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Maurizio Badanai philosophe-thérapeute Zhì néng qì-gō ng

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ZHÌ NÉNG QÌ GŌNG 


智能氣功

智 zhì : sagesse, intelligence1


能 néng : pouvoir, capacité – être capable de…, autorisé à …
氣 qì : puissance constitutive, force (ré)génératrice
功 gōng : travail, effort, habileté – service, effet, réussite – mérite

§ 1. UNE DÉFINITION :
1
Probablement quelque chose d’apparenté à la sophia (σοφία, comme dans « philosophia ») ou à la phro-
nèsis (φρό νησις) grecques, qui indiquent chez certains auteurs la sagesse, le choix éclairé, avisé,
effectué dans la mouvance quotidienne des choses.

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Maurizio Badanai philosophe-thérapeute Zhì néng qì-gō ng
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L’expression « zhì néng qì gōng » est fréquemment rendue par « qi-gong de la


sagesse ». J’aime personnellement la traduire par « diligenter la sagesse et
l’agentivité »2. Si la pratique du zhì néng qì gōng entretient et renforce la santé, elle
vitalise aussi une kyrielle de vertus ou de compétences qui me paraissent exigées par la
philosophie, c’est-à -dire, justement, par l’« amour de la sagesse ». C’est dans ce cadre et
dans cet objectif que, personnellement, je m’y consacre. « En pratiquant, dit-on, un état
de calme et de sérénité s’installe peu à peu dans la vie quotidienne ». Or la philosophie a
précisément pour objectif d’ouvrir de la disponibilité contre nos réactions à l’emporte-
pièce. Son apport consiste à créer du jeu ou de la marge au cœur de nos indispositions,
pour donner sa chance à la sagesse. Le zhì néng qì gōng comme la philosophie
ralentissent notre précipitation et notre prévention (Descartes). Contre les préjugés, ils
laissent venir3. Contre les routines et l’accrochage aux en-soi de toute farine, ils
réinstallent de la conscience et du maturatif. « C’est peut-être la tâ che de la philosophie
d’entrevoir ce qui n’existe qu’en faisant et en train de faire », écrit par exemple Vladimir
Jankélévitch (1903-1985) (Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien I, éd. du Seuil 1980, p. 72).
Le zhì néng qì gōng, dans cet esprit, nous réinstalle dans une corporalité qui prélude à
celle de l’organisme « tout fait » ou « constitué », défini par exemple par la surface
cutanée, le nombre de bras ou une vulnérabilité déterminée (« je suis asthmatique »),
mais celle du corps se faisant. Pratiquer le zhì néng qì gōng c’est si l’on veut s’approprier
la vie comme pouvoir constituant.4 De là les innombrables bienfaits que moult études lui
reconnaissent : immunité renforcée, diminution de la pression sanguine chez les
hypertendus, meilleure mémoire, détente et joie accrues, augmentation de la motilité
intestinale, ondes cérébrales alpha favorisant les autosuggestions de guérison et/ou de
bien-être, résolution des douleurs rhumatismales, assouplissement des parois artérielles
et j’en passe. Le médecin Pang (nom) Ming (prénom) a inauguré cette méthode durant
les années 1980 sur le constat que la médecine s’occupait trop de soigner les maladies et
pas assez de changer les modes d’existence qui permettaient aux maladies de s’installer.
Le qi-gong comme la philosophie, en ce sens, diligentent l’agentivité (néng) même des
personnes, plutô t que simplement leurs états.

2
La version anglaise d’un texte du docteur Pang Ming, fondateur du zhì néng qì gōng, donne d’ailleurs
« Qigong for Wisdom and Abilities (qi-gong pour la sagesse et les capacités) » (The methods of zhì néng qì
gōng Science (1992), éd. CreateSpace 1994, p. 6). Comme en philosophie, on ne prétend donc pas
garantir des réponses sages à l’existence, mais entrebâiller dans notre réactivité en primesaut des
interstices par où la sagesse puisse s’infiltrer.
3
Par « sérénité » j’entends le type de quiétude qui signe l’aptitude à laisser venir. La sérénité contraste
notamment avec la tranquillité, qui tient de l’immobilisme sécurisant.
4
Cette manière de comprendre le qi-gong découle de mes recherches en philosophie et en anthropologie
clinique.
 En ce qui concerne la première, je me réfère à la phénoménologie, et au rô le générateur du
mouvement d’existence (ou « pulsion », ou « a priori universel de corrélation ») tel que le définit
Renaud Barbaras. Pour les phénoménologues qui refusent de soumettre l’apparaître à un
quelconque apparaissant, c’est le vivre lui-même qui prend continuellement corps, loin qu’il
s’explique par les propriétés physico-chimiques d’un organisme pré-donné.
 Quant à la seconde, je pense en particulier à Jean Gagnepain, et à sa conception du corps comme
« somasie » ou « incorporation », c’est-à -dire à la manière dont notre proprioception se gestaltise, se
configure, c’est-à -dire se totalise et se donne des contours avec un centre, un ici et un là, un dedans
et un dehors, un avant et un après.

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餘裕 yúyù : marge, surplus, abondance, aisance dans l’action


La « marge » (de manœuvre), donnée entre autres choses par la sérénité subjective, fournit un critère
objectif pour évaluer la progression du philosophe contre la réactivité crasse, ou l’indisponibilité.
餘 yú : rester, être en plus – 裕 yù : abondant, riche
Calligraphie de Pascal Krieger, mon maître en jôdô (voie du bâ ton) de 1978 à 1998.

Plusieurs succulences du zhì néng qì gōng le rendent particulièrement intéressant


pour cultiver vertus et compétences philosophiques. En
voici trois :  Citation :
1°, Ce que Martin Heidegger (1889-1976) appelle le « Patience, patience,
« séjour considératif (betrachtendes Verweilen) » Patience dans l’azur !
auprès des étants, un intéressement patient5 qui Chaque atome de silence
Est la chance d’un fruit mû r.
terreaute la curiosité agitée par le souci dominant de » (Paul Valéry : Palme,
distraction (Zerstreu-ung) et par « l’incapacité spécifique 1922).
à séjourner auprès du plus proche (Das Unverweilen
beim Nächsten »)6.
2°, Une seconde caractéristique apparie philosophie et zhì néng qì gōng. En définissant
la philosophie comme « jardinage des évidences », je souligne qu’il s’y agit toujours
au premier chef d’accompagner – tel un jardinier – des spontanéités dont nous ne
sommes ni les créateurs ni les maîtres. En thérapie, ces spontanéités sont par
exemple les valorisations, les projets, les ressources, les besoins ou les relations qui

5
Emmanuel Housset voit en la patience la « capacité à suspendre sa volonté pour écouter le monde ».
Dans La douceur de la patience. La patience retrouvée (Revue d’éthique et de théologie morale N° 250,
2008), il la dépeint comme un « être capable de plus que soi dans la rencontre de ce qui n’est pas
soi ». Plusieurs des caractéristiques qu’il en campe montrent à quelle point cette vertu sert la sagesse et
l’agentivité. Patienter, c’est en effet :
 Vouloir ne pas forcer les choses (philosophie comme respect).
 Se déterminer par soi-même au lieu de se laisser déterminer par ce qui arrive (philosophie qua recul,
antidote à notre réactivité).
 Savoir oublier ce qui est inessentiel. Persister vers un certain bien au milieu même des épreuves
(philosophie comme jardinage, i.e. culture de ce qu’on estime préférable).
6
Sein und Zeit, 1927, § 36.

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émergent à notre étonnement7 chez le patient durant le travail. Or le zhì néng qì gōng
se positionne dans une même attitude non-volontariste d’accompagnement.
Contrairement à d’autres qi-gongs, il préconise notamment une respiration et une
posture naturelle, et ne force pas l’attention sur les parcours des méridiens.
自然 zìrán : nature(l), spontané(ité) – tel de soi-même, advenant par soi
自 zì : soi-même, par soi-même, à partir de…, naturel – 然 rán : tel, juste, correct
3°, La philosophie, notamment dans sa prestation fondamentale qu’est l’écoute
(ἀ κού ειν, akouein), offre de la considération. Or la considération – explique Corine
Pelluchon – exige, contrairement au respect, qu’on prenne en continu la mesure de la
vulnérabilité des êtres. Elle obéit à un mouvement de « transdescendance, qui
implique une connaissance de nous-mêmes passant par l’approfondissement de
notre condition charnelle et l’exploration du sentir dans sa dimension pathique (…) »
(Éthique de la considération, éd. du Seuil 2018, p. 127). Le terme
« transdescendance » fut cogné par le philosophe Jean Wahl. Il désigne le fait de
prêter attention aux racines pré-rationnelles sur lesquelles nous édifions – en les
dépositivant ou en les dé-naturant, comme je l’explique dans mon Anthropologie
clinique – le devenir sociétal, le travail, la liberté et la pensée humaines. La
transdescendance est la reconnaissance de ce qui nous fait participer à un vivre
commun : « C’est en approfondissant la connaissance de soi comme d’un être
charnel, en faisant l’expérience de sa vulnérabilité, de sa finitude et de sa faillibilité,
et en explorant le sentir dans sa dimension pathique ainsi que les couches primitives
du vécu, que le sujet éprouve son appartenance au monde commun » (ibidem p. 254).
Pelluchon dessine les voies privilégiées de la transdescendance dans la maladie, la
douleur, la dépression et la pitié. Il y a étude transdescendante, me semble-t-il,
lorsqu’encore je laisse s’exprimer certaines émotions, lorsque j’admets que je vieillis,
que je ne possède pas l’habileté motrice de mon collègue plus jeune, et/ou que je
dépends d’autrui, lorsque je m’ennuie, lorsque je me reconnais en cet être traversé
de désirs sexuels parfois insupportables (au sens où l’on dit d’un gosse qu’il est
insupportable), ou lorsque je subis la faim ou la fatigue, bref : lorsque je prends en
compte la passivité, c’est-à -dire du non-pouvoir dans le pouvoir. Cette étude, notez-le
bien, ne ressortit pas d’abord au verbe, au logos : « L’insistance sur la
transdescendance signifie que la connaissance de soi n’est pas uniquement
intellectuelle (…) » (p. 217), que c’est « un savoir vécu qui pousse à l’action » (p. 133).

§ 2. LE SINOGRAMME « ZHÌ » :

Le caractère chinois 智 est généralement traduit par « sagesse » ou – ce qui n’est


pourtant pas la même chose – par « intelligence »8. Il se compose de plusieurs éléments :
 矢 shǐ : flèche – serment (ce qui promet d’atteindre un but) et…
 口 kǒu : bouche – ouverture – entrée…
7
« Cet état, l’étonnement [θαυμά ζειν, thaumazein], est particulièrement celui du philosophe, car c’est là
le principe de la philosophie » (Platon [428-342 av. J.-C.] : Théétète).
8
« L’intelligence est caractérisée par la puissance indéfinie de décomposer selon n’importe quelle loi et
de recomposer en n’importe quel système » (Henri Bergson, 1859-1941 : L’évolution créatrice, 1907).

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forment le sinogramme 知 (zhī), qui veut dire « connaître, percevoir, conscientiser,


comprendre ». En-dessous, comme soutenant le tout, on trouve 日(rì), qui signifie « jour,
soleil ». L’ensemble « zhì » évoque ainsi un souci de comprendre pour ensoleiller
l’existence.

§. 3. LE SINOGRAMME « NÉNG » :

« Néng 能  », on l’a dit, signifie « capacité, pouvoir, être capable de… ». Il signifie
aussi « énergie » et « être autorisé à … ». Son emploi s’étend sur une vaste palette de
significations :

 能力 néng lì : capacité, pouvoir, faculté, force, puissance


 能人 néng rén : homo habilis
 可能 kě néng : possible, probable, peut-être
 本能 běn néng : instinct
 电能 diàn néng : énergie électrique
 能手 néng shǒu : expert, connaisseur
 我能帮你什么忙吗? Wǒ néng bāng nǐ shén me máng ma ? (soit mot à mot : Wǒ
[moi] néng [pouvoir] bāng [aider] nǐ [toi] shén me [quelconque, n’importe quel]
máng [se presser, tenir occupé] ma [mot d’interrogation] ?)

Gino Micucci écrit sur la pratique du zhì néng qì gōng : « Avec l’entraînement,
vous sentez qu’il se passe des choses dans votre corps, mais aussi dans votre façon de
penser et de réagir aux différentes situations de la vie quotidienne… Vous apprenez à
être en phase avec ce que vous êtes profondément, jusqu’à ne plus avoir cette
impression inconfortable de subir le rythme de la vie »9. Comme la philosophie, le zhì
néng qì gōng diligente ainsi les « ressources de régénération du soi » (Ricœur : La
mémoire, l’histoire et l’oubli, éd. du Seuil 2000, p. 638). « C’est l’humanité, ce que j’appelle
le “Soi” en définitive, la qualité humaine, le fait de pouvoir se considérer comme l’auteur
de ses propres actes, comme étant capable d’actions intentionnelles, d’initiatives qui
changent le cours des choses, comme pouvant se situer dans un récit de vie, comme
étant le narrateur et le personnage de sa propre histoire »10. Cette humanité, ce soi,
Ricœur les nomme aussi « personne ». On pourrait parler, avec les créateurs de la
thérapie narrative (Michael White et David Epston), de « personal agency »,
d’« agentivité personnelle »11, pour mettre l’accent sur ce fait qu’en pratiquant le zhì
néng qì gōng on ne vise pas seulement le développement d’aptitudes ou de compétences
spécifiques objectivement mesurables (chemise de fer, projection thérapeutique du qì,
longévité, que sais-je encore ?), mais un « pouvoir-faire (Tunkönnen) » spinal dont
9
1ère méthode : Pěng qì guàn dĭng fă. Cahier de notes » (https://www.generationqigong.com).
10
Un entretien avec Paul Ricœur. Soi-même comme un autre. Propos recueillis par G. Jarczyk, Rue
Descartes. Revue du Collège International de Philosophie, 1-2, pp. 225-237, cité par M. Gilbert dans
L’identité narrative. Une reprise à partir de Freud de la pensée de Ricœur, 106.
11
Voir aussi le philosophe Charles Taylor : Human agency and language, dans Philosophical Papers 1,
1985, éd. Cambridge University Press 1985, chapitre I : What is human agency ?

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l’épreuve intime ouvre ou ferme nos engagements et nos responsa-bilités avant toute
expérience effective12. Pour Max Scheler, ce pouvoir-faire est un acte-vécu (Erlebnißakt)
tout à fait original et fondateur, irréductible à la simple présence de certaines
dispositions ou aptitudes (Vermögen). Cet acte ne se confond pas avec une simple
conscience de pouvoir. « Ce qui est donné en lui de façon immédiate, c’est un contenu
quelconque en tant qu’il se trouve sous le pouvoir de notre volonté »13. « Ce qui montre
de façon particulièrement nette l’autonomie et l’originalité du “pouvoir”, c’est cette sorte
particulière de satisfaction, de joie et de plaisir que nous éprouvons à sentir que nous
“pouvons” quelque chose. Ce plaisir n’a rien à voir avec celui que nous attendons
éventuellement de la réalisation de ce que nous avons conscience de pouvoir. Il n’est pas
non plus le plaisir de faire ce que nous pouvons, mais bien plutô t le plaisir de pouvoir
faire ce que nous faisons. On le voit clairement dans les cas où précisément nous ne
réalisons pas quelque chose, où nous renonçons par exemple à une jouissance, où nous
nous efforçons même de ne pas l’obtenir, précisément parce que nous avons conscience
qu’elle est continû ment en notre pouvoir. (…) La satisfaction de “pouvoir” est bien plus
profonde et plus noble que les joies liées aux multiples réalisations de ce que peut se
pouvoir. (…) Quiconque possède une conscience plus riche de son pouvoir-faire
(Tunkönnen) vit par là -même, d’emblée, des états différents ; il agit autrement car il
exige plus de lui-même » (ibidem).

Chez Albert Bandura, l’agentivité penche vers le sentiment d’auto-efficacité, c’est-


à -dire pointe le degré selon lequel on pense pouvoir effectuer de manière efficace les
actions requises pour une tâ che. Famode et Guérin parleraient plutô t dans ce cas – et
moi avec eux – de « confiance en soi »14, c’est-à -dire d’une expérience n’incluant aucune
réfé-rence aux moyens utilisés. De fait, l’expérience vécue du pouvoir-faire ou du non-
pouvoir-faire est ce qui opère la première sélection des contenus du vouloir pur. « Ce qui
détermine les contenus-de-vouloir dans la mesure où ils constituent des contenus-de-
dessein en forme d’images, ce qui les choisit dans la sphère du possible a priori, c’est-à -
dire parmi les contenus représentables qui correspondent aux matières axiologiques de
l’état d’esprit, ce n’est aucunement l’action effective ou moins encore le succès de la
conduite (comme Kant l’imagine à tort), mais c’est d’abord et uniquement l’expérience-
vécue du pouvoir-faire ou du non-pouvoir-faire. » Le pouvoir-faire – précise Scheler – ne
se déploie pas, à l’image d’un patchwork intellectualiste selon le schéma
« représentation de telle chose à faire » + « souvenir d’avoir déjà fait cette chose » +
« prévision de la réaliser à nouveau si… » Loin de là . « Il s’agit d’un phénomène unitaire
(non recomposable à partir d’une juxtaposition des prises de conscience du pouvoir que
nous avons d’effectuer des actes partiels [par exemple moteurs]), possédant ses lois
propres de variation. Le pouvoir-faire constitue un support de valeurs (ainsi que l’objet
de formes de conscience axiologique et de conscience de soi) tout à fait indépendant des
valeurs de l’action effective (pour un contenu identique) ».

Comme le zhì néng qì gōng aspire à développer cet acte spinal en-deçà du
sentiment d’auto-efficacité, j’ai traduit « néng 能 » par « agentivité ». C’est au fond, pour
12
Dans Soi-même comme un autre (1990), Paul Ricœur définit le pouvoir-faire comme « la capacité qu’a
un agent de se constituer en auteur de son action » (8e étude, § 2).
13
Le Formalisme en éthique et l’éthique matériale des valeurs, 1916, 2e partie, chap. VI, § c).
14
Cf. La connaissance de soi en psychologie de l’éducation physique et sportive, éd. Armand Collin 2002, p.
168.

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le dire encore autrement, un ensemble systémique de capacités grâ ce auxquelles nous


nous sentons créativement « response able » face à la vie, ensemble qu’on peut
schématiser avec le tableau ci-dessous :

J. Gagnepain Condition Conduite Comportement Conscience


Individuation Activité Réactivité Idéation

S. Freud source (Quelle) objet (Objekt) poussé e (Drang) fin (Ziel)

Aristote cause maté rielle cause efficiente cause finale cause formelle

Niveau I : minimum vital – base – lie – immersion dans les choses
C : sentir
abstraction contextualisationmotricité
proprioception affectivité sensorialité

Niveau II : objectivation – fondement1 – dé lie1 – captivation par des affaires


S : configuration
de gestalts
sujet trajet projet objet

Niveau III : subjectivation – fondement2 – dé lie2 – affairement pour l’adaptation


P : subordination
à des gestalts
spé cimen-type moyen-fin prix-bien indice-sens
non-actuelles
ESPÈ CE INSTRUMENT VALEUR SYMBOLE

Niveau IV : purs rapports d’opposition et de contraste sans teneurs positives


SCH : Noûs
culture Nomos Technè Dikè Logos
société, histoire travail droit, liberté pensée

Consort Homo Artisan Homo Legitimateur Homo Locuteur Homo


Acteurs humains :
politicus faber sacer sapiens

Types d’œuvres : Usages, contrats Ouvrages, produits Suffrages, vertus Messages, concepts

Schéma du « Triebsystem (système pulsionnel) » (Edmund Husserl, Max Scheler, Lipot Szondi) humain tel
que le synthétise l’anthropologie clinique. Toutes les capacités (néng 能) qui s’y articulent constituent
notre agentivité personnelle.

§. 4. LE SINOGRAMME « QÌ » :

Ce caractère 氣 est souvent traduit par « énergie » ou « souffle ». Il porte un


concept extrêmement large, à la limite de la pensée mythique (par quoi on entend une
pensée qui désigne le même dans le différent, et l’unique dans le pluriel). Sans entrer
dans l’usage très diffus et varié du terme, notons qu’il articule deux caractères :

 气 qì : vapeur, énergie, gaz, air – irriter (faire monter la pression) et…
 米 mǐ : grain de riz en train d’éclater.
Le qi peut donc être compris pour notre pratique comme « ressource » ou
« puissance (ré)génératrice ». Sans vouloir le réduire à cette lecture, j’y vois generaliter
un vecteur de transformation (hùn huà) qui peut concerner aussi bien la manière dont

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nos intentions conditionnent nos fonctions physiologiques 15, que d’autres dynamismes
tels les processus constitutifs du « Weltprozeß (procès mondain) » ou de la
« Weltwerdung (devenir mondain) »16 (Max Scheler).

 混 hùn : confondre, mêler – faire bon ménage avec… – faire passer pour…
 化 huà : changer, transformer, digérer, convertir.

§ 5. LE SINOGRAMME « GONG » :

Jetons enfin un coup d’œil sur l’idéogramme 功 (gōng). On comprendra


facilement alors pourquoi je le traduis par « diligence ».

 工 gōng : représente à l’origine le concept de travail sous la forme d’un outil pour
damer la terre. Il représente aussi l’habileté.
 力 lì : représente le concept de force musculaire sous la forme d’une bêche. Il est
employé pour désigner la vigueur, le fait de déployer tout son possible pour
obtenir un résultat, l’effort pour donner le meilleur de soi.

Le terme « qi-gong » désigne ainsi l’accomplissement relatif au


qi. L’accomplissement aussi bien du qi que par le qi.

§ 6. UNE DÉFINITION DE LA SAGESSE :

Héraclide du Pont (388-310 av. J.-C., actif dans l’Académie de Platon) attribue la
création du mot «  » à Pythagore (580-495 av. J.-C.). À l’en croire, Pythagore
aurait eu un entretien savant avec Léon, tyran de Phlionte (près de Némée). Ce dernier
admirant son génie et son éloquence, lui demanda sur quel art il s’appuyait. Pythagore
aurait décliné l’épithète de « sage » (sophos) et répondu qu’il ne connaissait aucun art,
mais qu’il était philosophe (philo-sophos). Ce point mérite notre meilleure attention, car
il indique clairement que philosophie et sagesse font deux. Que peut-être, même, dans
certaines circonstances, se comporter sagement exige de ne pas se mettre à philosopher.

Voici comment cela résonne chez le vieil É picure (341-270 av. J.-C.) : « la sagesse
est plus appréciable que la philosophie même »17 (Lettre à Ménécée). Et plus tard, chez
Immanuel Kant (1724-1804) : « Le philosophe a vue sur les règles de la sagesse, le sage
met celles-ci en pratique (Der Philosoph sieht die Regeln der Weisheit ein, der Weise
handelt aber darnach) » (Philosophische Enzyklopädie, 1775, 8).18 Même musique avec le
15
Ce qui s’impose de manière parfois carrément spectaculaire chez les hystériques qui, selon leurs
intentions inconscientes, peuvent par exemple, sans lésion organiques, s’anesthésier, entrer en coma
psychogène, produire et déplacer des poches de gaz dans les intestins, devenir momentanément
aveugles, paralysés ou aphones, et id genus omne. Mêmes potentialités avec l’hypnose.
16
Par exemple gravitation, force électromagnétique, interaction faible (responsable de la désintégration
radioactive de particules subatomiques et de la fusion nucléaire dans les étoiles).
17
Soit : « φιλοσοφίας (philosophías, que la philosophie) τιμιώ τερον (timiôteron, plus appréciable) ὑ πά ρχει
(hypárchei, est) φρό νησις (phrónêsis, la sagesse) ».
18
Kant dit : « Le philosophe sieht ein les règles de la sagesse ». J’ai rendu « einsehen » (littéralement
« sehen, voir » « ein, dans ») par « avoir vue sur… ». Le verbe « einsehen » est aussi traduit par

8
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zhì néng qì gōng, si l’on veut bien suivre ma suggestion d’y voir une diligence moins de la
sagesse que pour la sagesse.

Qu’est-ce que cette sagesse (σοφία, sophia) dont l’amour (φιλία, philia) définirait
la philosophie ? À l’époque où Pythagore se présente en σοφος (φιλό σοφος
philósophos), la sophía désigne par exemple l’habileté du marin qui ajuste par touches
successives son cabotage aux vents et aux écueils ; ou la compétence du menuisier qui
sait jouer avec les malandres d’un bois pour fabriquer barrots et varangues. C’est en ce
sens qu’un philosophe bricoleur de motos tel Matthew Crawford dirait encore
aujourd’hui qu’il est sage de ne jamais laisser un roulement à billes se mettre à tourner
quand on le sèche avec un pistolet à air comprimé. Ça vous pète en effet à la gueule
comme une grenade qui blesse et endommage votre atelier. 19 Chez Aristote (384-322 av.
J.-C.), la σοφία (sophia) devient une sagesse théorique soucieuse de « parler vrai ». Elle
s’oppose du coup à la « φρό νησις, phronèsis », la sagesse pratique que les latins
désigneront comme « prudentia : prudence », en laquelle je distingue la volonté d’équité
(« que chacun ait son compte ») et/ou la volonté d’ophélimité (« qu’un produit ou une
manœuvre fassent l’affaire », comme avec le marin ou le menuisier). Certains auteurs
traduisent encore par « sagesse » le grec « σωφροσύ νη, sophrosúnê », qui renvoie à la
tempérance, à la maîtrise de soi, ainsi que le grec « μά θησις, máthêsis », qui signifie
« apprentissage, acquisition de connaissance ». Brochant sur cette bigarrure, notre bon
René Descartes (1596-1650) statue : « Par la sagesse, on n’entend pas seulement la
prudence dans les affaires, mais une parfaite connaissance de toutes les choses que
l’homme peut savoir, tant pour la conduite de sa vie que pour la conservation de sa santé
et l’invention de tous les arts » (Principes de la philosophie, 1644). 

« reconnaître, admettre » ou « consulter ».


19
Voir Éloge du carburateur (éd. La Découverte 2010), titre original : Shop class as Soul Craft. An Inquiry
into The Value of Work, Penguin Press 2009. Un peu plus subtilement, voici comment Crawford évoque
la sophía nécessaire au réparateur-moto : « Mettons que vous découvriez des symptô mes manifestes de
fuite d’huile : la moitié inférieure de votre moteur et de votre châ ssis est couverte d’une épaisse couche
de crasse graisseuse solidifiée. Il est parfois difficile d’y remédier (fuite du carter ou d’une canalisation
d’huile externe), mais il se peut aussi que l’on doive procéder à un démontage intégral du moteur (si la
fuite vient de certains joints d’huile). Dans ce dernier cas, mieux vaut laisser tomber et reléguer la moto
souffrante au statut de réservoir de pièces détachées. Mais pour trancher, il faut d’abord savoir d’où
vient exactement la fuite. Le problème, c’est qu’une fois qu’elle commence à fuir, l’huile de moteur a
tendance à se disperser un peu partout sous l’effet de la vitesse et du vent. Par conséquent, pour
identifier l’origine exacte de la fuit, vous devez d’abord procéder à un nettoyage et à un séchage
minutieux du véhicule tout entier, et nettoyer une moto n’est pas une tâ che facile. Il faut commencer par
décaper la couche d’impuretés au tournevis, ce qui n’est pas très agréable, et voir tomber du pont des
morceaux entiers de substance graisseuse couleur de merde. Après quoi, c’est tout l’astiquage au chiffon,
beaucoup de chiffon, à l’aide de diverses substances caustiques. Une fois que la bécane est propre
comme un sou neuf, il m’arrive de pulvériser du talc pour les pieds qu’utilisent les sportifs sur toutes
zones suspectes. (Comme cette poudre est blanche et adhère aux surfaces, elle rend les fuites d’huile
plus faciles à repérer). Mais avant de pouvoir identifier une fuite d’huile, il faut faire tourner le moteur.
Ce qui veut dire que vous risquez de passer pas mal de temps à démonter et nettoyer les carburateurs, à
trier les câ bles plus ou moins abîmés, et Dieu sait quoi encore, avant de pouvoir démarrer le moteur et
d’être capable de déterminer si la fuite éventuelle est sérieuse. Or, si vous l’aviez su dès le départ, vous
en auriez par là même conclu que l’engin ne valait pas la peine qu’on y investisse tant de temps. Par
conséquent, avant de commencer à ressusciter une vieille moto, il faut réfléchir minutieusement et
logiquement à la séquence précise d’investigations et d’opérations qui vous permettra de déceler les
problèmes les plus sérieux le plus tô t possible » (éd. française p. 136).

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Frédéric Lenoir voit en la sagesse « la quête de grandir en humanité ». Il s’agit là


d’une définition un tantinet vertigineuse à mon goû t, mais dont je retire l’idée, au-delà
des préférences à courte portée, d’un faire bien qui transcende les bénéfices propres.
Plus près des pâ querettes, je définirai alors la sagesse comme un comportement
soucieux de bénéficier tant au décideur (l’auteur du comportement) qu’au tout que sa
décision concerne. Il y a par exemple sagesse quand des gouvernants, plutô t que de faire
assassiner les drogués de leur pays, créent des centres d’accueil où les encadrer en
sauvegardant leurs éventuelles richesses. Sagesse quand je consomme « local » pour
préserver l’environnement. Sagesse encore quand j’opère une négociation entre
parti(e)s20, ou lorsque, soucieux de ne pas laisser une orpheline derrière moi, j’évite de
traverser les routes au rouge.

§ 7. INTERPELLER L’AGENTIVITÉ (能 NÉNG). UNE PETITE HISTOIRE :

Une jeune fille rend visite à sa grand-mère, qui comme toujours l’accueille avec
un grand sourire estampillé sur le visage. Au terme d’un goû ter que l’hô tesse bien â gée
ne manque jamais d’offrir à ses invités, un silence plus long qu’à l’ordinaire tombe sur la
discussion. La grand-mère sentant qu’une contrariété ennuage l’esprit de sa petite-fille,
elle vérifie avec tact si quelque chose lui pèse. Et en effet, notre demoiselle fond en
larmes. D’une voix brisée, elle évoque les difficultés qu’elle traverse : son manque
d’argent, la santé fragile, des études trop exigeantes, le remugle d’un passé difficile avec
ses amoureux… Elle n’en peut plus de se battre continuellement. Chaque fois qu’un
problème semble résolu, un autre émerge plus sombre, plus nauséabond et
décourageant… La vie a perdu toute saveur pour elle.

L’aïeule l’a écoutée sans intervenir. Juste un regard tendre, une disponibilité
bienveillante. Mais tandis que les paroles de la demoiselle s’éteignent dans la désolation,
elle se lève, pose sa main dans le dos de la chère enfant et prononce avec une douce
fermeté : « Viens, prend deux casseroles et remplis-les d’eau. » Sans autre forme de
procès, et avant même que la demoiselle ait le temps de réagir, elle s’exécute elle-même
avec une troisième casserole qu’elle place sous le robinet.

« Qu’est-ce que tu fais, mamie ? », s’étonne la jeune femme. À quoi elle s’entend
simplement répondre : « Tu veux bien sortir du frigo une carotte, un œuf et quelques
grains de café ? » Surprise, certes, mais consciente que sa grand-mère a toute sa tête, elle
obéit et prend patience à table, comme la vielle femme le lui demande, histoire de laisser
à l’eau le temps de bouillir. Un nouveau silence s’est installé, mais pétillant d’étrangeté.
Les miasmes de la détresse s’estompent en une curiosité presque vanillée.
Quelques minutes plus tard, alors que se fait entendre le gargouillis de l’eau en
ébullition, notre aïeule prie son invitée de mettre la carotte dans une casserole, l’œuf
dans une autre et les grains de café dans la troisième.

20
Que ce soit en thérapie, avec les différentes « parties » conflictuelles d’une même personne, ou en
politique, comme chez le « princeps concordiæ (prince de la concorde) » que fut le philosophe Pico della
Mirandola (1463-1494).

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« Décidément, je ne vois pas où tu veux en venir… » s’inquiète presque la


jouvencelle – Patience, tu verras bien, promet la grand-mère. C’est l’histoire de quelques
minutes… Prends encore un biscuit, pendant que je monte aérer les chambres. »

Quand l’hô te redescend, elle lance à sa protégée un sonore : « Viens, lève-toi, ça


doit être bon… » Elle éteint les feux et demande à la jeune femme d’égoutter la carotte,
de sortir et d’écaler l’œuf, puis de verser l’eau avec les grains de café dans un bol. « Alors,
ma chérie, dis-moi ce que tu observes… 
- Euh… je vois une carotte cuite, un œuf et du café. Mais qu’est-ce que tu… ?
- Dis-moi juste comment est la carotte ! l’interrompt sa grand-mère.
- Eh bien, elle est toute molle…
- Oui, toute molle, exactement. Et l’œuf, comment est l’œuf ?, semble s’enthousiasmer la
sémillante octogénaire.
- Euh… eh bien… il est blanc…, blanc comme avant… mais surtout dur.
- Oui, ton œuf est devenu dur. Et maintenant, comment ont évolué les grains que tu
avais plongés dans l’eau ?
- Ils ont coloré l’eau, et d’ailleurs ça fleure bon le café. Mais tu vas quand même me dire
à quoi tu veux en venir, mamie ?

Sans piper mot, cette dernière tend le bol à sa petite-fille pour qu’elle goû te
l’aromatique décoction. Celle-ci sourit en goû tant les riches fragrances du café. Alors la
grande-daronne, les yeux gentiment plantés dans ceux de l’enfant qu’elle aime :
« Comme tu l’as constaté, la carotte, l’œuf et les fruits du caféier ont affronté la même
eau bouillante. Ils ont traversé la même épreuve. Mais chacun a réagi différemment.
D’abord forte et dure, la carotte s’est ramollie. Initialement délicat, l’œuf s’est durci au-
dedans. Quant aux graines du caféier, elles ont transformé l’eau en un délicieux et
stimulant breuvage. Alors ma chérie : quand l’adversité s’invite dans ta vie, veux-tu être
la carotte, l’œuf ou le grain de café ? »

§ 8. QUATRE CATALYSEURS D’AGENTIVITÉ POUR LA RENCONTRE HUMAINE :

§ 8.1. Mettre l’accent sur ce qui é-meut :

L’humaniste Guarino Veronese (1374-1460) suggérait, en matière de relations


humaines : « Nec verbum ex verbo, sed sensa tantisper exprimes (ne tire pas d’un mot un
mot, mais des sentiments) »21. Le substantif « sensa » présente ceci d’éclairant qu’il met
l’accent, pour relancer dans un esprit de bienfaisante re-conaissance, sur ce que le
locuteur éprouve (sentit). Guazzo renchérira dans La civil conversazione, en évoquant les
inter-locuteurs : « Non meno dal suono delle parole, che dalla vivacità de gli occhi, e dalla
serenità della fronte, comprendete a dentro gli intimi affetti loro (Autant par le son des
paroles, que par la vivacité des yeux, et par la sérénité du front, comprenez en
profondeur leurs affections intimes) » (Livre II). Guarino Veronese et Stefano Guazzo
nous conseillent ici bien avant Fritz Perls, le créateur de la Gestalt-thérapie : allez à ce
21
Epistolario vol. II, 1967, p. 270.

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qui é-meut, c’est-à -dire littéralement à ce qui « meut hors de… ». Allez-y en tout cas
quand vous sentez qu’une personne a le cœur lourd, qu’elle désire se confier, qu’elle doit
vider son sac ou plus généralement qu’un je-ne-sais-quoi d’important se joue pour elle. 22
Une question-clef pour ce faire pourrait être : « Comment ça te touche, tout ça ? »

Hors du cœur, pas de loi. Calligraphie de Pascal Krieger.


心 xīn : cœur, 外 wài : dehors, extérieur, externe – étranger – en plus
無 wú : ne pas avoir, manquer de, sans – aucun, 法 fă : méthode, chemin, moyen, loi

Voici quelques autres questions possibles. Vous noterez que ce sont en majorité
des questions ouvertes, c’est-à -dire des questions qui, au lieu de se clore sur un « oui »
ou un « non », sollicitent un développement :
 Ça te fait quoi, la perspective d’un stage de team-building (plutô t que : Que penses-tu
d’un stage de team-building) ?
 Tu te sens comment, après cette aventure ? Comment tu prends/vis la chose ? Qu’est-ce
que tu éprouves… ? Qu’est-ce que tu ressens quand… ?, Quelle émotion as-tu ressentie ?
 Parle-moi de ce qui te préoccupes…
 À quoi es-tu sensible, dans ce que tu me racontes ? », J’ai l’impression que ça t’a
marqué/que tu te sens triste… je me trompe ?
22
Mathias est amené en urgence à l’hô pital, à six heures du matin, pour une inflammation de l’œil droit
qui lui cause d’affreuses douleurs depuis plusieurs jours. Quatre heures d’examens se succèdent, et six
membres du personnel médical. Pas une seule fois, pourtant, il ne s’entend demander : « Comment vous
sentez-vous ? »
La focalisation du discours sur l’émotionnel trouve une légitimité dans ce que Max Scheler (1874-1928)
appelle « primat de la donation des valeurs sur la donation des images et des significations ( Primat der
Wertgegebenheit vor der Gegebenheit von Bild und Bedeutung) » (voir entre autres Erkenntnislehre und
Metaphysik, in Schriften aus dem Nachlaß II, éd. Francke 1979, p. 264, ou mon Anthropologie clinique,
leçon 3).

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 De quoi tu te réjouis ?, Qu’est-ce que tu rêves de faire/trouver… ?


 Qu’est-ce que tu apprécies dans/quand… ?
 C’est quoi l’important pour toi, dans tout ça ? Comment ce fait compte-t-il dans ta vie ?
 De quoi tu aurais envie, maintenant ? Tu as un souhait, en la matière ?
 Qu’est-ce que tu aimerais qu’il se soit passé ? Qu’est-ce que tu aimerais qu’il se passe ?

À quoi s’oppose ce centrage sur l’éprouvé  ? Notamment au centrage sur


l’explicatif, qui bloque le « laisser venir », et dont voici deux exemples :
 Un homme confie à une dame : « Ma mère est morte en Valais la semaine dernière.
Elle avait 75 ans, mais quand même… ». La dame, du tac au tac : « Comment vous
l’avez appris ? »
 Un professeur de gymnastique beugle contre une adolescente toute rouge qui n’arrive
plus à courir : « Si tu ne veux pas rester une looseuse toute ta vie, va falloir te
bouger ! » Quand la mère le contacte pour comprendre pourquoi sa fille est rentrée
accablée à la maison, il n’a cure de ce qu’elle peut ressentir (inquiétude, indignation,
colère…) : « Ma politique, c’est S.V.P. : Souffrir, Vomir, Pleurer ! ».

§ 8.2. Distinguer la personne de ses actes ponctuels :

La définition ricœurienne de la personne est plus large que celle de Jean


Gagnepain, chez qui elle désigne une faculté d’analyse de notre individuation naturelle à la
faveur de laquelle la société nous « absente du devenir vital »23. Dans l’anthropologie de
Gagnepain, personne et être humain ne coïncident pas. Il existe en effet des facultés
spécifiquement humaines qui ne relèvent pas de l’institution personnifiante, à savoir la
fabrication technique (capacité d’outil), la réglementation éthique (capacité de norme)
et la signification grammaticale (capacité de signe). La personne n’est que du « pour-
être », tout comme l’outil est par ailleurs du « pour-faire », la norme du « pour-vouloir »
(légitimement) et le signe du « pour-penser ».
Mais revenons à la pratique : une manière de promouvoir l’agentivité au
quotidien consiste à soigner la différence entre la personne (en quelque sens qu’on la
définisse) et ses actes ponctuels.
 Quand cela semble profitable, évitez d’étiqueter de manière insistante avec des « tu
es… », des « je suis… », des « tu deviens vraiment (pénible)… » ou des « quel (argus,
clampin…) ! ». Préférez-leur des « je te trouve… », « c’est chic de ta part », « j’ai mal
réagi » (plutô t que « je suis nul »), e via dicendo. Je déconseille aussi d’internaliser
23
Les facultés  de personne grâ ce à laquelle l’homme crée culturellement de la société en devenir
(histoire),  d’outil grâ ce à laquelle il crée culturellement du travail,  de norme grâ ce à laquelle il crée
de droit et de la liberté (disponibilité, maîtrise du vouloir), enfin  de signe grâ ce à laquelle il parle et
pense, tous ces pouvoirs (能 néng) font littéralement « sauter » les capacités animales correspondantes
de grégarisation, d’instrumentation, de volonté et de représentation. Elles métamorphosent les contours
naturellement donnés des « choses » (sujets, trajets, projets et objets) en purs systèmes d’oppositions et
de contrastes ( 阴 阳 yīn yáng) sans contenus positifs, qui nous affranchissent des conditionnements
naturels. Là par exemple où l’animalité distingue des petits positivement définis par leur dépendance
vitale et des adultes, les hommes différencient des cadets, des poussins, des séniors, des puers, des
infans, des adolescents et id genus omnes.

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systématiquement des qualités positives. En serinant à quelqu’un qu’il est drô le,
sensible ou courageux, on induit en effet une mise en demeure qui peut ne pas lui
convenir. J’ai par exemple entendu un père lâ cher à son fils blessé au foot : « Allez,
chiale pas, t’es un costaud ! » L’enfant risque de modéliser ainsi la force personnelle
(être-costaud) comme une qualité que les pleurs excluent24.
 Quand cela semble profitable, et dans la même veine, décrivez au lieu de juger.
Préférez « quand tu hausses la voix…. », par exemple (une conduite qu’on peut
observer ensemble), à « quand tu m’agresses » (un acte qu’on interprète comme tel,
mais qui ne correspond pas forcément à l’intention d’autrui).
 Offrez de la considération en prenant les gens au sérieux. Pour comprendre ce
conseil, il faut savoir qu’« il n’y a pas d’expérience de la personne en soi et pour soi »
(Ricœur : Philosophie de la volonté tome 2, 1960, éd. Points 2009, p. 112). Cette
dernière reste en effet une « synthèse projetée ». Concrètement, cela signifie qu’on ne
connaît jamais une personne qu’en épousant le mouvement par lequel un être
humain se constitue comme « direction de devenir (Werderichtung) ». Pour
Szondi, le fondateur de l’analyse du destin, connaître un malade c’est ainsi
auditionner des « directions d’évolution » (y compris – en lieu et place des
pathologies enkystées – des directions de développement morbide, des
Erkrankungsrichtungen) (Triebpathologie, 1952, tome I partie B, éd. Huber 1977,
p. 254). Exister sous forme personnelle c’est donc se donner une histoire. Or voilà .
Puisque la personne n’existe que comme mouvement d’origination de soi, on ne
saurait l’objectiver. Ses actes possèdent une valeur essentielle d’engagement, une
exigence à valoir qui expire lorsque je les objective, mettons lorsque je glisse dans
l’oreille d’un locuteur, à propos d’un tiers : « Ne l’écoute pas, ces temps il perd
facilement la boule… » ; ou quand un adolescent insolent méta-commu-nique en
répondant à sa mère qui le sermonne : « Non mais t’as tes règles ou quoi ? » La
personne, autrement dit, ne peut être connue et promue qu’en co-effectuant ses actes.
On ne la trouve jamais dans des fonctions observables et mesurables, dans des méca-
nismes ou des états internes, mais uniquement en relation avec des contenus
intentionnels. Max Scheler insiste sur ce point. Je rappelle son avertissement : « la
psychologie est toujours psychologie de l’autre vidé de ses aspects personnels et
spirituels, ainsi que psychologie de ce que, selon l’intention de la pensée, l’on tient pour
dépourvu de signification, ou faux » 25. L’externalisation des problèmes chère aux
24
« De nombreuses études ont prouvé l’efficacité de la technique dite “de l’étiquetage”. Une étude des
chercheurs Miller, Brickman et Bolen (1975) s’est focalisée sur des enfants de 8 à 11 ans. À un premier
groupe, on disait qu’il ne faut pas jeter des papiers par terre car il ne faut pas salir (…), etc. À un
deuxième groupe, on faisait simplement savoir qu’ils étaient des enfants propres et ordonnés
(étiquetage). À un troisième groupe, on ne disait rien. Après avoir distribué plein de bonbons à ces
enfants, les chercheurs comptèrent le nombre de papiers par terre : les enfants du deuxième groupe
(ceux qui avaient été étiquetés “propres et ordonnés”) se montrèrent les plus ordonnés !
L’étiquetage fonctionne bien aussi avec les adultes. Les chercheurs Strenta et Dejonc (1981) en ont
apporté la preuve. Sur la base d’un prétendu test de personnalité, ils ont dit à un premier groupe de
personnes que le test montrait qu’ils étaient “gentils et bienveillants”, à un deuxième groupe qu’ils
étaient “intelligents”, et rien au troisième groupe. Les chercheurs firent ensuite tomber un paquet de
cartes. Ce sont les individus du premier groupe étiquetés “gentils et bienveillants” qui ont eu le plus
tendance à ramasser les cartes » (Bastien Bricourt : Manipuler, pourquoi et comment, éd. J’ai lu 2013, p.
105).
25
Die Psychologie ist also primär immer Psychologie des person- und geistentleerten Anderen und
Psychologie dessen, was man der meinenden Intention nach für sinnfrei oder fälsch hält) » (Probleme der

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thérapeutes narrativistes veille sur cette « transobjectalité » de la personne. Elle en


est la gardienne.

§ Citation : 8.3. Créer de la plurivocalité :


« Les hommes laissent là les
choses et s’amusent à traiter des La personne signe une « capacité à être » par essence
causes. Plaisants causeurs ! » multivocale, c’est-à-dire susceptible de prendre en
(Montaigne : Essais III, chap. XI :
situation des formes différentes et multiples. C’est
Des boîteux).
pourquoi, contre tout étiquetage ou diagnostic
verrouillant, il faut faire effort selon Szondi, en psychothérapie, pour ajourer la « structure
d’existence multiple de la personne » (multiple Existenzstruktur der Person)
(Schicksalsanalytische Therapie, 1963, chap. XXVII). « L’homme n’a pas un destin unique –
comme semblent le supposer jusqu’à ce jour les successeurs de l’ancienne anancologie – il a
plusieurs possibilités destinales qui souvent prennent des directions opposées » (Szondi :
Diagnostic expérimental des pulsions, Préface à la 2e édition, 1959). Sur les pas de Szondi, et
contre les évidences sclérosantes (ou les « affaires classées ») de toute farine, on gagne
souvent à dispenser de que Nietzsche nomme joliment « multi-spiritualité
(Vielgeisterei) » (Le Gai Savoir, § 143). On invite alors à reconsidérer le caractère absolu,
universel ou immuable d’une croyance en glissant à l’interlocuteur que ce qu’il pense
reste une manière de voir. Y contribuent des questions du type :
- Connaissez-vous quelqu’un qui interprète les choses autrement ?
- Certains s’imaginent cela…
- C’est votre vision/compréhension/certitude d’aujourd’hui ? 
- Qui ne serait pas d’accord avec ce point de vue ?

§ 8.4. Offrir de la gratitude :

Moult philosophes ont depuis l’Antiquité insisté sur le rô le régénérateur de la


gratitude. Dans une vie peu ou prou en souffrance, cette attitude sentimentale tire
littéralement les fleurs du mal, pour parler comme Baudelaire. Mais je ne saurais mieux
louer sa puissante « communicanza »26 – pour clore sur une note de Renaissance – que
les trois plumes ci-dessous avec lesquelles notre voyage va s’achever :
 « La gratitude vous aide à grandir et à vous épanouir ; la gratitude apporte joie et rires
dans votre vie et dans les vies de ceux qui vous entourent (gratitude helps you to grow
and expand ; gratitude brings joy and laughter into your life and into the lives of all
those around you) » (Eileen Caddy : Opening Doors Within, 1986).
 « La gratitude est un antidote aux émotions négatives, un neutralisateur de l’envie, de
l’hostilité, du souci et de l’irritabilité (gratitude is an antidote to negative emotions, a

Religion, 1921, dans Vom Ewigen im Menschen, éd. Francke 1954, p. 154). Scheler veut dire par-là qu’au
sens strict la psychologie met entre parenthèse le rapport engagé au monde – l’échange – pour travailler
sur les fonctions, dont une caractéristique est de s’accomplir automatiquement, indépendamment des
intentions du sujet. On objective ainsi psychologiquement la personne quand on substitue à son
engagement une explication causale du type « vous dites ça parce que vous voulez vous venger », ou « il
est complètement fou, ce chauffard ! » Dans les deux cas, on musèle sa « response ability ».
26
Alessandro Piccolomini (1508-1579).

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neutralizer of envy, hostility, worry, and irritation) » (Sonya Lyubomirsky : The How of


Happiness : A Scientific Approach to Getting the Life You Want, 2007).
 « La gratitude déverrouille la plénitude de la vie. Ce que nous avons, elle le rend
suffisant, voire surabondant. La gratitude transforme le déni en agrément[27], le chaos
en ordre, la confusion en clarté. Elle peut transmuter un repas en fête, une maison en
chez soi, un étranger en ami (Gratitude unlocks the fullness of life. It turns what we
have into enough, and more. It turns denial into acceptance, chaos to order, confusion to
clarity. It can turn a meal into a feast, a house into a home, a stranger into a friend ) »
(Melody Beattie : The language of letting go, 1990).

À la fin d’une session de qì-gong, remerciez intérieurement les êtres qui vous ont
transmis ce savoir. Ou votre corps pour sa bien portance. Ou vous-même pour vos
efforts.

Hors session, Nietzsche (1844-1900) m’inspire avec sa « première pensée du jour


– Le meilleur moyen de bien commencer chaque journée – dit-il – est : au réveil, de
réfléchir si l’on ne pourrait pas ce jour-là donner de l’agrément au moins à un être
humain »28 (Humain, trop humain I, 1878, 9ème partie, § 589). Cette sollicitude a ses
exigences, et je doute que Nietzsche l’ait appliquée quotidiennement. Pour ma part, je
l’honore d’une manière un peu plus relâ chée : sans devenir sirupeux, je ne rate jamais
une occasion de remercier mes interlocuteurs, ma compagne ou ma fille, même pour les
petits services ordinaires qu’ils rendent constamment. D’abord, cela met en lumière
philosophiquement que certaines faveurs dont on bénéficie ne… vont pas de soi. Que
recevoir un service ne coule pas de source. Mais je le fais avec une soleillante plus-value :
je précise en quoi chacun contribue au bien-vivre ensemble : le dépanneur du coin, par
exemple, je le remercie de rester ouvert tard dans la nuit. La fille d’une amie qui passe
un examen pour entrer dans une école de danse, je la remercie de se dépasser pour
honorer son art et en faire profiter les gens. En un mot comme en cent, je m’applique
chaque jour à valoriser ce qu’autrui m’apporte, à le reconnaître et à le préciser
explicitement : « Ne dites pas seulement “merci”, dites “merci pour…”. Cela met les gens
en « re-conaissance »29.

谢意 xiè yì : reconnaissance, gratitude (litt. remercier – sentiment, intention)


感谢 gǎn xiè : remercier, être reconnaissant, gratitude (litt. : éprouver – remercier)
§ 9. QUELQUES PRÉCISIONS POUR DÉFINIR LE ZHÌ NÉNG QÌ GŌNG QI-GONG :

Mis ou pas au service de la sagesse et de l’agentivité, et sauf à en élargir outre


mesure la définition, le qì gōng ressortit au plan du faire. Comme son nom même
l’indique (功 gōng), c’est essentiellement une activité, par opposition à l’individuation, à
27
Je traduis « acceptance » par « agrément », au sens de ce qu’on peut agréer, c’est-à -dire recevoir en
bonne part.
28
« Des Tages erster Gedanke : Das beste Mittel, jeden Tag gut zu beginnen, ist : beim Erwachen daran zu
denken, ob man nicht wenigtens einem Menschen an diesem Tag eine Freude machen könne ». Nota Bene :
le substantif allemand « Freude » peut signifier aussi bien « joie », « bonheur », que simplement
« plaisir ». Je l’ai rendu ici par « agrément » : ce qu’on peut agréer, prendre en bonne part.
29
« Re-conaissance ». Il s’agit là d’un mot-cabochon que j’affectionne parce qu’il résume de manière commode et
stimulante la sollicitude philosophique telle que je la conçois. Le jeu de mots « co-naissance » apparaît chez Paul
Claudel, dans L’art poétique (1907). Mounier le reprend dans son volumineux Traité du caractère (1946).

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la réactivité et à l’idéation. Dans les termes de Jean Gagnepain, on dira qu’il s’agit d’un
type de travail, par opposition respectivement à l’histoire (toujours sociale), au droit et à
la pensée.
意元体 yì yuán tǐ 做 zuò  感应 gǎn yìng  意识 yìshí

J. Gagnepain Condition Conduite Comportement Conscience

Individuation Activité Réactivité Idéation


S. Freud source (Quelle) objet (Objekt) poussé e (Drang) fin (Ziel)
Aristote cause maté rielle cause efficiente cause finale cause formelle

Quel type de travail ? Le qì-gōng me paraît constituer dans sa quintessence,


abstraction faite de l’usage qu’on peut en faire, un travail propriofectif 30 sur les fonctions
naturelles d’individuation. « La pratique transforme, améliore et renforce les fonctions
vitales. (…) Dans la pratique dynamique du qì-gong avec l’attention portée sur
l’exécution plutô t que sur l’objet extérieur, le qì mobilisé ne serà pas converti en force
pour réaliser la tâ che externe au corps, mais serà employé pour renforcer les canaux de
qì à l’intérieur du corps » (Oooi Kean Hin : Zhì néng qì gōng : Introduzione, teoria olistica
e Scienza del Qigong, 2013, impression Amazon Italia, traduction italienne par Ramon
Testa, pp. 9 et 10). Par exemple : « la pratique améliore la circulation du qì dans les
zones affectées et en premier lieu réactive l’aptitude des terminaisons nerveuses à
ressentir de la douleur » (ibidem p. 37). « De nouveaux passages [pour le qì] sont crées »
(p. 38). « La pratique du qì gōng améliore la circulation sanguine du cœur, des vaisseaux
et des capillaires en abaissant le taux d’estradiol dans le sang (…). La production de
salive et de sucs gastriques s’accroît. La motilité intestinale augmente » (p.48). « La
pression artérielle diminue chez les hypertendus et remonte chez les hypotendus » (p.
51).

Pareil travail définit me semble-t-il moult autres disciplines : le yoga, le training


autogène, l’automassage, la technique Feldenkreis, la psychophonie et j’en passe. Mais ce
qui les différencie reste alors, en grande partie, leur sectorisation culturelle. Je veux dire
par là que ces disciplines se distinguent alors moins par la teneur des manoeuvres
effectuées que par la manière dont ces manœuvres sont socialement appropriées. Elles
se distinguent moins comme modi operandi, autrement dit, que comme styles, où
j’entends par « styles », avec Jean Gagnepain, le traitement ethnico-politique de l’art, de
la τέχνη (technè)31. Le qì gōng se caractérise dans ce cadre comme un mode historique
de répar-tition du travail, mode développé en Chine avec en toile de fond une certaine

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« Propriofectif » : dont le fonctionnement est intérieur à l’organisme, qui est commandé par l’organisme
lui-même. Par exemple, la modulation profective des champs électromagnétiques du corps induite
durant les enchaînements de qì gōng s’oppose en tant que profective à la stimulation magnétique
transcrâ nienne au moyen d’un casque.
31
« Appropriation sociale de la manière de travailler » ? On sait par exemple que Manet, Sisley, Signac ou
Pisaro comptent parmi les grands « refusés » de l’Exposition Universelle. On rejetait alors leurs coups de
pinceau brisés, leurs ombres colorées, leur abandon de la perspective linéaire traditionnelle ou les
contours « flous » de leurs formes, en un mot : leur style.
Retenons cela posé que le travail n’existe que manifesté dans des styles, de même qu’il n’existe de droit
qu’historié dans des codes, et de capacité de signe qu’appropriée dans des langues.

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Maurizio Badanai philosophe-thérapeute Zhì néng qì-gō ng
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mentalité, un profond respect de l’intégrité corporelle vue comme héritage des ancêtres,
une longue durée maturative, et ainsi de suite.32

La définition de n’importe quelle œuvre culturelle peut être relayée enfin par la
finalité qu’on lui assigne. « Zhì néng qì gōng » dit ainsi non plus seulement une technique,
non plus seulement un style, mais encore une méthode, c’est-à -dire la priorisation, la
sélection, la mise en synergie de certaines procédures au service de certaines valeurs, en
l’occurrence la sagesse et l’agentivité. C’est ce qu’implique une phrase comme
« atteindre une bonne santé physique et mentale est l’objectif principal de la Science du
qì-gong » (Oooi Kean Hin : op. cit. p. 73).33

32
Dans la traduction anglaise de The methods of Zhì néng qì gōng Science (1992), du créateur Pang Ming,
on peut lire que « le zhì néng qì gōng est une pratique de style ouvert [c’est moi qui souligne]. Ceci
signifie que dès le début, on ouvre son esprit et son qi au monde extérieur et on échange du qi avec
celui-ci. Ceci contraste avec le style fermé de la plupart des qi-gongs traditionnels, où le pratiquant se
focalise essentiellement sur l’intérieur du corps » (éd. CreateSpace 1994, p. 8). Pang Ming, ici, parle très
justement de style car par son ouverture, le zhì néng qì gōng fait en quelque sorte sécession vis-à -vis
d’une certaine tradition.
33
Ooi Kean Hin reste dans ce champ affectif de valorisation quand il avertit qu’« il n’est pas sage de
pratiquer différentes formes en même temps » (ibidem p. 17). Pareillement quand il déclare qu’en
ouvrant l’esprit il s’agit principalement « d’acquérir la capacité de suivre les lois de la nature et de
respecter les requisits moraux de la société – de se conformer aux normes de la nature et de la société  »
(ibidem p. 33).

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