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Baccalauréat blanc.

Vous rédigerez le commentaire de ce extrait de Le Père Goriot , Honoré de Balzac, 1834.

Rastignac est un jeune aristocrate, ambitieux, venu de province à Paris pour faire ses études de
droit. Il loge dans une modeste pension tenue par Madame Vauquer. Il rêve de réussir et d’entrer
dans la haute société parisienne mais il manque d’argent. Sa mère lui conseille, par lettre, de suivre
ses études. Sa cousine éloignée Madame de Beauséant commence à lui ouvrir les portes du Paris
mondain. . Enfin, Vautrin, un homme plus âgé que Rastignac, habitant de la pension Vauquer lui
donne ,lui aussi , des conseils dans le texte qui suit. Vautrin s’adresse à Rastignac  :

« Le baron de Rastignac veut-il être avocat ? Oh ! joli. Il faut pâtir pendant dix ans, dépenser mille
francs par mois, avoir une bibliothèque, un cabinet, aller dans le monde, baiser la robe d’un avoué
pour avoir des causes, balayer le Palais avec sa langue. Si ce métier vous menait à bien, je ne dirais
pas non ; mais trouvez-moi dans Paris cinq avocats qui, à cinquante ans, gagnent plus de cinquante
mille francs par an ? Bah ! plutôt que de m’amoindrir ainsi l’âme, j’aimerais mieux me faire corsaire.
D’ailleurs, où prendre des écus ? Tout ça n’est pas gai. Nous avons une ressource dans la dot d’une
femme. Voulez-vous vous marier ? ce sera vous mettre une pierre au cou ; puis, si vous vous mariez
pour de l’argent, que deviennent nos sentiments d’honneur, notre noblesse ! Autant commencer
aujourd’hui votre révolte contre les conventions humaines. Ce ne serait rien que se coucher comme
un serpent devant une femme, lécher les pieds de la mère, faire des bassesses à dégoûter une truie,
pouah ! si vous trouviez au moins le bonheur. Mais vous serez malheureux comme les pierres
d’égout avec une femme que vous aurez épousée ainsi. Vaut encore mieux guerroyer avec les
hommes que de lutter avec sa femme. Voilà le carrefour de la vie, jeune homme, choisissez. Vous
avez déjà choisi : vous êtes allé chez notre cousine de Beauséant, et vous y avez flairé le luxe. Vous
êtes allé chez madame de Restaud, la fille du père Goriot, et vous y avez flairé la Parisienne. Ce jour-
là vous êtes revenu avec un mot sur votre front, et que j’ai bien su lire : Parvenir  ! parvenir à tout
prix. Bravo ! ai-je dit, voilà un gaillard qui me va. Il vous a fallu de l’argent. Où en prendre ? Vous avez
saigné vos sœurs. Tous les frères flouent 1 plus ou moins leurs sœurs. Vos quinze cents francs
arrachés, Dieu sait comme ! dans un pays où l’on trouve plus de châtaignes que de pièces de cent
sous, vont filer comme des soldats à la maraude. Après, que ferez-vous ? vous travaillerez ? Le
travail, compris comme vous le comprenez en ce moment, donne, dans les vieux jours, un
appartement chez maman Vauquer à des gars de la force de Poiret2. Une rapide fortune est le
problème que se proposent de résoudre en ce moment cinquante mille jeunes gens qui se trouvent
tous dans votre position. Vous êtes une unité de ce nombre-là. Jugez des efforts que vous avez à
faire et de l’acharnement du combat. Il faut vous manger les uns les autres comme des araignées
dans un pot, attendu qu’il n’y a pas cinquante mille bonnes places. Savez-vous comment on fait son
chemin ici ? Par l’éclat du génie ou par l’adresse de la corruption. Il faut entrer dans cette masse
d’hommes comme un boulet de canon, ou s’y glisser comme une peste. L’honnêteté ne sert à rien.
L’on plie sous le pouvoir du génie, on le hait, on tâche de le calomnier, parce qu’il prend sans
partager ; mais on plie s’il persiste ; en un mot, on l’adore à genoux quand on n’a pas pu l’enterrer
sous la boue. La corruption est en force, le talent est rare. « 

1. flouer : voler, duper, tromper. 2. un des locataires de la pension Vauquer, employé de bureau
san grande personnalité
Corrigé bac blanc. Commentaire de texte. Discours de Vautrin Le Père Goriot 1834.

Introduction.

Eléments possibles pour le préambule :

-Le roman réaliste et son ambition de peindre la société telle qu’elle est y compris dans sa laideur,
dans sa banalité, sans l’idéaliser.
-L’œuvre de Balzac La Comédie humaine  : vaste ensemble qui réunit les nombreux romans de Balzac
(plus de 90 romans !), ambition de Balzac de peindre au travers de ces différents romans toutes les
classes sociales. Influencé par les récentes découvertes en zoologie (celles de Geoffroy Saint Hilaire à
qui Balzac dédie justement Le Père Goriot, Geoffroy Saint Hilaire étant une sorte de précurseur de
Darwin et de sa thèse de l’évolution), Balzac affirme dans sa préface de La Comédie humaine  : « Il
existe des espèces sociales comme il existe des espèces animales ». On peut dire qu’il peint la société
de son temps comme une jungle, un espace où règnent les rivalités + idée du « milieu » qui influence
l’individu comme pour les animaux.
-Bon nombre de romans sont construits sur le schéma du récit d’initiation : un jeune homme, une
jeune fille « apprend » la vie, confronte ses idéaux, ses illusions à la réalité, aux autres personnages
(cf. La Princesse de Clèves). Rastignac, modèle de ce type de personnage : le jeune ambitieux,
l’arriviste.
-Parfois, dans ce type de récits initiatiques (aussi dans les films), le jeune héros reçoit l’enseignement,
les conseils d’un autre personnage, jouant le rôle de mentor plus ou moins bien intentionné (Mentor
est d’ailleurs au départ un nom propre, celui d’un personnage de fiction, le précepteur de
Télémaque, le fils d’Ulysse). C’est ici le cas avec ce discours de Vautrin, faisant « la leçon » à son
« protégé ». Comment et pourquoi cette leçon est-elle donnée par ce personnage ?

Caractérisation du passage :
Ce texte est :
I. Un discours initiatique. Vautrin = personnage plus âgé, «  professeur  » du plus jeune.
II. Le portrait de Rastignac vu par Vautrin. Vautrin = narrateur
III. Une vison sombre, cynique du monde. Vautrin= porte-parole de l’auteur  ?

I. Un discours initiatique. Vautrin = personnage plus âgé, « professeur » du plus


jeune.
Objectif : montrer qu’il s’agit d’un discours d’un maître à son élève, d’une démonstration
persuasive et convaincante. (Vautrin veut dissuader Rastignac de mener une vie normale et
morale : travailler, se marier)

1. Une tirade animée.

-longueur de la prise de parole, une tirade sans interruption mais animée….


- par des questions et des exclamations l. 1, 4, 5, 6, 8, 1015, 16, 18, 19, 25
-par des interjections : « Oh » 1, « Bah » 4, « Pouah » 10, « Bravo », 16
+ Vautrin devance les remarques de Rastignac et y répond : « où prendre des écus ?
Tout ça n’est pas gai » 5-6 » où en prendre ? Vous avez saigné vos sœurs » 16-17, « que
ferez-vous ? Vous travaillerez ? « 19
-passages avec des phrases simples et courtes en asyndète (les mots de liaison
coordonnant les phrases sont omis) qui accélèrent le texte : « D’ailleurs, où (…) pierre
au cou » l. 5-7, « il vous a fallu (…) vous travaillerez ? » l. 16-19

2. Un discours efficace.

- Efficace parce que rapide :


-en une dizaine de lignes, Vautrin balaie, expédie les deux aspects d’une vie normale,
conforme aux normes : le travail, « devenir avocat » « Le baron de Rastignac (…) Tout ça
n’est pas gai » l. 1 à 6, le mariage « Nous avons une ressource (…) aurez épousé ainsi » l.
6-12.
-Dans les deux cas, Vautrin conclue efficacement en soulignant la tristesse d’une telle
vie : « Tout cela n’est pas gai » 6, « vous serez malheureux comme les pierres d’égout »
11

-Efficace parce que fondé sur l’exemple (ou plutôt le contre-exemple)

- « les avocats dans Paris » l. 4 avec les multiples de cinq qui rendent l’exemple
mémorisable : « cinq, cinquante, cinquante mille » l. 4 + reprise du nombre « cinquante
mille » en fin de texte comme un écho l. 24.

-l’exemple intérieur à l’intrigue : « Poiret » l. 19-21.

- Efficace parce que frappant :

-énumération de verbes à l’infinitif de plus en plus péjoratifs qui résume la vie d’un
avocat : « pâtir, dépenser, avoir, aller, baiser la robe, balayer le Palais » l. 1 à 3.

-Utilisation d’images percutantes et dégradantes : « baiser la robe » l. 2« balayer avec


sa langue » l. 3, se coucher comme un serpent » l.9, « lécher les pieds » l.9, image des
araignées dans un pot l. 24. > Homogénéité de ces images : animalisation et dégoût.

-conclusion par une maxime à contre-courant de la morale : « L’honnêteté ne sert à


rien » l. 26-27

3. Une démonstration qui allie autorité (convaincre) et complicité (persuader).


-un ton catégorique :
-Injonctions : « il faut » 1, 25+ impératifs : « trouvez-moi dans Paris cinq avocats »4,
« choisissez » 13+ ton de la certitude : « Voilà le carrefour de la vie » 11 + futurs comme
une prédiction certaine : « ce sera vous mettre une pierre au cou » 6, « vous serez
malheureux » 11.
-
-des sentences au présent de vérité générale : « Une rapide fortune (..) votre position
« 21-22 « l’honnêteté ne sert à rien » 26-27 + toute la fin du texte 27 à fin avec
notamment la dernière phrase : « La corruption est en force, le talent est rare »28-29.

-un ton complice :


-un discours d’homme à homme : « me faire corsaire » 5« Vaut encore mieux guerroyer
(…) femme »11-12, « tous les frères » 17. « Humour » d’une certaine misogynie.
-discours protecteur, paternaliste « Voilà le carrefour de la vie, jeune homme » 12 et un
peu moqueur, ironique avec l’utilisation de la première personne du pluriel : « nos
sentiments d’honneur, notre noblesse » 8, « notre cousine » 13 + Vautrin se met à la
place de Rastignac « j’aimerais mieux me faire corsaire » 5 + compliment : « voilà un
gaillard qui me va. « 16.
-un langage familier : interjections, lexique familier : « gaillard » 116, « maman
Vauquer » l. 20, « des gars »20 + style oral avec élision de certains éléments de la
phrase « Vaut encore mieux « 11-12, avec des phrases nominales : « Oh ! joli ; » 1,
« autant commencer (..) » 7
CCl : un discours séduisant car persuasif et convaincant, séducteur et provocateur (à
contrecourant des normes établies).

II. Le portrait de Rastignac vu par Vautrin. Vautrin = narrateur


Objectif : montre que Rastignac est l’enjeu, le thème du texte, qu’il est vu décrypté par
Vautrin qui révèle Rastignac à lui-même.

1. Rastignac enjeu du texte.

-Rastignac comme thème du discours :

- l. 1 « le baron de Rastignac » formule qui met Rastignac en position de thème,


de sujet du texte + multiplication de la seconde personne « vous ».

-de nombreuses informations sur Rastignac :


-sa catégorie sociale : un aristocrate sans argent : le titre de « baron » +
références nombreuses à son manque d’agent 5, 7, 16, 21 ;
-ses valeurs : « honneur », « noblesse » 8
- son âge « jeune » 12, 22,
-sa situation familiale, ‘vos sœurs » 17, « cousine » 13.

-Rastignac défini par Vautrin :

- différentes désignations de Rastignac : « le baron » 1, « jeune homme » 12, « un


gaillard » 16, « frères » 17, « jeunes gens » 21, « une unité « 25. Les désignations
ont de plus en plus abstraites, associant Rastignac à un groupe.
>>Le discours de Vautrin fait passer le personnage d’un individu (nom propre +
titre « le baron, de Rastignac » à un élément d’une catégorie « une unité de ce
nombre-là » l. 22 voulant ainsi lui démontrer qu’il doit ‘s’extraire, s’il veut réussir,
de cette masse. D’une certaine façon, on peut dire que Vautrin « narrateur »
cherche à faire comprendre à Rastignac comment il doit devenir un « héros »,
c’est-à-dire en ne suivant les règles établis par la société, comment il doit devenir
ce qu’il est un arriviste.).

2. Rastignac révélé par Vautrin.


-Vautrin est comme un narrateur omniscient qui connaît tout de son interlocuteur :
-Vautrin « maitre du temps » connaît le passé de Rastignac dont il retrace le
parcours : passage avec des verbes au passé composé : « vous êtes allé (..)avez
saigné vos sœurs » l. 13-17, prédit un futur en envisageant un avenir qu’il referme
aussitôt : question qui posent la possibilité de cet avenir suivie immédiatement de la
réponse qui annule cette possibilité : « Voulez-vous vous marier ? ce sera vous mettre
une pierre au cou » 6-7 et «  vous travaillerez ? le travail, compris comme vus le
comprenez… » 19-20.
-il connait l’intériorité, les pensées de Rastignac : « comme vous le comprenez en ce
moment » 19-20, « votre révolte contre les conventions humaines « 8
-il connait aussi des faits et des gestes auxquels il n’a théoriquement pas accès en
tant que personnage (à moins qu’il n’ait espionné Rastignac, ce qui est le cas !) : la
demande d’argent à la famille, les visites de Rastignac.
-mais surtout Vautrin révèle Rastignac comme un arriviste, un ambitieux sans
scrupule (Vautrin dit à Rastignac ce que Rastignac ne s’avoue pas encore à lui-même)
-Vautrin « lecteur » de Rastignac : « un mot sur votre front que j’ai bien su lire » 15+
cette révélation est soulignée par la mise en italique du verbe parvenir. + Vautrin sait
avant Rastignac ce qu’il ressent : « vous avez déjà choisi » 13.
-Vautrin montre donc à Rastignac qui il est vraiment : le portrait de Rastignac le
présente en fauve : « vous avez flairé »14, « vous avez saigné » ,16, avec l’effet de
répétition et de parallélisme qui souligne cette caractéristique + « arrachés » 16. Les
nobles sentiments du début du texte n’étaient que des apparences ou des erreurs de
jeunesse : Rastignac est en fait montré par Vautrin comme sans foi ni loi, employant
tous les moyens pour réussir : « parvenir à tout prix »15+ « arrachés Dieu sait
comme ! »

III. Une vison sombre, cynique du monde. Vautrin= porte-parole de l’auteur ?

1. Une analyse pessimiste de la société :

-omniprésence de l’argent comme unique moyen et critère de réussite : « dépenser


mille francs » 1, « gagnent plus de cinquante mille francs par an » 4, « où prendre
des écus » 5, « dot » 6, vous mariez pour de l’argent » 7 « le luxe » 13 » vous a fallu
de l’argent »16 « quinze cents francs arrachés » 17, « pièces de cent sous » 18,
« rapide fortune » 21 + argent qui imprègne toutes les relations : professionnelles,
conjugales, familiales, sociales.
-une société comme une jungle où l’homme est associé par la comparaison ou la
métaphore à des animaux repoussants : « serpent »9, « truie » 10, « araignées » 24,
par l’implicite à un animal sauvage, un prédateur : « flairé » 14, « saigné » 16,
« arrachés » 17 + société où règne la violence exprimée sous plusieurs images : la
dévoration entre individus « manger les uns les autres » 23 la guerre « comme un
boulet de canon » 26 la maladie « comme une peste » 26

-une société où règne les rapports de domination et de soumission : plusieurs


verbes disent l’abaissement : « baiser la robe »2, « balayer avec sa langue » 3, « se
coucher » 9, « lécher les pieds » 9 « faire des bassesses « 10 « adorer à genoux,
enterrer sous la boue » 28.

2. Face à ce constat sombre, une réponse cynique. (Contraire à la morale, aux


conventions)
-Mise en place d’ un choix, à deux reprises : l.12 puis 24-25 . A chaque fois, le etxte
fait semblant de proposer un choix mais impose en fait un réponse.
On remarque un premier choix avec la métaphore du « carrefour » l. 12 entre une vie
conventionnelle mais terne et triste (le travail, le mariage) et une vie plus ambitieuse.
Selon Vautrin, Rastignac a déjà choisi, il veut « parvenir ».
-La fin du texte reprend la métaphore du chemin aux lignes 24-25 et propose deux
possibilités pour réussir, là encore comme un carrefour : le génie ou la corruption. La
structure binaire est soulignée avec l’alternative « ou » et les parallélismes : « par
l’éclat du génie ou l’adresse de la corruption » 27 « entre comme un boulet de canon
ou s’y glisser comme une peste », 25« La corruption est en force, le talent est rare »
29
-mais en fait une fausse l’alternative : c’est la corruption qui est la solution efficace.
Le parallélisme final souligne l’efficacité de la corruption par la valorisation de « en
force », ce que suggérait deux lignes au-dessus l’aphorisme « l’honnêteté ne sert à
rien » amenant logiquement à cette conclusion.

CCL :
Un texte qui met en jeu le parcours « individu, morale et société » de façon
originale :
-l’individu, le personnage, est initié par un autre individu, un autre personnage qui le
révèle à lui-même. Ce n’est pas l’expérience du personnage qui le fait évoluer mais le
discours d’un autre personnage qui lui fait prendre conscience de ce qu’il est
véritablement.
-l’individu, le personnage est considéré comme un élément d’une masse (la société)
dans laquelle il faut faire sa place, y entrer comme un boulet de canon ou comme
une peste. Le parcours initiatique du personnage st donc considéré comme une lutte
envers la société (cf. fin de Le Père Goriot).
-texte qui présente une conception très sombre et amorale de la société conçue
comme une jungle, un rapport de domination. Vautrin y apparait comme un maitre
en corruption ou encore comme un maitre en société.

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