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L'ombre des marais

Cela va faire bientôt une semaine que nous sommes rentrés sains et saufs de notre équipée à la Tour
de la flèche noire. Après maints atermoiements, je fini par accepter d'accompagner mes camarades à
Marienburg. Mes réticences les intriguent et je me vois obligée d'inventer une histoire crédible pour
éviter de leurs avouer la vérité. Je leurs explique donc que j'ai dû fuir ma ville natale car ma chère
mère m'avait promise en mariage à un vieil homme de presque 50 ans, un marchand libidineux du
nom d'Henryk Grotius. Deux jours avant la cérémonie j'ai faussé compagnie sans un regret à mon
futur époux, alors que le contrat de mariage avait déjà été signé par nos parents. Les affaires de
mariage (comme toutes les affaires) étant vues comme des choses sérieuses par mes concitoyens, je
suis désormais considérée comme en rupture de ban à Marienburg, avec toutes les conséquences
fâcheuses que cela peut impliquer : les tribunaux d'Handrich sont féroces avec ceux qui ne respectent
par leurs engagements.

Mon récit semble convaincre mes compagnons. Il a en plus l'immense avantage de me donner une
excuse pour me déguiser. Je justifie ce travestissement par la nécessité d'échapper à la vigilance de
ma belle famille et aux sbires qu'ils ont sans doute engagés pour me retrouver et me traîner devant
les tribunaux. Je me coupe et me teins les cheveux en noirs, comprime ma poitrine avec des bandes,
afin de me faire passer pour un jeune pâtre dénommé Bobby. Le sobriquet amuse beaucoup Thomas
et Konrad qui ne manquent pas de relever ses sonorités ridicules. Peu importe leurs moqueries !
L'essentiel est que je puisse me rendre à Marienburg sans me faire repérer par les assassins de ma
mère et de mes anciens condisciples...

Avant de quitter Leydenhoven, nous rendons visite à Sarssar, à qui nous avions confié les objets
magiques découverts au cours de notre précédente aventure. L'érudit nous donne un parchemin à
remettre à Azoth, un sorcier habitant à un jour de voyage au nord de Leydenhoven, en direction du
village de Salfen. Sarssar nous affirme
qu'Azoth est un magicien très puissant qui
sera en mesure de nous révéler les pouvoirs
de ces objets. Nous passons ensuite à
l'auberge des trois plumes pour récupérer
notre chargement auprès de Mayeur. Ce
dernier nous a demandé de nous rendre à
la capitale pour récupérer une cargaison de
bière demoiselle auprès de Jean Ty, qui
réside dans le quartier du Suiddock.
L'aubergiste nous confie une charrette et
son canasson (toujours les même) et six fûts
de bière vides. Fort heureusement, la
monture de Thomas, prénommée "Furie", nous accompagne et nous permettra de gagner un temps
précieux. Gardant en mémoire les sarcasmes de Thomas, je lui fait remarquer que le nom de Furie
n'est pas très approprié pour un cheval de labour... En plus de Furie nous héritons de la compagnie
d'Isham, le mercenaire. Ce dernier a proposé de nous escorter pendant notre voyage pour une
somme modeste (un cinquième de la récompense promise par Mayeur, soit 6 guilders). Thomas nous
confirme que les routes vers Marienburg sont peu sûres et que l'aide d'Isham pourrait se révéler
utile, même si son comportement laisse à désirer : ses airs de bellâtre ont en effet le don de nous
agacer.
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Nous saluons Mayeur et
sortons rapidement du
village, en suivant une
route sinueuse qui borde le
Reik, avant de s'arrêter
pour déjeuner à proximité
du fleuve. Pendant le
repas, Menno se fait
agresser par un énorme
chat sauvage, qui lui griffe
avec entrain les avant-bras.
L'ovate tente de nous
rassurer en indiquant que le chat est un ami, qu'il a déjà croisé à la Tour de la flèche noire. La Foi
Antique s'avère une religion bien étrange... Nous reprenons la route vers le nord-est en nous
éloignant du fleuve, à travers une lande lugubre battue par les vents, typique des wastelands. Thomas
fait preuve de sa dextérité habituelle pour conduire le chariot parmi les nids de poule et les pierres
qui parsèment la vieille route. Le guide-convoyeur est dans son élément ; il nous prévient que nous
allons bientôt arriver à proximité du "rocher aux brigands", qui est un lieu habituel d'embuscade pour
les coupe-jarrets de tout poil. Konrad propose de partir en éclaireur, avec moi et Thomas, tandis que
Menno et Isham poursuivront leur chemin pour attirer l'attention d'éventuels brigands. Nous
progressons de concert à travers la lande pour apercevoir, dissimulés derrière le rocher, une demi-
douzaine d'hommes à l'air patibulaire armés de gourdins, d'arcs et d'arbalète. Nous manquons
malheureusement de discrétion et les gredins nous repèrent rapidement.

L'un des brigands, coiffé d'un large capuchon de couleur brune, nous hèle et d'une voix stridente
nous intime l'ordre de déposer nos armes. Nous hésitons, prêts à attaquer. Fort heureusement
l'arrivée de Menno et Isham, perchés sur la charrette,
détourne l'attention des malandrins et nous accorde un
bref moment de réflexion. J'en profite pour observer
attentivement nos adversaires : deux d'entre eux sont des
brutes immenses armées de gourdins, tandis que trois
autres portent des arcs. Le dernier membre de cette triste
compagnie, qui s'est adressé à nous, porte une arbalète
et semble souffrir de claudication. Ce détail me fait
retrouver la mémoire : ce pied bot, ce visage glabre, cette
carrure chétive... il s'agit d'Aymerich, un jeune villageois
de Leydenhoven, que nous connaissons bien ! Je
m'adresse immédiatement à lui, lui rappelant Thomas,
Konrad et Menno. Aymerich hésite et poussant mon
avantage, je lui affirme qu'il n'a rien à gagner à agresser
des villageois qui n'ont pas un sous en poche. Alors
qu'Aymerich abaisse son arbalète et demande de faire de
même aux archers, l'un des colosses, prénommé Rud,
sent la situation lui échapper et se rue vers l'homme au
pied bot pour le ceinturer. Il le frappe rudement au visage
avec son gourdin et nous somme de déposer nos armes et d'abandonner toutes nos richesses, faute
de quoi il tuera le jeune Aymerich. La tension augmente encore d'un cran. Les archers pointent leurs
arcs vers Rud et le deuxième colosse, dénommé Eulf. Nous dirigeons également nos armes vers les

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deux brigands et, sur un signe de Thomas, faisons feu. Tandis que le carreau du guide-convoyeur et
ma flèche ratent nos adversaires, Konrad fait preuve de plus d'adresse et parvient à blesser Rud.
Aymerich en profite pour échapper à l'étreinte puissante du malandrin et, aider de ses comparses, le
transpercent de plusieurs traits. Le colosse s'effondre et expire avant d'atteindre le sol. Eulf pousse un
énorme cri, proche du braillement d'un animal, et s'enfuit dans la lande, échappant aisément à nos
flèches maladroites. Menno et Isham nous rejoignent rapidement tandis que je parlemente avec
Aymerich et ses compagnons pour m'assurer que notre alliance de circonstance va perdurer. Les
quelques mots échangés avec le jeune brigand me convainquent que nous n'avons plus rien à
craindre de lui et des autres hors-la-loi. Ils acceptent même de nous accompagner jusque chez Azoth
pour que le sorcier soigne le visage tuméfié d'Aymerich. Alors que nous nous apprêtons à repartir,
nous remarquons que Thomas est penché sur la dépouille de Rud, un coutelas à la main. Avec un
geste sûr il arrache une dent du brigand pour, selon ses propres termes, "s'en faire un trophée".
L'acte un peu barbare de notre compagnon nous étonne et nous lui faisons part de notre
désapprobation. Ce n'est pas la première fois qu'il fait preuve d'un excès de sauvagerie gratuite.
J'espère que ses penchants morbides ne s'aggraveront pas...

Le soleil de la fin d'après-midi parvient enfin à percer les


nuages alors que nous parvenons à proximité d'un moulin
visiblement ancien, aux ailes endommagées. Les bruyères
et ajoncs qui peuplent d'ordinaire la lande sont
étrangement absents, laissant paraître une roche noirâtre,
comme brûlée par le feu. La porte du moulin est ouverte et
nul son ne parvient de l'intérieur de la bâtisse. Visiblement
peu impressionnés, Menno et Thomas entrent les
premiers, frappant la porte au passage pour signaler notre
présence. Aymerich et les trois hors-la-loi restent prudemment à l'extérieur, tandis que Konrad, Isham
et moi emboîtons le pas à nos deux camarades.

Une douce chaleur émane de deux imposantes cheminés


situées aux extrémités d'une grande pièce, au centre de
laquelle trône un vieillard à la longue barbe blanche, les
yeux pétillants de malice. Le vieil homme retire avec un
geste vif la pipe qui orne sa bouche et d'une voix forte
énonce son nom, Azoth, et nous souhaite la bienvenue.
Menno s'approche du sorcier et expose en quelques mots
concis la raison de notre présence en lui remettant le
parchemin que nous a confié Sarssar. Azoth s'empare avec
prestesse du parchemin et le lit d'une traite. "Je le savais
déjà" énonce t'il à plusieurs reprises alors que nous
tentons sans succès de lui apporter quelques compléments
d'explications. Le vieil homme hausse un sourcil alors que
nous exposons la situation d'Aymerich. A la mention de
son nom, ce dernier ose enfin pénétrer dans la demeure,
accompagné des trois hors-la-loi. Azoth se redresse
soudainement et enjoint à Aymerich de le suivre. Le sorcier
se dirige vers le mur et pose le pied sur des marches à
l'aspect étrange, qui semblent sortir sans prévenir des murs du moulin. Peu rassuré, le jeune brigand
entame l'ascension avec un luxe de précaution. Nous profitons de ce répit pour déposer nos affaires

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et discuter avec les hors-la-loi. Quelques temps plus tard, Azoth et Aymerich réapparaissent. le visage
du brigand paraît miraculeusement soigné, sans que la moindre cicatrice ne soit visible. La nuit
commence à tomber et le sorcier nous invite à nous mettre à table, nous servant un poulet tendre et
goûteux. Après le repas, Azoth nous souhaite une bonne nuit et nous demande de lui confier nos
objets magiques, afin qu'il puisse percer les mystères de leurs pouvoirs. Sans rechigner, nous lui
remettons la hache, la dague, le cimier et la pierre aux runes étranges. Menno va dormir dans la
grange avec son chat, tandis que nous restons à l'intérieur. Comme à mon habitude, je me blottie
près du feu et prie Konrad de nous conter l'une des aventures de ses ancêtres. Il entame un chant
d'une voix grave et puissante, narrant les exploits d'une troupe de guerriers norsces qui pillèrent il y a
maints décades la ville de fort Solace. Grâce à ses talents de conteur, Konrad nous fait revivre l'âpreté
des combats, en nous donnant l'impression d'entendre les cliquetis de l'acier, de sentir l'odeur
métallique du sang, de voir la neige immaculée se teinter d'une couleur vermeille. Je perds un temps
le fil du récit du bûcheron, puis m'aperçois qu'une autre voix semble s'être mêlée à celle de Konrad, à
la fois aérienne et pleine de force. La mélopée se poursuit et m'entraîne progressivement dans le
pays des songes....

Je m'éveille peu de temps avant l'aube, alors que les ombres règnent encore sur le monde. Je réveille
avec précaution Aymerich et en chuchotant quelques mots d'argot, lui intime l'ordre de me suivre à
l'extérieur du moulin. Je vois bien que le jeune homme, malgré ses bravades, manque de confiance
en lui et souffre de solitude. Je lui propose de se joindre à nous et de nous accompagner jusqu'à
Marienburg en lui faisait miroiter la possibilité de quelques butins. Il accepte avec joie et m'assure
que ses comparses nous suivrons au moins jusqu'à Salfen. Peu de temps après, nous entendons nos
compagnons émerger de leur sommeil. Bientôt rejoins par Menno, nous entamons avec appétit un
petit-déjeuner servi sur une immense table de chêne sombre, située au fond de la pièce. A peine ai-je
achevé mon repas que j’entends la voix d'Azoth résonner dans ma tête. Le sorcier me décrit
doctement les pouvoirs de ma dague. Il s'agit d'une arme naine, nommée Vivace, qui comporte trois
runes ; les deux premières runes accroissent ma rapidité au combat. Quant à la troisième, elle était
visiblement trop puissante pour que le sorcier puisse percer ses secrets. Seul un forgeron des runes
ou un sorcier nain seraient à même de la déchiffrer. Azoth me met en garde car de telles armes
runiques sont extrêmement rares et considérées comme quasi sacrées par les nains, qui
chercheraient sans nul doute à la récupérer s’ils apprenaient qu'une simple humaine la détient.
Remise de ma surprise, j'interroge mes compagnons pour savoir s’ils ont également bénéficié d'une
connexion mentale avec le sorcier, ce qui est visiblement le cas. Menno nous apprend que sa pierre
magique accroît les pouvoirs telluriques des druides et permet de se dissimuler et de se déplacer en
silence dans la nature. Le cimier de Thomas est fait d'un métal particulièrement résistant et confère à
son porteur la capacité de voir dans les ténèbres les plus épaisses. Quant à la hache de Konrad, elle
accroît les chances de toucher ses adversaires et permet même de porter des coups à distance. A
peine avons nous fini d'échanger que nous entendons la voix puissante d'Azoth émerger du haut de
la tour. Le sorcier descend avec une agilité surprenante les marches étroites et nous salut avec
entrain. Nous lui rendons la politesse et le remercions chaleureusement pour son aide inestimable.
Avant de le quitter, Thomas et moi tentons sans succès d'en apprendre un peu plus sur l'origine de la
voix qui s'est mêlée à celle de Konrad pendant qu'il chantait. Azoth sourit d'un air espiègle et, gardant
ses secrets, nous souhaite un bon voyage. Accompagnés d'Isham, d'Aymerich et des trois hors-la-loi,
nous quittons à regret la tour du sorcier. Thomas fait preuve d'un comportement étrange : il jette un
regard enfiévré et agite la main vers une des fenêtres du moulin, où pourtant nulle silhouette n'est
visible. Poussant un soupir à fendre l'âme, il murmure quelques paroles incompréhensibles avant de
faire claquer les rênes et de propulser le chariot vers la route de Salfen.

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Nous cheminons pendant
quelques heures, sans rencontrer
âme qui vive. Un brouillard
étrange commence à monter,
alors que le soleil reste caché
derrière d'épais nuages. Thomas
fait ralentir la charrette et nous
apprend que la route longe
désormais les marais maudits, qui
occupent l'estuaire du Reik et
entourent sur des dizaines de
milles la cité de Marienburg. Le
guide-convoyeur nous demande
de faire preuve de la plus grande
prudence car cette région est
réputée pour être infestée de
mutants. Je décide de partir en éclaireur avec Menno, Thomas et Konrad, pour repérer une
éventuelle embuscade. Malgré leurs efforts ces deux derniers provoquent des bruits peu discrets en
foulant les ajoncs. L'ovate et moi décidons de continuer seuls à travers les fondrières pour tenter de
repérer d'éventuels ennemis. Au bout d'à peine un quart heure, nous apercevons à travers la brume
une colline basse, bordée à l'ouest par les marais. Nous nous approchons avec précaution et
découvrons un campement de six hommes, qui semblent guetter la route en contrebas. Il ne faut pas
être grand clerc pour comprendre que ces hommes sont des malandrins qui s'attaquent d'ordinaire
aux voyageurs. Un détail étrange attire mon regard. L'un des brigands possèdent des pieds de bouc !
Menno me montre silencieusement la silhouette d'un autre homme, dont la peau semble recouverte
d'une substance brillante. Le doute n'est plus permis. Il s'agit visiblement de six mutants ou autre
sombre engeance qui s'apprêtent à nous attaquer. Nous rejoignons avec une extrême précaution le
chariot pour prévenir nos compagnons.

Après un débat animé, nous décidons, Menno, Konrad, Thomas et moi de prendre à revers le
campement de mutants, pendant qu'Isham, Aymerich et les hors-la-loi poursuivent leur chemin.
Menno tient absolument à jeter sur nos adversaires une des boules d'argiles récupérées sur les
morveux. Je résiste un moment puis me range aux arguments de l'ovate. Le bûcheron et le guide-
convoyeur font à nouveau preuve de maladresse et seul Menno et moi poursuivons notre chemin.
J'attends patiemment que la charrette soit à portée de vue des mutants pour lancer la boule d'argile
vers nos adversaires. Mon tir est malheureusement très mauvais et passe largement au dessus de la
tête des brigands. Ces derniers ne s'aperçoivent de rien : quatre d'entre eux s'élancent avec
enthousiasme vers le chariot tandis que deux archers restent en retrait. Le combat s'engage à notre
avantage : Thomas et Konrad bloquent l'avancée des mutants tandis que les hors-la-loi envoient une
pluie des flèches sur un des archers, le tuant sur le coup. Menno se rapproche du deuxième archer et
le prenant par surprise, utilise son bouclier pour l'empêcher de tirer. Je profite de l'occasion pour me
faufiler dans le dos de notre adversaire. Le coeur battant la chamade, je bondis sur lui et d'un coup
précis, lui tranche la gorge. Un flot jaillit de la carotide et m'inonde d'un sang sombre et épais.

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Je m'apprête à dévaler les pentes de la colline
quand un bruit étrange coupe mon élan. Une
silhouette massive émerge soudainement de
l'eau des marais, à proximité d'Isham et des hors-
la-loi. Notre nouvel adversaire mesure plus de
deux mètres et porte une lourde cotte de maille,
recouverte d'un plastron arborant des arabesques
étranges. Son visage est dissimulé par un casque
portant de longues cornes, faîtes d'une étrange
matière. L'homme se saisi d'un immense trident
et se rue sur les hors-la-loi en poussant un
hurlement puissant et bestial. Menno à mes
cotés, je dévale rapidement la colline pour
prendre à revers les trois mutants qui affrontent
Konrad et Thomas. Le quatrième brigand est
engagé dans un duel avec Isham, qui sûr de lui,
ne semble pas outre mesure menacé. Je me porte
au secours de Konrad, qui souffre d'une blessure
à la cuisse infligée par son adversaire, un mutant
aux larges épaules, dont les jambes se terminent
par des pieds de bouc. Une mêlée furieuse commence. Les brigands sont mal équipés mais font
preuve d'une force impressionnante. L'homme casqué porte des coups d'une puissance terrifiante et
parvient à se débarrasser de deux hors-la-loi. Isham, qui a remporté son duel, se porte au secours du
dernier hors-la-loi survivant, dénommé Hébert. Aymerich tente de transpercer nos adversaires de ses
traits d'arbalète, malheureusement sans beaucoup de succès. Nous entendons soudain un cri terrible
; le quatrième mutant, aux bras recouverts d'écailles, vient de percer de part en part le corps de
Thomas, qui s'effondre dans une gerbe de sang.

Au même moment, jouant avec habilité de mon sabre


et de ma dague, je pare sans coup férir les attaques du
mutant aux pieds de bouc et l'abat froidement, lui
transperçant le coeur de ma lame. La fureur du
combat semble s'être emparée de mon âme car la vue
de son sang m'émeut à peine. Konrad, Menno et moi
affrontons désormais le meurtrier de Thomas et un
autre mutant au corps couvert d'une fourrure épaisse.
Ce dernier fait preuve d'une résistance peu commune,
car mes armes semblent à peine l'affecter. Persuadés
que Thomas a été tué, nos coups redoublent de
puissance sous l'effet de la rage et nous parvenons
enfin à nous débarrasser de nos adversaires. Konrad
fend le crâne du mutant à la peau d'écaille, tandis que
le guerrier au trident meurt sous les coups d'Isham et
d'Hébert. Notre dernier adversaire tente de s'enfuir
mais Aymerich coupe sa retraite en lui plantant un
trait en travers de la gorge. Les yeux remplis de
larmes, nous nous précipitons vers Thomas, dont le
corps flotte sur l'eau limoneuse du marais. Par miracle, notre ami respire encore. Il est sérieusement

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blessé, mais Ranald en soit témoin, la mort l'a épargné ! Konrad le prend sur ses épaules pendant que
nos nous occupons des dépouilles des deux hors-la-loi et que nous récupérons avec précaution les
armes et l'armure du géant cornu. Nous reprenons le chariot pour nous éloigner progressivement des
terres marécageuses. De retour sur la lande, nous enterrons les corps des deux hors-la-loi, tandis que
Menno officie en recommandant leurs âmes à la Déesse Mère.

En fin de journée, nous parvenons, épuisés, à proximité du bourg de Salfen. L'auberge de la tour
d'argent, qu'Aymerich nous recommande, se dresse à droite de la route. Nous pénétrons dans la cour
de l'auberge et un lad à l'air joyeux nous accoste pour s'occuper de nos chevaux. Nous remarquons
un carrosse noir à l'équipement luxueux avant de franchir le seuil de l'établissement. Notre arrivée
provoque un silence dans la grande salle, abondamment éclairée. Nul doute que notre combat dans
les marais nous ait conféré une apparence peu ragoûtante. Un homme corpulent nous accoste et
nous faisons la connaissance du propriétaire du lieu, Niklaus Olger, qui nous souhaite la bienvenue et
nous présente sa femme Anna et sa fille Valentina. Je jette un coup d'oeil rapide aux autres clients de
l'auberge, qui composent une assemblée bigarrée. Outre une demi-douzaine de paysans du cru, je
remarque deux nains au milieu de la salle qui sirotent une bière. Plus loin de nous, se tient une jeune
noble à l'air distinguée, que je reconnais immédiatement. Il s'agit de Clothilde von Teugen, que nous
avons déjà croisé à l'auberge des trois plumes. Une telle coïncidence éveille ma curiosité. Il faudra se
montrer prudent. L'aristocrate est accompagnée de sa gouvernante et de deux gentilshommes, dont
l'un arbore une barbe grisonnante, tandis que l'autre apparaît à peine plus âgé que moi. Niklaus
demande à sa fille de nous conduire dans une grande salle à l'étage qui pourra tous nous accueillir.
Nous demandons par ailleurs à ce que l'on nous apporte de quoi prendre un bain. Je laisse mes
compagnons faire leurs ablutions et attend patiemment qu'ils soient tous redescendus prendre leur
dîner pour demander à Valentina de changer l'eau du bain. Je profite ainsi, seule et en toute intimité,
d'un bon bain pour me délasser. Je rejoins mes compagnons un peu plus tard pour partager avec eux
un repas bien mérité. Malgré la mort des deux hors-la-loi, nous devisons avec une certaine légèreté,
heureux d'être encore en vie.

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Le dîner servi par la femme de l'aubergiste est assez
coûteux mais d'une qualité exceptionnelle. Le plat de
résistance est constitué d'une truite en croûte aux
épices, accompagnée de succulents légumes. La
subtilité de cette cuisine ravit nos palais et nous
remémore des repas exceptionnels pris à
Leydenhoven. N'y tenant plus, nous demandons à
l'aubergiste de faire venir le chef. Quelle n'est pas
notre surprise quand nous voyons arriver de sa
démarche sautillante Harry le Bel, le meilleur chef
cuisinier hobbit de la région, qui avait jadis exercé
dans notre village ! Nous félicitons Harry pour sa
cuisine, qui flatté, rosit de plaisir, sans toutefois
omettre de nous reprendre lorsque nous utilisons un terme culinaire mal approprié. Harry nous
explique qu'il exerce d'ordinaire ses talents sur un navire qui relie Marienburg et Altdorf,
actuellement en cale sèche pour réparation. Il compte ainsi rester quelques temps à l'auberge de la
tour d'argent avant de rejoindre Marienburg.

Alors que nous échangeons des paroles aimables avec le hobbit, la porte de l'auberge s'ouvre
brusquement. Une silhouette massive se dresse dans l'ombre sur le seuil, l'air menaçante. Sans un
bruit, l'homme pénètre dans l'auberge, d'une démarche étrangement hachée. Je suis frappée par
l'horreur lorsque je reconnais le corps atrocement mutilé du mutant au casque cornu que nous avons
abattu cet après-midi ! L'homme est
accompagné par les six autres
mutants, les deux hors-la-loi que nous
avons enterrés et plusieurs villageois,
dont les corps se trouvent à des stades
divers de décomposition. Les
occupants de l'auberge poussent des
cris d'effroi alors que les morts-vivants
progressent avec lenteur dans la salle.
J'ai l'étrange impression que ces
horribles créatures se dirigent toutes
vers moi, ce qui accroît encore ma
panique. Mes compagnons renversent
notre table pour nous protéger tandis
que terrassée par la peur, je cours me
réfugier derrière les deux
gentilshommes qui se tiennent
désormais devant la porte de l'escalier,
après avoir fait monter la noble dame
et sa gouvernance à l'étage. Ce serait
mentir d'affirmer que je me rappelle
les détails du combat qui s'ensuivit. A
moitié aveuglée par la terreur, je me
tins pelotonnée contre le mur,
espérant qu'un miracle vienne nous
sauver. Fort heureusement, les morts-

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vivants furent confrontés à forte partie. Les chevaliers, les nains et mes compagnons se
débarrassèrent prestement de leurs adversaires. Plus tard, Menno me rapporta qu'Harry le Bel avait
abattu d'un coup de dague un des morts-vivants. Un peu vexée et malgré la peur qui me tenaille, je
décide d'accompagner mes camarades pour explorer les alentours de l'auberge. Nous découvrons
plusieurs cadavres mais nos ennemis semblent avoir disparus, ou être tous détruits. Un tour de garde
est organisé par les combattants pour prévenir une nouvelle attaque. Peu après minuit, alors que
mon tour vient de s'achever, je me rends discrètement dans la cuisine de l'auberge pour converser
avec Harry, dont la profession de cuisinier n'est qu'une habile couverture. En réalité, le hobbit est un
voleur patenté et surtout un serviteur du dieu de la chance, Ranald le mystificateur. Ayant fait sa
connaissance à Marienburg, alors qu'il officiait comme informateur et cambrioleur, j'ai déjà monté
plusieurs "coups" avec lui et pu apprécier ses multiples talents. J'essaye de convaincre Harry de
m'accompagner à Marienburg, lui expliquant que je souhaite recueillir des renseignements sur les
salopards qui ont assassiné ma mère et mes frères d'armes. A mon grand désarroi, l'initié de Ranald
décline mon offre, même si il m'affirme qu'il veillera sur moi. Il me donne en outre quelques
informations en m'indiquant qu'une guerre larvée oppose les bandes de voleurs de la flèche et de la
fleur de sang et me conseille de me tenir soigneusement à l'écart de ce conflit, dans l'attente "d'un
signe". Encore un peu désappointée, je salue mon confrère et lui souhaite une bonne nuit. Je rejoins
discrètement notre chambre, alors que mes compagnons dorment profondément. Pour ma part, le
souvenir des cadavres animés de nos adversaires m'empêche de trouver le sommeil.

Pressés de reprendre notre chemin, nous quittons peu


après l'aurore l'auberge de la tour d'argent, en
remerciant Niklaus Olger et Harry qui nous a préparé des
"en-cas de sa composition". Hébert a décidé de rester à
Salfen mais Aymerich, fidèle à sa promesse, nous
accompagne. Des patrouilleurs ruraux rencontrés
quelques milles après le village nous escortent une
grande partie du chemin, ce qui nous évite les mauvaises
rencontres. Le dernier jour de notre périple se déroule
ainsi sans encombre et nous traversons à vive allure les
marais maudits en empruntant la route de Middenheim.
Pendant le voyage je découvre dissimulé dans mes
affaires un parchemin, enroulé dans une boucle d'oreille en argent. Une croix est gravée sur le bijou
et je souris en pensant au hobbit. Je déroule avec précaution le parchemin, sur lequel est dessiné de
manière approximative mon portrait et des inscriptions que j'arrive à déchiffrer : il s'agit d'une affiche
promettant une récompense pour ma capture. Les assassins de ma mère et de mes anciens
compagnons ne sont pas restés inactifs.

En fin de journée, alors qu'un soleil rougeoyant décline à l'horizon, nous apercevons enfin l'estuaire
du Reik. Le fleuve à son embouchure est d'une largeur immense, mesurant plus d'une lieue. Le vent
du nord, portant les cris des mouettes et l'odeur du sel, dissipe comme par magie les brumes qui
dissimulent l'horizon et la cité de Marienburg apparaît soudain à notre droite, comme un navire
fantôme émergeant du brouillard. Les murailles puissantes de la cité gonflent mon coeur d'un orgueil
démesuré. Des milliers de clochers, flèches et tours de pierre se dressent vers le ciel, renvoyant des
lumières pourpres et dorées. Alors que j'accroche du regard la fière tour du Hoogbrug, un frisson de
peur me parcoure l'échine. Certes, ma cité est d'une beauté exceptionnelle lorsqu'on l'observe du
lointain. Mais je suis bien placée pour savoir que cette apparence avenante peut dissimuler de noirs
desseins...

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Elisa Bladenrood

Sa silhouette gracile, ses cheveux auburn, son visage d'ange, tout en elle rappelait la
belle Théodora, à l'exception de ses yeux gris bleu, d'une couleur inhabituelle dans la
famille...

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