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Rastignac est un jeune aristocrate, ambitieux, venu de province à Paris pour faire ses études de
droit. Il loge dans une modeste pension tenue par Madame Vauquer. Il rêve de réussir et d’entrer
dans la haute société parisienne mais il manque d’argent. Sa mère lui conseille, par lettre, de suivre
ses études. Sa cousine éloignée Madame de Beauséant commence à lui ouvrir les portes du Paris
mondain. . Enfin, Vautrin, un homme plus âgé que Rastignac, habitant de la pension Vauquer lui
donne ,lui aussi , des conseils dans le texte qui suit. Vautrin s’adresse à Rastignac :
« Le baron de Rastignac veut-il être avocat ? Oh ! joli. Il faut pâtir pendant dix ans, dépenser mille
francs par mois, avoir une bibliothèque, un cabinet, aller dans le monde, baiser la robe d’un avoué
pour avoir des causes, balayer le Palais avec sa langue. Si ce métier vous menait à bien, je ne dirais
pas non ; mais trouvez-moi dans Paris cinq avocats qui, à cinquante ans, gagnent plus de cinquante
mille francs par an ? Bah ! plutôt que de m’amoindrir ainsi l’âme, j’aimerais mieux me faire corsaire.
D’ailleurs, où prendre des écus ? Tout ça n’est pas gai. Nous avons une ressource dans la dot d’une
femme. Voulez-vous vous marier ? ce sera vous mettre une pierre au cou ; puis, si vous vous mariez
pour de l’argent, que deviennent nos sentiments d’honneur, notre noblesse ! Autant commencer
aujourd’hui votre révolte contre les conventions humaines. Ce ne serait rien que se coucher comme
un serpent devant une femme, lécher les pieds de la mère, faire des bassesses à dégoûter une truie,
pouah ! si vous trouviez au moins le bonheur. Mais vous serez malheureux comme les pierres
d’égout avec une femme que vous aurez épousée ainsi. Vaut encore mieux guerroyer avec les
hommes que de lutter avec sa femme. Voilà le carrefour de la vie, jeune homme, choisissez. Vous
avez déjà choisi : vous êtes allé chez notre cousine de Beauséant, et vous y avez flairé le luxe. Vous
êtes allé chez madame de Restaud, la fille du père Goriot, et vous y avez flairé la Parisienne. Ce jour-
là vous êtes revenu avec un mot sur votre front, et que j’ai bien su lire : Parvenir ! parvenir à tout
prix. Bravo ! ai-je dit, voilà un gaillard qui me va. Il vous a fallu de l’argent. Où en prendre ? Vous avez
saigné vos sœurs. Tous les frères flouent 1 plus ou moins leurs sœurs. Vos quinze cents francs
arrachés, Dieu sait comme ! dans un pays où l’on trouve plus de châtaignes que de pièces de cent
sous, vont filer comme des soldats à la maraude. Après, que ferez-vous ? vous travaillerez ? Le
travail, compris comme vous le comprenez en ce moment, donne, dans les vieux jours, un
appartement chez maman Vauquer à des gars de la force de Poiret2. Une rapide fortune est le
problème que se proposent de résoudre en ce moment cinquante mille jeunes gens qui se trouvent
tous dans votre position. Vous êtes une unité de ce nombre-là. Jugez des efforts que vous avez à
faire et de l’acharnement du combat. Il faut vous manger les uns les autres comme des araignées
dans un pot, attendu qu’il n’y a pas cinquante mille bonnes places. Savez-vous comment on fait son
chemin ici ? Par l’éclat du génie ou par l’adresse de la corruption. Il faut entrer dans cette masse
d’hommes comme un boulet de canon, ou s’y glisser comme une peste. L’honnêteté ne sert à rien.
L’on plie sous le pouvoir du génie, on le hait, on tâche de le calomnier, parce qu’il prend sans
partager ; mais on plie s’il persiste ; en un mot, on l’adore à genoux quand on n’a pas pu l’enterrer
sous la boue. La corruption est en force, le talent est rare. «
1. flouer : voler, duper, tromper. 2. un des locataires de la pension Vauquer, employé de bureau
san grande personnalité
Corrigé bac blanc. Commentaire de texte. Discours de Vautrin Le Père Goriot 1834.
Introduction.
-Le roman réaliste et son ambition de peindre la société telle qu’elle est y compris dans sa laideur,
dans sa banalité, sans l’idéaliser.
-L’œuvre de Balzac La Comédie humaine : vaste ensemble qui réunit les nombreux romans de Balzac
(plus de 90 romans !), ambition de Balzac de peindre au travers de ces différents romans toutes les
classes sociales. Influencé par les récentes découvertes en zoologie (celles de Geoffroy Saint Hilaire à
qui Balzac dédie justement Le Père Goriot, Geoffroy Saint Hilaire étant une sorte de précurseur de
Darwin et de sa thèse de l’évolution), Balzac affirme dans sa préface de La Comédie humaine : « Il
existe des espèces sociales comme il existe des espèces animales ». On peut dire qu’il peint la société
de son temps comme une jungle, un espace où règnent les rivalités + idée du « milieu » qui influence
l’individu comme pour les animaux.
-Bon nombre de romans sont construits sur le schéma du récit d’initiation : un jeune homme, une
jeune fille « apprend » la vie, confronte ses idéaux, ses illusions à la réalité, aux autres personnages
(cf. La Princesse de Clèves). Rastignac, modèle de ce type de personnage : le jeune ambitieux,
l’arriviste.
-Parfois, dans ce type de récits initiatiques (aussi dans les films), le jeune héros reçoit l’enseignement,
les conseils d’un autre personnage, jouant le rôle de mentor plus ou moins bien intentionné (Mentor
est d’ailleurs au départ un nom propre, celui d’un personnage de fiction, le précepteur de
Télémaque, le fils d’Ulysse). C’est ici le cas avec ce discours de Vautrin, faisant « la leçon » à son
« protégé ». Comment et pourquoi cette leçon est-elle donnée par ce personnage ?
Caractérisation du passage :
Ce texte est :
I. Un discours initiatique. Vautrin = personnage plus âgé, « professeur » du plus jeune.
II. Le portrait de Rastignac vu par Vautrin. Vautrin = narrateur
III. Une vison sombre, cynique du monde. Vautrin= porte-parole de l’auteur ?
2. Un discours efficace.
- « les avocats dans Paris » l. 4 avec les multiples de cinq qui rendent l’exemple
mémorisable : « cinq, cinquante, cinquante mille » l. 4 + reprise du nombre « cinquante
mille » en fin de texte comme un écho l. 24.
-énumération de verbes à l’infinitif de plus en plus péjoratifs qui résume la vie d’un
avocat : « pâtir, dépenser, avoir, aller, baiser la robe, balayer le Palais » l. 1 à 3.
CCL :
Un texte qui met en jeu le parcours « individu, morale et société » de façon
originale :
-l’individu, le personnage, est initié par un autre individu, un autre personnage qui le
révèle à lui-même. Ce n’est pas l’expérience du personnage qui le fait évoluer mais le
discours d’un autre personnage qui lui fait prendre conscience de ce qu’il est
véritablement.
-l’individu, le personnage est considéré comme un élément d’une masse (la société)
dans laquelle il faut faire sa place, y entrer comme un boulet de canon ou comme
une peste. Le parcours initiatique du personnage st donc considéré comme une lutte
envers la société (cf. fin de Le Père Goriot).
-texte qui présente une conception très sombre et amorale de la société conçue
comme une jungle, un rapport de domination. Vautrin y apparait comme un maitre
en corruption ou encore comme un maitre en société.