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Résumé
In apparent contradiction with the story of Adam as told in the Bible and the Qurʾān,
Shiite tradition accepts the existence of several Adams (usually seven) prior to « our
Adam», the father of mankind. Each Adam opened an era during which the earth
was inhabited by «pre-Adamites», rational creatures preceding the appearance of the
human species. In this paper we study the evolution of this myth of the pre-Adamites,
starting from traditions attributed to the first Imams and their use in writings stemming
from the Shiite milieu in Kūfa; then we move to pre-Fatimid and Fatimid Ismailism,
Druze and Nuṣayrī literature, before ending with the Ṭayyibī Ismailis. Although there
are many differences in details, all these movements share a common myth, which was
elaborated with a remarkable continuity from the first centuries of Islam until today.
This myth is rooted in the sources of Shīʿism, which seem close to Manichaeism.
Mots-clés
Question: Quelles sont les communautés (umam) qui étaient sur terre
avant l’homme?
Réponse: Les Ǧinn, les Binn, les Ṭimm, les Rimm et les Ǧānn1.
1 Anonyme, Kitāb Taʿlīm diyānat al-nuṣayriyya, éd. Bar-Asher et Kofsky, The Nuṣayrī-ʿAlawī Reli-
gion, p. 212.
actuelle: les préadamites. Dans les pages qui vont suivre, nous entendons par
« préadamites» toutes les créatures douées de raison, qu’ elles appartiennent à
l’ espèce humaine ou non, qui sont censées avoir habité la terre avant « notre
père» Adam, le premier homme créé par Dieu selon la Bible et le Coran. En
effet, en contradiction apparente avec le mythe biblique d’ Adam tel qu’ il fut
repris par le Coran2, plusieurs courants chiites ont développé des mythes préa-
damites, faisant se succéder d’innombrables cycles précédant le « nôtre» qui
a été ouvert par «notre Adam», celui auquel se rapporte le récit coranique.
Le présent article se propose de suivre l’évolution du mythe chiite des préa-
damites, en partant des traditions attribuées aux imams et leur interprétation
par différents courants des premiers siècles de l’islam, pour poursuivre avec les
ismaéliens fatimides, les druzes, les nuṣayrīs, et finir avec les ismaéliens ṭayyi-
bites. Il ressortira de cette enquête que, malgré de nombreuses divergences
sur des points de détail, tous ces courants véhiculent un mythe unique, qui
s’ enracine dans les sources préislamiques du chiisme – sources proches du
manichéisme – pour se développer avec une remarquable continuité jusqu’ à
aujourd’hui.
Le théologien chiite Ibn Bābūya (m. 381/991) rapporte une tradition selon
laquelle Muḥammad al-Bāqir (m. vers 114/732), le cinquième imam, est inter-
rogé par son disciple Ǧābir b. Yazīd al-Ǧuʿfī sur le sens de Cor. 50 :15 : « Avons-
nous été fatigué par la première création? Non! Cependant, ils doutent d’ une
nouvelle création»3. L’imam donne du verset l’exégèse ésotérique (taʾwīl) sui-
vante:
Lorsque cette création et ce monde seront anéantis et que les gens des-
tinés au paradis reposeront au paradis et les habitants de l’ enfer en enfer,
Dieu créera à nouveau un monde, différent de ce monde-ci et il créera de
nouvelles créatures, ni masculines ni féminines, afin qu’ elles l’ adorent et
professent son unicité. Il créera à leur intention une terre différente de
cette terre-ci pour les porter et un ciel différent de ce ciel-ci pour leur
2 Pour une synthèse du mythe coranique d’Adam, le père du genre humain, et de ses développe-
ments dans la tradition musulmane ultérieure, voir Pedersen, « Ādam», p. 181–183; Guiraud,
«Adam», p. 22–26.
3 Tous les versets coraniques sont cités dans la traduction de Denise Masson.
donner de l’ombre. Crois-tu que Dieu n’a créé que ce seul monde ? Crois-
tu que Dieu n’a créé d’autres humanités que la vôtre? Aucunement, car
Dieu a créé des milliers et des milliers de mondes, des milliers et des mil-
liers d’Adams, alors que toi tu es dans le dernier de ces mondes et de ces
espèces adamites (ulāʾika al-ādamiyyīn)4.
8 Pour une analyse détaillée de cet ouvrage, sa structure complexe et la datation de ses diffé-
rentes composantes, voir Asatryan, Controversies, p. 13–42.
9 Al-Haft al-šarīf, p. 15–22; cf. Halm, Islamische Gnosis, p. 243–252 ; Asatryan, Controversies,
p. 140–141.
d’eux, tout comme vous voyez les corps des Adams de lumière (al-āda-
miyyīn al-nūrāniyyīn). En chacun de ces sept cieux est établi un Adam
(Ādam qāʾim ṯābit), selon le modèle de ce que Dieu créa lors de la pre-
mière création10.
Une version analogue du mythe est exposée dans un autre texte issu du milieu
chiite de Kūfa, le Kitāb al-Ašbāḥ wa-l-aẓilla11. Après la création des silhouettes,
des ombres12 et des âmes, suivie par leur désobéissance involontaire aux in-
jonctions divines, Dieu créa pour elles des corps, tout en se retirant derrière un
voile. Le premier voile ainsi créé n’est autre que le premier Adam; six autres
voiles furent créés ensuite, chaque voile recevant le nom d’ Adam. Les descen-
dants de ces sept Adams reçurent l’ordre d’adorer Dieu derrière le voile corres-
pondant. Certains accomplirent ce devoir d’adoration d’ une façon imparfaite,
de sorte que Dieu créa de leur erreur sept démons qui se dressèrent face aux
sept Adams et refusèrent de se prosterner devant eux13.
Dieu créa sept cieux et sept terres; il installa le premier Adam et sa descen-
dance dans le septième ciel, le deuxième Adam dans le sixième ciel, et ainsi de
suite jusqu’au septième Adam et sa descendance, dont le lieu de résidence est
le premier ciel, le plus bas et le plus proche de nous. Conjointement, le premier
démon fut jeté dans l’enfer de la septième terre, le deuxième dans celui de la
sixième terre, et ainsi de suite jusqu’au septième démon, qui habite l’ enfer de
la première terre, celle qui est la plus rapprochée de nous14.
À ce stade, une ambiguïté apparaît dans le Kitāb al-Ašbāḥ, que nous retrou-
vons également dans le Kitāb al-Haft. En effet, la conception des sept cieux,
des sept terres, des sept Adams, des sept démons avec leurs sept enfers laisse
entendre qu’il existe dans l’univers sept mondes et sept humanités parallèles.
On pourrait en déduire que chaque monde comporte un niveau immatériel (le
ciel), qui est la demeure des ombres, des silhouettes et des âmes sauvées (le
10 Al-Haft al-šarīf, p. 77–78; le texte de l’édition étant corrompu, j’ ai suivi l’ essai de traduc-
tion proposé par Halm, Islamische Gnosis, p. 267.
11 Le texte a été édité avec une traduction anglaise par Asatryan, « Early Shīʿī Cosmology »,
p. 13–80; sur la parenté doctrinale avec le Kitāb al-Haft, voir Asatryan, Controversies, p. 65–
71.
12 Contrairement au Kitāb al-Haft, les silhouettes sont ici créées avant les ombres.
13 Asatryan, «Early Shīʿī Cosmology», §§1–5, 8, 20, 22, p. 13–16, 18, 26–28, 56–59, 65–66.
14 Asatryan, «Early Shīʿī Cosmology», §§23–24, p. 29–30, 66–67; sur les sept degrés de
l’enfer, voir ibid., §39, p. 37–38, 71.
Dieu a fait descendre le dernier Adam à la fin des temps et des siècles. Il
a créé pour lui et sa descendance une terre, un ciel, de l’ air, de l’ eau, un
paradis et un enfer, comme il l’avait fait pour ceux qui l’ ont précédé. Dieu
créa dans chaque ciel un paradis à partir des actions pieuses d’ Adam et
de sa descendance, et sur chaque terre un enfer à partir des péchés d’ Iblīs
et de sa descendance. Le paradis est dans le ciel, tandis que l’ enfer est sur
terre. Il créa une source dans le paradis, appelée la source de la vie19.
Nous retrouvons ici l’idée, également énoncée dans le Kitāb al-Ašbāḥ, que
le processus de rédemption des âmes s’effectue au gré des sept cycles ada-
miques: à la clôture d’un cycle, les âmes sauvées deviennent des anges, les
autres sont métamorphosées, soumises à des réincarnations successives qui se
poursuivent au cours du cycle suivant. La durée d’ un cycle est ici considéra-
blement allongée: 50.000 ans, ce qui fait un total de 350.000 ans pour les sept
cycles, un chiffre sur lequel nous aurons à revenir.
Une difficulté s’annonce par ailleurs, car le texte dit explicitement que sept
Adams ont précédé le nôtre, ce qui fait un total de huit cycles adamiques. Une
tradition attribuée à Ǧaʿfar al-Ṣādiq ne laisse aucun doute à ce sujet :
Al-Ṣādiq dit: avant nous, il y a eu sept Adams et sept cycles qui sont révo-
lus, alors que nous sommes dans le huitième cycle, celui du huitième
Adam21.
Cela n’empêche que l’accent est mis sur le nombre sept, comme laisse transpa-
raître le nom sous lequel le Kitāb al-Haft cite ce type de traditions: ḥadīṯ al-haft
(« hadith du sept») ou al-haftiyya («l’heptade»). En voici un exemple, attribué
à Ǧaʿfar al-Ṣādiq:
Sur terre, il y a eu sept Adams avant notre père Adam. Tous ont vécu
sur terre, ils ont connu les résurrections [successives], ont dû rendre des
comptes et sont entrés dans le paradis ou en enfer, puis ils en sont sortis22.
Adam, Noé, Abraham, Moïse, Jésus, Muḥammad, ʿAlī, Fāṭima, al-Ḥasan, al-
Ḥusayn, Abū Bakr, ʿUmar et ʿUṯmān24. Tous ces noms désignent des figures
archétypiques qui manifestent, sous diverses apparences humaines, les mêmes
principes divins ou démoniaques à travers les différents cycles qui rythment
l’histoire de l’univers25.
Selon Mushegh Asatryan, les chapitres du Kitāb al-Haft rapportant des tra-
ditions sur la succession des cycles adamiques (en particulier les chapitres 33,
60, 65 et 66) seraient des ajouts au «noyau ancien » du livre (chapitres 1 à 8),
qui proclame au contraire l’existence simultanée des sept Adams dans les sept
cieux26. Si cette thèse n’est point improbable – parmi les transmetteurs du
ḥadīṯ al-haft, par exemple, figure Muḥammad b. Nuṣayr, l’ éponyme des nuṣay-
rīs, ce qui laisse supposer que ces derniers l’ont introduit dans le texte27 – il ne
faut pas perdre de vue que les deux variantes du mythe se côtoient également
dans le Kitāb al-Ašbāḥ.
Par ailleurs, la succession des sept cycles adamiques aurait déjà été profes-
sée par ʿAbd Allāh b. ʿAmr b. Ḥarb, un activiste chiite opérant vers le milieu
du VIIIe siècle, à l’époque troublée qui marque la chute des Omeyyades et
l’avènement des Abbassides. Le Kitāb Uṣūl al-niḥal, attribué au muʿtazilite Nāšiʾ
al-akbar (m. 293/906), mais qui dépendrait de l’ hérésiographie plus ancienne
de Ǧaʿfar b. Ḥarb28 (m. 236/850; il convient de ne pas confondre cet auteur avec
«l’hérétique» dont il décrit les doctrines!), met sur le compte des Ḥarbiyya, les
disciples de ʿAbd Allāh b. Ḥarb, les thèses suivantes :
Quant à leur doctrine sur les cycles (adwār), ils prétendent que Dieu a
créé sept Adams, l’un après l’autre. Le premier Adam et ses descendants
sont restés sur terre pendant cinquante mille ans, vivant, mourant et se
succédant, tandis que leurs âmes ont transmigré (tatanāsaḫ) d’ une forme
à l’autre. Ils disent que cela a eu lieu en fonction de ce qui distingue les
obéissants des rebelles. Lorsque cinquante mille ans s’ étaient écoulés, les
obéissants devinrent des anges et montèrent vers le ciel de ce monde,
24 Al-Haft al-šarīf, p. 164, 165, 167. À un disciple étonné par ces propos, Ǧaʿfar répond que les
imams sont toujours les mêmes: aussi longtemps que le monde subsiste, ils sont les messa-
gers de Dieu et apparaissent d’un cycle et d’une création à l’ autre. Lorsque Dieu décidera
de mettre un terme à l’existence de l’univers, ils retourneront auprès de lui (ibid., p. 165).
25 Il s’agit là d’une conception très répandue dans le chiisme ; voir, par exemple, Amir-
Moezzi, La religion discrète, p. 110–122.
26 Asatryan, Controversies, p. 38.
27 Al-Haft al-šarīf, p. 163.
28 Van Ess, Der Eine und das Andere, p. 140–142.
tandis que les rebelles furent transformés en des créatures dont Dieu
ne se soucie guère, étant de nature infâme, et envoyés en dessous de la
terre […]. Ils prétendent ainsi que les fourmis, les scarabées et les cafards
qui rampent dans leurs maisons sont ceux que Dieu a fait périr dans les
temps antérieurs, ceux que Dieu a métamorphosés (masaḫa) et dont il
a fait transmigrer les âmes en ces corps manifestes. Ils disent qu’ ensuite
un autre Adam est généré et qu’avec lui et ses descendants les mêmes
choses ont eu lieu qu’avec le premier Adam: les obéissants parmi ses des-
cendants sont élevés vers le ciel de ce monde, tandis que ceux qui sont
arrivés avant eux dans ce ciel montent d’un degré vers le deuxième ciel ;
les rebelles parmi sa progéniture, au contraire, descendent en dessous
de la terre, tandis que ceux qui y étaient déjà avant eux sortent et sont
installés dans la deuxième terre. Ainsi il en va avec chaque Adam, sa pro-
géniture et sa descendance, jusqu’à ce que les sept cycles sont achevés et
que l’adoration [de Dieu] (taʿabbud) est interrompue29.
Cet important passage éclaire la doctrine véhiculée par les traditions de type
ḥadīṯ al-haft contenues dans le Kitāb al-Haft et textes similaires. Il est en effet
frappant que ces traditions affirment que lors de la clôture d’ un cycle ada-
mique, les âmes sauvées, devenues des anges, s’élèvent dans le ciel, tandis que
les âmes demeurées impures sont soumises, lors du cycle suivant, à des réincar-
nations successives en des corps abjects, afin d’expurger leurs péchés30. Dès
lors, la pluralité des cycles adamiques s’explique sans doute par la nécessité
de prévoir le temps nécessaire pour que le processus de la rédemption puisse
s’ accomplir.
En effet, toutes les traditions décrites jusqu’à présent s’ inscrivent dans une
cosmologie qui attribue la chute de l’âme dans un corps matériel à un acte
d’ insubordination (volontaire ou non) aux commandements divins, soit de la
part des «silhouettes» (ašbāḥ), soit de la part des âmes vêtues d’ un corps de
lumière. Notre monde étant le produit de ce «drame cosmique » qui a engendré
le mélange d’êtres lumineux avec la matière ténébreuse, la miséricorde divine
offre aux créatures déchues la possibilité de remonter la pente et de regagner
29 Nāšiʾ al-akbar, Uṣūl al-niḥal, p. 39; cf. Halm, Islamische Gnosis, p. 72–73; Crone, Nativist
Prophets, p. 209; Asatryan, «Early Shīʿī Cosmology», p. 58, n. 1003; Id. Controversies, p. 74.
30 Voir, outre la tradition citée supra, p. 260–261, al-Haft al-šarīf, p. 166–167: après la clô-
ture d’un cycle de cinquante mille ans, les habitants du paradis deviennent des anges, les
habitants de l’enfer des ordures (qušāš). Sur la notion de masḫ, la réincarnation de l’ âme
humaine en des corps impurs, incluant même des matières fétides et des excréments, voir
De Smet, «Scarabées», p. 39–54; Id., «Métamorphose », p. 552–554.
leur patrie d’origine. Pour ce faire, Dieu crée un premier Adam, qui ouvre un
cycle de cinquante mille ans, rythmé par la succession de cycles prophétiques
(composés de sept prophètes et de leurs imams respectifs), tandis que le démon
envoie lui aussi ses messagers, afin de saboter la rédemption. Les âmes ayant
répondu à l’appel des prophètes et des imams rejoignent le paradis; celles qui
se sont laissé séduire par les démons entrent en enfer, pour autant qu’ elles sont
soumises à des métamorphoses successives, entrant dans les corps d’ animaux
répugnants. À la clôture du cycle, le premier Adam et les « habitants du para-
dis» parmi sa descendance, une fois devenus des anges, montent vers le pre-
mier ciel, tandis que les réprouvés descendent vers le premier enfer de la pre-
mière terre. Comme il y a sept cieux et sept terres avec leurs enfers respectifs,
il faut que le cycle se répète sept fois avec sept Adams successifs, avant que le
premier ciel, le plus proche de Dieu, ne soit atteint par les bienheureux et que
les rebelles récalcitrants ne soient enfermés dans l’ enfer le plus profond. À ce
moment, après 350.000 ans, le cercle est bouclé et les séquelles du drame initial
sont effacées31.
Si cette reconstitution du mythe est correcte, il s’ ensuit que les traditions
prônant la création simultanée des sept Adams (le soi-disant « noyau ancien »
du Kitāb al-Haft) sont probablement secondaires, tout comme les traditions
qui reconnaissent un nombre plus élevé d’Adams ou de cycles32. De surcroit,
comme nous le verrons, cette version du mythe se situe au cœur même de
l’ismaélisme ṭayyibite.
31 Alors que les sept cieux sont mentionnés dans le Coran (23:86 ; 41 :12 ; 67:3), et que l’ on
peut déduire l’existence de sept terres de Cor. 65:12 (« Dieu est celui qui a créé les sept
cieux et qui en a fait autant pour la terre») et trouver une allusion aux sept enfers dans
Cor. 15:44 (les sept portes de l’enfer), les cinquante mille ans ont eux aussi une base cora-
nique: «Les Anges et l’Esprit montent vers lui en un jour dont la durée est de cinquante
mille ans» (70:4). Or, il y a sept jours dans la semaine : 7 × 50.000 = 350.000, un chiffre
qui se rapproche du grand cycle de 360.000 ans que nous retrouverons dans le ṭayyibisme
(voir infra).
32 Outre les traditions qui attribuent à un cycle adamique une durée de 7099 ans (voir
supra), une tradition fait dire à Ǧaʿfar al-Ṣādiq que notre monde comporte 400 cycles,
un cycle englobant 400.000 ans (al-Haft al-šarīf, p. 164); entre le début et la fin du monde,
déclare le même imam, il y a 50.000 cycles (dawr); un cycle comporte 400.000 sous-cycles
(kawr); un sous-cycle se compose de 400.000 années (ibid., p. 173). Selon le Kitāb al-Ašbāḥ,
360.000 ans ne représentent qu’un «petit cycle» (al-kawr al-ṣaġīr), tandis que le « grand
cycle» (al-kawr al-kabīr) compte quelques 900.000.000.000 d’ années ! (Asatryan, « Early
Shīʿī Cosmology», §64, p. 54, 79, mais le texte semble corrompu). La distinction entre dawr
et kawr n’est pas nette dans ce type de traditions, qui utilisent les deux termes indifférem-
ment dans le sens général de «cycle».
Nous retrouvons un écho du mythe des sept Adams dans cet autre texte
fameux des chiites de Kūfa, l’ Umm al-kitāb, transmis par les ismaéliens niza-
rites d’Asie Centrale. Le texte décrit l’apparition successive de sept « coupoles »
(qibāb), classées par ordre hiérarchique; dans chaque coupole la divinité se
manifeste en cinq hypostases à 124.000 êtres de lumière. À chaque niveau, elle
leur demande de se prosterner devant Salmān, mais à chaque fois il y a des
rebelles qui refusent, générant ainsi un niveau inférieur. À ces sept appels suc-
cessifs sont censés se référer les versets coraniques dans lesquels Dieu ordonne
aux anges de se prosterner devant Adam – versets contenus dans sept sourates:
2 (v. 34), 7 (v. 11), 15 (v. 28–31), 17 (v. 61–65), 18 (v. 50), 20 (v. 116) et 38 (v. 71–74). Au
terme des sept appels et des sept refus décrits dans ces sept sourates, Salmān
ôte à la septième et dernière coupole sa couleur (le bleu du ciel) et façonne
la terre avec de la matière opaque. Les sept manifestations d’ Adam-Salmān,
qui s’échelonnent en des cycles de mille ans (donc en tout sept mille ans) se
situent ici dans un contexte de déchéance progressive au travers des sept cou-
poles cosmiques, une dégénérescence dont la création de notre monde sublu-
naire est la conséquence33. En effet, Salmān génère le monde avec les infidèles
déchus des coupoles, en les métamorphosant en montagnes, animaux, plantes
et autres objets matériels. Suit alors la création d’ Adam, le premier homme,
et l’apparition de son adversaire Iblīs, issu d’un dernier groupe de réfractaires
tombé sur terre34.
Selon une thèse défendue par Heinz Halm, il n’y aurait eu aucun rapport direct
entre les doctrines véhiculées par des ouvrages comme l’ Umm al-kitāb et le
Kitāb al-Haft, issus des milieux des soi-disant ġulāt de Kūfa, et l’ ismaélisme tel
qu’ il se développa à partir de la seconde moitié du IXe siècle : ce ne serait qu’ à
une époque plus tardive (à partir du XIIe siècle) que les traditions nizarites et
ṭayyibites en auraient assimilé des éléments, partiellement suite à un syncré-
tisme avec les nuṣayrīs de Syrie35. À y regarder de plus près, cette thèse paraît
surprenante, ne fut ce que par le fait que la prédominance du nombre sept et
des heptades – la haftiyya du Kitāb al-Haft – constitue le principe sur lequel est
construite la doctrine ismaélienne, au point qu’on la désigne parfois comme
33 Voir les passages de l’ Umm al-kitāb traduits dans Halm, Islamische Gnosis, p. 149–170.
34 Halm, Islamische Gnosis, p. 170–180.
35 Halm, Kosmologie, p. 142–168, en particulier p. 166; Id., « “Buch der Schatten”», p. 263–265.
36 Le terme sabʿiyya (l’équivalent exact de haftiyya !) est utilisé par des auteurs sunnites, au
moins à partir d’al-Ġazālī, pour désigner les ismaéliens ; voir van Ess, Der Eine und das
Andere, p. 1057–1058.
37 Al-Baġdādī, al-Farq bayna l-firaq, p. 280; al-Daylamī, Bayān maḏhab al-bāṭiniyya, p. 17, 79.
38 Voir, par exemple, al-Siǧistānī, Iṯbāt al-nubūwwāt, p. 283–290; De Smet, Philosophie ismaé-
lienne, p. 103–104.
Adam est à la tête (raʾs) de ce cycle […], mais il y avait avant lui des cycles
que nos semblables ne peuvent appréhender, puisqu’ ils étaient spirituels
et donc pas connaissables par la perception ou la vision […]. Avec la clô-
ture du cercle spirituel (al-kawr al-rūḥānī) Adam est apparu avec le cycle
corporel (al-kawr al-ǧusdānī)39.
Le même auteur connaît parfaitement la thèse des ombres et des sept Adams,
qu’ il semble citer avec une certaine approbation:
épineux qui occupait les esprits de l’époque: Adam était-il un prophète ayant
révélé un livre et une loi? Dans les cycles antérieurs à Adam, les créatures
étaient-elles soumises à une charia45 ?
Invoquant pour argument le principe de la logique aristotélicienne selon
lequel l’espèce précède toujours l’individu, al-Siǧistānī rejette catégorique-
ment l’idée (pourtant clairement énoncée dans le Coran) que l’ espèce hu-
maine descendrait d’un seul homme. Au contraire, Dieu a créé une multitude
d’hommes et de femmes «d’un seul coup» (dafʿatan wāḥidatan)46.
Il ressort de ces exemples que l’ismaélisme du Xe siècle met sérieusement en
doute l’histoire mythique d’Adam en tant que premier homme, ainsi que celle
du premier couple dont descendrait l’espèce humaine.
45 Sur cette question, qui a suscité une polémique entre différents auteurs ismaéliens, voir
De Smet, «Adam, premier prophète et législateur? », p. 187–202.
46 Al-Siǧistānī, Yanābīʿ, §106–108, p. 55–56. En revanche, Nāṣir-e Ḫosraw (m. après 462/
1070) défend la thèse du premier homme unique et du couple primordial en invoquant
le principe néoplatonicien selon lequel toute multiplicité découle d’ une unité ; voir Orm-
sby, Between Reason and Revelation, p. 205–213, un chapitre dans lequel al-Siǧistānī semble
visé.
47 Sur la doctrine druze, ses fondateurs et ses écrits canoniques, voir De Smet, Épîtres, p. 1–
124.
alors qu’un an est l’équivalent de mille années de celles dans lesquelles vous
comptez d’ordinaire»48, soit un total de 343 millions d’ années « ordinaires ».
Chacun de ces cycles a connu une phase de «dévoilement» (kašf ), au cours
de laquelle Dieu et les différentes hypostases du monde de lumière (dont
l’ Intellect et l’Âme universelle), tout comme leurs antagonistes ténébreux et
démoniaques49, se sont manifestés sur terre, en revêtant l’ apparence corpo-
relle des créatures de l’époque. À chaque fois, ces créatures ont fini par céder
aux tentations des démons, en désobéissant à Dieu et à ses assistants qui se
sont alors retirés du monde, marquant l’ouverture d’ une période d’ occultation
(satr).
Ḥamza promet de révéler à la fin de son épître Sabab al-asbāb les noms que
Dieu, l’Intellect, l’Âme et l’Antagoniste ont pris en chacun de ces cycles, ainsi
que le nom des peuples auxquels ils s’adressaient50. Malheureusement, dans
la version actuelle des Rasāʾil al-Ḥikma, les épîtres sacrées de la religion druze,
cette dernière partie du traité manque.
Néanmoins, nous apprenons ailleurs qu’avant le cycle actuel constitué
d’ hommes (ins), la terre était habitée par d’autres créatures: les Ṭimm, les
Rimm, les Ḥinn, les Ǧinn et les Binn, auxquels Dieu et les différentes hypo-
stases se sont montrés en prenant une apparence semblable à la leur, afin de
leur révéler la science du tawḥīd51.
Les auteurs druzes nous fournissent peu de renseignements sur ces créa-
tures mystérieuses. Ismāʾīl al-Tamīmī nous raconte certes l’ histoire stéréotypée
des Binn, mais elle pourrait tout aussi bien s’appliquer à chacun des autres
peuples:
48 Ḥamza b. ʿAlī, Kašf al-ḥaqāʾiq, dans De Smet, Épîtres, p. 272 (traduction), 574 (édition du
texte arabe); cf. Id., Sabab al-asbāb, dans De Smet, Épîtres, p. 291 (trad.), 592 (éd.). On
aura remarqué que ce calcul est basé sur le nombre soixante-dix, le décuple du nombre
sept.
49 Sur la nature dualiste de la cosmogonie druze, voir De Smet, Épîtres, p. 46–53.
50 Ḥamza, Sabab al-asbāb, p. 292 (trad.), 593 (éd.); cf. Id., Kašf al-ḥaqāʾiq, p. 272 (trad.), 574
(éd.).
51 Ḥamza, al-Ġāya wa-l-naṣīḥa, dans De Smet, Épîtres, p. 216–217, 219 (trad.), 530–532 (éd.).
Le tawḥīd ou profession de l’unicité de Dieu désigne ici l’ ensemble de la doctrine druze.
leurs noms et leurs attributs. Mais, ayant trahi la confiance de l’ Adoré, ils
se sont détournés de la Vérité et de celui qui la détient, et dans leur reli-
gion ils se sont adonnés à leurs inclinaisons perverses. Alors, le Seigneur
s’est caché à eux à cause de la méchanceté de leurs actes52.
52 Ismāʿīl al-Tamīmī, Taqsīm al-ʿulūm, dans De Smet, Épîtres, p. 423–424 (trad.), 698 (éd.).
53 Ḥamza, al-Sīra al-mustaqīma, dans De Smet, Épîtres, p. 246 (trad.), 553–554 (éd.).
54 Ḥamza, al-Sīra al-mustaqīma, p. 244 (trad.), 552 (éd.). La distinction entre trois Adams,
déjà présente dans l’ Umm al-kitāb (De Smet, Épîtres, p. 61, note 262), se retrouve dans
l’ismaélisme ṭayyibite (voir infra).
55 Selon certaines traditions, les Ǧinn auraient régné sur terre avant la création d’ Adam; voir
Omidsalar, «Genie», p. 418.
56 Abū Ḥātim al-Rāzī, Kitāb al-Zīna, vol. 2, p. 171; cf. Stern, Studies, p. 29. Par ailleurs, Lane,
Arabic-English Lexicon, vol. 1, p. 653, donne parmi plusieurs significations du mot al-ḥinn :
«a tribe of the jinn that were before Adam».
men», tandis que David Bryer, à la suite de Stanislas Guyard, les considère
comme des inventions sorties de l’imagination féconde de Ḥamza et de ses
disciples57.
Toutefois, le lexique de Lane connaît le mot binn (« a place having a fetid
odour»), ainsi que l’expression ǧāʾa fulān bi l-ṭimm wa-l-rimm: « such a one
brought everything of what is on the land and in the sea », rimm désignant
l’ herbe et autres plantes croissant sur la surface de la terre, et ṭimm tout ce qui
est apporté par la mer58. Par conséquent, ces mots ne semblent pas avoir été
inventés par les auteurs druzes. Il est probable que ceux-ci les aient empruntés
à une source chiite, ismaélienne ou autre, dans laquelle ils se référaient à des
catégories de démons (apparemment liés à la mer et à la terre) antérieurs à la
création d’Adam, comme cela est clairement attesté pour les Ǧinn et les Ḥinn.
L’explication la plus ingénieuse est proposée par Yaron Friedman, hélas sans
indication de source: si on prend les premières lettres de ḥinn, binn, ṭimm et
rimm, on obtiendrait le mot ḥabtar, qui signifie « le nain » ou « le renard », un
des sobriquets chiites d’Abū Bakr, considéré comme le prince des démons59.
Friedman fait cette remarque au sujet de la doctrine nuṣayrie, où ces noms se
réfèrent à des cycles antérieurs au nôtre. En chacun de ces cycles, les trois hypo-
stases de la divinité (maʿnā, ism, bāb ou l’essence, le nom et la porte), flanquées
des trois hypostases de Satan, se sont manifestées sous des apparences et des
noms différents. Le nombre de ces cycles et des peuples préadamites qui leur
correspondent varie, même à l’intérieur d’un même ouvrage, comme le montre
le fameux «catéchisme nuṣayrī»: si la question 52 citée en exergue au présent
article énumère cinq peuples préadamites (les Ǧinn, les Binn, les Ṭimm, les
Rimm et les Ǧānn), la question 43 relative aux différents noms portés par la
divinité, en connaît six: «les noms sous lesquels le Très-Haut a été invoqué par
les communautés qui étaient sur terre avant l’homme, à savoir les Ḥinn, les
Binn, les Ṭimm, les Rimm, les Ǧānn et les Ǧinn, sont le charitable, le miséricor-
dieux (al-barr al-raḥīm)»60.
57 Halm, «“Buch der Schatten”», p. 76; Bryer, «Origins», p. 8 ; Guyard, Fragments, p. 218–219,
note 1: les Druzes ont forgé les noms Ḥinn et Binn en changeant respectivement en ḥāʾ et
en bāʾ le ǧīm du mot Ǧinn.
58 Lane, Arabic-English Lexicon, vol. 1, p. 258, 1151, 1877.
59 Friedman, Nuṣayrī-ʿAlawīs, p. 113; cf. ibid. p. 123. Le problème est que ḥabtar s’ écrit avec
tāʾ (voir Kohlberg, «Some Imāmī Shīʿī Views», p. 162), tandis que Ṭimm commence par un
ṭā’, ce qui rend l’explication de Friedman plutôt improbable.
60 Anonyme, Kitāb Taʿlīm diyānat al-nuṣayriyya, p. 210; cf. Bar-Asher et Kofsky, Nuṣayrī-ʿAlawī
Religion, p. 184.
61 Sur l’emploi du terme qubba pour désigner un cycle ou un laps de temps dans le voca-
bulaire nuṣayrī, voir Friedman, Nuṣayrī-ʿAlawīs, p. 112–113. Nous avons déjà rencontré ce
terme dans l’Umm al-kitāb.
62 Al-Aḏanī, Kitāb al-Bākūra, chapitre 4, «sur la chute» ( fī l-habṭa), p. 61–62; cf. Salisbury,
«Notice», p. 287, 289–290; Dussaud, Histoire, p. 74–75.
63 Halm, «“Buch der Schatten”», p. 76; Id., Islamische Gnosis, p. 301 ; Id., Kosmologie, p. 156 ;
Freitag, Seelenwanderung, p. 59; Moosa, Extremist Shiites, p. 315–316.
64 Friedman, Nuṣayrī-ʿAlawīs, p. 110–115; Bar-Asher et Kofsky, Nuṣayrī-ʿAlawī Religion,
p. 28–30.
Interrogé par un disciple sur la différence entre l’Adam partiel (Ādam al-ǧuzʾī)
et l’Adam universel (Ādam al-kullī), un maître ṭayyibite explique que l’ Adam
partiel est le premier du cycle d’occultation, tandis que l’ Adam universel pos-
sède le corps de l’instauration (al-ǧuṯṯa al-ibdāʾiyya) : il est le premier du tout
(al-kull) et, en fin de compte, c’est vers lui que le tout retournera; par rapport
à cet Adam universel, l’Adam du cycle d’occultation n’ est que partiel66.
70 Al-Ḥāmidī, Kanz, p. 69; Idrīs ‘Imād al-Dīn, Zahr, p. 107–110 ; voir De Smet, « L’Arbre de la
Connaissance», p. 517.
71 L’activité démiurgique du dixième Intellect ou Adam spirituel est bien décrite par Ibn al-
Walīd, al-Mabdaʾ, §16–27, p. 106–110 (texte arabe), 154–158 (traduction).
72 Al-Ḥāmidī, Kanz, p. 149–152, 157–160; Ibn al-Walīd, Mabdaʾ, § 28–39, p. 111–115 (éd.), 164–
167 (trad.); Idrīs, Zahr, p. 96–106; sur le mythe ṭayyibite de la génération spontanée des
premiers hommes et ses sources, voir De Smet, «L’île de Ceylan », p. 109–123.
riel, y compris les objets que nous appellerions inanimés, est censé renfermer
une âme recevant à tout moment l’appel de se repentir et de se purifier. Si elle
obéit à cet appel (daʿwa), elle renaîtra dans un corps plus pur et plus noble (la
voie ascendante du nasḫ); en revanche, si elle persiste dans l’ insubordination,
elle entrera dans un corps inférieur et plus répugnant (la voie descendante
du masḫ). Ainsi, l’âme d’un serpent infidèle peut renaître dans le corps d’ un
cafard, tandis que l’âme d’un cafard repentant a des chances de revenir sur
terre dans le corps d’un serpent et finalement, en cas d’ un effort continu de
purification, de s’incarner dans un corps humain73.
Le but de la rédemption consiste alors à purifier le plus grand nombre
d’âmes et à les faire renaître en des corps de plus en plus purs, l’ idéal étant
d’atteindre le «corps camphré» de l’Adam universel (le « tout » vers lequel tout
retourne). Or, il s’agit là d’un processus de longue haleine, qui s’ effectue en
d’innombrables cycles, où des périodes de manifestation alternent avec des
périodes d’occultation. Lors d’un cycle d’occultation, comme celui inauguré
par l’Adam partiel, «notre Adam», la science salvatrice est enseignée par des
prophètes et leurs imams, eux-mêmes organisés en cycles. À la clôture d’ un
cycle, les âmes sauvées, celles qui sont devenues assez lumineuses pour échap-
per à une nouvelle réincarnation, sont réunies en un « temple de lumière»
(haykal nūrānī) qui, aspiré par la «colonne de lumière» (ʿamūd al-nūr), rejoint
le monde intelligible, permettant à l’Intellect déchu de recouvrir une partie des
lumières qu’il avait perdues lors de sa chute74. Si le nombre des cycles et leur
durée peut varier d’un auteur à l’autre, les ṭayyibites privilégient en général
sept grands cycles de 50.000 ans, parfois divisés en sept petits cycles de 7000
ans. Au terme d’un grand cycle, l’Intellect déchu a récupéré assez de lumière
pour le faire remonter d’un rang dans la hiérarchie cosmique. Étant donné qu’ il
doit remonter sept degrés pour retrouver sa position initiale, il lui faudra sept
cycles de 50.000 ans, soit 350.000 ans. Si on y ajoute 10.000 ans pour ache-
ver le processus de la rédemption, on obtient 360.000 ans, la durée du « cycle
suprême» telle qu’elle fut estimée par le maître ṭayyibite cité au début de ce
paragraphe75. Or, les Iḫwān al-Ṣafāʾ, en s’appuyant sur des sources indiennes,
estiment à 360.000 ans la durée de la «Grande année » ou « Année platoni-
cienne» des astrologues antiques et musulmans, à savoir le cycle que les sept
planètes doivent parcourir pour se retrouver au point vernal (1° d’ Ariès), bou-
73 Sur la doctrine ṭayyibite du nasḫ et du masḫ et ses antécédents dans la littérature des ġulāt
et des nuṣayrīs, voir De Smet, «Scarabées», p. 39–54.
74 De Smet, «La colonne de lumière», p. 359–364.
75 De Smet, Philosophie ismaélienne, p. 166–167; Corbin, Temps cyclique, p. 53.
clant ainsi l’ensemble des cycles et des conjonctions76. S’ il est fort probable que
les auteurs ṭayyibites se soient directement inspirés des Iḫwān, nous avons vu
que des estimations analogues concernant la durée du grand cycle circulaient
déjà dans les écrits relatifs aux sept Adams.
En guise de conclusion
76 Iḫwān al-Ṣafā’, Fi l-akwār wa-l-adwār, éd. de Callataÿ, dans Walker e.a. (éds.), Epistles, p. 136;
traduction du passage et commentaires, Ibid., p. 138, 149–150, 200–201 ; voir en outre de
Callataÿ, Annus Platonicus, p. 129–161.
77 De Smet, «La colonne de lumière», p. 349–375; Id., « Les racines docétistes », p. 87–112.
78 Asatryan et Burns, «Ghulāt Religion», p. 72–75.
79 Photius, Bibliothèque, 109, p. 80.
80 Popkin, «Pre-Adamite Theory», p. 55; sur les antécédents juifs et chrétiens de la concep-
tion des préadamites, voir ibid., p. 51–54.
81 Crone, «Oral Transmission», p. 230–237.
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