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Nouveau nouvel âge

New New Age

105

Arts +
Opinions
Direction Coordonnées Mandat Abonnement
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Sylvette Babin Esse arts + opinions La revue Esse arts + opinions s’intéresse
C. P. 47549, activement à l’art actuel et aux pratiques Canada & U.S.A.
Comité de rédaction comptoir Plateau Mont-Royal multidisciplinaires. Elle porte un regard
— Editorial Board Montréal (Québec) approfondi sur des œuvres d’actualité et 1 an, 3 numéros imprimés
Anne-Marie Dubois, Noémie Canada H2H 2S8 sur diverses problématiques artistiques — 1 year, 3 printed issues
Fortin, Benoit Jodoin, Amelia T. 514 521-8597 en publiant des essais qui abordent Individu — Individual 35 $ CA / 35 $ US
Wong-Mersereau, Sylvette Babin Courriel : revue@esse.ca l’art en relation avec les différents Étudiant — Student 30 $ CA / 30 $ US
Site web : esse.ca contextes dans lesquels il s’inscrit. OBNL — NPO 40 $ CA
Correspondant·e Esse se démarque également par son Institution 55 $ CA / 55 $ US
— Correspondents Distribution engagement à tisser des liens entre
Paris : Nathalie Desmet Canada & U.S.A. : Disticor Magazine la pratique artistique et son analyse. 1 an, 3 numéros numériques
U.S.A. : Giovanni Aloi Distribution Services Fondée en 1984, la revue est publiée — 1 year, 3 digital issues
France : Dif’Pop & POLLEN Diffusion 3 fois l’an (septembre, janvier et mai). Individu — Individual 25 $ CA / 19 $ US
Conseil d’administration Belgique, Espagne, Grande-Bretagne, — Esse arts + opinions magazine
— Board of Directors Grèce, Italie, Maroc, Pays-Bas, Portugal, focuses on contemporary art and 2 ans, 6 numéros imprimés
Bastien Gilbert (prés.) Singapour & Taiwan : New Export Press multidisciplinary practices. It offers — 2 years, 6 printed issues
Sylvette Babin (trés.) Envoi de publication in-depth analyses of current artworks Individu — Individual 60 $ CA / 60 $ US
Mériem Bennamour (admin.) — Publications Mail Registration : and artistic and social issues by Étudiant — Student 50 $ CA / 50 $ US
Karine Anaïs Dupras (admin.) Enregistrement n° 40048874 publishing essays that deal with art OBNL — NPO 70 $ CA
Annie Gérin (admin.) and its interconnections within various Institution 90 $ CA / 90 $ US
Claire Payette (admin.) Dépôt légal contexts. The magazine also stands
— Legal Deposit out for its commitment to creating 2 ans, 6 numéros numériques
Coordination de production Bibliothèque nationale du Québec links between art practice and theory. — 2 years, 6 digital issues
— Production Manager Bibliothèque nationale du Canada Founded in 1984, the magazine is Individu — Individual 40 $ CA / 30 $ US
Anne-Marie Dubois ISSN 0831-859x (imprimé — print) published 3 times per year (September,
ISSN 1929-3577 (numérique — digital) January, and May). International
Administration ISBN 978-2-924345-46-7
Joël Gauthier (imprimé — print) Politique éditoriale 1 an, 3 numéros imprimés
ISBN 978-2-924345-47-4 — Editorial Policy — 1 year, 3 printed issues
Marketing et publicité (numérique — digital) Les auteur·e·s sont invité·e·s à Individu — Individual 34 €
— Marketing and Advertising proposer des textes de 1000 à Étudiant — Student 30 €
Jeanne Bergeron Brassard Indexation 2000 mots les 10 janvier, 1er avril et Institution 50 €
— Indexing 1er septembre de chaque année. Les
Communications Esse est indexée dans Academic OneFile, documents doivent être envoyés 1 an, 3 numéros numériques
Marnie Guglielmi-Vitullo ARTbibliographies Modern, Arts & par courriel en format Word ou rtf à — 1 year, 3 digital issues
Humanities Full Text, Canadian Business & redaction@esse.ca. Chaque texte est Individu — Individual 17 €
Adjointe aux archives numériques Current Affairs, Canadian Periodical Index soumis au comité de rédaction, qui
— Digital Archives Assistant Quarterly, Fine Arts and Music Collection, se réserve le droit de l’accepter ou 2 ans, 6 numéros imprimés
Julia Boileau General OneFile, International Scientific de le refuser. Nous demandons aux — 2 years, 6 printed issues
Indexing, Repère et diffusée sur la auteur·e·s de joindre leurs coordonnées Individu — Individual 54 €
Abonnements plateforme Érudit et sur Flipster – Digital (adresse postale, téléphone et adresse Étudiant — Student 47 €
— Subscriptions Magazines d’Ebsco Publishing. électronique) ainsi qu’une notice Institution 84 €
abonnement@esse.ca — Indexed in Academic OneFile, biographique et un résumé de leur texte.
ARTbibliographies Modern, Arts & 2 ans, 6 numéros numériques
Conception graphique Humanities Full Text, Canadian Business Prenez note que les Éditions Esse — 2 years, 6 digital issues
— Graphic Design & Current Affairs, Canadian Periodical utilisent la nouvelle orthographe. Individu — Individual 27 €
Feed Index Quarterly, Fine Arts and Music
Collection, General OneFile, International — Writers are invited to submit essays
Infographie Scientific Indexing, Repère, and available ranging from 1,000 to 2,000 words. The TPS 123931503RT
— Computer Graphics on Érudit Platform and Flipster – Digital deadlines are January 10, April 1, and TVQ 1006479029TQ0001
Anne-Marie Dubois, Feed Magazines by Ebsco Publishing. September 1. Texts must be emailed in
Word format or RTF format to redaction@ Avantages aux abonné.e.s
Révision linguistique Associations esse.ca. All texts are submitted to the — Subscriber benefits
— Copy Editing Esse est membre de la Société de Editorial Board, who have the right to 15 % de rabais
Sophie Chisogne, Joanie Demers, développement des périodiques accept or refuse them. Writers should - sur la carte de membre du Musée d’art
Pauline Morier, Käthe Roth, culturels québécois (www.sodep.qc.ca) et include their postal address, telephone de Joliette
Jack Stanley de Magazines Canada numbers, and email address, as well as - sur les billets à tarif régulier au Théâtre
(www.magazinescanada.ca). a short biography and an abstract of Prospero
Correction d’épreuves — Esse is a member of the Société their text. - sur les livres des Éditions Esse
— Proofreading de développement des périodiques
Céline Arcand, Jack Stanley culturels québécois (www.sodep.qc.ca) Esse remercie ses partenaires 15% discount
and of Magazines Canada — Esse thanks its partners - on memberships at Musée d’art de
Traduction (www.magazinescanada.ca). Joliette
— Translation - on regular tickets at Théâtre Prospero
Louise Ashcroft, Oana Avasilichioaei, - on Éditions Esse’s books
Catherine Barnabé, Nathalie de Blois, Suivez-nous sur les médias sociaux.
Sophie Chisogne, Luba Markovskaia, — Follow us on social media.
Ron D. Ross Rendez-vous sur notre site web pour
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Imprimerie HLN inc.
revueesse

Couverture
— Cover
Tabita Rezaire — Ultra Wet−
Recapitulation (détail | detail), 2018.
Photo : permission de | courtesy of the artist &
Goodman Gallery, Johannesbourg
Encan-bénéfice
Nouveau
Esse 105
Benefit auction
10-20 novembre 2022
nouvel âge November 10-20 2022
Édito
New 6 De quel avenir l’hirondelle
est-elle l’oracle ?

New Age — What Future Does


the Swallow Portend?
Sylvette Babin

Dossier
— Feature
10 Des cycles mouvementés
Entretien avec Chrysanne Stathacos
— Hectic cycles

VENDU
A conversation with Chrysanne Stathacos
Xenia Benivolski

18 Drawing Down the Moon


— Décrocher la lune
Gwynne Fulton

26 New Symbologies:
Symbols and Spirits in Works
by Julian Yi-Zhong Hou and Zadie Xa Portfolio
— Nouvelles symboliques :
symboles et esprits dans les œuvres

SOLD
de Julian Yi-Zhong Hou et de Zadie Xa 66 Betye Saar
Jayne Wilkinson Giovanni Aloi

34 Mine, Mine, Mine, 70 Bianca Bondi


Heal, Heal, Heal Yan Céh
— Exploiter, exploiter, exploiter,
guérir, guérir, guérir 74 Shanie Tomassini
Kate Whiteway Daniel Fiset

42 Creative Conjuring, Ritual, and Place: 78 GaHee Park


Amanda Amour-Lynx’s Skite’kmujuawti Anaïs Castro
in Conversation with the Works of James
Gardner, Alana Bartol, and Jamie Ross 82 Christina Battle
— Invocations créatives, rituel et lieu : Didier Morelli
conversation entre Skite’kmujuawti
d’Amanda Amour-Lynx et les œuvres 86 Maggie Groat
de James Gardner, d’Alana Bartol Noémie Fortin
et de Jamie Ross
Chris Gismondi

52 Occulte indécidable et correspondances


en art actuel
— Correspondences and the Undecidable
Occult in Contemporary Art
Fanny Curtat

60 Fabrice Samyn : où la matérialité mystique


rencontre les projections subconscientes
Comité de sélection— Fabrice Samyn:
Information
Where Mystic Materiality
encan.esse.ca
Selection committee Meets Subconscious Projections
Sylvette Babin Sûrya Buis encan@esse.ca
Mojeanne Behzadi 514 521-8597
Julie Bélisle
Manel Benchabane
Anne Roger
Chroniques
90 Dans l’atelier de Kuh Del Rosario
Maude Johnson

94 Tête à tête with David Elliott


Nicolas Grenier

Comptes rendus
— Reviews

Arts visuels
— Visual Arts

100 Maude Arès & Massimo Guerrera 114 Matt Shane


Galerie B-312, Montréal McBride Contemporain, Montréal
Julie Faubert Tracy Valcourt

102 Katie Lyle & Ella Dawn McGeough 116 Élise Lafontaine
Support Gallery, London Projet Pangée, Montréal
Kim Neudorf Laure Neria

104 Anne Le Troter 118 Robert Houle


Bétonsalon, centre d’art Art Gallery of Ontario, Toronto
et de recherche, Paris Adam Lauder
Nathalie Desmet

106 Émylie Bernard Publications


Galerie de l’UQAM, Montréal
Benoit Jodoin
119 Colis Lehmann/Valade
107 Daniel Lie Musée ambulant, Québec
New Museum, New York Sophie Drouin
Giovanni Aloi
120 Postcolonial/Décolonial. La preuve
108 Undeliverable par l’art
Tangled Art + Disability, Toronto Presses universitaires du Midi,
The Robert McLaughlin Gallery, Toulouse
Oshawa Benoit Jodoin
Jennifer O’Connor
121 Second Site
110 Katherine Boyer Princeton University Press,
Art Gallery of Regina Princeton
Tak Pham Emily Cadotte

111 Nations by Artists


Art Museum at the University
of Toronto
Noa Bronstein

112 Béchard Hudon


Salle Alfred Pellan de la Maison
des arts de Laval
Dominique Sirois-Rouleau
Betye Saar
Handful of Stars, 2016.
113 Michelle Sound Photo : Robert Wedemeyer, permission de |
daphne, Tiohtià:ke courtesy of the artist & Roberts Projects,
Didier Morelli Los Angeles
Contributeurs et contributrices
Contributors
Giovanni Aloi Fanny Curtat Chris J. Gismondi Kim Neudorf
Editor of Antennae: The Journal of Nature Dans le prolongement d’une maitrise A queer white settler from Artist and writer Kim Neudorf is based
in Visual Culture and the University of en histoire de l’art portant sur les Nanzuhzaugewazog, Dish with One in London, Ontario. In their writing
Minnesota Press series Art after Nature, liens entre judéo-christianisme et art Spoon, Head of the Lake Treaty no. 14 and paintings, they seek to undo easy
Giovanni Aloi’s research focuses on the contemporain, Fanny Curtat poursuit (1806), Michi Saagiig Nishnaabeg terri- legibility to honour more complicated
Anthropocene and new conceptions actuellement ses recherches dans le tory, Chris J. Gismondi is a tarot reader modes of existence. Recent work has
of nature in art. His books include cadre d’un doctorat se concentrant sur and green witch, art historian, advisory appeared at Embassy Cultural House,
Why Look at Plants? and Lucian Freud la présence et la perception de l’oc- board member to the Institute for the Support project space, and DNA
Herbarium. culte, sous diverses formes, dans l’art Study of Canadian Slavery, and doc- Gallery in London, Ontario, and at Paul
actuel. toral candidate at McGill University and Petro and Franz Kaka in Toronto.
Xenia Benivolski the University of New Brunswick.
A writer and curator working in Toronto
Nathalie Desmet Jennifer O’Connor
and Moscow, Xenia Benivolski most Maitresse de conférences en théorie et
Nicolas Grenier A writer and artist who is currently
recently curated an exhibition of works pratique de l’art contemporain à l’Uni- Titulaire d'une maitrise en art du pursuing a PhD in social and political
by Zanis Waldheims and a lecture versité Paris 8 Vincennes–Saint-Denis, California Institute of the Arts, Nicolas thought at York University, Jennifer
series with Slavs and Tatars. Her writ- Nathalie Desmet mène ses travaux de Grenier est un artiste multidisciplinaire O’Connor explores feminist theory,
ing appears in peer-reviewed journals recherche sur le curatorial, au sens dont le travail aborde le thème de la queer politics, aesthetics, health
and art publications such as e-flux, élargi du terme, et s’intéresse aux transformation de l’ordre social, dans humanities, and ecology in her
Infrasonica, C Magazine, and Art-Agenda. dimensions pragmatique, théorique et une approche spéculative qui combine research and her practice.
idéologique de l’exposition. Elle est par les dimensions poétique et didactique.
Noa Bronstein ailleurs critique d’art et commissaire Tak Pham
d’exposition. Benoit Jodoin
A writer and curator based in Toronto, Assistant Curator at the MacKenzie Art
Noa Bronstein’s practice often focuses Doctorant en histoire de l’art à l’Univer- Gallery in Regina, treaty 4 Territory, Tak
on the social production of space and
Sophie Drouin sité du Québec à Montréal et à l’École Pham holds a BA (Hons.) in History and
how artists disrupt and subvert sys- Doctorante à l’Université de des hautes études en sciences sociales Theory of Architecture from Carleton
tems including those registering across Sherbrooke, Sophie Drouin rédige (Paris), Benoit Jodoin s’intéresse à la University (Ottawa) and an MFA in
social, political, and economic struc- présentement une thèse sur le métier présence des mots dans l’art, aux lec- Criticism and Curatorial Practices from
tures. Bronstein is currently Executive d’illustrateur au Québec. Elle a codirigé tures des artistes, aux rapports entre OCAD University (Toronto).
Director of Gallery TPW (Toronto). l’ouvrage Le livre comme art : Matérialité art et savoir, à la recherche-création et
et sens, paru en 2013. Elle collabore de aux pratiques paracuratoriales. Dominique Sirois-Rouleau
Sûrya Buis façon sporadique aux webzines Spirale
Titulaire d’un doctorat en histoire
et Esse arts + opinions, ainsi qu’aux Maude Johnson
Le projet professionnel de Sûrya Buis de l’art, Dominique Sirois-Rouleau
Cahiers de la Société bibliographique du
est construit autour de l’art et des L’autrice et commissaire indépendante est commissaire, critique et chargée
Canada.
sciences sociales. Après une licence Maude Johnson agit comme adjointe de cours. Elle est aussi responsable
en psychologie, elle se dirige vers un à la direction et au commissariat pour du Hub Culture + Savoir, où elle se
parcours de commissaire d’exposition.
Julie Faubert Momenta Biennale de l’image. Dans consacre au maillage des milieux uni-
L’interculturalité, la littérature et la phi- Titulaire d’un doctorat en aménage- le cadre de ses travaux de recherche, versitaire et culturel. Ses travaux de
losophie nourrissent ses écrits et son ment de l’Université de Montréal, Julie elle s’intéresse aux pratiques perfor- recherche portent sur l’activité spec-
inspiration artistique. Faubert est artiste et professeure à matives, critiques et commissariales et tatorielle et la notion d’objet dans les
l’École d’art de l’Université Laval, à sonde les méthodologies, les procédés pratiques artistiques actuelles.
Emily Cadotte Québec. Sa thèse porte sur les enjeux et les langages au sein de démarches
Currently teaching at OCAD University
esthétiques, éthiques et politiques de multidisciplinaires. Tracy Valcourt
l’expérience de l’écoute dans la ville.
(Toronto), Emily Cadotte has worked An author who lives in Montréal, Tracy
as an arts administrator at C Magazine,
Adam Lauder Valcourt recently completed her PhD in
Blackwood Gallery (U of T Mississauga),
Daniel Fiset With a PhD from the University of humanities at Concordia University.
and the Thames Art Gallery (Chatham- Travailleur culturel établi à Tiohtiá:ke- Toronto earned in 2016, Adam Lauder
Kent). She has presented at confer- Montréal, Daniel Fiset s’intéresse aux has taught courses on Canadian art at Kate Whiteway
ences at OCAD University and the rapports entre pratiques artistiques OCAD University and the University of
Independent curator Kate Whiteway
UAAC/AAUC, and published in Esse et pratiques pédagogiques. Il est titu- Toronto. In 2018, he organized an exhi-
holds a master’s degree in curatorial
arts + opinions, Canadian Artt, and laire d’un doctorat en histoire de l’art bition of Rita Letendre’s public art at
studies from the University of Toronto
SDUK. de l’Université de Montréal et occupe YYZ Artists’ Outlet.
and is the recipient of the 2018 Reesa
actuellement le poste de commissaire
Greenberg Curatorial Studies Award
Anaïs Castro adjoint à l’engagement à la Didier Morelli and the 2020 C Magazine New Critics
Fondation PHI.
Curator of exhibitions and projects in A performance artist and art historian, Award. She is currently thinking about
North America, Europe, and Asia, Anaïs critic, and curator, Didier Morelli holds “outsider art” and developing several
Castro is a founding member of the
Noémie Fortin a PhD in Performance Studies from exhibition and publication projects.
curatorial collective The Department of Candidate à la maitrise en histoire de Northwestern University, Chicago.
Love and an editorial member of Daily l’art, Noémie Fortin est également Associate Editor at Espace art actuel, Jayne Wilkinson
Lazy. She publishes regularly with Esse autrice, commissaire indépendante et his writing has been published in Art
An editor and independent curator,
arts + opinions, Espace art actuel, and this travailleuse culturelle. Elle concentre Journal, Canadian Theatre Review,
Jayne Wilkinson holds an MA in Art
is tomorrow. ses recherches sur des projets artis- C Magazine, Border Crossings, Esse
History and Critical Theory from the
tiques aux considérations écologiques arts + opinions, Frieze, Performa
University of British Columbia. Her
Yan Céh ancrés en milieu rural. Ses écrits ont Magazine, Spirale, and TDR: The Drama
writing has appeared in Artforum, C
notamment été publiés dans Vie des arts, Review, among others.
Yan Céh écrit dans la presse française Magazine, Momus, Esse arts + opinions,
Inter et Ciel variable.
et internationale. Dans le domaine Inuit Art Quarterly, and other journals.
de l’art, il s’est entretenu avec Nan
Laure Neria
Goldin, Cindy Sherman, Ed Ruscha,
Gwynne Fulton Autrice et réalisatrice sonore, Laure
Dan Graham ou encore David Lynch. An image theorist and indepen- Neria est diplômée en littérature et en
Il publie également des poèmes sur dent curator based in Tio’tia:ke/ culture numérique. Après plusieurs
Instagram sous son nom de plume : Montréal, Gwynne Fulton holds a textes et poèmes publiés dans des
Cehnotaphes. PhD in Philosophy and Art History revues d’art, elle a écrit deux romans
from Concordia University. She is a et un récit de la transition écolo-
contributor at Slought Foundation in gique de Montréal. En parallèle, elle Maggie Groat
Philadelphia. Her writing has appeared travaille comme rédactrice web pour for 13 minutes in a garden, 2021.
in Esse arts + opinions, Mosaic, In/Visible Radio-Canada.
Photo : permission de l’artiste | courtesy of
Culture, and Dazibao editions.
the artist
Esse

De quel avenir
« Les mots font de la magie. Ils
changent le tissu du monde. Si une
chose est dite, elle est déjà en train

l’hirondelle
de contaminer le réel, ou du moins
les esprits. Rappelons-nous ce que
les paroles ont d’incantatoire et de
performatif, admettons leur pouvoir. Il

est-elle
nous arrive de prendre le temps de dire
les choses telles que nous le voulons,
comme des sortilèges. En parlant de

l’oracle?
politique, en parlant de révolte et de
sacré, nous prenons notre place dans la
descendance des sorcières1. »

« Cela ne signifie pas que le mot [magie]


soit absolument nécessaire. De même,
ce qui est nommé déesse ne demande
Sylvette Babin
pas une reconnaissance et un culte. La
question n’est pas d’adhérer mais de
sentir. […] Et oser nommer déesse ce qui
oblige à penser au présent, à résister
à “la mise à distance”, c’est aussi faire
sentir à quel point ce présent, cette
résistance peuvent mettre en cause
nos habitudes, nos certitudes les mieux
ancrées. Peut-être n’en fallait-il pas
moins pour faire tenir l’agencement
qui articule magie, politique et
empowerment2. »

« La spiritualité fondée sur le rapport


à la terre consiste à placer nos valeurs
les plus fortes dans le monde vivant lui-
même, dans les systèmes interconnectés
qui rendent nos vies vivables3. »

6 — Édito
Esse

L’humanité cherche depuis toujours à comprendre raffiné et spirituel des cristaux de guérison est en effet
sa place dans l’univers. Elle a fait appel au divin, aux le fruit de relations violentes et abusives envers la main-
astres et à la nature animale, végétale et minérale pour d’œuvre et le territoire ».
interpréter le monde ou anticiper le futur; elle a créé Pour faire contrepoids au côté obscur d’un nouvel
des symboles pour traduire en images et en mots ses âge superficiel et consumériste, les artistes, autrices et
intuitions et ses découvertes. Et bien que la science ait auteurs de ce dossier s’intéressent surtout à ce qu’il y
largement discrédité les croyances envers le spirituel et a de lumineux et de performatif dans cette philosophie
le surnaturel, nous assistons depuis quelques années à et ses rituels. Ce sont, dans plusieurs cas, des œuvres
un retour marquant de l’occulte dans la culture populaire, motivées par une approche holistique et bienveillante,
retour qui peut s’expliquer par une réaction directe à et par un désir de justice sociale et écologique. Ce qui
l’état d’extrême anxiété provoqué par les bouleverse- nous incite à parler d’un « nouveau » nouvel âge tient
ments climatiques, les crises sanitaires et les conflits peut-être dans une volonté de se distinguer de l’indivi-
internationaux. Le milieu artistique répond aussi de dualisme thérapeutique mentionné précédemment tout
façon sensible à cet état d’esprit et laisse aujourd’hui en renouvelant les formes d’activisme que le mouvement
entrevoir une sorte de tournant occulte de l’art. Cela s’est portait déjà en lui ; un mouvement collectif où les êtres
manifesté d’abord par un intérêt renouvelé pour des humains ont un rôle actif à jouer dans l’avènement d’une
œuvres longtemps laissées en marge de l’histoire de nouvelle ère. Souhaitons que les militant·e·s ne restent
l’art, puis par une réappropriation de l’ésotérisme par une pas confiné·e·s dans les cercles de prière ou les rituels
nouvelle génération d’artistes, tant dans leur vie quoti- symboliques, mais que leur voix porte de façon plus
dienne que dans leur pratique. concrète jusqu’aux sphères économiques et géopoli-
Délaissons d’emblée un excès de scepticisme ou tiques, jusqu’aux actuels décideurs (l’usage du masculin
toute forme de jugement qui pourrait faire entrave à une est volontaire, ici) qui s’investissent encore du pouvoir
lecture ouverte et curieuse de ces pratiques, pour nous de posséder et de détruire.
attarder à ce qui les motive et à la manière dont elles se Quant aux forces occultes et à la magie que le nou-
manifestent dans l’art. Nous constaterons une puissante vel âge invoque, à chacun·e d’y croire ou non. Mais
volonté de réenchanter le monde, de reconnaitre l’agen- qu’on l’entende comme une parole divine ou magique,
tivité de la matière et de militer contre la destruction de ou comme le langage logique de la biologie, la nature
la Terre et du vivant – mais aussi contre la destruction nous parle de notre destinée. Ainsi de l’hirondelle qui,
de la capacité de penser, un effet de ce que les philo- symbole de fécondité chez les Celtes ou de l’arrivée du
sophes Isabelle Stengers et Philippe Pignarre nomment printemps depuis l’Antiquité, est en voie de disparaitre
la sorcellerie capitaliste. Dans leur livre du même titre, en raison de l’agriculture intensive et de l’utilisation des
elle et il suggèrent que «[l]es sorcières néopaïennes ont pesticides. Le silence de l’hirondelle est un mauvais pré-
appris que la technique, ou l’art, le craft qu’elles nom- sage que nous devons urgemment conjurer. •
ment magie n’est pas d’abord ce qu’il s’agit de retrouver,
au sens de secret authentique. C’est ce qu’il s’agit de
reclaim, de réactiver4 ». Ce reclaim – tour à tour employé
dans le sens de guérir, de se réapproprier, de réap- 1 — Marie-Anne Casselot, Valérie Lefebvre-
prendre et de lutter –, s’il n’apparait pas explicitement Faucher et coll., Faire partie du monde.
Réflexions écoféministes, Les éditions du
dans le dossier Nouveau nouvel âge, se dissimule en remue-ménage, 2017, p. 17.
filigrane derrière chaque texte, comme une sorte d’in-
cantation silencieuse. 2 — Isabelle Stengers, « Un autre visage de
Au cœur de ces démarches, la figure de la sorcière l’Amérique ? », postface au livre de Starhawk,
Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique,
fait un retour en force. Reprise par les mouvements Cambourakis, 2015, p. 365-366.
féministes et écoféministes, elle symbolise l’empouvoi-
rement des femmes au sein de la société patriarcale et 3 — Starhawk, op cit., p. 354.
néolibérale. Cette nouvelle génération de sorcières allie
4 — Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, La
art, science, technologie et magie pour réinventer des
sorcellerie capitaliste. Pratiques de désenvoû-
rituels qui visent tantôt à renouer avec le sacré, tantôt tement, Paris, La Découverte, 2007, p. 240.
« à dénouer l’alliance historique entre technoscience
et patriarcat, qui continue à façonner les structures 5 — Lire à ce sujet Anna Berrard et sa critique
virulente du galvaudage et de l’appropriation
mondiales du pouvoir » (Gwynne Fulton). Tout en reven-
de la figure de la sorcière : « L’écoféminisme
diquant haut et fort cette prise de pouvoir, rappelons aux abois. Marchandisation, manipulation et
tout de même que le mot « sorcière » est porteur d’une récupération d’un mouvement radical », Revue
lourde histoire d’ostracisation des femmes et des mino- du crieur, nº 18, (janvier 2021), p. 130-147.

rités et qu’il convient de l’utiliser avec précaution5. Chris


Gismondi, par exemple, souligne que «les discours
majoritairement blancs et eurocentriques de la magie
et de la sorcellerie (néo)nouvel âge sont susceptibles
d’usurper les cérémonials et la présence autochtones. »
Il y a, en effet, un côté sombre au renouvèlement popu-
laire du nouvel âge. Souvent fondé sur l’autoguérison et
la croissance personnelle, son individualisme thérapeu-
tique peut contribuer à l’expansion de formes d’exploita-
tion humaine, territoriale et culturelle, que l’on nommera
successivement colonialisme spirituel et capitalisme
spirituel. Portant un regard oblique sur la lithothérapie,
en l’occurrence sur les dessous de l’extraction minière,
Kate Whiteway nous rappelle à ce sujet que «[l]e monde

7 — Edito
Esse

What Future
“Words make magic. They change the
fabric of the world. Once something
is spoken, it starts contaminating

Does the
reality, or at least people’s minds. Let
us remember that spoken words can
be incantatory and performative; let us
concede that they have power. Now and

Swallow
again we need to take the time to say
things the way we want to say them, like
spells. By speaking about politics, by

Portend?
speaking about revolt and the sacred,
we take our place in the lineage of
witches.”1

“This does not mean that the word


[magic] is absolutely necessary.
Similarly, that which gets called
Sylvette Babin
Goddess doesn’t require recognition
and worship. It’s not a question of
joining but of feeling. … And daring to
call Goddess that which forces us to
think of the present, to resist ‘keeping
things at a distance’ also means feeling
the extent to which this present, this
resistance can challenge our habits, our
most entrenched certitudes. Perhaps
this is all we need to sustain the order
that articulates magic, politics, and
empowerment.”2

“Earth-based spirituality consists in


establishing our strongest values in the
living world itself, in the interconnected
systems that make our lives livable.”3

8 — Édito
Esse

For time immemorial, human beings have sought to many cases, the artworks are informed by holistic and
understand their place in the universe. They have benevolent approaches and by a desire for social and
appealed to divinities, to the stars, to animal, vegetal, environmental justice. Perhaps, what leads us to speak
and mineral nature to interpret the world or foresee of a “new” new age has to do with a will to separate
the future; they have created symbols to translate their ourselves from the therapeutic individualism mentioned
intuitions and discoveries into images and words. And earlier and the need to reclaim forms of activism that
although science has largely discredited spiritual and the movement already involves—a collective movement
supernatural beliefs, we have seen a return to the occult in which human beings have an active role to play in
in popular culture in recent years, a return that can be the advent of a new era. We wish for such activists to
understood as a direct reaction to the extreme state of stop confining themselves to prayer circles or symbolic
anxiety caused by climate change, health crises, and rituals so that their voices can more concretely reach
international conflicts. The art milieu has responded to economic and geopolitical spheres and actually impact
this mindset in significant ways as well, suggesting that decision-makers (often male) who remain invested in the
a kind of occult turn has occurred in art. This is reflected power to own and destroy.
first by a renewed interest in artworks that have long As for the occult forces and magic that the new age
been excluded from art history and second by the reap- invokes, it’s up to each of us to believe or not believe in
propriation of esotericism by a new generation of artists, them. Yet whether we understand it as a divine or mag-
both in their daily lives and in their art practices. ical word or as the logical language of biology, nature
Let us right away put aside an excess of scepticism tells us of our destiny. Thus, the swallow, a symbol of
or any other form of judgement that might hinder an fertility for the Celts or of the arrival of spring for many
open and curious reading of these practices in order since Antiquity, is gradually disappearing due to inten-
to focus on what motivates them and how they are sive agriculture and pesticide use. The silence of the
manifested in art. We will see a strong willingness to swallow is a portent that we should be urgently trying to
re-enchant the world, to recognize the agency of mate- ward off.
rials, and to fight against the destruction of Earth and
of all life—but also against the destruction of the ability
to think, an effect that philosophers Isabelle Stengers
and Philippe Pignarre call capitalist sorcery. In their 1 — Marie-Anne Casselot and Valérie Lefebvre-
book of the same title, they write: “Neo-pagan witches Faucher, Faire partie du monde, réflexions
have learned that in the first place the technique or the écoféministes (Montréal: Les éditions du
art, the craft that they call magic is not what has to be remue-ménage, 2017), 17 (our translation).

rediscovered, in the sense of an authentic secret. It is a 2 — Isabelle Stengers, “Un autre visage de
matter of reclaiming, of reactivating.”4 Although the word l’Amérique?” afterword in Starhawk, Rêver
reclaim—used in turn in the sense of healing, reappropri- l’obscur . Femmes, magie et politique (Paris:
ating, relearning, and fighting—does not appear explic- Cambourakis, 2015), 365 − 366 (our translation).

itly in the New New Age issue, it underlies each article,


3 — Starhawk, “Appendice E,” Rêver l’ob-
like a kind of silent incantation. scur . Femmes, magie et politique, 354 (our
At the centre of these processes, the figure of the translation).
witch is making a significant comeback. Recovered by
4 — Philippe Pignarre and Isabelle Stengers,
feminist and ecofeminist movements, it symbolizes the
Capitalist Sorcery: Breaking the Spell, trans.
empowerment of women in patriarchal and neoliberal Andrew Goffey (Houndmills & New York:
society. This new generation of witches combines art, Palgrave Macmillan, 2011), 138.
science, technology, and magic to reinvent rituals that
5 — See Anna Berrard’s scathing critique of
aim to reconnect with the sacred or “to loosen the old
the debasement and appropriation of the
alliance of technoscience and patriarchy, which contin- which figure in “L’écoféminisme aux abois.
ues to shape global configurations of power” (Gwynne Marchandisation, manipulation et récupération
Fulton). While claiming this power loud and clear, we d’un mouvement radical,” Revue du crieur 18
(January 2021): 130− 47.
must not forget, however, that the word “witch” is so
burdened with a heavy history of ostracizing women
and minorities and that we need to use it carefully.5
Chris Gismondi, for example, points out that “the largely Translated from the French by Oana Avasilichioaei
white, Eurocentric discourses of (neo)New Age magic
and witchcraft… can usurp Indigenous protocols and
presence.” There is a dark side to the popular renewal of
the new age. Often based on self-healing and personal
growth, its therapeutic individualism can contribute
to the expansion of forms of human, land, and cultural
exploitation that are in turn called spiritual colonialism
and spiritual capitalism. Taking a sidelong look at crys-
tal healing and, more specifically, at the underpinnings
of mining, Kate Whiteway reminds us: “The refined and
spiritual world of healing crystals is indeed wrought
through a violent and exploitative relationship with
labour and land.”
To counterbalance the dark side of a superficial
and consumerist new age, the artists and writers in this
issue are interested above all in the luminous and per-
formative aspects of this philosophy and in its rituals. In

9 — Edito
Esse

L’artiste Chrysanne Stathacos a commencé sa carrière au milieu


de la crise du sida à New York dans les années 1980 et 1990,
aux côtés des General Idea, Robert Flack, G. Roger Denson,
Amy Lipton et autres qui ont fait partie de cette génération
fortement touchée par la maladie. À l’époque, on en savait peu
sur le sida et ses effets émotionnels et sociaux. Dans leur
pratique individuelle et collective, les artistes se sont tourné·e·s
vers des notions comme le soin, la perte, la mort, la divination,
la décadence et le monde des esprits. Ces questions
spirituelles et sociales sont devenues de plus en plus présentes
dans la vie quotidienne. La pratique de Stathacos, comme
celle d’un grand nombre d’artistes de son époque, s’appuie
sur les mécanismes de survie que la crise a fait émerger.
Son œuvre traite de perte et d’émancipation, de maladie et
de guérison, de protection, de communication avec le monde
des esprits et de méditation sur la vie et la mort. Aujourd’hui,
Stathacos s’intéresse particulièrement à la politique du corps.
À travers son art, elle porte un regard critique sur une histoire
de vulnérabilité et de perte et transforme ce qu’il en reste en
compositions poétiques.

Xenia Benivolski

10 — Dossier
Esse

" Chrysanne Stathacos



Anne de Cybelle Condom Mask, 1991.
Photo : permission de l’artiste | courtesy of
the artist

' Chrysanne Stathacos



1-900 Mirror Mirror, 1993-2020, vue
d’installation | installation view,
Cooper Cole, Toronto, 2020.
Photo : permission de | courtesy of the artist
& Cooper Cole, Toronto

Il existe des liens tangibles entre la sorcellerie soutenir, mais nous ne pouvions pas faire dis- sorcellerie et aux méditations et rituels sur mon
et la maladie. Depuis la nuit des temps, l’être paraitre la maladie. J’ai commencé à consul- toit avec Rob. En rétrospective, c’est ce qui m’a
humain tente de chasser la maladie par des ter des médiums à cette époque. Mes amis AA amenée à explorer le bouddhisme tibétain.
rituels au cours desquels il consulte les esprits [Bronson] et Rob [Robert Flack, 1957-1993] en
et utilise des drogues, des remèdes, des tein- ont fait autant. Nous prenions part à des séances XB Pouvez-vous me parler de ces rituels, des
tures et des herbes. Ces pratiques forment des avec le révérend Bias [Clifford Bias, 1910-1987], personnes qui y prenaient part et de la façon
sphères sociales – sphères évoquant les com- qui vivait à l’hôtel Ansonia. C’était un médium dont ces pratiques ont été introduites dans le
munautés d’artistes très unies des années 1980 éminent aux États-Unis au début du 20e siècle ; milieu artistique?
et 1990 qui ont perdu de nombreux membres. il affirmait communiquer avec les morts.
La brutale pandémie du sida a permis d’établir J’explorais les espaces métaphysiques dans CS Quand j’ai emménagé à New York, j’allais
des parallèles éloquents entre les pratiques spi- l’espoir de trouver des réponses et un certain souvent avec Rob et AA à un restaurant indien
rituelles et artistiques. En cette heure où nous réconfort et je m’investissais dans la spiritua- appelé Gaylords. Nous y allions pour la nourri-
entrevoyons la fin d’une autre pandémie et lité, qui m’attirait de plus en plus. Pendant un ture, mais aussi pour voir un médium indien,
assistons à la résurgence de la métaphysique et certain temps, j’ai fréquenté l’église spiritua- un vieil homme qui nous lisait les lignes de la
de l’holisme dans le monde de l’art, l’entretien liste, fondée par le révérend Bias, qui était lié à main et dressait notre carte du ciel. Rob et moi
qui suit propose une réflexion sur la pratique de nombreux médiums et spirites (principale- avions le désir d’explorer d’autres mondes.
artistique, la sorcellerie et la guérison. ment des hommes homosexuels et des femmes J’avais un atelier sur Centre Street avec un
d’âge mûr de l’Upper West Side de New York). Il accès au toit. Il y a des moments précis où Rob
Xenia Benivolski Chrysanne, pouvez-vous y avait une boutique de sorcellerie sur 9th Street, et moi y avons accompli des rituels – par exemple
décrire comment votre pratique a évolué dans dans l’East Village, où nous faisions faire des lors de la grande convergence harmonique de
le contexte de la crise du sida ? bougies élaborées. On les sculptait, les déco- 1987, basée sur le calendrier maya, la première
rait avec des paillettes et y ajoutait des huiles méditation synchronisée pour la paix univer-
Chr ysanne Stathacos Je ne suis certainement selon notre commande. De retour chez nous, selle. Nous nous sommes livrés à divers rituels
pas la seule à avoir été marquée par le sida et à nous utilisions ces bougies dans nos prières. La et Rob a interprété ses cartes de tarot Dakini.
avoir perdu nombre d’ami·e·s au sein de la com- boutique n’existe plus. C’est un de ces endroits Nous implorions des jours meilleurs. Ça vien-
munauté artistique. La pandémie actuelle fait iconiques de New York aujourd’hui disparus. dra peut-être. En 1990, on a commencé à voir
remonter beaucoup d’émotions et de souvenirs, Les différentes activités que j’ai menées dans les des expositions autour des thèmes de la vie,
et fait revenir des esprits. Le sida est apparu années 1980 ont influencé mon travail dans les de la mort, du libre choix et du monde méta-
dans la première moitié des années 1980. C’est années 1990. Je pense notamment à mon voyage physique. Mon amie Amy Lipton (1956-2020) a
alors que nos ami·e·s ont commencé à tom- de deux semaines à Delphes à la recherche de invité l’écrivain G. Roger Denson à mettre sur
ber malades et à mourir. Nous cherchions un l’oracle, aux séances à l’église spiritualiste, pied une exposition intitulée Reconciling the
moyen de les guérir – nous étions là pour les aux prières avec les bougies de la boutique de Unverified: The New Metaphysical Art (1990) à sa

11 — Feature
Esse

galerie. En 1992, Amy a organisé, à la mémoire guérisseuses qui travaillaient avec la nature Kathe Burkhart & Chrysanne
des femmes persécutées et condamnées à mort pour soigner les gens. Stathacos
lors du procès des sorcières de Salem, une expo- The Abortion Project, vue
sition (Shapeshifters) à laquelle ont participé de XB Vous avez aussi mentionné le balai, que d’installation | installation view, Artists
nombreuses femmes artistes, dont Karen Finley l’on peut également associer à un bouquet de Space, New York, 1991.
et Sue Williams. Nous nous intéressions aux plantes, à des combinaisons médicinales judi- Photo : permission de | courtesy of Artists
choses surnaturelles. Amy avait une collection cieuses, à l’art « genré » de l’arrangement floral Space, New York

de plus de 25 balais. J’ai ici un vieux balai trouvé ou aux pratiques protopharmaceutiques et
dans la rue quelques mois avant sa mort. Je vou- médicinales.
lais le lui offrir, mais malheureusement, je n’en
ai pas eu la chance. Il fait maintenant partie d’un CS Je pense que la poésie entourant le balai se
tableau. Je pense à Amy tous les jours quand je trouve dans l’idée de s’envoler, de s’échapper,
le vois. En 1989, j’ai créé un alter ego, Anne de de partir explorer le monde. L’idée de voir l’uni-
Cybelle, par qui je passe dans mes écrits, mes vers et plus encore. C’est une question de magie,
installations et mes performances, en particu- absolument.
lier celles en lien avec les rituels. Nous avons
exploré ces choses à une époque où le monde XB Le balai et la salle des miroirs (1-900 Mirror
de l’art ne se ralliait pas totalement à l’idée de Mirror, 1993-1994) présentent aussi une sorte de
« sorcellerie » ou de « spiritualité ». Aujourd’hui, magie de conte de fées.
le milieu artistique a bel et bien intégré l’idée,
mais dans les faits, celles qui s’y adonnent sont CS Le concept de 1-900 Mirror Mirror consiste
considérées comme des salopes ! Sorcière égale essentiellement en une cabine téléphonique
salope. La plupart des gens ne se soucient pas de ouverte. J’ai imprimé du lierre, des cheveux et
ce que font ou ont fait les sorcières, ni même de des roses sur des miroirs. Ce sont mes attributs
ce pour quoi elles sont mortes. Ce que fait une de prédilection : les cheveux de la sorcière, le
sorcière est intimement lié à la Terre Mère : il lierre associé à Dionysos et aux bacchanales, et
est question de rituels, d’huiles, de bougies, de enfin les roses, le sang de la rose. La présence
guérison par les plantes, d’être une sage femme, de ces fleurs dans mes œuvres est toujours une
de parler aux animaux et à la terre, au ciel, aux référence au sida. Je les passais sous la presse
étoiles, à la lune. C’est l’univers dans un autel. Il ou les comprimais et le sang en sortait. Robert
existe aujourd’hui un mouvement d’artistes éco- Flack est mort en octobre 1993, à l’époque où
féministes dont les œuvres rejoignent ces idées. j’ai réalisé 1-900 Mirror Mirror. En 1994, mes
En 1991, j’ai réalisé une installation pro-choix bons amis les artistes David Buchan, Jorge
en collaboration avec Kathe Burkhart. Intitulée Zontal et Felix Partz sont décédés. On crai-
The Abortion Project (1991-1993), l’œuvre est gnait de répondre au téléphone à cette époque.
inspirée du « manifeste des 343 », publié par C’était pour beaucoup un moment boulever-
Simone de Beauvoir dans Le Nouvel Observateur sant, rempli de cœurs brisés, mais sur le plan
en 1971 (une pétition signée par 343 Françaises de la politique du corps et de l’art, c’était aussi culture grecque et bien d’autres, il y a des dieux
qui, comme le soulignait de Beauvoir, avaient un moment exceptionnellement créatif. La et des déesses, des figures archétypales. Ce qui
le courage de dire : « Je déclare avoir subi un pièce composée de miroirs se voulait un moyen est fascinant, chez les ancien·ne·s, c’est leur
avortement »). Il s’agissait d’un acte de désobéis- rituel de rejoindre l’au-delà. J’étudiais le tarot intérêt pour la psychologie, qui trouve encore
sance civile, puisque l’avortement était illégal en à ce moment-là avec le célèbre médium Frank un écho aujourd’hui. Le bouclier d’Athéna arbo-
France ; en admettant publiquement s’être fait Andrews. J’ai travaillé comme cartomancienne rait la tête de Méduse. De telles images – de sor-
avorter, ces femmes s’exposaient donc à des par téléphone pendant quelques semaines, à cières, de femmes laides, de « femmes vilaines »
poursuites criminelles. des fins de recherche. Quand j’ai commencé à ou de Mati (« mauvais œil ») – sont des symboles
étudier avec Frank, il m’a dit : « Vous pourriez de protection.
XB Certaines des choses que vous venez de gagner votre vie comme cartomancienne, mais
mentionner, comme le lien entre la pratique vous ne pouvez pas faire les deux. » XB Mais revenons au sida et à la tendance du
spirituelle et The Abortion Project, me font pen- monde médical à rendre les choses difficiles
ser aux éléments de sorcellerie qui ont à voir XB À une autre occasion, nous avons parlé du pour certaines personnes – les femmes, les per-
avec la vie et la mort. Depuis des siècles, les mandala dans votre travail et de son importance sonnes queers et les personnes racialisées –,
femmes utilisent des plantes, entre autres, pour dans le bouddhisme, notamment en Inde. Vous tendance qui complique cette évolution de
pratiquer des avortements. Cette libre utilisation avez aussi évoqué le fait que les mandalas étaient l’holistique vers le formel. Comme vous l’avez
des plantes fait en quelque sorte écho à Salem : présents dans le paysage de la Grèce antique. mentionné, on assiste actuellement à un retour
l’administration par des femmes de substances à la sorcellerie, précisément parce qu’il y a très
non autorisées pour contrôler la vie et la mort CS Le mandala est un archétype universel. peu de lieux de refuge dans le système bureau-
est considérée comme un acte de sorcellerie de Dans toutes les religions et toutes les cultures, cratique. Et comme on ne peut plus opérer cette
nature menaçante. Il s’agit pourtant simplement le cercle revêt une grande importance. C’est le guérison dans le domaine psychologique, on se
de femmes qui essaient de prendre leur destin cycle de la vie et un symbole de protection. Je tourne vers la sphère artistique.
en main. suis bouddhiste pratiquante, mais j’ai été éle-
vée dans la tradition grecque orthodoxe. Ce qui CS Ce qui est intéressant, c’est la façon dont le
CS À l’occasion, j’ai imprimé des images de m’intéresse particulièrement, même dans cette monde des affaires empiète sur ces pratiques
plantes abortives, dont beaucoup sont de tradition, c’est de remonter aux ancien·ne·s. Ils holistiques. Par exemple, les musées proposent
simples mauvaises herbes que l’on trouve dans sont une source d’inspiration pour une toute désormais des séances de méditation et de
les parcs, comme le gui. Les sorcières étaient des nouvelle génération d’artistes et de drama- pleine conscience en milieu de journée. C’est
guérisseuses. Elles n’étaient pas patriarcales. turges qui lisent Aristophane et Euripide et formidable, mais ces musées font très rarement
À partir du Moyen Âge, le patriarcat et les méde- qui étudient l’iconographie de Méduse. Dans appel aux artistes qui s’adonnent à ces pratiques
cins produits par lui ont cherché à contrôler les la culture indienne, au même titre que dans la depuis longtemps. Et il y a un précédent dans le

12 — Dossier
Esse

mouvement de l’art écologique : des artistes et L’essence de la nature humaine, le meilleur de la XB Que pouvez-vous me dire sur l’avenir ?
des militant·e·s pour la justice sociale qui uti- nature humaine, le meilleur de l’action humaine.
lisent des méthodes holistiques. L’action d’inspi- Nous y avons tous accès. Il s’agit non seulement CS Dans deux ou trois ans, Pluton, qui se
rer et d’expirer permet une transfiguration, une d’avoir de la compassion pour les autres, mais trouve en Capricorne, passera en Verseau. Le
transformation vers quelque chose de positif. aussi de faire un avec l’environnement. Capricorne, c’est le capitalisme, les grandes
entreprises et tout ça. En février 2022, vers la
XB Dans ce contexte de regain d’intérêt pour ces XB J’aimerais revenir sur ce que vous avez dit fin de son transit en Capricorne, Pluton sera en
pratiques, observez-vous un esprit de cama- au début de notre conversation au sujet des conjonction avec le thème natal des États-Unis
raderie ? Rencontrez-vous beaucoup d’artistes esprits revenants qui sont porteurs de beaucoup (il y a 245 ans, pendant la révolution américaine).
contemporain·e·s qui explorent des formes de stress. Je m’interroge sur la vie sociale des Ce sera soit épouvantable, soit excellent. Par
de magie? esprits; la vie qui ne s’arrête pas avec la mort, la suite, Pluton entrera en Verseau, un signe
mais qui revient sous diverses formes. Avec libre très ouvert. J’observe ces planètes parce
CS J’ai récemment participé à la 13e Biennale de quels types d’esprits vivez-vous ces temps-ci ? que j’étudie l’astrologie. Ce sont les planètes
Gwangju, Minds Rising, Spirits Tuning, en 2021. extérieures, et Pluton est la planète déchue – le
Mon œuvre The Three Dakini Mirrors (of the CS Au cours des trois dernières années, j’ai dieu des Enfers, du monde souterrain. C’est la
body, speech and mind) (2021) a été présentée au perdu trois personnes très proches : mon frère et planète de la transformation. Un grand change-
Musée national de Gwangju, dans la section The mes deux plus grandes confidentes et sœurs spi- ment est à nos portes.
Undead from Four Directions (A dialogue with rituelles. On cherche à s’accrocher. C’est le lien
conceptions of death, reparation of spirit-objects avec les œuvres de Rob et de General Idea que Traduit de l’anglais par Nathalie de Blois
and processes of mourning). Je me suis entrete- j’ai chez moi qui m’a apporté du réconfort pen-
nue par Zoom avec la nonne bouddhiste tibé- dant cette année de confinement. Mes ami·e·s
taine Jetsunma Tenzin Palmo, et je lui ai posé sont encore avec moi. Puis il y a la famille
des questions suggérées par les commissaires grecque ancestrale qui est toujours présente.
de la Biennale, qui s’intéressaient à la spiritua- Je sais que cela va paraitre étrange, mais quand
lité et dénonçaient le caractère patriarcal de la je pense à ces personnes, je peux entendre leur
religion. Le fait est que le monde doit prendre voix dans ma tête. Les souvenirs sont transcen-
en compte l’histoire des personnes qui ont été dants. Ils restent en nous, comme nos ancêtres,
ostracisées, opprimées et mises à mort. Dans nos contemporain·e·s et les ancien·ne·s. Je me
l’étude du bouddhisme, il est question de com- demande si ce regain d’intérêt pour la spiri-
passion, d’interdépendance ; tout est lié. Encore tualité n’est pas généré par des esprits revenus
une fois, c’est le cycle de la vie et le mandala. influencer l’état des choses.

13 — Feature
Esse

Chrysanne Stathacos
1-900 Mirror Mirror, 1993-2020, vue
d’installation | installation view,
Cooper Cole, Toronto, 2020.
Photo : permission de | courtesy of the artist
& Cooper Cole, Toronto

14 — Dossier
Esse

Hectic cycles
A conversation with Chrysanne Stathacos
Xenia Benivolski

Amidst the AIDS crisis in New York City in the 1980s and 1990s, the
artist Chrysanne Stathacos emerged alongside peers General Idea,
Robert Flack, G. Roger Denson, Amy Lipton, and others who were part
of a generation that was impacted significantly by the disease. At the
time, little was known about AIDS and its emotional and social effects.
Artists generated individual and collective practices that had to address
care, loss, death, divination, decay, and the spirit world. These spiritual
and social practices were increasingly becoming a part of everyday life.
Like the practices of many artists of the time, Stathacos’s is rooted in
the coping mechanisms that emerged with the crisis. Her work speaks to
loss and emancipation, cures and illnesses, protection, communication
with the spirit world, and meditation on life and death. Today, Stathacos
is deeply engaged with body politics. Through her practice, she critically
reflects on a history of vulnerability and loss, and transforms its remnants
into poetic compositions.

There are tangible connections between witch- Rob [Robert Flack, 1957 — 1993] did too. We had
craft and illness. Since time immemorial, readings with the Reverend Bias [Clifford Bias,
humans have attempted to cast off disease 1910 — 1987], who lived in the Ansonia Hotel; he
through rituals in which the spirits are con- was a prominent psychic in early-twentieth-cen-
sulted, and substances, remedies, tinctures, tury America who claimed to communicate with
and herbs are used. These practices come to the dead. I was exploring metaphysical spaces,
form social spheres — spheres that invoke the trying to find answers and hope while becom-
tightly-knit artist communities of the 1980s ing more drawn to and invested in spirituality.
and 1990s that suffered the loss of many mem- For a while, I went to the Spiritualist Church, a
bers. The brutal pandemic generated ongoing church founded by the Reverend Bias, who was
parallels between spiritual and artistic prac- connected to a lot of psychics and channellers
tices. Now, at the projected end of another pan- (mostly gay men and middle-aged women from
demic, and with yet another resurgence of the the Upper West Side of New York). There was a
metaphysical and holistic in the art world, this witchcraft store on 9th Street in the East Village,
conversation touches on practice, witchcraft, and we used to go there and get elaborate can-
and healing for the moment. dles made. We would say what we wanted, and
they would carve them and decorate them with
Xenia Benivolski Chrysanne, could you describe glitter and oils. Once home, one would light
how your practice evolved alongside the AIDS them and pray. The store doesn’t exist anymore.
crisis? It’s one of those lost places in New York City,
from a very specific time. All those activities I
Chrysanne Stathacos Well, I’m certainly not the did in the 1980s affected my work in the 1990s.
only one who experienced the trauma of AIDS My investigations included spending two weeks
with the loss of so many friends within our in Delphi trying to find the oracle, the readings
community. This pandemic brings back a lot of at the Spiritualist Church, the candles from the
those emotions, memories, and spirits. AIDS witchcraft store, and doing meditations and
began in the early to mid-1980s with our friends rituals with Rob on my roof. In retrospect, that
getting sick and starting to die. We were trying time led me to explore Tibetan Buddhism.
to find a way to heal our friends — you could
be there as a support person, but you couldn’t XB Could you tell me a bit about those rituals,
take the disease away. I started going to psych- who was involved, and how these activities
ics at that time. My friends AA [Bronson] and became integrated into the art scene?

15 — Feature
Esse

CS When I first moved to New York, I would abortifacient plants and methods to perform is significant. It’s the wheel of life, and it’s also
go to this Indian restaurant called Gaylords, abortions. Something about that use of plants a protective symbol. I’m a practising Buddhist,
with Rob and AA. We would go there and have for non-prescribed purposes echoes Salem: the but I was brought up in the Greek Orthodox
Indian food, and then meet the Indian psychic, ideas of women using unauthorized substances tradition. My focus, even within that, is always
this old man who would look at our palms and to control life and death are seen as witchy and to look back to the ancients. The ancients right
astrological charts. Rob and I shared a desire threatening. But it’s also just women trying to now are inspiring a whole new generation of
to investigate other worlds. I had a studio on control their own destiny. contemporary artists and playwrights, who are
Centre Street and had access to the roof. There reading Aristophanes and Euripides, and are
were specific times when Rob and I would per- CS On occasion, I have done some prints of looking at the Medusa iconography. Indian cul-
form rituals — for example, for the great Mayan plants that were abortifacients, and a lot of ture, like Greek and many other cultures, has
Harmonic Convergence in 1987, the world’s them are weeds you would see in the park, like gods and goddesses: archetypal figures. The
first synchronized global peace meditation. mistletoe. Witches were healers. They were not interesting thing about the ancients is their
We were on the roof of the studio, doing rit- patriarchal. Since the Middle Ages, the patri- relevance to psychology, which is still reson-
uals, and Rob would read from his Dakini tarot archy and the doctors of the patriarchy wanted ant today. Athena had an image of Medusa on
deck. Our hope was to summon a better time. to control the women healers who were working her shield. These images — the witch, the ugly
Maybe it will still come. In 1990, there started with nature and healing people. woman, “nasty women,” and the Mati (“evil
to be a few exhibitions converging around life, eye”) — are protective symbols.
death, choice, and the metaphysical realm. My XB Another thing that you mentioned is the
friend Amy Lipton (1956 — 2020) invited the broom, which also has the connotation of XB Coming back to AIDS and the widespread
writer G. Roger Denson to curate Reconciling being bunches of plants, medicinal and mean- medical practice of making things difficult for
the Unverified: The New Metaphysical Art (1990) ingful combinations, as well as the gendered certain people—women and queer and racial-
for her gallery. In 1992, Amy curated a show art of flower arranging and its relationship with ized people — , which creates a complication
commemorating the women prosecuted and proto-pharmaceutical and medicinal practices. in this move away from the holistic toward the
killed at the Salem Witch trials (Shapeshifters), formalized. As you said, there’s a return to witch-
with many women artists, including Karen CS I think the poetic idea of getting on the craft now, specifically because there are very
Finley and Sue Williams. We were interested in broom is about flying, escaping, going, seeing few spaces of refuge in the bureaucratic system.
other-worldly things. Amy had a large broom the world. Seeing the universe truly and going And because we can no longer wield that heal-
collection—over twenty-five of them. I have an beyond, so I think it’s one of magic, absolutely. ing in the psychological realm, we seek it in the
ancient broom here that I found last year on artistic sphere.
the street, a couple of months before she died. XB Both the broom and the mirror room (1-900
I was hoping to take it to her but, sadly, it’s here Mirror Mirror, 1993—94) also have this sort of CS What’s interesting is how the corporate
with a painting. It has become part of a paint- element of fairy tale magic. sphere infringes on these holistic practices. For
ing. I think of her when I look at it every day. In example, museums now practise meditation or
1989 I created an alter ego, Anne de Cybelle; CS The design for 1-900 Mirror Mirror was mindfulness in the middle of the day. I think it’s
she became a vehicle for my writings, instal- based on taking a phone booth and opening great, but those museums very rarely include
lations, and performance works, especially it up. I printed ivy, hair, and roses on the mir- the artists and the people who have been doing
those connected to rituals. These were things rors. Those are my trademark witchy items: these practices for a long time. And there’s a pre-
we explored at a time when the art world didn’t the hair of the witch, the ivy, which is related to cedent for it in the eco-art movement: artists and
totally embrace the idea of the word “witch” or Dionysus and Bacchanalia rituals, and then the social justice activists who use holistic methods.
“spirituality.” Now you see the art world totally roses: the blood of the rose. My rose works are By breathing in and out, and in the midst, there
embracing the word “witch”; what they really always deeply connected with AIDS. The roses is transfiguration, a transformation toward
think is that they’re bitches! Witch equals bitch. would go through the press, or I would press something positive.
Most aren’t really interested in what witches do them, and the blood of the rose would come out.
or did or died for. Because what a witch does Robert Flack died in October 1993 as I was con- XB In this re-emergence, do you find a lot of
is really focus on Mother Earth: it is about rit- ceiving 1-900 Mirror Mirror. In 1994, my good camaraderie, and do you meet many other
uals, oils, candles, healing with herbs, being a friends, the artists David Buchan, Jorge Zontal, people in contemporary art practising forms
midwife, talking to animals and the earth, the and Felix Partz, passed away. It was a time when of magic?
sky, the stars, the moon. It is the universe in an you were afraid to answer the phone; looking
altar. There is a movement now of eco-feminists back, in terms of the body politic and the art CS I recently participated in the 13th Gwangju
whose art practices are also closely connected being made at that time, for many people it was Biennale: Minds Rising, Spirits Tuning, 2021. My
to these ideas. In 1991, Kathe Burkhart and I an exceptionally creative and moving moment work The Three Dakini Mirrors (of the body, speech
presented The Abortion Project (1991—93), a filled with broken hearts. The mirrored room and mind) (2021) was installed in the Gwangju
pro-choice installation. We were looking at became a ritualized way for people to reach the National Museum, in the section The Undead
“Manifesto of the 343” (1971) published in Le beyond. I was studying tarot at that point with from Four Directions (A dialogue with conceptions
Nouvel Observateur by Simone de Beauvoir (a the famous psychic Frank Andrews. I worked of death, reparation of spirit-objects and processes
French petition signed by 343 women who, as as a phone-line tarot reader for a few weeks, as of mourning). I did a Zoom conversation with
de Beauvoir pointed out, had the courage to say, research. When I started studying with Frank, Tibetan Buddhist nun Jetsunma Tenzin Palmo
“I declare that I have had an abortion”). It was he looked at me and said, “You could become a with questions asked by the Biennale’s cura-
an act of civil disobedience, since abortion was reader for a living, but you can’t do both.” torial team, who were interested in spirituality
illegal in France, and by admitting publicly to and cutting through the patriarchal challenges
having aborted, they exposed themselves to XB In the past, we’ve talked about the mandala of religion. The point is that it’s important for
criminal prosecution. in your work and its significance to Buddhism, the world to consider the histories of people who
especially throughout India. You brought up the have been ostracized, suppressed, or murdered.
XB Some of the things you just mentioned, notion that mandalas were present in the ancient When you study Buddhism, it’s all about com-
such as the connection between spiritual prac- Greek landscape. passion, interdependence; everything is con-
tice and The Abortion Project, bring me back nected. Again, that’s the wheel of life and the
to the elements of witchcraft that have to do CS The formation of a mandala is a global arche- mandala. The core of human nature, the best of
with life and death. Women, for ages, have used type. In all religions and all cultures, the circle human nature, the best of human action; we can

16 — Dossier
Esse

all access it if we wish. To understand that. Not CS So, in two to three years, Pluto will move
only to have compassion for people, but to be one into Aquarius from Capricorn. Capricorn is cap-
with the environment. italism, big business, and all that. As it passes
through the end of Capricorn, in February
XB I wanted to come back to the beginning of 2022, it will be conjunct to the United States’
our conversation, when you were talking about natal Pluto (245 years ago, during the time of
spirits coming and bringing a lot of stress with the American revolution). It’s going to be either
them. I want to reflect on the social life of spirits. frightful or excellent, but once it is in Aquarius,
The life that doesn’t end with death but comes it’s a very open free sign. I’m looking at these
back in many ways and forms. What kinds of planets because I study astrology. They’re the
spirits are you living with these days? outer planets, and Pluto is the under-god. It’s the
planet of transformation. There is a big change
CS Well, in the past three years, I’ve lost three coming. •
people very close to me: my brother and my two
closest confidantes and spiritual girlfriends.
And you want to hold on to them. It’s this con-
nection, with Rob and General Idea’s artworks
that I have in my home, that brought solace dur-
ing the past year of lockdown. My friends are
still with me. Then there’s the ancestral Greek
family, which is always there. But with all of
them — I know this is going to sound strange — if
I think about them, I can hear their voices in
my head. Memories are transcendent. And
Chrysanne Stathacos
then they stay inside you, like your ancestors,
The Three Dakini Mirrors (of the body,
our contemporaries, and the ancients. It makes
speech and mind), vue d’installation |
me wonder if this new interest in spirituality is
installation view, 13 e Biennale de
being generated by spirits who have come back
Gwangju, 2021.
to influence the state of things.
Photo : Sang tae Kim, permission de |
courtesy of the artist & The Breeder Gallery,
XB What can you tell me about the future? Athènes

17 — Feature
Esse

People believed that Aglaonice of Thessaly


controlled the moon. The ancient Greek astronomer
and thaumaturge—one of 999 women acknowledged
in the pyramidal Heritage Floor of Judy Chicago’s
The Dinner Party (1974−79)—was renowned for
her knowledge of lunar cycles. Aglaonice claimed
that she could make the moon disappear from
the sky, gaining herself a reputation as a sorceress.
In patriarchal Greek city-states, skilled women
were considered not natural philosophers but
witches. Making use of this to obtain social power,
Aglaonice taught the Witches of Thessaly to use
their knowledge of lunar eclipses to “draw down
the moon” with their rituals. Her contemporaries
tried to discredit her powers as mere trickery,
but this missed its true magic, which was to build
emancipatory collectivity.

Gwynne Fulton

18 — Dossier
Esse

" Tabita Rezaire



Ultra Wet−Recapitulation,
vue d’installation | installation view,
The Royal Standard, Liverpool, 2018.
Photo : permission de | courtesy of the artist
& Goodman Gallery, Johannesbourg

' Tabita Rezaire



SYGYZY o Full Moon Special o, vue de
la performance | performance view,
Kunsthalle Wien, Vienne, 2019.
Photo : permission de | courtesy of Kunsthalle
Wien, Vienne

Refusing the binaries of science/magic and Viennese astronomer and astrophysicist The transdisciplinary dialogue between the
technology/mysticism, a new generation of Elisabeth Guggenberger. unlikely collaborators inched forward like this,
Thessalian witches invoke the moon in their “I travelled by boat eleven hours into the searching for points of alignment among the
practices. A manifestation of divine feminine Amazon,” said Rezaire, “to bring this story of languages of scientific realism, ancestral myth,
power and cosmic spiritual energy, Wiccans the birth of the moon from Indigenous cosmol- and speculative fiction.
continue to weave their spells around the Earth’s ogy.” Resplendent in a silver-blue robe reminis- Syzygy is an astronomical term for a phe-
only natural satellite, while contemporary art- cent of the High Priestess of the Major Arcana nomenon in which astral bodies fall into
ists and activists organize collective gatherings card in the tarot deck, she could have been Sun alignment. Carl Jung borrowed the concept to
under it. From Isabelle Stengers to Starhawk, Ra’s selenic counterpart: a queer-femme lunar describe the balancing of opposites. Rezaire
TikTok cyber-sorcery to digital covens, there goddess poised at the intersection of new media redeployed it analogically during the autumn
has been a resurgence of witchcraft.1 But there and sonic Afrofuturism. The moon was waxing equinox—when day and night approach equi-
has also been a concomitant rise in new forms of on the edge of full. Rezaire beckoned us to form librium — to reimagine the convergence of
violence against women, trans and gender-non- a circle as she wove tales of the moon gathered Western empiricism and ancestral knowledge.
conforming people who organize in resistance from ancient astronomy, Kemetic yoga, and the A curious move, given that the anniversary of
to world-destroying forms of neo-colonial dom- ancestral spiritual traditions from the dense jun- the Apollo 11 moon landing had just passed, the
ination. Deploying technology in her spiritual gles of French Guiana, where she currently lives moment of the USA’s imperial conquest of space
and political rituals, French-born Afrodiasporic and works. that made it impossible to have myths about
video artist and healer Tabita Rezaire belongs to Rezaire recounted the Teko ancestral origin the moon. With SYGYZY o Full Moon Special o
this evanescent sorority. Speculating on the con- story of the moon: Under cover of three consec- Rezaire was trying to reawaken all the things
nections between technoscience and ancestral utive nights, a young girl was assaulted in her the moon had been before “we” — inheritors of
belief systems, her work focuses on everything bed. On the third night, she lay in wait in her Western science — knew that it was just a sat-
that orbits around the moon. hammock, armed with genipa, a natural black ellite of accreted debris. Mixing science and
On a late-summer evening before the pan- ink used in the village of Camopi for tattooing. magic, her collective rituals aim to loosen the
demic took hold of the world, I found myself When the perpetrator returned, she threw the old alliance of technoscience and patriarchy,
with a group of strangers on the roof of the ink in his face. The next morning, his identity which continues to shape global configurations
Kunsthalle Wien Karlsplatz in Vienna for was revealed — her own brother. Thrust from of power. Her gesture of counter-conquest pro-
SYGYZY o Full Moon Special o (2019), a collec- the community into the farthest reaches of the ceeds in the name of all people who tell stories
tive sky-gazing ritual led by Rezaire. The per- sky, he was transformed into the moon. Penitent, about the moon. Whereas Sun Ra’s sonic time
formance was presented in conjunction with he vowed to keep watch over all the Earth’s vir- travel uncovered the pre-modern possibilities of
Rezaire’s video installations The Song of the gins, whom he repossesses with each full moon, Egyptian sun worship, Rezaire calls on the
Spheres (2018) and Ultra Wet—Recapitulation synchronizing their menstruation with his cos-
(2017 − 21), on display in Hysterical Mining, an mic rhythms. So the myth goes. “A bit creepy,”
exhibition that disrupted the gendered field Rezaire said, throwing a glance at Guggenberger.
of technoscience. 2 In the darkened gallery What does science have to say? Guggen- 1 — See Lucile Olympe Haute, “Cyberwitches
space, Rezaire projected lo-res images of flow- berger invited us to view the moon through her Manifesto” (2017), accessible online.
ers, serpents, celestial graphics, and queer Meade LX90-EMC high-resolution telescope.
cybergoddesses onto pyramid-shaped video As we took turns observing the ink-pitted cra- 2 — Hysterical Mining was curated by Anne
Faucheret and Vanessa Joan Müller for the
screens. Invoking post-cyber-feminist dis- ters, she described sunken lakes of solidified Vienna Biennale for Change 2019; see the
courses on technology and power, Rezaire’s basaltic lava, ancient crustal highlands, and a Kunsthalle Wien website.
post-internet images shimmered across the cosmic collision that blasted material debris
mirrored pyramids, unsettling violent gender into orbit some four billion years ago. Her tales 3 — “Post-cyber feminism” was coined by
Helen Hester in “After the Future:
norms. 3 Meanwhile, on the moonlit rooftop, hardly resembled the disenchantment with n Hypotheses of Post-Cyber Feminism,” Res.
she gathered us for a conversation with the nature promised by Enlightenment rationality. (2017), accessible online.

19 — Feature
Esse

" Malena Szlam



Lunar Almanac (détail | detail), 2013.
Photo : permission de l’artiste |
courtesy of the artist

$ Susan Hiller

Dream Mapping (composite group
dream map, night of Aug 23-24), 1974.
Photo : © Susan Hiller, permission de |
courtesy of Estate of Susan Hiller

20 — Dossier
Esse

takes seriously Donna Haraway’s assertion that


“taking responsibility for the social relations
of science and technology means refusing an
anti-science metaphysics, a demonology of tech-
nology, and so means embracing the skillful task
of reconstructing the boundaries of daily life,
in partial connection with others” — including
nonhuman others.8 At a moment of intensifica-
tion of climate change, global surveillance, and
the new colonial frontier of a private space race
led by Silicon Valley billionaires, Rezaire — who
completed a degree in economics before turning
to art — invests in a new mythology that treats
science as a spiritual technology and a means
of collective empowerment.
Reactivating the memory of revolts kindled
at night, in fugitive meetings on moonlit hill-
tops, Tabita Rezaire’s sky-gazing performance
SYGYZY o Full Moon Special o closed with a
final meditation. Rezaire instructed us to lie
down on the rooftop. As we lay with our backs
to the Kunsthalle Wien and our eyes skyward,
she struck a gong, washing us with undulating
sonic vibrations pulled down from the moon, to
shift time and remake collectivities. After one
last chance to gaze through Guggenberger’s
pantheon of lunar deities and the cult of But is Rezaire’s cyber-sorcery an adequate telescope, the impromptu collective of Selenians
moon lovers to nurture feminist, queer, and response to the ongoing expansion of networked dissolved into the cool, late-summer night. •
Afrofuturist counter-imaginaries. communications technologies that is driving the
Rezaire has continued her practice of development of new frontiers of asteroid min-
full-moon gatherings through the pandemic eral extraction, as well as new legal structures
in digital transmissions from her new ven- and arms control in shallow low-Earth orbit? As
4 — AMAKABA is supported by the Serpentine
ture, AMAKABA, a healing centre grounded NASA’s James Webb Space Telescope unfurls its Galleries’s ongoing project Back to Earth; see
in ancestral practices that houses the Moon gigantic parasol of silvery Kapton foil, promising the Serpentine Galleries website.
Center for astral observation. 4 The Center’s to penetrate our cosmic past, Rezaire’s millena-
online offerings include a collection of stories rian Naturphilosophie (nature-philosophy) recy- 5 — The Meditations can be accessed via the
Moon Center’s online platform.
from “guardians of moon wisdom” from dispa- cles a mishmash of New Age signifiers — world
rate locations: a healer in Dakar, a tarot reader in metaphysical traditions and alternative medi- 6 — See Goran Kauzlarić’s critique of the inter-
Los Angeles, an herbalist in Kinshasa, an astro- cine, Kemetic yoga, altered states of conscious- section of neoliberal and new age narratives

physicist in Cayenne. A series of meditations is ness, pan-syncretic Goddess worship, spiritual in his “New Age: A Modus of Hegemony,”
in Thinking Beyond Capitalism, conference
dedicated to the lunar phases. Filmed through meditation, and organicist visions. Her multi- proceedings, eds. Aleksandar Matković, Mark
Rezaire’s telescope under the skies of French media installations and performative offerings Losoncz, and Igor Krtolica (Belgrade: Institute
Guiana, the meditations call us to “live in moon renew the cosmovision of 1970s New Age spiri- for Philosophy and Social Theory, 2016),
175 − 98.
time,” bringing our “body-mind-spirits” into tuality that has been criticized from Indigenous,
alignment with the cyclical rhythms of its grav- neo-pagan perspectives, as a form of cultural 7 — Audre Lorde, A Burst of Light: and Other
itational pull. “Under the guidance of the moon, appropriation, and by critical theorists in the Essays (Mineola, NY: Ixia Press [1988], 2017),
we synch our creative energy with the motion of Marxist tradition, as a neoliberal political theol- 228.

infinity.”5 Decentring universalizing narratives, ogy—a discourse of therapeutic consolation over


8 — Donna Haraway, Simians, Cyborgs, and
Rezaire is trying, through her lunar stories and the effects of global capitalism that continues to Women: The Reinvention of Nature (New York:
screen-interfaced meditations, to spur a cosmic expropriate land and labour.6 Routledge, 1991), 181.
awakening on the eve of a new geopolitical age Rezaire’s wager — a high-stakes bid, to be
of space exploration. sure—is that these clichés can be redirected
As a spiritual descendant of the Witches of toward a project of intergenerational healing.
Thessaly, Rezaire’s lunar imaginaries resonate Her lunar re-imaginings are part of a new age
with a counter-lineage of collective experi- of intersectional feminism and queer neo-pagan
ments: Susan Hiller’s para-conceptual Dream activism that aims to heal the ongoing traumas
Mapping (1974); Malena Szlam’s lyrical 16mm of colonialism that haunt bodies, along with
film Lunar Almanac (2013); Black Quantum the internet’s technological infrastructures.
Futurism’s Black Space Agency (2018), a series As opposed to the therapeutic individualism
of workshop-performances that unearths the of 1970s New Age discourses, Rezaire’s sci-
legacies of the space race in North Philadelphia; ence-integrative performances re-envision
and Bogotá-based Mapa Teatro’s La Luna en el network sciences — organic, electronic, and
Amazonas (The Moon in the Amazon) (2021), a spiritual — as collective healing technologies.
theatrical performance that interrogates an Echoing Audre Lorde’s claim that self-care is
ongoing legacy of colonization in Latin America: not self-indulgence but self-preservation — “an
the destructive appropriation of the rainfor- act of political warfare” — Rezaire’s intervention
est by Canadian multinationals as the killing in the art-science divide implements healing
of land defenders grows to epidemic levels. practices as a collective survival strategy.7 She

21 — Feature
Esse

Décrocher la lune
Gwynne Fulton

Dans l’Antiquité grecque, il était de croyance commune qu’Aglaonice de Thessalie


gouvernait la lune. Cette astronome et thaumaturge – l’une des 999 femmes à
occuper le Heritage Floor, le socle triangulaire de l’installation The Dinner Party
(1974-1979) de Judy Chicago – était renommée pour sa maitrise des cycles
lunaires. Aglaonice prétendait être capable de faire disparaitre la lune, ce qui lui
a valu une réputation de sorcière. Dans les cités-États patriarcales de la Grèce
antique, c’est en effet ainsi, et non comme des philosophes naturelles, qu’étaient
perçues les femmes douées. Tirant profit de cette croyance pour se doter d’une
autorité sociale, Aglaonice enseignait aux « sorcières de Thessalie » à employer leur
compréhension des éclipses lunaires pour « dérober la lune » avec leurs rituels.
Ses contemporain·e·s ont tenté de discréditer ses pouvoirs en les qualifiant de
trompeurs, mais c’était passer à côté de la magie véritable qu’elle déployait en
créant une collectivité libératrice.

Refusant l’opposition binaire entre science et le cadre de Hysterical Mining, une exposition son agresseur est revenu, elle lui a jeté de l’encre
magie, entre technologie et mysticisme, une visant à chambouler le domaine genré qu’est au visage. Le lendemain matin, son identité a
nouvelle génération de sorcières de Thessalie la technoscience2. Dans l’espace obscur de la ainsi été révélée : c’était son propre frère. Éjecté
invoque aujourd’hui la lune dans ses cérémo- galerie, Rezaire projetait des images en faible de sa communauté et propulsé dans les loin-
nies. L’unique satellite naturel de la Terre incar- résolution montrant des fleurs, des serpents, tains célestes, celui-ci s’est métamorphosé en
nant la puissance divine féminine et l’énergie des tracés célestes et des cyberdéesses queers lune. Repenti, il a juré qu’il veillerait sur toutes
spirituelle cosmique, les wiccan·e·s ourdissent sur des écrans vidéos en forme de pyramide. les vierges de la Terre, dont il reprend posses-
à ce jour leurs sortilèges autour de lui, tandis Invoquant les discours postcyberféministes sion à chaque pleine lune, synchronisant leur
que des artistes contemporain·e·s et des mili- sur la technologie et le pouvoir, ces images post- cycle menstruel avec ses rythmes cosmiques.
tant·e·s se rassemblent à sa lueur. D’Isabelle Internet scintillaient sur les pyramides qui se C’est ce que veut le mythe. « Un peu glauque »,
Stengers à Starhawk en passant par la cyber- reflétaient dans des miroirs, perturbant la vio- a dit Rezaire en échangeant un regard avec
sorcellerie TikTok et les covens numériques, la lence des normes de genre3. Sur le toit, au clair Guggenberger.
sorcellerie connait à l’heure actuelle une période de lune, elle nous a rassemblé·e·s pour une cau- Que nous dit la science ? Guggenberger
de résurgence 1. Mais en parallèle, on assiste serie avec l’astronome et astrophysicienne vien- nous a invité·e·s à observer la lune à travers son
également à une montée de nouvelles formes noise Elisabeth Guggenberger. télescope Meade LX90-EMC à haute résolution.
de violence contre les femmes, les personnes « J’ai vogué pendant 11 heures jusqu’en Tandis que nous contemplions à tour de rôle
trans et les personnes au genre non conforme Amazonie pour rapporter cette histoire de la les cratères maculés d’encre, elle décrivait les
qui s’organisent pour résister aux modalités de naissance de la lune issue de la cosmologie mers remplies de lave basaltique solidifiée, les
domination néocoloniale conduisant à la des- autochtone », a déclaré l’artiste. Resplendissante hautes terres à la croute ancienne et la collision
truction du monde. En exploitant la technologie dans une robe bleu argenté rappelant celle de la cosmique qui a projeté des débris de matière en
dans ses rituels spirituels et politiques, Tabita Grande Prêtresse de l’arcane majeur du tarot, orbite il y a quelque quatre-milliards d’années.
Rezaire, artiste vidéo et guérisseuse afrodescen- elle incarnait en quelque sorte le pendant sélé- Ses récits étaient loin d’évoquer le désenchante-
dante née en France, appartient à cette sororité nique de Sun Ra : une déesse lunaire fem queer ment de la nature que promettait la rationalité
évanescente. Axé sur les liens entre techno se tenant au carrefour des nouveaux médias et des Lumières. C’est ainsi que se nouait peu à
science et systèmes de croyances ancestraux, de l’afrofuturisme sonique. La lune était à un peu le dialogue transdisciplinaire entre les deux
son travail s’intéresse à tout ce qui tourne autour cheveu d’être pleine. Rezaire nous a invité·e·s à collaboratrices improbables, à la recherche de
de la lune. former un cercle tandis qu’elle tissait des récits passerelles entre les langages du réalisme scien-
Par une soirée de fin d’été, avant que la pan- lunaires recueillis dans l’astronomie ancienne, tifique, des mythes ancestraux et de la fiction
démie se soit emparée de la planète entière, je le yoga kémétique et les traditions spirituelles spéculative.
me suis retrouvée au sein d’un groupe d’incon- issues des jungles touffues de la Guyane fran- Syzygy (syzygie en français) est un terme
nu·e·s rassemblé·e·s sur le toit de la Kunsthalle çaise, où elle vit et travaille aujourd’hui. d’astronomie qui désigne le phénomène de
Wien sur la Karlsplatz, à Vienne, en Autriche, Elle a raconté la légende ancestrale teko de l’alignement des corps astraux. Carl Jung a
pour assister à SYGYZY o Full Moon Special o la création de la lune : pendant trois nuits consé- emprunté cette notion pour caractériser l’har-
(2019), un rituel collectif d’observation du ciel cutives, une jeune fille a été agressée dans son monie des contraires. Rezaire, elle, réemployait
guidé par Rezaire. La performance accompa- lit. La troisième nuit, elle a attendu l’assaillant, le vocable dans la même acception en cet
gnait des installations vidéos de l’artiste, soit couchée dans son hamac, armée de genipa, une équinoxe d’automne – moment où la nuit et le
The Song of the Spheres (2018) et Ultra Wet— encre noire naturelle employée au village de jour se retrouvent en équilibre – afin de réimagi-
Recapitulation (2017-2021), présentées dans Camopi dans la pratique du tatouage. Lorsque ner la convergence entre l’empirisme occidental

22 — Dossier
Esse

 Tabita Rezaire et les savoirs ancestraux. Cette démarche était l’observation des astres4. La programmation en
Satellite Devotion, vue d’installation | singulière, dans la mesure où l’on venait de célé- ligne du Centre comprend un recueil de récits
installation view, Unseen Festival, brer l’anniversaire de l’alunissage d’Apollo 11, signés par des « gardien·ne·s de la sagesse
Amsterdam, 2019. qui a marqué le début de la conquête impé- lunaire » des quatre coins de la planète : une
Photo : Borko Vukosav, permission de | rialiste de l’espace par les États-Unis et rendu guérisseuse de Dakar, une tarologue de Los
courtesy of the artist & Goodman Gallery, caducs tous les mythes lunaires. Avec SYGYZY Angeles, une herboriste de Kinshasa, une astro-
Johannesbourg
o Full Moon Special o, Rezaire tentait d’éveiller physicienne de Cayenne. Une série de médita-
tous les avatars qu’a incarnés la lune avant que tions est dédiée aux phases de la lune. Filmées
« nous » – les héritiers et héritières des sciences à travers le télescope de Rezaire sous le ciel de la
occidentales – n’apprenions qu’il ne s’agit en réa- Guyane française, elles nous invitent à « vivre au
lité que d’un satellite formé de débris accrétés. rythme de la lune », à aligner nos « corps-esprit-
Combinant sciences et magie, les rituels col- âme » sur les cycles de sa force gravitationnelle.
lectifs organisés par l’artiste visent à dénouer « Guidé·e·s par la lune, nous synchronisons
l’alliance historique entre technoscience et
patriarcat, qui continue à façonner les structures
mondiales du pouvoir. Elle accomplit son geste
de contreconquête au nom de tous ceux et celles
qui racontent des histoires lunaires. Si Sun Ra et 1 — Voir Lucile Olympe Haute, « Manifeste
ses voyages sonores dans le temps ont dévoilé des cybersorcières », 2017, <lucilehaute.fr/
le potentiel prémoderne de la dévotion égyp- cyberwitches-manifesto/index.html>.

tienne au soleil, Rezaire invoque quant à elle


2 — Hysterical Mining a été commissariée par
le panthéon des divinités lunaires et le clan des Anne Faucheret et Vanessa Joan Müller pour la
adorateurs et adoratrices de la lune afin de culti- Vienna Biennale for Change 2019 ; voir le site
ver les contre-imaginaires féministes, queers et web de la Kunsthalle Wien.

afrofuturistes.
3 — Le terme « postcyberféminisme » est
Les cérémonies à la pleine lune de Rezaire de Helen Hester dans « After the Future : n
se sont poursuivies pendant la pandémie, dif- Hypotheses of Post-Cyber Feminism », Res.,
fusées en format numérique dans le cadre de 2017, accessible en ligne.

son nouveau projet, AMAKABA, un centre de


4 — AMAKABA est soutenu par le projet à long
guérison ancré dans des pratiques ancestrales terme Back to Earth des Serpentine Galleries ;
qui accueille également le Centre lunaire pour voir leur site web.

23 — Feature
Esse

! Black Quantum Futurism



Black Space Agency, vue
d’installation | installation view,
Icebox Project Space,
Philadelphie, 2018.
Photo : D1Lo DeMiLLe

$ Tabita Rezaire

Ultra Wet−Recapitulation, vues
d’installation | installation views, Villa
Merkel, Esslingen am Neckar, 2019.
Photos : permission de | courtesy of the artist
& Goodman Gallery, Johannesbourg

24 — Dossier
Esse

notre énergie créatrice avec le mouvement de prendre soin de soi n’est pas un comportement
l’infini5. » En décentrant les discours universali- complaisant, mais bien un mécanisme de survie
sants, Rezaire tente, à travers ses récits lunaires – « un geste de combat politique » –, l’interven-
et ses méditations médiées par des écrans, de tion de Rezaire dans le binarisme art-science
provoquer un éveil cosmique à l’aube d’une nou- permet d’adopter des pratiques de guérison
velle ère géopolitique d’exploration spatiale. en tant que stratégies de survie collective7.
En tant que descendante spirituelle des Elle prend au sérieux l’affirmation de Donna
« sorcières de Thessalie », l’artiste fait résonner Haraway voulant que « prendre ses responsa-
ses imaginaires lunaires avec une contrelignée bilités pour les relations sociales de la Science
d’expériences collectives : l’œuvre paraconcep- et de la technologie veut dire refuser une méta-
tuelle Dream Mapping (1974) de Susan Hiller ; le physique antiscience, une démonologie de la
film lyrique en 16 mm Lunar Almanac (2013) de technologie et donc embrasser la tâche habile
Malena Szlam ; la série d’ateliers-performances qui consiste à reconstruire les frontières de la
Black Space Agency (2018) de Black Quantum vie quotidienne, en connexion partiale avec les
Futurism, qui exhument la postérité de la course autres8 », y compris les autres non humains. À
à l’espace à North Philadelphia ; et le spectacle un moment où s’intensifient les changements
Faisant écho à la théâtral La Luna en el Amazonas (« La lune en climatiques, la surveillance mondiale et la
Amazonie », 2021) de la troupe Mapa Teatro de course colonialiste et privée à l’espace menée
déclaration d’Audre Bogotá, en Colombie, qui explore le legs contem- par les milliardaires de la Silicon Valley, Rezaire
porain de la colonisation en Amérique latine : – qui a décroché un diplôme en économie avant
Lorde, selon qui l’appropriation destructrice de la forêt tropicale de se tourner vers l’art – investit dans une nou-
par les multinationales canadiennes, qui s’ac- velle mythologie qui aborde la science en tant
prendre soin de compagne d’une épidémie de meurtres ciblant que forme de technologie spirituelle et moyen
les défenseurs et défenseuses du territoire. d’émancipation collective.
soi n’est pas un Mais la cybersorcellerie de Rezaire est-elle Réactivant le souvenir des révoltes nourries
une réponse adéquate à la croissance fulgurante sous le couvert de la nuit, des rassemblements
comportement des technologies de communication en réseau, furtifs sur des collines au clair de lune, la perfor-
qui se trouvent également à la fine pointe de mance d’observation du ciel SYGYZY o Full Moon
complaisant, mais l’exploitation minière des astéroïdes, ainsi que Special o de Tabita Rezaire s’est achevée sur une
des nouvelles structures légales et du contrôle méditation. L’artiste nous a demandé de nous
bien un mécanisme de l’armement en orbite terrestre basse ? Tandis coucher sur la toiture. Tandis que nous étions
que le télescope spatial James-Webb de la NASA allongé·e·s ainsi, sur le toit de la Kunsthalle
de survie – « un déroule son immense parasol de Kapton avec la Wien et les yeux rivés vers le ciel, elle a fait
promesse de sonder notre passé cosmique, la retentir un coup de gong qui nous a plongé·e·s
geste de combat Naturphilosophie millénaire de l’artiste recycle dans les vibrations sonores ondoyantes émanant
un amalgame de signifiants nouvel âge : tradi- de la lune pour faire chavirer le temps et rebâtir
politique » –, l’inter- tions métaphysiques et médecines alternatives des collectivités. Après un dernier coup d’œil
du monde entier, yoga kémétique, altération dans le télescope de Guggenberger, notre col-
vention de Rezaire de l’état de conscience, adoration pansyncré- lectif fortuit de Sélénien·ne·s s’est dissolu dans
tique de la Déesse, méditations spirituelles et la fraicheur de cette nuit de fin d’été.
dans le binarisme vision du monde organiciste. Ses installations
multimédias et performatives renouvèlent la Traduit de l’anglais par Luba Markovskaia
art-science permet cosmovision de la spiritualité ésotérique des
années 1970, qui a fait l’objet de nombreuses cri-
d’adopter des pra- tiques. Certain·e·s Autochtones et néopaïen·ne·s
y voient une forme d’appropriation culturelle,
tiques de guérison tandis que des théoricien·ne·s s’inscrivant dans
5 — Les méditations sont disponibles sur la
plateforme en ligne du Centre lunaire. [Trad.
la tradition de pensée marxiste y perçoivent une libre]

en tant que stra- théologie politique néolibérale – un discours de


6 — Voir la critique que fait Goran Kauzlarić’s
consolation thérapeutique devant les effets du
tégies de survie capitalisme mondial, qui continue à exproprier
de l’intersection entre néolibéralisme et
récits nouvel âge : « New Age: A Modus of
le territoire et le travail6. Hegemony », dans Aleksandar Matković,

collective. Rezaire fait le pari – certainement risqué –


Mark Losoncz et Igor Krtolica (dir.), Thinking
Beyond Capitalism, actes de colloque,
que ces clichés pourront être redirigés vers une Belgrade, Institute for Philosophy and Social
entreprise de guérison intergénérationnelle. Theory, 2016, p. 175-198.
Ses réimaginations lunaires participent d’une
7 — Audre Lorde, A Burst of Light and Other
nouvelle ère de féminisme intersectionnel et Essays, Mineola, Ixia Press, 2017 [1988], p. 228.
de militantisme queer néopaïen cherchant à
délivrer les corps des traumatismes du colonia- 8 — Donna Haraway, « Manifeste Cyborg:
lisme qui persistent à les hanter, et qui incorpo- Science, technologie et féminisme socialiste
à la fin du XXe siècle », Mouvements, vol. 3-4,
rent notamment les structures technologiques n os 45-46 (2006), p. 2.
du web. Contrairement à l’individualisme thé-
rapeutique des discours nouvel âge des années
1970, ses performances intègrent les sciences et
réinventent la science des réseaux – organiques,
électroniques et spirituels – pour en faire des
technologies de guérison collective. Faisant
écho à la déclaration d’Audre Lorde, selon qui

25 — Feature
Esse

Jayne Wilkinson

One recent morning, I noticed that a small pigeon had


landed, upside down, in the palm tree of the garden where
I was staying. It was dead; I wasn’t sure for how long. As
a lover of pigeons, I took immediate notice. It differed
from the familiar rock dove: slightly smaller, diminutive,
less-colourful feathers. I often take encounters with dead
birds—a not infrequent but slightly off-putting part of city
life—as good omens. It’s not that it’s good luck to see them,
it’s that the immediate and visceral encounter with death
brings to mind ideas of transformation, change, possibility.
It’s a pause that envelops otherworldliness. When a bird
falls from the sky, it feels symbolic.

26 — Dossier
Esse

! Julian Yi-Zhong Hou


We live in a time of restless searching. some demand study, some disappear. “Symbolic
Country Balance, vue d’exposition | Thresholds are thin. The boundaries between images are more than data; they are vital
exposition view, Zalucky living and dying, renewal and stasis, demand seed, living carriers of possibility,” writes
Contemporary, Toronto, 2021. frequent negotiation. It’s perhaps unsurprising Ami Ronnberg, the curator of the Archive for
Photo : Toni Hafkenscheid, permission de | that ideas drawn from mysticism, animism, Research in Archetypal Symbolism, in her intro-
courtesy of Zalucky Contemporary, Toronto ancestor worship, and spirituality (although duction to the seductive The Book of Symbols
not necessarily from organized religion) are (2010).1 Symbols are entities that move through
 Julian Yi-Zhong Hou recurrent in contemporary art. In light of per- form, shape-shifters that retain some essential
VI. Mantis, 2021. petual crises, spiritual practices are in high aspect of meaning. As vital components of cul-
Photo : LF Documentation, demand. The intersections of art and spiritual- tural history, symbols are constantly renewed
permission de | courtesy of Zalucky ity are, of course, not new, but they are cyclical. and reimagined. Like poetry, symbols express
Contemporary, Toronto
In the long shadow of Conceptual Art, it hasn’t the unsayable, the felt, the intangible, the time
always been fashionable to incorporate aspects and space beyond the physical present. These
of narrative, symbolism, myth, or character so living carriers of possibility so often enable psy-
directly. Irony superseded sincerity, and work chic or otherworldly experiences because they
that performed meaning through figuration was focus energies and hold our intentions. Handled
often discounted. As the political urgencies of carefully, symbolic forms can open possibilities
art-making demand social accountability and for imagining futures yet to be written.
change, symbolism has again become useful
in connecting spiritual beliefs with aesthetics. J U LI A N Y I -Z H O N G H O U ’ S
Some symbols come readily to mind — cross, P SYC H I C O B J E C T S
star, wheel, flag, tree, pyramid — particularly
those easily associated with religious or politi- Julian Yi-Zhong Hou’s work pursues mystical
cal ideologies. Others are more arcane, esoteric, subjects, inviting audiences to reassess con-
highly personal, even violent. Some symbols sciousness through access to divination ritu-
are self-evident, some are deeply ambiguous; als, tarot, poetry, and resonant energies. Truly
a conductor of magic objects, he works across
many media, incorporating graphic design,
philosophy, and various references drawn from
Chinese cultural practices.
For his first large-scale public commis-
sion, Crossroads (2021), Hou created a triptych
of stained-glass works installed on the ground
floor of an otherwise nondescript condo devel-
opment in Burnaby, BC. Stained glass tradition-
ally relies on symbolic forms, often to the point
of abstraction. As they have little depth and so
much surface, the bright colours and thick lines
form a geometric plane in which humans, ani-
mals, plants, and decorative shapes can mix. In
Crossroads, the crowded imagery encompasses
crows, lotuses, daffodils, blooming flowers, and
birds in flight, all spiralling around central fig-
ures in patterned jeans and bucket hats. With
nods to Art Deco and 1960s psychedelia, the
work embeds symbols of the natural world with
the recognizable (and once again fashionable)
aesthetics of 1990s style.
Stained glass is not subtle. Its bold, con-
trasting shapes soldered in place delimit each
small frame or image as a discrete entity. As
a medium, it calls to mind the spiritual archi-
tecture of cathedrals and churches, where reli-
gious stories are narrated through patches of
coloured light. Instead, Hou deals in the secular

1 — The Archive for Research in Archetypal


Symbolism (ARAS) is an organization influ-
enced by Carl Jung’s writing on symbols, that
operates an exhaustive archive of more than
eighteen thousand indexed images related
to the history of symbolic imagery in cultural
myths and rituals from around the world
and through various historical epochs; see
the ARAS website. Also see The Archive for
Research in Archetypal Symbolism, The Book
of Symbols: Reflections on Archetypal Images, eds.
Ami Ronnberg, Kathleen Martin (Cologne:
Taschen, 2010).

27 — Feature
Esse

space of the mall (through a visual reference to the numbers and colours, whether to aid in by curator Priyesh Mistry as part of Dance to
Lougheed Town Centre) and narrates a scene gambling, predict the future, or heal a psychic the Music of Our Time: A Live Exhibition, this
of allusion, combining commerce and capital wound. performance-installation is one of her most
with the perceived utopias of nature. Here, the Attending to imagery with such charged sig- overtly symbolist works. The scene is set by a
crow is striking, hiding in some scenes, soaring nificance means addressing artworks as func- large structure with detailed, surrealist-inspired
in others. Crows are divinatory birds, famil- tional psychic objects, as things upon which one paintings on each side. One shows a group of
iar to the creation myths and folklore of many might cast thoughts, desires, fears about past or eight gigantic women dancing between moun-
cultures. They can be read as creators, omens, future events simultaneously. As an artist, Julian tains and across the sea, under a red moon
demons, foretellers of the future, or a reference Yi-Zhong Hou is a kind of medium, offering tarot and a night sky green with aurora borealis. In
to transformation. Like doves, crows have long readings for visitors to the exhibitions or leading the other, seagull, fox, scorpion, and human
held mysterious and symbolic relations with ritual performances in the gallery. One needn’t share a maze-like scene with trompe l’oeil floor
humans, inserting themselves as portents of a be a spiritual person to recognize that this work tiles—an ambiguous space that nods to Magritte
different kind of knowledge. has a capacity for connecting to realms beyond and De Chirico in its dream-like mix of environ-
Hou’s background in architecture has no the here and now, and that using a mix of art and ments. The performance begins with sound — a
doubt influenced his interest in public art, but symbology enables a space where the finitude of slowly growing chorus of animal voices — and
it’s with smaller glass works that he brings view- life feels less certain. from within the structure the two protago-
ers more intimately into his unique symbology. nists, Seagull and Fox, expertly performed by
For his recent exhibition, Country Balance (2021) Z A D I E X A’ S A N I M A L Yumino Seki and Jia-Yu Corti, respectively,
at Zalucky Contemporary (Toronto), and instal- MESSENGERS reveal themselves. (Xa has collaborated fre-
lation at Artpace (San Antonio), soldered works quently with Seki and Corti, and they each per-
made of Tiffany-style glass, mirrors, jade, and Working in performance, video, painting, and formed in Grandmother Mago at the 2019 Venice
quartz draw from a mix of Chinese traditions textiles, Zadie Xa has built a highly original Biennale.) The two are an oddly entangled pair.
and pop culture aesthetics: coins, pentacles, hip- visual vocabulary of symbols and icons drawn The goofiness of the seagull, with her overly dra-
pie daisies, kissing doves, the tree of life, dice, from pop culture, theory, religious traditions, matic exaltations of laughter and tears, and the
owls, mantises, and Pizza Hut’s logo. Some are music, dance, and the ecologies of non-human mysterious nature of the fox, whose expressions
titled to obviate their references — I. Coin (2021), worlds. Her practice addresses identity and and movements are captivating, even vulgar,
VI. Mantis (2021) — whereas others are purpose- self-representation through recourse to Korean produce a magnetic opposition. Set to a chaotic,
fully obscure. In both installations, the works myths, familial legacies, and matrilineal folk- mercurial soundscape of squalls, noises, and
are strung up like oversized necklaces, or tal- lore. With a host of approaches to symbolism, drumbeats, the performers become messengers,
ismans, with hanging hardware that balances she summons a broad audience. Past works conveying without language a dramatic mise en
delicacy with strength. The range of symbols have borrowed heavily from 1990s pop cul- scène of birth and death and rebirth.
requires deciphering, each figure a code that ture—mood rings, yin-yang symbols, patchwork The performance’s namesake, the scorpion,
can be widely interpreted. I think of them as eyes, fluorescent purples and turquoises, black is absent as a character but present in meaning.
meditations, a way to find distraction in form. lights — to create vibrant spaces of encounter. Scorpions are ancient creatures, known to have
One of Hou’s recurring symbols is the spiral. Her recent suite of collaborative projects pushes lived up to four hundred million years ago, and
He tells a story of coming across a broken glass further into this symbolic universe, narrating are today the land-based descendants of marine
table that had been dumped down a hill deep ecologies through repeating symbols of animal animals. They are often thought to represent
in the forest, and the shattered surface formed and plant life that stretch our ability to consider the capacity to survive transformation, as they
an elegant, radial shape. Its resonance as a sign non-human space-time. experience death and renewal through the most
has found its way into a number of works since. On October 29, 2021, Xa and artist Benito fundamental of changes. In the performance,
As shape and symbol, a spiral is evocative. It Mayor Vallejo presented Scorpion at the these ideas about the scorpion are present in
encompasses the vastness of a universe or the National Gallery, London. Commissioned the shape-shifting between land, water, and
tiny double helix of a DNA strand; it is whirl-
pools churning, plants unfurling, hurricanes
moving. Spirals appear in monuments and
petroglyphs and have been used and reused
by artists for millennia to focus attention, to
hypnotize, to transcend. In Hou’s work, this
recognizable form permits a reading that is both
calming and energetic, allowing the eye to trace
a path that moves infinitely inward or infinitely
outward.
Another frequent figure is the deck of cards.
Hou often uses a fanned-out set of tarot cards as
a repeating shape in sculptures and wallpaper
works, and he has started incorporating hearts,
clubs, spades, and diamonds into new projects.
His research into the history of cartomancy and
the overlap between game-playing decks, tarot
decks, and psychic readings is revelatory. As
meditative practices, playing card games and
pulling tarot cards offer the opportunity to resist
time, to take a break from work, to focus one’s
intentions. These rituals are not so far apart;
each traffics in a set of symbols that articulate
rules and boundaries meant to be transgressed.
We then attach our own meanings to the stan-
dard suits and characters, the cups and wands,

28 — Dossier
Esse

" Zadie Xa

Moon Poetics for Courageous
Earth Critters and Dangerous Day
Dreamers, 2020.
Photo : permission de l’artiste |
courtesy of the artist

' Zadie Xa & Benito Mayor Vallejo



Scorpion, vue de la performance |
performance view, The National
Gallery, Londres, 2021.
Photo : Andrew Bruce, permission des |
courtesy of the artists

air, embodying the archetypal trickster through solo exhibitions at Remai Modern (Saskatoon) precludes shared experience. Her animal mes-
the characters of Fox and Seagull, whose rep- and Leeds Art Gallery. Based loosely on a sengers are a reminder that sentient beings exist
resentations are based on the common seagull Korean shamanic narrative, the work tells sto- and survive all around us. Art becomes a way for
and urban fox, as well as various myths of the ries of survival on a planet in decline and sug- us to attune ourselves to them.
nine-tailed fox spirit (who is known as Gumiho gests possibilities of resilience through a host of Symbolism isn’t a genre per se, and it’s diffi-
in Korea, Huli Jing in China, Kitsune in Japan). creatures. The voiceover, provided by Samantha cult to pinpoint a historical lineage because the
This attention to transformation is a polit- Lawson, directs you to close your eyes, to med- boundaries are so broad. A symbol is a search for
ical gesture as much as a spiritual one. As Xa itate, to breathe, to float, to become part of an meaning behind the logic of the present, a way to
notes, the trickster appears when society needs atmospheric watery realm where coexistence access what is unknowable, beyond conscious-
upheaval or overturning; they make themselves with animal kin seems possible. It is a work of ness. Symbolism and ritual have become a fre-
known when change is necessary. By host- lucid dreaming; listening engages something quent part of contemporary art practices as we
ing Scorpion in the National Gallery’s famed untethered from the physical world. “Behind live through a time of grief, reckoning with mass
Spanish Gallery, with Velazquez and the paint- the arc of disaster, it’s possible for a new world species extinction, pandemics, an increasingly
ings of the Spanish Golden Age and all the colo- to emerge… there are a million paths into the unliveable planet, war and conflict. We need
nial weight of European art history surrounding future,” incants the narrator. If you can release things to hold onto. Artists give us tools to com-
it, Xa and Vallejo interrupt art’s unrelenting skepticism (a difficult but urgent task for our municate beyond language, to feel infinite or
relationship with wealth and accumulation. fraught present), it’s possible that such a work tiny, to imagine other realms and other worlds,
Velazquez was painting at the height of Spain’s offers not only a sonic representation of animal to consider ancestors and futures and desires
expansion across the Americas; although his life but also an experience of it. Become a dan- and dreams, to let our minds become truly
works are rightly celebrated as masterpieces, gerous daydreamer, it says, become ready for the expansive in thought. A shift in social conscious-
they provide a dark historical backdrop for the spirit of a different consciousness. ness is profoundly necessary and, although art
creaturely evocations of Scorpion. What are the Symbolism is usually associated with visual can’t necessarily produce that on its own, it can
possibilities for change, for transformation, and iconography, but sonic symbolism can also be offer a reorientation, if briefly. •
for political action in the violent wake of colo- a powerful aesthetic form, as voices, calls,
nization? The history of human exploitation rhythms, or tonalities produce interpretations
and the associations with conquest form an beyond language. In Moon Poetics…, many of
outer layer for these creatures who live in other Xa’s familiar figures are present in their sonic
worlds, persisting, surviving, and resisting the forms — orca, seagull, fox, conch shell, and cab-
dominance of human knowledge. bage along with mountain, ocean, moon, fish
Sound plays a significant role in all Xa’s and many others. Tuning in to the communi-
performances and installations. She works with cative capacities of animals bridges the divide
sound intuitively, like a painter would, mapping that language produces. Or, at least, it can
out rhythms and swells and orchestrating sound help us approach the limits of human senses
through collage techniques. Her works are the- and encourage ways of thinking beyond them.
atrical in effect but sincere in intention, partic- Animal stories figure prominently in many cul-
ularly when the voices of birds and animals mix tural myths because they reframe human con-
with those of human guides. Moon Poetics for cerns in ways that are approachable and broadly
Courageous Earth Critters and Dangerous Day relatable. In treading into this creaturely world,
Dreamers (2020) is a six-part narrative sound Zadie Xa orchestrates narratives that connect
work produced for Somerset House Studios’ humans with non-human kin, addressing the
online residency “Assembly: Sonic Terrains” real and ever-present threats of environmental
and it became the main sound work for recent disaster, but without the local specificity that

29 — Feature
Esse

Nouvelles symboliques : symboles


et esprits dans les œuvres de Julian
Yi-Zhong Hou et Zadie Xa
Jayne Wilkinson

Récemment, un matin, j’ai remarqué qu’un petit pigeon avait atterri, tête en bas,
dans le palmier du jardin où j’habitais. Il était mort ; je ne savais pas depuis
quand. Moi qui adore les pigeons, je l’ai immédiatement aperçu. Il était différent
du pigeon biset que nous connaissons bien : un peu plus petit, délicat et avec un
plumage moins coloré. Je considère souvent que la découverte d’un oiseau mort
– évènement fréquent de la vie en ville, même si c’est un peu rebutant – est un bon
présage. Ce n’est pas qu’elle soit un signe de chance, mais plutôt qu’une rencontre
immédiate et viscérale avec la mort nous rappelle l’idée de la transformation, du
changement, de la possibilité. C’est une interruption qui embrasse l’idée d’un autre
monde. Un oiseau qui tombe du ciel, cela semble symbolique.

Nous vivons dans une époque de recherche Livre des symboles (2010). Les symboles sont des vives et les lignes épaisses forment un plan géo-
incessante. Les seuils sont minces. Les fron- entités qui se déplacent à travers les formes, des métrique dans lequel peuvent se mêler figures
tières entre vivre et mourir, entre le renouveau métamorphes qui conservent certains aspects humaines, animaux, plantes et formes décora-
et l’immobilisme, exigent de fréquentes négo- essentiels de la signification. Composantes tives. Dans Crossroads, l’imagerie abondante se
ciations. Ce n’est peut-être pas une surprise si vitales de l’histoire culturelle, les symboles compose de corbeaux, de lotus, de jonquilles,
les idées tirées du mysticisme, de l’animisme, du sont constamment renouvelés et réinventés. de fleurs écloses et d’oiseaux en vol entourant
culte des ancêtres et de la spiritualité (ne décou- Comme la poésie, ils expriment l’innommable, des figures centrales habillées de jeans à motifs
lant pas nécessairement d’une religion organi- le ressenti, l’intangible, le temps et l’espace et coiffées d’un chapeau cloche. Avec des clins
sée) sont récurrentes dans l’art contemporain. au-delà du présent matériel. Ces vecteurs de d’œil à l’art déco et au psychédélisme des années
Face aux crises perpétuelles, les pratiques spiri- possibilités vivants permettent souvent des 1960, l’œuvre intègre des symboles du monde
tuelles sont en forte demande. Bien entendu, les expériences psychiques ou d’un autre monde, naturel à l’esthétique reconnaissable (et encore
croisements entre art et spiritualité ne sont pas car ils concentrent les énergies et retiennent à la mode) du style des années 1990.
nouveaux, mais cycliques. Dans l’ombre de l’art nos intentions. Maniées avec soin, les formes Le vitrail n’est pas subtil. Ses formes vives
conceptuel, cela n’a pas toujours été à la mode symboliques peuvent ouvrir des possibilités et contrastées soudées en place délimitent les
d’incorporer de façon si directe des aspects liés pour imaginer des avenirs qui restent à écrire. cadres ou images comme de petites entités
au récit, au symbolisme, au mythe et au per- séparées. La technique rappelle l’architecture
sonnage. L’ironie a succédé à la sincérité et les LE S O B J E T S P SYC H I Q U E S spirituelle des cathédrales et des églises, où les
œuvres qui exprimaient leur signification par la D E J U LI A N Y I -Z H O N G H O U récits religieux sont racontés dans des parcelles
figuration ont souvent été écartées. Comme l’ur- de lumière colorée. Hou traite plutôt de l’espace
gence politique de la création artistique exige Dans ses œuvres, Julian Yi-Zhong Hou, qui laïque du centre commercial (avec une référence
une responsabilité et un changement social, le s’intéresse à des sujets mystiques, invite le visuelle au Lougheed Town Centre) et raconte
symbolisme est une fois de plus utile afin de lier public à réexaminer sa conscience en lui don- une scène évocatrice qui combine le commerce
les croyances spirituelles à l’esthétique. nant accès à des rituels divinatoires, au tarot, à et le capital aux utopies perçues de la nature.
Certains symboles, particulièrement ceux la poésie et aux énergies résonantes. Véritable Ici, le corbeau est marquant, se cachant dans
que l’on associe facilement aux idéologies chef d’orchestre d’objets magiques, il travaille
religieuses ou politiques, viennent immédia- dans plusieurs disciplines, notamment le design
tement en tête  : croix, étoile, roue, drapeau, graphique, la philosophie et diverses références
arbre, pyramide. D’autres sont plus obscurs, tirées des pratiques culturelles chinoises. 1 — Archive for Research in Archetypal
ésotériques, très personnels, ou même violents. Pour Crossroads (2021), sa première com- Symbolism (ARAS) est un organisme influencé
Certains symboles sont évidents, d’autres sont mande publique d’envergure, Hou a créé par les écrits de Carl Jung sur les symboles

profondément ambigus ; certains doivent être un triptyque de vitraux installé au rez-de- qui gère une collection exhaustive de plus de
18 000 images indexées liées à l’histoire de
étudiés, d’autres disparaissent. « Les images chaussée d’un immeuble de condominiums l’imagerie symbolique dans les mythes et les
symboliques sont plus que des données, ce sont tout à fait ordinaire à Burnaby, en Colombie- rituels culturels provenant de partout dans le
des semences vitales, des vecteurs de possi- Britannique. Traditionnellement, le vitrail s’ap- monde et de diverses époques. Voir le site

bilités vivants 1 », écrit Ami Ronnberg, com- puie sur des formes symboliques, parfois jusqu’à web d’ARAS : <aras.org>. Voir aussi : Ami
Ronnberg et Kathleen Martin (dir.), Le livre des
missaire d’Archive for Research in Archetypal l’abstraction. Puisque ceux-ci sont peu profonds symboles : Réflexions sur des images archéty-
Symbolism, dans l’introduction de son séduisant et possèdent une grande surface, les couleurs pales, Paris, Taschen, 2011, 808 p.

30 — Dossier
Esse

Julian Yi-Zhong Hou certaines scènes, s’envolant dans d’autres. Le les deux installations, les œuvres sont sus-
Crossroads, vue d’installation | corbeau est un oiseau divinatoire, familier avec pendues comme des colliers ou des talismans
installation view, 4488 Juneau les mythes de la création et le folklore de nom- surdimensionnés à l’aide de matériaux qui équi-
Street, Burnaby, 2021. breuses cultures. Il peut être perçu comme un librent la délicatesse et la force. La panoplie de
Photo : Dennis Ha, permission de | créateur, un présage, un démon, un héraut ou symboles demande un décryptage, chacune
courtesy of the artist une référence à la transformation. Tout comme des figures constituant un code qui se prête à
la colombe, le corbeau entretient une longue diverses interprétations. Je les considère comme
relation mystérieuse et symbolique avec les des méditations, une façon de trouver de la dis-
êtres humains, s’imposant comme l’augure d’un traction dans la forme.
autre type de connaissance. La spirale est l’un des symboles récurrents
La formation de Hou en architecture a utilisés par Hou. Il raconte avoir trouvé une table
sans aucun doute influencé son intérêt pour de verre brisée qui avait été jetée en bas d’une
l’art public, mais c’est avec un plus petit travail pente loin dans la forêt et dont la surface fracas-
de vitrail qu’il fait intimement entrer le public sée présentait une élégante forme radiale. Sa
dans sa symbolique unique. Pour sa plus récente résonance en tant que signe s’est depuis retrou-
exposition, Country Balance (2021), à Zalucky vée dans plusieurs de ses œuvres. La spirale est
Contemporary (Toronto) et son installation évocatrice, autant comme forme que comme
à Artpace (San Antonio, Texas), les œuvres symbole. Elle contient l’immensité d’un uni-
soudées faites de vitraux de style Tiffany, de vers ou la double hélice d’un fragment d’ADN ;
miroirs, de jade et de quartz sont inspirées d’un ce sont des tourbillons qui s’agitent, des plantes
mélange de traditions chinoises et d’esthétique qui se déploient, des ouragans qui se déplacent.
de la culture pop  : pièces de monnaie, pen- Les spirales apparaissent dans des monuments
tacles, marguerites hippies, colombes qui s’em- et des pétroglyphes, elles sont utilisées et réuti-
brassent, arbre de la vie, dés, hiboux, mantes lisées par les artistes depuis des millénaires afin
religieuses et logo de Pizza Hut. Certaines sont de capter l’attention, d’hypnotiser, de transcen-
intitulées de manière à expliciter leurs réfé- der. Dans le travail de Hou, cette forme recon-
rences – I. Coin (2021), VI Mantis (2021) – alors naissable offre une lecture à la fois calmante
que d’autres sont délibérément obscures. Dans et énergisante, permettant à l’œil de suivre un

31 — Feature
Esse

chemin qui bouge infiniment vers l’intérieur ou le conservateur Priyesh Mistry pour l’exposition " Zadie Xa & Benito Mayor Vallejo

vers l’extérieur. Dance to the Music of Our Time : A live Exhibition, Scorpion, vue de la performance |
Le jeu de cartes est une autre figure récur- cette installation performative est l’une de ses performance view, The National
rente. Hou utilise souvent des cartes de tarot en œuvres les plus ouvertement symbolistes. La Gallery, Londres, 2021.
éventail comme motif dans ses sculptures et ses scène se déroule dans une grande structure avec, Photo : Andrew Bruce, permission des |
œuvres murales sur papier. Il a également com- de chaque côté, des peintures détaillées inspi- courtesy of the artists

mencé à incorporer des cœurs, des trèfles, des rées du surréalisme. L’une dépeint un groupe
piques et des carreaux à ses projets. Sa recherche de huit femmes gigantesques qui dansent entre $ Zadie Xa

sur l’histoire de la cartomancie et les recou- les montagnes et au-dessus de la mer sous une Moon Poetics for Courageous Earth
pements entre les jeux de cartes, le tarot et la lune rouge et un ciel nocturne vert traversé par Critters and Dangerous Day Dreamers,
voyance est révélatrice. Comme pratiques médi- des aurores boréales. Dans l’autre, un goéland, vue d’installation | installation view,
tatives, jouer aux cartes et tirer le tarot offrent la un renard, un scorpion et un humain partagent Leeds Art Gallery, Leeds, 2021.
possibilité de résister au temps, de prendre une une scène labyrinthique avec un plancher de Photo : Stuart Whipps, permission de |
pause du travail et de concentrer ses intentions. tuiles en trompe-l’œil – un espace ambigu qui courtesy of the artist

Ces rituels ne sont pas si éloignés ; chacun tra- fait un clin d’œil à René Magritte et à Giorgio
fique un ensemble de symboles qui articulent de Chirico avec son mélange d’environnements
des règles et des limites faites pour être trans- oniriques. La performance débute par des sons
gressées. Nous associons ensuite chacun·e une – un chœur de voix animales qui s’amplifie lente-
signification aux costumes et aux personnages ment – et les deux protagonistes, Seagull et Fox,
de référence, aux coupes et aux bâtons, aux incarnés avec brio respectivement par Yumino
nombres et aux couleurs, que ce soit pour aider Seki et Jia-Yu Corti, apparaissent à l’intérieur
aux jeux du hasard, prédire l’avenir ou guérir de la structure. (Xa collabore souvent avec Seki
une blessure psychique. et Corti, qui ont performé toutes les deux dans
S’intéresser à une imagerie aussi chargée Grandmother Mago à la Biennale de Venise en
de sens signifie aborder les œuvres comme des 2019). Elles forment un duo curieusement empê-
objets psychiques fonctionnels, comme des tré. La maladresse du goéland, avec ses éclats
choses sur lesquelles on peut projeter ses pen- de rires et de larmes exagérés, et la nature mys-
sées, ses désirs et ses peurs concernant à la fois térieuse du renard, dont les expressions et les
des évènements passés ou futurs. En tant qu’ar- mouvements sont captivants, voire vulgaires,
tiste, Hou est une sorte de médium : il offre des produisent une opposition magnétique. Dans un
lectures de tarot aux visiteurs et visiteuses de paysage sonore chaotique et changeant composé
ses expositions ou réalise des rituels performa- de bourrasques, de bruits et de battements de
tifs en galerie. Nul besoin d’être une personne
spirituelle pour reconnaitre que son travail a la
capacité de se connecter à des domaines au-delà
de l’ici et maintenant, et que l’utilisation d’un
mélange d’art et de symbolique permet l’exis-
tence d’un espace où la finitude de la vie semble
moins certaine.

LE S M E S SAG E R S A N I M A LI E R S
DE ZADIE XA

En travaillant avec la performance, la vidéo,


la peinture et les tissus, Zadie Xa a construit
un vocabulaire visuel très original composé de
symboles et d’icônes tirés de la culture pop, de la
théorie, des traditions religieuses, de la musique,
de la danse et d’écologies de mondes non
humains. Dans sa pratique, elle aborde l’identité
et la représentation de soi en ayant recours aux
mythes coréens, au legs familial et au folklore
matrilinéaire. En utilisant diverses approches du
symbolisme, elle rassemble un vaste public. Ses
œuvres précédentes empruntaient largement à
la culture pop des années 1990 – bagues d’hu-
meur, symboles yin-yang, yeux brodés, mauves
et turquoises fluorescents, lumières noires –
afin de créer de vibrants espaces de rencontre.
Sa récente série de projets collaboratifs pousse
plus loin cet univers symbolique en racontant des
écologies à travers la répétition de symboles tirés
de la vie des animaux et des plantes qui augmen-
tent notre capacité à considérer l’espace-temps
non humain.
Le 29 octobre 2021, Xa et l’artiste Benito
Mayor Vallejo ont présenté Scorpion à la
National Gallery de Londres. Commandée par

32 — Dossier
Esse

qu’une telle œuvre offre non seulement une


représentation sonore de la vie animale, mais
aussi une expérience de celle-ci. « Soyez des
rêveurs ou des rêveuses redoutables, nous dit-
elle ; soyez prêt·e·s pour l’esprit d’une conscience
différente. »
Le symbolisme est habituellement associé à
une iconographie visuelle, mais le symbolisme
sonore peut aussi être une forme esthétique
puissante, car les voix, les appels, les rythmes
ou les tonalités produisent des interprétations
qui dépassent le langage. Dans Moon Poetics…,
un grand nombre de figures familières utilisées
par Xa sont présentes dans leur forme sonore –
orque, goéland, renard, coquillage et chou aux
côtés des montagnes, de l’océan, de la lune, des
poissons et de plusieurs autres. En se connectant
aux capacités communicationnelles des ani-
maux, on comble le fossé que le langage produit.
Ou du moins, cela peut nous aider à nous rappro-
cher des limites des sens humains et encoura-
ger des façons de penser qui les dépassent. Les
récits animaliers occupent une place importante
dans les mythes de nombreuses cultures parce
qu’ils recadrent les préoccupations humaines de
façon à les rendre accessibles et que l’on puisse
tambour, les performeuses deviennent des mes- sont les possibilités d’un changement, d’une largement s’y identifier. En pénétrant dans ce
sagères communiquant sans l’aide du langage transformation ou d’une action politique dans monde de créatures, Xa orchestre des récits qui
une mise en scène dramatique de naissance, de le violent sillage de la colonisation ? L’histoire connectent les communautés humaine et non
mort et de renaissance. de l’exploitation humaine et ses associations humaine et aborde les menaces réelles et tou-
Le personnage qui donne son nom à la per- avec la conquête se superposent à ces créatures jours présentes du désastre environnemental,
formance, le scorpion, en est absent, mais sa qui vivent dans d’autres mondes, survivant et mais sans la spécificité locale qui empêche une
signification est présente. Les scorpions sont résistant à la domination de la connaissance expérience partagée. Ses messagers animaliers
d’anciennes créatures connues pour avoir vécu humaine, persistant à travers elle. sont un rappel que des êtres sensibles existent et
il y a 400 millions d’années qui sont aujourd’hui Le son joue un rôle significatif dans toutes survivent tout autour de nous. L’art devient un
les descendants terrestres des animaux marins. les performances et les installations de Xa. Elle moyen de nous harmoniser à ceux-ci.
On pense souvent qu’ils représentent la capacité travaille intuitivement avec le son, comme un·e Le symbolisme n’est pas un genre en soi et il
à survivre à la transformation puisqu’ils expé- peintre le ferait, traçant ses rythmes et ses fluc- est difficile d’en dégager une lignée historique,
rimentent la mort et le renouveau à travers les tuations, l’orchestrant grâce à des techniques car ses frontières sont si vastes. Un symbole est
changements les plus fondamentaux. Dans de collage. Ses œuvres produisent des effets une quête de sens derrière la logique du présent,
la performance, ces conceptions du scorpion théâtraux, mais leur intention est sincère, par- une façon d’accéder à ce qui est inconnaissable,
sont présentes dans le passage de la terre, l’eau ticulièrement lorsque les voix des oiseaux et des au-delà de la conscience. Le symbolisme et les
et l’air, dans l’incarnation de l’archétype du animaux se mêlent à celles de guides humains. rituels se retrouvent fréquemment dans les pra-
trickster par les personnages de Fox et de Moon Poetics for Courageous Earth Critters and tiques artistiques contemporaines puisque nous
Seagull, dont les représentations sont basées Dangerous Day Dreamers (2020), une œuvre vivons une période de deuil face à l’extinction de
sur le goéland cendré et le renard urbain, ainsi sonore narrative en six parties produite pour la masse des espèces, aux pandémies, à une pla-
que dans les variations sur le mythe de l’esprit résidence en ligne « Assembly : Sonic Terrains » nète de plus en plus inhospitalière, aux guerres
du renard à neuf queues (connu sous le nom de des Somerset House Studios, est devenue la et aux conflits. Nous avons besoin de choses
Gumiho en Corée, Huli Jing en Chine et Kitsune pièce sonore centrale de ses récentes expositions auxquelles nous rattacher. Les artistes nous
au Japon). individuelles à la Remai Modern (Saskatoon) et donnent des outils afin de communiquer au-delà
Cette attention portée à la transformation à la Leeds Art Gallery. Inspirée librement d’un du langage, pour nous sentir infinis ou minus-
est un geste tout autant politique que spirituel. récit chamanique coréen, l’œuvre raconte des cules, pour imaginer d’autres domaines, d’autres
Comme le note Xa, le trickster apparait lors- histoires de survie sur une planète en déclin et mondes, pour tenir compte des ancêtres, des
qu’une société a besoin d’un bouleversement suggère les possibilités d’une résilience à travers avenirs, des désirs et des rêves, pour permettre
ou d’un renversement ; il se présente lorsqu’un une multitude de créatures. La voix hors champ, à nos esprits de réellement se déployer dans nos
changement est nécessaire. En présentant de Samantha Lawson, nous invite à fermer les pensées. Un changement dans la conscience
Scorpion dans la célèbre salle espagnole de yeux, à méditer, respirer, flotter, à nous plonger sociale est profondément nécessaire et bien que
la National Gallery, au milieu des peintures dans l’atmosphère particulière d’un royaume l’art ne puisse pas nécessairement le produire
de Diego Vélasquez et de l’âge d’or espagnol aquatique où la coexistence avec une commu- à lui seul, il peut proposer une réorientation,
et avec le poids colonial de l’histoire de l’art nauté animale semble possible. C’est une œuvre même brève.
européenne, Xa et Vallejo ont interrompu la de rêve lucide ; l’écoute implique quelque chose
relation indéfectible de l’art avec la richesse et qui n’est pas lié au monde physique. « Derrière Traduit de l’anglais par Catherine Barnabé
l’accumulation. Vélasquez peignait à l’apogée l’arc du désastre, l’émergence d’un nouveau
de l’expansion de l’Espagne en l’Amérique ; monde est possible, […] il existe des millions
bien qu’elles soient avec raison célébrées comme de chemins vers l’avenir », invoque la narra-
des chefs-d’œuvre, ses peintures procurent trice. Si nous parvenons à nous libérer du scep-
une toile de fond historique sombre pour les ticisme (une tâche difficile, mais urgente dans
évocations des créatures de Scorpion. Quelles la complexité de notre présent), il est possible

33 — Feature
Esse

After Kim Kardashian was robbed at gunpoint in a Paris hotel room


in 2016, she recovered from the trauma by surrounding herself
with healing crystals. Kardashian, who has recently joined the
billionaires list, lost USD 10 million in diamond and gold jewellery
that night. Several people were charged, calling to mind the
work of the international jewel thief network the Pink Panthers.
“Honestly, after my Paris situation,” she said, “a lot of my friends
would come over and bring me healing crystals,… I started to
really dig deeper into what they meant and the meanings behind
them and started to go to these crystal warehouses in Culver
City and downtown [L.A.]”1 The crystal industry is a multibillion-
dollar appendage of the global wellness industry, which, in 2019,
was valued at USD 4.2 trillion.2 Crystals became popular in the
United States in the 1970s as part of the broad range of practices
known as the New Age movement, and sales today correspond
to a resurgence in alternative spirituality and self-care markets
propagated mainly through social media platforms.

Kate Whiteway

34 — Dossier
Esse

In North America, most crystals are mined by mining industry, where everything is a little
individual hobbyists, rockhounds, and tour- bit hidden.’”4
ists at mine-your-own-gem businesses set up Atkin reveals that most healing crystals
near abandoned industrial mines in the Rocky are by-products, ripped from the seams of
Mountains.3 Prospectors read the landscape for massive gold, copper, and cobalt mines, and
sudden changes in colour, tracking any glitter- publicly traded companies are not required
ing that might lead to a crystal vein. Regulations to disclose profits from by-products. There is
guarding environmental and labour standards little regulatory governance for crystals, such
act as a deterrent to North American demand as that provided by the Kimberley Process for
for crystals. Therefore, the majority of crystals conflict diamonds. To make matters murkier,
sold in the United States and Canada are mined sellers don’t buy directly from mines. They
elsewhere. That insidious elsewhere. buy, almost exclusively, from the annual Tucson
A few years ago, a friend of mine posted an
article on social media, titling his post “Murder,
murder, murder, heal, heal, heal.” The article,
“Do You Know Where Your Healing Crystals
Come From?,” by environmental journalist
# New Red Order 1 — Abby Gardner, “Kim Kardashian Says
Emily Atkin, exposed an industry with an Crystals Helped Her Recover From Her Paris
Les derniers des Lémuriens | The Last
entirely unregulated flow of crystals. Atkin Robbery,” Glamour (website), November 2017,
of the Lemurians, vue d’installation |
names the stakes in one sarcastic line: “Given accessible online.
installation view, Centre Clark,
that crystals can be used to ‘make a promise
Montréal, 2021. 2 — Eva Wiseman, “Are crystals the new blood
to mama earth,’ it would seem important to diamonds?” The Guardian (website), 16 June
Photo : Jean-Michael Seminaro, permission
des | courtesy of the artists know how they were extracted from mama 2019, accessible online.
earth.” Most crystal sellers do not disclose
! New Red Order
where or under what conditions mining occurs, 3 — Stephen Robert Miller, “American anxiety
drives a crystal boom: ‘People are looking for
Les derniers des Lémuriens | The Last either because they do not know or because the healing,’” The Guardian (website), 31 October
of the Lemurians (détail | detail), vue answer conflicts with the message. As a ven- 2020, accessible online.

d’installation | installation view, Centre dor she spoke with says, “‘Sourcing is a very
Clark, Montréal, 2021. murky topic within the healing crystal commu- 4 — Emily Atkin, “Do You Know Where Your
Healing Crystals Come From?” The New
Photo : Jean-Michael Seminaro, permission nity, for a variety of reasons’… Part of it stems Republic (website), 11 May 2018, accessible
des | courtesy of the artists from ‘the deep, psychological construct of the online.

35 — Feature
Esse

New Red Order


Les derniers des Lémuriens | The Last
of the Lemurians (détail | detail), vue
d’installation | installation view, Centre
Clark, Montréal, 2021.
Photo : Jean-Michael Seminaro, permission
des | courtesy of the artists

36 — Dossier
Esse

Gem, Mineral & Fossil Showcase in Arizona. In early 2020, the paired anxieties of the Order in this video installation is that the myth
Stones change hands many times — from miner pandemic and the bitter American presiden- of Lemuria has been employed to create a lin-
to cutter, tumbler, shipper, and multiple ven- tial election caused a significant uptick in the eage through which white settlers could claim
dors—before arriving in Tucson with an erased sale of crystals and other ritual goods associ- Indigeneity without having experience of the
ledger. The little source material that is known, ated with metaphysical healing in the United violence inflicted on Indigenous people by colo-
thanks to the work of a few investigative jour- States.7 Indeed, metaphysical healing practices nial powers. Mythical lost races and lands such
nalists, is invariably brutal. seem to surge in the aftermath of disasters and as Lemuria and Atlantis contain within them
As for the consumer, a very different type prolonged political failures. Crystals today are colonial anxiety and capitalist alienation.
of information is made available. Healing prop- marketed to address specifically contemporary Theosophy was a direct precursor to New
erties and cryptological meanings have long anxieties and ailments. For instance, Charms Of Age beliefs and practices. There is a New New
been ascribed to the possession of crystals. Light, an online crystal merchant, markets Clear Age resurgence of interest in Lemuria, which a
According to an early book on the subject, The Quartz as the “master healer” that “draws off search for #lemuria on TikTok, as Kite from New
Curious Lore of Precious Stones (1913) by George negative energy of all kinds, neutralising back- Red Order has done as part of her research, will
Frederick Kunz, agate was believed to cure ground radiation, including electromagnetic unveil. Young, mostly white women unbox crys-
insomnia and ensure pleasant dreams, rubies smog or petrochemical emanations.”8 Goethe tals, identify one another as Lemurian through
were said to boil water and protect fruit trees claimed that superstition only seizes false guided meditations, and speak and chant in it’s
from tempests, amethysts prevented intoxi- means to satisfy genuine needs, and there is no supposed ancestral language. Yet, the ambig-
cation, serpentine stones protected peasants doubt that people feel an urgency to heal.9 uous connection to ancestry and land does
from the bites of venomous creatures, and New Age practices locate spiritual author- not bear out in the historical, material reality.
emeralds foretold the future. 5 Kunz was an ity within the self. The curator and writer Hera The opaque and mystified provenance in both
American mineralogist who helped to establish Chan comments, “New Age assigns fate a rel- cases — Lemuria and healing crystals — signals
the modern field of gemology. He worked for atively fixed position. Individual power and a guilty conscience that Clear Quartz alone will
the U.S. Geological Survey, was vice president the channeling of positivity can manifest your not be able to heal. •
of Tiffany & Co. at twenty-three years of age desire in the material world but larger shifts
and advocated for the carat to be instated as an such as those by the government are seen as A previous iteration of this text, titled “In the
international unit of measurement for precious naturalized and part of life’s larger course.”10 As Rough,” was published as part of the exhibition Of
stones. Curiously, his book is dedicated to John a practice and culture, crystal healing is based Several Depths at The Plumb in Toronto in 2021.
Pierpont Morgan. on individual well-being, on assuaging the anx-
It is not insignificant that gemology, indus- iety that society produces, but it ultimately rein-
trial mining, and the modern banking system forces alienation and a lack of collective power
were all developed in the same period, nor that because it fails to account for structural oppres-
all three converge in one figure: J. P. Morgan. sion and its material causes and effects. 5 — George Frederick Kunz, The Curious
Morgan was an American financier who, during New Red Order’s exhibition The Last of the Lore of Precious Stones (Philadelphia: J.B.

the Gilded Age in the late nineteenth century, Lemurians, offers a critique of New Age prac- Lippincott Company, 1913).

drove the creation of several multinational cor- tices as a form of “white indigeneity.”11 New Red 6 — Walter Benjamin, “Theses on the
porations, including General Electric and U.S. Order—in this iteration consisting of the artists Philosophy of History,” Illuminations, trans.
Steel, which became the world’s first billion-dol- Adam Khalil, Zack Khalil, Kite, and Jackson Harry Zohn (New York: Schocken Books,

lar company. Morgan exercised immense power Polys — describes itself as a “public secret soci- 1968), 254.

over market forces and policies, essentially lay- ety” that looks critically at the “authenticity 7 — Hannah Elliott, “The Market for Crystals
ing the foundation for the American capitalist imperative” and fetishization of Indigeneity Is Outshining Diamonds in the Covid Era,”
economy. Working with Kunz, he funded several within the framework of an appropriative, Bloomberg (website), 28 May 2020, accessible

of the first gem collections in public museums colonial society. The Last of the Lemurians, online.

in New York and Paris. Both men have gems hosted by Centre CLARK in Montréal as part 8 — See “Clear Quartz Healing Properties,”
named after them: kunzite and morganite. It of MOMENTA in 2021, takes Lemuria as its Charms Of Light (website), accessible online.
would seem, then, that the classification, fetish- subject. Lemuria is a hypothesized supercon-
ization, and lore surrounding crystals are insep- tinent proposed in the nineteenth century by 9 — Cited in Marina Warner, “The Writing of
Stones: Roger Caillois’s Imaginary Logic,”
arable from some of the most dominant figures zoologists, believed to have sunk beneath the Cabinet 29 (Spring 2008).
and operations of modern capitalist empire. Indian Ocean. Helena Blavatsky, the founder of
Walter Benjamin wrote, “The class struggle, the Theosophical Society, promoted the myth of 10 — Hera Chan, “Channeling Energy, for

which is always present to a historian influenced Lemuria as the origin place of human beings and Freedom Fighters!” Real Review 10 (Autumn
2020): 66 — 69.
by Marx, is a fight for the crude and material called its inhabitants Lemurians.
things without which no refined and spiritual The Last of the Lemurians looks at the power 11 — “Artist Talk: New Red Order” (video), with
things could exist.”6 The refined and spiritual that is forged within speculative histories and Jackson Polys and Kite of New Red Order,

world of healing crystals is indeed wrought chimeric myths. New Red Order’s works step Centre CLARK, 2021, accessible online.

through a violent and exploitative relationship inside the speculative imaginary to expose the
with labour and land. clouded fantasies and settler guilt that make
J. P. Morgan’s bloated biography contin- up the colonial imagination. The titular video
ues to reach even into the present. In 1917, he work focuses on two geological formations that
financed the company Anglo American in recur in Lemurian mythology: Mount Shasta in
Johannesburg, South Africa, the centre of the Northern California, and Kauai in Hawaii. The
early diamond-mining industry. This company video makes symbolic use of two materials that
now owns De Beers, the multinational mining connect the twinned locations: lava and crystal.
conglomerate that currently operates three In the exhibition space, crystal is materially
diamond mines in Canada: Snap Lake and mobilized as an entity that symbolizes purity
Gahcho Kué, both near Yellowknife; and Victor, and as a metaphor for the hardening (crystalli-
a recently closed diamond mine in northern zation) of historical narratives that, when sub-
Ontario, ninety kilometres upstream from the ject to immense pressure, can be liquified and
Attawapiskat First Nation. made malleable again. What agitates New Red

37 — Feature
Esse

Exploiter, exploiter, exploiter,


guérir, guérir, guérir
Kate Whiteway

Après avoir été volée sous la menace d’une arme dans une chambre d’hôtel de
Paris en 2016, Kim Kardashian s’est remise de son traumatisme en s’entourant de
cristaux de guérison. Kardashian, qui a récemment rejoint la liste des milliardaires,
a ce soir-là perdu 10 millions de dollars américains en diamants et bijoux d’or.
Plusieurs personnes ont été accusées dans la foulée de l’incident, qui n’est pas
sans rappeler le travail des Pink Panthers, un réseau international de vol de bijoux.
« Honnêtement, après l’évènement à Paris, a-t-elle dit, plusieurs de mes ami·e·s
venaient me voir et m’apportaient des cristaux […]. J’ai commencé à approfondir
leur signification et ce qu’ils symbolisent, puis à aller dans ces entrepôts de cris-
taux à Culver City et au centre-ville [de Los Angeles]1. » Le commerce des cristaux
représente plusieurs milliards de dollars dans l’industrie mondiale du mieux-être –
laquelle, en 2019, était évaluée à 4,2 billions de dollars américains2. Faisant partie du
courant du nouvel âge, qui regroupe plusieurs autres pratiques, les cristaux ont
été popularisés aux États-Unis dans les années 1970. Les ventes actuelles corres-
pondent à la résurgence des marchés de la spiritualité alternative et de l’autosoin,
dont la promotion se fait principalement sur les plateformes des réseaux sociaux.

En Amérique du Nord, la plupart des cristaux des cristaux ne révèlent pas où et dans quelles Quant au consommateur ou à la consom-
sont extraits par des minéralogistes amateurs conditions a eu lieu l’extraction – soit qu’ils ne le matrice, un type d’information bien différent
et des touristes dans des entreprises d’autoex- savent pas ou que la réponse entre en conflit avec lui est accessible. Les propriétés thérapeu-
traction de pierres précieuses installées près leur message. Une vendeuse à qui elle a parlé lui tiques et les significations cryptologiques sont
de mines industrielles abandonnées dans les a dit : « L’approvisionnement est un sujet très depuis longtemps attribuées à la possession de
montagnes Rocheuses 3 . Les prospecteurs et obscur dans la communauté des cristaux de cristaux. Selon un ouvrage ancien sur le sujet,
prospectrices scrutent le paysage à la recherche guérison, et ce, pour diverses raisons. […] Cela The Curious Lore of Precious Stones (1913) écrit
de soudaines variations de couleurs, suivent vient en partie du construit psychologique bien par George Frederick Kunz, les agates sont cen-
tout scintillement qui pourrait les mener à une ancré autour de l’industrie minière qui veut que sées soigner l’insomnie et garantir des rêves
veine de cristaux. La règlementation concernant tout soit un peu caché5. » agréables, les rubis peuvent faire bouillir l’eau
les normes environnementales et les normes Atkin révèle que la plupart des cristaux de et protéger les arbres fruitiers des tempêtes, les
du travail a un effet dissuasif sur la demande guérison sont des sous-produits arrachés aux
nord-américaine de cristaux. Par conséquent, filons des grandes mines d’or, de cuivre et de
la majorité des cristaux vendus aux États-Unis cobalt, et que les entreprises cotées en bourse
et au Canada proviennent d’ailleurs. De cet ail- ne sont pas tenues de divulguer les profits tirés 1 — Abby Gardner, « Kim Kardashian Says
Crystals Helped Her Recover from Her Paris
leurs insidieux. des sous-produits. Il y a pour les cristaux peu Robbery », Glamour, 14 novembre 2017, acces-
Il y a quelques années, un de mes amis a de gouvernance règlementaire comme celle sible en ligne. [Trad. libre]
partagé un article sur les réseaux sociaux en fournie par le Processus de Kimberley pour les
intitulant sa publication « Tuer, tuer, tuer, gué- diamants de conflits. Pour rendre les choses plus 2 — Eva Wiseman, « Are Crystals the New
Blood Diamonds ? », The Guardian, 16 juin
rir, guérir, guérir ». L’article « Do You Know obscures, les vendeurs et vendeuses n’achètent 2019, accessible en ligne.
Where Your Healing Crystals Come From ? » pas directement des mines, mais presque exclu-
de la journaliste spécialisée en environnement sivement durant le Tucson Gem, Mineral & 3 — Stephen Robert Miller, « American Anxiety
Emily Atkin lève le voile sur une industrie dans Fossil Showcase, un salon qui se déroule chaque Drives a Crystal Boom: “People Are Looking
for Healing” », The Guardian, 31 octobre 2020,
laquelle la circulation des cristaux n’est pas du année en Arizona. Les pierres changent de main accessible en ligne.
tout règlementée. Atkin cerne les enjeux en une plusieurs fois – de la personne qui l’extrait à
seule phrase sarcastique : « Étant donné que les celles qui la taillent, la polissent, l’expédient et 4 — Emily Atkin, « Do You Know Where Your
cristaux peuvent être utilisés pour “faire une la vendent – avant d’arriver à Tucson avec une Healing Crystals Come From ? » The New
Republic, 11 mai 2018, accessible en ligne.
promesse à la Terre mère”, il serait important fiche vierge. Le peu de documentation dispo- [Trad. libre]
de savoir de quelle façon ils ont été extraits de la nible, recueilli grâce au travail de quelques jour-
Terre mère4. » La plupart des gens qui vendent nalistes d’enquête, est invariablement frappant. 5 — Ibid.

38 — Dossier
Esse

New Red Order


Les derniers des Lémuriens |
The Last of the Lemurians,
captures vidéos | video stills,
Centre Clark, Montréal, 2021.
Photos : permission des artistes |
courtesy of the artists

39 — Feature
Esse

New Red Order


Les derniers des Lémuriens | The Last
of the Lemurians, vue d’installation |
installation view, Centre Clark,
Montréal, 2021.
Photo : Jean-Michael Seminaro, permission
des | courtesy of the artists

40 — Dossier
Esse

améthystes préviennent les intoxications, les le « maitre guérisseur » qui « retire les éner- une lignée à travers laquelle les colonisateurs
pierres serpentines protègent les paysan·ne·s gies négatives de toutes sortes et neutralise les et colonisatrices blanc·he·s peuvent revendi-
contre les morsures de créatures venimeuses rayonnements de fond, notamment la pollution quer une autochtonie sans avoir l’expérience
et les émeraudes prédisent l’avenir6. Kunz était électromagnétique ou les émanations pétro- de la violence infligée aux peuples autochtones
un minéralogiste américain qui avait participé à chimiques » 9 . Johann Wolfgang von Goethe par les pouvoirs coloniaux. Les races et terri-
l’élaboration du champ moderne de la gemmolo- affirmait que la superstition ne s’empare que de toires mythiques perdus, comme la Lémurie et
gie. Il a travaillé pour le U.S. Geological Survey, faux moyens pour satisfaire des besoins authen- l’Atlantide, contiennent en eux-mêmes l’anxiété
a été vice-président de Tiffany & Co. à l’âge de tiques et il fait nul doute que les gens ressentent coloniale et l’aliénation capitaliste.
23 ans et a recommandé l’instauration du carat l’urgence de guérir 10. La théosophie a été un précurseur direct
comme unité de mesure internationale pour les Dans les pratiques nouvel âge, l’autorité des croyances et pratiques du nouvel âge. Dans
pierres précieuses. Curieusement, son livre a été spirituelle se situe à l’intérieur de soi. La com- le nouveau nouvel âge, il y a un regain d’inté-
dédicacé à John Pierpont Morgan. missaire et auteure Hera Chan observe que « le rêt pour la Lémurie que révèle une recherche
Il n’est pas anodin que la gemmologie, l’in- nouvel âge assigne au destin une position rela- #lemuria sur TikTok, comme celle que Kite
dustrie minière et le système bancaire moderne tivement fixe. Le pouvoir individuel et la canali- de New Red Order a faite dans le cadre de son
se soient tous développés à la même époque ni sation de la positivité peuvent manifester votre travail. De jeunes femmes, blanches pour la
que tous les trois convergent vers une seule désir dans le monde matériel, mais des change- plupart, déballent des cristaux, s’identifient
figure : J. P. Morgan. Morgan était un finan- ments plus grands, par exemple ceux réalisés comme Lémuriennes dans le cadre de médi-
cier américain qui, au cours de l’âge d’or de la par le gouvernement, sont perçus comme natu- tations guidées, parlent et chantent dans une
fin du 19e siècle, a dirigé la création de nom- rels et faisant partie du cours de la vie11 ». En langue supposément ancestrale. Pourtant, la
breuses entreprises multinationales, notam- tant que pratique et culture, la guérison par les relation ambigüe avec les ancêtres et le territoire
ment General Electric et U.S. Steel, première cristaux est basée sur le bienêtre individuel et le ne se confirme pas dans une réalité historique et
entreprise milliardaire au monde. Morgan, qui soulagement de l’anxiété que génère la société, matérielle. La provenance opaque et mystifiée
exerçait un immense pouvoir sur les forces et les mais ultimement, elle renforce l’aliénation et de la Lémurie comme des cristaux de guérison
politiques du marché, a essentiellement posé les le manque de pouvoir collectif parce qu’elle ne souligne une conscience coupable que le cristal
bases de l’économie capitaliste américaine. Avec tient pas compte de l’oppression structurelle ni de roche ne sera pas à lui seul capable de guérir.
Kunz, il a financé plusieurs des premières collec- de ses causes et effets matériels.
tions de pierres précieuses des musées publics L’exposition Les derniers des Lémuriens Une première version de ce texte, intitulée « In the
de New York et de Paris. Tous deux ont donné de New Red Order offre une critique des pra- Rough », a été publiée dans le cadre de l’exposi-
leur nom à des pierres : la kunzite et la morga- tiques nouvel âge comme forme d’« autochtonie tion Of Several Depths, présentée à The Plumb,
nite. Il semblerait donc que la classification, blanche12 ». New Red Order – dans cette itéra- à Toronto, en 2021.
la fétichisation et les connaissances tradition- tion composée des artistes Adam Khalil, Zack
nelles entourant les cristaux soient insépa- Khalil, Kite et Jackson Polys – se décrit comme Traduit de l’anglais par Catherine Barnabé
rables de certaines des figures et des activités « une société publique secrète » qui observe de
les plus dominantes de l’empire du capitalisme façon critique « l’obligation d’authenticité » et la
moderne. Walter Benjamin a écrit : « La lutte fétichisation de l’autochtonie dans une société
des classes, que jamais ne perd de vue l’histo- coloniale d’appropriation. Les derniers des 6 — George Frederick Kunz, The Curious
rien instruit à l’école de Marx, est une lutte pour Lémuriens, présentée en 2021 au Centre Clark, Lore of Precious Stones, Philadelphie, J.B.
les choses brutes et matérielles sans lesquelles il à Montréal, dans le cadre de MOMENTA, a Lippincott Company, 1913.

n’est rien de raffiné ni de spirituel7. » Le monde comme sujet la Lémurie. Suggérée au 19e siècle
7 — Walter Benjamin, Thèses sur la philosophie
raffiné et spirituel des cristaux de guérison est par des zoologistes, la Lémurie est un super- de l’histoire, traduit de l’allemand par Maurice
en effet le fruit de relations violentes et abusives continent hypothétique qui aurait sombré sous de Gandillac, Paris, Denoël, 1971.
envers la main-d’Œuvre et le territoire. l’océan Indien. Helena Blavatsky, fondatrice de
La biographie présomptueuse de Morgan a la Société théosophique, faisait la promotion du 8 — Hannah Elliott, « The Market for Crystals
Is Outshining Diamonds in the Covid Era »,
une portée jusqu’à nos jours. En 1917, il a financé mythe de la Lémurie comme lieu d’origine de Bloomberg, 28 mai 2020, accessible en ligne.
l’entreprise Anglo American à Johannesburg, en l’espèce humaine et nommait ses habitant·e·s
Afrique du Sud, pivot des débuts de l’industrie les Lémuriens et Lémuriennes. 9 — « Clear Quartz Healing Properties »,

minière du diamant. Cette entreprise détient Dans Les derniers des Lémuriens, les artistes Charms of Light, site web, accessible
en ligne. [Trad. libre]
maintenant De Beers, le conglomérat minier examinent le pouvoir qui se forge dans les récits
multinational qui exploite actuellement trois spéculatifs et les mythes chimériques. Les 10 — Marina Warner, « The Writing of Stones :
mines de diamants au Canada : Snap Lake et œuvres de New Red Order plongent dans une Roger Caillois’s Imaginary Logic », Cabinet,

Gahcho Kué, toutes deux près de Yellowknife, fiction spéculative afin d’exposer les fantai- nº 29 (printemp. 2008), accessible en ligne.

et Victor, une mine de diamants récemment sies troubles et la culpabilité des colonisateurs 11 — Hera Chan, « Channeling Energy, for
fermée située dans le nord de l’Ontario, et colonisatrices qui constituent l’imaginaire Freedom Fighters ! », Real Review, nº 10
à 90 kilomètres en amont de la Première Nation colonial. La vidéo qui porte le titre de l’expo- (automne 2020), p 66-69.

Attawapiskat. sition se concentre sur deux formations géolo-


12 — Centre Clark, « Présentation/Artist talk :
Au début de 2020, l’anxiété due à la pan- giques qui réapparaissent dans la mythologie New Red Order (in English) », vidéo, YouTube,
démie jumelée à l’amertume de l’élection lémurienne : le mont Shasta, dans le nord de la 8 octobre 2021, 45 min 9 s, accessible en
présidentielle américaine a causé une hausse Californie, et l’ile de Kauai, à Hawaï. La vidéo ligne. [Trad. libre]

significative de la vente de cristaux et autres pro- fait un usage symbolique des deux matières qui
duits de rituels liés à la guérison métaphysique lient les lieux jumelés : la lave et le cristal. Dans
aux États-Unis8. En effet, ce type de pratiques l’espace d’exposition, le cristal est utilisé afin
semble connaitre une augmentation à la suite d’évoquer une entité qui symbolise la pureté
de désastres et d’échecs politiques prolongés. et une métaphore du durcissement (cristallisa-
De nos jours, les cristaux sont commercialisés tion) des récits historiques qui, lorsque soumis
afin de répondre à des anxiétés et à des maladies à une immense pression, peuvent être liquéfiés
spécifiquement contemporaines. Par exemple, et devenir à nouveau malléables. Ce que soulève
Charms of Light, un marchand de cristaux en New Red Order dans cette installation vidéo est
ligne, commercialise le cristal de roche comme que le mythe de la Lémurie est utilisé pour créer

41 — Feature
Esse

Chris Gismondi

42 — Dossier
Esse

Artists are creators in that they bring new lives and


objects into our world. Processes of creative conjuring
and ritualistic meaning-making are important for
marginalized communities, especially during troubled
and uncertain times. Observances and practices
provide meaning and a relationship with place, but also
higher purpose as an alternative form of spirituality.
This generative process of birthing may draw overtly
from occult, metaphysical, magic(k), folk, or witchcraft
elements as a layer added to the act of creation. In
drawing from these themes, elements of ritual often
root the artist in the site as a way of grounding. Within
contemporary art, ceremonial practices such as repetition
and overt ritualism with specific intention heighten
meaning. This attention brings art closer to a visual
manifestation of divination, relationships, or reverence
rooted in and responsible to place.

Most occult or neo-Pagan beliefs, which I will Mi’kmaw artist Amanda Amour-Lynx
broadly refer to as “magic” or “witchcraft” holds a digital, isolated solo ceremony in the
throughout this essay, contain elements of 2021 video work Skite’kmujuawti. The title
creative fabrication, site-specific ceremonial translates to Milky Way: Ghost Road and refers
ritual, intention with the land, and acts of ele- to the cosmological belief that the starry sky
mental reverence. These practices, ideologies, is where the Mi’kmaq originated and where
relationships, and other New Age discourses they will return when they join their ancestors.
influence art and are growing increasingly visi- Analyzing this ceremony in relation to contem-
ble on social media. However, the largely white, porary art-witch practices illuminates diverse
Eurocentric discourses of (neo)New Age magic ways that ritual, place, ceremony, and creation
and witchcraft overlap with aspects of most circulate in contemporary art practices, while
Indigenous worldviews (such as ancestral rec- centring an Indigenous maker and world view.
ognition, elemental relationships, and fostering In the video, Amour-Lynx floats through a pas-
connections with the natural world) and can tel virtual realm while footage of rivers, urban
usurp Indigenous protocols and presence. It is skylines, and digital worlds alternate behind
a spiritual colonialism of the land that claims her. She appears to be grounding herself,
ownership through alternative forms of spiri- breathing and focusing, with her hands rest-
tuality; at worst, it continues the displacement ing on her abdomen. She describes the work as
of original peoples, and at best, it takes part in “holding ceremony with myself,” a virtual cer-
appropriating or other thefts disguised as indi- emony that is solely hers to inhabit and adapt
vidualized spiritualism. Given this history and to as it changes. Although the piece came about
ongoing acts of appropriation within the (neo-) from the isolation and sparse opportunities
New Age movement and the evolving consum- for cultural connections during the pandemic,
er-oriented wellness industry, I want to position a Amour-Lynx made more than a ritual space, she
rich Indigenous artwork in conversation with the gifted an immersive virtual world. A Mi’kmaq
work of three witch-art practitioners. Witches hieroglyphic form floats around her, and a dig-
owe a great debt to the preservation of and space ital illustration of young fiddleheads and other
held for land-based spiritualities, particularly forms populate the screen. Skite’kmujuawti is
in settler-colonial contexts to which European a virtual ritual space, a place of initiation as a
descendants relocated, with cunning folk prac- precursor to something else. She wears a home-
tices as part of the colonial displacement. made ribbon skirt and moccasins; such regalia

43 — Feature
Esse

connects her to spiritual protocols, demonstrat-


ing that she is ready for what will come next.
For most witch practitioners — in formal set-
tings such as Wicca or in personal practice—an
altar is an important tool as a ceremonial col-
lection point within their domestic space. About
altars, the editor of Sabat Magazine, Elisabeth
Krohn, writes, “A part of daily spiritual life,
home altars often evolve with their maker,
reflecting personal and spiritual evolution and
change. They often reflect a religious compe-
tence that arises from feeling, intuition, and
emotion.”1 The altar creates a permanent or
temporary space of reflection and spiritual offer-
ing. It is a space that is revisited, but also always
in flux. Anishinaabe art scholar Adrienne Huard
writes that for Indigenous queer or Two-Spirit
peoples, the fluctuating cycles of the land are a
reminder of fluidity in nature, gender, sexual-
ity, and personal evolution. 2 The cycles of the
seasons as transitory passages are also in artist
and writer Leanne Betasamosake Simpson’s
essay “Land as Pedagogy,” in which “the land,
Aki, is both context and process.”3 Referencing
the changing natural world, Amour-Lynx’s vir-
tual ceremony continuously shifts its setting
Skite’kmujuawti references fabricated digital
spheres, urban cityscapes, and clips of the real
land and waterways.
Transitoriness is not reserved for the earthly
plane. Amour-Lynx alludes to star knowledge,
sky world, and related teachings in Mi’kmaq
epistemology that focus on the land cycles.
One of the hieroglyphic forms that appears is a
beading motif, recalling family relations — past,
present, and future. The “cosmic canoe” symbol
also touches on the spirit realm, the underworld,
the transfer of knowledge between the two, and
the earthly domain between them. The painter
James Gardner draws from medieval “esoteric,”
occult, alchemical, and astrological imagery in
his practice. Both Gardner and Amour-Lynx
demonstrate that the sky as a body of knowledge
has been a staple in European and Indigenous
understandings of ourselves. Planetary or star understanding of apocalypse and rebirth as
knowledge is a popular and growing aspect of cycles of renewal. These cycles not only repeat
New Age spiritualism more broadly, particularly themselves in terrestrial happenings but in
in zodiac compatibilities and planetary birth planetary alignments and paths such as retro-
charts. This interest is not new, but was foun- grades, equinoxes, and eclipses. Amour-Lynx
dational to the development of early Western and Gardner both pull from star stories as les-
science, alchemy, and navigation. Gardner’s sons for the earthly world, and as a process of
Neptune Bathing (2018) features an abstracted, finding meaning. For Amour-Lynx, this process
pondering figure sitting among pools of blue includes stepping into a role of custodian of the
and green, with an ominous purple sky above. land. Such individualized meaning making in
# Amanda Amour-Lynx

In Roman mythology, brothers Jupiter and Pluto the grand order of the universe is a solution to
Skite’kmujuawti, capture
control the realms of heaven, earth, and the the nihilism of the modern age or the psychic
d’image | video still, 2021.
underworld. As a planetary archetype, Neptune suffering of Medieval planetary myths.
is responsible for the collective mindset, fantasy, Returning to terra firma, the rivers that Photo : permission de l’artiste |
courtesy of the artist
and dreams. Dreamwork, visions, spirit realms, run through Skite’kmujuawti are not those of
and other natural connections were all sources Mi’kma’ki (the territory of the Mi’kmaq peo-
Skite’kmujuawti, image générée |
of inspiration for Skite’kmujuawti. In Jupiter in ples), but the fluid streams bring to mind a
process image, 2021.
Detriment (2018), Gardner forewarns a decline world rich in water. Wiccan writer Arin Murphy-
Photo : permission de l’artiste |
of the generous, prosperous, and successful Hiscock describes outdoor sacred spaces, either courtesy of the artist
associations with the fatherly archetype. The produced or visited, as a crucial backdrop to
composition is fractured, chaotic, and spilling ceremonies.4 She suggests that bodies of water, " James Gardner

from the middle plane to a cavernous orange such as streams, lakes, rivers, and ponds, are Jupiter in Detriment, 2018.
and purple swamp below. The seemingly cau- transformative spaces with associations with the Photo : permission de l’artiste |
tionary tale fits into a pre-modern European magical otherworld. Although it is not always courtesy of the artist

44 — Dossier
Esse

present in her work, artist and water witch Alana archetypes, and folk practices. For contemporary sweet clover from the rafters. These locally har-
Bartol uses the element to explore relationships witches, plant helpers and aids are part of most vested plants pull abandoned industrial sites that
with landscapes, sites, and extraction, exempli- magical practices. As acclaimed witch scholar have been reclaimed by nature and mountain-
fied by orphaned oil wells and coal mines. In a Scott Cunningham notes, “The power behind side ecosystems into the art gallery. They bring
process known as divination or dowsing, water herb magic is formless, shapeless, eternal… It their energy and magic, offering protection from
witches find aquifers, sites for wells, mineral is always there, present in abundance no matter poor health, poison, accidents, animal predators,
deposits, and lost belongings. Bartol draws from where we are or where we travel in the universe. or evil. Some also have a dual purpose as love
this tradition to engage communities in a call Though the power is formless, it takes on many charms. Amour-Lynx’s clusters of digital fiddle-
to action centred on stewardship, responsibility, forms.”5 Plants hold energy, which can be redi- heads creep onto the screen and disappear again,
and natural remediation. Some of these motifs rected while also linking us to specific sites and just like the passage of time, cycles of seasons,
appear in her recent work; for example, coal ecosystems. Amour-Lynx’s digital ceremony con- or the staggered bloom of young ferns in pockets
chute rubbings, botanical drawings, and dried tains a cluster of three young furry fiddleheads. of sunshine on the forest floor. Both Bartol and
herbs proliferate in her exhibition Processes of The tender curls, found in early spring, are a tra- Amour-Lynx evoke plants from specific spaces
Remediation: Art, Relationships, Nature (2021). ditional food source during the hunger months. for protection, cleansing, and love.
Water also flows through Amour-Lynx’s work as Potawatomi botanist Robin Wall Kimmerer Pagan prision chaplain and video artist
she confronts questions concerning disconnec- highlights ferns as a key part of the process of Jamie Ross has also taken up these issues of
tion and reconnection contained in her digital “ecological succession” which creates life on space and connection. Works such as XII (2018)
environment. Both artists build an intimate rocky surfaces — first lichens, then mosses and illuminate how incarcerated men connect to
relationship with space; Bartol’s is expansive, ferns accumulate bringing being where none divinity and fight for state/institution recog-
inviting others to become stewards of the phys- existed before; the crunchy lichen Umbilicaria nition. Also in 2018, with support from the
ical world, whereas Amour-Lynx’s presents an is described as the “belly button of the world.”6 artist-run centre Verticale, Ross led a demon-
exclusive space to which we are granted access Cunningham writes that in Western witchcraft, stration and walk at the Laval correctional
only as witness. some ferns are protective and bring good for- facility where he worked. Together, Ross and
Rituals around plants or herbs as medicines tune, and other species, such as “male fern,” the incarcerated men preformed two halves
are intrinsic to many practices, and they link augur luck, love, and companionship.7 In the of a May Day celebreation from outside and
ceremonies to specific spaces. These pieces of 2021 installation Rotten Pot, Bartol hangs bundles within the prision walls, centring a Pagan prac-
geography carry with them their own teachings, of dried wormwood, tansy, mullein, thistle, and tice and highlighting the lack of rights for reli-
gious minorities in Québec given the Christian
focus and symbolism of multi-faith spaces.
Early works such as Two to a Blanket, Feet to the
Fire (2012) explore the timber industry archive,
May Day Faerie spaces, and contemporary queer
Pagan communities. Ross bridges queerness,
Pagan practices, and community-made sites.
Amour-Lynx draws on queerness as part of her
solo ceremony clothed in Two-Spirit regalia: a
bolo tie, celestial and botanical ribbon skirt,
and black moccasins with blue fur trim. These
Indigiqueer presentations make space for a Two-
Spirit ceremony even though colonization and
evangelism have infiltrated so many Indigenous

1 — Elisabeth Krohn, “What Is On Your #Altar,”


Sabat Magazine: II The Mother Issue (Medialis
Printing: Sabat II, 2016), 16.

2 — Adrienne Huard, “The Land is Liminal,”


Atmos: Climate and Culture (2021), accessible
online.

3 — Leanne Betasamosake Simpson, As We


Have Always Done: Indigenous Freedom
Through Radical Reistance (Minneapolis:
University of Minnesota Press, 2017), 151.

4 — Arin Murphy-Hiscock, The Way of the


Green Witch: Rituals, Spells, and Practices
to Bring You Back to Nature (Avon, MA:
Provenance Press, 2006), 43.

5 — Scott Cunningham, Cunningham’s


Encyclopedia of Magical Herbs (Woodbury,
MN: Llewellyn Publications, 2008), 8.

6 — Robin Wall Kimmerer, Braiding


Sweetgrass: Indigenous Wisdom, Scientific
Knowledge, and the Teachings of Plants
(Minneapolis, MN: Milkweed Editions: 2013),
274, 269.

7 — Cunningham, Cunningham’s Encyclopedia,


115 — 16.

45 — Feature
Esse

communities, elders, and protocols with harm- process they manifest objects, actions, and
ful gender binarism and heteronormativity. behaviours that were once just thoughts.
Similarly, be they historical or contemporary As a process, Skite’kmujuawti reveals itself.
queer communities and Pagan protocols, Ross Amour-Lynx’s work leaves traces for the learn-
creates spaces of celebration and ceremony for ing process, with imperfect digital renderings
self-made families, covens, and practitioners. and clipping in the animations. Drawing from
His Club Gemini (2019) celebrates the Montréal DIY glitch art, she demonstrates the vulnerabil-
homophile bar and advocacy space that opened ity of the artistic process and the imperfection
in 1969. Ross accessed it through archives of an amateur’s approach to new tools such as
and spiritual contact with queer ancestors. 4D forms. This technological learning is cou-
Presented as a sound installation, Club Gemini, pled with a display of personal spiritual growth
like Skite’kmujuawti, creates a queer-safe cere- in public. Returning to altars, Krohn writes that
monial space, celebrating places of solace and although they are private in nature for practi-
connection. The spaces or rituals that we bear tioners and their spirits, some gain insight by
witness to in these works are free from erasure sharing them on social media.9 One of the last
or persecution. One is made in response to com- forms to appear in Skite’kmujuawti is the Google
munity isolation in a languishing pandemic and Maps icon, a contemporary “x marks the spot”
the other celebrates the agitation and advocacy or destination. The piece concludes with the icon
that resulted in the partial decriminalization of hovering beside the “cosmic canoe.” As a gifted
homosexuality under Pierre Elliott Trudeau. teacher and storyteller, Amour-Lynx shares her
Cunningham writes plainly that magic, “how- process rather than a perfect end result. And for
ever simple it might seem, provides practical those on a self-made spiritual path, it is a famil-
solutions to problems.” He continues, “Herb iar refrain that the journey is itself the reward. •
magic — as with all magic — must be backed up
with appropriate and timely actions in the phys-
ical world.”8 Amour-Lynx, Bartol, and Ross all
Alana Bartol
foster spaces for community reverence or recon-
Processes of Remediation:
nection that are uniquely individual. Like most
art, relationships, nature, vue
magic, these spaces and ceremonies offer solu-
d’installation | installation view,
tions to problems, providing tools to fix what is
University of Lethbridge Art Gallery,
broken, be it meaning, isolation, colonial sep-
Lethbridge, 2021.
aration, or environmental degradation. Artists 8 — Ibid., 4, 18.
Photo : blkarts.ca, permission de | courtesy
of University of Lethbridge Art Gallery, engaged in magic, Pagan ritual, the occult, or
Lethbridge & VivianeArt, Calgary witchcraft create for themselves and in the 9 — Krohn, “What Is On Your #Altar,” 16.

46 — Dossier
Esse

Invocations créatives, rituel et lieu :


conversation entre Skite’kmujuawti
d’Amanda Amour-Lynx et les
œuvres de James Gardner, d’Alana
Bartol et de Jamie Ross
Chris Gismondi

La créativité des artistes tient au fait de donner le jour à de nouvelles vies et à de


nouveaux objets dans le monde. Pour les communautés marginalisées, les proces-
sus d’invocation créative et de fabrication rituelle du sens jouent un rôle impor-
tant, plus encore quand l’époque est troublée ou incertaine. Les observances et
les pratiques cultivent le sens et la relation au lieu, mais fournissent aussi, en tant
que forme alternative de spiritualité, un but supérieur. Ce processus génératif de
mise au monde s’inspire parfois ouvertement d’éléments occultes, métaphysiques,
magiques, populaires ou sorciers qui viennent étoffer l’acte créatif. Enrichis de tels
éléments, les aspects rituels [de sa pratique] enracinent l’artiste dans un lieu, lui
assurant ainsi un ancrage. En art contemporain, certaines pratiques cérémonielles
porteuses d’une intention particulière, comme la répétition ou le ritualisme déclaré,
élèvent le sens. Cette intentionnalité rapproche l’art de la manifestation visuelle
d’une divination, de relations ou d’un respect profond, ancrée dans un lieu dont
elle est responsable.

La plupart des croyances occultes ou néo- ont cours au sein du mouvement (néo)nouvel
païennes, auxquelles je me réfère dans cet âge et de l’industrie du bienêtre centrée sur la
article par les mots « magie » ou « sorcellerie », consommation individuelle, j’aimerais instaurer
relèvent d’une façon ou d’une autre de la fabri- une conversation entre une œuvre d’art autoch-
cation créative, du rituel cérémoniel propre au tone d’une grande richesse, d’une part, et les
site, d’une intention à l’égard de la terre ou de œuvres de trois adeptes de l’art sorcier, d’autre
gestes de respect envers les éléments. Ces pra- part. Les adeptes de sorcellerie ont une dette
tiques, idéologies et relations, de même que immense envers la préservation des spiritualités
d’autres discours nouvel âge, influencent les arts centrées sur la terre et la place qu’on continue
et deviennent de plus en plus visibles dans les de leur faire, spécialement dans le contexte du
médias sociaux. Cependant, dans la mesure où colonialisme de peuplement où se sont instal-
ils recoupent des aspects communs à la plupart lé·e·s les eurodescendant·e·s, dont les pratiques
des visions du monde autochtones (reconnais- dites « de gens rusés » (sorcières, guérisseurs…)
sance ancestrale, relations avec les éléments, ont contribué au déplacement colonial.
liens soigneusement entretenus avec le monde Dans son œuvre vidéo intitulée Skite’-
naturel), les discours majoritairement blancs et kmujuawti (2021), l’artiste micmaque Amanda
eurocentriques de la magie et de la sorcellerie Amour-Lynx exécute, seule à l’écran et seule
(néo)nouvel âge sont susceptibles d’usurper les pendant le confinement, une cérémonie numé-
cérémonials et la présence autochtones. C’est là rique. Le titre, qui se traduit par Voie lactée :
une forme de colonialisme spirituel qui reven- chemin fantôme, fait référence à la croyance
dique la propriété de la terre par des formes cosmogonique selon laquelle le ciel étoilé est le
alternatives de spiritualité ; cela contribue, dans lieu d’origine du peuple micmac et l’endroit où
le pire des cas, à la continuation du déplace- ses membres retournent pour retrouver leurs
ment des premiers peuples, et dans le meilleur, ancêtres. L’analyse de cette cérémonie en rela-
à l’appropriation ou à d’autres formes de pillage tion aux pratiques contemporaines de sorcelle-
déguisées en spiritualisme individuel. Devant rie artistique illumine les diverses façons dont
cette situation et les actes d’appropriation qui le rituel, le lieu, la cérémonie et la créativité

47 — Feature
Esse

circulent dans les pratiques de l’art contem- montrant qu’elle est prête à accueillir ce qui va également dans l’essai de l’artiste et écrivaine
porain, tout en se focalisant sur la vision du se passer ensuite. Leanne Betasamosake Simpson, « Land as
monde autochtone d’une créatrice autochtone. Pour la plupart des adeptes de sorcelle- Pedagogy » : « La terre, Aki, écrit-elle, est à la
Dans la vidéo, Amour-Lynx flotte à travers les rie – dans un contexte organisé comme celui fois le contexte et le processus3. » En référence
teintes pastel d’un royaume virtuel tandis que de la wicca ou dans leur pratique personnelle –, aux transformations de la nature, la cérémonie
des images de rivières, de paysages urbains et l’autel est un outil important, car il sert de point virtuelle d’Amour-Lynx change constamment
de mondes numériques passent derrière elle en de rassemblement cérémoniel au cœur de l’es- de décor. Skite’kmujuawti montre des sphères
alternance. On a l’impression qu’elle cherche à pace privé. Au sujet des autels, la rédactrice numériques fabriquées et des paysages urbains,
atterrir, à s’ancrer : les mains posées sur l’abdo- de Sabat Magazine, Elisabeth Krohn, écrit  : ainsi que des clips de cours d’eau et de terres qui
men, elle se concentre et respire méthodique- « Éléments de la vie spirituelle quotidienne, les existent réellement.
ment. L’artiste décrit cette œuvre comme « une autels maison évoluent généralement avec les Le plan terrestre n’a pas l’exclusivité de
cérémonie tenue avec elle-même », une cérémo- personnes qui les fabriquent et dont ils repré- l’éphémère. Amour-Lynx fait allusion à la
nie virtuelle qu’elle est seule à accomplir, dont sentent l’évolution et la transformation per- connaissance des étoiles, au monde d’en haut et
elle seule peut suivre les transformations. Bien sonnelle et spirituelle. Ils reflètent souvent la aux enseignements afférents de l’épistémologie
que l’œuvre soit née de l’isolement et des trop compétence religieuse, construite à partir de
rares occasions de relations culturelles pen- la sensation, de l’intuition et de l’émotion1. »
dant la pandémie, Amour-Lynx en fait davan- L’autel crée un espace permanent ou tempo-
1 — Elisabeth Krohn, « What Is on Your #Altar »,
tage qu’un espace rituel : elle nous fait cadeau raire de réflexion et d’offrande spirituelle. C’est Sabat Magazine, n° 2 (2016), p. 16. [Trad. libre]
d’un univers virtuel immersif. Une forme hié- un espace auquel on revient, mais il est aussi en
roglyphique micmaque flotte autour d’elle, et perpétuel mouvement. La chercheuse en art ani- 2 — Adrienne Huard, « The Land Is Liminal »,

l’écran est peuplé d’illustrations numériques chinabée Adrienne Huard explique que pour les Atmos, 17 juin 2021, accessible en ligne.

représentant, entre autres, des têtes de violon. personnes autochtones queers ou bispirituelles, 3 — Leanne Betasamosake Simpson, As We
Skite’kmujuawti est un espace rituel virtuel, le les cycles changeants de la terre sont un rappel Have Always Done: Indigenous Freedom
lieu d’un déclenchement précurseur d’autre de la fluidité – fluidité de la nature, des genres, Through Radical Resistance, Minneapolis,

chose. L’artiste arbore une jupe à rubans et de la sexualité et de l’évolution personnelle2. University of Minnesota Press, 2017, p. 151.
[Trad. libre]
des mocassins faits maison ; ce costume éta- L’idée du cycle saisonnier, des saisons enten-
blit le contact avec les cérémonials spirituels, dues comme passages ou transitions, figure

48 — Dossier
Esse

! James Gardner
Act In On, 2018.
Photo : permission de l’artiste |
courtesy of the artist

" Jamie Ross



Club Gemini, vue de l’installation |
installation view, Pop Montréal, 2019.
Photo : permission de | courtesy of the artist
& Art Pop / Pop Montréal

 Jamie Ross
Unscrew the Locks from the Doors,
Un sortilège de libération, vue de la
performance | performance view,
Verticale, Laval, 2018.
Performeuse | performer :
Marie la Vierge.
Photo : Kristen Brown, permission de |
courtesy of the artist & Verticale centre
d’artistes, Laval

49 — Feature
Esse

micmaque, elle-même centrée sur les cycles de


la terre. L’une des formes hiéroglyphiques qui
apparaissent est un motif de perlage évoquant
les relations familiales passées, présentes et
futures. De même, le symbole du « canot cos-
mique » évoque le royaume des esprits, le monde
d’en dessous, le transfert de connaissances entre
les deux et le domaine terrestre au milieu. Le
peintre James Gardner, lui, s’inspire dans sa pra-
tique de l’imagerie « ésotérique », occulte, alchi-
mique et astrologique médiévale. Tant Gardner
qu’Amour-Lynx nous font voir que le ciel en tant
que corpus de connaissances est la matière pre-
mière des philosophies européenne et autoch-
tone. Le savoir sur les planètes ou les étoiles est
un aspect de plus en plus populaire du spiritua-
lisme nouvel âge en général, en particulier en
ce qui concerne les compatibilités zodiaques et
le thème natal. Cet intérêt n’est pas nouveau : il
a joué un rôle fondamental dans les premiers
développements de la science, de l’alchimie et de
la navigation occidentales. L’œuvre de Gardner
intitulée Neptune Bathing (2018) montre une
figure absorbée dans sa réflexion, assise parmi
des flaques de bleu et de vert, sous un inquié-
tant ciel violet. Dans la mythologie romaine, les
frères Jupiter et Pluton gouvernent les royaumes
du ciel, de la terre et des enfers. Un autre arché-
type planétaire, Neptune, est responsable de
l’état d’esprit collectif, de l’imagination et des
rêves. Travail du rêve, visions, royaumes des
esprits et autres connexions avec la nature sont
les sources d’inspiration de Skite’kmujuawti.
Dans Jupiter in Detriment (2018), Gardner
annonce un déclin des associations généreuses,
prospères et réussies avec l’archétype paternel.
La composition fracturée, chaotique, se déverse
du plan médian dans le vaste marécage orange
et violet qui s’étend en dessous. Ce qui ressemble
ainsi à un récit édifiant trouve sa place dans la
compréhension européenne prémoderne de
l’apocalypse et de la renaissance en tant que
cycles de renouveau. Ces cycles se répètent non
seulement dans des évènements terrestres, mais
aussi dans l’alignement et le parcours des pla-
nètes – rétrogradations, équinoxes et éclipses.
Amour-Lynx et Gardner se servent l’une et
l’autre des histoires d’étoiles comme de leçons à l’artiste et sorcière de l’eau Alana Bartol, bien
sur le monde terrestre et comme processus de que ce ne soit pas toujours présent dans son
découverte du sens. Pour Amour-Lynx, cela œuvre, elle se sert de cet élément pour explorer
suppose qu’elle entre dans le rôle de gardienne les relations au paysage, aux sites et à l’extrac-
de la terre. Une telle construction individualisée tion – on le voit dans ses représentations de puits
du sens dans le grand ordre de l’univers est une de pétrole et de mines de charbon orphelins. Par
solution au nihilisme de l’époque moderne aussi un processus appelé divination ou radiesthésie,
bien qu’à la souffrance psychique causée par les sourcières et sourciers trouvent des aquifères,
mythes planétaires médiévaux. des endroits propices aux puits, des dépôts de
Parce qu’elles retournent vers la terre ferme, minerai et des objets perdus. Bartol s’inspire de
les rivières qui traversent Skite’kmujuawti ne cette tradition pour faire participer les commu-
sont pas celles de Mi’kma’ki (le territoire des nautés à une action centrée sur la gestion éco-
peuples micmacs) ; mais ces ruisseaux fluides logique, la responsabilité et la restauration des
n’en évoquent pas moins un monde riche en milieux naturels. Certains de ces motifs appa-
eau. Selon l’écrivaine wiccane Arin Murphy- raissent dans ses œuvres récentes : par exemple,
Hiscock, les espaces sacrés extérieurs, qu’ils frottages de manche à charbon, dessins bota-
soient fabriqués ou visités, sont un arrière-plan niques et herbes séchées prolifèrent dans son Alana Bartol
crucial pour les cérémonies4. Elle voit les plans exposition intitulée Processes of Remediation: Silvery Lupine, Plants of Grassy
d’eau, ruisseaux, lacs, rivières et étangs, comme Art, Relationships, Nature (2021). L’eau coule Mountain, 2020.
des espaces transformateurs ayant des liens également à travers l’œuvre d’Amour-Lynx, qui Photo : permission de | courtesy of
avec l’autre monde, le monde magique. Quant s’efforce de répondre aux questions relatives à VivianeArt, Calgary

50 — Dossier
Esse

la déconnexion et à la reconnexion contenues incarcérés communient avec le divin et luttent qui pratiquent la magie, le rituel païen, l’occul-
dans son environnement numérique. Les deux pour leur reconnaissance par l’État ou l’établis- tisme ou la sorcellerie créent pour eux-mêmes
artistes cultivent une relation intime à l’es- sement de détention. En 2018 également, avec et, ce faisant, rendent manifestes des objets,
pace ; celle de Bartol est expansive, elle invite l’appui du centre d’artistes autogéré Verticale, des actions et des comportements qui jusque-là
les autres à assurer l’intendance du monde phy- Ross a pris la tête d’une manifestation sous n’étaient que des pensées.
sique, tandis que celle d’Amour-Lynx présente forme de défilé à l’établissement correctionnel C’est en tant que processus que Skite’-
un espace exclusif auquel nous n’avons accès de Laval où il était employé. Ensemble, Ross et kmujuawti se révèle. L’œuvre d’Amour-Lynx,
qu’à titre de témoins. les prisonniers ont accompli les deux moitiés par les rendus et les découpages numériques
Les rituels où les plantes et les herbes gué- d’une célébration du mois de mai, à l’extérieur imparfaits des animations, balise le processus
rissent sont au cœur de nombreuses pratiques, et à l’intérieur des murs de la prison, attirant d’apprentissage. S’inspirant des ratés de l’art fait
et rattachent les cérémonies à des lieux spéci- l’attention à la fois sur une pratique païenne et maison, elle montre la vulnérabilité du proces-
fiques. Ces bouts de géographie sont porteurs sur le non-respect des droits des minorités reli- sus artistique et l’imperfection d’une approche
d’enseignements, d’archétypes et de pratiques gieuses au Québec, où les lieux multiconfession- non professionnelle de nouveaux outils comme
folkloriques bien à eux. Dans la sorcellerie nels et leur symbolisme sont essentiellement les formes en 4D. Cet apprentissage technolo-
contemporaine, les adjuvants végétaux font chrétiens. Certaines de ses premières œuvres, gique est associé à l’exposition publique d’une
partie de la plupart des pratiques magiques. comme Two to a Blanket, Feet to the Fire (2012), croissance spirituelle personnelle. Pour en
Comme le souligne le réputé savant sorcier explorent les archives de l’industrie forestière, revenir aux autels, Krohn écrit que, malgré
Scott Cunningham : « Le pouvoir des herbes les lieux où vivent les fées du printemps et les leur caractère privé pour les praticien·ne·s et
magiques est insaisissable, informel, éternel. communautés païennes queers contemporaines. leurs esprits, les faire connaitre sur les médias
[…] Il est toujours là, présent en abondance, sans Ross relie le fait queer, les pratiques païennes sociaux permet à certain·e·s d’augmenter leur
considération du lieu où nous nous trouvons ou et les sites créés par les communautés. Amour- capacité intuitive10. L’une des dernières formes
de ceux où nous entrainent nos voyages. […] Lynx convoque le fait queer dans sa cérémonie à apparaitre dans Skite’kmujuawti est l’icône
Quoiqu’informel, le pouvoir prend des aspects solitaire en arborant un costume bispirituel : de Google Maps, version contemporaine du X
divers 5 . » Les plantes contiennent une éner- cravate bolo, jupe à rubans célestes et bota- rouge sur une carte indiquant « Vous êtes ici »
gie qu’il est possible de réorienter en même niques, mocassins noirs bordés de fourrure ou la destination. La pièce se clôt sur l’image
temps qu’elle nous lie à des lieux et à des éco- bleue. Malgré la colonisation et l’évangélisme de l’icône flottant à côté du « canot cosmique ».
systèmes particuliers. La cérémonie numé- qui imprègnent tant d’ainé·e·s, tant de com- Mentore et conteuse talentueuse, Amour-Lynx
rique d’Amour-Lynx montre un groupe de trois munautés et de cérémonials d’un binarisme de nous fait découvrir son processus, plutôt qu’un
jeunes pousses duveteuses de têtes de violon. genre et d’une hétéronormativité néfastes, leurs résultat achevé et parfait. Les personnes qui
Ces tendres crosses, qui apparaissent au début présentations autochtoqueers font de la place suivent leur propre parcours spirituel reconnai-
du printemps, sont une source de nourriture pour une cérémonie bispirituelle. De la même tront là un refrain familier : plus que la destina-
traditionnelle des mois de disette. La botaniste manière, qu’ils soient historiques ou contem- tion, c’est le voyage lui-même qui nous enrichit.
potawatomie Robin Wall Kimmerer rappelle porains, les cérémonials païens et les commu-
que les fougères sont un élément clé du proces- nautés queers trouvent chez Ross un espace de Traduit de l’anglais par Sophie Chisogne
sus de succession écologique qui crée de la vie célébration et de cérémonie pour les familles
sur les surfaces rocheuses : d’abord les lichens, choisies, les assemblées de sorcières et les pra-
puis les mousses et les fougères s’accumulent, ticien·ne·s. Son œuvre Club Gemini (2019) rend
4 — Arin Murphy-Hiscock, The Way of the
apportant la vie là où il n’y en avait pas ; le lichen hommage au bar homophile de Montréal, lieu Green Witch: Rituals, Spells, and Practices to
craquant Umbilicaria est décrit comme « le nom- de promotion de la cause homosexuelle ouvert Bring You Back to Nature, Avon, Provenance
bril du monde6 ». Cunningham écrit que dans en 1969. Ross y a eu accès par des archives et Press, 2006, p. 43.

la sorcellerie occidentale, certaines fougères des contacts spirituels avec des ancêtres queers.
5 — Scott Cunningham, L’encyclopédie des
protègent et portent chance, tandis que d’autres Prenant la forme d’une installation sonore, Club herbes magiques, adapté de l’américain par
espèces, comme la « fougère mâle » (dryoptère), Gemini, comme Skite’kmujuawti, crée un espace Michel Echelberger, Paris, Sand, 1987, p. 7.
sont signe de chance, d’amour et de camarade- cérémoniel sécuritaire pour les queers où l’on
rie7. Dans l’installation Rotten Pot (2021), Bartol célèbre les lieux de consolation et de connexion. 6 — Robin Wall Kimmerer, Braiding
Sweetgrass: Indigenous Wisdom, Scientific
suspend à des poutres des gerbes de plantes Les espaces ou les rituels dont nous sommes Knowledge, and the Teachings of Plants,
séchées, armoise, barbotine, molène, chardon témoins dans ces œuvres sont ainsi libérés de Minneapolis, Milkweed Editions, 2013, p. 274
et mélilot. Ces plantes cueillies localement la menace d’effacement ou de persécution. L’un et 269. [Trad. libre]

font entrer dans la galerie d’art les sites indus- est créé en réponse à l’isolement communau-
7 — Scott Cunningham, op. cit., p. 118-119.
triels abandonnés reconquis par la nature et les taire durant la pandémie qui s’éternise, l’autre
écosystèmes des flancs de montagne. Elles y est un éloge de l’agitation et des activités de 8 — Ibid., p. 7.
apportent leur énergie et leur pouvoir magique, promotion des droits qui ont conduit à la décri-
offrant une protection contre la mauvaise santé, minalisation partielle de l’homosexualité sous 9 — Ibid., p. 16.

le poison, les accidents, les animaux prédateurs Pierre Elliott Trudeau. Cunningham commente 10 — Elisabeth Krohn, op. cit., p. 16.
ou le mal. Certaines servent en même temps de sobrement que « la magie, si étrange que cela
philtre d’amour. Les bouquets de têtes de vio- puisse paraitre, trouve des solutions aux pro-
lon numériques d’Amour-Lynx glissent à tra- blèmes pratiques8 ». Et plus loin : « À l’instar de
vers l’écran avant de disparaitre à nouveau, tout toute magie, celle des herbes doit venir en aide
comme le temps qui passe, le cycle des saisons, par des actes concrets et en temps approprié9. »
ou encore l’éclosion décalée des jeunes fougères Amour-Lynx, Bartol et Ross cultivent des lieux
dans les bulles ensoleillées qui parsèment le sol qui, propices au respect de la communauté ou
forestier. Bartol comme Amour-Lynx évoquent au rétablissement de liens, sont singulièrement
les plantes à partir d’espaces précis pour leur individuels. Comme presque tout ce qui relève
demander protection, purification et amour. de la magie, ces lieux et ces cérémonies offrent
Jamie Ross, artiste de la vidéo et aumônier des solutions à des problèmes et fournissent des
païen des prisons, aborde aussi les questions de outils pour réparer ce qui est brisé, que l’on parle
l’espace et de la connexion. Des œuvres comme de sens, d’isolement, de fracture coloniale ou de
XII (2018) éclairent la façon dont les hommes dégradation de l’environnement. Les artistes

51 — Feature
Esse

Fanny Curtat

Ornithomancie chez Laurent Grasso, formules magiques


chez Cullen Miller et Gabriel Dunne, spiritisme chez Cécile
Babiole, hypnose chez Matt Mullican, radiesthésie chez
Yen-Chao Lin, sorcellerie chez Virginia Lupu : les exemples de
ce que nous pourrions qualifier de récurrence grandissante
de l’occulte dans l’art actuel des dernières années sont légion.
Aussi floue que vaste, cette tendance semble rejoindre ce que
la sociologue Françoise Champion qualifiait dès les années
1990 de « nébuleuse mystique-ésotérique1». Cette expression
régulièrement reprise décrit toujours efficacement une
situation et un champ d’études marqués par une nomenclature
en friche et une libre appropriation de techniques et de
traditions variées. La notion même d’occulte, terme polyvalent
permettant ici d’englober autant les traditions ésotériques
occidentales et orientales que leur écartèlement dans la
culture populaire, mériterait un article à elle seule.

52 — Dossier
Esse

! Benoît Pype
Cependant, au-delà du flou constitutif ambiant, à la distance critique par rapport à la croyance,
Chutes libres, vue d’installation | un second constat s’impose  : rappelant le objet d’étude toujours considéré comme confus
installation view, Fondation François contexte contemporain de croyance faible et dérangeant. Comment percevoir cette pré-
Schneider, Wattwiller, 2015. dans lequel l’occulte est souvent pratiqué de sence occulte dans un contexte où, bien que
Photo : Pierre l’Excellent, permission de | manière dilettante bien plus que fervente, plu- la théorie de la sécularisation soit largement
courtesy of the artist sieurs artistes nous laissent effectivement dans remise en cause, la croyance, apanage de l’oc-
le doute quant à leurs intentions, inscrivant culte, demeure chose épineuse ?
$ Véronique Béland
ainsi au cœur de l’œuvre une relation en sus- Dispositifs de l’impondérable en soi, As
As We Are Blind, photographie d’aura | pens entre le croire et le non-croire. L’artiste We Are Blind et Chutes libres serviront ici de
photography of aura, 2016. Véronique Béland – dont l’œuvre As We Are Blind guides dans cette vaste nébuleuse. En nous
Photo : permission de l’artiste | (2016) consiste en un capteur d’aura qui traduit plaçant résolument dans le champ du visible et
courtesy of the artist les informations électrodermales des specta- de l’image – l’œuvre de Béland rappelant même
trices et spectateurs en portraits auratiques, de par son titre notre cécité constitutive –, ces
même qu’en partitions musicales transmises deux œuvres semblent révéler la voie à suivre
en direct à un piano mécanique – croit-elle en suggérant que l’occulte ne se présenterait pas
aux auras ? Benoît Pype – dont l’œuvre Chutes tant comme une manière de croire, ni même de
libres (2013) se présente sous la forme de petites savoir, mais bien plutôt comme une manière de
gouttes de métal en fusion plongées dans l’eau, voir. À travers une brève analyse de ces deux
ce qui permet, selon la pratique de la molybdo- œuvres, il s’agira de définir la particularité de
mancie, de lire l’avenir – croit-il à la divination ? cet occulte situé entre croire et non-croire et
Ces questions sans réponses perturbent par leur de mettre en lumière sa participation à notre
seule présence un monde de l’art plus habitué contemporanéité.

R É V É LE R L’ I N D É C I DA B LE

Une main se pose sur le capteur lumineux  :


l’œuvre s’active, imprimant sur le champ l’image
d’effluves idiosyncrasiques et interprétant en
temps réel l’harmonie d’une résonance intime.
Par l’aspect inévitablement ludique de son ins-
tallation, As We Are Blind évoque cette tension
irrésolue entre récréation et conviction remar-
quée par l’historien Clément Chéroux à propos
de la photographie spirite du 19e siècle2, tension
dont témoigne également l’œuvre de Pype qui,
lorsqu’il invitait des performeurs et des per-
formeuses à prédire l’avenir des spectateurs
et spectatrices prêt·e·s à figer leur destin dans
une minuscule goutte d’étain, conviait dans un
même espace la fantaisie de la démarche et le
sérieux de la technique séculaire de la molyb-
domancie. Au-delà du flottement du positionne-
ment de l’artiste par rapport à la croyance, ces
deux œuvres illustrent une tension entre croire
et non-croire qui se trouve au cœur même de
leurs dispositifs. L’occulte qui hante l’art actuel
se révèle donc décidément indécidable – selon
le terme employé par Jacques Rancière pour
décrire la force critique de l’art comme pratique
des seuils se jouant de la frontière de plus en plus
floue entre l’art et le non-art3. Animé par ce jeu

1 — Françoise Champion, « La “nébuleuse


mystique-ésotérique” : Une décomposition du
religieux entre humanisme revisité, magique,
psychologique », dans François Laplantine et
Jean-Baptiste Martin (dir.), Le défi magique :
Ésotérisme, occultisme, spiritisme, vol. 1,
Lyon, Presses Universitaires de
Lyon (CRÉA), 1994, p. 315.

2 — Clément Chéroux et coll. (2004). Le


troisième œil : la photographie et l’occulte,
Catalogue d’exposition itinérante, Paris :
Gallimard, p. 48.

3 — Jacques Rancière (2004). « Problèmes


et transformations de l’art critique », Malaise
dans l’esthétique, Paris : Galilée, Coll.
« La philosophie en effet », p. 65-84.

53 — Feature
Esse

de tensions et d’unions qui fait que « la frontière R É V É LE R LE S CO R R E S P O N DA N C E S Miroir d’une destinée humaine à un
[est] toujours là et pourtant déjà traversée4 », moment précis, l’œuvre de Pype fige quant à elle
l’occulte indécidable apparait comme une pra- Reflets d’une contemporanéité pétrie d’ana- dans un portrait abstrait l’image d’une humanité
tique de l’interstice, un entredeux, à la fois une chronismes, ces deux œuvres, achéiropoïètes à connectée à ce qui la dépasse. Dans un rapport
chose et son contraire. Marqueur de cet occulte leur manière, révèlent ainsi des images au sta- ironique au continuum spatiotemporel souli-
actuel, l’indécidable se présente ainsi comme tut indécidable produisant le portrait « objectif » gné par le titre même de l’œuvre – la chute de la
une étape préliminaire, véritable tremplin d’une subjectivité. Tout comme les portraits goutte de métal en fusion paraissant bien plus
permettant notamment de mettre en suspens auratiques dont la théosophie fournissait de libre que le destin potentiellement déterminé
la conception traditionnelle de la croyance au véritables chartes d’interprétation alliant cou- qu’elle s’apprête à représenter –, le déterminé
profit d’une vision plus complexe et plus à même leurs et états d’âme, les photographies produites de l’être ouvre sur l’indéterminé de l’image,
de représenter la nébuleuse dans laquelle nous par As We Are Blind ne se présentent pas tant irrémédiablement ouverte. Chutes libres se pré-
nous trouvons. comme des images à contempler que des « carto- sente ainsi comme l’empreinte de l’être à même
graphies émotionnelles » à décoder. Autrement un monde d’images dans lequel « lire le monde,
R É V É LE R L’ I M AG E dit : des images à lire. Il en va de même pour c’est aussi relier les choses du monde selon leurs
l’image ouverte figée dans le métal de l’œuvre “rapports intimes et secrets”, leurs “correspon-
Telles la révélation photographique d’As We Are de Pype : tels le marc de café ou les foies de mou- dances” et leurs “analogies”6 ». Loin du rap-
Blind et la précipitation chimique de Chutes ton dans lesquels peut se lire l’avenir, l’œuvre se port hiérarchisé de la modernité dominant son
libres, l’indécidable se veut donc une image, un situe dans cette conception occulte du monde environnement, l’occulte indécidable expose au
levier révélant une pratique des seuils et don- dans laquelle le « Livre de la Nature » peut être regard une connexion autre, horizontale, faite
nant forme à l’occulte à l’œuvre dans l’art actuel. lu par le biais d’un système de correspondances d’hybridations et de résonances.
Cette pratique des seuils se trouve d’ailleurs au qui unissent entre elles toutes choses, visibles Échantillon d’un phénomène bien plus
cœur même de l’œuvre de Béland. Évoquant ces et invisibles. Ces correspondances représentent large, les œuvres de Béland et de Pype donnent
tentatives entre science et croyance de fixer les d’ailleurs l’essence même de ce que donnent à le ton d’un occulte indécidable qui se présente,
effluves humains sur plaque photographique, voir les œuvres de Béland et de Pype. Visible à travers le prisme de l’image, comme une
l’œuvre place effectivement notre contem- dans la double traduction associant des compo- manière alternative de voir. Par une révéla-
poranéité en dialogue avec cette époque où santes tangibles du corps humain à des teintes et tion en quatre temps, As We Are Blind et Chutes
empirisme et surnaturel cohabitaient grâce à des notes prédéterminées dans As We Are Blind, libres pointent vers certains éléments d’analyse
l’objectivité absolue prêtée à la photographie visible aussi dans le lien invisible, solidifié à permettant d’aborder ces reprises occultes
dans l’exercice de la preuve : attestation tangible même l’étain, entre le parcours singulier d’un à la récurrence grandissante, pourtant loin
de l’intangible. La codification algorithmique de être et les forces suprasensibles qui animent le de se présenter comme un front uniforme.
l’œuvre – sur laquelle repose la double traduc- monde dans Chutes libres, la théorie des corres- Installation pour aura et piano mécanique d’un
tion des données biométriques en couleurs et en pondances situe l’être à même un réseau infini côté, traces de performance et sculptures mini-
musique – semble actualiser cette irrésolution de de possibles, lui trouvant un écho dans la trame malistes de l’autre : un monde de différences et
la position de l’auteur, si cruciale dans le genre sensible du monde. Dans le flottement de la néanmoins un fil d’Ariane commun dans l’indé-
de la photographie effluviste, en conférant à croyance provoqué par l’occulte indécidable, ce cidable, tout à la fois caractéristique d’un objet
l’image une qualité presque achéiropoïète – non principe des correspondances, rare dénomina- d’étude et outil d’analyse. Si ce dernier permet
produite par l’humain –, garante d’une certaine teur commun d’une nébuleuse en pleine expan- de naviguer dans la nébuleuse, la théorie des
objectivité. À mi-chemin entre la preuve objec- sion, s’offre au regard. correspondances se révèle toutefois le véritable
tive et le portrait subjectif ludique, le statut de gouvernail. Décloisonnant les limites catégo-
l’image produite par l’œuvre révèle ainsi qu’au R É V É LE R L’ E M P R E I N T E rielles préétablies par la modernité et son dua-
cœur de notre contemporanéité se trouve cette lisme cartésien, elle fait de l’occulte indécidable
même ambigüité entre l’art, la science, le diver- Bien plus que l’idée d’une croyance détermi- l’indice de ce vaste réseau qui nous contient et
tissement et l’occulte qui hantait déjà l’esprit née par un rapport d’opposition à un savoir nous dissémine, arcboutant d’une vision du
moderne au tournant du 20e siècle. ou à une certaine idée de la contemporanéité, monde peuplé d’invisible. •
Reprenant presque tel quel le rituel divina- l’occulte indécidable semble donc ouvrir sur un
toire du Bleigießen, pratiqué encore à ce jour à la monde fait d’un réseau de correspondances et
Saint-Sylvestre en Allemagne, l’œuvre de Pype de résonances. Dans le cas de Béland, le geste
4 — Ibid., p. 68.
cristallise quant à elle une multitude d’images initial du contact avec l’œuvre permet presque
fondamentalement achéiropoïètes. Petites littéralement de toucher du doigt le virtuel – à 5 — Les techniques d’interprétation de la
gouttes de métal en fusion figées dans l’eau la fois descriptif de notre contemporanéité molybdomancie varient selon les cultures

froide puis posées sur un socle, Chutes libres se et royaume invisible de possibilités –, faisant dans lesquelles elle est pratiquée. De manière
générale, il s’agit d’une connaissance pouvant
présente effectivement comme des images non d’As We Are Blind une extension de notre corps être acquise, mais reposant le plus souvent
faites de main humaine dans lesquelles une dans le réseau des analogies, une sorte de pro- sur une forme de don particulier.
force cosmique dessinerait, selon la molybdo- thèse perceptive face à notre condition limitée
mancie, des destins uniques5. Objets artistiques – puisque nous sommes aveugles – que nous 6 — Georges Didi-Huberman, Atlas ou le gai
savoir inquiet : L’œil de l’histoire 3, Paris,
indissociables de l’artéfact – résidus de rituel rappellent continuellement les avancées tech- Éditions de Minuit (Paradoxe), p. 15.
qu’aurait échantillonnés un éventuel ethnologue nologiques. Ancrée dans le registre de l’image,
–, l’œuvre ouvre alors un dialogue bien plus ver- l’œuvre produit donc avant toute chose notre
tigineux : une confrontation de l’archaïque et empreinte : la trace du rayonnement de notre
du contemporain. Loin d’être un anachronisme être à même le monde. À une époque où notre
dans notre contemporanéité – sorte de vestige présence virtuelle se répand via des algorithmes
d’un temps préscientifique –, l’œuvre semble qui traduisent sans cesse nos données en por-
plutôt suggérer une contemporanéité traversée trait virtuel – empreinte unique dans le digital,
par de multiples temporalités, dans laquelle une le numérique –, As We Are Blind semble révéler
vision déterministe du monde, au cœur de la notre présence intime dans un entrelacs de
divination, cohabite avec les perspectives four- connexions subtiles qui nous enveloppent sans
nies par la science et la modernité. Indécidable, qu’on les voie.
l’œuvre ne tranche pas.

54 — Dossier
Esse

! Véronique Béland

As We Are Blind, 2016, vue
d’installation | installation view,
Museu da Cidade, Aveiro, 2019.
Photo : Joana Magalhães, permission de |
courtesy of the artist

$ Véronique Béland

As We Are Blind, 2016, vue
d’installation | installation view,
Espace Culture Lille 1,
Villeneuve d’Ascq, 2016.
Photo : permission de l’artiste |
courtesy of the artist

55 — Feature
Esse

Véronique Béland
As We Are Blind, photographies
d’auras | photographies
of auras, 2016.
Photos : permission de l’artiste |
courtesy of the artist

56 — Dossier
Esse

Correspondences and
the Undecidable Occult
in Contemporary Art
Fanny Curtat

Ornithomancy in Laurent Grasso’s work, magic spells in Cullen Miller and Gabriel
Dunne’s, spiritism with Cécile Babiole, Matt Mullican’s hypnosis, Yen-Chao Lin’s
radiesthesia, and witchcraft in Virginia Lupu — examples of what may be called the
growing occurrence of the occult in contemporary art of recent years are legion.
As vague as it is vast, it is a trend that would seem to fall within the scope of what,
in the 1990s, sociologist Françoise Champion called the “esoteric-mystic nebula.”1
This oft-cited expression remains an effective description of a situation and a field
of study characterized by an untended nomenclature and the free appropriation of
various techniques and traditions. The very notion of the occult, a polyvalent term
that can encompass both Western and Eastern esoteric traditions and their disper-
sion through popular culture, would merit an article of its own.

However, beyond the ambient constitutive blur, of seeing. Through a brief analysis of these two
another observation must be made: keeping in works, I define the particularities of this occult,
mind the tenuousness of belief in a contempo- situated between belief and non-belief, and shed
rary context, in which the practice of the occult light on its participation in our contemporaneity.
tends to be more casual than ardent, many art-
ists indeed cast doubt on their own intentions, R E V E A LI N G T H E U N D E C I DA B LE
placing a relationship left hanging between
belief and non-belief at the very heart of their A hand is placed on the light sensor: the work
work. Does artist Véronique Béland, whose is activated, instantly imprinting the image of
work As We Are Blind (2016) consists of an aura idiosyncratic emanations and interpreting the
sensor that translates spectators’ electroder- harmony of an intimate resonance in real time.
mal information into auratic portraits and into The inevitably playful dimension of As We Are
musical scores transmitted live to a mechani- Blind evokes the unresolved tension between
cal piano, believe in auras? And Benoît Pype’s diversion and conviction that historian Clément
Chutes libres (literally, “free falls”) (2013) takes Chéroux observed regarding nineteenth-cen-
the form of droplets of molten metal dropped tury spirit photography. 2 Pype evinced a similar
into water, by which, following molybdomancy tension in his work when he invited performers
practice, the future may be read — does Pype to predict the future of spectators waiting to see
believe in divination? These unanswered ques- their destiny set in a tiny drop of tin, conjuring
tions disturb by their very presence in an art both a whimsicality of approach and an earnest-
world accustomed to taking a critical distance ness in the secular technique of molybdomancy.
from the subject of belief, which is considered Beyond an equivocal stance on belief, these two
muddled and disquieting. How to perceive this works illustrate a tension between belief and
presence of the occult in a context in which
belief — the prerogative of the occult — remains
a thorny issue, even if the theory of seculariza-
tion is widely questioned. 1 — Françoise Champion, “La ‘nébuleuse
As devices of the imponderable in itself, As mystique-ésotérique’: Une décomposi-
We Are Blind and Chutes libres will serve to tion du religieux entre humanisme revisité,

guide us through this nebulous expanse. Placing magique, psychologique,” in Le défi magique :
Ésotérisme, occultisme, spiritisme, Vol. 1, ed.
us squarely in the field of the visible and of the François Laplantine and Jean-Baptiste Martin
image—the very title of Béland’s work reminds (Lyon: Presses Universitaires de Lyon (CRÉA),
us of our constitutive blindness — these two 1994), 315 (our translation).

works seem to reveal the path forward by sug-


2 — Clément Chéroux et al., Le troisième œil :
gesting that the occult is presented not as a way La photographie et l’occulte, exhibition cata-
of believing, or even of knowing, but as a way logue (Paris: Gallimard, 2004), 48.

57 — Feature
Esse

non-belief that lies at the very heart of the art- temporalities, in which a deterministic vision Mirroring a human destiny at a given
ists’ constructions. The occult haunting contem- of the world — at the core of divination — coex- moment, Pype’s work fixes within an abstract
porary art is thus decidedly undecidable — to use ists with perspectives provided by science and portrait the image of a humanity connected to
Jacques Rancière’s term for describing the crit- modernity. Undecidable, the work does not pick that which exceeds it. In an ironic relationship
ical power of art as a practice of thresholds that a side. with the spatiotemporal continuum under-
tests the increasingly blurred border between scored by the title of the work itself — the fall
art and non-art.3 Impelled by a play of tensions R E V E A LI N G T H E of the drop of molten metal seems much freer
and unifications, by which “the border is always CO R R E S P O N D E N C E S than the potentially determined fate that it is
there and nevertheless already crossed,”4 the about to represent — the determinacy of being
undecidable occult appears as a practice of the Thus reflecting a contemporaneity steeped in opens onto the indeterminate image, irrevoca-
interstice, an in-between, at once one thing and anachronisms, these two works, acheiropoietic bly open. Chutes libres is thus presented as the
its opposite. As a marker for this current occult- in their way, reveal undecidable images that imprint of being in a world of images in which
ism, the undecidable is presented as a prelim- produce an “objective” portrait of subjectivity. “to read the world is also to link up the things
inary stage, a veritable springboard enabling Like the auratic portraits for which theosophy of the world according to their ‘intimate and
the suspension of the traditional conception of provided actual interpretive charts that matched secret relations,’ their ‘correspondences,’ and
belief in favour of a more complex vision that colours with states of mind, the photographs in their ‘analogies.’”6 Far from the hierarchical
can more adequately represent the nebula in As We Are Blind do not present images for con- relationship of modernity dominating its envi-
which we find ourselves. templation so much as “emotional maps” to be ronment, the undecidable occult reveals to the
decoded. In other words: images for reading. gaze a different, horizontal connection made of
R E V E A LI N G T H E I M AG E The same goes for the open image frozen in resonances and hybridizations.
metal in Pype’s work: like the coffee grounds or Examples of a much larger phenomenon, the
Like the photographic revelation in As We Are sheep’s livers in which the future may be read, works of Béland and Pype set the tone of an unde-
Blind and the chemical precipitation in Chutes the work is situated in that occult conception of cidable occult that, through the prism of the image,
Libres, the undecidable is an image, a lever that the world in which the “Book of Nature” can be is offered as an alternate way of seeing. Through
reveals a practice of thresholds and gives shape read by way of correspondences that encompass a four-step revelation, As We Are Blind and Chutes
to the occult at work in contemporary art. This in themselves all things visible and invisible. libres point to elements of analysis that enable us to
practice of thresholds is central to Béland’s work. These correspondences represent in fact the approach this increasingly frequent uptake of the
Suggestive of those attempts, between science very essence of what can be seen in the works occult, though it hardly presents a uniform front.
and belief, to crystallize human emanations of Béland and Pype: visible in the dual transla- An installation for aura and mechanical piano on
onto a photographic plate, the work effectively tion that associates tangible components of the the one hand, traces of performance and minimal-
brings our contemporaneity into dialogue with human body with predetermined hues and notes ist sculpture on the other: a world of difference
an era in which empiricism and the supernatural in As We Are Blind, and visible in the invisible and nonetheless a common thread through the
coexisted via the absolute objectivity attributed connection, frozen in tin, between an individ- undecidable, simultaneously characteristic of an
to photography in the production of evidence: ual’s singular trajectory and the suprasensory object of study and of an analytical tool. Although
tangible proof of the intangible. The work’s forces animating the world in Chutes libres. this allows us to navigate the nebula, our real com-
algorithmic codification—undergirding the The theory of correspondences situates being pass is the theory of correspondences. Opening
dual translation of biometric data into colours in an infinite network of possibilities, seen to up pre-established categorical limits of moder-
and music — seems to actualize this ambiguity in be reflected in the sensory way of the world. In nity and its Cartesian dualism, it transforms the
Béland’s position, so crucial to the genre of ema- the flickering belief induced by the undecidable undecidable occult into an indicator for the vast
national photography, by giving the image an occult, this principle of correspondences—a rare network that both contains and disseminates us,
almost acheiropoietic — not produced by human common denominator in a flourishing neb- the mainstay of a vision of the world populated by
hands — quality, the guarantor of a certain objec- ula — is offered to our gaze. the invisible.
tivity. Midway between algorithmically objec-
tive proof and playfully subjective portrait, the R E V E A LI N G T H E I M P R I N T Translated from the French by Ron D. Ross
status of the image produced by the work reveals
that at the heart of our contemporaneity is the Much more than the idea of a belief based on its
same ambiguity among art, science, entertain- opposition to some knowledge or to a notion of
ment, and the occult that haunted the modern the contemporary, the undecidable occult seems 3 — Jacques Rancière, “Problems and
mind at the turn of the twentieth century. to open onto a world made up of a network of Transformation of Critical Art,” in Aesthetics
Almost exactly re-enacting the divina- correspondences and resonances. In the case of and Its Discontents, trans. Steven Corcoran
(Cambridge: Polity Press, 2009), 45 −60.
tory Bleigießen ritual — still practised today on Béland, the initial contact with the work almost
New Year’s Eve, or Saint Sylvester’s Day, in allows for literally touching the virtual—at once 4 — Ibid., 48.
Germany — Pype’s work crystallizes a multi- a description of our contemporaneity and an
tude of fundamentally acheiropoietic images. invisible realm of possibilities — making As We 5 — Interpretive techniques in molybdomancy

Consisting of small drops of molten metal solid- Are Blind an extension of our body in the net- vary according to the cultures in which it is
practised. Generally, this knowledge may be
ified in cold water and then placed on a plinth, work of analogies, a kind of perceptual pros- acquired, but it most often rests on a par-
Chutes libres is indeed presented as images not thesis before our limited condition (since we ticular gift of some kind.
made by human hands, and by which, according are blind), of which technological advances are
to molybdomancy, a cosmic force shapes unique constantly reminding us. Set in the register of 6 — Georges Didi-Huberman, Atlas, or the
Anxious Gay Science, trans. Shane Lillis
destinies.5 As art objects indistinguishable from the image, the work therefore produces, first and (Chicago: University of Chicago Press, 2018), 7.
artefact — the remains of a ritual that an ethnolo- foremost, our imprint: the trace of our reach into
gist might have catalogued — the work opens the world. At a time when our virtual presence
up a distinctly more vertiginous dialogue: a circulates via algorithms that are constantly
confrontation of the contemporary with the translating our data into a virtual portrait—a
archaic. Far from being an anachronism in unique algorithmic imprint in the digital — As
our contemporary life — a kind of remnant We Are Blind seems to reveal our intimate pres-
from pre-scientific times — the work seems to ence in a web of subtly interlaced connections
suggest a contemporaneity traversed by many invisibly enveloping us.

58 — Dossier
Esse

Benoît Pype
Chutes libres, 2021, vue d’installation |
installation view, Fondation François
Schneider, Wattwiller, 2015.
Photo : Steeve Constanty, permission de |
courtesy of the artist

59 — Feature
Esse

« La mystique nait de cette catastrophe des


identités1 », note le critique d’art Daniel Vidal à pro-
pos du prêtre jésuite Michel de Certeau. Cette idée
entre en dialogue avec la pratique de Fabrice Samyn,
artiste multidisciplinaire belge s’essayant aussi bien
à la sculpture qu’à la peinture dont la démarche
artistique se nourrit autant de mythologies contem-
poraines que de tableaux datant des siècles passés.
Cette rencontre antithétique compose une mystique
des formes et des matières complexe à expri-
mer dont l’esthétique met en exergue l’immuable
permanent.

Sûrya Buis

60 — Dossier
Esse

Indissociables de l’imaginaire collectif et des vie et la mort. Les flèches qui transpercent son
convictions intimes, les allégories mises de torse rachitique sont directement inspirées du
l’avant dans les œuvres de Fabrice Samyn sont Martyre de saint Sébastien, du peintre flamand
reliées à une conception occidentale de la tem- Hans Memling. Cette évocation picturale rap-
poralité et dépoussièrent, par le détournement pelle des coutumes – celles de sectes ou de
de motifs symboliques, nos images mentales. communautés religieuses – mises à mal par
Chez l’artiste, l’ambigüité référentielle fait des l’athéisme, où les rituels sacrificiels occupent
œuvres d’art des entités singulières dotées d’ani- une place centrale. Pas de célébration du passé
misme, dans la mesure où leur plastique semble ici, mais plutôt la volonté de jeter un éclairage
vibrer d’une énergie vitale. Vis-à-vis de la tradi- nouveau sur des œuvres que plusieurs siècles
tion – religieuse en particulier –, l’artiste adopte séparent et de bousculer nos repères chrono-
une attitude aussi déférente que subversive : logiques au profit d’une lecture bonifiée de
n’hésitant pas à jouer sur les décalages chrono- cette figure du martyr. Les images ne sont pas
logiques et les référents séculaires populaires, sa seulement réduites à des avatars manichéens,
démarche artistique n’exclut pas le second degré. mais à des entités incantatrices à la recherche
Mythographe, il interroge la construction idéo- d’une locutrice ou d’un locuteur. En esquissant
logique des icônes et leur matérialisation dans le des conjectures historiques, le parcours permet
réel et s’amuse ainsi à démanteler nos préjugés d’actualiser notre regard sur une technique
en regard de l’iconographie pieuse tout en souli- et un motif classiques que l’on pourrait juger
gnant la puissance ésotérique de telles images. obsolètes. Familiarité et distance analytique
! Fabrice Samyn

La force des œuvres de Samyn tient avant s’entrechoquent dans cette toile où le regard
Black is Virgin, 2016.
tout dans l’acte herméneutique de la personne du supplicié semble déjà quitter le monde ter-
Photo : permission de l’artiste |
courtesy of the artist qui regarde et elle découle de l’union des restre : une vibration théurgique éclot de la sur-
contraires. Les pièces se réfèrent à deux tra- face plane.
 Fabrice Samyn ditions : l’antique et la contemporaine, un lien Dans cette optique, les explorations plas-
Alors que tu es le temps, 2009, vue qui nous montre que la sacralité des figures tiques que mène Samyn tracent le chemin vers
de l’installation | installation view, traverse les âges et coexiste en symbiose avec
Musées royaux des beaux-arts de les matériaux. Beyond Eros and Thanatos (1625-
Belgique, Bruxelles, 2021. 2012) reprend ainsi les codes de la cérémonie
1 — Daniel Vidal, « Michel de Certeau, La fable
Photo : Kristien Daem, permission de | sacrificielle en faisant du martyr religieux le mystique, xvıe-xvııe siècle, tome II », Archives de
courtesy of the artist symbole de la séparation ontologique entre la sciences sociales des religions, nº 168, 2014.

61 — Feature
Esse

une réception de l’œuvre à la fois conceptuelle permettent d’inscrire l’image sur le tissu. Ce public, dont le pouvoir interprétatif est la seule
et spirituelle qui donne au créateur – d’illusion « sortilège » trace une voie ignée et métamor- prophétie.
et de contenu – les vertus d’un magicien ico- phose la brulure initiale en empreinte sépulcrale To see with ellipse (2021-2022), titre d’une
noclaste. Cette pratique hétérogène permet à tout autant qu’en emblème originel : la fragilité exposition présentée aux Musées royaux des
l’artiste de connecter toutes les sculptures, pein- de l’image provient de ce qui lui a donné vie, la beaux-arts de Belgique qui rassemblent plu-
tures ou installations entre elles et de répondre lumière. Le procédé fait écho à One Regeneration sieurs de ces œuvres, souligne la part d’ombre
aux exigences iconographiques d’une société Apart (2019), une installation composée de qu’il y a dans chaque regard, et par cette part
de l’image dont le regard est sans cesse sollicité fleurs d’agave sur lesquelles l’artiste a appliqué d’ombre, le pouvoir des idées et l’interinfluence
et qui fusionne souvent sphère émotionnelle et des feuilles d’or  : inflorescences destinées à des éléments. Le passé, la résilience de l’objet
visuels iconodoules. Black is Virgin (2016), une naitre pour mourir, elles nous contaminent de s’incarnent grâce à la transsubstantiation plas-
installation dans laquelle une dizaine de figu- leur émanation qui parait surnaturelle. L’œuvre tique qu’opère l’artiste par leur mise en art. L’art
rines s’apparentent à des objets votifs ou à des met en exergue l’énergie vitale de la nature et le contemporain devient alors un retour aux rituels
bougies funéraires, en est une itération convain- cycle de la vie, les courbures de la plante évo- fondateurs, qu’ils soient banals ou audacieux :
cante. Leur esthétique équivoque suggère une quant le fœtus, la maturité et la dégénérescence entre soliloque solennel et dialogisme constant,
liquéfaction imminente qui les transmuerait en tout à la fois. Comme la série des Vierges dans la dualité que l’on retrouve dans la réflexion
une forme nouvelle et briserait l’image sainte Black is Virgin, les fleurs sont mises en scène artistique crée une alchimie percutante.
de l’Immaculée Conception. Dans cette œuvre, d’une façon que l’on pourrait qualifier de com- Susceptible de réveiller l’énergie spirituelle en
croyances et imaginaire collectif se conjuguent mémorative. Pénétrées d’une sacralité théâ- chacun·e de nous, l’esthétique – où abstraction
pour laisser place à cette dimension animiste trale, la disposition sérielle ainsi que l’apparente et éloquence se rencontrent – des structures
chère à l’artiste : forme et contenu s’allient pour insignifiance de la fleur conjuguée à l’usage de la et la présence dont elles semblent habitées
infuser aux objets une énergie propre. Le pou- feuille d’or donnent à la modeste plante un lan- rendent possible une interprétation circulaire.
voir magique que nous attribuons aux symboles gage écliptique qui souligne le caractère subs- Nos images mentales et plastiques sont alors
et aux images est ainsi explicité par de modestes tantiel, voire divin, de la nature. contorsionnées, en écho aux fleurs d’agave qui
statuettes au visage non identifiable. Leur puis- Avec l’œuvre performative Fate Piece I - se transmuent dans un « élan volontairement
sance symbolique – qui pourrait faire l’apologie Activation III: Fate for River (2010), la participa- sibyllin4 ». •
du culte religieux autant que sa diatribe – crée tion du public est sollicitée et l’engage dans un
un espace de questionnement où la fonction rapport holistique évident à l’objet, puisque c’est
réflexive côtoie l’artifice solennel, brouillant les lui, le public, qui vient diligenter la démarche
2 — Voir la courte déclaration de l’artiste
frontières entre laïque et confessionnel. artistique. Les participant·e·s sont d’abord invi- dans le Guide du visiteur accompagnant l’ex-
La balance tangue entre désidéalisation de té·e·s à donner à l’artiste une pierre – trouvée au position Fabrice Samyn: To see with ellipse,
figures mythiques et mise en exergue de leur cours d’une promenade ou dans la rue –, puis à se présentée aux Musées royaux des beaux-arts
de Belgique du 15 octobre 2021 au 13 février
pouvoir, ce qui souligne un équilibre fragile. rendre chez lui pour le voir graver leurs lignes de 2022, accessible en ligne.
Cette incarnation harmonieuse et précaire vie dessus. Ce processus narratif lie le destin de
à la fois est à l’image d’Alors que tu es le temps chaque personne à celui de l’objet selon un pro- 3 — Roger Munier, Le su et l’insu, Paris,
(2009), un sablier surdimensionné vide de sable tocole ritualisé ; une fois la pierre gravée, la per- Gallimard (Blanche), 2005. Cet ouvrage tient
une place importante dans le travail de Samyn.
et recouvert d’argent tel un miroir qui tire son sonne s’en sépare de manière symbolique : l’une
inspiration des vanités en vogue au 17e siècle et la casse sur la tombe de son frère, l’autre la perd 4 — Antonin Artaud, Œuvres, Paris, Gallimard
de la précarité du monde. En capturant le reflet dans la forêt de son enfance, un autre encore la (Quarto), 2004, p. 130.
de la personne qui regarde dans sa teinture noie dans une rivière. La pièce participative se
argentée et réfléchissante, l’objet la met face à situe alors entre la cérémonie chamanique et la
elle-même et à sa conception personnelle de la psychomagie, en procédant à la mise à distance
temporalité. Qu’elle soit imbriquée dans notre d’un certain schéma de pensée non pas spirituel,
quotidien selon une logique mathématique ou mais superstitieux. « Je suis mon ombre, la trace
que les heures suivent leur cours sans qu’on en est mon dessein, car je suis tout autant hier que
saisisse la progression, cette conception reste demain et tout autant aucun des deux 2 », écrit
une notion aussi familière que nébuleuse : intui- Samyn dans une formule incantatrice, par
tion directe et mémoire consciente imprègnent laquelle il extrait le caractère paradoxal de notre
la matière. L’œuvre crée ainsi un arrimage entre rapport aux forces occultes.
sa vacuité plastique et les intentions chronolo- Ces abstractions insolites et acratopèges
giques dont on la charge. Le sablier, allégorie de infléchissent la perception de ce que l’on nomme
l’évanescence du temps et réceptacle de sa cir- « spirituel » en transgressant notre système
culation, nous enseigne les limites du monde, de de référence. Quand celui-ci repose sur des
notre existence, tout autant que son intangibi- concepts abstraits tels que le destin, le bon
lité : faute d’une universalité de la vision, il nous augure ou le mauvais sort, il nous enferme dans
offre la singularité du pouvoir projectif. un état d’esprit castrateur où la perspective d’un
La dimension laconique des créations de avenir ingouvernable perturbe le cheminement
Samyn leur permet de se charger de la vertu réflexif : le travail de Samyn permet de réinjecter
divine qu’on leur confère et de reconsidérer de désirs et d’angoisses les objets du quotidien
un sacré « hors de portée », selon les termes de et de circonscrire ces croyances pernicieuses.
l’artiste. Pas de rapport mélancolique ou anxio- De cette démarche plastique découlent dif-
gène au temps dans la démarche de Samyn, férentes formes poétiques et iconographiques
mais simplement une tentative de le matéria- qui se muent en récits-rituels et traversent les
liser et de mettre en lumière les projections frontières du temps et celles des mondes paral-
subconscientes qui en découlent. lèles. Leurs forces révélatrices constituent
Inspiré d’anciennes méthodes photo- un espace-temps anachronique qui défige les
graphiques, What Reveals Erases (2012) a été représentations pour enclencher une prise de
réalisé grâce à un procédé chimique où le potas- conscience tournée vers soi  : une introspec-
sium et la lumière du soleil sont les agents qui tion se met à l’œuvre, « au su et à l’insu 3 » du

62 — Dossier
Esse

Fabrice Samyn: Where Mystic Materiality


Meets Subconscious Projections
Sûrya Buis

“Mysticism is born from the disaster of identities,”1 art critic Daniel Vidal
notes in regards to the work of Jesuit philosopher Michel de Certeau. This
idea is in dialogue with the practice of Fabrice Samyn, a Belgian multidis-
ciplinary artist working in sculpture and painting whose artistic approach
is sustained by contemporary mythologies and paintings from past cen-
turies. Such an antithetical encounter creates a mysticism of forms and
materials whose expression is complex and whose aesthetic emphasizes
the permanent immutable.

Inseparable from the collective imagination figure of the martyr. The images in these works The balance sways between the de-ideal-
and deep-rooted convictions, the allegories put are reduced not only to Manichaean avatars but ization of mythical figures and the emphasis of
forward in Fabrice Samyn’s works relate to a also to incantatory entities seeking a speaker. their power, which underscores a fragile equi-
Western conception of temporality and put new By sketching historical conjectures, the trajec- librium. This simultaneously harmonious and
life into our mental images by shifting symbolic tory of Beyond Eros and Thanatos refreshes our precarious incarnation is reflected in Alors que
motifs. For Samyn, the referential ambiguity perspective on a classical technique and motif tu es le temps (2009), an oversized hourglass
transforms the artworks into unique entities that we might otherwise judge as obsolete. without sand, silvered like a mirror, and inspired
endowed with animism, to the extent that their Familiarity and analytical distance clash in this by the vanitas popular in the 17th century and
material nature seems to vibrate with a vital painting where the gaze of the execution victim the precariousness of human existence. By
energy. With respect to tradition—particularly seems to have already left the terrestrial world: a capturing the reflection of the person looking
religious tradition — the artist adopts a simul- theurgical vibration is born from the flat surface. into its silvered surface, the object brings view-
taneously deferential and subversive attitude: With this in mind, Samyn’s plastic explora- ers face-to-face with themselves and their own
not afraid to play with chronological discrep- tions chart a path to a conceptual and spiritual concepts of time. Whether embedded into our
ancies and popular secular references, his art reception of the work, which gives the cre- day-to-day according to a mathematical logic or
practice doesn’t exclude irony. As a mythogra- ator — of the illusion and content — the virtues whether the hours flow without our being aware
pher, he examines the ideological construction of an iconoclastic magician. Such a heteroge- of their progress, the concept of time remains
of icons and their concretization in reality and neous practice allows the artist to make con- a familiar yet nebulous notion: direct intuition
thus enjoys dismantling our prejudices against nections between all his sculptures, paintings, and conscious memory permeate the material.
religious iconography while also underlining the and installations and respond to the icono- The work thus creates an association between
esoteric power of such images. graphic demands of a society of the image, in its plastic vacuity and the chronological purpose
The force of Samyn’s works lies, above which the gaze is constantly solicited and which with which we imbue it. The hourglass, an alle-
all, in the hermeneutic act of the viewer and often fuses the emotional sphere with iconodule gory of the fleetingness of time and a receptacle
stems from a union of opposites. The works visuals. Black is Virgin (2016), an installation of of its movement, teaches us the limitations of
refer to two traditions — the classical and the nine figurines that resemble votive objects or the world, of our existence and its intangibility:
contemporary — with the link between the two funeral candles, is a convincing iteration. Their in the absence of a universal vision, it offers us
illustrating how the sacredness of the figures ambiguous aesthetic suggests an imminent the uniqueness of projective power.
transcends time and coexists in symbiosis liquefaction that would transmute them into a The laconic dimension of Samyn’s artworks
with the materials. Beyond Eros and Thanatos new form and shatter the saintly image of the gives them whatever divine virtue we may grant
(1625 — 2012) thus takes up the codes of ceremo- Immaculate Conception. In this work, beliefs them while reconsidering the sacred as some-
nial sacrifice by making a religious martyr the and the collective imagination merge, making thing “out of reach,” according to the artist’s
symbol of the ontological separation between room for the animist dimension that is import- terms. Samyn’s practice does not have a melan-
life and death. The arrows piercing his rachitic ant to the artist: form and content come together cholic or anxiety-provoking relationship to time,
torso are directly inspired by The Martyrdom of to infuse the objects with their own energy. The but simply represents an attempt to concretize
St. Sebastian (c. 1475) by Flemish painter Hans magical power that we attribute to symbols and and reveal the subconscious projections that
Memling. Samyn’s pictorial evocation recalls images is made explicit by these modest statu- arise from it.
the customs of sects or religious communities ettes with unidentifiable faces. Their symbolic Inspired by old photographic techniques,
undermined by atheism and for which sac- power — which could make a plea for or launch What Reveals Erases (2012) was created through
rificial rituals are central. It is not a matter of into a diatribe about religious cults—creates a chemical process by which potassium and
celebrating the past but rather a desire to shed a space of inquiry in which the introspective sunlight become the agents inscribing the
new light on works that are several centuries function mixes with solemn artifice, blurring image onto the fabric. This “spell” traces a
apart and to disrupt our chronological refer- the boundaries between the secular and the fiery path and metamorphoses the initial burn
ence points so as to offer a better reading of the confessional. into a sepulchral imprint and original emblem;

63 — Feature
Esse

! Fabrice Samyn

Beyond Eros and Thanatos, 2012.
Photo : permission de l’artiste |
courtesy of the artist

$ Fabrice Samyn

One Regeneration Apart, 2018.
Photo : permission de l’artiste |
courtesy of the artist

" Fabrice Samyn



Fate Piece I - Activation III: The Work
of Fate, 2010.
Photo : permission de l’artiste |
courtesy of the artist

64 — Dossier
Esse

the fragility of the image stems from that putting distance between itself and a way of transubstantiation that the artist operates by
which gives it life: light. The process echoes thinking that is not spiritual but superstitious. making it art. Contemporary art thus becomes
One Regeneration Apart (2019), an installation “I am my shadow, its shape is my design, as I a return to foundational rituals, whether they
composed of agave flowers to which the artist am as much yesterday as I am tomorrow and just be banal or daring: between solemn soliloquy
applied gold leaf: as inflorescences destined to as much as both of them,”2 Samyn writes in an and constant dialogism, the dualism found in
be born in order to die, they contaminate us with incantational formulation, by which he extracts artistic reflection creates a powerful alchemy.
their seemingly supernatural expression. The the paradoxical aspect of our relationship to Capable of awakening spiritual energy in each
work emphasizes the vital energy of nature and occult forces. of us, the aesthetic — in which abstraction and
the cycle of life, as the curvatures of the plants These unusual and unremarkable abstrac- eloquence meet — of structures and the presence
evoke the foetus, maturity, and degeneration all tions influence the perception of what we call with which they seem to be suffused make a cir-
at once. As with the series of Virgins in Black is “spiritual” by transgressing our system of refer- cular interpretation possible. Our mental and
Virgin, the flowers are laid out in a way that can ence. When this system is based on abstract con- artistic images are then contorted, echoing the
be described as commemorative. Imbued with cepts such as destiny, good omens, or bad luck, it agave flowers transmuted into a “deliberately
theatrical sacredness, the serial arrangement traps us into a castrating mindset, in which the enigmatic momentum.”4
and the flower’s seeming insignificance com- prospect of an uncontrollable future disrupts the
bined with the use of gold leaf gives the modest thinking process: Samyn’s work reinjects desires Translated from the French by Oana Avasilichioae
plant an ecliptic language that underscores the and anxieties into everyday objects and circum-
substantial and even divine character of nature. scribes pernicious beliefs.
For the performative work Fate Piece I - Various poetic and iconographic forms
Activation III: Fate for River (2010), the public result from this plastic art process that meta-
is solicited to participate and engage in a holis- morphose into stories-rituals and cross the 1 — Daniel Vidal, “Michel de Certeau, La fable
mystique, xvı e-xvıı e siècle, tome II,” Archives
tic relationship evident in the object, as it is the boundaries of time and of parallel worlds. Their de sciences sociales des religions 168 (2014,
public who brings about the artistic process. revelatory power constitutes an anachronistic our translation), accessible online.
Participants are asked first to give the artist space-time that unfreezes representations to
a stone — found on the street or while out on a trigger self-awareness: introspection occurs 2 — See Fabrice Samyn’s brief artist’s state-
ment in the Visitor’s Guide designed to
walk — and then to go to the artist’s studio to see “with and without the knowledge”3 of the accompany the exhibition Fabrice Samyn:
him engrave their palm lines onto the stone. public, whose interpretative power is the only To see with ellipse presented at the Royal
This narrative process connects each person’s prophecy. Museums of Fine Arts of Belgium in Brussels
from 15 October 2021—13 February 2022,
destiny to that of the object according to a ritual- To see with ellipse (2021 −22), an exhibition of accessible online.
ized protocol; once the stone has been engraved, Samyn’s works presented at the Royal Museums
the person disposes of it in a symbolic manner: of Fine Arts of Belgium, underscores the dark 3 — Roger Munier, Le su et l’insu (Paris:
by breaking it on their brother’s grave, by losing side that is part of every gaze, and through this Gallimard, 2005, our translation). This book is
important to Samyn’s work.
it in the forest of their childhood, by drowning it dark side, the power of ideas and the interinflu-
in a river. The participatory work is thus situated ence of the elements. The past and the object’s 4 — Antonin Artaud, Œuvres (Paris: Gallimard,
between shamanic ceremony and psychomagic, resilience are embodied through the material 2004), 130 (our translation).

65 — Feature
Esse

Betye Saar

Throughout her career, African American artist Betye Saar Tout au long de sa carrière, l’artiste afro-américaine Betye
has pioneered a highly original and personal aesthetic Saar a élaboré une esthétique profondément singulière et
that transcends the strict categorizations of art-historical personnelle qui transcende la définition stricte des genres
genres. Reconfiguring early surrealist influences from the en histoire de l’art. En déclinant à sa manière ses premières
likes of artists such as Joseph Cornell, Saar has painted, influences surréalistes, notamment des artistes comme
collaged, sculpted, and assembled to define a re-enchanted Joseph Cornell, Saar s’adonne à la peinture, au collage, à la
cosmology for our time as seen through her life experiences. sculpture et à l’assemblage de façon à tracer, à partir de son
To accomplish this, she staunchly resisted the white, patri- vécu, les contours d’une cosmologie réenchantée destinée
archal metanarratives of spiritual abstraction that, during à notre époque. Pour y parvenir, elle résiste farouchement
the 1930s and 1940s, distilled the corruptibility of materi- aux métarécits patriarcaux blancs sur l’abstraction spiri-
ality from aesthetic utopian rigour, as visible in the work of tuelle qui, dans les années 1930 et 1940, ont dissocié maté-
Piet Mondrian and László Moholy-Nagy. rialité corruptible et rigueur utopiste esthétique, ce dont
Saar’s aesthetic knows no perfection, as the world she is témoignent par exemple les œuvres de Piet Mondrian et
enmeshed in is also far from perfect. Found objects, occult de László Moholy-Nagy. L’esthétique de Saar ne vise pas
premonitions, shamanic rituals, and supernatural pres- la perfection, car le monde dans lequel elle s’inscrit est
ences are markers of often imperceptible terrestrial and loin d’être parfait. Les objets trouvés, les prémonitions
celestial entanglements that science has taught us to loathe occultes, les rituels chamaniques et les présences surnatu-
as medieval hocus pocus. Saar articulates the integral facets relles signalent des enchevêtrements terrestres et célestes
of the human existence that have been marginalized from souvent imperceptibles que la science nous apprend à déni-
institutional language. Her interest in the supernatural in grer comme autant de fumisteries médiévales. Saar met au
art is not the subject of her work but the medium through jour les facettes fondamentales de l’existence humaine qui
which she expresses an uncontainable desire to reach sont reléguées aux marges du langage institutionnel. Son
beyond the cultural impoverishment and brutal alienation intérêt pour le surnaturel en art n’est pas l’objet de son tra-
of a world filled with hate, discrimination, and racism. “I vail, mais bien la forme à travers laquelle elle exprime son
make my art in silence,” she has said. “The materials con- désir irrépressible de dépasser l’appauvrissement culturel
jure ideas. The ideas conjure images. The images conjure et l’exclusion violente dans un monde rempli de haine, de
art. The art conjures feelings. The feelings are the goal.” discrimination et de racisme. « Je crée mon art en silence,
Astral bodies, personal emblems, icons, and intricate déclare-t-elle. Les matériaux appellent des idées. Les idées
symbolisms — Saar’s body of work speaks of a personal, appellent des images. Les images appellent l’art. L’art
intimate, and uncompromising soul-searching process. appelle des sentiments. Les sentiments sont l’objectif visé. »
Objects from her childhood and others collected while Corps astraux, emblèmes personnels, icônes et sym-
travelling are gathered in her assemblages to connect past boliques complexes – l’œuvre de Saar témoigne d’une
with present. Her mystical iconographies become keys to démarche d’introspection personnelle, intime et sans
universalities that link cultures across the globe beyond the concession. Dans ses assemblages, des objets de son
study of anthropology — a primordial code that speaks a lan- enfance côtoient ceux qu’elle a recueillis en voyage, de
guage of memory, longing, loss, and rebirth. In opposition façon à relier passé et présent. Ses iconographies mystiques
to the hubris of the male artists that dominate the modern ouvrent la porte aux principes universels qui unissent les
Western canon, Saar’s work invites us to humbly heighten cultures de la planète entière par-delà l’anthropologie, dans
our perception of ourselves as part of infinite constellations un code primordial fondé sur la mémoire, la nostalgie, la
of knowledge, wisdom, and empathy. perte et la renaissance. Au contraire de l’arrogance des
artistes masculins qui dominent le canon moderne occiden-
Giovanni Aloi tal, le travail de Saar nous invite à nous voir humblement
comme des constellations infinies de savoir, de sagesse et
d’empathie.

Traduit de l’anglais par Luba Markovskaia

66 — Portfolio
Esse

Betye Saar
Vanity, 2009.
Photo : Robert Wedemeyer, permission de | courtesy of the
artist & Roberts Projects, Los Angeles

67 — Portfolio
Esse

Betye Saar
Midnight Madonnas, 1966.
Photo : Robert Wedemeyer, permission de | courtesy of the
artist & Roberts Projects, Los Angeles

68 — Portfolio
Esse

Betye Saar
Red Signs of Transformation, 2015.
Photo : Robert Wedemeyer, permission de | courtesy of the
artist & Roberts Projects, Los Angeles

69 — Portfolio
Esse

Bianca Bondi

Jeune artiste de la scène contemporaine, Bianca Bondi The young South African contemporary artist Bianca Bondi
intrigue par ses installations étranges dont la présence intrigues us with strange installations whose presence quite
révèle bien souvent une absence, des absences. Comme si often reveals an absence, or absences. As if beings had once
des êtres avaient habité dans ces lieux, mais qu’ils n’étaient inhabited the premises but are no longer to be seen. Might
plus là. S’agirait-il alors de fantômes ? D’esprits ? Ces œuvres they be ghosts? Spirits? These highly seductive works are
hautement séduisantes sont souvent présentées dans des often presented in landmark venues of the art world. Bondi
lieux incontournables du monde de l’art. L’artiste sud- cultivates mystery and uses various materials and objects
africaine cultive le mystère et emploie des matériaux, that she picks up while travelling. Her meticulous work is
des objets perdus divers qu’elle trouve tout au long de ses permeated with an authenticity rarely encountered in con-
voyages. Un travail méticuleux qui baigne dans une authen- temporary productions. She stands out for the sincerity and
ticité rarement vue dans la création actuelle. Bondi tranche originality of her art.
par sa sincérité et l’originalité de son art. Bondi explains her relationship with magic in a few
Bondi explique en quelques mots son rapport à la words: “As soon as magic(k) thought is put into action it
magie : « Dès que la pensée magique est mise en action, automatically becomes black. White magic is writing about
elle devient automatiquement noire. La magie blanche, c’est magic, black magic is willing intentions and setting ener-
écrire sur la magie, la magie noire, c’est avoir des intentions gies into motion. The important aspect to bear in mind
et mettre les énergies en mouvement. L’aspect important à when dealing with practising magick is the Rule of Three
garder à l’esprit lorsqu’il s’agit de pratiquer la magie est la (the Three Fold Law). The manifestations you put out into
règle de trois (“la triple loi”). Les manifestations que vous the world, eventually come back to you threefold… I don’t
diffusez dans le monde finissent par vous revenir triple- remember how exactly it started but the first time I prac-
ment… Je ne me souviens pas exactement comment cela a tised I was under ten years old and I’d be outside lying on
commencé, mais la première fois que j’ai pratiqué, j’avais the grass by the pool warming up, I would imagine my body
moins de dix ans et j’étais dehors allongée sur l’herbe au double separate from my physical form..”
bord de la piscine en train de m’échauffer, j’imaginais mon For the occult — that word and the ideas it embod-
corps en double séparation de ma forme physique. » ies — often scares people, especially in Western society,
Car l’occulte, ce mot et les idées qu’il incarne, fait bien which tends to want to rationalize, to explain everything.
souvent peur, surtout dans la société occidentale, qui a ten- Yet, so many things remain mysterious, even impossible
dance à vouloir tout rationaliser, tout expliquer. Pourtant, to grasp by the mind alone. It is in this respect that the
tant de choses restent mystérieuses, voire impossibles à cer- mystical in Bondi’s work resonates most fully, assumes its
ner par l’esprit seul. C’est en ce sens que la mystique liée au greatest significance. Dreams are not just the poetic coun-
travail de Bondi trouve toute sa résonance, toute son impor- terpart to physical reality: they are very real and carry
tance. Les rêves ne sont pas juste le pendant poétique de la within themselves a power of divination that should not be
réalité physique : ils sont bien réels et portent avec eux un repressed — on the contrary. Bondi understands this and
pouvoir de divination qu’il ne faut pas refouler, au contraire. she imbues her installations with all this suggestive and
Bondi l’a bien compris et infuse toute cette puissance d’évo- productive power.
cation et de réalisation à sa pratique installative.
Translated from the French by Ron D. Ross
Yan Céh

70 — Portfolio
Esse

Bianca Bondi
Cured - Kitchen, vue d’installation | installation view, Centre
d’arts plastiques de Saint-Fons, 2022.
Photo : David Desaleux, permission de | courtesy
of the artist & Mor Charpentier, Paris

71 — Portfolio
Esse

Bianca Bondi
Red List Amazon River Dolphin (The Fall and Rise) &
Red List Hector's Dolphin (The Fall and Rise), vue d’installation |
installation view, Mor Charpentier, Paris, 2021.
Photo : François Doury, permission de | courtesy
of the artist & Mor Charpentier, Paris

72 — Portfolio
Esse

Bianca Bondi
The Faint House of Yes, vues d’exposition | exhibition views,
Le Voyage à Nantes, 2021.
Photos : Martin Argyroglo, permission de | courtesy of the
artist, Le Voyage à Nantes & Mor Charpentier, Paris

73 — Portfolio
Esse

Shanie Tomassini

Shanie Tomassini fait usage de matériaux en constante Shanie Tomassini makes use of materials in constant
mutabilité, dont l’état initial est appelé à subir une trans- mutation, subjecting them to the transformational effects
formation éventuelle par l’effet du temps. Au cours des of time. In recent years, Tomassini’s practice has focussed
dernières années, l’artiste aura effectué des recherches on the transformative effects of mealworms and bryo-
avec de la styromousse partiellement dévorée par des vers phyte mosses on sculptures made of Styrofoam or cement.
de farine, ou encore fait pousser de la mousse bryophyte Her most recent corpus, which the Montréal public could
sur des sculptures de styromousse et de ciment. Ce récent experience at Centre CLARK in winter 2022, reflects on
corpus, que le public montréalais a pu voir au Centre Clark the mystical aspects of the elementary transformation of
à l’hiver 2022, poursuit une réflexion sur les aspects mys- matter. Among the works in the series are sculptures made
tiques de la transformation élémentaire de la matière. Dans of incense compressed into the forms of old cell phones.
cette série, Tomassini a réalisé des sculptures faites d’en- These fragile and fragrant objects are placed on richly orna-
cens, compressées dans des moules obtenus à partir d’an- mented terracotta plinths, whose iconography is reminis-
ciens téléphones cellulaires. Ces objets, fragiles et odorants, cent of antique jewellery.
sont ensuite déposés sur des socles de terre cuite richement Tomassini produced these sculptures from moulds
ornementés, dont l’iconographie rappelle l’orfèvrerie et de based on her personal collection of obsolete cell phones.
la joaillerie antique. Her proposal evokes precisely the fetishistic aspect of these
L’artiste a travaillé au moulage de ces sculptures en se technologies that many of us are permanently attached to,
basant sur ses propres téléphones intelligents obsolètes, uti- as they are vectors for both absence and presence in our
lisés au fil des années. La proposition de Tomassini évoque lives. Adding to this tension is the fact that some of the
justement l’aspect fétichiste de ces technologies, auxquelles sculptures are activated by being set alight, quickly burning
nombre d’entre nous sont perpétuellement vissé·e·s, et qui down to leave nothing but piles of ashes on their supports.
sont simultanément des vecteurs d’absence et de présence Through this smouldering process, Tomassini evokes the
dans nos vies. Ajoutant à cette tension, les sculptures de fantasy of our total disconnection from these devices. In
l’artiste seront parfois activées par le feu, s’embrasant rapi- this sense, her practice seems alchemical — suggesting the
dement pour ne laisser qu’une pile de cendres sur les socles. transmutation of matter through the creative act, but also
Par leur consumation, Tomassini évoque ainsi le fantasme exploring the particularities of our embodied experiences,
de notre déconnexion totale de ces dispositifs. En ce sens, as discussed in Gaston Bachelard’s The Formation of the
sa pratique apparait comme alchimique – proposant la Scientific Mind: an alchemy that is defined as a “language
transmutation de la matière par l’acte créatif, mais explo- of reverie,” an “intimate culture” that activates our senses
rant aussi les particularités de nos expériences incarnées, differently.
joliment évoquées dans La formation de l’esprit scientifique
de Gaston Bachelard : une alchimie qui se définirait comme Translated from the French by Louise Ashcroft
un « langage de la rêverie », une « culture intime » qui nous
propose d’activer nos sens autrement.

Daniel Fiset

74 — Portfolio
Esse

Shanie Tomassini
Nokia E5, Est-Nord-Est, Saint-Jean-Port-Joli, 2022.
Photo : ENE/Jean-Sébastien Veilleux, permission de |
courtesy of the artist

75 — Portfolio
Esse

Shanie Tomassini
Incense Screen (iPhone 4), vues d’installation | installation
views, Umlauf Sculpture Garden, Austin, 2022.
Photos : Matthew Cronin, permission de |
courtesy of the artist

76 — Portfolio
Esse

Shanie Tomassini
iPhone Ritual, vues d’installation | installation views,
Centre Clark, Montréal, 2021.
Photos : Jean-Michael Seminaro, permission de |
courtesy of the artist

77 — Portfolio
Esse

GaHee Park

Fingers poking through peep holes, animals lounging com- Des doigts sortant de trous dans les murs ; des animaux
fortably, innumerable martini cocktails, and an abundance étendus confortablement ; des martinis à profusion ; une
of luscious fruit are only but a few of the recurring motifs in abondance de fruits délicieux  : voilà quelques-uns des
GaHee Park’s surreal painted scenes. Her work is elegant motifs récurrents des scènes oniriques que peint GaHee
and humorous, and it is deceptively complex. Undeniably, Park. Ses œuvres élégantes et humoristiques dissimulent
there is a seeming effortlessness to her paintings—which une grande complexité : si l’apparente nonchalance de ses
she achieves by working obsessively. It takes her several peintures est indéniable, c’est un effet qu’elle obtient par
weeks to complete a single painting. Before committing to un travail quasi obsessionnel. Une peinture peut l’occuper
a canvas, she maps and sorts out the composition of each pendant des semaines. Avant de toucher la toile, elle carto-
piece via multiple preparatory drawings. This methodology graphie la composition à l’aide de nombreux dessins prépa-
allows her to establish the different layers of meaning that ratoires. Elle établit par cette méthode, en juxtaposant des
will compose the image, juxtaposing dissonant symbols symboles dissonants sur une même surface cohésive, les
within a single cohesive surface. couches de sens qui composeront l’image.
Decadent food coexists alongside all types of insects Des aliments décadents côtoient divers insectes et
and animals; this never seems to bother the human figures, animaux, sans que cela dérange les personnages humains,
who are generally enthralled in the midst of an action: the envoutés la plupart du temps dans une action : doux bai-
sweetness of a kiss, the intensity of a look, the delight of ser, regard intense, toucher extatique. Les dimensions spa-
a touch. Park’s work often fractures spatial and temporal tiale et temporelle sont fracturées grâce à des techniques
dimensions, utilizing devices such as reflections, shadows, – reflets, ombres ou répétitions – empruntées au cinéma.
or repetitions that she borrows from cinematic strategies. L’effet global transporte le public dans un décor imaginaire
The overall effect transports the viewer into an imaginary où règnent la décadence et l’avidité, le suspense et le mys-
setting filled with decadence and appetite, but also sus- tère. Les peintures semblent provenir de son être le plus
pense and mystery. Park’s paintings seem to arise from intime ; elles sont profondément subliminales et toujours
her innermost self; they are deeply subliminal and always énigmatiques. Sa palette de couleurs pastel conjugue des
enigmatic. Through a palette of pastel colours, she com- perspectives morcelées, en unifiant de manière convain-
bines shattered perspectives to weave into a unified and cante un patchwork d’états mentaux contradictoires : le
compelling whole a patchwork of contradictory mental désir frôle la répulsion, le malaise guette la tranquillité, le
states: desire exists alongside repulsion, uneasiness lurks soupçon s’infiltre au cœur de la confiance.
behind tranquillity, suspicion creeps into trust. L’ensemble de l’œuvre de Park montre à quel point la vie
Through her work, Park acknowledges that living in actuelle se déroule dans des états psychologiques et émo-
today’s world implies living amidst interchanging and tionnels complexes et permutables. Nos désirs les plus forts
complex emotional and psychological states. Our most peuvent être la source de notre angoisse la plus profonde.
intense desires can carry the source of our deepest anxiety. Exister en tant que femme – et certainement en tant que
Existing as a woman—and certainly as an Asian woman in femme asiatique en Occident – suppose une compromission
the West — involves an unfair compromise whereby being injuste au fait qu’être visible signifie souvent être désirée
visible is often equated with being desired and despised all et méprisée tout à la fois : être vue, c’est être ciblée. Être
at once: to be seen is to be targeted. In turn, being invisible invisible, en retour, peut procurer une certaine sécurité, un
might entail a certain safety and a respite from hostilities. répit dans les hostilités. Or, dans notre société capitaliste,
But within the competitive nature of capitalist society, intrinsèquement compétitive, impossible d’avancer à l’abri
one can’t move ahead without being seen. And in that fact des regards. C’est là, précisément, que se joue le fragile
lies the meticulous balancing act of navigating white and équilibre permettant de traverser les lieux du patriarcat
patriarchal spaces: taking calculated turns in and out of et de la blanchité – dans de prudents calculs pour entrer et
perception. sortir du champ de vision.

Anaïs Castro Traduit de l’anglais par Sophie Chisogne

78 — Portfolio
Esse

GaHee Park
Betrayal (Sweet Blood), 2020.
Photo : Guillaume Ziccarelli, permission de |
courtesy of the artist & Perrotin, New York

79 — Portfolio
Esse

GaHee Park
Empty Room with Ants, 2020.
Photo : Guillaume Ziccarelli, permission de |
courtesy of the artist & Perrotin, New York

80 — Portfolio
Esse

GaHee Park
Feast Night, 2018.
Photo : Guillaume Ziccarelli, permission de |
courtesy of the artist & Perrotin, New York

81 — Portfolio
Esse

Christina Battle

In common parlance on social media, posts and tweets Sur les réseaux sociaux, on déplore souvent que la décennie
lament how the 2020s have seen us sucked into a global actuelle nous voie nous enfoncer dans un bourbier plané-
quagmire, succumbing to a precarious social economy taire et céder à une économie sociale précaire fondée sur
of death, destruction, and devastation. To fight the bleak la mort, la destruction et la dévastation. Pour contrer les
outlook of pandemic, war, and environmental degradation, sombres perspectives de la pandémie, de la guerre et des
some have turned to practices of communing, healing, and ravages environnementaux, certain·e·s se tournent vers les
resisting as modes of survival. modes de survie que sont la communion, la guérison et la
Christina Battle’s Remedy Toxic Energies: Summoning résistance.
Circle (2022) invited guests to engage in multiple summon- Avec Remedy Toxic Energies: Summoning Circle (2022),
ing circles, with the aim of challenging the extractive ener- Christina Battle invitait les gens à participer à des cercles
gies at the heart of Alberta’s economic and cultural ethos. d’invocation afin de résister aux énergies extractrices au
On the day of the first full moon of the new year — January 17, cœur de l’éthos économique et culturel de l’Alberta. À la
2022, which coincided with Martin Luther King Day — Battle première pleine lune de l’année, le 17 janvier 2022, qui était
distributed summoning circle kits with chamomile tea (to également l’anniversaire de naissance de Martin Luther
drink and smell), beeswax candles (to burn), a seed pack (to King, Battle a distribué des trousses d’invocation com-
plant in the spring), and other instructions to participants. prenant de la tisane à la camomille (à boire et à sentir),
Intertwining New Age notions and traditional medicine, des chandelles en cire d’abeille (à allumer), un sachet de
snail mail and the instantaneity of the internet, Battle’s semences (à semer au printemps) et d’autres instructions.
piece spreads out from the artist to foster networks of care Entremêlant concepts nouvel âge et médecine tradition-
and activism. If the internet has gained a reputation as a nelle, correspondance papier et instantanéité d’Internet,
virtual repository of trash, trolls, and misinformation, it can son œuvre se déploie pour cultiver des réseaux de soin et
also carry the seeds of healthy spiritual beliefs and healing de militantisme. Si Internet a une réputation de réservoir
interpersonal exchanges. virtuel de grossièretés, de trolls et de désinformation, il peut
In heavy times / try to remember what it is that you need également porter en germe des croyances spirituelles saines
(2021), Battle transforms two videos from the ongoing series et des échanges interpersonnels propices à la guérison.
Notes to Self (2020 −) into custom hand-poured palm-wax Dans heavy times / try to remember what it is that you
candles and matchboxes. Whereas the short burning videos need (2021), Battle transforme deux vidéos de la série Notes
in Notes to Self capture simple, repetitive acts of fleeting to Self (2020-) en chandelles de cire de carnaúba faites main
engagement with social media updates, heavy times trans- et en boites d’allumettes. Si les brèves vidéos de Notes to
lates these ephemeral sequences into concrete objects. Self saisissent de simples interactions répétitives avec les
Each red-, blue-, orange-, or green-coloured candle reads notifications des réseaux sociaux, heavy times fait de ces
“HEAVY” or “TIMES,” recasting the popular wellness fad séquences éphémères des objets concrets. Chaque chan-
of expensive scented candles into an act of contemplation delle rouge, bleue, orange ou verte porte l’inscription
on the present moment. Instead of gesturing toward some « HEAVY » ou « TIMES », de manière à convertir la vogue
sort of transcendence or sensorial escape, heavy times asks des chandelles parfumées couteuses en acte de contempla-
that you consider this difficult juncture and remain com- tion du moment présent. Plutôt que d’évoquer une trans-
mitted to navigating it. There is nothing mystical, or even cendance ou une évasion sensorielle, l’œuvre nous enjoint
metaphysical, about these objects; rather, they encourage d’affronter ce présent difficile et de l’éprouver sans relâche.
users to focus on trying to “remember what it is that you Ces objets n’ont rien de mystique ou de métaphysique : ils
need” and not what consumer trends, capitalism, or popular nous incitent plutôt à « nous rappeler ce dont nous avons
influencers have trained them to want, desire, and lust after. besoin », et non ce que les tendances consuméristes, le
capitalisme ou les influenceurs et influenceuses nous condi-
Didier Morelli tionnent à vouloir, à désirer et à convoiter.

Traduit de l’anglais par Luba Markovskaia

82 — Portfolio
Esse

Christina Battle
Remedy Toxic Energies: Summoning Circle, 2022.
Photo : permission de l’artiste | courtesy of the artist

83 — Portfolio
Esse

Christina Battle
Notes to Self, capture d’écran | video still,
depuis 2014 | 2014-ongoing.
Photo : permission de l’artiste | courtesy of the artist

84 — Portfolio
Esse

Christina Battle
Notes to Self, capture d’écran | video still,
depuis 2014 | 2014-ongoing.
Photo : permission de l’artiste | courtesy of the artist

85 — Portfolio
Esse

Maggie Groat

Guidée par son intuition, Maggie Groat aligne sa pratique Guided by her intuition, Maggie Groat aligns her practice
sur le cycle de la lune et celui des saisons. Son travail fait with the cycles of the moon and the seasons. She uses var-
appel à diverses méthodes d’assemblage et pratiques de ious assemblage methods and salvage practices to create
récupération prenant la forme de recherches, de collages, research projects, collages, installations, artist books, and
d’installations, de livres d’artiste et de performances qui performances that connect her with more-than-human
la mettent en relation avec des entités plus qu’humaines. entities. Drawing inspiration from her connection with
Inspirée par ce qui l’unit au territoire, à ses ancêtres et à the land, with her ancestors, and with the current climate
la crise climatique actuelle, elle investit des espaces phy- crisis, she creates physical and conceptual spaces turned
siques et conceptuels tournés vers des avenirs possibles toward possible futures that challenge colonial systems of
pour remettre en question les systèmes de classification et classification and modes of knowledge.
modes de connaissance coloniaux. As a cosmic symbol of cyclical transformation, the
En tant que symbole cosmique de transformation moon suggests alternative ways of apprehending the world.
cyclique, la lune suggère des façons alternatives d’appré- Groat dedicates a series of poetic gestures to the moon, elic-
hender le monde. Groat lui dédie une série de gestes poé- iting a fascination with that celestial body and its influence
tiques qui suscitent une fascination pour le corps céleste et on earthly life. In an act of metaphorical reparations, she
son influence sur la vie terrestre. Dans un acte de réparation bought and restored a plot of lunar land, a transaction that
métaphorique, elle fait l’achat et la restitution d’une par- provided an indirect way of addressing territorial appro-
celle lunaire – une transaction offrant un moyen détourné priation on Earth. With Moon Reflectors or a Proposal for
d’aborder l’appropriation du territoire sur la Terre. Avec Returning Moonlight Back to the Moon, she devotes a specu-
Moon Reflectors or a Proposal for Returning Moonlight Back lative installation to the moon, made up of second-hand
to the Moon, elle lui consacre plutôt une installation spécu- mirrors, aluminum balls, and metallic boxes devised to
lative faite de miroirs d’occasion, de boules d’aluminium et restore a part of the sunlight it reflects back to us.
de coffrets métalliques conçue pour lui rendre une partie de In a holistic spirit characterized by notions of offering
la lumière solaire qu’elle réfléchit. and caring, Groat is developing a body of work created in,
Dans un esprit holistique marqué par les notions with, and for her garden. She transposes a series of collages
d’offrande et de bienveillance, Groat élabore un corpus onto gardening clothes, including the works worm mood >
créé dans, avec et pour son jardin. Elle transpose notam- doom mrow, which presents the earthworm as symbol of
ment une série de collages sur des vêtements destinés au fertility, and flowers also gardens, gardens also seeds, con-
jardinage, dont les œuvres worm mood > doom mrow, qui veying the vision of an impossible garden in full bloom.
présente le ver de terre comme un symbole de fertilité, Worn during a ritual performance, the floral accumulation
et flowers also gardens, gardens also seeds, qui transmet la envelops the body and melds with the environment, like
vision utopique d’un jardin impossible en pleine floraison. a camouflage pattern meant not to conceal the one wear-
Portée lors d’une performance rituelle, l’accumulation flo- ing it but to bring that person into communion with their
rale enveloppe le corps et se fond dans l’environnement, à surroundings.
la manière d’un motif de camouflage dont le but n’est pas Pursuing a reflection on the energetic potential of art
de dissimuler celle qui le porte, mais de la faire entrer en objects, Groat considers that they need to be activated by
communion avec ce qui l’entoure. certain ritual gestures and through their capacity for retain-
Poursuivant une réflexion quant au potentiel éner- ing energy. The works must thus eventually return home to
gétique des objets artistiques, Groat considère qu’ils ont be recharged, exposed to moonlight, or used in the garden
besoin d’être activés par certains gestes rituels et leur capa- in order to enact their propositions.
cité à retenir l’énergie. Ainsi, les œuvres doivent éventuel-
lement revenir à la maison pour être rechargées, exposées Translated from the French by Ron D. Ross
au clair de lune ou utilisées dans le jardin afin d’incarner
leur proposition.

Noémie Fortin

86 — Portfolio
Esse

Maggie Groat
worm mood coat, 2020.
Photo : Jimmy Limit, permission de |
courtesy of the artist

87 — Portfolio
Esse

Maggie Groat
5th eye + subtle bodies > 1, 7, 14, 21, 28, 2017.
Photo : Jimmy Limit, permission de |
courtesy of the artist

88 — Portfolio
Esse

Maggie Groat
arrangements for rotations - rotations for collections -
collections for sounds - sounds for light - light for
transformations - transformations for arrangements,
2020-2022.
Photo : Garnet Dirksen, permission de |
courtesy of the artist

89 — Portfolio
Esse

Dans l’atelier de

Kuh Del Rosario


Maude Johnson

Photos :
Alain Beauchesne

Kuh Del Rosario arrive à Tiohtià : ke/Mooniyang/Montréal en parvenue à mettre en place un espace pour faire », écrit-elle.
janvier 2020, tout juste avant que la pandémie n’éclate et que Les paramètres de cet espace façonnent sa pratique : certains
ne soient imposées les mesures de confinement qui teintent lieux permettent la création de grands formats, tandis que
toujours notre quotidien. D’origine philippino-canadienne, d’autres mènent à des œuvres de petite taille, qui passent
Kuh nait à Manille et grandit à Calgary. Elle passe trois ans parfois temporairement de la sculpture au dessin. Pour Kuh,
sur l’ile de Batan, aux Philippines, où elle tient une résidence l’atelier n’est pas un contenant neutre, détaché de ce qui y
d’artistes dans la maison familiale héritée à la mort de son prend forme. Sa matérialité est intrinsèquement liée à celle
père, puis prend la direction de Montréal pour entreprendre du travail artistique. C’est l’endroit où les réflexions s’actua-
une maitrise en beaux-arts au département de sculpture de lisent au contact de l’espace même, où l’erreur et la magie
l’Université Concordia. C’est là que je la retrouve, dans un se conjuguent pour donner lieu à l’évènement de création.
atelier partagé avec d’autres étudiant·e·s, pour discuter de C’est, selon l’artiste, « un lieu dédié […] à l’expérimentation
sa démarche et de ses projets. qui accueille le désordre de tels exercices […] qui ouvre la voie
Alors qu’elle poursuit sa deuxième année de maitrise, aux impulsions matérielles ».
Kuh se concentre sur le développement de sa pratique, enra- Kuh entretient un intérêt presque obsessionnel pour
cinée dans l’atelier. Elle m’explique que son travail ne peut les questions de matérialité. Ce qu’elle me présente est sen-
advenir sans celui-ci, qu’il en dépend. « Peu importe ma suel, chargé de textures qui donnent envie d’y poser le doigt
situation financière ou les circonstances dans ma vie, je suis pour en sentir les rugosités. Elle me parle de la conversion

90 — Chroniques
Esse

de sculptures réalisées dans les dernières années en de nou-


velles pièces : un « acte de compostage », dans ses mots. Les
œuvres sont démantelées afin d’en prélever des éléments
matériels, qui se métamorphosent au gré des manipula-
tions de l’artiste. Entrelaçant l’organique et le synthétique,
Kuh se tourne vers le quotidien pour obtenir ce dont elle a
besoin. Elle récupère notamment le marc de café, la char-
pie qui s’accumule dans la sécheuse et les divers emballages
alimentaires : « J’apporte avec moi des vestiges ou des sou-
venirs de la vie courante afin de les intégrer au travail que je des perspectives où la finalité est constamment mise à
fais dans l’atelier. Ce sont souvent des polymères destinés à l’épreuve, jouée et rejouée à tel point qu’elle en devient théâ-
être jetés, des contenants ou des protections qui promettent trale. Faire ce travail de « compostage » lui offre, semble-t-il,
de rendre meilleure l’existence du produit. » Les matériaux une manière d’apprivoiser la mort et d’en voir les possibilités.
usuels manufacturés occupent une place importante dans Dans l’atelier, les matériaux sont approchés pour « leur
son vocabulaire plastique. potentiel de se transformer, d’incarner des idées, de créer de
La sculpture long spinning (with “brew becoming”) trône nouvelles conceptions des espaces psychiques et de faire un
au milieu de son espace de travail. Recouverte de marc de avec la terre à travers les crevasses ». Fascinée par les actes
café, la section du bas a l’apparence d’une petite table qui d’érosion et d’efflorescence, Kuh cherche ce qui parvient à
semblait enfouie sous terre jusqu’à tout récemment. Une naitre devant l’infaillible – au creux d’une faille ou au travers
forme élancée y prend place, faite de centaines d’emballages d’une brèche : « Quelle vie pousse dans les espaces les plus
de plastique tordus et ficelés, un petit corps momifié issu d’un hostiles ? » écrit-elle dans un de nos échanges par courriel.
rituel particulier et assidu. Chaque contenant est conservé Les fissures et les entredeux, où les existences et les tempo-
puis entortillé avec soin ; jamais un récipient de tofu n’a reçu ralités fluctuent constamment, sont un terreau fertile pour
une telle attention. La pratique de Kuh est ancrée dans sa vie la création. Elle m’explique son intérêt pour la dimension
personnelle et les évènements marquants qui la traversent, cyclique du vivant. Elle redonne, dans une certaine mesure,
notamment le décès de son père. Sa sensibilité à l’égard de la une vie à des matériaux dont la fin approchait – non pas qu’ils
mort se manifeste dans plusieurs de ses œuvres. Elle affirme se désintègreraient, puisqu’il faut jusqu’à 1 000 ans au plas-
que « la mort arrivera indépendamment, dans n’importe tique pour se décomposer, mais qu’ils perdraient la fonc-
quels dimension ou univers alternatif », tout en montrant tionnalité à laquelle leur valeur est intrinsèquement liée. En

91 — Dans l’atelier
Esse

recontextualisant des matériaux à usage unique, ses œuvres à imprimante (toner), utilisée par l’artiste parce qu’elle
déjouent l’inévitable, exposent ce qui a été et incarnent les contient d’infimes particules de magnétite, en plus d’être de
évidences sérielles d’une vie vécue. Tous ces fragments la même couleur. On peut s’imaginer qu’après son extraction
conservent intimement les récits physiques et conceptuels destructrice et sa transformation industrielle, la magnétite
de leurs multiples contacts – avec les matières, les œuvres, philippine se retrouve finement étendue sur la sculpture ; une
les publics, les espaces, les idées. Ils deviennent un point de parcelle de sable noir qui s’apprête à voguer pour regagner
rencontre où les existences s’accumulent et les présences pas- son lieu d’origine. Les œuvres de Kuh agissent en quelque
sées, actuelles et futures se hantent mutuellement. sorte comme des espaces de dissémination, l’information y
Collaborant à la création, les matériaux partagent leurs est présentée par l’entremise d’interactions entre différentes
histoires et leurs origines, qui s’amalgament aux évènements formes, surfaces et matériaux. Cette information enchevêtre
personnels vécus par l’artiste dans des récits stratifiés et des faits scientifiques, postures critiques, références théoriques,
œuvres protéiformes. Alors que la conversation louvoie vers récits personnels et dialogues avec ses ancêtres. Chaque élé-
une sculpture au sommet arrondi enduit de pigment noir, ment participe à une conversation qui a lieu dans et à tra-
intitulée scorched riveryway, Kuh me raconte le souvenir vers l’œuvre. D’après Kuh, cette conversation qu’elle tente
qu’elle a d’une plage de sable noir aux Philippines, où son de générer est appelée à faillir. Or, « cet échec est également
père l’avait amenée il y a plusieurs années. Elle a tenté d’y quelque chose qui fait partie du dialogue, qui rend le travail
retourner au cours de ses séjours ultérieurs, mais la plage plus intéressant et complexe, de la même façon que la vie sera
s’est volatilisée sous l’appétit vorace de l’exploitation minière. toujours tout en se terminant simultanément ».
C’est un sort qu’ont connu de nombreuses autres grèves phi- Alliant sémantiques de la matérialité et questions
lippines, dépouillées de leur tapis d’ébène afin d’en extraire existentielles, les projets de Kuh s’érigent en petits univers
la magnétite – un minerai de grande valeur composé d’oxyde vibrants de vie et de mort, engourdissements temporaires de
de fer naturel. scorched riveryway évoque un bateau accom- l’appétence linéaire. Ils configurent ensemble une cartogra-
pagné d’une pagaie gravée rappelant les cuillères tradition- phie de la transformation. Le statut des œuvres est ébranlé
nelles philippines vendues aux touristes, avec une grande du fait qu’elles sont vouées à se désintégrer avec le temps ou
voile sombre déployée. Les contours d’une pierre tombale à être détruites par l’artiste pour en récupérer les matériaux.
s’y dessinent lorsqu’on connait l’histoire de cette plage qui Dans l’atelier, elles se dissolvent dans l’expérimentation, la
a disparu. tentative, l’étude ; elles se confondent avec leurs prémisses
Dans son travail, Kuh aborde les enjeux de consomma- et leurs aboutissements.
tion liés à la pensée coloniale en s’intéressant à ses articu-
lations matérielles. Elle examine notamment le rapport à
la nature et le désir de contrôle qui s’y rattache. Le pigment
noir sur scorched riveryway est produit à partir d’encre

92 — Chroniques
Esse

93 — Dans l’atelier
Esse

Tête à tête with

David Elliott
Nicolas Grenier

In 2002, I went to the Saidye Bronfman Arts Centre to see David


Elliott’s exhibition Instant Karma. As a twenty-year-old art student,
I was too young to truly appreciate the title — that would come later — but
the paintings, the paintings! They were huge, loud, and mysterious,
but also friendly, and impossible to ignore. The next semester, I forced
my way into David’s overbooked Painting and Pop Culture class at
Concordia University. Just like his paintings, his teaching made you feel
that you could grab the stuff the world is made of. Whatever subject or
style you were into, photorealist portraits or doodles, video games or
graffiti, love songs or phone books, it was okay, you could, and probably
should, turn it into a painting. This kind of street-corner magic came as
a revelation to generations of students. Twenty years later, it remains
the central force in David’s work. During that time, I have been, in turn,
# Nicolas Grenier, David Elliott,
his student, his studio assistant, his studio mate, and his colleague; and Daisy, the family dog, in Elliott's
I witnessed his transition from gigantic paintings — the making of which Montréal studio, 2022.
his body no longer allows — to intimate 3D collages in wooden boxes. In Photo : Nicolas Grenier

his recent exhibition at Galerie Nicolas Robert, Sweet Spot, twenty-


David Elliott
five small to miniature-size recent works offered a striking demonstra-

" Chutes, 2007.
tion of how emotionally powerful his intricate theatrics have become.
Photo : Richard-Max Tremblay, collection
The following interview has been edited from a conversation conducted Musée d'art contemporain de Montréal,
by email and by phone. courtesy of the artist

94 — Chroniques
Esse

NG When I walked into the gallery and began to absorb your latest works,
my first impression was wonder and fascination with the attractive
visual stimuli, from the forms of life that have emerged in these new
boxes. However, as the pictures and symbols began to sink in, I was
struck by an impression of precarity. Some scenes are rawer than
what I’m used to seeing in your work. The spaces, many of them in-
habited by a single character, feel very existential. The vernacular of
the artist studio is present throughout the exhibition, but here and
there we also find signs that suggest survival, poverty, and loneliness,
such as a bare mattress and unfinished walls. Is it just my interpreta-
tion or was this a deliberate choice?

DE In one sense, the exhibition title Sweet Spot is sincere. Like most artists,
I’m always looking for that state of grace where everything falls into
place, but more specifically I was trying to create spaces for meditation.
In troubling times, we often seek out solace and renewal in small pri-
vate spaces. I’m not sure I see the pieces as being as dark as you do, but
you’re right, there is probably a greater sense of hard times and entrap-
ment in them and there is certainly a lot of debris. Partly, it’s the two
years of COVID, and as you know, I was forced out of the studio where I
had been for over twenty years. I’m sure these things affected the work.
It’s interesting that you’re asking about social or political issues. There
probably is a growing aspect of social realism in my practice. I had a
pair of figures related to Bill 21 that weren’t included in the show. And
lately, I have been responding to the war in Ukraine in as immediate a
way as possible. With photo-based collage, I can work quickly and get
more detailed and specific about the world.

NG The collage boxes depict tight, isolated spaces. But all of them
contain cultural objects that imply a much bigger world. Culture seems
to appear as “the way out,” no?

DE The tiny off-square collage boxes function a bit like shrines or time
capsules for me. My first studio and hideaway was in my parents’ base-
ment. As a teenager, it was where I drew, painted, read, watched movies
on TV, listened to music, and contemplated the world. Some of the new
boxes try to recreate the intimacy and thrill of this.

95 — Dans l’atelier
Esse

! David Elliott

Ukraine, installation of
collage-boxes, 2022.
Photo : courtesy of the artist

$ David Elliott
Salle d’attente, 2021.
Photo : Paul Litherland,
courtesy of the artist

96 — Chroniques
Esse

NG Salle d’attente (2021), for those who know that you’re in a wheelchair,
seems like a self-portrait. It’s a beautiful scene, but the chairs have
been stacked, refuse is piling up, the calendar has been there for fifty
years, and the animals are stuffed. I know you like to play games that
touch on metaphysics. What’s happening with time and space here?

DE All the wheelchair ones are self-portraits in a way. This one was promp-
ted by the idea of limbo. Living in an in-between state. The idea of a
waiting room. I suppose that’s metaphysical. Where are we? What is
this world made of? In terms of pittura metafisica, it’s always less to do
with subject matter and more to do with the construction of the image
and the spatial games and paradoxes put into play, like the placement
of Giorgio Morandi’s bottles and tin boxes. Are they overlapping or
tangential? Flat or modelled? Lately, to enlarge the perspectival games
in my collage boxes, I have been introducing more actual 3D elements.
So, in Salle d’attente, there is an interplay between the literal three-
dimensionality of the vitrines and the other elements, which have
strong volumetric character but are simply flat cut-outs.

NG Let’s talk more about that. That interplay between 2D and 3D was a
big part of your work as a painter, but of course, with paintings we
knew that we were looking at a flat surface and that any volume was
an illusion. With your collages the scale is much smaller, but they’re
boxes with actual volume, usually about three inches deep. The
smaller the collage, the deeper they feel. Within their respective pic-
torial spaces, how did the change in scale and materiality affect your
sense of proportion, of what feels real, what feels small or big, minor
or major?

DE I’ve always been fascinated by the 2D/3D interplay in pictures — the


impossibility of portraying our experience of a 360-degree world on a
flat surface or trying to encapsulate it in a little box. Painters saw the
humour in this and often played games with this dichotomy. I love
David Hockney’s Play Within a Play (1963), in which the figure pushes
up against the surface of the canvas, trying to get out, and James
Rosenquist’s image of a thick pat of butter melting in a frying pan,
sliding down the picture plane. I suppose it’s easier to create space with
atmospheric effects, as Turner, Rothko, and Frankenthaler did, but
I’ve always been drawn to hard plastic forms (Léger’s cylinders, fedora
hats, and fat fingers, or de Chirico’s piles of stretchers) and how they
can combine to create weird sorts of complicity. I try to do something
similar with my own repertoire of invented figures, garbage bags, milk
crates, stacked chairs, and sheets of plywood.
It may sound strange, but I think my understanding of how space
works in art came from hearing the Beatles’ A Day in the Life (1967) as
a teenager. I suppose I recognized in the song the opening and closing
of forms, an orchestration of fragments to create an inspiring whole. I
don’t think I’d ever thought in those terms before. Over time, I would
come to understand how important this rupture and reconfiguring of
space was to artmaking. In my own collages and paintings, I purposely
combine various languages in a single work to create different pockets
of meaning.
Scale is an ongoing question for me. I spent so many years work-
ing on enormous canvases, some as large as ten by eighteen feet, and
now I work on little collage boxes, no bigger than twenty-four inches.
Coming of age when I did, it seemed like “the bigger the better.” It was
exciting to work on a gigantic scale. My imagery was fanciful, cosmic.
I imagined my shows as circuses. In retrospect, not all of the paintings
were great — I have destroyed many of them — but it was always the event
that I found important. The making of them, which was a kind of ath-
letic performance for me, and then the exhibitions with big spaces and
lots of people. I confess I miss the “wow factor” of it all. In the art world,
scale often connotes value, a major work versus a minor work.
I have come to appreciate the different way that the smaller
collage boxes enter people’s lives. A collector who bought two of my
very smallest collage boxes told me that she took one of them with her
when she travelled, placing it on her night table like an alarm clock.
I found that very touching. Lately I’ve been thinking about scale in

97 — Dans l’atelier
Esse

psychological terms, human terms. Some days we feel big (confident,


successful) and other days small (useless, ineffectual). How do you get
these subjective states into an artwork? Perhaps art is simply the record
of human neurosis. Kurt Vonnegut used to say that art’s function is sim-
ply to make us feel less lonely. There is certainly some truth to that.

NG This brings us back to the subject matter in these recent works.


Earlier I asked you about loneliness and solitude, and how the darker
aspects of these works are transcended by culture. Their richness and
specificity seem to come less from the face value of a subject and
more from the distinctive mix of objects that you’ve collaged together.
Can you talk about the different provenances of the elements you
chose, the significance that the source material carries into the works,
and how it shapes the subject matter?

DE In essence, artists take the stuff of the world and rearrange it to create
an alternate universe. The provenance of the elements I use is various.
I have a trove of old encyclopedias and textbooks that I still draw upon,
but now I mostly use the internet a lot or grab film stills. Lately I’ve been
employing relatively neutral imagery, single standing figures, basic
material goods and situations. My days in the studio revolve around
sifting through images and seeing if I can put something together.
Sometimes, I’ll begin with a head (normally a wax or silicone manne-
quin head) and then try to construct a body that has personality. The
figure will then require some sort of setting. Using a simple foam-core
construction of a room, I can paint or wallpaper the walls, put lino-
leum or hardwood on the floors, add windows, furniture, and so on. Of
course, it’s all printed digital imagery. For instance, a recent collage
box, Yellow Room (2021), which is a relatively simple scene of a man David Elliott
sitting on a radiator near a window, is constructed from twenty-five
# Installation of collage-boxes in
separate image sources. My goal is to make these various strands come the exhibition Million Dollar Bash,
together into something believable and compelling, while at the same Galerie Antoine Ertaskiran, 2017.
time maintaining its artificiality, the strangeness of it being pieced Photo : Paul Litherland, courtesy
together. The term magic realism is overused but, through all my little of the artist

fakeries, I am after a heightened sense of reality.


When I was using collage as a prelude to painting, I often chose David Elliott
elements that I really wanted to paint, either something that was going
" Yellow Room, 2021.
to be fun to do or something that would pose an interesting technical Photo : Paul Litherland, courtesy
challenge. Without the demands of having to paint them, the new of the artist

98 — Chroniques
Esse

collage boxes can be more complicated. Whereas the older work com-
pressed and combined various sources to create a mobile, unknowable
sense of time and place, I’m now more consciously playing with specific
time frames. During the Trump presidency I used aspects of the Gilded
Age for the body of work Million Dollar Bash (2017), in which men and
women appear as early venture capitalists or cabaret performers. More
recently, I have been exploring my student years in the late sixties and
early seventies with Hare Krishna musicians, record and book collec-
tors, bohemian apartments. It’s interesting that so many artists have
chosen to address contemporary issues through the lens of another era,
adopting outmoded or retro iconography (Neo Rauch, Marcel Dzama,
Paula Rego, William Kentridge, Kerry James Marshall). I’m not in
the same league as them, but, in my own modest way, I am trying to
create invented visual worlds that are rich enough for people to believe
in and crawl into.

99 — Dans l’atelier
Esse

Maude Arès & Massimo Guerrera


États fluides : entre la dureté du faire
et la délicatesse des fards à joues
Un petit groupe se forme près des grandes fenêtres de la gale- parfois réceptacles ; des bols, des écrins ou des récipients de Maude Arès &
rie. Les artistes sont assis sur des couvertures qui recouvrent toutes formes, toutes tailles ; des collants étirés alourdis de Massimo Guerrera
des matelas posés au sol. L’une tend la main dans le vide qui pieds d’argile ; quelques brindilles épinglées au mur faisant États fluides : entre la
sépare encore leurs corps. L’autre l’enlace ensuite de sa main constellation ; une mèche de cheveux tachée de peinture dureté du faire et la
à lui, moitié prise, moitié effleurement. Elle presse main- bleu pâle ; une pièce en acier brun orangé pétrie par l’usure délicatesse des fards à
tenant un peu d’argile à la base du V que forment deux de et déposée respectueusement sur un coussin ; une pièce de joues, vues d’installation
ses doigts, à lui. Il fait de même avec les siens, à elle. Et se tissu maculée de boue ; un bassin rectangulaire au fond d’un et de la performance,
construit entre leurs corps une forme, une architecture fra- jaune profond duquel émerge une tige-flèche-montagne en 2022.
gile faite de minces tiges en tension, de gouttes de teinture argile ; et je pourrais continuer longuement, luxueusement. Photos : Guy L’Heureux
et de mousses quasi invisibles. Les assemblages ont été choisis avec soin, avec attention,
« Les frontières entre les mondes implosent1 », écrit l’an- dans un souci constant de porosité entre les objets-matières
thropologue Nastassja Martin dans Croire aux fauves. Celle qui contrarie toute esquisse de hiérarchie entre le « trouvé »,
qui a rencontré un ours dans le nord du Kamtchatka inter- le « façonné », le « fabriqué ». L’entreprise de nomenclature
roge la métamorphose qui s’ensuit par un récit dans lequel est inopérante et rien ne mène ici vers elle, si ce n’est le désir
la conception occidentalocentrique des rapports entre les que porte le présent texte de transmettre la fécondité des
mondes humains et non humains révèle son inconfortable agencements. L’expérience se situe dans l’opulence senso-
inadéquation. Ce n’est évidemment pas à un croisement rielle et imaginale qui appelle en nous ce qu’il y a de plus
entre humains et ursidés que nous convient Maude Arès et vivant : la rencontre avec l’autre, au-delà du nom, en deçà du
Massimo Guerrera dans le contexte du 30e anniversaire de nom, à quelque règne qu’il appartienne.
B-312, mais bien à un brouillage des limites entre matières et Dans la petite salle, s’attache au mur de gauche une
gestes, à des échanges poreux entre objets et matières, entre séquence d’une quinzaine de tiges-bâtons-pinceaux – élan-
objets inanimés et formes vivantes, multipliant et dépliant les cées, stoïques – dont les usages appellent le fantasme : un
innombrables manières de la rencontre entre leurs corps, les très long bâton de bois s’achève en pinceau à fard à joues ;
nôtres et des objets-matières glanés de par la ville. Par leurs une longue tige d’acier s’épuise dans un faisceau de poils
agencements attentifs – je dirais même chargés d’affection –, dont la virole est faite d’un ruban entortillé que l’on imagine
ils nous immergent dans un monde où les frontières rigides de soie ; une autre tige, plus petite, recouverte de papier,
entre notre humanité et la matière sont mises en doute. supporte une chaussette, une houppette et une saillie-tige
Disposées près du sol, sur de petits socles-autels païens, en papier ; et ainsi de suite. On imagine ces « sculptures-
les formes créées par Arès et Guerrera longent les murs de outils » dans le monde et on invente alors le monde qui pour-
la salle d’exposition, encerclant une maquette imposante rait bien les accueillir, monde où la poésie serait reine. La joie
(échelle 1 : 2) du tout premier local occupé par le centre d’ar- qui accompagne la libre invention du monde devient conta-
tistes. Sur ces tables de messes basses (on les sent, à coup sûr, gieuse, envahissante.
en conversation), se retrouvent des sculptures en argile aux Quand on s'attarde dans l’espace, la sensation des gestes
formes multiples, parfois palais ou tours, parfois monolithes, cumulés, la présence des corps qui se frottent et se mêlent aux

100 — Comptes rendus


Esse

objets épars deviennent prenantes, vives. On se sent envahi quelque chose comme une respiration dans ce monde étrange
par la dimension haptique : effleuré, incessamment vivant. et aseptisé qui devenait le nôtre, monde où le hasard de la
« Quel est le mobilier du monde que ces images révèlent 2 ? », rencontre – son pouvoir de métamorphose – a semblé pendant
s’interroge l’anthropologue Philippe Descola, lui qui se quelque temps disparaitre. Dans ce désert de prévention et
consacre, depuis plusieurs années déjà, à l’étude des liens de prévision, la proposition luxuriante d’Arès et Guerrera
qui unissent images et conceptions du monde. Renversant augure des temps meilleurs et la relève des esprits libres.
sa proposition, on se demande plutôt quel monde le mobilier Ici, le monde n’est plus hostile et mon corps peut s’ouvrir
d’Arès et Guerrera viendrait ici révéler. Car les objets recueil- à de nouveaux agencements, prendre de l’expansion par
lis, transformés ou fabriqués par les artistes ne revendiquent l’intérieur.
aucune autonomie : ils semblent plutôt habités les uns par les
Julie Faubert
autres, ouverts aux sensations que chacun d’eux suscite. Ils
ne sont pas placés dans l’espace par les artistes, mais réunis
dans une trame affective, attentive et sensorielle en instance
de partage permanent qui intègre aussi, lors de sa visite, celle
ou celui qui circule à travers eux. Galerie B-312, Montréal
Lorsque les membres du comité commissarial anni- du 20 janvier au 12 mars 2022
versaire ont la fine intuition d’inviter Arès et Guerrera, ils
appellent de leurs vœux une rencontre dont ils ignorent
encore les méandres. À travers leurs nombreuses
errances-cueillettes dans les espaces liminaires de Montréal,
les artistes s’apprivoisent, questionnant ensemble le statut
incertain des trouvailles qu’ils font, les frontières que l’on
suppose entre certains objets et d’autres, entre les matières
elles-mêmes. Ils se confrontent à chacune de celles-ci, décou-
vrant leur « mobilité » singulière (Arès) et la « fluidité » des
rapports qui se déploient entre eux, artistes (Guerrera). Ils
prennent aussi d’assaut la galerie, y passant plusieurs jours
ensemble à vivre et à performer ces assemblages innommés
1 — Nastassja Martin, Croire aux fauves, Paris,
auxquels ils désirent nous convier. Enfin, ils se prêtent au jeu Gallimard (Verticales), 2019, p. 137.
des archivistes en revisitant l’histoire de B-312 et en investis-
sant l’espace-maquette de leurs découvertes. 2 — Librairie Millepages, « “Les formes du

En janvier 2022, la traversée de l’immeuble Belgo – le visible” de Philippe Descola : Rencontre orga-
nisée par Millepages, 1re partie », YouTube,
grand escalier, les planchers craquants, les nombreuses 2 octobre 2021, 20 min 30 s, <youtube.com/
portes qui s’ouvrent sur des fêtes inconnues – offrait déjà watch ? v=Lb8E-hQekOM>.

101 — Reviews
Esse

Katie Lyle & Ella Dawn McGeough


Terms of Endearment

In Terms of Endearment at Support Gallery in London, within; the creatures appear, but the legibility of the signa- Katie Lyle &
Ontario, curator Lillian O’Brien Davis’s third collaboration ture is never truly effaced. Collage-like strings of words might Ella Dawn McGeough
with artists Katie Lyle and Ella Dawn McGeough, artworks describe the work’s figural attitudes: ballerina leg-fingers, Terms of Endearment,
respond to how touch and its material and phenomenological bubbles, astonished-clown-horses, battling dancers against installation views, 2021.
effects might be recognized and embodied through gestures exposed-brick walls. The paintings’ supports and surface Photos : Ruth Skinner
of interference, imprint, and re-inscription. These gestures materials often appear pulled taut, as if literally and figura-
consider O’Brien Davis’s framework of touch as an event of tively stretched too thin. Lyle’s surface treatments are the
displacement within the body, the self, and the artwork. She result of obscuring and re-inscription, which enables a space
frames this conception in part within Anne Carson’s intratex- for potential, or a search for the unexpected, that emerges
tual exploration of decreation, a writerly method of recount- from the process itself. In a large painting propped against
ing heightened states of spiritual, emotional, and physical the wall of the basement room, layered canvas, paint, pencil
self-undoing in which internal and external forces transform crayon, pastel, and sponge are visible, encased in plexiglass—a
and decentre an autonomous sense of self. pseudo-medical cross-section. Here, figurative imagery is
At the entrance to the main gallery space, McGeough’s short-circuited by material sediment, literally revealing the
large sheet of copper encased in wood reveals marks and painting’s bodily insides. A fluorescent tube glows from the
rings left by the shapes and weight of various objects and opposite wall through McGeough’s rosy rectangle of cotton,
bodies. I was told by a gallery attendant that any visible rip- its glow cutting through the wax like an eye.
ples, sags, and bowed edges aren’t meant to be there, nor Fingermarks in blue chalk have been left on doors, walls,
is the debris that has naturally fallen from the ceiling; I’m and a chest of drawers, which faces the entrance like a lec-
meant to look for a more determined residue, or the results of tern. The marks are of various heights, suggesting a body or
touch as a more careful accumulation of effects. McGeough’s bodies finding positions of support. The unknown sources
wax-treated cotton and silk pieces, in bright sunset colours of these marks pull me back to O’Brien Davis’s invocation
clouded with inky stains, are stacked, tied, propped, stuffed of touch via Carson’s decreation as displacement of bodily
in corners, and draped across an ornate railing. A wax object self-autonomy. In a collection of texts related to each collab-
appears as cast impression of both bone and sandbag, its floor oration with Lyle and McGeough, she refers to a simultaneity
placement anchoring an invisible force field, interrupting my of presence not only in desire for touch, but in memory of it;
viewing of Lyle’s work on the wall. In a basement room, rings desiring and remembering are never singular but are multi-
and crumpled shapes made of wax cotton are piled like socks ple events through recurrence, each with an ability to affect
or old underwear, as if left to congeal after too many laundry and create effects. This conception of multiplicity is made
cycles. A doorknob is a makeshift drying rack. visible by fingermarks left by the artists, gestured toward by
In Lyle’s paintings and drawings we often find outlines McGeough’s imprints on copper and in wax, and revealed
of animals, silhouettes of bodies, or the graphic marks of a by the visible history of materials in Lyle’s plexiglass piece,
face. These decisions appear swift and studied, as if Lyle is all of which signal bodily presence within a simultaneity
practising a signature and finding accidental creatures hidden of traces.

102 — Comptes rendus


Esse

Relating decreation to the phenomenon of eclipses, multiplicity, visible as bodily traces and gestured toward
Carson quotes Virginia Woolf describing never-before-seen through the artists’ material interference, accumulative
colours or a wrongness of colour. This might be linked to re-inscription of visual information, and brief glimpses into
how Lyle and McGeough consistently use or interfere with the emergent processes of painting.
colour to the effect of desiring a similar kind of wrongness or
occlusion, an aesthetic that led me to a question mirrored by Kim Neudorf
Carson: How can decisions of interference and editing — of
colour and material through a singular artist’s voice — be read
as gestures of the multiplicity, self-undoing, and decentring
of decreation? Carson admits that to attempt to visualize this Support Gallery, London
decentring necessitates a re-centring of self; to decreate is November 27, 2021 — December 24, 2021
not to obliterate the self but to start from the point of self,
from the moment of its eclipse (as in the illusion of planets
touching). Apart from the artists’ separate, self-determined
projects, decreation’s undoing of the singular voice is most
palpable when their works start to encroach upon each others’
spatial orbits. But to what effect? I’m curious about the pro-
cess of undoing through this proximity; who or what is undo-
ing whom? Although these are plausible, if abstract, ways to
think through how Lyle and McGeough have explored touch
as displacement, the resulting installation and related texts
don’t allow easy access to how this specifically occurred for
the artists.
In a curatorial text, O’Brien Davis reflects upon how she
and the artists learned to work within the changeable, often
unknown limitations between and across collaborations, and
that at multiple points they have been at a loss as to how to
measure success or failure. Although this creates space for
indeterminacy and doubt, which complicates readings of a
unified voice or predetermined project, the results of these
conditions could have been made more available in the exhi-
bition itself. That being said, O’Brien Davis’s curatorial fram-
ing through touch in relation to decreation is most perceptible
when read through temporal cycles of transformation and

103 — Reviews
Esse

Anne Le Troter
Les volontaires, pigments-médicaments

L’exposition Les volontaires, pigments-médicaments, com- métier d’artiste à temps plein. Le Troter prolonge le contenu Anne Le Troter
missariée par Émilie Renard, est le fruit d’une bourse de de l’archive dans le présent en réunissant un groupe de per- Les volontaires,
recherche à partir du fonds Marc Vaux, photographe de la sonnes issues du milieu de l’art contemporain, « des volon- pigments-médicaments,
vie artistique parisienne entre 1920 et 1970. Producteur taires », ayant été choisis pour avoir eu aussi un lien avec le vues d’exposition, 2022.
d’une archive conséquente de vues d’ateliers et de portraits soin, par exemple Nour Awada et Emilie Mc Dermott à l’ori- Photos : © Antonin Horquin
d’artistes du Montparnasse, il a également été fondateur en gine d’un groupe de recherche sur la maternité ou d’autres
1946 d’un foyer d’entraide aux artistes et aux intellectuel·le·s encore qui militent pour la reconnaissance d’un statut
précarisé·e·s par la guerre. Pour ce projet à Bétonsalon, Anne de travailleur·euse·s pour les artistes, comme Eva Barto,
Le Troter reprend l’un des sujets qu’elle affectionne parti- membre de La Buse, un collectif intéressé par les questions de
culièrement : les organes de la parole – les dents, la bouche, l’éthique et du travail dans le champ de l’art. Avec ces artistes,
la langue, le souffle… Elle a examiné ce fonds en ayant, dit- elle a cherché des « mots-pommades », comme elle aime à les
elle, d’abord « regardé les bouches » pour chercher à les faire nommer, des mots qui cicatrisent, tout en portant la parole
parler. Parmi toutes les figures en présence, Le Troter s’est de ceux et celles qui, par le passé, se sont mobilisé·e·s pour
arrêtée sur celle de Louise Hervieu. Des portraits montrent un progrès social. Il s’agit que les volontaires fassent de leur
cette dernière engoncée dans un manteau, la tête recouverte bouche, de leur voix, un lieu d’hospitalité pour ces voix d’un
d’un châle, présentant un visage tendu qui trahit un certain autre temps. La reconstitution n’intéresse toutefois pas Le
inconfort, peut-être même de la douleur. On apprend qu’elle Troter, c’est dans l’actualité des questions qui se posent déjà à
était syphilitique de naissance. Ce visage exprime tant de l’époque couverte par Marc Vaux qu’elle trouve matière à dia-
vulnérabilité qu’on a du mal à l’associer à celle qui fut peintre loguer. Les protagonistes, dont on ne sait plus à quelle époque
et romancière, mais aussi surtout à celle qui créa l’association ils et elles appartiennent, se répondent et s’interpellent dans
de lutte pour la généralisation du carnet de santé, un outil l’espace sur des sujets liés à la protection sociale des artistes
de suivi des soins attribué en France à chaque enfant à sa et au fait d’être ou non assuré·e.
naissance. L’exposition en elle-même ne se donne pas facilement. La
Deux questions servent alors de fil rouge à ce regard pièce sonore se prolonge dans l’espace de façon subtile. Anne
porté sur l’archive. Comment les artistes sont-ils et elles soi- Le Troter a travaillé sur le lieu pour qu’il devienne un récep-
gné·e·s les artistes ? Et en miroir, que soignent les artistes ? tacle, un corps pour ces voix. Elle a cartographié le sol en le
Par ce point d’entrée, Le Troter a identifié des peintres décalquant, à la recherche des trous, des fissures et de toutes
et sculpteur·rice·s célèbres ayant eu une activité de soi- les aspérités qui pourraient évoquer un corps blessé, afin d’en
gnant·e en parallèle de leur activité artistique comme Marie établir la carte sensible. Puis, elle l’a réparé en coulant de
Vassilieff, infirmière et ambulancière, Ossip Zadkine, ambu- l’étain dans ses blessures. Sans s’arrêter là, elle a utilisé cet
lancier, Suzanne Duchamp, modèle et infirmière ou encore étain pour conduire le son et les paroles de ses volontaires.
Jean Cocteau, poète et ambulancier. Activités multiples qui Des câbles audios se connectent directement dans le sol, dis-
témoignent de leur engagement social pendant la guerre, et paraissent, puis resurgissent un peu plus loin dans de grands
après, mais qui trahissent surtout l’impossibilité d’exercer un entrelacs arachnéens. De multiples petits haut parleurs

104 — Comptes rendus


Esse

spatialisent les paroles de ces volontaires. Un peu comme si crise sanitaire, et face à la précarité grandissante de la majo-
les moyens mis en œuvre servaient à faire naitre et à établir rité des artistes, sa proposition, bien que sortie d’un contexte
un carnet de santé du lieu. Quelques dessins comme celui historique précis, est d’une vive actualité sociale.
d’une carte d’assurance maladie au nom de Louise Hervieu
Nathalie Desmet
apparaissent sur les murs comme pour réparer l’histoire.
Le dispositif d’écoute permet de faire littéralement
corps avec le son. Des chaises sur lesquelles on ne peut pas
s’assoir semblent attendre les corps absents des artistes du
fonds Marc Vaux. Des bancs constitués de câbles tendus Bétonsalon, centre d’art et de recherche, Paris
nous invitent à nous installer dans le son. Les traces d’étain du 18 février au 23 avril 2022
resteront d’une exposition à l’autre, comme le début d’une
attention particulière portée à la surface du sol, faisant du
dispositif de l’exposition un point zéro de l’état social de l’art
et de la précarité des artistes aujourd’hui. Ce choix de tra-
vailler avec le sol se justifie aussi par le désir de Le Troter
de mettre en valeur une « écoute par les pieds », métaphore
d’une écoute active portée par le mouvement et le collectif,
qui permet de construire une expérience commune.
Dans le travail sur les mots et les voix, on peut discerner
des affinités avec les pièces du metteur en scène Joris Lacoste.
L’approche sensible de Le Troter est néanmoins très diffé-
rente, puisqu’il s’agit de créer une enveloppe corporelle par
le biais de l’exposition pour porter littéralement la parole.
Les corps des volontaires dont elle s’entoure deviennent des
réceptacles, passeurs d’une parole réactualisée par l’espace
dans lequel elle agit. La force de sa proposition est d’avoir su,
à partir d’une archive visuelle déjà ancienne, donner corps
à des revendications très actuelles sur le statut de l’artiste.
En se projetant dans les combats de Louise Hervieu, Anne
Le Troter donne corps aux débats sur le statut de travail-
leur·euse de l’art. Il est désespérant de constater que les pro-
blèmes restent sensiblement les mêmes : pas de chômage,
pas de congé de maternité ou de paternité, pas de protection
contre les maladies professionnelles. Dans un contexte de

105 — Reviews
Esse

Émylie Bernard
faire avec

Alors que les médias couvrent la crise de la santé mentale que provoquait de façon volontaire et spectaculaire la sudation Émylie Bernard
nous traversons essentiellement en relayant des données sta- extrême que déclenche chez elle une situation anxiogène. faire avec, vues
tistiques, l’exposition faire avec d’Émylie Bernard, présentée Tantôt performantielle, tantôt narrative ou encore maté- d’exposition, 2022.
à la Galerie de l’UQAM, propose une approche personnelle rielle, l’exposition rappelle ces installations de recherche où Photos : © Galerie de l’UQAM
et sensible du mal du siècle : l’anxiété. Ce projet, qui découle une même question fait l’objet de différentes explorations
de ses études de maitrise, multiplie les points d’accès à une techniques et conceptuelles.
vie traversée par des peurs irrationnelles et les symptômes La musique est un autre moyen de canaliser ce trouble
physiques qui l’accompagnent. physique et psychique. L’habitude qu’a l’artiste depuis l’en-
Ces pensées paranoïaques et ces inquiétudes débili- fance de chanter dans son oreiller pour se calmer est reprise
tantes, qui ont au départ été interprétées par l’artiste comme dans chanter dans mon lit (2019-), une vidéoperformance
un obstacle à la création, deviennent dans l’exposition la prin- de 16 heures où elle s’exécute au son de la playliste (2022),
cipale source d’inspiration. C’est que les œuvres mettent en également brodée sur une taie d’oreiller accrochée au mur et
forme la quête de réconfort qui s’ensuit à travers ses pratiques rendue disponible sur YouTube grâce à un code QR.
et ses objets, dont la figure récurrente du lit. Une pile de draps L’ambiance dans cette salle aménagée presque à la
et de couvertures que l’artiste a collectionnés est en effet éri- manière d’un espace domestique est étonnamment paisible.
gée en sculpture sur un socle au centre de la pièce, comme Ce calme est peut-être le symptôme de l’incontournable soli-
une synthèse métonymique de ce qui est associé, dans l’his- tude du travail sur soi, à moins qu’il ne soit une traduction,
toire personnelle de l’artiste, autant à un lieu de refuge que habile et maitrisée, dans différents langages de l’art, de la
de traumatisme. bienveillance que l’artiste offre, à nous et à elle-même. Il y
Tout autour, l’expérience anxieuse se déplie, d’abord sous a une différence entre une mise en forme d’un affect qui est
un mode interdiscursif, grâce à une vingtaine de plaquettes passé aux spectateurs et spectatrices et une démarche qui
de bois recouvertes de papier de coton. L’artiste y raconte, l’aborde sans transmettre le malêtre. Et c’est dans cette dif-
en alternance par des microrécits et par des dessins à l’encre férence, parfaitement maitrisée, que se trouve précisément
et au crayon, l’histoire de ses lits dans un retour à l’enfance toute la valeur du travail de Bernard.
dont le caractère narratif rappelle la psychothérapie, à la dif-
férence qu’ici, les récits rendent compte d’une attention parti- Benoit Jodoin
culièrement portée aux formes, aux couleurs et aux textures
des souvenirs du lit-cachette.
D’autres objets, tels les cyanotypes réalisés à partir de
sueur et de cachets d’anxiolytiques broyés, sont à interpré- Galerie de l’UQAM, Montréal
ter comme des traces de tentatives de domestiquer l’état du 11 février au 9 avril 2022
anxieux. Ou il s’agit d’en donner à voir les effets, à travers
par exemple cette ampoule chauffante infrarouge suspen-
due au mur, artéfact d’une performance de 2019 où l’artiste

106 — Comptes rendus


Esse

Daniel Lie
Unnamed Entities

Despite its theoretical complexity, along with the resilient Unnamed Entities is a sensorial experience involving Daniel Lie
anthropocentrism that pervades art history, new materialism smell as much as sight. It deliberately mobilizes the viewer’s Unnamed Entities,
has had a major impact on contemporary art. Once consid- body to instigate a journey of discovery that is as personal as exhibition views, 2022.
ered inert, art materials are today charged with agency. The it is uncharted. Meaning appears dispersed, networked, and Photos : Dario Lasagni,
radical shifts that have occurred in the relationships between unscripted. Traditional symbolism is shattered. Lie invites us courtesy of New Museum,
New York
artists and materials are glaringly visible at the New Museum to make sense of the installation, its aesthetic, and its mate-
in New York, which has bravely put on show a wholly organic rial presence outside of any notions of genre that might pro-
installation by Portuguese artist Daniel Lie. vide easy art-historical pigeonholing. As matter is allowed to
Whereas during the 1960s and 1970s unconventional art take charge of its own independent, entropic agency, we are
materials infiltrated the gallery space to subvert the rational faced with the impossibility of saying what it is that we are
purity of the white cube, today soil, living plants, and mould experiencing exactly. Despite its earthly and floral compo-
become involved in a subtler, organic dialogue with the artist nents, Lie’s installation is not a monumental memento mori. It
and with the site in which their encounter unfolds. Lie’s exhi- is not asking us to contemplate our mortality in order to make
bition Unnamed Entities is a quintessential manifestation of the most of our present. Instead, it brutally grounds us in the
this conceptual turning point. The installation, a new com- present because, outside of our cultural constructions, this is
mission created specifically for the museum’s lobby gallery, all we truly have. But all materials in Unnamed Entities also
brings together traditional terracotta ceramic vases, jute and imply a past. Their presence is, in different ways, evidence of
hemp fabric, natural fibre ropes, straw and hay bales, mud with atavistic processes that we have been taught to fear or ignore,
spores and seeds, and thousands of cut flowers. Flying in the tangible traces of the unstoppable becoming that governs all
face of the classical conventions that still implicitly dominate life on this planet, across species, upon territories, through-
the aesthetics of what we see in museums, Lie stages multi- out time. Words such as death and life become meaningless.
material becomings that are impossible to preserve and col- Unnamed Entities wants us to become brave enough to give
lect. As time unfolds, each entity is transformed; some wilt up all cultural frameworks so that, albeit briefly, we might
and decay as others germinate and bloom, forming new enti- catch at least a glimpse of the pre-linguistic world that we
ties along the way. Through its title, the exhibition nurtures a left behind on the way to becoming human.
desire to disown the ordering systems of natural history and,
with them, the Aristotelian hierarchization of the living that Giovanni Aloi
still informs our value systems today. The practice of unnam-
ing, one that in this gallery space is performed by the agency
of materiality rather than the artist’s anthropocentric privi-
lege, in essence, is a process of unlearning. As we let materials New Museum, New York
undo meaning, we begin to see afresh beneath the cultural 17 February — 5 June 2022
stratifications that often occlude our experience of reality with
pre-encoded concepts that have been naturalized over time.

107 — Reviews
Esse

Undeliverable

Entering Undeliverable, a group exhibition curated by and illness. (Thomas created a PDF resource to accompany Carmen Papalia
Carmen Papalia, is to be within and without a space, to the exhibition: “Fragrance Free at the RMG and Tangled Reflection Circle (from
act and be acted upon, to discern and desire — to “occupy a Art + Disability.” Among the information in this document: Provisional Structure 1),
point of orientation that is based in complex embodiment,” “Even products labelled ‘scent-free’ may contain masking installation view, 2021.
as Papalia suggests in his “Open Manifesto.” Papalia is an fragrance. Please read the ingredients list on product labels
artist and disability activist who is concerned with curation to ensure that no fragrance, perfume, essential oils, or mask- Vanessa Dion Fletcher
as a form of care. For Undeliverable, he collaborated with six ing fragrance is present.”) Relative Gradient
artists from the mad, deaf, and disability communities who The words that Lovell is signing are the extended and (expanded), installation
have created works that “[re-envision] the museum around alternate titles for the piece: view, 2021.
the demands and desires of the disabled body/mind.” ongoing, collective effort and learning in appreciation and
The first thing you see when you enter the Tangled Art + humble recognition of bodily complexity, permeability, and vul- Chandra Melting
Disability gallery is a padded bench upholstered in a pink nerability, as well as the interdependent nature of our survival, Tallow
velvety fabric. Two small plaques facing in opposite direc- our thrival Blood Count, installation
tions have been placed on top of the pile. They read, “I need a OR view, 2021.
minute.” This work by artist, writer, and performer jes sachse fragrance-free sculpture piece (in which we imagine and Photos : courtesy of Robert
speaks to another collaboration with Papalia, Provisional co-create toxicant-free access and fragrance-freedom as a McLaughlin Gallery, Oshawa
Structures, which was exhibited at the MacKenzie Art fragile, dynamic, invisible sculpture co-created by the efforts of
Gallery from June to October 2021. At one of the entrances everyone who is present and everyone who maintains this space) Jessica Karuhanga
to the MacKenzie — calling to mind the traditional “donor Turning to your left, you come upon Jessica Karuhanga’s U Feel Me, installation
wall” — is a series of more than eight hundred “I need a min- audio work You Feel Me? (2021). Take the earphones off the view, 2021.
ute” plaques. Here, sachse is asserting their body, insisting hook, clip the belt around your waist or around your body like Photo : courtesy of Tangled
on the consideration and compassion that other bodies might a sash, and press play. Da-da-da-dummm. Tap-tap-tap-tap. Art + Disability, Toronto
expect. It’s an instrumental piece, co-produced with Emilio Portal,
Graze past the plush bench toward the screen where art- that is at once meditative and eerie. As the music plays, you
ist and educator Sage Lovell fills the frame. They are speaking feel a humming over your abdomen, vibrations from the port-
in American Sign Language, but there are no voiceovers or able amp that you’re now wearing.
subtitles. Above the screen, written in interdisciplinary artist Then, the lively red lines by Heather Kai Smith. Hands
Aislinn Thomas’s hand, are the words “The Possibilities of playing string games. Fingers stitched together become a
Care as a Sculpture.” You realize that you are part of creating loose seam for another to share. Three frames are screening
this work, an “ongoing, collective effort,” which Thomas has on the wall. Kai Smith and Papalia have worked together on
imagined as an invisible sculpture created by the physical this animation. The lines form hands passing a ball, a circle
and emotional labour of those present. Through collective of bodies lifting and lowering a parachute, and sometimes
effort, the space has been made fragrance-free and accessi- there is just a blank screen. Narration — by turns a male- and
ble to those whose bodies would otherwise react with pain a female-sounding voice—fades in and out:

108 — Comptes rendus


Esse

Open Access… is a perpetual as with Karuhanga’s vibrating sash that asks you to feel, and
negotiation… what is not, as with Thomas’s sculpture, which asks you to
is radically different… notice that you don’t smell any scent. These sensations are
is the root system… also affective: you have a feeling of joy seeing others play
is… temporary… ball or string games, for instance. Ahmed also suggests that
In Vanessa Dion Fletcher’s quillwork Relative Gradient becoming (dis)oriented is a matter not only of space but of
(2020), red becomes pink, yellow, brown, white. Looking time — the time we take and the time we give up. For example,
closely at the inkjet print of the quillwork, you see that the Thomas’s sculpture and Karuhanga’s soundscape are created
porcupine quills have been dyed, flattened, folded back and with you in the present. Tension is felt here. The music will
forth in a zigzag pattern, forming a line that has been drawn play for thirty-seven minutes. Will you stay in the gallery, lis-
into a circle. Dion Fletcher dyes quills using edible plants tening, vibrating, for thirty-seven minutes? With its demands
such as hibiscus, onion, and blueberry. “Watching porcu- and desires, Undeliverable is a space and time that holds the
pine quills absorb colour… I don’t have words to describe messiness of your embodiment, where new bodies of knowl-
the feeling,” she has said in an online Tangled Art Talk, co- edge are formed.
presented by the gallery and the Art Gallery of Ontario. “I
can understand the physical and chemical process that is Jennifer O’Connor
happening… There’s still something about it that’s beyond
my comprehension.”
In Queer Phenomenology (2006), Sara Ahmed writes,
“Orientations shape not only how we inhabit space, but Tangled Art + Disability, Toronto
how we apprehend this world of shared inhabitance, as September 17, 2021 — October 29, 2021
well as ‘who’ or ‘what’ we direct our energy and attention
toward.” Undeliverable is disorienting in many ways. The
exhibition is being held in two locations, Tangled Art + The Robert McLaughlin Gallery, Oshawa
Disability and the Robert McLaughlin Gallery (RMG), with September 18, 2021 — February 13, 2022
different opening and closing dates and different works on
view. Interdisciplinary artist, musician, and writer Chandra
Melting Tallow is included only in the RMG show, for exam-
ple. Their installation, Blood Count (2021), features four
dresses decorated with beadwork of graphic scores illustrat-
ing a lifetime of memories. The work is inspired by a dress
that Tallow’s great-grandmother made for Tallow’s mother.
Ahmed writes that bodies and spaces inhabit each other, and
you see this happening in a tactile way—both what is there,

109 — Reviews
Esse

Katherine Boyer
How the Sky Carries the Sun

Towering over the centre of the room, two large, prism-like The effect of fleeting illusion suggests not only identity Katherine Boyer
wooden structures held a moose-hide vest up by the shoul- ambiguity but the undulating process of self-discovery that How the Sky Carries the
ders. Like wings, the structures pressed down on the ground, other works in the exhibition also explore. Queer Hometown Sun, exhibition view,
lifting up the vest and the beaded prairie landscape and sky Horizon (2021) features a long bright-yellow hooked rug 2022.
on the garment. Gathered around the feet of the installation, above an OSB crate to abstractly depict the sky of Boyer’s
puffy boxes made from leather fabric and cotton batting sat hometown; in The harder I work, the less I exist, the more I The Sky Vest (detail),
open, empty, and crumpled. The blue in the boxes’ faux become the work: the closed line (2021), knotted clothesline and 2021-2022, installation
leather fabric resembled the colour of the sky; their puffy willow root displayed on two plywood crates playfully rep- view, 2022.
shapes suggested clouds. resent her process of either completing an idea or confusing Photos : Don Hall
The mental impression above is of the two works The Sky herself—“tying yourself in knots.” In conversation, the two
Vest and Heavy/Soft (both 2021) from Katherine Boyer’s latest works speak to her efforts at queering the circumstances she
exhibition at the Art Gallery of Regina. Boyer, a Métis/settler grew up in, and to the laboriousness of existing ambiguously.
multidisciplinary artist, has been making art to explore per- The OSB crates serve both as platforms and as a reminder of
sonal family stories, Métis history, and material culture, as transience. In fine-art and museum contexts, wooden crates
well as how these domains interact, intertwine, and manifest. are seen in gallery spaces only during transitory periods.
In the exhibition How the Sky Carries the Sun, she examines Boyer’s inclusion of bare materials as integral parts
selfhood as a queer and as a Métis individual, expressing the of many works in the exhibition contributes to an under-
dichotomy of identity through the repeating symbols of the standing of her connections with material culture and, to a
sun and the sky in a diverse series of works that materially larger extent, with nature. The exhibition title can therefore
straddle “soft” and “hard.” also serve as a rhetorical call for both artists and viewers
One work that embodies this concept well is Memories to examine our relations with phenomena and memories
of the Sundogs Herd (2021). The work comprises a series of around us. As we recall these experiences, our perceptions
lightboxes mounted on sheets of OSB plywood. Boyer con- of the world — and of ourselves within it — begin to merge
siders these eighteen light boxes, arranged like an altar with into a shimmering composite of fleeting imprints from our
two smaller wooden wings flanking the large panel, autobi- memory.
ographical. Reflecting on familial connection to and memory
Tak Pham
of Souris Valley, Saskatchewan, Boyer recreated sundogs — a
special prairie winter weather event. Called “parhelion” by
meteorologists, the natural optical phenomenon is created
when sunlight is refracted through ice crystals in the air,
creating a bright ring around the sun. To achieve a similar Art Gallery of Regina
effect, Boyer applied UV coating to the lightbox surfaces; as January 13 — March 13, 2022
the viewer moved and changed viewpoint, the installation
would glister a spectrum of pastel hues.

110 — Comptes rendus


Esse

Nations by Artists

The Art Museum’s expansive and well-timed exhibition Nations embassies and a passport office. Both projects envisage counter- Nations by Artists,
by Artists, curated by Mikinaak Migwans and Sarah Robayo possibilities in response to conditions of oppression and con- exhibition views, 2022.
Sheridan, opens with Greg A. Hill’s Kanata Project (started in flict in South Africa and Europe, respectively. Their distinc- Photos : Toni Hafkenscheid,
2000), an ongoing work that redesigns Canada’s national sym- tive yet overlapping strategies of reconstructing authoritative courtesy of the Art Museum
at the University of Toronto.
bols in order to “recognize and honour the Indigenous origins documents and credentials link these works as they contend
of this country.” Using the Iroquoian word Kanata and pairing with reimagining new world orders. Elsewhere, projects such
it with a three-feather insignia, Hill presents a series of offi- as Sadie Barnette’s Untitled (Dad, 1966 and 1968) (2016) take
cial-looking T-shirts, flags, banners, and stickers that challenge on the nation-state at the level of individual citizens. Barnette’s
the fixity of national symbols, defying their intended meanings installation brings together two large-scale photographs of her
and logics. This welcome is both an introduction and provo- father in two very different uniforms—military on the left and
cation to engage with the concept and failings of the nation- Black Panther Party on the right—set against a wallpaper of
state; it is joined by a series of insistent and subversive works bureaucratic stamps, including the monikers “Confidential”
by artists who dare to resist or reimagine what a nation-state and “RACIAL INT SECT.” The work references the FBI’s five-
is and can be. Instead of simply critiquing nationalism, the hundred-page file on Barnette’s father, outlining routine sur-
exhibition includes videos, installations, textiles, drawings, veillance and harassment, kept during his time organizing with
and images that offer counter-realities and -futures, seeking the Black Panthers. Barnette reclaims this material, gesturing
to redefine the very possibilities that these political structures toward family histories affected by repressive state forces and
so often deny. The exhibition webpage explains that the title the personal refusals offered in their wake. As a whole, Nations
draws from “Art Metropole’s landmark publishing series that by Artists thoughtfully moves through humour, parody, protest,
explored the potentialities of artist-led culture.” Throughout critique, and the deeply personal to arrive at social and political
the exhibition, suggestive pairings and conceptual associa- realities and imaginaries that bring us closer to sites of possibil-
tions make for a compelling viewing experience, as already ity and repair. Even in the works more concerned with holding
substantive individual artworks are made even more so by the to account than with dreaming new promises into being, there
dialogue facilitated through their proximity to neighbouring is still perhaps a sense of hopefulness shared through these acts
conversations and considerations. At the far end of the exhibi- of witnessing, reclaiming, and refusing—a kind of optimism
tion, for example, a selection from Walter Battiss’s Fook Island that something else is possible.
(1972−79), a project consisting of ephemera, drawings, corre-
spondence, and various other materials, is positioned alongside Noa Bronstein
the Slovenian collective IRWIN’s An Apology for Modernity: The
NSK State in Time pavilion at the 57th Venice Biennial (2017).
While the fictional Fook Island is made legible through Battiss’s
intricately hand-drawn currency, stamps, and maps, IRWIN’s Art Museum at the University of Toronto
trampoline installation, with accompanying publications and February 8 — April 2, 2022
videos, references previous interventions involving temporary

111 — Reviews
Esse

Béchard Hudon
Configurations du sensible

Configurations du sensible, présentée à la Maison des arts de les microsillons des disques vinyle que les ondulations ryth- Béchard Hudon
Laval, conjugue la pratique sonore et installative Béchard miques d’une brise sur l’eau calme. Ce charme délicat de Mécanisme de
Hudon aux recherches sur la sensorialité de la commis- l’éphémère se manifeste notamment dans l’instant de grâce dessaisissement (rond),
saire Aseman Sabet. Les réflexions du tandem d’artistes où les éléments cinétiques se trouvent parfaitement alignés. vue d’installation, 2021.
sur l’espace, le temps et leur matérialisation acoustique se Ce moment furtif met en exergue le dispositif vecteur de
découvrent ainsi dans une mise en scène aussi épurée qu’en- cette magie. Le mécanisme ne se dérobe pas. La lumière, les Béchard Hudon
veloppante. Configurations du sensible découle en fait d’une fils et les supports métalliques s’intègrent aux sculptures. Configurations
démarche exploratoire effectuée au moyen de géophones et Toutefois, lorsqu’ils se démarquent, ils insèrent alors une du sensible, vue
d’hydrophones sur la Côte-Nord, aux abords du fleuve Saint- fine mise en abyme des appareils qui ont porté la recherche d’exposition, 2022.
Laurent. À l’affut des spécificités de ces environnements, et la collecte de Béchard Hudon. Photos : Richard-Max
Béchard Hudon a rassemblé les bribes d’une vie discrète, qu’il La vidéo Le fleuve, 50° 11’ 53, 8” N., 66° 4’ 10” O. (2021) Tremblay
révèle ici à travers un ensemble de sculptures, d’une vidéo et conclut Configurations du sensible sur une note allégorique.
d’une installation d’une extraordinaire rigueur. Les coordonnées géographiques du titre réfèrent à l’es-
Happant les sens par ses tonalités mystérieuses, l’ins- pace où s’amalgament les eaux douces et salées du Saint-
tallation monumentale en contreplaqué L’en deçà (2021) Laurent, de sorte que l’œuvre agit aussi au confluent des
surprend par son orthogonalité antagonique à la ductilité autres propositions du projet. Le plan serré et séquencé en
du son. Les glapissements organiques de la faune et de la miroir magnifie les rides du fleuve coordonnées aux traits
flore du fleuve émanent de la forme modulaire évoquant les des sculptures mouvantes, tandis que le son envoutant de
arêtes d’une falaise. En faisant vibrer les parois de l’installa- l’installation résonne derrière le spectateur ou la spectatrice.
tion, le son prend forme et transforme la structure aride en L’eau ondoyante devient le ventre d’une baleine ou le fond
antre marin. Le parcours au cœur de l’œuvre permet donc d’un canot, si bien que l’on sillonne ces flots hypnotiques à la
une immersion multisensorielle qui révèle la part inconnue fois sur et sous la surface. Les yeux noyés dans l’image et les
d’un monde foisonnant. oreilles abandonnées à L’en deçà, il devient enfin évident que
À l’instar du vrombissement grouillant de ces sonorités, le silence n’existe pas, qu’il résulte de l’absence de témoin.
Mécanismes de dessaisissement (rond, carré, triangle) (2019-
Dominique Sirois-Rouleau
2021) impose une lenteur contemplative au diapason de ses
sculptures murales cinétiques. Le ballet formel élégant des
configurations réagit aux déplacements du spectateur ou
de la spectatrice, lui-même ou elle-même inspiré·e par leur
mouvement appliqué. Évoquant ainsi le cours souple des Salle Alfred Pellan de la
organismes aquatiques, la géométrie et les couleurs élémen- Maison des arts de Laval
taires de l’ensemble sculptural étonnent par leur interpréta- du 20 février au 16 avril 2022
tion schématique de l’univers naturel. Les fines rayures qui
recouvrent les formes mouvantes rappellent à ce titre autant

112 — Comptes rendus


Esse

Michelle Sound
okāwīsimāk nawac kwayask itōtamwak |
Aunties do it better
daphne’s street-facing windowfront, just south of the refur- to a great-grandparent or, more generally, to descendants. Michelle Sound
bished Plaza Saint-Hubert, is prime real estate. Montréal’s Referencing a long line of “deadly aunties” coming before Trapline, 2019-2020,
first Indigenous artist-run centre sits just steps away from the her, whose dextrous handiwork and manual abilities paved HBC Trapline (detail),
bustling energy of fabric and textile stores, wedding-gown the way for this work, Sound recounts a visual genealogy of 2019, installation view,
and prom-dress shops, and other long-running special-event embodied knowledge through the textiles, colours, and tex- 2022.
clothing businesses. Once inside the small, intimate gallery, tures of handmade drums.
visitors are greeted by an assortment of colourful circles dot- In a small back room, NDN Aunties adds further complex- Michelle Sound
ting its white walls. On a late winter’s day, with the warmth ity to the drums by giving each object its own independent NDN Aunties (detail),
of the sun struggling to find its way through the low-lying material characteristics and, by extension, identity. Leopard 2021.
clouds, the exhibition by the Cree and Métis artist Michelle and zebra print, denim, fringe, black and gold leather, and Photos : Mike Patten,
Sound, okāwīsimāk nawac kwayask itōtamwak | Aunties do it beading make up the variously dimensioned, perfectly courtesy of the artist &
daphne, Tiohtià:ke
better, is a generous invitation to witness rich personalities shaped circles. This community of sculptural aunties, with
and storylines embedded in the beautifully detailed struc- their medicine wheel pins or jean-jacket pockets, evokes
tures of handmade drums. both individual sovereignty and collective strength of past
The piece HBC Trapline depicts the four iconic colours and present matriarchs. Bypassing figurative traditions of
of the Hudson’s Bay Company four-point blanket in plush, portraiture, Sound’s drums are suggestively sonic emblems
fur-like circular drums. Below the blue, yellow, red, and that echo and reverberate with a particular mix of love, joy,
green suspended objects, on the ground like small carpets, resistance, and reverence. It is in the fine details of these
lie a series of brown beaver pelts that have been deliber- many different voices, in the histories that they each tell,
ately placed so that they slightly overlap. This installation, apart and together, that Sound both eulogizes and activates
which references the legacies of the fur trade and the role of the archetype of the aunty through striking storytelling.
Indigenous women in the preparation of animals, gestures
Didier Morelli
to the ways in which settler-colonial narratives write women
out of depictions of the physical and intellectual labour of
trapping and hunting. The re-centring, acknowledgement,
and celebration of Indigenous women’s agency, craft, and
significance to the creation and maintenance of community daphne, Tiohtià:ke
is a cornerstone of Sound’s practice. January 8, 2022 — March 5, 2022
Sound takes up these notions again in Chapan Snares
Rabbit, a series of differently sized fur drums dyed pastel
pink, blue, and peach, that dot the largest wall at daphne.
As the Cree-Métis-Saulteaux writer and scholar Jas M.
Morgan describes in an essay for the exhibition, “chapan”
is a Cree kinship term with two meanings: it can refer either

113 — Reviews
Esse

Matt Shane
Solastalgia

Matt Shane’s Solastalgia at McBride Contemporain is a gor- melancholy, it is a lament for a loved place that is irrevocably Matt Shane
geous series of landscape paintings based on Google Earth changed by environmental degradation. Plasma Port, 2022.
images whose resolution has been pushed beyond its ability In Solastalgia, Shane challenges the powerful triumvi-
to hold form. By deliberately abusing the surveillant reach of rate of vision, landscape, and memory, plumbing the deep- Eclipsing Variables,
this ubiquitous digital platform, Shane aligns himself with ening relationship between the latter two to encourage a 2022.
artist and experimental geographer Trevor Paglen, whose reconsideration of what the term “environment” means on Photos : courtesy of the artist
photographic practice often involves surpassing the limits a tangible level beyond its use as a political catchphrase in a & McBride Contemporain,
Montréal
of visibility. Paglen employs these strategies not in a bid to climate-critical period. This series of “anti-static,” or alter-
promote ambiguity as a conclusive state, but to interrogate natively “active,” images participates in Western landscape
how thresholds of visibility restrict people from seeing how traditions (yes, plural), following, for example, the primary Solastalgia, exhibition
power operates. Understanding this requires one to recog- tenet of W. J. T. Mitchell’s Theses on Landscape: “Landscape view, 2022.
nize the difference between machine eyes and human eyes; is not a genre of art but a medium.” As such, each painting Photo : Guy L’Heureux,
I suggest that both Paglen and Shane offer such lessons of speaks to process as a competition between generative and courtesy of McBride
Contemporain, Montréal
distinction through a cartographic sensibility toward land- destructive forces (as you can’t have one without the other).
scapes, which draws attention to relationships between the Cumulatively, the paintings render homage to the twenty-
surface of representation and the surface of the world. first century’s ironic adulation of the notion of “develop-
Thanks to ever-developing technologies of vision, Paglen ment” at the cost of devastation, by capturing environments
argues, “the geography of seeing is changing.” It is such and architectures in flux. Standing before these canvases,
processes of transformation that have inspired his long- which could just as well be windows to the external world as
standing interest in notions of the visible and the invisible, screens to a digital one, viewers question whether the some-
which intersect with landscapes both physical and digital. times-abstract shapes are coming into focus or falling apart.
These oppositions undergird his work as an artist, as he asks, If there were not such attention to detail, such elegance
“What happens to an image when you push it to the point and delicacy, the paintings in this collection could be con-
where it breaks? When you push vision to the point where sidered rogue images documenting digital trespassing as a
it collapses?” Shane is asking these questions too, although proxy for a physical breach of boundaries. They are landscape
he uses paint rather than photography to push on the edges portraits (this hybrid is possible) of sites normally off limits
that hold form. But whereas Paglen’s experimentation with or overlooked due to their mundanity or instrumentality. For
technologies of vision is a way for him to interrogate systems example, a shipyard made identifiable through the distorted
of state control, Shane’s seems more of a broad-scale longing form of an ocean liner is the subject in Plasma Port (2021). It
for what was. This concern is expressed in the show’s title, is a curious play on the enduring pictorial maritime tradi-
Solastalgia, a term coined by environmental philosopher tion; in this case the sky, rather than holding the atmospheric
Glenn Albrecht to describe environmentally induced dis- accoutrements of clouds, is an unmottled shade of red — a
tress. It’s like homesickness, but instead of distance being colour equated with alarm. Meanwhile, Remote Sensing
the cause of separation from “home” and the subsequent (2022) captures a nondescript agglomeration of brutalist

114 — Comptes rendus


Esse

architecture, backgrounded by the Romantic trappings of environments with the natural world (remember that?) that
majestic mountains. The composition is like a message to makes the collection so relevant. This combination also
be deciphered via a code of muted greys and pinks; a vibrant makes the collection viciously beautiful. These works are
green triggers a remembrance or conjuring of humid West guaranteed to maintain their relevancy for years to come
Coast forests. What betrays the idea that these images are thanks to a world (itself viciously beautiful) caught up in a
hurried snapshots taken with the adrenaline of trespass is tailspin of climate change, war, and asymmetry of economy,
the lack of optical blur — the signature of authenticity of the lest the tailspin itself come to its own fiery end.
documentary image — which here is replaced by the repre-
Tracy Valcourt
sentation of processes of melt and disintegration rendered
in crisp painterly technique.
The paintings in the collection are, like the satellite
photographs on which they are based, composite imagery.
Shane uses layering strategies in both the source and the McBride Contemporain, Montréal
output of the project. Taking a geographer’s approach to January 20 — February 26, 2022
reading the Google Earth images on his computer screen,
he controls the layers of information made available in this
digital mapping platform, and then translates one stratum
to canvas (another screen), while retaining vestiges of carto-
graphic graticule and digital framework. The brooding Pixel
Storm (2021) is a competition of such linear elements. White
gridwork, dividing the starry blackness of deep space from
the ground below, reaches forward, as an undulating proxy
for land awash in yellow and green in the foreground pushes
against the momentum to force architecture and landscape
features into the gulf of the background. Magically, there is
no vanishing point to mark this collision of energies. This is
one example of Shane’s impressive perspectival skill: he has
rendered an oblique aerial perspective on a perpendicular
plane, and we are all here to believe it.
If the references to painting, photography, landscape,
and portrait have yet to convince you, then I will announce
how profoundly and effectively hybrid Solastalgia is. It is
the hybridity of media and content, drawing on both paint-
erly technique and digital syntax while juxtaposing built

115 — Reviews
Esse

Élise Lafontaine
Peau(x) de pièces

L’exposition Peau(x) de pièces présentée à la galerie Projet ouvertures et fines lignes en suspens font irruption sous les Élise Lafontaine
Pangée au pied du mont Royal dévoile la pratique de l’ar- couches de peinture translucide et nous permettent d’ima- Peau(x) de pièces III,
tiste émergente Élise Lafontaine, laquelle mêle peinture, giner nos propres espaces rêvés. Les contours volontaire- 2021.
recherche volumétrique et expérience in situ. Véritable ment adoucis laissent place à des formes vaporeuses et des Photo : Jean-Michael
passage entre deux mondes, les toiles abstraites aux motifs couleurs évanescentes. Le travail d’aplanissement de l’ob- Seminaro, permission de
l’artiste
géométriques reflètent l’empreinte architecturale et le sou- jet architectural et de juxtaposition de différents éléments
venir synesthésique des multiples espaces isolés où l’artiste s’incarne également par une manipulation osée des œuvres. Peau(x) de pièces II,
a entrepris des résidences. Documentant ses recherches par De la même manière qu’un corps est composé d’une multi- 2021, vue d’installation,
le biais de l’écriture et de la photographie, Lafontaine puise tude de tissus, les tableaux de l’artiste imbriquent plusieurs 2022.
son inspiration dans l’enquête de terrain et se focalise sur les toiles peintes séparément, puis découpées et cousues afin de
lieux d’attente, où le temps s’épuise. La transcription pictu- ne former qu’une seule peau. Par cette chirurgie de la toile, Peau(x) de pièces, vue
rale, notamment par une attention portée à la lumière et aux le chevauchement des divers textiles réussit à faire naitre d’exposition, 2022.
volumes, vise avant tout à témoigner des endroits découverts une impression de profondeur qui ne tient pas de l’illusion Photos : Jean-Michael
à travers sa perception toute subjective, nous révélant ainsi de perspective, comme nous l’a appris la Renaissance du Seminaro, permission de
l’artiste & Projet Pangée,
le théâtre intime et spirituel qui se joue à chaque immersion 15e siècle, mais bien de l’articulation réelle de deux volumes Montréal
dans ces zones chargées d’affects. indépendants. Bosses et creux émergent telles des vagues
Par l’écart radical entre la perception et le réel, les abs- sur la toile Peau(x) de pièces III, dont l’artiste accentue les
tractions grand format d’Élise Lafontaine nous hypnotisent. qualités haptiques en sablant la surface du tissu. L’effet de
Et pour cause. Peau(x) de pièces V, peinte sur coton lisse et lin, transparence qui surgit de ce procédé révèle la lumière du
révèle une tension entre plénitude et violence, entre harmo- fond du tableau et un au-delà de la peinture apparait. Nous
nie picturale et lignes éclatées, à l’image des espaces cou- posons alors un nouveau regard sur la toile et assistons à une
pés du monde dans lesquels l’artiste se plonge, qu’il s’agisse archéologie de la peinture, à la manière d’un tronc offrant par
d’une grotte, d’une prison, d’un hôpital psychiatrique ou ses cernes ses strates de vie passées.
d’un couvent, le premier lieu guidant vers le suivant tout en Les manipulations de la toile Peau(x) de pièce II sous
étant interconnecté. Ces sorties de cadre deviennent alors le forme de découpe, de sablage et de couture jouent avec les
moteur d’une quête artistique faite de sensations et de trans- limites du tableau. Les contours flous et formes voluptueuses
figurations. À travers les œuvres, l’artiste semble vouloir se qui en émergent, mises en relation avec le titre de l’exposi-
remémorer un moment vécu dont le seul moyen d’accès serait tion, sèment le doute quant au style purement abstrait des
de creuser un passage dans le corps, de sillonner une brèche œuvres. L’apparente géométrie symétrique prend en fait
dans le tableau. Mais comment arrimer l’espace visité et l’es- le caractère fragile et mouvant de la ligne à main levée et
pace de la toile ? L’espace de la pensée et celui de l’affect ? À de subtiles nuances dans les formes ou dans les teintes
ce défi, l’artiste répond en représentant sur un même plan brouillent la frontière entre l’abstraction et le figuratif. Des
plusieurs éléments ayant retenu son attention, comme c’est détails encore invisibles à un mètre renouvèlent une fois de
le cas dans Peau(x) de pièces I. Courbes abstraites, couleurs, plus notre regard sur l’œuvre, qui devient plus abstraite que

116 — Comptes rendus


Esse

vivante, tandis qu’une lumière quasi palpable émane de la


toile. Osant entailler et transformer les œuvres maintes fois,
l’artiste accentue les volumes et les coutures des pièces par
un prodigieux travail sur les dégradés de couleurs tantôt
pastel, tantôt charnelles. Couleur, matérialité et mouvement
concourent à distordre l’image afin de dessiner les contours
de nouvelles interprétations possibles.
Les œuvres tridimensionnelles Peau(x) de pièces II et III
invitent le public à se déplacer, à littéralement observer les
toiles sous toutes leurs coutures. De la même manière que
l’allée guide le corps dans un bâtiment, ou que la voute nous
fait sentir minuscules devant la grandeur d’une cathédrale,
les œuvres d’Élise Lafontaine instaurent une réflexion sur
le mouvement du corps au sein de l’espace architectural et
du lieu d’exposition. L’intérêt de l’artiste pour les lieux de
culte invite à considérer sa pratique à l’aune du condition-
nement esthétique et physique exercé par ces temples du
Beau. Sensible aux chorégraphies organiques orchestrées
par la lumière et les objets qui nous entourent, l’artiste met
en place une scénographie subtile pour décentrer nos corps,
les mettre en mouvement. Son puissant dispositif qui sou-
ligne la porosité entre le corps et l’architecture, entre le lieu
éprouvé et l’espace de la toile, lui permet d’entamer un nou-
veau tournant très prometteur dans sa pratique par le travail
sur le textile, la dimension volumétrique et la toile-sculpture.

Laure Neria

Projet Pangée, Montréal


du 22 janvier au 5 mars 2022

117 — Reviews
Esse

Robert Houle
Red is Beautiful

For many years, Robert Houle has drawn attention to his- (2015), a historic parfleche casually inserted among Houle’s Robert Houle
tories that have acquired new urgency in the wake of Idle publications and pointedly credited to “Apásalooke (Crow) Aboriginal Title,
No More and the ongoing identification of unmarked graves artists once known,” and an Assiniboia Residential School 1989-90.
at former residential school sites across the territory now newspaper with striking cover art by a young Houle. Works
known as Canada. Robert Houle: Red is Beautiful is a pow- commemorating his years at Sandy Bay Residential School Kanata, 1992, exhibition
erful testament to this longstanding labour of counter- serve as a pivot in the curatorial narrative. Otherworldly sha- view, Art Gallery of
memorialization, one that demonstrates the artist’s remark- mans and eerie shape-shifters stand watch over the first of Ontario, Toronto, 2021.
able versatility in broaching challenging themes across these, Sandy Bay (1998 — 99), as if to exorcise it. The AGO’s Photos : courtesy of the Art
diverse media and formats. architecture ultimately strains to contain this ambitious Gallery of Ontario, Toronto
The exhibition opens with a tense play of histories in exhibition. Houle’s earliest canvases, which ingeniously
which the politics of land takes centre stage. Houle mobilizes Indigenize the formalist syntax of European forebears,
the combined resources of lyrical and hard-edge abstraction including Josef Albers and Piet Mondrian, feel cramped
and the linguistic strategies of conceptual art to bear witness within the narrow confines of the show’s final rooms. On
to the 1990 Kanesatake Resistance in the monumental Oka the other hand, the Mississauga Portraits (2012) that occupy
(1991) and Kanehsatake (1990 − 93). These works are installed its centre point and commemorate a nineteenth-century
in counterpoint to his intervention within the figurative lan- troupe of Anishinaabe performers that toured Europe and
guage of European history painting, Kanata (1992), which inspired Eugène Delacroix, resourcefully gestures beyond
edits Benjamin West’s glorified representation of colonial this architectural frame to the related 2010 installation Paris/
conquest in The Death of General Wolfe (1770) to highlight Ojibwa, on view on the gallery’s first floor. This centrifugal
Indigenous presence and misrepresentation. The multi-panel logic is amplified by Mohawk Summer (1990), a text-based
Muhnedobe uhyahyuk (1989) balances these commemora- work above Walker Court that nods to Houle’s permanent
tions of territorial conflict with pastoral evocations of more- installation Seven Grandfathers (2014)—a critical rejoinder
than-human presence. The recurring dates of Aboriginal to an earlier textual supplement to the neoclassical court
Title (1989 — 90), Premises for Self Rule (1994), and adjacent by German conceptual artist Lothar Baumgarten, which it
works on paper unfold a data-based aesthetic recalling ear- replaced. The architecturally nested argumentation of Red is
lier examples of information art, a subfield of conceptual Beautiful underscores that Houle’s institutional critique will
practice whose historiography is long overdue for diversifi- endure long after the exhibition ends.
cation. Like fellow Indigenous abstractionist Alex Janvier,
Adam Lauder
to whom he pays tribute in the elegantly hieratic Parfleche
for Alex Janvier (1999), Houle redeploys numbers—in his
case, dates — associated with treaties whose broken prom-
ises contemporary viewers are implicitly implored to hon-
our and uphold. The exhibition is punctuated by grace notes Art Gallery of Ontario, Toronto
including the jewel-like circular canvas Grandmother (drum) December 3, 2021 — April 18, 2022

118 — Comptes rendus


Esse

Mériol Lehmann & Mathieu Valade


Colis Lehmann/Valade

Dans la foulée de ses activités autour de la démocratisation À l’intérieur du colis se trouve la série de 24 photogra- Mériol Lehmann &
de l’art, le Musée ambulant, organisme à vocation culturelle phies intitulée Rang Saint-Isidore de Mériol Lehmann. À Mathieu Valade
et éducative situé à Québec, propose au public le concept de partir de photos originales, de photos d’archives et de textes, Colis Lehmann/Valade,
colis d’art. Enveloppé d’une jaquette créée par un artiste, l’artiste s'interroge sur la transformation du patrimoine agri- vues de la couverture et
chaque colis comprend une œuvre originale, du matériel cole, de son paysage et des enjeux agroalimentaires, histo- du contenu, 2021.
pour apprivoiser une technique artistique et un code pour riques et sociopolitiques du Québec. En continuité avec sa Photos : Amy Gagnon,
accéder au contenu vidéo exclusif. Ainsi, des entrevues avec démarche qui s’inscrit dans une approche systémique des permission du Musée
ambulant, Québec
les artistes et des tutoriels de création pour apprendre à mani- environnements habités, en particulier des environnements
puler les outils dans la boite s’ajoutent au contenu artistique. ruraux, Lehmann pose un regard sur la connaissance et la
Cette façon de présenter des œuvres et leur contexte de pro- conception qu’ont les acteurs de l’espace qu’ils habitent. Ici,
duction s’inscrit dans une approche de médiation qui prend nulle place pour une ruralité idyllique ; la réalité actuelle
en compte la compétence du public face à l’art. du territoire agricole s’inscrit en rupture avec la représen-
Le Colis Lehmann/Valade est le cinquième d’une série tation pittoresque de la campagne champêtre, comme en
de sept colis faits par différents duos. Conçu en 2021, il témoignent les paysages meublés par les bâtiments et la
contient une série photographique de Mériol Lehmann et mécanique agricoles.
l’équipement pour la réalisation d’un atelier de création de Réunies, les œuvres de Valade et de Lehmann entrent en
cyanotype (feuilles de papier fait main, seringues, liquides dialogue. Aux paysages ruraux répondent l’immensité du ciel
chimiques, etc.), le tout emballé avec une couverture réali- et la complexité des nuages. Cette cohérence artistique, tant
sée par Mathieu Valade. D’entrée de jeu, la jaquette du colis du point de vue esthétique que de celui du contenu, constitue
intrigue. Elle présente un tableau à l’aquarelle qui reproduit une qualité des colis d’art. Quant au matériel pour la réali-
un effet de pixellisation d’une image dans les teintes de bleu sation de l’atelier, il complète un objet à collectionner d’une
et de blanc. En observant l’image de loin, on reconnait la grande cohésion qui donne envie de creuser la démarche
forme d’un nuage. Pour Impression de ciel pixelisé, Valade des artistes. Ainsi, le colis réussit le tour de force d’allier la
s’est inspiré d’une photo du ciel au-dessus de la région du technique à l’art et à son histoire en s’adressant tant aux néo-
Saguenay pour déconstruire en pixels l’image de nuages, un phytes qu’aux adeptes.
processus qui lui permet d’interroger la dégradation de la
Sophie Drouin
définition des images. De l’observation du ciel sans passer par
un intermédiaire (une caméra, par exemple) à la reproduc-
tion d’un pixel de nuage en peinture, l’artiste souligne l’aspect
construit du regard en ramenant le sujet dans une grille. Les
nuages perdent ainsi leur caractère duveteux et souple pour Musée ambulant
s’afficher comme un agencement abstrait de formes carrées Québec, 2021
qui viennent gommer la nuance de leurs dégradés.

119 — Reviews
Esse

Évelyne Toussaint
Postcolonial/Décolonial. La preuve par l’art

Donnant suite à une série de journées d’études coorgani- Renoir et le commentaire (trop bref) de Fabiana Ex-Souza Évelyne Toussaint (dir.)
sées par les Abattoirs et l’Université Jean Jaurès à Toulouse sur une toile du peintre anglais Johann Zoffany. Postcolonial/Décolonial,
entre 2016 et 2018, la publication collective Postcolonial/ Alors que trop peu d’études en langue française abordent page couverture, 2021.
Décolonial. La preuve par l’art rassemble une vingtaine de ce sujet pourtant brulant d’actualité, Postcolonial/Décolonial. Photo : permission des
textes articulant l’art et la théorie postcoloniale, qui est La preuve par l’art offre des pistes de réflexion pour sortir Presses universitaires du Midi
globalement définie d’entrée de jeu comme un ensemble des généralités et des vœux pieux. Il ne faut toutefois pas y
de concepts, incluant « leurs recompositions décoloniales » chercher des repères pour clarifier la terminologie parfois
(p. 16). Convoquant un vaste champ de recherche concerné abstruse de ce champ de recherche. Comme en témoigne
par la subalternisation et la racialisation des subjectivités le titre qui hésite entre deux termes, le livre fait le pari ris-
extra-occidentales issues de la colonisation, la publication qué de réunir dans une même « constellation » (p. 19) des
dirigée par Évelyne Toussaint se donne pour objectif de concepts aussi lourds de sens que sont le postcolonial et le
mettre en exergue le rôle joué par les arts dans cette mou- décolonial, l’hybridité du genre, la mondialisation et l’inter-
vance qui sert à la fois de mode de résistance et de puissance sectionnalité. Même si quelques textes apportent des préci-
de réinvention. sions intéressantes (Alfredo Gomez-Muller, Roberta Garieri,
En introduction sont réitérées les deux ambitions prin- Ana Marcela Montanaro Mena), l’intérêt est donc moins de
cipales de cette pensée qui oscille entre déconstruction et proposer un appareil théorique opératoire que des analyses
reconstruction. Critique du caractère colonial de la civili- précises et bien documentées illustrant des manières par
sation occidentale dans laquelle nous vivons, elle est aussi lesquelles la lutte se mène autour des arts et de la culture.
animée par la nécessité d’esquisser un autre avenir possible À la lecture, l’art en ressort comme preuve incontestable
en faisant émerger de nouveaux rapports au savoir et modes pour appuyer une mouvance politique que ses pourfendeurs
de vivre ensemble. mettent constamment à procès.
Le parti pris des auteur·rice·s est de faire raisonner le
Benoit Jodoin
champ artistique dans ce projet théorique et militant à par-
tir d’exemples concrets. Abordant tantôt les œuvres critiques
d’une muséologie raciste ou eurocentrée comme celles de
Fred Wilson ou de Sarkis, tantôt la mise en forme archivis-
tique de travaux d’artistes-chercheures comme Lidwien van Presses universitaires du Midi
de Ven et Voluspa Jarpa sur l’histoire coloniale, les courts Toulouse, 2021, 204 p.
chapitres du collectif érigent tous à leur façon l’art en lieu
d’affrontement des cultures, et par elles, des idéologies et
des formes de domination de toutes sortes. C’est au cœur des
œuvres que se révèle la complexité d’une décolonisation de
l’Occident, que suggèrent entre autres l’analyse (toutefois un
peu tendancieuse) de Jean Deilhes du film Le Fleuve de Jean

120 — Comptes rendus


Esse

James Nisbet
Second Site

The question of site was built into Land Art projects from edge of the Greater Toronto Area, Shift is a site-specific work James Nisbet
their very emergence in the late 1970s. So, too, was their that represents the approximate distance at which one sub- Second Site, cover,
eventual degradation. These works, like all other things, ject loses sight of the other as they move apart. Nisbet argues 2021.
are subject entropy’s steady march into chaos. What that Shift’s predication on the ability to see across an open
James Nisbet — professor of art history at the University of field alludes to histories of colonization, recalling the now- Richard Serra
California, Irvine—aims to take up in his 2021 book Second absent forests traditionally managed by the Mississaugas, Shift, installation view,
Site are the ways in which these secondary effects (and since replaced with vast swaths of open farmland, presently 1970, image taken from
affects) could be understood as a version of “site” in their at the mercy of encroaching urban sprawl. One of the high- the book.
own right. Recontextualizing several famous and not-so-fa- lights of the book is a discussion of how members of the local Photos : courtesy of
mous monumental artworks, Nisbet considers how physical King City community have banded together to protect the Princeton University Press,
Princeton
change over time manifests conceptual change, identifying work from developers. The legal implications of the work,
these artworks as his titular “second sites.” much like those of Tilted Arc, almost supersede the artistic
Loosely playing with Robert Smithson’s articulation intent, perhaps even becoming a second site.
of sites and non-sites, Nisbet comes to this secondness by Ultimately, the question at the heart of Nisbet’s essay is
understanding that 1) no site is ever unchanging, and 2) the one of excess produced beyond the works’ original intent.
term “second site” evokes “second nature” not in its collo- Although he remains curious about this “secondness” and
quial usage but as a recognition that no pristine, untouched identifies the requisite remains, ruins, and mechanical or
“first nature” exists; he also plays on the homophone “sec- digital reproductions of land art, he says little about the
ond sight,” which refers to predictions of the future and the added value of this excess. Much has been written about
works’ inextricable relation to time. He posits that each of site-specific work, leaving Nesbit with the difficult task of
these qualities of secondness are grounded in the seismic offering novel insights. His achievement in Second Site is
shifts resulting from climate change and that the set of eth- the way in which he places a number of site-specific works
ics emerging through his essay may be applicable to contexts of varying renown into conversation, recontextualizing each
outside of art theory and conservation. The book is divided through the lens of its secondary effects and impacts, and lay-
into three chapters: “Succession,” “Time Worlds,” and ering this onto urgent concerns around conservation — both
“Site-Images.” Employing many examples to articulate the curatorially and ecologically.
nuances of each category, from Ant Farm’s Cadillac Ranch
(1974) to Alan Sonfist’s Time Landscape (1965 − present), Emily Cadotte
Nisbet’s most compelling and fleshed-out example — Richard
Serra’s Shift (1970−72)—is threaded through all of them. The
examination of this lesser-known work set in rural Ontario
is a breath of fresh air compared to the extensive writing on Princeton University Press
Serra’s contentious 1981 Tilted Arc (although this work does Princeton, 2021, 144 p.
get some airtime in Second Site). Located on the northern

121 — Reviews
17 mars –
10 juillet
2022

Commanditaire officiel Avec le soutien de Partenaire média Partenaires publics

Une exposition organisée par le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) | Adam Pendleton (né en 1984), Untitled (WE ARE NOT) [Sans titre (ON NE L’EST PAS)] (détail), 2021. Collection de l’artiste. Image courtesy of Adam Pendleton
© Vivien Gaumand, Vincent Lefebvre
© Trevor Bourke

Philippe Boutin + Elon Höglund Angela Konrad


The Rise of the BlingBling - La Genèse Vernon Subutex 1
de Virginie Despentes
Première mondiale 17 → 21 MAI Première mondiale 14 → 22 JUIN
Théâtre | Montréal Théâtre | Montréal
usine-c.com Partenaire principal

514 521-4493
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cca.qc.ca
Aeroplastics, Almine Rech, Arcade, Archiraar Gallery, Ballon
Rouge, Baronian, Belgian Gallery Brussels, Bernier/Eliades Gallery,
Clearing, Damien & The Love Guru, Dauwens & Beernaert Gallery,
dépendance, didier Claes, Galeria Jaqueline Martins, Galerie de la
Béraudière, Galerie Dys, Galerie Felix Frachon, Galerie Greta
Meert, Galerie La Forest Divonne, Galerie Nathalie Obadia,
Gladstone Gallery, Harlan Levey Projects, Hopstreet Gallery, Irène
Laub Gallery, Jan Mot, La Maison De Rendez-vous, La Patinoire
Royale|Galerie Valérie Bach, La peau de l’ours, Maniera, Marra
\Nosco, Maruani Mercier, Meessen De Clercq, Mendes Wood DM,
Michel Rein, Montoro12 Gallery, Nino Mier, Nosbaum Reding, Pierre
Marie Giraud, rodolphe janssen, Rossicontemporary, Schönfeld
Gallery, Sorry We're Closed, Spazio Nobile, Stems Gallery, Templon,
Waldburger Wouters, Xavier Hufkens.

brusselsgalleryweekend.com
MAJ
Liste Art Fair Basel 13–19 June Messe Basel, Hall 1.1
Entrance behind
Art Unlimited
Liste Art Fair Basel 2022 Maulbeerstrasse /
corner Riehenring 113
Liste Art Fair Basel 4058 Basel

Liste Art Fair


Liste Art
Liste

Liste Showtime Online, 13–26 June 2022


Main Partner since 1997 liste.ch
E. Gutzwiller & Cie, Banquiers, Basel
June 16–19, 2022
Photograph taken at Kunstmuseum Basel
M Du 18 juin au
5 septembre 2022
Kevin Schmidt
Samuel Roy-Bois
Béatrice Balcou
Vicky Sabourin
A

J
Lorem ipsum
Cet été au
© Kevin Schmidt, How to Make an
Off-grid Hydroelectric Light Show,
Musée d’art de Joliette
2018. Photo : Evan Berg
Expositions ESPOIR Rencontres en tournée
Exhibitions RADICAL Rencontres on Tour
15 juillet – 30 septembre RADICAL 17 – 20 août
July 15 – September 30 HOPE August 17 – 20

2022

13e édition Image offerte par : La Société des archives affectives – Picture courtesy of The Society of Affective Archives
Fiona Annis & Véronique La Perrière M.
13th edition

photogaspesie.ca

.
JUSQU’AU 23 MAI 2022 17 JUIN AU
26 SEPTEMBRE 2022

Siècle Site de rencontre


Christian Leduc avec l’art
cuba-québec
Nestor Alvarez, Jorge Otero,
museema.org Luis Manuel Otero Alcántara,
1 819-762-6600 Nestor Siré, Luc Boyer,
Andréane Boulanger, Gabrielle
Brais-Harvey, Geneviève et
Matthieu, Martine Savard.
Soutenu
par

Soutenu par
ᓯᓚᐅᑉ
ᐊᓯᑦᔨᑕᕐᓂᖓᑕ
ᐃᓗᐊᓂ
AVEC LES SAISONS | WITH THE SEASONS
Commissaire | Curator: asinnajaq

6 au 28 MAI | May 6 to 28

McClure Gallery
350 av. Victoria, Montréal

Non-identifié | Unidentified, 1980, peau de phoque, verre, fil | seal skin, glass, tread, 7,5 x 7,5 x 7 cm
photo: Marie-Christine Couture
Direction Coordonnées Mandat Abonnement
— Editor — Contact Information — Mandate — Subscription
Sylvette Babin Esse arts + opinions La revue Esse arts + opinions s’intéresse
C. P. 47549, activement à l’art actuel et aux pratiques Canada & U.S.A.
Comité de rédaction comptoir Plateau Mont-Royal multidisciplinaires. Elle porte un regard
— Editorial Board Montréal (Québec) approfondi sur des œuvres d’actualité et 1 an, 3 numéros imprimés
Anne-Marie Dubois, Noémie Canada H2H 2S8 sur diverses problématiques artistiques — 1 year, 3 printed issues
Fortin, Benoit Jodoin, Amelia T. 514 521-8597 en publiant des essais qui abordent Individu — Individual 35 $ CA / 35 $ US
Wong-Mersereau, Sylvette Babin Courriel : revue@esse.ca l’art en relation avec les différents Étudiant — Student 30 $ CA / 30 $ US
Site web : esse.ca contextes dans lesquels il s’inscrit. OBNL — NPO 40 $ CA
Correspondant·e Esse se démarque également par son Institution 55 $ CA / 55 $ US
— Correspondents Distribution engagement à tisser des liens entre
Paris : Nathalie Desmet Canada & U.S.A. : Disticor Magazine la pratique artistique et son analyse. 1 an, 3 numéros numériques
U.S.A. : Giovanni Aloi Distribution Services Fondée en 1984, la revue est publiée — 1 year, 3 digital issues
France : Dif’Pop & POLLEN Diffusion 3 fois l’an (septembre, janvier et mai). Individu — Individual 25 $ CA / 19 $ US
Conseil d’administration Belgique, Espagne, Grande-Bretagne, — Esse arts + opinions magazine
— Board of Directors Grèce, Italie, Maroc, Pays-Bas, Portugal, focuses on contemporary art and 2 ans, 6 numéros imprimés
Bastien Gilbert (prés.) Singapour & Taiwan : New Export Press multidisciplinary practices. It offers — 2 years, 6 printed issues
Sylvette Babin (trés.) Envoi de publication in-depth analyses of current artworks Individu — Individual 60 $ CA / 60 $ US
Mériem Bennamour (admin.) — Publications Mail Registration : and artistic and social issues by Étudiant — Student 50 $ CA / 50 $ US
Karine Anaïs Dupras (admin.) Enregistrement n° 40048874 publishing essays that deal with art OBNL — NPO 70 $ CA
Annie Gérin (admin.) and its interconnections within various Institution 90 $ CA / 90 $ US
Claire Payette (admin.) Dépôt légal contexts. The magazine also stands
— Legal Deposit out for its commitment to creating 2 ans, 6 numéros numériques
Coordination de production Bibliothèque nationale du Québec links between art practice and theory. — 2 years, 6 digital issues
— Production Manager Bibliothèque nationale du Canada Founded in 1984, the magazine is Individu — Individual 40 $ CA / 30 $ US
Anne-Marie Dubois ISSN 0831-859x (imprimé — print) published 3 times per year (September,
ISSN 1929-3577 (numérique — digital) January, and May). International
Administration ISBN 978-2-924345-46-7
Joël Gauthier (imprimé — print) Politique éditoriale 1 an, 3 numéros imprimés
ISBN 978-2-924345-47-4 — Editorial Policy — 1 year, 3 printed issues
Marketing et publicité (numérique — digital) Les auteur·e·s sont invité·e·s à Individu — Individual 34 €
— Marketing and Advertising proposer des textes de 1000 à Étudiant — Student 30 €
Jeanne Bergeron Brassard Indexation 2000 mots les 10 janvier, 1er avril et Institution 50 €
— Indexing 1er septembre de chaque année. Les
Communications Esse est indexée dans Academic OneFile, documents doivent être envoyés 1 an, 3 numéros numériques
Marnie Guglielmi-Vitullo ARTbibliographies Modern, Arts & par courriel en format Word ou rtf à — 1 year, 3 digital issues
Humanities Full Text, Canadian Business & redaction@esse.ca. Chaque texte est Individu — Individual 17 €
Adjointe aux archives numériques Current Affairs, Canadian Periodical Index soumis au comité de rédaction, qui
— Digital Archives Assistant Quarterly, Fine Arts and Music Collection, se réserve le droit de l’accepter ou 2 ans, 6 numéros imprimés
Julia Boileau General OneFile, International Scientific de le refuser. Nous demandons aux — 2 years, 6 printed issues
Indexing, Repère et diffusée sur la auteur·e·s de joindre leurs coordonnées Individu — Individual 54 €
Abonnements plateforme Érudit et sur Flipster – Digital (adresse postale, téléphone et adresse Étudiant — Student 47 €
— Subscriptions Magazines d’Ebsco Publishing. électronique) ainsi qu’une notice Institution 84 €
abonnement@esse.ca — Indexed in Academic OneFile, biographique et un résumé de leur texte.
ARTbibliographies Modern, Arts & 2 ans, 6 numéros numériques
Conception graphique Humanities Full Text, Canadian Business Prenez note que les Éditions Esse — 2 years, 6 digital issues
— Graphic Design & Current Affairs, Canadian Periodical utilisent la nouvelle orthographe. Individu — Individual 27 €
Feed Index Quarterly, Fine Arts and Music
Collection, General OneFile, International — Writers are invited to submit essays
Infographie Scientific Indexing, Repère, and available ranging from 1,000 to 2,000 words. The TPS 123931503RT
— Computer Graphics on Érudit Platform and Flipster – Digital deadlines are January 10, April 1, and TVQ 1006479029TQ0001
Anne-Marie Dubois, Feed Magazines by Ebsco Publishing. September 1. Texts must be emailed in
Word format or RTF format to redaction@ Avantages aux abonné.e.s
Révision linguistique Associations esse.ca. All texts are submitted to the — Subscriber benefits
— Copy Editing Esse est membre de la Société de Editorial Board, who have the right to 15 % de rabais
Sophie Chisogne, Joanie Demers, développement des périodiques accept or refuse them. Writers should - sur la carte de membre du Musée d’art
Pauline Morier, Käthe Roth, culturels québécois (www.sodep.qc.ca) et include their postal address, telephone de Joliette
Jack Stanley de Magazines Canada numbers, and email address, as well as - sur les billets à tarif régulier au Théâtre
(www.magazinescanada.ca). a short biography and an abstract of Prospero
Correction d’épreuves — Esse is a member of the Société their text. - sur les livres des Éditions Esse
— Proofreading de développement des périodiques
Céline Arcand, Jack Stanley culturels québécois (www.sodep.qc.ca) Esse remercie ses partenaires 15% discount
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Traduction (www.magazinescanada.ca). Joliette
— Translation - on regular tickets at Théâtre Prospero
Louise Ashcroft, Oana Avasilichioaei, - on Éditions Esse’s books
Catherine Barnabé, Nathalie de Blois, Suivez-nous sur les médias sociaux.
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Tabita Rezaire — Ultra Wet−
Recapitulation (détail | detail), 2018.
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Goodman Gallery, Johannesbourg
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10-20 novembre 2022 November 10-20 2022

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Julie Bélisle
Manel Benchabane
Anne Roger
Amanda Amour-Lynx Susan Hiller Tabita Rezaire
Maude Arès Robert Houle Jamie Ross
Sadie Barnette IRWIN Betye Saar
Alana Bartol Heather Kai Smith jes sachse
Walter Battiss Jessica Karuhanga Fabrice Samyn
Christina Battle Élise Lafontaine Richard Serra
Béchard Hudon Mériol Lehmann Matt Shane
Véronique Béland Anne Le Troter Michelle Sound
Émylie Bernard Daniel Lie Chrysanne Stathacos
Black Quantum Futurism Sage Lovell Malena Szlam
Bianca Bondi Katie Lyle Mapa Teatro
Katherine Boyer Ella Dawn McGeough Aislinn Thomas
Kuh Del Rosario Chandra Melting Tallow Shanie Tomassini
Vanessa Dion Fletcher New Red Order Évelyne Toussaint
David Elliott James Nisbet Mathieu Valade
James Gardner Trevor Paglen Zadie Xa
Maggie Groat Carmen Papalia Julian Yi-Zhong Hou
Massimo Guerrera GaHee Park
Greg A. Hill Benoît Pype

BE / GR / NL / ESP / Port Cont : 12 €


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