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CONSERVATOIRE DE MUSIQUE DE MONTRÉAL

Laudamus et Gratia de Gaetano Donizetti:


retracer le parcours d’un manuscrit autographe à travers le temps.

Par HENRI FERLAND


Présenté à MARIE-NOËLLE LAVOIE

Dans le cadre du cours


BMR401

Bibliographie Méthode de Recherche


Montréal
7 MAI 2021
Si aujourd’hui, l’éthique en archéologie régit de manière stricte les recherches et
dépouillement d’artéfacts, cette branche de l’éthique est encore relativement récente1. En effet, il
ne faut pas remonter bien loin dans l’échelle du temps pour constater que les objets anciens
circulaient beaucoup plus librement si bien qu’on pouvait en perdre la trace. Il en est de même
pour les manuscrits autographes ayant traversé le temps, plusieurs collections sont incomplètes et
on a bien souvent perdu la trace des documents originaux. Cela dit, il arrive que certains joyaux
resurgissent de l’ombre sans qu’on puisse en retracer toute la provenance. C’est le cas
notamment du Laudamus et Gratia de Gaetano Donizetti, faisant partie de la collection
Gallini-Pelletier du Conservatoire de Musique de Montréal. Afin de jeter un coup d'œil plus en
profondeur à ce document, une brève description physique sera énoncée, suivie d’une mise en
contexte du compositeur et de la pièce en question puis, d’une hypothèse quant à la provenance
du document.
Tout d’abord, la pièce est titrée sur la page couverture intérieure comme “Laudamus e
Gratias per Tenore, a clarino obligato di Donizetti” et comporte dix parties: deux parties de
violons, une viole, un clarino obligato (clarinette), un cor, une trompette, un basson, un canto
(ténor), un violoncelle et une basse. À première vue, il m’a d’abord semblé que le clarino
obligato devait être une partie de trompette, clarino étant le terme utilisé pour désigner le registre
aigu de la trompette baroque, cela dit il me semblait étrange de voir aussi une partie de trombe,
qui désigne aussi une partie de trompette2. Il était d’autant plus étrange de constater que la partie
de clarino avait un bémol à l’armure et contenait de nombreux passages de gammes difficilement
réalisable avec les instruments de l’époque3 à l’opposé de celle de trombe, qui conserve un style
d’écriture plus idiomatique pour la trompette de l’époque. Il est aussi plus courant pour une
partie de trompette de cette époque de ne pas avoir d’altérations à l’armure4. Après vérification
avec d’autres partitions du même compositeur, force est de constater qu’il utilisait
majoritairement le mot trombe pour désigner la trompette, ce qui confirme que clarino obligato
devait forcément être un autre instrument, probablement une clarinette. Le tout est écrit en
format paysage sur un livret de 40 pages de 8,5 par 12 pouces, reliées avec deux minces fils et

1
Négri, Vincent et Marie Cornu. « L’éthique en archéologie, quels enjeux normatifs? Approches françaises ». Revue
canadienne de bioéthique 2, no 3 (2019) : 9-16. https://id.erudit.org/iderudit/1066458ar
2
Tarr, Edward H. The Trumpet. Chandler, Arizona: Hickman Music Editions, 2008.
3
Une recherche plus approfondie serait toutefois nécessaire pour vérifier l’instrumentarium du compositeur à cette
époque, la pièce ayant probablement été composée autour de l’invention du piston.
4
Wallace, John, et Alexander McGrattan. The Trumpet. New Haven : Yale University Press, 2011.
protégées par une couverture cartonnée qui semble avoir été renforcée avec un papier mince
collé au carton. La régularité des portées d’une page à l'autre pourrait suggérer que le livret ait
été monté avant la composition à l’aide d’une plume à 5 pointes ou d’un outil spécialisé — par le
compositeur ou quelqu’un d’autre — et non au fur et à mesure de l’écriture. L’encre utilisée
semble avoir pris une couleur brune - verte et il est presque certain que la musique a été écrite à
l’aide d’une plume: tout au long de la pièce, il est possible de deviner les endroits où la plume
venait d’être trempée dans l’encre en cherchant les endroits où l’écriture devient soudainement
très épaisse et pâlit graduellement. La calligraphie à travers le document est très peu soignée, ce
qui suggère que le document était un brouillon ou une copie de travail. Plusieurs mesures sont
raturées, les portées sont parfois prolongées à la main ou la musique continue sur la portée de
l’instrument du dessous et les barres de mesures sont faites à main levée. Il est toutefois à noter
que la calligraphie est constante pour tout le document, il est donc à supposer que l'entièreté a
été réalisée par une seule personne. D’ailleurs, une comparaison avec d’autres manuscrits
autographes suggèrent que le document en possession du conservatoire a été écrit de la main du
compositeur5. La page de dos est ce qui se rapproche le plus d’une signature: elle fait mention de
“Donizetti Bergamo” mais d’aucune date, ce qui permet de situer géographiquement l’oeuvre
mais ne permet pas de dater la composition avec précision, le compositeur ayant vécu dans cette
ville durant une longue période de sa vie6. La pagination de la partition a été faite à la mine,
définitivement longtemps après la composition et plusieurs étampes ont été apposées sur les
pages du documents à travers le temps. Notamment, une étampe du Conservatoire de Musique de
Montréal, avec l’adresse 1700 Saint-Denis, ainsi que les armoiries de “HMJ” et Harold Maker.
Gaetano Donizetti, né à Bergame en 1797 et décédé en 1848 dans la même ville, était issu
d’une famille aux moyens très modestes. Il débuta sa formation musicale comme garçon de
choeur dans l’académie Lezioni Caritatevoli, dirigée par Simon Mayr puis continuera ses études
de 1815 à 1819 au Liceo Filarmonico Comunale de Bologne où il étudiera auprès de Padre
Stanislao Mattei, qui avait précédemment eut comme élève Rossini. Après avoir complété son
éducation, il reçu plusieurs contrats de composition pour de la musique sacrée ainsi que pour
cordes, avec le support de Simon Mayr, qui fit plusieurs commandes pour un ensemble dans

5
Donizetti, Gaetano. Laudamus et Gratias in G major.
https://imslp.org/wiki/Laudamus_et_Gratias_in_G_major_(Donizetti%2C_Gaetano)
6
Smart, Mary Ann, et Julian Budden. "Donizetti, (Domenico) Gaetano." Dans Grove Music Online. 2001
lequel il était altiste7. Il s’en suivra un début de carrière tumultueux, alternant la
compositions de quelques opéras à succès avec des productions qui furent des échecs cuisants,
notamment l’échec de Chiara e Serafina à la Scala, très critiquée puis son séjour à Palerme, où
les conditions étaient misérables. Par la suite, ses conditions de vie commencèrent à s’améliorer
à partir de 1827, lors de son retour à Naples. Il est à noter que bien que Donizetti ait enchaîné les
contrats pour l’écriture d’opéras, il a toujours continué de composer en dehors de ses
engagements8.
Selon le registre d’acquisition de la bibliothèque du Conservatoire de l’époque, le
document du Conservatoire a été acquis le 10 mai 1955 dans un lot d’une valeur de 6500$, le
registre fait mention du “R. Davies. Direction W.P” comme de la provenance de la partition, ce
qui suggère que le lot aurait pu être un cadeau offert par Wilfrid Pelletier. Le document semble
avoir été acheté lors d’une vente aux enchères de la Collection Gallini à New York en Mai 19499,
ladite collection avec été mise sur pieds par Natale Gallini, un musicien originaire de Milan qui
connaissait Toscanini, lequel entretenait une relation d’amitié avec Pelletier si on se fie aux
archives personnelles des correspondances de Toscanini10. La petit catalogue de la vente aux
enchères ne nous aide pas beaucoup à déterminer d’où venait la partition et à quel moment
Harold Maker et “HMJ” sont entrés en ligne de jeu. En fait, que le document ait été en
possession de Harold Maker complexifie grandement le traçage du fait que ce dernier avait une
réputation peu enviable dans le milieu des antiquités et objets de valeurs. En effet, il aurait eu
plusieurs démêlés avec la justice américaine pour avoir entre autre, utilisés plusieurs fausses
identités pour acquérir et vendre des tableaux ne lui appartenant pas11. Il est alors intéressant de
constater que la pièce figure dans le catalogue du Grove dans la liste des manuscrits non datés et
non édités et que la partition est perdue12! On peut observer la même information dans les notices

7
Smart, Mary Ann, et Julian Budden. "Donizetti, (Domenico) Gaetano." Dans Grove Music Online. 2001
8
Ibid.
9
(Pas de nom d’auteur). Sixty-six XVII-XX century Italian musical manuscripts from the famous Natale Gallini
collection : by order of the present Italian owner. New York : Parke-Bernet Galleries, 1949.
10
Toscanini, Arturo. Guide to the Toscanini Legacy papers 1686-1993, correspondance réunie par Walter Toscanini.
New York : New York Public Library Music Division, 1987.
http://archives.nypl.org/uploads/collection/pdf_finding_aid/JPB_90-1_Series_L-R.pdf
11
Faculté de Droit de Harvard. Porter v Wertz.
http://www.law.harvard.edu/faculty/martin/art_law/porter_v_wertz.htm
12
Smart, Mary Ann, et Julian Budden. "Donizetti, (Domenico) Gaetano." Dans Grove Music Online. 2001
d’IMSLP13 de plus, les fiches des catalogues Gallica de la BnF14 et du Service bibliothécaire
national d’Italie (OPAC SBN)15 mentionnent qu’uniquement les parties séparées sont disponibles
dans la bibliothèque du Musée Donizetti à Bergame. Une curiosité de la fiche de la BnF est
l’apparente erreur sur la tonalité, qui est identifiée comme Sol Majeur alors que la pièce reste en
Fa Majeur. La confusion vient peut-être du fait que Donizetti a composé deux autres Laudamus
et Gratias avec une instrumentation similaire entre 1819 et 182016, période durant laquelle il
composait beaucoup pour son ancien maître, Simon Mayr.
En conclusion, du fait de l’instrumentation semblable, on peut donc déduire que le
manuscrit Gallini a probablement été composé durant cette même période (1819-1820), ce qui en
ferait une œuvre de jeunesse, Donizetti ayant alors moins de 25. De plus, si on se fie à la
réputation peu reluisante de Harold Maker, il est possible que le manuscrit ait été acquis de
manière non conventionnelle — voire frauduleuse — expliquant ainsi que les archives Donizetti
à Bergame considèrent la partition comme perdue. La mauvaise réputation de Maker, fort
inattendue, a définitivement piqué mon attention lors de mes recherches quand je suis tombé sur
le site d’un professeur de théologie à la MF Norwegian School of Theology, Religion, and
Society in Oslo. J’ai tout d’abord pensé que les informations étaient sensationnalistes et peu
fiables mais j’ai constaté qu’il citait plusieurs sources crédibles, dont une étude de cas juridique
de Harvard et qu’il avait lui-même une bonne réputation dans le milieu académique avec
notamment un ouvrage publié par la Yale University Press. De ce fait, le manuscrit possédé par le
Conservatoire est donc un objet d’une grande rareté, probablement le seul existant puisque
l'œuvre n’était pas éditée. Un des défis de la recherche sur cette pièce se trouve dans le peu
d’informations dans les bases de données en ligne, comme IMSLP et Gallica, quant à l'œuvre en
question, d’autant plus qu’elles sont légèrement contradictoires: il est donc difficile d’identifier
avec certitude quel est l’opus que le Conservatoire possède.

13
Donizetti, Gaetano. Laudamus et Gratias, A 620.
https://imslp.org/wiki/Laudamus_et_Gratias%2C_A_620_(Donizetti%2C_Gaetano)
14
Donizetti, Gaetano. Laudamus e Gratias. https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb44904992h
15
Donizetti, Gaetano. Laudamus e Gratias. https://bit.ly/2Ry1Z3b
16
Smart, Mary Ann, et Julian Budden. "Donizetti, (Domenico) Gaetano." Dans Grove Music Online. 2001
BIBLIOGRAPHIE:
Donizetti, Gaetano. Laudamus e Gratias. https://bit.ly/2Ry1Z3b

Donizetti, Gaetano. Laudamus e Gratias. https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb44904992h

Donizetti, Gaetano. Laudamus et Gratias, A 620.


https://imslp.org/wiki/Laudamus_et_Gratias%2C_A_620_(Donizetti%2C_Gaetano)

Donizetti, Gaetano. Laudamus et Gratias in G major.


https://imslp.org/wiki/Laudamus_et_Gratias_in_G_major_(Donizetti%2C_Gaetano)

Faculté de Droit de Harvard. Porter v Wertz.


http://www.law.harvard.edu/faculty/martin/art_law/porter_v_wertz.htm

Négri, Vincent et Marie Cornu. « L’éthique en archéologie, quels enjeux normatifs? Approches
françaises ». Revue canadienne de bioéthique 2, no 3 (2019) : 9-16.
https://id.erudit.org/iderudit/1066458ar

Smart, Mary Ann, et Julian Budden. "Donizetti, (Domenico) Gaetano." Dans Grove Music
Online. 2001

Tarr, Edward H. The Trumpet. Chandler, Arizona: Hickman Music Editions, 2008.

Toscanini, Arturo. Guide to the Toscanini Legacy papers 1686-1993, correspondance réunie par
Walter Toscanini. New York : New York Public Library Music Division, 1987.
http://archives.nypl.org/uploads/collection/pdf_finding_aid/JPB_90-1_Series_L-R.pdf

Wallace, John, et Alexander McGrattan. The Trumpet. New Haven : Yale University Press, 2011.

(Pas de nom d’auteur). Sixty-six XVII-XX century Italian musical manuscripts from the famous
Natale Gallini collection : by order of the present Italian owner. New York :
Parke-Bernet Galleries, 1949.

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