----~I ROCK I~--- - -
QUINCY
LA MARQUE JONES
Be bop and ia~ hip hop and rap, le nouveau disque de Quincy est black en bloc. Come-Bock on the Black
njourde 1974, QuincyJoneso
U
vu la mort de près. Les méde-
cins eux-mêmes ne donnaient
pas cher de sa peau : on sort
très rarement vivant d'une
double rupture d'anévrisme
cervical, surtout quand on a dépassé la
quarantaine et qu'on a trimé comrT)e un for-
çat pendant les trois quarts de son exis-
tence. Après deux opérations délicates ou
cerveau, Quincy a survécu. Et le miraculé
s'est remis illico ou boulot. La seule chose
qui l'embête, outre la cicatrice qui lui borre
désormais le front, c'est qu'il ne peut plus
souffler dons sa trompette. C'est peut-être
la raison pour laquelle il mettant de passion
à foire jouer les outres.
Quarante ons que ça dure. A lui seul,
Quincy Jones personnifie le lien entre
quatre décennies musicales. De Roy
Charles à M ichael Jackson, de Billie Holi-
day à Siedoh Garrett, de l'orchestre de
Count Basie à la chorale de We ore the
World du 78 tours ou laser, Quincy a tou-
jours été là.
Musicien, chef d'orchestre, directeur
artistique, arrangeur, producteur, il a
endossé toutes les casquettes, décroché
toutes les timbales. Il fut le premier compo-
siteur noir à écrire des musiques de films
pour Hollywood : souvenez-vous, entre
outres, de Dons la chaleur de la nuit, de
Roofs ou de The Co/our Purple. Il fut le pre-
mier aussi à introduire dons ses enregistre-
ments la bosse électrique et le synthétiseur.
Le premier, encore, à adopter, pour un big
bond de jazz, la musique brésilienne.
Sous sa houlette, l'acrobate le plus doué
de la famille Jackson a battu les records his-
toriques de vente de disques, avec 45 mil-
lions de Thriller. Louis Armstrong, Frank
Sinatra, Charles Aznavour o u Donna Sum-
mer ont remis, un temps, leur sort artistique
entre les moins de ce diable d'homme qui
soit tout foire :à douze ons·, il décidait d'op-
prendre le trombone, << parce que c'était
l'instrument qui se tenait le plus près des
majorettes pendant le défilé ... ». A quinze, il
joua it de la trompette pour Lionel Hamp-
ton. A vingt, il écrivait des arrangements
pour Duke Ellington .. . Aujourd'hui qu 'il
approche la soixantaine, Quincy Jones est
heureux comme un gamin. Il vient enfin de
réaliser le disque dont il rêvait depuis dix
ons. Ça s'appelle Bock on the Black, et
12 TÉLÉRAMA N • 2091 - 7 FEVRIER 1990
c'est black en bloc : une sorte de vaste
panorama, revu et corrigé par le maestro,
de toute l'histoire de la musique noire.
Du be bop ou hip hop, du jazz ou rop, en
passant par la bossa nova et le funk, ce
voyage étourdissant rassemble tant d'in-
vités prestigieux que leur liste complète res-
semblerait à la lecture du Gotha du
rythme : Roy Charles, Dizzie Gillespie, Al
Jorreou, Miles Davis, Ella Fitzgerald, Sara ·
Vaughan, Herbie Honcock, Choko Khan,
George Benson, Bobby Mcferrin, Joe
Zowinul. .. Tiens, il en manque un !
« J'ai demandé trois fois à Michael de
participer à mon album. JI m'a fait répondre
que Walter Yetnikoff, le président de sa
maison de disques, ne voulait pas lui en
donner l'autorisation ... Bon. J'ourats aimé
qu'il y soit, mois son absence ne change
«Ce disque
est mon empreinte
digitale sur toutes
les musiques
que i'aime. »
pas grand-chose :il y a assez de gens épa-
tants comme ça ... »
Là, Quincy coince : c'est le seul mome.nt
de l'interview où il ne sourit pas. Dons sa
suite du Ritz, en jean et veston discrètement
orné d'une rosette toute fraîche, mister
Jones reçoit le reporter de Téléramo avec
une cordialité élégante de vieux matou-
gentleman malicieux. Pas pour rien qu'on le
surnomme The Dude, le Dandy ... Lui qui
collectionne déjà la bagatelle de dix-neuf
grommy owords divers, il va pouvoir affi-
cher fièrement une récompense tipicolly
french : la légion d'honneur, qu'on vient de
lui remettre à l'occasion du dernier Midem.
« Y a-t-il beaucoup d'Américains qui
l'ont eue? En tout cos, cette distindion me
touche beaucoup. Ça fait longtemps que je
suis amoureux de la Fronce. Quand j'y ai
débarqué, en 1953, avec l'orchestre de Lio-
nel Hampton, j'ai trouvé ici davantage de
respect pour les musiciens.
J'ai toujours ressenti une étrange conni-
vence, presque cosmique, avec la Fronce.
Cette fois, le mariage est consommé... »
En 1957, Quincy a même occupé les
fondions de directeur artistique dons la
cempognie discographique d'Eddie Bor-
clay. Le temps pour lui de suivre les cours de
la gronde Nadia Boulanger et de cha-
peauter des artistes bien de chez nous
comme Jacques Brel, Henri Salvador ou
l'historique groupe vocal des Double Six.
« On travaillait avenue Hoche, avec un
orchestre de cinquante-cinq musiciens. Il y
avait Kenny Clarke à la batterie, Maurice
Vander au piano, Stéphane Grappe/li au
violon. .. Depuis, je n'ai cessé de m'intéres-
ser à la musique française. Après toul, je
suis en partie responsable de la signature
de Johnny Hallyday, à l'époque... J'ai fou-
jours aimé Claude Nougoro, parce qu'il est
proche de mes racines musicales. Mais
j'apprécie aussi France Gall, Françoise
Hardy el cette petite jeune fille, comment
s'appelle-t-elle déjà, qui ehonte comme
Edith Piaf. .. Ah oui, Mireille Mathieu ! »
Bock on the Black, le titre du nouveau
disque, ça veut dire, en gros, « salut les
gors, me voilà de retour dons le quar-
tier... ». Pourtant, on n'a jamais eu vraiment
.l'impression qu'il était parti, Quincy...
«Ça signifie surtout que j'ai repris
contad avec la rue, là d'où je viens. C'est
mon premier véritable disque depuis 1981.
J'y pensais depuis longtemps, mois j'étais
trop occupé à travailler pour les outres.
Pour moi, c'est un conte de fées qui s'est
réalisé : avoir fait jouer ensemble, pour la
première fois, Dizzie Gillespie et Miles
Davis. Ou Roy Charles et Chako Khan. De
même, j'ai voulu donner sa chance à un
jeune chanteur de quinze ons, Tevin Camp-
bell, pour qui je nourris de sérieux espoirs :
quand j'ai rencontré Stevie Wonder et
Michael Jackson, ils avaient à peu près le
même âge, c'est sûrement un signe...
Ce disque est autobiographique, c'est
mon empreinte digitale sur toutes les
musiques que j'aime_Par exemple, le rop.
Pour moi, c'est le même processus créatif
que le be bop, il y a quarante ons : la
même fougue rythmique, la même puis-
sance évocatrice, le même message de
rébellion. Mon propre fils est impliqué à
fond dans ce style. C'est lui qui m'a fait ren-
contrer des roppers comme lee T, Melle
Mel ou Big Doddy Kone. Comme jadis les
grands du be bop, ces artistes sont ignorés
De Ray Charles à Michael Jackson, du 78 tours au laser, Quincy The Dude personnifie à lui seul quatre décennies musicales.
par les radios. J'espère, grâce à mon
disque, pouvoir changer cela. Pour moi, le
hip hop est le courant musical le plus exci-
tant depuis le rock'n'roll.»
Outre son propre label de disques, Q
West, le businessman Quincy Jones pré-
side aux destinées d'une société de pro-
dudion cinématographique. Il a déjà réa-
lisé un long métrage intitulé La Bataille de
Stalingrad, un tolk-show télévisé avec
Jesse Jackson, l'ex-candidat noir à la Moi-
son Blanche, et prépare un film en copro-
dudion avec les Soviétiques sur la vie
d'Alexandre Pouchkine. Dont il signera
peut-être la musique, aux côtés de Mous-
sorgski et Tchd1kovski ...
« Quand (écris une musique de film, ie
n'ai qu'une règle : laisser les images me
parler, me souffler ce qu'il faut faire. La pre-
mière fois que (ai travaillé à Hollywood,
c'était pour un long métrage, avec Gregory
Peck. Le producteur ne savait pas que
(étais noir. Quand il est arrivé dans la salle
de montage et qu'il m'a vu, il est devenu
très nerveux. Il devait penser que i'allais col-
ler du blues de negro sur les évolutions de
ce pauvre Gregory Peck.. . Il a appelé
Henry Mancini, mon ami, qui lui a dit: "Ne
sois pas stupide, il est capable de compo-
ser dans tous les styles'. Ces! ce que ie me
suis appliqué à faire, depuis. Et ça n'a pas
trop mal marché... »
En rupture officieuse de Michael Jock-
son, à quel artiste de renom Quincy Jones
pourrait-il désormais se consacrer? Les
rumeurs prétendent que le petit Prince
aurait demandé ou grand Dude de se pen-
cher sur son - intéressant - cos ...
« JI en est effectivement question. Mais ie
réserve ma réponse. J'aime Prince et i'aime
Michael Jackson. Mais (ai cinquante-six
ans et encore des tas de rêves : il me fau-
drait au moins soixante-dix années pour les
réaliser tous... Le temps m'est compté, ie
dois être très prudent, très séledif Pour moi,
planter un arbre est devenu plus important
que de rechercher le sensationnel. J'ai six
enfants, des petits-enfants, ie veux veiller
sur eux, les aider à grandir, leur apprendre,
par exemple, que la drogue n'est pas une
solution. Vous savez, ils ont davantage
besoin de moi que tous les artistes du
monde. » e PHILIPPEBARBOT
Disque Bock on the Block chez VvEA
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