actes, on doit recourir à l’analyse diplomatique.
* Auteur du texte : à connaître pour comprendre le sens de ses propos, sa partialité
éventuelle, comparer ses écrits... Des éléments biographiques doivent vous aider à analyser le
document. Dans tous les cas, le texte est porteur d’une représentation de la réalité (il existe un projet
particulier derrière la mise par écrit des faits).
* Date de rédaction : indiquée ou non, et plus ou moins précise. Il faut en tout cas analyser le
contexte de rédaction d’un texte. C’est l’une des pistes d’interprétation majeures, faisant appel aux
connaissances acquises sur la période.
* Edition et traduction du texte : On ne vous demande pas de les analyser mais il ne faut pas
confondre les indications portant sur l’éditeur ou le traducteur du texte avec celles qui concernent
l’auteur. L’édition consiste à établir une version plus ou moins définitive d’un texte à partir de
différents manuscrits. Une traduction (du latin, du grec, de l’arabe, etc) est ensuite proposée.

II- Le contenu du texte


* Vocabulaire et champ lexical : certains termes doivent être définis précisément, parce
qu’ils sont propres aux réalités médiévales (sociales, juridiques, techniques, culturelles...). Il faut donc
bien connaître le vocabulaire de la période étudiée (voir les lexiques du fascicule et des manuels).
* Acteurs : il convient de présenter les personnages qui apparaissent dans le texte (statut
social, fonction, rôle, image que le texte en donne ...).
* Lieux : il faut savoir situer les différents lieux cités dans le texte, et bien connaître la
géographie et les lieux de pouvoir de la période.
* Analyse-Résumé analytique : en vue de dégager les grandes lignes du texte. L’analyse doit
être rapide (quelques phrases), mais complète.

III- L’intérêt du texte


* Mise en perspective : à quels faits sociaux, politiques, économiques, culturels...
caractéristiques de la période étudiée ce document se rapporte-t-il ? Votre commentaire devra les
mettre en avant en partant du document.
* Réception du texte à l’époque de sa rédaction : à qui le texte était-il destiné ? ce texte a-t-
il connu une grande diffusion ? quelle a été sa portée (l’efficacité des propos) ?
* Intérêt du texte pour l’historien : que nous apprend ce texte sur le monde médiéval ? quel
écart peut-on/doit-on supposer entre ce texte (qui reste le discours d’un auteur) et la réalité  ? dans
quelle mesure ce texte est-il original par rapport à d’autres productions contemporaines ?

Ces questions ne sont pas exhaustives mais elles guideront votre réflexion pour élaborer un
commentaire problématisé.

12
LE COMMENTAIRE DE DOCUMENT EN HISTOIRE MÉDIÉVALE
CONSEILS MÉTHODOLOGIQUES

Présentation de l’exercice 
Le commentaire de document est un exercice de réflexion (donc un exercice problématisé) sur
un document qui peut être de nature variée. Il suppose une analyse approfondie du document pour en
dégager les éléments intéressants à développer, dans une présentation comprenant deux ou trois
grandes parties.
Pour dépasser la paraphrase (c’est-à-dire le récit pur et simple du contenu du document), il faut
bien connaître le contexte dans lequel le document a été produit. Ces connaissances générales (et
précises) sur le monde médiéval doivent vous permettre de faire ressortir dans le commentaire les
événements politiques et les faits économiques, sociaux, culturels, etc. dont parle le texte ou le
document.
Quelques questions peuvent guider votre réflexion :
- à quels faits sociaux, politiques, économiques, culturels... caractéristiques de la période
étudiée ce document se rapporte-t-il ?
- quelle est la portée du document à l’époque de sa production ou de sa rédaction ?
- quel est aujourd’hui l’intérêt de ce document pour l’historien ?

L’introduction 
* Dans un premier temps, il faut présenter le document en précisant :
- la nature du document (cf les différents types de sources)
- l’auteur du document, en faisant apparaître les éléments importants de sa biographie qui
permettent de comprendre le document.
- la date et le contexte de production du document.
- le contenu du document en quelques phrases (= « analyse » ou résumé analytique)
* Dans un deuxième temps, on attend la problématique à partir de laquelle vous allez étudier le
document, et le plan que vous allez suivre.
Évitez les lourdeurs (tout d’abord-ensuite-enfin... ; dans une 1e partie- 2e- 3e... ). Privilégiez les
articulations logiques : si votre problématique est bien construite, le plan ne sera pas un simple
catalogue d’idées.

Le développement
Il doit être organisé en deux ou trois grandes parties, elles-mêmes logiquement construites
autour de quelques points. Il vaut mieux éviter de proposer un plan qui suit littéralement le texte (un
suivi linéaire du texte s’apparente souvent à de la paraphrase).
Pour développer chaque idée, vous devez vous appuyer sur le texte, en citant les passages que
vous étudiez (indiquer uniquement les lignes ne suffit pas : vous devez recopier les phrases que vous
expliquez). Ne citez donc pas des passages trop longs. Il faut expliquer les détails.
Il ne faut pas juger les faits ou les éléments, mais les expliquer. Vous pouvez faire des
hypothèses sur certains points, mais vos connaissances doivent vous permettre d’apporter des éléments
de réponse à votre questionnement sur le document.
N’oubliez pas de faire preuve de nuance dans vos affirmations.

La conclusion
Elle doit répondre à la problématique : elle est l’aboutissement de votre réflexion sur le
document.
Elle doit également élargir la réflexion sur le document : par exemple en soulignant l’intérêt du
texte pour l’historien, en faisant des comparaisons avec d’autres documents illustrant votre
problématique, en montrant les limites du document pour analyser le(s) phénomène(s) étudié(s)...

13
I- INTRODUCTION

1. Un festin au Palais-du-Cerf

Au cours du festin donné par le roi Hrothgar en l’honneur de Beowulf et de ses compagnons à
leur arrivée, Beowulf expose sa détermination à tuer l’ogre Grendel.

1 Alors le dispensateur des richesses [Hrothgar] se sentit tout heureux,


vieillard chenu naguère hardi au combat, le prince des Glorieux-Danois
eut confiance en cette aide, le pasteur de ce peuple
décela dans le discours de Beowulf une solide résolution.
5 Ce fut chez les guerriers une explosion de joie, gai vacarme,
propos enjoués. Wealhtheow s’avança,
la royale épouse de Hrothgar, soucieuse de l’étiquette.
La dame parée d’or salua les hommes dans la grand-salle.
Ensuite la noble dame présenta la coupe
10 d’abord au gardien de la terre ancestrale des Danois-de-l’Est,
l’invita à se réjouir au partage de la bière
entouré de l’amitié de son clan. Avec plaisir il prit part
au festin, à la coupe commune en roi assuré de la victoire.
Alors s’avança la gracieuse Helmingienne
15 parmi vétérans et plus jeunes, n’oubliant personne,
elle offrit le calice jusqu’à ce que vint l’heureux moment
où à Beowulf la reine parée d’anneaux,
l’esprit décidé, présenta la coupe d’hydromel.
Elle salua le prince des Gauts, et, s’exprimant avec sagesse,
20 rendit grâces à Dieu de ce que son souhait se réalisait
de pouvoir se fier à quelque preux,
secours contre le mal. Lui, prit sa part de la coupe
en farouche guerrier des mains de Wealhtheow
et proclama son impatience à combattre.

Référence : Beowulf, v. 607-631, éd. et trad. A. Crépin, Paris, 2007, p. 74-77. Voir Alban Gautier, Le
festin dans l’Angleterre anglo-saxonne (Ve-XIe siècle), Rennes, 2006.

2. Rétablissement de la paix entre le roi Gontran et son neveu Childebert

1 Le roi Gontran conclut la paix avec son neveu et les reines ; après s’être donné des cadeaux
réciproques et avoir réglé les affaires publiques, ils festoyèrent ensemble ; le roi Gontran louait
le Seigneur : « Je te rends de très grandes grâces, disait-il, Dieu tout-puissant, toi qui m’as
accordé la faveur de voir les fils de mon fils Childebert. C’est pourquoi je n’ai pas le sentiment
5 d’avoir été complètement abandonné par ta majesté puisque tu m’as accordé de voir les fils de
mon fils ». (...) ? Ainsi, après avoir rendu grâce à Dieu à diverses reprises dans la paix et dans
la joie, puis consigné par écrit leurs pactes, ils se donnèrent des cadeaux et des baisers, puis
chacun retourna dans sa cité.

Référence : Grégoire de Tours, Histoire des Francs (Livre IX, chapitre 11), éd. et trad. R. Latouche,
Paris, 1953, t. 2. Traduit du latin.

14
3. Un festin champêtre organisé par l’impératrice Judith

La scène se déroule après la cérémonie de baptême d’Harald, roi des Danois, qui s’est tenue en
826 à Ingelheim.

1 Non loin de là se trouve une île, qu’enveloppe le cours profond du Rhin, couverte de
fraîches prairies et ombragée de bois. Là abondent les bêtes fauves de toute espèce, dont la
troupe se tapit, immobile, par toute l’étendue de la forêt. César parcourt les champs, monté sur
un rapide coursier, et Wito, muni d’un carquois, chevauche à ses côtés. Un flot d’hommes et de
5 jeunes gens se répand, parmi lesquels galope Lothaire. Les Danois sont également là, et Harald,
l’hôte du roi, contemple le spectacle avec curiosité et enthousiasme. Et voici que monte à
cheval Judith, la très belle épouse de César, magnifiquement parée : en avant d’elle et derrière
elle vont des palatins et une foule de seigneurs, qui lui font escorte par honneur pour le pieux
monarque.
10 (suit la description de la chasse) Maintenant, le vénérable empereur et toute sa suite,
chargés de venaison, s’apprêtent à rentrer. Mais, au milieu des bois, Judith a fait habilement
dresser une loge de verdure : des branches de saule et de buis, dépouillés de leur feuillage, ont
servi à la clore ; des étoffes et des toiles ont été tendues autour et au-dessus. Elle-même prépare
sur le gazon champêtre un siège pour le pieux roi et fait ordonner une collation. Bientôt, les
15 mains lavées, César et sa belle épouse se reposent, l’un près de l’autre, sur des fauteuils dorés.
Le beau Lothaire et Harald, le cher hôte du roi, prennent place à table où le pieux roi les invite.
Le reste des chasseurs s’assied sur l’herbe et tous détentent leurs corps fatigués à l’ombre de la
forêt. Bientôt les serviteurs apportent les chairs rôties des bêtes tuées à la chasse : une venaison
variée couvre la table de l’empereur. La faim tombe ; ils portent les coupes à leurs lèvres, et à
20 son tour la soif est chassée par le doux breuvage : le vin généreux réjouit les cœurs hardis, et
tous regagnent la cour avec entrain. Quand ils y sont rentrés, ils versent encore un vin qui les
réconforte, puis ils se rendent à l’office du soir.

Référence : Ermold le Noir, Poème en l’honneur de Louis le Pieux, Livre IV, vers 2366-2380 et 2416-
2437, éd. et trad. E. Faral, Paris, 1964, p. 180-185. Traduit du latin.

4. Radegonde invitée par Clothaire

Radegonde, invitée par le roi Clothaire à un


banquet, refuse de paraître en vêtements luxueux et
de prendre part au festin car elle a fait vœu de
jeûner.

Référence : Vie de sainte Radegonde.


Poitiers, Médiathèque François-Mitterrand,
ms 250, f. 24 (XIe siècle).

15
II- UNE NOUVELLE CARTE DE L’EUROPE (FIN VE – DÉBUT VIE S.)

1. L’ivoire Barberini

Ivoire réalisé à Constantinople à l’époque de Justinien Ier. Volet d’un diptyque.


Paris, Musée du Louvre, Département des objets d’art. Dimensions : 34,2 x 26,8 cm.

Au dos, une main a gravé, à la fin du VIe ou au début du VIIe siècle, une liste de près de 300
noms, dont celui de plusieurs souverains austrasiens.

16
2. La tombe de Childéric († 481/482)

a- Pièces d’orfèvrerie et accessoires découverts dans la tombe royale de Childéric


(K. Böhner, d’après les dessins de J.-J. Chifflet)

b- Reconstitution c- Pièces conservées


BNF, Dépt. des monnaies, médailles et antiques

Référence : G. Bührer-Thierry, C. Mériaux, 481-888. La France avant la France, Paris, 2010, p. 66-67

17
3. Le récit par Grégoire de Tours du baptême de Clovis

1 La reine ne cessait de prêcher pour qu’il [Clovis] connaisse le vrai Dieu et abandonne les
idoles ; mais elle ne put en aucune manière l’entraîner dans cette croyance jusqu’au jour enfin
où la guerre fut déclenchée contre les Alamans, guerre au cours de laquelle il fut poussé par la
nécessité à confesser ce qu’il avait auparavant refusé de faire volontairement. Il arriva, en effet,
5 que le conflit des deux armées dégénéra en un violent massacre et que l’armée de Clovis fut sur
le point d’être complètement exterminée. Ce que voyant, il éleva les yeux au ciel et, le cœur
plein de componction, ému jusqu’aux larmes, il dit : « Ô Jésus-Christ, que Clotilde proclame
fils du Dieu vivant, toi qui donnes une aide à ceux qui peinent et qui attribues la victoire à ceux
qui espèrent en toi, je sollicite dévotement la gloire de ton assistance ; si tu m’accordes la
10 victoire sur ces ennemis et si j’expérimente la vertu miraculeuse que le peuple voué à ton nom
déclare avoir prouvé qu’elle venait de toi, je croirai en toi et je me ferai baptiser en ton nom.
J’ai, en effet, invoqué mes dieux mais, comme j’en ai fait l’expérience, ils se sont abstenus de
m’aider ; je crois donc qu’ils ne sont doués d’aucune puissance, eux qui ne viennent pas au
secours de leurs serviteurs. C’est toi que j’invoque maintenant, c’est en toi que je désire croire,
15 pourvu que je sois arraché à mes adversaires ». Comme il disait ces mots, les Alamans tournant
le dos commencèrent à prendre la fuite. Lorsqu’ils virent leur roi tué, ils firent leur soumission
à Clovis disant : « Ne laisse pas, de grâce, périr davantage le peuple, nous sommes à toi
désormais ». Et lui, ayant ainsi arrêté la guerre et harangué son peuple, la paix faite, rentra et
raconta à la reine comment, en invoquant le nom du Christ, il avait mérité la victoire. Ceci
20 s’accomplit la quinzième année de son règne.
Alors, la reine fait venir en cachette saint Rémi, évêque de la ville de Reims, en le priant de
faire croître chez le roi « la parole du salut » (Actes 13, 26). Le pontife l’ayant fait venir en
secret, commence par faire naître en lui qu’il devait croire au vrai Dieu, créateur du ciel et de la
terre et abandonner les idoles, qui ne peuvent lui être utiles, ni à lui, ni aux autres. Mais ce
25 dernier dit : « Je t’ai écouté volontiers, très saint Père, toutefois, il reste une chose ; c’est que le
peuple qui me suit ne veut pas délaisser ses dieux ; mais je m’en vais l’entretenir conformément
à ta parole ». Il se rendit donc au milieu des siens, et, avant même qu’il eût pris la parole, la
puissance de Dieu l’ayant devancé, tout le peuple s’écria en même temps : « Les dieux mortels,
nous les rejetons, pieux roi, et c’est le Dieu immortel que prêche Rémi que nous sommes prêts
30 à suivre. » Ces nouvelles sont portées au prélat qui, rempli d’une grande joie, fit préparer la
piscine. Les rues sont ombragées de tentures de couleur, les églises ornées de courtines
blanches ; le baptistère est apprêté, des parfums sont répandus, des cierges odoriférants
brillent ; tout le temple du baptistère est imprégné d’une odeur divine et Dieu y comble les
assistants d’une telle grâce qu’ils se croient transportés au milieu des parfums du Paradis. Ce
35 fut le roi qui, le premier, demanda à être baptisé par le pontife. Il s’avance, nouveau Constantin,
vers la piscine, pour effacer la maladie d’une vieille lèpre et pour effacer avec une eau fraîche
les sordides taches anciennement acquises. Lorsqu’il y fut entré pour le baptême, le saint de
Dieu l’interpella d’une voix éloquente en ces termes : « Courbe la tête, ô Sicambre, adore ce
que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré ».
40 Saint Rémi était un évêque d’une science remarquable et qui s’était tout d’abord imprégné
de la science de la rhétorique, mais il était aussi tellement distingué par sa sainteté, qu’il égalait
Silvestre par ses miracles. Il existe d’ailleurs de nos jours un livre de sa vie qui raconte
comment il a ressuscité un mort. Ainsi donc, le roi, ayant confessé le Dieu tout puissant dans sa
Trinité, fut baptisé au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit et oint du saint Chrême avec le
45 signe de la croix du Christ. Plus de trois mille hommes de son armée furent également baptisés.

Référence : Grégoire de Tours, Histoire des Francs, Livre II, chap. 30, éd. et trad. R. Latouche, Paris,
1953, t. 1, p. 177 et suivantes. (Traduction corrigée par P. Bourgain et M. Heinzelmann, « ‘Courbe-toi,
fier Sicambre, adore ceque tu as brûlé’. À propos de Grégoire de Tours, Hist., II, 31 », Bibliothèque de
l’École des Chartes, 154 (1996), p. 591-606). Traduit du latin.

18
4. Le règne de Reccarède (586-601) par Isidore de Séville

1 An 624 de l’ère, an 3 de l’empereur Maurice [586]. À la mort de Leovigild, la couronne


royale est attribuée à son fils Reccarède, qui honorait grandement la religion et différait
beaucoup de son père par les mœurs ; celui-ci était irréligieux et prompt à la guerre, celui-là
pieux et grand dans la paix ; le premier étendit la domination de son peuple par l’art des armes,
5 le second éleva son peuple à une gloire plus grande par le trophée de la foi ; car, dès le début de
son règne, il reçoit la foi catholique et, effaçant la souillure des erreurs anciennes, rappelle tout
le peuple goth à l’observance de la vraie foi. Il fait ensuite venir en synode des évêques des
diverses régions d’Espagne et de Gaule pour condamner l’hérésie arienne ; le très religieux
prince assista à ce concile et confirma ses actes de sa présence et de sa souscription 1 [. . .].
10 Soutenu par la foi qu’il venait de recevoir, il mena aussi une guerre glorieuse contre les
peuples ennemis. Les Gaules étant en effet envahies par près de soixante mille soldats francs 2, il
envoya contre eux son duc Claudius et triompha par une glorieuse victoire ; jamais en Espagne
les Goths n’avaient encore remporté une victoire plus grande ou même semblable. Car plusieurs
milliers d’ennemis furent tués ou pris, le reste de l’armée s’enfuit au-delà de tout espoir, et fut
15 talonné et massacré par les Goths jusqu’aux frontières de leur royaume. Souvent aussi il
déploya son bras contre les provocations des Romains 3 et les incursions des Vascons4 : mais ce
faisant il ne semblait pas tant faire la guerre que profiter de l’occasion pour entraîner son peuple
à une sorte de jeu de gymnase. Les provinces que son père avait conquises par les armes, il les
conserva par la paix, il y fit régner un ordre équitable et un gouvernement équilibré.
20 C’était un homme serein, doux, d’une admirable bonté, qui portait tant de grâce au visage et
tant de bienveillance au coeur qu’il se gagnait tous les esprits et forçait même les méchants à
l’aimer : si libéral qu’il restitua à leurs propriétaires légitimes les richesses privées et les
possessions ecclésiastiques que son fléau de père avait confisquées ; si clément que sa
générosité octroya souvent au peuple des remises d’impôt. Nombreux ceux qu’il enrichit, plus
25 nombreux encore ceux qu’il éleva dans les honneurs ; il plaçait ses richesses chez les miséreux,
ses trésors chez les nécessiteux, sachant que la royauté ne lui avait été attribuée que pour en
faire un sage usage et après de beaux débuts, il connut une belle fin. Il accrut en effet, dans ses
derniers instants, par une confesion pénitentielle publique, la foi pure et glorieuse qu’il avait
reçue au début de son règne. Et il eut une fin paisible à Tolède, après avoir régné 15 ans.
30 An 639 de l’ère, an 17 de l’empereur Maurice [601]. Après le roi Reccarède, son fils Liuva
règne deux ans. Né d’une mère non-noble, mais distingué par un caractère plein de vertus, il fut
dans la prime fleur de l’adolescence détrôné par Witteric 5 qui contre un homme inoffensif
s’empara d’un pouvoir tyrannique, le fit amputer de la main droite puis assassiner, dans sa
vingtième année, deuxième de son règne.
35 An 641 de l’ère, an 20 de l’empereur Maurice [603]. À la mort de Liuva, Witteric occupe
sept ans le tône qu’il lui avait arraché de son vivant ; homme fort dans l’art des armes, mais
tourjours privé de victoires, il entreprit souvent de combattre le Romain, mais n’eut jamais
grande gloire, sauf qu’il obtint, grâce à ses ducs, [la capture de] quelques soldats à Sigüenza 6. Il
fit dans sa vie plusieurs mauvaises actions et périt du glaive pour avoir employé le glaive. La
40 mort d’un innocent, à ses dépens, ne resta pas sans vengeance : des conjurés le tuèrent au
milieu d’un banquet, son corps fut emporté et enseveli sans égards.

Référence : Isidore de Séville, Histoire des Goths, éd. Th. Mommsen, MGH Auctores antiquissimi XI
(Chronica minora saec. IV, V, VI, VII, t. II), Berlin, 1894, p. 288-291. Traduit par O. Guyotjeannin,
Archives de l’Occident. Le Moyen Âge Ve-XVe siècle, Paris, Fayard, 1992, p 131-135. Traduit du latin.

III- L’EXERCICE DU POUVOIR DANS LA GAULE MÉROVINGIENNE


1
Troisième concile de Tolède, 589.
2
Il s’agit d’une opération militaire du roi Gontran menée en 589 contre la Septimanie, bande côtière étendue du
Rhône aux Pyrénées et seul territoire qui restât soumis aux Wisigoths en Gaule, et sans doute motivée par le
rapprochement de Reccarède avec ses rivaux Childebert et Bruenehaut.
3
Désigne les Romains d’Orient (= Byzantins).
4
Les Basques.
5
Soutenu par les Ariens hostiles à la conversion au catholicisme.
6
65 km au nord de Guadalajara.

19
(FIN VE – FIN VIIE SIÈCLES)

1. Éloge du roi Chilpéric par Venance Fortunat lors du concile de Berny (580)

1 Roi charmant de bonté, gloire élevée, noble rejeton, en qui la tête de tant de seigneurs
trouve une tête, soutien de la patrie, son espoir et sa protection dans les combats 1, courage
fidèle aux vôtres, énergie éclatante, puissant Chilpéric : si un traducteur barbare se présentait,
votre nom signifie aussi « auxiliateur courageux » (adiutor fortis)2. Ce ne fut pas en vain que
5 vos parents vous donnèrent ce nom. C’était tout le présage annoncateur de gloire. Déjà les
circonstances donnaient un signe pour l’enfant, mais les dons qui suivirent confirmèrent les
premières affirmations. Sur vous, douce tête, se pencha tout le soin de votre père ; entre tant de
frères vous étiez son unique amour. Il reconnaissait en effet que vous étiez déjà son plus
méritant : en vous soignant davantage, votre père vous mit en avant ; celui qui vous engendra
10 vous donna la préférence en aimant plus son enfant : nul ne peut casser le jugement d’un roi.
Vous avez grandi, prince très grand, sous de grands auspices, demeurant dans l’affection ici du
peuple, là de votre père.
Mais soudain, jalouse de si grandes qualités, la fortune du monde s’apprêtant à troubler la
tranquillité de votre royaume en ébranlant les cœurs des peuples et les accords entre les frères,
15 tandis qu’elle cherchait à vous nuire, favorise votre prospérité. Enfin, alors que le péril
menaçait déjà votre tête vaillante, l’heure écarta la mort au moment de frapper. Comme vous
étiez empêtré, cerné par les armes de la mort, la fortune, avec l’aide de Dieu, vous arracha au
glaive3. Réduit à la dernière extrémité, vous revenez de la mort à la vie. Le jour qui avait été le
dernier, pour vous devient le premier. Comme vos ennemis désiraient vous préparer une guerre
20 criminelle, la foi qui triomphe des armes combattit pour vous. Par chance, votre cause acheva le
procès sans vous et le haut siège 4 revint à sa place légitime. Bon roi, ne soyez pas en peine, car
autant la fortune vous a harcelé de peine, autant elle a amélioré votre situation. (...)
Que dire, prince, de votre administration de la justice ? D’auprès de vous personne ne
revient mal en point, s’il demande des choses bien justes ; dans votre bouche intègre se tient la
25 balance de la mesure et la droite ligne des procès court son chemin. Et la vérité n’attend pas,
l’erreur fallacieuse ne résoud rien et dans vos jugements la tromperie s’enfuit, l’ordre revient.
Quoi encore ? tous ceux que vous gouvernez sous l’autorité de votre règne, vous les surpassez
par une pénétration plus grande de votre esprit et par l’éloquence de votre bouche ; vous
comprenez sans interprète des parlers divers et une seule langue reproduit les langues des
30 nations. Votre libéralité relève tous les petits et ce que vous donnez à un serviteur vous le tenez
pour votre bien. Tout comme d’ici-bas vos louanges se tendent, le fracas de votre gloire s’enfle
jusqu’à frapper les astres de son roulement. Les armes sont en votre faveur et en même temps le
goût des lettres repose sur votre passion ; d’un côté vous triomphez par la vaillance, de l’autre
vous charmez par le savoir (...). Vous l’égal des rois, vous êtes plus grand dans l’art des vers et,
35 pour le dogme, vous êtes tel que ne fut aucun de vos ancêtres. (...)
Cependant, puisse votre prospérité présente se maintenir et s’accroître et qu’il vous soit
permis de jouir d’un trône qui se multiplie avec votre épouse dont les mœurs sont la parure du
royaume et qui partage avec le prince le sommet du pouvoir, avisée dans ses conseils, habile,
précautionneuse, utile à la cour, puissante par l’esprit, se faisant aimer par la générosité de ses
40 présents, excellant dans toutes les vertus, splendide Frédégonde, et sa bouche lance l’éclair d’un
jour sans nuages, portant le fardeau trop lourd des soucis de la royauté, vous entourant de ses
bontés, vous assistant de ses services. Tandis qu’elle dirige les affaires conjointement avec
vous, le palais se fortifie et, avec son aide, votre maison gagne en prestige. Elle cherche à
multiplier les prières pour la sauvegarde de son mari et pour vous elle met Radegonde à
45 contribution. Elle resplendit de ses vertus comme une gloire pour le roi, et reine, elle devient
une couronne pour son mari. Que pendant un long temps elle vous honore du fruit d’une
descendance et que survienne ensuite un petit-fils pour que vous retrouviez, grand-père, une
1
Tutamen in armis : fin d’un hexamètre de Virgile (Énéide, V, 262).
2
Nom rapproché de l’allemand Hilfe et du gotique reiks (prince, chef).
3
Allusion au siège de Soissons où Chilpéric était encerclé.
4
Désigne Soissons, capitale de Clothaire puis de Chilpéric.

20
nouvelle vie.

Référence : Venance Fortunat, Poèmes (IX, 1), éd. et trad. M. Reydellet, t. III, Paris, 2004, p. 8-15.
Traduit du latin.

2. La mort de Chilpéric († 584) par Grégoire de Tours

1 Chilpéric, le Néron et l’Hérode de notre temps, se rend à la ville de Chelles qui est distante
de la ville de Paris d’environ cent stades 1 et s’y exerce à la chasse par une nuit déjà obscure et
au moment où on le soutenait à sa descente de cheval et où il appuyait une main sur l’épaule
d’un serviteur, arrive un homme qui le frappe d’un coup de couteau sous l’aisselle et qui d’un
5 second coup lui perfore le ventre ; puis aussitôt un flot de sang lui coule tant par la bouche que
par la plaie de sa blessure et il rend sa méchante âme. Le mal qu’il a fait, le texte qui précède
l’enseigne.
Il a, en effet, dévasté et incendié souvent de très nombreuses régions. Il n’en éprouvait
aucune douleur, mais plutôt de la joie comme autrefois Néron lorsqu’il déclamait des tragédies
10 pendant les incendies du palais. Très souvent il a puni des hommes injustement à cause de leurs
richesses. De son temps, rares sont les clercs qui ont réussi à obtenir un évéché. Il était enclin à
la gloutonnerie, lui de qui le dieu était le ventre et il prétendait que personne n’était plus sage
que lui. Il a composé, prétendument à l’imitation de Sedulius2, deux livres dont les vers boiteux
ne peuvent tenir sur leurs pieds ; dans son ignorance il a mis des syllabes brèves à la place des
15 longues et placé des longues à la place des brèves ; il a fait aussi d’autres opuscules, des
hymnes ou des messes qu’on ne peut admettre d’aucun point de vue. Il avait en aversion les
intérêts des pauvres. Il blasphémait continuellement contre les prêtres du Seigneur et rien ne lui
plaisait davantage quand il était dans l’intimité que de ridiculiser et de plaisanter les évêques
des églises. Il traitait celui-ci de léger, cet autre de vaniteux, celui-là de richard, cet autre de
20 débauché, il prétendait que celui-ci était fier, celui-là gonflé d’orgueil ; rien ne lui était plus
odieux que les églises. Il répétait, en effet, très souvent : « voici que notre fisc s’est appauvri,
voici que nos richesses ont été transférées aux églises. Personne ne règne plus que les seuls
évêques. Notre autorité est morte et elle a été transférée des évêques aux cités ». Tandis qu’il
tenait ces propos, il ne cessait de casser de très nombreux testaments qui avaient été rédigés en
25 faveur des églises et il foula même souvent aux pieds des préceptes de son père en pensant qu’il
ne restait personne pour faire respecter ses volontés.
Quant à la débauche et à la luxure, on ne peut imaginer un excès qu’il n’ait pas commis en
réalité et toujours il cherchait de nouvelles inventions pour nuire au monde. C’est ainsi que s’il
découvrait de son temps des coupables, il leur faisait arracher les yeux et dans les préceptes
30 qu’il adressait aux juges pour ses affaires il ajoutait cette clause : « si quelqu’un viole nos
préceptes, qu’on le pénalise en lui crevant les yeux ». Il n’a jamais aimé personne d’une
manière pure et il n’a jamais été aimé de personne ; c’est pourquoi, lorsqu’il a exhalé son
dernier soupir, tous les siens l’ont abandonné. Mallulf, l’évêque de Senlis, qui déjà demeurait
dans la tente sans pouvoir le voir, arriva dès qu’il apprit son assassinat. Après l’avoir lavé, il le
35 revêtit de ses meilleurs vêtements et ayant passé la nuit à chanter des hymnes, il le déposa dans
un navire et l’ensevelit dans la basilique de Saint-Vincent 3 qui est à Paris, tandis que la reine
Frédégonde était laissée dans l’église cathédrale.

Référence : Grégoire de Tours, Histoire des Francs (VI, 4), éd. et trad. R. Latouche, Paris, 1953, t. 2,
p. 177 et suivantes.

1
Une vingtaine de kilomètres.
2
Poète du milieu du Ve siècle qui a mis en vers la vie du Christ dans le Carmen Paschale.
3
Devenue Saint-Germain-des-Prés.

21
3. Didier, évêque de Cahors († vers 654)

a- Un saint évêque

1 (c 1) Donc Didier, évêque de Cahors, était originaire d’Albi, oppidum des Gaules. Cette
cité, localisée presque dans les extrêmes confins des Gaules, aux frontières des régions de
l’Aquitaine première, est bordée vers le midi par la province de Narbonne. Là naquit Didier, de
parents très honorables, situé par la grâce de la naissance dans une famille éminente parmi
5 toutes les familles gallo-romaines. Son père, très chrétien, se nommait Salvius et sa mère, de
même honorable et religieuse, s’appelait Herchenfreda. Il avait deux frères, Rusticus et
Siagrius, et deux sœurs, l’une nommée Silvia, l’autre appelée Avita.
Rusticus devint clerc dès les premières années de son adolescence et reçut l’office
d’archidiacre dans la ville de Rodez, puis il occupa l’abbatiat de la basilique palatine sous le roi
10 Clotaire. Finalement, il mérita la dignité de pontife dans la ville de Cahors. Quand à Siagrius,
après un long service au Palais des Francs et après avoir vécu dans la familiarité du roi Clotaire,
il reçut la dignité de comte d’Albi et exerça pendant longtemps le pouvoir judiciaire à
Marseille.
Didier, élevé par ses parents avec le plus grand soin, devint érudit par l’étude complète des
15 lettres, dont l’amour l’enrichit. Après de remarquables études des lettres et de l’éloquence
gauloise, qu’il possédait brillamment, il reçut adolescent les dignités de l’entourage royal et
s’adonna ensuite avec recherche à l’étude des lois romaines, afin que la gravité romaine
tempérât la richesse gauloise du langage et l’éclat du discours.

20 (c 14) À son époque [celle de Didier], une si grande quantité de fruits, tant des champs que
des vignes, poussa avec une abondance si exceptionnelle qu’aucune époque passée n’a laissé le
souvenir de semblable récolte, aussi bien dans les époques qui ont précédé que dans celles qui
ont suivi. En effet dans la cité presque personne n’était pressé par le besoin, personne n’avait de
mal à trouver ce qu’il désirait et on ne manquait ni de nourriture ni de vêtements. Au contraire,
25 tout était plein et gonflé de produits et les cités voisines étaient réellement nourries par
l’abondance des Cardurcins, car le Seigneur dirigeait son action. Lui-même multipliait
l’abondance des biens que les ordres désirables de Didier rendaient plus profitables que l’or et
les pierres précieuses (Psaumes 18, 11). En lui s’accomplissait réellement ce qui est écrit :
« que tout concourt au bonheur de ceux qui aient Dieu » (Épître aux Romains 8, 28), et ce que
30 le Seigneur dit dans l’Évangile n’atteignait pas des oreilles sourdes : « recherchez d’abord le
royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné de surcroît  » (Matthieu 6, 33 et
Luc 12, 51) (...)
Il fut contemporain d’une telle abondance de biens et de récoltes si riches qu’un jour, alors
qu’il demandait par hasard à un colon de la villa de Rusticiacum1 combien d’amphores de vin il
35 apportait au trésor à titre d’impôt, le paysan lui répondit qu’il apportait cent métrètes 2 et plus au
seul titre de l’impôt de dix pour cent. Alors Didier, très heureux et plein d’admiration pour les
largesses de la bonté divine qui avait accordé de son temps des récoltes si abondantes, se
répandit en louanges envers Dieu et en actions de grâces envers le Christ, réfléchissant à ce que
la largesse avait accordé aux anciens qui avaient beaucoup travaillé puisqu’elle accordait des
40 récoltes si prospères à ce personnage de si peu d’importance et si insignifiant  : « toi donc,
homme très pauvre, tu produis mille amphores ? » ; comme le paysan affirmait qu’il en était
bien ainsi, Didier lui remit les cent amphores qu’il devait verser au Trésor. Ce dernier se réjouit
et remercia profondément dans le Seigneur celui qui, de son temps, a accordé tant de largesses
aux pauvres.

Référence : Vita et miracula sancti Desiderii Cadurcensis, chap 1 et 14, éd. B. Krusch, Turnhout,
1957 (CCSL 117), p. 345-401. Traduit dans Ghislain Brunel et Elisabeth Lalou (dir.), Sources de
l’histoire médiévale (IXe-milieu du XIVe siècle), Paris, 1992, p. 33-35 (voir aussi p. 43-45). Traduit du
latin.

1
Russac (commune de Castelnau-Montartier, dans le Lot).
2
Synonyme d’amphore ; capacité : 8,75 litres.

22
b- Précepte de Dagobert sur l’élection de Didier

1 (c 7) Dagobert, roi des Francs, aux évêques et ducs et à tout le peuple établi dans les
provinces de la Gaule.
Il convient à la clémence de notre pouvoir de rechercher avec habileté et de prendre soin
avec vigilance que nos choix et notre gestion correspondent en tout à la volonté de Dieu et –
5 puisqu’il est connu que les régions et les royaumes ont été placés en notre pouvoir, par la
générosité de Dieu, pour y être gouvernés – que la faveur des nominations aux hautes charges
soit accordée à ceux qu’y destine leur vie digne de louanges, la probité de leurs mœurs et la
noblesse de leur générosité. Comme nous savons que Didier, homme illustre, notre trésorier, a
gardé en tous points l’observance des préceptes religieux depuis son enfance, s’est comporté
10 sous l’habit laïque comme un soldat du Christ, et a montré des mœurs évangéliques et une
conduite de prêtre telle que la réputation de ses mérites croissait en se propageant non
seulement dans son entourage, mais aussi au loin, nous croyons donc que c’est à bon droit que
nous l’élevons au sacerdoce, lui que nous voyons, comme nous l’avons dit, aspirer sans cesse
par ses bonnes mœurs à la patrie céleste. Puisque l’opinion unanime des citoyens et des abbés
15 de Cahors demande par tous les moyens de l’avoir pour évêque et que notre dévotion y consent
de même, nous sommes absolument sûrs que cela se fait conformément à la volonté de Dieu.
C’est pourquoi, bien qu’il soit vraiment nécessaire à notre Palais, nous nous faisons en quelque
sorte violence et nous le faisons passer de notre Palais au service public. Étant donné que les
régions et les royaumes nous ont été confiés, nous devons offrir, malgré les dérangements qui
20 en résultent, des pasteurs tels qu’ils administrent le peuple qui leur est confié par Dieu et par
nous-mêmes, dans la fidélité de Dieu et conformément aux paroles évangéliques, de telle sorte
que nous en retirions le plus grand profit possible. Donc, selon la demande des habitants, qui
est en tout point conforme à notre volonté, nous décidons et ordonnons ceci : avec l’aide de
Dieu, Didier sera consacré dans la ville de Cahors ; ce que notre volonté et celle des citoyens
25 ont décidé sera entièrement réalisé au nom de Dieu ; et, sublimé par la bénédiction pontificale –
puisque, avec l’aide du Christ, nous proclamons en vérité, et religieusement, que sa vie et son
comportement sont tenus par tous pour dignes et excellents – il priera pour nous et pour tous les
ordres de l’Église, en s’attachant à présenter à Dieu de dignes offrandes. Nous croyons que,
ainsi, notre vie sera prolongée si on élit et élève celui qui, tant pour nous que pour vous, offrira
30 des prières sereines devant le tribunal de Dieu et nous assistera en suppliant lors du Jugement à
venir, pour excuser nos fautes. Nous décidons donc que Didier, souvent nommé, reçoive
maintenant l’épiscopat dans la cité de Cahors et, avec l’aide de Dieu, le garde pendant toute sa
vie. Et pour renforcer cette décision de notre volonté, nous avons décidé de la confirmer par la
souscription de notre main.
35 Chrodebert a rédigé. Dagobert, roi, a souscrit.
Fait le 6 des ides d’avril, an 8 du règne de Dagobert (...).

Référence : Vita et miracula sancti Desiderii Cadurcensis, chap 7, éd. B. Krusch, Turnhout, 1957
(CCSL 117), p. 345-401. Traduit dans G. Brunel et É. Lalou (dir.), Sources de l’histoire médiévale
(IXe-milieu du XIVe siècle), Paris, 1992, p. 33-35 (voir aussi p. 43-45). Traduit du latin.

23
IV- LA DIFFUSION ET L’AFFIRMATION DU CHRISTIANISME

1. Extraits du concile d’Orléans (mai 541)

1 1. On décida, avec la faveur divine, que tous les évêques fassent célébrer la sainte Pâque à
la même date conformément à la table de Victor : que cette fête soit annoncée chaque année
aux populations dans l’église le jour de l’Epiphanie. Chaque fois qu’on aura un doute à propos
de cette solennité, qu’on s’en tienne à la décision sacrée demandée et apprise du siège
5 apostolique par les métropolitains.
3. Que quiconque parmi les principaux notables de la cité veut célébrer Pâques hors de la
cité sache que cela lui a été interdit par l’ensemble des conciles : qu’il célèbre les principales
fêtes en présence de l’évêque, là où il convient que se tienne la sainte assemblée. Mais si
quelqu’un est empêché de le faire pour une raison valable, qu’il demande un congé à l’évêque.
10 S’il espère l’obtenir, qu’il attende dans l’incertitude à l’endroit même où il veut célébrer cette
fête.
6. Que les clercs des paroisses reçoivent de leurs pontifes les statuts canoniques qu’il leur
est nécessaire de lire, afin que ni eux ni leur peuple n’allèguent plus tard l’excuse d’avoir
ignoré ce qui fut décrété pour leur salut.
15 16. Si un chrétien, suivant l’usage des païens, vient à jurer sur la tête de quelque bête ou
animal, en invoquant en outre les divinités des païens, et si, rappelé à l’ordre, il refuse
d’abandonner cette superstition, qu’il soit, jusqu’à ce qu’il se corrige de sa faute, rejeté de la
société des fidèles et de la communion de l’Eglise.
26. Si des paroisses ont été établies dans les domaines des puissants, où les prêtres qui les
20 desservent, sommés par l’archidiacre de la cité conformément à la qualité de leur ordre,
négligent de remplir leurs obligations envers l’Eglise, sous prétexte d’obéir au maître du
domaine, qu’ils soient corrigés selon la discipline ecclésiastique. Et s’ils sont empêchés en
quelque manière, par les agents des puissants ou par le maître du lieu en personne, de remplir
leur office envers l’Eglise, que les responsables de ce relâchement soient exclus des cérémonies
25 sacrées jusqu’à ce qu’ils soient rappelés dans la paix de l’Eglise, après s’être amendés.
30. Bien qu’il ait déjà été fixé par les canons antérieurs, à propos des colons chrétiens qui
sont chez des juifs, s’ils se réfugient dans une église et demandent à être rachetés, ou s’ils se
réfugient chez des chrétiens et refusent de servir des juifs, que, après fixation et versement du
prix légal, ils soient libérés de leur autorité, nous statuons qu’une aussi juste disposition soit
30 respectée par tous les catholiques.
33. Si quelqu’un a, ou demande à avoir une paroisse dans son domaine, qu’il lui affecte
d’abord suffisamment de terres et de clercs qui remplissent là leur office pour que les lieux
saints reçoivent le respect qui leur est dû.

Référence : Concile d’Orléans, éd. C. de Clercq, Concilia Gallica, Turnhout, 1963. Traduit dans G.
Brunel et É. Lalou (dir.), Sources d’Histoire médiévale (IXe-milieu du XIVe siècle), Paris, 1992, p. 46-
48. Traduit du latin.

24
2. Pérégrination de saint Colomban († 615)

1 c. 4. Après plusieurs années passées dans son monastère, le désir de s’expatrier s’empara de
[Colomban]. Il se souvenait de l’appel du Seigneur à Abraham : “ Quitte ton pays, ta famille, la
maison de ton père et va dans le pays que je te montrerai (Genèse 12,1) ”. Il fit part à Comgall,
son Père vénéré, de l’ardeur qu’il se sentait au cœur et du désir qu’y avait allumé le feu du
5 Seigneur (...) Colomban était dans sa vingtième année lorsqu’il se mit en route sous la conduite
du Christ. Avec douze compagnons, il se rendit sur le rivage de la mer. Là, ils attendirent la
miséricorde du Tout-Puissant (...) Le souffle des zéphyrs rendit les eaux tranquilles et propices
à leur course, qui les mena rapidement aux rivages de la Bretagne (...) Finalement, ils décident
de poser le pied sur le sol des Gaules.
10 c. 5. En ce pays, la vie religieuse était alors presque éteinte, tant à cause de la pression des
ennemis extérieurs que de la négligence des prélats. Il ne restait plus que la foi chrétienne. C’est
à peine si on trouvait çà et là les remèdes de la pénitence et l’amour de la mortification. Partout
où il passait, le vénérable avait soin d’apporter la parole de l’Évangile. Et de fait, elle était bien
reçue de ces gens, car l’éloquence de l’exposé s’appuyait sur la profondeur de la doctrine
15 prêchée et les exemples de vertu.

c. 10 La communauté des moines [d’Annegray] étant devenue fort nombreuse, Colomban se


mit à songer qu’il lui fallait chercher dans le même désert un emplacement meilleur pour y
construire un monastère. À quelque huit milles de là, il trouva un ancien poste militaire qui
20 avait été très solidement fortifié. Il s’appelait autrefois Luxeuil. Il y avait là des eaux chaudes,
entourées de beaux bâtiments. Il y avait aussi, dans la forêt voisine, quantité de statues de
pierre, que les païens de l’ancien temps honoraient d’un culte misérable et de rites profanes,
leur offrant des sacrifices au cours de cérémonies abominables. Le lieu n’était plus fréquenté
que par les animaux et les bêtes sauvages, une multitude d’ours, de buffles et de loups.
25 C’est là que le grand homme s’installa et se mit à construire un monastère. Sa réputation
faisait accourir des foules d’hommes, désireux de se consacrer au culte divin dans la vie
religieuse, tant et si bien que la multitude énorme des moines qui s’étaient réunis là ne pouvait
plus guère y rester groupée en une seule communauté de cénobites. Les fils de nobles
accouraient de toutes parts, s’efforçant, par le mépris des élégances mondaines et le dédain des
30 orgueilleuses richesses d’ici-bas, d’obtenir les récompenses éternelles…

c. 24. Après être resté peu de temps à Nantes, Colomban se rendit auprès de Clotaire, fils du
roi Chilpéric, qui régnait sur les Francs de Neustrie, région située à l’extrémité de la Gaule, au
bord de l’Océan. Clotaire avait appris les mauvais procédés dont l’homme de Dieu avait été
35 accablé par Brunehaut et Thierry. Quand il le vit, il le reçut comme un don du ciel. Tout joyeux,
il le pria de s’établir, s’il le voulait, sur le territoire de son royaume, se déclarant prêt à lui
rendre tous les services qu’il voudrait. Mais Colomban répondit qu’il ne voulait pas se fixer en
cette région, à la fois pour allonger son propre pèlerinage (peregrinatio) et pour apaiser
l’inimitié que sa présence attirerait au roi. Clotaire le garda donc auprès de lui autant de jours
40 qu’il le put. Repris par lui pour certains vices qui épargnent rarement une cour royale, Clotaire
promit de tout corriger selon ses avis.
c. 26 De là (Paris), il se rendit à la ville de Meaux. Il y avait là un noble, Chagnéric,
commensal de Théodebert, homme sage, conseiller très écouté du roi et possédant autant de
sagesse que de noblesse. Il reçut l’homme de Dieu avec une joie singulière et promit de se
45 charger de le faire parvenir à la cour de Théodebert, sans qu’il eût besoin d’autres compagnons
délégués par le roi. S’il écartait ainsi les services d’autrui, c’est qu’il voulait garder avec lui
l’homme de Dieu aussi longtemps que possible et procurer à sa maison l’honneur de recevoir
ses enseignements. L’homme de Dieu bénit donc la maison et voua au Seigneur, en la
bénissant, sa fille, nommée Burgondofara, qui était encore une enfant (...).
50 Poursuivant son voyage, il arriva à la villa d’Ussy, qui se trouve sur la rivière de la Marne.
Il y a fut reçu par un nommé Authaire, dont la femme s’appelait Aiga. Ils avaient deux fils,
encore enfants, que leur mère présenta à l’homme de Dieu pour qu’il les bénît. Voyant la foi de
cette mère, il consacra les enfants en les bénissant. Par la suite, dès qu’ils furent entrés dans
l’adolescence, ils jouirent d’une grande faveur auprès du roi Clotaire d’abord, puis de Dagobert.
55 Après avoir brillé de la gloire du monde, ils aspirèrent à ne pas perdre la gloire éternelle à cause

25
de celle du monde. L’aîné, nommé Ado, renonça à ses propres désirs et construisit ensuite, dans
la contrée de Jouarre, un monastère placé sous la règle du bienheureux Colomban. Le cadet,
nommé Dado, construisit ensuite un monastère, placé sous la même règle, dans la contrée de
Brie, sur le ruisseau de Rebais.
60
c. 30 Il [Colomban] quitta la Gaule et la Germanie pour entrer en Italie. Il y fut reçu avec
honneur par Agilulfe, roi des Lombards, qui lui offrit de choisir lui-même en Italie, où il
voudrait, le lieu où il habiterait. Il séjournait dans la cité de Milan et s’employait à déchirer et à
mettre en pièces les mensonges des hérétiques, c’est à dire l’erreur arienne en y appliquant le
65 cautère des écritures – il publia même contre les ariens un petit livre rempli de science –,
quand, par un dessein de la divine providence, un homme appelé Iocundus se présenta au roi et
lui dit qu’il connaissait, dans la campagne solitaire des Apennins, une basilique dédiée au
bienheureux Pierre, prince des apôtres. Il avait vu des miracles s’y produire. Le sol était riche et
fécond, l’eau y coulait, le poisson abondait. Cet endroit, une antique tradition l’appelait Bobbio,
70 du nom du cours d’eau qui l’arrose et se jette dans une autre rivière, appelée Trebbia, sur les
bords de laquelle Hannibal avait jadis hiberné et subi de terribles pertes d’hommes, de chevaux
et d’éléphants.

Référence : Jonas de Bobbio, Vita Columbani, éd. B. Krusch, MGH SSRM IV, Hanovre, 1902. Traduit
par A. de Vogüé, Vie de saint Colomban et de ses disciples, Bellefontaine, 1988. Traduit du latin.

Référence : G. Bührer-Thierry et C. Mériaux, 481-888. La France avant la France, Paris, 2010, p. 238

26
3. Instructions de Grégoire le Grand pour l’évangélisation de l’Angleterre (601)

1 À son très cher fils l’abbé Mellitus, Grégoire, serviteur des serviteurs de Dieu.
Depuis le départ de ceux de notre communauté qui sont avec toi, nous sommes vraiment
très inquiets parce que nous n’avons reçu aucune nouvelle du succès de votre voyage. Mais
lorsque Dieu tout-puissant vous aura conduit auprès de notre très révérend frère l’évêque
5 Augustin, dites-lui que j’ai moi-même longuement réfléchi à l’affaire des Anglais : ainsi les
temples des idoles ne doivent pas être détruits chez ce peuple, mais il faut détruire les idoles
elles-mêmes qui sont à l’intérieur des temples. Qu’on asperge ces mêmes temples avec de l’eau
bénite, qu’on construise des autels, qu’on y mette des reliques, car si ces temples sont bien
construits, il faut les faire passer du culte des démons à la vénération du vrai Dieu. De cette
10 façon, puisque les habitants eux-mêmes voient que leurs temples ne sont pas détruits, ils
abandonneront leur erreur et accourront plus familièrement vers les lieux auxquels ils sont
habitués pour connaître et adorer le vrai Dieu.
Et parce qu’ils ont l’habitude de tuer beaucoup de bœufs en sacrifice aux démons, on doit
substituer à cela quelque solennité telle que le jour de la Dédicace ou de la Nativité des saints
15 martyrs dont on a déposé là les reliques. Ils feront des abris de branchages autour de ces anciens
temples qui auront été changés en églises, et ils célèbreront une fête religieuse avec solennité.
Ils n’immoleront plus des animaux au diable, mais ils les tueront pour la louange de Dieu et
pour leur nourriture, et ils rendront grâce au Donateur de toutes choses de la satiété qu’Il leur
procure. De cette manière, puisqu’ils conserveront certaines réjouissances extérieures, ils
20 pourront plus facilement accéder aux réjouissances intérieures.
Car il est, à coup sûr, impossible d’arracher d’un seul coup toutes les erreurs à des esprits
obstinés ; en effet celui qui s’efforce d’atteindre le sommet d’une montagne monte
nécessairement par degrés ou bien pas à pas, mais non d’un seul bond. Ainsi le Seigneur lui-
même se fit-il connaître au peuple d’Israël en Égypte, permettant que les sacrifices autrefois
25 offerts au diable soient désormais offerts à lui-même. Aussi il leur ordonna d’immoler des
animaux en sacrifice pour lui-même, de sorte que, changeant leurs cœurs, ils abandonnent un
élément du sacrifice et en conservent un autre. Car même si c’étaient les mêmes animaux qu’ils
avaient l’habitude d’offrir, cependant ils les immolaient à Dieu et non aux idoles et ce n’étaient
plus les mêmes sacrifices.
30 Donc que ta charité informe notre frère Augustin de tout cela, de sorte que lui, placé là-bas
dans la situation présente, examine de quelle manière il puisse appliquer toutes ces directives.
Que Dieu te garde en bonne santé, très cher fils.
Donné le quinzième jour des calendes d’août, la dix-neuvième année du règne de notre
seigneur Maurice Tibère très pieux Auguste, la dix-huitième année après le consulat du même
35 seigneur, indiction quatrième.

Référence : Grégoire le Grand, Registrum epistularum libri I-XIV, éd. D. Norberg, t. II, Turnhout,
1982 (CCL 140A), p. 961-962. Traduit par B. Judic dans F. Bougard (dir), Le christianisme en
Occident du début du VIIe au milieu du XIe siècle, Paris, SEDES, 1997, p. 10-11. Traduit du latin.

27
4. Trésors et reliques

a- Boucle de ceinture de saint Césaire d’Arles († 542)


Ivoire (VIe siècle)
Arles, Trésor de Saint-Trophime, Musée départemental
Arles antique

b- Chasuble de la reine Bathilde († 680) c- Coffret-reliquaire de Teudéric offert à saint


Chelles, Musée Alfred Bonno. Maurice d’Agaune
Reconstitution J.-P. Laporte (2011).
Coffret en argent recouvert d’or, verres, pierres
précieuses (grenats, saphirs...), intailles...
Sud-Ouest de l’Allemagne (1e moitié du VIIe s.)
Saint-Maurice d’Agaune, Trésor de l’abbaye.

Une inscription mentionne le prêtre Teudéric, qui


ordonna la création de l’objet en l’honneur de saint
Maurice, un couple de laïc, Nordoalaus et
Rihlindis, qui furent les commanditaires, et les deux
orfèvres, Undiho et Ello.

28
V- L’EMPIRE CAROLINGIEN
FORMATION ET ORGANISATION

1. Le sacre de Pépin (751)

a. D’après les continuateurs de Frédégaire

1 Dans le cours de l’année suivante [en 747,], Carloman, enflammé du désir de faire vœu de
lui-même, remit son royaume ainsi que son fils Drogon entre les mains de son frère Pépin et
gagna les portes des bienheureux apôtres Pierre et Paul à Rome, dans l’intention de mener la
vie d’un moine. Par cette succession, Pépin est conforté sur le trône (…).
5 A cette époque [en 751], sur le conseil et avec l’approbation de tous les Francs, et après en
avoir soumis la propostion au Siège apostolique et en avoir reçu une caution, l’excellent Pépin,
choisi pour régner par la totalité des Francs, avec la consécration des évêques et la soumission
des grands, en compagnie de la reine Bertrade, conformément à ce qu’exige l’ordre ancien, est
élevé sur le trône.

Référence : Frédégaire, Chronique des temps mérovingiens, trad. O. Devillers et J. Meyers, Turnhout,
Brepols, 2001, p. 233-235. Traduit du latin.

b. Dans Les Annales Royales

1 749 : Burchard, évêque de Wurtzbourg, et Fulrade, chapelain, furent envoyés auprès du


Pape Zacharie, pour lui poser la question au sujet des rois qui, à cette époque en Francia,
n’avaient aucun pouvoir (potestas) royal, si cela était bien ou non. Et le pape Zacharie fit savoir
à Pépin qu’il valait mieux que fût appelé roi celui qui avait le pouvoir royal, plutôt que celui qui
5 était dénué du pouvoir royal ; pour que l’ordre ne fût pas troublé, il ordonne par autorité
apostolique de faire Pépin roi.
750 : Pépin suivant l’usage des Francs fut élu roi, par la main de l’archevêque Boniface de
sainte mémoire et élevé au trône par les Francs à Soissons. Quant à Chilpéric, appelé faux roi, il
fut tonsuré et envoyé dans un monastère

Référence : Annales des rois Pépin, Charlemagne et Louis le Débonnaire, trad. M. Guizot, Paris,
1824, p. 4. Traduit du latin.

c. Notes sur le sacre de Pépin

1 […] Le dit très florissant seigneur Pépin, roi pieux, par l’autorité et imperium du pape
Zacharie, de sainte mémoire, et par l’onction du saint chrême, de la main des saints évêques des
Gaules, et par l’élection de tous les Francs, a été depuis trois ans élevé sur le trône. Ensuite par
la main dudit pape Étienne en un seul jour dans l’église des martyrs Denis, Rustique et
5 Éleuthère (là où le vénérable homme Fulrad est notoirement archiprêtre et abbé), il a été béni et
oint en tant que roi et patrice, et en même temps ses fils Charles et Carloman, au nom de la
Sainte Trinité. Et dans la même basilique des dits saints martyrs, en un seul et même jour, la
très noble, très dévote et dévotement zélée pour les saints martyrs Berthe, épouse du susnommé
très florissant roi, a été bénie par le susdit pontife, revêtue des ornements royaux, par la grâce
10 du Saint Esprit aux sept langues de feu. En même temps, il a confirmé, par la bénédiction et la
grâce du Saint Esprit, les princes des Francs, et il a interdit à tous, par une telle interdiction et
une telle loi d’excommunication, que jamais ils n’osent à l’avenir élire un roi pris dans une
autre souche (lumbus), mais uniquement parmi ceux que la piété divine a daigné élever à ce
rang et a voulu confirmer et consacrer par les intercessions des saints Apôtres et par les mains
15 de leur vicaire, le très saint pontife. […]

Référence : Clausula de unctione Pippini regis, éd. B. Krusch, Monumenta Germaniæ Historica.
Scriptores, t. 1, Hanovre, 1884, p. 465-466. Traduit du latin.

29
2. Portrait de Charlemagne par Éginhard, Vie de Charlemagne (vers 825-830)

1 22. Il était d’une corpulence imposante et robuste, d’une haute stature qui toutefois n’avait
rien d’excessif – c’est bien connu : il mesurait sept fois la longueur de son pied ; il avait le
sommet de la tête arrondi, des yeux très grands et vifs, le nez un petit peu plus long que la
moyenne, de beaux cheveux, le visage ouvert et gai; qu’il fût assis ou debout, toute sa personne
5 inspirait autorité et dignité ; bien qu’il présentât un cou empâté et assez court, et un ventre assez
proéminent, la juste proportion du reste de ses membres masquait cela. Il marchait d’un pas
ferme et toute l’allure de son corps offrait quelque chose de viril ; sa voix, certes claire,
paraissait cependant ne pas être parfaitement adaptée à son corps. Il jouit d’une santé prospère,
avant, pendant les quatre années qui précédèrent sa mort, de souffrir de fièvre à maintes reprises
10 et de finir également par boiter. Alors, il agissait la plupart du temps en suivant plutôt ses
propres choix plutôt que le conseil des médecins, qui lui étaient devenus presque odieux pour lui
avoir interdit les viandes rôties dont il faisait son alimentation habituelle, et lui avoir prescrit des
aliments bouillis.
Il s’adonnait assidûment à l’équitation et à la chasse ; c’était chez lui une passion qui lui
15 venait de ses origines, puisqu'on trouverait difficilement, sur toute la terre, une nation qui pût
égaler les Francs en ces arts. Il appréciait fort la vapeur des eaux naturellement chaudes, et
entraînait fréquemment son corps par la natation, pratique qu’il maîtrisait si bien que nul ne le
surpassait. Pour cette raison, il fit bâtir à Aix un palais qu’il habita constamment les dernières
années de sa vie et ce, jusqu’à son décès. Au reste, ce n’était pas seulement ses fils, mais souvent
20 aussi les grands, ses amis et même parfois la foule des hommes chargés de sa garde personnelle,
qu’il invitait aux bains, si bien qu’on voyait quelquefois jusqu’à cent personnes, et même
davantage, se baigner ensemble.
23. Il avait pour costume celui de ses ancêtres, c’est à dire le costume franc : à même la
peau, il portait une chemise de lin et des bandes de lin autour des cuisses ; par dessus, une
25 tunique, serrée à la taille par une ceinture de soie, et des jambières. Puis il laçait ses jambes de
bandelettes et ses pieds de sandales, et l’hiver, il protégeait ses épaules et son torse d’un gilet en
peau de loutre ou de martre ; il s’enveloppait d’un sayon vénète 1 et était toujours ceint d’un
glaive dont la poignée et le baudrier étaient d’or ou d’argent. De temps à autre, il portait
également une épée ornée de pierres précieuses, à condition toutefois que ce fût aux jours de
30 fêtes majeures ou à l’occasion de la venue d’ambassadeurs d’autres peuples. Les habits
étrangers, même les plus beaux, lui répugnaient et il ne souffrait point d’en être revêtu, excepté
le jour où, à Rome, une première fois à la demande du pape Hadrien et une seconde fois sur les
supplications du pape Léon, son successeur, il s’enveloppa d’une longue tunique et d’une
chlamyde et chaussa également des sandales confectionnées à la mode romaine. Pour les fêtes, il
35 portait des vêtements brodés d’or, des sandales ornées de pierres précieuses, et une fibule d’or
fermait son sayon. Il s’avançait, paré d’un diadème également d’or et de pierres précieuses. Mais
les autres jours, sa tenue ne s’éloignait guère de celle des gens du commun.
24. Sobre dans le boire et le manger, il l’était davantage dans le boire, lui qui avait en
abomination l’ivresse pour autrui et, plus encore, pour lui-même ou pour les siens. De manger, il
40 ne pouvait s’abstenir dans les mêmes proportions, au point de se plaindre souvent que les jeûnes
étaient nocifs à son corps.
Il donnait très rarement des banquets, seulement aux principales fêtes, mais alors en
s’entourant d’une foule de personnes. Pour le repas de chaque soir, on ne servait que quatre
plats, en dehors du rôti que les chasseurs apportaient d’ordinaire sur la broche, dont il mangeait
45 plus volontiers que de tout autre met. Pendant le repas, il écoutait quelque artiste ou lecteur. On
lui lisait les histoires et les hauts faits des Anciens. Il appréciait également les ouvrages de saint
Augustin, et tout particulièrement les livres regroupés sous le titre La Cité de Dieu2.
Il montrait tant de retenue dans l’usage du vin ou de toute boisson qu’il buvait rarement à
plus de trois reprises au cours d’un repas. En été, après la collation de midi, il prenait un fruit et
50 une boisson, et, après avoir retiré vêtements et sandales comme il en avait l’habitude pour la
nuit, il se reposait deux ou trois heures. La nuit, son sommeil était interrompu quatre ou cinq
1
Le sayon est le manteau d’apparat des officiers romains. Les Vénètes portaient la couleur bleu au cirque pour
les courses : le sayon vénète est un manteau bleu.
2
L’ouvrage d’Augustin, La Cité de Dieu, écrit entre 412 et 429 et composé de 22 livres, joue un rôle important
dans l’idéologie politique carolingienne.

30
fois : non seulement il s’éveillait mais il allait jusqu’à se lever.

Référence : Éginhard, Vie de Charlemagne, chap. 22-24, éd. et trad. C. Cosme et M. Sot, Paris, Les
Belles Lettres, 2014. Traduit du latin.

3. Aix-la-Chapelle

a. Plan d’ensemble
Référence : Karl der Grosse, Lebenswerk und Nachleben, t. 3, Düsseldorf, 1965.

Légende :
1 Rue principale
2 Porte monumentale
3 Bâtiments de jonction
4 Aula palatina
5 Galerie à portiques
6 Escalier
7 Chapelle palatine
8 Avant-corps encadré de deux
tourelles d’escalier
9-10 Atrium
11-12 Bâtiments annexes
13 ?
14 Portique
15 Galerie de jonction en bois
16-17 Bâtiments en colombage
ou en bois
18-19 Thermes impériaux
20 Fondations des thermes
romains.

Constructions
carolingiennes conservées
Limite du palais
carolingien
Tracé des rues romaines

b. Reconstitution

c. Le trône de Charlemagne dans la chapelle

31
Référence : G. Bührer-Thierry, C. Mériaux,
481-888. La France avant la France, Paris,
2010, p. 345-347.

4.

Préambule de l’Admonition de Louis le Pieux


aux ordres de l’Empire (823-825) 

1 1. Nous ne doutons pas qu’il est connu de vous tous, pour l’avoir vu ou ouï dire, que notre
père et nos ancêtres, après avoir été choisis par Dieu pour cette tâche, se sont préoccupés au
plus haut point de conserver comme il convenait l’honneur (honor) de la sainte Église de Dieu
et l’état du royaume. Nous aussi, suivant leur exemple à notre manière, nous avons eu soin
5 d’admonester souvent votre Dévotion à ce sujet et nous constatons qu’avec la miséricorde de
Dieu bien des choses ont déjà été amendées et corrigées, ce dont nous devons louer justement
Dieu et remercier de multiples façons votre bonne attitude d’esprit.
2. Puisqu’il a plu à la divine Providence de confier à notre médiocrité le soin de sa sainte
Église et de ce royaume, nous souhaitons appliquer tous les jours de notre vie, et pareillement
10 ceux de nos fils et de nos alliés (socii), à faire conserver particulièrement avec l’aide de Dieu,
par nous et par vous, dans le gouvernement de ce royaume, ces trois chapitres particuliers  : que
la défense, l’élévation et l’honneur de la sainte Église de Dieu et de ses serviteurs demeurent
convenables, et que la paix et la justice soient conservées à l’ensemble de notre peuple. Nous
souhaitons essentiellement nous y appliquer, et vous admonester à ce propos dans tous les
15 plaids que nous tiendrons avec vous, avec l’appui de Dieu, comme nous en sommes redevables.
3. Bien que l’essence (summa) de ce ministère réside en notre personne, on sait cependant
qu’il a été réparti, par l’autorité divine et l’ordre humain, de manière que chacun de vous
participe en son lieu et à sa place (ordo) à notre ministère ; d’où il ressort que moi je dois être
votre moniteur à tous, et vous tous devez être nos auxiliaires. Car nous n’ignorons pas ce qui
20 convient à chacun d’entre vous pour la portion qui lui a été confiée, et pour cela nous ne
pouvons négliger d’admonester chacun selon sa place.

Référence : Capitulaire, éd. A. Boretius, MGH Capitularia regum Francorum I, n° 150, Hanovre,
1883, p. 303-307. Voir G. Brunel et É. Lalou (dir.), Sources d’Histoire médiévale (IXe-milieu du XIVe
siècle), Paris, 1992, p. 76-80. Traduit du latin.

32
VI- L’ÉGLISE CAROLINGIENNE

1. Épitaphe du pape Hadrien (†795)

1 Ici le père de l’Église, la gloire de Rome, le célèbre maître,


Le saint pape Hadrien a son repos,
Homme pour qui la vie était Dieu, le devoir la loi, la gloire le Christ,
Pasteur apostolique, prompt à tout ce qui est bien,
5 Noble, né d’une grande lignée par ses parents,
Mais de loin plus noble par ses saints mérites.
Pasteur, il employa d’un cœur plein de zèle à orner
Toujours et partout les temples consacrés à Dieu.
Il combla les églises de dons, abreuva les peuples du saint dogme,
10 Et à tous il ouvrit la voie vers les cieux,
Généreux envers les peuples, ne le cédant à personne pour la piété,
Et consumant ses veilles en saintes prières pour la foule.
Il t’avait, par son enseignement, érigé en citadelle aux puissantes murailles,
Ô ville chef et gloire du monde, illustre Rome.
15 À lui n’a en rien nui la mort, qui a été détruite par la mort du Christ,
Bien plus, qui était dès lors la porte d’une vie meilleure.
Après avoir pleuré le père, moi Charles, j’ai fait écrire ces vers,
Je me lamente de ta mort, père, sois doux pour moi,
Souviens-toi de moi, que mon esprit te suive toujours,
20 Avec le Christ obtiens les bienheureux royaumes du ciel.
Le clergé, le peuple t’aime d’un grand amour,
Père très bon tu étais pour tous un unique amour.
Ô toi, le très illustre, je joins ensemble nos noms dans cette inscription,
Moi Charles, le roi, et Hadrien, le père :
25 Que quiconque lira ces vers, suppliant d’un cœur zélé,
Avec bienveillance dise : « Dieu, aie pitié de l’un et de l’autre ».
Que maintenant ce lieu de repos conserve tes membres, ô très cher,
Que ton âme soit dans la joie avec les saints de Dieu.
Lorsqu’à la fin des temps, la trompette résonnera à tes oreilles,
30 Lève-toi, avec le prince des apôtres, Pierre, pour voir Dieu.
Je sais que tu entendras la sainte voix du Juste :
« Maintenant entre dans la grande joie de ton Seigneur ».
Alors, père remarquable, souviens-toi de ton fils, je t’en supplie
Dis qu’avec le père tende le fils, et moi aussi,
35 Demande, père bienheureux, les royaumes célestes du Christ
Et aide ton peuple par tes prières. [flamboyants
Tant que le soleil ardent resplendit de son axe aux cheveux
Saint Père, le monde ne cesse de te louer.
Le pape Hadrien, de sainte mémoire, a siégé
40 23 ans 10 mois 17 jours. Il est mort le 7 des calendes de janvier.

Référence : Alcuin, Poème IX « De Hadriano papae », éd. E.


Dümmler, MGH Poetae I, Berlin, 1881, p. 113-114. Traduite
par Robert Favreau, Épigraphie médiévale, Turnhout, 1997,
p. 64-68.
Voir aussi Cécile Treffort, Mémoires carolingiennes.
L’épitaphe entre célébration mémorielle, genre littéraire et
manifeste politique (milieu VIIIe-début XIe s.), Rennes, 2007.

Inscription gravée
Église Saint-Pierre de Rome

33
2. Concile de Tours (813)

1 L’empereur, avec zèle, et par de très salutaires exhortations, a demandé aux ecclésiastiques
pieux et religieux tenant, par la grâce de Dieu, le gouvernail de l’Église dans son royaume de
faire les œuvres et de se distinguer par les actions grâce auxquels ils gouverneront en faisant le
bien et en réprimant les fautes, par la parole et par l’exemple. Ayant défini le lieu et la date
5 auxquels il était plus commode et avantageux de se réunir pour le métropolitain, les autres
évêques et élus et certains parmi les clercs, afin d’œuvrer à ce qui nous est ordonné par le
prince, nous nous sommes réunis à l’endroit fixé. Ainsi, nous, les évêques, abbés et clercs
rassemblés dans la ville de Tours, malgré notre faible importance, nous avons noté par chapitre,
pour les montrer à notre cher et sérénissime empereur, ce que nous considérons appartenir à une
10 telle œuvre et ce qui, selon les canons, a besoin d’être corrigé.
1. D’abord, nous rappelons, de manière générale, à tous ceux qui sont rassemblés et présents
à notre réunion, qu’ils ont à obéir à notre excellent seigneur l’empereur, et qu’ils doivent veiller
à lui conserver inviolablement la foi qu’ils lui ont promise (...).
2. Si cela est possible, qu’il ne soit permis à aucun évêque d’ignorer les canons et le livre
15 pastoral composé par le pape Grégoire, car, dans ceux-ci, chacun doit se considérer quasi
comme dans un miroir (...).
10. Que les évêques aient le plus grand soin et la plus grande sollicitude envers les pauvres.
Qu’ils utilisent les biens ecclésiastiques attribués aux églises avec la plus grande
circonspection, comme des ministres de Dieu, et non comme des hommes avides d’un gain
20 honteux. Qu’ils les utilisent non comme des biens personnels, mais comme des biens dont
l’usage leur a été confié (...).
12. On ne doit pas ordonner un prêtre avant l’âge légitime, qui est la trentième année. Mais,
avant que celui qui veut être prêtre accède à la consécration, qu’il demeure à l’évêché pour
apprendre son office, afin que l’on connaisse ses mœurs et son comportement, et alors, s’il est
25 digne, qu’il soit promu au sacerdoce.
13. Que chacun des évêques s’efforce de surveiller diligemment son diocèse, afin qu’aucun
prêtre venant d’un autre diocèse n’ose y célébrer l’office sans lettre de recommandation,
comme cela s’est fait autrefois dans beaucoup de lieux (...).
15. Que tout prêtre qui aurait acheté son église à prix d’argent, en ayant expulsé quelqu’un,
30 soit déposé de manière irrévocable, parce qu’il aura agi contre la discipline ecclésiastique ;
[qu’il en aille de même pour celui qui] aurait chassé, à prix d’argent, le prêtre légitimement
affecté à cette église et se la serait attribuée. Nous devons arracher ce vice très largement
répandu. Il est donc interdit aux clercs et aux laïcs d’oser donner une église à un prêtre sans
autorisation et consentement de l’évêque.
35 16. Que les dîmes qui sont données par chacun aux églises soient utilisées par les prêtres sur
le conseil de l’évêque, et avec la plus grande diligence, pour les besoins de l’Église et pour les
pauvres.
17. Nous avons décidé à l’unanimité que chaque évêque ait des homélies rappelant les
principales exhortations à faire aux fidèles, c’est-à-dire sur la foi catholique, et selon ce qu’ils
40 peuvent comprendre, au sujet de la récompense éternelle des bons et de la damnation éternelle
des méchants, de la résurrection future, du jugement dernier, et par quelles œuvres on peut
mériter la vie éternelle ou en être exclu. Et chacun doit traduire ses homélies en langue rustique,
latine ou germanique (theodisca), afin que tous puissent comprendre ce qui est dit.
25. Dans les monastères de moines dans lesquels la règle de saint Benoît était autrefois
45 conservée, mais où maintenant, par négligence, elle est observée avec mollesse, ou a même été
totalement abolie, nous trouvons bon que l’on revienne à l’état antérieur. Que les abbés de ces
monastères s’efforcent de revenir à la coutume et à la vie préconisées par cette règle. Comme il
y a des monastères dans lesquels les moines qui ont promis à leur abbé de suivre ladite règle de
saint Benoît sont peu nombreux, que les abbés y organisent une vie plus canoniale que
50 monastique (...).
34. Par-dessus tout, nous mandons aux comtes et aux juges de ne pas permettre à des
personnes viles et indignes de se présenter devant eux pour devenir témoins. Car de
nombreuses personnes n’attachant pas d’importance au parjure, elles peuvent être conduites au
serment seulement pour la nourriture d’un jour, ou pour un petit prix, et ne craignent pas de
55 perdre leur âme dans un parjure. C’est pourquoi de telles personnes ne peuvent absolument pas

34
être prises comme témoins. On doit noter que sont frappés de la damnation non seulement ceux
qui se parjurent, mais aussi ceux qui consentent au parjure (...).
39. Nous avons entendu dire que les plaids séculiers, tenus par les comtes et les viguiers,
ont lieu jusqu’à maintenant dans les églises ou dans les cimetières (atrium) des églises. Pour
60 que cela ne se fasse plus, nous l’interdisons par l’autorité du Seigneur qui a expulsé les
marchands du temple et assuré que la maison de Dieu est une maison de prière.

Référence : Concile de Tours, éd. A. Werminghoff, MGH Concilia aevi Karoli, 1. 742-817, Hanovre-
Leipzig, 1906 ; trad L. Feller et B. Judic, Les sociétés du haut Moyen Âge en Occident, Paris, 2010,
p. 258-259. Traduit du latin.

La hiérarchie des évêques


Sacramentaire de Marmoutiers
Autun, BM, ms. 19 bis, fol 1v.

35
3. La réforme monastique de Benoît d’Aniane (816-817)

1 L’an de l’Incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ 817, quatrième de l’empire du très


glorieux prince Louis, le 6 des ides de juillet, dans le bâtiment du palais d’Aix que l’on appelle
Latran, ont siégé des abbés accompagnés d’un grand nombre de leurs moines et ils ont décrété
d’un commun accord et d’une commune volonté que les chapitres qui suivent seraient
5 inviolablement observés par tous les réguliers.
1. Que les abbés, dès qu’ils seront retournés à leurs monastères, lisent entièrement la règle,
la discutent mot à mot et que, la comprenant, ils veillent efficacement avec l’aide de Dieu à
l’appliquer avec leurs moines.
2. Que tous les moines qui le peuvent apprennent la règle par cœur.
10 3. Qu’ils célèbrent l’office selon les prescriptions de la règle de saint Benoît.
4. Que, à la cuisine, à la boulangerie et dans tous les autres ateliers artisanaux, ils travaillent
de leurs propres mains et lavent leurs vêtements en temps opportun.
5. Qu’en aucune circonstance, ils ne reviennent à leurs lits après vigiles pour dormir, s’il ne
leur est pas arrivé de se lever avant l’heure fixée.
15 6. Que durant le Carême, sauf le Samedi Saint, ils ne se rasent pas ; le reste du temps, qu’ils
se rasent une fois tous les quinze jours et de même dans l’octave de Pâques.
7. Que l’usage des bains se fasse selon la décision du prieur.
8. Qu’ils ne mangent jamais de volailles au-dedans comme au dehors, si ce n’est pendant
une maladie.
20 9. Qu’aucun évêque n’ordonne aux moines de manger de la volaille.
10. Qu’ils ne mangent ni fruits ni laitue, sinon quand une autre nourriture est prise.
11. Qu’ils n’observent pas une période fixe pour la saignée, mais que chacun la subisse
selon les besoins de la nécessité, et qu’on lui offre un réconfort particulier en nourriture et en
boisson.
25 12. Qu’ils boivent, si cela est nécessaire à cause de l’effort causé par le travail, après le
repas du soir et durant le carême, de même quand on célèbre l’office des morts, avant que soit
faite la lecture des complies.
13. Quand quelqu’un a été semoncé par le prieur, qu’il dise d’abord « Mea culpa », puis se
prosternant à ses pieds avec sa chape s’il en a une, qu’il demande pardon  ; et alors qu’il se
30 relève sur l’ordre du prieur, et s’il est interrogé, qu’il donne humblement une explication.
14. Qu’on ne les flagelle pas nus pour une faute quelconque devant les frères.
15. Qu’on ne les envoie pas seuls en voyage, c’est-à-dire sans un autre frère.
16. Qu’ils ne deviennent ni parrains, ni marraines, et n’embrassent pas de femmes.
17. Si la nécessité oblige à les occuper pour récolter les moissons ou à tout autre travail,
35 l’ordre de lire et le temps de repos de midi seront transgressés, et les travailleurs ne devront pas
murmurer.
18. Que quand ils jeûnent le mercredi et le vendredi avant ou après none, si cela est
nécessaire, ils fassent de menus travaux selon l’ordre du prieur.
19. Durant le Carême, ayant reçu des livres de la bibliothèque selon les décisions du prieur,
40 qu’ils n’en reçoivent pas d’autres, si le prieur n’en décide pas autrement.
[…]
42. Qu’aucun homme du peuple ou clerc séculier ne soit accepté pour y habiter, sauf s’il
veut devenir moine.
[…]
45 44. Que les abbés puissent avoir des celles dans lesquelles habitent des moines ou des
chanoines ; et que l’abbé ait soin de ne pas permettre à moins de six moines d’y habiter.
45. Que l’on ne tienne pas d’école au monastère, sauf l’école de ceux qui sont oblats.

Référence : éd. A. Boretius, MGH Capitularia regum Francorum I, Hanovre, 1883, p. 344 et suiv.
Traduit du latin.

36
4. Privilège d’immunité pour Corbie (825)

1 Au nom du Seigneur Dieu, notre Sauveur Jésus-Christ. Louis et Lothaire, empereurs


augustes par l’ordonnance de la providence divine.
Si par don de notre libéralité nous conférons quelque bienfait (beneficium) aux lieux voués à
Dieu, si nous nous rendons aux demandes des serviteurs de Dieu pour aider à soulager l’Église
5 de ses besoins pressants et si nous accordons la protection impériale, alors nous sommes sûrs
que cela nous sera profitable, tant pour passer le cours de la vie mortelle que pour obtenir
heureusement la vie éternelle.
Pour l’heure, sachent la sagacité et la qualité de tous nos fidèles, présents et futurs, que
l’homme vénérable Adalhard l’Ancien (senex), abbé du monastère construit dans le pagus
10 d’Amiens, sur la Somme, en l’honneur des bienheureux apôtres Pierre et Paul et de saint
Étienne, le protomartyr, a demandé à notre Éminence que nous fassions confirmer ce monastère
dans notre protection et dans notre défense, avec les cellulae qui lui sont sujettes, les biens et
les hommes qui en dépendent et lui appartiennent, afin que désormais et à l’avenir, par
l’autorité de notre immunité, ce monastère fût protégé et défendu contre toute tracasserie
15 (inquietudo) du pouvoir judiciaire. À leur demande, nous avons donné notre assentiment et
nous avons décidé que pour l’amour du culte divin et pour le salut de notre âme, soit fait ce
précepte de notre autorité en faveur de ce monastère, en vue de l’immunité (immunitas) et de la
protection (tuitio).
Et par lui nous prescrivons et nous ordonnons qu’aucun juge public (iudex publicus) ni
20 personne du pouvoir judiciaire n’ose s’introduire dans les églises, sur les terres (in agros) et
toutes les autres possessions que le dit monastère tient et possède à présent, en justice et
légalement, dans n’importe quels pagi et territoires relevant de notre empire, ou sur tout bien
que la propriété divine viendra ajouter au droit du monastère ; et qu’aucun n’ose y pénétrer, de
notre temps comme à l’avenir, pour faire valoir son droit de gîte et exiger des fournitures, ou
25 désigner des répondants (fideiussores), ou poursuivre en justice les hommes, libres (ingenui)
comme esclaves (servi), qui résident sur les terres du monastère, ou pour exiger aucune taxe ou
des amendes illicites ; et qu’il n’ose exiger absolument rien de tout cela.
Mais qu’il soit permis à l’abbé susdit et à ses successeurs de posséder, dans l’ordre et la
quiétude, à l’écart des tracasseries de tout pouvoir et sous la défense de nos protection et
30 immunité, les biens dudit monastère de Saint-Pierre, avec tous les biens qui lui sont soumis et
les hommes qui en dépendent et lui appartiennent, de se soumettre fidèlement à notre
commandement impérial (imperium) et de prier continûment la clémence sans borne de Dieu,
avec le clergé qui leur est soumis, pour notre salut, celui de notre épouse et de notre
progéniture, ainsi que pour celui de l’Empire (imperium) que Dieu nous a confié.
35 Nous voulons aussi que les moines du susdit monastère aient licence, conformément à
l’institution de la vie régulière, de se choisir leur abbé, aussi longtemps que l’éminence royale
sera vigoureuse.
Et pour que cet acte de notre autorité demeure plus fermement et qu’il soit mieux observé
dans les temps futurs, nous l’avons confirmé de notre propre main et avons ordonné qu’il soit
40 muni de l’impression de notre sceau.
Seing (monogramme) [de Louis] sérénissime empereur.
Seing (monogramme) de Lothaire très glorieux auguste.
[Hirnminmaris ?] notaire à reconnu à la place de Fridugise (emplacement du sceau).
Donné à Aix, la 12e année de l’empire de Louis, et la 4e année de celui de Lothaire,
45 indiction (...).

Référence : Texte édité par L. Morelle, « Le diplôme de Louis le Pieux et Lothaire (825) pour l’abbaye
de Corbie. À propos d’un document récemment mis en vente », Bibliothèque de l’École des Chartes,
149 (1991), p. 405-420. Traduit par L. Morelle dans F. Bougard (dir), Le christianisme en Occident du
début du VIIe au milieu du XIe siècle, Paris, SEDES, 1997, p. 217-219.

37
VII- LA RENAISSANCE CAROLINGIENNE
IDÉOLOGIE ET CULTURE

1. Extraits de l'Admonitio Generalis (789)

1 70. Aux prêtres. Que les évêques éclairent soigneusement les prêtres, disséminés à travers
leurs diocèses, sur leur foi, sur l’administration du baptême et la célébration des messes, pour
qu’ils maintiennent la vraie foi et observent le baptême catholique et comprennent bien les
prières des messes et chantent dignement les psaumes suivant les divisions des versets et
5 comprennent eux-mêmes la prière du Seigneur et la fassent comprendre à tous par la
prédication, afin que chacun sache ce qu’il demande à Dieu ; et que « Gloire au Père » soit
chanté par tous avec l’honneur qui lui est dû ; et que le prêtre lui-même dise en chantant avec
les saints anges et le peuple de Dieu d’une voix commune : « Saint, Saint, Saint ». Et de toute
manière il faut dire aux prêtres et aux diacres de ne pas porter d’armes, mais de compter
10 davantage sur la défense de Dieu que sur celle des armes.
71. À la fois aux prêtres et au peuple. Nous avons trouvé bon également de recommander à
votre vénérabilité de veiller à ce que, dans vos paroisses, l’Église de Dieu ait son culte et que
les autels soient vénérés en même temps suivant leur [dédicace] et que la maison de Dieu et les
saints autels ne soient pas accessibles aux chiens et que les vases [liturgiques] consacrés à Dieu
15 soient [utilisés] avec une grande ferveur par ceux qui sont dignes ou servent dignement ; et que
les affaires profanes et les bavardages n’aient pas lieu dans les églises, car la maison de Dieu
doit être une maison de prière, non une caverne de voleurs 1 ; et que ceux qui viennent assister à
la messe aient l’esprit tourné vers Dieu et ne partent pas avant que le prêtre ait donné la
bénédiction.
20 72. Aux prêtres. Mais nous demandons également avec instance à votre vénérabilité que les
ministres de l’autel de Dieu se distinguent dans leur ministère par de bonnes mœurs, qu’ils
appartiennent soit aux ordres d’observance canonique, soit aux congrégations soumises à la
règle monastique ; nous prions instamment que leur conversation soit édifiante et
recommandable, comme l’a ordonné dans l’Évangile le Seigneur lui-même : « Qu’ainsi brille
25 votre lumière à la face des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre
Père céleste » (Matthieu, 5, 16), qu’ils attirent par leur édifiante conversation au culte de Dieu
de nombreuses personnes et rassemblent et associent [à eux] non seulement des enfants de
condition modeste, mais également des fils biens nés. Qu’il y ait également des écoles pour
l’instruction des garçons. Corrigez bien dans chaque monastère ou évêché les psaumes, les
30 notes, les chants, le calcul, la grammaire et les livres catholiques ; car souvent certains,
lorsqu’ils désirent prier Dieu, prient mal du fait que les livres ne sont pas corrigés. Et ne
permettez pas qu’ils nuisent à vos garçons qui les lisent ou les copient ; et s’il est nécessaire de
copier l’Évangile, le psautier et le missel, que ce soient des adultes qui le fassent avec toute leur
application.
35 (...) 78. À tous. De même, en ce qui concerne les écrits apocryphes et les écrits douteux, ou
ce qui est tout à fait contraire à la foi catholique et cette lettre des plus malfaisantes et
mensongères que, l’année passée, certains égarés dans l’erreur et y induisant d’autres disaient
être tombée du ciel, que l’on n’y prête foi ni ne les lise, mais qu’on les brûle, afin que le peuple
ne soit induit en erreur par de tels écrits. Mais qu’on lise et transmette seulement les livres
40 canoniques et les traités catholiques ainsi que les paroles des saints auteurs.
(...) 80. À tout le clergé. Que tous apprennent intégralement le chant romain et disent, dans
l’ordre, l’office de nuit ou de jour suivant ce qu’a décidé notre père, le roi Pépin, de
bienheureuse mémoire, lorsqu’il a supprimé l’office gallican en vue de l’unité avec le Siège
apostolique et la concorde pacifique de la sainte Église de Dieu.

Référence : Admonitio generalis, éd. A. Boretius, MGH Capitularia regum Francorum I, n°22,
Hanovre, 1883, p. 53-62. Traduit du latin par G. Tessier, Charlemagne, Paris, 1967, p. 291-309.

1
Allusion à Matthieu 21, 13.

38
2. Extraits du testament d’Évrard de Frioul (863-864)

1 Des livres de notre chapelle que nous voulons partager :


Nous voulons d’abord que Unroch ait notre psautier double et notre Bible, et le livre de
saint Augustin Des paroles du Seigneur, et le livre sur la loi des Francs, des Ripuaires, des
Lombards, des Alamans et des Bavarois, et le livre De la chose militaire1, le livre des sermons
5 divers qui commence par Sur Elie et Achab, et le livre sur l’utilité de la pénitence, et le livre des
constitutions des princes et des édits des empereurs, et les Synonymes d’Isidore, le Livre des
quatre vertus2, et l’Évangile, et le livre des bêtes, et la cosmographie du philosophe Aethicus.
Nous voulons que Béranger ait un autre Psautier écrit en lettres d’or, et le livre sur La Cité
de Dieu de saint Augustin, et Des paroles du Seigneur, et l’histoire des pontifes romains 3, et
10 l’Histoire des Francs4, et les livres des évêques Isidore, Fulgence, Martin, et le livre d’Ephrem,
et les Synonymes d’Isidore, et le livre de gloses, d’explication et des jours.
Nous voulons qu’Adalard ait le troisième psautier que nous utilisons, et le commentaire sur
les Epîtres de Paul, le livre de saint Augustin Des paroles du Seigneur, le livre sur le prophète
Ézechiel, et le lectionnaire des Epîtres et des Evangiles écrit avec de l’or, et la Vie de saint
15 Martin5, et le livre d’Anianus6, et le volume des sept livres du grand Paul Orose, les livres de
saint Augustin au prêtre Jérôme sur ce que dit Jacques « Qui a observé la loi, s’il s’en écarte sur
un point devient coupable de tout »7.
Nous voulons que Raoul ait le psautier avec son commentaire dont Gisèle se servait, et
l’ouvrage de Smaragde, et le Collectaneum8, et le livre de Fulgence, et le missel quotidien que
20 nous avons toujours eu dans notre chapelle, la Vie de saint Martin, la Physionomie du médecin
Loxus, et l’ordre des premiers princes9.
Nous voulons que notre fille aînée Engeltrude ait le livre appelé Vies des Pères, et le livre
appelé Livre de l’enseignement de saint Basile10, et Apollonius11, et les Synonymes d’Isidore.
Nous voulons que Judith ait un missel et un livre qui commence par le sermon de saint
25 Augustin sur l’ivresse, et la loi des Lombards, et le livre d’Alcuin au comte Guy.
Nous voulons que Heilwich ait un missel, un passionnaire, et un livre de prières avec les
Psaumes, et un petit livre sur les prières.
Nous voulons que Gisèle ait le Livre des quatre vertus et l’Enchiridion de saint Augustin.

Référence : Cartulaire de l’abbaye de Cysoing, éd. De Coussemaker, Lille, 1903, p. 1-15. Traduit du
latin.

1
De Végèce.
2
De Martin de Braga.
3
Le Liber pontificalis.
4
De Grégoire de Tours.
5
De Suplice Sévère.
6
C’est-à-dire le Bréviaire d’Alaric.
7
Epîtresde Jacques 2, 10
8
De Sedulius Scottus.
9
Une liste chronologique des souverains.
10
Basile de Césarée.
11
Appolonius de Tyr.

39
3. Le palais d’Ingelheim

a. Description d’Ermold le Noir (vers 826)

1 Le palais royal, parfaitement sculpté, resplendit au loin,


Et chante, retracés par l’art, les hauts faits des hommes.
Il chante les actes de Cyrus, ainsi que les combats divers
Et les événements trop cruels du temps de Ninus.
5 Tu peux y voir la fureur de ce roi se déchaîner contre un fleuve
Pour venger la mort d’un cheval aimé ;
Puis son sort funeste : lui qui qui s’était emparé des terres d’une femme,
Sa tête fut plongée dans une outre de sang.
Les actes impies de l’odieux Phalaris ne sont pas passés sous silence,
10 Ni comment il a massacré sauvagement des peuples misérables.
Un certain Pyrillus, artisan du bronze et de l’or, se trouve près de lui :
Ce misérable impie, empressé, pour Phalaris
Fabriqua un taureau de bronze
Pour y consumer sans merci le corps saint des hommes.
15 Mais bientôt le tyran l’enferma dans le ventre du taureau,
Et l’œuvre donna la mort à son créateur.
Tu peux y voir comment Romulus et Rémus jetèrent les fondations de Rome,
Et comment celui-là frappa son frère d’une main impie ;
Comment Hannibal s’employa sans cesse à des guerres iniques,
20 Et comment il fut lui-même privé de la vue.
Tu peux y voir aussi comment Alexandre revendiqua par la guerre la terre entière ;
Comment la puissance de Rome s’éleva jusqu’au bout du monde.
Dans une autre partie du palais, on admire les actes de nos ancêtres
Et de ceux beaucoup plus proches de la pieuse foi.
25 Aux législations des Césars de l’opulente Rome
Sont joints en même temps les hauts faits des Francs :
On voit Constantin quitter Rome par amour,
Et se construire lui-même Constantinople ;
Le bienheureux Théodose est peint là,
30 Des hauts faits ajoutés à ses remarquables lois ;
Ensuite est peint Charles, le premier vainqueur des Frisons,
Et avec lui ses grands exploits ;
Puis toi, Pépin, tu resplendis soumettant les Aquitains
Et, après ta victoire, les rattachant à ton royaume ;
35 Et Charles le sage, montrant son clair visage
Et portant, selon la règle, une couronne sur la tête ;
Puis une troupe de Saxons s’oppose à lui et tente la fortune des armes ;
Celui-là les frappe, les dompte et les réduit à son obéissance.
Ce lieu resplendit par ces actes et d’autres encore :
40 On se réjouit à sa vue, et il plaît à tous ceux qui le regardent.
C’est donc là que le pieux César donne leurs droits à ses sujets,
Et procure selon la règle ses soins aux affaires du royaume.

Référence : Ermold le Noir, Poème en l’honneur de Louis le Pieux, Livre IV, vers 2126-2167, éd. et
trad. E. Faral, Paris, 1964, revue à partir de A. Knaepen, « L’histoire gréco-romaine dans les sources
littéraires latines de la première moitié du IXe siècle : quelques conclusions provisoires », Revue belge
de philologie et d’histoire, 79 (2001), p. 341-372, p. 360-361 et d’une traduction de G. Lobrichon.

40
b. Reconstitution de la grande salle (aula regia)

c. Maquette (état des recherches : 2004)

Référence : http://www.kaiserpfalz-ingelheim.de/

41
4. Manuscrits carolingiens

Psautier de Corbie
Amiens, Bibiliothèque Municipale, ms. 18, fol. 1v-2

Jonas d’Orléans, Lettre à l’évêque Walcaud et Translation et Vie de saint Hubert de Laon
Paris, Bibliothèque Nationale de France, ms. lat. 5609, fol. 2v-3
Images de la royauté dans les manuscrits carolingiens

42
a. Louis le Pieux b. Lothaire Ier
Hraban Maur, De laudibus sanctae crucis, Évangiles de Lothaire, Tours, 849/851,
Fulda, années 830 Paris, BNF, ms. lat. 266, fol. 1v.
Amiens, BM, ms. 223, fol. 3v.

c. Charles le Chauve
Psautier de Charles le Chauve,
Paris, BNF lat. 1152, fol. 3v

43
VIII- LA FRANCIE DE 840 À 888

1. Serments de Strasbourg (842)

1 Donc, le 16 des calendes de mars 1, Louis et Charles se réunirent dans la cité qui s’appelait
jadis Argentaria, mais qui est aujourd’hui appelée communément Strasbourg, et prêtèrent,
Louis en langue romane et Charles en langue tudesque, les serments qui sont rapportés ci-
dessous.
5 Mais avant de prêter serment, ils haranguèrent comme suit le peuple assemblé, l’un en
tudesque, l’autre en langue romane, Louis, en sa qualité d’aîné, prenant le premier la parole en
ces termes : « Vous savez à combien de reprises Lothaire s’est efforcé de nous anéantir, en nous
poursuivant, moi et mon frère ici présent, jusqu’à extermination. Puisque ni la parenté ni la
religion ni aucune autre raison ne pouvait aider à maintenir la paix entre nous, en respectant la
10 justice, contraints par la nécessité, nous avons soumis l’affaire au jugement de Dieu tout-
puissant, prêts à nous incliner devant son verdict touchant les droits de chacun d’entre nous. Le
résultat fut, comme vous le savez, que par la miséricorde divine nous avons remporté la victoire
et que, vaincu, il s’est retiré avec les siens là où il a pu. Mais ensuite, ébranlés par l’amour
fraternel et émus aussi de compassion pour le peuple chrétien, nous n’avons pas voulu le
15 poursuivre ni l’anéantir ; nous lui avons seulement demandé que, du moins à l’avenir, il fût fait
droit à chacun comme par le passé. Malgré cela, mécontent du jugement de Dieu, il ne cesse de
me poursuivre à main armée, ainsi que mon frère ici présent ; il recommence à porter la
désolation chez notre peuple en incendiant, pillant, massacrant. C’est pourquoi, poussés
maintenant par la nécessité, nous nous réunissons, et pour lever toute espèce de doute sur la
20 constance de notre fidélité et de notre fraternité, nous avons décidé de prêter ce serment l’un à
l’autre, en votre présence. Nous ne le faisons pas sous l’empire d’une inique cupidité, mais
seulement pour que, si Dieu nous donne le repos grâce à votre aide, nous soyons assurés d’un
profit commun. Si toutefois, ce qu’à Dieu ne plaise, je venais à violer le serment juré à mon
frère, je délie chacun de vous de toute soumission envers moi, ainsi que du serment que vous
25 m’avez prêté ».
Et lorsque Charles eut répété les mêmes déclarations en langue romane, Louis, étant l’aîné,
jura le premier de les observer : « Pour l’amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre salut
commun, à partir d’aujourd’hui, en tant que Dieu me donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce
mien frère Charles par mon aide et en toute chose, comme on doit secourir un frère, selon
30 l’équité, à condition qu’il fasse de même pour moi, et je ne tiendrai jamais avec Lothaire aucun
plaid qui, de ma volonté, puisse être dommageable à mon frère Charles ». Lorsque Louis eut
terminé, Charles répéta le même serment en langue tudesque : « Pour l’amour de Dieu et pour
le salut du peuple chrétien et notre salut à tous deux, à partir de ce jour dorénavant, autant que
Dieu m’en donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère, comme on doit selon l’équité
35 secourir son frère, à condition qu’il en fasse autant pour moi, et je n’entrerai avec Lothaire en
aucun arrangement qui, de ma volonté, puisse lui être dommageable. »
Et le serment que prononça chaque nation dans sa propre langue est ainsi conçu en langue
romane : « Si Louis observe le serment qu’il jure à son frère Charles et que Charles, mon
seigneur, de son côté, ne le maintient pas, si je ne puis l’en détourner, ni moi ni aucun de ceux
40 que j’en pourrai détourner, nous ne lui serons d’aucune aide contre Louis ». Et en langue
tudesque : « Si Charles observe le serment qu’il a juré à son frère Louis et que Louis, mon
seigneur, rompt celui qu’il a juré, si je ne puis l’en détourner, ni moi ni aucun de ceux que j’en
pourrai détourner, nous ne lui prêterons aucune aide contre Charles ».
Cela terminé, Louis se dirigea sur Worms, le long du Rhin, par Spire, et Charles le long des
45 Vosges, par Wissembourg.

Référence : Nithard, Histoire des fils de Louis le Pieux, éd. et trad. P. Lauer, Paris, 1926, p. 101-109.
Traduit du latin.

1
Il s’agit du 14 février.

44
2. Conseils de Dhuoda à son fils Guillaume (841/843)

1 (III, 1) Je ne me lasse pas de t’inculquer le plus que je peux comment tu dois, en toutes
choses, garder crainte, amour et fidélité à Bernard, ton seigneur et père, en son absence comme
en sa présence. Tu as d’ailleurs un docteur et un auteur plein de sagesse, Salomon, pour te faire
la leçon, mon fils, et te donner cet avertissement : Dieu a honoré le père qui fleurit en sa
5 descendance (Siracide 3, 3). De même, Qui honore son père se réjouira en ses fils (Siracide 6),
soulagera sa mère (Siracide 7) ; et tel un collectionneur de trésors, tel est celui qui honore son
père (Siracide 5). Qui craint le Seigneur honore ses parents (Siracide 3, 8). Toi donc mon fils,
honore ton père et prie sans relâche pour lui, afin d’atteindre sur terre un âge avancé (Exode
20, 12) et de vivre très longtemps. Souviens-toi, en effet, que sans lui tu ne serais pas né
10 (Siracide 7, 20). En toute affaire importante, sois obéissant à ton père, écoute son avis (Exode
3, 2).
(III, 2) Sans doute aux yeux des hommes la dignité et la puissance royale ou impériale
l’emportent en ce monde : aussi l’usage des hommes est-il de révérer en premier lieu les actions
et les noms des rois et des empereurs ; ils méritent le respect, et leur pouvoir s’appuie sur
15 l’excellence de leur dignité, comme en témoignent les paroles de celui qui a dit : Que ce soit au
roi, comme ayant la primauté, que ce soit aux chefs, soyez soumis, etc. (1e épitre de Pierre, 2,
13-14). Et pourtant mon fils, voici ma volonté : que sur le conseil de ma petitesse, et selon
Dieu, tu commences d’abord de ne pas omettre de rendre, ta vie durant, à celui dont tu es le fils,
un hommage particulier, fidèle et sûr. (...)
20 (III, 4) Charles, que tu as comme seigneur – puisque Dieu, comme je le crois, et ton père
Bernard l’ont choisi pour que tu le serves en ce début de ta vie et en la fleur de ta jeunesse – est
issu, retiens-le encore, aussi bien d’un côté que de l’autre, d’un grand et noble lignage. Ne le
sers pas seulement pour plaire à ses yeux, mais aussi de toute ton intelligence, à la fois pour ce
qui est du corps, et pour ce qui est de l’âme ; garde-lui en tout une fidélité active, loyale et sûre.
25 (...) Que jamais, pas une fois, la folie de l’infidélité ne te fasse commettre un fâcheux affront  ;
que jamais ne naisse ni ne grandisse en ton cœur l’idée d’être infidèle à ton seigneur en quoi
que ce soit. Ceux qui agissent ainsi n’ont droit qu’à des mots durs et honteux. Mais je ne pense
pas que cela doive être le cas pour toi, ni pour tes compagnons d’armes : jamais, dit-on, cette
manière de faire ne s’est vue chez tes aïeux ; elle n’a pas existé, elle n’existe pas, elle n’existera
30 pas à l’avenir.
Toi donc, mon fils Guillaume, issue de leur lignée, sois avec ton seigneur comme je te l’ai
dit : franc, vigilant, efficace, éminent. En toute affaire qui intéresse le pouvoir royal, tâche, pour
autant que Dieu te donnera des forces, de te conduire en toute prudence, au-dedans comme au-
dehors. Lis les maximes et les vies des saints Pères qui nous ont précédés ; tu y découvriras
35 comment et de quelle façon tu dois servir ton seigneur et l’assister fidèlement en tout. En quand
tu l’auras découvert, applique-toi à exécuter fidèlement les ordres de ce seigneur. Regarde aussi
et observe ceux qui le servent très fidèlement et assidûment, et reçois d’eux les leçons de ce
service ; ainsi formé à leur école, tu seras capable d’accomplir plus facilement ce que je t’ai
rappelé plus haut. Que ton Dieu et Seigneur te soit en tout propice et bienveillant ! Qu’il soit
40 ton défenseur, ton chef bienfaisant et ton protecteur ! Qu’en toutes tes actions il daigne
t’assister continuellement comme ton soutien et ton défenseur ! Comme il le voudra dans le
ciel, ainsi soit-il ! Amen.

Référence : Dhuoda, Manuel pour mon fils, extraits du livre III, éd. et trad. P. Riché, Paris, 1975.
Traduit du latin. Voir aussi Dhuoda, Manuel pour mon fils, lu par J. Meyers, Paris, 2012.

45
3. Les Carolingiens face aux Normands vers 880

1 877 – Charles [le Gros] envoya des légats qui traitèrent avec les Normands afin de les engager,
par des présents, à quitter le royaume. Le pacte ayant été conclu, les églises furent spoliées et
tout le royaume dut verser un tribut pour se libérer de cette calamité.

5 879 – Les Normands qui se trouvaient outre-mer, ayant appris les discordes qui régnaient entre
les Francs, franchirent la mer en une infinie multitude et, par le fer et le feu, dévastèrent
Thérouanne au milieu du mois de juillet, sans rencontrer de résistance. Voyant le succès de leur
première entreprise, ils parcoururent la terre des Ménapiens 1 et la dévastèrent par le fer et le feu.
Puis ils passèrent sur le fleuve Escaut et ravagèrent tout le Brabant par le fer et le feu. Hugues,
10 fils du roi Lothaire2, prenant les armes inconsidérément, se porta contre eux avec une grande
audace. Mais il ne fit rien de bien ni d’utile, et, en réalité, s’enfuit honteusement. Plusieurs de
ses vassaux furent tués ou pris (…). Les Normands ne cessèrent de dévaster les églises et de
massacrer et capturer le peuple de Dieu (…).

15 880 – Les Normands dévastèrent Tournai et tous les monastères sur l’Escaut, par le fer et le feu,
tuant les paysans et les faisant prisonniers (…).

881 – Les Normands, en infinie multitude, entrèrent dans notre monastère le 7 des calendes de
janvier. Ils brûlèrent le monastère, la ville (civitas) à l’exception des églises, le vicus du
20 monastère et toutes les villae alentour, le 5 des calendes de janvier, après avoir tué tous ceux
qu’ils avaient pu trouver. Ils se répandirent sur toute la terre jusqu’à la Somme, capturèrent un
énorme butin d’hommes, de troupeaux, de juments.

882 – Au Sud, les Francs rassemblèrent une marée contre les Normands, mais s’enfuirent tout
25 de suite (…). Les Danois brûlèrent le très célèbre palais d’Aix, ainsi que des monastères et des
cités : Trêves, la très noble, Cologne Agrippine, ainsi que des palais royaux et des villae ; ils
tuèrent les habitants de ces terres. Contre eux, l’empereur Charles rassembla une immense
armée et il les assiégea dans Elsloo. Le roi [des Danois] Godefrid vint alors vers lui  :
l’empereur lui donna le royaume des Frisons qu’autrefois le Danois Rorik avait tenu ; il lui
30 donna pour épouse Gisla, la fille du roi Lothaire, et il fit partir les Normands de son royaume.
Le roi Louis3 cependant gagna la Loire, voulant jeter les Normands hors de son royaume et
recevoir Hastings en son amitié : c’est ce qu’il fit (…). Mais il tomba malade et (…) mourut le
jour des nones d’août : il fût enterré en l’église de Saint-Denis, les Francs appelèrent son frère
Carloman qui vint rapidement en France.

Référence : Annales de Saint-Vaast d’Arras, éd. Rau, Quellen zur karolingischen Reichsgeschichte,
t. 2, Berlin, 1966. Traduit du latin.

1
Située à l’embouchure de l’Escaut.
2
Lothaire II, roi de Lotharingie, mort en 869.
3
Louis III, petit-fils de Charles le Chauve, roi de Francie occidentale depuis 879.

46
4. L’éclatement de l’Empire carolingien d’après Réginon de Prüm

1 [887] L’empereur commença à faiblir de corps et d’esprit. Au mois de novembre, vers la


fête de la mort de saint Martin [11 novembre], il vint à Tribur et y convoqua une réunion
générale. Les grands du royaume, voyant que la force physique mais aussi la lucidité
l’abandonnaient, prennent l’initiative de placer Arnulf, fils de Carloman, à la tête du royaume
5 […].

An de l’Incarnation du Seigneur 888. L’empereur Charles, troisième du nom dans cette


dignité, meurt la veille des ides de janvier [12 janvier] et est enseveli au monastère de
Reichenau […]. Après sa mort, les royaumes qui lui avaient été soumis se trouvent pour ainsi
10 dire sans héritier légitime ; ils se séparent de l’assemblage et ne trouvent plus de seigneur
naturel, chacun se donne un roi tiré de son sein. Ce fut la cause de grandes guerres, non que les
Francs manquassent de princes qui pussent, par leur noblesse, leur force et leur sagesse dominer
les différents royaumes, mais parce qu’ils étaient égaux par la qualité de l’extraction, de la
dignité, de la puissance, ce qui augmentait la discorde, car personne n’était assez au-dessus des
15 autres pour que les autres acceptassent de se soumettre à son pouvoir. La terre des Francs aurait
en effet engendré de nombreux princes, aptes à assumer le gouvernement, si la Fortune ne les
avait armés pour leur perte naturelle, par l’émulation de la valeur. C’est ainsi qu’une partie du
peuple italien se donne pour roi Bérenger, fils d’Évrard, qui tenait le duché de Frioul, pendant
que l’autre décide de conférer la même dignité royale à Guy, fils de Lambert et duc de Spolète ;
20 leur rivalité causa bientôt de part et d’autre tant de massacres et répandit tant de sang humain
que, selon la parole du Seigneur, les dissensions internes du royaume l’amènent à deux pas
d’une immense désolation1. […] Entre-temps, les peuples des Gaules se rassemblent et, avec
l’accord d’Arnulf, établissent roi au-dessus d’eux, d’un commun conseil et d’une même
volonté, le duc Eudes, fils de Robert, dont nous avons fait mention un peu plus haut : un
25 homme courageux, qui l’emportait sur les autres ‘par sa beauté, par sa haute taille, par
l’ampleur de ses forces et de sa sagesse’ 2. Il conduit l’État (res publica) de manière virile et se
posa en combattant inlassable contre les déprédations répétées des Normands. Vers la même
époque, Rodolphe, fils de Conrad, neveu de Hugues l’Abbé, dont nous avons déjà parlé, occupe
la région entre Jura et Alpes pennines ; convoquant certains des grands et plusieurs prêtres à
30 Saint-Maurice, il prend la couronne et se fait appeler roi.

Référence : Réginon de Prüm, Chronique, éd. F. Kurze, Hanovre, 1890. Trad. O. Guyotjeannin,
Archives de l’Occident, I : le Moyen Âge (Ve-XVe siècle), Paris, p. 249-252. Traduit du latin.

1
Matthieu 12, 25
2
Emprunt à Justin, auteur d’une abréviation au III e-IVe s. des Histoires philippiques de Trogue Pompée (fin du
Ier s. après J.-C.).

47
POSTÉRITÉ DU HAUT MOYEN ÂGE

1. Albert Maignan, Hommage à Clovis II, 1883


Huile sur toile, 109 x 140 cm. Rouen, Musée des Beaux-Arts.

2. Carl Von Steuben, La bataille de Poitiers, 1837


Huile sur toile, 465 x 542 cm. Versailles, Musée du Château.

48
3. C. et L. Rochet, Charlemagne et ses leudes, 1878
Statue en bronze. Paris, Parvis de Notre-Dame

4. L’œuvre de Charlemagne
Gravure tirée de G. Gautherot, Histoire de France, La Bonne Presse, vers 1920.

49

Vous aimerez peut-être aussi