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© 2021, Société d’édition Les Belles Lettres

95, bd Raspail, 75006 Paris


www.lesbelleslettres.com

ISBN : 978-2-251-91703-0
Introduction

La chose semble universellement entendue, ou presque : « au Moyen Âge, on pensait


que la Terre était plate ». L’idée en est aujourd’hui si répandue que l’expression est
devenue l’illustration emblématique de l’arriération scientifique que, de manière
incompréhensible, on continue d’attribuer au Moyen Âge et de ce que l’on croit être la
bêtise bornée d’un monde ancien, avec lequel la modernité aurait fait rupture. On
l’entend dans la bouche de journalistes, d’intellectuels variés, d’étudiants et, plus grave,
de nombreux enseignants, qui continuent, par ignorance ou par confort, de propager
une théorie dont tous les spécialistes de l’histoire des sciences et de la vie intellectuelle
savent depuis bien longtemps que c’est une invention, probablement destinée à mieux
affermir le triomphe de la modernité. Cela fait plusieurs décennies en effet que des
études ont montré à quel point les théories de la Terre plate ont été en réalité
marginales. Le travail le plus célèbre et le plus complet consacré à ce mythe est celui de
l’historien J. B. Russell, Inventing the Flat Earth, Colombus and Modern Historians, paru à la
1
veille du cinq centième anniversaire de la « découverte » des Amériques . Il n’a pas été
traduit dans notre langue mais a suscité de nombreux articles aisément disponibles en
français. Plus récemment, un gros ouvrage collectif a fait le point de manière très
complète sur l’ensemble des connaissances liées à la Terre au Moyen Âge, en
fournissant nombre de documents, sans manquer de s’étonner lui aussi de la
2
persistance tenace de ce mythe que rien ne fonde . Or le grand public, et même la
majeure partie du public érudit, n’a guère été touché par ces travaux. Un ministre de
l’Éducation nationale a ainsi pu écrire :

La quasi-totalité des connaissances grecques se sont peu à peu évanouies, ainsi de l’idée de rotondité de la Terre,
e
la plus symbolique de toutes, à laquelle se substitue au début du XV siècle celle d’une Terre plate (alors
3
qu’Ératosthène avait déterminé le rayon d’une Terre sphérique 100 ans av. J.-C.) .

Plus inquiétant, un éminent physicien français, directeur de recherche au CNRS, a écrit


dans une tribune publiée dans Le Monde du 6 février 2007 : « Lorsque Galilée a conclu
que la Terre était ronde, le consensus unanime était contre lui, s’accordant sur la
4
platitude de la Terre. Mais lui avait la démonstration de sa conclusion », ce qui dit
l’emprise de cette légende jusque dans une partie très éduquée de la population.
Bien plus, l’idée de la croyance des médiévaux en une Terre plate est souvent, dans la
bouche de ceux qui l’emploient, un indice de la certitude du caractère avancé et
« progressiste » de notre époque (sa mention s’accompagne encore régulièrement d’une
référence désolante au supposé « obscurantisme moyenâgeux ») et de leur mépris pour
un monde où, pensent-ils, on brûlait ceux qui croyaient en la sphéricité terrestre ainsi
que les sorcières, où l’on excommuniait les médecins pratiquant la dissection et où les
femmes n’avaient pas d’âme. C’est également devenu une sorte d’argument d’autorité
censé prouver que l’on peut avoir raison seul contre tous. Encore récemment, Marlène
Schiappa déclarait en janvier 2019 sur RMC : « Je vous rappelle que Galilée était tout
seul face à la majorité pour dire que la Terre était ronde et qu’elle tournait. La majorité
pensait qu’elle était plate et statique. » Statique oui, plate, certainement pas.
Ce ne sont que les indices visibles d’une méconnaissance quasi générale à ce sujet.
Nombreux sont ceux qui propagent en toute bonne foi ce mythe devenu un topos : citons
par exemple cet article du Parisien du 6 avril 2017 sur « Le retour en force de la théorie
de la Terre plate ». Sous-titré « Un débat vieux comme le monde et qui semblait réglé
pour bon nombre de gens ressort d’outre-tombe », il commence par ces mots
inévitables : « La Terre est-elle vraiment ronde ? Si vous pensiez que le débat avait été
clos par Galilée et bien d’autres, vous vous trompez. » L’erreur, dans l’esprit du
journaliste, ne porte pas sur le rôle de Galilée. Et l’on note tout de même la prudence du
« et bien d’autres », indice du flottement manifeste de toute connaissance précise au
sujet de l’histoire des théories sur la forme de la Terre.
De petits sondages pratiqués régulièrement depuis des années auprès d’étudiants de
licences littéraires ainsi qu’à composante scientifique et d’étudiants de master d’histoire
des sciences permettent de prendre la mesure de l’emprise de ce lieu commun, pourtant
régulièrement démenti par les historiens des sciences, et, de plus en plus, par de
nombreux sites internet parfois bien documentés. Selon les années et les formations,
entre deux tiers et trois quarts des étudiants sondés répondent « oui » à la question « Au
5
Moyen Âge, croyait-on que la Terre était plate ? ». L’un d’entre eux précise que Galilée
a été « brûlé sur un bûcher » pour avoir émis l’hypothèse de la sphéricité,
majoritairement imputée au savant pisan ou à Copernic, parfois aux deux (que presque
un siècle sépare), plus rarement à Christophe Colomb ou Magellan. Pire encore, parmi
ceux qui répondent « non », semblant ainsi savoir que la sphéricité de la Terre est une
affaire entendue depuis longtemps, plusieurs imputent en même temps la découverte
de cette sphéricité à… Copernic ou Galilée, ce qui témoigne d’un singulier manque de
repères chronologiques. Enfin, parmi ceux qui répondent « non », presque aucun n’est
capable de dire précisément à quand remonte la reconnaissance de la sphéricité, ni de
citer un nom ou une œuvre faisant autorité à ce sujet. En cinq ans de sondages répétés,
la réponse la plus exacte a été « des Grecs » (une fois, un étudiant a répondu
« Aristophane », sans doute – on l’espère – en pensant à Aristote ou Ératosthène).
Or non seulement l’idée que le Moyen Âge croyait que la Terre était plate est
historiquement fausse, mais elle relève d’une manipulation de l’histoire des sciences, et
surtout des consciences, et participe d’une vision pauvrement linéaire et téléologique
du développement des civilisations, issue du positivisme et de l’idée de progrès
e e
défendue depuis le XVIII et surtout le XIX siècle. Elle est en effet très facile à invalider : il
suffit d’ouvrir un livre d’astronomie du Moyen Âge, livres que l’ère du numérique,
après celle de l’imprimerie, a rendus très aisément accessibles, et que l’on pouvait
e
trouver déjà dans une bibliothèque du XIX siècle. Elle demeure pourtant majoritaire
dans l’opinion, et c’est de ce constat, fait quasi quotidiennement dans notre vie
d’enseignantes et de chercheuses en histoire des sciences, qu’est venue l’idée de ce livre.
Son but n’est pas tant de rétablir une vérité scientifique élémentaire (celle-ci est
facilement vérifiable par ailleurs) que de la faire connaître, et surtout de mettre à
disposition des lecteurs un certain nombre de documents (textes et illustrations) leur
permettant de comprendre rapidement et simplement l’histoire réelle des
représentations de la Terre, ainsi que l’histoire du mythe de la Terre plate. Ce livre leur
permettra également d’avoir aisément sous la main des preuves, utilisables par exemple
en contexte pédagogique : nous fournissons à cette fin une bibliographie des sources en
éditions modernes, une autre des études citées et d’ouvrages critiques permettant à tous
ceux qui voudront approfondir la question de lire des travaux de recherches plus
poussés sur la question.
Nous souhaitons également conduire ici une réflexion sur les causes de la pérennité
de cette légende, dans un contexte où la notion de biais cognitif et la réflexion sur la
circulation des contre-vérités sont particulièrement d’actualité. Pourquoi ce mythe a-t-il
eu la vie si dure et continue-t-il de rencontrer tant de succès ? Il s’agira d’essayer de
répondre à ces questions, en attirant l’attention de chacun sur la nécessité de toujours
douter et questionner même ce qui nous semble une vérité acquise. Il s’agira également
de pointer quelques problèmes méthodologiques typiques : au Moyen Âge, « on croyait
que la Terre était plate ». Mais qui est « on » ? Quel milieu faut-il prendre en compte
lorsque l’on affirme la validité ou non d’une théorie scientifique ? Le milieu
universitaire et éduqué ou les milieux illettrés ? Une étude d’histoire des sciences n’est
pas une analyse des croyances populaires d’une époque ; aujourd’hui encore, certains
croient que la Terre est plate et un sondage effectué en décembre 2017 par Conspiracy
Watch et Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès semble montrer que près de 10 % des
personnes interrogées pensent « qu’il est possible que la Terre soit plate ». Les résultats
de ce sondage réalisé auprès de 1 252 personnes dans le cadre d’une « Enquête sur le
complotisme » ont été largement médiatisés mais la rigueur de leur exploitation a été
parfois interrogée. Ainsi le taux de ceux qui se disent en accord avec cette thèse se situe
sans doute plus près de 2 % que de 10 %. Quoi qu’il en soit, peut-on affirmer qu’en
2017, « on » croyait que la Terre était plate ? Doit-on, pour établir ce que l’on « sait », se
fonder sur l’enseignement universitaire ou sur les croyances individuelles ? Ce type
d’interrogations sous-tendra également notre propos.

Nous proposons au lecteur un parcours en deux étapes. Dans une première partie,
nous donnons les éléments précis et accompagnés parfois d’illustrations qui permettent
de répondre aux trois questions « Qui a cru que la Terre était plate et pourquoi ? »,
« Que savait-on dans les milieux savants au Moyen Âge puis à l’époque qui va de
Colomb à Galilée ? », « Quels éléments de la connaissance savante se sont diffusés hors
des cercles érudits ? ». Depuis l’Antiquité grecque, le nombre de savants, d’écoles,
d’institutions religieuses, d’ouvrages scientifiques qui ont défendu l’idée d’une Terre
plate se compte en réalité sur les doigts d’une main et on peut dire que la Terre, depuis
Platon et Aristote au moins, n’a jamais été plate. Quelles sont exactement les thèses
cosmographiques qui ont circulé pendant l’Antiquité tardive, et dans le monde arabo-
musulman ? Quelles sont celles qui ont été transmises au Moyen Âge latin ? Quelle est
leur valeur sur le plan de l’autorité scientifique, leur importance aux yeux des
intellectuels, leur diffusion ? Nous étudions ensuite la manière dont cette représentation
sphérique de la Terre a circulé tout au long du Moyen Âge en Occident, et quels en ont
été les développements. Nous ne proposons pas une histoire exhaustive des théories sur
la forme de la Terre, encore moins une histoire de l’astronomie ou de la géographie ;
notre ouvrage n’est pas un ouvrage de recherche (des travaux très complets sont
disponibles par ailleurs) : nous voudrions ici plutôt essayer de répondre aux questions
posées plus haut et démentir quelques lieux communs (les théories grecques se sont
perdues, le savoir était dominé par la vision biblique…), en donnant des exemples
significatifs des théories qui circulaient, des niveaux de savoirs (universitaire ou plus
large) et des modes de diffusion de ces savoirs. Il s’agit ainsi de montrer que,
contrairement à ce qu’on peut lire parfois, la connaissance grecque ne s’est pas perdue,
que l’astronomie a continué de se consolider sur les bases grecques, complétées par
l’apport arabe et les observations propres au monde européen, que la sphéricité était
bien la doctrine officielle enseignée dans les universités et n’était pas condamnée par
l’Église, et enfin que ces notions était également connues hors des universités et
utilisées, par exemple par les navigateurs.
Dans la deuxième partie nous traquons les auteurs du mythe – somme toute assez
récent – attribuant au Moyen Âge la croyance en une Terre plate. Nous nous
interrogeons sur les motivations intellectuelles qui ont pu être les leurs, le cadre
idéologique dans lequel ils s’inscrivaient. Nous proposons là encore des éléments de
réponse qui n’ont pas tous été explorés par Russel ou Patrick Gautier Dalché, et nous
illustrons le propos par des extraits de textes. Une question subsidiaire s’impose en
effet : Pourquoi tenons-nous tant à ce mythe ? Nous essaierons d’y répondre de manière
à fournir des outils de réflexion aux lecteurs, aux enseignants, aux vulgarisateurs, pour
une réflexion plus large sur la circulation des erreurs à l’heure où des notions aussi
discutables que celles de « post-vérité », de « vérité alternative » ou de « faits
alternatifs » semblent s’imposer.

Au seuil de cet ouvrage, une mise au point liminaire nous semble indispensable : un
ouvrage collectif paru il y a une dizaine d’années – Galileo Goes to Jail and Other Myths
about Science and Religion – a fait le point sur une série de mythes illustrant le « conflit
entre science et religion », tel que l’avaient présenté en leur temps Draper et White aux
États-Unis (voir partie II, chap. 3). Si nombre des mythes épinglés le sont avec
pertinence, d’autres sont exagérés et le traitement de la question est nettement orienté :
la parution de cet ouvrage, pourtant publié par les Presses de Harvard, est soutenue par
une fondation américaine, la John Templeton Foundation, qui poursuit semble-t-il un
6
autre but que le rétablissement de vérités scientifiques. Pour Guillaume Lecointre , cette
fondation cherche à « brouiller les limites épistémologiques de légitimité entre religion
et science » et promeut une réconciliation entre les deux, ce qui n’est absolument pas le
but du présent ouvrage. Nous ne conduisons pas ici une enquête sur les relations,
éminemment compliquées, de la ou des religions avec la science. Nous ne cherchons pas
à « réhabiliter » qui ou quoi que ce soit. Mais, parmi les mythes liés à la Terre plate,
figure celui de l’opposition de l’Église ; vouloir le traiter de manière scientifique comme
nous entendons le faire n’a rien à voir ici avec du prosélytisme. Il est évident pour nous
que la religion a pu entraver l’activité scientifique au cours de certaines périodes, que la
deuxième a pu se développer à l’ombre de la première sur d’autres périodes, et que ces
questions méritent un travail qui n’est pas l’objet de notre ouvrage. Et il est évident
aussi que les croyances religieuses d’un scientifique pas plus que son athéisme ne sont
garantes de la valeur scientifique de ses recherches. Nous essaierons de démontrer que
ce sont les constructions idéologiques à l’œuvre dans la réécriture de l’histoire des
sciences dont il faut se méfier.

Notes
1. Nous donnons l’ensemble des références des ouvrages critiques ainsi que celles des sources utilisées en
bibliographie, à la fin de l’ouvrage, et ne donnerons en note que la référence à la page.
2. Gautier Dalché, 2013.
3. Allègre, 1997, p. 205.
4. Galam, « Pas de certitude scientifique sur le climat », tribune parue dans Le Monde du 6 février 2007.
5. Le dernier sondage pratiqué à la rentrée 2018 donnait 17 « oui » (on croyait que la Terre était plate), 6 « non » et 2
« ne savent pas » parmi les 25 étudiants d’une licence mixte, littéraire et scientifique, et 24 « oui » et 12 « non » pour
les 36 étudiants de licence 3 de Lettres modernes.
6. Lecointre, 2012.
PREMIÈRE PARTIE
Construction et diffusion d’une science de la sphère
CHAPITRE I
L’établissement des théories antiques

Pour explorer les théories antiques, l’historien ne dispose que de sources textuelles ou
iconographiques, et uniquement de celles qui ont été conservées. Faute d’un institut de
sondage qui pourrait traverser les siècles, nous n’avons pas accès aux opinions du
e e
paysan du II siècle av. J.-C. ou du boulanger du V siècle de notre ère. Nous disposons
principalement, pour les périodes que nous allons aborder, des productions d’une petite
catégorie de personnes, souvent privilégiées, toujours érudites. Si les manuscrits ont été
recopiés et transmis, s’ils ont réussi à échapper à l’oubli, aux guerres et aux catastrophes
naturelles, cela témoigne souvent du fait qu’ils ont compté pour une école de pensée,
pour les disciples d’un savant ou pour les institutions qui les ont conservés, mais ce
peut être aussi le fruit du hasard. Le corpus des textes survivants ne garantit pas
l’exhaustivité, mais constitue malgré tout une base fiable pour déterminer ce que l’on
savait ou croyait dans le monde des lettrés et des institutions de savoir.

I. LES THÉORIES GRECQUES DE LA SPHÈRE

La sphère des philosophes

Avant d’évoquer les auteurs qui ont défendu l’idée d’une Terre plate ou non
sphérique, il est sans doute utile de situer le moment charnière où l’idée du globe
terrestre – avec différentes nuances – s’imposa. Les connaissances cosmographiques qui
ont irrigué notre Moyen Âge commencèrent à se construire, pour l’essentiel, autour de
la Méditerranée et dans le monde grec. Elles émanaient de la science première, la
philosophie, et de l’astronomie. Elles furent utilisées très tôt par des explorateurs et
contribuèrent par la suite à la naissance d’une science nouvelle, la géographie.
Les deux grands penseurs de l’Antiquité que furent Platon (428-348 av. J.-C.) et
Aristote (384-322 av. J.-C.) considéraient déjà la Terre comme une sphère. Platon, dans
le Timée, explique que le Monde est sphérique et animé d’un mouvement circulaire
uniforme autour de son centre, la Terre :
Aussi est-ce la figure d’une sphère, dont le centre est équidistant de tous les points de la périphérie, une figure
circulaire qu’il [le démiurge] lui donna comme s’il travaillait sur un tour, figure qui entre toutes est la plus
1
parfaite .

2
La Terre est quant à elle « enroulée autour de l’axe qui traverse le tout », l’axe qui
traverse l’Univers et autour duquel tourne le ciel. Dans le Phédon, il précise que pour
tenir suspendue « au centre du Ciel », la Terre n’a besoin « ni d’air ni d’aucune
3
résistance de ce genre » . L’explication de ce phénomène est sans doute antérieure à
Platon car, si l’on en croit Aristote, on la trouvait déjà chez Anaximandre (c. 610-c. 546
4
av. J.-C.), qui soutenait que « la Terre demeure en repos du fait de l’indifférenciation »,
c’est-à-dire de l’équilibre lié à l’immobilité que trouve toute chose lorsqu’elle est au
centre, parce que n’ayant pas plus de raison d’aller dans une direction que dans une
autre. Pour le dire trivialement, tout le monde constate que lorsqu’un objet tombe par
terre, il y reste.
Pour Aristote, le monde est sphérique, et plus précisément constitué de sphères
emboîtées les unes dans les autres. Au centre, le monde dit sublunaire (situé sous l’orbe
de la Lune) est constitué des quatre éléments, dont les lieux naturels forment quatre
sphères concentriques s’ordonnant selon ce qu’on peut traduire par leur « lourdeur »
(gravitas), puisque le concept de pesanteur n’existe pas : terre, eau, air feu, du centre
vers la périphérie. Il est entouré par la sphère supralunaire, constituée d’un cinquième
élément et divisée en sphères célestes portant chacune les astres connus à cette époque
(dans l’ordre à partir de la vision terrestre : Lune, Soleil, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter,
Saturne), jusqu’à la huitième d’entre elles, qui porte les étoiles fixes.
5
Les arguments démontrant la sphéricité de la Terre se trouvent dans le Traité du ciel
et sont essentiellement liés aux deux conceptions aristotéliciennes du lieu naturel et du
mouvement : toutes les parties de l’élément terre, élément le plus pesant, tombent
naturellement vers le centre de la Terre qui est le centre du Monde et le lieu où les
« graves » s’immobilisent. Si les parties « se portent de toutes parts vers un centre
unique », la figure de la Terre est nécessairement une sphère. Aristote en fait la
démonstration par le raisonnement suivant :

Quant à sa forme, il est nécessaire qu’elle soit sphérique. En effet chaque morceau de terre a une pesanteur jusqu’à
ce qu’il arrive au centre, et la plus petite étant poussée par la plus grande n’est pas susceptible de former une
6
surface en vagues, mais plutôt de se presser contre elle et s’unir à elle, jusqu’à ce qu’elles atteignent le centre .

Il invoque ensuite l’évidence sensible, et d’abord l’argument de l’éclipse de Lune,


appelé à connaître une belle longévité :

De plus, il y a aussi les phénomènes saisis par la perception. En effet, < si la Terre n’était pas sphérique > les
éclipses de Lune n’auraient pas ces sortes de sections : de fait, dans les figures qu’elle prend tous les mois, la Lune
présente toutes les divisions (droite, biconvexe, concave), mais au cours des éclipses la ligne qui limite la Lune est
toujours convexe, de sorte que, puisqu’il y a éclipse du fait de l’interposition de la Terre, c’est la circonférence de la
7
Terre qui, étant sphérique, est cause de cette figure .

La forme de l’ombre portée de notre planète lors des éclipses de Lune est une
confirmation visuelle de la sphéricité : lorsque la Terre s’interpose entre le Soleil et la
Lune, les trois astres étant alignés, on observe sur la surface de la Lune le déplacement
de l’ombre de la Terre dont le bord dessine un cercle. Aristote relève également que « si
nous effectuons un petit déplacement en direction du sud ou vers la Grande Ourse, le
cercle de l’horizon devient de toute évidence différent, de sorte que les astres au-dessus
8
de nos têtes subissent un grand changement ».
Aristote est d’abord un philosophe qui cherche à démontrer la cohérence de son
système, cependant, même s’il n’utilise pas de preuves expérimentales au sens où nous
l’entendons aujourd’hui, il établit solidement la sphéricité de la Terre par la raison et
par l’observation. Plus loin, il affirme que « tous les mathématiciens qui s’efforcent de
calculer la circonférence de la Terre parviennent au chiffre de quarante myriades de
9
stades ». La valeur du stade grec fait l’objet de discussions, mais ces 400 000 stades
représentent vraisemblablement environ le double de la circonférence réelle. Ce chiffre
est utilisé par Aristote pour réduire l’importance que les Anciens avaient donnée à la
Terre par rapport au reste du Monde, en estimant qu’elle « était une grande partie du
tout ». La forme de la Terre, conclut Aristote est « circulaire […] et c’est celle d’une
10
sphère qui n’est pas énorme » .
Il contredit ici Platon qui se disait convaincu « que c’est une chose très grande que la
Terre », et précisait, concernant la zone habitée par les hommes (l’œkoumène) : « nous
en habitons une petite parcelle […], habitant autour de la mer comme des fourmis ou
des grenouilles autour d’un marécage ». Platon ne pensait pas que le pourtour de la
Méditerranée – ce marécage – était la seule partie habitée de la Terre car il précise en
suivant « qu’ailleurs une multitude d’autres gens habitent une multitude d’autres lieux
semblables et que beaucoup d’autres peuples habitent ailleurs en beaucoup d’endroits
11
semblables » .
Le fait qu’une partie des terres soit émergée peut sembler en contradiction avec la
théorie des sphères élémentaires concentriques, mais Aristote s’en explique dans son
traité De la génération et la corruption en précisant que « chaque élément est
principalement et pour la plus grande partie de lui-même, dans le lieu qui lui est
12
propre ». La terre tangible (qui n’est pas l’élément pur) est mélangée à l’eau car, sans
humidité, elle n’aurait pas « le pouvoir de cohésion » et se désagrégerait. Elle n’est donc
que pour « la plus grande partie » sous la sphère de l’eau et seule sa partie sèche
13 e
émerge . Alexandre d’Aphrodise, grand commentateur d’Aristote du II siècle de notre
ère, dont les propos sont rapportés par Simplicius dans son propre commentaire au
Traité du ciel d’Aristote, a explicité ce point de la thèse aristotélicienne en invoquant
l’hétérogénéité de la Terre et la distinction nécessaire entre son « centre de poids »
14
(centre de gravité), et son « centre de grandeur » (centre géométrique) . C’est une
question qui s’explique aussi par l’existence même de la vie : dans l’ordre biologique
des choses, l’élément n’est en réalité jamais en repos dans son lieu naturel.
L’emboîtement des sphères élémentaires est purement théorique : dans le vivant, la
conglobation de la terre, de l’eau et, partiellement de l’air, est effective. L’étude des
échanges élémentaires est l’objet du traité des Météorologiques, dans lequel Aristote traite
de la matière tangible inanimée et de ses transformations sous l’orbe de la Lune.

La sphère des astronomes mathématiciens

À côté des philosophes de la nature, d’autres savants ont produit des textes traitant
de la forme de la Terre : les astronomes, qui sont aussi des mathématiciens, comme ceux
dont Aristote évoque les mesures. Ils sont astronomes, parfois astrologues
(contrairement à une autre idée reçue, on ne confond pas astronomie et astrologie),
géomètres, parfois même théoriciens de la musique et géographes. La hiérarchie des
disciplines telle que l’a formalisée Aristote, qui a perduré près de vingt siècles, cantonne
les mathématiques à l’étude de ces objets que l’on peut séparer des corps physiques par
15
la pensée, soit « le pair, l’impair, le droit, le courbe », alors que la philosophie est la
science des étants et de leur essence. Pour ce qui concerne le ciel, donc, l’astronomie
mathématique étudie les positions et les mouvements célestes, tandis que le philosophe
s’occupe d’abord de la matière des cieux et du monde, ainsi que des causes de leurs
mouvements.
Ératosthène (276-194 av. J.-C.) était ainsi, selon des commentateurs ultérieurs, un
piètre philosophe, mais il est devenu mathématicien (et directeur de la bibliothèque
d’Alexandrie). Convaincu comme la plupart des savants de son temps de la sphéricité
de la Terre, il est l’auteur d’une méthode de détermination du rayon terrestre
particulièrement astucieuse, que nous détaillerons plus loin. Cette méthode n’est
e
cependant pas la première. On a trace de celle d’Eudoxe de Cnide au IV siècle av. J.-C.
(sans doute celle dont Aristote cite le résultat), de celle de Dicéarque de Messine, un
e e
disciple d’Aristote qui a vécu entre le IV et le III siècle, et de celle d’Archimède, autre
célèbre mathématicien qu’Ératosthène a rencontré à Alexandrie et avec lequel il a
travaillé.
Le Traité de la mesure de la Terre d’Ératosthène ne nous est pas parvenu, mais nous
pouvons en reconstituer la démonstration grâce à plusieurs auteurs qui en ont copié ou
commenté l’exposé. Nous détaillons en annexe la version rapportée par Cléomède,
auteur d’un manuel de cosmologie datant des premiers siècles de notre ère. Le principe
en est le suivant : en mesurant, un jour de solstice d’été, la longueur de l’ombre d’un
bâton fiché verticalement dans le sol à Alexandrie, on peut calculer la différence de
latitude entre cette ville et celle d’Assouan (autrefois Syène), située à peu près sur le
même méridien. Assouan est au bord de la zone intertropicale, celle où le Soleil passe
au moins une fois par an au zénith, le jour du solstice d’été. Ce jour-là, un bâton planté à
cet endroit ne projette pratiquement pas d’ombre et on peut observer le reflet du Soleil
au fond d’un puits sur l’île Éléphantine proche, ce qui n’arrive jamais à Alexandrie. Le
raisonnement d’Ératosthène est géométrique et repose sur deux hypothèses qui sont
liées : la première est que le Soleil est tellement éloigné de la Terre que les rayons qui
nous en parviennent sont quasi-parallèles. La deuxième est que la différence de
longueur des ombres ne peut être expliquée que par la courbure de la surface de la
Terre.
Le résultat obtenu par Ératosthène fut ensuite repris par de nombreux auteurs dans
les siècles suivants. Il montre que la portion de méridien comprise entre Syène et
e
Alexandrie représente 1/50 du cercle. Les arpenteurs du roi Ptolémée II avaient
mesuré la distance entre ces deux villes avec une relative précision : 5 000 stades.
Ératosthène attribue donc à la circonférence de la Terre la valeur de 250 000 stades,
valeur qu’il « arrondit » à 252 000 stades pour la rendre aisément divisible par 60,
puisqu’il partageait le cercle en 60 parties et non pas en 360 degrés comme on le fit plus
16
tard . Selon la valeur donnée au stade grec – que nous discutons dans l’annexe – le
mathématicien obtient un résultat plus ou moins proche de la valeur réelle (40 000 km),
mais en tout cas un excellent ordre de grandeur de celle-ci. Il est intéressant de
e
comparer cette démarche avec celle d’Anaxagore (V siècle av. J.-C.), qui avait un
modèle cosmographique tout à fait différent puisqu’il imaginait la Terre plate et
beaucoup plus près du Soleil ; les rayons émis par celui-ci ne pouvaient être parallèles et
divergeaient. À l’aide des mêmes observations sur les ombres et d’un calcul analogue, il
évalue la distance Soleil-Terre à… 40 000 stades.
Les mesures d’Ératosthène ont été abondamment diffusées et discutées dans les
siècles suivants. Elles ont été refaites par l’astronome syrien Posidonius († 57 av. J.-C.),
qui mesura la différence de latitude entre Rhodes et Alexandrie en comparant la
hauteur de l’étoile Canope dans le ciel à ces deux endroits, qu’il supposait éloignés de
5 000 stades. Il trouva ainsi, comme nous le rapporte encore Cléomède, que « le grand
cercle de la Terre est de deux cent quarante mille stades », soit un résultat inférieur à
17 e
celui d’Ératosthène . Ces mesures sont aussi commentées par Hipparque (II siècle
er
av. J.-C.), qui les admet, par Strabon (I av. J.-C.), qui les admet tout en critiquant les
18 e
relevés géographiques de son prédécesseur , et par Ptolémée (II siècle ap. J.-C.). Elles
ont été ensuite transmises à l’Antiquité tardive et au Moyen Âge par les ouvrages de
e e e
Théon de Smyrne (II siècle ap. J.-C.), Macrobe (IV siècle), Martianus Capella (IV -
e
V siècle). Nous examinerons enfin d’autres procédés qui ont été imaginés dans le
e
monde arabe sous le règne du calife al-Ma’mūn (IX siècle).
Tous ces auteurs partagent l’opinion que la Terre est sphérique. La liste que nous
venons d’énumérer n’est pas exhaustive. Nous nous sommes contentées de citer ceux
dont les travaux ont circulé dans le monde latin médiéval et ont constitué le corpus
scientifique des hommes instruits jusqu’à la Renaissance. Nous verrons que les
différents résultats qu’ils contiennent sont encore âprement discutés à la veille du
voyage de Christophe Colomb, mais pas la sphéricité.

La sphère des explorateurs

À côté des savants établis, des explorateurs – dont certains étaient de grands érudits –
nous ont également livré leur image de la Terre, même s’ils n’ont que rarement laissé
e
des traces écrites. Les découvertes de Pythéas, navigateur marseillais du IV siècle av. J.-
C., ont été citées par Dicéarque de Messine, dont les propos ont été rapportés par
19
Strabon et Pline l’Ancien, et quelques fragments de son Traité sur l’Océan sont
parvenus jusqu’à nous. Pythéas ne semble pas avoir franchi les colonnes d’Hercule
e
comme son compatriote Euthymènes, qui avait longé la côte africaine au V siècle à la
recherche, semble-t-il, des sources du Nil. Pythéas écrit que son périple l’a mené de
Gades (au sud-ouest de la péninsule Ibérique) à Tanaïs – c’est-à-dire l’embouchure du
Don dans la mer Noire. Il a donc à plusieurs reprises abandonné la navigation pour
traverser des terres. Ce voyage, qui eut lieu vers 320 av. J.-C., lui permit de dépasser les
îles Britanniques jusqu’à Thulé, l’actuelle Islande, et d’atteindre 63 degrés de latitude
nord selon ses dires. Il fut l’un des premiers Méditerranéens à avoir observé une nuit
d’été polaire. Le voyage de Pythéas se déroula dans la période d’expansion de l’empire
d’Alexandre, et les données géographiques qu’il rapporta sont mentionnées par des
auteurs postérieurs, qui ont cherché à mesurer la partie habitée de la Terre et à situer
précisément des sites remarquables, comme Ératosthène, Hipparque ou Posidonius. Les
mesures de latitude qu’il a réalisées à l’aide d’un gnomon, et ce jusqu’au voisinage du
cercle polaire, sont interprétées dans le cadre du modèle aristotélicien d’une Terre
sphérique. Pythéas, s’il n’était pas un savant au sens traditionnel du terme, était doté
d’une solide culture astronomique et il découvrit d’ailleurs que l’axe du monde ne
20
passe pas exactement par une étoile « polaire » mais par une zone vide d’étoile .
Les abondantes sources sur Platon, Aristote et Ératosthène, les quelques sources sur
Pythéas, permettent de situer l’affirmation de la sphéricité dans le monde
e e
méditerranéen entre le V et le IV siècle av. J.-C. Il est plus difficile de savoir en quels
termes les philosophes ou astronomes antérieurs à cette époque ont défendu cette
opinion. Diogène Laërce écrit, dans La Vie de Pythagore, que ce mathématicien du
e
VI siècle av. J.-C. décrivait déjà le Cosmos (mot dont il serait l’inventeur) comme
e
sphérique, ainsi que la Terre. Selon lui, le philosophe pythagoricien du V siècle
21
Parménide pensait également la Terre sphérique, ce que confirment d’autres auteurs .
On peut donc raisonnablement affirmer que l’idée de sphéricité est vieille de 2 500 ans.
e
Les premières mesures connues du rayon de cette sphère ont eu lieu, elles, aux IV -
e
III siècle av. J.-C. L’affirmation de la sphéricité fut essentiellement le produit d’une
conception philosophique de notre cosmos, de son harmonie, de la hiérarchie des
éléments qui le constituent, et de la notion de lieu – la Terre et son centre étant le lieu
même de l’équilibre, donc de l’immobilité. Cependant, des observations très faciles
comme celles des éclipses de Lune ou la variation de l’élévation des étoiles selon la
latitude vinrent confirmer ce modèle, qui n’était pas détaché de l’observation. C’est une
différence importante avec une autre question astronomique, souvent confondue avec
celle de la forme de la Terre : la question du mouvement, qu’aucune observation simple
ne permet de déceler. Le lecteur peut observer lui-même qu’il ne sent pas le mouvement
de sa planète, et que s’il lève la tête et observe les phénomènes, l’expérience lui
apprendra de manière trompeuse que le Soleil tourne autour de lui.

II. LES AUTRES FORMES DE LA TERRE

Les représentations des penseurs présocratiques n’étaient pas connues du haut


Moyen Âge, car elles ont été transmises par la critique qu’en ont faite les philosophes et
e
notamment celle d’Aristote, dont l’œuvre n’a été traduite qu’à partir du XII siècle. Les
autres sources qui permettent de les connaître sont fragiles et les témoignages qu’elles
contiennent, contradictoires (Diogène Laërce, Stobée…). Aristote donne quelques
indications dans son Traité du ciel, où il raille les défenseurs de la forme plate de la
e
Terre, comme Xénophane (VI siècle av. J.-C.) qui pense en outre « qu’elle est infinie vers
22
le bas » et même qu’elle « s’enracine » dans cet infini, ou encore Thalès, qui fait
23
« reposer la Terre sur l’eau », alors que pour le Stagirite, l’eau est plus légère que la
e
terre et ne peut se trouver en dessous. Aristote ajoute Anaximène (VI siècle av. J.-C.),
e e e
Anaxagore (V siècle av. J.-C.) et Démocrite (V -IV av. J.-C.) à cette liste des tenants de la
Terre-disque. Ils ont en commun, selon lui, d’expliquer par la forme plate le fait « que la
24
Terre demeure au repos », alors que cette immobilité supposée de la Terre sert au
contraire d’argument à Aristote pour démontrer la sphéricité.
Des études recoupant les données fournies par la littérature grecque postérieure
permettent de confirmer qu’Anaximène et Anaxagore considéraient la Terre comme un
disque. La conception de Démocrite semble légèrement différente ; certains auteurs
évoquent la forme d’un tambourin ou d’une écuelle, en tout cas un disque concave dont
le centre est plus bas que les bords, ce qui permet de rendre compte des différences de
25
longueur des ombres selon les lieux . Les représentations plus anciennes sont encore
plus difficiles à cerner. Par exemple, un des passages de l’Iliade retenu par certains pour
prouver qu’Homère considérait la Terre comme une surface plane et circulaire est une
description du bouclier d’Achille forgé par Héphaïstos. Ce bouclier représente non
seulement la Terre, mais aussi « le ciel et la mer, le soleil infatigable et la Lune en son
26
plein, ainsi que tous les astres dont le ciel se couronne », comme le disent les vers
suivants. Le statut de ces représentations poétiques et symboliques doit être pris en
compte, car elles sont loin d’être assimilables à des thèses de cosmologie ou
d’astronomie. D’autres passages, cependant, confirment qu’Homère croyait
probablement la Terre plate et entourée par l’océan, au bord duquel se confondaient le
ciel (l’hémisphère supérieur), la Terre et le Tartare (l’hémisphère inférieur). Personne au
Moyen Âge ou au début de la Renaissance ne considère cependant Homère comme un
astronome dont on pourrait enseigner les théories, ni ne l’a pris comme modèle
scientifique.

III. STABILISATION DU CONCEPT DE SPHÉRICITÉ

Le modèle aristotélico-ptoléméen

Les philosophes et les astronomes de la fin de l’Antiquité ont largement diffusé le


modèle aristotélicien et les mesures d’Ératosthène. Ce modèle, cependant, n’est pas issu
d’une démarche scientifique telle que nous l’imaginons aujourd’hui. Pour les
pythagoriciens qui l’ont sans doute inspiré, c’est l’harmonie de la sphère qui a prévalu
sur tout autre argument. Pour les philosophes de la nature, il s’agit d’une conception
globale du cosmos et de son centre. Cléomède, davantage compilateur des thèses qui
l’ont précédé qu’inventeur, rapporte dans sa Théorie élémentaire écrite au tout début de
27
notre ère qu’il faut se méfier des apparences et qu’il convient de donner la priorité au
raisonnement déductif :

Sans doute la vue elle-même semble indiquer que le Monde est une sphère. Ce n’est cependant pas elle qu’il faut
prendre comme critère pour déterminer quelle est la forme du monde, car il est faux de dire que toutes les choses
nous apparaissent d’ordinaire comme elles sont. Aussi convient-il de passer, selon un enchaînement logique
28
évident, de ce qui est plus clair et qui nous apparaît manifestement à ce qui n’apparaît pas immédiatement .

Ce n’est qu’après avoir démontré l’impossibilité que la Terre soit autre chose qu’une
sphère qu’il évoque les arguments positifs en faveur de sa sphéricité. Le premier réside
dans le fait que tous les peuples n’observent pas les mêmes astres, ni la même élévation
pour le pôle (l’étoile polaire). Le deuxième est l’observation faite par les marins
approchant d’une terre dont « la vue rencontre d’abord les sommets, tandis que le reste
est masqué par la convexité ». Sur un bateau, on monte en haut du mât pour voir au
loin et « quand un navire s’éloigne de la terre, c’est d’abord la nef qui se cache, tandis
29
que le mât et son gréement restent encore visibles » . Ces arguments confirment la
transmission de la démarche philosophique évoquée plus haut ; une telle position était
largement partagée, en témoigne son exposition dans un ouvrage utilisé comme manuel
pendant les premiers siècles de notre ère, comme le signale Richard Goulet dans la
présentation de la traduction du texte.
e e
Pendant les cinq siècles qui suivirent Ératosthène – du III av. J.-C. au II siècle de
notre ère –, les philosophes et astronomes du monde grec utilisèrent ce corpus.
Dicéarque de Messine, Hipparque, Posidonius, Strabon, Cléomède… critiquent, de
siècle en siècle, les mesures de leurs prédécesseurs, utilisent des démonstrations
mathématiques plus ou moins explicites, mentionnent avec des détails variables des
observations d’éclipses ou la courbure de la mer. Ils partagent tous une même
conception de la Terre et du monde comme sphériques.

L’apport de la géographie ; les cartes de l’œkoumène

Une autre science, la géographie, a contribué à la stabilisation des conceptions de la


Terre. La plus ancienne carte grecque qui nous soit parvenue fut dessinée par
e
Anaximandre de Milet au VI siècle av. J.-C. et représente l’ensemble de la Terre habitée,
organisée autour d’un centre, qui est Delphes. La Terre y est figurée comme un disque
e
plat. Au IV siècle, Eudoxe de Cnide, convaincu de la sphéricité de la Terre, explora la
détermination des coordonnées des lieux en longitude et latitude. Son successeur
Dicéarque – qui reprit son évaluation de la circonférence terrestre à 400 000 stades –
établit la longueur et la largeur de la zone habitée, en centrant cette fois son monde sur
Rhodes. Dicéarque est également connu pour avoir mis au point un procédé
géométrique de détermination de la hauteur des montagnes : son but était de relativiser
cette dernière ; il semble qu’il voulait ainsi convaincre de leur erreur ceux qui
persistaient dans l’idée que la disparition du Soleil, la nuit, était due aux montagnes qui
30
entourent le disque plat de la Terre . Cela signifierait alors que l’idée de Terre plate
e e
était encore présente à la fin du IV siècle av. J.-C. ou au début du III .
Ératosthène est l’auteur – outre son ouvrage sur la Mesure de la Terre – d’un traité de
géographie en trois volumes, perdu depuis les premiers siècles de notre ère et dont
er
Strabon, un géographe du I av. J.-C., grec de culture et sujet de l’Empire romain, a
transmis l’essentiel des fragments (une centaine) aujourd’hui à notre disposition.
L’ouvrage fut auparavant utilisé dans l’Antiquité par Hipparque et Polybe. Strabon
rapporte, pour la critiquer, la position d’Ératosthène mettant en cause la valeur
« scientifique » du poème d’Homère cité, qui « vise à captiver et non à instruire » et
31
dont les informations géographiques relèvent « des prodiges de la fable » . Si Strabon
loue « le recours à des hypothèses mathématiques et physiques » du savant alexandrin
32
ainsi que la « légitimité » de la forme sphérique de la Terre , il estime que la
démonstration de cette sphéricité est trop longue et s’écarte du sujet. Il conteste
l’affirmation de son prédécesseur selon laquelle « il nous serait possible d’aller par mer
d’Ibère jusqu’en Inde » en suivant le parallèle d’Athènes. Les raisons de cette
contestation ne sont pas claires, mais il semble que ce soit l’existence d’un possible
33
deuxième monde habité dans notre zone tempérée . Strabon critique également le
crédit qu’Ératosthène accorde aux informations rapportées par Pythéas sur Thulé, car le
navigateur marseillais « a été reconnu pour un fieffé menteur » et « ceux qui ont visité la
34
Bretagne » (l’actuelle Grande-Bretagne) « ne disent rien de Thulé » (l’actuelle Islande) .
Il est intéressant de relever, pour la compréhension des cartes d’Ératosthène, qu’il a
comparé la forme de la zone habitée à une chlamyde (un manteau grec en forme de
trapèze aux bords arrondis) ou à un demi-artichaut. Ce trapèze est divisé par un
parallèle à la latitude supposée commune aux monts du Taurus et à Gibraltar, et par un
méridien à la longitude d’Alexandrie, les deux lignes se croisant sur l’île de Rhodes. Il
est borné au sud par la zone torride supposée inhabitable, au nord par la zone gelée, et
il est beaucoup plus grand en longitude qu’en latitude, d’où l’origine du mot
« longitude ». Les cartes du monde d’Ératosthène ont été reconstituées en intégrant les
mesures de latitude et les estimations de longitude de lieux remarquables, un monde
centré sur la zone tempérée et s’étendant sur près de 80 000 stades en longitude. La
démonstration a été faite que ce terme « chlamyde » ne prétend pas décrire la forme de
35
l’œkoumène , mais celle de la carte qui le représente, afin que celle-ci épouse la forme
tridimensionnelle de la sphère terrestre sur une partie de l’hémisphère nord (un tiers),
limitée au nord par le cercle polaire et au sud par l’équateur.
36
Carte d’Ératosthène

Strabon – dans sa propre Géographie, œuvre monumentale en dix livres – a compilé et


critiqué toutes les observations géographiques des savants qui l’ont précédé. Il a ainsi
contribué à notre connaissance des conceptions des savants grecs plus anciens dont les
manuscrits ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Les travaux de Strabon, cependant, sont
peu cités par les astronomes ou les géographes des siècles suivants, et pas du tout par le
e
plus célèbre d’entre eux, Ptolémée. On en trouve quelques mentions au V siècle à
Byzance, époque et lieu où le manuscrit a été recopié puis démembré et réutilisé à
e e
d’autres fins. Ce n’est qu’au XIX puis au XX siècle qu’il a été reconstitué dans son
ensemble.
Dans le siècle qui suit Strabon, un ouvrage eut une postérité intéressante pour notre
étude, celui rédigé par Denys d’Alexandrie (117-138 ap. J.-C.). La Description de la terre
habitée (ou Périégèse) est un poème de 1 187 vers qui rassemble les connaissances de son
époque, les systèmes de Posidonius, d’Ératosthène et des cartographes de l’époque
hellénistique, tout en citant des textes plus anciens (Homère, Hérodote). Il a été traduit
et commenté par Christian Jacob. Comme l’expose Marcel Detienne dans la préface de
cette traduction, ce poème a rencontré un grand succès et il a circulé dans tout le monde
e e
gréco-romain. Une fois traduit en latin au IV et au VI siècle, il a également été utilisé
dans le monde byzantin et il a même été imprimé dès 1470. Il a fait l’objet d’un
e e
enseignement jusqu’aux XVI et XVII siècles à Oxford, même s’il faut alors ajouter
l’Amérique à « l’île terrestre, en forme de fronde cernée par la mer, laissée par
37
Denys ». Dès les premiers vers en effet, Denys évoque la forme de cet œkoumène qu’il
considère comme une île unique :

Commençant à chanter la terre et la vaste mer, les fleuves, les cités et les tribus innombrables des hommes,
j’évoquerai l’Océan au cours profond ; en effet il entoure de sa couronne la terre entière, comme une île immense ;
loin d’être dans son ensemble tout à fait circulaire, de part et d’autre, elle avance en pointe vers les chemins du
38
soleil, semblable à une fronde .

Cette figuration de l’œkoumène par une forme oblongue, « en pointe », c’est-à-dire


allongée sur l’axe est-ouest et entourée par l’océan qui le ceinture (ou le couronne), est
commune à de nombreuses représentations de l’Antiquité et perdura jusqu’au Moyen
Âge. Elle n’est pas, pour les lettrés de l’époque, une représentation de la Terre, mais de
sa seule partie habitée.
Ptolémée, mathématicien et astronome, est par ailleurs l’auteur d’une Geographika
devenue l’une des œuvres les plus lues de la fin du Moyen Âge, lorsqu’elle fut traduite
en latin à partir des versions arabes (les manuscrits grecs étant perdus, sauf un, recopié
à Byzance vers 1300). Ptolémée considérait que le monde habité occupait un quart du
globe, c’est-à-dire la moitié de l’hémisphère nord (180 degrés de longitude), ce qui est
supérieur aux évaluations d’Ératosthène (140 degrés). Il utilise les récits dits de « tours
du Monde », c’est-à-dire les périples giratoires à travers les terres, ou les tours de la
39
Méditerranée avec excursions dans le Pont-Euxin (la mer Noire) ou la mer Rouge . Les
distances sont le plus souvent mesurées en jours de marche ou de navigation. Si les
mesures de latitude sont relativement faciles à faire à l’aide d’un sextant, celles de
longitude posent, comme nous l’avons vu, une grande difficulté aux explorateurs de
l’époque, car il faut pouvoir comparer une horloge locale avec une horloge de référence.
C’est pourquoi Ptolémée privilégie, comme Strabon, les relevés d’Hipparque, qu’il
estime sûrs, bien que trop rares. Hipparque avait en effet développé l’utilisation
d’observations astronomiques comme la comparaison de l’heure d’une éclipse entre
deux repères éloignés en longitude et situés sur le même parallèle. Dans les premières
pages de sa Géographie, Ptolémée écrit :

On manquait […] également d’une liste suffisante d’éclipses de Lune observées à la même époque en différents
lieux, comme l’éclipse que l’on vit à Arbèles à la cinquième heure et à Carthage à la deuxième, seul moyen
40
pourtant pour connaître la distance dans le sens est-ouest des lieux considérés, exprimés en heures équinoxiales .

Il y aurait donc un décalage horaire de trois heures équinoxiales entre Arbèles


(aujourd’hui Erbil au Kurdistan irakien) et Carthage, ce qui signifierait
3 ´ 15 = 45 degrés d’écart en longitude puisqu’un fuseau horaire correspond à 360/24 =
15 degrés. Les deux villes sont effectivement sur le même parallèle, mais en réalité
distantes de 34 degrés de longitude, ce qui montre les limites de ces relevés ou de leur
41
transmission, comme le relève Germaine Aujac .
Ptolémée utilisa également les relevés de Marin de Tyr, astronome et géographe
phénicien. Il considérait que Marin était le « dernier en date, parmi les modernes » à
avoir soumis à un examen critique les sources d’information, comme le montrent « tant
42
d’éditions successives de sa Révision de la carte de géographie » . Mais Marin avait pris en
compte, malgré tout, des récits de voyage fantaisistes qui le conduisirent à évaluer la
longueur est-ouest du monde habité à 225 degrés de longitude, alors que Ptolémée
défendait la valeur de 180 degrés.

Les sept siècles que nous venons de parcourir à grandes enjambées ont construit une
conception du monde habité très largement partagée : une grande île, souvent
représentée en forme de chlamyde, qui occupe une portion plus ou moins grande de
l’hémisphère nord, entourée par l’Océan. Le globe terrestre est découpé par des cercles
imaginaires, les parallèles et les méridiens, dont la référence ou origine varie selon les
auteurs. Ils permettent de se repérer sur cette sphère en observant des phénomènes
astronomiques tous interprétés dans le cadre de ce modèle. Sur le plan philosophique,
la cosmologie d’Aristote fut intégrée aux conceptions du Monde des savants grecs, mais
c’est celle de Platon qui circula le plus dès les premiers siècles de notre ère et jusqu’au
milieu du Moyen Âge latin. Les différents traités de philosophie naturelle d’Aristote
furent cependant transmis au Moyen Âge arabe, durant lequel ils ont, après une étape
de traduction, donné lieu à des commentaires qui ont à leur tour produit une abondante
littérature philosophique et scientifique nouvelle. L’ensemble du corpus aristotélicien et
arabe, ainsi que l’astronomie de Ptolémée, n’ont été directement accessibles au monde
e e
latin qu’après le mouvement de traduction arabo-latin des XII et XIII siècles. Il nous faut
maintenant examiner plus précisément quels savoirs circulaient entre l’Antiquité
tardive et les premiers siècles du Moyen Âge.

Notes
1. Platon, Timée, 33a.
2. Ibid., 40b.
3. Platon, Phédon, 108e-109a, p. 295.
4. Aristote, Traité du ciel, 295b10.
5. Voir tout ce qui concerne l’étude de la forme de la Terre et sa taille, Aristote, Traité du ciel, 297a210-298a20.
6. Aristote, Traité du ciel, 297a9-13.
7. Ibid., 297b25-30.
8. Ibid., 297b30-298a1.
9. Ibid., 298a15-20.
10. Ibid., 298a5-10.
11. Platon, Phédon, 109b.
12. Aristote, De la génération et la corruption, 334b34.
13. Ibid., 335a1.
14. Duhem, 1913, t. IX, chap. 16.
15. Aristote, Physique, 194a.
16. Voir Roller, 2010.
17. Cléomède, Théorie élémentaire, I, 10.
18. Voir l’introduction de D. R. Dicks à Hipparque de Nicée, The Geographical Fragments of Hipparchus, 1960, p. 1-46.
19. Strabon, Geographie, II, 4.
20. Voir l’étude très complète de Roller, 2006.
21. Martin, 1878, p. 311.
22. Aristote, Traité du ciel, 294a22.
23. Ibid., 294a28.
24. Ibid., 294b15.
25. Martin, 1878, p. 245.
26. Homère, Iliade, chant XVIII, 478-617.
er
27. La datation de l’ouvrage de Cléomède reste source d’interrogations. On sait qu’il est postérieur à Posidonius (I
siècle av. J.-C.) qu’il cite.
28. Cléomède, Théorie élémentaire, chap. 1, 8.
29. Ibid.
30. Keyser, 2001, p. 354 et 361. Les sources utilisées par Keyser sont des textes de Pline, Théon de Smyrne, Strabon
et Martianus Capella.
31. Strabon, Géographie, t. I, 2, 3, p. 88-90.
32. Ibid., 4, 1, p. 167.
33. Ibid., 6, p. 171.
34. Ibid., 3, p. 168.
35. Zimmermann, 2002.
e
36. Carte d’Ératosthène reconstituée au XIX siècle par Edward Bunbury (1811-1895) et publiée dans Bunbury,
Edward H., A History of Ancient Geography among the Greeks and Romans from the Earliest Ages till the Fall of the Roman
Empire, Londres, John Murray, 1883, p. 667 (Source Wikicommons).
37. Detienne, préface de La Description de la terre habitée, p. 14.
38. Denys d’Alexandrie, ibid., p. 81.
39. Aujac, 1993, Ptolémée, Géographie I, II, et note de G. Aujac p. 308-309.
40. Ibid., I, IV, p. 315-316.
41. Ibid., note 20, p. 316.
42. Ibid., I, VI, p. 317.
CHAPITRE II
La circulation des savoirs… autour de la Méditerranée

Si l’idée que l’Antiquité admettait la sphéricité de la Terre est assez partagée de nos
e e
jours, l’histoire de la transmission de ce savoir à l’Antiquité tardive (III -VI siècle) et au
e e
Moyen Âge (VII -XV siècles) fait l’objet de distorsions notables. Celles-ci ont été
produites principalement au siècle des Lumières, pour des raisons politiques aisées à
comprendre, et imprègnent encore largement les esprits aujourd’hui : à partir des
premiers siècles du Moyen Âge, l’humanité aurait perdu les savoirs antiques et ne les
aurait ressuscités qu’à la Renaissance, d’où le nom des deux périodes. Amnésie
collective, appauvrissement des esprits, déclin culturel ou effet du fanatisme chrétien…,
les causes invoquées sont rarement documentées et relèvent le plus souvent d’a priori
idéologiques. Nous faisons ici le choix d’essayer de traquer les savoirs réels, tels qu’ils
circulaient autour de la Méditerranée dès les premiers siècles de notre ère, en examinant
les manuels, les écrits qui firent école, les productions des centres intellectuels…, et en
rassemblant des indices permettant d’évaluer leur retentissement. À ceux qui persistent
dans l’idée qu’on pensait que la Terre était plate, nous demandons d’examiner
rigoureusement les données historiographiques pour identifier ce « on » et évaluer ce
qu’il signifie, intellectuellement, sur une période plus longue qu’un millénaire.

I. LES MANUELS D’ENSEIGNEMENT

Le terme « manuel » utilisé ici désigne un certain nombre d’ouvrages écrits par des
érudits et des pédagogues qui n’ont pas ou peu apporté de connaissances nouvelles,
mais ont compilé les savoirs de leur époque, souvent en vue de les diffuser auprès
d’étudiants. Certains de ces ouvrages ont eu un succès immense, et nous allons suivre
leur destinée, dans l’aire géographique du bassin méditerranéen, lieu d’échanges par
excellence.

e
Théon de Smyrne (II siècle)
Théon de Smyrne est l’auteur d’un ouvrage intitulé Les Savoirs mathématiques sont
nécessaires, traduit et commenté par Joëlle Delattre-Biencourt dans l’ouvrage Lire Platon.
Le recours au savoir scientifique : arithmétique, musique, astronomie. L’ouvrage de celui qui
enseignait sans doute à Smyrne (l’actuelle Izmir) commente les textes scientifiques de
Platon (extraits de La République, de l’Epinomis et du Timée), cinq ou six siècles après leur
production. Mais il commente aussi, ajoute J. Delattre-Biencourt, des citations d’auteurs
moins connus comme Thrasylle et Adraste, « un savant aristotélicien, qui vivait autour
de l’an 100 A.D. et dont Théon a contribué à faire connaître les thèses ». Théon cite aussi
Ératosthène, Hipparque, Dercyllide et Aristote. Ce qui amène J. Dellatre-Biencourt à
conclure que cet ouvrage est bien « un manuel de philosophie et de mathématiques, et il
1
nous est parvenu car il a été copié sur des manuscrits grecs à la fin du Moyen Âge ».
Théon était très au fait des débats qui avaient traversé les siècles antérieurs. Sa
démarche consistait à donner une vue d’ensemble des connaissances mathématiques et
e
astronomiques essentielles à l’homme cultivé du II siècle (c’est en ce sens qu’il nous
intéresse) : comme Cléomède, il participa au développement d’une littérature de
vulgarisation. Il était aussi mathématicien, d’inspiration pythagoricienne, et il proposa
une théorie des combinaisons des mouvements circulaires complexes.
Le chapitre de l’ouvrage de Théon consacré à l’astronomie et qui commente les écrits
d’Adraste (indiqués entre guillemets) commence ainsi :

« Le Monde dans sa totalité est sphérique, la Terre est son milieu, a la forme d’une sphère et a elle-même avec le
tout un rapport de centre par sa position, et de point par sa grandeur » : c’est ce qu’il est nécessaire de commencer
par établir avant tout le reste. […] Le Monde est sphérique, en effet, et la Terre est sphérique, « elle qui a elle-
même, avec le tout, un rapport de centre par sa position, et de point par sa grandeur » : cela est évident du fait que
« tous les levers des corps célestes, leurs couchers, leurs évolutions et à nouveau leurs levers se font aux mêmes
2
lieux pour les gens qui habitent la même région » .

D’autres observations, plus ou moins étayées, sont mentionnées comme preuves de


cette sphéricité : la durée variable du lever ou du coucher des astres selon la longitude,
la durée différente d’une éclipse de Lune selon le lieu d’observation, la visibilité des
constellations en fonction de la latitude. Des arguments physiques sont également
invoqués : les corps pesants sont « par nature au milieu du tout » et « les parties de la
terre […] sont également éloignées du milieu ». La figure de la Terre est donc une
sphère et il en est de même pour la mer qui la recouvre en grande partie :

Au cours d’une navigation, alors que du bateau on ne voit pas encore la terre ou un vaisseau qui s’avance, certains
qui sont grimpés en haut du mât les ont vus, parce qu’ils se trouvent en hauteur, et que, pour ainsi dire, ils
3
dominent la convexité de la mer qui fait obstacle aux regards .

Théon poursuit avec la démonstration de la nécessaire sphéricité de tout plan d’eau au


4
repos. Elle est inspirée d’un raisonnement que l’on trouvait déjà chez Aristote :

Par nature en effet, c’est toujours à partir de points hauts que l’eau découle vers les creux ; or ce qui est haut, ce
sont les points les plus éloignés du centre de la Terre, et ce qui est creux, ce sont les moins éloignés ; si bien que, si
nous supposons que la surface de l’eau est droite et plane, par exemple la ligne ABG, si ensuite à partir du centre
de la Terre, par exemple du point K, nous menons verticalement vers le milieu la droite KB, et si nous joignons les
extrémités de la surface par les droites KA, KG, il est évident que l’une et l’autre des droites KA, KG sont plus
grandes que la droite KB, et que l’un et l’autre des points A et G, qui sont plus éloignés du point K que ne l’est le
point B, seront aussi plus hauts que le point B. L’eau s’écoulera à partir des points A et G vers le point B plus
creux, simplement jusqu’à ce que B, se remplissant, sont éloignement du point K soit égal à celui de chacun des
points A et G ; et de la même façon, tous les points qui sont à la surface de l’eau ont un éloignement égal du point
5
K. Il est évident que celle-ci est sphérique .

Enfin, Théon discute longuement de la question des montagnes, dont l’altitude pourrait
mettre en cause la régularité de la sphère terrestre. Il compare cette altitude à la
circonférence du globe, qui est très voisine de 25 myriades et 2 000 stades comme
Ératosthène l’a montré. Même en prenant le résultat très inférieur d’Archimède
(8 myriades et 182 stades), la dénivellation des montagnes les plus hautes n’est que
d’une dizaine de stades. Ainsi, « la hauteur de la plus grande montagne est voisine de la
6
huit millième partie du diamètre total de la Terre » et donc de taille négligeable vis-à-
vis de celui-ci, dirait-on aujourd’hui. Non seulement la connaissance de la forme de
notre globe ne fait pas de doute, mais les ordres de grandeur de cette taille et de celle de
ses détails sont connus.
Le manuel de Théon n’a pas été diffusé en tant que tel dans le monde latin.
Cependant les thèses qu’il contient ont été traduites du grec au latin et recopiées
e
presque en intégralité par Chalcidius, un philosophe platonicien chrétien du IV siècle.
Ce dernier a intégré – sans mentionner cet emprunt – la plus grande partie de
l’astronomie de Théon dans son Commentaire sur le Timée. Le Moyen Âge n’a eu pendant
de longs siècles que ce seul commentaire comme moyen d’accès à la cosmologie de
Platon ; il contenait la traduction d’une partie du Timée, à laquelle étaient associés des
développements astronomiques qui semblaient être ceux de Chalcidius lui-même, alors
7
qu’ils provenaient du traité de Théon de Smyrne .

e
Macrobe (IV siècle)

Un autre philosophe a transmis au monde latin de nombreux extraits du Timée. Il


s’agit de Macrobe, né vers 370 à Sicca en Numidie (Afrique du Nord). Son œuvre, écrite
en latin et d’inspiration néoplatonicienne, fut lue pendant tout le Moyen Âge (on en
connaît deux cents manuscrits conservés). Le Commentaire au Songe de Scipion est une
glose à propos d’un passage du livre VI du De re publica dans lequel Cicéron narre le
« songe de Scipion ». Le Commentaire est l’occasion d’exposer, dans le livre I, la
mécanique du cosmos telle que Macrobe l’a comprise, en rapportant plus ou moins
fidèlement les thèses des savants de l’Antiquité. L’ouvrage expose, sur le ton d’un
manuel, un certain nombre de définitions astronomiques. Celle du méridien ne laisse
planer aucun doute :

Le méridien est en effet le cercle déterminé par le Soleil lorsqu’il est parvenu à l’aplomb de la tête des hommes et
marque exactement la moitié du jour. Et comme la sphéricité de la Terre empêche que les lieux d’habitation de
tous les hommes soient sur le même plan, ce n’est pas la même région du ciel qui se trouve à l’aplomb de tous ;
aussi ne pourra-t-il y avoir de méridien unique pour tous : chaque peuple détermine au-dessus de la tête son
8
propre méridien .

La sphéricité de la Terre est confirmée par des observations comme celles des éclipses
de Lune. Macrobe connaît les mesures « absolument sûres et indubitables » de la
9
circonférence terrestre qui évaluent cette dernière à 250 000 stades . Pour en déduire le
diamètre de la Terre, il enjoint à son lecteur d’utiliser la méthode exposée
précédemment, permettant de calculer un diamètre en divisant la circonférence par
« trois avec addition d’un septième, règle que j’ai mentionnée plus haut à propos du
10
diamètre et de la circonférence ». Cette démarche très scolaire caractérise le Livre I,
qui comporte de nombreuses illustrations dans les manuscrits médiévaux qui nous sont
parvenus.
Certaines représentent le globe terrestre divisé en cinq zones, selon une conception
e
antique qui remonte, selon les sources, à Parménide au V siècle av. J.-C. ou à Cratès de
e 11
Milos au II siècle av. J.-C. Le globe est partagé en deux zones dites gelées aux deux
pôles, et deux zones tempérées séparées par une zone dite torride au centre. Duhem cite
des passages de cette théorie des cinq zones, exposée dans le livre II du Commentaire.
Entre les deux calottes polaires et la zone torride se trouvent deux régions « tempérées
par les deux climats extrêmes auxquels chacune d’elles confine ». Il y a, en somme,
quatre « taches » habitables, donc trois autres zones qui ont le même climat que notre
partie habitée par les « Romains, Grecs et Barbares de toutes nations », puisque pour
Macrobe, l’océan qui ceinture la Terre en passant par les pôles partage chacune des
zones habitables en deux. Il n’y a donc pas « un seul genre humain distinct du nôtre ; il
12
y a plusieurs genres séparés les uns des autres » .

Les cinq zones climatiques selon


13
Macrobe

Ce modèle – différent de celui de Ptolémée qui n’envisageait qu’une seule « île » sur
la sphère – est une conséquence logique de l’astronomie et de la géographie grecques,
puisqu’il se base sur la symétrie du globe et l’équivalence en matière de climat, – un
terme qui signifie, en grec, inclinaison des rayons du Soleil. Dans les premiers ouvrages
e
imprimés à partir du XV siècle, on trouve une autre représentation des cinq zones
14
climatiques .
L’ouvrage de Macrobe a été souvent étudié en même temps que le Commentaire du
Timée de Chalcidius dans les monastères. Gerbert d’Aurillac, par exemple, le pape
e
savant Sylvestre II du X siècle, mentionne les deux dans ses ouvrages. De nombreuses
études scientifiques actuelles ont documenté la réception de ces deux titres dans les
écoles du Moyen Âge (voir la bibliographie).

e
Martianus Capella (V siècle)

Les Noces de Philologie et de Mercure sont une œuvre importante dans l’histoire de la
circulation des savoirs autour de la Méditerranée du monde tardo-antique. Écrite en
latin, par un Carthaginois, Martianus Capella, cette encyclopédie allégorique en neuf
livres servit en effet de manuel de référence pendant une durée exceptionnelle :
pratiquement un millénaire.
Nous n’avons pas accès au texte du livre VIII dans lequel l’auteur fait parler un
personnage allégorique nommé Astronomie. Seuls les livres I, IV, VI, VII, IX ont été édités
et traduits (aux Belles Lettres). André Lebœuffle qui a lu pour nous ce manuscrit, le
résume ainsi :

Donc Martianus Capella nous enseigne (§ 814-816) que le Monde sublunaire, constitué des quatre éléments, est
sphérique ; en son centre le globe de la Terre est immobile. Dans l’éther circulent les astres, c’est-à-dire les sept
planètes et la sphère des étoiles, elle-même enveloppée d’une neuvième sphère, anastre, qui assure la cohésion de
15
l’univers .

Martianus Capella expose ensuite plusieurs conceptions du cosmos héritées de


l’Antiquité : le monde géocentrique de Ptolémée bien sûr, mais aussi le système mixte
e
imaginé par Héraclide du Pont (IV siècle av. J.-C.), dans lequel le Soleil est animé d’un
mouvement annuel autour de la Terre, tandis que Mercure et Vénus ont un mouvement
différent. Ces deux planètes, écrit Martianus, « tournent autour du Soleil, tandis que
16
celui-ci et les autres planètes tourneraient autour de la Terre ».
Le retentissement de l’œuvre se mesure à cette remarque de Copernic, onze siècles
plus tard, dans son De revolutionibus orbium cœlestium (1543), à propos des orbites de
Vénus et Mercure :

C’est pourquoi, il ne faut, selon moi, nullement mépriser ce que Martianus Capella, auteur d’une encyclopédie, et
quelques autres [auteurs] latins ont fort bien connu. Ils estiment, en effet, que Vénus et Mercure tournent autour
17
du Soleil qui est leur centre .

Cet ouvrage transmit donc sur une longue durée les thèses cosmographiques du
monde grec, auxquelles Martianus ajoute, comme Macrobe, celle des quatre zones
possiblement habitées, soit deux zones tempérées de part et d’autre de la zone torride :
l’une connaît l’hiver pendant que l’autre connaît l’été. Et de l’autre côté de la Terre, celui
qui connaît le jour quand nous nous connaissons la nuit, il y en a encore deux.
La postérité de ce texte, dont deux cent vingt-quatre manuscrits sont parvenus
jusqu’à nous, est parlante. Dès 534, une recension avec correction est faite à Rome par
18
Securus Melior Felix . L’ouvrage est cité par des auteurs de l’Antiquité tardive comme
Fulgence dans son Expositio sermonum antiquorum ; il est aussi cité par Grégoire de Tours
e
(évêque du VI siècle) qui disposait peut-être d’une version expurgée des deux premiers
19
livres, emplis de mythologie païenne . Cassiodore, fondateur du monastère du
Vivarium en Calabre, écrit entre 560 et 580 ses Institutions des lettres divines et séculières
pour guider la lecture des moines. Il y cite Les Noces et affirme que le titre initial de
l’ouvrage de Martianus était « les sept enseignements ». Le titre de l’ouvrage repose en
effet sur une métaphore exposée à la fin du deuxième livre : Mercure offre sept cadeaux
de noces à Philologie : grammaire, dialectique, rhétorique (qui forment le trivium),
géométrie, arithmétique, astronomie, harmonie (qui forment le quadrivium). L’ouvrage a
ainsi popularisé l’organisation des savoirs en sept arts libéraux, qui remonte à
e
Porphyre. C’est au milieu du IX siècle que le texte de Martianus se diffuse largement
dans les milieux intellectuels carolingiens, notamment sous l’influence de
commentateurs comme Jean Scot Érigène. Il a été un objet d’études courant chez les
scolastiques.

De Smyrne à Carthage en passant par l’Afrique, nous voyons se transmettre, sous des
formes diverses, l’enseignement de l’astronomie élaborée dans le monde grec. Ces
premiers siècles de notre ère sont aussi ceux pendant lesquels se développent, avec la
chrétienté, d’autres institutions de savoir. Les trois ouvrages que nous venons
d’évoquer – celui de Théon associé au Timée de Platon dans le Commentaire de
Chalcidius, le Commentaire du Songe de Scipion de Macrobe et Les Noces de Martianus
Capella – sont devenus des références pour les écoles des monastères et les écoles
cathédrales. Des ouvrages comme L’Histoire naturelle de Pline l’Ancien ont par ailleurs
également contribué à cette transmission. Écrite en latin au premier siècle de notre ère,
elle présente une version vulgarisée – et approximative – de ces connaissances.
L’ouvrage affirme, à propos de la figure de la Terre : « le consentement unanime en
20
décide ; nous disons le globe de la Terre ».
Les écoles religieuses ont par la suite diffusé la représentation d’un Monde centré sur
une Terre immobile et sphérique qui, sur le plan astronomique, ne soulève pas de
remise en cause fondamentale sauf sur un point : la possibilité évoquée par Macrobe et
Martianus Capella qu’il y ait non pas une, mais quatre îles habitées sur la Terre. Dès
l’époque de Pline, cette idée semble soulever des résistances ou du moins, comme il le
dit lui-même, « un grand débat entre la science et le vulgaire » : « La science prétend
que les hommes sont répandus sur le pourtour de la Terre, qu’ils ont les pieds à
21
l’opposite les uns des autres, que partout le ciel est également sur leurs têtes ». Cette
idée difficile à admettre pour le vulgaire prit ensuite une dimension nouvelle dans les
premiers écrits chrétiens. Elle soulève en effet la question de la Révélation, à laquelle
trois peuples sur Terre auraient échappé.

II. LES ÉGLISES CHRÉTIENNES ET LA SPHÉRICITÉ DE LA TERRE

Nous abordons, avec les Pères de l’Église, la charnière, voire le nœud gordien de la
controverse évoquée au début de notre ouvrage. Les Pères rédigèrent pendant les
premiers siècles de notre ère l’essentiel de la première littérature chrétienne ; celle-ci a
orienté l’exégèse biblique, y compris les versets à caractère cosmologique intéressant
notre étude.

Le cas Lactance

L’idée d’un oubli de la sphéricité imputable au christianisme est souvent appuyée par
e
ses défenseurs sur une citation de Lactance, un rhéteur du III-IV siècle († 325). Ce texte
conteste en effet violemment l’existence des antipodes et donc la sphéricité de la Terre.
e
Il est extrait de ses Institutions divines et fut souvent cité, à partir de la fin du XVIII siècle,
comme emblématique de la pensée diffusée par l’Église. Dans le livre III intitulé « De la
fausse sagesse des philosophes », Lactance prend la défense de ceux qui « respectent les
mystères » contre ceux qui ont entrepris de « pénétrer par la lumière de leur esprit les
secrets de la nature », les philosophes en général et Platon en particulier. Il écrit, aux
alentours de 305 ap. J.-C. :

Ceux qui tiennent qu’il y a des antipodes, tiennent-ils un sentiment raisonnable ? Y a-t-il quelqu’un assez
extravagant pour se persuader qu’il y ait des hommes qui aient les pieds en haut et la tête en bas ; que tout ce qui
est couché en ce pays-ci, soit suspendu en celui-là ; que les herbes et les arbres y croissent en descendant, et que la
pluie et la grêle y tombent en montant ? Faut-il s’étonner que l’on ait mis les jardins suspendus de Babylone au
nombre des merveilles de la nature, puisque les philosophes suspendent aussi des mers, des villes et des
22
montagnes ?

Son hostilité à l’idée des antipodes est incontestable. Il réagit peut-être ici aux écrits de
Lucrèce († 55 av. J.-C.) qui, dans son De natura rerum écrivait « en dessous de nous, les
23
animaux se promènent la tête en bas ». Mais Lactance n’est ni un philosophe, ni un
savant, et il n’a pas de légitimité à enseigner la cosmologie. De fait, sa prise de position
contre les antipodes – dont l’argumentation est tout à fait inepte même pour l’époque –
est restée isolée au sein de l’Église romaine. Lactance s’est converti au christianisme
sous le règne de Dioclétien ; il doit sa postérité à la somme théologique que sont les
Institutions, rédigées en latin à la cour de Constantin. Il est considéré comme une
autorité religieuse par Augustin et Jérôme, mais pas comme une autorité scientifique, et
e
une décrétale du pape Gélase datant du VI siècle estime en outre que les écrits de
Lactance sont apocryphes et n’ont pas à être reçus par l’Église. Le titre de Père de
l’Église ne lui est attribué que de façon très tardive, en 1770. À la Renaissance, son
œuvre fut une des plus fréquemment imprimées et l’élégance de sa prose lui valut le
surnom de « Cicéron chrétien » par Pic de La Mirandole, mais cela ne lui donne pas
plus qu’à Homère de légitimité scientifique aux yeux des lecteurs. Ce sont, nous le
e e
verrons, les auteurs des XVIII et XIX siècles qui ont, à la suite de Voltaire, érigé la prose
de Lactance en emblème de la littérature patristique. Ils y ont associé par amalgame les
écrits des autres Pères de l’Église, supposés prêcher la forme plate de la Terre. Voyons
de plus près ce qu’il en est.

Les tenants de la sphéricité

Un des premiers Pères, et celui qui est considéré comme l’initiateur de l’exégèse
biblique, est le grec Origène († 253). Il avait quitté sa ville de naissance, Alexandrie,
pour fonder à Césarée, en Palestine, une école (et une bibliothèque) où il enseignait la
philosophie, l’astronomie et la théologie. Il bénéficia très probablement de l’excellence
des enseignements alexandrins en matière d’astronomie. Dans son De principiis, il
commente Clément de Rome (pape entre 89 et 97) et son affirmation de l’existence
« d’antichtoniens » (ou antipodiens) vivant de l’autre côté de la Terre, mais que l’on ne
24
pourra jamais atteindre puisque l’Océan est réputé infranchissable . Origène fait sienne
cette possibilité des antipodes et admet ainsi la sphéricité sans la moindre restriction.
Bien que quelques fragments à peine de son commentaire sur la Genèse aient survécu,
on sait que l’auteur s’y montrait « exactement informé des doctrines élaborées par les
25
astronomes de son temps ».
Au siècle suivant, deux Pères originaires de Cappadoce sont particulièrement
célèbres : Basile de Césarée († 379) et Grégoire, évêque de Nysse († c. 395). Dans son
Hexameron (le commentaire des six jours de la Création), Basile intègre la physique
aristotélicienne au commentaire de la Genèse afin d’expliquer pourquoi la Terre est
immobile et se trouve au centre du monde. La lecture de ses Homélies sur la Genèse
montre qu’il a une connaissance précise du traité aristotélicien Du ciel. S’il ne dit pas
explicitement que la Terre est sphérique, il ne dit en aucune façon qu’elle est plate (ce
que ne dit d’ailleurs pas la Bible), le concept de Terre plate n’existant tout simplement
pas dans les sources scientifiques qu’il utilise. En revanche, on retrouve exposée très
précisément la théorie aristotélicienne des graves et l’idée d’équidistance par rapport à
26
la périphérie circulaire (le ciel est une « voûte », sans discussion possible ), deux
données qui impliquent la sphéricité terrestre. Comme chez Augustin après lui, le
savoir des philosophes est à la fois exposé clairement et considéré comme non
nécessaire ; si condamnation il y a, elle porte sur l’excès de curiosité manifesté par les
savants, pas sur le contenu des théories :

Cette place médiane, la Terre ne la tiendrait ni du hasard ni de son propre mouvement : ce serait sa position
naturelle et nécessaire. Car, le corps céleste occupant l’extrémité supérieure de l’espace, les masses que, d’après ces
dires, nous supposerons tomber d’en haut, convergeront de toutes parts au centre. Et le point où se porteront les
parties, sera évidemment celui où le tout se rassemblera. Si donc les pierres, les morceaux de bois et tous les corps
terrestres se portent vers le bas, telle serait aussi la position propre et convenable de toute la Terre ; si au contraire
un corps léger est emporté loin du centre, il est clair que son mouvement l’entraînera vers les lieux les plus élevés.
Ainsi la tendance propre des corps les plus lourds est-elle vers le bas, or le bas, la raison montre que c’est le centre
27
de l’espace .

Quant à son frère Grégoire, on sait par Jean Scot Érigène († c. 870) qu’il défendait la
28
même cosmographie que Platon .
Contrairement à ce qui a pu être dit, les Pères avaient une bonne connaissance des
théories païennes ; Sylvain Giet, traducteur moderne de Basile, pense en outre que « si
Basile a utilisé des manuels, il n’en a pas moins quelques connaissances directes des
29
œuvres originales qui s’y trouvent résumées ». L’Hexaméron de Basile, qui fut ensuite
beaucoup lu et traduit en langue vulgaire à la Renaissance, illustrait ainsi déjà la
compatibilité de l’astronomie et de la physique grecque païenne avec la cosmologie
chrétienne. Significativement, pour un médiéviste comme Bernard Ribémont, qui les
examine « depuis » la période médiévale et à la lumière de leur postérité, « les
commentaires sur l’œuvre des six jours, […] en particulier ceux de Basile et d’Ambroise,
possèdent une dimension de libri de natura rerum, ce qui les rend assez proches de
30
l’encyclopédie ».
De l’autre côté de la Méditerranée, on observe la même approche chez Ambroise
(† 397), évêque de Milan. Celui-ci conteste dans son propre Hexaméron – et en utilisant la
théorie des quatre éléments – que la Terre puisse tenir sur l’eau puisqu’elle est plus
lourde. Il sous-entend ici qu’on ne peut se contenter d’une approche littéraliste du
verset : « C’est Lui-même qui l’a fondée sur les mers, et qui l’a disposée sur les
31
fleuves ». Ambroise propose de s’en tenir à ce qu’a dit Job dans un autre verset : « Il a
32
suspendu la Terre sur rien ». D’autre part, la Terre est au centre de l’Univers, mais
33
lorsque les Écritures affirment « moi, j’ai affermi ses colonnes », il ne faut pas
s’imaginer, écrit l’évêque, que « la Terre a vraiment été appuyée sur des colonnes, mais
34
sur cette force qui étaye et soutient la substance de la terre ». Ambroise propose donc
35
une exégèse qui ne prend pas les métaphores de la Bible au pied de la lettre .
En Afrique, Augustin, évêque d’Hippone († 430), a joué un grand rôle dans
l’organisation d’un enseignement chrétien intégrant les sept arts libéraux, ensuite
e
diffusé dans les écoles cathédrales à partir du VI siècle. Dans La Cité de Dieu, il a écrit à
propos des antipodes un passage souvent cité à charge :

Quant aux légendes concernant les antipodes, c’est-à-dire les hommes foulant la partie opposée de la Terre, où le
soleil se lève quand il se couche pour nous, et plaçant leurs pieds face aux nôtres, il n’y a aucune raison de les
36
croire. Cette affirmation n’a aucune base historique, c’est un raisonnement fondé sur une conjecture .

Ce refus de l’existence d’êtres humains habitants aux antipodes n’a rien à voir avec une
position cosmographique. Augustin conteste essentiellement que cette zone puisse être
habitée, non qu’elle existe :

La Terre, raconte-t-on, est suspendue à l’intérieur de la voûte céleste et le monde a le même lieu pour le centre et le
bas ; d’où la conclusion selon laquelle la partie de la Terre au-dessous de nous est certainement habitée par des
hommes. Mais, à supposer que le monde eût une forme sphérique et ronde, même si l’on parvenait à le démontrer
de façon quelconque, cependant il ne s’en suivrait pas que, dans cette partie, la terre surgisse à sec de la masse des
37
eaux ; et même si elle était à sec, il ne serait pas nécessaire qu’elle soit habitée .

La Terre est sans doute sphérique, et il y a peut-être des terres émergées de l’autre côté
du globe, mais l’évêque d’Hippone n’admet pas l’idée que des êtres humains aient pu
échapper à la Révélation. Ou alors il faudrait imaginer que « certains hommes aient pu
passer en naviguant de cette partie du monde dans l’autre à travers l’immensité de
l’Océan ». Même dans ce cas, « le genre humain de cette région aurait pour origine le
premier homme ». Augustin n’a donc jamais réfuté l’idée de sphéricité et il écrit ailleurs,
à propos de la vertu divine, qu’elle est « la cause de la rondeur de la Terre et du
38
Soleil » . Il traite ici de théologie chrétienne et du fait que le Christ soit venu sauver
tous les descendants d’Adam. Notons que ce point n’avait posé aucun problème à
Origène pour qui les antipodiens sont « gouvernés par les mêmes dispositions du Dieu
39
souverain ».
Ajoutons enfin que, lorsqu’on examine les choix scientifiques faits par les Pères, il
faut prendre en compte l’ensemble de leur démarche. Or les positions d’Augustin, en
particulier dans De la doctrine chrétienne, sont claires : la foi ne doit pas s’édifier sur les
ruines de la raison ou de la science, mais ces dernières ne doivent pas non plus être
livrées à elles-mêmes. Comme le rappellent Paul Agaësse et Aimé Solignac, traducteurs
de La Genèse au sens littéral : « Augustin est en effet soucieux de ne pas compromettre
l’accès des savants non croyants à la foi chrétienne en leur présentant comme données
40
de foi des interprétations contraires à la science ». Ainsi, l’objet des recherches de
l’astronomie est-il parfois soigneusement décrit, même si c’est pour en montrer la
vanité, non que les conclusions des savants soient fausses (Augustin laisse parfois
transparaître son admiration devant les résultats obtenus), mais elles ne sont, pour lui,
pas toujours nécessaires au chrétien. C’est la « vanité » de la curiosité scientifique qui
peut être contestée par le chrétien, tandis que le détail des connaissances laisse malgré
tout l’Augustin cultivé rêveur :

Leur curieuse et vaine science les [rend] capables de compter les étoiles et les grains de sables, de mesurer les
vastes régions du ciel et de découvrir les routes des planètes et des astres […] ; ils prédisent plusieurs années
auparavant les éclipses du Soleil et de la Lune ; ils en marquent le jour, l’heure et la grandeur, et les effets suivent
leurs prédictions : ils en ont même écrit des règles qui se lisent encore aujourd’hui […] et ce qu’on a prévu arrive
41
toujours .

L’Église d’Antioche

Lactance est le seul parmi les Pères de l’Église de l’Occident latin à avoir contesté la
sphéricité. D’autres hommes d’Église, en Orient, ont cependant défendu, au nom des
Écritures et à l’inverse d’Origène, Basile ou Ambroise, une position hostile à celle des
astronomes.
Jean Chrysostome († 407), évêque d’Antioche puis archevêque de Constantinople, est
l’auteur d’une littérature liturgique immense. Parmi les centaines d’homélies, sermons
et discours conservés, l’histoire a retenu, grâce à Voltaire, la quatorzième homélie qui
porte sur la lettre de saint Paul aux Hébreux. Le thème en est la place de Jésus-Christ à
« la droite du trône de notre souveraine Majesté », ce qui n’est pas tout à fait une
question d’astronomie. Néanmoins Jean s’écrie dans ce texte : « Où sont maintenant
ceux qui affirment le mouvement du ciel ? Où sont ceux qui disent que sa forme est
sphérique ? » Il met clairement en cause l’existence de cercles concentriques portant les
astres et tournant autour d’une Terre sphérique et veut lui substituer une représentation
en forme de « tabernacle » dont le ministre est Jésus-Christ. Il s’agit d’une lecture
littéraliste du livre de l’Exode (40, 1-20) et de l’épître aux Hébreux dans lesquels est
décrit le tabernacle juif, un édifice dont la partie inférieure représente symboliquement
la Terre et que nous allons détailler plus loin.
D’autres figures de cette Église antiochienne ont soutenu une telle lecture : Diodore
de Tarse le fondateur († 390), Théodore de Mopsueste († 428) son élève, tout comme
Jean Chrysostome, Sévérien de Gabala († 408), Théodoret de Cyr († 457) et Procope de
Gaza († 528). Ce dernier, par exemple, affirme dans son commentaire de la Genèse qu’il
« n’y a aucune contre-terre habitée » pour une raison analogue à celle avancée par
42
Augustin : « le Christ aurait été présent là aussi » . Il défend en outre une
représentation de la Terre appuyée sur les eaux, reprenant à la lettre des extraits de
43
psaumes comme ce passage qui évoque « Celui qui a affermi la terre sur l’eau ». Enfin
on évoque souvent la réfutation de la sphéricité qui se trouve dans l’ouvrage Réponses
aux orthodoxes faussement attribué à Justin le Martyr, mais il s’agit d’un autre Justin, lui
aussi membre de l’Église d’Antioche. Seul Jean Chrysostome fut admis par Rome au
rang de Père de l’Église.
Les thèses défendues par cette Église, à la différence de celles des deux Pères grecs,
sont bien en faveur d’une Terre non sphérique, mais elles n’ont pratiquement pas été
diffusées en Occident, d’une part parce qu’elles étaient écrites en grec, et de l’autre
précisément parce que les positions théologiques de leurs auteurs ont été condamnées
pour leur inspiration nestorienne par les conciles d’Éphèse (431) et de Constantinople
(553). On en trouve une reprise tout à fait isolée au Moyen Âge, chez Theophylacte,
archevêque de Bulgarie (1088/89-1126), dont le commentaire de l’épître aux Hébreux,
d’inspiration antiochienne, reprend celui de Jean Chrysostome contre la sphéricité et
44
affirme que la Terre est « en forme de rideau ». Ces thèses antiochiennes doivent une
part de leur célébrité actuelle au philosophe chrétien Jean Philopon († 580), qui
e
professait à l’école d’Alexandrie au VI siècle et les a combattues dans un ouvrage qui
entreprend de réconcilier la religion chrétienne et la philosophie classique (La Création
du Monde, voir infra). Mais l’œuvre de Jean Philopon n’a pas non plus été transmise au
Moyen Âge latin, en raison d’un anathème prononcé contre lui en 680 par les autorités
45
chrétiennes pour cause de monophysisme .
Un autre ouvrage très souvent mis en avant pour apporter la preuve de doctrines
chrétiennes allant contre la sphéricité est celui de Cosmas Indicopleustès, un chrétien –
46
nestorien lui aussi – dont il n’est même pas sûr qu’il ait été moine à la fin de sa vie
(c’est d’abord un marchand). Il s’inspirait des thèses de Théodore de Mopsueste.
Signalons immédiatement, avant d’aller plus loin, que la première traduction latine de
Cosmas date de 1707 (voir infra). L’ouvrage a pour titre la Topographie chrétienne : il
consiste en une violente diatribe contre les systèmes païens et ceux des « chrétiens
d’apparence » qui défendent les thèses cosmographiques des savants grecs :

Il existe des chrétiens d’apparence qui, sans tenir compte de la divine Écriture qu’ils dédaignent et méprisent à la
manière des philosophes du dehors, supposent que la forme du Ciel est sphérique, induits en erreur par les
47
éclipses du Soleil et de la Lune .

L’argument des éclipses est rejeté, sans plus d’analyses, parce qu’il est utilisé pour
démontrer la sphéricité de la Terre, associée à celle du Ciel. La seule représentation du
Monde conciliable avec les Écritures est, pour Cosmas, celle que rapporte Moïse en
descendant du Sinaï, après avoir vu l’Arche d’Alliance. Le tabernacle qu’il décrit alors
est réellement, selon lui, une « copie de l’Univers » composé de deux étages : un espace
inférieur où nous vivons et un espace supérieur qui est le Paradis. Il est séparé en deux
par un voile (le ciel). Le tabernacle est de forme rectangulaire : les côtés sud et nord, sur
lesquels le ciel s’arrondit en forme de voûte, étant plus longs que les côtés est et ouest.
L’auteur rejette bien sûr l’organisation du monde en sphères concentriques ainsi que la
hiérarchie des éléments qui lui est associée. Il n’est pas question non plus d’admettre,
comme les philosophes, l’existence d’antipodes qu’il assimile à des contes de vieille
femme :

Si l’on voulait examiner plus à fond la question des antipodes, on dévoilerait facilement les contes de vieilles
femmes débités par ces gens. Supposons que les pieds d’un homme soient opposés aux pieds d’un autre homme et
que ces pieds les soutiennent tous deux sur terre, dans l’eau, dans l’air, dans le feu, ou dans la matière qu’on
48
voudra, comment ces hommes sont-ils debout tous les deux ?

La Terre selon Cosmas est donc plate comme le fond du tabernacle et suspendue dans
l’espace par la puissance de Dieu. Le Soleil semble se coucher à l’Ouest mais il ne fait
pas pour autant le tour de la Terre. Il passe derrière une haute montagne située au Nord
et c’est ainsi que se produit la nuit.
Or, contrairement à ce qu’affirment aujourd’hui encore des auteurs pourtant sérieux,
cette œuvre n’a rien d’une doctrine officielle de l’Église, d’autant que Cosmas fut
condamné lui aussi comme nestorien et que son texte ne fut pas transmis au Moyen Âge
occidental. La lecture des Écritures qui caractérise l’Église d’Antioche – qui n’est elle-
même qu’une petite partie de l’Église d’Orient – est loin de faire l’unanimité. Jean
Philopon montre dans La Création du Monde comment l’approche littéraliste du texte
biblique par Theodore de Mopsueste était combattue par son contemporain Basile de
Césarée. À l’aide d’une démonstration très aristotélicienne, il défend l’idée que Moïse
pensait déjà la Terre sphérique, tout comme Isaïe (qui la compare à un cercle) et Job (qui
49
la suspend dans le vide) . Il affirme même que Ptolémée et Hipparque se sont inspirés
de Moïse. Il invite « ceux qui ont inventé des fables déplacées » pour s’opposer à la
sphéricité du ciel et du monde à relire Basile de Césarée, Grégoire de Nysse, Grégoire
de Nazianze, Athanase (tous les quatre Pères de l’Église) et « de nombreux didascales de
50
l’Église » – autant d’autorités chrétiennes qui ont défendu le contraire .
L’Église d’Orient, nous le disions, ne se résume pas au courant nestorien. Deux
évêques astronomes et géographes ont contribué à transmettre et enrichir les
connaissances grecques : Sévère Sebokht († 667), évêque de Qinnasrin en Syrie, et
Jacques d’Édesse († 708), évêque de la ville éponyme au sud-est de la Turquie actuelle.
Tous deux écrivent en langue syriaque. Ils ont transmis des pans entiers de la Géographie
de Ptolémée et, bien évidemment, la thèse de la sphéricité de la Terre. Olivier Defaux
qui a étudié ces textes relève que Sévère reprend de nombreuses données des Tables
faciles et de l’Almageste dans son Traité des constellations où il cite la mesure de la
circonférence terrestre d’Ératosthène, tandis que Jacques d’Édesse mentionne dans son
Hexaméron les dimensions de l’œkoumène de Ptolémée, et les noms et coordonnées de
51
nombreux lieux identiques à ceux décrits par le géographe grec .

III. DE L’ANTIQUITÉ TARDIVE AU MOYEN ÂGE : LES DÉVELOPPEMENTS DE LA SCIENCE ARABE

e
À partir du VIII siècle, un nouvel essor intellectuel prend naissance dans la partie
orientale de la Méditerranée. Les développements géographiques, astronomiques et
cosmographiques élaborés dans le monde arabe médiéval intéressent notre étude à plus
d’un titre : ils nous renseignent sur l’héritage grec et syriaque des savants arabes et sur
e e
les thèses nouvelles élaborées dans cette civilisation entre le VIII et le XIV siècle. Dans
une large mesure, enfin, ils nous informent sur les savoirs qui seront ensuite transmis
e e
au monde latin grâce aux traductions arabo-latines du XII et XIII siècle.
Les deux premiers siècles de l’ère abbasside, depuis la fondation de Bagdad en 750
e
jusqu’à la fin du X siècle, ont été marqués par un important mouvement de traduction.
Ce phénomène a commencé sous le règne d’al-Manṣūr (754-775), mais le nom du calife
al-Ma’mūn (813-833) y reste attaché. La célèbre Maison de la Sagesse est souvent
présentée comme le symbole de cette époque, même si sa fonction de « bibliothèque
nationale » centralisatrice de manuscrits précède largement le règne d’al-Ma’mūn,
comme le relève Dimitri Gutas, spécialiste de cette question. Une activité de traduction
existait avant l’ère musulmane – du grec au syriaque –, impulsé notamment par Sergius
e
de Reshaynā au début du VI siècle. Il est sûr qu’un mouvement de traduction d’une
e e
grande ampleur apparaît au IX siècle et dure jusqu’au XI , du grec à l’arabe ou du
syriaque à l’arabe, un mouvement dans lequel s’est impliqué l’ensemble de l’élite de la
société abbasside (califes, princes, mais aussi fonctionnaires, chefs militaires,
52
marchands, banquiers, professeurs et savants) .
Les ouvrages de la science classique ont été abondamment traduits, la civilisation
arabe se considérant comme dépositaire de cet héritage. La Physique d’Aristote a été
traduite par le chrétien Isḥāq b. Ḥunayn († 910) et le seul manuscrit qui nous en soit
parvenu contient de très nombreux commentaires des philosophes de l’Antiquité
tardive (Alexandre d’Aphrodise, Jean Philopon) et des premiers commentateurs arabes.
L’œuvre de Platon a été moins traduite en arabe et les manuscrits ne nous en sont pas
parvenus, mais nous savons par les biographes arabes que le Timée a été traduit et les
opinions de Platon sont fréquemment rapportées dans les commentaires ultérieurs. Les
philosophes de la nature des différentes contrées de l’Empire ont repris, commenté,
critiqué le corpus de cette science dite arabo-musulmane, puisqu’elle s’écrit
majoritairement en langue arabe et dans un monde de religion majoritaire musulmane.
e
Pour autant, ses auteurs sont de religions et langues diverses. Citons Al-Fārābī au IX -
e e e
X siècle et Ibn Sīnā (Avicenne) au X -XI siècle, deux savants musulmans s’exprimant à
la fois en arabe et en persan ; le médecin de Bagdad Abū al-Barakāt et le philosophe
Maïmonide originaire de Cordoue, vivant en Égypte, tous deux s’exprimant en arabe et
en hébreu ; le philosophe arabe et musulman Ibn Rushd (Averroès) vivant en
e
Andalousie au XII siècle. Ces philosophes ont adopté unanimement le concept d’une
Terre sphérique et immobile, centre du Monde autour de laquelle tournent les sphères
portant la Lune, le Soleil et les autres planètes. Ils ont aussi repris la hiérarchie des
éléments qui décrit l’ordonnancement vertical des choses.
Le Traité du ciel d’Avicenne († 1037), qui est la deuxième partie de son célèbre Livre de
e
la guérison, expose les thèses qui ont été débattues depuis l’Antiquité jusqu’au XI siècle.
Le médecin-philosophe y défend les arguments aristotéliciens énoncés plus haut. Le
chapitre 3 décrit les différents corps célestes et leurs mouvements, puis la Terre et les
éléments qui la composent. Il cherche à expliquer pourquoi une partie des terres
« présente ce relief qui rend le terrain inégal », autrement dit émerge. L’explication,
comme chez Aristote, est conçue en termes de sécheresse, car une terre humide
« devrait conserver sa forme naturelle sphérique ». Pour en faire la démonstration,
Avicenne mentionne lui aussi, l’observation des marins :

Si la surface de l’eau n’était pas sphérique, les navires seraient vus dans leur ensemble lorsqu’on les observe de
loin, tout en les voyant plus petits, mais on ne verrait pas d’abord une partie sans voir une autre. Cela ne se passe
53
pas comme ça. On voit d’abord le haut du gouvernail, puis apparaît le bateau .

Il propose également une autre démonstration, plus géométrique, de la sphéricité. Elle


ressemble à celle que nous avons lue sous la plume de Théon de Smyrne :

Si l’eau était une surface plane, sa partie centrale serait plus proche du centre [de la Terre] vers lequel elle se met
en mouvement par nature, que les deux parties extrêmes. Ces deux parties extrêmes devraient incliner vers ce
centre pour y parvenir, comme nous l’avons dit, ou plutôt pour être toutes les deux dans un rapport similaire, déjà
mentionné, à ce centre. […] Ainsi l’intervalle entre la surface et le centre est un intervalle unique et [cette surface]
54
est sphérique .

Avicenne est préoccupé par la recherche de la cause profonde de l’immobilité de la


Terre, qui ne peut être contrainte par l’air ou les astres qui l’entourent. Le lieu de la
Terre est, par nature, le centre du Monde parce qu’il est le lieu où s’immobilisent tous
55
les corps graves .
Avicenne ne formule pas ici d’hypothèses cosmographiques nouvelles : c’est son rôle
de passeur qui nous intéresse, car le Livre de la guérison a joué un rôle très important
dans l’Occident latin. Cette deuxième partie a été partiellement traduite dès la
e
deuxième moitié du XII siècle à Tolède. Un Traité du ciel et du monde, d’inspiration
aristotélicienne, mais qui n’était pas celui d’Avicenne (c’est une compilation d’un
commentaire de Themistius sur le texte d’Aristote) était intégré à cette traduction. Le
e 56
Traité du ciel authentique n’a été traduit que dans la deuxième partie du XIII siècle .
L’œuvre du médecin-philosophe – dont les accents néoplatoniciens ont séduit les
chrétiens – fut par la suite l’une des plus diffusées dans les universités européennes,
parfois même utilisée pour interpréter et comprendre les textes d’Aristote qui
devenaient disponibles en latin à la même époque.
À côté de la philosophie naturelle, une autre science apparaît après la traduction de la
Géographie (jughrāfiyā) de Ptolémée. Cette discipline est, comme à Alexandrie au
e
II siècle, l’affaire des mathématiciens et astronomes. Elle s’est développée à partir du
e
IX siècle sous le nom de ṣūrat al-ʾarḍ (image de la Terre), qui est le pendant du terme
latin imago mundi. Motivée par des considérations administratives, la cartographie se
développe ; elle reprend notamment la division grecque de l’œkoumène en cinq climats
que les Arabes attribuent à Ptolémée. Puis émerge la géographie dite des masālik wa al-
mamālik, qui décrit « les itinéraires et les États » sous la plume de savants comme
57
Yaʿqūbī ou Muqaddasī . Enfin lorsque le centre intellectuel se déplace vers l’Occident,
une géographie de l’ensemble du monde habité voit le jour dont le représentant le plus
connu est sans doute le sicilien al-Idrīsī († 1165). À des fins religieuses (détermination
de la Qibla – la direction de La Mecque – ou précision dans la détermination des
horaires de prière), de nombreuses améliorations des observations astronomiques
furent réalisées. La science nautique a pu également bénéficier des raffinements dans la
construction des astrolabes dont l’invention est souvent attribuée aux Arabes mais
remonte aux Grecs.
e
Au IX siècle, sous le règne du sultan al-Maʾmūn, des savants arabes sont partis
mesurer la longueur d’un degré de méridien terrestre avec une méthode légèrement
différente de celle d’Ératosthène. C’est un biographe arabe plus tardif, Ibn Khallikan,
qui décrit l’expédition partie dans le désert du Singar et la plaine de Kufa, lieux choisis
pour leur platitude :

Ils s’arrêtèrent en un lieu de ce désert et y mesurèrent la hauteur du pôle Nord avec certains instruments. Ils
enfoncèrent à cet endroit un pieu auquel ils fixèrent une longue corde, après quoi ils marchèrent dans la direction
du Nord sur le terrain plat, sans dévier sur la droite ou sur la gauche, autant qu’ils le pouvaient. Quand ils furent
au bout de la corde, ils dressèrent un second pieu, y attachèrent une autre longue corde et se remirent en marche
vers le nord comme précédemment. Ils ne cessèrent ce manège qu’ils ne soient arrivés en un lieu où ils prirent la
hauteur du pôle déjà nommé et où ils trouvèrent que, par rapport à la première mesure, cette hauteur avait
augmenté d’un degré. Alors ils mesurèrent la longueur du terrain déterminé par la longueur de la corde et ils
58
arrivèrent à la somme de 66 milles 2/3 .

La méthode qui consiste à mesurer la longueur de la portion de méridien correspondant


59
à un degré de latitude semble moins pratique – comme le relève E. S. Kennedy – que
celle choisie par les Grecs (prendre une longueur connue le long d’un méridien et
déterminer ensuite la différence de latitude entre les deux extrémités). L’interprétation
de ce résultat dans les siècles suivants dépend de la valeur donnée au mīl arabe et nous
verrons que la question sera cruciale à la veille du voyage de Colomb. On retrouve la
même valeur de 66 mīl et 2/3 mentionnée dans Le Livre de l’avertissement et de la révision,
une compilation de l’encyclopédiste Masʿūdī († 956), qui a vécu entre Bagdad et Fustat.
Pour Masʿūdī, ce résultat est le même que celui de Ptolémée et « en multipliant ce
nombre par les 360 degrés que compte le cercle, on obtient 24 000 mīl » pour la
circonférence de la Terre, ce qui, avec l’équivalence 1 mīl pour 1,9735 de nos kilomètres
60
actuels, surestime cette circonférence de presque un cinquième . D’autres récits
rapportent une valeur de 56 mīl et 2/3 (beaucoup plus proche de la réalité) et c’est celle
qu’ont adoptée la plupart des scientifiques arabes.
Les biographes arabes rapportent qu’al-Bīrūnī (m. 1048), célèbre mathématicien
persan contemporain d’Avicenne, a lui aussi fait une mesure de portion de méridien
alors qu’il n’avait que dix-sept ans ; il était alors l’élève d’Abū Naṣr, un autre
mathématicien dont les travaux en trigonométrie sphérique ont profondément
transformé les calculs d’astronomie. Al-Bīrūnī reprend dans ses ouvrages la valeur de
56 mīl et 2/3 pour la longueur d’un degré de méridien. Un astronome qui a vécu sous le
règne d’al-Maʾmūn, al-Farghānī (Alfraganus en latin, † c 860), rapporte le même résultat
après une description sommaire de la méthode dans son résumé de l’Almageste, le Livre
des mouvements célestes et compendium sur la science des étoiles, qui est un manuel de
cosmographie. On y trouve la description des différents calendriers, la justification de la
sphéricité des cieux et de la Terre, les deux mouvements de la sphère céleste, la
description de la partie habitée de la Terre, ses climats, sa circonférence, le mouvement
des astres errants en longitude et latitude, le modèle des épicycles et des excentriques, le
mouvement de précession des étoiles fixes, les distances de tous les astres à la Terre et
61
leurs tailles, les mouvements de la Lune et du Soleil .
Au chapitre 3, al-Farghānī justifie ainsi la forme de la Terre :

Ainsi les savants ont convenu que la Terre a aussi, par l’ensemble de ses parties de terres et de mers, la forme
d’une sphère et la preuve de cela est que le Soleil, la Lune, et les autres astres n’ont pas de levers ni de couchers
ensemble pour les habitants de la Terre au même moment. Plutôt on voit leurs levers dans les contrées orientales
de la Terre avant de les voir dans les contrées occidentales et de même leurs couchers dans les [contrées] orientales
62
avant de les voir dans les [contrées] occidentales .

Les travaux d’al-Farghānī nous intéressent car ils ont circulé en Occident bien avant
ceux de l’astronome commentateur de Ptolémée Regiomontanus († 1476) et plus que
ceux de tout autre astronome arabe, car ils étaient assez simples et faciles à comprendre.
L’ouvrage a été traduit en latin sous le titre Compendium sur la science des astres par Jean
e
de Séville et, plus tard, par Gérard de Crémone au XII siècle. Nous utilisons ici l’édition
bilingue arabe/latin réalisée par Jacob Golius, professeur d’arabe à Leyde, au
e
XVII siècle. L’estimation de la longueur du degré de méridien qu’il contient sera très
souvent mentionnée à la veille du départ de Colomb.
La science arabe s’est étendue avec l’Empire à toute la Méditerranée. Dans son Livre
du divertissement de celui qui désire traverser les contrées, le géographe al-Idrīsī décrit la
commande que lui a faite le roi de Sicile, Roger II, pour connaître les limites de ses États,
les routes de terre et de mer qui les traversent, les climats dans lesquels ils sont situés,
les mers, les canaux et les fleuves qui les arrosent. Cet ouvrage – parfois intitulé Livre de
e
Roger – a été traduit et édité dès la fin du XIX siècle en deux volumes Géographie I et II,
auxquels nous renvoyons dans leur version numérisée par Gallica. Pour rassembler les
informations nécessaires, Roger a fait consulter l’ensemble de la littérature
astronomique et géographique à sa disposition et a fait rechercher de par le monde des
voyageurs instruits, qu’il a questionnés séparément afin de recouper leurs récits. Cette
enquête a duré quinze ans et Roger a fait tracer ensuite « au compas » une carte
enregistrant les latitudes et longitudes des points remarquables, en utilisant les
63
témoignages « dont la confrontation générale avait prouvé la parfaite exactitude ».
Idrīsī explique alors comment il a été chargé de recueillir l’ensemble de ces données.
Pour les exposer, il lui faut « commencer ce propos par la figure de la Terre » dont la
description « est appelée géographie par Ptolémée » :

Nous disons que ce qui résulte du propos des philosophes, des savants illustres et des observateurs habiles dans la
science des corps célestes c’est que la Terre est ronde comme le cercle de la sphère, que l’eau y adhère, qu’elle
64
stagne complètement et naturellement sur elle sans s’en séparer .

Il précise que la « totalité de la population du globe habite la partie septentrionale » et


que ce globe a une circonférence dont il rapporte deux estimations l’une à 11 000, l’autre
à 12 000 farsakhs, ce qui, compte tenu du fait que cette ancienne unité perse
correspondant à près de 6 de nos kilomètres (une heure de marche d’un soldat) ou 3 mīl
65
arabes, surestime grandement cette circonférence .
Philosophes de la nature, astronomes et géographes arabes ont donc transmis au
monde médiéval une cosmographie relativement homogène sur le plan philosophique,
accompagnée de développements astronomiques et géographiques très importants. La
forme sphérique de la Terre n’y fait aucun doute, mais la circonférence précise de celle-
ci fait encore l’objet de discussions, tout en restant comprise entre 40 000 km et
70 000 km. Les Latins se sont jetés avec avidité sur ces connaissances scientifiques, mais
on n’a relevé aucun « choc des cultures » comme il aurait dû s’en produire un si l’Église,
plongée dans la vision « platiste » des nestoriens pendant six siècles, avait brutalement
découvert son erreur en lisant les Arabes et à travers eux les Grecs. Les controverses qui
e
sont nées au XIII siècle portent sur des questions métaphysiques essentielles comme
l’éternité du Monde, la Providence divine ou l’unicité de l’âme intellective, mais il n’y a
trace, nulle part, de la moindre controverse sur la sphéricité de la Terre.
Cette dernière partie de notre chapitre nous a amenées à circuler autour de la
Méditerranée et à travers les différentes civilisations qui l’ont entourée entre l’Antiquité
et le haut Moyen Âge. Est-ce à dire qu’il n’y a pas eu de développement des
connaissances ailleurs ? Bien évidemment si, mais l’étude des autres aires
géographiques dépasserait le but et le cadre de cet ouvrage. Une exception doit être
faite pour l’Inde dont les échanges avec le monde arabe n’ont pas été négligeables. Le
e
Mahassidhanta, ouvrage composé vers la fin du VII siècle (le livre est appelé Zij al-
Sindhind en arabe) a compté pour les mathématiciens arabes, notamment par
l’introduction au calcul des ardha-jyā, devenus ensuite sinus, beaucoup plus simples que
les cordes d’arc utilisées par les Grecs. Al-Bīrūnī – nous rapporte Régis Morelon –
évoque, dans ses Tables dédiées à Masʿud, un ouvrage indien, l’Āryabhatiya, écrit en 499
par l’astronome Āryabhata (le livre est appelé al-Arjabhar en arabe). Ce savant indien
considère que la Terre est ronde et il émet même l’hypothèse qu’elle puisse avoir un
mouvement de rotation sur elle-même pour expliquer le mouvement des autres astres.
Al-Bīrūnī affirme que cette hypothèse ne changerait rien aux tables des mouvements
célestes car les résultats seraient les mêmes dans un repère fixe et dans un repère en
mouvement. Il certifie même que le mouvement d’un corps en chute sur la Terre
resterait en apparence vertical car il serait entraîné par cette rotation. Mais il calcule
ensuite la vitesse qu’aurait un point de la surface de la Terre, dans l’hypothèse de cette
rotation. Constatant l’énormité du résultat (dans notre système d’unités, près de
1 700 km/h à l’équateur), il en conclut qu’une telle vitesse devrait modifier de façon
66
notable les vitesses des corps terrestres, ce qui « ne s’observe pas ». Si ce refus par les
Arabes du mouvement de la Terre se fait en des termes différents de celui qui a conduit
e
à la condamnation de Galilée en Europe au XVII siècle, il s’appuie sur la même
conception aristotélico-ptoléméenne d’un univers hiérarchisé en sphères concentriques,
dont les astres sont en mouvement circulaire uniforme et tournent dans leur ensemble
autour d’une Terre immobile.

Ce rapide parcours n’a pas permis de mentionner tous les textes, mais il donne des
points de repère essentiels. Au cours du Moyen Âge tardif, en effet, l’œuvre d’Aristote
parvint à l’Occident en grande partie via les traductions arabes. Les apports de
l’astronomie arabe, ainsi que les écrits de certains philosophes naturels arabes,
accompagnent voire précèdent (comme c’est le cas pour l’œuvre d’Avicenne) la
e e
(re)découverte du corpus aristotélicien. Cette transmission aux XII et XIII siècles du
corpus aristotélicien et des commentaires et traités venus des sciences arabes provoque
une importante transformation du savoir par rapport au haut Moyen Âge, dont la
culture s’est construite, nous allons le voir, sur les bribes sauvées par Isidore de Séville,
Boèce et quelques autres, mais cela ne signifie pas que l’idée de sphéricité s’était perdue.
En revanche, il est certain que les théories de Cosmas n’ont jamais été professées par les
penseurs médiévaux, pas plus que celles des autres nestoriens que nous avons évoqués.
C’est sur ce point que nous voudrions insister en conclusion de cette première partie :
Cosmas ne fait pas partie des Pères de l’Église, il n’a été ni traduit en latin (il était donc
illisible durant tout le Moyen Âge), ni approuvé, encore moins promu, par les autorités,
tant religieuses que politiques. Son œuvre n’a eu aucun retentissement sur le savoir
médiéval. Umberto Eco note même que c’est « seulement après sa publication anglaise
67
en 1897 » que Cosmas fut « considéré comme une autorité des “siècles obscurs” » . En
faire le parangon des représentations occidentales ne relève pas seulement de l’erreur
d’appréciation, mais de la mauvaise foi. C’est un excellent exemple de la façon dont il
faut considérer une source en son contexte.

Notes
1. Delattre-Biencourt, introduction à Théon, Lire Platon.
2. Théon, Lire Platon, p. 239.
3. Ibid., p. 242.
4. Voir Aristote, Du ciel, II, IV.
5. Ibid., p. 243.
6. Théon, Lire Platon, p. 244-245.
7. Delattre-Biencourt, 2010.
8. Macrobe, Commentaire, I, chap. XVI, § 16.
9. Ibid., I, chap. XX, § 20.
10. Ibid., I, chap. XX, § 21.
11. À propos de ces théories voir Randels, 1980, p. 11 et suivantes.
12. Macrobe, Commentaire, II, chap. v cité par Duhem, t. III, p. 65.
13. Macrobe, Commentaire du Songe de Scipion, Copenhague, Kongelige Bibliotek, ms. NKS 218 4°, fol. 34r (Source
Wikicommons).
14. La Sphere de Jean de Sacrobosco, Paris, Hierosme de Marnef et la veufve Guillaume Cavellat, 1584, exemplaire de
la B.M. de Bordeaux, document numérisé par la bibliothèque Uranie : http://uranie.huma-num.fr/idurl/1/1479.
15. Le Bœuffle, 1988, p. 178.
16. Ibid., p. 180.
17. Copernic, De revolutionibus, I, 10, p. 35.
18. Antès, 1983, p 289.
19. Ibid., p. 292.
20. Pline, Histoire naturelle, 1877, I, II, chap. 64, p. 130.
21. Ibid., chap. 65, p. 130.
22. Lactance, Institutions divines, livre III, chap. 24.
23. Lucrèce, De natura rerum, livre I, V, 1060.
24. Origène, De principiis II, 3, 6, PG 11, col. 83.
25. Duhem, 1913, II, 2, p. 394.
26. Basile de Césarée, Première Homélie, 8E-9A, p. 121.
27. Ibid., p. 129
28. Duhem, 1913, III, p. 56.
29. Giet, dans Basile, Homélies sur l’Hexaméron, p. 69.
30. Ribémond, 2001, p. 227.
31. Job 23, 2.
32. Job 26, 7.
33. Ps 74, 4.
34. Ambroise de Milan, Hexaméron, I, VI.
35. Voir d’autres exemples dans Mayaud, 2005, vol. II, dossier A.
36. Augustin, Cité de Dieu, livre XVI, chap. 9, p. 663.
37. Ibid., livre XVI, chap. 9, p. 663.
38. Ibid., livre XII, chap. 25, p. 413.
39. Origène, De Principiis, II, 3, 6.
40. Agaësse et Solignac, dans Augustin, La Genèse au sens littéral, p. 577.
41. Augustin, Confessions, V, III, p. 152.
42. Procope de Gaza, Commentarii in Genesim, I, PG 87, col. 69.
43. Ps 135, 6.
44. Scheuchzer, 1735, p. 53 ; Mayaud, 2005, vol. I, p. 104.
45. Brown, 2011.
46. Ibid.
47. Cosmas, Topologie, 1968, vol. I, p. 264.
48. Ibid., p. 290.
49. Philopon, Création, II, 4, p. 87.
50. Ibid., III, 13, p. 154.
51. Defaux, 2014.
52. Gutas, 2005, p. 95-105.
e
53. Avicenne, Livre de la guérison, 2 partie Traité du ciel, chap. 3, p. 20 (du texte arabe), trad. Sylvie Nony.
54. Ibid., p. 20-21.
55. Ibid., chap. 6, p. 56-57.
56. À propos de la transmission arabo-latine voir Libera, 2004, p. 346-350.
57. Tixier du Mesnil, 2010, p. 23-25.
58. Arnaldez, 1962.
59. Kennedy, 1997, p. 219.
60. Maçoudi, 1966, p. 43.
61. Morelon, 1997, p. 39-40.
62. Al-Farghānī, Compendium, chap. 3, p. 11 (du texte arabe), trad. Sylvie Nony.
63. Idrīsī, Géographie I, p. XX.
64. Ibid., p. 1.
65. Ibid., p. 2.
66. Morelon, 1997, p. 66-69.
67. Eco, 2003, p. 365.
CHAPITRE III
La sphère en Occident, du haut Moyen Âge… à la fin de la Renaissance

Une thèse assez répandue sur l’évolution de l’Église chrétienne – avancée d’abord par
les philosophes des Lumières – tend à présenter les premiers siècles du Moyen Âge
comme une période d’innocence primitive rapidement devenue le lit d’une ignorance et
de superstitions qui auraient eu raison des thèses cosmologiques héritées de l’Antiquité
grecque. Nous avons vu ce qu’il en est pour Basile et Augustin ; le seul pourfendeur de
la sphéricité ayant une certaine légitimité – Lactance – les précède dans le temps. C’est
sans contestation possible le modèle d’une Terre sphérique qui passe naturellement de
l’Antiquité finissante au Moyen Âge commençant, grâce à l’œuvre d’hommes qui sont à
la fois des hommes de science et des hommes d’Église. Certes, les connaissances
astronomiques ou cosmologiques se sont figées durant cette période, et il est tout à fait
vrai qu’une partie d’entre elles, la plus technique, s’est perdue. Les ouvrages dont nous
avons suivi la transmission vulgarisent davantage des résultats qu’ils n’exposent des
méthodes scientifiques, et la démonstration d’Ératosthène, par exemple, semble de
moins en moins comprise. La société chrétienne, qui s’organise, adopte dès l’Antiquité
l’héritage de la culture classique scientifique, mais n’y attache pas la même attention
que la société grecque qui l’avait produite, hormis au sein des écoles de philosophie
d’Athènes et d’Alexandrie. L’historien Peter Brown fait cependant remarquer que la
conversion de l’Empereur Constantin en 312 n’aurait sans doute pas eu lieu « si elle
n’avait été précédée par la conversion du christianisme à la culture et aux idéaux du
1
monde romain ». On ne peut pas non plus réduire la période qui suit à l’idée de
grandeur et décadence des empires en raison de la chute de Rome en 476. Et, quoi qu’il
en soit, la forme de la Terre n’a pas été oubliée et encore moins combattue par les
institutions religieuses et politiques de l’époque, pas plus que par les hommes chargés
de sauver le savoir romain. Dans la période charnière entre l’Antiquité tardive et le
e e
Moyen Âge des VI et VII siècles, Boèce († 524), puis Grégoire le Grand († 604) et surtout
Isidore de Séville († 636) ont été les artisans d’une transmission – certes partielle mais en
aucun cas « rétrograde » – des connaissances astronomiques.
Dans cette partie, qui porte sur la longue durée, nous n’évoquerons pas tous les textes
ni toutes les avancées du savoir. Nous essaierons de poser trois jalons essentiels pour
répondre au mythe de la Terre plate : la transmission de la culture antique au haut
Moyen Âge ; la diffusion du savoir scientifique au Moyen Âge, à l’université et en
dehors, en particulier en langue française pour un lectorat non latinisant ; l’évolution de
ces questions à la Renaissance.

I. LA TRANSMISSION DU SAVOIR ANTIQUE

L’affirmation de la croyance du Moyen Âge en une Terre plate s’accompagne parfois


de l’argument selon lequel les premiers siècles de la période médiévale auraient oublié
le savoir grec. Il est parfaitement vrai, de fait, que les manuscrits grecs n’ont pas été
e e
transmis à l’Occident avant le XII ou XIII siècle pour Aristote, plus tard encore pour la
e
Géographie de Ptolémée (elle n’arrive à Florence qu’au XIV siècle), mais des éléments
2
capitaux du savoir grec sont passés chez les savants latins , et c’est par la voie latine que
se transmettent les grandes lignes de ce dernier, repris dans l’Histoire naturelle de Pline,
dans l’adaptation que donna Cicéron du Timée ou la version donnée par Apulée du De
mundo pseudo-aristotélicien. Sans fournir de calculs mathématiques ou de données
astronomiques précises, les ouvrages latins antiques conservés traitant d’histoire
naturelle ou de philosophie reprennent le concept de Terre sphérique. Comme dans le
cas de l’attention à porter (ou plutôt à ne pas porter, s’agissant du Moyen Âge
occidental) à l’œuvre de Cosmas, il est important de comprendre le contexte général de
transmission du savoir antique. Il ne s’agit pas pour autant de nier une forme de reflux
du savoir et surtout, pour le domaine qui nous intéresse, de la recherche en astronomie,
mais simplement pour nous de montrer que ce reflux partiel du savoir grec n’a pas
affecté le concept de sphéricité terrestre.

Tour d’horizon

L’histoire de ce savoir est d’abord liée à l’histoire du cheminement des manuscrits.


Or, passé la chute de l’Empire romain, qui provoque la disparition de ses écoles et la
coupure des liens avec le monde grec, l’établissement d’une science physique et d’une
cosmologique officielles, ainsi que les voies d’accès à la connaissance dans le haut
Moyen Âge occidental, se réorganisent. Le savoir est devenu le fait des hommes
d’Église, et plus particulièrement des moines. C’est en effet d’abord un savoir de
bibliothèque, qui se fonde, dans le domaine profane, sur quelques textes de l’Antiquité
latine classique, comme celui de Pline, sur les derniers représentants des manuels
païens tardifs, tels les Noces de Mercure et de Philologie de Martianus Capella dont nous
avons parlé plus haut, et sur le fragment du Timée transmis via son traducteur et
commentateur Chalcidius, accompagné d’une grande partie de l’astronomie de Théon
de Smyrne. C’est aussi un savoir fondamentalement chrétien, logiquement puisé dans
les écrits hexaméraux des premiers Pères, ainsi transformés en vecteurs de
connaissances scientifiques. C’est donc avant toute chose un savoir profondément
choisi, comme le résume Olivier Boulnois écrivant que du « paganisme lettré
moribond », quelques hommes ont en effet choisi de sauver « ce qui leur semblait
3
mériter de l’être » .
C’est également, dans les tout premiers temps, un savoir enclos dans la pensée
comme dans l’espace monastiques mais qui aspire très vite à en sortir, comme l’illustre
déjà l’œuvre de Cassiodore. Ce dernier, maire du Palais de Théodoric en 523, a en effet
tenté le premier de restaurer le savoir antique et plus particulièrement de conserver au
monde latin la culture grecque, que la scission de l’Empire avait mise hors de portée. Il
parvint à créer le monastère du Vivarium, dans le sud de l’Italie, pour lequel il écrivit
un programme de formation intellectuelle complet, les Institutions des lettres divines et
séculières, avec l’idée de former à terme des maîtres capables à leur tour de diffuser la
culture ainsi reconstruite. Les Institutions sont un ancêtre lointain et adapté à la vie
monastique de l’encyclopédisme médiéval, mais ne constituent pas encore une
encyclopédie : il s’agit plutôt d’une bibliographie commentée et raisonnée, agrémentée
de nombreux extraits de textes, qui théorise en particulier le système des arts libéraux.
À cette époque, ni la sphéricité de la Terre, ni les thèmes antiques ne se perdent. Le
philosophe romain Boèce († 524), évoque la sphéricité de la Terre (il parle de « masse
4
arrondie de la Terre ») dans sa Consolation de la philosophie , et surtout Bède le Vénérable
– un moine anglo-saxon († 735), a lu au moins des fragments de l’Histoire naturelle de
Pline (il fait de larges emprunts au livre II), probablement Lucrèce, et bien sûr les écrits
des premiers Pères. Il reprend l’idée de la sphéricité de la Terre dans son De natura
rerum, dont le titre (nous en allons en reparler avec Isidore), signe la continuité avec la
culture antique. Il y affirme à maintes reprises que la Terre est un globe et le justifie
avec des arguments de type astronomique : « La Terre est semblable à un globe […], de
là le fait que des étoiles de la partie septentrionale du ciel nous sont toujours visibles,
5
alors que des étoiles méridionales ne le sont jamais ».
Bède poursuit le débat sur l’existence possible d’habitants des antipodes. Un passage
e 6
de son texte a provoqué au XV siècle des moqueries rétroactives , lorsqu’on découvrira
que les zones torrides peuvent être habitées :

Il ne faut accorder aucun crédit aux fables des Antipodes, et aucun historien ne rapporte avoir vu, entendu ou lu
que des gens aient franchi vers les contrées méridionales le tropique du Capricorne, de telle sorte que, l’ayant
laissé derrière leur dos et ayant dépassé les chaleurs des Éthiopiens, ils auraient trouvé au-delà de ceux-ci des
7
demeures tempérées d’une part par la chaleur et d’autre part par le froid, et donc habitables pour les mortels .
Bède évoque ici l’existence (impossible) d’antipodiens, et non des antipodes elles-
mêmes, comme le montre la fin de cette citation. Il est également l’auteur de nombreux
commentaires bibliques, dont un commentaire du livre de l’Exode intitulé Le Tabernacle,
dans lequel il fait l’exégèse de l’ascension de Moïse et des instructions divines pour
construire la Tente de la Rencontre, premier temple du peuple d’Israël en exode. Or
cette exégèse met l’accent sur le sens symbolique et spirituel de ces instructions et sur
celui des ustensiles décrits dans le texte biblique, à l’inverse de la lecture développée
dans la Topologie chrétienne de Cosmas. Il confirme qu’il ne faut pas confondre lecture
8
scientifique et lecture symbolique du monde .
e
L’image du Monde chrétien achève de se constituer vraiment à l’aube du VII siècle,
lorsque l’évêque sévillan Isidore met à disposition d’un public de laïcs cultivés une
synthèse organisée du savoir monastique issu de la christianisation de la matière
antique, et revient à la pratique antique du De natura rerum. Le modèle formel et
scientifique ainsi constitué par ses deux ouvrages majeurs, les Étymologies et le De la
nature, est ensuite inlassablement imité et recopié. La persistance des connaissances
qu’il est parvenu à synthétiser est remarquable : les écrits savants de la période allant de
e
l’écriture des Étymologies à l’aube du XII siècle se signalent tous par leur dette à l’égard
e
du Sévillan, qu’il s’agisse du De natura rerum de Bède (VIII siècle), où l’auteur corrige
Isidore par des emprunts massifs à Pline, du De rerum naturis (ou De Universo,) de
e
Raban Maur (IX siècle), qui travaille surtout à moraliser la matière isidorienne ou, pour
e
clore la période, de l’Imago mundi d’Honorius Augustodunensis (XII siècle).
e
À partir de la fin du XII siècle, les sources principales sont en revanche constituées
9
par les textes d’Aristote et les textes astronomiques grecs et arabes , mais également par
e
le véritable néoplatonisme grec, qui fait sa réapparition à la fin du XIII siècle avec les
premières traductions latines de Proclus par Guillaume de Moerbeke (dont un fragment
de son commentaire sur le Timée). La découverte de la pensée d’Aristote et la naissance
conjointe de l’université médiévale instaurent une nouvelle manière de concevoir et
d’utiliser le savoir, ainsi qu’un nouveau rapport entre savoir érudit et savoir vulgarisé.
Le corpus aristotélicien devient progressivement le socle de l’enseignement de
philosophie naturelle, par lequel doivent passer tous les étudiants du modèle
universitaire dit de Paris, qui sont ainsi au moins initiés à la cosmologie du Traité du ciel,
même s’ils ne sont pas toujours formés de manière très avancée en mathématiques. À
e
partir du XIII siècle, cependant, un manuel d’initiation à l’astronomie, le Tractatus de
Sphæra du moine anglais – enseignant à Paris – Jean de Sacrobosco, témoigne du niveau
minimal des connaissances astronomiques inculquées aux étudiants (voir infra).
La scolastique, par ailleurs, remet au jour les théories d’Aristote et les discute à
travers les commentaires scientifiques (comme ceux d’Albert le Grand) ou plus
essentiellement théologiques (comme ceux de Thomas d’Aquin). L’âge de la science
aristotélicienne est aussi celui du commentaire universitaire, qui va pouvoir poser les
questions théoriques suggérées par les textes d’Aristote et que la littérature patristique
avait passées sous silence. Elle soulève ainsi de très nombreux problèmes liés aux
ambiguïtés des textes, aux problèmes de traduction ou à la confrontation entre la
science du Stagirite, les enseignements de la Bible et les conclusions de la littérature
hexamérale. Les débats sur ces « nouveautés profanes » ou sur l’existence possible de
« vérités contraires » ont parfois débouché sur des censures. Ils ont suscité des mises en
garde par le pape Grégoire (en 1228) et des interdits par Robert de Courçon (en 1215) et
par l’évêque de Paris Étienne Tempier (en 1270 et 1277), qu’il faut analyser avec
10
d’infinies précautions . On est cependant loin d’un univers intellectuel sur lequel
pèserait une chape de plomb religieuse et où les controverses scientifiques finiraient par
des bûchers, bien loin du Moyen Âge tel qu’il est malheureusement caricaturé dans le
film de Jean-Jacques Annaud réalisé à partir du roman d’Umberto Eco, Le Nom de la rose
(alors qu’il ne l’est évidemment pas dans le roman). Dans tous les cas, et quelle que soit
l’acuité des questions disputées, la sphéricité de la Terre ne fait jamais partie des points
débattus. Au contraire, la lecture des textes témoigne de la persistance d’une Terre
sphérique, que l’on retrouve à la même époque dans les premières encyclopédies en
langue vulgaire.

Corpus

Le corpus des textes scientifiques médiévaux savants ou littéraires susceptibles


d’illustrer la continuité du savoir astronomique est extrêmement important. Ce corpus
est également tout à fait remarquable par la variété de ses perspectives théoriques : on
peut y distinguer, dans l’ordre chronologique, les textes isidoriens et leurs héritiers
e
(Raban Maur et Honorius), puis les commentaires et les gloses du XII siècle, dans la
dépendance du Timée, parmi lesquelles on note l’apparition des premiers commentaires
philosophiques de la Genèse, comme celui de Thierry de Chartres, qui englobe les
travaux exégétiques dans une perspective philosophique nouvelle, plus large, de
réorganisation des savoirs et de rénovation de la philosophie. Le Tractatus de sex diebus
operibus est en effet un commentaire ad litteram de la Genèse dans lequel Thierry essaie,
comme ses prédécesseurs antiques, de donner une explication rationnelle des
phénomènes physiques qu’elle évoque.
Vient ensuite l’immense ensemble des commentaires et des gloses, sentences,
compendia de la philosophie naturelle d’Aristote, dont les commentaires sur le Traité du
ciel, le De la génération et la corruption, puis les Météorologiques, corpus qui a été plus tard
e
régulièrement édité jusqu’à la fin du XVI siècle. Parmi ces sources médiévales, il faut
également compter la Somme théologique de Thomas d’Aquin, qui, dans les questions 46
à 75, revient systématiquement sur les implications théologiques et philosophiques des
Écritures et confronte les interprétations des Pères et celles des philosophes à la lumière
des méthodes scolastiques.
En liaison avec le développement de la philosophie apparaissent également les
e
premières grandes encyclopédies en langue latine, celles du XII siècle d’abord (à celle
d’Honorius, on peut ajouter le Didascalion d’Hugues de Saint-Victor) et celles du
e
XIII siècle surtout, issues de la nécessité de faire un tri et d’organiser la masse croissante
e
des connaissances mises au jour. De la fin du XII siècle aux années 1250 sont ainsi écrits
quatre textes majeurs, tous composés par des moines appartenant aux ordres mendiants
(ils ont pour but premier de servir à la prédication) : le De naturis rerum d’Alexandre
Neckam d’abord, puis le De proprietatibus rerum de Barthélemy l’Anglais, traduit en
e
français au XIV siècle par Jean Corbechon, le Liber de natura rerum de Thomas de
Cantimpré et enfin la plus ambitieuse et la plus volumineuse des encyclopédies
médiévales : le Speculum maius de Vincent de Beauvais.
Ces textes savants, souvent massifs, destinés essentiellement aux clercs et rédigés en
latin, ont été comme redoublés par des textes en langue vernaculaire, plus courts,
destinés à un public lettré et curieux. Ils témoignent de la naissance d’un genre
e
nouveau, celui d’un encyclopédisme littéraire dont le XVI siècle a hérité le goût. L’Image
du monde de Gossuin de Metz, Li Livres dou Tresor de Brunetto Latini, le Placides et Timeo
e
(anonyme) et le Livre de Sidrac rythment le XIII siècle et livrent chacun leur vision du
savoir. L’apparition d’une littérature latine puis française centrée sur la cosmologie (ou
sur la connaissance dans son ensemble) est ainsi le signe du passage du savoir
scientifique du milieu des écoles et des universités à une culture commune, qui n’est
pas la culture populaire (extrêmement difficile à appréhender), mais la culture des élites
laïques lettrées. Elle atteste l’importance majeure de la question de la nature du monde
(donc de celle du rapport entre l’homme et le monde) dans la pensée des hommes
11
éduqués du temps et constitue un bon indice de l’impact réel des progrès du savoir .
Ces vulgarisateurs, en utilisant les textes scientifiques et philosophiques, en les
traduisant, en les condensant ou en les développant, témoignent de l’impact qu’a eu
l’irruption de la pensée aristotélicienne. Les textes en langue vernaculaire apparaissent
ainsi caractéristiques de l’acquisition d’une nouvelle connaissance scientifique et des
12
progrès épistémologiques effectués en dehors du monde des intellectuels . En effet, le
contenu des encyclopédies pour un lectorat non universitaire évolue au même rythme
que celui des ouvrages savants. Alain de Libera définit ainsi cette appropriation
progressive du savoir antique durant le long Moyen Âge : « le Moyen Âge que nous
présentons ne connaît pas encore les distinctions modernes entre “scolastique”,
“mystique” et “philosophie” ; le mouvement des idées n’y est pas séparé de
l’organisation de la vie intellectuelle ; le rythme de la pensée suit le pas des traductions
et met sa propre cadence ; les penseurs y sont des êtres vivants qui lisent, écrivent et
13
enseignent dans des mondes définis ».

II. QUELQUES GRANDS TÉMOINS

Plutôt que de vouloir faire ici une étude exhaustive des textes disponibles, nous
voudrions donner une sorte d’échantillonnage des connaissances astronomiques et de
leur contexte de transmission, dans le temps mais aussi dans les différents niveaux et
usage du savoir. Il ne s’agit pas de refaire l’histoire des théories astronomiques et
mathématiques médiévales, mais de suivre notre fil directeur, la notion de sphéricité de
la Terre, dans des œuvres destinées à des lectorats différents.

De l’Antiquité au haut Moyen Âge : Isidore de Séville

Isidore de Séville († 636), évêque de la ville éponyme, est la première figure à retenir
notre attention. Son œuvre, qui recueille le savoir antique, lui vaut d’être considéré par
14
les spécialistes à la fois comme le « dernier des Pères de l’Église latine » et comme le
15
fondateur de l’encyclopédisme médiéval . Son importance considérable durant la
période médiévale et encore à la Renaissance est attestée par la fréquence des citations
16
de ses textes , par la présence de ses œuvres parmi les incunables, c’est-à-dire les
ouvrages imprimés entre l’invention de l’imprimerie et 1500 (les Étymologies et le De la
nature sont publiés coup sur coup dès 1472 à Augsbourg, signe qu’ils sont une valeur
sûre pour les récents imprimeurs) ou par l’éloge qu’en fait Dante, qui voit en lui l’un
des plus grands esprits de l’Occident chrétien :

Vois plus loin briller l’esprit ardent


D’Isidore, de Bède et de Richard,
17
Qui fut plus qu’un homme en contemplation .

L’œuvre d’Isidore constitue un tournant capital de l’histoire du savoir chrétien, car elle
réorganise, très tôt dans le haut Moyen Âge, les vestiges du savoir scientifique à
destination des laïcs. On lui doit principalement les Étymologies, première somme
véritable de l’Occident médiéval, et surtout, pour ce qui nous intéresse, un De natura
rerum, qui, à la différence des exégèses hexamérales, est un ouvrage d’abord scientifique
qui obéit à une organisation descriptive méthodique, au lieu de suivre l’ordre narratif
de la Genèse.
Il s’agit donc d’un manuel, défini autant par sa relation aux savoirs hérités qu’au
public visé ; c’était une commande du roi wisigoth Sisebut, qui souhaitait mieux
connaître les causes des phénomènes naturels, peut-être afin de pouvoir utiliser ses
connaissances pour combattre l’ignorance et la superstition qui en découlaient. Pour
Jacques Fontaine, il est même possible que la rédaction du traité ait été plus directement
provoquée par la survenue d’une série de trois éclipses, dont une éclipse totale de
Soleil, entre le début de mars et la fin d’août 612, qui aurait révélé la profondeur des
« frayeurs primitives devant les phénomènes de la nature » et la montée en puissance
18
des « angoisses apocalyptiques » :

L’identité entre le titre du traité d’Isidore et celui du célèbre poème de Lucrèce n’a donc rien de paradoxal. Ce
rapprochement apparemment fortuit nous guide bien vers l’intention profonde de l’ouvrage : il est destiné à réagir
contre l’effroi devant les phénomènes naturels et à pourvoir l’élite intellectuelle du royaume d’un manuel
19
commode où elle puisse trouver l’explication naturelle de ces phénomènes .

Isidore écrit clairement dans son adresse à Sisebut que « la connaissance de la nature ne
relève pas d’une science superstitieuse, pour autant qu’on la considère avec un savoir
20
sain et sobre » et précise également qu’il a présenté son savoir « comme les écrivains
anciens, et de préférence, tel qu’on le trouve libellé dans les œuvres des écrivains
21
chrétiens ». Il s’agit donc de fondre l’héritage scientifique païen et celui des auteurs
chrétiens, en compilant les connaissances encore disponibles. Les développements
scientifiques sont largement inspirés de la cosmographie aristotélicienne et
néoplatonicienne, auxquelles il ajoute une exégèse chrétienne et allégorique. Il
s’applique ainsi à diffuser un savoir encyclopédique, profane et religieux, à une époque
où bon nombre des ouvrages grecs originaux ne circulent plus. Jacques Fontaine, qui en
a examiné la vingtaine de manuscrits, a montré que les illustrations qu’ils contiennent
proviennent « des manuels scolaires qui vulgarisaient, pour les écoliers antiques, la
22
philosophie de Platon et Aristote ».
Si le but des Pères était de commenter la Genèse, le De natura rerum est bien une
encyclopédie qui aborde tous les aspects du savoir de la nature. Sa longue description
des cieux ne laisse aucun doute sur son système astronomique ni sur le fait que la Terre
est pour lui une sphère au centre du monde. Sa description de la Terre est par ailleurs
explicite : « dans leur définition du monde, les philosophes disent qu’il y a cinq cercles,
appelés par les Grecs parallèles, c’est-à-dire zones, entre lesquels se partage le globe
23
terrestre ». Il reprend également la théorie des éléments, exposant tour à tour la
24
théorie de Platon (via Chalcidius) et celle d’Aristote, via Ambroise . Il est donc
manifeste que le savoir grec ne s’est pas perdu à l’aube du Moyen Âge occidental,
même s’il ne survit que dans ses grandes lignes, dépouillé de ses longs développements
philosophiques comme des démonstrations mathématiques.

Isidore, par ailleurs, est aussi l’auteur d’une des premières cartes dites en OT (orbis
25
terrarum) . Ces cartes – que nous évoquons infra – ont circulé durant toute l’époque
médiévale. L’œuvre du Sévillan fut intégrée au projet de réforme conçu par l’Église au
siècle suivant, dont un artisan célèbre est Charlemagne. Elle a contribué à la culture
carolingienne et postcarolingienne comme en témoigne la riche tradition manuscrite des
e e e
VIII , IX , et X siècles. Au-delà, elle a participé au développement de la culture savante
e
dans les universités à partir du XIII siècle. En l’absence de recours à l’expérience ou à
l’observation, la matière scientifique transmise par Isidore ne s’enrichit guère d’apports
nouveaux, mais elle est la preuve tangible de la survivance des lignes de force du savoir
cosmologique et fait autorité jusqu’au retour d’Aristote et de l’astronomie gréco-arabe.

Un témoin de l’enseignement universitaire : Sacrobosco

Pour avoir un témoin fiable des doctrines circulant dans le monde médiéval, il
convient de se fonder sur le contenu des enseignements. En effet, comme nous l’avons
signalé plus haut, dire qu’au Moyen Âge « on » croyait que la Terre était plate pose la
question du « qui » : on ne peut considérer comme témoin valable du savoir la
population de ceux qui ne savent pas, d’autant que l’on n’a guère de renseignements
sur ce qu’un paysan de l’Aveyron ou un artisan corrézien savait ou croyait. Si
certainement la grande majorité de la population, analphabète et illettrée, ne se
demandait probablement pas si la Terre était sphérique ou plate, on a en revanche des
données plus fiables sur le milieu des lettrés et, à partir de l’apparition des universités,
sur le contenu officiel des enseignements. Or parmi les lettrés et leur entourage (car il
faut rappeler que l’on ne sait pas forcément lire même dans les plus hautes sphères de
la société, et que dans les milieux nobles, par exemple, l’on se fait lire des livres à haute
voix), il ne fait pas de doute que la sphéricité était non seulement connue, mais n’était
pas discutée.
Le meilleur témoin en est le contenu d’un petit manuel d’initiation à l’astronomie,
utilisé également comme ouvrage de vulgarisation, et qui connut un immense succès,
e
dès le moment de son écriture au XIII siècle commençant : le Tractatus de Sphæra du
moine anglais Johannes ou Jean de Sacrobosco (John Holywood en anglais ou Jean de
Halifax). On sait de Johannes qu’il étudia à Oxford, puis qu’il fut reçu professeur de
mathématiques à Paris, probablement en 1221, pour enseigner le quadrivium (les quatre
disciplines mathématiques de l’université médiévale : arithmétique, géométrie,
astronomie et musique) à l’Université de Paris.
Il écrivit ce petit texte pour ses étudiants ès arts. Probablement rédigé autour de 1230
(le plus ancien manuscrit conservé qui nous soit parvenu date de 1240), ce manuel
élémentaire synthétise et simplifie les apports essentiels de l’astronomie gréco-arabe.
Son succès est attesté par le grand nombre d’exemplaires manuscrits survivants, par le
e
fait que l’on sait, par les rôles des Universités, qu’il fut dès le milieu du XIII siècle utilisé
par l’Université de Paris puis par toutes les grandes universités européennes jusqu’au
e
début voire jusqu’au milieu du XVII siècle, ainsi que par sa présence parmi les
premières œuvres imprimées (une première édition en est donnée à Ferrare en 1472,
e
signe, comme pour Isidore, qu’il constituait un succès de librairie assuré). Au XVI siècle,
il connut une vogue extraordinaire et a été édité par nombre d’humanistes et de
pédagogues importants, mais aussi traduit en vernaculaire (on connaît deux traductions
e
françaises pour le XVI siècle, il en existe plusieurs en italien, et il fut également traduit
en Espagne, en Angleterre, en Allemagne…) et adapté par des mathématiciens, qui en
ont repris le modèle en écrivant leur propre Sphère afin d’y intégrer les savoirs et les
développements nouveaux de l’astronomie (voir par exemple la Sphère d’Oronce Finé,
premier professeur de mathématiques au Collège royal, progressivement rédigée en
latin puis auto-traduite en français en 1551).
Durant toute la fin du Moyen Âge et toute la Renaissance, ce traité est l’objet d’un
grand nombre de commentaires, dont le dernier notable est celui du grand
mathématicien jésuite Christophe Clavius, plusieurs fois remanié et réédité à la fin du
e e
XVI et au tout début du XVII siècle (Christophori Clavii Bambergensis ex Societate Iesu, In
e
Sphæram Ioannis de Sacro Bosco Commentarius). Au XVI siècle, en France, il est ainsi très
facilement accessible en version imprimée, en latin ou en français, avec ou sans
commentaires : il était à cette date depuis longtemps sorti des cadres de l’Université et
servait d’ouvrage de vulgarisation dans tous les milieux des lisants-écrivants (les
sceptiques et les curieux peuvent en consulter des éditions de la Renaissance,
numérisées en très haute définition, sur le site de la bibliothèque numérique
26
d’astronomie Uranie , où figurent des exemplaires commentés ou non, dans différentes
langues, et comportant pour certains de nombreuses illustrations). Insistons en
particulier sur le rôle des pédagogues : Lefèvre d’Étaples, humaniste majeur enseignant
e e
à Paris au tournant des XV et XVI siècles, Philip Melanchthon, bras pédagogique de
Luther et réformateur des universités germaniques, Oronce Finé, mathématicien et
er
lecteur royal choisi par François I pour enseigner les mathématiques et les vulgariser
au Collège Royal, Élie Vinet, principal du célèbre Collège de Guyenne à Bordeaux (où
Montaigne fit ses études, collège qui était alors « le meilleur de France » si l’on en croit
l’auteur des Essais)…, ont tous édité et parfois annoté le traité de Sacrobosco, base on ne
peut plus officielle de l’enseignement universitaire, en terres catholiques comme en
terres réformées. Une belle édition latine de 1527 chez Simon de Collines, à Paris, est
ainsi très clairement établie, nous dit le titre, ad utilitatem studentium philosophiæ
parisiensis.
Que nous apprend cet ouvrage qui servit pendant plus de quatre siècles à former tous
les étudiants ès arts, mais aussi tous les lecteurs désireux d’acquérir des rudiments
d’astronomie (science en grande vogue à la Renaissance) ? L’ouvrage, très bref, est
divisé en quatre livres, dont le premier, précisément, traite de la forme et de la structure
générale de la sphæra mundi, la sphère du monde, c’est-à-dire le cosmos dans son
ensemble, en se fondant sur une définition donnée par Euclide (bon témoin du maintien
de la référence au savoir grec). Il traite ensuite de la Terre et de sa place au centre de ce
monde composé de sphères concentriques, suivant le système hérité du Traité du ciel
aristotélicien (que l’on commente dans toutes les universités) et de l’astronomie
mathématique de Ptolémée. Le deuxième livre décrit les cercles qui servent à se repérer
sur la sphère céleste et que l’on utilise encore aujourd’hui pour structurer le globe
terrestre : équateur, tropiques et pôles, mais aussi cercle de l’écliptique, colures (les
deux principaux méridiens qui se croisent à angle droit aux pôles), ligne d’horizon et
zodiaque. Le troisième décrit le lever et le coucher des constellations et la durée du jour
et de la nuit selon les périodes de l’année et dans les différentes zones géographiques. Il
apprend à se repérer sur la carte du ciel et à comprendre les mouvements célestes les
plus aisément observables. Le dernier, enfin, explique les mouvements compliqués des
planètes tournant autour de la Terre et le mécanisme des éclipses.
Quand un lecteur du Moyen Âge ou de la Renaissance ouvre ce bref ouvrage, il
parvient rapidement aux chapitres consacrés à la Terre : le cinquième chapitre du livre I
est intitulé (ce que les non latinistes comprendront sans difficulté) Quod terra sit rotunda.
Voici ce que dit le texte dans la traduction française de Guillaume Des Bordes, ici dans
l’édition de 1584 (nous modernisons les graphies) :

La rondeur de la Terre nous est manifeste ainsi que s’ensuit. Les signes du zodiaque, et autres étoiles, ne se lèvent
et ne se couchent pas d’une même façon et manière à tous les hommes qui habitent la Terre en divers lieux : mais
27
se lèvent et couchent premièrement à ceux qui sont plus prochains d’Orient .

Le texte énonce diverses preuves expérimentales de la sphéricité terrestre, et anticipe les


objections possibles :

Davantage si la Terre était planière [plane] d’Orient en Occident, aussi tôt se lèveraient les étoiles aux Occidentaux
comme aux Orientaux [les étoiles se lèveraient en même temps pour les Occidentaux et les Orientaux], ce qui
appert être faux. En outre si la Terre était planière de Septentrion à Midi [du Nord au Sud], les étoiles apparentes à
celui qui serait en Septentrion, lui seraient toujours apparentes vers quelque lieu qu’il cheminât, ou en quelque
lieu qu’il fût : ce qu’on voit être faux. Encores qu’il [bien qu’il] semble à la vue des hommes que la Terre est
28
planière : mais cela advient en raison de sa grande quantité .

Au rayon des preuves, on trouve en particulier une démonstration du fait que la Terre
et la mer sont conglobées et forment ensemble une sphère unique :

Qu’on mette une marque au bord de la mer, et que la navire partant du port s’éloigne tant que l’œil de celui qui
est au pied du mât ne puisse plus voir ladite marque, et la navire étant là arrêtée, l’œil de celui qui sera au sommet
29
du mât verra très bien cette marque .

Ce que montre parfaitement une petite illustration pédagogique que l’on trouve à la
30
suite du texte .

Des Bordes, ici, ne fait que traduire en français des éléments qui se trouvent déjà dans
le texte de 1230, de même qu’il illustre son édition d’images que l’on trouvait déjà dans
les manuscrits : sur la sphéricité de la Terre, donc, rien de neuf sous le soleil du Moyen
Âge ou de la Renaissance. « On » sait que la Terre est ronde, on peut le démontrer, en
particulier en observant tout simplement la forme de l’ombre portée de la Terre au
moment des éclipses de Lune. Notons encore que le fait même de tracer des cercles sur
la sphère céleste comme moyen de repère des différentes zones climatiques est un autre
indice certain de la connaissance de la sphéricité. Dans tous les ouvrages médiévaux
31
d’astronomie se trouve ainsi l’image de la sphère armillaire, entourée de ses cercles .

Hors des universités : le savoir en langue vulgaire

Le Traité de la sphère de Sacrobosco n’est pas un ouvrage confidentiel. Même à


l’époque du manuscrit, quand les livres sont peu nombreux et quand le nombre de
lettrés ne représente qu’une toute petite partie de la population, il circule dans toute
l’Europe et est abondamment lu. Les traces de ce savoir astronomique se trouvent par
ailleurs dans d’autres textes médiévaux, écrits en latin, mais aussi de plus en plus en
français, et en particulier dans toute la littérature encyclopédique qui fleurit à partir du
e
XIII siècle et diffuse les connaissances sur la nature : l’Image du monde de Gossuin de
Metz, en vers puis en prose, le Placides et Timeo, ou li secrés as philosophes, Li Livre dou
Tresor de Brunetto Latini, La Petite Philosophie, le Secret des secrets en vers et en prose et le
Sidrach, autant de textes écrits en français pour le monde des curieux et qui diffuse hors
des écoles et des universités le savoir des spécialistes sous forme simplifiée. Ce point est
particulièrement important car les études ont montré que ces ouvrages touchaient ce
que l’on a appelé les lecteurs de « moyenne culture », sans formation universitaire et qui
ne sont pas non plus des nobles, mais se sont élevés dans la société et ont fait fortune
grâce à leur habileté et à leur travail. Christine Silvi le résume bien, ces ouvrages ont été
rédigés

afin de répondre à la demande des laïcs, des gens du monde qui, à leur tour, sont désireux d’avoir accès à la science
et à la disposition desquels il s’avère nécessaire de mettre des ouvrages de vulgarisation scientifique.
L’engouement de cette nouvelle clientèle pour tout ce qui a trait au monde physique, à la petite philosophie de
32
l’univers, va donc nécessiter un effort d’adaptation du clerc à ce public de non-spécialistes .

Or s’ils ne parlent pas tous explicitement d’astronomie, ils parlent au moins toujours
de physique et mentionnent la forme des éléments, dont la terre, toujours décrits
comme des sphères. L’Image du monde, considéré comme un ouvrage de large
vulgarisation (compte tenu du lectorat de l’époque, bien sûr) est parfaitement explicite :
le chapitre 11 de la version en prose, intitulé « Comment la Terre se tient en mi le
monde », affirme que « si telle chose pût advenir qu’il n’y eût rien sur Terre, ni eau, ni
autre chose qui nous détournât de notre chemin quelque part que l’on aille, l’on
pourrait aller tout autour de la Terre, ou homme, ou bête, quelque part qu’il voudrait,
comme une mouche irait autour d’une pomme ronde ». L’ouvrage décrit précisément
comment un homme qui parviendrait à marcher sans obstacle se retrouverait aux
antipodes puis reviendrait à son point de départ :

si bien que quand il viendrait dessous nous, il lui semblerait que nous fussions dessous lui, si comme il ferait de
lui à nous. Car il tendrait ses pieds devers les nôtres et la tête tout droit vers le ciel, exactement comme nous
faisons ici, et les pieds devers la Terre. Et s’il allait encore vers l’avant, devant lui, il irait tant qu’il reviendrait au
lieu dont il partit premièrement. Et il arriverait ainsi que si par hasard deux hommes se départissent l’un de
l’autre, et s’en allassent l’un vers l’orient, l’autre vers l’occident […] il conviendrait qu’ils se rencontrassent
dessous le lieu d’où ils se mirent en mouvement. Et puis reviendraient ensuite au lieu dont ils partirent
33
premièrement. Car lors aurait fait chacun un tour entour la Terre .

Dans le Placides et Timeo, moins astronomique, on trouve ce paragraphe, qui traite de la


sphéricité sous un autre angle :

Ainsi pouvez certainement savoir que les éléments ont corps ; et pour ce que vous me demandâtes quels corps ils
34
sont, je vous dis qu’ils ont corps rond. Chacun des éléments est rond et tout le Monde est rond .

L’image de l’œuf, régulièrement utilisée par les encyclopédistes médiévaux pour


décrire la structure du monde autant que la fonction nourricière de la terre, est
35
également présente et référée à Ovide .
Il faut préciser ici un point important. Ces « petites encyclopédies » médiévales en
langue française s’inspirent du savoir contenu dans les commentaires sur Aristote et ses
successeurs et dans les « grandes » encyclopédies, écrites en latin, comme le Speculum
e
maius du dominicain Vincent de Beauvais (XIII siècle). Ces œuvres sont le fait de clercs,
d’hommes d’Église, et elles étaient destinées d’abord à instruire les membres des
différents ordres religieux : parmi ceux que nous avons mentionnés supra, Alexandre
e
Neckam, auteur d’un De natura rerum, au XII siècle, est frère puis abbé des Augustins de
e
Cirencester, en Angleterre ; Albert le Grand (XIII siècle), auteur d’une œuvre
scientifique et philosophique considérable que l’on continue de lire assidûment à la
e
Renaissance, est un dominicain ; Barthélemy l’Anglais (XIII siècle également), l’un des
premiers encyclopédistes, auteur d’un célèbre Liber de proprietatibus rerum (Livre des
propriétés des choses) est un franciscain anglais. Au Moyen Âge, les savants sont des
hommes d’Église (Copernic lui-même, encore, est chanoine). Aucun d’eux ne dit que la
Terre est plate. Au contraire, les démonstrations de la sphéricité, que l’on retrouve dans
les textes en langue française, sont parfaitement topiques. Le mouvement d’écriture en
français, par ailleurs, correspond à un mouvement de laïcisation et de diffusion du
savoir. Le texte de L’Image du monde a été rédigé entre 1250 et 1300 : il montre que la
sphéricité de la Terre était non seulement parfaitement admise par les clercs et les
lettrés, mais aussi diffusée dans le lectorat laïc sans aucune entrave ni difficulté.

Le cas de l’Imago mundi de Pierre d’Ailly

On peut compléter ces remarques sur la circulation des savoirs de la sphère au Moyen
Âge par un rapide point sur les connaissances géographiques qui confirment la
transmission du savoir grec. Comme l’ont montré en particulier les travaux de Patrick
Gautier Dalché, si la Géographie de Ptolémée n’est pas présente dans les bibliothèques
latines de l’Occident chrétien, les connaissances du savant grec sont loin d’être
complètement perdues, et transitent, comme les connaissances astronomiques, par
Cassiodore et Martianus Capella d’abord, puis par l’apport arabe, deux voies qui en
rendent disponibles les éléments essentiels. P. Gautier Dalché conclut :

On ne saurait assurer que ces références furent toujours exactement comprises, ni qu’elles eurent une influence
décisive sur la représentation de l’espace. Mais que cette connaissance fût indirecte et partielle ne veut pas dire
36
qu’elle ait été imprécise et confuse. Grâce à elles, la notion d’une bonne partie du contenu du livre subsista .

Il explique ainsi que manquait principalement à la connaissance occidentale « la


37
référence aux méthodes de dessin de la sphère sur un plan », mais, encore une fois, le
savoir n’était pas perdu, et la géographie ptoléméenne confirmait l’astronomie
ptoléméenne de la sphère.
e
Le texte de la Géographie, par ailleurs, fit retour en Occident dès la fin du XIV siècle :
sans que l’on sache encore exactement comment, il est certain qu’un manuscrit en est
arrivé à Florence dans les années 1390 et une traduction du grec en latin fut aussitôt
entreprise. C’est cependant hors d’Italie, et notamment en France, que s’effectua la
confrontation entre le savoir grec ainsi intégralement restitué et les connaissances
géographiques médiévales, en particulier celles des voyageurs. Un personnage
important pour la suite du mythe a ici joué un rôle essentiel : Pierre d’Ailly.
Pierre d’Ailly (1351-1420) était un homme d’Église, cardinal de surcroît. Il fut un
grand savant et a laissé plus de cent soixante-dix ouvrages divers, de philosophie et de
théologie pour l’essentiel. Ce fut aussi un vulgarisateur scientifique : on lui doit une
Imago mundi, rédigée vers 1410, qui connut un important succès. Or on sait qu’il eut une
connaissance très précoce de la Géographie de Ptolémée : il fut aussi l’auteur,
probablement vers 1410 également, d’un Compendium cosmographiæ, qui se voulait « une
38
aide à la lecture de la Géographie ». Son Image du monde elle-même, probablement
antérieure au Compendium, est un résumé de toutes les connaissances astronomiques et
géographiques alors disponibles (il utilisa pour sources essentielles le Traité de la sphère
de Sacrobosco, l’Opus majus de Roger Bacon et le Traité de l’espere [la sphère] du
e
mathématicien et philosophe Nicole Oresme – XIV siècle). Lisant de très près Ptolémée
pour confronter ses propres connaissances à la Géographie, il fut ainsi le premier, en
Occident, à se pencher sur la question de la projection de la sphère à plat. Dans son
Imago mundi, il tenta de concilier la vision du monde venue de l’astronomie (qui
découpe la sphère en « climats ») et celle des cosmographes. Il compléta ainsi les
données astronomiques traditionnelles sur la Sphère par des descriptions précises des
différentes régions du globe, et révéla dans son Compendium tout l’intérêt de la méthode
de Ptolémée pour le calcul des distances et l’établissement des coordonnées exactes des
zones géographiques. C’est dans les textes cosmographiques d’Ailly, et en particulier
dans l’Imago mundi, que Colomb a trouvé les différentes évaluations de la grandeur de
la Terre dont il s’est servi pour minorer la longueur du trajet vers les Indes occidentales.

Les cartes médiévales

Nous avons signalé une des toutes premières cartes du monde en OT (orbis terrarum)
e 39
dans les Étymologies d’Isidore de Séville, reproduite dans un manuscrit du X siècle
(voir p. 96). Selon Christiane Deluz, la plus ancienne de ces cartes remonte au début du
e 40
V siècle et se trouve dans les Histoires contre les païens d’Orose ; elles représentaient le
monde habité (orbis terrarum traduit le grec oikoumenê). Dans ces cartes en OT (notées
aussi T-O), l’œkoumène est représenté en forme de O, orienté vers l’est, entouré par
l’océan réputé infranchissable ; ce dernier est parfois lui-même complété par les douze
vents principaux. Le monde est partagé par un T faisant apparaître trois zones, dédiées
chacune à l’un des trois fils de Noé : l’Asie (Sem) au-dessus de la barre du T, l’Afrique
(Cham) en dessous à droite, et l’Europe (Japhet) à gauche. Le T lui-même symbolise les
séparations naturelles de ces zones généralement assimilées au Pont-Euxin ou au fleuve
Tanaïs (le Don) pour la barre horizontale de gauche, au Nil ou à la mer Rouge pour la
partie droite, et à la Méditerranée pour la barre verticale. L’intersection entre les deux
barres du T, au centre de la carte, représente souvent Jérusalem. Parfois la ville sainte
est placée au « sommet » du cercle, juste au-dessous de la tente dorée du Paradis, qui est
orientée vers le Levant. Ce type de représentation a perduré pendant des siècles.
On trouve dans les manuscrits médiévaux de nombreuses variantes de ces cartes en
OT, certaines intégrant beaucoup de données géographiques comme la mappemonde
d’Ebstorf, datant de 1239, où le Christ enserre dans ses bras les trois parties du monde et
41
où sont mentionnés les fleuves et les villes les plus connus . La fonction de ce type de
carte n’est pas – ou pas seulement – géographique, mais cosmographique et
théologique, voire contemplative. La géographie n’existe pas en tant que telle ; elle est
associée à d’autres disciplines comme l’astronomie et les mathématiques, ou bien
constitutive d’une connaissance encyclopédique des peuples et des localités du monde.
Très souvent, à la suite d’Isidore, la description du système du monde, de la forme de
la Terre et de l’œkoumène est accompagnée de mappemondes, comme dans un
e 42
manuscrit daté du XII siècle de l’Imago mundi d’Honorius Augustodunensis , évoqué
plus haut. Ces cartes côtoient parfois également des représentations des cinq zones,
décrites par Macrobe, zones ensuite passées au nombre de sept lorsque les premières
traductions des traités astronomiques arabes ont été faites en latin.
La représentation circulaire n’est pas la seule employée. On trouve dans un manuscrit
e
probablement daté du XI siècle et conservé à la British Library une carte de forme
rectangulaire représentant le monde habité (l’Orient toujours en haut de la page). Ce
43
manuscrit numérisé se trouve en ligne . La carte mentionne de nombreux éléments
géographiques (mers, villes, montagnes, fleuves) et elle est particulièrement détaillée
pour les îles Britanniques. Elle est aussi curieusement quadrillée dans sa partie centrale
44
mais il semble que ces lignes signalent les limites des provinces romaines .
Emmanuelle Vagnon, dans un article dédié au statut de la géographie dans l’Occident
45
latin , évoque la conception d’Hugues de Saint-Victor († 1141), philosophe, théologien
et enseignant à l’abbaye de même nom. Son enseignement accordait une grande place
au commentaire d’une mappemonde qui était exposée dans l’abbaye ; il a consigné son
46
contenu dans sa Descriptio mappe mundi, dont P. Gautier Dalché a édité le texte latin .
Hugues de Saint-Victor écrit dans le prologue de la Descriptio qu’il souhaite montrer à
ceux qui ne peuvent faire le tour de l’orbe « les images des choses ». Après avoir précisé
l’intérêt de l’utilisation de couleurs variées et de légendes écrites sans lesquelles « les
images de réalités inconnues ne peuvent aucunement être comprises », il ajoute que
faire la description du monde ne consiste pas à en montrer « les réalités », ni même « les
47
représentations des réalités », mais « les significations » . Autrement dit, la carte doit
être commentée pour donner du sens à ses éléments. Il n’y a donc pas confusion entre
l’espace réel et le dessin de la carte (aussi naïf apparaisse-t-il aux yeux des lecteurs
d’aujourd’hui). Ce dernier n’est qu’une « médiation à partir de laquelle peut se
48
déployer le commentaire du maître ».
e
Au début du XVI siècle, une nouvelle représentation de la Terre comme globe
terrestre (le globe terraqué) se développe, en rupture avec les siècles précédents. La
géographie se sépare de l’astronomie, comme le montre Jean-Marc Besse : « Le
e
XVI siècle voit l’apparition et la fixation d’une conception géographique spécifique et
unifiée de la Terre » alors que coexistaient jusque-là plusieurs « concepts hétérogènes
appartenant à des types de discours distincts (la physique, l’astronomie, la
49
cosmographie, mais aussi la théologie) » . Les Cosmographies, comme celle d’Apian, que
nous allons explorer, montrent toutes une Terre sphérique, sur laquelle on peut tracer
les cercles des longitudes et des latitudes, et produire ainsi un quadrillage qui permet à
la fois de se repérer lorsque l’on navigue sur l’océan, et de projeter des cartes fiables.
Dans un article analysant la place de ces mappemondes et de leurs descriptions dans
la culture du Moyen Âge, P. Gautier Dalché évoque les propos de l’historien anglais
e
John Rows qui déclarait, vers la fin du XV siècle, dans son Historia Regum Angliæ « que
toutes les églises urbaines et rurales possédaient une mappa mundi ». P. Gautier Dalché
commente : « C’était sans doute exagéré ; mais cette exagération même atteste que le
50
Moyen Âge a connu une véritable et complexe culture cartographique ».

III. LA CONNAISSANCE DE LA SPHÈRE À L’ÂGE DE COLOMB, COPERNIC ET GALILÉE

L’ensemble de ces données, on le voit, montre qu’il n’était nul besoin d’attendre
Colomb, ou Copernic, et encore moins Galilée, pour « découvrir » que la Terre était
ronde, puisque toutes les traditions convergeaient. Si le terme sphère désigne d’abord la
structure du cosmos dans son ensemble, nul doute qu’il ne s’applique aussi à la Terre
qui occupe le centre de cette sphère céleste. La Terre était ronde, bien ronde et toujours
ronde, qu’on l’examine selon la tradition des philosophes de la nature, en tant que
masse élémentaire assise, immobile, au centre du monde, selon la tradition
mathématique des astronomes, comme une sphère entourée des sphères planétaires et
parcourue des grands cercles qui permettent de la découper, ou selon la tradition des
géographes et celle des navigateurs, qui connaissent de mieux en mieux la cartographie
réelle des zones habitées. Lorsque l’on rencontre des discussions sur sa sphéricité,
celles-ci ne concernent pas une hésitation avec une autre forme : elles portent sur le fait
de savoir si l’on peut dire la Terre sphérique malgré les irrégularités du relief ou au
regard de la question du décentrement ou du mode de conglobation des sphères de la
terre et de l’eau.

À la veille des premiers voyages vers ce qui allait bientôt être nommé Amérique, il
n’y avait pas l’ombre d’une raison pour que l’Université oublie brutalement un savoir
e
antique et médiéval bien établi. Au contraire, la fin du XV siècle, qui a rénové
l’enseignement de l’astronomie et en a vu naître une diffusion massive grâce à
l’imprimerie naissante, n’a fait que renforcer, dans le lectorat et sans doute un peu au-
delà, une connaissance bien partagée. Un simple coup d’œil sur les illustrations
nombreuses que contiennent les ouvrages d’astronomie et de cosmographie que
e
l’imprimerie multiplie dès la fin du XV siècle suffit à s’en convaincre : on y croise à
chaque pas des sphères armillaires et des globes terrestres, soigneusement quadrillés
51
par les cercles de la sphère céleste ou par les lignes de longitude et latitude . Dans tous
les cas, le savoir ne s’est pas sclérosé, les connaissances arabes ont irrigué l’astronomie
e
occidentale, et au XV siècle, on ajoute ainsi une sphère supplémentaire au système
céleste déjà construit, afin d’expliquer le mouvement dit de précession des équinoxes,
tandis que l’arrivée en Occident de la Géographie de Ptolémée permet d’affiner et de
modifier les pratiques cartographiques.
Une objection parfois faite à la connaissance de la sphéricité est celle du
cloisonnement des savoirs : la sphéricité n’aurait été admise que par un tout petit
nombre de savants et n’aurait pas fait partie d’une culture partagée, voire populaire. Or
c’est bien loin d’être le cas, et nous voudrions en donner ici quelques preuves
supplémentaires, pour permettre au « lecteur bénévole », comme aurait dit un
pédagogue de la Renaissance, d’aller par lui-même découvrir ce que pouvait lire un
médecin, un artisan alphabétisé, un ingénieur, un lettré, un homme de cour, un poète
ou un navigateur de la Renaissance.

L’enseignement officiel et sa diffusion

Dans la mesure où, comme l’atteste le petit traité de Jean de Sacrobosco, la sphéricité
était une affaire entendue dans et hors des universités (par ailleurs contrôlées par
l’Église puis les Églises et toujours sous l’œil des autorités laïques), il n’y avait aucune
e e
raison objective pour que ce savoir marque le pas aux XV et XVI siècles. Bien au
contraire, la vitalité et une large diffusion des connaissances sur la sphère terrestre à
e
l’aube du XVI siècle et durant tout le siècle attestent que la sphéricité était une affaire
bien connue, et en aucun cas une découverte récente.
Une nouvelle synthèse de l’astronomie ptoléméenne complétée et corrigée est
donnée, d’abord sous forme manuscrite en 1454, puis sous forme imprimée en 1472, par
l’astronome Georg Peurbach (qui enseignait à Vienne), avec ses Theoricæ novæ
planetarum, rédigées pour remplacer la vieille Theorica planetarum attribuée à Gérard de
Crémone. L’ouvrage, qui servit de socle au savoir astronomique dans les différentes
universités et connut un important succès éditorial, expose et explique le détail du
mouvement (plus ou moins) circulaire des planètes autour de la Terre, en utilisant les
théories complexes des épicycles. Michela Malpangotto, qui en est spécialiste, décrit
bien cet objet complexe et permet de le situer dans l’ordre du savoir astronomique :

La connaissance de l’Almageste que, d’après le témoignage de Johannes Regiomontanus (1436-1476), son maître
connaissait « par cœur », ainsi que l’exigence de rigueur mathématique que l’on retrouve dans son activité selon
ses expressions les plus différentes – observation du ciel, calcul de tables astronomiques, fabrication d’instruments
–, se rejoignent dans ses Theoricæ novæ planetarum. Celles-ci offrent ainsi une présentation cohérente et bien
structurée de l’Univers entier en toutes ses parties et selon la composition de leurs mouvements depuis la sphère
de la Lune jusqu’au Premier mobile, « en conciliant habilement la physique avec l’astronomie ». L’exhaustivité et
le fondement scientifique sous-tendant permettent à l’ouvrage de Peurbach de marquer un progrès considérable
par rapport à la tradition précédente de la Theorica planetarum communis sans toutefois présenter les difficultés,
trop élevées pour des étudiants universitaires, que comportent l’Almageste ou son Epitoma rédigée par Peurbach et
52
Regiomontanus eux-mêmes .

L’ouvrage de Peurbach, ainsi, rappelle que l’astronomie mathématique est alors à la


fois soucieuse des observations et parfaitement au fait de l’astronomie grecque ancienne
et des avancées arabes. Or la sphéricité de la Terre y va de soi : l’ouvrage s’occupe des
cieux, et non du globe terrestre, mais il montre à chaque page les planètes tournant
autour de ce dernier.
Il est rapidement adapté (plutôt que traduit) en français par Oronce Finé, sous le titre
La Theorique des cielz, mouvemens, et termes practiques des sept planetes, nouvellement et
tresclerement redigée en langaige françois (1528), signe de la large diffusion de l’astronomie
er
universitaire. Oronce Finé, mathématicien chargé par François I , au Collège royal, de
vulgariser et de répandre les connaissances astronomiques, prend bien soin de rappeler
à ses lecteurs les bases du savoir cosmologique. Il redit, au début de son texte, qu’il
existe deux grandes « régions » dans le monde, la céleste, celle qui commence à l’orbe
de la Lune, qu’il appelle « la machine des ciels mobiles […] desquels le mouvement est
53
connu et discerné par les étoiles », et la région élémentaire :

Secondement, il faut noter que l’ordre, situation et figure des quatre éléments dessus nommés est ainsi comme
s’ensuit. La Terre est au milieu de tout le monde, comme centre universel d’icelui. Environ et par dehors ladite
Terre est l’Eau, rédigée en moindre quantité, et plus contrainte que sa naturelle disposition ne requiert : et ce pour
la découverture des parties extérieures de la Terre, nécessaires à l’habitation et vie des vivants : tellement que
l’Eau et lesdites parties découvertes de la Terre, font une même superfice par dehors : tendant par tout endroit
comme un même corps à rotondité. L’air environne et circuit rondement ladite superfice extérieure de l’Eau et de
54
la Terre découverte .

Autrement dit, la Terre et l’eau forment un globe unique, l’eau se répartissant de


manière à laisser de vastes espaces de terre découverts. L’ouvrage, ensuite, détaille les
mouvements célestes compliqués de chaque planète : l’important pour nous est ici que
la « rotundité » de la Terre est rappelée comme une évidence liminaire.
Finé, par ailleurs, fut aussi l’un des nombreux éditeurs de la Sphère de Sacrobosco, lue
très au-delà des cercles universitaires. Il emprunta son modèle au moine anglais pour
rédiger sa propre Sphère, en latin, d’abord, en français ensuite, dans laquelle il fait en
particulier entrer un savoir hydrographique et cartographique nouveau et tout récent.
La connaissance de la sphéricité de la Terre, ainsi, n’a rien de technique ou de rare et
n’est pas l’apanage des savants. L’astronomie étant une science particulièrement prisée
des lecteurs renaissants, elle connaît une bonne diffusion dans les langues
vernaculaires, que l’on observe sans difficulté en France ou en Italie. Savoir que la Terre
est ronde peut être considéré comme relevant d’un niveau de connaissances
élémentaire, même si les ouvrages les plus pédagogiques prennent encore le temps de
rappeler l’évidence. Les textes sont sans ambiguïté : nous avons cité Les Théoriques de
Finé, mais on peut tout aussi bien se reporter à ce qu’il dit dans sa Sphère française de
1551 :

laquelle terre, comme le plus pesant et dur élément, est amassée et conglobée au milieu de tout le monde, faisant le
centre d’icelui. Et convient noter, que l’eau n’environne point rondement et entièrement toute la terre ; mais est
répandue par divers bras, et traits, et conduits (que nous appelons mers), tant au-dedans que autour d’icelle. Car il
était nécessaire, que aucunes parties de ladite terre fussent découvertes, pour le salut et habitation des vivants :
55
ainsi qu’il a plu au créateur, prévoyant la commodité de toutes choses .

La conglobation de la terre et de l’eau est un signe de la prévoyance divine car, pour un


e
homme du XVI siècle, il n’y a pas incompatibilité entre l’enseignement cosmologico-
astronomique et celui de la foi. Oronce Finé, en bon pédagogue, rappelle quelques
lignes plus loin que cette Terre est immobile (cela nous permet d’observer les
mouvements célestes : sans immobilité terrestre, on ne verrait pas tourner les cieux), et
qu’elle est au centre du monde, comme un minuscule point au regard du cosmos.
Si l’on parcourt la littérature astronomique française de la Renaissance (ou la latine
tout aussi bien), on ne rencontre rien d’autre. Les mathématiciens de la Pléiade
s’emparent à leur tour du sujet, et l’on peut lire par exemple dans les Institutions
astronomiques de Jean-Pierre de Mesmes, publiées en 1551 et qui constituent une forme
de vulgarisation policée des connaissances astronomiques, un chapitre intitulé « Que la
56
Terre est ronde » . Jean-Pierre de Mesmes, en fin lettré, y évoque les « rêveries »
présocratiques :

Elle ne retient point la forme d’un tambourin selon Leucippe, ni d’un bateau selon Héraclite, ni d’une colonne
selon Anaximandre, ni d’un canal selon Démocrite, ni d’une plateforme selon Empédocle, ni d’une pyramide
selon d’autres rêveurs : mais une forme ronde et sphérique.

Suit une démonstration par l’absurde :

Mais si la Terre était cannelée, ou cavée en façon d’un bateau, toutes les étoiles se montreraient plus tôt aux
Occidentaux qu’aux Orientaux. Si elle était plate et unie, ceux du Levant et du Ponant verraient en même temps
tous les corps célestes se lever et en même temps se coucher. Si elle était colonnale ou en façon d’une colonne […]
ceux qui seraient autour de la colonne ne sauraient voir une seule étoile, qui fût totalement exemple du levant et
57
couchant [etc.] .

On notera ici que l’idée d’une Terre plate semble aussi fantaisiste que celle d’une Terre
en pyramide, en colonne ou en forme de bateau, idées d’ailleurs explicitement païennes
et pré-aristotéliciennes à la fois. Par ailleurs, les données de l’expérience, précisément,
sont capitales :

Car ceux qui voguent en pleine mer, ne peuvent rien voir que Ciel et mer : mais approchant la rade, ils
commencent peu à peu à découvrir le faîte des montagnes et des tours, comme si elles sortaient du milieu de
58
l’eau .

Et de conclure, après avoir invoqué l’expérience des navigateurs comme l’argument de


l’ombre du globe terrestre durant les éclipses :

Il faut donc arrêter que la masse terrestre est ronde, puisque son ombre est ronde : ce que les Saints Prophètes
confessent, appelant la Terre en mains endroits Orbis terræ. D’avantage raison veut bien, que la créature tienne
quelque chose de son Créateur : car tout ainsi que le Créateur est éternel, exempt de commencement et fin, et infini
59
en sa grandeur, au semblable n’est possible d’assigner ni fin ni commencement à la figure ronde .

La Cosmographie de Pierre Apian, très grand succès de librairie en latin comme dans la
version française attribuée à Gemma Frisius, est une autre trace du caractère commun et
bien répandu de la certitude de la sphéricité. Dans sa Cosmographie (Liber cosmographicus,
1524), rééditée à de nombreuses reprises, augmentée et illustrée dans l’édition donnée
par le mathématicien et faiseur de globes matériels Gemma Frisius, Apian se livrait déjà
à une démonstration par l’absurde, imaginant ce que produirait une éclipse si la Terre
était carrée ou triangulaire. Le texte, ici encore, est explicite :
Pource que la superfice ou corps de la Terre et de l’eau est rond, comme il appert évidemment en l’éclipse de la
Lune (car leur ombre est semblable à un corps rond obscure et épais) et est établi ou constitué sans aucun
mouvement au milieu du monde, elle a en son environnement cinq cercles, si comme a la sphère en sa convexité, à
60
savoir l’équinoctial, les deux tropiques, et les cercles arctiques et antarctiques .

Ses nombreuses et précises illustrations en témoignent également.


Enfin, signalons, à la toute fin du siècle, l’existence d’un petit ouvrage d’éducation
scientifique privé, rédigé par un père pédagogue pour ses enfants, dans lequel
dialoguent un petit garçon et une petite fille. Dans ce Globe du monde au titre
transparent, dû à la main de Simon Girault, le petit Charles répond aux questions de la
petite Marguerite. Il lui explique que la Terre est au centre du monde et que si l’on y
perçait un trou de part en part et que l’on y jetait un morceau de plomb, « il ne faudrait
61
jamais de s’arrêter au milieu de la Terre et demeurerait comme suspendu ».
Marguerite, qui regarde les illustrations d’un livre qu’elle lit avec son frère, plus
instruit, observe alors que le ciel entoure la Terre de tous côtés. Charles lui confirme
qu’elle a bien compris :

En quelque endroit de la Terre que nous puissions être, nous nous trouvons toujours droits et à plomb, et nous
émerveillons comme nos antipodes, qui marchent les pieds à l’opposite des nôtres, peuvent se grimper contre la
Terre : ils s’étonneraient de même nous voyant tenir le bas ayant les pieds contre eux : bref, chacun est planté droit
sur la Terre.

Peu après, Marguerite demande : « Comment peut-on savoir que la Terre est un
globe ? » :

Charles : On le prouve par plusieurs démonstrations, même par la raison ci-dessus que le Soleil et autres étoiles se
lèvent et se couchent plus tôt aux Orientaux, qu’à ceux du côté d’Occident, ce que n’adviendrait si la Terre était
plate comme il nous semble. […]. On prouve aussi la rondeur par l’Éclipse de Lune : et faut noter que le globe
lunaire est comme un miroir lequel ne peut luire s’il n’est exposé à quelque lumière : or la lumière qui fait éclairer
la Lune sont les rayons du Soleil, comme on voit en la figure suivante : laquelle nous démontre aussi que la Terre
étant diamétralement interposée entre le Soleil et la Lune, […] empêche que les rayons du Soleil ne parviennent
jusque au corps lunaire. […] Or cette ombre apparait ronde en entrant et en sortant du corps de la lune, que nous
62
donne certain argument que la Terre est ronde, puisque l’ombre en est telle .

Si les mathématiciens et les astronomes de profession ne prennent pas souvent la peine


de démontrer la rotondité de la Terre, qui va de soi et dont ils ne s’occupent guère
puisqu’ils scrutent les cieux, les cosmographes, qui regardent la Terre et sont en train de
63
devenir des géographes , les vulgarisateurs et les pédagogues prennent soin de bien
établir que la Terre est ronde, et de fonder leurs arguments sur « la raison » et
« l’expérience », tout en ne manquant pas de signaler, pour certains, que cette sphéricité
bienvenue est le résultat de la sagesse divine.
On pourrait ainsi multiplier les exemples. L’évocation du cosmos, des sphères étoilées
et du globe terrestre se rencontre explicitement dans la littérature, chez les auteurs de
poésie philosophique, bien sûr, qui rendent compte souvent avec précision des
connaissances de leur temps ou tout au moins y font allusion comme à un fond
commun bien partagé, mais aussi dans des formes de littérature sans rapport avec le
sujet. Le premier cas illustre également la manière dont les rapports supposés
antinomiques de la foi et de la science pouvaient être perçus par le lectorat mondain.
Dans La Sepmaine de Du Bartas, en effet, poème cosmologique qui fut un immense
e
succès de librairie de la fin du XVI siècle (première publication en 1578), Guillaume
Du Bartas, poète protestant convaincu, raconte la création du monde par Dieu dans un
long poème épousant la structure des premiers versets de la Genèse. Il y insuffle un
grand nombre de connaissances scientifiques contemporaines, montrant par là
précisément la manière dont le cadre biblique peut se concilier avec les connaissances
scientifiques, qu’il ne perçoit pas comme contradictoires. Dans le « Troisième jour »,
celui qui expose la séparation de la terre et de l’eau, le poète reprend d’abord les
éléments traditionnels de la sphéricité du globe formé par la terre et par l’eau, pour
conclure :

Cela même suffit pour montrer que de l’onde


Et du sec élément la masse est toute ronde.
Que ce n’est qu’un estœuf, qui comme fait au tour,
Voit le jour et la nuit s’entresuivre par tour.
Voire quand un Vespuce, un Colomb, un Marc Pole,
Et centre autres Typhis n’auraient sous autre pole
Conduit le pole arctique, et vivant sur les eaux,
Trouvé dessous nos pieds tant de mondes nouveaux,
Non, ils n’eussent jamais perdu la Tramontane
Pour voir l’autre pivot, si la mer Océane,
Pour faire entièrement un globe avec sa sœur,
64
De tous et tous endroits ne courbait son humeur [i.e. : l’eau] .

La démonstration scientifique, appuyée par l’expérience des navigateurs (le poète


souligne qu’elle n’a fait que confirmer une chose connue, point notable lorsque l’on
s’intéresse à la diffusion des connaissances dans le lectorat non spécialisé), le conduit
tout droit à la louange divine :

Ô grand Dieu ! C’est ta main, c’est sans doute ta main


Qui sert de pilotis au domicile humain.
Car bien qu’il pende en l’air, bien qu’il nage sur l’onde
Bien que de toutes pars sa figure soit ronde,
Qu’autour de lui tout tourne, et que ses fondements
Soient sans cesse agités de rudes mouvements :
Il demeure immobile, afin que sur sa face
65
Puisse héberger en paix d’Adam la sainte race .

On le voit ici, la sphéricité ne pose aucun problème au poète protestant. Nulle part elle
n’apparaît en contradiction avec l’enseignement biblique (Du Bartas s’inspire en outre
nettement de la patristique, en particulier de l’Hexaméron de Basile de Césarée). En
revanche, la stabilité parfaite de ce globe terrestre, suspendu au milieu d’un monde
dont les cieux se meuvent, qui est entouré par un air agité de vents et d’orages et dont
les entrailles sont sans cesse menacées par les tremblements de terre, est un objet
d’émerveillement et de louanges.
Quant à la banalité de la connaissance de la sphéricité dans le monde des lisants-
écrivants (au moins), nous en donnerons un exemple typique. Dans Hippolyte, tragédie
de Robert Garnier (1573) inspirée d’Euripide et de Sénèque et racontant l’amour
incestueux de Phèdre pour Hippolyte, sujet et genre littéraires sans rapport aucun avec
la question scientifique, on trouve, au détour des vers, des allusions significatives. La
Nourrice, évoquant les voyages de Thésée, dit ainsi que « Thésée, qui, compagnon du
66
grand Tirynthien / A presque tout couru ce globe terrien » ; plus loin, c’est un
Hippolyte épouvanté par l’aveu de Phèdre qui s’écrie : « Non le grand Océan, avecques
toute l’onde / Dont il lave en flottant cette grande masse ronde / Ne me saurait
67
laver », et enfin Thésée, croyant son fils coupable, annonce qu’il n’échappera pas au
châtiment : « Or cours où tu voudras, travers vagabond / Les terres et les mers de ce
68
grand monde rond . » Le « globe terrien » est, on le voit, un lieu commun.
La question du mouvement de la Terre, en revanche, qu’il s’agisse de sa révolution
autour du Soleil ou de sa rotation sur elle-même, est bien l’un des points capitaux
e
expliquant les nettes tensions entre science et théologie qui apparurent au XVII siècle.
Pour ne nous intéresser ici encore qu’à ce que pouvait savoir et penser un public lettré
mais non spécialiste, signalons que le poème de Du Bartas a été minutieusement
commenté par Simon Goulart, un pasteur protestant, érudit et polygraphe,
e
commentaire constamment enrichi durant des années à la fin du XVI siècle. À l’entrée
« Terre » de ses annotations, il écrit :

Le Poète dit en premier lieu que la terre comme le plus lourd des quatre éléments tient le centre et milieu du
monde, étant soutenu par la secrète puissance de Dieu, et environnée de l’élément de l’eau, avec qui elle fait un
globe, environné des régions de l’air, l’air du feu élémentaire. […] Et après il montre qu’elle demeure ferme en son
69
être (Psaume 104) pour servir de domicile à l’homme et aux animaux .

On voit très bien ici à quel point la sphéricité ne pose pas problème, même si la « secrète
puissance de Dieu » est mentionnée à la place des lois de la physique aristotélicienne,
auxquelles elle se substitue sans difficulté. Mais on comprend aussi que la question du
mouvement est une autre affaire pour les chrétiens, catholiques ou réformés :

La Terre ordonnée pour domicile du genre humain et spécialement de l’Église recueillie d’icelui, et sanctifiée à
Dieu, nécessairement fallait que la main de Dieu qui soutient toutes choses puissamment donnât demeurance
ferme et arrêtée à ses hôtes. […] Il fallait aussi que le domicile du genre humain et de l’Église militante ne fût pas
ébranlé du tout : mais que parmi les révolutions de l’eau et de l’air, il y eût quelque ferme assiette pour les
70
habitants qu’elle loge et nourrit .

Le problème, confirmé ensuite par le procès de Galilée, n’est pas la sphéricité, c’est à
la fois la question de la place de la Terre (la priver de sa place au centre du monde
constitue une double révolution théologique et anthropologique) et de son mouvement.
Ici, on le voit, l’obstacle est bien théologique et non scientifique, mais un effort de
dépaysement intellectuel permet aussi de comprendre pourquoi, pour des chrétiens
sincères, la question du mouvement pouvait être un tel enjeu.

La réalité des débats

Il n’est pas question de refaire ici l’histoire d’une astronomie de la Renaissance bien
étudiée par ailleurs, rappelons simplement au lecteur curieux les (très) grands traits de
ce que recouvre la notion de « révolution copernicienne », expression devenue par
ailleurs commune pour désigner tout grand changement de paradigme scientifique,
voire culturel.
e e
La fin du XV et le XVI siècles ont été incontestablement des périodes de
bouillonnement intellectuel et scientifique. La gloire posthume de Copernic occulte
d’ailleurs d’autres noms, comme Girolamo Fracastoro ou Tycho Brahé, dont les
propositions astronomiques n’ont pas nécessairement été confirmées, raison pour
lesquelles une histoire positiviste des sciences les a longtemps négligées. Elles
e
témoignent en revanche que l’astronomie a connu à partir de la fin du XV siècle une
intense activité, qui s’est manifestée sous de nombreuses formes, et dont l’hypothèse
héliocentrique n’est qu’une des traductions, même si c’est la plus marquante.
e
Il faut donc être attentif à plusieurs points : la révolution astronomique du XVI siècle
ne peut ni se lire sur le mode « un savant seul contre tous », ni sur le mode « la science
contre l’Église » – mythe construit par l’histoire positiviste sur la base des procès faits à
Galilée – et encore moins sur le mode providentiel du grand homme et du savant-
génial-qui-découvrit-la-modernité. En outre, il ne faut pas confondre le retour aux
sources grecques restituées dans leur intégrité et la redécouverte des théories. Si un
savant comme l’astronome viennois Georg Peurbach († 1461) revient à un contact direct
et authentique avec l’Almageste, par exemple, cela ne signifie pas que les théories
ptoléméennes étaient inconnues, nous l’avons montré. Au-delà du mythe de la Terre
plate, il est très frappant pour les enseignantes que nous sommes de découvrir que des
étudiants de lettres ou de philosophie de niveau licence semblent tomber des nues
lorsqu’on leur explique que tout l’enseignement médiéval repose sur le commentaire
des œuvres d’Aristote et que les textes de Pline ou d’Ovide ont été des best-sellers, si
l’on ose dire, du Moyen Âge.
Les transformations qui se produisent entre 1450 et 1650 sont multiples et variées.
Elles concernent l’astronomie mais aussi la physique : hypothèse héliocentrique et
double révolution terrestre, mais aussi, et c’est tout aussi sinon plus déterminant, mise
en cause de la bipartition aristotélicienne entre univers sublunaire élémentaire et monde
supralunaire quintessencié, discussions sur l’existence du vide, sur la possibilité ou non
d’un univers infini et ouvert, sur l’existence même d’autres mondes (on a bien trouvé
un autre continent et de nouveaux hommes !). L’effort humaniste de retour aux sources
se combine donc avec la quête de lois mathématiques et physiques efficaces, capables de
rendre compte des phénomènes sans tomber dans la terrible complexité du système
e
astronomique tel qu’il était devenu au XVI siècle, et avec la montée en puissance de
l’observation. Contrairement à la légende, l’Église encourage le mouvement
scientifique, du moins dans une certaine mesure et durant un certain temps. Les
rapports entre philosophie et religion sont une question éminemment complexe, et la
e
crispation réelle vient plus tard, au XVII siècle. Les savants, d’abord, ne considèrent pas
la curiosité scientifique comme incompatible avec la foi, et il suffit par ailleurs de
regarder le nombre d’ouvrages de science dédiés à des hommes d’Église et permis par
leur mécénat, pour mesurer à quel point l’idée d’une Église contre la science est fausse :
Laurent Pinon, qui a très précisément étudié la production des livres scientifiques à
Rome entre 1527 et 1650, a bien montré que le mécénat pontifical et ecclésiastique était
majoritaire et que, même s’il convient de mesurer avec finesse la complexité de ses
enjeux, « force est de constater que nous sommes bien loin ici de l’opposition
71
caricaturale que l’on a parfois dressée entre science et église ». Rappelons simplement
ce qu’écrivait déjà il y a plusieurs décennies Alexandre Koyré au sujet de Copernic dans
le volume consacré à La Science moderne par René Taton :

Ni le pape, ni personne d’autre à Rome, ne souleva d’objections ni contre la théorie, ni contre son auteur. Bien au
contraire, trois ans plus tard (en 1536), un des membres de la curie romaine, le cardinal archevêque de Capoue,
Nicolas Schönberg, invita Copernic à publier ses découvertes et lui demande de faire exécuter, à ses frais, une
72
copie de son travail .

À l’inverse, il ne faut évidemment pas minimiser les problèmes théologiques et donc les
oppositions croissantes qu’a progressivement suscité le nouveau système du Monde. Ici
encore, cependant, il convient de partir du postulat de l’intelligence des intellectuels de
l’époque, homme d’Église compris, plutôt que de leur supposée bêtise doublée d’une
ignorance au mieux poussiéreuse : dans une société profondément chrétienne,
catholique comme réformée, comment ne pas comprendre que le décentrement de la
Terre, l’hypothèse d’autres mondes ou d’un univers infini, la découverte même des
peuples américains dont on se demande du coup quelle est leur place dans l’histoire
chrétienne (sont-ils bien les enfants d’Adam, ont-ils connu la Révélation ?) puissent
susciter des discussions et des oppositions ? Comme dans tous les milieux, il ne faut pas
e
mettre tout le monde dans le même panier : certains ecclésiastiques du XVI comme du
e
XVII siècle sont remarquablement curieux et cultivés, quand d’autres apparaissent plus
bornés, voire totalement fermés à tout développement scientifique et parfaitement
obtus.
Quoi qu’il en soit, notre propos n’étant ici ni de défendre, ni d’accabler l’Église, c’est
alors que la modernité est bien engagée, donc ni au Moyen Âge, ni à la Renaissance, que
se crispent, jusqu’à devenir une franche bataille, les tensions entre science et religion.
C’est d’ailleurs dans l’Europe moderne, et pas dans celle du Moyen Âge, que l’on brûle
« sorciers » et surtout « sorcières ». Ce n’est pas une Église de type médiéval qui a
condamné Galilée et les thèses coperniciennes, mais précisément l’Église du début du
e
XVII siècle, celle de l’âge de Descartes, utilisant une nouvelle vision littéraliste des
Écritures. Ceci permet au moins d’interroger le terrible qualificatif « moyenâgeux » dont
on continue parfois, hélas, d’assortir le mot « obscurantisme ».
e
À l’époque de Galilée et de son procès, au début du XVII siècle, il y a bien longtemps
que la sphéricité est un fait admis et transmis par toutes les autorités savantes sans
opposition de l’Église. Elle est bien installée dans la culture plus large des lisants-
écrivants et des cercles qui ont pu, par porosité, bénéficier de ce savoir. Associer Galilée
et la sphéricité, comme cela est encore fait couramment aujourd’hui, ne peut même pas
être excusé en faisant de Galilée une sorte de révélateur qui aurait permis que soient
divulguées des théories jusque-là maintenues sous le boisseau. Nous ne pouvons entrer
ici dans le détail très complexe du procès de Galilée ; il continue de susciter
d’importants travaux et son interprétation est loin d’être arrêtée. Nous souhaitons
surtout souligner, comme le rappelait Francesco Beretta en 2005, qu’il n’est encore pas si
facile « de poser les jalons d’une véritable historicisation de l’affaire Galilée.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, elle reste encore largement à produire, en
raison de l’influence qu’exerce toujours le mythe du “savant persécuté par l’Église”,
e 73
produit au XIX siècle lors de la laïcisation des sociétés européennes ».

Notes
1. Brown, 2011, p. 72.
2. Pour un exemple illustrant la complexité de la circulation des textes, voir Gautier Dalché, 2009.
3. Boulnois, 1998, p. 213.
4. Boèce, Consolation de la philosophie, II, 13.
5. Bède, De natura rerum, XLVI, trad. Gautier Dalché, 2013, p. 173.
6. Mayaud, 2005, vol. I, p. 91.
7. PL 90, col. 456-457.
8. Bède, Tabernacle, livre II, p. 86-87.
9. Lindberg, 1979.
10. Libera, 2004, p. 363-370 et Bianchi, 1999.
11. Ribémont, 2001.
12. Ducos, 1998.
13. Libera, 1989, p. 4.
14. Boulnois, 1998, p. 225.
15. Ribémont, 2001.
16. Deluz, Ribémont.
17. Dante, Divine comédie, « Paradis », 10, v. 130-132.
18. Fontaine, introduction à Isidore, De natura rerum, p. 5.
19. Ibid., p. 6.
20. Isidore, De natura rerum, p. 166.
21. Ibid., p. 166.
22. Fontaine, 1990.
23. Isidore, De natura rerum, p. 208.
24. Ibid., p. 212-216.
25. Etimologías, Mapa del Mundo Conocido (source Wikicommons).
26. http://uranie.huma-num.fr/
27. Jean de Sacrobosco, Sphère, trad. G. Des Bordes, p. 29.
28. Ibid., p. 32.
29. Ibid., p. 33.
30. Crédit photo : La Sphere de Jean de Sacrobosco, Paris, Hierosme de Marnef et la veufve Guillaume Cavellat, 1584,
exemplaire de la B.M. de Bordeaux, document numérisé par la bibliothèque Uranie : http://uranie.huma-
num.fr/idurl/1/1479.
31. Crédits photos : ibid.
32. Silvi, 2003, p. 346.
33. Voir pour le texte non modernisé, L’Image du monde, p. 93.
34. Placides et Timeo, § 134, p. 56.
35. Ibid., § 118, p. 50.
36. Gautier Dalché, 2009, p. 142.
37. Ibid., p. 146.
38. Ibid., p. 168.
39. Cote : BNF latin 10293, fol. 139.
40. Deluz, 2013, p. 18.
41. Voir la numérisation de cette mappemonde réalisée par l’université de Lüneburg :
https://warnke.web.leuphana.de/hyperimage/EbsKart/#O9999/
42. Manuscrit conservé à Cambridge, bibliothèque du Corpus Christi College, cote ms 066.
https://parker.stanford.edu/parker/catalog/jb848tp9919, p. 2.
43. Manuscrit conservé à la British Library, anonyme, cote : Cotton Tiberius, B V/1,
http://www.bl.uk/manuscripts/Viewer.aspx?ref=cotton_ms_tiberius_b_v !1_f002r , f. 56v.
44. Deluz, 2013, p. 33.
45. Vagnon, 2012.
46. Gautier Dalché, 1988.
47. Ibid., p. 72-73.
48. Vagnon, 2012, p. 349.
49. Besse, 2003, p. 18.
50. Gautier Dalché, 2016, p. 86.
51. Ici, une illustration d’une édition de la Sphère, montrant Jean de Sacrobosco lui-même, la muse Uranie et
Ptolémée, Textus de sphaera Joannis de Sacrobosco, Paris, Simon de Coline, 1527. Crédit photographique : bibliothèque
Uranie, http://uranie.huma-num.fr/idurl/1/1511.
52. Malpangotto, 2012, p. 341.
o
53. Finé, La Theorique des cielz, éd. 1607, f. 4 v .
o o
54. Ibid., f. 4 v -5 r .
o
55. Finé, La Sphere du monde, f. 2 v .
56. De Mesmes, Institutions astronomiques, chap. 18, p. 54-56.
57. Ibid., p. 54.
58. Ibid., p. 55.
59. Ibid.
60. Apian, Cosmographie, trad. Gemma Frisius, p. 7. Crédit photographique : La Cosmographia de Pedro Apiano,
corregida y anadida por Gemma Frisio, Anvers, Juan Bellero, 1575, document numérisé par la bibliothèque Uranie :
http://uranie.huma-num.fr/idurl/1/1435.
o
61. Girault, Globe du monde, f. 4 r .
o o
62. Ibid., f. 5 r -v .
63. Passage de la cosmographie à la géographie. Crédit photographique : La Cosmographia de Pedro Apiano, corregida
y anadida por Gemma Frisio, Anvers, Juan Bellero, 1575, document numérisé par la bibliothèque Uranie :
http://uranie.huma-num.fr/idurl/1/1435.
64. Du Bartas, La Sepmaine, III, v. 365-376, p. 186.
65. Ibid., III, v. 391-3988, p. 187.
66. Garnier, Hippolyte, v. 561-562, p. 98.
67. Ibid., v. 1489-91, p. 140-1.
68. Ibid., v. 1803-4, p. 157.
69. La Sepmaine ou Creation du monde, t. 2, L’Indice de Simon Goulart, p. 382.
70. Ibid., p. 384-385.
71. Pinon, 2009, p. 201.
72. Taton, 1995, p. 61.
73. Beretta, 2005, p. 521.
DEUXIÈME PARTIE
Histoire et enjeux d’un mythe
CHAPITRE I
L’invention de la Terre plate

e
C’est principalement au XIX siècle que s’est répandue et fortement enracinée l’idée
d’une croyance des hommes du Moyen Âge en une Terre plate. La légende, cependant,
e e
est plus ancienne et apparaît timidement au XVII et surtout au XVIII siècle, en particulier
avec Voltaire. L’élaboration du mythe se consolide alors progressivement à l’intérieur
de deux autres constructions fabuleuses, à la lumière desquelles il faut l’examiner :
l’héroïsation des figures de Galilée et de Christophe Colomb et, plus généralement, de
découvreurs ou de savants supposés avoir rendu à la Terre la sphéricité que lui aurait
déniée l’Église pendant près d’un millénaire. Si ces deux constructions utilisent un
argument commun, « au Moyen Âge on croyait que la Terre était plate », elles n’ont pas
tout à fait la même fonction. Galilée est la figure de proue dont se sont emparés à la fois
les Protestants et la science désormais laïcisée pour accréditer l’idée d’une Église
catholique, « papiste », qui aurait été dès sa naissance opposée au progrès, argument
brandi par exemple au moment de la querelle du darwinisme, alors que Colomb est
utilisé surtout pour mettre en scène le triomphe des savoirs acquis par l’expérience et le
tâtonnement contre les théories dogmatiques, ou comme figure de l’humble navigateur
guidé par la providence divine, ce qui explique qu’il y ait un Colomb magnifié par les
catholiques.

I. DES ANTIPODES À LA TERRE PLATE

L’exhumation de Lactance

La construction du mythe d’une croyance médiévale en une Terre plate s’est faite en
effet par petites touches et par l’habile association de faits réels (les voyages
transatlantiques, les hypothèses héliocentriques) et de débats tout aussi réels (l’existence
d’habitants des antipodes), à une croyance, celle de la forme plate, parfaitement
marginale même au sein de l’Église chrétienne. Comme le souligne tout à fait justement
P. Gautier Dalché, que la persistance tenace de ce mythe intrigue comme beaucoup,
l’argument de la Terre plate n’est jamais invoqué par les humanistes. Ils ne se sont
pourtant pas privés de décrier et de ridiculiser le Moyen Âge et furent ainsi les
inventeurs des « ténèbres » médiévales, dont Rabelais et la célèbre lettre de Gargantua à
son fils Pantagruel, qui figure dans tous les manuels de littérature et dans tous les
manuels d’histoire sur la Renaissance, n’a pas peu contribué à implanter solidement
l’idée dans les esprits français.
La connaissance parfaite que les hommes de la Renaissance avaient des savoirs
universitaires de leur temps rendait en effet impossible d’utiliser, même de très
mauvaise foi, un tel argument, qui serait apparu comme parfaitement ridicule, comme
le montre le long succès de la Sphère de Sacrobosco. Ainsi, « dans le cadre des querelles
nées à propos des théories héliocentriques de l’univers, seule est parfois mentionnée la
négation des antipodes par certains théologiens, mais elle est rarement associée à un
1
débat sur la forme de la Terre ». En revanche, le malheureux Lactance a, de longtemps,
servi d’exemple type, non pas de l’ignorance attribuée à l’Église, mais du risque qu’il y
a à juger de ce que l’on ne connaît pas. Copernic lui-même a, sans le vouloir, crée un
dangereux précédent : il invoque Lactance dans la dédicace des Révolutions des orbes
célestes au pape Paul III :

Car on sait bien que Lactance, écrivain autrement célèbre, mais faible mathématicien, a parlé d’une façon
parfaitement puérile de la forme de la Terre, en se moquant de ceux qui ont découvert que la Terre avait la forme
d’une sphère. Les doctes ne s’étonneront donc pas si de tels gens se moquaient de nous. Les choses mathématiques
s’écrivent pour les mathématiciens, auxquels, si mon opinion ne me trompe, ces miens travaux paraîtront
2
contribuer à la gloire de la République Ecclésiastique dont Ta Sainteté occupe aujourd’hui le principat .

Il n’est évidemment pas question de ridiculiser l’Église dans une dédicace au Pape, mais
il n’est pas inintéressant que Lactance surgisse dans ce contexte : l’usage qu’en fait
Copernic montre que les propos de Lactance n’avaient précisément aucune autorité et
servaient à illustrer l’incompétence du non spécialiste qui se mêle de tout, plutôt que
l’avis des autorités religieuses. Lactance apparaît ici par ailleurs comme le seul
défenseur connu de la croyance « puérile » en la terre plate.
On en trouve un témoignage équivalent, et en langue française, quelques années plus
tard chez La Popelinière – un érudit protestant – dans un ouvrage ayant trait à la
géographie, publié en 1582 :

Car les théologiens qui se jetant hors de leurs professions ont voulu discourir de telles choses, s’y sont à l’avis
d’aucuns très lourdement abusés, Saint Augustin notamment, Lactance et plusieurs autres. […]. Plusieurs anciens
[…] l’ont pensée ronde, et qu’il y avait des peuples antichtones. Platon même a confessé les Antipodes. Mais ils ne
nous ont laissé les démonstrations, qui fut occasion à saint Augustin de croire bien la rondeur de la terre, mais de
nier qu’il y eût des Antipodes sous nous : estimant que l’eau couvrait tout le dessous de la terre qui ne nous
3
apparaissait .
e
La controverse autour des antipodes prend une autre tournure au XVII siècle, lorsqu’elle
met en jeu l’autorité pontificale. En 1554, l’érudit et pédagogue humaniste Johann
Turmair (dit Jean Aventin ou Johannes Aventinus) résumait dans ses Annales Boiorum
e
(Annales de Bavière), un échange épistolaire qui eut lieu au VIII siècle entre le pape
Zacharie (741-752) et saint Boniface, missionnaire mandaté par le pontife, au sujet d’une
défense des antipodes avancée par un moine irlandais, apparemment éduqué, Virgile,
en 748. Virgile († 784) avait été appelé sur le continent auprès de Pépin le Bref puis de
son beau-frère Odilon, duc de Bavière. Cet épisode a donné lieu à différentes
interprétations. Pierre-Noël Mayaud estime que le pape Zacharie a condamné les
propos du prêtre parce que celui-ci aurait défendu la possible existence d’antipodiens
4
alors que le pontife la refusait, à l’instar d’Augustin . Patrick Gautier Dalché considère
que s’il y a bien eu un échange de lettres entre Zacharie et Boniface, c’est pour discuter
de l’opportunité de condamner Virgile parce qu’il avait soutenu, non l’existence
5
d’antipodiens, mais semble-t-il celle d’un autre monde .
Le pape conseille la tenue d’un concile s’il est prouvé que Virgile a bien tenu les
propos qu’on lui prête, c’est-à-dire « qu’il y ait un autre monde et d’autres hommes
sous la Terre, ainsi qu’un soleil et une lune ». L’affaire n’a donc rien à voir avec une
querelle sur la sphéricité, et il n’y a pas eu de condamnation de Virgile pour hérésie ; il
e
est devenu évêque de Salzbourg puis a été canonisé au XIII siècle. Gautier Dalché
explique, à l’instar de Mayaud, comment ce texte a été sorti de son contexte et
e
instrumentalisé, notamment à partir du XVII siècle, où l’on a voulu construire « à partir
des bases très incertaines qu’il procure, un cas de persécution semblable à celui de
Galilée » puisque « la croyance en l’existence des antipodes aurait été condamnée
6
comme hérétique » .
Que l’exhumation de l’affaire Virgile ait été dès lors perçue ou soit devenue ensuite
un enjeu de la querelle entre les Églises ainsi qu’entre la science et l’Église catholique est
e
manifeste au XIX siècle. Migne (l’abbé Migne), directeur de l’immense publication des
écrits grecs et latins des Pères de l’Église (la Patrologia latina et la Patrologia græca), écrit
en effet, citant le texte de la lettre donné ci-dessus :

Et bien ! Sur ces indices assez peu précis, un auteur protestant a forgé toute une histoire, et des écrivains français
ont été assez mal avisés pour la répéter. […] En vérité, il fallait être bien préoccupé ou bien tourmenté de l’envie
de faire naître quelque soupçon fâcheux contre la papauté, pour voir dans les lignes du Pape Zacharie, la
7
condamnation de l’existence des antipodes et du système de la rotondité de la Terre .

La réaction de Migne à trois siècles de distance livre deux informations intéressantes : la


reprise de l’information est interprétée comme une manœuvre anti-papauté et associée
à la question de la sphéricité, ce qui n’est pas le cas à l’origine. L’auteur protestant ici
visé est le poète Thomas Moore (1779-1852), qui publie une Histoire d’Irlande (The History
of Irland, 1835) dans laquelle il rapporte l’épisode et le commente en disant :

le fait était que Virgile, qui avait poussé fort loin ses études géographiques, avait deviné la forme sphérique de la
Terre, d’où il concluait l’existence des antipodes. Mais ce ne fut pas en ces termes que la question fut posée devant
le Pape. On accusa Virgile d’avoir dit : Qu’il existait sous notre Terre un autre monde peuplé d’hommes qui ne
8
descendaient point d’Adam et pour lesquels J.C. n’avait pas répandu son précieux sang .

Quant aux « écrivains français », une autre note précise qu’il s’agit de Michelet.
e
On perçoit immédiatement la répercussion de l’affaire Virgile pour le XIX siècle :
celle-ci créait un heureux précédent à l’affaire Galilée, enracinant l’opposition de
l’Église à toute forme de connaissance savante loin dans l’histoire occidentale.
D’Alembert, ainsi, dans le « Discours préliminaire » de l’Encyclopédie, fait explicitement
le lien entre l’affaire Galilée et l’affaire Virgile, et ne manque pas d’y mêler Augustin et
Christophe Colomb en un joyeux mais efficace pêle-mêle :

Un tribunal devenu puissant dans le midi de l’Europe, dans les Indes, dans le Nouveau-Monde, mais que la foi
n’ordonne point de croire, ni la charité d’approuver, ou plutôt que la religion réprouve, quoique occupé par ses
ministres, et dont la France n’a pu s’accoutumer encore à prononcer le nom sans effroi, condamna un célèbre
astronome pour avoir soutenu le mouvement de la Terre, et le déclara hérétique ; à peu près comme le pape
Zacharie avait condamné quelques siècles auparavant un évêque, pour n’avoir pas pensé comme saint Augustin
sur les antipodes, et pour avoir deviné leur existence six cents ans avant que Christophe Colomb les découvrit.
9
C’est ainsi que l’abus de l’autorité spirituelle réunie à la temporelle forçait la raison au silence .

Cette affaire devient l’emblème de l’opposition entre des thèses scientifiques et la parole
d’une Église représentée par son premier prélat. Démontrer que celui-ci s’est déjà entêté
e
dans l’erreur en refusant, au VIII siècle, que les antipodes soient habitables permet de
relativiser la vérité pontificale. Toute une tradition historiographique militante s’est
ainsi fondée sur l’utilisation biaisée de sources existantes, sans en interroger la
pertinence, pour étayer l’idée d’un obscurantisme continu et consubstantiel à l’Église,
e
qui connut ensuite un succès tout particulier au XIX siècle, pour des raisons politiques
et religieuses faciles à comprendre, mais qui ne sont pas pour autant scientifiquement
excusables.
La Topographie chrétienne de Cosmas a, quant à elle, été éditée en grec, accompagnée
d’une traduction latine, en 1707, par Bernard de Montfaucon dans la Collectio Nova
Patrum et Scriptorum Græcorum. Or elle n’a pas été publiée sous le titre Cosmæ
Indicopleustæ Topographia, que l’on trouve souvent mentionné dans les bibliographies,
mais la page de titre porte Cosmæ Ægyptii monachi Christiana topographia, sive
Christianorum opinio de Mundo (ou Cosmæ Indicospleustæ Christrianorum opinio de Mundo,
sive Topographia Christiana dans le sommaire du volume), soit La Topographie chrétienne de
Cosmas, moine égyptien, ou l’opinion du monde des chrétiens. On imagine aisément
comment ce seul titre a pu être utilisé pour soutenir l’idée qu’il s’agissait là de la pensée
« des » chrétiens. Montfaucon, dans la préface de son édition, écrit par ailleurs sans
malice (il est lui-même bénédictin) que la plus grande partie des auteurs latins anciens
10
répugnaient à accepter la sphéricité . L’autorité du bénédictin accrédite le poids de la
parole de Cosmas et lui confère une portée qu’elle n’avait en réalité jamais eu.
Le mythe de la Terre plate est ainsi probablement né peu à peu de la confusion plus
ou moins volontaire entre l’opposition ecclésiastique réelle à l’héliocentrisme et à ses
conséquences cosmologiques, les affabulations sur la représentativité de l’opinion de
Cosmas et un détournement de la querelle sur les antipodes.

Le poids de Voltaire

Voltaire est probablement l’un de ceux qui a le plus nettement contribué à la célébrité
de la citation de Lactance niant les antipodes et, par là, la sphéricité de la Terre, célébrité
facilitée par la traduction en français des Institutions divines en 1752. Il s’agit pour lui
d’opposer un christianisme primitif naïf aux superstitions et au fanatisme qu’il
11
considère comme caractéristiques de l’Église ultérieure . Dans le cas de la question des
antipodes, c’est une citation à charge qu’il produit à l’entrée « Ciel matériel » de son
Dictionnaire philosophique (1764) :

C’est une chose curieuse de voir avec quel dédain, avec quelle pitié, Lactance regarde tous les philosophes qui
depuis quatre cents ans commençaient à connaître le cours apparent du Soleil et des planètes, la rondeur de la
Terre, la liquidité, la non-résistance des cieux, à travers desquels les planètes couraient dans leurs orbites. Il
recherche « par quels degrés les philosophes sont parvenus à cet excès de folie de faire de la Terre une boule et
12
d’entourer cette boule du ciel » .

Une note ajoutée ici par Voltaire après 1764 précise ironiquement qu’en 1770, le clergé
de France a décidé « solennellement », « dans le dix-huitième siècle », de citer Lactance
comme un Père de l’Église, alors qu’il n’est qu’un auteur « dont les élèves de l’école
d’Alexandrie se seraient moqués », s’ils avaient daigné le lire. Il insiste dans l’entrée
suivante, intitulée « Ciel des anciens », et verse à son tour Augustin au dossier :

La plupart des nations, à l’exception des Chaldéens, regardaient le ciel comme solide ; la Terre fixe et immobile
était plus longue, d’Orient en Occident que du midi au nord, d’un grand tiers ; de là viennent ces expressions de
longitude et de latitude que nous avons adoptées. On voit que dans cette opinion il était impossible qu’il y eût des
antipodes. Aussi saint Augustin traite l’idée des antipodes d’absurdité ; et Lactance, que nous avons déjà cité, dit
expressément : « Y a-t-il des gens assez fous pour croire qu’il y ait des hommes dont la tête soit plus basse que les
13
pieds ? » .

Cette présentation des opinions de Lactance et Augustin par Voltaire confond


explicitement – et peut-être volontairement – la forme que ces derniers donnaient à
l’œkoumène et celle qu’ils donnaient à la Terre.
Enfin, l’article « Figure ou forme de la Terre » constitue une sorte de vade mecum du
mythe de la Terre plate à usage des générations postérieures :

Comment Platon, Aristote, Ératosthène, Posidonius, et tous les géomètres de l’Asie, de l’Égypte et de la Grèce,
ayant reconnu la sphéricité de notre globe, arriva-t-il que nous crûmes si longtemps la Terre plus longue que large
d’un tiers […] ? Le juste respect pour la Bible, qui nous enseigne tant de vérités plus nécessaires et plus sublimes,
fut la cause de cette erreur universelle parmi nous. On avait trouvé dans le psaume CIII que Dieu a étendu le ciel
sur la Terre comme une peau […] Les Pères regardaient la Terre comme un grand vaisseau entouré d’eau ; la
e
proue était à l’orient, et la poupe à l’occident. On voit encore dans Cosmas, moine du IV siècle, une espèce de
e
carte géographique où la terre a cette figure. Alonso Tostado, évêque d’Avila, sur la fin du XV siècle, déclare,
dans son Commentaire sur la Genèse, que la foi chrétienne est ébranlée pour peu qu’on croie la Terre ronde.
Colombo, Vespuce et Magellan, ne craignirent point l’excommunication de ce savant évêque, et la Terre reprit sa
14
rondeur malgré lui .

Voltaire installe donc de manière sérieuse (et durable) l’idée que les Pères de l’Église
imposèrent à toute la chrétienté, astronomes compris, la doctrine d’une Terre plate, et
inaugure le raccourci, que l’on retrouve au siècle suivant dans de nombreux textes : il y
eut les Psaumes, Cosmas, puis un saut de dix siècles pendant lesquels il ne se passa
rien, une Église attardée, et enfin vinrent ces hommes providentiels que furent les
navigateurs, affrontant courageusement les imprécations ecclésiastiques comme l’océan
redoutable. C’est donc désormais avec Colomb, Vespucci et Magellan que « la Terre
reprit sa rondeur », voire, pour beaucoup de nos contemporains, la prit.
Voltaire n’est par ailleurs pas le premier à faire (volontairement ou en raison d’une
lecture trop rapide) la confusion entre la position de Lactance et celle d’Augustin.
D’Alembert l’utilise, comme nous l’avons vu, et Cyrano de Bergerac, dans Les États et
Empires de la Lune, plaçaient dans la bouche de l’un de ses personnages ces mots au sujet
d’Augustin :

Ce grand personnage, dont le génie était éclairé par le Saint-Esprit, assure que de son temps la Terre était plate
15
comme un four, et qu’elle nageait sur l’eau comme une orange coupée .

Mais il s’agissait d’une fiction, et d’un dialogue où se déploient les armes et la verve de
la rhétorique, mauvaise foi incluse, comme en témoigne le caractère plutôt amusant et
tout à fait farfelu de l’image. Au même moment, en effet, Charles Perrault faisait bien la
distinction dans son Parallèle des Anciens et des Modernes entre le fait qu’Augustin « n’a
jamais douté que la Terre ne fût ronde », et donc que les antipodes existaient, et sa
conviction que ces terres ne pouvaient pas être peuplées par des hommes ni des
animaux « à cause des grands espaces de mer qui les séparent du lieu où Adam fut
16
créé » .
II. L’ÉGLISE CONTRE LA SCIENCE

L’affrontement entre les doctrines religieuses et le nouveau système du monde, qui


e
fut bien réel lors du procès de Galilée au XVII siècle, est devenu, pour un courant
marqué par un anticléricalisme militant, un prisme déterminant à travers lequel ont été
analysées l’histoire des sciences et, plus largement, celle des civilisations. Il est vrai qu’à
e e
partir du XVIII siècle, et tout particulièrement au XIX , la crispation catholique sur les
questions scientifiques semblait vouloir donner raison à ses détracteurs contemporains,
contribuant ainsi à accréditer l’idée qu’il s’agissait là de son attitude éternelle. L’idée
que les relations entre science et religion chrétienne sont par nature et éternellement
conflictuelles a de ce fait la vie dure dans l’enseignement et la culture du monde
e
occidental. C’est la construction de ce mythe au cours du XIX siècle que nous allons
explorer maintenant ; il dépasse largement les seules frontières françaises. Le « combat
de la science et de l’Église » a plusieurs histoires parallèles.

Une histoire américaine

Ce combat a fait l’objet aux États-Unis, d’une littérature abondante très largement
diffusée, malgré une qualité scientifique souvent médiocre. Il fut d’abord illustré par A
History of the Life and Voyages of Christopher Columbus, dû à la main de l’historien et
romancier américain Washington Irving. Publié en 1828 à Londres et aux États-Unis,
l’ouvrage eut un succès considérable et fut très souvent réédité. L’auteur y expose un
projet clair : rapporter la vie de l’homme qui « par son génie hardi, son inflexible
résolution, et par son héroïque courage » mit en relation « les deux extrémités de la
17
Terre » . Il cherche à construire un Colomb héros de la science empirique et aventurier
audacieux, rationnel et homme de progrès, un Colomb triomphant à lui seul d’un
Moyen Âge replié sur lui-même, à l’aide de déductions logiques appuyées sur la lecture
d’écrits savants et d’observations venues des voyageurs. Cet ouvrage parut dans un
contexte très particulier et fut exploité des deux côtés de l’Atlantique pour installer
l’idée d’un conflit éternel entre science et religion.
Il faut ensuite compter parmi les best-sellers de l’histoire du mythe un livre au titre
limpide, également très populaire en son temps : History of the Conflict between Religion
and Science publié en 1874 par John William Draper, lui aussi abondamment réédité et
traduit sur le vieux continent (dès 1875 en français). Draper, fils d’un prêcheur
méthodiste britannique, devint professeur de chimie à l’université de New York en
1839. Il publia son ouvrage en pleine controverse entre partisans de la théorie de
l’évolution et tenants d’une lecture littérale des Écritures, pour dénoncer les tentatives
de contrôle de la science par la ou les religions, en s’autorisant de sa parfaite
connaissance, et de la foi, et de la science. Dès les premières lignes de l’ouvrage, il vise
plus particulièrement le catholicisme, à travers la papauté, qui réclamerait « la
18
suprématie politique » et « le retour aux institutions du Moyen Âge » . Ici encore, ce
e
n’est pas la réalité des conflits du XIX siècle qui fait problème, mais la réécriture de
l’histoire antérieure : « l’antagonisme dont nous sommes témoins est la continuation
d’une lutte qui a commencé le jour où le christianisme est devenu une puissance
19
politique. Depuis ce moment, la Religion et la science sont en présence ». Pour Draper,
l’histoire des sciences doit rendre également compte du conflit entre ce qu’il nomme
« d’une part la force expansive de l’intelligence humaine ; d’autre part la compression
20
exercée par la foi traditionnelle et les intérêts humains » ; l’histoire de la forme de la
Terre s’inscrirait dans un long combat rendu obligatoire par les natures respectives de la
science et de la religion, absolument antagonistes ; elle en est, pour lui, emblématique.
Après un premier chapitre consacré à « L’origine de la science », le second s’intitule
limpidement : « L’origine du christianisme. Sa transformation au moment où il
s’empare du pouvoir civil. Ses rapports avec la science. » Ce second chapitre oppose à la
science grecque, vue comme une science de l’exactitude née de l’observation, une
doctrine chrétienne qui se refuserait absolument à regarder autre chose que les textes
sacrés :

Le parti païen […] maintenait que la science ne saurait s’acquérir que par le laborieux exercice de l’observation et
de la raison humaine. Le parti chrétien, au contraire, déclarait que le fondement de toute science est dans les
Écritures et dans la tradition de l’Église. […] Les Écritures contiennent donc toute la somme des connaissances
21
nécessaires .

Dans cette perspective, la question de la forme de la Terre est fondamentale, car


Augustin est présenté comme l’autorité majeure de la science chrétienne, celui dont la
doctrine aurait eu pour conséquence de « mettre la théologie dans un état
22
d’antagonisme avec la science ». Il aurait détourné la Bible de son véritable but en en
faisant « l’arbitre de la vérité scientifique », et le lecteur ne peut savoir ici s’il s’agit de
citations ou d’une lecture résumée par les soins de Draper :

La Terre a une surface plane ; sur nos têtes, le firmament s’arrondit comme un dôme ou, comme nous le dit saint
Augustin, s’étend comme une peau dont on forme les tentes. Les étoiles, le soleil et la lune s’y meuvent pour
éclairer l’homme pendant le jour et la nuit. La Terre a été créée de rien, et les tribus qui l’habitent, les plantes et les
animaux ont été faits en six jours ; au-dessus du firmament sont les cieux ; dans l’abîme, au-dessous de nos pieds,
23
est l’enfer et ses ténèbres .

Au débat sur la forme de la Terre sont associées la question de la création ex nihilo et


celle des espèces, qui enflamment les débats entre science et religion en cette fin de
e
XIXsiècle.
Dans ce chapitre, comme dans celui consacré au « Conflit touchant la nature du
24
monde », on trouve sous la plume de Draper tous les arguments déjà invoqués au
siècle précédent par Voltaire. Il présente la certitude de la sphéricité comme une
manifestation naturelle de la raison et cite évidemment le « système » de Cosmas
25
Indicopleustès , qui aurait écrit sa Topographie chrétienne « dans le but de réfuter
26
l’opinion hérétique de la sphéricité de la Terre », sans essayer de savoir si ce texte eut
un quelconque retentissement. Comme dans l’affaire Virgile, on assiste ici au recours à
un caractère hérétique tout à fait fantaisiste, mais sûrement très efficace.
Le chapitre 6 lui sert ensuite à faire la démonstration que le retard de la science est
bien lié à la seule Église chrétienne : la science prospère en terre d’Islam, mais « le
christianisme existait depuis quinze cents ans que la chrétienté, n’avait pas produit un
27
seul astronome ». Il s’agit de montrer que la société civile peut dépasser l’interdit
religieux par la curiosité scientifique, dont l’Occident est cependant dépourvu. Si ainsi
la Renaissance marque pour lui le retour d’une connaissance véritable du monde, c’est
par accident :

Même alors, il n’existait encore aucune impulsion vers la science. Les motifs qui engagèrent à s’en occuper furent
autres que ceux de la curiosité scientifique : il s’agissait de rivalités commerciales, et ce furent trois navigateurs,
Christophe Colomb, Vasco de Gama et surtout Ferdinand Magellan qui réglèrent définitivement la question de la
28
sphéricité de la Terre .

On voit ici apparaître une autre version de la découverte de la sphéricité, qui aurait été
faite presque par hasard par des marins attirés par le commerce. Draper leur prête
d’ailleurs certains des arguments en faveur de la sphéricité que, précisément,
développaient les écrits astronomiques du Moyen Âge, à commencer par ceux de Jean
de Sacrobosco :

La forme circulaire de l’horizon visible qui semble plonger dans la mer, la disparition graduelle des navires au
large, ne pouvaient pas manquer de disposer les marins intelligents à croire à la sphéricité de la Terre. Les écrits
des astronomes et des philosophes arabes avaient répandu cette idée par toute l’Europe ; mais elle avait été fort
29
mal accueillie par les théologiens .

S’il signale bien que « les écrits des astronomes et des philosophes arabes avaient
répandu cette idée par toute l’Europe », il leur oppose l’hostilité des théologiens sans en
apporter aucune preuve, ni citer une seule source. Il évoque sans plus l’étayer,
l’intervention du physicien Toscanelli qui, après des études astronomiques serait
« devenu partisan déclaré de la forme globulaire de la Terre » et en aurait convaincu son
30
ami Colomb .
En réalité, il n’y eut aucune relation directe entre le Génois et Toscanelli, mais le
navigateur eut sans doute connaissance d’une lettre envoyée par le savant toscan au
chanoine de Lisbonne, lettre qui contenait non des arguments sur la sphéricité, mais des
31
calculs permettant de réduire l’estimation du rayon de la Terre . Enfin, il intègre les
derniers éléments du mythe en se référant au Conseil de Salamanque, que la traduction
française fait ici apparaître comme un « concile » :

Mais ce qu’il y avait d’irréligieux dans son projet fut signalé par le clergé espagnol et condamné dans le concile de
Salamanque. On avait vérifié l’orthodoxie du projet de Colomb par la confrontation avec les textes des Pères, saint
Chrysostome, saint Augustin, saint Jérôme, saint Grégoire, saint Basile, saint Ambroise ; avec les épîtres des
32
apôtres, avec l’évangile, les prophéties, les psaumes et le Pentateuque .

Ce passage est la copie, presque mot pour mot, de la prose d’Irving (voir infra). Draper
ajoute que le voyage de Vasco de Gama vers l’Inde, en passant au sud de l’Afrique, et sa
découverte de nouvelles constellations « concordai[ent] parfaitement avec la théorie de
la sphéricité de la Terre », confirmation dont les « conséquences politiques » auraient
placé « la papauté dans une situation très embarrassante » : en effet, « ses traditions et
sa politique lui interdisaient d’admettre que la Terre put être autre chose qu’une surface
33
plane, […] d’un autre côté, il était impossible de nier ou de cacher les faits » . Le coup
de grâce (sur la tête du pape) est produit par le retour de la Sainte-Victoire [sic : i.e la
Victoria], le navire de Magellan, à son point de départ en faisant voile à l’ouest : « les
34
doctrines théologiques sur la figure de la Terre étaient décidément renversées ».
Ce texte qui se donne l’apparence d’un essai, signé par un scientifique reconnu en son
temps et bénéficiant d’une position institutionnelle incontestable, constitue une étape
supplémentaire de la construction du mythe de la Terre plate, faisant de cette croyance
le symbole d’une arriération scientifique devenue plus strictement religieuse que
médiévale. Ce pamphlet n’a d’autre intérêt que celui de nous permettre d’évaluer la
violence de la controverse qui se déroulait outre-Atlantique en cette fin de siècle. Il eut
un énorme retentissement et d’autres auteurs prêtèrent leur plume à cette bataille.
Russel, dans Inventing the Flat Earth, mentionne un autre monument américain de
cette construction : l’œuvre d’Andrew Dickson White (1832-1918), cofondateur de
l’université Cornell. Il publia en 1896 un ouvrage au titre proche de celui de Draper : A
History of the Warfare of Science with Theology in Christendom, traduit en français sous le
titre Histoire de la lutte entre la science et la théologie en 1899.
L’ouvrage est en réalité assez différent de celui de Draper. Il se compose de vingt
chapitres, chacun consacrés à une question ou une discipline scientifique et comporte
un chapitre sur la géographie et un autre sur l’astronomie, précédés par un premier
chapitre consacré à la création du monde. White est beaucoup plus nuancé que Draper
sur la question de la forme de la Terre : malgré une tendance évidente à une lecture
manichéenne signalée par le titre, il est attentif à la réalité historique, ce qui prouve
qu’elle pouvait être connue de qui voulait bien la chercher. Il reconnaît ainsi que
certains Pères (certes, les « esprits les plus larges »), influencés par Platon et Aristote,
35
« acceptèrent volontiers cette conception, mais la majorité s’effraya aussitôt » . Si la
vision est moins simpliste, la croyance en la sphéricité est cependant nécessairement
donnée comme un signe d’ouverture d’esprit et de progressisme. La suite détaille
d’ailleurs longuement toutes les théories bizarres auxquels les chrétiens pouvaient
croire, et le désormais inévitable Cosmas voit son autorité renforcée :
e
Cette théorie reçut sa forme définitive au VI siècle dans un système complet et détaillé de l’univers, qui avait la
36
prétention d’être basé sur l’Écriture et dont l’auteur était le moine égyptien Cosmos [sic] Indicopleustes .

White y voit cependant une influence nette de la théologie égyptienne :

mais le monde théologique ignorait cette origine païenne ; la doctrine fut reçue comme virtuellement inspirée, et
bientôt regardée comme une forteresse de vérité biblique que les sommités de l’Église s’appliquèrent à rendre
imprenables par des travaux extérieurs de raisonnement théologiques ; la masse des fidèles considéra cette
37
doctrine comme un don direct du Tout-Puissant .

Par ailleurs, il ne fait pas de la théorie de Cosmas un dogme aussi pérenne que ses
prédécesseurs. Il considère qu’Ambroise et Augustin ont « toléré » la sphéricité, que
Clément et Origène l’ont « même soutenue » et qu’Isidore de Séville, « tout enchaîné
qu’il fût par la théologie dominante sur d’autres points, osa s’élever contre l’autorité
jusque-là indiscutée de Cosmos [sic] et se déclarer en faveur de la sphéricité de la
38
Terre » .
Le Moyen Âge de White n’a rien à voir avec celui de Draper : Thomas et Albert « se
39
virent dans l’obligation d’accepter la doctrine de la sphéricité » sans y croire tout à fait
et White conclut finalement que « au commencement de la période moderne, la grande
majorité des penseurs » reconnaissait la sphéricité, même s’il fait de « Luther,
Melanchthon et Calvin » des opposants à la théorie, au nom de la doctrine réformée de
la scriptura sola. Il a d’ailleurs à cœur, plus loin, de confesser (si l’on ose dire) : « la vérité
oblige à dire que le protestantisme ne fut pas moins ardent à combattre la nouvelle
40
doctrine scientifique » (celle de Copernic) que le catholicisme .
Avec White, c’est donc vers d’autres épisodes que se déplace l’histoire du conflit
entre l’Église et la science : il livre un récit beaucoup plus circonstancié et beaucoup plus
documenté, malgré quelques fantaisies, de la querelle des antipodes, citant Albert le
Grand, Vincent de Beauvais, Nicole Oresme, Pietro d’Abano et Cecco d’Ascoli, jusqu’à
41
Pierre d’Ailly, dont il fait l’éloge ; il s’arrête surtout sur l’affaire Galilée, car « la guerre
contre la théorie de Copernic, qui jusque-là avait été assez modérée, prit dès lors un
42
caractère de violence inouïe ». Si donc White inscrit en son temps le combat légitime
pour le darwinisme dans une longue lignée de combats contre l’Église, il n’accrédite pas
l’idée d’un Moyen Âge entièrement obscur et rend à Colomb, Copernic et Galilée leurs
vraies découvertes. Nous invitons le lecteur à découvrir en ligne – puisque la
Bibliothèque du Congrès américain a numérisé la quasi-totalité de la presse parue
43
depuis 1690 – dans quels termes il opposait science et religion .

Quand le Collège de France entre dans la bataille

À l’époque de la parution de l’ouvrage d’Irving, c’est un helléniste et latiniste


autodidacte, Antoine-Jean Letronne – titulaire de la chaire d’histoire au Collège de
France –, qui donna en France ses lettres de noblesse aux thèses de la Terre plate et de
l’opposition de la science et de l’Église, dans un cadre cependant très différent. Il publia
un article intitulé « Des opinions cosmographiques des Pères de l’Église rapprochées
des doctrines philosophiques de la Grèce » dans la prestigieuse Revue des deux mondes en
1834, ce qui semblait en garantir la scientificité. Le but de l’article était, comme son titre
l’indique, de montrer que les croyances « des Pères de l’Église » « remontent presque
toutes aux écoles philosophiques de la Grèce » qui précédèrent ou concurrencèrent les
hypothèses sur la sphéricité, soit les théories présocratiques pour l’essentiel. Cependant,
44
et c’est tout le problème, d’une part Letronne prend « pour base de cet examen » la
Topologie chrétienne de Cosmas (il s’appuie sur l’édition de Bernard de Montfaucon), ce
qui donne évidemment une vision totalement fantasmée de la doctrine « des Pères », et
de l’autre se livre au détour de son étude, à quelques généralisations assez effarantes.
L’article accrédite ainsi l’idée, après d’autres, que la position de Lactance était celle de
toute l’Église chrétienne occidentale : il affirme que, s’il y eut bien quelques défenseurs
chrétiens de la sphéricité, les « partisans de l’interprétation verbale » émettaient des
hypothèses qui « se réunissaient dans l’exclusion formelle de la rondeur de la Terre ».
La liste de ces derniers se confond avec celle des Pères : « saint Augustin, Lactance, saint
Basile, saint Ambroise, saint Justin martyr, saint Jean Chrysostome, saint Césaire,
45
Procope de Gaza, Sévérianus de Gabala, Diodore de Tarse, etc » . On peut apprécier le
« etc. ». On a vu dans la première partie que cette opinion ne concernait en réalité que
Lactance et l’Église d’Antioche, ce qui n’empêche pas Letronne d’affirmer que les
cosmographes médiévaux étaient forcés d’admettre la forme plate de la Terre, liant cette
hypothèse à celle de son mouvement :
Il fut un temps, et ce temps n’est pas encore bien loin de nous, où toutes les sciences devaient prendre leur origine
dans la Bible. C’était la base unique sur laquelle on leur permettait de s’élever ; et d’étroites limites avaient été
fixées à leur essor. On laissait l’astronome observer les astres et faire des almanachs, mais à condition que la Terre
resterait [sic] au centre du monde, et que le ciel continuerait à être une voûte solide, parsemée de points lumineux ;
le cosmographe pouvait dresser des cartes, mais il devait poser en principe que la Terre était une surface plane,
46
suspendue miraculeusement dans l’espace, et soutenue par la volonté de Dieu .

Si, dit-il, l’on était autorisé à admettre la sphéricité, c’était à la condition absolue
47
d’exclure l’existence des antipodes .
Il rappelle également la « redoutable censure des théologiens » exercée pour faire
obstacle à la science pendant tout le Moyen Âge, à l’aide de « trois arguments
48
irrésistibles, la persécution, la prison ou le bûcher » . Évoquant les arguments de
Cosmas, il se lance enfin dans un amalgame osé :

Ces arguments datent de loin, et en tout temps ils ont été trouvés fort bons. Plutarque les met déjà dans la bouche
d’un de ses interlocuteurs, grand ennemi de la sphéricité de la Terre et des antipodes ; on les voit se reproduire de
siècle en siècle, depuis Lactance et saint Augustin, jusqu’au moment où la découverte de l’Amérique et le voyage
49
autour du monde de Magellan vinrent pour toujours réduire au silence les adversaires des antipodes .

Certes, Letronne affirme que ce sont « les adversaires des antipodes », que « Magellan »
a réduits au silence, mais le lien avec la sphéricité est fait juste avant. Comme Voltaire
avant lui, il laisse croire que la querelle des Antipodes et celle de la sphéricité sont
identiques et que le « système » de Cosmas fait autorité.
Le texte de Letronne n’est qu’un article, et son but n’a rien à voir avec la grande
construction d’une histoire des conflits entre science et religion telle qu’elle a été
entreprise par les Américains un demi-siècle plus tard. Il est cependant important pour
la France, car la parenté de ce texte avec la thèse développée dans le livre d’Irving
publié en anglais à la même époque, ou avec les propos de Draper quelques décennies
plus tard, est évidente. Letronne évoque explicitement dans son introduction – alors que
le sujet de son article est la forme de la Terre – la controverse avec ceux qu’il appelle les
« géologues bibliques » qui, comme Burnet, Whiston, Kirwan et Deluc ont réussi « à
50
faire accorder la Genèse avec leurs idées » . Burnet († 1715) et Whiston († 1752) sont
des théologiens anglais ; Kirwan († 1812) est un chimiste-géologue irlandais et Deluc
(† 1817), un physicien-géologue suisse.
Ils ont effectivement tous tenté de concilier leurs théories physiques sur la formation
de la Terre avec le récit de la Genèse, ce qui implique, selon les différentes versions de la
Bible, de dater la formation de la Terre de 4 000 ans av. J.-C. (si on s’appuie sur la
Vulgate) ou 5 500 ans av. J.-C. (avec la Septante). Ces thèses furent bousculées dès le
e
XVIII siècle par les recherches de Benoist de Maillet († 1738) sur la stratification
géologique et l’érosion, puis celles de Buffon († 1788) utilisant une évaluation du temps
de refroidissement de la Terre, recherches décrites par Hubert Krivine qui a produit une
histoire complète de ces estimations. Les recherches de Buffon aboutissaient à porter à
74 000 ans l’âge de la terre, augmentation telle (même si cela nous semble ridicule
comparé aux 4,55 milliards d’années de l’estimation actuelle) qu’il fut sommé par la
Faculté de théologie de se rétracter. Ce que fit Buffon, estimant avec humour qu’il valait
51 e
mieux « être plat que pendu ». Au début du XIX siècle, les thèses des « géologues
bibliques » sont bien plus librement critiquées. Letronne appréhende cette controverse
sur l’âge de la Terre comme une reproduction de celle qui aurait eu lieu à propos de la
sphéricité. C’est ainsi que la bêtise des docteurs de l’Église, arc-boutés sur la certitude
d’une Terre plate, aurait enfanté celle de géologues aussi arriérés que leurs ancêtres de
Salamanque et refusant d’admettre la longueur des temps géologiques. Il est d’ailleurs
amusant de remarquer que Letronne n’a pas ajouté Newton à sa liste, alors que le
savant anglais a calculé avec précision la date de création de la Terre à 3 998 av. J.-C., en
s’appuyant également sur la Bible. C’est sans doute que la figure du grand savant
anglais cadre mal avec celle d’une soumission généralisée de la science aux dogmes
religieux. Letronne assure ainsi la survie de ces idées déjà accréditées par Voltaire et les
Lumières, et, bien plus, les couvre de l’autorité du Collège de France, ce qui au début du
siècle, comme aujourd’hui, n’était pas rien.

Notes
1. Gautier Dalché, 2013, p. 168.
2. Copernic, Des révolutions des orbes célestes [1543], trad. A. Koyré, Paris, Alcan, 1934.
3. Les Trois Mondes de La Popelinière, p. 85.
4. Mayaud, 2005, t. I, p. 91-121.
5. Gautier Dalché, 1988, 2013.
6. Gautier Dalché, 2013, p. 196.
7. Migne, Troisième et dernière encyclopédie théologique, t. 53, 1837, col. 437.
8. The History of Irland, trad. 1840, p. 49.
9. Encyclopédie, tome I, 1751, « Discours préliminaire des éditeurs », p. XXIV.
10. Montfaucon, Cosmæ Ægyptii monachi Christiana topographia, 1707, p. IV.
11. Voir F. Jacob, 2003, p. 53.
12. Voltaire, Dictionnaire philosophique, p. 272.
13. Ibid., p. 278-279.
14. Ibid., p. 383-384.
15. Cyrano, Les États et Empires de la Lune, p. 55.
16. Perrault, Parallèle, p. 70.
17. Irving, 1828, t. 1, p. 4.
18. Draper, 1875, p. V.
19. Ibid., p. VI.
20. Ibid.
21. Ibid., p. 38.
22. Ibid., p. 42.
23. Ibid., p. 45.
24. Ibid., chap. 6, p. 109.
25. Ibid., p. 110.
26. Ibid., p. 47.
27. Ibid., p. 113.
28. Ibid., p 114.
29. Ibid., p. 115.
30. Ibid.
31. Crouzet, 2018, p. 27-28.
32. Draper, 1875, p. 115.
33. Ibid., p. 117.
34. Ibid., p. 118.
35. White, 1899, p. 64.
36. Ibid., p. 66.
37. Ibid., p. 68.
38. Ibid., p. 70.
39. Ibid.
40. Ibid., p. 91-92.
41. Ibid., p. 76-77.
42. Ibid., p. 96.
43. L’une de ses conférences, « The Warfare of Science », prononcée à l’American Institute, a été publiée dans le
New York Tribune du 18 décembre 1869.
44. Letronne, 1834, p. 606.
45. Ibid., p. 603-604.
46. Ibid., p. 601.
47. Ibid., p. 602.
48. Ibid.
49. Ibid., p. 607.
50. Ibid., p. 604.
51. Krivine, 2011, p. 21-58.
CHAPITRE II
Un mythe peut en cacher un autre

C’est souvent à Galilée que la culture populaire contemporaine associe la découverte


de la sphéricité, position difficilement tenable dans des ouvrages d’histoire des sciences,
même de mauvaise foi, et à peu près absente des ouvrages américains que nous avons
évoqués. Une autre tradition lie, tout aussi à tort mais de manière semble-t-il moins
visiblement invraisemblable pour le lectorat, la démonstration de la sphéricité à la
découverte des Amériques et aux premiers voyages transatlantiques. Nous en avons eu
un aperçu avec les références à Colomb, Gama et Magellan dans les ouvrages que nous
avons explorés au chapitre précédent. L’histoire du procès de Galilée et de sa postérité
historiographique a été l’objet de nombreuses réévaluations ces dernières années, et le
1
destin posthume de Colomb vient de faire l’objet d’une très complète mise au point ;
nous renvoyons donc le lecteur curieux à ces travaux. Nous voudrions maintenant nous
attarder sur la façon dont le mythe du Moyen Âge croyant à la Terre plate a été porté,
enraciné et diffusé par celui (ou ceux) qui ont été construits autour du personnage de
Christophe Colomb.
Quelques décennies avant le troisième centenaire de la découverte des terres
occidentales par Colomb, Voltaire déplore dans son Essai sur les mœurs que les habitants
de Florence préfèrent commémorer Amerigo Vespucci, un homme qui ne mérite à ses
yeux « aucun des honneurs pour s’être trouvé, en 1498, dans une escadre qui rangea les
côtes du Brésil », alors que Colomb, cinq ans plus tôt, « avait montré le chemin au reste
2 e
du monde » . Au XVI siècle, Colomb semble en effet moins connu que Vespucci. Il est
ignoré par Copernic dans son De revolutionibus orbium cœlestium : lorsque le savant
polonais évoque « les îles découvertes à notre époque par les princes d’Espagne et de
Portugal », il ne mentionne que l’Amérique « ainsi nommée d’après le capitaine de
3
navire qui l’a découverte » . Un autre indice porte à croire que dans les premières
e
décennies du XVI siècle au moins, les deux événements n’eurent pas le même
retentissement. La lettre Mundus novus dans laquelle Vespucci annonce avoir découvert,
pour le compte du Portugal, des terres qui ne seraient ni les Indes ni de nouvelles îles,
mais un nouveau monde, fut éditée de nombreuses fois. La Lettre à Louis de Santangel –
qui joue un rôle équivalent – supposée écrite par Colomb en 1492 (et publiée une
première fois en 93) pour avertir le Secrétaire aux comptes des Rois catholiques de sa
4
découverte le fut beaucoup moins sur la même période .
Voltaire a contribué à la réécriture de l’histoire de ces découvertes dès la seconde
e
moitié du XVIII siècle. Ce siècle est celui où « l’on oublie Vespucci », notent Bartolomé et
Lucile Bennassar, deux spécialistes de l’Espagne et du Nouveau Monde, pour faire de
Colomb le « personnage mythique » qu’il est encore partiellement aujourd’hui. Ces
auteurs relèvent que le moment coïncide avec le début du commerce triangulaire et que,
5
simultanément, la littérature colombienne prend son essor . Colomb devient peu à peu
l’incarnation même de la modernité triomphante, la figure archétypale du hardi
découvreur ayant permis d’extirper de la pensée occidentale les théories arriérées
supposées caractériser le Moyen Âge et tout particulièrement l’Espagne –
nécessairement inquisitoriale, dont la croyance en une Terre plate est érigée en
emblème.

I. CHRISTOPHE COLOMB, UN HÉROS QUE L’ON S’ARRACHE

À l’approche du quatrième centenaire de la Découverte de l’Amérique (1892), se


développe en France une concurrence nouvelle et acharnée autour de la mémoire du
Génois. Quelques années plus tôt, en 1866, le cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux,
écrit une lettre au pape Pie IX – conservée à la bibliothèque diocésienne de Bordeaux –
pour le « prier d’introduire la cause de Christophe Colomb », espérant obtenir la
béatification du navigateur.
Daniel Fabre qui a lui aussi étudié cette démarche, estime que Donnet est l’un des
éléments actifs d’un « groupe de pression » qui, à l’approche du Concile de 1869, tente
de faire reconnaître ce qu’il considère comme un véritable « apostolat de Christophe
6
Colomb » . Le mouvement s’appuie principalement sur les travaux d’un fervent
catholique, Antoine Roselly de Lorgues, avocat de formation et américaniste, puis sur
ceux d’un essayiste non moins fervent et lecteur du premier, Léon Bloy, dont D. Fabre
développe les arguments dans son étude.
Roselly a commencé par publier une première apologie du navigateur génois en 1843,
La Croix dans les deux mondes (1845), puis a entrepris dès 1853, à la demande du pape
Pie IX, d’en rédiger une biographie complète, publiée en 1856 sous le titre Christophe
Colomb. Histoire de sa vie et de ses voyages d’après des documents authentiques tirés d’Espagne
et d’Italie. On lui doit aussi un ouvrage intitulé Satan contre Christophe Colomb, ou la
prétendue chute du serviteur de Dieu (1876), dans lequel il évoque les difficultés à faire
entendre la cause de Colomb.
Il s’agit, pour Roselly et Donnet, de faire de la découverte du Nouveau Monde une
entreprise directement inspirée par Dieu et de rattacher la figure de Colomb à l’Église
catholique. L’œuvre de Roselly est ainsi présentée par l’archevêque de Bordeaux comme
une salutaire réparation, à la fois sur le plan scientifique, puisqu’on lui doit « le
redressement de nombreuses erreurs, la réparation d’oublis involontaires ou
d’omissions préméditées », et sur le plan religieux, car il met en lumière « la supériorité
des vues de l’Église, sa prévoyance tutélaire, la fécondité de son action », tout en
démontrant que la découverte du « nouveau continent » (terme inapproprié en ce qui
concerne les terres découvertes par Colomb) « fut le triomphe de l’inspiration
catholique », ce que le Génois revendique effectivement dans ses écrits. Le cardinal
affirme au passage que l’Église « accorda sa médiation officieuse » à celui « que
7
repoussaient les savants, les hommes de cour, les associations de cosmographes » .
Léon Bloy, quelques années plus tard, apparemment ébloui par l’ouvrage de Roselly,
s’empara du dossier pour poursuivre le combat de la demande en béatification et publia
en 1884 Le Révélateur du globe. Christophe Colomb et sa béatification future, pourvu d’une
longue préface de Barbey d’Aurevilly. Il emprunte à Roselly le titre « révélateur du
globe ».
e
Le procès en canonisation de Colomb n’eut pas lieu (hormis au XX siècle, dans le
roman La Harpe et l’Ombre d’Alejo Carpentier), mais la démarche de l’archevêque et
l’œuvre de Roselly nous permettent d’entrevoir les enjeux qui se nouent alors autour de
la figure du navigateur. Il s’agit pour l’Église catholique, d’une part de ne laisser
Colomb ni aux protestants, ni aux tenants de la laïcité, et d’autre part de tenter de se
ranger du côté du progrès. L’œuvre de Roselly est de ce point de vue exemplaire.
Publiée pour la première fois en 1856, elle répond en réalité à une autre entreprise
d’héroïsation colombienne, celle du protestant Washington Irving, évoquée plus haut.
Dans la première édition de son texte, en effet, Roselly décrit ses motivations et nomme
ses adversaires : « jamais un écrivain catholique n’a essayé de retracer, complètement, la
vie de Christophe Colomb, ce Héros du Catholicisme. L’école protestante seule avait eu,
8
jusqu’à ce jour, le privilège de nous raconter cette histoire ». Une longue introduction
(dans laquelle il ne manque pas de mentionner la gloire usurpée de Vespucci) lui
permet ensuite de dresser un bilan historiographique et bibliographique, qui montre
e
que les publications ayant trait à Colomb se multiplient au début du XIX siècle, en
particulier en Italie.
Dans ce vaste ensemble, Roselly identifie une « coterie » ayant accaparé la biographie
9
de Colomb et observe que celle-ci « est restée aux mains de ses ennemis naturels ». Elle
est constituée par « le Génois Giambattista Spororno, l’Américain Washington Irving,
l’académicien espagnol don Martin Fernandez de Navarrete et l’illustre Prussien
Alexandre de Humboldt », dont « l’autorité […] a sanctionné les erreurs émises par les
10
trois autres, les aggravant de tout le poids des siennes » . De ces quatre productions,
une seule est une véritable histoire de Colomb, l’ouvrage d’Irving. Son succès est attesté
en France par l’existence de plusieurs traductions et de nombreuses rééditions
cumulées. Cependant, alors qu’Irving décrivait Colomb comme un héros de la science
empirique et un aventurier rationnel, Roselly s’insurge contre une réduction de
l’aventure colombienne dont « l’école protestante » n’a pas su voir qu’elle était
« l’accomplissement d’une volonté d’en Haut », « une intervention providentielle ». En
11
somme « ils ont dépouillé Colomb de sa grandeur spirituelle » .
Le naturaliste Alexander von Humboldt, autre membre de cette « coterie », est quant
à lui un savant reconnu et respecté. Il est également cité plusieurs fois par Irving dans sa
biographie de Colomb et réciproquement, le naturaliste rendant hommage à l’historien
américain dès la préface de son Examen critique de l’histoire de la géographie du Nouveau
e e
Continent et des progrès de l’astronomie nautique aux XV et XVI siècles (1814-1834). Il
considère cependant, à cet endroit, les découvertes de Colomb dans la continuité de (et
non pas en opposition à) celles des penseurs comme Roger Bacon, Duns Scot ou Albert
le Grand. Humboldt semble se démarquer de la tendance générale à dévaloriser le
Moyen Âge, mais il s’attache tout au long des pages qui suivent à construire le
personnage d’un Colomb scientifique, « agrandisseur du monde, héros du progrès ». Le
naturaliste est celui qui a initié, rappelons-le, l’expression « Grandes Découvertes »
quelques années plus tôt, une expression qui a fait flores et qui participe du grand récit
européen. Sous sa plume, le Génois se voit crédité d’un « plan arrêté », contrairement à
la démarche d’un « aventurier qui se fie au hasard ». Humboldt décrit le projet de
rejoindre l’Asie par l’Ouest en évoquant l’emploi de l’astrolabe « récemment inventé »,
e
méconnaissant ici la mise au point de cet instrument au VIII siècle à Bagdad, d’après un
12
instrument encore plus ancien . Pour Humboldt, le succès de Colomb était donc « une
conquête de la réflexion », une expression qu’Irving lui reprend (en le citant
expressément) à la fin de son ouvrage. Un passage est particulièrement révélateur :

L’agrandissement de l’empire de l’homme sur le monde matériel, ou les forces de la nature, la gloire de
Christophe Colomb et de James Watt, inscrite dans les fastes de la géographie et des arts industriels, présentent un
problème plus complexe que les conquêtes purement intellectuelles, que la puissance croissante de la pensée due à
13
Aristote et à Platon, à Newton et à Leibniz .

L’association du Génois et de l’inventeur de la machine à vapeur, surprenante au


premier abord, indique clairement selon quelle perspective intellectuelle le monde de la
révolution industrielle exploite le mythe Colomb.
Au moins trois conceptions de Colomb s’affrontent donc : un Colomb savant
empirique et aventurier de la découverte chez Irving, un Colomb au dessein rationnel et
arrêté chez Humboldt, un Colomb empirique mais surtout « messager de la
Providence » (celle du Dieu des catholiques) chez Roselly. L’histoire des éditions du
Colomb de Roselly est à ce titre tout à fait significative des affrontements idéologiques
accompagnant la construction du mythe : si la première édition entend clairement
répondre à ce qu’il considère comme une appropriation protestante du navigateur, une
édition de prestige, somptueusement illustrée, à certains endroits notablement abrégée
et débarrassée de ses notes de bas de page pour toucher un plus large public, paraît à
Paris, à la Société générale de librairie catholique en 1887. Elle est également ornée d’un
portrait de Pie IX et d’un extrait de la lettre de ce dernier à Roselly. Si les très belles
illustrations du texte et la qualité de l’édition disent assez l’intérêt que le livre revêtait
aux yeux de l’Église, et son succès auprès du lectorat, c’est surtout la profonde
transformation de la préface qui est intéressante.
Dans la première, il vise, nous l’avons vu, les protestants. Dans la troisième,
postérieure aux premières demandes en béatification, que Roselly évoque explicitement
dans le texte en nommant l’archevêque de Bordeaux, c’est la « libre-pensée » à qui il
s’oppose désormais. Il accentue notablement la valeur scientifique qu’il faut accorder à
Colomb en en faisant le père de la science moderne : « Grâce à lui, nous possédons la
première notion des lois fondamentales de cette planète. Grâce à lui, la forme et
14
l’étendue de notre habitation nous sont enfin connues », et désigne de nouveaux
15
adversaires : « Que les libres penseurs le sachent bien … » Le long examen des œuvres
antérieures, l’opposition à la vision protestante, la correction minutieuse des erreurs
biographiques que contenait la première préface, ont en revanche disparu. La
modification de ce texte, considérablement allégé sur le plan scientifique, n’accompagne
pas seulement la publication d’une version abrégée et grand public de l’ouvrage initial,
elle signale aussi que Colomb est devenu l’affaire des défenseurs de la laïcité.

II. RETOUR AU CONSEIL DE SALAMANQUE

C’est dans le cadre de cette concurrence mémorielle complexe et virulente que


s’installe l’instrumentalisation du mythe de la Terre plate. Les tenants des différentes
visions se rejoignent sur un point : ils ont besoin de faire de Colomb un héros en
rupture avec la science officielle de son temps, y compris dans le parti catholique qui
veut en donner une image messianique, ce qui ne va pas sans contorsions, puisqu’il faut
attaquer une église « obscurantiste » pour faire triompher Colomb.
Le moment où se noue le mythe de la Terre plate est, dans ces épopées colombiennes,
ce qui est passé à la postérité sous le nom de Conseil et parfois de Concile de
Salamanque, soit une conférence de savants chargés par les souverains espagnols
d’examiner la possibilité du voyage proposé par Colomb. La tenue d’une série de
réunions entre le printemps 1486 et la fin de l’hiver, en des lieux divers (Cordoue et
Salamanque au moins), à l’instigation du Roi et sous l’autorité de Talavera, semble la
16
seule chose réellement attestée . Ces conférences, en particulier, ne furent pas placées
sous l’autorité de l’université de Salamanque (les rôles n’en ont pas trace), ni celle du
couvent San Esteban, comme l’affirment les deux auteurs. Or l’épisode est rapporté
avec force détails par Irving comme par Roselly. Dans les pages qui décrivent
explicitement Salamanque, Irving mentionne dans plusieurs notes une source et une
seule : l’Historia de la Provincia de San Vicente de Chyapa d’Antonio de Remesal, un
dominicain, qui écrivit cent trente ans après le premier voyage de Colomb, en 1619, et
exposa ses débats avec les savants de son temps. Ils s’appuient l’un comme l’autre sur
l’Histoire des Indes de Las Casas et sur l’Historia del Almirante de Fernando Colomb, fils
du navigateur, deux textes qui évoquent, quoiqu’assez vaguement, la composition du
Conseil et ce qui s’y serait dit. Fernando Colomb décrit l’hostilité de ses membres à
17
l’égard de son père et leur attribue une insuffisance scientifique tout à fait improbable .
Comme Las Casas, il se fonde sur le Journal de bord du navigateur qui fut rapidement
perdu et dont la transmission laisse supposer de possibles altérations. Ce livre de bord
fut en effet remis aux Rois catholiques par le navigateur, au retour de son premier
voyage ; ils en avaient fait réaliser une copie qui fut donnée à Colomb et c’est sans doute
celle qui fut utilisée par son fils. La version qui circule aujourd’hui est celle que l’on a
pu reconstituer grâce aux extraits résumés contenus dans l’Histoire des Indes de
18
Las Casas .
Il n’y a donc aucune source décrivant précisément un tel épisode. Roselly comme
Irving l’ont très largement romancé, ne craignant pas d’inventer de toutes pièces ce qui
manquait dans les archives. Roselly dit même que « les procès-verbaux de ces séances,
imparfaitement rédigés deux ans après leur date, ne sont pas encore sortis des Archives
19
de Simancas », laissant son lecteur perplexe s’interroger : comment peut-on les juger
« imparfaitement rédigés » si personne ne les a jamais lus ?
Notons cependant que ni Roselly ni la traduction française d’Irving n’évoquent la
tenue d’un Concile. L’expression « Concile de Salamanque », qui n’a fait qu’aggraver,
en France tout au moins, le rôle supposé de l’Église, se trouve, nous l’avons signalé,
dans la traduction de l’ouvrage de Draper ou dans Mercédès de Castille. Histoire du temps
de Christophe Colomb de Fenimore Cooper. Or dans les deux cas il s’agit d’une traduction
de l’anglais council, terme également utilisé par Irving, et qui signifie très
communément « conseil ». La transformation du « conseil de Salamanque », terme qui
n’est pas trop éloigné de la vérité, en un « concile de Salamanque », expression qui elle
n’a plus rien à voir avec la réalité de faits, est peut-être une simple erreur de traduction,
mais elle fut lourde de sens.
Quoi qu’il en soit, c’est dans le détail des récits extrêmement circonstanciés
qu’inventent les deux auteurs que s’est enraciné le mythe de la Terre plate et surtout
son association à l’Église. La position d’Irving, d’abord, est ambiguë : il ne dit pas
expressément que l’on croyait la Terre plate. Il semble même affirmer le contraire
puisqu’il écrit que « la circonférence de la Terre était encore inconnue », et précise :
« l’on ne connaissait pas davantage les lois de la pesanteur spécifique et de l’attraction
centrale, d’après lesquelles, en accordant la rotondité de la Terre, la possibilité d’en faire
20
le tour devenait évidente » .
De la même façon, dans son évocation (très imagée) du « conseil de Salamanque », il
concède que certains des participants, « plus versés dans la science, admettaient la
21
forme sphérique de la Terre ». Mais il a dans le même temps besoin de démontrer que
le Génois avait conçu un « système ». Dans le chapitre intitulé « Motifs sur lesquels
Colomb se fondait pour croire à l’existence de terres qui restaient à découvrir à
l’Occident », Irving affirme que Colomb, en se fondant sur Ptolémée, aurait « pos[é]
comme principe fondamental que la Terre était une sphère ou un globe terraqué, dont
22
on pouvait faire le tour de l’est à l’ouest et qu’il y avait des antipodes ». Le texte est
donc passablement contradictoire.
C’est enfin dans le chapitre 4 du livre II qu’il met en scène le « conseil », composé « de
professeurs d’astronomie, de géographie, de mathématiques et d’autres branches des
23
sciences, ainsi que de plusieurs dignitaires de l’Église et de moines érudits ». Le
e
discours typique du siècle sur la nécessaire incompatibilité de la science et de la
XIX
religion rejoint ici les lieux communs sur l’ignorance imputée au Moyen Âge :

À cette époque, et plus particulièrement en Espagne, la religion et la science avaient ensemble les rapports les plus
intimes. Les trésors de la littérature étaient enfermés dans les monastères, et les chaires de professeurs étaient
24
exclusivement occupées par des ecclésiastiques .

Toutes les questions étaient envisagées à travers le prisme des préjugés de ces siècles où le flambeau de l’antiquité,
25
éteint par la barbarie, avait cessé d’éclairer le monde, et où la foi avait été mise à la place de l’examen .

Tout en admettant, comme le fit aussi Roselly, que Colomb reçut le soutien d’un
dominicain du nom de Deza, Irving décrit avec ironie les arguments que le Génois
aurait eu à affronter, utilisant les citations désormais bien connues de la Bible ou des
Pères de l’Église, de Lactance à Augustin :

Au lieu de s’entendre adresser des objections scientifiques, Colomb fut assailli de citations de la Bible et du
Testament, du livre de la Genèse, des psaumes de David, des prophètes, des Épîtres et des Évangiles. Puis on y
joignit les explications de divers saints et de révérends commentateurs, de saint Chrysostome et de saint Augustin,
de saint Jérôme et de saint Grégoire, de saint Bazile et de saint Ambroise, et de Firmianus Lactance, redoutable
champion de la foi, […]. Ainsi, par exemple, la possibilité d’antipodes dans l’hémisphère méridional, opinion
tellement accréditée auprès de ce qu’il y avait de plus instruit parmi les anciens […] devint une pierre
26
d’achoppement pour les érudits de Salamanque .

On reconnaît, sous la plume d’Irving, l’héritage des Lumières :

Le passage emprunté à Lactance pour confondre Colomb est écrit dans un style de grosse plaisanterie et d’ironie
burlesque, indigne d’un si grave théologien. « Est-il rien de si absurde, demande-t-il, de croire qu’il y ait des
27
antipodes ayant leurs pieds opposés aux nôtres ; des gens qui marchent les talons en l’air et la tête en bas ? » .

En toute logique, le récit de ce Conseil de Salamanque, débouche sur l’affirmation que


la sphéricité est bien une « proposition » de Colomb :

À la plus simple de ses propositions, la forme sphérique de la Terre, ses adversaires opposaient des textes figurés
de l’Écriture. Ils lui objectaient qu’il était dit dans les Psaumes que les cieux sont étendus comme une peau […] et
que saint Paul qui, dans son Épître aux Hébreux, comparait le ciel à un tabernacle, ou tente, étendu sur toute la
28
Terre, d’où ils inféraient qu’elle devait être plate .

Un argument placé par Irving dans la bouche des membres du Conseil mérite plus
particulièrement que l’on s’y arrête. Irving, nous l’avons dit, a l’habileté de ne pas
affirmer l’ignorance de la sphéricité comme étant un fait universel. Parmi les membres
du conseil, certains l’admettent ou font semblant de l’admettre, mais opposent alors au
navigateur un singulier argument :

Enfin, et ce ne fut pas l’objection la moins absurde, on alla jusqu’à avancer que, quand même un vaisseau
réussirait de cette manière à atteindre l’extrémité des Indes, il ne pourrait jamais revenir ; parce que la rotondité
du globe présenterait une sorte de montagne, qu’il serait impossible de remonter, même par le vent le plus
29
favorable .

Cette phrase semble directement puisée dans le récit de Fernando Colomb :

[Les cosmographes dirent au Roi que] si quelqu’un avait fait le voyage, il ne reviendrait jamais par la même route,
mais il serait obligé de remonter la mer, comme une espèce de montagne, ce qui était impossible quelque vent
30
favorable qu’on eût .

Or cette étrange croyance en une impossibilité « de remonter la mer » est aussi un


souvenir scolaire dont a témoigné la majorité des personnes que nous avons
interrogées, qui se souviennent qu’on la leur avait présentée comme une « peur » des
marins. Elle semble bien davantage être une invention de Fernando pour magnifier le
courage de son père, car le récit de la traversée par Colomb ne porte aucune trace de ces
craintes. On peut également l’interpréter comme une manière d’insister sur
l’incompétence ou la naïveté des membres du Conseil, soulignée par Fernando Colomb,
en leur prêtant une façon absurde de concevoir la sphéricité, comme si la Terre avait un
haut et un bas. C’est encore une fois un bon exemple de manipulation (quasi en temps
réel, pourrait-on dire), car si l’expression se rencontre dans les ouvrages de la
Renaissance, elle n’est associée ni à une peur, ni à un argument contre la sphéricité,
mais témoigne au contraire d’une façon imagée de parler (comme nous disons
aujourd’hui que nous montons de Bordeaux à Paris ou qu’en sens inverse, nous
descendons au bord de la mer), façon de parler qui nous semble signaler surtout
l’intériorisation des représentations cosmologiques et cosmographiques. En effet,
comme le signalait déjà Russel, on trouve des images proches dans le Voyage autour de la
e
Terre de Jean de Mandeville écrit au XIV siècle :

J’ai donc vu les trois quarts de toute la rondeur du firmament, plus cinq degrés et demi. C’est pour cela que je dis
avec certitude qu’un homme pourrait faire le tour de toute la terre du monde, aussi bien par-dessus que par-
dessous et revenir en son pays s’il trouvait des compagnons et un navire pour le conduire et il trouverait toujours
des hommes, des terres et des îles tout comme en nos pays.

Vous savez que ceux qui sont du côté de l’Antarctique sont exactement pieds contre pieds de ceux qui demeurent
sous la Tramontane, de même que nous et ceux qui demeurent au-dessous de nous sommes pieds contre pieds, car
toutes les parties de la terre et de la mer ont leurs opposés habitables et franchissables et deçà et delà […]. Car en
allant d’Écosse ou d’Angleterre vers Jérusalem, l’on monte toujours, puisque notre terre est dans la basse partie de
31
la terre vers l’occident, comme la terre du Prêtre Jean est dans la basse partie vers l’orient .

Elle figure aussi dans le petit Globe du monde dont nous parlions plus haut, où elle est
utilisée exactement dans le même contexte (« nous émerveillons comme nos antipodes,
qui marchent les pieds à l’opposite des nôtres, peuvent se grimper contre la Terre », voir
supra).
D’autres éléments sont particulièrement intéressants pour mieux comprendre
comment le mythe construit au sujet de Colomb a pu affermir celui sur la Terre plate.
Irving utilise un argument social et anti-élitiste que l’on trouve fréquemment invoqué,
nettement teinté d’anticléricalisme. Colomb est ainsi un « homme obscur » ou un
32
« étranger obscur » , un

navigateur obscur, n’étant membre d’aucune assemblée savante, dépourvu de cet entourage éblouissant qui
donne quelquefois à la médiocrité ou même à la sottise l’autorité d’un oracle, il n’avait pour tout appui que la
33
seule force de son génie .

Au même endroit, il est décrit comme « un simple marin se présentant sans crainte au
34
milieu d’un cercle imposant de professeurs, de moines et de dignitaires de l’Église ».
La délicieuse langue d’aujourd’hui dirait : un self-made-man dressé contre l’establishment.
La Terre ronde, ainsi, appartient au génie des humbles, la Terre plate aux bigots et à
ceux qui se proclament experts.
La version de Roselly, quoique catholique, aboutit à un résultat similaire. Il postule,
lui aussi, que le projet de Colomb suppose pour principe une sphéricité qui n’est pas
encore admise :

Les muletiers et les nourrices savaient au moins qu’un étranger prétendait prouver que la Terre est ronde comme
une orange, et qu’il y a des pays où les hommes marchent la tête en bas ; de plus, qu’en continuant de naviguer
tout droit au couchant, on reviendrait par l’orient. Le public s’étonnait peut-être que l’on traitât si sérieusement
35
une pareille facétie .

Il dépeint, lui aussi, une partie des membres de l’assemblée comme des imbéciles
cramponnés aux citations de Lactance et d’Augustin. S’appuyant sur les mêmes sources
qu’Irving, et s’inspirant probablement de lui, il livre une identique description
amplement romancée de l’examen des propositions de Colomb :

Quelques membres de la Junte objectèrent à ses déductions des passages des Saintes Écritures qu’ils appliquaient
fort mal, et des fragments tronqués de quelques auteurs ecclésiastiques contraires à son système. Des professeurs
« cathedraticos » établirent par majeure et par mineure que la Terre est plate comme un tapis et ne saurait être
ronde, puisque le Psalmiste dit : « Étendant le ciel comme une peau », extendens coelum sicut pellem, ce qui serait
impossible si elle était sphérique. On lui opposait les paroles de Saint Paul, comparant les cieux à une tente
36
déployée au-dessus de la Terre, ce qui exclut la rotondité de ce monde .

L’ouvrage, cependant, présente de subtiles différences dans la construction du mythe.


Roselly, catholique, doit malgré tout tenter de sauver le rôle de l’Église. Il insiste donc
logiquement plus qu’Irving sur la diversité des opinions alors en cours, motif tout aussi
faux que l’idée d’une croyance presque unanime à la Terre plate, mais qui a l’intérêt de
ce pas présenter la question de la forme de la Terre comme un dogme chrétien :

Les uns croyaient fermement que la Terre était le corps le plus vaste de la création visible, le centre fixe de
l’univers. Dès lors, ils trouvaient tout naturel que le soleil tournât autour d’elle. […] Les autres estimaient que la
Terre formait un cercle aplati ou un quadrilatère immense, borné par une masse d’eau incommensurable. Ceux-ci,
en admettant la forme quadrangulaire ou circulaire, mais toujours aplatie de la Terre, limitaient l’étendue des
mers au septième de la partie solide de ce monde. Ceux-là, sans se forger nettement un système, tenaient pour un
37
songe toute idée contraire aux anciens auteurs .

La première opinion, on le note, n’exclut pas, au contraire, la sphéricité. Mais Roselly se


garde bien de le dire, déportant le débat vers une autre question : « tenir pour un songe
toute idée contraire aux anciens auteurs », c’est tenir à l’immobilité de la Terre et au
centre du monde. Et rapprocher sans le dire Colomb et Galilée.
Il insiste par ailleurs sur la qualité scientifique de la commission :

La Junte fut composée des professeurs d’astronomie et de cosmographie en possession des premières chaires de
cette Université, et des principaux géographes ou géomètres qui avaient étudié autrefois les mathématiques sous
38
maître Apollonius, et la physique sous maître Pascual de Aranda .
Cela lui permet en réalité de faire porter la responsabilité de la croyance en une Terre
plate sur les seuls théologiens, qu’il assimile aux scolastiques, activant ainsi un autre
des mythes venus des humanistes eux-mêmes : la stérilité de la scolastique. On a noté la
référence aux cathedraticos et au raisonnement « par majeure et par mineure », il se fait
39
plus explicite un peu plus loin en nommant « les scolastiques opiniâtres » . Comme
chez Irving, ce travail de sape est révélateur : il s’agit de faire de Colomb un homme de
l’expérience :

Quand il répliquait par les motifs tirés de l’expérience et de la nautique, on lui ripostait par l’autorité de Lactance
40
et de saint Augustin condamnant l’opinion absurde de ceux qui croient aux antipodes .

À la différence de ce qui se passe chez Irving, cette expérience n’est pas contradictoire
avec la religion, au contraire : elle est pour lui le signe de la foi des humbles contre
l’orgueil du savoir imbu de lui-même. Renonçant, d’après Roselly, à attirer les
« théologiens » sur le terrain de la science, Colomb les affronte avec leurs propres
armes, celles des Écritures, « développant avec magnificence, ces mêmes textes sacrés
41
dans lesquels ils avaient cru lui montrer sa condamnation ». C’est ainsi que « l’ardeur
de son apostolat parut alors le transfigurer aux yeux de son auditoire ». En effet :

la foi ne lui eût pas infusé la science nautique, fruit de la pratique et de l’observation, mais sa foi ayant obtenu la
grâce de Dieu, il fit ce que les autres n’auraient pas osé faire. […] Sa contemplation assidue de la Nature ayant
persuadé Colomb que la forme sphérique est celle des grands corps de la Création, des astres et des mondes, il
partait de ce principe que la Terre était ronde. Son mode de conception de l’œuvre divine se proportionnant à sa
notion élevée du Créateur, […] il trouva bientôt dans sa connaissance des saintes Écritures la confirmation de ses
42
idées cosmographiques .

On voit ici comment Roselly tente de renverser le traitement du mythe au profit de


l’Église. De manière pour le moins amusante, la forme de la Terre devient chez lui un
marqueur de la foi et une ligne de partage entre les bons et les méchants. Il y a ceux qui
ne croient pas en la sphéricité (les théologiens scolastiques) et ceux qui y croient, comme
les Dominicains ou les Franciscains, ordres à la fois pieux et savants. Ainsi, lors de
l’épisode du Conseil, « seuls les religieux Dominicains de Saint-Étienne l’écoutèrent
43
avec attention et faveur ». Colomb est un nouveau messie qui opère des conversions,
comme lors de son passage au monastère de La Rabida où il est accueilli, après avoir
quitté le Portugal, par le prieur, Juan Perez de Marchena. Ce personnage bien réel
devient sous la plume de Roselly une sorte de saint Paul de la sphéricité :

Il écouta, il comprit et il crut.


Ainsi, dans ce paisible couvent de Franciscains, la conception la plus large de l’humanité fut développée par le
génie, accueillie par l’enthousiasme. Dans ce couvent l’on crut d’une foi implicite et soudaine à la sphéricité de la
44
Terre .

Ce passage délirant montre à quel point le mythe de la Terre plate était devenu au
e
XIX siècle un argument essentiel, incarné ici par Christophe Colomb, de la lutte
idéologique des Églises entre elles, de l’Église contre la laïcité (et vice versa) et, bien
plus qu’au Moyen Âge, des Églises contre la science, à un moment où la lecture littérale
de la Bible entre à nouveau en jeu dans une querelle essentielle, celle du darwinisme.

Redisons simplement, avant de poursuivre notre enquête, que l’on peut affirmer sans
e
trembler que les lettrés du XV siècle ne doutaient pas de la sphéricité de la Terre et que
cette connaissance était largement partagée dans les milieux des lisants-écrivants et un
peu au-delà. Le livre de chevet de Colomb, annoté de sa main – l’Imago Mundi de Pierre
d’Ailly, publiée entre 1480 et 1483 – contient des discussions sur la véritable
circonférence de la Terre, comparant les mesures qui avaient pu être faites
45
auparavant . C’est l’incertitude sur cette circonférence que le navigateur a en réalité
tenté d’utiliser pour minimiser la longueur du voyage et convaincre la commission
Talavera. Fernando Colomb, dans l’ouvrage consacré à son père, précise les raisons qui
ont poussé celui-ci à partir, dont le constat avancé par plusieurs navigateurs qu’il ne
restait à découvrir que la partie occidentale du Globe, au-delà des Açores et du Cap-
Vert, et que cet espace ne peut faire au maximum « que la quatrième partie du globe ».
Las Casas, qui reprend sur ce point les écrits de Fernando, explicite les connaissances de
Colomb sur les dimensions de la Terre. Il affirme que Colomb savait qu’entre
l’extrémité orientale de l’Inde, dont Ptolémée et Marin de Tyr avait eu connaissance, et
les Açores, qui étaient les terres les plus occidentales alors connues, il y a « quinze
heures sur les vingt-quatre qu’il y a pour le tour du monde » (quinze fuseaux horaires
dirait-on aujourd’hui) et qu’il connaissait l’opinion d’Alfraganus (Al-Farghānī, voir I, III,
2) et de ses adeptes qui « donnent à la sphère un tour beaucoup plus petit que tous les
autres auteurs et cosmographes », en évaluant la distance entre chacun de ses degrés à
46
« pas plus de 56 milles deux tiers » .
Denis Crouzet a bien montré comment Colomb a effectivement eu connaissance de
e 47
cette mesure du IX siècle par l’Imago Mundi de Pierre d’Ailly . Mais, pour convertir ces
« 56 milles et deux tiers », le navigateur a utilisé, de façon peu cohérente, la valeur du
mille nautique et non du mīl arabe (dans les unités actuelles, le mille utilisé par Colomb
valait 1,481 km contre 1,9735 km pour le mīl arabe). Grâce à cette confusion volontaire, il
obtient pour la circonférence de la Terre une valeur de 20 400 milles, soit environ
30 000 km. À ce rétrécissement de la circonférence, le Génois ajoute une extension
exagérée de l’étendue des terres entre les Açores à l’ouest et Cipango (le Japon) à l’est. Il
l’étire en effet à 225 degrés de longitude (au lieu de moins de 180 degrés) en utilisant le
récit de Marco Polo dans son estimation de la longitude de Cathay (le royaume du
Grand Khan, roi des rois des Indes) et en rajoutant 30 degrés de Cathay à Cipango. Au
final, il réussit à diviser par trois la distance supposée des terres occidentales, tout cela
dans le but de rendre l’expédition envisageable.
Le projet de l’expédition n’était donc absolument pas de démontrer la sphéricité de la
Terre, quoiqu’en dise Irving et, avant lui, celui dont il mentionne l’œuvre à plusieurs
reprises : Voltaire. Dans son Essai sur les mœurs, le philosophe affirmait en effet que
Colomb « avait promis un nouvel hémisphère » et s’était vu opposer que « cet
48
hémisphère ne pouvait exister » . Aucun membre de la commission Talavera n’a pu
objecter au navigateur qu’il n’y avait pas d’antipodes.
Pour autant, l’entreprise du Génois était fort audacieuse étant donné la longueur de la
traversée, puisqu’on ignorait l’existence d’un continent entre l’Europe et les Indes. Il est
vraisemblable que cette distance soit apparue comme infranchissable et ait soulevé de
nombreuses objections. L’inquiétude des marins recrutés par Colomb dans cette
aventure est réaliste, compte tenu de la durée supposée de la traversée. Elle est
confirmée par ses stratégies concrètes et précises – décrites dans son Journal de bord –
pour sous-évaluer les distances parcourues chaque jour (puisqu’il leur avait annoncé
une distance totale plus courte qu’en réalité) et rassurer ainsi ses hommes d’équipage,
49
qui s’inquiétaient de ne pas voir la terre approcher . Notons au passage que les
recherches sur la taille précise de la Terre ne se sont pas arrêtées avec Colomb. Tout au
long des siècles suivants, les mesures géodésiques se sont affinées et on trouvera dans
50
l’ouvrage de Xavier Campi le récit passionnant du développement de cette science
avant et après Newton.
Le devenir historiographique de Colomb apparaît quant à lui tout à fait révélateur de
la manière dont certains épisodes historiques sont utilisés au sein de constructions
religieuses, politiques ou idéologiques, sans avoir nécessairement de rapport avec la
réalité de l’histoire. Le mythe de Colomb a porté celui de la Terre plate, et ces deux
légendes, fabriquées l’une comme l’autre, ont été utilisées pour réécrire l’histoire des
sciences et l’histoire tout court. Le très grand succès de l’œuvre d’Irving aux États-Unis
comme en Europe, relayé par celui du texte de Roselly en milieux catholiques et au-
delà, est l’une des explications de l’enracinement de ce double mythe dans les
consciences.

Notes
1. Crouzet, 2018 (dossier additionnel à l’éd. 2006).
2. Voltaire, Essai sur les mœurs, vol. IV, p. 101.
3. Copernic, Des révolutions des orbes célestes, I, 3, p. 19.
4. Descendre, 2009, p. 591.
5. Bennassar, 2013, p. 56.
6. Fabre, 1998.
7. Donnet, 1867, p. 405.
8. Roselly, 1856, p. III.
9. Ibid., p. 30.
10. Ibid., p. 29.
11. Ibid., p. 31 et 32.
12. Humboldt, Examen critique, t. 3, p. 10.
13. Ibid., p. 11-12.
14. Roselly, 1887, p. XXII.
15. Ibid., p. XXIV.
16. Vignaud, 1911, t. 1, p. 547-600.
17. Ibid.
18. Bashet, 2009 et Bennassar, 2013.
19. Roselly, 1856, p. 180.
20. Irving, 1828, t. 1, p. 49-50.
21. Ibid., p. 102.
22. Ibid., p. 44.
23. Ibid., p. 97.
24. Ibid., p. 96.
25. Ibid., p. 99.
26. Ibid., p. 99-100.
27. Ibid., p. 101.
28. Ibid., p. 102.
29. Ibid., p. 103.
30. Fernando Colomb, La Vie de Cristofle Colomb, p. 54.
31. Mandeville, Voyage autour de la Terre, p. 139.
32. Irving, 1828, t. 1, p. 127 et 106.
33. Ibid., p. 98.
34. Ibid.
35. Roselly, 1856, p. 182.
36. Ibid., p. 186.
37. Ibid., p. 185.
38. Ibid., p. 182.
39. Ibid., p. 189.
40. Ibid., p. 187.
41. Ibid., p. 188.
42. Ibid., p. 390-391.
43. Ibid., p. 186.
44. Ibid., p. 162-163.
45. Crouzet, 2018, p. 31.
46. Las Casas, Histoire des Indes, I, p. 113.
47. Crouzet, 2018, p. 32-33.
48. Voltaire, Essai sur les mœurs, vol. IV, p. 99.
49. Voir les extraits du journal de bord de Colomb rapportés par Las Casas dans Histoire des Indes, vol. I, p. 308 et
suiv.
50. Campi, 2014.
CHAPITRE III
Comprendre le succès du mythe

L’étude de l’héroïsation de Christophe Colomb fournit bien des éléments


d’explication pour comprendre les enjeux qui se nouent indirectement autour de la
question de la Terre plate, devenue l’emblème de combats plus amples, pour ou contre
la laïcité. Le succès durable du mythe, ainsi, ne peut se comprendre sans une prise en
e
considération du contexte particulier du XIX siècle, marqué, comme les Lumières, par la
double question de la laïcité et de l’anticléricalisme, mais aussi, dans un registre
différent, par une manière très particulière d’écrire l’histoire.

I. LA TERRE PLATE ET LES COMBATS DU SIÈCLE

L’influence du positivisme

e
Sur le plan intellectuel, en effet, le XIX siècle voit se diffuser les thèses du philosophe
Auguste Comte († 1857), qui ont profondément influencé la conception de l’histoire des
sociétés humaines. Dans son célèbre Discours sur l’esprit positif (1844), qui synthétise son
Cours de philosophie positive (paru entre 1830 et 1842), Comte brosse l’histoire de
l’évolution intellectuelle de la société à travers trois étapes théoriques, qui s’appliquent
selon lui, aussi bien à l’individu qu’à l’espèce humaine. La première étape – associée à
l’enfance, période de prédilection pour les questions insolubles du genre « pourquoi » –
serait caractérisée par un essor théologique. À l’intérieur de cette période, Comte
dessine une progression qui va du fétichisme au monothéisme en passant par le
polythéisme et qui aboutit au développement « du sentiment universel, jusqu’alors
presque insignifiant, de l’assujettissement nécessaire de tous les phénomènes naturels à
1
des lois invariables ». Suit une deuxième étape – associée à l’adolescence – par laquelle
l’explication de la nature par des agents surnaturels est remplacée par une
compréhension à l’aide d’entités ou d’abstractions personnifiées. Cette étape qualifiée
de « métaphysique » est la transition pour atteindre l’installation d’une « vraie
philosophie », grâce à laquelle les « mystérieuses recherches » des explications
théologiques ou métaphysiques ont été abandonnées. « L’esprit humain renonce « aux
recherches absolues » et « circonscrit ses efforts dans le domaine […] de la véritable
observation, seule base possible des connaissances vraiment accessibles, sagement
2
adaptées à nos besoins réels ». La dernière étape de la philosophie positive, que Comte
associe à la « virilité », consiste à « substituer partout à l’inaccessible détermination des
causes la simple recherche de lois, c’est-à-dire de relations constantes qui existent entre
3
les phénomènes observés ».
L’affirmation que toutes nos connaissances sont relatives à nos sens amène Auguste
Comte à assurer qu’il « ne saurait exister aucune astronomie chez une espèce aveugle,
4
[…] ni envers des astres obscurs », ce que le développement de l’analyse spectrale a
démenti après sa mort. Mais la représentation d’un savoir évoluant de façon graduelle
et linéaire vers des connaissances de plus en plus précises a marqué durablement la
philosophie des sciences (et celle de l’éducation) à partir de la seconde moitié du
e
XIX siècle. Elle a également fortement contribué à construire la figure galiléenne : si
certains ont choisi Colomb et 1492 comme date d’une rupture épistémologique, Comte
la place plus tard, dans les années 1600. Il se démarque, comme le fait remarquer Annie
Petit, qui annote cette édition de son Discours, des philosophes des Lumières « qui
5
décrivaient le Moyen Âge comme l’époque de l’obscurantisme et des superstitions ».
Mais il qualifie ce qui précède 1600 d’ère « préscientifique », autre expression qui
connut un grand succès et un long usage : « le véritable esprit scientifique est si
moderne et encore tellement rare, que personne peut-être avant Galilée n’avait
6
seulement remarqué l’accroissement de vitesse qu’éprouve un corps dans sa chute »,
écrit-il par exemple au sujet des mathématiques dans le premier tome de son Cours, ce
qui est une autre contre-vérité historique.

La Libre Pensée

e
En France, la III République a hérité d’un « positivisme amputé », comme le dit
7
Dominique Lecourt , républicain et anticlérical. La réforme sociale que la République se
promettait de construire devait « s’appuyer sur une réforme intellectuelle organisée
autour de la méthode des sciences, laquelle récuse tout dogme théologique ou
8
métaphysique ». Le stéréotype d’une Église qui se serait accrochée au dogme de la
Terre plate s’est durablement ancré dans les discours de ce siècle, avec Augustin comme
cible privilégiée qui, comme l’affirme Proudhon (dans un texte évoquant la notion de
9
préjugé !) « croyait la Terre plate, parce qu’il lui semblait la voir telle ».
e
À partir de la seconde moitié du XIX siècle, des intellectuels – hommes politiques
comme Louis Blanc ou Georges Clemenceau, scientifiques comme Marcelin Berthelot ou
Paul Bert, écrivains comme Victor Hugo, historiens comme Jules Michelet – se sont
affirmés libres penseurs, c’est-à-dire engagés dans un combat pour la liberté de
conscience contre l’Église et son clergé, dont les valeurs étaient, à leurs yeux,
irréconciliables avec celles de la République. Ce combat fut au centre des débats
e
électoraux lors des élections législatives de la III République naissante, qu’il s’agisse du
soutien au projet de loi sur les associations, de l’abrogation du Concordat, de la
laïcisation de la justice, des hôpitaux, des prisons et plus généralement, de la séparation
de l’Église et de l’État. Le mouvement de la Libre Pensée développe – à l’occasion de
discours, comptes rendus de congrès, articles de presse, conférences publiques –
l’opposition entre la science et la foi. Il entretient durablement le souvenir du conflit
historique qui les aurait toujours dressées l’une contre l’autre.
L’examen des Bulletins mensuels de la Fédération française des libres penseurs (BMFFLP)
de l’année 1892 (en ligne sur Gallica) intéresse notre étude. On y trouve l’appel aux
libres penseurs de tous les pays pour qu’ils participent au Congrès universel qui doit se
dérouler à Madrid en octobre 1892 ; il s’agit de célébrer le quatrième centenaire de la
première traversée de Colomb, qu’il est important de fêter tout particulièrement dans
cette forteresse catholique qu’est « la vieille patrie de Torquemada » :

La découverte de l’Amérique n’est, au fond, autre chose que le triomphe de la science positive sur la science
chimérique de la théologie, et celui de la Libre Pensée sur les dogmes d’une religion absurde. La Bible en main, le
Conseil de Lisbonne présidé par un évêque, et la Junte de Salamanque, dominée par les théologiens, retardèrent le
départ de Colomb, en réprouvant ses projets qu’ils stigmatisèrent comme insensés et hérétiques, et en le forçant à
fuir du Portugal et à venir endurer de mortelles angoisses en Espagne, d’où il devait aussi s’éloigner découragé et
indigné, lorsque le pouvoir civil, par un brusque retour, abandonnant la vaine théologie, se mit résolument au
10
service de la science positive représentée en la personne de l’immortel navigateur .

Colomb est donc vu comme un « précurseur » (autre expression à bannir, car


nécessairement téléologique) de la science positive théorisée par Auguste Comte, et la
« Junte de Salamanque » comme l’archétype d’une approche théologique caractérisant
les balbutiements de l’humanité. Dans l’opposition de la science et de la théologie,
Colomb est naturellement le héros de la science. Quinze ans après la démarche de
l’archevêque de Bordeaux auprès du pape pour obtenir la canonisation de « l’Amiral »
évangélisateur, l’appel des organisateurs du Congrès universel s’approprie à son tour,
mais avec une signification exactement inverse, l’aventure colombienne :

Oui, la découverte de l’Amérique est notre triomphe ! Elle démontre la vanité du savoir des théologiens, et la
vérité infaillible de la science expérimentale ; elle démontre en même temps, que ce n’est qu’en brisant les entraves
des erreurs religieuses et en suivant hardiment le courant des idées modernes, que le pouvoir civil peut accomplir
11
des œuvres grandes et fécondes .
Le débat sur la rotondité de la Terre n’est pas explicitement mentionné, mais que
pourrait être d’autre « la vérité infaillible de la science expérimentale » que la religion
aurait voulu entraver ? Que pouvait-il y avoir d’« hérétique » dans la tentative de
traversée si ce n’est de refuser le (supposé) dogme de la Terre plate ?

Il faut en effet être bien ignorant, ou bien profondément aveuglé par la passion catholique pour ne pas
comprendre que le jour où la découverte du Nouveau Continent a été un fait accompli, l’échafaudage des
12
hypothèses et des fantaisies biblico-catholiques aurait dû s’écrouler comme un château de cartes .

Persuadés que la croyance en ces « fantaisies biblico-catholiques » est celle de toute


l’Église, les dénonciateurs répètent à l’envi la formule (apocryphe) credo quia absurdum
que Paul Laffargue, Paul Bert, et tant d’autres libres penseurs estiment exemplaire de
13
« l’état d’esprit du fidèle ». Elle est un écho de cette fausse citation que Voltaire
attribue à saint Augustin – sa cible préférée – dans l’un de ses Dialogues : « je le crois,
14
parce que cela est absurde ». Ce sont les catholiques qui sont principalement visés par
cette ironie, car comme l’américain Draper, les libres penseurs épargnent les
protestants, qu’ils jugent comme eux victimes de la « tyrannie catholique ». Une thèse
que reprennent à leur compte les libres penseurs rédacteurs de l’appel au congrès de
15
Madrid .
L’anticléricalisme qui transpire des déclarations de ce congrès révèle les attendus de
la « célébration de la science positive » pour ce mouvement, comme l’évoquait Lecourt
dans l’article cité supra.

Le combat autour de Darwin

C’est dans ce contexte général de tensions religieuses et intellectuelles, mais aussi de


pratiques historiographiques devenues aujourd’hui peu acceptables, que s’est
16
développé le double mythe de l’obscurantisme médiéval et de la Terre plate. Il est
probable en outre que d’autres facteurs ont contribué à aggraver les choses. Nous avons
e e
évoqué la controverse sur l’âge de la Terre née au XVIII siècle et qui se poursuit au XIX .
La découverte en 1861 d’un chaînon manquant entre le dinosaure et l’oiseau confirme la
nécessité d’augmenter considérablement la durée de ces temps géologiques, pour tenir
17
compte de celle nécessaire à l’évolution de la faune et de la flore .
Sous-jacente à cette méthode, la théorie de l’évolution exposée dans L’Origine des
espèces (publiée par Darwin en 1859) constitue une rupture absolue avec les explications
théologiques de l’apparition des espèces, à l’instar de l’héliocentrisme avec le système
ptoléméen. Réédité six fois jusqu’en 1872, traduit en français dès 1862, l’ouvrage a
comme on le sait rapidement provoqué un affrontement entre « les géologues
bibliques », selon l’expression de Letronne, et ceux qui soutenaient le « transformisme ».
White, dans son ouvrage déjà cité, compare l’effet de cette parution à celui « d’une
charrue dans une fourmilière » et recense les nombreuses et vives réactions des
18
théologiens de l’époque .
Cet affrontement avait des précédents – assez peu nombreux, en réalité – qu’il était
tentant de convoquer pour démontrer l’hostilité intrinsèque de l’Église à la science.
e
Celui, bien réel, sur le mouvement de la Terre au XVII siècle et dont Galilée fut la
victime la plus célèbre aurait dû suffire à l’illustrer, sans qu’on allât chercher un
aplatissement de la Terre qui n’eut jamais lieu. Il existait cependant une forte volonté de
démontrer – comme l’a fait le chimiste et homme politique Marcelin Berthelot – que
« Rome a été le centre d’oppression de la science et de la pensée pendant plus de mille
19
cinq cents ans ».

II. UNE HISTOIRE DES GRANDS HOMMES

Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,


Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal.

Ils allaient conquérir le fabuleux métal


Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde occidental.

Chaque soir, espérant des lendemains épiques,


L’azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d’un mirage doré ;

Ou penchés à l’avant des blanches caravelles,


Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles.

José-Maria de Heredia, « Les Conquérants », Les Trophées, 1893.

Attirés par le « fabuleux métal » dont on imaginait que les Indes et Cipango (le Japon)
regorgeaient, mais terrifiés à l’idée d’aborder « les bords mystérieux du monde
occidental », où l’on risquait – paraît-il – de tomber sans jamais pouvoir « remonter »,
les « découvreurs » du Nouveau Monde ont donc été célébrés des deux côtés de
l’Atlantique. La manière dont on écrivait l’histoire n’est par ailleurs certainement pas
étrangère au succès du mythe, et elle est elle-même étroitement liée à l’intensité de
conflits idéologiques que nous venons d’évoquer. En effet, le besoin de discréditer les
siècles anciens (Église(s) mais aussi Ancien Régime) s’est accompagné de la construction
de figures héroïques érigées en symbole de la lutte pour la modernité.

Monuments et symboles

e
La fin du XIX siècle voit fleurir en Europe les monuments à la gloire de Colomb en
Italie et surtout en Espagne. Sur les places des grandes villes, les statues érigées à cette
époque mettent en scène les différentes figures du héros que nous avons rencontrées
dans la littérature : le scientifique découvreur représenté avec une main tenant un
rouleau (une carte) et l’autre pointée vers la mer (Barcelone, 1888), le marin aventurier
tenant un gouvernail (au monastère de La Rábiba), l’évangélisateur révélateur du globe
tenant une oriflamme chrétienne avec un globe terrestre à ses pieds (Madrid, 1885).
Parmi elles, certaines exploitent nettement l’association que fait la culture populaire
entre voyages de Colomb et sphéricité, contribuant ainsi à ancrer fortement cette idée
dans l’imaginaire collectif : il est représenté avec la main posée sur un globe terrestre à
Santa Margharita de Ligure (1882) ; un bas-relief du monument le met en scène à
Salamanque, s’adressant aux membres du fameux Conseil tout en désignant un globe
posé sur une table.
Le musée du Louvre conserve un tableau intitulé « Christophe Colomb devant le
20
conseil de Salamanque », que l’on doit au peintre américain Emanuel Leutze en 1841 ,
qui immortalise l’événement et fut souvent repris comme illustration scolaire. Si dans ce
tableau Colomb déroule des cartes, une gravure qui en est tirée, parue dans le Magasin
pittoresque de 1843, le montre, debout face à ses examinateurs, le doigt posé sur une
21
sphère . Le Conseil est ainsi à l’origine d’une iconographie abondante : il a été
également peint par Nicolo Barabino et on en trouve une représentation dans les
22
archives de la Bibliothèque de Lisbonne (Cristovao Colombo no Conselho ne Salamanca ).
Enfin, de nombreuses représentations du navigateur, dont Colomb au couvent de La
Rabida, tableau de Felipe Manso (1492), le montrent à côté d’une sphère. Il faudrait en
particulier compléter cette esquisse par une enquête sur l’iconographie des manuels
scolaires de la période 1850-1960, mais quoi qu’il en soit, l’iconographie, on le voit,
exploite sans vergogne le mythe d’un Colomb découvreur ou tout du moins défenseur
de la sphéricité.
La Renaissance de Michelet

De ce côté-ci de l’Atlantique, l’Histoire de France de Jules Michelet construit


parallèlement sa vision de l’histoire. L’héroïsation de la naissance des temps modernes
n’est pas simplement un enjeu politique et intellectuel : elle est aussi liée à une manière
particulière d’écrire l’histoire, dont Michelet est une bonne illustration, à la fois par le
style enflammé et par la manière dont il n’hésite pas à tordre la vérité. Jacques Le Goff,
qui a analysé l’évolution des conceptions du Moyen Âge de Michelet (il en identifie au
moins trois), précise que dix ans lui furent nécessaires (de 1833 à 1844) pour écrire les
six premiers tomes de son Histoire de France, dans lesquels il fait une description
enthousiaste des premiers siècles du Moyen Âge, présentés comme une période où le
christianisme protégeait les humbles et où « l’Église était alors le domicile du
23
peuple ». C’est dans le septième volume, Renaissance (publié en 1855), que Michelet
aborde la période qui nous intéresse. Dans la préface, il réclame le droit à une histoire
« de la pensée originale, de l’initiative féconde, de l’héroïsme », au nom de Luther, « qui
d’un Non dit au pape, à l’Église, à l’Empire, enlève la moitié de l’Europe », mais aussi
au nom de Colomb, « qui dément et Rome et les siècles, les conciles, la tradition », au
nom de Copernic, qui, « contre les doctes et les peuples, méprisant à la fois l’instinct et
la science, les sens même et le témoignage des yeux, subordonna l’observation à la
24 e
Raison, et seul vainquit l’humanité » . Ce XVI siècle, dit-il ensuite dans l’introduction,
va de « Colomb à Copernic, de Copernic à Galilée, de la découverte de la Terre à celle
25
du ciel ». Cette introduction lui permet de brosser un tableau noir du Moyen Âge
finissant, et surtout du Moyen Âge scientifique, qui est « pis que néant », « une
26
honteuse reculade » . Sa lecture de la Renaissance est explicite :

Générations trop confiantes dans les forces collectives qui font la grandeur du dix-neuvième siècle, venez voir la
source vive où le genre humain se retrempe, la source de l’âme, qui sent que seule elle est plus que le monde et
27
n’attend pas du voisin le secours emprunté de son salut. Le seizième siècle est un héros .

Cette très longue introduction se conclut par ces mots tout aussi révélateurs :

Un grand mouvement va se faire, de guerre et d’événements, d’agitations confuses, de vague inspiration. Ces
avertissements obscurs sortis des foules, mais peu entendus d’elles, quelqu’un (Colomb, Copernic ou Luther), les
28
prendra pour lui seul, se lèvera, répondra : « Me voici ! » .

Michelet souscrit à la thèse de l’oubli puis du retour de l’Antiquité : « le génie grec


guidait Colomb et Copernic. Pythagore et Philolaüs leur enseignait le système du
29
monde. Aristote leur garantissait la rotondité de la Terre ». Parvenu à la toute fin de
l’ouvrage (qui traite de l’histoire de France, rappelons-le), il revient sur les trois
hommes évoqués dans l’introduction, décrit ces figures du héros/héraut des Temps
modernes en soulignant leurs origines modestes et leur rôle de fondateurs d’une
« nouvelle église » :

Trois fils de serfs, ouvriers héroïques, taillent les trois pierres où se fonde la nouvelle Église : Colomb, Copernic et
Luther. L’Italien trouve le monde, et le Polonais en trouve le mouvement, l’harmonie, l’infini du ciel. L’Allemand
30
reconstitue la famille et y met le sacerdoce. C’est fonder le monde de l’homme .

On retrouve là un avatar de la fascination pour le thème des praticiens contre les


intellectuels, sous la forme des humbles contre l’élite (aucun des trois n’est, cela va sans
dire, « fils de serf »). C’est dans les notes de cette édition qu’est fait le lien entre Colomb
et la sphéricité. Quittant une chronologie déterminée par l’histoire de France, Michelet
affirme :

Pour prendre le vrai point de départ du siècle, il eut fallu d’abord parler de la découverte de l’Amérique […].
Colomb ayant prouvé la rotondité de la Terre, on en conclut qu’elle devait tourner, comme les phases de deux
planètes le faisait soupçonner, et comme le prouva Copernik [sic], [etc.]. La découverte de Colomb est le grand fait
31
générateur du temps, celui qui influa le plus à la longue .

Michelet peut-il ignorer qu’à l’époque des « Grandes Découvertes » on sait que la Terre
est sphérique depuis près de 2 000 ans mais que cela n’implique pas nécessairement
qu’elle tourne ?
Les constructions – qu’il faut bien qualifier d’idéologiques – de Jules Michelet nous
paraissent aujourd’hui assez éloignées d’une pratique scientifique de l’histoire (doux
euphémisme). Elles montrent à quel point la fiction autour de Colomb était solidement
e
ancrée dans le XIX siècle. Les figures mythiques, portées aux nues par Michelet, des
« trois fils de serfs » affrontant seuls les préjugés idéologiques et religieux de leur temps
ont été reprises bien après lui. Elles ont irrigué de nombreux manuels d’histoire et des
e
ouvrages de vulgarisation durant le XX siècle, y compris lorsque la recherche
académique a commencé à prendre de sérieuses distances avec cette légende. Elles ont
aussi créé une culture diffuse, beaucoup plus difficile à cerner, qui, du poème de
Heredia aux métaphores des hommes politiques, use jusqu’à la corde le mythe d’une
Terre rendue plate par la religion et d’un Moyen Âge écrasé par l’ignorance.

Le mystère Galilée

Concluons sur un constat étonnant : Colomb est une figure héroïque, mais Galilée en
est une autre, non moins importante dans notre étude puisque c’est souvent lui que l’on
cite spontanément aujourd’hui comme martyr de la Terre ronde, comme nous le
rappelions pour commencer. Pourtant, l’examen des textes contredit le sentiment
populaire : même les histoires dans lesquelles le ressentiment contre l’Église est le plus
violemment exposé évitent en général de créditer Galilée de l’invention de la sphéricité.
Nous avancerons donc ici l’hypothèse que la transformation du personnage en un héros
de la résistance à l’obscurantisme, menée par les intellectuels, a facilité, mais dans la
culture populaire uniquement, son association avec ce mythe facile qu’est la croyance
en une Terre plate.
C’est en effet également à la philosophie des Lumières que l’on peut faire remonter
cette transformation de Galilée : la différence de traitement historique qu’ont connue
Copernic et Galilée est ici révélatrice. N’ayant jamais été condamné ni inquiété de son
vivant, Copernic fait figure de grand savant, mais pas de martyr. Galilée, en revanche,
est, dès l’Encyclopédie présenté comme un héros à la fois pathétique et tragique. Dès
1754, en effet, le tome IV de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert contient un passage
consacré à Galilée, que l’on trouve dans l’article « Copernic » : à l’un, la gloire
scientifique d’avoir une entrée sous son nom, mais à l’autre, la résistance aux forces
obscures :

En Italie, il est défendu de soutenir le système de Copernic, qu’on regarde comme contraire à l’Écriture à cause du
mouvement de la Terre que ce système suppose. Le grand Galilée fut autrefois mis à l’inquisition, et son opinion
du mouvement de la Terre condamnée comme hérétique ; les inquisiteurs, dans le décret qu’ils rendirent contre
lui, n’épargnèrent pas le nom de Copernic […]. Galilée, nonobstant cette censure, ayant continué de dogmatiser
sur le mouvement de la Terre, fut condamné de nouveau, obligé de se rétracter publiquement et d’abjurer sa
prétendue erreur, de bouche et par écrit, ce qu’il fit le 22 juin 1633, et ayant promis à genoux, la main sur les
évangiles, qu’il ne dirait et ne ferait jamais rien de contraire à cette ordonnance, il fut ramené dans les prisons de
32
l’inquisition, d’où il fut bientôt élargi .

S’il n’y a pas trace d’une confusion avec la question de la sphéricité, cet article contribua
fortement à faire de l’image du savant persécuté par l’Inquisition une image universelle,
que l’on a pu ensuite adapter à toutes les causes, comme le résume Laurent-
Henri Vignaud dans un bilan historiographique récent :

Il n’est pas inutile de préciser que l’attention des commentateurs, pendant presque trois cents ans, ne porta pas
directement sur les conditions du procès, ni même sur la science de Galilée, mais contribua plutôt à constituer une
sorte d’image d’Épinal où la Science serait aux prises avec le dragon de l’obscurantisme. La victimisation de
Galilée est née là (et surtout au siècle dernier) pour servir à des polémiques entre catholiques ultras et scientistes
33
souvent anticléricaux .

III. RÉFLEXIONS SUR LA GENÈSE ET LA SURVIE D’UN MYTHE

e
Les écrits des trois intellectuels de la première moitié du XIX siècle que sont Irving,
Letronne et Humboldt nous révèlent, par l’abondance de leurs citations mutuelles, le
fonctionnement d’une recherche certes internationalisée, mais dans des cercles
relativement fermés et que l’on dirait aujourd’hui autoréférencés. Ces personnages font
cependant autorité et on comprend comment ce courant de pensée a pu installer l’idée
que la croyance en la forme plate de la Terre était un fait historique. Mais cela ne suffit
pas à comprendre le succès de ce mythe, ni sa longévité. Comme nous l’avons
remarqué, Galilée n’est pas crédité par les historiens ou penseurs du passé d’avoir
découvert la sphéricité de la Terre, contrairement à Colomb, alors que son nom revient
plus souvent dans les réponses données aujourd’hui à la question « qui a découvert que
la Terre était ronde ? ». La consultation des nombreux sites internet qui ont fleuri
récemment pour combattre le mythe indiquent aussi bien plus souvent « Non, Galilée
n’a pas découvert… » que « Non, Colomb n’a pas découvert que la Terre était ronde ».
Les raisons qui expliquent le succès de la légende de la Terre plate, et plus largement
celui d’une Église et/ou d’un long Moyen Âge obscurs et fermés à toute connaissance
scientifique, sont multiples et parfois, certainement, plus ou moins souterraines : le
triomphe du positivisme, une historiographie qui cultivait le goût des grands hommes,
des grands récits et des images frappantes plutôt que de la vérité des sources, la lutte
contre le cléricalisme, l’affermissement de la jeune République (pour la France), mais
aussi la glorification de l’idée de Renaissance et la confiance trop rapide accordée aux
humanistes qui, les premiers, désignèrent le Moyen Âge comme le temps de la barbarie
des « Goths », pour reprendre un mot de Rabelais, ainsi que les querelles internes au
christianisme à partir de la Réforme, dont il ne faut pas sous-estimer le rôle et les
lointains avatars en terre américaine. Il faut y ajouter certainement des lectures trop
rapides, la confusion de la question de la sphéricité avec elle du mouvement de la Terre
– la première étant plus simple à appréhender que la seconde –, l’imprécision des
connaissances qui aggravent encore le problème. Comme nous l’avons constaté dans
des discussions informelles, certains collègues avouent mentionner dans leur cours la
question de la Terre plate à l’occasion de commentaires de documents figurant dans les
manuels, qui aujourd’hui, pourtant, ne font plus, sauf exception, mention de cette
croyance. Ils pensent ainsi bien faire en complétant un manuel qu’ils jugent lacunaire.
On aime de toute évidence croire à ce mythe confortable, qui permet de légitimer une
vision linéaire du progrès et une représentation simple de l’histoire, mais aussi
certainement dote notre époque d’un doux sentiment de supériorité (alors que bien peu
de nos contemporains sont à même de comprendre une page de philosophie
médiévale).
Si l’anticléricalisme croissant qui a accompagné la laïcisation du savoir et des sociétés
e
est un facteur fort d’explication, surtout pour le XIX siècle, il a en effet probablement été
non seulement aidé, mais certainement préparé par deux autres mouvements qui ont
e
fait son lit. Un point qui n’a été qu’effleuré est en effet qu’au XVIII siècle, « de nombreux
polémistes protestants publient en Angleterre des pamphlets contre la papauté en
34
utilisant l’exemple de Galilée comme repoussoir de l’autoritarisme dogmatique », ce
qui est un autre facteur d’explication à la virulence des attaques américaines, terre des
Pères pèlerins ayant fui les persécutions catholiques (vision là aussi angélique et
joyeusement manichéenne, contre laquelle s’élève par exemple White). Dans ce contexte
complexe, l’attribution à l’Église de la croyance en une Terre plate contre l’évidence
scientifique est une image frappante, facile à mémoriser, pédagogiquement efficace et
qui conforte les certitudes d’une civilisation qui se perçoit comme en net progrès par
rapport aux précédentes.
De la même manière, l’idée de rupture entre Moyen Âge et Renaissance ou celle de
Révolution scientifique sont des points de repère commodes, mais sans grande
e
signification. On peut en effet souligner que, si, dès le XIV siècle en Italie, un peu plus
tard dans le reste de l’Europe, des intellectuels se sont explicitement définis comme en
rupture avec le Moyen Âge et ont utilisé les termes « renaissance » ou des synonymes
(rinascita, rinascenza, restaurazione ou risorgimento en italien, renaissance, restitution ou
restauration en français, et surtout renovatio et restitutio en latin), c’est au début du
e
XIX siècle que le mot renaissance (ou Rinascimento en italien) se voit pourvu d’une
majuscule, pour désigner non plus un mouvement intellectuel (la « tant heureuse et
désirable renaissance » des bonnes lettres chez Belon, dans ses Observations de plusieurs
singularitez de 1553, par exemple), mais une époque, définie par opposition à un Moyen
35
Âge ainsi rejeté dans les ténèbres . Si l’on recherche les premières occurrences du terme
Renaissance dans la littérature (par exemple celle qui a été numérisée sur Google) à l’aide
de l’application Ngram Viewer, on voit nettement qu’elles se situent vers 1830 pour
e e
augmenter très rapidement tout au long des XIX et XX siècles. Or dans le domaine
littéraire et scientifique, 1828 est la date de parution, à Londres et à New York, de
l’ouvrage d’Irving sur Colomb et 1836 celle de l’Examen critique de Humboldt. Il y a au
moins une concomitance entre le développement du concept de Renaissance sous sa
forme contemporaine et la thèse d’un Moyen Âge qui aurait totalement oublié la science
des Grecs, thèse que l’on ne trouve pas dans les ouvrages qui précèdent.
En effet, l’Histoire de l’astronomie écrite par Jean-Baptiste Delambre, au tout début du
e
XIX siècle, ne fait pas état d’une disparition de cette science et de ses acquis pendant le
Moyen Âge. L’auteur, astronome et mathématicien, membre de l’Académie des
sciences, auteur lui-même d’une mesure du méridien terrestre, mais aussi homme de
lettres, latiniste et helléniste, a lu la plupart des textes anciens qu’il commente. Dans le
volume Histoire de l’astronomie au Moyen Âge (publié en 1819), il expose les travaux des
Arabes notamment ceux d’Alfraganus (livre I), puis ceux des Latins comme le Traité de
la Sphère de Jean de Sacrobosco, les traités de Peuerbach et Regiomontanus…, sans
jamais évoquer un oubli des savoirs antérieurs. Certes, Delambre mentionne la perte
36
des outils mathématiques de « l’astronomie des géomètres », celle de Ptolémée et des
Grecs, dans le Moyen Âge latin, perte qui sera rattrapée lorsque les traductions des
e
savants arabes et des textes grecs transmis par ces derniers parviendront au XIII siècle.
Mais il n’y a nulle trace d’un aplatissement de la Terre.
e
Or la réflexion contemporaine sur la notion de Renaissance, à partir du XIX siècle et
des travaux de Jacob Burckhardt (La Civilisation de la Renaissance en Italie, 1860), en
particulier, ont fortement contribué à faire de la renovatio perçue en leur temps par les
humanistes, une Renaissance, une rupture absolue entre les civilisations. On sait
aujourd’hui que la continuité entre « Moyen Âge » et « Renaissance » (deux époques en
partie artificiellement projetées dont les dates ne sont pas les mêmes partout en Europe)
est forte, en particulier dans le monde universitaire par lequel se transmet le savoir (ce
qui ne veut pas dire qu’il convienne pour autant de nier les importants changements
qui légitiment le sentiment qu’avaient les hommes d’alors de vivre une nouvelle ère).
Dans leur ouvrage consacré à la philosophie de la Renaissance, Brian Copenhaver et
Charles Schmitt évoquent avec justesse la manière dont les descriptions épouvantées
des humanistes racontant leur éducation scolastique, ainsi que leurs sarcasmes, pesèrent
bien plus lourd dans la construction de la mémoire intellectuelle de la Renaissance que
37
les résultats et les démonstrations remarquables des aristotéliciens . Cette vision
e e
globalement torse, entretenue par les XIX et XX siècles, a servi d’arrière-plan à un mythe
comme celui de la Terre plate. La vision noire et parfaitement injuste de la scolastique
finissante a été entretenue en particulier par un penseur comme Descartes. Bien avant
Auguste Comte, il associe dans ses Principes l’idée d’enfance à celle de perception
spontanée et non raisonnée des phénomènes :

Et parce qu’elle ne considérait pas encore si la Terre peut tourner sur son essieu, et si sa superficie est courbée
comme celle d’une boule, elle a jugé d’abord qu’elle est immobile, et que sa superficie est plate. Et nous avons été
par ce moyen si fort prévenus de mille autres préjugés que lors même que nous étions capables de bien user de
38
notre raison, nous les avons reçus en notre créance .

On imagine bien comment la période que l’on a ensuite désignée comme


« précartésienne » a pu ainsi être associée à un moment où les hommes pourtant
« capables de bien user de [leur] raison », ont continué à croire aux « préjugés ».
La Terre plate se distingue par son succès, mais elle ne doit pas faire oublier qu’elle
n’est que l’un des fruits empoisonnés d’une légende noire du Moyen Âge, qui englobe
parfois la Renaissance elle-même quand il s’agit de science et de philosophie
universitaires. Au cours de sa scolarité, au détour des articles de journaux ou de livres
un peu hâtifs, chacun a pu rencontrer par exemple l’idée que « au Moyen Âge, on disait
que les femmes n’avaient pas d’âme », « au Moyen Âge, on brûlait les sorcières », « au
Moyen Âge, la dissection était interdite ». Des recherches récentes ou plus anciennes ont
pourtant mis à mal deux légendes noires qui intéressent directement notre propos et
nous semblent tout à fait symptomatiques. Bartolomé Bennassar, d’abord, a consacré de
nombreux travaux à établir la vérité sur l’histoire de l’Inquisition espagnole, sa doctrine
et pratique réelles et le nombre exact de victimes. Le compte rendu qui en avait été
donné par la revue des Annales en 1981 (il y a donc quarante ans) soulignait avec
justesse :

L’Inquisition, et tout particulièrement celle d’Espagne, est une des rares institutions modernes à avoir accédé au
rang de mythe dans la conscience occidentale. La « légende noire » anti-espagnole, apparue dès la fin du
e
XVI siècle, est sans doute une des premières réussites éclatantes d’une entreprise de propagande à l’échelle
internationale : de Goya à Victor Hugo et à Verdi, les images en restent indélébiles dans les représentations
39
collectives .

Il soulignait également la difficulté et le temps qu’il avait fallu de ce fait pour que naisse
une histoire scientifique, qui ne verse ni dans les dangers du réquisitoire, ni dans ceux
de l’apologie. C’est aussi l’histoire du procès Galilée, qui a servi à attaquer l’Église ou à
la défendre pendant des siècles, sans finalement trop s’occuper ni de Galilée, ni de la
vérité.
Les travaux que Rafael Mandressi a consacrés à l’histoire de l’anatomie et de la
dissection sont tout aussi salutaires. En sus de leur immense intérêt intrinsèque, ils
mettent à mal le mythe de l’interdiction médiévale de la dissection :

On a fréquemment prétendu, en effet, que se livrer à l’ouverture de cadavres humains impliquait, au Moyen Âge,
de risquer l’excommunication. Redoutable menace, sans doute, mais qui en réalité n’a jamais visé les anatomistes.
Le seul document qui a pu être cité à l’appui de cette thèse – « une de nos plus tenaces erreurs sur l’histoire
culturelle », dit Louis van Delft – est la décrétale Detestande feritatis, émise par le pape Boniface VIII le
e
27 septembre 1299. Or on voit mal comment une disposition datant de la fin du XIII siècle aurait pu avoir des
effets sur l’ensemble du Moyen Âge ; qui plus est, son contenu ne concernait aucunement les dissections
anatomiques. La décrétale proclamait certes la forte opposition du pontife au dépeçage des cadavres, mais la
« férocité abominable » la « coutume atroce » à laquelle Boniface entendait mettre un terme était celle du
démembrement des corps des défunts pour en rendre plus aisé le transport jusqu’à un lieu de sépulture très
40
distant de celui de la mort .

Detestande feritatis a joué pour la dissection le même rôle que Lactance pour la Terre
plate. Au moins Lactance pensait-il la Terre plate, même s’il était le seul ou presque.
Dans les deux cas, la manipulation hors contexte d’un document unique permet de
falsifier allègrement l’histoire.
Pour réaliser cette enquête, nous avons à la fois lu les études de nos devanciers, mais
aussi et surtout ouvert toutes les sources, anciennes ou modernes, que nous avons pu
identifier. Un point nous a frappées, qui a sans doute été peu ou pas souligné jusqu’ici :
la présence très ancienne d’un fort mouvement de rejet des élites savantes ou de la
figure de l’expert. Les héros de la science moderne ne s’opposent pas seulement à un
clergé incapable de penser à autre chose qu’à des questions théologiques tortueuses et
qui ne lisait rien d’autre que la Bible, et encore de manière obtuse : ils s’opposent
également aux détenteurs du savoir, aux défenseurs de l’abstraction, mais aussi aux
puissants. Les « fils de serfs » ou « l’humble navigateur » sont des figures fictionnelles,
mais qui continuent certainement de plaire à nombre de nos contemporains. Dans le cas
de Colomb cette figure est pimentée de l’image de sa disgrâce, un Colomb débarqué à
Cadix enchaîné au retour de son troisième voyage et mourant dans la solitude et la
misère, alors que les recherches historiques ont montré qu’il avait reçu des émoluments
très importants, certes inférieurs à ce qu’il attendait, mais surtout que sa brève captivité
d’août à décembre 1500 fut due au désaccord des Rois catholiques avec les mauvais
traitements – tortures et mises en esclavage – que les troupes espagnoles sous son
commandement avaient infligés aux indigènes, notamment à Haïti, et ceci dès le
41
deuxième voyage . L’image cadre mal avec la figure romantique de l’humble
navigateur pacifiste, qu’il soit héraut de la Providence ou dévoué corps et âme à la
science.
Ajoutons enfin que l’on sait, en une ère où la lutte contre les fake news est devenue en
quelques années un réel enjeu, qu’une information répondant à une logique simpliste et
manichéenne se répand bien plus facilement qu’une analyse plus subtile de la vie
intellectuelle ou politique. Les biais cognitifs, la paresse intellectuelle, le besoin de
repères simples mais aussi, dans notre enseignement, une longue mémoire déformée
transmise, il faut bien l’avouer, par notre propre institution, l’Éducation nationale, sont
probablement tous fautifs. Cette dernière porte cependant une très lourde
responsabilité, car si les manuels d’histoire, dans leur majorité, ne parlent plus du
mythe de la Terre plate, on peut aussi noter qu’aucun ne prend soin de le détruire
quand le programme s’y prête, ce qui était le cas encore récemment dans les questions
du baccalauréat sur la cartographie ou sur la Renaissance. Dans bien des cas, même, ils
laissent planer un flou artistique certain, qui reflète hélas certainement le manque de
certitudes de leurs auteurs, nous allons y revenir dans le petit florilège qui clôt cet
ouvrage.

Notes
1. Comte, Discours, p. 48.
2. Ibid., p. 65.
3. Ibid., p. 66.
4. Ibid., p. 88.
5. Ibid., note 2 de l’éditrice, p. 48.
er
6. Comte, 1 tome du cours, 1830, p. 135.
7. Lecourt, 2004, p. 746.
8. Ibid., p. 747.
9. Proudhon, 1840, p. 7. Cette affirmation sur Augustin survient quinze lignes après une phrase prémonitoire : « La
préoccupation qui résulte pour nous de ces préjugés est si forte que souvent, alors même que nous combattons un
principe que notre esprit juge faux, que notre raison repousse, que notre conscience réprouve, nous le défendons sans
nous en apercevoir, nous raisonnons d’après lui, nous lui obéissons en l’attaquant ».
10. BMFFLP, 1892, p. 629.
11. Ibid.
12. Ibid., p. 680.
13. Lalouette, 2002, p. 235.
14. Voltaire, Dialogues philosophiques, p. 338.
15. BMFFLP, 1892, p. 630.
16. C’est l’occasion de signaler que l’adjectif renvoyant au Moyen Âge est « médiéval », et que « moyenâgeux »
signifie « qui évoque les formes, les mœurs de la civilisation médiévale » et a une connotation péjorative (Centre
national de ressources textuelles et lexicales).
17. Krivine, 2011, p. 54.
18. White, 1899, p. 53.
19. Cité par Lalouette, 2002, p. 234.
20. https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Christophe_Colomb_devant_le_conseil_de_Salamanque_-
_Emanuel_Leutze_-_MBA_Lyon_2014.jpg
21. Les numéros de l’année 1843 sont numérisés sur Google books, la gravure se trouve p. 113. On lira aussi l’article
qui l’accompagne.
22. Visible sur le site de la Biblioteca Nacional Digital : http://purl.pt/6847/3/
23. Michelet, cité dans Le Goff, 1999, p. 33.
24. Michelet, 1855, préface, [n.p.].
25. Ibid., p. II.
26. Ibid., p. IX.
27. Ibid., p. IX-X.
28. Ibid., p. CXXXIV.
29. Ibid., p. 199.
30. Ibid., p. 310.
31. Ibid., p. 315.
32. Encyclopédie, t. IV, p. 174.
33. Vignaud, 2000, § 13.
34. Vignaud, 2000.
35. Pour une discussion historiographique du concept, voire Jouanna, 2002.
36. Delambre, Histoire de l’astronomie ancienne, I, p. XLVI du préliminaire.
37. Copenhaver et Schmitt, 1992, chap. 2.
38. Descartes, Principes I, 71B : « Que la première et principale cause de nos erreurs sont les préjugés de notre
enfance ».
39. Annales, 36/6, 1981, p. 1079.
40. Mandressi, 2003, p. 20.
41. Crouzet, 2018, p. 383-384.
CHAPITRE IV

L’entretien du mythe du XIXe au XXe siècle : petit florilège

Le mythe d’une croyance médiévale en une Terre plate dont la sphéricité aurait été
révélée par les « Grandes découvertes » ou par la « Révolution scientifique » est
e
reproduit tout au long du XX siècle. Encyclopédies, romans, films et même ouvrages
savants ont continué à entretenir cette légende au point qu’aujourd’hui encore,
l’immense majorité de nos concitoyens est persuadée qu’il s’agit d’un fait établi, qui leur
a d’ailleurs été enseigné à l’école. Lors du tout dernier sondage de rentrée pratiqué à ce
sujet, une étudiante a levé le doigt pour s’exclamer : « mais mon petit frère est rentré
hier soir de l’école en nous racontant que la maîtresse lui avait dit qu’au Moyen Âge on
croyait que la Terre était plate ». Et récemment encore, quelques discussions en salle des
professeurs ont prouvé que le mythe avait la vie chevillée au corps. Nous proposons
pour achever ce parcours une petite compilation qui ne prétend pas à l’exhaustivité (à
l’impossible nul n’est tenu), mais à donner des indices suffisamment convaincants de
cette diffusion massive et qui peut-être permettront aussi de mieux comprendre la
longévité en réalité incompréhensible de cette magistrale « infox ».

I. LES VECTEURS ACADÉMIQUES

Essais et encyclopédies

On trouve des affirmations étonnantes dans une grosse encyclopédie historique en


trois tomes, l’Histoire générale des peuples de l’Antiquité à nos jours, publiée en 1926 par
Larousse. L’exposé sur la Renaissance est assorti d’une confusion entre la question de la
sphéricité de la Terre et celle de son mouvement (confusion très répandue dans le grand
public mais étonnante dans un ouvrage académique). Christophe Colomb est présenté
comme le « découvreur » de la sphéricité et celui qui aurait préparé les esprits à la
révolution copernicienne :
e e
La découverte du Nouveau Monde à la fin du XV siècle, le voyage de Magellan au commencement du XVI ,
devaient contribuer à renouveler l’astronomie : toute une partie inconnue de l’Univers était brusquement révélée ;
la science des livres perdait son autorité devant la science des faits ; un simple marin en savait beaucoup plus sur
le globe terrestre qu’Aristote et Ptolémée. La fameuse question des antipodes était résolue, et les découvertes
géographiques préparaient les esprits à ranger la Terre dans le cortège des planètes. Colomb et Magellan
1
ouvraient la voie à Nicolas de Copernic .

Cet extrait est particulièrement intéressant pour comprendre la survie du mythe : il


confirme quelques indices déjà rencontrés. Outre l’ignorance de l’auteur, on peut
surtout souligner le biais socio-idélogique : comme Michelet aimait à mettre en avant les
« fils de serfs » (alors que Colomb était le fils d’un tisserand assez aisé pour l’envoyer à
l’université et que Copernic, issu d’une riche famille de négociants, est un pur produit
de la renommée université Jagellone de Cracovie), on peut pointer la satisfaction que
semble éprouver l’auteur à énoncer qu’un « simple marin en savait beaucoup plus sur le
globe terrestre qu’Aristote et Ptolémée ». Cette affirmation ferait rire si elle n’était pas
consternante d’ignorance, mais elle explique peut-être le goût pour un mythe que
nourrit aussi l’anti-intellectualisme et le présupposé d’un bon sens populaire ou d’une
connaissance acquise par la pratique valant mieux que tous les discours d’experts. On
peut souligner également le goût pour une histoire qui procède par sauts (que l’on n’ose
dire miraculeux) : le rideau se lève sur une ère nouvelle.
Sans aller jusqu’à cette caricature d’un Colomb ouvrant la voie à Copernic, la thèse
d’un monde plat à la veille des découvertes a été diffusée par des essais que l’on peut
e
qualifier d’académiques. À la fin du XX siècle (1980), W. G. R. Randels, historien des
idées, a écrit un ouvrage dans lequel il entend, dès le titre, affirmer l’existence d’une
« mutation épistémologique » entre 1480 et 1520 :

À la veille des Découvertes, et au moment même des voyages de Colomb, de Vasco de Gama et de Vespucci,
aucune des cinq représentations de la terre décrites par Cratès, Aristote, Parménide (les zones), Lactance et
Ptolémée ne semble l’emporter. Bien qu’elles nous apparaissent comme incompatibles, les quatre premières
tendent en effet à se conjuguer pour préserver le paradigme d’un œkoumène plat, posé sur une sphère
2
cosmographique .

La nuance de Randels réside dans l’affirmation que la conception d’un œkoumène plat
coexiste avec celle d’une sphère sphérique, mais cette coexistence-même semble
relativiser l’affirmation de la sphéricité, puisqu’elle ne deviendra pour lui une certitude
qu’après les « Grandes Découvertes ». Il confond en outre des modes d’analyse de la
Terre qui relèvent de disciplines et donc de modes de représentations différents
(cosmographie et géographie). Quant à l’équivalence posée entre Cratès, Aristote,
Parménide, Lactance et Ptolémée, elle ne peut être que volontairement et
intellectuellement tout à fait malhonnête : il est inutile de revenir sur le poids d’Aristote
(notons tout de même que considérer Aristote et Lactance comme équivalents revient à
e
peu près à écrire une histoire des sciences du XX siècle où les recherches de
l’Observatoire de Paris, par exemple, seraient mises en concurrence avec l’horoscope
d’un magazine féminin).
On trouve une caricature plus grave dans l’ouvrage d’un historien des sciences de la
e
fin du XX siècle – Les Découvreurs de Daniel Boorstin – ouvrage paru en anglais en 1983,
en français en 1986, réédité de nombreuses fois et qui a contribué en son temps à la
vulgarisation de l’histoire des sciences. Le chapitre 14 intitulé « La Terre de nouveau
plate » a pour but de démontrer que, pendant que la Chine élaborait un système de
coordonnées terrestres novateur, l’Europe médiévale « sombrait dans la cartographie
religieuse » en colportant un « incroyable salmigondis » de fables qui vont « pimenter la
cartographie chrétienne jusqu’à l’ère des Grandes Découvertes ». À la suite de la
désormais inévitable citation de Lactance contre l’existence des antipodes, l’auteur
affirme que ces « fables » ont été « largement reprises par saint Augustin, saint Jean
Chrysostome et autres sommités du christianisme ». Il résume la principale ainsi : « des
antipodes – un lieu où d’autres hommes marcheraient sur les pieds opposés aux
3
nôtres – cela ne se peut pas » . Nous ne reviendrons pas une fois de plus sur les
caricatures que constituent de telles affirmations (les Pères de l’Église médiévale comme
les philosophes des universités seraient tout de même bien étonnés de l’incroyable
gloire de Lactance). Contre toute évidence historique, Boorstin, fait entrer dans le cercle
des tenants de la Terre plate, Isidore, Bède et Boniface :

Aussi, pour éviter tout risque d’hérésie, les bons chrétiens préférèrent-ils se dire qu’il ne pouvait y avoir
d’antipodes, et même, si nécessaire, que la Terre n’était pas sphérique. Saint Augustin, à cet égard, est catégorique
et son immense autorité, conjuguée à celle d’Isidore, de Bède le Vénérable, de saint Boniface, etc., suffira à
4
dissuader les esprits téméraires .

L’hérésie a bon dos, et la religion encourage l’ignorance par ses certitudes illusoires :
« Le principal obstacle à la découverte de la forme de la Terre, des continents, des
5
océans, n’a pas été l’ignorance, mais l’illusion de savoir ». Il faut cependant reconnaître
à Boorstin de ne pas avoir repris à son compte la « légende fort répandue » selon
laquelle le rejet du projet de Christophe Colomb par une commission d’experts serait dû
« à un quelconque désaccord quant à la forme de la Terre » ; il ajoute qu’« aucun
6
Européen cultivé ne doutait plus alors de la sphéricité de celle-ci » .
Mentionnons encore L’Image du monde, des Babyloniens à Newton, ouvrage plutôt érudit
et revendiquant une approche scientifique, qui témoigne de la diffusion du mythe dans
le monde enseignant. Les auteurs y assimilent la position de Lactance et Cosmas à celle
de tous les Pères de l’Église et, par suite, de toute la période médiévale (jusqu’au
e
XII siècle). Ils s’attardent, comme tant d’autres avant eux, sur la lecture littéraliste de la
Bible sans faire la démonstration qu’elle a été portée par l’Église et les institutions
7
d’enseignement . Et pour cause : toute enquête, même rapide, mettrait à mal une telle
approche. Il est difficile de savoir ici si les auteurs manipulent sciemment les sources
(mais quel intérêt ?), ou si la paresse intellectuelle les conduit à reprendre ces
affirmations sans vérification aucune et surtout sans analyse rigoureuse des sources.
Une référence bibliographique souvent mentionnée – revendiquée par les auteurs
précédents comme « sérieuse et documentée » – est l’essai sur l’histoire des conceptions
de l’univers d’Arthur Koestler, Les Somnambules, paru en 1955 en anglais, en 1960 en
8
français et réédité plusieurs fois depuis. Xavier Campi signale que ce livre a beaucoup
compté dans la diffusion du mythe des Pères de l’Église croyant à une Terre plate.
Koestler, journaliste britannique, essayiste, était de formation littéraire. Pendant la
Seconde Guerre mondiale, il fuit l’Allemagne nazie et combattit aux côtés des
républicains espagnols. Libéré d’un camp français de prisonniers, il rejoignit ensuite
l’armée britannique. Cet engagement héroïque fit de Koestler une figure de proue de
nombreux intellectuels de l’après-guerre et c’est à ce moment-là qu’il décida de
s’intéresser aux sciences, en affirmant vouloir ainsi rompre avec « la sottise des barrières
universitaires », présupposé qui n’est pas sans rappeler la glorification des « fils de
serfs » ou de l’intelligence des marins.
La première partie des Somnambules, intitulée « L’âge héroïque », retrace les systèmes
cosmographiques de l’Antiquité et de l’Antiquité tardive grecques avec beaucoup de
lyrisme et en magnifiant l’influence de l’école pythagoricienne. La deuxième partie,
comme on pouvait s’y attendre, annonce dès son titre que la suite est un « sombre
interlude », qui commence avec Augustin, dont Koestler estime le rôle central au point
de le considérer comme « le bâtisseur d’un pont » entre le vieux et le nouveau monde.
Cependant, précise Koestler, « à l’octroi de la Cité de Dieu, on refusait tout véhicule
9
chargé des trésors du savoir », concédant tout de même que le Timée de Platon fut
autorisé « à traverser » par l’évêque d’Hippone. Cette description peu flatteuse précède
une présentation encore plus négative des Pères, dont « Augustin fut le plus éclairé ».
Lactance est bien évidemment fustigé pour son refus des antipodes. Il est associé à
Jérôme, Basile, Sévérien de Gabala et Cosmas Indicopleustès pour incarner la lecture
littéraliste de la Bible. À propos de la Topographie chrétienne de Cosmas, Koestler affirme
qu’elle « fut la première cosmographie complète du Haut Moyen Âge, destinée à
remplacer l’enseignement des astronomes païens ». L’auteur laisse entendre que l’Église
chrétienne a adopté le modèle de la Topographie et l’a diffusé dans ses écoles, ce qui est
totalement faux. Il concède qu’au même moment et dans la même chrétienté, des gens
« plus éclairés » comme Isidore de Séville et quelques autres ne défendaient pas ce
modèle, mais affirme que la Topographie « représente bien l’image qu’on se faisait de
10
l’Univers au début du Moyen Âge » . Pour l’essayiste, la lumière ne se rallume qu’au
e
IX siècle avec Bède le Vénérable qui « a rendu à la Terre sa forme sphérique ». Mais la
e
forme du tabernacle se décèle, selon lui, jusque dans les cartes du XIV siècle, sans parler
des cartes en OT qu’il assimile à des cartes de géographie. La conclusion de ce « sombre
interlude » est fournie par Whitehead ; Koestler cite un passage de Science and the
Modern World, affirmant qu’en « 1550, l’Europe avait moins de connaissance
qu’Archimède qui mourut en 212 avant Jésus-Christ ». 1550 est bien sûr ici la date qui
symbolise du début de la diffusion des thèses coperniciennes et Koestler poursuit son
histoire des conceptions de l’univers en retraçant les biographies des « somnambules »
que furent Copernic, Kepler, Tycho Brahé, Galilée et Newton. À travers les combats de
ces savants qui ont réussi à éclairer l’obscurité des théories anciennes, avec des avancées
et des reculs, l’auteur souhaite malgré tout donner une vision moins mécaniste de
l’histoire des sciences et de son conflit avec les religions. On ne s’improvise cependant
pas historien des sciences, surtout sans lire les textes.
La vision téléologique du combat des héros de la science et de la vérité ainsi
construite irradie toutes les productions pédagogiques : la collection de jolis volumes
pédagogiques que constituent les « Découvertes Gallimard » comprend un volume
intitulé Comment la Terre devint ronde, que l’on doit à Jean-Pierre Maury. L’ouvrage est
consacré à la pensée antique et se conclut par ces mots, qui font suite à l’évocation
hautement symbolique de la mort d’Archimède et de l’incendie de la bibliothèque
d’Alexandrie :

Dans le même temps, l’esprit religieux se renforce partout, en une floraison de sectes bizarres, où se mélangent des
éléments grecs, juifs et perses. De ce mélange finira par émerger le christianisme, et les chrétiens à leur tour
combattront toutes les idées « païennes », c’est-à-dire toutes les idées qui ne sont pas religieuses. Bref, quand les
« barbares » germains envahiront l’Europe romaine, il ne restera plus, sur le plan scientifique, grand-chose à
démolir… Mais si la science cesse de progresser, ce qu’elle a acquis reste vivant, en veilleuse, pendant quinze
siècles. D’abord préservée par les Byzantins, cette petite flamme sera nourrie pendant longtemps par la science
e e
arabe, et pénétrera ainsi en Espagne, puis dans toute l’Europe du Sud, au XIII et XIV siècles. Viendra ensuite ce
que l’on appelle aujourd’hui d’un très beau nom : la Renaissance. Un jour, Copernic reprendra l’astronomie là où
11
l’avait laissé Aristarque .

Plus caricatural encore, l’ouvrage d’un ancien ministre de l’Éducation nationale –


coutumier il est vrai d’approximations en histoire des sciences – qui entend dénoncer la
thèse de la Terre plate au nom de la laïcité, comprise comme l’incompatibilité de la
religion et des croyants avec la science. Ce sont, selon lui, les conclusions de ses
collègues historiens médiévistes qu’il faut réformer. Dans un ouvrage que nous avons
déjà mentionné, il entreprend d’expliquer – contre la recherche académique – qu’après
l’effondrement de Rome, commence la grande nuit de la science :

Quoi qu’en disent certains historiens, l’Occident entre alors en récession du point de vue du savoir. La foi du
charbonnier triomphe, l’acte guerrier est porté aux nues : la croix et le glaive. La religion chrétienne est-elle
12
responsable de l’enterrement de la science grecque ?

Le géochimiste, membre de l’Académie des sciences, n’hésite pas à abandonner ensuite


le point d’interrogation pour condamner l’ensemble de la production scientifique du
Moyen Âge, dont la croyance en la Terre plate symbolise cet évanouissement du savoir :

Quand on fait le bilan de cette période du point de vue de l’innovation scientifique, il apparaît franchement
désastreux. Aucune idée nouvelle. Aucune invention. Ni Rome ni Byzance, ni le haut Moyen Âge européen n’ont
13
apporté la moindre contribution scientifique d’importance .

La diffusion de l’ouvrage d’Allègre – qui rassemble nombre de stéréotypes, affirmations


péremptoires et postulats idéologiques de ce genre – a été tout sauf confidentielle. Il a
été réédité de nombreuses fois, traduit en espagnol, en italien et en portugais. Il est aussi
paru en édition de poche.

Manuels scolaires

e e
Les manuels d’Histoire de la fin du XIX siècle ou du XX siècle ne sont pas toujours
caricaturaux, mais beaucoup trahissent cependant la vérité historique et contribuent
donc fortement à la propagation du mythe, surtout lorsqu’il s’agit de manuels du
primaire ou du collège, qui touchent toute la population.
Celui intitulé Histoire de France pour le cours moyen publié par M. et S. Chaulanges chez
Delagrave en 1957, présente la traversée de Colomb comme une audacieuse entreprise,
non en raison de sa longueur, mais parce qu’à l’époque seuls « quelques savants
14
prétendaient que la Terre n’était pas plate, mais ronde comme une boule ». Et c’est
ainsi que Colomb osa partir vers l’ouest pour atteindre l’Inde. Les deux auteurs étaient
normaliens, agrégés, et on peut imaginer qu’ils disposaient, si ce n’est de documents
sources accordant un fondement à cette légende, du moins d’une littérature secondaire
qui la reproduit.
Un autre manuel intitulé Histoire 1328-1715, couvrant le programme de la classe de
quatrième et datant de 1968, rédigé par Abadie et Beaucourt, affirme dans la partie
décrivant les progrès de la navigation que c’est « l’antique géographie grecque de
e
Ptolémée », traduite en latin au début du XV siècle, qui commença « à répandre l’idée
15
que la terre est une sphère » . Cependant, ajoutent les auteurs, ces connaissances
étaient encore bien vagues. Deux pages plus loin, ils évoquent l’enthousiasme suscité
par les premières grandes expéditions, comme celle de Bartolomeu Dias qui réussit à
franchir, en 1488, le cap des Tempêtes au sud de l’Afrique pour le compte du roi du
Portugal. À la suite de cet exploit, Christophe Colomb, « convaincu de la rotondité de la
16
Terre, stimulé par les renseignements recueillis à Lisbonne » se lance vers l’ouest pour
atteindre l’Asie.
Les manuels d’histoire du primaire qui ont été ceux des adultes d’aujourd’hui, voire
des plus jeunes d’entre eux, ne sont pas à la traîne. On peut relire trente ans plus tard et
e
mot pour mot, dans le chapitre portant sur les découvertes de la fin du XV siècle, la
phrase « Quelques savants prétendaient que la Terre n’était pas plate mais ronde
comme une boule » dans une réédition faite en 1985 de l’inoxydable ouvrage de M. et
17
S. Chaulanges chez Delagrave (rebaptisé L’Histoire au cycle moyen ). Cette énormité a
donc survécu à trente années de relecture par des milliers d’enseignants et d’inspecteurs
de l’Éducation nationale ! La même année, Nathan publie Histoire. La France au fil du
temps, de la préhistoire à 1789 pour le CM1, où l’on lit dans le chapitre portant sur lesdites
18
découvertes : « On commence à croire en effet à cette époque que la Terre est ronde ».
19
Le manuel intitulé Histoire CM , publié chez Belin en 1987, conclut ainsi le paragraphe
sur le tour du monde par Magellan : « ce tour du monde prouve définitivement que la
Terre est bien ronde ». Enfin L’Atelier d’histoire, tome 1, cycle 3, paru en 2002 chez
Scolavox, écrit encore, noir sur blanc : « En 1492, le navigateur Christophe Colomb
20
entreprend d’atteindre l’Asie par l’ouest, car il pense que la Terre est ronde ». On reste
stupéfait.
La question n’étant plus au programme du secondaire, il est difficile de savoir ce qui
serait écrit aujourd’hui dans les manuels, mais l’on peut avoir des doutes : le
programme de terminale S de 2012 comprenait une question intitulée « Représenter le
monde ». Dans le manuel Nathan, au chapitre « Représenter le monde connu de
l’Antiquité au Moyen Âge », on peut lire ceci :

Au Moyen Âge, les dogmes religieux l’emportent sur les acquis de la science grecque. Il s’agit alors, non de
montrer le monde tel qu’il est, mais de figurer la Création. La représentation devient donc un outil de
prosélytisme parmi d’autres et la connaissance s’efface devant l’affirmation des croyances. Peu importe que le
21
monde soit déformé pourvu qu’il suscite foi et émerveillement .

Si l’ouvrage ne perpétue plus l’idée de la croyance médiévale en une Terre plate, il


demeure très ambigu.
L’exploration d’autres ouvrages scolaires révèle que le mythe continue d’être diffusé
en dehors de l’enseignement de l’histoire, de façon aussi subtile que répétée, comme le
montre cet exercice de conjugaison qui demande à des élèves de CE2 d’associer la
phrase au passé « On croyait que la Terre était plate » à l’indication temporelle « au
22
Moyen Âge » . Cette infiltration clandestine de contre-vérités historiques dans d’autres
champs disciplinaires – une sorte d’inconscient scolaire – est peut-être encore plus
nuisible car difficile à débusquer. C’est encore dans un livre de français pour le CE2 que
nous avons trouvé cet exercice qui propose de conjuguer au présent les verbes de ce
fabuleux petit texte :

Dans les années 1600, le savant Galilée (éblouir) le monde entier par ses découvertes. Il (réfléchir) aux moyens
d’observer le ciel. Il (approfondir) ses recherches et prouve que la Terre est ronde. Il (réussir) à démontrer le
23
mouvement des astres .

De manière générale, il semble que cette ambiguïté sur la question de la sphéricité,


accompagnée d’une héroïsation des figures de Colomb ou Galilée dans la littérature
e e
académique et scolaire du XIX et du début du XX siècle ait durablement marqué les
mémoires : la transmission du mythe de la Terre plate semble se faire aujourd’hui non
seulement par les nombreuses remarques variées de journalistes, hommes publics ou
politiques que nous avons pointées, mais aussi par une transmission orale qui se fait à
l’école primaire et dans le secondaire, du moins si l’on se fie aux récits des étudiants,
aux discussions de couloir entre enseignants, la seconde nourrissant la première, qui
accrédite la seconde, et le serpent se mord la queue.
Au-delà de la question de la forme de la Terre, la figure du héros extirpant l’humanité
des limbes du Moyen Âge a en effet été distillée de maintes façons, qu’il s’agisse de
Colomb, de Copernic ou de Galilée. Le texte de Michelet que nous avons cité qui
évoque les « hommes de la trempe de Colomb, Copernic ou Luther, seuls capables de se
lever et de dire “Me voici !” » était à l’étude dans le volume de la collection Lagarde et
e 24
Michard portant sur le XIX siècle , prescrit par l’Éducation nationale jusqu’au début
des années 1990. Même assorti de quelques notes critiques, son contenu a marqué bon
nombre de générations. La pratique d’une forme d’héroïsation était par ailleurs
courante dans la manière d’écrire l’histoire, pas seulement chez Irving.
On peut aussi trouver, au hasard des manuels scolaires les plus récents, une « Fiche
de travaux dirigés » dans un cahier de travaux dirigés d’histoire-géographie pour classe
e
de seconde intitulée : « La conception de l’Univers : l’Église contre la science, XVI et
e 25
XVII siècle ». Outre le caractère admirablement réducteur d’un tel intitulé, on peut
aussi s’arrêter sur la manière pour le moins contestable dont la fiche oriente (pour ne
pas dire manipule) la pensée des élèves : « Par quels moyens l’Église obtient-elle le
silence des savants ? », « Comment Copernic a-t-il pu échapper à la condamnation ? »,
« En quoi pouvons-nous considérer Giordano Bruno comme visionnaire ? ». Sans
compter les erreurs scientifiques grossières, puisque l’une des questions tente de faire
dire aux élèves que Galilée utilise la lunette pour prouver l’héliocentrisme qu’il était en
réalité incapable de démontrer : il ne pouvait que montrer, par l’observation des
satellites de Jupiter, la possibilité que des astres tournent autour d’un autre centre que
la Terre. Les preuves expérimentales de l’héliocentrisme n’ont été apportées qu’en 1727
par James Bradley, qui, en cherchant à comprendre les anomalies de parallaxe de
certaines étoiles, a découvert le phénomène d’aberration de la lumière stellaire qui
dépend, lui, du mouvement de la Terre.
Les spécialistes qui travaillent aujourd’hui sur les biais cognitifs les classent en
plusieurs catégories dont la principale semble être celle qu’ils nomment « biais de
confirmation », soit le biais consistant à privilégier inconsciemment toute idée qui va
dans le sens des certitudes que l’on a déjà. Or le mythe de la Terre plate confirme un
grand nombre de lieux communs encore aujourd’hui massivement partagés :
obscurantisme du Moyen Âge, arriération de l’Église, conflit intrinsèque entre la
religion et la science, avancées de l’histoire par bonds, rôle hypertrophié de héros si
possible humbles et opposés aux intellectuels de leur temps…, la liste n’est pas
exhaustive.

II. VECTEURS CULTURELS

Littérature et cinéma

Les vecteurs culturels du mythe ne sont pas moins nombreux. Colomb lui-même,
e
d’abord, est devenu un héros littéraire avec le XIX siècle, et il faudrait donc parcourir
systématiquement toutes les œuvres qui l’ont mis en scène pour savoir quel sort y est
fait à la forme de la Terre. Nous ne nous sommes pas lancées dans ce travail d’enquête
systématique, mais signalons que Colomb devient un héros de roman (Jules Verne,
Fenimore Cooper), de théâtre (mouvement qui commence avec Népomucène Mercier,
Pixérécourt et Claudel…), et même d’opéra (Cristoforo Colombo opéra de Felicita Casella,
e
créé en 1865 au Théâtre impérial de Nice). Dès le XVIII siècle, il donna aussi naissance à
une veine épique, avec par exemple La Colombiade, ou la foi portée au nouveau monde de
Mme du Bocage (1756) et il fut aussi l’objet (entre autres nombreuses œuvres) d’un
poème qu’André Chénier consacra à l’Amérique.
e
Dans la littérature du XX siècle qui s’est développée autour des « Grandes
Découvertes », on retrouve également l’écho du mythe. Un bon exemple en est le
romancier Stefan Zweig, qui a écrit plusieurs biographies – souvent pour des raisons
alimentaires, selon ses propres biographes – dont une de Magellan, parue en 1938. Il
évoque l’ampleur des bouleversements provoqués par la première circumnavigation de
l’histoire par ces mots :

Maintenant l’incertitude a pris fin. Le doute, cet ennemi cruel de toute connaissance humaine, a été vaincu dans le
domaine géographique. Depuis qu’un navire a quitté le port de Séville et, allant tout droit devant lui, est revenu à
son point de départ, la preuve est faite que la Terre est une boule et toutes les mers une seule mer. Dépassée la
cosmographie des Grecs et des Romains ; finies une fois pour toutes l’opposition de l’Église et les fables stupides
sur les antipodes, où les hommes vont la tête en bas. On a établi définitivement la forme et l’étendue véritables de
la Terre. D’autres explorateurs pourront faire encore des découvertes de détail, qui compléteront l’image qu’on a
26
du monde, mais sa forme fondamentale a été donnée par Magellan .

Le romancier évoque, dans les dernières lignes de cette biographie lyrique, la


circonférence du globe terrestre dont il semble ignorer qu’elle avait été mesurée dès le
e
III siècle av. J.-C. Celle-ci avait été « cherchée en vain depuis des siècles et des siècles »
27
et c’est grâce à Magellan que « l’humanité a découvert sa véritable mesure » .
Plus près de nous, le film de Ridley Scott 1492 : Christophe Colomb, avec Gérard
Depardieu dans le rôle principal, a le mérite de reproduire assez fidèlement les réserves
des savants sur la faisabilité du voyage du Génois. Les résultats d’Ératosthène et de
Ptolémée sur la circonférence de la Terre donnent une valeur nettement supérieure à
celle de Marin de Tyr mise en avant par Colomb pour obtenir le soutien des autorités.
Pour autant, la caricature d’une époque obscure est annoncée dès le prologue du film :

Il y a 500 ans, l’Espagne est une nation livrée à la peur et à la superstition, sous la loi de la Couronne et d’une
Inquisition qui persécutait sans merci tous ceux qui osaient rêver. Un seul homme défia ce pouvoir, conscient de
son destin.

Colomb est donc toujours présenté comme un héros qui affronte l’ignorance de son
époque et, dans une scène assez paradoxale, on le voit se mettre en colère près d’un
globe terrestre en s’exclamant « on nous a raconté que ça, c’est plat ! ».
Ainsi, même lorsque les œuvres littéraires véhiculent une conception qui n’est pas
scientifiquement fausse des débats sur l’astronomie, le contexte politique et social qui
entoure l’écriture de certaines œuvres a pu fortement contribuer à conforter une image
déformée ou excessive d’une évocation du passé mise au service du présent. Il en va de
même de la très belle Vie de Galilée de Bertolt Brecht : sa valeur littéraire et sa valeur
intellectuelle et morale dans le contexte de montée du nazisme ne sont pas discutables.
e
Sa réception littérale, s’agissant du XVII siècle, pose en revanche problème : on peut
juger plus que discutable que la page Wikipédia affirme que « Brecht lui-même avait été
placé dans une situation historiquement comparable à ce qu’avait vécu Galilée », ou que
Marianne tombe dans une caricature simpliste :

Étonnant moment où l’on voit s’affronter la science et l’ignorance crasse, la lumière et l’obscurité, le jour et la nuit,
28
l’esprit critique et le cerveau soumis, le pragmatisme et la bêtise, la réalité et l’infox .

Quelles que soient les raisons nombreuses pour que les lecteurs ou les spectateurs, à
qui on ne peut pas demander d’ouvrir systématiquement un manuel d’astronomie
médiévale, continuent de croire au mythe de la Terre plate, ce dernier continue de se
rencontrer à chaque pas, au détour de phrases ou de romans qui n’ont rien à voir avec
l’histoire des sciences, ou à titre d’exemples, comme dans les manuels scolaires que
nous évoquions plus haut.
Nous pouvons ainsi faire état de quelques découvertes surprenantes glanées au cours
d’une enquête menée tous azimuts. On trouve par exemple encore la Terre plate dans
une biographie de Bernard Giraudeau : « Il a toujours aimé l’aube. Pour lui, c’était la
promesse de nouvelles aventures. Ce matin-là, il était comme les explorateurs qui, au
e
XV siècle, prenaient la mer sans savoir si la Terre était plate comme un disque, au risque
29
de tomber ». Et que dire de cette apparition dans La Méthode simple pour en finir avec la
cigarette, d’Allen, qui s’interroge sur le fait qu’on peut être trompé « même sur les faits
que l’on croit établis. Avant la découverte de Christophe Colomb, l’immense majorité
30
des gens étaient persuadés que la Terre était plate » ? Délicieuse illustration de ce que
l’on croit être un biais cognitif, comme cet exemple donné dans un exposé vulgarisant la
théorie des paradigmes :

Finalement, un certain nombre de gens font le saut vers le nouveau paradigme, suffisamment pour qu’il remporte
une acceptation tant psychologique qu’intellectuelle. Ceux qui comprennent les nouvelles idées ne sont plus aussi
seuls et aussi rejetés que Christophe Colomb parmi les croyants de la Terre plate. Le nouveau monde accepte le
31
nouveau paradigme .

Citons encore cet extrait d’un ouvrage qui entend précisément briser le mythe et affirme
donc que Colomb savait que la Terre était sphérique :

C’est le christianisme qui a fini par compliquer les choses et mettre à mal les données d’astronomie produites par
les savants de l’Antiquité : au tout début du Moyen Âge, l’obscurantisme imposé par l’Église catholique fit régner
l’idée que la Terre était plate. Mais les contemporains de Christophe Colomb savaient que la Terre n’était pas
32
plate .

Et ce ne sont que les mentions les plus récentes que la numérisation nous a permis
d’identifier.
Terminons simplement ce tour d’horizon par une esquisse de florilège inversé :
l’exaspération des historiens des sciences face au mythe de la Terre plate est aujourd’hui
telle qu’une phrase comme « Galilée n’a pas découvert que la Terre était ronde » est
devenue à son tour un leitmotiv chez ceux qui défendent la vérité du savoir. Ainsi
Simone Mazauric, en 2009, écrivait-elle déjà que « Si Galilée a bien été condamné en
1632 par le tribunal de l’Inquisition, ce n’est pas, contrairement à ce que prétend une
légende tenace que nous avons déjà tenté de ruiner, pour avoir affirmé que la Terre était
ronde, mais pour avoir désobéi à l’injonction qui lui avait été signifiée de renoncer à
33
soutenir publiquement la théorie astronomique de Copernic », et Patrick Gautier
Dalché :

Je commencerai par un effet relativement facile, mais dont je n’ai pas vraiment scrupule à user, étant donné la
force maligne des idées fausses. Il s’agit de la forme de la Terre au Moyen Âge. On lit encore de graves
dissertations qui s’interrogent sur la conception dominante sur ce point, et qui concluent, comme déjà Kepler ou
Descartes luttant contre la scolastique aristotélicienne, à un Moyen Âge accroché à l’idée d’une Terre plate. Face à
cette absurdité, on présente des personnages hétérodoxes, qui auraient soutenu la sphéricité de la Terre contre
l’obscurantisme dominant, et qui auraient été condamnés par l’Église, préfigurations de Giordano Bruno ou de
Galilée : […]. Je m’interroge sur sa vivacité et sur sa malignité : à quoi répond la force de cette image si commode
34
d’un Moyen Âge conformiste et opiniâtre dans l’erreur, au point que même des spécialistes la propagent ?

Toutes ces constructions ont été dénoncées depuis longtemps et l’historien Jacques
Heers les déplore, dès l’avant-propos de son ouvrage bien nommé, Le Moyen Âge, une
imposture. Il regrette qu’à propos de cette période « des générations de pédagogues
appliqués, d’auteurs de manuels d’un conformisme navrant, de romanciers aussi,
35
reprennent indéfiniment les mêmes clichés éculés ». Parmi ces clichés, ceux qui ont
trait au rôle de l’Église chrétienne « agent de l’obscurantisme » sont tenaces :

Un faisceau de légendes nous est devenu familier ; les prélats et les doctes maîtres des universités, nous dit-on,
persécutaient et condamnaient les hommes de science, pionniers de la pensée libre, qui, eux, interprétaient le
36
monde sans recourir ni aux Saintes Écritures ni aux Pères de l’Église .

Concernant la supposée hostilité des « docteurs fossiles de l’université de Salamanque »


au projet de Colomb, thèse « reprise par la plupart de nos livres », Jacques Heers,
précise :

Nous sommes persuadés de voir dans cet affrontement le symbole d’une lutte entre l’obscurantisme clérical du
Moyen Âge et la pensée moderne… Comment peut-on prétendre ou suggérer que ces universitaires ou hommes
d’Église niaient la possibilité d’arriver en Chine pour qui irait vers l’ouest ? Comme tous les hommes de qualité de
leur temps, ils n’avaient rien à apprendre de la configuration de la Terre ; depuis des générations on la savait
37
ronde et l’on raisonnait communément en ce sens .

À la « légende noire » dont nous avons parlé précédemment, à ces constructions


idéologiques autour des découvertes de Colomb et de la supposée résistance de l’Église,
s’ajoute un mépris pour les études médiévistes, leur obscurité voire leur inutilité, dont
nous pouvons attester au travers de notre expérience personnelle. Le personnage
imaginé par Alain Resnais dans son film On connaît la chanson et incarné par Agnès
Jaoui, en témoigne. Quoi de plus ridicule que cette doctorante travaillant sur « les
chevaliers paysans de l’an mil au lac de Paladru » ? À quoi sert un tel travail sinon « à
faire parler les cons », comme le répond Jaoui à Bacri, excédée par l’incompréhension
teintée d’ironie que son travail rencontre régulièrement ?

Notes
1. Histoire générale des peuples de l’Antiquité à nos jours, 1926, t. 2, p. 56.
2. Randels, 1980, p. 26.
3. Boorstin, 1994, p. 107.
4. Ibid., p. 107-108.
5. Ibid., p. 87.
6. Ibid., p. 217.
7. Simaan et Fontaine, 1999.
8. Campi, 2014, p. 64.
9. Koestler, 2010, p. 85.
10. Ibid., p. 89.
11. Maury, 1989, p. 126.
12. Allègre, 1997, p. 204.
13. Ibid., p. 204.
14. Chaulanges, 1957, p. 55.
15. Abadie et Beaucourt, 1968, p. 120.
16. Ibid., p. 122.
17. Chaulanges, 1985, p. 46.
18. Vincent, Lochy et Séménadisse, 1985, p. 90.
19. Bon, Lacoste et Lassère, 1987, p. 51.
20. Padelli et Hovelaque, 2002, p. 45.
21. Nathan, Histoire géographie TS, 2012, p. 154.
22. Réussir en grammaire CE2, fiche 6, Retz, 2014.
23. Tout le français, CE2, Paris, Hatier, 2013, p. 153.
24. Lagarde et Michard, 1963, p. 375.
o
25. Cahier de travaux dirigés d’histoire-géographie pour classe de seconde, Paris, Hatier, 2000, fiche n 10.
26. Zweig, 2009, p. 1234.
27. Ibid., p. 1242.
28. https://www.marianne.net/culture/theatre-comedie-francaise-galilee-l-homme-qui-n-jamais-capitule, critique
du 12 juin 2019.
29. Bertrand Tessier, Bernard Giraudeau, le baroudeur romantique, Paris, L’Archipel, 2011, consulté en ligne le
er
1 novembre 2019.
30. Allen Carr, La Méthode simple pour en finir avec la cigarette, nombreuses éditions, ici Pockett, 2011, consulté en
er
ligne le 1 novembre 2019).
31. Richard Brodie, Le Virus de l’esprit ou la nouvelle science des mèmes, Paris, Guy Trédaniel, 2015, Introduction,
er
consulté en ligne le 1 novembre 2019.
32. Lydia Mammar, C’est vrai ou c’est faux ? 300 mythes fracassés, Paris, L’Opportun, 2015, section « Avant
Christophe Colomb, tout le monde pensait que la Terre était plate ».
33. Mazauric, 2009, p. 76.
34. Gautier Dalché, 2001, p. 135-136.
35. Heers, 2008, p. 11.
36. Ibid., p. 272.
37. Ibid., p. 273.
En guise de conclusion

Nous sommes plusieurs à nous étonner de la force du mythe de la Terre plate. Dans
De la littérature, Umberto Eco analysait il y a déjà plusieurs décennies « La force du
faux » en prenant pour exemple (entre autres) ce même mythe, insistant sur le fait que
« même un élève de première année de lycée peut facilement déduire que, si Dante
entre dans l’entonnoir infernal et ressort de l’autre côté en voyant des étoiles inconnues
au pied de la montagne du Purgatoire, cela signifie bien qu’il savait que la Terre était
1
ronde ». Il y a, de toute évidence (comme le montrent les études contemporaines sur la
rapidité comparée de la divulgation des fausses et des vraies nouvelles), une séduction
du faux d’autant plus difficile à expliquer que si l’on y croit, c’est que l’on ne sait pas
qu’il est faux (dirait sans doute M. de La Palice, malheureuse victime d’un mythe, lui
aussi). On peut donc, après Eco, continuer de s’interroger sur la force de ce mythe, qui
ne peut se maintenir aujourd’hui que par une forme d’extrême paresse intellectuelle (il
suffit de taper « Terre plate » sur le Net pour voir que des sites sérieux fournissent toute
l’information nécessaire à sa mise à mal) ou de mauvaise foi absolue, comme le
rappelait encore Eco avec humour au sujet des représentations symboliques de la
sphère : il suffit d’un « peu de bonne volonté interprétative » pour comprendre qu’un
cercle, sur une illustration ou une carte, peut représenter une sphère :

Comment était-il possible que des personnes qui croyaient la Terre sphérique fassent des cartes où l’on voyait une
Terre plate ? La première explication est que nous le faisons nous aussi. Critiquer la platitude de ces cartes serait
2
comme critiquer la platitude de notre atlas contemporain .

Eco conclut donc que « les faux récits sont avant tout des récits, et les récits, comme les
3
mythes, sont toujours persuasifs ». Dans le cas du mythe de la Terre plate, cependant
(et probablement dans d’autres), se mêlent des facteurs complexes comme nous avons
essayé de le montrer, à commencer par un goût manifestement ancestral pour tout ce
qui s’apparente aux théories du complot (l’Église comme puissance dominatrice voulant
absolument imposer une image du monde contraire au réel), mais aussi une forme de
confort intellectuel consistant non pas à penser que « c’était mieux avant », mais au
contraire qu’« on » était manifestement plus bêtes avant, ou que l’on vivait dans un
monde moins libre, ou que l’humanité était encore « obscure », toutes pensées
rassurantes qui permettent de valoriser le monde dans lequel on vit, et de se valoriser
soi-même, en se disant que l’on appartient à une société dont l’intelligence est
collectivement supérieure à celle d’« avant », notion chronologiquement assez vague
(comme le sont hélas encore aujourd’hui le Moyen Âge ou la Renaissance). Par-dessus
tout, l’histoire de ce mythe conduit à s’interroger aujourd’hui sur le conformisme social,
la facilité intellectuelle et le conservatisme scolaire, qui perpétue de génération en
génération une information sur laquelle il est devenu très simple de s’informer.
Ce point pose évidemment difficulté pour les enseignantes que nous sommes.
Comment modifier des habitudes d’enseignement qui perdurent souvent oralement
alors même que les manuels commencent (un peu) à se mettre à jour (avec un retard de
près de 2 000 ans, donc…) ? Sans doute en élevant le niveau de culture scientifique de
tous, et en associant en particulier cette culture à l’apprentissage des sciences elles-
mêmes. Nous voudrions plaider ici pour l’histoire des sciences, une discipline difficile,
qui nécessite une double approche, à la fois scientifique et historique. Elle n’existe, en
France, que dans l’enseignement supérieur et encore pas dans toutes les universités.
Dans l’enseignement primaire et secondaire, elle est conçue comme un supplément
d’âme à l’enseignement des sciences « dures », ne nécessitant pas une formation
particulière. Souvent ramenée au récit d’une anecdote qui vient « compléter » ou
« illustrer » un apprentissage, l’histoire des sciences n’a pas le statut d’une discipline
aux yeux de la plupart de ceux qui en distillent les premières bribes et qui façonnent les
représentations de tant de générations. De plus elle ne permet pas véritablement de
comprendre, de façon réflexive, comment la science se construit. Elle a parfois été
diffusée, nous l’avons vu à travers quelques exemples, par des essayistes qui en
négligent les outils et les méthodes, sans doute parce qu’ils pensent que leur maîtrise de
l’histoire (Michelet), ou de la science (Allègre) suffit, voire leur vive curiosité pour le
sujet alliée à une belle plume (Koestler).
Longtemps, ainsi, l’histoire des sciences a été faite de manière téléologique, par des
scientifiques cherchant à remonter le temps pour trouver les prémisses (et les
« précurseurs » ) des résultats validés par la suite. Cette histoire des sciences au « futur
antérieur » a empêché la mise en réseau des textes et notamment des théories qui
n’avaient pas vocation à devenir vérités scientifiques, appauvrissant ainsi la lecture des
textes anciens. À cela s’ajoute la vulgarisation du concept de révolution scientifique
théorisé par Thomas Kuhn comme un « changement de paradigme » et
systématiquement appliqué à cette période située entre 1550 et 1650, entre Copernic et
Galilée. Ce qui a eu l’avantage, malgré les contours très flous de la notion de
paradigme, de placer le point zéro de la science moderne au cœur de l’Europe,
ramenant ainsi toutes les thèses précédentes à des balbutiements scolastiques censés
préluder à des notions… qu’elles ignoraient par définition. Si le paysage de la recherche
s’est aujourd’hui largement modifié, la réception de la discipline dans l’univers scolaire
et dans le grand public porte encore les stigmates de ces lectures.
Sans une démarche rigoureuse, une réflexion sur son objet, l’histoire des sciences
devient vite « l’affaire de l’idéologie, l’enjeu de batailles d’influence et de manipulations
de masse », comme le constate amèrement Patrick Tort à propos de l’interprétation des
4
thèses darwiniennes . Le problème est encore plus épineux lorsque la question
scientifique traitée entre en résonance avec des enjeux de société comme la séparation
e e
de l’Église et de l’État qui a animé toute la fin du XIX , une bonne partie du XX siècle,
e
avec des résurgences en ce début de XXI siècle.
Sans doute aussi, l’enseignement de l’histoire tout court gagnerait-il à être moins
discursif et à s’appuyer de façon plus systématique sur des textes sources qui seraient
examinés de façon critique par les enseignants d’abord, les élèves ensuite. Car les idées
reçues non interrogées par la plupart des gens sont innombrables.
Les constructions que nous avons tenté de dévoiler s’appuient sur une certaine
conception du progrès, associée à un développement inéluctable, et des sciences. Cette
conception a son origine dès les débuts de la science moderne. Galilée annonce dans Il
Saggiatore (L’Essayeur), publié en 1623, le programme de ses recherches en s’appuyant
sur l’idée que la philosophie naturelle « est écrite dans ce vaste livre qui constamment
se tient ouvert devant nos yeux (je veux dire l’Univers), et qui […] est écrit en langue
5
mathématique ». Michel Blay, dans un ouvrage de synthèse sur l’histoire des sciences,
insiste sur le fait qu’il ne s’agira pas seulement, dans les œuvres de Galilée qui vont
suivre, « de la mise en ordre mathématique d’une nature toujours identique à elle-
6
même », mais bien « de l’explicitation de lois […] d’une nouvelle idée de nature » . Il
s’interroge à la fin de son ouvrage, après avoir parcouru les étapes de cette
e e
mathématisation de la physique du XVII au XVIII siècle, de l’analyse du mouvement au
calcul différentiel, puis au développement d’un nouvel ordre économique : « Cette
nouvelle idée de nature n’est-elle pas, en fin de compte, qu’un outil pour que
s’accomplisse sans limite le développement du “technique” maintenant confondu avec
7
[elle] ? ». C’est cette conception de la nature qui nous conduit à renvoyer les écrits et les
e
pensées qui précèdent le XVII siècle à des naïvetés dont il a fallu se débarrasser pour
construire notre monde moderne. Au moment où surgissent les conséquences de ce
développement sans limite du technique sur notre œkoumène devenu planétaire, nous
avons quelques raisons de questionner cette idée de nature.
L’histoire des sciences a le mérite de permettre de conduire une réflexion de type
épistémologique et philosophique sur nos propres constructions. Le mythe de la Terre
plate est étroitement lié à ce « progressisme » qu’il convient donc de relativiser : plutôt
que de se gausser de ceux qui, pense-t-on, croyaient que la Terre était plate, une
interrogation sur les ressorts profonds du mythe et ce qu’il dit de nos sociétés serait
sans doute salutaire. Et, pour laisser le dernier mot à Umberto Eco, « au fond, le premier
devoir de l’homme de culture est celui de se tenir en alerte pour réécrire chaque jour
8
l’encyclopédie ».

Notes
1. Eco, 2003, p. 366.
2. Ibid., p. 369
3. Ibid., p. 393.
4. Tort, 2002, p. 28.
5. Galilée, Il Saggiatore, t. VI, p. 232, cité et traduit par Clavelin, 1996, p. 438.
6. Blay, 2017, p. 180.
7. Ibid., p. 214.
8. Eco, 2003, « La force du faux », p. 396.
ANNEXE
1
Exposé de la méthode d’Ératosthène par Cléomède

Cléomède précise en préambule que pour comprendre la méthode d’Ératosthène, il


faut admettre ce qu’il appelle des « présupposés ». Certains relèvent du modèle
cosmographique utilisé (une Terre sphérique, petite par rapport à l’Univers, et très
éloignée du Soleil) et d’autres sont des propriétés géométriques connues. Ces
« présupposés » se résument en cinq points :
– Syène et Alexandrie sont situées sous le même méridien ;
– la distance entre les deux villes est de 5 000 stades ;
– les rayons projetés depuis des parties différentes du soleil sur des parties différentes
de la terre son parallèles ;
– les droites qui coupent des lignes parallèles produisent des angles alternes-internes
égaux ;
– les arcs de cercle interceptés par des angles égaux sont semblables, c’est-à-dire
représentent la même portion du cercle.

Les étapes du raisonnement d’Ératosthène :


– Syène et Alexandrie sont situées « sous le même méridien » et la longueur totale de
ce méridien est la circonférence de la Terre elle-même.
– Syène (S) est située « sous le cercle du tropique d’été ».
– Lorsque le Soleil est au solstice d’été il passe exactement à l’aplomb du méridien, et
les « gnomons des cadrans solaires ne projettent plus aucune ombre du fait que le Soleil
se trouve au-dessus, exactement à la verticale ».
– À Alexandrie (A) à la même heure « les gnomons des cadrans solaires projettent
une ombre, du fait que cette ville est située plus au Nord que Syène ».
– L’arc de cercle (MA) qui va de l’extrémité de l’ombre du gnomon (M) jusqu’à la
base même du gnomon (A) à Alexandrie, est une portion du méridien.
– Les rayons de la Terre passant par S et par A se rencontrent au centre de la Terre
(T).
– La droite que fait un rayon du Soleil qui tombe sur Syène en se superposant au
gnomon et la droite tracée « à partir de l’extrémité de l’ombre du gnomon Alexandrie
(M) en direction du Soleil en passant par la pointe du gnomon (P) sont parallèles »
(présupposé 3).
– La droite (TA) coupe ces parallèles en formant des angles alternes a1 et a2 égaux.
– a1 est situé au centre de la Terre « puisqu’il est formé au point de rencontre des
lignes droites tirées des gnomons A et S vers le centre de la Terre (T) ».
– a2 est l’angle entre la direction du gnomon (AP) d’Alexandrie et « la droite tirée de
l’extrémité de son ombre (M) en direction du Soleil en passant par le point de contact
avec ce gnomon (P) ».
– Le petit arc de cercle (MA) intercepté par a1 « est semblable à l’arc de cercle (SA) qui
va de Syène à Alexandrie » intercepté par a2. Or la mesure de cet angle au sommet du
e
gnomon d’Alexandrie est de 1/50 de cercle.
– Donc le « rapport qui existe entre l’arc de cercle (MA) et le cercle total » est le même
que le rapport de l’arc (SA) soit, lui aussi, « la cinquantième partie du grand cercle de la
terre ».
– Or cette distance est de cinq mille stades.
– « Le cercle entier est donc de deux cent cinquante mille stades ».

Ce résultat de 250 000 stades (5 000 x 50) a été « arrondi » à 252 000 stades par
Ératosthène pour le rendre divisible par 60 puisqu’il avait choisi de partager le cercle en
60 parties (et non en 360 degrés).
Si le stade d’Ératosthène mesure 157,5 m comme quelques auteurs le supposent, le
résultat obtenu équivaut à 39 700 km, très proche des 40 075 km mesurés aujourd’hui.
Mais si, comme d’autres auteurs l’affirment (sur la base de l’équivalence affirmée par
Strabon ou Pline entre la longueur d’un stade et celle de 8 milles romains), le stade
utilisé est le « stade attique » de 185 m, alors le résultat du mathématicien grec équivaut
2
à 46 600 km , ce qui fait un écart relatif de 17 % environ. Son approche de l’ordre de
grandeur de la circonférence de la Terre reste remarquable.
La méthode d’Ératosthène contient plusieurs approximations dont la première est
celle qu’il assume lui-même en « arrondissant » le résultat à 252 000 stades. On peut
penser que c’est un geste inconsidéré ou bien faire le crédit à ce grand savant d’une
conscience très fine de la relative imprécision de ses mesures. D’autres sources d’erreur
plus ou moins maîtrisées existent :
– Syène et Alexandrie ne sont pas exactement sur le même méridien.
– Syène n’est pas exactement sur le tropique mais un peu au nord.
– Enfin la distance Alexandrie-Syène n’était pas connue avec une très grande
précision.

Notes
1. Nous utilisons la traduction de Richard Goulet, dans Cléomède, Théorie élémentaire, 2000.
2. Voir Engels, 1985.
Bibliographie

Bibliothèque numérique d’astronomie de référence : http://uranie.huma-num.fr/.


Base de données sur Sacrobosco : http://www.ghtc.usp.br/server/Sacrobosco/Sacrobosco-ed.htm
Base de donnée universitaire sur la sphère : http://www.ghtc.usp.br/server/Sacrobosco/Sacrobosco-ed.htm

I. TEXTES SOURCES

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Les Belles Lettres, 1973.
ARISTOTE, Traité du ciel ; De la génération et de la corruption ; Météorologiques, dans Œuvres complètes, sous la direction
de P. Pellegrin, Flammarion, 2014.
AUGUSTIN D’HIPPONE, La Cité de Dieu, trad. de G. Combès revue et corrigée par G. Madec, Paris, Études
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— , La Genèse au sens littéral, trad. P. Agaësse et A. Solignac, Paris, Desclée de Brouwer, 1972.
— , Confessions, trad. A. Solignac et M. Skultela, Paris, Études augustiniennes, 1962.
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Weyerstraet, 1669, titre latin Alfraganus, Elementa astronomica, disponible en ligne sur
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TRACHSEL, Alexandra, « Le géographe Ératosthène contre Homère : un choix de Strabon ? », dans Christophe
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VAGNON, Emmanuelle, « Une géographie pour l’école ? Invention d’un savoir scolaire dans l’Occident latin », dans
Éric Vallet, Sandra Aube, Thierry Kouamé (dir.), Lumières de la sagesse : écoles médiévales d’Orient et d’Occident, Paris,
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VIGNAUD, Henry, Histoire critique de la grande entreprise de Christophe Colomb. Comment il aurait conçu et formé son
projet, sa présentation à différentes cours, son acceptation finale, sa mise à exécution, son véritable caractère, Paris, Welter,
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2000, p. 201-214.
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ZIMMERMANN, Klaus, « Eratosthene’s Chlamys-Shaped World : a Misunderstood Metaphor », dans Daniel Ogden
(dir.), The Hellenistic World, New Perspectives, Londres, Classical Press of Wales & Duckworth, 2002.

III. MANUELS SCOLAIRES ET LIVRES JEUNESSE


e
ABADIE, André, BEAUCOURT, Jacques, Histoire 4 , 1328-1715, Paris-Limoges-Nancy, Charles Lavauzelle & Cie, 1968.
BON, François, LACOSTE, Huguette, LASSÈRE Madeleine, Histoire CM, Paris, Belin, 1987.
CHAULANGES, Simone et Martial, Histoire de France cours moyen, Paris, Delagrave, 1957.
CHAULANGES, Simone et Martial, L’Histoire au cycle moyen, Paris, Delagrave, 1985.
e
LAGARDE, André et MICHARD, Laurent, XIX siècle, Paris, Bordas, 1963.
MAURY, Jean-Pierre, Comment la Terre devint ronde, Paris, Gallimard, « Découvertes », 1989.
PADELLI, Pascal, HOVELAQUE, Stéphane, L’Atelier d’histoire, tome 1, cycle 3, éd. Emmanuelle Royer, Paris, Scolavox,
2002.
VINCENT, Marc, LOCHY, Jean-Pierre, SÉMÉNADISSE Bernard, Histoire la France au fil du temps de la Préhistoire à 1789,
CM1, Paris, Nathan, 1985.
Index des personnes citées

Selon l’usage, les auteurs médiévaux latins sont répertoriés par leur prénom.

Abadie, André 1 2
Abū al-Barakāt 1
Adraste 1
Agaësse, Paul 1 2
Albert Le Grand 1 2 3 4 5
Alexandre dAphrodise 1 2
Alexandre Neckam 1 2
Alfraganus (al-Farghānī) 1 2 3 4 5 6
Allègre, Claude 1 2 3
Ambroise de Milan 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Anaxagore 1 2 3
Anaximandre 1 2 3
Anaximène 1 2
Annaud, Jean-Jacques 1
Antès, Serge 1
Apianus Apian, Pierre (Peter Bennewitz) 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Apulée 1
Archimède 1 2 3 4
Aristophane 1
Aristote 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42
43 44
Arnaldez, Roger 1
Āryabhata 1
Athanase 1
Augustin (saint) 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38
Aujac, Germaine 1 2 3
Aventinus, Johannes 1
Averroès (Ibn Rushd) 1
Avicenne (Ibn Sīnā) 1 2 3 4 5

Bacri, Jean-Pierre 1
Barabino, Nicolò 1
Barbey d Aurevilly, Jules 1
Barthélemy l Anglais 1 2
Bashet, Jérôme 1
Basile de Césarée 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Beaucourt, Jacques 1 2
Bède le Vénérable 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Bennassar, Bartolomé 1 2 3 4
Bennassar, Lucile 1
Beretta, Francesco 1 2
Bert, Paul 1 2
Berthelot, Marcelin 1 2
Besse, Jean-Marc 1 2
Bianchi, Luca 1
Bīrūnī (al-) 1 2 3 4
Blanc, Louis 1
Blay, Michel 1 2
Bloy, Léon 1 2
Boèce 1 2 3 4
Boniface (saint) 1 2 3
Boniface VIII 1 2
Boorstin, Daniel 1 2 3 4
Boulnois, Olivier 1 2 3
Bradley, James 1
Brahé, Tycho 1 2 3 4
Brecht, Bertold 1 2
Brown, Peter 1 2 3
Brunetto Latini 1 2
Bruno, Giordano 1 2
Buffon, Georges-Louis Leclerc de, 1
Burckhardt, Jacob 1
Burnet, Thomas 1 2

Calvin, Jean 1
Campi, Xavier 1 2 3 4
Carpentier, Alejo 1
Casella, Felicita 1
Cassiodore 1 2 3
Cecco d Ascoli 1
Chalcidius 1 2 3 4 5
Charlemagne 1
Chaulanges, Simone et Martial 1 2 3 4
Chénier, André 1
Cicéron 1 2 3
Clavelin, Maurice 1
Clavius, Christophe 1
Clemenceau, Georges 1
Cléomède 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Colomb, Christophe 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38
39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78
79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113
114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142
143 144 145 146 147 148
Colomb, Fernando 1 2 3 4 5 6 7
Comte, Auguste 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Constantin 1 2
Cooper, Fenimore 1 2
Copenhaver, Brian 1 2
Copernic, Nicolas 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38
39
Cosmas Indicopleustès 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26
Cratès de Milos 1 2 3
Crouzet, Denis 1 2 3 4 5 6
Cyrano de Bergerac 1 2

DAlembert, Jean le Rond 1 2 3


Dante Alighieri 1 2 3
Darwin, Charles 1 2
Delambre, Jean-Baptiste 1 2 3
Delattre-Biencourt, Joëlle 1 2 3 4
Deluc, Jean André 1 2
Deluz, Christiane 1 2 3 4
De Mesmes, Jean-Pierre 1 2 3 4 5 6
Démocrite 1 2 3
Denys d Alexandrie 1 2 3 4
Dercyllide 1
Des Bordes, Guillaume 1 2 3
Descartes, René 1 2 3 4
Descendre, Romain 1
Detienne, Marcel 1 2
Deza, Diego 1
Dias Bartolomeu 1
Dicéarque de Messine 1 2 3 4 5
Dicks, David Reginald 1
Diodore de Tarse 1 2
Diogène Laërce 1 2
Donnet, Ferdinand 1 2 3 4
Draper, John William 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
Du Bartas, Guillaume 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Du Bocage, Anne-Marie 1
Ducos, Joëlle 1
Duhem, Pierre 1 2 3 4 5

Eco, Umberto 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Empédocle 1
Engels, Donald 1
Ératosthène 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29
Étienne Tempier 1
Eudoxe de Cnide 1 2
Euripide 1
Euthymènes 1

Fabre, Daniel 1 2 3
Fārābī (al-) 1
Finé, Oronce 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Fontaine, Jacques 1 2 3
Fontaine, Joëlle 1
Fracastoro, Girolamo 1

Galam, Serge 1
Galilée (Galileo Galilei) 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36
37 38 39 40 41 42 43 44 45
Gama, Vasco de 1 2 3
Garnier, Robert 1 2
Gautier Dalché, Patrick 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
Gélase 1
Gemma Frisius, Rainer 1 2 3 4 5
Gérard de Crémone 1 2
Gerbert d Aurillac 1
Giet, Sylvain 1 2
Giraudeau, Bernard 1 2
Girault, Simon 1 2
Golius, Jacob 1
Gossuin de Metz 1 2
Grégoire de Nazianze 1
Grégoire de Nysse 1 2 3
Grégoire de Tours 1
Grégoire IX 1
Grégoire le Grand 1 2 3
Guillaume de Moerbeke 1
Gutas, Dimitri 1

Heers, Jacques 1 2 3
Héraclide du Pont 1
Héraclite 1
Heredia, José Maria de 1
Hérodote 1
Hipparque 1 2 3 4 5 6 7 8
Homère 1 2 3 4 5
Honorius Augustodunensis 1 2 3 4
Hugo, Victor 1 2
Hugues de Saint-Victor 1 2 3
Humboldt, Alexandre 1 2 3 4 5 6 7 8 9

Ibn Khallikan 1
Idrīsī (al-) 1 2 3 4
Irving, Washington 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35
Isḥāq b. Hunayn 1

Jacob, Christian 1
Jacob, François 1
Jacques d Édesse 1 2
Jaoui, Agnès 1 2
Jean Chrysostome 1 2 3 4 5 6 7 8
Jean Corbechon 1
Jean de Mandeville 1 2
Jean de Sacrobosco 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Jean de Séville 1
Jean Duns Scot 1
Jean Philopon 1 2 3 4 5
Jean Scot Érigène 1 2
Jouanna, Arlette 1
Justin le Martyr 1

Kennedy, Edward S. 1 2
Kepler, Johannes 1 2
Keyser, Paul T. 1 2
Kirwan, Richard 1 2
Koestler, Arthur 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Koyré, Alexandre 1 2
Krivine, Hubert 1 2 3
Kuhn, Thomas 1

Lactance 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
Laffargue, Paul 1
Lalouette, Jacqueline 1 2
La Popelinière Lancelot, Voisin de 1
Las Casas, Bartolomé de 1 2 3 4 5
Le Boeuffle, André 1
Lecointre, Guillaume 1 2
Lefèvre d Étaples, Jacques 1
Le Goff, Jacques 1 2
Leibniz, Gottfried 1
Letronne, Antoine-Jean 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Leucippe 1
Leutze, Emanuel 1
Libera, Alain de 1 2 3 4
Lindberg, David C. 1
Lucrèce 1 2 3 4
Luther, Martin 1 2 3 4 5 6

Macoudi (Masʿūdī) 1 2
Macrobe 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
Magellan, Fernand de 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
Maillet de, Benoist 1
Maïmonide 1
Malpangotto, Michela 1 2
Mammar, Lydia 1
Mandressi, Rafael 1 2
Manso, Felipe 1
Manṣūr (al) 1
Marchena, Juan Perez de 1
Marin de Tyr 1 2 3
Martianus Capella 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Martin, Thomas-Henri 1 2
Maury, Jean-Pierre 1 2
Mayaud, Pierre-Noël 1 2 3 4 5 6
Mazauric, Simone 1 2
Ma’mūn (al) 1 2 3 4 5
Melanchthon, Philip 1 2
Michelet, Jules 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Migne, Jacques-Paul 1 2 3 4
Montfaucon, Bernard de 1 2 3 4
Moore, Thomas 1
Morelon, Régis 1 2 3
Muqaddasī (al-) 1

Navarrete, Martin Fernandez de 1


Newton, Isaac 1 2 3 4 5

Oresme, Nicole 1 2
Origène 1 2 3 4 5 6
Orose 1
Ovide 1 2

Parménide 1 2 3 4
Pépin le Bref 1
Perrault, Charles 1 2
Peurbach, Georg 1 2 3 4 5
Philolaüs 1
Pic de la Mirandole, Jean 1
Pierre d Ailly 1 2 3 4 5 6 7
Pietro, dAbano 1
Pinon, Laurent 1 2
Platon 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25
Pline l Ancien 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Plutarque 1
Polybe 1
Posidonius 1 2 3 4 5 6
Proclus 1
Procope de Gaza 1 2 3
Proudhon, Pierre-Joseph 1 2
Ptolémée 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35
Ptolémée II 1
Pythagore 1 2
Pythéas 1 2 3
Raban Maur 1 2
Rabelais, François 1 2
Randels, William G. R. 1 2 3 4
Regiomontanus (Johannes Müller) 1 2 3
Resnais, Alain 1
Ribémont, Bernard 1 2 3 4
Robert de Courçon 1
Roger Bacon 1 2
Roger II de Sicile 1
Roller, Duane W. 1 2
Roselly de Lorgues, Antoine 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31
Rows, John 1
Russel, Jeffrey Burton 1 2 3

Scheuchzer, Jean-Jacques 1
Schiappa, Marlène 1
Schmitt, Charles 1 2
Schönberg, Nicolas 1
Scott, Ridley 1
Sénèque 1
Sergius de Reshʿaynā 1
Sévère Sebokht 1
Sévérien de Gabala 1 2 3
Silvi, Christine 1 2
Simaan, Arkan 1
Simplicius 1
Sisebut 1 2
Solignac, Aimé 1 2
Stobée 1
Strabon 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Talavera, Hernando de 1 2 3
Taton, René 1 2
Thalès 1
Themistius 1
Théodore de Mopsueste 1 2 3
Théodoret de Cyr 1
Théodoric 1
Théon de Smyrne 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
Theophylacte 1
Thierry de Chartres 1
Thomas d Aquin 1 2 3
Thomas de Cantimpré 1
Thrasylle 1
Tort, Patrick 1 2
Toscanelli, Paolo 1 2
Tostado, Alonso 1
Vagnon, Emmanuelle 1 2 3
Verne, Jules 1
Vespucci, Amerigo 1 2 3 4 5 6 7
Vignaud, Laurent-Henry 1 2 3 4
Vinet, Élie 1
Virgile 1 2 3 4 5 6
Voltaire 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

Watt, James 1
Whiston, William 1 2
White, Andrew Dickinson 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Whitehead, Alfred North 1

Xénophane 1

Yaʿqūbī (al-) 1

Zacharie (saint) 1 2 3 4 5
Zweig, Stefan 1 2
Cette édition électronique du livre
La Terre plate
de Violaine Giacomotto-Charra et Sylvie Nony
a été réalisée le 8 octobre 2021
par IGS-CP.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN 978-2-251-45223-4).

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