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n LES ANIMATIONS LECTURE n

LES A N I M AT I O N S L E C T U R E
RÔLE ET EFFICACITÉ

Ce livre s’est beaucoup vendu,


A la fin des années 80, en réperto-
riant des « animations lecture »
– autrement dit des activités suscep-
preuve qu’il correspond à l’une des
préoccupations des médiateurs. Mes
tibles de faire lire les jeunes ou de les interrogations concernant le mode
réconcilier avec les livres –, j’ai été d’action et l’efficacité de ce type
surpris de découvrir qu’elles étaient d’animation se sont concrétisées sous
fort nombreuses et inventées par des la forme d’une recherche publiée
médiateurs de lecture fort variés : sous le titre : Comportement de lec-
enseignants, bibliothécaires, anima- teur d’enfants du CM2. Profils, repré-
teurs d’éducation populaire… sentations, influence des animations,
Ce travail m’a permis de publier, en influence de la contrainte2. Cette
1990, Donner le goût de lire. Des ani- recherche a permis de donner une
mations pour faire découvrir aux définition des « animations lecture »,
jeunes le plaisir de la lecture, et l’an- de vérifier leur efficacité pour faire
née suivante, De la lecture à la littéra- lire les enfants (même les faibles lec-
ture. Introduction à la littérature. teurs), et d’opposer contrainte à lire
Littérature, « littérature de jeunesse », et motivation.
enseignement1. Le second volume s’attaquait au
Le premier volume dénombrait concept de « littérarité » pour en
trente animations regroupées selon montrer les limites, les indétermina-
ce qui apparaissait comme leur tions, les partis pris idéologiques et,
moteur opérationnel : une motiva- surtout, pour le mettre en relation
tion ludique ou responsabilisante avec la littérature pour la jeunesse, et
communiquée aux jeunes. Elles les animations susceptibles d’initier
étaient manifestement efficaces, et les jeunes à la lecture littéraire. Cet
j’essayais de déterminer pourquoi. essai s’est prolongé par un colloque
C HRISTIAN P OSLANIEC
Institut national de la
recherche pédagogique 1. Donner le goût de lire. Des animations pour
faire découvrir aux jeunes le plaisir de la lecture,
Coordinateur Paris, Le Sorbier, 1990. De la lecture à la 2. Comportement de lecteur d’enfants du CM2.
de Promolej (Promotion littérature. Introduction à la littérature. Profils, représentations, influence des

de la lecture des jeunes)


Littérature, « littérature de jeunesse »,
enseignement, Paris, Le Sorbier, 1991.
animations, influence de la contrainte, Paris,
INRP, 1994.
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dont les actes ont été publiés sous le implicite symbolique, ils ne peuvent jeunes de s’initier à la complexité lit-
titre Littérature et jeunesse3, puis par pas le mettre en relation avec leurs téraire, qui les aident à percevoir, par
une thèse intitulée L’Évolution de la propres expériences, et participent des consignes-jeux de lecture, tout ce
littérature de jeunesse, de 1850 à nos faiblement à la construction du sens. qui leur échappe spontanément.
jours, au travers de l’instance narra- Par exemple, si un lecteur ne perçoit Améliorant ainsi les capacités des
tive4, qui tente de définir les spécifici- pas qu’un personnage d’ogresse6 jeunes lecteurs, elles contribuent à
tés de la littérature de jeunesse, la symbolise les mères abusives dans ouvrir leur mode de réception, ce qui
double postulation qui s’offre aux tous les domaines, il n’est pas en leur permet alors de participer
écrivains selon leur représentation de mesure de prendre en compte sa rela- davantage à l’interprétation de ce
l’enfance, et de décrire le champ de la tion avec sa propre mère pour don- qu’ils lisent.
littérature de jeunesse contempo- ner sens au livre. Malgré les liens que j’établis entre ces
raine (éditeurs, médiateurs, lecteurs). approches habituellement distinctes,
Personnellement, j’établis un lien je centrerai cet article, principale-
entre le statut de la littérature de jeu- L’ANIMATION ment, sur les animations lecture.
nesse, les théories contemporaines de
la réception, et les animations lec- LECTURE
ture. De l’efficacité
Les théories de la réception5 s’effor- EST UNE ACTIVITÉ des animations lecture
cent de décrire comment on lit un
livre. Elles s’entendent toutes pour DE MÉDIATION D’après les observations d’anima-
donner au lecteur la responsabilité de tions lecture pratiquées spontané-
son interprétation. Et cette interpré- ment, on peut en donner la définition
tation, particulière à chaque lecteur,
CULTURELLE suivante :
est le résultat d’une négociation entre – l’animation lecture est une activité
les contenus du livre, et tout ce qui ENTRE DES LIVRES de médiation culturelle entre des
préexiste dans la tête du lecteur (sou- livres et des enfants, destinée à
venirs personnels, fantasmes, lectures ET DES ENFANTS, réduire l’écart – physique, culturel,
antérieures, questions existentielles, psychologique – qui existe entre les
curiosités, savoirs, etc.). Certains, DESTINÉE deux ;
comme Umberto Eco, s’interrogent – la nature de la médiation exclut
sur les « limites de l’interprétation », À RÉDUIRE L’ÉCART l’obligation de lire imposée par un
mais ne remettent pas fondamentale- adulte. Elle consiste, au contraire, à
ment en cause la liberté interpréta- QUI EXISTE ENTRE créer une motivation incitant les
tive du lecteur. A cet égard, on parle enfants à aller vers les livres et à les
même de « co-énonciation », comme LES DEUX lire ;
si le lecteur créait en partie le sens – les deux principales motivations
d’une œuvre. créées par la médiation sont d’une
Les enfants, par définition, sont des Face à cette situation particulière, part, une motivation ludique, et
apprentis lecteurs. Ils ne disposent certains auteurs et éditeurs choisis- d’autre part, une motivation respon-
pas d’autant de souvenirs, de savoirs, sent de proposer aux jeunes des livres sabilisante. Dans le premier cas, les
de fantasmes, de compétences même, qui restreignent la part de négocia- livres sont proposés aux enfants dans
qu’un lecteur adulte. S’ils ne perçoi- tion prévue pour le lecteur, par le cadre d’un jeu (game7) dont la pre-
vent pas, dans un roman, un message exemple, des livres très explicatifs ou mière règle est qu’il est nécessaire de
sans implicite. D’autres, au contraire, lire pour jouer ; mais nécessité n’est
s’efforcent de proposer des œuvres pas obligation (par exemple, le point
3. Littérature et jeunesse, Paris, INRP/Promolej, ouvertes, négociables, chargées de commun, le procès littéraire, le défi-
1995. symbolique, en faisant confiance aux lecture…)8 ; dans le second cas, les
4. L’Évolution de la littérature de jeunesse, de jeunes lecteurs. C’est cette alterna- livres sont proposés aux enfants dans
1850 à nos jours, au travers de l’instance
narrative, Lille, Presses universitaires du tive que j’appelle la double postula- le cadre d’une activité sociale qui leur
Septentrion, 1998. tion de la littérature de jeunesse. confie une responsabilité vis-à-vis
5. Voir, en particulier, Martine BURGOS, « La
lecture comme pratique dialogique et son
Or les animations lecture, au-delà de d’autres personnes (par exemple, les
interprétation sociologique », Lectures et la motivation à lire qui sert de
médiations culturelles, Lyon, PUL, 1991 ; moteur, proposent, pour beaucoup,
Umberto ECO, Lector in fabula. Le rôle du
lecteur, Paris, Grasset, 1985, et Les Limites de des activités qui permettent aux
l’interprétation, Paris, Grasset, 1992 ; Elrud 7. Sur la distinction entre game et playing, voir
IBSCH, « La réception littéraire », Théorie le livre de Michel PICARD, op. cit.
littéraire, Paris, PUF, 1989 ; Wolfgang ISER, 8. Pour plus de renseignements concernant ces
L’Acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique, animations lecture, cf. Christian POSLANIEC,
Bruxelles, Mardaga, 1985 ; Michel PICARD, La 6. Je fais naturellement référence à l’album de Donner le goût de lire : des animations pour

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Lecture comme jeu. Essai sur la littérature,
Paris, Éd. de Minuit, 1986.
Valérie DAYRE, illustré par Wolf ERLBRUCH,
L’Ogresse en pleurs, Toulouse, Milan, 1996.
faire découvrir aux jeunes le plaisir de la lecture,
Paris, Ed. du Sorbier, 1990.

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grands lisent à des petits, les jeunes safari livres, enregistrer un livre, taire) ; seuls les grands lecteurs se pro-
enregistrent des cassettes pour les point commun, des grands lisent à curent essentiellement leurs lectures à
aveugles, les jeunes jouent le rôle de des petits, etc. la bibliothèque municipale. Mais il faut
mini-bibliothécaires…) ; Il a également été possible de mon- ajouter que plus on propose des livres
– le choix des livres est vaste et diver- trer que ces animations lecture, si différents aux enfants, à l’école, dans le
sifié ; elles profitent en priorité aux grands cadre d’animations lecture, plus ces
– l’animation lecture n’impose pas à lecteurs – les innovations profitent enfants sont nombreux, ensuite, à
l’enfant de s’exprimer à propos des toujours d’abord à ceux qui n’en s’inscrire à la bibliothèque municipale,
livres lus. Elle considère que cela res- auraient pas besoin –, ont une comme s’ils voulaient accéder à davan-
sortit à la sphère de l’intimité. En influence positive non négligeable tage de livres encore.
revanche, l’une des règles du jeu – ou sur les faibles lecteurs. Cette recherche a permis de confir-
l’une des nécessités de la responsabi- mer, quantitativement, nombre de
lisation –, peut inciter à révéler cer- constats empiriques faits par des
tains aspects de la lecture (par CE PROJET médiateurs ou des innovateurs, avec
exemple, dans les nombreuses revues des enfants, des adolescents ou des
artisanales de critique de livres). INTÉRIEUR adultes (y compris des illettrés) : les
L’expérimentation réalisée en CM2 a animations font lire davantage, elles
montré que les enfants lisent bien CORRESPOND réconcilient avec les livres les per-
plus de livres dans les classes qui pra- sonnes fâchées avec cette activité.
tiquent beaucoup d’animations lec- À UNE STRUCTURE Nombre d’actions réalisées en relation
ture que dans celles qui le font moins avec les bibliothèques, par exemple, et
ou pas du tout, et ceci quel que soit le jadis décrites par la ville de Grenoble,
critère pris en compte : nombre de
MENTALE les médiathèques de la banlieue pari-
romans, de livres (incluant donc aussi sienne ou le réseau des anciennes BCP
les bandes dessinées, les documen- QUI ARTICULE (bibliothèques centrales de prêt), ont
taires, les albums), de pages… débouché sur une augmentation des
Par exemple, les deux classes où, en ENTRE ELLES prêts ou des inscrits. Le même phéno-
moyenne, les enfants lisent le moins mène a été maintes fois constaté dans
de livres, sont une classe sans aucune DES MOTIVATIONS les CDI (centres de documentation et
animation lecture et une classe où d’information) de collèges et de lycées.
l’on pratique principalement la lec- À LIRE Récemment, j’ai eu l’occasion d’éva-
ture suivie (dont les critères ne cor- luer, par questionnaire, l’efficacité du
respondent pas à la définition de ET DES Prix Goncourt des lycéens – une ani-
l’animation lecture). Dans ces deux mation lecture authentique, qui cor-
classes, les enfants ont lu en COMPÉTENCES respond à la définition donnée plus
moyenne de un à trois romans inté- haut. La plupart des enseignants ont
gralement, de trois à quatorze livres QUI PERMETTENT donné des exemples d’adolescents qui,
(dans l’une des deux classes, les précédemment, ne lisaient pas et qui,
enfants lisent des BD), et de 500 à DE LE FAIRE dans le cadre de cette opération, ont lu
1 000 pages. cinq, six, ou dix des onze romans sélec-
La classe où les enfants lisent le plus tionnés.
(il y en a trois autres non loin der- Il faut noter également que cette
rière) est celle où l’enseignant a recherche ne recensait pas les lectures
introduit le plus d’animations. En effectuées en classe, mais l’ensemble Hypothèses
moyenne, ses élèves ont lu dans l’an- des lectures individuelles faites par sur cette efficacité
née : quinze romans, quarante-deux chaque enfant, dans tous ses lieux de
livres, 3 000 pages. Dans cette classe, vie, grâce à un « répertoire de lecture » Pour que quelqu’un lise ou ait envie
les animations lecture étaient rempli quotidiennement, ce qui a per- de lire, il doit, j’en suis persuadé, être
presque quotidiennes, à raison de mis également de reconstituer les pro- porteur d’un projet intérieur. Des
quelques minutes à chaque fois en fils de lecteur. chercheurs l’ont également constaté à
moyenne (la plus courte a duré deux L’une des caractéristiques de ces pro- propos de l’apprentissage de la lec-
minutes, la plus longue deux heures fils mérite d’être notée ici : la distance ture9. Ce projet intérieur correspond à
et demie). On a pu repérer douze ani- qu’un enfant est prêt à parcourir pour
mations différentes, intitulées : heure du se procurer des livres paraît propor-
9. Voir notamment Gérard CHAUVEAU, Martine
conte (généralement en rapport avec tionnelle à sa quantité de lecture. Les RÉMOND, Éliane ROGOVAS-CHAUVEAU, L’Enfant
des albums et non des contes, tout très petits lecteurs prennent surtout les apprenti lecteur. L’entrée dans le système écrit,
comme dans les bibliothèques qui livres chez eux (où il n’y en a guère) ; Paris, INRP/L’Harmattan, 1993 ; Comment
l’enfant devient lecteur : pour une psychologie
utilisent ce terme), bourse aux livres, les moyens lecteurs s’alimentent à la cognitive et culturelle de la lecture, Paris, Retz,
ronde des livres, coureurs de livres, BCD (bibliothèque centre documen- 1997.
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une structure mentale qui articule pour que le comportement de lec- la découverte des livres. La définition
entre elles des motivations à lire et teur s’instaure durablement, encore et les exemples donnés plus haut
des compétences qui permettent de faut-il que les livres tiennent leurs montrent qu’il ne s’agit pas de l’ani-
le faire. promesses, qu’ils soient suffisam- mation en général souvent pratiquée.
Les compétences, au cours d’une ment motivants par eux-mêmes. On Faire en sorte qu’une bibliothèque
autre recherche, sont appelées provi- a souvent dit qu’un lecteur était soit un lieu vivant, « animé », ne
soirement des « petits savoirs ». Ce quelqu’un qui, à un moment donné, signifie pas pour autant qu’il fasse lire
sont en quelque sorte des micro- avait rencontré son livre. Cette ren- davantage. Par exemple, chose cou-
compétences qui s’accumulent et qui contre doit donc être favorisée dans rante, lorsqu’un intervenant dit ses
concernent la maîtrise de la langue le cadre des animations lecture, propres contes, qui ne sont pas
(décodage, phrases complexes, sys- après quoi il appartient à chacun de publiés, et que l’animation est assimi-
tème anaphorique…), la sociabilité se mettre en quête d’autres livres lable à un spectacle, il n’y a aucun
du livre (genres, collections, auteurs, procurant la même satisfaction, lien avec la lecture, quel que soit le
lieux de prêt, classements…), la lec- quitte à parcourir une certaine dis- plaisir ressenti par les auditeurs.
ture littéraire (narrateur, person- tance pour y parvenir. En revanche, quand les contes qui
nages, articulation texte/images…), Ainsi, bien que les comités de lec- font l’objet d’un spectacle existent
et les propres goûts des personnes ture ne soient pas des animations sous forme de livres, et que ces der-
(recherche de plaisir, questions exis- lecture (sauf quand les jeunes y par- niers sont immédiatement mis à la
tentielles, thèmes de prédilection…). ticipent, auquel cas elles deviennent disposition des auditeurs, on
Ce dernier ensemble correspond à s’oriente vers l’animation lecture. Et
une partie des motivations néces- quand, à l’occasion de ce qu’on
saires, mais il peut y en avoir d’autres, appelle abusivement « heure du
comme le désir de s’insérer dans la UNE ANIMATION conte », un(e) bibliothécaire lit un
société, l’envie de comprendre, la livre (conte, album, court roman, ou
curiosité… LECTURE documentaire), puis propose de nom-
L’ensemble de ces « petits savoirs » et breux autres ouvrages ayant éven-
motivations s’articulent entre eux, A PEU DE CHANCE tuellement un lien avec celui-là
d’une façon complexe, et c’est cette (même thème, même collection,
synthèse qui est à l’origine d’un com- D’ÊTRE EFFICACE même auteur…), il s’agit pleinement
portement : lire d’une façon auto- d’une animation lecture.
nome. SI ELLE NE S’INSCRIT D’ailleurs, il y a une façon toute
Les animations lecture offrent, en simple de repérer une animation lec-
quelque sorte, une motivation de PAS DANS LA DURÉE ture. Au terme de pareille séquence,
substitution et, en même temps, met- l’animateur propose toujours : « Qui
tent en place quantité de « petits veut emprunter un de ces livres ? », et
savoirs » (par exemple, quand le les participants répondent positive-
« point commun » d’une pile de livres des animations responsabilisantes), ment à cette offre de lecture, à une
est le même éditeur, ou quand il ils peuvent jouer un rôle dans leur large majorité (par exemple, dans le
s’agit de science-fiction, ou d’un nar- préparation, à condition de ne pas cadre du point commun, du domino
rateur-personnage…), pour ceux qui se laisser piéger par l’idéologie des des livres, de la ronde des livres, ou
n’ont pas encore construit leur « bons » livres ou des éditeurs du cache-livres). Dans les autres cas,
propre projet intérieur de lecteur. « littéraires », et de ne pas perdre de la lecture des livres fait partie de la
La motivation ludique englobe aussi vue la variété de goûts des lecteurs règle du jeu, ou de la responsabilité
bien la recherche du plaisir que le potentiels. des jeunes.
désir de gagner, l’envie de partage à Si les livres proposés sont suffisam- 2. Une animation lecture, aussi spec-
l’intérieur d’un groupe, la curiosité… ment motivants par leur forme et leur taculaire soit-elle, a peu de chance
La motivation responsabilisante contenu, alors je crois que le proces- d’être efficace si elle ne s’inscrit pas
regroupe le désir d’insertion, l’envie sus de quête de lecture peut s’auto- dans la durée. En effet, les partici-
d’être reconnu, le besoin d’agir, la nomiser et se substituer à l’approche pants n’ont alors pas le temps de pas-
recherche d’autonomie… festive collective de l’animation. ser de la « zone proximale » au
Cependant, pareille hypothèse ne comportement établi. Ou, plus exac-
peut se concevoir que si l’on admet tement, l’effet est aléatoire : par
que les livres prennent alors le relais Trois remarques hasard, certains participants vont se
de l’animation lecture. En effet, les à propos des animations sentir suffisamment concernés pour
personnes qui entrent réellement en poursuivre, seuls, leur cheminement,
lecture à partir d’une animation sont Trois remarques peuvent être faites à comme lorsque les jeunes rencon-
certainement déjà proches de ce propos des animations. trent, brièvement, un écrivain, dans
comportement, ce que Vygotski 1. L’animation lecture est une activité un salon du livre, une bibliothèque
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appelle « zone proximale ». Mais spécifique, orientée vers la lecture et ou une classe. En revanche, si la ren-

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contre a été préparée en amont, les « défi lecture », inventée par Chris- commencent à recevoir des adoles-
jeunes ont déjà lu des livres de l’écri- tine Méron et Jean-Jacques Maga, cents qui ne maîtrisent pas le récit,
vain, se sont posé des questions, se dans les années 80, à Caen, a ren- et qui sont le résultat d’une forme de
sentent concernés. Chaque fois contré un tel succès qu’elle est « culture zapping ».
qu’un médiateur prévoit une anima- déformée de toutes les façons pos- Pour être bref – et donc caricatural –,
tion, il doit se demander quel en est sibles. Ainsi, a-t-on pu lire, dans une on peut dire que, dans le cerveau, la
l’objectif, et si la réponse est « faire revue professionnelle de documen- mémoire retient des îlots d’informa-
lire », identifier la motivation propo- talistes, un article décrivant un « défi tions éparses, chacun lié à une émo-
sée, et évaluer si les moyens utilisés lecture » portant sur un seul livre10. tion. Pour que s’établisse un
pour la mettre en œuvre sont adé- comportement, une opération men-
quats. tale doit permettre de relier ces îlots
Dans l’exemple donné plus haut L’ANIMATION en une sorte de super-information
– celui de la classe qui a lu le plus de armant le comportement. Par
livres en une année –, l’efficacité des exemple, quelqu’un peut savoir où se
animations lecture tenait certaine-
LECTURE INTITULÉE situe la bibliothèque, savoir que les
ment à leur répétition (cinq minutes livres sont classés en grandes catégo-
par jour, en moyenne). LE « DÉFI LECTURE » ries, savoir comment se déplacer en
3. Mais les animations lecture ville, avoir envie de connaître
s’usent. Un autre facteur d’efficacité A RENCONTRÉ quelque chose sur un thème précis…
des animations pratiquées dans la et ne jamais aller chercher un livre en
classe de CM2 évoquée ci-dessus, UN TEL SUCCÈS bibliothèque. Parce que ces informa-
c’est qu’aucune n’a eu le temps de tions restent séparées, et qu’elles ne
s’user, une nouvelle animation pre- QU’ELLE EST sont pas regroupées en un comporte-
nant la place de la précédente. ment moteur correspondant à un
Les deux causes principales de cette DÉFORMÉE projet intérieur.
usure sont l’institutionnalisation Dans la recherche en cours sur la
et la déformation. Une animation DE TOUTES réception, je constate que même des
innovante réussie donne envie aux adolescents font une lecture quantita-
médiateurs de la renouveler. Géné- LES FAÇONS tive (« j’ai lu x pages ») et zapping
ralement, elle prend davantage (« il y a… il y a… ») et non qualita-
d’ampleur à chaque réitération. Les POSSIBLES tive ; ils ne perçoivent pas le récit,
institutions s’y intéressent alors et mais sont sensibles à des bribes
tendent à figer la règle du jeu, à rigi- éparses de ce qu’ils lisent (un per-
difier la méthodologie. Tant et si sonnage, une péripétie, un lieu), et
bien que cela commence à appa- Alors même qu’une des lois de l’ani- focalisent une émotion sur ces
raître comme une contrainte à cer- mation est de proposer trente ou bribes non reliées entre elles.
tains des participants (et des quarante titres variés. De ce point de vue, beaucoup de
organisateurs, d’ailleurs). Ce type choses contribuent au zapping, y
d’évolution a souvent été constaté, compris la variété de l’offre dans les
par exemple, à propos des concours En guise de conclusion médiathèques. Si des adolescents
de lecture. savent trouver des disques compacts
La déformation est provoquée par J’ai parlé, plus haut, de la « zone (CD) ou des vidéos en médiathèque,
les représentations figées des per- proximale », mais nombre de per- et que ces secteurs sont loin des
sonnes. Un bon exemple, dans un sonnes n’en sont pas encore là. Pour livres, qu’est-ce qui pourrait les inci-
autre domaine, est donné par le lire, il est évident qu’il faut savoir ter à diriger leurs pas, également, vers
« texte libre » pratiqué depuis les lire. Mais ce que l’on sait moins, c’est les romans, à moins d’être déjà
années 20 dans les classes Freinet. que, pour lire de la fiction, il faut lecteurs ? Peut-être les choses
J’ai moi-même entendu, il n’y a pas savoir ce qu’est un récit11. Les biblio- seraient-elles différentes si une pré-
si longtemps, dans des classes tradi- thécaires n’accueillent pas les per- structuration leur était offerte : par
tionnelles : « Vous m’écrirez un texte sonnes qui ne savent pas lire, mais ils exemple, des médiathèques où, en un
libre pour mardi prochain, sur le même lieu, on trouverait à la fois des
thème de la peur » ! Quand une inno- livres, des CD et des vidéos, ne serait-
vation rencontre le succès, son titre ce qu’un roman, son adaptation ciné-
est fréquemment récupéré pour matographique, la musique du film,
qualifier des activités qui n’ont rien 10. Il s’agissait d’ailleurs d’un livre de Michel et des documentaires ou biographies
à voir avec les objectifs initiaux, et TOURNIER figurant au programme ! en rapport !
11. Voir à ce sujet Michel FAYOL, Le Récit et sa
qui en sont même aux antipodes. construction. Une approche de psychologie
L’animation lecture intitulée le cognitive, Paris, Delachaux et Niestlé, 1985. Février 1999
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