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Alain EPELBO I N
iHédecin ethnologue, L.P. 3 121-C.N.R.S. (Laboratoire des Langues el Ciuilisalions à tradition orale)
c Puis je me torchai d'une poule, d'un coq, d'un poule/, de la peau d'un veau,
d'un ltèur~, d'un pigeon, d'un cormoran, d•un sac d'avocat, d'un capuchon, d'une
coiffe, d'un leurre.
<l.fais, concluant, je dis et maintiens qu'i l n'y a tt! lorchecul ljUt d'un oiseau
bien duveli, pourvu qu'on lui tienne la tête entre les jambes. Et vous m'en croyt< sur
mon honneur. Car vous sentez au trou du cul une volupli mirifique, tant par la douceur
d' icelf!.i du vtt que par la chaleur tempérée de l'oison, laquelle facilement est commu-
niquée au boyau culier et autres intestins, jusque à venir à la région du cœur et du
cerveau ... •
RABELAI S, Gargantua Xlii, Comment Grandgousier connut l'esprit merveilleu~
ete Ga rgantua à l'invention d'un lorchecul.
• ... Quand lu marches en corps d'armée contre les ennemis, lu devras le gardtJ
de Ioule action mauvaise. S'il se trouve dans les rangs un homme qui ne soit pas pu1
par suite d'un accident nocturne, il se retirera du camp où il ne rentrera pas. Au~
approches du soir, il se baignera dans l'eau el une fois le soleil couché il rentrera dam
le camp. Tu réserveras un endroit en dehors du camp où tu puisses aller à l'écart ,
lu auras aussi une bichette dans lon équipement el quand lu iras t'asseoir à l'écart,
lu creuseras la terre avec cel instrument el tu en couvriras les déjections. Car l'élern e
ton Dieu marche au centre dt lon camp pour te protiger tl te livrer tes ennemis: ton
camp doit être saint . Il ne faut pas que Dieu voit che: toi une chose deshonntle car i
se retirerait d'auec loi. . . •
La Bible, Deutéronome, chap. XXIV, 10 d 15.
Curieusement, alors que l'anthropologue, en «par- sous \es tropiques. Les rapports établis avec certaine~
tant sur le terrain», se voit forcé de quitter ses lieux maladjes (amibiases, parasitoses intestinales, coli-
d'aisance, de bouleverser ses habitudes, ses rythmes ques néphrétiques ... ) relèvent malgré leur « éduca·
quotidiens, il ne l'écrit pas et s'il en parle, c'est de tion » beaucoup plus souvent d'une «perceptior
façon anecdotique : il ne traite pas ce sujet, il l'obli- populaire intellectualisée>) que d'une observatior
tère, tant pout lui-même que pour les autres. ·-- .. .soientifique.
· Pourtant, nombre de voyageurs ont en mémoire de Ces remarques ironiques n'ont pas· pour ambitior
petits drames personnels vécus, lors de leurs déplace- d'être les préliminaires à une étude de la perceptior
ments , à l'occasion de diarrhées, qui les ont forcés à des humeurs des Européens en milieu tropical, mai~
Abandonner momentanément des valeurs telles que de montrer combien leur occultation est significative
pudeur et dignité qu'ils auraient farouchement Pourvu que l'on fasse l'effort de les entendre ou d1
défendues en temps ordinaire. les voir, on s'aperçoit que t outes les "sociétés onl
Il est également étonnant d'enregistrer leurs élaboré des codes de comportement très prects, qu
discours sur la qualité et la quantité d'excréments régissent l'élimination de ce qu'elles perçoivenl
liquides et solides nécessaires à l'entretien de la santé comme étant des déchets.
Cah. O.R.S.T.O. i\11., sir. Sei. Hum. , vol. XV III, no 4, 1981- I982: 515-530.
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En nous intéressa nt à ces problèmes, nous y avons ces pays, pour aller à la selle il {a ut prendre un bcilon: non pour
découvert une ethnographie du quotidien peu s'essuyer avec, mais pour écarler les porcs domestiques ou les
connue. Nous y avons surtout saisi une clef fonda- chiens car ceux-ci sont friands de déjections humaines... •
mentale pour comprendre l'ordinaire de ces gens dont
nous prétendons étudier le système de pensée médi- Un article récent de S. ToRNAY (1981) «fouille •
cale et dont nous partageons épisodiquement la vie. brillamment le sujet : il est une des rares exceptions
Bien que ces sujets ne soient que rarement envi- à cette règle d'occultation : il décrit avec force détails
sagés comme objet d'étude en soi, leur emprise sur la . la relation entretenue par les Nyangatom (population
vie sociale fait qu'ils apparaissent, bien que fugace- de la basse vallée de l'Omo en Éthiopie) avec la gent
ment, dans la littérature anthropologique. canine par l'intermédiaire des fèces. Il présente une
L'ouvrage ancien de J. G. BouRKE (1891) est un étude ethnographique détaillée des comportements
long recueil de citations d'articles, de livres sur les quotidiens tant des petits enfants que des adultes.
comportements et les rituels touchant les excréments , ... Evans Pritchard s'ilail plaint, je crois, d'êlre importuné
humains et animaux. Sa traduction et sa réédition quand il devait • satisfaire la nature '· J'ai cru un moment
~éc·ente grâce aux soins de G. LAPORTE (1978), un moi aussi que les enfants el les femmes p1 enaienl plaisir à me
peu moins d'un siècle après sa 1re parution, montre suiure, â m'épier. Pure • projection • d'Occidental /raqué! En
qu'il a fort peu perdu de son intérêt et de sa verdeur. réalité ce qui est suffisant, c'est l'alibi verbal. - Où vas-lu?
Son introduction par S. FREUD (1913) est toujours - Je vais â la m. - Vas-y 1 Éclats de rire des partenaires de
d'actualité : cet échange el on est quitte...
... On défèqu e à proximité de l'habitat, dans un pelil rauin ,
• ... C'est loin d'itre une p etite affaire que d'examiner ou de derrière un bosquet, etc.
décrire les conséquences en/rainées pour la ciuilisation par celte •.. Les {onctions d'excrétions sont elles-mimes très peu tabouées
fa çon de traiter le douloureux • resle de /erre • don/ les {onclions chez les Ires jeunes enfants, bien sar, mais encore chez l'homme... •
sexuelles el excrémenlielles peuuent être tenues comme consliluant
le noyau ... Il n'a pas élé permis à la Science de s'occuper ce des En ce qui me concerne, au Sénégal Oriental, je
aspects proscrits de la uie humaine, en sorte que quiconque croyais avoir résolu ces problèmes.
étudie de telles choses se voit cons idéré comme à peine moins
• inconuenanl • que celui qui {ait réellement des choses inconue- Déféquer tranquillement «caché» au milieu d'un
nanles ... • champ de maïs ou de mil, puis brûler mes papiers
so uillés, me paraissait être un acte logique t émoi-
Si, depuis, les publications sur les mœurs et les gnant d'une volonté d'adaptation au milieu paysan
coutumes sexuelles, alimentaires, de diverses popu- du citadin que je suis. Je m'aperçus après plusieurs
lations se sont multipliées, il n'existe que fort peu séjours de terrain qu'il s'agissait là d'un manque de
d'écrits envisageant, systématiquement l'étude de savoir-vivre élémentaire, d'une grave incorrection
ces fonctions quqtidiennes essentielles que sont pour vis-à-vis de mes hôtes fulBe bande. On avait dû ine
tout être vivant la miction et la défécation. Ce le laisser entendre sans que je m'en aperçoive : cela
domaine est abordé par la psychanalyse, l'épidémio- ne m'avait pas été dit ouvertement, par discrétion,
logie, l'anthropologie, mais plus pour servir la disci- par r espect pour l'étranger, mais n'en suscitait pas
pline elle-même que comme sujet digne d'intérêt en moins un étonnement mêlé d'un certain dégotît pour
soi. L'ethnolinguistique l'approche en restituant des coutumes aussi grossières. De même l'usage du
l'anatomie et la physiologie vernacul aire. Un article papier de toilette ne leur semblait pas particulière-
récent de P. Rou LON (1980 ) en est une bonne illus- ment« hygiénique», mais : t ... L es lubab sont tellement
tration : bizarre$. !... •
• ... {.:erriplo"i de dàr • (écès • ne prend un sens ici qu'en L' étranger même respectueux des lois autochtones
rapport avec l'existence du circuit de la nourriture. E n effel sous peut être amené involontairement à les enfreindre et à
l'effet de la digestion les alimenls donnent naissance à deux provoquer un conflit. Ainsi J. G. BouRKE (1 891, op.
produits: les fèces qui sont rejetées et l'eau salée qui va nourrir
cil.) cite un passage de CAMERON ( 1~77) :
les muscles (p. 68). ·-- · _,.,__.
..• Les éléments extérieurs absorbés par le corps ressortent, -...
• ... Peu de lemps après, des trou bles se produisirent entre
à l'issue de leur périple, soi/ par leur uoie d'en/rée (la plus
quelques-uns de mes gens el les indigènes, !laubies dus à ce que
grande partie de l'air inspiré), soil par de nouvelles voies
l'un de m es hommes s'était isolé sur une parcelle cultiuée où le
(eau absorbée seule, nourriture). Dans ce dernier cas, les produits
propriétaire du lerrain l'auait découverl. Celui-ci demanda
rejetés reçoiuen! chacun un n om propre... (p. 92) •· réparation pour la souillure que sa terre avait subie el on dut
l'apaiser en lui faisant présent d'un /issu ... •
Il faut citer A. G. HAUDRICOURT (1977) qui, dans
une courte note d'ethnozoologie sur le rôle des
Ailleurs, cette défécation au milieu d'un champ
excrétats dans la domestication so uligne :
labouré après avoir retourné une motte d'un coup
• ..• Les ethnologues · de lerr.ain en Asie du S ud Est el en de bêche est la norme : ainsi en est-il pour le paysan
Océan ie Occidentale racontent (mais n'écriuenl gut re) que, dans du Cheval d'Orgueil (HÉLIAS P. J., 1975).
Cah. O.R.S.T.O.M., sér. Sei. Hum., vol. XVIII, n• 1, 1981- 1982: 515- 530.
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C'est à la suite de ces <t découvertes •> que je débutai Ceci désigne également l'odeur d'acide des batteries
une enquête ethnographique sur les excréments et des véhicules.
les conduites s'y rapportant.
- Lammugol coofe = l'aigreur de l'urine.
Ce travail fait partie d'une étude d'ethnomédecine Lammugol Lebe = l'aigreur du vin de palme :
entreprise en collaboration avec mon épouse depuis
1976 dans divers cadres {1) chez les fulBe bande rappelons que les fulBe bande sont islamisés et qu'à
éleveurs-cultivateurs sédentaires islamisés et les ce titre toute boisson fermentée leur est interdite.
nyokholonlre cultivateurs malinké animistes de la - Lammugol tubaako =l'odeur aigre du Blanc (l'Eu-
sous-préfecture de Bandafassi dans le département ropéen).
de K.édougou au Sénégal oriental.
C'est une notion bien connue en Afrique que le
Nous y étudions les représentations de la santé, Blanc dégage une odeur désagréable parfois comparée
de la maladie et les thérapeutiques correspondantes : à celle dou ceâtre des cadavres. Ici elle est comparée
cette recherche est basée essentiellement sur le à celle de l'urine.
reèueil systématique à vif des discours de malades qui
décrivent leurs itinéraires diagnostiques et théra- lakkere sg 1= la sueur.
peutiques (A. S. EPELBOIN, 1978; A. EPELBOIN, 1983). soolugol = uriner, pisser.
Après une rapide revue des termes s'y rapportant, miDo soofude =je pisse (action en cours)
nous abordons dans cet article une description de expression grossière,
l'organisation de la vie tant individuelle que
collective par rapport aux problèmes posés par miDo soofoyde = je vais pisser.
l'élimination des "déchets humains dans le village Expression grossière utilisée entre camarades ou
d'Ibe!. personnes liées par une relation à plaisanterie.
- miDo diccoyadye =je vais m'accroupir.
'···
0 vous qui croyr-1 On s'exprime ainsi pour en quelque sorte s'excuser
Lorsque vous vous dispose: à la prière: auprès du groupe dont on se sépare pour aller uriner.
laue: vos visaaes et vos mains jusqu'aux coudes;
passe% les mains sur vos têtes
et sur vos pieds, ju.squ'au:z: chevilles.
iaarorde sg 1iaarorde pl = petit enclos accolé à la case,
Si vous étes en i tal d' impurelé léoale, purifle:-vous. « douchière ».
Si vous i les malades, ou en voyage;
si l'un de vous vient du lieu caché; Ce petit enclos situé derrière la case des femmes
si vous aue: eu commerce avec des femmes sert simultanément ou successivement à plusieurs
el que vous ne trouviez pas d'eau, usages : lieu de douche et de toilette, urinoir pour
recourez à du bon sable hommes et femmes, jardinet à condiments culinaires,
que vous passere: sur vos visages et sur vos mains ..• •
cuisines dans certaines concessions. C'est là aussi
Le Coran, Sourate V, Verset 6. que le malade alité vient déféquer dans un morceau
de poterie qu'un tiers jette en brousse.
(1) I.N.E.D., A.T.P. Dynamique des populatio~s, C.R.A. du Musée de l'Homme, O.R.S.T.O.M.-O.R.A.N.A. (Office de
Recherches sur l'Alimentation et la Nutrition ACricaine), L.A.C.J.T.O. (Laboratoire des Langues el Civilisations à Tradition Orale-
L.P. 3 121-C.N.R.S.). Ces recherches ont été menées en accord avec le Secrétariat Général à la Recherche Scientifique Sénégalaise .
Cah. O.R.S.T.O.M., sér. Sei. Hum ., uol. XV III, n• 4, 1981- 1982: 515-530.
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Ce mo~ n'a pas de conno~ation grossière :il permet Lorsque plusieurs personnes cheminent de concert,
de désigner« élégamment>> Je Bt~ylirde. Il est employé si l'une d'entre elles quitte le groupe pour vaquer à
principalement par les jeunes qui aiment a émailler ses affaires, elle déclare qu'elle les abandonne.
leur discours de mots empruntés au wolof ou au Cette expression est employée dans le même
français. con texte pour signifier aux compagnons qu'on les
Il désigne à l'origine les latrines des instituteurs abandonne momentanément pour aller déféquer.
creusées à côté de l'école ·p ublique. Ceux-ci poursuivent leur chemin en réduisant le pas :
Depuis 2 ans leur nombre s'est multiplié à l'insti- ils s'éloignent quelque peu et s'arrêtent à l'ombre
gation· de Dakarois originaires du pays et depuis d'un arbre s'ils n'ont pas encore été rejoints par le
quelques mois sous l'impulsion de Volontaires du retardataire. A cette occasion, il est fréquent que
Progrès français. d'autres membres du groupe s'éloignent également.
Une fois les besoins terminés, on rejoint ses compa-
- ibelnaaBe asi.i kaabineeji =Les gars d'Ibel ont gnons qui patientent en bavardant au frais : après
· creusé des cabinets. quoi la marche reprend sans que les discussions se
ww·o sg / =:= 1. le qum·iier central; 2. le quartier du chef soient réellement interrompues.
de village-;""3. le uillage.
miDo yaade dow wm·o = je vais en haut du mawDo sg f mawBe pl = 1. le grand; 2. le vieux;
quartier wuro. 3. l'ancêtre.
mido yaade Baawo wuro = je vais derrière le Il est inconvenant de tenir des propos ayant trait
quartier wuro. aux déjections en présence de personnes respectables,
Ceci indique la zone où l'on se rend déféquer. vieillards, beaux-parents potentiels.
Dans l'aire de ·défécation Buylirde, les plaisanteries
galle sg f = 1. concession, carré; 2. maison; 3. mai- sur l'aspect ou la qualité des étrons visibles sur le sol
sonnée. · ne sont pas de mise : ne sachant pas de qui ils pro-
- miDo yalloyde = je sors. viennent, on risquerait de se moquer d'un v ieux.
Un individu quitte une maison où sont réunis des - miDo yeiioyde mawBe jalluBe =je vais saluer les
égaux : cette phrase indique aux autre qu'il s'absente ancêtres Diallo.
quelques instants pour ses affaires ou pour satisfaire
un besoin légitime. Cette affirmation peut susciter Insulte, mais aussi plaisanterie entre égaux ou
diverses plaisanteries. individus liés par une sanaku, relation à plaisanterie :
un Diallo par exemple (tisserand, descendant de
ladde sg fladdeeji pl = la br·ousse. captifs), s'adressant à un Ba ami {lignage noble
La brousse par opposition âu village, territoire des dominant) lui déclare en partant déféquer qu'il va
hommes, est le. domaine des animaux sauvages aller saluer les ancêtres de Ba : ce à quoi l'autre,
visibles et invisibles, des différentes sortes d'esprits • furieux * lui répond que ce sont ses propres aïeux
de la broussejinne yimBeleDDe, ngoltere ... Les champs Diallo qu'il va ainsi honorer.
cultivés appartiemient aux hommes mais sont pris
sut· la brousse. luungol sg fluuBediiji pl =puanteur'.
- luungol buo = odeur de merde.
- miDo yaade ladde = je v~is en brousse.
luuBugol = action de puer.
Cette expression employée seule permet de signifier - enba luungol no Do = Oh ! Ça pue ici !
à un interlocuteur que l'on se rend au Buylirde. Elle fuylere ,sg f puyle pl = le pet (grossier).
est t rès correcte, si tant est qu'il soit correct de parler fuyiugoL_ = lâcher un pet, péter (grossier).
de ces choses-là.
- fuylere'. yaltii = fie pét 1est sorti(.
ftoggo sg / kowle pl = la clôture de la concession.
. . C'est ce que dit une personne dans un groupe
Elle m_arque la separatt~n entre les galle, conces~- .. d~égâux ou d'individus liés par une sa~aku, lorsque
sions qm composent le v1llage, et la brousse : la · l'un d'eux a laissé échapper un pet sonore sans que
clôture a deux faces, Baawo le dos et reedu = le l'on sache qui en est J'auteur.
ventre. ·
- mido yaade Eaawo hoggo =je vais au dos de la - goDDo fuylii = quelqu'un a pété.
clôture. Également utilisé entre égaux ou personnes liées
Cette expression indique que l'on va déféquer. par une relation à plaisanterie : ceci indique que l'on
Elle est d'un emploi correct si tant est qu'il soit a senti la puanteur luungol du pet, sans en avoir
nécessaire d'indiquer à une tierce personne une telle entendu le bruit.
action. henndu sg / kenelli pl = 1. le vent; 2. le vent, le
- miDo seloyde =j'abandonne. souffle; 3. le vent (le pel).
Cah. O.R.S. T.O.M., sir. Sei. Hum., uol. XV III, n• 4, 1981-1982: 515-530.
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- henndu jinne, henndu bonDo = le souille du rades ou dans le cadre de sanalw, la relation à
Djinn, le souille du malfaisant. plaisanterie. Les diverses expressions et métaphores
Ce souille, ce vent « lancé • par un esprit de la citées permettent, s'il en est besoin, de le signifier.
brousse ou par un malfaisant, un sorcier-dévoreur En effet, le plus souvent on quitte discrètement la
peut provoquer diyerses maladies, voire la mort de société : le mutisme observé, la direclion prise
celui qui l'a ·rencontré. · indïquent clairement aux observateurs les raisons de
cette disparition momentanée.
- goDDo woppii henndu = quelqu'un a lâché un
vent. Il nous faut distinguer deux cas selon que l'on se
trouve au village ou en dehors, que ce soit aux champs
- goDDo yaltini henndu = quelqu'un a fait sortir à la chasse, en voyage. Au village, ces opérations ont
un vent. lieu de préférence le matin de bonne heure et le soir
Ces deux expressions sont moins grossières que les pas trop ~ard, avant le coucher.
précédentes : èlles sont employées lorsque l'on ne veut On se m,unit d'une bouilloire ou d'un pot rempli
pas dire tout de go que quelqu'un a émis un pet. d'eau et on se dirige vers le Buylirde, ce récipient à
« ... devant un vieux, lu ne dis rien: si lu as senti la main : éve'ntuellement, des camarades peuvent s'y
l'odeur; tu vas quiller (le groupe) ... & rendre de concert, s'y accroupir à portée de voix de
._ !açon-à-poursuivre la conversation engagée. Sauf
Augol = roter. ëiàns ce cas, il est très gênant d'être surpris dans cette
II n'est pas impoli de roter, même devant un vieux. position.
« ... quand lu as mélangé beaucoup de sortes de repas,
... l~ gars qui vient après toi (p~ndant qu ~ lu défèques), lu es
il y a certaines odeurs qui sont maut•aises ... , le premier ci le uoir. Tu cass~ un bout de bois, lu remu~ des
cailloux, lu le grall~ la gorge (unsilagol) ou bien lÜ frottes
LA DÉFÉCATION la bouilloire sur le sol. L'autre alors ua aborder. de l'autre côli
(de l'aire de difécalion) ...
On ne déclare donc pas ouvertement que l'on va ... quand lu as fini, lu prends de l'eau auec la main gauche el
déféquer, si ce n'est en. plaisantant avec des cama- lu le laves ...
... Celui qui n'a pas d'eau casse des morceaux de boii, 3 ou 4, beaucoup plus l'apanage des hommes. De plus quand
el se nettoye avec, jusqu'au moment où il retourne dans sa une femme va en brousse, elle n'en revient jamais les
douche (laarorde) el où il se lave avec de l' eau. D'autres emploient mains vides : elle est toujours chargée de bois mort,
3 ou 4 cailloux. D'autres prennent les feuilles de n'importe quel d'énormes calebasses ou bassines emplies d'eau, de
arbre, s'il n'y a pas de cailloux ...
vêtements lavés : elle tient à la main une chèvre, un
... La crolle, tu la laisses sur le sol, l!t ne caches rien . Si lu
{ais cela en dehors du Buylirde, lu couvres avec de la paille. mouton, porte dans son dos un enfant.
Tu caches pour que cela ne géne pas les gens ...
... il ne {a ut pas {aire de réflexions dans le Buylit de sur une
crolle que lu voies, éar tu ne sais pas qui a {ail quoi et lu risques Défécation et miction des bébés et des jeunes enïànts
de {aire une plaisanterie à propos d'un vieux ou de quelqu'un
que lu respectes ... Les fèces du bébé au sein et du veau non sevr é sont
désignées par le même terme, rayaari.
Si quelqu'un est surpris en dehors de l'aire de Lorsque le nourrisson souille Je pagne dans lequel
défécation, c'est une situation extrêmement embar- il est enveloppé, sa mère l'essuie avec et met Je tissu
rassante et honteuse : ceci peut arriver au voyageur de côté pour le laver. Très tôt un conditionnement de
qui ne s'est guère éloigné de. la route pour s'enfoncer propreté est acquis : dès qu 'elle sent que l'enfant
dans la brousse. La nuit, il n'est guère apprécié de pressé.contre son dos pousse, la mère le pose dans le
s'éloigner. de sa maison surtout en· hivernage où il fauteuil. constitué par l'angle formé par les jambes
faut · pénétrer dans les hautes herbes, mouillées de allongées sur le sol et les pieds (cf. photo).
surcroît. Puis les selles sont jetées là où personne ne risque
de marcher dessus, en général derrière la douchière
• Si on le surprend en train de déféquer, assieds-loi sur tôn
propre étron • (cr. ci-dessus). · -...
ou-tila périphérie du galle, de même que pour toutes
les ordures domestiques. Si la mère en nettoyant le
En effet la position accroupie est également une petit s'est sali les doigts, elle les essuye les uns après
posture de repos : c'est ce qu'essayera de faire croire les autres sur un poteau de soutènement de case ou de
par son allure impassible l'individu vêtu d'un grand clotûre, sur un caillou ou un bâtonnet qu'elle jette
boubou surpris en train de déféquer, alors qu'il est au loin. ·
en fait assis dans son propre étron. Ces déchets sont alors dévorés prestement par les
Les femmes, lorsqu'elles vont à la selle n'emportent volailles et les chiens. Les fesses de l'enfant sont
pas de bouUloire. Elles s'essuyent avec un caillou, des râclées avec un bout de bois, d'écorce traînant à terre.
bâtonnets : elles se )avent plus tard, S?it au puits OU La mère apprend aux enfants dès qu'ils sont en
au marigot, soit dans leur douchière. En effet, la âge de le comprendre à ne pas déféquer au milieu du
bouilloire reste un obj et coûteux qui, de ce fait, est galle : petits, il est toléré qu'ils s'accroupissent dans
ses limites, après quoi une femme ramasse l'étron sur • ... au moment où on cultive les champs, on conseille aux gosses
un morceau de calebasse ou de poterie cassée et le . ·de ne pas cléféquer dans le terrain. Tant que le champ n'est pas
lance au loin. rëcollé, on l'interdit... •
Les enfants plus âgés doivent comme les adultes Lorsque l'on se trouve au village, il n'est théori-
se rende au Buylirde, ce qui n'est pas obtenu sans quement pas possible de déféquer ailleurs que dans
peine! les lieux réservés à cet usage; surtout pas dans les
Les petits garçons savent très vite uriner accroupis, maïs qui noient les maisons en hivernage. Ceci ne
comme leurs aînés : les petites filles doivent très tot, signifie pas pour autant qu'occasionnellement ces
alors que leurs frères vont encore nus, cacher leur interdits ne puissent être transgressés par quelque
nudité dans un pagne et uriner de préférence un peu gamin impoli ou nuitamment par un adulte pressé.
à l'écart.
• ... Certaines nuits, comme on ne peul pas le voir, tu vas sur
le bord de la route. Comme ce n 'est pas sur lu mule comme ce
Aire de défécation ce n'est pas à la porte des maisons, on n e va rien le dire ... •
Cah. O.R.S.T.O.M., sér. Sei. Hum ., vol. XVIII, n• .J, 1981-1982: 515-530.
SELLES ET URINES CHEZ LES FULBÊ Bt1NDE DU SÊNÊG.4L ORIENTAL 523
Dessin 5. - Le quartier goda caauiget el son Buyitirdé au nord, dans le creux de la co lline.
mt yabbi doodi = j'ai marché dans un étron. Les aires f!.e défécation d'lbel
La progression se fait donc par enjambées pru-
1:-~-village d'Ibel compte environ . 600 habitants
dentes, par sautillements d'un pied sur l'autre, ce.__ .
qui fait dire ironiquement aux ·vieillards senten- répartis en 8 quartiers qui comptent chacun 1 ou
cieux: 2 aires de défécation. Nous en énumérons les caracté-
ristiques principales :
diwa yoorndi, hecciri yajo = tu sautes le sec alors que
le frais est secoué. quartier wurofv illagef : c'est dans ce quartier,
quartier du chef de village et du lignage domi-
Le B uylirde d'un quartier n'est pas exclusivement nant que sont érigés côte à côte l'ancienne et la
réservé à l'usage de ses habitants. Étant donné nouvelle mosquée.
l'étendue du village, on peut si le besoin s'en fait
sentir, utiliser l'air e de défécation correspondante • ... derrière le wuro, c'est au pied de la montagne dans le
aux maisons visitées. creux... •
Cah. O.R.S. T.O.M., sir. Sei. Hum ., uol. XV III, n• 4, 1981-1982': .515-530.
524 A. EPELBOIN
objective. Signalons l'histoire récente de cet enfant Lorsqu'un homme adulte est malade, qu'il ne peut
qui s'était éloigné la nuit de sa couche pour déféquer: se lever pour se rendre au Bu' ilirde, il doit, malgré sa
il avait été mordu au pied par un serpent sur lequel gêne, faire appel à une tierce personne : celle-ci peut
il avait marché. le soutenir jusqu'à la douchière, lui préparer un
fragment de calebasse brisée, de poterie, sur lequel
• ... lorsque le gosse veul cabiner, on lui interdit dt chier dans
les mais.
il défèque : l'étron est alors lancé derrière la maison
L'enfant fuit. par-dessus la clôture, plus rarement déposé au
Il a peur de rentrer dans les lianes et la paille el chie au bord elu Bu'ilirde.
Buylirde ... • · Il peut, s'il en est incapable, demander de l'aide
pour se laver. Par ordre préférentiel décroissant, il
s'agit :
Excréments et relation à plaisanterie
- de sa propre mère;
Tout ce qui a trait aux excréments chez les Peuls en - de son përe ;
général, chez les fulBe bande en particulier, est - de l'oncle cadet paternel d'ego;
caractérisé par .la honte extrême que leur évocation - de la co-épouse de sa mère ;
suscite. Aussi toute une série de mécaniques sociales - de sa grand-mère paternelle ou maternelle;
s·o nt mises en branle et, par la force des choses, - de son épouse préférée, si aucune des personnes citées
éprouvées quotidiennement. ci-dessus ne sont présentes.
En fait deux types de comportemep.ts régissent En aucun cas il ne peut être fait appel à son frère
l'ensemble des situations. Soit la discrétion la plus aîné, à sa belle-mère; s'il n'est vraiment pas possible
totale illustrée par le dicton vu ci-dessus : Si on le de trouver quelqu'un d'autre, il peut faire appel à
stll'prend .en train de déféque!', assieds-loi dessus, ce qui son beau-père.
signifie que chacun des interlocuteurs d'une telle _S'il s'agit d'une femme, elle peut, malade ou
scène doit faire semblant d'ignorer ce que fait l'autre: .. parturiente être assistée par ordre préférentiel
l'un poursuit son chemin et l' autre sa défécation. décroissant :
Le deuxième est dominé par les systèmes de rela-
tion de plaisanterie sanaku. - par sa propre mère ;
Citons ici S. CAMARA ( 1976) définissant celle-ci - par la tante cadette de la mère maternelle;
- par la sœur cadette d'ego;
chez les Malinke : - par sa propre fille si elle est suffisamment âgée, à l'occa-
• Les sanaku en effel peuvent échanger publiquement des sion d'une maladie;
injures qui, en d'au/res circonstances, provoqueraient des querelles - par son mari, ceci étant régi pnr l'entente du couple ;
graves: â côté des plaisanteries mineures sur la laidertr, la - par une voisine amie;
claudication, les défauts moraux, la pauvreté, le 1/rème dt la - par son fils lorsqu'elle est âgée;
sexualité demeure privlli!]ié ...
... ce qui est remarquable, c'est que ces échanges ne doivent
Sont absolument proscrites
en aucun cas .provoque~ la colère chez les partenaires en - la sœur du mari;
présence ... •, p . 38. - la co-épouse.
Il n.'y a pas grand-chose à ajouter chez les fulBe Comme toujours il existe une certaine distance
bande si ce n'est que la déféca tion est également un entre la théorie et la pratique: en cas de force majeur,
thème privilégié. il peut être fait appel à une personne normalement
On y parle de sanaku entre les familles suivantes : proscrite..
- Kante ~~ Keita ;
- Ba +-~ Diallo ; Relations èntre déchets, physiologie et physiopatho-
- Keita +-~ Toure ; logie verxiaculaire
- Camara +-~ Cisse;
- Cisse +-~ Keita.
-- - .. . Rappelons tout d'abord, la très grande fréquence
De même à l'échelon individuel, il existe une rela- des parasitoses intestinales (ascaris, tamiasis, an-
fion privilégiée entre : guillules, ankylostomes ... ) , et des affections génito-
urinaires (bilharziose, infections diverses ... ), sans
- petits enfants et grands-parents; oublier les innombrables autres endémies qui sévis-
- entre cousins croisés; sent dans ces régions (onchocercose, arboviroses,
- entre amis ;
- entre c égaux •: ceci définissant simplement de3 individus
affections cosmopolites ... ), mais sans rapports directs
circonciJ la même année. Ceci correspondrait dans d'autres avec notre propos.
sociétés à la notion de classe d'àge, théoriquement inexistante Ces maladies sont tellement communes que l'on
ici en tant que telle, mais opératoire dans la pratique quoti- peut dire qu'il est plutôt exceptionnel d'en être
dienne. · indemne.
Le T;enia saginala par exemple, infeste une très répartition variable de l'affection dans la populat
forte proportion de ces cultivateurs éleveurs et selon ces critères.
consommateurs de bovins. Ceci est à première vue L'évocation de ces normes pathologiques n'enta
étonnant, lorsque l'on sait la façon dont les viandes pas à notre sens cet exposé d'un a priori eth
sont cuites : il semble en fait que l'infestation ait lieu centrique, mais permet d'éclairer certains transfo
au moment de l'abattage de la bête, lors de la répar- de normes.
tition de la viande : en effet certains morceaux, foie, Pour les fu/Be bande, les selles sont le résidu d
abats, déchets divers sont sommairement grillés et filtrage au niveau de l'estomac des aliments bro
consommés sur place. Chaque catégorie sociale et par les dents, puis évacués par les intestins. Ceu:
certaines classes d'âge ayant droit à certains mor- peuvent également être la voie par laquelle s'écoul
ceaux particuliers, il n'est pas exclu qu'il y ait une diverses humeurs excédentaires, pus, sang ...
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Dessin 6. - Figuration du lakali, :mnf'aux de lœnia sur un étron laissé à même le so l dans les hautes herbes du Buyti
Le rythme théorique de défécation est deux fois La cavité abdominale, en effet, est le siège de d·
dans la· journée : une fois le matin et une fois le soir. principes physiologiques, lakali (cf. d essin n° 6)
Buuri.
• .•. Ce qui est normal, c'est d'aller :! (ois dans la journée
Tu uas vers le malin. lakali a plusieurs sens
Tu vas vers la nuit.
S i cela (ait comme pour celle-Ci (une personne présente), une 1. l'anneau de Taenia;
(ois par jour, on dit qu'elle n'est pas en bonne santé. ~- le Taenia saginata ;
Aller toujours 3 ou 4 (ois dans la journée, ce n'est pas bon. 3. le ver-serpent intra abdominal;
... naabu reedufemporle fvenlre/, lu ne cesses pas, 6 ott 7 fois 4. diverses affections spécifiques provoquées par
dans la journée ... déplacements du ver-serp~n t.
. ,. dog~ ;eedufcourirfuentref, le ventre coule toul Je lemps ..
comme un sac de riz percé... • Ce \_ver-serpent est "décrit vivant dans la ca'
Un autre type de diarrhée waabede est dû à abdominale. Ses migrations dans le reste de l'or
-~·nisme provoquent diverses manifestations symf
l'absorption de certains a liments : par exemple .de..!!i
v iande conservée plusieurs jours en saison des pluies ·· matiques, couleurs, prurits caractéristiques. ~
ou bien des arachides fraîches croquées en grande agitation, sa piqûre, sa morsure, ses ·vomisseme1
sa miction, sont à l'origine d'autant de mala d
quantité :
De même que chez les Peul Bororo du Ne
... Quelque chose qui ne ueul pas rester dans ton ventre ... • Cameroun (Du.PIRE, 1963), certains pensent que 1
naît avec ce serpent dans le ventre. D~autres pens
t;wolo est une diarrhée dysentériforme. qu'il est acquis, mais ne savent pas commE
• ••• C.' est quand il y a du pus mbordi dans le ventre el qu'il Certains affirment que les vers gilde et lakali a
n'a pas pu sortir: il se mélange aux aliments et cela {ait du que les poissons tombent avec l'eau des. premîi
~;~oolo à l'intérieur des intestins ... • pluies (gilde est le terme générique qui désî
Cah. O.R.S. T.O.i\1!., sir. Sei. Hum., vol. XV III, n• 4, 1981- 1982: 513-530.
SELLES ET URINES CIIEZ LES FULBE BANDE DU SENEG.-I.L ORlENT!lT, 527
l'ensemble des vers ronds, effilés et mobiles, asticots, cirrhose, insuffisance rénale ... ). En fait ce terme
vers de vase, oxyures, ascaris; jalbi désigne les est employé par les Peuls du Fouta Djallon. Les
oxyures et les ascaris) : ils sont donc ingérés en même fu/Be bande préfèrent daneyel.
temps que certaines eaux de boisson. Bu uri mussu keece f Buurifmalfreins/ syndrome
L'émission d'anneaux entre ou pendant les selles douloureux dorso-lombaire spécifique (sciatiques,
matérialise l'existence du lakali. Mais leur absence manifestations douloureuses de calculs rénaux ... ).
ne signifie pas pour autant que le ver-serpent ne soit
pas présent dans J'organisme · et qu'il ne puisse se Aussi le patient observe et décrit avec la plus
manifester autrement; ainsi un traitement tœnicide grande attention les trajets des douleurs qu'il ressent.
comme la TrédéminelR) qui détruit le parasite sur Une scrutation quotidienne attentive de la qualité et
place sans émission d'anneaux ou de longs morceaux de la quantité d'excréta est nécessaire pour surveiller
surprerid. le fonctionnement de l'organisme et l'élimin ation des
On pense en effet qu'il est nécessaire pour être guéri humeurs néfastes.
d·'avoir la preuve de l'élimination de l'agent respon- Le terme fibagol est employé pour les urines et
sable. Un écoulement de pus, une émission d' anneaux pour les selles. Il implique l'action d'une personne
de Tœnia concrétisent le mal et son extériorisation malfaisante qui a<< noué >> la source des urines à l' aide
salutaire. d'une incantation corrrwol, prononsée sur une cor-
Buuri est une entité sémiologique particulière, delette de coton nouée pipol.
centrée sur J'abdomen. Littéralement ce terme Le terme générique dambagolfce qui est barré/, la
signifie froidure, humidité : dans certains cas, il est constipation englobe la miction et la défécation. Il
dit que cette froidure est venue lors des travaux est d'emploi plus vulgaire que fibagol. On préfère
d'hivernage par l'humidité du sol. utiliser ce dernier pour parler de sa maladie devant
De fait elle est le signe de l'accumulation dans le des personnes dont on a honte.
corps d'humeurs excédentaires : elle est la marque Cette affection suscite une demande de soins très
d'un dérèglement de son fonctionnement normal.· fréquente : mais son explication étiologique implique
Cette humeur est décrite comme animée d'un mo'uve- qu'elle ne peut être satisfaite par de simples lekki
ment circulaire centré sur le nombril : certains syn- lindinaaki/remèdefindiqué/ remède commun connu
dromes douloureux abdominaux sont attribués à de tous. Pourtant, la seule consommation de fruits de
cette rotation. Mais une partie du flux, animé d'un tamariniers, d'emploi alimentaire courant dans la
mouvement centrifuge cherche à s'extérioriser : son région, suffit, sous quelque forme que ce soit, cru,
élimination se fait normalement par les voies natu- macéré, cuit, à soulager la plupart des constipations.
relles. Par l'intestin, il produit des diarrhées dysenté- Lorsque nous les conseillons, nous provoquons
riformes, r:roolo; par les voies urinaires, il provoque un toujours un étonnement amusé, voire une incrédulité
syndrome urinaire spécifique marqué par des dou- devant cette prescription à la fois si familière et. si
leurs per et post mictionnelles et par l'émission étrange.
d'urines troubles ou rouges~ par les voies génitales
De même, les fulBe bande font une distinction
il s'écoule sous forme de règles douloureuses; par la fondamentale entre dambagolfbarréf et yor·ro reedu f
bouche sous forme de vomiss~ments.
sec/ ventre/ qui n'est pas considéré vraiment comme
Lorsque les orifices naturèls ne suffisent pas à une maladie mais un désagrément.
évacuer ces humeurs excédentaires, elles cherchent à
s'échapper dans toutes les directions par le haut, par L'eau de boisson remplit directement la vessie coffe
le bas, derrière... Certains affirment que certains
leedefgo,urdefurinef d'urine.
Buuri sont contagieux : nyaw rabayngufmaladief
contagieuse/. Il n'e~t pas fixé de rythme particulier d'excrétion .
Bu uri ayaaref Buurifdescendant/affection abdo- Les v~ies urinaires sont un des passages par
minale spécifique (hernie inguinale, épididymite, lesquels peuvent s'écouler des humeurs excédentaires
hydrocèle vaginale ... ). · ---. et''li"6fastes.
Buuri ulde affection abdominale spécifique (gas- Si les urines sont t eintées de rouge, ou s'il y a
trites, colites ... ). émission de sang, il s'agit de Buuri lonke et de plus
la miction est généralement douloureuse. Il est dit
Buuri kungi, syndrome douloureux spécifique que si Buuri lonke perdure « •.. curol coofe (/source/
des femmes. urines/), va être gâté el c'est du pus qui va s.' écouler ... •>.
Buuri jupindif Buurifversant/affection spécifique Cette maladie avec écoulement de pus et miction très
(prolapsus rectal, vaginal...). pénible est appelée sodpis, la chaude pisse.
Bu uri jakuf Buurifcroquéfaffection spécifique (di- Comme pour les selles, il peut y avoir blocage de
verses affections avec œdèmes etfou ascite, l'écoulement
Cah. O.R .S.T.O.iV!., sér. Sei. Hum., vol. XV 1 II, n• 4, 1981-1982: .515-530.
528 A. EPELBOIN
Cah. O.R.S.T.O.M., sér. Sei. Hum., vol. XVIII, n• 4, 1981- 1982: 515-530.
SELLES ET UR I NES CHEZ LES FUJ.JJJ!: B1iNDE DU SJ!:N E:G.11. OR!ENL\T,
S i lu as une b•Juilloire, lu yratlcs le cime11l uucc. appelé constipation pouvait consister dans ses fol'mes
r.nmme lu prentls la bouillnire auec tni, qun111i lu pars, on le voit
mineures en une selle par jour. Inversement, plus de
partir. 3 selles par jour étaient un seuil pathologique à nos
Beaucoup le remarquent.
yeux, alors qu' il était une norme quasi physiologique
Personne ne ua partir auanl que lu ne sois r evenu .
A pari cela tu ne uas pas signaler que lu pars là-has ...
pour nombre de nos hôtes.
Depuis 1980, des Volontaires du Progrès français
Parmi ceux qui refusai ent a u début, certains disnient que c'est
habitude de {onclionnai re ... • ont entrepris un programme de développement
comprenant notamment l'installation d'une pharma-
Samba Wuri Diallo, le narrateur a été le premier cie villageoise, la formation d'un animateur de santé
à creuser des latrines, sur l'instigation de ses frères, rurale et un programme de lutte contre le péril fécal.
1 intellectuels, émigrés à Dakar. Celui-ci prévoit la généralisation de latrines dans
i Il les construisit, non pas dans le Buylil·de où il J'ensemble du village : les villageois ont à fournir la
1
n'était pas possible de creuser du fait de la nature force de travail pour creuser la fosse et une partici-
! rocheuse du sol, -m ais sur Je chemin qui y menait. pation financière modique représentant une faible
_ Elles sont utilisées par les habitants des maisons parti e du coût du ciment et des fers de la dalle.
1 avoisinantes qui avaient jusque-là l'habitude d'uti- Ainsi un grand nombre de latrines ont été construi-
liser le Buyli,-de correspondant. Son introduction tes à côté des maisons sans tenir compte des compor-
.l suscita des changements d'habitudes que Samba Wuri tements coutumiers. En particulier, il n'a pas été
nous décrit minutieusement. Il fallut changer de code envisagé de les placer systématiquement dans les
de surveillance de façon à éviter d' être surpris dans différents Buylirde existants, ou sur le bord des
1 une position humiliante; il fut également nécessaire chemins qui y mènent. Il ne s'agit pas là du regret
1 d'éduquer les jeunes enfants, mais aussi les adultes : passéiste d'un ethnologue en mal de folklore :
et ceci fut le fait des propriétaires de latrines. l'installation de cabinets dans le village même
Les r aisons de leur succès tiennent principalement améliore- très sensiblement le confort quotidien.
à la tranquillité de l'endroit par rapport aux aires-- · Mais il est peu probable qu'il joue le rôle que ses
classiques : on peut s'y rendre la nuit sans problème auteurs ont voulu lui prêter en matière d'assainisse-
par un chemin bien tracé ; il n'est pas besoin de ment du milieu (Banque mondiale, 1980). En effet
s'enfoncer dans les herbes ou dans l'ombre des les aires de défécation excentrées par rapport au
buissons. Elles sont suffisamment éloignées des mai- village continuent d' être utilisées : il paraît douteux
sons pour que l'on ne soit pas gêné par l'émission des que les gens défèqu ent en plein jour dans des latrines
pets sonores : elles sont assez proches pour que leur médiocrement isolées des regards d'autrui : de plus
usage soit un progrès réel par rapport au Buylii'Cle. leur proximité, facteu r de confort, est aussi un handi-
Elles restent situées dans la direction des aires de cap car elle n'empèche pas la propagation de bruits
défécation, ce ql}i ne provoque pas de changement gênants jusqu'aux oreilles des voisins.
d'habitude -trop brutal. Il ne parait pas a priori exclu que l'on puisse
Ceci n'empêche pas que dans la journée, lorsque emprunter les latrines d'autrui lorsqu e l'on se trouve
l'on se trouve éloigné à l'autre bout du village, ou éloigné de sa propre maison ; mais il s'agit là d'une
lorsque l'on travaille aux champs, on utilise les aires éventualité peu probable lorsqu'il s'agit des latrines
de défécation traditionnelles.' d'un mawdofgrandf, d'une personne que l'on respecte,
d'une belle-mère potentielle ...
En saison des pluies, il est certain, compte tenu de
Normes de défécation et éducation sanitaire la dist ance des champs aux habitations, qu'elles ne
seront ·~gaiement que peu utilisées et a fortiori en cas
La. prise èn considération des normes vernaculaires de diarrhées, donc de besoin urgent.
est le premier pas d'un dialogue indispensable à la Enfin e,t ceci ne nous paraît pas Je problème le plus
mise en place de n' importe quel programme d'édu- facile à ré'g ler : ces latrines grèvent l'avenir hydrique
cation sanitaire : celui-ci doit débuter par une écoute du village : Ibel compte déjà une demi-douzaine de
puis par l'établissement d'une communication véri~ ··-. puits, médiocres pour 4 d'entre eux puisque quasi
table qui permette un ajustement des discours entre taris en fin de saison sèche.
les interlocuteurs. Un programme d'éducation sanitaire doit com-
Jusqu'à ce que nous ayons réalisé cette enquête prendre une amélioration de l'hygiène et celle-ci passe
scatologique, lorsque nous demandions à nos patients par une meilleure disponibilité en eau. Plus nombreux
s'ils avaient la diarrhée, nous sous-entendions nos et proches des habitations seront les puits, plus
propres normes. En les écoutant, nous avons décou- grandes seront les c.hances qu'un tel programme
vert qu 'il était anormal de ne pas aller à la selle au puisse se réaliser. Or, là où ces latrines ont été creu-
moins deux fois par jour, alors que dans notre esprit sées, il est logique de penser qu'il y a risque de
cela devait avoir lieu plutôt une fois : que ce qui était pollution de la nappe phréatique superficielle. Il ne
Cali. O.R.S. T.O. ii-f., sér. Sei. Hum., uot . X V Ill, n• 4, 1981-1982: .515-530.
530 A. EPELI30JN
sera donc pas possible d'envisager une augmentation le devin-regardeur ndaarowo. Il peut s'agir alors
massive du nombre de puits artisanaux : il faudra maladie nyaw jinne, maladie provoquée p
avoir recours à des forages profonds d'une efficacité Djinn ou plus souvent d'une nyaw bomBe, rn
certes très largement supérieure, mais d'un coût provoquée par les malfaisants : ce n'est alor
inabordable pour ces cultivateurs pauvres. l'ordre individuel qui est en cause mais l'ordre
société. La m aladie n'est plus seulement un pro
biologique, elle est aussi un événement soci:
Conclusion atteint le groupe.
L'excrément fait apparaître à son observateur la • . .. La saltli es/ une offense contre l'ordre. En l'élit
nous n'accomplissons pas un gfrle négatif; au contra il
qualité du fonctionnement de son corps.
nous efforçons positivement d'organiser nntre m i
. Ce faisant, il est un indicateur précieux du mouve- M. DouoL... s, 1971, p. 24.
ment interne des humeurs dans l'organisme qu e le
pulo bande suit par leurs projections douloureuses sur L'aire de défécation située sur la frontière el
l'enveloppe externe du corps et par la scrutation des village et la brousse est aussi le lieu d'expulsion c
matières liquides et solides éliminées par les diffé-. fuge des déchets du monde des hommes vers le r
rentes voies naturelles. inv isible des esprits.
Cette. observation quotidienne ou pluriquotidienne Le Buylirde n'est p as simplement une zone in
permet de diagnostiquer un trouble lié au dysfonc- Il est le lieu où sont laissés à la surface du so
tionnement corporel : s'il n'évolue pas spontanément lumière du soleil, les déchets résultant du foncli
et favorablement, s'il persiste ou s'il s'aggrave il ment pu du dysfonctionnemént non seuleme
n'appartient plus à la catégorie des maladies natu- l'individu mais aussi du corps social dan:
. relies nyaw alla /maladie/Dieu. Il passe alors dans ensemble.
celle des maladies provoquées par une interventipn
extérieure à l' individu; la cause de l'affection est alors .V !anuscril reçu au Service des Éditions de I'O.R.S. l
diagnostiquée par une tierce personne, généralement le 21 décem brt
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