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ÉCOLOGIE
COMPORTEMENTALE
Étienne Danchin
Luc-Alain Giraldeau
Frank Cézilly
À toutes nos étudiantes et tous nos étudiants qui,
à travers leur curiosité intellectuelle
et leur intérêt pour l’écologie comportementale,
ont été notre première source de motivation
pour écrire cet ouvrage,
et à tous celles et ceux qui les suivront,
dans l’espoir de leur communiquer notre passion.
Table des matières
PREMIÈRE PARTIE
Écologie comportementale: histoire, concepts et méthodes
DEUXIÈME PARTIE
Grandir et choisir un habitat de vie pour exploiter les ressources
X ÉCOLOGIE COMPORTEMENTALE
Conclusion 197 b) Mais la reconnaissance des apparentés devrait
Lectures complémentaires 198 apparaître dans de nombreux autres contextes 216
Questions 198 8.2.4 La dispersion: un comportement
omnibus pour de multiples causes 217
Chapitre 8. L’évolution de la dispersion, 8.3 Composantes biodémographiques
J. CLOBERT, M. DE FRAIPONT et comportements de dispersion 220
et É. DANCHIN 199 8.4 Mécanismes de la dispersion 222
8.1 Introduction 199 8.4.1 L’importance des conditions 222
8.1.1 Mouvement dans le temps comme
a) Des arguments empiriques 222
alternative au mouvement dans l’espace 199
8.1.2 Mouvement dans le temps b) Des raisons théoriques: l’importance
ou dans l’espace 199 de la prévisibilité environnementale 224
8.1.3 Qu’entend-on par dispersion? 199 c) Le rôle des hormones 224
8.2 Causes de la dispersion 201 8.5 Distance de dispersion, aptitude
8.2.1 Le rôle de la qualité de l’environnement et dynamique des populations 227
physique 201 8.5.1 Distances et causes de la dispersion 228
a) Deux grands types d’approche historique 8.5.2 Aptitude des dispersants et des philo-
quelquefois contradictoires 203 patriques 229
b) Des modèles qui ignorent en fait la dimension 8.5.3 Dispersion, aptitude et dynamiques
comportementale 204 de population 230
8.2.2 Le rôle de l’environnement social 206
a) Distribution libre idéale et compétition Conclusion 230
intraspécifique 206 Deux modèles conceptuels pour l’évolution
b) Recherche de partenaire, compétition de la dispersion 231
intra et intersexuelle et la dépression La dispersion une famille de comportements? 231
de consanguinité 212 La dispersion de reproduction: un compor-
8.2.3 Le rôle de l’environnement génétique. tement peut-être moins complexe 231
Interactions entre proches génétiques et Compétition interspécifique, prédation
évolution de la reconnaissance individuelle 215 et parasitisme et dispersion 232
a) L’entraide devrait favoriser l’évolution
de mécanismes de reconnaissance Lectures complémentaires 232
des proches génétiques 215 Questions de réflexion 232
TROISIÈME PARTIE
Choisir un partenaire, les conflits sexuels
QUATRIÈME PARTIE
Interagir avec les autres:
socialité et défense contre les parasites
Chapitre 12. Vivre en groupe: hypothèses f ) Des leks aux colonies: l’hypothèse
et controverses, É. DANCHIN du «lek caché» 393
et L.-A. GIRALDEAU 367 g) Des espèces territoriales agrégées 394
12.1 Introduction 367 12.3.5 L’importance de l’information 396
12.2 Approche fonctionnelle classique 369 a) Information et partage d’information 396
12.2.1 Les aspects spatiaux de la vie en groupe 369 b) Partage d’information et agrégation 397
12.2.2 Vie en groupe et prédation 371 12.3.6 Une synthèse: la vie en groupe en tant
a) Effet de vigilance 371 que propriété émergente de la sélection
b) Effets de dilution 375 des commodités 401
c) Effet de confusion 377 a) L’hypothèse de la sélection des commodités 401
d) Défense en groupe 377 b) La sélection des commodités intègre
12.2.3 Vie en groupe et recherche de la nourriture 377 l’approche fonctionnelle classique 402
a) L’hypothèse du centre d’information 377 c) La vie en groupe est-elle encore une énigme
évolutive? 403
b) Une hypothèse très controversée 378
c) Encore un problème de tricheur 378 Résumé et conclusion 404
d) Une des hypothèses alternatives: «l’hypothèse Lectures complémentaires 404
du centre de recrutement» (HCR) 379 Questions de réflexion 405
e) Un débat qui continue aujourd’hui 381
12.3 Vers une nouvelle approche de l’évolution Chapitre 13. L’évolution de la coopération,
de la colonialité 382 J.-F. LEGALLIARD et R. FERRIÈRE 407
12.3.1 Le constat de base 382 13.1 Introduction 407
12.3.2 L’émergence de nouvelles approches 383 13.2 Position des problèmes 407
a) Définir l’agrégation 383
13.2.1 Altruisme, coopération, socialité:
b) Un problème de choix de l’habitat 385 définitions 407
c) Un problème de choix du partenaire 385
13.2.2 Pressions de sélection 410
12.3.3 Choix de l’habitat et agrégation 385
13.2.3 Origine et stabilité évolutives 411
a) L’importance de l’information utilisée 386
Un jeu entre prisonniers 412
b) Les processus de choix de l’habitat peuvent-ils
produire des colonies? 386 13.3 Déterminisme génétique et plasticité
c) L’hypothèse de «l’imitation d’habitat» 388 phénotypique 412
12.3.4 Choix du partenaire et agrégation 388 13.3.1 Déterminisme génétique simple 412
a) La sélection sexuelle oubliée 388 a) Bactériophages 412
b) La sélection sexuelle chez les espèces monogames 389 b) Amibes sociales 413
c) Les femelles peuvent-elles forcer les mâles c) Insectes sociaux 413
à s’agréger? 389 13.3.2 Interaction gène ¥ environnement 413
d) Des petits pingouins pas très catholiques 390 a) Des pucerons tricheurs 413
e) Une agrégation qui ne bénéficie à personne 391 b) Des rousserolles coopératives 413
CINQUIÈME PARTIE
Applications et implications pour les activités humaines
Le présent ouvrage est l’expression d’une démarche voir notre planète comme étant en constante trans-
collective, celle d’enseignants-chercheurs désireux de formation, conception actuellement soutenue par une
combler un véritable vide pédagogique dans l’ensei- énorme quantité de faits incontestables. Aujourd’hui
gnement des sciences du comportement en langue nous savons que rien n’est fixé dans l’univers et que
française. Si une discipline connaît régulièrement les tout change à plus ou moins brève échéance. Nous
faveurs du public estudiantin, c’est bien l’étude du savons que même la matière n’est pas éternelle.
comportement, tout particulièrement lorsqu’elle est Dans le domaine du vivant, le phénomène d’évo-
abordée à travers l’œil du naturaliste. Cette approche lution s’enclenche inévitablement dès l’instant où
connaît dans toutes les universités un large succès: une entité devient capable de s’auto-reproduire. En
elle suscite l’engouement et fait naître les vocations. effet, aucun mécanisme de reproduction ne peut se
Plusieurs générations d’étudiants (et nous en fûmes), faire sans l’existence d’un transfert d’information
rêvant de savanes africaines ou de jungles amazo- entre générations. Quelle que soit la complexité du
niennes peuplées d’animaux sauvages et exotiques, système de duplication de cette information, celle-ci ne
se sont imaginés jumelles à la main, observateurs peut jamais se faire sans l’apparition de modifications
privilégiés de scènes de chasse homériques ou du support de l’information (on parle aujourd’hui
d’extravagantes parades sexuelles. Mais au-delà de de mutation) entre les entités d’origine et celles pro-
l’observation, percevoir la véritable splendeur du duites par ce processus de reproduction. Il en résulte
vivant exige avant tout d’en comprendre la logique. l’existence de diverses sortes d’individus. Alors auto-
Et cette logique ne peut être révélée qu’à travers matiquement, ceux qui ont des caractéristiques qui
l’étude des mécanismes de l’évolution biologique. leur confèrent une meilleure capacité de produire
Pendant longtemps, on a cru que le monde était de la descendance sont favorisés en ce sens qu’ils
fixé à jamais dans l’état. Cela avait l’avantage d’éviter de augmentent en proportion dans leur population.
se poser la question du pourquoi les choses sont-elles Finalement, au bout de plusieurs générations, leurs
ainsi faites? Avec le recul que l’on a aujourd’hui, descendants peuvent devenir le seul type présent
une telle conception fixiste du monde peu paraître dans la population, les autres lignées s’étant éteintes
archaïque à un étudiant en biologie, mais il y a à du fait de la compétition. On dit que la lignée qui
peine un siècle que des théories non fixistes de l’uni- produit le plus de descendant a été sélectionnée. Ce
vers ont été formulées pour la première fois. De nos processus implique que les espèces se transforment,
jours encore, c’est une vision fixiste du monde qui on dit évoluent, au cours des temps géologiques.
est à la base de nombreuses cultures et des religions. Historiquement, c’est à Jean-Baptiste Lamarck
Au début du XXe siècle par exemple, considérant (1744-1829) que nous devons d’avoir admis le fait
l’apparente expansion de l’univers suggérée par les que les espèces vivantes se transforment au cours du
travaux de Hubble, Einstein pourtant souvent consi- temps. Cependant, la prise en compte de l’évolution
déré comme un des plus grands cerveaux de notre biologique et de ses mécanismes dans l’étude du
temps, a commencé par ajouter à ses équations un vivant a réellement débuté il y a environ 150 ans,
terme visant à faire en sorte que ce processus ne contre- quand Charles Darwin et Alfred Russel Wallace ren-
dise pas la vision fixiste qu’il avait de l’univers. De dirent publiques leurs conceptions sur le transfor-
même, dans le domaine de la géologie, quand, au misme et la sélection naturelle. Depuis lors, le point
début du XXe siècle, Wegener propose sa théorie de de vue évolutionniste n’a cessé de gagner du terrain,
la dérive des continents, il est pris pour un farfelu. Ce portant un éclairage neuf sur d’anciennes questions,
ne sera qu’au cours des années 1960, avec l’émergence en faisant jaillir de nouvelles, au point de remettre
de la tectonique des plaques, que l’on acceptera de en question des clivages disciplinaires que certains
AVANT-PROPOS XIX
croyaient à jamais figés. Les disciplines rangées sous la Il existe plusieurs ouvrages de cours en langue
vieille bannière de l’histoire naturelle ont, à la lumière anglaise sur l’écologie comportementale. Cependant,
de l’évolution, pris «un coup de jeune». L’étude du ayant eu à enseigner cette discipline au niveau uni-
comportement n’a pas échappé à cette revitalisation. versitaire depuis plus de quinze ans, nous avons pu
Aujourd’hui l’approche naturaliste du comportement de longue date constater à quel point un ouvrage en
s’appelle écologie comportementale (en anglais beha- langue française fait cruellement défaut. Dès nos
vioural ecology). L’écologie comportementale vise premiers cours, nous avions donc envisagé d’écrire
à interpréter le comportement animal en prenant en un tel ouvrage. Nous avions, chacun de notre côté,
compte sa dimension historique, qu’il s’agisse de l’his- écrit des notes de cours que nous aurions pu nous
toire évolutive des espèces (macroévolution), de contenter de regrouper, mais cela aurait conduit à
l’histoire des populations (microévolution) ou encore un ouvrage par trop hétérogène et donc inadapté à
de l’histoire des individus eux-mêmes (ontogenèse). sa vocation pédagogique. Pour écrire un tel ouvrage,
La démarche s’appuie sur les connaissances actuelles à il y a deux types de solutions: soit un petit nombre
propos de l’évolution biologique, de la génétique des de personnes le rédigent ensemble, soit elles font
populations, et des mécanismes qui canalisent ou appel à des spécialistes pour chaque sujet à traiter. La
orientent le développement. Son succès est manifeste, première solution offrait l’avantage d’une grande
tant du point de vue du nombre d’ouvrages scientifi- homogénéité dans le style et d’une grande cohérence
ques et de revues spécialisées qui y sont consacrés que entre les diverses parties de l’ouvrage. Par contre,
de l’influence notable exercée sur d’autres disciplines l’ouvrage risquait d’être hétérogène en terme de qua-
telles que la psychologie expérimentale, l’anthropologie lité, les parties concernant les domaines de spécialité
ou même la médecine. des auteurs risquant d’être beaucoup mieux docu-
L’éthologie classique, celle de Niko Tinbergen et mentées que les autres. Un ouvrage multi-auteurs
Konrad Lorenz et popularisée par les écrits ce der- présente les avantages et les défauts opposés. Nous
nier et magnifiée auprès du grand public par l’image avons donc fait le choix d’un compromis entre ces
du chercheur autrichien à barbe blanche poursuivi deux solutions avec la participation de nombreux
par quelques oisons en mal d’amour, ne représente auteurs, ceux-ci ayant accepté que leur texte soit
plus aujourd’hui qu’une étape historique, certes capi- éventuellement remanié en profondeur par les trois
tale, mais définitivement dépassée. Si ce dépassement auteurs principaux. Ceci devant garantir, c’est du
s’est réalisé «en temps réel» dans les milieux acadé- moins notre espoir, une meilleure homogénéité dans
miques anglo-saxons, il s’est plutôt opéré «en dif- la forme et dans le fond, qualités fondamentales
féré» dans certains pays, dont la France. Alors que pour un ouvrage à vocation pédagogique.
l’éthologie classique cédait sa place à l’écologie com-
portementale dans la plupart des universités bri-
tanniques, scandinaves et nord-américaines, des LES GRANDS PRINCIPES DE
résistances apparurent ici et là, notamment dans LA CONCEPTION DE L’OUVRAGE
l’Hexagone, teintées parfois d’idéologie et le plus sou-
vent d’incompréhension. L’absence de tout ouvrage Cet ouvrage a plusieurs niveaux possibles de lecture.
de référence en langue française, contribua certaine- Il est fortement conseillé aux lecteurs n’ayant pas de
ment au retard pris à enseigner l’écologie comporte- connaissances approfondies en biologie évolutive
mentale en France. La situation fut différente au de commencer par lire les trois premiers chapitres
Québec où le bilinguisme favorisa la diffusion de d’introduction qui présentent les concepts fonda-
l’approche évolutionniste dans l’enseignement du mentaux et les démarches méthodologiques indis-
comportement au sein du monde universitaire franco- pensables à la compréhension du reste du livre. Les
phone. Si la situation est moins critique aujourd’hui, lecteurs ayant déjà une bonne connaissance des grands
il n’en demeure pas moins qu’aucun ouvrage en principes de l’évolution peuvent, éventuellement,
langue française n’a encore été entièrement consacré commencer directement par la deuxième partie. Il
à expliciter l’approche de l’écologie comportemen- nous a paru important de développer chaque thème de
tale, ses fondements théoriques et logiques, ses métho- l’ouvrage en n’hésitant pas à incorporer les découvertes
dologies et ses outils. C’est précisément l’ambition et les théories les plus récentes dans le domaine.
du présent ouvrage, destiné à tous celles et ceux dési- Même si notre ouvrage ne peut raisonnablement pré-
reux de comprendre comment le raisonnement évo- tendre à être exhaustif, nous nous sommes efforcés
lutionniste s’applique à l’étude du comportement. pour chaque question abordée de présenter les princi-
XX ÉCOLOGIE COMPORTEMENTALE
pales approches et les principaux courants de pensée, de l’approche adaptationniste (chapitre 2). Nous pro-
même si, au sein de certains chapitres, le lecteur peut posons ensuite un exposé des méthodes et approches
avoir l’impression que certaines informations sont employées en écologie comportementale, approche
contradictoires. Ces contradictions apparentes ne sont hypothético-déductive, approche théorique et optimi-
en fait que le reflet de l’état actuel d’une question sation, méthode expérimentale, mesure de l’aptitude,
scientifique qui fait encore l’objet d’investigations et méthode comparative (chapitre 3).
pour laquelle il n’est pas possible à l’heure actuelle La deuxième partie a pour titre «Développement,
de dégager un point de vue consensuel. exploitation des ressources et choix de l’habitat».
Sur le plan pédagogique, nous avons cherché à tou- Elle traite de problèmes clés auxquels sont confrontés
jours présenter les notions introduites à l’aide d’exem- les organismes dès le début de leur vie: comment se
ples illustratifs. Lorsque nous avions le choix, nous développer, comment exploiter les ressources, où
avons pris le parti de mettre en évidence les travaux de s’établir? Le chapitre 4 aborde, d’un point de vue
chercheurs francophones. Il en ressort que la commu- éco-physiologique, la question du développement du
nauté scientifique de langue française présente une phénotype. Il s’agit d’un vaste sujet en pleine expansion
grande diversité et se situe en bonne position sur en écologie comportementale depuis le début des
nombre de sujets actuellement débattus au plan inter- années 1990, et qui justifierait à lui seul un ouvrage
national. C’est là un fait suffisamment important pour complet relatant l’émergence actuelle d’une approche
le souligner ici. Ces exemples appartiendront le plus de physiologie évolutive. Nous avons délibérément
souvent au règne animal. Ceci est dû en grande partie choisi de ne traiter que la relation entre hormones et
à la prépondérance du modèle animal en écologie comportement sur la base d’exemples choisis uni-
comportementale et aussi à la sensibilité résolument quement chez les vertébrés. Le message principal de
tournée vers les animaux des divers participants. Tou- ce chapitre est que l’on peut considérer les processus
tefois, nous aurons recours à plusieurs reprises à des physiologiques survenant en parallèle à l’expression
exemples tirés du règne végétal, les processus d’adapta- du comportement comme faisant partie intégrante du
tion des plantes s’intégrant dans notre conception élar- comportement lui-même. Les deux chapitres suivants
gie du comportement (chapitre 2). traitent de l’étude des comportements d’approvision-
nement (choix d’un régime alimentaire, choix d’un
lieu de prospection…), le chapitre 5 se limitant à
LE PLAN DU LIVRE l’approvisionnement solitaire tandis que le chapi-
tre 6 considère la dimension sociale des comporte-
L’ouvrage est divisé en cinq grandes parties. Tout ments d’approvisionnement. Le choix de consacrer
d’abord pour introduire l’écologie comportemen- deux chapitres distincts au problème de l’appro-
tale, nous avons choisi de présenter successivement visionnement se justifie d’une part par l’abondante
son histoire, ses grands concepts et ses principes et littérature sur le sujet et d’autre part parce que les
méthodes. La première partie de l’ouvrage s’intitule approches utilisées diffèrent largement selon que les
donc «Écologie comportementale: histoire, concepts animaux exploitent les ressources seuls ou en inter-
et méthodes». Constituée par trois chapitres, elle est action avec leurs congénères. La question du choix de
consacrée à l’exposé des fondements principaux de l’habitat de reproduction est abordée au chapitre 7.
l’écologie comportementale. Nous avons tout d’abord Par rapport au choix d’un lieu d’alimentation, l’approche
tenté de retracer les origines de la discipline, de préciser est sensiblement différente, du fait d’échelles spatiales
les relations entre éthologie et écologie comportemen- et temporelles autres que celles traditionnellement
tale et de répondre aux critiques les plus couramment envisagées pour l’étude de l’approvisionnement.
formulées (chapitre 1). L’approche évolutionniste Cependant, le lecteur saisira rapidement l’existence
du comportement a souvent été mal appréhendée, de nombreux parallèles entre ces trois chapitres.
quand elle n’a pas été caricaturée comme une pensée Enfin, le chapitre 8 traite de la question de la valeur
radicale et dogmatique. La rédaction d’un nouveau adaptative des comportements qui assurent la dis-
manuel est l’occasion d’un effort didactique supplé- persion des individus dans l’espace et, de ce fait,
mentaire qui, nous espérons, contribuera à dissiper jouent un rôle crucial dans la structuration des
certains malentendus. Ceci nous a conduit à expliciter populations et donc de l’évolution.
le plus clairement possible les concepts fondamentaux La troisième partie, «Sexe et reproduction», ras-
et à exposer brièvement ce que nous comprenons semble différents modèles et travaux empiriques, qui
comme le positionnement épistémologique des tenants cherchent à évaluer l’importance des forces sélectives
AVANT-PROPOS XXI
dans l’évolution des comportements de choix du La cinquième partie traite des «Applications et
partenaire sexuel, l’organisation sociale de la repro- implications pour les activités humaines». Dans les
duction et l’allocation des ressources à la progéniture. chapitres qui précèdent, l’espèce humaine fait l’objet
Le chapitre 9 présente les principes fondamentaux de peu d’attention. Ce qui ne signifie pas que l’éco-
du processus de sélection sexuelle. C’est sans aucun logie comportementale n’a aucune pertinence en la
doute le domaine de l’écologie comportementale matière. L’approche évolutionniste du comporte-
qui a connu le plus fort développement depuis une ment humain a été tentée à maintes reprises depuis
vingtaine d’années. Le chapitre 10 présente ensuite un demi-siècle, souvent par des chercheurs de pre-
les grands types de régimes d’appariement et les mier plan. La question n’est pas simple, et bien évi-
principes qui permettent d’en comprendre la signi- demment sujette à caution. Il nous a cependant
fication évolutive. Enfin, le chapitre 11 aborde la semblé qu’elle ne pouvait être évitée pour la simple
question de l’investissement différentiel des parents raison qu’elle risquerait de déranger. Tout lecteur de
selon le sexe de leur progéniture. Nous verrons cet ouvrage est en droit de se demander dans quelle
pourquoi selon leur état et les conditions environne- mesure l’espèce humaine est, elle aussi, l’objet des
mentales, les parents peuvent avoir intérêt (d’un processus de sélection qui sont régulièrement invo-
point de vue évolutif ) à favoriser la production d’un qués dans les différents chapitres. Par ailleurs, le rai-
sexe ou de l’autre au sein de leur descendance. sonnement évolutionniste peut éventuellement
permettre aux populations humaines de mieux gérer
Chez la grande majorité des animaux, à un moment
leur environnement. Le chapitre 16 aborde précisé-
ou un autre de son existence, tout individu va inter-
ment deux questions fondamentales pour l’avenir de
agir régulièrement avec d’autres, de sa propre espèce
l’espèce humaine: peut-on transposer les raisonne-
ou d’espèces différentes. Cette dimension est prise en
ments et résultats de l’approche évolutive du com-
compte dans la quatrième partie qui s’intitule «Inter- portement à la biologie de la conservation afin de se
agir avec les autres: socialité et relations inter- donner les moyens d’agir efficacement pour la pré-
spécifiques». Elle s’ouvre sur deux chapitres traitant servation de la biodiversité? Et qu’apporte de parti-
de l’évolution de la vie en groupe. Le chapitre 12 est culier l’écologie comportementale dans ce domaine?
consacré à ce que l’on peut appeler la vie en groupe Le chapitre 17 traite de la question délicate de la
par la voie parasociale, c’est-à-dire résultant de déci- pertinence des processus évolutifs dans l’analyse du
sions individuelles qui conduisent à une existence col- comportement de l’espèce humaine.
lective. Le chapitre 13 traite du dilemme très général Le chapitre 18 conclut cet ouvrage en essayant de
posé par l’évolution de la coopération. En effet très faire ressortir les grandes approches qui semblent se
tôt, cette question a été identifiée comme un des dessiner aujourd’hui comme prometteuses et potentiel-
contre-exemples flagrants de l’approche évolution- lement porteuses dans l’avenir de l’écologie compor-
niste. Nous verrons qu’aujourd’hui, la question de la tementale. Nous voyons un rôle fondamental joué
coopération ne constitue plus du tout un problème par la notion d’information et l’évolution culturelle
pour l’évolution. Le chapitre 14 traite de plusieurs dans les années à venir.
aspects de la communication entre individus. Un Enfin, nous avons choisi d’ajouter à la fin de
intérêt particulier y est accordé à l’étude des contrain- l’ouvrage un glossaire circonstancié auquel le lecteur
tes physiques qui modulent la communication, un pourra à chaque instant se référer. Toute science a
domaine qui a récemment bénéficié de grands pro- son propre jargon, celui-ci jouant un rôle fonda-
grès techniques, conceptuels et empiriques. Enfin, le mental dans la diffusion des idées développées.
chapitre 15 traite de l’importance du comportement Cependant, comme il n’existait ni ouvrage ni tradi-
dans les interactions durables entre individus d’espèces tion d’écriture en langue française dans ce domaine
différentes. Ce chapitre traite plus particulièrement des sciences, nous avons été confrontés au problème
du mutualisme et du parasitisme. Nous verrons que le de définir les termes français correspondant au jargon
mutualisme constitue une forme d’interaction entre traditionnellement utilisé en langue anglaise pour
individus d’espèces différentes qui semble particuliè- exprimer les concepts correspondants. Ce glossaire
rement instable, ce qui pose un intéressant problème présente aussi l’avantage d’expliciter et de justifier
pour les évolutionnistes. Le parasitisme quant à lui, nos choix de vocabulaire. Nous espérons bien que
constitue une forme plus connue car plus étudiée et ces termes faciliteront dans l’avenir la communica-
plus courante des interactions durables entre individus tion entre les divers courants de pensée des sciences
d’espèces différentes. du comportement.
Le présent ouvrage est par essence collectif, et de ce qui fut en France un grand précurseur de l’écologie
fait la contribution de chacun des auteurs a été tout comportementale. Véritable puits de science, il a lar-
à fait déterminante. Nous ne saurions trop les gement contribué par ses nombreux encourage-
remercier pour leur efficacité et leur détermination à ments et ses conseils avisés à la réussite de nombreux
rédiger leur partie. En accord avec le contrat que jeunes chercheurs. Plus récemment, Robert Barbault
nous avions passé avec eux, dans un souci d’homo- et Pierre-Henri Gouyon ont été deux acteurs majeurs
généité du style et du niveau du texte, nous avons du développement des sciences écologiques et évo-
quelque fois modifié en profondeur leur texte ini- lutionnistes en France, en créant les conditions favo-
tial. Merci à eux d’avoir accepté de nous laisser cette rables au développement de la recherche française
possibilité. Nombre des auteurs impliqués ont joué dans ces domaines. Monique Avnaim nous a gran-
un rôle pionnier dans la création du Groupement de dement aidé pour les figures et la gestion des réfé-
recherche «Écologie comportementale» (GDR- rences. Enfin, beaucoup de collègues et d’étudiants
CNRS 2155), qui avait inscrit la réalisation de cet doctorants ont été de formidables compagnons de
ouvrage dans ses objectifs. En plus des divers partici- route sans lesquels l’aventure intellectuelle n’aurait
pants à la rédaction des divers chapitres, de nom- pas été aussi stimulante. Nos adressons donc nos
breuses autres personnes ont participé, de près ou de remerciements à Paul Alibert, Jean-Christophe Auffray,
loin, à la rédaction de cet ouvrage. Dans l’ordre Andy Bennett, Manuel Berdoy, Angéline Bertin,
alphabétique: Carlos Bernstein, Caroline Bouteiller, Maryse Barrette, Keith Bildstein, Loïc Bollache,
Jacques Bovet, Anne Chapuisat, Mike N. Clout, Vincent Boy, François Bretagnolle, Vincent Breta-
Philippe Christe, Blandine Doligez, Marc Girondot, gnolle, Charles R. et Mary Brown, Bernard Brun,
Bernard Godel, Gérard Lacroix, Laurent Lehmann, Emmanuelle Cam, le regretté Jean-Pierre Desportes,
Don Merton, Marie-Jeanne Perrot-Minnot, Thierry Claire Doutrelant, Amélie Dreiss, Frédérique Dubois,
Rigaud, François Sarrazin, Richard H. Wagner, Patrick Duncan, Bruno Faivre, Mauro Fasola,
Éric Wajnberg. Claudia Feh, Marc Girondot, le regretté Heinz Hafner,
Nous tenons à remercier les éditions Dunod, et Philipp Heeb, Fabrice Helfenstein, Philippe Jarne,
tout particulièrement Anne Bourguignon, qui ont Alan Johnson, Sir John R. Krebs, Jim Kushlan, Jean-
dès le début cru en cet ouvrage, et nous ont main- Dominique Lebreton, Louis Lefebvre, Karen McCoy,
tenu leur confiance en dépit d’une durée de rédaction Agnès Mignot, Sandrine Maurice, Ruedi Nager,
trois fois plus longue qu’initialement prévu. Isabelle Olivieri, Mark Pagel, Deseada Parejo,
D’autres personnes n’ont pas directement participé Cécile Rolland, Mike Siva-Jothy, Nicola Saino,
à l’élaboration de cet ouvrage, mais leur rôle n’en est Anne Thibaudeau, Frédéric Thomas, Susana Varela,
pas moins capital. Nous sommes particulièrement William Vickery, Joël White, Jacques Zafran,
reconnaissants envers le regretté François Bourlière René Zayan.
REMERCIEMENTS XXIII
Les auteurs
Sous la direction de :
Étienne Danchin, directeur de recherche CNRS. UPMC Paris VI, laboratoire d’écologie
UMR7625 (e-mail: edanchin@snv.jussieu.fr)
Luc-Alain Giraldeau, professeur à l’université du Québec à Montréal. Groupe de recherche en
écologie comportementale et animale, département des sciences biologiques, université du
Québec à Montréal (e-mail: giraldeau.luc-alain@uqam.ca)
Frank Cézilly, professeur à l’université de Bourgogne. Laboratoire écologie-évolution, UMR CNRS
5561 biogéosciences (e-mail: Frank.Cezilly@u-bourgogne.fr)
Boulinier Thierry, chargé de recherche CNRS. UPMC Paris VI, laboratoire d’écologie
UMR7625
Chapuisat Michel, professeur à l’université de Lausanne. Department of ecology and evolution,
biology building, University of Lausanne
Clobert Jean, directeur de recherche CNRS. UPMC Paris VI, laboratoire d’écologie UMR7625
De Fraipont Michèle, maître de conférences UIFM de Reims. UPMC Paris VI, laboratoire d’éco-
logie UMR7625
Dufty Alfred, professeur à Boise State University. Department of Biology
Ferrière Régis, professeur à l’École normale supérieure. Laboratoire d’écologie UMR7625
Legalliard Jean-François, assistant professeur à l’université d’Oslo. Fonctionnement et évolution
des systèmes écologiques, CNRS UMR 7625, École normale supérieure
Mariette Mylène, doctorante. UPMC Paris VI, laboratoire d’écologie UMR7625
Møller Anders P., directeur de recherche CNRS. Laboratoire de parasitologie évolutive, CNRS
UMR 7103, université Pierre et Marie Curie
Sorci Gabriele, chargé de recherche CNRS. Laboratoire de parasitologie évolutive, CNRS UMR
7103, université Pierre et Marie Curie
Théry Marc, chargé de recherche CNRS. CNRS UMR 8571, MNHN, Brunoy, équipe évolu-
tion des systèmes sociaux, laboratoire d’écologie générale
REMERCIEMENTS XXV
PREMIÈRE PARTIE
ÉCOLOGIE COMPORTEMENTALE :
HISTOIRE, CONCEPTS ET MÉTHODES
Toute tentative de caractérisation d’une discipline chapitre 2 présente les grands concepts de l’écologie
scientifique suppose de décrire comment elle élabore comportementale. La plupart de ces concepts ne sont
ses théories et comment celles-ci sont mises à l’épreuve pas propres à l’écologie comportementale mais plutôt
(Soler 2000). Ces deux points essentiels font l’objet à toute approche évolutionniste. Enfin, le chapitre 3
des chapitres deux et trois. Mais caractériser une disci- présente les grands principes de la méthodologie uti-
pline implique aussi de s’interroger sur la nature des lisée en écologie comportementale. De nouveau, la
processus par lesquels celle-ci s’est constituée histori- plupart des méthodes présentées ne relèvent pas uni-
quement. Le chapitre 1 commence donc par présenter quement de l’écologie comportementale mais sont
un historique des sciences du comportement. Puis le en fait communes à toute démarche scientifique.
Chapitre 1
Plus de vingt ans après les premières éditions des grandes étapes de l’histoire des sciences du compor-
ouvrages fondateurs de Wilson (1975) Sociobiology tement pour mieux analyser les conditions d’émer-
et Krebs et Davies (1978) Behavioural Ecology: gence de l’écologie comportementale. Nous tenterons
An Evolutionary Approach, l’appellation «écologie ensuite de préciser dans quelle mesure l’écologie compor-
comportementale» reste encore relativement peu tementale se démarque véritablement des disciplines
connue du grand public, particulièrement dans les qui l’ont précédée. Enfin, nous en délimiterons le
pays francophones. La situation n’est guère diffé- champ d’investigation que les chapitres qui suivent
rente au sein du monde académique, où semble illustreront en détail.
même subsister une certaine difficulté à identifier
sans ambiguïté ce qui singularise l’écologie compor-
tementale vis-à-vis d’autres disciplines. De fait, c’est 1.1 HISTORIQUE DES SCIENCES
plutôt aux termes «psychologie animale» ou «étho-
logie» que l’on a généralement coutume d’associer
DU COMPORTEMENT
l’étude du comportement animal. Cette situation
peut être perçue comme un défaut de jeunesse ou, ce 1.1.1 Les précurseurs
qui serait plus grave, comme symptomatique d’une
pseudo-discipline aux contours flous et aux fonde- a) Les origines lointaines
ments théoriques fragiles. Il est donc nécessaire de L’analyse scientifique du comportement est relative-
caractériser d’emblée l’écologie comportementale. ment récente puisqu’elle n’est apparue qu’à la fin du
Cette nécessité est particulièrement aiguë dans un XIXe siècle. Les prémices de son étude sont toutefois
monde académique compétitif où à la fois l’attribu- bien plus anciennes. Les origines de l’observation
tion des subventions de recherche à une discipline et du comportement animal remontent certainement à
la place qui lui est accordée dans l’enseignement l’aube des temps, lorsque les premiers humains étaient
dépendent pour une bonne partie de la perception à la fois proies et prédateurs et se devaient pour sur-
qu’en ont l’ensemble de la communauté scientifique vivre d’être attentifs aux modes de vie des espèces
et les décideurs. animales qui les entouraient. Cette attention parti-
Du point de vue de l’histoire des sciences du com- culière fut souvent sublimée dans des pratiques spi-
portement, on peut ainsi se demander si l’écologie rituelles dont il ne subsiste aujourd’hui que quelques
comportementale ne constitue qu’un prolongement pictogrammes ou peintures rupestres, comme celles
d’autres disciplines auxquelles elle succède à l’inté- qui ornent les murs des grottes de Lascaux ou de
rieur de ce qu’il est convenu d’appeler les sciences Tautavel. Il faut attendre les philosophes de la Grèce
du comportement, ou si elle s’en démarque irrémé- Antique, Platon (427-347 av. J.-C.) et Aristote (384-
diablement par une réorganisation en profondeur 322 av. J.-C.) en tête, pour que naissent les premières
des contenus théoriques. C’est l’objet de ce chapitre interrogations sur le comportement dont nous ayons
de répondre à ces questions, sans prétendre à une gardé une trace. L’opposition entre les deux philo-
véritable analyse épistémologique qui dépasse le sophes à propos du statut de la connaissance humaine
cadre d’un manuel essentiellement destiné à l’ensei- annonçait déjà les clivages théoriques qui devaient
gnement de l’écologie comportementale. Nous nous marquer bien des siècles plus tard l’étude de l’appren-
limiterons donc dans un premier temps à retracer les tissage (Doré 1983). Alors que Platon sépare l’esprit
Encart 1.1
Jean-Henri Fabre, précurseur de l’écologie comportementale
Seule l’étude de l’animal dans son biotope trouve À partir de ses observations nombreuses et variées,
grâce aux yeux de cet infatigable observateur des Fabre peut dresser les caractéristiques essentielles
insectes, né à Saint-Léons du Lévezou dans le de l’instinct: son innéité, sa préformation, sa fixité,
sud-ouest de la France. Il a rassemblé ses innom- et sa spécificité. À cet égard, Fabre peut être consi-
brables observations dans les dix volumes de son déré comme un précurseur de l’éthologie. Mais il
œuvre majeure, les Souvenirs entomologiques, sous- est aussi par certains aspects un précurseur de
titrée Études sur l’Instinct et les Mœurs des Insectes l’écologie comportementale. D’une part, il souli-
(1879-1908; réédité en 1989). Fabre y affirme gne régulièrement l’intérêt du raisonnement par
que «pour l’instinct, rien n’est impossible» et cite analogie et recommande la comparaison entre
à l’appui de son assertion l’exemple de l’abeille espèces proches pour comprendre le compor-
capable de fabriquer des cellules parfaitement tement des insectes. D’autre part, il propose que
hexagonales sans aucune «intelligence algébrique». le comportement des animaux réponde à une
Il observe aussi que de nombreux hyménoptères «loi d’économie de la force» qu’il rapproche des
parasitoïdes sont capables, dès leur première cap- principes économiques en vigueur dans la société
ture et en l’absence de tout apprentissage, d’insérer industrielle. Notamment, Fabre, le premier, invo-
parfaitement leur dard dans un point névralgique que ce principe dans l’analyse des trajets accomplis
de la proie. Par ailleurs, des manipulations sim- par divers insectes. Ces deux aspects des concep-
ples confortent Fabre dans son idée que les insectes, tions de Fabre préfigurent les deux piliers métho-
prisonniers de leur instinct, disposent de capaci- dologiques de l’écologie comportementale, la
tés limitées pour ajuster leur comportement à des méthode comparative et l’optimisation (cf. cha-
modifications imprévisibles de leur environnement. pitre 3).
Encart 1.2
Charles Darwin, naturaliste, géologue et théoricien
Charles Darwin est né près de Shrewsbury en travail de ses collaborateurs, il s’adonne à la rédac-
Angleterre à la veille de la révolution industrielle. tion de plusieurs ouvrages dont deux volumes de
Dès l’âge de huit ans, il satisfait son appétit de géologie, quatre volumes sur la classification des
naturaliste en collectionnant avec avidité coquil- crustacés cirripèdes, et le récit de son voyage à
lages, œufs et minéraux. Il entame en 1825 des bord du Beagle. De 1839 à 1844, il travaille sur le
études universitaires de médecine à Édimbourg, manuscrit qui deviendra The Origin of Species
qu’il interrompt en 1828 pour partir étudier, dont la parution ne sera effective qu’en 1859.
sous l’injonction de son père, la théologie à Cam- Sa santé devenue fragile ne lui laisse plus alors
bridge. Piètre étudiant, ces années universitaires que quelques heures par jour pour s’adonner à ses
lui permettent surtout de parfaire ses connaissan- études. Il n’arrête cependant pas de publier de
ces naturalistes à travers l’étude de la géologie, de nouveaux ouvrages parmi lesquels figurent (outre
la botanique et de l’entomologie. Son admission ses ouvrages sur la sélection sexuelle et le compor-
comme naturaliste à bord du Beagle marque un tement) The Variation of Animals and Plants
tournant dans sa vie. Il embarque le 27 décembre under Domestication (1868), Insectivorous Plants
1831 à l’âge de 22 ans et ne regagne l’Angleterre (1875) ou encore The Formation of Vegetable
que le 20 octobre 1836, après avoir visité l’Amé- Mould, through the Action of Worms (1881). Toute
rique du Sud, les îles du Pacifique, l’Australie et l’œuvre de Charles Darwin est marquée par
la Nouvelle-Zélande, les îles de l’Océan Indien et l’acuité des observations de ce naturaliste insa-
l’Afrique. À son retour, il s’entoure d’une équipe tiable, l’originalité de ses théories et la richesse de
de brillants naturalistes pour classer et étudier les son style écrit. Présent dans l’histoire des sciences
collections qu’il a rapportées de son long périple. comme le scientifique le plus important du
Rapidement, il est reconnu comme un éminent XIXe siècle, son influence reste encore détermi-
naturaliste et côtoie les plus grands savants de nante aujourd’hui, particulièrement en écologie
l’époque victorienne. Tout en coordonnant le comportementale.
Encart 1.3
Lorenz et Tinbergen, pères fondateurs de l’éthologie
Konrad Lorenz. Autrichien de naissance, Konrad Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont L’Agres-
Lorenz développe dès son plus jeune âge un sion (1969), Essais sur le Comportement animal et
grand intérêt pour l’observation du vivant, et se humain (1970), Évolution et Modification du
destine à étudier la zoologie et la paléontologie. Comportement (1970), L’Envers du Miroir, une
Cependant, à la fin de ses études secondaires, Histoire naturelle de la Connaissance (1975).
obéissant à son père, il doit se résigner à suivre Niko Tinbergen. Passionné de nature, Niko Tin-
une formation universitaire en médecine. C’est bergen commence à s’intéresser à l’étude du com-
pendant ces années d’étude, marquées par un portement animal dans la Hollande du début du
engouement certain pour l’anatomie comparée et XXe siècle, sous l’influence des écrits de Fabre et des
l’embryologie, qu’il apprendra à formuler un travaux de Von Frisch. Après une thèse sur le com-
raisonnement scientifique rigoureux et qu’il se portement des guêpes fouisseuses, il débute sa car-
convaincra de l’importance de l’approche com- rière académique à l’université de Leyde où il
parative. Naturaliste amateur au départ, Lorenz développe l’enseignement de l’anatomie comparée
reste passionné par l’étude du comportement des et de l’éthologie. En 1936, il a l’occasion de ren-
oiseaux, anatidés et corvidés en particulier. Sans contrer Konrad Lorenz. C’est le début d’une lon-
abandonner ses études de médecine, il se forme à gue amitié entre les deux hommes dont la
l’éthologie sous l’influence de Heinroth, puis de complémentarité (Lorenz plus théoricien, Tinber-
Craig et de Whitman. Il obtient son premier gen plus expérimentaliste) sera déterminante pour
poste en 1937, et commence à développer ses le développement de l’éthologie. Après la Seconde
conceptions sur l’instinct et l’imprégnation. À Guerre mondiale, Tinbergen établit de nombreux
partir de 1951, devant le succès rencontré par ses contacts avec des chercheurs aux États-Unis et en
théories, la Max Planck Gesellschaft lui attribue Angleterre où il s’expatrie dans les années 1950.
des moyens conséquents pour développer un ins- Dans son sillage, la recherche en éthologie devient
titut de recherche en éthologie qui est basé à prépondérante au département de zoologie de
Seewiesen. Il concentre alors ses recherches sur l’université d’Oxford. Vers la fin de sa carrière,
l’étude de l’agressivité et de ses mécanismes régu- il concentre sa recherche sur une approche étho-
lateurs. Vers la fin de sa vie, Lorenz s’intéresse à logique du problème de l’autisme chez l’enfant.
l’évolution de la culture et aux relations qu’entre- Il est notamment l’auteur de The Study of Instinct
tient l’homme moderne avec son environnement. (1951) et Social Behaviour in Animals (1953).
certaines hormones qui à leur tour induisent le com- Dès 1937, Lorenz et ses collègues lancent la première
portement de chant. Au niveau de l’ontogenèse, le revue spécialisée dans le domaine, Zeitschrift für
comportement est analysé dans une dimension his- Tierpsychologie (récemment rebaptisée Ethology). L’écla-
torique, principalement en relation avec l’expérience tement de la Seconde Guerre mondiale vient perturber
précoce. Les caractéristiques du chant d’un individu pour un temps le développement de l’éthologie
donné sont liées à certains événements survenus au européenne et freiner son influence aux États-Unis.
cours de son développement (plus ou moins grande Mais les liens tissés entre les éthologistes des deux
richesse de l’environnement sonore dans lequel côtés de l’Atlantique avant la guerre (Lorenz ayant
l’individu s’est développé par exemple). La valeur séjourné à l’université Columbia à New York en
adaptative du comportement est vue par les étholo- 1922 et Tinbergen ayant visité différentes institu-
gistes comme son utilité courante dans l’environne- tions américaines en 1938) se resserrent vite à la fin
ment naturel de l’animal. Cette utilité est définie du conflit (Dewsburry 1989). En 1948, Tinbergen
d’après les conséquences du comportement pour fonde avec un de ses élèves hollandais, Gerard Pieter
l’individu et son environnement. L’oiseau chante pour Baerends (1916-1999) et l’éthologiste anglais
défendre son territoire ou pour attirer un partenaire William Homan Thorpe (1902-1986) la revue Beha-
reproducteur. Ce niveau de causalité introduit un viour, au comité éditorial de laquelle participent des
finalisme apparent dans l’interprétation du compor- chercheurs américains. En 1953, le bulletin publié
tement. (cf. chapitre 3). Enfin, la question de l’évo- par l’ASAB augmente de volume et devient le British
lution du comportement s’inscrit dans une autre Journal of Animal Behaviour. En 1958, la revue renom-
dimension historique, celle de l’histoire évolutive mée Animal Behaviour est publiée conjointement
des espèces. L’oiseau chante parce qu’il appartient à par l’ASAB et l’Animal Behavior and Sociobiology
une espèce chez les ancêtres de laquelle le comporte- Section of the Ecological Society of America.
ment de chant est apparu puis s’est maintenu au cours Les échanges entre éthologistes de différentes ori-
de l’évolution. Au cours du temps, sous l’influence gines, géographiques et disciplinaires, s’accentuent
de certains auteurs (Dewsburry 1999), ces quatre encore dans les années 1950 avec l’organisation de
niveaux d’analyse, souvent appelés «les quatre ques- colloques internationaux. Dès l’été 1949, un impor-
tions de Tinbergen», ont été fondus en deux niveaux: tant colloque est organisé à Cambridge à l’initiative
celui des causes dites «proximales» (causalité physio- conjointe de l’ISAB et de la Society for Experimental
logique et ontogenèse) et celui des causes dites Biology. Coordonné par Tinbergen et Thorpe, il réunit
«ultimes» (valeur adaptative et évolution). les principaux chercheurs européens et américains et
Le développement de l’éthologie en tant que dis- permet de rétablir les liens coupés durant la guerre.
cipline institutionnelle débute dans les années 1930 Le programme, initialement consacré à l’étude des
avec la constitution des premières sociétés savantes mécanismes physiologiques du comportement, permet
(Durant 1986). La Deutsche Gesellschaft für Tierpsycho- d’aborder les questions majeures de l’époque, notam-
logie voit le jour en Allemagne en 1936, suivie deux ment celles du contrôle central vs périphérique du
ans plus tard du Institute for the Study of Animal comportement (le comportement étant encore consi-
Behaviour (ISAB, devenu en 1949 Association for the déré comme le résultat observable d’une séquence
Study of Animal Behaviour, ASAB) au Royaume-Uni. temporelle de contractions musculaires, se pose le
réactions dans les milieux de la psychologie compa- 1.2.3 Controverses et déclin de l’éthologie
rative car ils remettaient en question la conception
béhavioriste de l’apprentissage limitée au condition- À un certain état de grâce de l’éthologie, succède à
nement classique de Pavlov et à l’apprentissage par partir de 1950 l’époque des controverses. Les posi-
essai-erreur de Thorndike. tions de Lorenz deviennent alors la cible de critiques
Encart 1.5
Edward O. Wilson, père de la sociobiologie
Né à Birmingham en Alabama en 1929, Edward Guinée. À la fois naturaliste, biologiste des popu-
O. Wilson est avant tout un spécialiste des insectes lations et théoricien, il a notamment contribué à
sociaux. Diplômé de l’université de Harvard en développer les fondements théoriques de la bio-
1955, il y obtient un poste de professeur de zoolo- géographie insulaire. Considéré comme le père
gie en 1964, puis y dirige le département d’ento- fondateur de la sociobiologie, il s’intéresse aussi à
mologie du Muséum de zoologie Comparée à la biologie de la conservation et la préservation de la
partir de 1973. Il est considéré comme l’un des biodiversité. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages,
plus éminents spécialistes des sociétés de fourmis, dont Biophilia (1984), Consilience: The Unity of
qu’il a étudiées au laboratoire et sur le terrain, Knowledge (1998), et a obtenu deux fois le pres-
notamment dans le Pacifique Sud et en Nouvelle- tigieux prix Pulitzer.
William D. Hamilton. Né au Caire en Égypte, dans la jungle congolaise où il était parti récolter
de parents néo-zélandais, Bill Hamilton a grandi des données destinées à éprouver ses théories sur
principalement en Angleterre. Il est considéré l’origine du virus du sida, que Hamilton devait
aujourd’hui comme une des principales figures contracter la malaria durant l’été 2000. Rapatrié
du darwinisme moderne. Son éducation joua un en Angleterre, il décédait six semaines plus tard à
rôle déterminant dans sa carrière. Très jeune, il l’âge de soixante-trois ans, laissant derrière lui une
fut encouragé par ses parents à développer ses œuvre scientifique considérable et incontourna-
talents de naturaliste. Sa mère lui fit visiter Dowe ble qui contient plusieurs des grands fondements
House, la résidence de Darwin, une expérience théoriques de l’écologie comportementale.
marquante pour le jeune Bill. Son père, ingé-
John Maynard Smith. Né en 1920, John May-
nieur, l’incita à s’intéresser aux mathématiques. À
nard Smith possède à l’origine une formation
quatorze ans, Hamilton obtint comme prix à
d’ingénieur qui l’amène à travailler pour la Royal
l’école un exemplaire de l’Origine des Espèces. La
Air Force pendant la Seconde Guerre mondiale.
lecture de l’ouvrage précipita son intérêt pour
Après la guerre, il s’oriente vers la biologie et suit
l’étude de l’évolution. Cette précocité explique
les enseignements du célèbre évolutionniste
sans doute le fait que deux de ses travaux les plus
J.B.S. Haldane. Il débute sa carrière à l’University
importants furent publiés alors qu’il n’avait pas
College à Londres, avant de rejoindre l’université
même obtenu sa thèse de doctorat. Il débuta
du Sussex à Brighton où il devient professeur.
ses études universitaires à l’université de Cam-
Excellent naturaliste, il est surtout connu pour
bridge, puis obtint (avec quelques difficultés liées
ses travaux en modélisation, notamment pour
à l’incompréhension de ses professeurs) son
l’application de la théorie des jeux à l’étude du
diplôme de thèse à l’University College à Londres.
comportement, à l’origine du concept de straté-
Il entama sa carrière académique à l’Imperial Col-
gie évolutivement stable (Chapitre 3). Ses autres
lege (dépendant de l’université de Londres), puis
contributions majeures concernent l’évolution
devint en 1977, professeur de biologie évolutive
de la reproduction sexuée et la biologie évolutive
à l’université du Michigan aux États-Unis, avant
de la drosophile. Il est l’auteur de plusieurs
de devenir membre de la Royal Society en 1980 et
ouvrages dont Models in Ecology (1974), The Evo-
Research Professor au département de zoologie
lution of Sex (1978), Evolution and the Theory of
de l’université d’Oxford à partir de 1984. Son
Games (1982) et Evolutionary Genetics (1989).
travail le plus important reste certainement la
résolution du problème de l’altruisme reproduc- Robert L. Trivers. Né en 1944, à Washington DC
teur à partir de la pondération des coûts et des aux États-Unis, cet évolutionniste, parfois consi-
bénéfices par le degré de proximité génétique déré comme iconoclaste, a d’abord entrepris des
liant les individus (Chapitres 2 et 13). Ses autres études universitaires en histoire, avant de s’inté-
travaux portent sur l’évolution des caractères resser à l’évolution. Ses recherches menées princi-
sexuels secondaires en relation avec la résistance palement à l’université de Californie à Santa Cruz
aux parasites, l’optimisation de la sex-ratio ou lui ont permis d’aborder différents problèmes liés
encore la sénescence. Théoricien et modélisateur, à l’évolution du comportement, tels que la récipro-
Hamilton était aussi un homme de terrain qui cité, l’investissement parental, le contrôle de la
appréciait les collectes entomologiques dans la sex-ratio ou encore la sélection de parentèle. Il est
forêt tropicale brésilienne. C’est sur le terrain, notamment l’auteur de Social Evolution (1985).
naturelle et de l’adaptation des organismes. Le com- sa propre duplication (à travers la survie et la repro-
portement est un trait phénotypique partiellement duction des individus) est positivement sélectionnée
déterminé par une base génétique. Toute informa- (Chapitre 2). Le comportement des individus (comme
tion génétique dont les manifestations phénotypi- leurs autres traits phénotypiques) peut donc être
ques (exprimées chez les individus) sont favorables à considéré sous l’angle d’une stratégie mise en place
Raisonnement hypothético-déductif
Raisonnement inductif
Formulation des questions (l’hypothèse, souvent générée par des
(l’hypothèse suit l’observation)
modèles, précède l’observation)
Réductif
Systèmes explicatifs Structural Adaptationniste
Adaptationniste
Faible Faible
Prise en compte de la génétique
(croisements hybrides) (modèles théoriques, outils moléculaires)
QUESTIONS
1. Selon vous, quelle a pu être l’influence des changements politiques et socio-économiques sur l’étude du
comportement animal?
2. Le philosophe Gaston Bachelard a affirmé que la science «avait l’âge de ses instruments de mesure». Cette
affirmation est-elle pertinente pour l’écologie comportementale?
3. Que peut-il subsister de l’approche vitaliste et de l’approche mécaniste au sein de l’écologie comportementale?
Concepts de base
en écologie comportementale
Depuis Jean-Baptiste Lamarck (1809), les preu- des ressemblances remarquables entre les organes
ves empiriques de l’évolution se sont avérées être présents dans des groupes considérés comme
diverses et variées. Voici un résumé de certains apparentés. Dans de telles comparaisons, on peut
arguments, chacun suggérant indépendamment retrouver par exemple la correspondance entre
des autres l’existence de l’évolution. tous les os de notre bras et ceux de l’aile d’un
1) Les fossiles montrent que les formes vivantes oiseau, de la patte avant d’un cheval, d’un lézard,
très anciennes diffèrent fortement des espèces con- d’une grenouille et la nageoire antérieure de cer-
temporaines. Quelquefois, il est même difficile de tains poissons. Ces correspondances suggèrent for-
retrouver des représentants actuels pour certains tement le fait que ces divers organes dérivent les
groupes fossiles ayant vécu il y a plusieurs dizaines uns des autres par un processus de lente transfor-
ou centaines de millions d’années. Cela est une mation. De plus, chez les serpents, ces organes ont
conséquence de deux principaux processus. Tout même perdu toute fonction et sont réduits à l’état
d’abord l’extinction: la plupart des organismes de vestiges sans fonction évidente, comme des res-
vivants ayant existé par le passé ont aujourd’hui tes devenus inutiles hérités de leurs ancêtres qua-
disparu. Ensuite la radiation, c’est-à-dire le fait drupèdes. Comment expliquer l’existence de telles
qu’il existe beaucoup plus de formes différentes structures vestigiales si ce n’est par l’évolution?
aujourd’hui qu’il n’y en a jamais eu auparavant. 5) La génétique moléculaire fait apparaître
2) Au cours du développement embryonnaire, aujourd’hui que derrière l’énorme diversité du
l’embryon passe par des stades qui se ressemblent vivant, se cache une intriguante unité. Cette dua-
fortement dans un même groupe zoologique. Par lité entre diversité extérieure et unité de structure
exemple, les embryons de tous les vertébrés passent et de fonctionnement se retrouve à différents
par des stades initiaux qui ressemblent aux formes niveaux. Les mêmes processus règlent le métabo-
adultes des groupes ancestraux. Ainsi, l’embryon lisme d’organismes aussi différents que des escar-
des mammifères (formes considérées comme déri- gots, des grenouilles et des bactéries. Le même
vées) passe par un stade précoce avec des vestiges de code génétique permet la transmission de l’infor-
fentes branchiales semblables à celles des poissons mation de génération en génération aussi bien
(formes considérées comme ancestrales). Chez les chez les plantes que chez les animaux. L’incroyable
espèces ancestrales, le développement s’arrête en diversité de forme et de couleur des oiseaux repose
fait à des stades qui chez les mammifères ne corres- sur un même schéma d’organisation interne chez
pondent qu’au début du développement. Cela est tous les représentants de ce groupe. Cette unité
un argument comme quoi les mammifères décou- devient facilement explicable si l’on admet que
lent historiquement des poissons, leur développe- toutes ces formes dérivent d’ancêtres communs
ment ayant gardé la trace de cette histoire passée, les plus ou moins anciens.
processus d’évolution ne pouvant que construire 6) Depuis des milliers d’années, l’homme a prati-
sur ce qui existe déjà. qué la sélection artificielle sur les espèces domes-
3) Des organes fonctionnellement complexes ne tiquées. Par ce simple processus de sélection
sont plus utilisés dans certains groupes, démon- artificielle des formes qui leur convenaient le mieux,
trant ainsi leur abandon au cours de l’évolution. l’homme a par exemple pu créer l’incroyable
Ainsi dans certains groupes de punaises, les diversité des races de chien. C’est là une preuve
femelles ont des organes copulatoires bien déve- flagrante de l’incroyable potentialité de diversifi-
loppés alors que les mâles les fécondent directe- cation du vivant à partir d’une souche commune.
ment à travers la paroi abdominale. De même, les Ce type de fait a été établi un nombre incalculable
serpents et les baleines ont toujours des vestiges de fois en laboratoire.
de membre postérieur et de ceinture pelvienne 7) La biogéographie nous apprend que les portions
alors que ces groupes n’ont plus les membres cor- de la croûte terrestre qui ont été isolées depuis
respondants, montrant ainsi que leurs ancêtres très longtemps tendent à avoir des formes vivantes
devaient être quadrupèdes. qui ressemblent aux formes anciennes fossiles
4) Les comparaisons anatomiques fines révèlent trouvées sur les continents voisins. Par exemple,
Encart 2.2
Comment mesurer de l’héritabilité?
Dans la pratique, il n’est pas facile d’éliminer taille peuvent aussi fournir plus de nourriture à
totalement la composante environnementale de leur descendance (par exemple parce qu’elles sont
la variance phénotypique. Il faut pour cela con- dominantes et accèdent donc mieux aux ressour-
trôler tous les facteurs de l’environnement sus- ces) conduisant la descendance à avoir une taille
ceptibles d’agir sur la variance phénotypique. moyenne plus grande, sans pour autant que cela
Une manière de résoudre ce problème est d’effec- n’implique une variance génétique. Une manière
tuer des expériences permettant de simuler une d’éviter ce problème est de faire des transferts
sélection et de voir dans quelle mesure cette sélec- réciproques en échangeant par moitié les descen-
tion se traduit par une variation du trait dans la dants entre deux familles. Cela permet de distin-
génération suivante. Supposons que nous étu- guer, au moins en partie, les effets maternels (le
dions un trait présentant une variation de taille fait d’être élevé dans la même famille) de ce qui
dans la population (figure 2.3 a, courbe conti- relève de la variance génétique (le fait d’être nés
nue). On peut simuler une sélection en faisant se des mêmes parents mais élevés par différents
reproduire entre eux les individus ayant par parents). Cependant, la ressemblance entre frères
exemple une grande taille pour le trait en ques- d’une même portée peut aussi être due à la domi-
tion (courbe pointillée, figure 2.3 a). La diffé- nance (VD) et aux interactions épistatiques (VI)
rence entre la valeur moyenne dans la population qui ont des chances d’être similaires entre frères
(Tm dans la Figure 2.3 a) et la valeur moyenne de et sœurs. La meilleure façon d’éviter ces problè-
l’échantillon choisi pour se reproduire (Ts dans la mes serait de travailler avec des demi-frères, qui
figure 2.3 a) représente la pression de sélection S partagent le même père mais des mères différen-
exercée au sein de notre expérience. On peut tes. La ressemblance entre demi-frères serait alors
ensuite élever la descendance dans des conditions
due à des gènes venant du père (voir Falco-
standard de façon à enlever autant que faire se
ner 1981 et Roff 1997 pour une discussion sur
peut les effets de l’environnement sur la variabi-
les méthodes d’estimation de l’héritabilité).
lité phénotypique. En mesurant la valeur
moyenne (TmF1) de ce trait dans la descendance Une autre complication peut survenir quand les
ainsi obtenue, la différence R = Tm – TmF1 repré- effets de l’environnement et du génotype ne sont
sente la réponse à la sélection que nous avons pas additifs, mais qu’au contraire il existe des
effectuée (figure 2.3 b). Le rapport (R/S) mesure interactions entre le phénotype et l’environne-
la proportion de la pression de sélection qui est ment. C’est le cas de la myopie chez l’homme.
transmise à la descendance, c’est-à-dire l’hérita- Depuis un siècle, dans un grand nombre de
bilité du trait en question. sociétés, les individus mâles atteints de myopie
Il existe cependant de nombreuses situations où conservent une bonne aptitude à survivre et se
de telles expériences contrôlées ne sont pas possi- reproduire car leur vue est corrigée par des lunet-
bles. On peut alors utiliser la ressemblance entre tes. Par ailleurs l’exemption des obligations mili-
les enfants et leurs parents. Cependant, de telles taires dont ont bénéficié au cours des derniers
mesures peuvent induire en erreur car cette res- grands conflits les individus fortement myopes a
semblance peut être due à des effets maternels, encore accru leur aptitude relativement aux
c’est-à-dire à des différences environnementales autres individus exposés aux dangers de la guerre.
non contrôlées car liées aux parents. C’est en par- Cette situation est propre au monde moderne.
ticulier le cas quand les parents participent à l’éle- Dans une société de chasseurs-cueilleurs, les
vage des jeunes: par exemple, les mères de grande myopes sont fortement désavantagés.
R
b) Variance phénotypique et norme de réaction
Effectifs
La décomposition de la variance phénotypique sup-
pose que les deux types d’effets, génétique et envi-
ronnemental, opèrent de manière additive. Pour
illustrer ce phénomène, considérons l’exemple fictif
Distribution présenté dans le tableau 1.1. Dans cette fiction, les
des descendants gammares français seraient plus grands que les gam-
b de la sélection
mares irlandais (Tableau 1.1 A), et les gammares
élevés à 18 °C seraient plus grands que ceux élevés à
10 °C. Ces deux effets (origine géographique et
température) s’exercent de manière additive, en ce
sens que l’effet de l’augmentation de la température
Tm TmF1 Ts
est le même dans les deux populations (11,9 unités
dans la population française et 12,1 dans la popula-
Valeur du trait
tion irlandaise) et la différence de taille entre les
Figure 2.3 Une expérience de sélection deux populations reste à peu près constante aux
pour mesurer l’héritabilité d’un caractère. deux températures (10,1 unités à 10 °C et 9,9 unités
à 18 °C). L’additivité signale que l’effet conjoint du
génotype et de l’environnement est égal à la somme
de chacun des effets pris séparément.
10 °C 18 °C
France 125,1 137,0
Irlande 115,0 127,1
(a) (c) 35
30
25 C →K
20
K→K
15
C
10
Vue Adulte
Âge
latérale
Rostre
Figure 2.5 Un exemple de plasticité phénotypique
chez les cladocères.
(a) Deux exemples extrêmes de taille du rostre chez
la Daphnie (Daphnia cucullata). (b) Tableau expéri-
mental définissant les quatre traitements en fonction
de la présence de kairomone (K) de prédateur dans
le milieu de vie de la mère et de ses descendants.
(c) Taille du rostre relativement à la taille du corps
(moyenne ± erreur type) des individus des quatre
traitements (C, K, C Æ K et K Æ C) en fonction de
l’âge. Les lignes entre les nouveau-nés et les adultes
indiquent l’accroissement relatif de la taille du rostre
lors du développement pour les individus de chaque
traitement. Quand les barres d’erreur manquent
c’est qu’elles étaient plus petites que la taille des
Vue symboles. Notez que tous ces individus ont le même
ventrale génotype dans la mesure où ils résultent d’une
reproduction asexuée. D’après Agrawal et al. 1999.
(b)
Plan d’expérience croisé Milieu expérimenté par la mère
Milieu expérimenté
Sans kairomone C KÆC
par la descendance
La sélection peut intervenir selon différents modes. réalisant la valeur moyenne du caractère est celui
Pour simplifier, nous retiendrons ici deux modes qui possède la plus forte aptitude. Les génotypes
essentiels: la sélection stabilisante et la sélection responsables des autres valeurs prises par le caractère
directionnelle (il existe un troisième mode qui ont une moindre aptitude et d’autant plus que
correspond à la sélection diversifiante et qui résulte l’on s’éloigne de la moyenne. Le résultat d’un tel
en une bimodalité de la distribution du caractère mode de sélection est un resserrement de la distri-
en avantageant symétriquement les valeurs extrê- bution autour de la moyenne qui reste inchangée
mes du caractère). Considérons un trait à varia- entre deux générations. Seule la variance tend à
tion continue qui possède dans une population diminuer. En sélection directionnelle (Figure 2.6),
une distribution normale de variance égale à la les génotypes qui sous-tendent les phénotypes
moyenne (il s’agit du type de distribution généra- à un des deux extrêmes de la distribution sont
lement rencontrée pour les caractères morpholo- favorisés. La moyenne va donc changer dans cette
giques: taille, poids, nombre de segments, etc.). direction entre deux générations, et la variance
En sélection stabilisante (Figure 2.6), le génotype peut éventuellement diminuer.
Phénotype Phénotype
Encart 2.4
La sélection de groupe: mirage ou réalité?
Au début des années 1960, bon nombre d’étholo- duction dès l’atteinte de la maturité sexuelle,
gistes considéraient que certains traits phénotypi- mais diffèrent l’événement sans bénéfice apparent.
ques diminuant la survie et la reproduction des Lorsque l’espèce est fortement structurée socia-
individus pouvaient cependant être sélectionnés lement, il est fréquent que les individus subor-
s’ils augmentaient par ailleurs la stabilité et la sur- donnés ne se reproduisent pas. Dans certains cas
vie à long terme du groupe ou de l’espèce. La sélec- même, des infanticides sont observés. Selon
tion pouvait donc s’exercer au niveau du groupe. Wynne-Edwards, ces phénomènes attestaient de
Cette position fut en particulier défendue par l’existence d’une autorégulation des populations
l’écologue écossais Wynne-Edwards (1962 et à travers le comportement individuel. Cette
1986) dans un ouvrage intitulé Animal Dispersion conception fut sévèrement battue en brèche par
in Relation to Social Behaviour. En absence de toute Williams (1966) dans son ouvrage Adaptation
régulation, le taux d’accroissement d’une popula- and Natural Selection. L’évolutionniste américain
tion est exponentiel. Les capacités d’expansion y considère le cas d’une population où chacun est
d’une population sont cependant limitées par la génétiquement prédisposé à restreindre sa propre
capacité d’accueil du milieu (dénommée capacité capacité reproductrice. Survient un individu
limite). Selon Wynne-Edwards, les animaux ten- génétiquement moins enclin à sacrifier sa propre
daient naturellement à éviter de surexploiter leur reproduction. Un tel individu laissera forcément
habitat, particulièrement pour ce qui concerne les plus de descendants que les autres individus
ressources alimentaires. Ce phénomène était censé dans la population et son comportement «hors
dépendre d’un comportement altruiste par lequel norme» se répandra au cours des générations
certains individus, en freinant ou sacrifiant leur successives jusqu’à être le seul présent dans toute
propre reproduction, permettaient d’éviter un sur- la population. Ainsi donc, la sélection au niveau
peuplement fatal. Wynne-Edwards proposait aussi du groupe ne peut contrer la sélection au niveau
que le comportement social des espèces permettait des individus lorsque leurs deux directions
aux individus d’évaluer leur nombre et de modifier s’opposent. Les exemples de diminution du
en conséquence leur reproduction selon leur per- potentiel reproductif des individus interprétés
ception de la disponibilité des ressources. À l’appui par Wynne-Edwards comme les manifestations
de sa théorie, l’auteur citait de nombreux exemples d’un phénomène d’auto-restriction des individus
suggérant que les animaux ne réalisent pas tou- sont en fait le résultat de contraintes sociales à
jours leur potentiel reproducteur, voire le régulent la base de la compétition interindividuelle. La
activement. Par exemple, chez certaines espèces, conception défendue par Williams prédomine
les individus ne s’engagent pas dans la repro- aujourd’hui.
b) La règle d’Hamilton
2.3 LA TRANSMISSION
La formulation proposée par Hamilton (1964a et b)
simplifie les calculs permettant d’établir les conditions
CULTURELLE
de diffusion de certains allèles au sein des populations. DES COMPORTEMENTS:
Considérons un comportement social. Celui-ci relie AU-DELÀ DES GÈNES?
deux individus, l’agent (qui manifeste le comporte-
ment social) et le récipiendaire (vers qui l’acte social
est dirigé). La règle d’Hamilton comporte trois ter- Les comportements complexes ont des composantes
mes: c, le degré de modification de l’aptitude phé- fixées, qui nécessitent pour leur plein développement
notypique de l’agent (assimilé à un coût); b, le degré peu ou pas d’apprentissage, et des composantes apprises
de modification de l’aptitude phénotypique du réci- au cours du développement. La plasticité des traits
piendaire (assimilé à un bénéfice); et r, le degré de comportementaux est donc renforcée par les capacités
similarité génétique entre l’agent et le récipiendaire. d’apprentissage qui permettent une modification du
Ce degré de similarité génétique est défini mathé- comportement en fonction de l’expérience. En pra-
tique, il n’est pas forcément aisé de distinguer au
matiquement comme un coefficient de régression
sein d’un comportement ce qui relève d’une compo-
(voir Bourke et Franks 1995, pp. 14-17 pour un
sante fixée de ce qui relève de l’apprentissage. Cela tient
exposé détaillé sur la définition mathématique du
en partie à la définition même de ce que nous appelons
degré de similarité génétique). La règle d’Hamilton
«comportement» (voir le paragraphe 2.1.1), mais
s’exprime par la formule:
aussi à la difficulté à établir une correspondance simple
br – c > 0 entre gènes et comportement (voir le chapitre 3).
Cette règle n’est valide que sous certaines condi- En tant que traits codés génétiquement, les capa-
tions. Il faut en particulier vérifier l’additivité des cités d’apprentissage, et d’une manière générale le
coûts et des bénéfices. Un individu qui est aidé x fois et mode de développement du comportement (Chapi-
qui aide y fois devrait au total connaître une modifi- tre 4), sont aussi des traits soumis au processus de
cation de xb – yc de son nombre de descendants. sélection naturelle. Selon les circonstances écologiques
QUESTIONS
Stratégies de recherche
en écologie comportementale
Il convient maintenant de voir en quoi l’écologie celle de la structuration des populations, et celle de
comportementale se différencie des autres disciplines la différenciation des espèces. La manière d’envisager
axées sur l’étude du comportement, non seulement le lien entre comportement et adaptation au milieu
par son cadre théorique, mais aussi par sa méthodo- se doit donc d’être large et regroupe en fait différentes
logie. Historiquement, l’éthologie a marqué un progrès voies d’investigation qui correspondent à l’étude des
par rapport à la démarche inductive, chère aux pre- différences entre ces diverses entités: individus,
miers disciples de Darwin et basée sur la généralisation populations, espèces (Krebs et Davies 1984). L’objet
d’anecdotes (cf. chapitre 1). Cette démarche souf- de ce troisième chapitre est de présenter ces différentes
frait d’un grand nombre de limites: elle interdisait approches, auxquelles les chapitres suivants font régu-
toute approche statistique, faisait fi de la notion fonda- lièrement référence. Il s’ouvre sur une introduction
mentale d’échantillonnage, et laissait une trop grande générale à l’application de la démarche hypothético-
part à la subjectivité de l’observateur. C’est un des déductive en écologie comportementale. Nous pré-
grands apports de l’école objectiviste que d’avoir sentons ensuite successivement les trois grandes
ancré l’étude du comportement dans une démarche approches de l’écologie comportementale: l’approche
hypothético-déductive qui consiste à émettre des phénotypique, l’approche génétique et l’approche
hypothèses et à construire à la suite une stratégie comparative, avant de conclure à leur nécessaire
de recherche dont l’objectif ultime n’est pas en fait complémentarité.
de confirmer l’hypothèse mais, bien au contraire, de
mettre en défaut son pouvoir prédictif. On peut
ainsi résumer cette démarche comme une tentative de 3.1 THÉORIES, PRINCIPES,
réfuter ou d’invalider une hypothèse. De l’éthologie,
l’écologie comportementale conserve le recours à
MODÈLES ET EXPÉRIENCES
cette démarche. Ce qui va distinguer les deux disci-
plines, c’est essentiellement le mode de formulation La distinction entre sciences dites «dures» et sciences
des hypothèses. L’écologie comportementale se place dites «molles» tient généralement à leur but déclaré.
explicitement dans un cadre adaptationniste, c’est-à- Dans le premier cas, l’objectif est de définir des lois
dire qu’elle recherche la signification évolutive des générales. Dans le second cas, il s’agit de révéler des
comportements en relation avec l’adaptation des orga- séquences particulières au sein de processus histori-
nismes à leur milieu. Un comportement observé est ques. De ce point de vue, l’écologie comportementale
interprété en relation avec sa contribution à l’aug- se situe à cheval sur ces deux catégories. D’une part,
mentation de l’aptitude phénotypique de l’orga- elle tente de mettre en évidence un certain nombre
nisme qui le manifeste, sans forcément préjuger du d’invariants qui sous-tendent l’adaptation des orga-
mode de transmission de ce comportement à travers nismes à leur environnement à travers leur compor-
les générations (Avital et Jablonka 2000). Tout compor- tement. Ces invariants se traduisent le plus souvent
tement observé est aussi entendu comme le résultat d’un par des modèles logiques, plus ou moins formalisés
processus historique qui se déroule à différentes échel- du point de vue mathématique. Ils peuvent servir à
les temporelles, celle de l’ontogenèse des individus, définir des modes possibles d’évolution des caractères
8
Période d'appariement (jours)
6
Figure 3.1 Longueur
5
des filets de la queue
4 et durée de la période
d’appariement des mâles
3 d’hirondelle rustique
(Hirundo rustica) .
2
0
90-100 mm 101-104 mm 105-120 mm
Groupe de mâles de longueur de filet similaire
Les mâles ont été capturés et marqués au moment de leur arrivée sur les lieux de reproduction. Ils ont ensuite été
observés jusqu’au moment où ils sont clairement appariés avec une femelle, c’est-à-dire le jour où une femelle arrive
dans le territoire du mâle et reste pour se reproduire avec lui. La période d’appariement est la durée s’écoulant entre
l’arrivée du mâle et le jour de l’appariement. La corrélation est significative (P < 0,05, r2 = 0,08. Données extraites
de Møller 1990).
25
N=9
20
d’appariement (en jours)
Durée de la période
0
Raccourcis Contrôles 1 Contrôles 2 Allongés
Moyenne 85 mm Moyenne 106 mm Moyenne 106 mm Moyenne 127 mm
Manipulation de la queue
Durée de la période d’appariement (en jours entre la date d’arrivée de migration et la date d’appariement constaté)
pour les mâles d’hirondelle rustique en fonction du traitement subit concernant la longueur des filets de la queue.
Les traitements étaient: Raccourcis: mâles dont les filets de la queue ont été raccourcis de 2cm; Contrôle 1 : mâles
dont les filets ont été coupés puis recollés à la même place; Contrôle 2 : mâles dont les filets n’ont pas été manipulés;
Allongés: mâles dont les filets ont été allongés de 2 cm.
Deux mâles du groupe Raccourci ne s’étant jamais appariés ont été exclus (d’où la taille de l’échantillon de 9 au lieu
de 11). Les valeurs sont les moyennes (histogrammes) ± écart type (ligne verticale). La qualité de l’échantillonnage a
été vérifiée en testant qu’il n’existait pas de différence significative dans la longueur des filets naturelle avant mani-
pulation des individus des différents traitements (P > 0,10, analyse de variance à un facteur). L’efficacité de la mani-
pulation de la longueur des filets a été testée en vérifiant que la longueur des filets après manipulation différait
significativement entre les divers traitements (P < 0,001). La longueur de la période d’appariement variait entre les
groupes (P < 0,01, analyse de covariance avec la longueur des filets avant manipulation comme covariable). Tous les
groupes différaient entre eux dans des comparaisons deux à deux (P < 0,05 dans chaque cas, tests U de Mann-Whutney)
à l’exception des deux contrôles (P > 0,10; d’après Møller 1988b).
Dans les zones continentales où l’hiver est rude, delà de la nuit. Un oiseau qui dispose de 7 unités
les températures nocturnes peuvent être extrême- d’énergie en réserve ou moins est condamné à
ment basses. La survie de certaines espèces comme mourir.
de petits passereaux, incapables de s’alimenter La colonne «17 heures» du tableau 3.1 donne les
durant la nuit, va alors dépendre des réserves probabilités de survie nocturne d’un oiseau en fonc-
énergétiques dont ils disposent à la fin de la jour- tion du niveau de ses réserves énergétiques selon
née. Alexander (1996) considère cette situation qu’il se nourrit en S ou en V. Les options permet-
pour illustrer l’application de la programmation tant de maximiser la survie sont notées en gras.
dynamique à un cas concret. Imaginons un pas-
sereau qui pour survivre la nuit doit disposer d’au Remontons maintenant en arrière, et considérons
moins 10 unités d’énergie à 18 heures, heure à ce qui se passe à 16 heures. Un oiseau disposant
laquelle il commence à faire trop sombre pour de 9 unités d’énergie qui se nourrit en S aura déjà
pouvoir se nourrir. L’oiseau a le choix entre deux atteint 10 unités à 17 heures et assurera donc sa
zones pour s’alimenter. Dans la zone S, la dispo- survie. S’il se nourrit en V, il obtiendra deux uni-
nibilité en ressources alimentaires est stable et il tés d’énergie supplémentaires et survivra, ou bien
est tout à fait possible de prédire le gain de n’obtiendra rien. Il abordera alors la dernière
l’oiseau: il augmentera ses réserves en énergie heure fatidique avec 9 unités d’énergie en réserves
d’une unité pour chaque heure passée dans la et pourra encore assurer sa survie en se déplaçant
zone. La zone V, quant à elle, est particulièrement sur la zone S. Un oiseau qui ne dispose que de
variable et on ne peut prédire de manière certaine 8 unités à 16 heures peut se nourrir en S pour les
le gain de l’oiseau: à n’importe quelle heure de la deux prochaines heures, auquel cas il obtiendra
journée, il a 50% de chances de gagner deux uni- deux unités supplémentaires dans les 2 prochaines
tés d’énergie et 50% de chances de ne rien obte- heures et survivra. Il peut aussi se nourrir en V
nir. Le taux moyen dans les deux zones est donc jusqu’à 17 heures et disposera alors soit de 10 unités
équivalent, mais la variance du gain est plus et sa survie sera assurée, ou n’aura toujours que
importante dans la zone V (une discussion plus 8 unités. Dans le second cas, la meilleure option
élaborée des problèmes de variance dans les gains est notée dans la colonne 17 heures: demeurer
espérés est proposée au chapitre 5). en V avec 50% de chances de survie. La probabi-
Un oiseau qui dispose de 9 unités d’énergie en lité moyenne de survie est donc de 0,75 si l’oiseau
réserve à 17 heures (alors qu’il ne reste qu’une choisit l’option V à 16 heures et fait ensuite le
heure pour se nourrir) atteindra sans coup férir le meilleur choix à 17 heures.
niveau requis de 10 unités à 18 heures s’il opte L’exemple présenté ici est très simple mais a le
pour la parcelle S. En revanche, un oiseau qui ne mérite de bien illustrer les deux aspects d’une
disposerait que de 8 unités au même moment de situation où l’emploi de la programmation dyna-
la journée devrait préférer l’option V qui lui mique est justifié: la stratégie optimale est condi-
donne 50% de chances de survie, alors que choi- tionnelle à l’état de l’animal qui change au cours
sir l’option S ne lui permet pas d’atteindre le du temps en conséquence directe de l’option
niveau de réserves nécessaire pour survivre au- retenue à chaque pas de temps. Tableau 3.1, p. suivante
mentale donnée sans tenir compte de la fréquence libre choix du côté de la rue, la meilleure stratégie
de toutes les stratégies présentes dans la population. serait de choisir le côté choisi par la majorité des
Prenons par exemple la décision de conduire une autres conducteurs. La meilleure stratégie dans ce cas
automobile sur le côté droit ou gauche. On peut se dépend de la fréquence des stratégies dans la popula-
demander lequel des côtés est le meilleur et quelques tion. Le côté majoritaire est meilleur car il minimise
esprits chauvins prétendront que le côté adopté par la probabilité que vous soyez victime d’une collision
leur pays est de loin supérieur à l’autre. Cependant frontale. Il existe alors deux solutions possibles à ce
la réponse n’est pas simple. Si vous aviez vraiment le jeu des côtés de la rue, soit tout le monde conduit à
10 S 1 1 1 1
V 1 1 1 1
9 S 1 1 1 1
V 1 1 1 0,5
8 S 1 1 1 0
V 1 1 0,75 0,5
7 S 1 1 0,5 0
V 1 0,75 0,5 0
6 S 1 0,5 0 0
V 0,81 0,63 0,25 0
5 S 0,63 0,25 0 0
V 0,63 0,25 0 0
4 S 0,25 0 0 0
V 0,38 0,13 0 0
gauche, ou tout le monde conduit à droite. Aucun Maynard Smith adapta l’approche au comporte-
mélange de ces stratégies n’est profitable, seule les ment animal en montrant qu’il existe une particula-
stratégies pures sont possibles et les deux sont égale- rité à la recherche de stratégies gagnantes dans un
ment valables. Le fait que l’une ou l’autre de ces contexte évolutif. Il a développé les bases de ce qu’il
deux solutions ait été retenue résulte uniquement de est maintenant convenu d’appeler la théorie évolutive
contingences historiques. des jeux.
Le problème peut se résumer à un jeu où deux
stratégies s’affrontent, côté droit versus côté gauche. a) La solution aux jeux évolutifs:
L’analyse du problème consiste à trouver la stratégie la stratégie évolutivement stable
gagnante qui, dans ce cas, consiste à jouer la même
stratégie que l’opposant car le contraire serait néfaste. Il existe plusieurs critères pour la sélection de la
Techniquement nous venons de faire là une incursion meilleure stratégie dans un jeu purement économique
dans le monde de la théorie des jeux, un domaine ou militaire. On peut, par exemple établir a priori
issu des mathématiques et des sciences économiques que la stratégie gagnante sera celle qui, lorsqu’elle est
développé à l’origine pour des jeux coopératifs par adoptée par tous les joueurs, maximise le bénéfice de
Morgenstern et von Neumann, puis pour des jeux l’ensemble des joueurs. Mais dans le monde biologi-
égoïstes par Nash dont l’objectif est d’isoler pour des que, c’est la sélection naturelle qui fait le tri entre les
jeux définis, souvent militaires ou économiques, les différentes stratégies, favorisant celle qui procurera
stratégies gagnantes. C’est grâce à la perspicacité de au joueur qui s’en sert le plus grand avantage. Dans
John Maynard Smith que l’écologie comportemen- cet ouvrage, nous verrons de nombreux exemples
tale a pu s’approprier cette technique mathématique montrant que la meilleure stratégie n’est pas néces-
pour l’analyse d’un grand nombre de décisions, sairement celle qui procure le plus grand bénéfice à
notamment dans le champ du comportement social. la population, mais celle qui, une fois adoptée par la
108
107
Masse du cerveau (en mg)
106
103
102
10 102 103 104 105 106 107 108
Masse corporelle (en g)
La ligne de régression est celle calculée pour l’ensemble des mammifères. Les pointillés délimitent la zone où se
situent la très grande majorité des espèces de mammifères. Seules les espèces dont les points sortent de ce nuage
sont visualisées. La flèche indique la position de l’espèce humaine qui présente le plus gros cerveau relativement à la
taille corporelle. Le point situé immédiatement à côté est celui d’un dauphin qui présente donc une taille relative du
cerveau semblable à celle de notre espèce. Enfin, il apparaît clairement, qu’une fois prise en compte la taille corporelle,
les baleines ont la plus petite taille relative du cerveau parmi tous les mammifères. (Figure extraite de Cockburn 1991).
Les phylogénies permettent de décrire les relations en séquençant et comparant certaines parties du
de parenté supposées exister entre les espèces, en génome entre espèces. Lorsqu’une contradiction
les retraçant au sein d’un arbre phylogénétique entre les phylogénies moléculaires et celles basées
(assimilable grossièrement à un arbre généalogi- sur des caractères phénotypiques est constatée,
que). Cet arbre illustre depuis une espèce ances- il est recommandé de se fier à l’information
trale les diverses ramifications qui ont abouti aux moléculaire. En effet, l’existence de similarités
espèces reconnues actuellement. Lorsqu’elle est entre espèces dans les caractères phénotypiques
spécifiée, la longueur des branches de l’arbre qui peut être due à des phénomènes de convergence
relient les espèces entre elles deux à deux (dans le évolutive et ne fournit alors pas d’information
cas où la phylogénie est complètement résolue) fiable sur les relations de parenté entre espèces
retrace le temps écoulé depuis leur divergence. (McCracken et Sheldon 1998).
Dans le passé, différents caractères (principale-
ment morphologiques, mais aussi physiologiques Il est crucial de garder à l’esprit que les arbres phylo-
ou comportementaux) ont été utilisés pour éta- génétiques ne constituent, pour l’analyse compara-
blir des phylogénies sur la base des ressemblances tive, que des présupposés de travail générés à partir
entre les espèces. Mais, lorsqu’elles sont disponi- d’un ensemble limité de données. En conséquence,
bles, les phylogénies basées sur l’information la fiabilité des résultats obtenus à partir d’une
moléculaire sont généralement préférables à toutes analyse comparative peut être étroitement liée à
autres (Sibley et Ahlquist 1987, Bledsoe et Raikow l’exactitude de la phylogénie utilisée. Celle-ci
1990; voir cependant Hillis 1987, Hillis et al. dépend notamment de la quantité d’information
1994). Elles peuvent être établies à partir des utilisée pour construire les relations de généalogie
techniques d’hybridation ADN-ADN ou, mieux, entre espèces (Huelsenbeck et al. 1996).
compte l’effet de la dépendance phylogénétique d’espèces de parasites (Gregory et al. 1996), car elles
entre les espèces (Figure 3.7). Dans le cas de l’erreur sont censées offrir une plus grande diversité de niches
de type 1, le fait de ne pas prendre en compte la et mieux supporter une plus grande charge parasitaire.
phylogénie amènera à rejeter l’hypothèse nulle Cependant, le taux d’infestation des individus dépend
d’absence de relation entre les deux variables étu- aussi largement du nombre d’hôtes disponibles pour
diées, alors que dans les faits, il n’existe pas de rela- la colonisation, si bien que la densité en hôtes peut
tion. Dans le cas de l’erreur de type 2, l’hypothèse aussi être un facteur déterminant de la richesse spéci-
nulle est acceptée alors qu’elle devrait être rejetée. fique en parasites (Bell et Burt 1991, Côté et Poulin
Il reste possible que dans certains cas les variables 1995). Les résultats obtenus par Morand et Poulin
étudiées soient peu influencées par la phylogénie. (1998) sont très démonstratifs (Figure 3.8). La simple
Alors, la comparaison directe entre espèces et l’utili- comparaison entre espèces amenait à conclure que la
sation d’une méthode comparative prenant en compte richesse spécifique en parasites était positivement
l’information phylogénétique donnent généralement corrélée à la taille de l’hôte et négativement corrélée
les mêmes résultats. Mais plusieurs travaux ont permis à la densité d’hôtes. À l’inverse, l’emploi d’une
de montrer que dans le cas où l’inertie phylogénétique méthode comparative enlevant l’effet confondant de
influence fortement l’état des variables étudiées, les la phylogénie démontrait l’absence de relation entre
deux méthodes peuvent fournir des résultats très dif- richesse spécifique en parasites et taille de l’hôte, et
férents, voire complètement opposés. Ainsi, Serge mettait en évidence une relation, positive cette fois,
Morand et Robert Poulin (1998) ont étudié la rela- entre richesse spécifique en parasites et densité en
tion entre la richesse spécifique en parasites helmin- hôtes (Figure 3.8). Cet exemple montre bien l’impor-
thes (cestodes, digènes et trématodes), et la taille et tance de la prise en compte des relations phylogéné-
la densité des hôtes chez 79 espèces de mammifères tiques entre les espèces étudiées si l’on veut extraire
terrestres. Les espèces hôtes de plus grande taille étaient de la comparaison des espèces des informations sur
a priori supposées héberger un plus grand nombre les processus d’adaptation.
–0,5
–1
–1,5
–2
–2,5
–10 –8 –6 –4 –2 0 2 4 6
Densité de l’hôte (log du nombre d’hôte par hectare)
corrigé par la taille de l'échantillon d’hôte
Contrastes indépendants dans la richesse spécifique des parasites
0,8
b
(en log) corrigé par la taille de l'échantillon d'hôte
0,6
0,4
0,2
–0,2
–0,4
–0,6
–0,25 0 0,25 0,5 0,75 1 1,25 1,5 1,75
Contrastes indépendants dans la densité des hôtes
(log du nombre d'hôte par hectare) corrigé par la taille de l'échantillon d'hôte
(a) (b)
Une espèce AC
ancestrale commune
C3
Deux espèces
ancestrales AR1 AR2
récentes X = 158,5 X = 173
Y = 13 Y = 22
C1 C2
c
Espèces actuelles A B C D 10
Variable X : 157 160 133 213
8 C3
Variable Y : 11 15 9 35
Contrastes sur Y
C2
6
4 C1
0
0 5 10 15 20
Contrastes sur X
Marines
Terrestres
Marines
Eau douce
Marines
Les branches en noir correspondent aux parties de l’arbre où les espèces sont reconstruites comme ayant eu une
reproduction coloniale. Les parties en blanc correspondent aux portions de l’arbre où les espèces sont reconstruites
comme ayant eu une reproduction solitaire. Les parties en pointillé correspondent aux situations où la reconstruc-
tion du mode de reproduction est ambiguë. Les quatre flèches indiquent les quatre branches où une transition
depuis le milieu non marin vers le milieu marin s’est probablement produite. Il apparaît clairement que ces quatre
transitions se sont toutes produites alors que les espèces étaient déjà coloniales. La précédence de la colonialité sur
le passage au milieu marin est significative (c2 = 7,0; P < 0,01).
Figure utilisant une partie de l’arbre phylogénétique étudié par Rolland et al. (1998).
D’autre part, il convient de noter qu’en dépit des posée par Mark Pagel (1994, 1997) représente une
récentes avancées méthodologiques, l’approche com- avancée importante pour faciliter cette interprétation
parative reste essentiellement corrélationnelle, avec causale dans la mesure où elle permet de travailler
tout ce que cela implique comme difficulté pour sur l’éventuelle chronologie des événements s’étant
l’interprétation causale des relations mises en évidence. produit le long de l’arbre phylogénétique. Le fait
Cependant, nous avons vu en quoi la méthode pro- qu’un changement dans l’état d’un trait se soit produit
Maintenant que nous avons présenté l’histoire, les La capacité de croissance et de reproduction d’un
concepts et les méthodes de l’écologie comporte- individu dépend grandement de ses capacités à se
mentale, nous pouvons passer à la présentation trouver au bon endroit au bon moment compte tenu
des grands domaines de cette branche des sciences de la dynamique spatio-temporelle de l’environne-
de l’évolution. Pour ceci, nous suivrons un plan ment. Nous aborderons donc ensuite en trois chapitres
basé sur l’enchaînement des grandes étapes de la la question du choix du lieu d’alimentation (chapitres 5
vie d’un individu. Cette vie commence par une et 6), et du choix du lieu de reproduction (chapitre 7).
longue phase de développement dont nous ver- Le chapitre 8 présente, lui, la question de l’évolution
rons qu’elle a des implications sur l’ensemble de de la dispersion qui, au moins chez les animaux, est
la vie de l’individu. Ce sera donc le sujet du pro- un comportement fortement lié aux processus de choix
chain chapitre. de l’habitat de reproduction.
Chapitre 4
Développement du phénotype :
l’approche physiologie évolutive
Termes Signification
précoce (Guillette et al. 1996), ou des restrictions Nombre de ces effets environnementaux sont le
alimentaires qui peuvent affecter les caractéristiques produit d’effets maternels. Cela a été en particulier
physiques et/ou les processus physiologiques (e.g. démontré chez les mammifères, chez lesquels il y a
Woodall et al. 1996). Les changements saisonniers toutes les opportunités pour une communication
de la photopériode constituent aussi des indices prévi- transplacentaire entre la mère et l’enfant, et pour des
sibles affectant le phénotype en fonction des activités interactions entre descendants in utero (Plagemann
dans lesquelles les animaux s’engagent à différents et al. 1999, Timms et al. 1999). Cependant, des effets
moments du cycle annuel (Jacobs et Wingfield 2000). maternels subtils ont aussi été démontrés chez les
Nous verrons que même des caractéristiques aussi espèces pondant des œufs (e.g. Schwabl 1993, Gas-
fondamentales que le sexe des individus peuvent être parini et al. 2001), ce qui suggère que le phénomène
influencées par l’environnement chez certaines espèces est très répandu. De plus, les interactions néonatales
(Bergeron et al. 1994). entre la mère et ses enfants peuvent aussi avoir des
Les mécanismes intégrateurs qui coordonnent les a) Transport d’hormones et cellules cibles
changements de développement impliquent typique-
➤ Niveaux d’hormone circulant et protéines
ment des messagers hormonaux. Les hormones sont
de liaison
des molécules produites et libérées dans le sang par
certains organes (appelés glandes endocrines) et allant Les hormones sont transportées dans le sang, soit sous
agir sur des cellules cibles situées ailleurs dans l’orga- forme libre dans le plasma, soit liées à de l’albumine
Stimulus Hypothalamus
+ CRH
–
– Figure 4.1 L’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien
–
Hypophyse (AHHS) des vertébrés.
antérieure En réponse à une stimulation, l’hypothalamus libère
de la corticolibérine (CRH) qui à son tour stimule
+ ACTH (action représentée par le symbole +) la synthèse et la
– libération d’hormone corticotrope (ACTH) par l’hypo-
physe antérieure. L’ACTH stimule ensuite la libération
Glande
– de glucocorticoïdes, comme la corticostérone et le cor-
surrénale
tisol, qui modifient l’activité métabolique des cellules
cibles. La sécrétion de glucocorticoïdes est régulée
Glucocorticoïdes par un mécanisme de rétroaction négative: les hormo-
nes de l’axe HHS inhibent les glandes endocrines en
Tissus cibles amont de cet axe, régulant ainsi leur propre sécrétion.
plasma
Cellules cible
Cellules cible
Figure 4.2 Deux voies par lesquelles le système endocrinien peut induire des variations d’effets
sans changer la concentration sanguine totale d’hormones liposolubles (comme les stéroïdes).
(a) Des changements de concentration des protéines de transport induisent une variation de la concentration d’hormone
biologiquement active: seules les hormones stéroïdes non liées à des globulines de liaison sont biologiquement actives.
(b) Des changements dans le nombre de récepteurs au niveau des cellules cibles peuvent produire des variations
dans les réponses à une même concentration hormonale sanguine. Des changements simultanés peuvent se produire
aussi. Notez que dans les deux cas, la concentration globale en hormone représentée par le nombre de symboles de
l’hormone est la même: il y a six symboles dans tous les cas.
ou une protéine spécifique de transport. En consé- l’hormone et le récepteur. Seules les cellules possédant
quence, les hormones entrent rapidement en contact la ou les protéines spécifiques réceptrices de l’hor-
avec la grande majorité des cellules de l’organisme. mone, sont capables de répondre à une hormone
Cependant, seule la fraction libre des hormones cir- donnée. Ces cellules sont appelées cellules cible. Les
culantes (c’est-à-dire non liée à une protéine de récepteurs des hormones de nature peptidique, qui
transport) est biologiquement active. Les changements n’étant pas liposoluble ne peuvent pénétrer à travers
de concentration sanguine de ces protéines de trans- la membrane cellulaire, sont situés sur la membrane
port peuvent donc faire varier la quantité d’hormone cellulaire. Quand une hormone se combine à son
active sans changer la concentration totale de récepteur, elle l’active, ce qui induit un changement,
l’hormone dans le sang (Figure 4.2 a). Ce phénomène souvent la création d’un second messager intracellu-
est souvent négligé, en dépit du fait qu’il pourrait jouer laire (l’hormone elle-même étant le premier messager)
un rôle majeur pour expliquer certaines différences qui activera (ou désactivera) certaines enzymes cyto-
comportementales (p. ex. Jennings et al. 2000). plasmiques préexistantes (Hadley 1996). Il en résulte
une réponse cellulaire relativement rapide. Un pro-
➤ Récepteurs blème non résolu avec ce genre de modèle est qu’il
Pour agir, les hormones doivent tout d’abord être existe assez peu de formes biochimiques possibles
perçues par des cellules de l’organisme. Cette per- des seconds messagers alors que la variété des messages
ception se fait par l’intermédiaire de protéines spéci- à transmettre demeure très grande.
fiques, appelées récepteur hormonal, le plus souvent Les hormones stéroïdes et thyroïdiennes, sont lipo-
membranaires qui ont la propriété de s’associer spéci- solubles, et leurs récepteurs ont traditionnellement été
fiquement à la molécule hormonale. Cette association considérés comme étant situés non pas sur la mem-
repose sur une interaction thermodynamique entre brane mais dans le cytoplasme ou le noyau cellulaire.
*
son agressivité envers les autres femelles de la colonie
8 qui les empêche d’ovuler (Faulkes et al. 1990). Lors-
que l’on enlève la femelle reproductrice, des change-
4 ments hormonaux se produisent chez les femelles
subordonnées, si bien qu’elles commencent à ovuler,
0
et augmentent leur niveau d’agressivité (Margulis et
–4 al. 1995). Des suppressions sociales de la reproduction
du même type surviennent chez les primates, chez
qui les femelles subordonnées dans les colonies de
12 Corticostérone * marmouset (Callithrix jacchus) sont empêchées de se
au taux de base (en ng/ml)
Changement par apport
*
Site d’étude
Été (nicheur)
Toute l’année
Hiver (non-nicheur)
Bruant hudsonien
Spizella arborea
Site d’étude
Été (nicheur)
Toute l’année
Hiver (non-nicheur)
Figure 4.4 Aires de répartition du bruant chanteur (Melospiza melodia) et du bruant hudsonien (Spizella arborea).
Carte de la répartition de deux bruants Nord américains chez lesquels le comportement territorial des mâles a été
testé chez des mâles ayant reçu des implants de corticostérone. Les mâles de bruant chanteur tendaient à abandon-
ner leur territoire alors que les mâles de bruant hudsonien maintenaient leur territorialité, probablement parce que
la courte durée de la saison de reproduction de ce dernier favorise les individus persévérant en dépit des conditions
défavorables. L’intensité de la coloration représente la distribution pendant les différentes périodes de l’année (voir
Sauer et al. 1997). Carte reproduite avec l’autorisation du Cornell Laboratory of Ornithology/NatureServe.
0,5 0,5
0 0
Proportion de mâles
20 40 20 40
0,5 0,5
0 0
20 40 20 40
Figure 4.5 Divers patrons de déterminismes du sexe dépendant de la température chez les reptiles.
Chez certains lézards et crocodiles, l’augmentation de la température d’incubation conduit à l’accroissement du
taux de mâles. À l’inverse, beaucoup d’espèces de tortues produisent plus de femelles avec l’accroissement des
températures d’incubation. Chez encore d’autres espèces, comme la chélydre serpentine (Chelydra serpentina) et
quelques crocodiles, les mâles sont produits à des températures d’incubation intermédiaires et les femelles à haute
et basse température. Enfin, le déterminisme du sexe chez d’autres reptiles ne semble pas être affecté du tout par
la température d’incubation. D’après Crews et al. (1988).
inhibiteurs d’aromatase administrés aux œufs incubés enzyme semble être le point crucial pour expliquer
à température féminisante miment les effets des tempé- la détermination du sexe chez tous les sauropsidés.
ratures masculinisantes (Richard-Mercier et al. 1985, Si la transcription de ce gène au niveau de la gonade
1995). est forte au cours du développement, s’il y a assez
de précurseur (testostérone) et si les récepteurs de
• Le mécanisme moléculaire l’œstradiol-17b sont présents, la gonade se différenciera
Les facteurs biochimiques de la détermination du en ovaire, dans le cas contraire elle se différenciera
sexe ont été aussi élucidés en partie chez d’autres en testicule.
sauropsidés présentant cette fois une détermination Ce modèle permet d’expliquer l’ensemble des
du sexe chromosomique, en particulier le poulet. données disponibles dans la littérature. Par exemple,
On retrouve une action majeure du cytochrome-P450 on notera que l’ovaire gauche de nombreux oiseaux
aromatase chez ces espèces. La régulation de cette ne se développe pas en raison d’une absence de
ACQUISITION
AUTODIFFÉRENCIATION DES DE LA FONCTION
2
CELLULES GONADOTROPES GONADOTROPE
HYPOPHYSE
LH
FSH
Testostérone
4 ng/ml A
AUTOFONCTIONNEMENT
GONADE 1 DE LA GONADE
Autodifférenciation
de la gonade
être vrai pour les autres composantes de l’axe hypo- organisationnelle/activationnelle qui sera détaillée
thalamo-hypophyso-somatique, comme par exemple dans le paragraphe 4.2.2 (a).
pour l’axe HHS qui contrôle la sécrétion de cortico- Ce point a fait l’objet d’une controverse assez impor-
stéroïdes impliqués dans le stress. Cette phase cor- tante au sujet des reptiles présentant une détermination
respond à la phase organisationnelle de l’hypothèse du sexe sensible à la température d’incubation des
TABLEAU 4.2 EFFETS IMMÉDIATS ET EFFETS CHRONIQUES DES GLUCOCORTICOÏDES SUR LA PHYSIOLOGIE ET LE COMPORTEMENT.
Effets à court terme (de la minute à quelques heures) Effets chroniques (en termes de jours ou de semaines)
*
3
de facteurs
indépendants
2 Groupe contrôle sans apport de la testostérone
de testostérone = contrôle dans le développement
des aires cérébrales
Groupe photosensible de contrôle du chant
+ Testostérone chez l’étourneau
1 Groupe Photo-réfractaire sansonnet
+ Testostérone (Sturnus vulgaris).
Volume moyen (+ écart type) du «centre de haute activité vocale» dans le cerveau d’étourneaux sansonnets mâles
appartenant à trois traitements différents: les individus photosensibles, les individus photoréfractaires et les indi-
vidus témoins. Les oiseaux étaient rendus photoréfractaires en les élevant en jour long (16 heures de jours pour
8 heures de nuit) pendant 9 à 16 semaines. Les oiseaux photoréfractaires montraient une régression de leurs gonades
et restaient dans cet état jusqu’à ce qu’ils rencontrent des conditions de jours courts. Les oiseaux du groupe photo-
sensibles étaient eux exposés à 7 semaines de jours courts (8 heures de jours pour 16 heures de nuit), ce qui a pour
effet de les rendre photosensibles, c’est-à-dire que leurs gonades grossissaient s’ils étaient de nouveau exposés à un
régime de jours longs. Les résultats montrent que l’état photopériodique peut, en soi, activer la réponse des noyaux
de contrôle du chant à une stimulation par la testostérone, car les oiseaux photosensibles répondaient plus fortement
que les individus du groupe photoréfractaire ou ceux du groupe témoin à des implants de testostérone.
Les moyennes des volumes des noyaux des différents groupes ont été comparées par une ANOVA à un seul facteur
(F2,15 = 5,13, P < 0,02) et par des tests de Fisher post-hoc. Le symbole * signifie que les moyennes sont significativement
différentes entre groupes à P < 0,05. D’après Bernard et Ball (1997).
12
autres taxa, les mâles voient leurs niveaux d’andro-
gène diminuer lorsqu’ils s’engagent dans des soins
paternels. Par exemple, les mâles de tilapia lagunaire
8 (Sarotherodon melanotheron) incubent leurs œufs ferti-
lisés dans la bouche pendant plus de deux semaines,
au cours desquelles les niveaux d’androgène déclinent
sensiblement. Si les œufs sont enlevés rapidement
4 après le début de l’incubation buccale, alors le déclin
des androgènes est reporté, ce qui indique que des
signaux provenant des œufs déclenchent la réduction
*
de la sécrétion de ces hormones (Specker et Kishida
2000). Certains mâles de Porichtlys notatus construisent
Absence Seulement Embryons un nid et gardent les œufs que les femelles y déposent
d’œufs des œufs (DeMartini 1988, Bass 1996). Les mâles accumulent
Stade de reproduction
séquentiellement les œufs de plusieurs femelles, ce
qui conduit à un conflit pour les mâles. En d’autres
Figure 4.11 Testostérone termes, les mâles continuent de défendre un terri-
et conflit comportemental chez les mâles toire et à courtiser de nouvelles femelles, en même
du poisson Porichtlys notatus. temps que les œufs des femelles précédentes se déve-
Niveau moyen (+ écart type) de la 11-ketotestosté- loppent et nécessitent un certain niveau de soin.
rone, le principal androgène chez cette espèce, lors Comme nous avons vu, le premier type de compor-
de trois stades des soins parentaux. Les mâles dont tement est facilité par les androgènes, alors que le
les nids contiennent des œufs continuent à secréter
des androgènes au même niveau que des mâles
second type est contrecarré par les androgènes. Les
ayant des nids vides. Cela suggère que les premiers Porichtlys notatus adoptent un compromis hormonal
continuent à faire la cour aux femelles. Cependant, qui n’est contradictoire avec aucun de ces comporte-
les niveaux d’androgènes diminuent lorsque appa- ments (Knapp et al. 1999). Les mâles ayant seulement
raissent les embryons, ce qui suggère que les mâles
abandonnent alors la cour pour effectuer unique-
des œufs dans leur nid ont des niveaux d’androgène
ment des soins parentaux. La significativité des aussi élevés que ceux des mâles ayant un nid vide, ce
différences dans les niveaux d’androgène a été qui suggère que les mâles continuent à rechercher
déterminée par des tests de Kruskal-Wallis (H = des femelles en même temps qu’ils ont les comporte-
12,07, ddl = 2, P = 0,002). Les moyennes de chaque
catégorie ont alors été comparées par des tests de ments de garde des œufs. Cependant, lorsque les mâles
comparaison multiple de Dunn. Le symbole * signi- ont des embryons dans leur nid, les androgènes
fie que la moyenne est significativement différente déclinent, ce qui semble refléter un changement
de celle des autres groupes qui ne le sont pas entre comportemental depuis des comportements de cour
eux (embryon versus œufs: Q = 2,52, P < 0,05;
embryon versus pas d’œuf: Q = 3,40, P < 0,002). vers des comportements de soin paternel (Figure 4.11;
D’après Knapp et al. (1999). Knapp et al. 1999).
20
80% migratoires et dans les dates d’arrivée sur les zones de
reproduction au printemps (Marra et al. 1998), ce
90%
15 qui peut influer sur le succès de reproduction et plus
généralement sur ce que l’on appelle la qualité phéno-
10 typique. Ainsi de telles mesures endocriniennes
pourraient s’avérer utiles en termes de biologie de la
conservation.
5 Ad libitum
De même, les mâles de manchots royaux (Apteno-
dytes patagonica) et empereurs (A. forsteri) jeûnent
0 pendant des semaines alors qu’ils incubent leur œuf
1 5 10 30 60
(Cherel et al. 1988). Pendant cette phase, les réserves
Temps de manipulation (en minutes) lipidiques fondent, puis les protéines commencent
Figure 4.12 Condition corporelle à être métabolisées. Ce changement métabolique
et réponse des surrénales à un stress. s’accompagne d’une augmentation de la sécrétion de
La condition corporelle affecte la réponse des sur- corticostérone, ce qui constitue un signal stimulant
rénales à un stress chez des crécerelles d’Amérique le retour des comportements d’alimentation. Ce signal
(Falco sparverius) juvéniles en captivité. Les indivi-
dus appartenaient à trois traitements: les individus
de réalimentation empêche l’animal de réduire sa
du premier groupe étaient nourris ad libitum; ceux masse corporelle au point de mettre en cause sa survie.
du deuxième étaient nourris avec 90%, et ceux du Il déclenche une augmentation de l’activité loco-
troisième avec 80% des besoins estimés. Un stress motrice en association avec la remise en route des
de manipulation était appliqué en empêchant les
individus de bouger pendant une heure. Des échan-
comportements d’approvisionnement, de même qu’une
tillons de sang étaient pris à intervalles réguliers. augmentation des comportements vocaux habituel-
Les oiseaux nourris ad libitum se sont adaptés à la lement impliqués dans la relève par la femelle (Robin
manipulation en 30 minutes alors que les oiseaux et al. 1998). Ainsi, la réponse comportementale des
sous-alimentés ne se sont pas adaptés durant ce
délai et avaient encore des niveaux élevés en corti-
adultes à des conditions adverses a une base endo-
costérone à la fin de la manipulation. Les patrons crine plastique et varie en fonction de l’intégration
de sécrétion de corticostérone différaient significati- de plusieurs facteurs écologiques et physiologiques.
vement (ANOVA à deux facteurs (régime alimentaire Enfin, il existe des variations individuelles dans la
et temps) pour mesures répétées: F8,98 = 3,03;
P = 0,0045, après transformation logarithmique des
réceptivité des surrénales qui sont fonction de l’âge,
données). Le symbole ** indique que les moyennes du sexe, de l’heure de la journée et de facteurs géné-
différaient significativement au seuil de 0,001. tiques (Schwabl 1995, Romero et Remage-Healey
D’après Heath et Dufty (1998). 2000, Sims et Holberton 2000).
La variation de la réceptivité des surrénales n’est
en bonne condition (Figure 4.12). Le comportement en aucun cas limitée aux seuls oiseaux (Moore et al.
adulte est aussi affecté par l’interrelation entre les 1991, Dunlap et Wingfield 1995, Wendelaar Bonga
sécrétions des surrénales et la condition corporelle. 1997). Par exemple, la tortue olivâtre (Lepidochelys
Par exemple, la paruline flamboyante (Setophaga ruti- olivacea) pond souvent dans des nids collectifs. Les
cilla), une espèce qui passe l’hiver soit dans des habitats femelles reproductrices montrent une faible sensi-
à forte densité de mâles soit à forte densité de femelles, bilité à la présence de congénères, et ce changement
ne montre pas de différence dans la réponse des sur- de comportement de base est dû à une réduction
rénales lors de l’arrivée dans les zones d’hivernage en temporaire de réceptivité des surrénales (Valverde et
automne (Marra et Holberton 1998). En revanche, al. 1999). Les mâles et les femelles non reproductri-
au printemps, les individus ayant hiverné dans des ces ne montrent pas cette réduction de réponse des
habitats à forte densité de mâles sont en meilleure surrénales, ce qui suggère que cela fait partie du
condition et montrent une réponse des surrénales à mécanisme permettant la reproduction collective.
la manipulation supérieure à celle des individus ayant Chez les mâles de babouin (Papio anubis), le rang
passé l’hiver dans les habitats à forte densité de femelle social affecte à la fois le niveau de base de corticosté-
et en moins bonne condition. Ces derniers main- rone et la force de la réponse au stress. Les mâles
tiennent un niveau de base en corticostérone élevé subordonnés ont des niveaux chroniquement élevés
QUESTION
Un tamia rayé (Tamias striatus), petit rongeur diurne épuisement nous les désignons comme étant des res-
d’Amérique du Nord, cherche au sol parmi les feuilles sources, les distinguant ainsi d’éléments qui, malgré
mortes des samares, glands et faines qu’il entasse leur utilité, demeurent inépuisables, comme le vent,
dans ses bajoues extensibles. Vient un moment où il l’air ou la température. La notion de ressource englobe
cesse sa recherche et retourne vers son terrier pour y une grande variété d’éléments qui contribuent direc-
déposer sa charge. Après quelques secondes, il réap- tement à l’aptitude d’un individu. Begon et al. (1990)
paraît à la surface et se remet à chercher des graines. reconnaissent trois grandes catégories de ressources
Ce comportement d’approvisionnement soulève un pour les vivants: les éléments qui servent à les cons-
certain nombre de questions. Par exemple, le tamia truire, l’énergie dont ils ont besoin pour leur activité,
ramasse-t-il toutes les graines qu’il trouve ou, au et les espaces qui leur sont nécessaires pour compléter
contraire, se montre-t-il plus sélectif? Choisit-il leur cycle vital. Les écologistes du comportement en
l’endroit où il cherche ses graines ou bien se dirige-t-il reconnaissent une quatrième: les partenaires sexuels
au hasard? Choisit-il de retourner au terrier lorsque et leurs gamètes. C’est ainsi que les œufs non fertilisés
ses bajoues sont pleines ou bien lorsque la densité d’une femelle sont pour les mâles des ressources dont
des graines à un endroit est trop faible? Pourquoi l’exploitation (i.e. leur fertilisation) en réduit la dis-
transporte-t-il ses graines au terrier au lieu de les ponibilité pour les autres mâles. De même, les terri-
consommer sur place? Toutes ces questions se rap- toires défendus au printemps par les mâles de plusieurs
portent au comportement d’approvisionnement, le espèces de passereaux monogames sont autant de res-
thème du présent chapitre. On s’attardera avant tout à sources pour les femelles qui en verront la disponi-
l’approvisionnement d’individus qui, comme le tamia, bilité décroître à chaque fois que l’une d’entre elles
sont solitaires laissant les cas d’approvisionnement choisira de s’accoupler avec l’un des mâles encore
social pour le chapitre suivant. Cette distinction est disponibles.
nécessaire car les techniques de modélisation utili-
Par approvisionnement, on entend l’ensemble des
sées pour les deux situations sont passablement dif-
férentes. L’approvisionnement individuel s’appuie activités liées à la recherche et à l’exploitation des
davantage sur des calculs d’optimisation simple alors ressources. Cependant, bien que le premier modèle
que nous verrons dans le prochain chapitre que d’optimisation de l’exploitation de ressources parcel-
l’approvisionnement social nécessite l’utilisation de laires était appliqué à la durée de copulation optimale
la théorie des jeux et du concept de la stratégie évo- des mouches scatophages (Scatophaga stercoraria,
lutivement stable (voir par exemple le chapitre 3). Parker 1978), généralement, on entend aujourd’hui
par approvisionnement uniquement l’exploitation des
ressources alimentaires. Il est important de se rappeler
cependant que les modèles que nous considèrerons
5.1 LA NOTION DE RESSOURCE pourraient avec assez peu de modifications s’appliquer
facilement à l’exploitation des autres types de ressour-
La survie et la reproduction nécessitent l’exploitation ces. Mais pour des raisons autant historiques que
d’une variété d’éléments dont certains, comme la d’usage, on se penchera dans les deux chapitres qui
nourriture, l’eau et l’espace peuvent venir à manquer. suivent exclusivement sur l’exploitation de ressources
Puisque l’exploitation de ces éléments entraîne leur alimentaires.
Un modèle d’optimalité se compose d’une décision, qui maximise l’aptitude. La devise de conversion
d’une devise de conversion et de présupposés de est une représentation quantitative et hypothéti-
contrainte. La décision spécifie de manière expli- que de l’aptitude qui correspond à une décision.
cite le choix analysé, la devise de conversion permet Par exemple, le taux net d’acquisition d’énergie
d’exprimer la conséquence d’une décision en fonc- peut être une devise de conversion utile dans un
tion de l’aptitude de l’animal alors que les présup- contexte d’approvisionnement (Figure 5.1). C’est
posés de contrainte fournissent un cadre physique d’ailleurs la devise de conversion la plus souvent
à l’intérieur duquel les solutions sont possibles. retenue dans les modèles d’approvisionnement.
La décision Les présupposés de contrainte
La décision du modèle de sélection optimale des Ces derniers forment la troisième et dernière com-
proies est: attaquer une proie rencontrée ou bien posante d’un modèle d’optimalité. Les présuppo-
l’ignorer pour en rechercher une autre. La décision sés de contrainte sont une suite de circonstances
optimale dépend du rendement de chacune de ces précises dans lesquelles le modèle s’applique. Il
alternatives. C’est la devise de conversion qui nous existe habituellement deux ordres de présupposés
permet d’exprimer le rendement des alternatives. de contrainte, d’abord ceux liés aux caractéristi-
ques du modèle biologique, par exemple son éco-
La devise de conversion logie, son anatomie et ses capacités cognitives,
Nous supposons que lorsqu’ils sont confrontés à puis ceux dus aux formalisations mathématiques
un choix, les animaux optent pour l’alternative utilisées pour l’analyse du problème.
L’objectif du modèle de sélection des proies consiste les capturer et les consommer sont autant de compo-
à établir le choix de proies qui maximise la devise de santes de notre analyse.
conversion et donc l’aptitude. La plupart des préda-
teurs, pendant leurs activités d’approvisionnement,
rencontrent un ensemble de proies de valeurs inégales.
Prenons l’exemple fictif d’un couple de mésanges à
tête noire (Poecile atricapillus) qui nourrit sa couvée
avec deux espèces de chenilles. Une espèce est assez
imposante et donc de ce fait offre plus d’énergie que
Aptitude
une proie est abondante, plus elle est rencontrée et Lorsque cette inégalité tient, la stratégie optimale
consommée, augmentant de ce fait le temps total consiste à n’attaquer que la proie la plus profitable.
passé en manipulation de ce type de proie. Le taux Lorsqu’elle est fausse cependant, la stratégie optimale
d’acquisition énergétique est donc le rapport de ces est de se généraliser, c’est-à-dire d’attaquer les deux
deux équations, soit: types de proies1.
Ts ( λ1 E1 + λ2 E2 ) Cette simplification algébrique mène à une pré-
E
--- = ------------------------------------------------------
- diction assez contre-intuitive. En fait, la diversité
T { Ts + Ts ( λ1 h1 + λ2 h2 ) } des proies acceptées par un prédateur ne dépend pas
Cette expression peut être simplifiée: des abondances relatives de ses proies les unes par
rapport aux autres mais uniquement de l’abondance
E λ1 E1 + λ2 E2
--- = ----------------------------------- absolue de la proie la plus profitable, c’est ce que
T 1 + λ1 h1 + λ2 h2 signifie la disparition de l2 lors de la simplification
exprimant ainsi dans notre devise de conversion (E/T) algébrique. Ce qui revient à dire que lorsque la spé-
le rendement obtenu par la stratégie généraliste qui cialisation exclusive sur la proie la plus profitable
consiste à attaquer toutes les proies rencontrées. La représente la stratégie optimale, ce régime demeu-
seule alternative rationnelle à cette règle est de ne rera optimal quelle que soit l’abondance absolue des
jamais attaquer les proies de moindre profitabilité. proies de moindre profitabilité. Voilà justement le
Cette stratégie plus spécialisée peut être la plus rentable genre de prédiction contre-intuitive qu’il est impossible
si la condition suivante est vérifiée (en attribuant le de générer à partir d’un modèle verbal. De plus, le
numéro 1 à la proie la plus profitable): modèle présenté ci-dessus a une logique explicite. Le
raisonnement qu’il tient est accessible à tous et donc
λ1 E1 λ1 E1 + λ2 E2
------------------
- > -----------------------------------
- ouvert au regard critique de tous.
1 + λ1 h1 1 + λ1 h1 + λ2 h2
Le premier terme de l’inégalité représente le taux 5.3.2 Tests du modèle: deux exemples classiques
attendu pour une règle d’attaque dirigée exclusive-
ment vers les proies les plus profitables. Le second Avant d’aborder les tests du modèle, il convient
terme correspond au taux attendu pour une attaque de rappeler ce que, d’une manière générale, on peut
systématique des deux types de proies. Cette inégalité
se simplifie pour devenir:
1. Il convient de noter que Ts et λ2 ne font plus partie de
1 E l’inéquation, ils ont disparu lors des simplifications algé-
---- < ----1-h 1 – h 2
λ1 E2 briques.
1. L’inclusion d’une proie dans le régime ne du régime optimal de proies car les proies plus
dépend pas de sa propre abondance, mais bien profitables seront plus nombreuses.
de celle de la proie qui la précède immédiate- 3. Il ne peut exister de préférences partielles pour
ment dans la hiérarchie de profitabilité. une proie. Un type de proie est soit toujours
2. Un accroissement de l’abondance absolue des inclus dans le régime soit toujours exclu: c’est
proies d’un habitat induira un rétrécissement la règle du tout ou rien.
apprendre d’un éventuel échec lorsque l’on teste les manipulation nécessaire pour briser les valves et
prédictions d’un modèle. Il serait faux, par exemple, manger la chair dépendent de la taille de la moule et
de conclure que la sélection naturelle n’a pas contribué aussi de la taille du crabe. Cependant, des effets non
à façonner le comportement d’approvisionnement linéaires font en sorte que la profitabilité, c’est-à-
lorsque les résultats des tests ne correspondent pas dire la quantité de chair extraite par unité de temps
aux prédictions d’un modèle. De même, il serait erroné passé à consommer la moule (E/Th), est maximisée
d’en conclure que l’animal n’est pas optimal. Le pos- pour les moules de taille intermédiaire. Les observa-
tulat de toute approche économique est justement que tions d’Elner et Hughes démontrent que les crabes
l’animal est optimal car il a été façonné par la sélection préfèrent justement les moules de taille intermédiaire,
naturelle. Il ne s’agit donc pas de tester cela. Une c’est-à-dire que leur représentation dans le régime
observation qui contredirait notre modèle nous alimentaire des crabes est plus forte que leur repré-
apprendrait soit que le modèle utilise une devise de sentation dans l’environnement (Figure 5.2 a).
conversion inappropriée, soit que certains des pré- Ils notent aussi le choix des crabes confrontés à
supposés de contrainte sont violés. De manière cou- des habitats offrant des densités de moules différentes
rante, une prédiction réfutée mène généralement à sur une période de trois jours remplaçant au fur et à
un examen plus poussé de la pertinence des présup- mesure les moules mangées afin de maintenir fixe le
posés de contrainte, car pour réfuter une devise de ratio des tailles. Chaque habitat offrait les trois caté-
conversion il faut avant tout être certain que tous les gories (I, II et III) de moules selon leur profitabilité,
présupposés de contrainte sont applicables au système dans les mêmes proportions. Dans l’environnement
biologique dans lequel le modèle est testé. de faible densité, les crabes n’étaient pas sélectifs et
Deux exemples d’études expérimentales sont le plus attaquaient les moules des trois catégories dans un
souvent cités à titre de tests du modèle. Ces exemples ratio semblable à celui de leur disponibilité dans
ne sont pas très récents mais ils ont l’avantage d’être l’environnement (Figure 5.2 b). En revanche, dans
simples et d’illustrer l’approche expérimentale telle les environnements intermédiaire et riche, ils refu-
qu’elle fut appliquée aux premières moutures du saient d’attaquer les moins profitables (II, et III) ce
modèle du choix optimal des proies. qui est en accord avec les attentes du modèle. Dans
l’environnement le plus riche, Elner et Hughes pré-
disaient que les crabes n’attaqueraient plus que les
a) Les crabes et les moules
moules les plus grosses. Bien que les grosses moules se
Elner et Hughes (1978) furent parmi les premiers à retrouvaient surreprésentées dans le régime, les crabes
mettre à l’épreuve le modèle du choix optimal des ont tout de même continué à manger les moules de
proies. Ils construisirent une expérience pour voir si taille intermédiaire ce qui est en désaccord avec ce que
les crabes (Carcinus maenas) présentés à un assortiment le modèle calcule comme étant la stratégie la plus
de moules (Mytilus edulis) de différentes tailles préfé- profitable dans cette condition (Figure 5.2 b).
raient consommer les moules les plus profitables. Ils Doit-on pour autant rejeter le modèle? Non, car un
notaient le choix des crabes prenant soin de remplacer examen des conditions dans lesquelles Elner et Hughes
par une moule d’une taille équivalente chaque moule observèrent le choix des crabes montre qu’elles ne cor-
consommée par les crabes. Pour consommer une respondent pas à tous les présupposés de contrainte
moule, un crabe doit avant tout briser sa coquille. utilisés pour faire la prédiction de la règle du tout ou
La quantité de chair disponible ainsi que le temps de rien. Par exemple, les conditions du test permettent
la rencontre simultanée de plusieurs proies ce qui est ner avec certitude le moment précis où un prédateur
contraire au présupposé de rencontres séquentielles rencontre une proie.
des proies (voir encart 5.3). De plus, il est difficile C’est à l’université d’Oxford qu’un dispositif expé-
de mesurer exactement le taux de rencontre avec les rimental capable de manipuler le taux de rencontre
différentes tailles de moules. Par exemple, une moule d’un prédateur et de ses proies a été développé. Le
qui n’est pas touchée a-t-elle été rencontrée par un dispositif expérimental est composé d’une cage et
animal qui a tout simplement décidé de ne pas l’atta- d’un tapis roulant (Figure 5.3). Le prédateur (une
quer? Le test d’Elner et Hughes a le mérite de confir- mésange charbonnière Parus major) qui veut manger
mer que la profitabilité d’une proie est un facteur doit se présenter à une fenêtre qui surplombe le tapis
important dans les préférences de l’animal. Il faudrait roulant. En contrôlant la vitesse du tapis roulant et
un test capable de contrôler de manière plus précise l’espacement des proies qu’on y place, l’expérimen-
les taux de rencontre avec chaque type de proie pour tateur peut manipuler le taux de rencontre entre un
évaluer la valeur du modèle à prédire la stratégie de prédateur et deux types de proies de profitabilités
choix des proies. C’est justement ce que proposèrent différentes (des morceaux de larves de ténébrion
Krebs et al. (1977). Tenebrio molitor de 4 ou 8 segments). Pour consom-
mer cette proie, une mésange doit se percher, tenant
b) Les mésanges et le ténébrion la larve entre une patte et le perchoir. La mésange
retire ensuite le contenu de l’exosquelette en insérant
La prédiction la plus forte du modèle des proies est son bec dans l’extrémité ouverte de la larve.
certainement celle qui stipule que l’abondance de la Les résultats de l’étude de Krebs et al. (1977)
proie la moins profitable n’a aucune incidence sur sa démontrent que l’ajout de proies moins profitables n’a
probabilité d’être attaquée par le prédateur. Pour que peu d’effet sur le choix de la mésange, à condi-
tester cette prédiction, il est essentiel de pouvoir tion que la proie la plus profitable soit suffisamment
manipuler le taux de rencontre du prédateur avec ses abondante. Seule l’abondance absolue de la proie la
proies. Cette nécessité pose un problème technique plus profitable, et non pas son abondance relative,
important, particulièrement sur le terrain dans la détermine l’inclusion de la proie la moins profitable
mesure où il est toujours assez difficile de détermi- (Figure 5.3). En revanche, comme ce fut aussi le cas des
La cage
travaux d’Elner et Hughes, les mésanges ne suivirent manipulation nécessaires pour vider l’exosquelette.
pas la règle du tout ou rien (Figure 5.3) consommant La plupart des critiques se sont donc tournées vers des
quelquefois, mais peu souvent tout de même, des présupposés de contrainte. Il est possible, par exem-
proies moins profitables même lorsque les conditions ple, que les préférences partielles résultent d’erreurs
prédisent une préférence absolue pour la proie la plus d’identification des proies sur le tapis roulant, ce qui
profitable. suppose une violation du présupposé 7, c’est-à-dire
Alors, devons-nous cette fois renoncer à notre modèle la reconnaissance parfaite et instantanée d’un type de
des proies? Après tout, nous avons maintenant un proie. L’hypothèse de l’erreur peut être sévèrement
contrôle certain sur le taux de rencontre des proies et critiquée d’un point de vue purement épistémologique
nous connaissons leurs profitabilités et, malgré cette dans la mesure où l’erreur peut toujours être invoquée
précision, le modèle n’a pas prédit de manière tout à a posteriori afin d’expliquer n’importe lequel des écarts
fait exacte le comportement des mésanges. Les spé- aux prédictions d’un modèle. Une approche plus pro-
culations abondent à propos de l’origine des préfé- ductive serait de formuler des hypothèses sur les causes
rences partielles observées chez les mésanges. Par de ces erreurs et de prédire l’étendue des manque-
exemple, la devise de conversion est peut-être fausse. ments au modèle à partir d’une compréhension des
En effet, l’énergie n’est pas le seul élément utile dans facteurs qui influencent l’efficacité de l’animal. Tout
les aliments. Mais cette interprétation est peu probable d’abord, si les préférences partielles résultent vraiment
dans la mesure où les deux types de proies ont la même d’un problème d’identification des types de proies, il
composition, variant seulement dans les temps de doit exister des conditions qui rendent ces erreurs
Énergie
Nombre cumulatif capturé
À chaque espérance des temps de transit (A, B, et C) correspond un point de tangence distinct qui détermine des
temps optimaux d’exploitation de la parcelle différents (a, b, et c) et donc aussi des valeurs marginales différen-
tes. À mesure que l’espérance du temps de transit augmente, la valeur marginale de l’habitat décroît. Les graphi-
ques du bas montrent que pour des habitats composés de parcelles identiques la quantité d’énergie retirée et le
temps optimal d’exploitation d’une parcelle (Tp*) augmenteraient avec la distance espérée entre les parcelles.
Énergie
retour entre la parcelle et le lieu central. Quand la
richesse d’une parcelle est telle que l’animal effectue
plusieurs allers-retours à la même parcelle, l’ensemble
de ces allers-retours correspond à l’ensemble des par-
celles d’un habitat dans le modèle conventionnel
TT Tp* d’exploitation des parcelles. Dans ce cas, comparer
Temps de transit TT 0 Temps dans la parcelle Tp
deux habitats avec des espérances de temps de transit
différents revient à comparer les allers-retours d’un
Figure 5.9 L’effet d’une réduction de la richesse modale animal exploitant deux parcelles placées à des distances
des parcelles sur la valeur marginale d’un habitat
et le temps optimal d’exploitation des parcelles.
différentes du lieu central et nécessitant chacune
La richesse de référence est représentée par la courbe plusieurs allers-retours. Le modèle prédit un accrois-
d’exploitation la plus élevée (trait fin). Dans le pre- sement du temps de chargement aux parcelles et
mier cas la réduction de la richesse modale des par- donc aussi de la taille de la charge transportée avec
celles (traits pointillés) réduit la valeur marginale
de l’habitat et a pour conséquence de prédire des
l’augmentation de la distance entre la parcelle et le
temps d’exploitation optimale plus courts pour les lieu central. Cette prédiction a été testée à plusieurs
parcelles de l’habitat appauvri. Dans l’autre cas, la reprises. Un seul exemple est détaillé ici.
réduction de la richesse des parcelles réduit aussi
la valeur marginale de l’habitat, mais cette fois la
Le tamia, comme nous le disions plus haut, est un
courbe d’exploitation (traits pointillés) fait en sorte petit écureuil terrestre et diurne de l’est de l’Amérique
que les parcelles de l’habitat appauvri seront du Nord. Rongeur solitaire, il passe une bonne partie
exploitées plus longuement que celles de l’habitat
de référence.
de son temps en automne à emplir ses bajoues exten-
sibles de samares, de glands et de faines qu’il trans-
porte à son terrier afin de les engranger. Il les mange
5.4.3 Tests du modèle d’exploitation optimale l’hiver, lors des brèves périodes d’activité qui ponc-
des parcelles tuent des phases de torpeur de quatre à cinq jours où
sa température corporelle baisse jusqu’à près de zéro
Il existe plusieurs tests du modèle d’exploitation des degré Celsius.
parcelles. Nous présenterons ici un exemple illustrant En plaçant des plateaux de graines de tournesol à
l’approvisionnement à partir d’un lieu central (ALC,
différentes distances du terrier d’un tamia, il est pos-
Orians et Pearson 1979). L’ALC est une adaptation
sible de tester de façon quantitative les prédictions
du modèle d’exploitation des parcelles à des situations
du modèle de l’ALC (Kramer et Nowell 1980, Giral-
où les proies sont transportées vers un lieu plus ou
moins central (par exemple un nid ou un gîte) au lieu deau et Kramer 1982; Giraldeau et al. 1994, Lair et
d’être consommées sur place. Ces proies peuvent alors al. 1994). Le tamia se laissant facilement approcher,
être mangées ou servir à nourrir les jeunes, ou bien elles il est aisé d’observer l’animal en train de constituer
peuvent être engrangées pour une utilisation ulté- une charge et de noter le moment où chaque graine
rieure. L’ALC se rapporte au transport de charges sim- est prise. À partir de ces observations, il devient possible
ples comme c’est le cas, par exemple, d’une fourmi de reconstruire les fonctions de chargement pour ces
qui rapporte une seule graine à la fois à son nid, et graines et de vérifier qu’elles sont curvilignes et décé-
aussi au transport de charges composites, comme lérées, comme le modèle le suppose (Figure 5.10a).
c’est le cas, par exemple, d’un étourneau sansonnet À partir de telles fonctions, le modèle prédit que la
qui rapporte plusieurs larves d’insectes à la fois à sa taille des charges transportées au terrier augmentera
couvée (Kacelnik 1984). Nous développerons le cas avec la distance de la parcelle. C’est effectivement le
de charges composites. résultat observé (Figure 5.10b).Il est à noter, cepen-
Dans un cas de charges composites, la fonction dant, que malgré cet accord qualitatif avec le modèle
d’exploitation du modèle des parcelles se transforme (en ce sens que les tendances observées correspondent
en fonction de chargement. La décélération du taux de bien aux tendances prédites par le modèle), sur le
chargement sera probablement attribuable à l’encom- plan quantitatif, la taille des charges observées est
brement du dispositif de transport plutôt qu’à l’épui- bien inférieure à celle prédite par le modèle.
80
40
b
0,15
20
Taux de chargement (g/s)
r = – 0,832
0,10 21 0
33 131
0,05
312 39
21 4
199 94
0
Graines (g)
0 20 40 60 80
Temps cumulé dans parcelle Tp
2
0,03
0,02
0,01
0
0 100 200 300
Temps de transit TT (s)
(a) Photo d’un tamia rayé (Tamias striatus) en train de charger ses bajoues de graines de tournesol (Photographie
gracieusement fournie par Dominique Proulx). (b) Le taux de chargement de graines de tournesol mesuré chez des
tamias rayés interrompus à différents moments pendant le chargement des graines. Ce taux décroît en fonction du
temps cumulé passé à charger dans la parcelle (Tp) ce qui montre que le présupposé de contrainte d’une courbe
d’exploitation décélérée tient dans cette situation. (c) Les résultats du test du modèle d’approvisionnement à partir
d’un lieu central avec les tamias rayés. Le graphique du haut montre les temps d’exploitation des parcelles observés
à des plateaux de graines de tournesol placés à différentes distances du terrier et qui nécessitent donc des temps de
transit différents. Le graphique du milieu montre le poids des charges de graines de tournesol ramassées pour les
temps de transit correspondants. La courbe sur chaque graphique montre les prédictions faites à partir d’une esti-
mation de la courbe de chargement. Il est à noter que les temps de parcelle et les charges de graines sont dans tous
les cas inférieurs aux prédictions. D’après Giraldeau et Kramer, 1982.
5.4.4 Et lorsque le modèle ne marche pas pouvons-nous conclure dans ces cas? Il est convenu
tout à fait? d’interpréter ce type de résultat comme étant l’indi-
Ce genre de résultat, un accord qualitatif mais une cation que l’approche économique est satisfaisante dans
différence quantitative entre le modèle et ses prédic- ses grandes lignes mais que certains raffinements du
tions, est typique de la plupart des tests de modèles modèle demeurent nécessaires. Ces raffinements peuvent
d’approvisionnement et nous l’avons déjà rencontré à se rapporter aussi bien aux présupposés de contrainte
deux reprises dans le modèle du choix des proies. Que qu’à la devise de conversion elle-même.
22
19
16
1 6 11 16 21 26 31
I
Jour
Les pics sondent plus de trous vides avant d’abandonner un rondin dans lequel ils ont trouvé une proie (ligne du
haut) qu’un rondin où ils n’en trouvent pas (ligne du bas). Le nombre de trous sondés sans succès avant d’abandonner
un rondin dépend de l’expérience de l’animal. Des jours 1 à 31 les pics ont été exposés à 3 types d’habitats. Tous les
habitats contenaient des rondins entièrement vides, mais les rondins qui contenaient des proies pouvaient avoir 0,
12 ou 6 trous de vides. Les lignes droites horizontales indiquent la durée d’exposition en jours à chaque type d’habitat
ainsi que le nombre optimal de trous à sonder sans succès avant d’abandonner un rondin. On voit que les pics ajustent
rapidement leur tolérance à l’insuccès lorsque le nombre de trous vides dans un rondin contenant des proies change.
Au tout début de l’expérience, les pics toléraient de longues séquences de trous vides avant d’abandonner. Déjà,
après 6 jours, ils ont appris qu’un rondin avec des trous vides était sûrement entièrement vide et ils l’abandonnent
après seulement quelques sondages infructueux. Vers la fin de l’expérience, les pics semblent avoir appris que les
rondins avec des proies avaient aussi plusieurs trous vides. Ils ont donc développé une tolérance pour des séquences
de sondages infructueux plus longues, tel que prédit par le modèle. (Tiré de Lima 1984).
QUESTIONS DE RÉFLEXION
1. Dans le modèle de sélection optimale des proies, essayez de refaire par vous-même le raisonnement et les
calculs conduisant aux résultats présentés dans ce chapitre.
2. Pouvez-vous imaginer ce qu’il adviendrait du taux d’exploitation d’une parcelle si ses proies, au lieu d’être
distribuées au hasard, se répartissaient de façon régulière et prévisible permettant ainsi au prédateur de les
rechercher de manière systématique?
3. Bien qu’il soit sans doute raisonnable de supposer que l’animal puisse adapter sa vitesse de déplacement aux
conditions qui prévalent, nous avons jusqu’ici supposé que cette vitesse était une contrainte inaltérable.
Détaillez les contraintes que vous voudriez inclure dans un modèle d’optimisation qui aurait pour décision,
cette fois, la vitesse des déplacements entre les parcelles.
4. Vous aurez sans doute noté que bien que la devise de conversion était le taux net d’acquisition énergétique, les
fonctions d’exploitation utilisées jusqu’ici dans les figures illustrent l’acquisition brute d’énergie. Pouvez-vous
deviner l’aspect que ces courbes prendraient si elles exprimaient le taux net, c’est-à-dire si on en soustrayait
les coûts d’exploitation?
Approvisionnement social
V0 V0
1 2
4 3
6 5
Valeur
0 1 2 3 4 5 6 0 1 2 3 4 5 6
Parcelle 1 Parcelle 2
I
Nombre d’individus
Les flèches indiquent la décision de chaque membre de la population et le nombre indique la séquence de chacune
des décisions. À chaque fois, l’individu choisi la parcelle qui, au moment de son choix, offre la meilleure perspective.
La distribution adoptée par la population une fois à l’équilibre correspond à une distribution libre idéale. Le nombre
d’individus dans chaque parcelle fait en sorte qu’il n’est avantageux pour aucun des individus de migrer vers l’autre
parcelle. La population a atteint un équilibre de Nash où tous les individus obtiennent des bénéfices égaux.
1 2
V0′ 3 4
5
6
7
Figure 6.2 Séquence de distribution 8
des membres d’une population de 21 individus 9
dans deux parcelles de valeurs inégales.
V0 11 10
12
13 14
15
16
Les 10 premiers individus se rendent tous à la parcelle la 18
17
plus riche. Il s’ensuit une distribution dans les deux par-
19
Valeur
Supposons qu’un environnement contient Z par- pour tous les individus et C est une constante. À
celles et que la valeur intrinsèque de chacune l’équilibre les taux d’ingestion seront:
peut être exprimée par un taux d’arrivée des k
proies ki (i = 1, 2, …, Z) qui est constant pour -----i = C
Gi
chacune. Le taux d’ingestion espéré à la parcelle i,
(Wi) augmente avec un accroissement du taux et, à l’équilibre de Nash, le rapport du nombre des
d’arrivée des proies dans la parcelle ki et varie compétiteurs dans les parcelles i et j devra être:
inversement avec le nombre de compétiteurs G k
-----i = ---i
dans la parcelle Gi: Gj hi
k Il est possible de prédire la proportion de la
W i = -----i
Gi population dans chaque parcelle:
La distribution libre idéale (DLI) présuppose G ki
--------i- = -------
qu’à l’équilibre tous les consommateurs ont le ΣG i Σk i
même taux d’ingestion. Donc: De sorte que:
Wi (Gi ) = C ΣG
G i = k i ---------i
Σk i
premiers individus à coloniser les parcelles préféreront mier publie un test du modèle de la DLI exécuté sur
celle qui a une valeur intrinsèque supérieure à l’autre. de petits groupes d’épinoches (Gasterosteus aculeatus).
Ils choisiront d’exploiter cette parcelle jusqu’à ce que Des assistants dissimulés derrière des caches laissent
sa valeur décroisse à un point tel que l’alternative est tomber des daphnies (Daphnia magna) à la surface
maintenant plus avantageuse. Les individus se diri- de l’eau à chaque extrémité d’un aquarium de
geront alors vers cette deuxième parcelle réduisant 43,5 ¥ 20 ¥ 23 centimètres pendant qu’une caméra
d’autant sa valeur pour les individus qui n’ont pas enregistre la position des six épinoches. Dans une
encore choisi. Les individus libres et idéaux se répar- première expérience, les deux parcelles offrent des
tiront dans les deux parcelles, migrant toujours vers taux d’arrivée de daphnies de 0,5/s et 0,1/s puis dans
l’alternative la plus profitable. Avec cette règle de une seconde expérience les taux d’arrivée furent
décision la population, une fois entièrement distri- changés pour donner 0,5/s et 0,25/s. Les résultats
buée entre les deux parcelles atteindra un point (Figure 6.3) montrent que les épinoches sont capa-
d’équilibre de Nash qui correspond à une distribu- bles de se distribuer dans les deux parcelles selon les
tion des individus proportionnelle à la disponibilité
prédictions de la DLI. Les résultats montrent aussi
des ressources. Lorsque le rapport des individus aux
que cette distribution n’est pas atteinte instanta-
parcelles disponibles correspond au rapport des res-
nément. Au contraire, les épinoches semblent échan-
sources disponibles dans ces parcelles, la population
aura atteint sa DLI par la règle de l’ajustement aux tillonner les deux parcelles un certain nombre de
habitats (en anglais habitat matching, cf. figure 6.2). fois avant de choisir d’exploiter une des parcelles. Et,
Le lecteur trouvera une présentation plus formelle même lorsqu’ils ont décidé d’exploiter une parcelle,
de cet argument dans l’encart 6.1. Ainsi, malgré les ils persistent à échantillonner l’alternative de manière
différences dans les valeurs intrinsèques des parcelles ponctuelle. En portant une attention particulière aux
une fois la DLI atteinte, tous les individus de la résultats de Milinski, on se rend compte qu’il existe
population auront le même taux d’ingestion. une légère différence entre les prédictions de la DLI
et les distributions observées. En effet, il semble qu’il
➤ Tests de la distribution libre idéale y ait légèrement trop de poissons dans la parcelle
la moins profitable et un manque dans la parcelle la
• Les épinoches plus riche. Nous retrouvons cette différence dans à peu
C’est l’Allemand Manfred Milinski (1979) qui le pre- près tous les tests de la DLI qu’ils aient été effectués
parcelle moins
profitable
Individus
4
3
2
1
0
parcelle initialement
6
moins profitable
5
Individus
4
3
2
1
0
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Temps (min)
sur des insectes, des poissons ou des oiseaux (Ken- la position de chaque poisson à des intervalles de
nedy et Gray 1993, Tregenza 1995). Cette différente 15 secondes, comptent le nombre de tentatives de pré-
persistante entre prédictions et observation a dation, ainsi que le nombre d’interactions agressives
donné lieu à plusieurs hypothèses visant à modifier entre les poissons.
les présupposés initiaux du modèle. Les résultats de leur expérience montrent que,
comme les épinoches de Milinski (1979), les cichli-
• Les cichlidés dés sont capables de se redistribuer dans les parcelles
assez rapidement et que la distribution tend vers les
Dans une répétition de l’expérience de Milinski, cette prédictions de la DLI (Figure 6.4 a). Godin et Ken-
fois avec des poissons cichlidés Aegidens curviceps, les leyside remarquent que comme pour Milinski
Canadiens Jean-Guy Godin et Miles Keenleyside (1979) la DLI est atteinte alors que chaque poisson
(1984) explorent les conséquences d’un manquement alterne d’une parcelle à l’autre allouant son temps à
au présupposé d’égalité des compétiteurs pour la DLI. chaque parcelle en fonction du taux d’arrivée des
Ils placent six poissons dans des bassins rectangulaires proies (Figure 6.4 b).
et créent deux parcelles de proies en laissant s’écouler En comparant le taux d’ingestion des individus dans
à chaque extrémité du bassin des larves de Herotilapia les deux parcelles, ils notent que comme le suppose
multispinosa, un autre poisson cichlidé est filmé avec le modèle de la DLI, les taux d’ingestion ne diffèrent
une caméra vidéo placée au-dessus du bassin pour pas d’une parcelle à l’autre pour les conditions 1:1 et
déterminer la position des prédateurs. La valeur 2:1. Cependant, dans la condition 5:1, les individus
intrinsèque des parcelles était modifiée en changeant dans la parcelle riche ingèrent plus rapidement que
le taux d’écoulement aux deux parcelles. Godin et ceux de la parcelle pauvre ce qui n’est pas une situation
Kenleyside présentent ainsi aux poissons trois rap- d’équilibre de Nash et donc pas une DLI. De plus, ils
ports de profitabilité entre les parcelles: 1:1, 2:1 et notent une variance importante entre les taux d’inges-
5:1. La parcelle la plus riche offre toujours une larve tion des individus à l’intérieur de la même parcelle,
par intervalle de 6 secondes. Les parcelles pauvres ce qui constitue aussi un manquement à la DLI.
offrent une larve toutes les 6, 12 et 30 secondes selon Godin et Keenleyside concluent que les différences
le traitement. Pendant les essais, les observateurs notent entre les individus ne sont pas reliées à la hiérarchie
6 Ratio 2:1
5
4
3
2
1
0
6 Ratio 5:1
5
4
3
Figure 6.4 L’expérience
2
de Godin et Keenleyside
1
0 (1984).
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Temps (min)
(b)
100 Sans nourriture
90 Avec nourriture P < 0,001
80
passé dans les parcelles
Prédit
Proportion du temps
P < 0,001
70
NS NS NS NS
60
50
40
30
20
10
P R P R P R P R P R P R
0
Sans Avec Sans Avec Sans Avec
1:1 1:1 1:1
L’expérience est effectuée sur des groupes de six poissons cichlidés Aequidens curviceps s’alimentant dans deux parcelles
fournissant des larves de poissons comme nourriture. (a) Nombre moyen (et l’intervalle de confiance à 95%) d’individus
observés à intervalles de 15 secondes dans la parcelle la moins profitable pour trois rapports de profitabilité entre les
deux parcelles (1:1, 2:1, 5:1). (b) Proportion de temps total passé à la parcelle pauvre (P) et à la parcelle riche (R) pour
chacun des rapports de profitabilité des deux parcelles. Pour chacun de ces rapports de profitabilité, le temps passé
dans les parcelles est donné pour le temps «sans» nourriture (avant l’ajout des proies) et «avec» nourriture. Modifiés
à partir de Godin et Keenleyside (1984).
de dominance sociale. Ils trouvent plutôt que les taux les capacités sensorielles et peut-être cognitives des
d’ingestions des individus dépendent principalement individus.
de leur taux d’alternance entre les parcelles. Plus les Ces manquements aux présupposés et l’observation
individus passent souvent d’une parcelle à l’autre et d’un manque d’individus dans les parcelles riches
plus ils passent de temps en transit, ce qui réduit deviennent monnaie courante dans les tests de la DLI.
d’autant leurs temps d’ingestion. Godin et Keenley- Il s’ensuit un courant de modification des présupposés
side proposent que les individus qui alternent le plus qui ont tous comme objectif de rendre le modèle de
ont peut-être le plus de difficulté à discerner les valeurs la DLI plus réaliste et fidèle aux observations. Nous
respectives des parcelles. Les différences compétitives présentons les principales modifications dans la section
dans ce cas seraient rattachées aux différences dans qui suit.
Imaginons une population de 12 poissons dont cas, on retrouve 2 fois plus de petits dans la par-
6 petits et 6 gros. Supposons que les gros sont celle 1 que dans la parcelle 2, ainsi que 2 fois plus
capables d’ingurgiter leurs proies exactement 2 de gros dans la parcelle 1 que dans la parcelle 2.
fois plus rapidement que les petits. Dans ce cas, Si on ne fait que compter le nombre d’individus
les gros individus ont exactement 2 fois le poids dans les parcelles, on arrive à 8 dans la parcelle 1
compétitif des petits. Ajoutons maintenant deux et 4 dans la parcelle 2 ce qui est précisément la
parcelles (1 et 2) de valeurs intrinsèques inégales prédiction du modèle de la DLI, et ce malgré un
k1 = 2k2 et dont les taux d’arrivée de proies manquement grave à un présupposé, l’inégalité
demeurent constants. Dans le cas de compéti- des compétiteurs. Notez cependant que dans
teurs inégaux, le modèle de la DLI suppose que toutes les autres combinaisons qui sont aussi des
ce sont les capacités compétitives qui se distri- équilibres de Nash, on se retrouve avec un sur-
buent en proportion des valeurs des parcelles et plus d’individus dans la parcelle pauvre et un
non pas les individus. Lorsque les capacités com- manque dans la parcelle riche. Dans tous les cas,
pétitives totales dans les parcelles sont assorties les taux d’ingestion demeurent inégaux entre les
aux valeurs intrinsèques, aucun individu ne peut individus1.
changer de parcelle sans réduire son taux d’inges-
tion, nous sommes donc dans un cas de solution Profitabilité des parcelles
de Nash. Dans le cas qui nous intéresse, puisque
la valeur intrinsèque de la parcelle 1 (k1) est exac-
tement le double de celle de la parcelle 2 (k2), le S S
modèle suppose que la capacité compétitive
totale des individus dans la parcelle 1 sera le dou- a
ble de celle dans la parcelle 2 à l’équilibre. Ce
serait le cas, par exemple, si on retrouvait 6 gros
poissons dans la parcelle 1 (6 ¥ 2 = 12) et 6
(6 ¥ 1 = 6) petits dans la parcelle 2 (Figure 6.5). b
Mais ce n’est pas la seule façon d’arriver à assortir
les capacités compétitives d’une parcelle avec sa
valeur intrinsèque. Ce serait aussi le cas si on
retrouvait 5 gros poissons et 2 petits dans la par- c
celle 1 ((5 ¥ 2) + (2 ¥ 1) = 12) et 1 gros et 4 petits
dans la parcelle 2 ((1 ¥ 2) + (4 ¥ 1) = 6). Il existe
aussi d’autres assortiments de poissons qui ren-
contrent la supposition de l’assortiment des capa- d
cités compétitives à la valeur intrinsèque des
parcelles (cf. figure 6.5). En fait, bien qu’il existe
plusieurs combinaisons possibles qui correspon-
dent à des solutions de Nash, elles ne sont pas
Figure 6.5 Illustration schématisée de la distribution
toutes équivalentes car la différence dans les taux libre idéale dans la situation avec des compétiteurs
d’ingestion moyens entre les parcelles et les indivi- inégaux, représentés ici par la taille des cercles.
dus dépend de l’assortiment. Lorsque la population Illustration inspirée de Sutherland et Parker (1985).
totale est petite (G < 60) toutes les combinaisons
ne sont pas équiprobables.
En fait, la combinaison la plus probable est celle 1. Les lecteurs qui voudraient s’aventurer plus avant
où les individus de chaque type compétitif dans l’exploration des conséquences de l’asymétrie
s’assortissent selon le modèle de la DLI (la com- des compétiteurs pourront consulter Sutherland et
binaison représentée par la figure 6.5 c). Dans ce Parker (1985).
50
poissons zèbres Brachydanio rerio, qu’un des premiers
25 tests de l’idée d’interférence à intensité variable dans le
0 contexte de la DLI fut mis à l’épreuve par les Cana-
120 poissons 240 poissons diens Darren Gillis et Donald Kramer (1987). Dans
75
cette expérience, les poissons avaient accès à trois par-
50 celles de proies, des larves nauplii d’Artemia salina,
25 qui offraient des rapports de taux d’arrivée de 1:2:4
mais, une nouveauté expérimentale, ils pouvaient aussi
0
0 14 28 57 0 14 28 57 occuper l’espace sans nourriture entre les parcelles
Proportion de nourriture (Figure 6.6 a). Les expérimentateurs testent les distri-
butions de poissons à quatre densités de compétiteurs,
Figure 6.6 L’expérience de Gillis et Kramer (1987) 30, 60, 120 et 240 individus en supposant que plus
avec des poissons zèbres Brachydanio rerio. il y a de compétiteurs plus l’interférence est élevée et
(a) Vue en plan du dispositif expérimental qui con-
plus la distribution des prédateurs dévie de celle pré-
siste en un bassin principal contenant trois parcelles
chacune partiellement isolée par de petites parti- dite par la DLI. C’est exactement ce qu’ils observent
tions de végétation simulée. Les proies arrivent au (Figure 6.6 b). Plus la densité des compétiteurs est
centre de chacune des parcelles via des tuyaux et élevée et plus la distribution observée dévie des pré-
l’eau s’écoule vers un drain. (b) Proportion de pois-
dictions de la DLI. Cependant, ils notent que le taux
sons observés vs proportion de nourriture offerte
dans les trois parcelles pour quatre densités de de poursuites agressives entre les individus décroît
populations (30, 60, 120 et 240 poissons). Chaque avec l’augmentation de la densité. Les effets de l’inter-
point représente la moyenne de six réplications. La férence dans ce cas ne sont pas attribuables à de l’agres-
ligne pleine représente la prédiction du modèle de
sion entre compétiteurs. Le mécanisme précis de cette
la distribution libre idéale alors que les pointillés
représentent la régression linéaire calculée à partir interférence reste donc à élucider.
des observations. Modifié de Gillis et Kramer (1987).
➤ Conclusions intermédiaires
strictement déterminé par le nombre de compétiteurs Nous avons vu jusqu’à maintenant que dans une
à la parcelle. Les individus devraient alors se distribuer économie dispersive, la distribution attendue des
de manière à s’éviter le plus possible, une distribution individus sur un ensemble de parcelles de qualités
uniforme des compétiteurs est attendue et ce indépen- intrinsèques données dépend de la densité des com-
damment de la différence entre les valeurs intrin- pétiteurs et la qualité des parcelles. Dans un premier
sèques des parcelles. Naturellement, ces deux extrêmes temps, la distribution libre idéale prédit que la pro-
sont irréalistes. Ils illustrent tout de même l’effet de portion des consommateurs utilisant une parcelle
l’intensité de l’interférence sur la distribution des sera proportionnelle à la proportion des ressources
consommateurs. Plus m est faible et plus il y aura de qu’elle offre. Nous avons appris que la plupart des
consommateurs dans la parcelle riche comparative- tests de ce modèle trouvent qu’il y a trop d’individus
ment aux attentes de la DLI. Plus m est élevé, plus il dans les parcelles pauvres et pas assez dans les riches.
y aura d’individus dans la parcelle pauvre comparati- Ces déviations peuvent être expliquées par des man-
vement aux attentes de la DLI. Il devient donc impor- quements aux présupposés initiaux ainsi que par une
Encart 6.3
Un modèle déterministe du jeu producteur/chapardeur
Un modèle se construit à partir d’un scénario Il est possible d’estimer le rendement de la stratégie
plausible qui fixe les présupposés de l’analyse. producteur (Wp) et chapardeur (Wc) en tenant
Nous supposons qu’un groupe de G individus compte de la fréquence de l’alternative dans la
cherchant des parcelles qui contiennent F proies population. On recherche la fréquence d’équilibre
indivisibles. Parmi ces individus, pG s’adonnent de producteur p^ algébriquement puisqu’elle sup-
à la stratégie producteur et qG = (G – pG) pose l’égalité des rendements.
s’adonnent à la stratégie chapardeur. Un pro- Wp = Wc
ducteur découvre une parcelle à la fréquence l. A A
Les pG producteurs génèrent des parcelles à la λ a + ------- = pG λ ----------------
qG 1 + qG
fréquence totale de pGl. Lorsqu’un producteur
découvre une parcelle, il réussit à consommer a 1
p^ = -- + ----
a proies avant l’arrivée des chapardeurs: c’est F G
l’avantage du découvreur. Le producteur reste Il découle donc de cette analyse que la proportion
dans la parcelle lorsque les chapardeurs arrivent des producteurs au sein d’un groupe augmente
et obtient sa juste part des A = (F – a) proies qui avec la part du découvreur (a/F), cette partie
restent à être partagées entre le producteur et les de chaque parcelle qui va à l’usage exclusif du
qG chapardeurs. découvreur, et décroît avec la taille du groupe.
Proportion de chapardeurs (1 – q)
pardeurs dans un groupe, il faut pouvoir manipuler
Proportion de producteurs (q)
(a)
Modèle graphique du temps optimal à passer dans une parcelle lorsqu’un groupe de chapardeurs se joint au décou-
vreur après un bref délai. La ligne verticale pointillée marque le moment de l’arrivée de compétiteurs. Le modèle uti-
lise la méthode de la tangente décrite dans la figure 5.7. Les abscisses sont divisées par l’ordonnée à droite en une
portion qui correspond au temps dans la parcelle qui augmente vers la droite et, à gauche, au temps de recherche
qui augmente vers la gauche. L’ordonnée représente la quantité de nourriture exploitée dans la parcelle. (a) Effet
de l’augmentation du temps de recherche des parcelles sur le temps de départ optimal. Lorsque ce temps est court
(T1) le découvreur d’une parcelle devrait quitter dès l’arrivée des compétiteurs. Lorsque ce temps est long (T2), le
découvreur devrait rester après l’arrivée des compétiteurs. (b) Effet de l’intensité de l’interférence imposée au
découvreur par l’arrivée des compétiteurs. Lorsque cette interférence est faible, le découvreur devrait rester après
l’arrivée des compétiteurs. Cette interférence diminue la pente des gains par unité de temps après l’arrivée des
compétiteurs. Le découvreur devrait quitter à l’arrivée des compétiteurs lorsque ces derniers imposent une forte
interférence (ce cas correspond plus ou moins à la stratégie chapardeur). Tiré de Beauchamp et Giraldeau (1997).
QUESTIONS DE RÉFLEXION
1. Si les proies se distribuent de manière libre et idéale dans un environnement où certaines parcelles sont plus
riches que d’autres et qu’en plus les prédateurs de ces proies se distribuent aussi de manière libre et idéale
en fonction de ces proies, lesquelles des proies dans les parcelles riches ou pauvres subissent le plus haut taux
de prédation par individu?
2. Dans une situation d’économie d’agrégation qu’arriverait-il à la taille attendue du groupe si le contrôle de
la taille était entièrement sous la gouverne des intrus mais que ceux-ci étaient génétiquement apparentés
aux membres du groupe?
3. D’après vous, lequel du jeu producteur/chapardeur ou du jeu partage d’information permet au groupe
d’avoir le plus haut rendement en terme d’approvisionnement?
4. Voyez si vous pouvez en raisonnant arriver à prédire si l’exploitation d’une parcelle par des individus qui y
arrivent tous en même temps serait plus ou moins intensive que son exploitation par un individu solitaire.
Tentez de justifier votre réponse.
5. Imaginez l’expérience que vous feriez pour tester le modèle graphique de Guy Beauchamp (Figure 6.12).
7.1.3 L’importance de choisir un bon site Les animaux ont donc souvent plusieurs alternatives
de reproduction possibles qui chacune implique différents gains en
termes d’aptitude phénotypique. Lorsque dans une
De par ses effets possibles sur les traits d’histoire de telle situation, les individus tendent à adopter, de par
vie, sur les flux d’individus et de gènes entre sous- leur comportement, l’alternative qui maximise leur
populations, et sur la dynamique des populations, la aptitude, on dit qu’ils ont effectué un choix. Le terme
sélection de l’habitat de reproduction est un processus de choix n’implique pas un mécanisme conscient.
crucial à considérer. En particulier, chez beaucoup Dans le contexte de l’installation dans un lieu pour
d’espèces les reproducteurs sont fortement limités se reproduire, l’hétérogénéité de l’environnement
Activités humaines
Parcelle de l’environnement
Prévisibilité variable
Échelle régionale
La prédation et l’infestation des nids par des ectoparasites ont des chances d’être temporellement autocorrélés à
l’échelle de la colonie ou de la sous-colonie, mais la prévisibilité temporelle des autres facteurs peut être variable.
Adapté de Boulinier et Lemel (1996).
implique que la reproduction dans une parcelle ou celles tombées dans les habitats défavorables n’ont
une autre entraîne des perspectives différentes en pas conduit à une plante adulte. Dans un tel cas,
termes de succès de reproduction. Il y a choix si bien que le pattern obtenu soit le même que celui
l’individu n’est pas arrivé dans telle ou telle parcelle qui aurait résulté d’un véritable choix, on ne parle
par hasard, c’est-à-dire si, d’une manière ou d’une pas de choix, car ce pattern n’est que le fruit d’un
autre, il a acquis de l’information sur l’environne- processus de sélection par l’environnement. En revan-
ment avant de s’installer. Le terme de choix désigne che, si, selon les conditions qu’elle rencontre, la plante
donc le processus par lequel l’individu acquiert de l’infor- mère tend à faire des graines plus ou moins adaptées
mation sur les alternatives qui s’offrent à lui et décide à la dispersion (production de graines ailées par
d’opter pour celle d’entre elles qui, compte tenu d’un exemple) quand les conditions sont défavorables,
certain nombre de paramètres, lui permet de maximiser alors on peut commencer à regarder cela comme un
son aptitude. choix, par la plante mère et non par les graines, car
Il faut bien distinguer un processus de choix d’un d’une manière ou d’une autre, il y a eu prise d’infor-
simple processus de sélection favorisant les individus mation sur l’environnement.
occupant, par hasard, les parcelles les plus favora- La sélection de l’habitat va impliquer différentes
bles, les autres ayant été contre-sélectionnés. Par stratégies, selon qu’il s’agit du choix d’une zone
exemple, la distribution de la descendance d’une d’alimentation (et donc relève des questions abor-
plante qui dissémine ses graines au hasard, ne sera dées dans le cadre de la théorie de l’approvisionne-
bien évidemment pas le fruit du hasard: il existe ment optimal; voir chapitres 5 et 6), d’un site
une relation entre les paramètres de l’environne- d’oviposition pour un insecte, d’un hôte pour un
ment et la distribution de la descendance. Mais cela parasite (voir chapitre 15), d’un lieu de construction
n’est que le fruit d’une sélection par l’environne- du terrier, d’un site de reproduction pour un oiseau
ment: les graines tombées dans des habitats favora- ou d’un site de fixation pour une larve d’invertébré
bles ont germé et donné une plante adulte, alors que marin.
Prise d’information
Choix Choix
optimal réalisé
Ce schéma retrace l’influence plus ou moins séquentielle des différents facteurs environnementaux qui agissent sur
la sélection de l’habitat. Ce schéma fait le lien entre le «choix optimal» que désirerait faire un individu compte tenu
des informations dont il dispose, et le choix qu’il est effectivement en mesure de réaliser compte tenu des contraintes
variées qui agissent tout au long de ce processus. Inspiré de Wiens (1985).
Le choix de l’habitat est donc un processus relati- bien de temps ils peuvent continuer à prospecter
vement complexe qui est contraint par de nombreux une parcelle avant de la quitter pour aller évaluer la
paramètres (Figure 7.2). Ces contraintes peuvent qualité potentielle d’autres sites. La mémoire est
être liées (1) aux caractéristiques mêmes de l’espèce également importante et en particulier la mémoire
telles que ses capacités cognitives et de déplacement, spatiale. Un individu doit être capable de savoir
sa morphologie, etc.; (2) aux stratégies biodémo- quels sites il a déjà visités, quels sont les sites libres
graphiques de l’espèce et aux différents compromis ou occupés, quelles sont les parcelles où telle ou telle
que les individus sont amenés à faire; (3) aux carac- ressource est abondante à telle époque de l’année,
téristiques de l’individu qui se reflètent dans la varia- etc. Également dans le cas de philopatrie, l’individu
bilité interindividuelle; et (4) aux spécificités de doit pouvoir se souvenir de l’emplacement de son
l’environnement. territoire de naissance ou de reproduction. Toutes ces
caractéristiques sont autant de facteurs pour lesquels
a) Contraintes liées aux caractéristiques les individus peuvent être biologiquement limités.
de l’espèce Par exemple, la mémoire spatiale est associée à l’hip-
Comme il a été mentionné précédemment, la sélec- pocampe, une région du télencéphale connue pour
tion de l’habitat se fait dans la limite des capacités de son rôle dans la mémoire spatiale. Il a été démontré
déplacement de l’espèce considérée: s’il existe des que les oiseaux qui cachaient de la nourriture avaient
habitats de bonne qualité à une certaine distance un développement de l’hippocampe supérieur à celui
d’un individu, celui-ci ne pourra y accéder que si cette des espèces qui n’ont pas recours à cette stratégie. De
distance n’excède pas ses capacités de déplacement. même chez l’homme, les individus faisant profession-
Cet aspect est d’autant plus important que l’habitat nellement appel à leur mémoire spatiale (comme les
est fragmenté. chauffeurs de taxis) ont un plus fort développement
La sélection de l’habitat nécessite certaines capacités de l’hippocampe. Cependant, la taille du cerveau
cognitives particulières (Klopfer et Ganzhorn 1985). n’augmente pas pour autant, ce qui implique que ce
En premier lieu, l’orientation dans l’espace est indis- développement doit se faire au détriment d’autres
pensable non seulement pour les espèces migratrices structures cérébrales. Enfin, nous verrons plus loin que
mais aussi pour les espèces sédentaires chez lesquels pour effectuer un choix, les animaux doivent acquérir
les individus visitent régulièrement des territoires et utiliser de l’information sur les diverses alternatives
occupés en attendant que l’un d’eux se libère. De qui s’offrent à eux. Là aussi, la limitation des capacités
même, les organismes doivent avoir une notion du cognitives est probablement un important facteur
temps qui s’écoule ne serait-ce que pour savoir com- de limitation de la capacité de choix de l’habitat.
1 2
3
PRÉS-SALÉS VASIÈRE
Figure 7.3 Deux Territoire de nidification Territoire d’alimentation
stratégies d’accession Vers la mer
à un territoire
de reproduction
chez l’huîtrier-pie
Haematopus
ostralegus.
Nid
Territoire de
nidification
Territoire
CLUB d’alimentation
0 50 100 m
8
Hasard Succès 1
7
6
Scores des stratégies
Succès 2
5
Figure 7.4 Stratégie de choix
de l’habitat de reproduction 4
évolutivement stable
et autocorrélation temporelle 3
de l’environnement. 2
1
Philopatrie Présence
0
0 0,2 0,4 0,6 0,8 0,95 1
Coefficient d’autocorrélation
Performance d’invasion de cinq stratégies de choix de l’habitat en fonction de la prévisibilité de l’environnement
lorsqu’elles sont confrontées deux à deux en fonction de l’autocorrélation temporelle de l’environnement. Lorsque
le coefficient d’autocorrélation est de zéro, l’environnement varie aléatoirement. Lorsqu’il est égal à un, l’environ-
nement est constant. Entre les deux, l’environnement varie de façon plus ou moins prévisible selon la valeur de ce
coefficient. L’échelle verticale quantifie la capacité d’invasion d’une stratégie par rapport aux quatre autres straté-
gies: le score quantifie l’importance numérique de chaque stratégie à la fin des confrontations, calculé à partir de
100 simulations répétant les mêmes conditions. Ce score peut varier de 0 à 8. Les simulations sont faites en utilisant
un modèle matriciel, deux zones d’habitat de reproduction de qualité variable et une fonction de densité dépen-
dance locale négative. Les résultats présentés correspondent à une espèce d’oiseau peu longévive (e.g. petit passe-
reau), mais des résultats qualitativement similaires sont obtenus lorsque l’on considère le cas d’une espèce à cycle de
vie long. Les cinq stratégies de choix de l’habitat confrontées sont: Hasard: les animaux ne choisissent par leur habi-
tat de reproduction. Philopatrie: retour au lieu de naissance et de reproduction pour se reproduire. Présence: choix
en fonction des densités relatives dans les parcelles de l’environnement. Succès 1: choix en fonction du succès de
reproduction estimé en pourcentage de couple subissant un échec de reproduction. Succès 2: choix en fonction du
nombre relatif moyen de petits produits par couple des congénères des diverses parcelles de l’environnement.
Nota bene: les deux stratégies succès sont basées sur l’information publique. Mais, pour des raisons liées au mode de
modélisation, la stratégie Succès 1 se basait sur le pourcentage de reproducteurs en échec (ce pourcentage était
indépendant de la densité dans ce modèle). En revanche, l’information utilisée par la stratégie Succès 2, était
influencée, elle, par la densité dépendance. D’après Doligez et al. 2003.
ajusté (t + 1)
5 12
3,5 0,14 20 48
3 8 0,12
32
2,5 0,1
2 0,08
1,5 0,06
A CM CC D A CM CC D
Traitement expérimental (t) Traitement expérimental (t)
(b) (d)
F 329 = 7,56; p = 0,0007 χ23 = 13,73; p = 0,0033
107 70
moyenne à l’envoi
12 0,15
0,4 0,1
5 0,05
0 49 272
8 0
– 0,4 – 0,05
– 0,1
– 0,8 – 0,15
A CM CC D A CM CC D
Traitement expérimental (t) Traitement expérimental (t)
les parcelles A et D comme étant moins bonnes que les oiseaux utilisent à la fois la quantité et la qualité
les parcelles contrôles. En effet, dans les parcelles D des poussins comme indice révélateur de la qualité de
et A, une des composantes de l’information publique l’habitat (Figure 7.7 d).
révèle l’existence d’un problème. La différence entre les résultats de la décision d’ins-
Les résultats obtenus concernant la décision de s’ins- tallation et celle de quitter une parcelle peut s’expli-
taller dans une parcelle (immigration) sont conformes quer par le fait que pour prendre la décision de
aux prédictions si les oiseaux n’utilisent que le nombre quitter une parcelle, les individus n’ont besoin d’infor-
de poussins produits comme information publique mation que sur la parcelle où ils se sont reproduits.
sur la qualité des environnements (Figure 7.7 c). Les De ce fait, on peut imaginer qu’ils ont eu toute la
résultats obtenus concernant la décision de quitter saison de reproduction pour accumuler de l’infor-
une parcelle, eux, correspondent à ceux attendus si mation et ils auraient donc eu la possibilité d’évaluer à
QUESTIONS
1. Imaginez des expériences permettant de tester l’existence de tel ou tel mécanisme de choix de l’habitat de
reproduction.
2. En quoi l’étude des patterns de distribution des reproducteurs dans l’espace nous renseigne sur les méca-
nismes à l’origine de ces patterns?
3. Quel est à votre avis l’apport de l’approche corrélative (basée sur l’étude de corrélations) dans la démarche
visant à étudier les choix des animaux?
4. Est-ce qu’une distribution très biaisée des individus de telle ou telle espèce en faveur de tel ou tel type
d’habitat permet de conclure à l’existence d’un véritable processus de choix de la part de ces individus? Pensez
au cas des plantes par exemple.
L’évolution de la dispersion
Population ou groupe
social d’arrivée
s Décision d’installation
tile
hos s = sélection de l’habitat
e
ats ibl
a bit spon
’h i
e d ts d
a ïqu abita
z
Mo t d’h et
e raj Lieu de
du t tion Figure 8.1 Les grandes
oix ora reproduction
Ch expl étapes d’un événement
d’ de dispersion.
Décision de partir
= dispersion
Trajet
Population ou Lieu de naissance
groupe social ou de reproduction
de départ antérieur
Le plus souvent chez les animaux, un événement de dispersion commence par une décision de quitter le lieu soit de
naissance (dispersion de naissance) soit de reproduction précédent (dispersion de reproduction). C’est la décision de
départ. À l’autre extrémité, cet événement est borné par une décision d’installation dans un nouveau lieu. C’est la
décision d’installation. Entre ces deux décisions, se situe la phase de mouvement proprement dite pendant laquelle
l’individu est amené à prendre une série de décisions successives. Cette figure représente les phases de la dispersion,
mais ne sous-entend bien entendu pas que le mouvement pendant la dispersion soit rectiligne. En général, lorsque
l’on s’intéresse à la décision de partir, on parle de dispersion; lorsque l’on s’intéresse à la décision d’installation, on
tend à parler de choix de l’habitat.
Cette mini-revue est très loin d’être exhaustive, à la déformation d’un signal envoyé (radar, écho-
en particulier sur les aspects techniques. Elle se location, etc.), de détecter un individu et/ou un
focalise essentiellement sur la nature des infor- groupe d’individu.
mations recueillies. Les lecteurs sont encouragés Les méthodes de marquage dites méthodes di-
à compléter par eux-mêmes. rectes permettent, grâce à la pose d’un identifica-
Les méthodes génétiques dites méthodes indi- teur individuel externe ou interne sur l’individu,
rectes, permettent, grâce à un nombre important de réobserver, lors d’une recapture physique ou
de marqueurs génétiques (allozymes, ADN nucléaire visuelle, permettant alors la réalisation d’un suivi
et mitochondrial…), une identification partielle individuel dans la nature.
ou totale d’un individu ou d’un groupe d’indi- Les extensions récentes, en particulier des méthodes
vidu. Elles permettent de mesurer une dispersion indirectes et télémétriques, permettent souvent
efficace (c’est-à-dire suivie d’une reproduction l’acquisition de données aussi précises, et souvent
ayant donné lieu à des individus ayant survécu plus riches, que celles obtenues par le marquage
pour créer une lignée). classique (Tableau 8.1). Outre la question scien-
Les méthodes télémétriques permettent, grâce à tifique, le coût de la méthode, la quantité de don-
la détection d’un signal émis par une sonde nées souhaitée et le temps nécessaire au suivi,
embarquée (balise Argos, transpondeur, etc.) ou orientent le plus souvent le choix de la méthode.
Peu approprié
Accès à des événements
Généalogie des gènes Non Limité Non pour les aspects
très anciens
dynamiques
Permet de mesurer la
Génotypage Oui Oui Oui Très coûteux
parenté entre individus
Trois grands groupes de causes ont été évoqués Variations de l’environnement génétique: celles-ci
dans la littérature pour expliquer l’évolution de la peuvent avoir deux sources différentes dont l’effet
dispersion. est contraire.
La variation de l’environnement physique: la qua- • D’une part, l’évitement de la consanguinité
lité de l’habitat peut varier soit dans l’espace, soit pousse à la dispersion de façon à éviter les
dans le temps. appariements consanguins.
La variation de l’environnement social: celle-ci • D’autre part, l’existence de gènes coadaptés
peut être de deux grands types: pousse à éviter de disperser sur de trop grandes
distances car cela pourrait conduire à casser les
• variation liée à la compétition entre individus associations entre gènes coadaptés.
(interâge, intrasexe et intersexe); Multiples causes: nous verrons que, le plus sou-
• variation due à la compétition entre apparentés, vent, c’est probablement une conjonction de ces
c’est-à-dire à l’intérieur d’une fratrie, ou bien diverses contraintes qui a été impliquée dans
entre parents et enfants. l’évolution du comportement de dispersion.
importants que sont la notion de métapopulation et a) Deux grands types d’approche historique
celle d’étalement du risque. quelquefois contradictoires
À partir de ces modèles, beaucoup de situations dif-
La métapopulation est un ensemble de populations
férentes ont été explorées en prenant en compte la
(c’est-à-dire des unités de reproduction constituées
structure d’âge, la dynamique locale, la structure et
d’un ensemble d’individus ayant une plus grande
l’éloignement des populations, la qualité des sites,
probabilité de se reproduire entre eux qu’avec des
etc. En fait, deux grands types de modèles différant
membres d’autres unités de reproduction) plus ou
par leurs objectifs ont été développés en parallèles.
moins connectées entre elles par la dispersion, sou-
mises à extinction récurrente et pouvant être coloni- Le premier type s’attache aux conséquences démo-
sées par des propagules venant d’autres populations graphiques (type de dynamique de populations à
appartenant à cette métapopulation. En d’autres ter- l’échelle locale et globale, persistance de la méta-
mes, une métapopulation est un ensemble de popu- population, etc.) d’une variation des taux de disper-
lations connectées entre elles par de la dispersion. sion, d’extinction, et de la qualité des sites, etc. C’est
l’approche démographique de la dispersion.
Dans un système de ce genre, il est immédiatement Le deuxième type s’intéresse à l’évolution du taux
évident que, si une espèce ne garde pas la possibilité de dispersion en milieu hétérogène et aux consé-
de disperser, elle s’éteindra tôt ou tard car toutes les quences sur l’évolution de la probabilité d’extinc-
populations constituant cette métapopulation connaî- tion, en fonction de la qualité des sites, etc. C’est
tront avec une probabilité égale l’extinction à un l’approche évolutive de la dispersion.
moment ou à un autre. Donc, disperser sa progéniture À ces deux types de modèles, on peut opposer les
dans plusieurs populations revient à assurer la survie modèles centrés sur le comportement dont nous avons
d’au moins un de ses descendants en minimisant la vu plusieurs exemples dans le chapitre 7.
probabilité qu’ils disparaissent tous dans l’extinction L’approche démographique et l’approche évolutive
d’une seule et même population. Cela est bien entendu ont donné des prédictions souvent contradictoires.
d’autant plus vrai que les probabilités d’extinction L’exemple le plus connu est celui de la dispersion
des différentes populations sont indépendantes entre dans les systèmes source-puits. Un système source-
elles. En d’autres termes, la dispersion permet à une puits est constitué de deux types de populations: les
lignée d’étaler les risques d’extinction en envoyant des unes, appelées populations sources, produisent des
descendants dans plusieurs parcelles de l’environne- individus en excès par rapport au nombre d’indivi-
ment. C’est une notion importante en biologie de la dus à remplacer (taux de croissance positif ); les
conservation (voir le chapitre 16). autres, appelées populations puits, ont au contraire
Les tropismes sont des réactions souvent innées de pénétrer dans ces habitats, même si leur traver-
(c’est-à-dire sous un déterminisme génétique fort), sée leur épargnait du temps et de l’énergie. Pour
d’attraction ou de répulsion vis-à-vis d’éléments ces espèces, les lisières forestières constituent de
grossiers de l’habitat. Les tropismes sont soit posi- véritables barrières réfléchissantes. Si l’on ignore
tifs quand les individus sont attirés par une carac- ce tropisme, on peut avoir l’impression d’un tra-
téristique précise de l’habitat, soit négatifs lorsque jet de dispersion de type marche aléatoire alors
les individus sont au contraire repoussés par cette qu’une connaissance plus précise des tropismes,
caractéristique. Par exemple, on parle de photo- une fois replacés dans la matrice de l’environne-
tropisme positif pour les animaux qui se dirigent ment, permet de réduire de manière importante
vers la lumière, et de phototropisme négatif pour la part de l’aléatoire dans le choix du trajet. Les
les animaux qui se dirigent vers l’ombre. On parle contraintes générées par la structure des paysages
aussi de géotropisme quand la composante de peuvent modifier de manière significative (voir
l’habitat en cause est la gravité terrestre. figure 8.2) les distances de dispersion et, par consé-
Un exemple plus subtil est celui des espèces vivant quent, en modifiant les coûts du trajet, la décision
en plaine (milieu typiquement ouvert) qui mon- de disperser. Ces mécanismes sont particulière-
trent une répulsion pour tous les habitats fermés, ment importants à déterminer si l’on veut prédire
en particulier les habitats forestiers. Lors de leurs l’expansion des aires de répartition, en particulier
déplacements, ces espèces évitent systématiquement en biologie de la conservation.
Trajet effectivement
Habitat de reproduction réalisé
Figure 8.2 Les trois conceptions de la dispersion, ou la vision qu’ont les chercheurs
du processus de dispersion selon leur spécialité et les époques.
(a) Les écologistes évolutifs s’intéressent surtout au fait que des individus changent de population. C’est
cela qui va influencer la structuration génétique, et donc l’évolution des populations. (b) Les dynamiciens
des populations ont ensuite introduit l’espace: ils conçoivent ces mouvements toujours sous une forme
linéaire, mais au sein d’une matrice d’habitat, c’est-à-dire au sein d’une métapopulation. (c) Les comporte-
mentalistes, eux, s’intéressent aux prises de décision ayant lieu tout au long du processus, en interaction
avec la mosaïque d’habitat qui constitue l’environnement.
même s’il existe des différences intrinsèques de qua- que la qualité d’un habitat est de toute façon dyna-
lité de l’habitat, la plupart des organismes semblent mique parce qu’elle dépend fortement du nombre
être à même de les percevoir et d’en tenir compte de congénères l’utilisant. Cela veut dire que, même
dans leurs déplacements. Enfin, il ne faut pas oublier si la qualité intrinsèque des diverses parcelles de
0,75
0,5
0,25
0,5
0
0,5 1 1,5 2 2,5
0,5
0
Figure 8.3 Distribution libre idéale
des gobe-mouches à collier
– 0,5 pendant la reproduction.
–1
– 1,5
– 1,5 –1 – 0,5 0 0,5 1
Individus migrant de j vers i (résidus)
(a) Le nombre d’individus immigrant dans un bois donné est fortement corrélé au nombre d’émigrants
sortant de ce même bois (P < 0,0001). C’est le résultat attendu selon la deuxième prédiction de la DLI.
(b) Pour un couple de bois i, j le nombre de migrants de i vers j est sensiblement égal à celui allant de j vers
i (P < 0,0001). Notez que ce résultat est corrigé par la distance entre les bois. En effet, un simple effet de la
distance entre les bois pourrait expliquer un tel résultat, sans avoir besoin d’invoquer les présupposés de
la DLI. Ce résultat de nouveau est conforme à la troisième prédiction que nous avons faite à partir de la DLI.
(c) Le taux d’émigration (nombre d’individus émigrant divisé par le nombre total d’individus dans le bois)
diminue avec la taille de la population (P < 0,004). Ce résultat correspond à la quatrième prédiction de la DLI.
D’après Doncaster et al. 1997.
résultats vérifient les quatre prédictions ci-dessus bois n’étaient pas toujours les mêmes. Variant forte-
(Figure 8.3). Tout d’abord, la fécondité moyenne ment d’un bois à l’autre une année donnée, la fécon-
des onze bois étudiés variait d’une année sur l’autre dité des individus, sur les six années de l’étude,
de telle sorte qu’il y avait une interaction entre l’effet n’était en moyenne pas différente entre les bois. De
lié au bois et l’effet année. Cela indique que chaque plus, bien qu’il y ait des variations de fécondité entre
année, certains bois montraient une performance bois et année, les fécondités moyennes ne différaient
moyenne meilleure que d’autres, mais que les meilleurs pas entre les bois comme attendu selon la première
Taille de population
lés (Figure 8.3 b); Enfin, le taux d’émigration pour
200
un bois donné était négativement corrélé à la taille
du bois (Figure 8.3 c). Les auteurs ont donc conclu
que les gobe-mouches reproducteurs de l’île de Got-
100
land sont distribués d’une manière libre idéale
parmi les divers bois où se trouvent des nichoirs.
0
• À quelle échelle doit-on tester la DLI? J J A S O N D J F M A M J J A S O N D J F M A M J J A
Chez beaucoup d’insectes qui présentent un Toutefois, la réponse à la densité semble dépen-
dimorphisme pour la présence d’ailes (macroptè- dre du sexe, le sexe le plus philopatrique étant
res), le pourcentage d’ailés dans la population est généralement le plus sensible à l’effet de la densité
fonction de la densité en congénères. Des exem- (exemples chez les mésanges, revue par Lambin et
ples existent chez les sauterelles, les grillons et les al. 2001). Chez certaines espèces, la réponse à la
pucerons. densité semble même inverse (exemple chez les
Une belle expérience est celle de Herzig (1995) campagnols, Lambin 1994) sans que les raisons
qui crée expérimentalement des populations lar- en soient très claires. L’explication qui a été propo-
vaires à haute et basse densité chez le coléoptère sée à ces différences entre études est que la mesure
Trirhabda virgata. Ces manipulations de densité de la dispersion utilisée dans les diverses études
affectaient fortement le pourcentage de plantes n’était pas la même: certaines études utilisaient la
défoliées et, donc, la compétition intraspécifique dispersion effective (c’est-à-dire accompagnée de
différait entre les divers traitements. Les résultats reproduction) comme réponse comportementale
ont montré que les mouvements à longue distance à la manipulation de densité; d’autres utilisaient
et utilisant le vol sont accrus en populations de seulement les tentatives de dispersion sans tenir
haute densité. compte de leur efficacité réelle comme mesure de
De même, le puceron Aphis fabae dans sa forme l’effet de la densité sur le comportement de dis-
aptère produit des descendants ailés lorsqu’il est persion. En milieu fortement dense, les tentatives
placé en condition de surpopulation (estimée entre de dispersion sont plus nombreuses, mais celles
autres par le nombre de contacts avec des congé- qui réussissent sont celles faites sur de courtes dis-
nères). Toutefois, la descendance ailée ne dispersera tances. Toutefois, il existe d’autres explications
que si elle rencontre elle-même des conditions de alternatives à ces différences de comportement.
forte densité, ce qui montre que les conditions Par exemple, la structure du paysage (présence et
agissent à plusieurs moments différents: lors du connaissance d’autres populations), la structure
développement conduisant les individus vers des d’apparentement, la signification de la densité
morphotypes différents; puis sur l’individu adulte pour l’espèce (si la densité est considérée comme
ailé, en déclenchant ou non la dispersion selon que reflétant la qualité de l’habitat) sont autant d’autres
la densité effectivement rencontrée par l’individu causes potentielles pouvant expliquer ces différen-
ayant la capacité morphologique de disperser est ces dans les résultats (Lambin et al. 2001, Clobert
forte ou faible (Roff 2001). et al. 2003).
➤ Pourquoi doit-on s’attendre à observer culier ceux qui quittent leur site de naissance pour la
des métapopulations à la DLI? première fois, cette hypothèse n’est guère envisageable.
Il a fallu néanmoins attendre la fin des années 1990 N’ayant dès lors aucune information sur le degré de
pour voir la confirmation théorique du lien, démon- compétition intraspécifique qu’ils sont susceptibles
tré de manière empirique, entre l’évolution du taux de rencontrer ailleurs, il a été conclu à l’impossibilité
de dispersion et la compétition intraspécifique. La d’atteindre la distribution libre idéale. En fait, ces
raison principale de cette différence de temps entre conclusions faisaient abstraction de plusieurs faits
approche empirique et théorique vient curieuse- importants.
ment du moment où le paradigme de la distribution Par exemple, si la distribution n’est pas libre idéale,
libre idéale a été appliqué à l’évolution du taux de alors, des parcelles de l’environnement sont surexploi-
dispersion. En effet, pendant longtemps les cher- tées et d’autres sous-exploitées. Cela signifie que tout
cheurs en écologie de l’approvisionnement ont pensé individu d’une parcelle surexploitée capable de détecter
que la distribution libre idéale ne pouvait être atteinte qu’il est dans une parcelle défavorable et de se dépla-
que lorsque l’individu avait une parfaite connaissance cer ensuite vers une parcelle plus favorable sera favorisé
de la qualité de tous les habitats dans le paysage (voir par la sélection naturelle. Chacun de ces mouve-
chapitre 6). Pour les individus dispersants, en parti- ments aura pour effet de faire tendre la distribution
Encart 8.5
Biais de dispersion en fonction du sexe chez les fourmis
Chez la fourmi Diacamma cyaneiventre (Doums des colonies par creusement de nouvelles galeries
et al. 2002), les futures reines ne sont pas ailées et et établissement d’une des reines dans ce nouveau
sont donc condamnées à rester dans le nid natal. réseau de galeries). Ces deux processus se produisent
Pour être fécondées, elles doivent attendre qu’un sur des échelles spatiales clairement différentes.
mâle ailé produit dans une autre colonie, trouve Pour d’autres espèces, comme la fourmi de feu
et pénètre leur colonie. Les flux de gènes entre (Solenopsis invicta), il y a production d’ailés chez
colonies ne se font sur des distances significatives les deux sexes ce qui facilite grandement la disper-
que par la voie mâle, alors que l’essaimage des sion, et peut être à l’origine de ses caractéristiques
colonies ne se fait que par bouturage (divisions d’espèce invasive (Ross 2001).
Dans deux synthèses sur les taux de dispersion de espèces, le choix du territoire se fait après le choix
naissance et de reproduction chez les mammifères du partenaire, ce qui permet aux mâles de seule-
et les oiseaux, Paul J. Greenwood (Greenwood 1980, ment défendre la ressource sexuelle et explique
Greenwood et Harvey 1982) montre que chez leur plus fort taux de dispersion comme prédit
les oiseaux, les femelles dispersent plus que les par Greenwood. Chez les mammifères, c’est chez
mâles pour une majorité d’espèces et de familles, les espèces territoriales que se rencontrent le plus
alors que c’est l’inverse chez les mammifères souvent les exceptions au pattern général de ce
(Tableau 8.2). groupe. Chez le pica (Ochotona princeps), un
Globalement, les systèmes de reproduction diffè- lagomorphe américain vivant dans les massifs
rent fortement entre les mammifères et les oiseaux montagneux, les mâles et les femelles ont un ter-
(Tableau 8.3). À l’intérieur de chaque groupe, il ritoire, mais la compétition pour les territoires est
existe des exceptions. Cependant, ces exceptions plus intense chez les mâles où les jeunes mâles
sont en fait expliquées par des particularités bio- restent près de leur site de naissance (meilleure
logiques des espèces concernées, ce qui a pour effet connaissance du site) et attendent qu’un terri-
de renforcer le pattern général. Pour les oiseaux toire soit accessible (Peacock et Ray 2001). Les
par exemple, beaucoup d’anatidés font exception. femelles ne s’apparient qu’avec des mâles territo-
Dans ce groupe, le couple se forme sur les quar- riaux et cherchent donc ceux-ci sur une surface
tiers d’hivernage, et le mâle suit la femelle qui plus large entraînant par là même une plus
retourne près de son lieu de naissance. Chez ces grande dispersion de naissance.
Tableau 8.2 Biais de dispersion liée au sexe chez les oiseaux et les mammifères.
Oiseaux Mammifères
Oiseaux Mammifères
Défense des ressources par les mâles Défense des femelles par les mâles
Fort investissement mâle dans les ressources Faible investissement mâle dans les ressources
en absence ou en présence du partenaire particulièrement en absence du partenaire
Faible investissement des femelles dans les ressources Fort investissement des femelles dans les ressources
Compétition entre mâles pour les ressources Compétition entre mâles pour les femelles
Monogamie sociale principalement Polygamie principalement
Philopatrie des mâles Philopatrie des femelles
Plus grande dispersion de naissance et de reproduction Plus grande dispersion de naissance et de reproduction
des femelles expliquées par: des mâles expliquées par:
1) Évitement de la consanguinité 1) Évitement de la consanguinité
2) Accroissement du succès de reproduction par un choix 2) Accroissement du succès de reproduction
des mâles basés sur les ressources qu’ils défendent par une mobilisation d’un plus grand nombre de femelles
Évolution vers un système patriarcal Évolution vers un système matriarcal
Encart 8.7
Des têtards se rassemblant selon leur parenté génétique
Les têtards de nombreuses espèces forment des individus d’une même ponte pourrait être envahi
groupes compacts en présence de prédateurs. En par des individus tricheurs venant d’une autre
présence d’un prédateur, ces têtards tendent à ponte. En effet, ces derniers pourraient profiter
former des groupes très denses, ce qui, par un de la protection du regroupement d’individus
simple effet de dilution, a pour effet de rendre cha- appartenant à un type génétique différent sans
que individu moins vulnérable. Il a été constaté que que leur propre type ne paye le coût associé au
les individus formant ces groupes sont des pro- regroupement comme la nécessité de rester proche,
ches génétiques. Comme dans une même mare, etc. La reconnaissance des proches génétiques est
peuvent cohabiter des individus provenant de un des mécanismes qui peut permettre d’éviter
différentes pontes (donc non proches génétique- d’être «parasité» et donc envahi par de tels géno-
ment), le comportement d’entraide contre la pré- types égoïstes. Des exemples de ce type ont été
dation que constitue ce regroupement spatial des trouvés chez de nombreuses espèces.
Uta stansburiana, est un petit lézard iguanidé Chez cette espèce, la dispersion des enfants est
nord-américain. Il vit dans des amas de pierres influencée par le génotype paternel et on s’attend
répartis dans les espaces ouverts. La couleur de la dès lors à ce que la dispersion des enfants produits
gorge des mâles de cette espèce peut apparaître par les mâles orange diffère de la dispersion des
sous trois formes (voir le chapitre 4): bleu, orange enfants de mâles bleus. Ainsi, la compétition entre
et jaune. À chacune de ces formes est associée une apparentés doit être plus violente chez les mâles
stratégie de reproduction particulière: les bleus orange qu’elle ne l’est chez les mâles bleus du fait
sont monogames, tolérants et défendent un petit de leur plus grande agressivité et de leur système
territoire, les oranges sont polygames, agressifs et de reproduction de type polygame. En effet, l’on
défendent un grand territoire; enfin les jaunes trouve que les enfants de mâles orange ont ten-
sont des «voleurs de fertilité», furtifs, et ne défen- dance à s’éloigner l’un de l’autre plus que ce que le
dent pas de territoire. De plus, les individus des hasard ne l’attendrait, alors qu’à l’inverse les enfants
divers phénotypes ont un comportement de de mâles bleus s’attirent plus que ne le laisserait
hochement de la tête typique de leur morphotype. supposer le hasard. De plus, le succès de reproduc-
Il a été suggéré que ce comportement permet la tion des mâles orange diminue lorsque le nombre
reconnaissance des génotypes. de proches génétiques augmente dans le voisinage:
De manière générale, les mâles orange dominent pour les mâles orange, il existe une compétition
les mâles bleus et s’accouplent avec leurs femelles forte entre proches génétiques. Au contraire, le
(résultant en une multipaternité), les mâles bleus succès reproductif des mâles bleus augmente en
dominent les mâles jaunes et parviennent à gar- fonction du nombre de proches génétiques dans le
der leur femelle à l’abri de leur tentative d’accou- voisinage (Figure 8.8). Pour les mâles bleus, c’est
plement, les mâles jaunes se comportent comme donc l’entraide entre apparentés qui prévaut. Chez
des femelles (beaucoup d’entre elles ont la gorge cette espèce, la couleur de la gorge sert de signe de
jaune) et parviennent à tromper la surveillance reconnaissance (analogue à un gène barbe verte,
des mâles orange en s’accouplant avec certaines voir chapitre 2) et le rythme des hochements de
de leurs femelles. Cette structuration où une tête permet la reconnaissance génotypique. On voit
stratégie est à la fois dominante et dominée par donc que dans cette espèce, la sélection d’habitat
une autre stratégie et dont le succès d’une straté- est basée en partie sur la présence de proches géné-
gie dépend de la fréquence des autres stratégies tiques, et, selon les stratégies, la dispersion mène à
dans la population, est analogue au fameux choisir, ou au contraire à éviter, un habitat où la
jeu caillou-papier-ciseaux (rappelez-vous ce jeu présence de proches génétiques a été détectée. On
d’écolier où le papier gagne sur le caillou en peut voir que les conséquences sur l’aptitude de se
l’enveloppant, les ciseaux sur le papier en le tromper d’environnement sont très importantes.
découpant, et le caillou sur les ciseaux en usant La présence de mécanismes complexes et de poly-
les lames. Les écoliers font le symbole du papier, morphismes des réactions au degré d’apparente-
des ciseaux ou du caillou la main cachée dans le ment chez une espèce au demeurant peu sociale,
dos, et affichent tous en même temps leur main. suggère que l’évolution de comportements sociaux
On peut démontrer que la tactique optimale est peut être plus facile qu’on ne le pensait. Pour plus
de jouer le caillou, les ciseaux et le papier dans d’information sur ce système, voir Sinervo et Lively
des proportions de 60%, 25% et 15% respecti- 1996, Sinervo et al. 2001, Zamudio et Sinervo
vement). 2000, Sinervo et al. en préparation.
Est-ce à dire qu’une origine polycauses de la disper- sont intervenues? Cette question est sans doute pré-
sion constitue la règle ou au contraire que ce com- maturée vu l’état de nos connaissances, mais l’étude
portement est apparu primitivement pour une seule de l’évolution du taux de dispersion sous l’influence
cause et réorienté ou réorganisé lorsque d’autres causes de multiples causes peut nous aider à progresser dans
Chez bon nombre d’espèces, les individus qui orange dispersent en moyenne bien plus que les
dispersent ont des traits morphologiques, physio- jaunes (Figure 8.8 a). Pour démontrer le caractère
logiques ou comportementaux différents des indi- causal de cette relation, une expérience a été entre-
vidus philopatriques (Murren et al. 2001). Les prise pour modifier la taille du jeune à la nais-
exemples classiques sont ceux de certains individus sance. Par ablation folliculaire, on peut réduire la
pourvus d’ailes chez les insectes, ou de graines taille de ponte de la femelle et augmenter l’inves-
pourvues d’ailettes chez les plantes. Cependant, tissement que cette femelle fait dans chaque œuf
les différences entre individus dispersants et rési- restant. On fabrique donc des enfants géants. Si
dents sont souvent plus subtiles, par exemple le lien entre taille du jeune et dispersion est causal,
d’ordre quantitatif. Ainsi, chez le lézard Uta stans- on doit trouver que les enfants géants de mâles
buriana, les jeunes de mâles oranges qui dispersent orange dispersent plus, alors que les enfants géants
sont en moyenne plus grands que les philopatri- de mâles jaunes devraient disperser moins. C’est
ques, mais la relation est inversée chez les jeunes bien ce résultat qui est trouvé (Figure 8.9 b).
produits par les mâles jaunes (Figure 8.8 a). Cela Pour plus de détails sur cette recherche voir
est à mettre en relation avec le fait que les individus Sinervo et al. en préparation.
Orange C M 5
4
3
Bleu Bleu
2
1
Jaune Jaune 0
5 C M
Taille du jeune 4
3
2
1
0
C M
Figure 8.9 Dispersion en fonction de la taille corporelle chez le lézard Uta stansburiana.
C: Contrôle; M: Gigantisation par ablation folliculaire.
(a) Relation entre le phénotype du jeune dispersant (taille corporelle) et la distance de dispersion.
(b) Résultat de l’expérience de gigantisation. L’axe des ordonnées représente la distance, les barres les
moyens (+ erreur standard) des divers groupes. Des ablations folliculaires effectuées chez certaines femelles
ont pour effet de diminuer la taille de la ponte. Cela produit des jeunes géants car la femelle investit plus
dans les quelques œufs restant. Les jeunes géants provenant de mâles jaunes ont moins dispersé, alors que
les jeunes géants de mâles orange ont plus dispersé. Cela confirme que la relation entre la taille du jeune et
la dispersion, opposée pour les jeunes de mâles orange et jaune, est causale. Cela démontre également que
le phénotype des dispersants peut être différent du phénotype des philopatriques. D’après Sinervo et al. en
préparation.
Encart 8.10
Déterminisme génétique ou environnemental
de la capacité à disperser chez la drosophile
La question du déterminisme génétique de l’acti- ponte, près ou loin du point de lâcher, ont été
vité locomotrice chez la drosophile est controversée réalisées pour les trente lignées iso-femelles. La
(van Dijken et Scharloo 1980), en partie parce contribution génétique est mesurée par l’influence
que des effets pré-imaginaux peuvent influencer de l’appartenance à une lignée iso-femelle parti-
la mesure de l’héritabilité de ces traits. Dans une culière sur le choix du site de ponte des adultes;
expérience multifactorielle, Lefranc (2001) a l’effet prénatal est estimé par l’influence du milieu
sélectionné trente lignées iso-femelles (différant d’élevage de la larve dont provient l’adulte; le
génétiquement) et les a fait pondre dans deux choix de site de ponte par l’effet de la position de
types de milieu: un axénique, l’autre contenant celui-ci par rapport au point de lâcher. Les résul-
un mélange d’éthanol et d’acide acétique en propor- tats montrent que le choix de l’habitat est déter-
tion similaire à celle d’un fruit en décomposition miné par sa position par rapport au point de lâcher
(nourriture favorite de la drosophile Drosophila à plus de 70%, et dans une moindre mesure par
melanogaster). Les adultes provenant de ces larves le milieu d’élevage des larves en interaction avec
ont eu le choix de pondre sur un des types de le type de milieu et la distance de ce milieu par
milieu utilisés pour l’élevage des larves. L’un des rapport au point de lâcher. Aucune différence
milieux était disposé près du point de lâcher des entre lignées iso-femelles n’a été trouvée. Ces
adultes, l’autre à une certaine distance. Toutes les résultats ne font donc pas apparaître d’effet géné-
combinaisons entre milieu d’élevage et milieu de tique.
Corticostérone
Compétition
Humidité Condition entre Prédation
corporelle apparentés
Compétition
Charge
parasitaire Humidité
température
permettre d’optimiser la décision de disperser devrait infection parasitaire, un manque de nourriture, etc.,
être sélectionnée. Puisque les hormones stéroïdes sont et décrirait donc l’état de santé de la mère; une mère
connues pour affecter le développement du phénotype en mauvaise santé a une chance réduite de survivre
(voir le chapitre 4 et la figure 8.11), en particulier jusqu’à l’épisode de reproduction suivant, ce qui
celui lié à l’exploration et à la résistance au stress, il réduirait dès lors la probabilité que mère et enfants
était tentant d’imaginer que celles-ci étaient impli- entrent en compétition. Une élévation chronique de
quées dans le déterminisme prénatal de la dispersion la corticostérone serait donc le signal pour l’enfant
de naissance. Pour vérifier cette hypothèse, des femelles d’une réduction de l’intensité de la compétition
de lézard vivipare ont reçu durant la deuxième moitié entre apparentés et donc réduirait sa motivation à la
de leur gestation une dose journalière de corticostérone dispersion.
calculée pour augmenter le niveau d’hormone circu- L’étude du rôle des hormones dans l’organisation du
lante dans des proportions compatibles avec celles phénotype (figure 8.12 et chapitre 4) n’en est encore
relevées dans des situations de stress. Les jeunes issus qu’à ses débuts mais le comportement de dispersion,
de mères traitées avec de la corticostérone ont montré comme tous les autres comportements, n’échappera
une augmentation de l’attirance vers l’odeur de la mère, pas à une étude détaillée de sa mise en place au cours
de la fuite face à des situations inconnues et du degré de l’ontogénie, et plus généralement de l’influence
de philopatrie, en comparaison avec les jeunes de de l’interaction entre génotype et environnement
femelles traitées avec un placebo (Figure 8.11). Tou- dans son déterminisme. Pour en trouver la clef, une
tefois, cette réponse dépend fortement des carac- étude approfondie de l’influence des patrons d’auto-
téristiques de la mère (taille et poids), ce qui laisse corrélation temporelle et spatiale dans l’environne-
supposer l’intervention d’autres facteurs impliquant ment abiotique et biotique, en particulier social,
éventuellement d’autres hormones. L’interprétation devra être entreprise. En effet, la dispersion étant un
évolutive qui a été donnée de ce résultat est la sui- comportement ouvert à de nombreuses influences et
vante: une élévation chronique de la corticostérone entraînant également une prise de risque importante,
est associée à un état pathologique comme une l’on doit s’attendre à ce que la sélection naturelle
de s’échapper du terrarium
Présence
0,7 Placebo
0,6 Corticostérone
0,5
0,4
0,3
0,2
0,1
0
50-53 54-56 57-59 60-63
Taille de la mère
(b)
(c) H1 H2 H1 H3 H2 H1 H4 H3 H2 H4
(e)
(f)
Compétition entre
enfants et parents
La compétition parents/enfants devrait générer des distances de dispersion faibles dans la mesure où il suffit, pour
résoudre ce problème, de quitter le territoire des parents. La compétition entre apparentés, et la dépression de
consanguinité devraient générer des distances de dispersion un peu plus longues dans la mesure où il faut quitter le
voisinage pour s’en extraire. La compétition entre congénères devrait générer des distances de dispersion encore
plus grandes car, cette fois-ci, il faut quitter la population d’origine pour échapper à cette intensité de compétition.
Enfin, généralement, pour échapper à l’hétérogénéité de l’environnement, il faut probablement parcourir des distances
encore plus grandes car il est nécessaire pour ce faire de quitter la zone où s’expriment les conditions environnementales
défavorables; lorsque les conditions impliquées sont d’ordre climatique, les distances peuvent alors de venir très grandes.
D’après Ronce et al. 2001.
QUESTIONS DE RÉFLEXION
1. Dans ce chapitre et le précédent, nous avons considéré que la dispersion pouvait être considérée comme le
simple produit de processus de choix de l’habitat de reproduction. À votre avis est-ce vrai dans tous les cas
chez tous les organismes?
2. Nous avons conclu que le comportement de dispersion peut être regardé comme un «méta-comporte-
ment» en ce sens que le même comportement (ici le mouvement) peut avoir des causes et des mécanismes
multiples en permanente interaction. À votre avis, est-ce particulier à la dispersion ou d’autres traits classi-
quement appelés comportements ont-ils aussi cette multiplicité de facettes?
CHOISIR UN PARTENAIRE,
LES CONFLITS SEXUELS
L’individu devenu adulte et ayant choisi un lieu de optimiser leur propre aptitude phénotypique. De ce
vie doit alors s’engager dans la reproduction. Pour fait, la nature même des processus de choix est fon-
cela il lui faut choisir un lieu de reproduction et un damentalement différente. C’est l’objectif de cette
partenaire de reproduction. Le premier processus a troisième partie de développer les aspects relevant
été détaillé dans le chapitre 7, mais en fait ces deux de ce qu’il est convenu d’appeler la sélection sexuelle.
processus, choix d’un lieu et d’un partenaire de Le chapitre 9 présente les principes fondamentaux
reproduction, interagissent et ils se déroulent le de la sélection sexuelle. Le chapitre 10 présente les
plus souvent en parallèle. En effet, les partenaires grands types de régimes d’appariement et les princi-
de reproduction constituent une ressource de qua- pes qui permettent d’en comprendre la signifi-
lité variable dont les individus des espèces sexuées cation évolutive. Enfin, le chapitre 11 aborde la
ont absolument besoin pour se reproduire. Pour- question de l’investissement des parents dans le sexe
quoi différencier alors ces deux types de ressources? de leur progéniture: nous verrons que dans de
La raison est dans le fait que, contrairement aux nombreuses situations les parents ont intérêt (c’est-
autres ressources, les partenaires sexuels ne consti- à-dire qu’ils augmentent leur aptitude) à faire des
tuent pas une ressource passive. Le choix est le plus descendants d’un sexe ou d’un autre en fonction des
souvent réciproque, les deux sexes cherchant chacun à conditions.
Chapitre 9
La sélection sexuelle :
un autre processus évolutif
Parmi les espèces problématiques de la classification tères, le plus souvent présents chez les mâles, ne
de Linné en 1758, figurent deux espèces de canard. semblent pas participer à la survie des individus qui
L’une d’elle présente un plumage brun tacheté et les expriment. Bien au contraire, nombre de ces traits,
un miroir alaire bleu. Elle est nommée Anas platy- à l’instar de la queue du paon, semblent plutôt
rhynchos. L’autre, globalement gris clair, avec des encombrer les mâles et les rendre plus repérables et
marques brun roux sur la poitrine, possède un cou plus vulnérables face aux prédateurs. Ces caractères
et une tête vert métallique ainsi qu’un miroir alaire ne semblent pas non plus servir à la survie des des-
bleu. Linné l’avait baptisée Anas boschas. Ce n’est cendants comme d’autres types de traits limités à un
que plus tard que l’on réalisa qu’il s’agissait en fait seul des deux sexes (tels que la poitrine chez les
des femelles et des mâles de la même espèce, le canard humains, les plaques incubatrices des oiseaux, ou le
colvert. De nombreux cas de ce genre existent où placenta des mammifères). En 1871, avec son livre
même d’éminents taxonomistes n’ont pas su recon- The descent of man and selection in relation to sex,
naître les mâles et les femelles de la même espèce, puis dans la deuxième édition de ce même livre en
tant leur aspect extérieur diffère. Se pose dès lors la 1874, Darwin expliqua l’évolution des caractères
question générale de l’origine évolutive de telles dif- sexuels secondaires par la théorie de la sélection
férences morphologiques entre les mâles et les femelles sexuelle. Constituant en quelque sorte le pendant de
de la même espèce. En particulier, la seule existence la sélection naturelle, cette théorie originale propose
de caractères sexuels secondaires constitue un pro- que les caractères sexuels secondaires ont évolué à
blème évolutif: s’ils sont favorables aux individus travers l’avantage qu’ils confèrent aux mâles lors de la
d’un sexe, pourquoi les individus de l’autre sexe n’en compétition qui les oppose pour féconder les femelles.
sont-ils pas eux aussi pourvus? A priori, il est raison- Selon leur nature, ces caractères se révèlent être
nable de penser que le plus souvent les membres des déterminants pour sortir vainqueur des confrontations
deux sexes d’une même espèce sont soumis aux mêmes physiques entre mâles, ou pour attirer les femelles et
contraintes de l’environnement. Par exemple, si les les inciter à s’accoupler.
bois des cerfs servent aux mâles dans la lutte contre Dès l’origine, les mécanismes de sélection natu-
les prédateurs, pourquoi les femelles de cette même relle et de sélection sexuelle ont été étroitement liés.
espèce en sont-elles dépourvues si elles aussi sont Cependant, alors que les grands principes de la sélec-
exposées au même risque de prédation? tion sexuelle étaient énoncés dès la fin des années 1870,
Dès 1859 Darwin, dans son livre The Origine of à quelques exceptions près, la recherche dans ce
Species, aborde explicitement ce problème. Il consi- domaine a été quasi inexistante jusque dans les
dère que l’existence chez de nombreux êtres vivants années 1960. Il n’est donc pas étonnant qu’aujourd’hui,
de formes bizarres, ou de caractères extravagants tels alors que le grand public a le plus souvent déjà
que des couleurs particulièrement vives, des plumes entendu parler de sélection naturelle, rares sont les
allongées à l’extrême, des crêtes colorées ou d’autres personnes, même au sein de la communauté des
caractères sexuels secondaires encore, pose un pro- biologistes, pour qui la sélection sexuelle évoque un
blème pour sa théorie de l’évolution par sélection concept familier. Le but de ce chapitre est de présenter
naturelle (Pomiankowski 1988). En effet, ces carac- les principes de base de la sélection sexuelle dans son
Stratégies reproductrices
35
30
25
Pourcentage
20
Comportement social
15
Stratégies de survie
Biodémographie
10
Biologie des populations
5 Mécanismes
Aspects appliqués
Autre
0
1986 1988 1990 1992 1994
Année
Figure 9.1 L’importance
(b) croissante de la sélection
23 sexuelle pendant
Sélection sexuelle les années 1980.
21
19
17
Pourcentage
15
13
11
7
Approvisionnement
5
1986 1988 1990 1992 1994
Année
Évolution du pourcentage de communication portant sur des thèmes de sélection sexuelle ou d’approvisionnement dans
les congrès de l’ISBE (International Society of Behavioural Ecology) lors des cinq premiers congrès de cette jeune société.
(a) L’augmentation des communications portant sur les stratégies de reproduction est significative ( r = 0,92;
P = 0,027). La diminution des communications sur les stratégies de survie est, elle aussi, significative ( r = 0,90; P = 0,04).
(b) Ces deux tendances sont surtout dues à l’augmentation des communications portant sur la sélection sexuelle
(stratégies de reproduction) et la diminution de celles portant sur l’approvisionnement (stratégies de survie). D’après
Gross 1994.
indicateur». Tous ces mécanismes reposent sur l’exis- Ces idées ont été particulièrement défendues par
tence supposée de gènes conférant une meilleure vigueur Amotz Zahavi (1975, 1977) dans deux articles provo-
(hypothèse des «bons gènes»), révélés par des indices cateurs pour l’époque présentant ce qu’il est convenu
extérieurs handicapants et ne pouvant donc être déve- d’appeler le principe du handicap. Ce principe pro-
loppés que par les individus de très bonne qualité pose que les femelles préfèrent les mâles avec des
individuelle. ornements réduisant leur survie parce que de tels
Les femelles préfèrent Poule domestique (oiseau) Gallus domesticus Graves et al. 1985
les mâles gagneurs Gambusie (poisson) Gambusia holbrooki Bisazza et Marin 1991
ils peuvent immédiatement tester la qualité de leur l’autre, la sélection peut maintenir à la fois la
rival lors des combats. De plus, on s’attend à ce variance sur le trait de signal, et son honnêteté. Ils
qu’il soit plus coûteux de falsifier un signal dans les ont aussi montré que ce résultat n’est pas changé
disputes entre mâles (c’est-à-dire par la perte du s’il existe un bénéfice lié à la taille du badge en
combat et les risques de blessures) que dans le con- dehors du contexte des combats, en d’autres termes
texte de la parade (le risque d’être découvert avant si le badge sert aussi de moyen d’attirer les femelles.
l’accouplement et de perdre ainsi l’opportunité Tous ces arguments corroborent le scénario évo-
d’appariement). Cet argument est soutenu par une lutif proposé par Berglund et al. (1996): la sélection
expérience chez le vacher à tête brune (Molothrus intrasexuelle doit en général être ancestrale; la sélection
ater) où des mâles induits expérimentalement à intersexuelle ne serait que secondaire, mais conti-
émettre des chants puissants ont effectivement nuerait à promouvoir le développement du trait sexuel
attiré plus de femelles mais ont été victimes de secondaire. Dans la mesure où les mâles possèdent
plus d’attaques de la part d’autres mâles, cela ayant déjà des signaux honnêtes signalant leur qualité dans
même conduit quelquefois à la mort du «tri- la compétition entre eux, les femelles exploitant cette
cheur» (West et King 1980, West et al. 1981). information plutôt que tout autre trait arbitraire
• Enfin, il semble que la stabilité d’un signal hon- seraient favorisées et l’armement en question conti-
nête du statut est maintenue même si le badge de nuerait à évoluer alors en tant qu’ornement.
statut acquiert un rôle fonctionnel en dehors du Il est à noter que l’on pourrait aussi interpréter la
contexte de l’évaluation par le combat. Par une forte association entre les armements et les ornements
approche SÉS, Johnstone et Norris (1993) ont en dans le sens opposé: les mâles pourraient parasiter
effet analysé le maintien d’une signalisation hon- l’information des signaux de qualité des rivaux,
nête de l’agressivité. Dans la mesure où l’individu signaux ayant évolué sous l’influence du choix des
agressif endure un coût dépendant du contexte, et femelles. Cependant, les nombreux arguments déve-
dans la mesure où ce coût diffère d’un individu à loppés ci-dessus supportent plutôt l’interprétation
1 000
compétitifs
Ratio de bénéfice attendu
100
de la compétition (RBAC)
(RBAC) en fonction
α = 0,2
1
α=1
α=5
de la sex-ratio
compétitives
opérationnelle (b).
0,1
0,01
10–4 10–3 10–2 10–1 1 101 102 103 104
Sex–ratio opérationnelle
Quand les femelles subissent un coût reproductif fortement supérieur à celui des mâles (CF = 0,1; CM = 0,01), le
taux de rencontre M est de 10. La SRO est déterminée par ces paramètres et par la sex-ratio à la maturité, a. Les
mâles sont le sexe compétitif (RBAC > 1) quand la mortalité juvénile conduit à une sex-ratio biaisée en faveur des
mâles à maturité (a = 5), mais aussi quand la sex-ratio à maturité est équilibrée ( a = 1) ou même sérieusement biai-
sée en faveur des femelles (a = 0,2, soit cinq fois plus de femelles que de mâles). Avec a = 0,2, la sex-ratio opéra-
tionnelle devient elle aussi biaisée en faveur des femelles (b = 0,43), mais les mâles restent tout de même le sexe le
plus compétitif (RBAC = 4). Avec ces valeurs de paramètres, les mâles restent plus compétitifs que les femelles dès
que RBAC >1, ce qui correspond à une SRO > 0,05 (flèche la plus à gauche). D’après Kokko et Monaghan 2001.
a) Le processus de Fisher-Lande
Les bénéfices directs peuvent expliquer la préférence
des femelles pour de nombreux traits mâles. Cepen- Les modèles construits par Lande (1981) et Kirk-
dant, l’évolution de caractères sexuels secondaires des patrick (1982) possèdent plusieurs caractéristiques
mâles se prête difficilement à une interprétation en en commun. Ils considèrent deux traits: un carac-
ces termes. Particulièrement extravagants, ils influen- tère sexuel secondaire uniquement exprimé chez les
cent fortement le choix des femelles sans pour autant mâles et un trait représentant une préférence pour ce
signaler la qualité des soins parentaux fournis par les caractère mâle uniquement exprimé chez les femelles.
mâles, ni leur capacité compétitive, ni même la qua- Les gènes influençant ces caractères sont censés être
lité de leur territoire. Qui plus est, ces caractères situés sur des autosomes, leur transmission n’est donc
extravagants sont souvent présents chez des espèces pas liée au sexe. Les mâles sont censés se reproduire
polygynes (cf. chapitre 10) chez lesquels, au sein d’une aussi souvent qu’ils en ont l’occasion, ne pas fournir
population donnée, les femelles ne s’accouplent de soins parentaux et n’exercer aucune discrimination
qu’avec quelques mâles, régulièrement ceux présen- vis-à-vis des femelles. On suppose qu’il n’existe aucune
tant le degré le plus élevé de développement des mêmes sélection directe sur le trait femelle et que toutes les
caractères extravagants. Chez de nombreuses espèces femelles ont la même fertilité et la même viabilité.
polygynes, les mâles ne fournissent aucun soin paren- Au sein de ces deux modèles, l’évolution de la préfé-
tal, et dans les cas les plus extrêmes, les femelles rence des femelles constitue une réponse corrélée
n’obtiennent aucune ressource des mâles, hormis le à la sélection sur le trait mâle. Les deux modèles se
sperme qui est transféré pendant l’accouplement. distinguent cependant d’après le déterminisme géné-
Difficile alors d’expliquer l’évolution des caractères tique considéré. Lande (1981) considère un modèle
extravagants des mâles à travers l’obtention de béné- polygénique (c’est-à-dire faisant intervenir plusieurs
fices directs. Difficile aussi d’expliquer l’évolution de gènes dans le déterminisme des traits), tandis que
la préférence des femelles pour de tels traits. Kirkpatrick (1982) a développé un modèle haploïde
Un premier scénario pour l’évolution conjointe à deux locus. C’est ce modèle que nous développe-
de la préférence des femelles et des traits des mâles rons ici en premier, en raison de sa simplicité et de
correspond au processus dit de Fisher-Lande, intro- son caractère didactique, même s’il n’est certainement
duit aux paragraphes 9.1.2 et 9.1.3. La contribution pas le plus réaliste.
initiale de Fisher reposait sur un «modèle verbal»,
une argumentation apparemment logique, mais dont ➤ Modèle à deux locus
la cohérence ne pouvait être directement évaluée.
C’est, depuis O’Donald (1962, 1967), le recours aux Au sein du modèle de Kirkpatrick (1982), la variation
modèles mathématiques qui a permis des avancées sur le trait mâle est déterminée par un locus T avec
véritablement décisives dans l’étude du processus de deux allèles. L’hypothèse d’un déterminisme haploïde
sélection sexuelle. Les modèles mathématiques pos- simplifie extrêmement les formalisations mais n’affecte
Z Z
(c) Distribution
du trait mâle
Figure 9.7 Représentation après sélection
graphique du modèle par la survie
polygénique de Lande 1981.
Z* Z
(d) Distribution
de la préférence
des femelles
Y Z
(e) Distribution du trait mâle
après action de la sélection
naturelle et sexuelle
Z Z
La taille du trait mâle (Z) est maintenue à une valeur d’équilibre entre l’action de la sélection naturelle et celle de la
sélection sexuelle. (a) Distribution des survies des mâles en fonction de la taille de leur trait. (b) Distribution de la taille
du trait des mâles dans la population avant l’action de la sélection. (c) Distribution de ce même trait après action de
la sélection par la survie. (d) Distribution des préférences au sein de la population de femelles. (e) Distribution de la
taille du trait chez les mâles après l’action de la sélection naturelle et de la sélection sexuelle, c’est-à-dire chez les
mâles qui se reproduisent. D’après Lande (1981).
1,8 1,8
1,6 1,6
1,4 1,4
1,2 1,2
–25 –20 –15 –10 –5 0 5 –25 –20 –15 –10 –5 0 5
Manipulation (en mm) Manipulation (en mm)
longueur que les autres rectrices, les oiseaux volent ➤ Deux autres mécanismes possibles
beaucoup moins bien qu’avec leurs filets. Cela montre
Alternativement, d’autres mécanismes génétiques
que la présence de filets facilite le vol des hirondelles
peuvent cependant rendre la préférence des femelles
rustiques.
plus fréquente sans qu’il soit nécessaire de supposer
Ce résultat est confirmé par une expérience com- un avantage sélectif initial. Un premier phénomène
plémentaire: Rowe et al. (2001) ont mis des filets à est la dérive génétique: au sein de petites populations,
des hirondelles de rivage (Riparia riparia), espèce le hasard peut conduire à une fréquence élevée de
voisine, mais normalement dépourvue de filet. Ils ont l’allèle de préférence, ce qui peut éventuellement suffire
alors constaté que l’ajout de filets améliore les capa- à initier le processus. Un second phénomène fait appel
cités de vol. De ce fait, Rowe et al. (2001) proposent aux effets pléiotropes des gènes. L’allèle de préférence
que contrairement à ce que l’on pensait auparavant, peut éventuellement coder pour d’autres traits phéno-
dans une première phase, les filets soient apparus sous typiques que la seule préférence. Si ces traits aug-
l’effet de la sélection naturelle, et que la sélection mentent l’aptitude phénotypique des femelles, ils
sexuelle soit ensuite intervenue dans l’allongement au- permettront une augmentation de fréquence de la
delà de l’optimum de ces filets. Dans cette deuxième préférence, ce qui peut aussi, sous certaines conditions,
phase, le choix des femelles aurait été le seul facteur permettre au processus d’emballement de s’enclen-
favorisant l’allongement des filets. L’évolution de longs cher. Nous verrons au paragraphe 9.4.4 un méca-
filets chez l’hirondelle rustique serait donc le résultat nisme plus comportemental par lequel une telle
d’un processus d’emballement fisherien typique. préférence peut avoir été acquise dans la population
Attirance des femelles pour un trait absent chez les mâles Exploitation
(biais sensoriel pré-existant) sensorielle
initiale
Apparition chez les mâles d’un signal rudimentaire
(exploitation)
Figure 9.13 Modèle
d’évolution des caractères
mâles extravagants à travers Diminution de l’aptitude
le processus de sélection des femelles
sexuelle par course-poursuite.
Diminution de
l’attractivité des mâles
La sélection naturelle agit sur le système sensoriel des femelles pour les rendre plus sensibles à telle ou telle parti-
cularité de leur environnement (par exemple dans le contexte de la recherche de la nourriture). Cela crée un biais
sensoriel femelle pour un trait pouvant même être absent chez les mâles. Si pour une raison ou une autre ce trait
apparaît chez des mâles (par mutation par exemple), ceux-ci seront alors préférés par les femelles. C’est le mécanisme de
l’exploitation sensorielle (voir le chapitre 14). Cependant, il y a peu de chance que l’apparition de ce trait soit liée à
la qualité génétique des mâles. De ce fait, les femelles en choisissant des mâles ayant le trait en question ne choisis-
sent pas les meilleurs mâles et leur aptitude diminue. Cela crée les conditions pour une pression de sélection en
faveur des femelles qui ignorent ce trait (ces femelles sont dites résistantes à ce trait). Cela diminue l’attractivité des
mâles, chez qui la sélection va alors continuer à exagérer le trait en question. Une fois mis en route un tel processus
de sélection sexuelle antagoniste, il n’a pas de raison de s’arrêter tant que les conditions ne changent pas de manière
importante, par exemple quand le trait devient tellement exagéré chez les mâles qu’ils sont contre-sélectionnés.
D’après Holland et Rice (1998).
entre lignées dans l’intervalle de temps séparant deux chez de nombreuses espèces, un degré de grégarisme
accouplements consécutifs chez les femelles, et dans plus ou moins important existe, si bien que les indi-
les effets relatifs des fluides séminaux et de la parade vidus sont souvent en situation d’observer et éven-
des mâles sur la réceptivité des femelles. Aucun tuellement de «copier» les choix réalisés par leurs
argument en faveur d’une co-évolution antagoniste congénères. Se conformer aux décisions prises par
entre le signal de parade et le seuil de réceptivité des les autres individus peut être adaptatif si l’évaluation
femelles n’a pu être mis en évidence, les résultats de la qualité des partenaires potentiels implique un
accréditant par contre l’hypothèse d’une diminution coût et/ou si certaines femelles sont moins efficaces
de la nocivité du liquide séminal chez les mâles issus que d’autres dans cette tâche. Qui plus est, le recou-
des lignées monogames. D’autres études sont encore vrement des générations permet souvent à l’appren-
nécessaires afin de déterminer si la sélection sexuelle tissage social de jouer un rôle dans la transmission
par course-poursuite est à même de rendre compte de des préférences d’une génération à l’autre. Ce n’est que
la co-évolution des signaux sexuels et des préférences. récemment que l’influence du contexte socioculturel
sur les choix d’appariement a été l’objet de recherches
approfondies (Avital et Jablonka 2000, Freeberg 2000,
9.7 INFLUENCES Galef et White 2000).
SOCIOCULTURELLES
SUR LE PROCESSUS 9.7.1 Influences directe et indirecte
de l’environnement social
DE SÉLECTION SEXUELLE
L’environnement social peut exercer une influence
Jusqu’à présent, le choix d’un partenaire sexuel a été directe ou indirecte sur les décisions prises par les
considéré dans ce chapitre comme un processus indi- animaux lors des interactions sexuelles (Galef et White
viduel, indépendant du contexte social. Cependant, 2000). L’influence directe est restreinte au phénomène
1,2
Isolement pré- ou post-zygotique
0
0 0,5 1 1,5 2
Distance génétique de Nei (D)
Les résultats présentés correspondent aux données brutes; la significativité des relations a été testée en tenant
compte de la phylogénie par la méthode des contrastes. Les deux formes d’isolement augmentent significativement
avec la distance génétique. Cependant, la force de l’isolement ne diffère pas significativement entre isolements pré- et
postzygotique (Test de Wilcoxon sur les cas où la distance génétique (D) est inférieure à 0,5: Z = 1,19, N = 11, P > 0,20).
D’après Coyne et Orr (1989).
1,2
1
Isolement pré-zygotique
0,8
Figure 9.15 Niveau
d’isolement prézygotique
0,6
entre les situations d’allopatrie
(ronds pleins) et de sympatrie
(triangles vides) en fonction 0,4
de la distance génétique.
0,2
0
0 0,5 1 1,5 2
Distance génétique de Nei (D)
Figure construite avec les données brutes, c’est-à-dire sans tenir compte des phylogénies, mais la significativité des
relations a été testée en tenant compte de la phylogénie en utilisant la méthode des contrastes. Les processus de
discrimination du partenaire et d’isolation postzygotique évoluent au même rythme en situation d’allopatrie (ronds
pleins). En effet, dans la mesure où ils ne sont pas soumis à sélection, la divergence génétique entre les espèces
représente une mesure de leur isolement postzygotique. On constate donc que, pour des distances génétiques
faibles, le niveau d’isolement prézygotique est plus ou moins proportionnel à la divergence génétique chez les pairs
d’espèces allopatriques. Au contraire, l’isolement prézygotique atteint très rapidement son niveau maximum chez
les paires d’espèces vivant en sympatrie (triangles vides): même pour une divergence génétique inférieure à 0,5, les
espèces sympatriques présentent un niveau élevé de discrimination des partenaires (Test U de Man-Whitney:
Z = 2,89, N1 = 17, N2 = 7, P < 0,01). De ce fait, chez les espèces vivant en sympatrie la divergence génétique n’a aucun
effet sur l’isolement prézygotique. D’après Coyne et Orr (1989).
MO: 49/s
96°W 72°W
Figure 9.16 Distribution
des deux espèces
de grenouilles étudiées
par Gerhardt 1994
et emplacement Hyla chrysoscelis
des populations Les deux
échantillonnées espèces SC, E. GA: 36/s
pour son étude.
30°N
LA: 44/s W. FL: 37/s
Hyla versicolor
La ligne épaisse montre la limite de la répartition de Hyla versicolor (distribuée au nord-ouest de la ligne, à l’exception
des quelques localités isolées dans le bassin du Mississipi représentées par des carrés vides). Seul Hyla chrysoscelis se
trouve sur pratiquement toute la zone représentée. Les points indiquent l’emplacement des populations échan-
tillonnées où les deux espèces sont sympatriques. Les triangles indiquent les populations de H. chrysoscelis étudiées
en situation d’allopatrie. Les nombres associés à ces localités indiquent le rythme de pulsation moyen des mâles des
populations de H. chrysoscelis . Modifié d’après Gerhardt (1994).
(a)
Hyla versicolor
Hyla chrysoscelis
0,1 s
Figure 9.17 Oscillogrammes
de sons synthétiques utilisés
(b) FL, MD MO
dans les expériences sur les
grenouilles du genre Hyla.
Hyla versicolor 27/s 35/s
10 ms
(a) Oscillogrammes des chants complets utilisés pour les chants long (de type H. versicolor) en haut et court (de type
H. chrysoscelis ) en bas. (b) Structure temporelle fine de ces chants synthétiques utilisés: pulsations de base des
chants longs (émis au rythme de 27 ou 35 unités par seconde) en haut, et des chants courts (émis au rythme de 38,8
ou 50 unités par seconde) en bas. Dans ces sons synthétiques, l’intervalle entre les motifs répétés est le même dans
les deux cas, seule varie la structure du motif de base. Noter la différence dans les échelles temporelles. Modifié
d’après Gerhardt (1994).
QUESTIONS DE RÉFLEXION
1. Qu’entend-on par «choix»? Quelle définition donneriez-vous du processus de choix d’un partenaire (ou
de toute autre ressource)? Quels sont les critères permettant de démontrer l’existence d’un choix? Cette
question est à analyser en relation avec les chapitres 5 à 7.
2. Comment tester l’existence de biais sensoriels et leur importance dans l’évolution des caractères sexuels
secondaires?
3. À votre avis, la sélection sexuelle est-elle inopérante chez les espèces ne présentant pas de dimorphisme
sexuel? (Voir Pomianski 1988 § 5)
Régimes d’appariement
et soins parentaux
Avant l’avènement de l’écologie comportementale, tion directe, soit en contrôlant l’accès aux ressources
l’organisation sociale de la reproduction était essen- essentielles pour la reproduction. Cette dissymétrie
tiellement abordée de manière descriptive (Hachet- entre les sexes trouve son origine princeps dans la
Souplet 1928, Tinbergen 1953, Bourlière 1967). Les dissymétrie quant à l’investissement des sexes dans
différences entre taxons étaient exposées en détail sans la fabrication d’un gamète, sujet développé dans le
qu’aucun principe général ne permette véritablement chapitre précédent. Dans ce schéma, qui souligne la
de dégager une logique d’ensemble. Ainsi, pendant relation étroite entre régimes d’appariement et sélec-
longtemps, l’influence des facteurs écologiques sur tion sexuelle, le sexe qui présente le plus faible taux
les interactions entre mâles et femelles est restée qua- potentiel de reproduction (cf. chapitre précédent)
siment ignorée. Le comportement parental, quant à constitue une ressource rare pour l’autre sexe. Dans
lui, était le plus souvent introduit comme une inter- la plupart des cas il s’agit des femelles. Il est donc
action harmonieuse entre les individus reproducteurs prédit que les femelles se répartissent dans l’espace en
et leur progéniture. fonction de la disponibilité des ressources alimen-
Une avancée conceptuelle radicale a eu lieu dans les taires, du risque de prédation et de la distribution des
années 1970 avec la parution des travaux de Trivers sites propices à la reproduction, alors que la répar-
(1972), et de l’article princeps de Emlen et Oring (1977) tition des mâles est censée s’ajuster à celle des femelles
qui introduisait notamment la notion de régime (Figure 10.1). Autrement dit, la répartition des femel-
d’appariement (mating system). Cette expression dési- les est régie par la distribution des ressources, celle
gne tout à la fois la manière dont les individus d’une des mâles par la distribution des femelles (Emlen et
espèce ou d’une population ont accès à leurs parte- Oring 1977).
naires reproducteurs, le nombre de partenaires sexuels Ce premier schéma est bien entendu trop simple.
avec qui ils interagissent au sein d’une saison de repro- De même que la sélection sexuelle se complique
duction, la durée des liens sociaux entre partenaires lorsque l’on admet que les mâles peuvent investir
reproducteurs, et l’implication relative de chaque sexe autrement que dans la seule fabrication des gamètes,
dans les soins parentaux (Davies 1991, Reynolds 1996). les choses se compliquent pour la compréhension des
Au cours des vingt-cinq dernières années, les re- régimes d’appariement dès lors que l’on considère que
cherches empiriques et théoriques menées dans ce chez certaines espèces, les mâles peuvent contribuer
domaine ont révélé la complexité des différents régi- aux soins parentaux. Les soins parentaux profitent à
mes d’appariement et ont progressivement affiné les la progéniture mais sont forcément coûteux en
premières conceptions avancées par Emlen et Oring temps et en énergie pour les individus qui les prodi-
(1977). guent. Les soins fournis par les mâles peuvent donc
constituer une ressource importante pour les femel-
• Un lien étroit entre régime d’appariement les. Au sein des couples reproducteurs, chaque sexe
et sélection sexuelle bénéficie alors de l’investissement consenti par le
Les régimes d’appariement sont déterminés par la sexe opposé. Cela induit une forte pression de sélection
capacité d’un sexe (généralement les mâles) à mono- pour que chaque sexe ajuste son investissement dans
poliser des partenaires du sexe opposé soit par associa- les soins parentaux en fonction de l’investissement
Aptitude de la femelle
B polygame
che d’une portée de deux à trois jeunes. Une fois secondaire
indépendantes, les jeunes femelles tentent de parta- y
ger ou de s’approprier le territoire de leur mère, ou x
s’établissent à proximité. Les jeunes mâles, de leur
côté, dispersent sur de grandes distances, jusqu’à ce
qu’ils soient capables d’affronter un mâle plus âgé
pour le supplanter. Le coût associé à la défense quo-
tidienne d’un large territoire et les effets de l’âge
conduisent à un renouvellement régulier des mâles x y
contrôlant des territoires occupés par les femelles. Qualité du territoire du mâle
Installation indépendante et aléatoire des femelles dans l’espace. Aucun bénéfice particulier à la polygynie.
C’est un modèle neutre, la polygynie est produite par hasard.
Avantage au regroupement des femelles (défense collective des nids, synchronisation des pontes).
La polygynie se maintient grâce à ces bénéfices.
Pas de possibilité de choix pour les femelles: les mâles célibataires sont rares, ou difficiles à localiser ou à identifier.
C’est un modèle de contrainte: les femelles ont une plus faible aptitude mais sont contraintes par les mâles.
Coût compensé par des bénéfices directs (qualité du territoire, contribution du mâle aux soins parentaux)
ou indirects (qualité génétique du mâle).
C’est le modèle du seuil de polygynie.
naturelles. Les femelles résidentes peuvent aussi s’oppo- ➤ Des lions infanticides
ser activement à l’établissement d’une femelle sup-
Cette situation est typique des lions africains, Panthera
plémentaire si leur propre succès reproducteur doit
leo (Bertram 1975, Packer et al. 1988). Les groupes de
en être affecté. Enfin, comprendre l’installation des
lions sont constitués de plusieurs femelles adultes,
femelles sur les territoires des différents mâles suppose
de savoir de quelles informations elles disposent leurs filles préadultes, les lionceaux et entre un et
quant à la qualité des territoires, la qualité des mâles six mâles. Il existe généralement un fort apparentement
et la présence d’autres femelles déjà installées sur le entre les femelles, soit qu’elles aient grandi dans un
territoire. Si le modèle du seuil de polygynie constitue même groupe ayant persisté sur plusieurs générations,
une étape importante dans la compréhension des soit qu’elles aient quitté avec leurs sœurs et leurs
facteurs favorisant la polygynie, il existe plusieurs cousines un groupe devenu trop grand pour s’établir
hypothèses alternatives (Weatherhead et Robertson sur un nouveau territoire. L’activité reproductrice des
1979, Alatalo et al. 1981, Lightbody et Weather- femelles dure en moyenne une douzaine d’années,
head 1988, Stenmark et al. 1988) qu’il convient de avec, pour autant que les lionceaux survivent jusqu’au
considérer simultanément pour expliquer l’origine sevrage, une portée tous les deux ans. Cependant, la
et le maintien d’une polygynie territoriale chez une mortalité juvénile est élevée et 80% des lionceaux
espèce donnée (Tableau 10.1). meurent généralement avant d’atteindre l’âge d’un
an. La mort des lionceaux a pour conséquence de
placer à nouveau les femelles en phase d’œstrus. Les
b) Polygynie basée sur la monopolisation femelles résident pour une longue durée sur le même
des femelles: les harems territoire et ont pendant cette période plusieurs
Les harems constituent une autre forme territoriale opportunités de reproduction.
de polygynie dans laquelle les mâles monopolisent Il en va tout autrement pour les mâles. Chassés de
les femelles elles-mêmes. Cette stratégie est rencontrée leur groupe natal à la puberté, ils se regroupent entre
notamment chez les équidés (Rubenstein 1986), les frères ou cousins pour chasser sur des zones de faible
lions (Bertram 1975) et certaines espèces de cervidés qualité trophique où aucun groupe de lionnes n’est
(Clutton-Brock et al. 1982). Un groupe de femelles établi. Durant cette période, plusieurs mâles meu-
réside sur le territoire d’un mâle unique qui en rent. Ceux qui survivent jusqu’à l’âge de quatre ans
exclut activement tout autre mâle. Dans certains cas, peuvent alors tenter de prendre le contrôle d’un
le territoire défendu par le mâle correspond en fait groupe de femelles en affrontant seul le ou les mâles
au domaine vital des femelles. Au cours du temps, qui contrôlent un harem ou en formant des coali-
différents mâles prennent successivement le contrôle tions avec d’autres jeunes lions. Contrôler seul un
d’un même harem avant d’en être exclus chacun à harem permet de féconder un plus grand nombre de
leur tour par des mâles rivaux souvent plus jeunes et femelles mais rend le mâle particulièrement vulnérable
plus vigoureux. aux attaques menées par des coalitions de congénères.
Aucune fidélité
au partenaire
L’état ancestral correspond à l’absence de fidélité au site et au partenaire. C’est la boite de gauche. Les flèches indi-
quent les transitions entre les différents états possibles des deux variables (ici fidélité au partenaire sexuel et fidélité
au site de reproduction). Les flèches en pointillé ne sont pas significativement différentes de zéro, indiquant que la
transition correspondante n’a pas eu lieu significativement le long de l’arbre phylogénétique. Les flèches > 0 indi-
quent les transitions qui sont significativement représentées le long de l’arbre phylogénétique. Les flèches >> 0 indi-
quent les transitions qui sont très significativement représentées le long de la phylogénie. On voit donc que le
chemin évolutif qui a été le plus suivi au cours de l’évolution des espèces impliquées dans l’analyse entre l’état ances-
tral sans aucune fidélité vers l’état dérivé où il y a à la fois fidélité au partenaire et au site de reproduction passe par
un état intermédiaire avec fidélité au site mais non au partenaire sexuel. Cela semble indiquer que la fidélité au
partenaire sexuel a statistiquement évolué après la fidélité au site, probablement comme une conséquence de la
fidélité au site de reproduction. D’après Cézilly et al. (2000a).
que chez les mouettes tridactyles, Rissa tridactyla, les 1993), qui considère que le divorce relève générale-
changements de partenaires, ou «divorces», ont lieu ment d’une action «unilatérale» entreprise par un
essentiellement entre jeunes individus, suite à un des deux partenaires en vue d’améliorer son statut
échec de reproduction. Selon lui, les appariements reproducteur. Chez les espèces monogames, le pro-
entre individus devaient procéder par essai-erreur, cessus d’appariement s’effectue forcément dans un
conduisant à terme à la rencontre avec un partenaire temps limité, pendant lequel il n’est guère possible
compatible et l’établissement d’un lien durable. d’estimer la qualité de tous les partenaires reproduc-
Dans ce schéma, les divorces s’effectuent donc dans teurs potentiels dans une population (Real 1990,
l’intérêt des deux partenaires, chacun ne gagnant rien Sullivan 1994). Or la qualité (santé, vigueur, potentiel
à rester associé à un individu avec lequel il n’est pas de ressources, capacité à prodiguer des soins parentaux)
compatible. Cependant, la notion de compatibilité, varie entre les individus. Si les processus d’appariement
telle qu’elle est introduite par Coulson (1966) sous impliquent un choix mutuel de la part des mâles et
l’angle de la capacité des partenaires à coordonner des femelles, on s’attend à observer une relation
leurs activités parentales, reste difficile à mesurer. positive entre la qualité des partenaires au sein des
Par ailleurs, le plus fort taux de divorce observé dans couples. En l’absence de contrainte sur le temps dis-
les jeunes classes d’âge peut simplement traduire une ponible pour choisir un partenaire, les meilleurs
moins bonne qualité des jeunes individus, liée par mâles et les meilleures femelles devraient être les pre-
exemple à un manque d’expérience.
miers à s’unir, ne laissant d’autre choix aux individus
immédiatement inférieurs que de s’apparier entre
➤ La recherche d’une meilleure option à eux, et ainsi de suite. En pratique, cependant, disposer
l’origine des divorces
d’un temps limité pour choisir son partenaire con-
L’hypothèse de compatibilité a été remise en cause par duit inévitablement certains individus à s’associer
l’hypothèse dite de la «meilleure option» (Ens et al. avec des partenaires de moindre qualité (Johnston et
25 c) L’investissement parental
L’investissement parental est défini d’après les consé-
quences des soins parentaux sur l’aptitude des parents.
0 2 4 6 8 10 12 14 La dépense qu’ils effectuent peut en effet avoir diver-
Taille de la couvée ses conséquences pour leur survie et leur reproduction,
à court, moyen ou long terme. Par exemple, un apport
Figure 10.5 Relation entre les soins maternels de nourriture aux jeunes plus important peut néces-
et la taille de la couvée chez une espèce nidifuge,
le garrot à œil d’or.
siter d’augmenter le temps pendant lequel les parents
(a) Exemple de soin non dépréciatif: le temps alloué
s’exposent aux prédateurs. Chez certaines espèces,
à la surveillance de l’environnement est indépen- reculer la date du sevrage peut compromettre les
dant de la taille de la couvée. (b) Exemple de soin chances des femelles de s’engager rapidement dans
dépréciatif: le temps passé à défendre le territoire une nouvelle reproduction. L’investissement paren-
face aux congénères augmente avec la taille de la
couvée. D’après Ruusila et Pöysä (1998).
tal est donc défini comme toute dépense parentale
qui est bénéfique pour la progéniture aux dépens des
chances du parent de se reproduire dans l’avenir
surveillance était par ailleurs confirmé par le fait qu’une (Trivers 1972).
réduction de la taille de la couvée (consécutive à la En pratique, la mesure de l’investissement parental
mortalité d’un ou plusieurs poussins) n’entraînait peut être subtile car elle suppose de mesurer correcte-
pas de diminution des niveaux de surveillance chez ment toutes les conséquences de la dépense parentale
les femelles. pour les organismes. Chez le diamant mandarin
Taeniopygia punctata, par exemple, l’apport de pro-
b) La dépense parentale téines aux œufs peut induire une réduction de la
masse musculaire (Veasey et al. 2000). Cette vérita-
La notion de dépense parentale traduit la part de ble fonte musculaire est susceptible d’augmenter le
ressource parentale (sous forme de temps ou d’éner- risque de prédation encouru par les femelles dans la
gie) investie dans les soins parentaux apportés à un nature. Bien que cruciale, l’estimation des coûts
ou plusieurs jeunes. La dépense parentale relative associés aux soins parentaux n’est donc pas toujours
correspond à la fraction des ressources parentales évidente (cf. Clutton-Brock 1991). Notamment, les
allouée aux soins parentaux. études corrélationnelles qui tentent de lier le nom-
La dépense parentale n’est pas forcément cons- bre de jeunes produits une année à la probabilité des
tante au cours du cycle reproductif. Ainsi chez les parents de survivre et de se reproduire lors d’une
mammifères et les oiseaux, les soins apportés aux jeunes prochaine saison maîtrisent difficilement l’ensemble
après leur naissance sont généralement très supérieurs des facteurs susceptibles d’influencer ces différentes
aux coûts associés à la production des œufs ou à la variables. Les approches expérimentales sont plus
Si l’investissement des parents implique une réduc- Une étude à long terme menée chez le flamant rose,
tion de leur valeur reproductive résiduelle, on doit Phoenicopterus ruber roseus, illustre ce point. Chez
s’attendre à ce que les individus ajustent leur compor- cette espèce, la taille de ponte est invariablement
tement parental de manière à maximiser leur aptitude d’un seul œuf, quels que soient l’âge ou l’expérience
(Williams 1966). Les espèces longévives notamment, des reproducteurs. Le coût de la première reproduction
dont la carrière reproductive s’étale sur plusieurs sai- en terme de réduction de la probabilité de survie
sons, sont censées faire varier leur investissement en jusqu’à la prochaine saison de reproduction est plus
fonction des coûts perçus et éviter de compromettre élevé chez des jeunes femelles que chez des femelles
leurs chances de reproduction futures (Linden et plus âgées (Tavecchia et al. 2000). Le fait que cette
Møller 1989). Chez de telles espèces, le niveau différence n’est pas observée chez les mâles, plus
d’investissement devrait donc être inversement relié d’autres observations réalisées sur la même espèce
au risque de mortalité des parents pendant la (Cézilly 1993), suggèrent fortement que le coût de
période d’élevage des jeunes. La plupart des oiseaux la première reproduction est essentiellement lié à
marins ont une forte longévité et sont généralement la production de l’œuf. Enfin, chez les espèces qui
soumis à une faible mortalité adulte en dehors de la continuent à grandir après avoir atteint la maturité
Âge (en jours) des femelles à la mise bas 69,7 ± 1,5 106,1 ± 2,1 135,8 ± 3,2 178,9 ± 4,2
Perte de poids entre le 1er et le 30e jour après la mise bas 2,9 ± 1,8 – 2,2 ± 1,1 – 3,3 ± 1,2 – 3,1 ± 1,7
Temps de latence (en jours) avant la seconde mise bas 27,3 ± 0,3 28,1 ± 0,3 31,0 ± 1,9 31,9 ± 1,9
Taille de la deuxième portée à la mise bas 7,9 ± 0,4 5,4 ± 0,5 6,4 ± 0,6 5,2 ± 0,6
10.4.3 Partage des soins parentaux entre les sexes se reproduisent de façon séquentielle ou simultanée
dans le territoire d’un seul mâle, soit que la densité
Si les soins parentaux sont souvent indispensables à de femelles soit faible, soit que la courte durée de la
la réussite de la reproduction, leur répartition entre saison de reproduction limite la possibilité des mâles
mâle et femelle au sein des couples varie largement de se reproduire avec plusieurs partenaires (Clutton-
d’une espèce à l’autre. Notamment, les contraintes Brock 1991).
qui s’exercent sur le partage des soins parentaux entre Chez les espèces à fécondation interne en revan-
les deux sexes diffèrent entre espèces hétérothermes che, il semble que la prédominance des soins mater-
et espèces homéothermes (Clutton-Brock 1991). nels s’explique par des contraintes évolutives. Une
Chez les invertébrés terrestres et les reptiles, les soins fois que la fécondation interne a évolué, la voie serait
maternels dominent. Mâles et femelles sont impli- ouverte pour qu’évolue à son tour la rétention des œufs
qués dans des soins monoparentaux avec à peu près par les femelles. Les coûts de la rétention des œufs
la même fréquence chez les amphibiens. Les soins seraient faibles pour les femelles, alors que les béné-
paternels ne sont particulièrement fréquents que fices pour les jeunes seraient substantiels (Gross et
chez les poissons. Sargent 1985). Enfin, les soins biparentaux sont rares
chez la majorité des hétérothermes, probablement
a) L’importance du mode de fécondation parce qu’ils ne seraient guère plus efficaces que les
soins monoparentaux. En revanche, lorsque le gar-
D’une manière générale, à l’intérieur des différents diennage et le nourrissage de la progéniture s’avèrent
groupes zoologiques et entre groupes, les soins mono- indispensables, les soins parentaux sont dépréciatifs,
parentaux sont assurés par les mâles chez les espèces il existe une forte compétition intraspécifique pour
hétérothermes à fécondation externe, alors que les l’accès aux ressources essentielles au bon développe-
femelles tendent à assurer les soins parentaux chez ment des jeunes, et les soins biparentaux sont alors
les espèces hétérothermes à fécondation interne, même plus courants. Ainsi chez les invertébrés, les soins
si on observe plusieurs exceptions à cette règle (cf. biparentaux sont observés chez 50% des ordres
Clutton-Brock 1991 pour un traitement plus complet d’arthropodes terrestres chez lesquels les jeunes
de cette question). dépendent de la nourriture régurgitée par les parents
Différentes interprétations ont été proposées pour contre seulement 14% chez des ordres chez lesquels
la prépondérance des soins paternels chez les espèces les soins sont limités aux œufs (Clutton-Brock 1991).
à fécondation externe. Il a été notamment proposé
(Trivers 1972) que la paternité unique serait mieux b) Le rôle de l’homéothermie
assurée lors d’une fécondation externe des œufs (puis-
que les femelles ne peuvent alors stocker de sperme), Les homéothermes font face à un double problème:
ce qui expliquerait que les mâles sont en ce cas plus à la fois nourrir leurs jeunes et leur procurer l’envi-
enclins à s’engager dans les soins aux jeunes, mais ronnement thermique indispensable à leur survie.
cette suggestion n’a pu être confirmée de façon Les stratégies parentales sont cependant très contrastées
empirique (Baylis 1981, Beck 1998). En fait, il sem- entre les oiseaux et les mammifères. Chez les oiseaux,
ble que chez les espèces à fécondation externe, les les soins biparentaux, ordinairement associés à une
soins monoparentaux paternels soient plutôt liés à des monogamie sociale, dominent. À l’inverse chez les
circonstances particulières, soit que plusieurs femelles mammifères, les mâles participent aux soins parentaux
Oiseaux Ovulation
(1 ovule à la fois)
Ponte
Fertilité
Mâle présent
Soin parental
durant la ponte
Maturation
Accouplement
optimal
Œstrus
durée de l’œstrus
Aucun effet de l’ordre Gardiennage
synchronie
des copulations dépend de
prévisibilité de l’ovulation
(induite vs spontanée)
Mâle absent quand
Aucun soin parental
le jeune est produit
conflit conflit
10.6.3 Conflits parent-progéniture chez les busards
QUESTIONS
1. Quels sont les mérites et les inconvénients majeurs du découpage des régimes d’appariement en quatre
grandes catégories? Sur quelles bases pourrait-on établir une classification alternative?
2. Au sein de quelles variantes des régimes d’appariement polygynes la sélection sexuelle est-elle la plus
intense? Pourquoi?
3. Sous quelles conditions la monogamie sociale pourrait-elle être facultative ou obligatoire?
4. Que doit-on vérifier pour établir que les sollicitations des jeunes constituent des signaux honnêtes?
L’allocation selon les sexes (sex allocation en anglais) Figure 11.1 R. A. Fisher, au moment du congrès
mesure la proportion de ressources investies dans international de génétique de 1932.
la progéniture mâle et femelle, et exprime donc la Photo gracieusement fournie par James F. Crow.
façon dont les ressources sont divisées entre les fonc-
tions mâle et femelle. L’argument fondamental qui
montre comment la sélection naturelle façonne L’argument condensé de Fisher mérite d’être déve-
l’allocation selon les sexes est traditionnellement loppé et explicité. Considérons tout d’abord un cas
attribué au grand statisticien et généticien anglais simplifié basé sur le nombre de mâles et de femelles
Ronald Aylmer Fisher (Figure 11.1). Dans un para- produits (sex-ratio numérique), en faisant les cinq
graphe concis et relativement obscur de son fameux présupposés suivants:
livre The genetical theory of natural selection, Fisher A. La production d’un descendant mâle ou femelle
explique que la sex-ratio numérique est automatique- demande le même investissement parental.
ment ajustée par la sélection naturelle pour atteindre B. L’aptitude moyenne d’un descendant mâle par
un investissement parental égal dans chaque sexe rapport à celle d’un descendant femelle est iden-
(Fisher 1930). Cet argument initia l’étude moderne tique pour toutes les familles. Il n’y a donc pas de
de l’allocation selon les sexes. Toutefois, Edwards a variation entre les familles quant à la valeur rela-
récemment montré que les éléments essentiels de cet tive d’un fils par rapport à une fille.
argument avaient déjà été exprimés par Charles C. La population est à la fois de grande taille et pan-
Darwin dans la première édition de son livre The mictique, ce qui veut dire que tous les accouple-
descent of man (1872), puis formulés mathématique- ments ont lieu au hasard. Il n’y a donc pas de
ment par Carl Düsing en 1884 (Edwards 1998, consanguinité ni de structuration génétique dans
2000). Il est donc vraisemblable que cette idée cir- la population.
culait librement et était bien connue des spécialistes D. Seuls les parents contrôlent la sex-ratio de leur
du sujet, et c’est peut-être pour cela que Fisher la progéniture, et ils sont également apparentés à
traite si succinctement dans son livre. leurs fils et à leurs filles.
Génération 1
etc.
Génération 2
Génération 3 etc.
Figure 11.2 Sex-ratio
numérique dans une situation
simplifiée (voir texte).
b) Situation à l’équilibre
Génération 1 etc.
Génération 2
Génération 3 etc.
(a) Les mâles sont deux fois plus rares que les femelles. Les individus qui, comme le couple focal, produisent plus de mâles
que de femelles transmettent davantage de copies de leurs gènes à la troisième génération. En effet, les mâles de la
deuxième génération transmettent, en moyenne, deux fois plus de copies des gènes parentaux que les femelles, car chaque
individu de la troisième génération possède un père et une mère. (b) Les mâles et les femelles sont en nombre égal. L’équi-
libre est atteint car les mâles et les femelles transmettent les gènes du couple focal avec la même efficacité. Les points noirs
indiquent un locus présent dans les individus focaux de la génération 1 (par exemple un gène de contrôle de l’allocation sur
les autosomes des parents), ainsi que quelques-unes des copies de ce locus dans les générations suivantes.
E. La sex-ratio parmi les descendants est détermi- Cette situation simplifiée est illustrée dans la
née par les gènes autosomaux des parents, et la figure 11.2. Nous examinerons plus tard diverses
variabilité génétique est suffisante pour assurer situations où certains des présupposés simplifica-
que les stratégies d’allocation les plus favorables teurs ci-dessus ne sont pas satisfaits (Tableau 11.1).
existent dans la population. Nous verrons que ces cas particuliers génèrent des
Encart 11.1
Exemple numérique de la théorie de Fisher
Considérons une population où la proportion mutant par rapport à celle d’un individu moyen
des sexes est de 1 mâle pour 20 femelles. Les de la population est donc de (N ¥ 20)/(N ¥ 40/21),
mâles ont, en moyenne, 20 fois plus de descen- soit de 21/2 = 10,5.
dants que les femelles, car chaque enfant possède À cause de cette aptitude bien supérieure à celle
un père et une mère. Un mutant «tricheur» qui des autres membres de la population, les gènes du
ne produirait que des mâles bénéficiera donc mutant producteur de mâles vont rapidement
d’une aptitude 10,5 fois plus grande que celle des envahir la population, et la production de mâles
individus produisant la sex-ratio de la popula- va augmenter. À mesure que les mâles deviennent
tion, soit 1 mâle pour 20 femelles plus fréquents, l’avantage lié à la production de
Pourquoi 10,5? Supposons qu’un individu puisse mâles diminue. Lorsque la sex-ratio dans la
avoir N descendants. À cause de la sex-ratio de population atteint 1:1, l’aptitude des descen-
1:20, l’aptitude relative des descendants mâles dants mâles est identique à celle des descendants
est de 20, contre 1 pour celle des descendants femelles, et l’aptitude du mutant producteur de
femelles. En termes de petits-enfants, le mutant mâles est en moyenne égale à celle de tous les
qui ne produit que des mâles a une aptitude de autres individus, quelles que soient leurs straté-
N ¥ 20. En revanche, les individus produisant gies d’allocation. En effet, l’aptitude est de N ¥ 1
20 femelles pour un mâle ont une aptitude de pour le mutant producteur de mâles, contre
N ¥ 1/21 ¥ 20 pour leurs descendants mâles, plus f ¥ 1 + (N – f ) ¥ 1 = N pour un individu produi-
N ¥ 20/21 ¥ 1 pour leurs descendants femelles, sant f femelles et N – f mâles.
soit de N ¥ 40/21 au total. L’aptitude relative du
Génération 1
etc.
Génération 2
Figure 11.3 Allocation selon les sexes en tenant compte non seulement du nombre de descendants,
mais aussi de l’investissement.
Dans cet exemple, une femelle demande un investissement deux fois plus grand qu’un mâle, ce qui est symbolisé par
les deux pièces de monnaie. L’équilibre est atteint pour un investissement total dans chaque sexe égal à l’échelle de
la population (les deux colonnes ont le même nombre de pièces de monnaie). Les femelles sont alors deux fois plus
rares, et transmettent deux fois plus de gènes à la troisième génération, ce qui contrebalance exactement leur coût
de production deux fois plus grand.
5 F = 0,8
3
Wi
F = 0,6
F = 0,5
2
F = 0,4
F = 0,2
1
0
0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9 1
fi
Figure 11.4 Aptitude d’un phénotype i avec une stratégie d’allocation fi (fraction des ressources investies
dans les femelles) en fonction de l’allocation dans les femelles au niveau de la population (F).
L’aptitude est exprimée par Wi, qui correspond au nombre de copies de chacun de ses gènes transmis par le phéno-
type (i). Une transformation simple de l’équation (1) permet d’obtenir Wi en fonction de fi, pour différentes valeurs de F:
1 1 – 2F
Wi = ----------- + fi --------------------
1–F F(1 – F)
Lorsque l’allocation au niveau de la population est biaisée vers un sexe (F π 0,5), les stratégies produisant préféren-
tiellement le sexe le plus rare ont une aptitude supérieure à 2. Lorsque l’allocation au niveau de la population est
équilibrée (F = 0,5), toutes les stratégies d’allocation individuelles fi ont la même aptitude (Wi = 2). On voit bien sur
cette figure que l’allocation équilibrée (F = 0,5) est un équilibre évolutif, et non pas un optimum individuel. En effet, une
partie des individus possède une aptitude plus élevée en dehors de l’équilibre. D’après Crozier et Pamilo (1996 page 32).
affectée par la mortalité différentielle entre les sexes à la naissance est de 1:1. En effet, la probabilité cinq
après l’émancipation des jeunes, c’est-à-dire lorsque fois plus faible qu’un mâle devienne un individu
l’investissement des parents est terminé. En effet, du reproducteur est contrebalancée par l’aptitude cinq
point de vue des parents, le coût lié à une plus fois plus grande des mâles qui parviennent à obtenir
grande mortalité d’un des sexes après l’émancipation un harem.
est exactement compensé par la plus grande aptitude Une deuxième prédiction importante du modèle
des rares individus de ce sexe qui survivront jusqu’à est qu’il doit y avoir un compromis entre le nombre
la reproduction. de descendants et leur coût, de sorte que l’allocation
En règle générale, un argument similaire s’applique dans les deux sexes soit égale à l’échelle de la popula-
aux variations du régime de reproduction (poly- tion. Si le coût de production diffère entre les sexes,
gamie, polyandrie, promiscuité), ainsi qu’à tous les il n’y aura donc pas le même nombre de mâles et de
facteurs qui augmentent la variance dans le succès femelles. Par exemple, si le coût de production d’un
reproducteur d’un des sexes indépendamment de mâle est plus grand que celui d’une femelle, les femelles
l’investissement parental. Par exemple, considérons devraient être plus nombreuses que les mâles. Il faut
une espèce où un mâle possède en moyenne un harem noter que dans ce compromis entre nombre et inves-
de cinq femelles. Si le coût de production d’un mâle tissement, seuls les coûts payés par les parents comp-
et d’une femelle est égal, la sex-ratio numérique stable tent. Par exemple, si une différence de taille à l’âge
Condition parentale et facteurs écologiques Spécialisation conditionnelle des familles dans la production du sexe
locaux avec le meilleur retour sur investissement (paragraphe 11.5).
Compétition entre mâles apparentés Biais vers les femelles (paragraphe 11.7).
Compétition entre femelles apparentées Biais vers les mâles (paragraphe 11.7).
Coopération entre mâles apparentés Biais vers les mâles (paragraphe 11.7).
Coopération entre femelles apparentées Biais vers les femelles (paragraphe 11.7).
femelles (Tableau 11.1), et ces cas seront décrits en toutes les contraintes qui peuvent faire varier le rende-
détail dans la suite de ce chapitre (paragraphes 11.5 ment (en termes d’augmentation d’aptitude) associé
à 11.8). à un investissement de ressources dans la progéniture
À titre d’exemple, voici une situation où le retour mâle ou femelle.
sur investissement est non linéaire pour l’un des
sexes. Considérons une espèce peu féconde, où les
parents n’ont qu’un seul petit par cohorte. Le nom- 11.3.2 Le principe du «retour sur investissement»
bre de descendants ne peut donc pas être ajusté aux égal
ressources de manière optimale. Un investissement
supplémentaire dans un individu peut résulter en a) Fisher généralisé
une augmentation d’aptitude différente pour un
On peut généraliser le raisonnement de Fisher pour
mâle ou une femelle. Par exemple, une jeune guêpe
tenir compte de tous les facteurs qui font varier la
femelle peut avoir une aptitude qui augmente linéai-
rement si elle reçoit des ressources supplémentaires, valeur relative des mâles et des femelles. La logique
alors qu’un mâle plus gros voit ses performances de base consiste à estimer la capacité des nouveaux
stagner. À l’inverse, un supplément de ressources mâles et femelles à transmettre les gènes du parti qui
durant la croissance peut profiter davantage à un contrôle l’allocation selon les sexes, pondérée par les
jeune cerf qu’à une jeune biche, à cause de la compé- ressources investies. L’argument général suivant
tition entre les mâles (paragraphe 11.5.2). Dans ces s’applique à l’allocation entre les sexes au niveau de
situations particulières, le retour sur investissement la population: l’allocation selon les sexes dans la popu-
n’est plus linéaire, et il diffère entre les sexes. Le lation est évolutivement stable lorsque l’aptitude inclu-
modèle de Fisher ne s’applique plus, car les parents sive des individus (ou des gènes) qui contrôlent
qui doublent l’investissement dans un sexe ne dou- l’allocation augmente exactement de la même façon
blent pas le nombre de copies de leurs gènes qui seront quand une quantité marginale de la ressource limi-
transmises par ce sexe. Plus généralement, le modèle tante est investie dans la production de mâles ou de
de Fisher ne prend pas en compte tous les facteurs et femelles (Figure 11.5).
Génération 1
etc.
Génération 2
Génération 3 etc.
C’est le critère de valeur marginale égale. L’équi- tation d’aptitude pour un investissement marginal
libre est atteint lorsque l’augmentation d’aptitude correspond simplement à la dérivée de la fonction
inclusive résultant d’un investissement marginal dans liant le retour à l’investissement. L’allocation est sta-
un mâle ou une femelle est identique. Un investissement ble quand les individus qui la contrôlent ont le
marginal est simplement un très petit investissement, même retour sur investissement lorsqu’ils produi-
et la valeur marginale correspond à l’augmentation sent un mâle et lorsqu’ils produisent une femelle. À
d’aptitude résultant de ce très petit investissement l’équilibre, l’aptitude gagnée en investissant plus de
supplémentaire. Le critère de valeur marginale égale ressources dans un sexe est exactement compensée
a été formalisé mathématiquement par Charnov par l’aptitude perdue en n’investissant pas ces res-
(1979) et exprimé sous diverses formes par de nom- sources dans l’autre sexe. La fréquence-dépendance,
breux auteurs (par exemple Trivers 1985, Frank 1990, qui est le principe fondamental dans l’argument de
Bourke et Franks 1995, Frank 1998). Mathéma- Fisher, est maintenue. En revanche, l’équilibre stable
tiquement, le critère de valeur marginale égale est ne correspond plus à une allocation de 1:1 si la fonc-
exprimé par une équation très similaire à l’équation tion liant l’aptitude aux ressources investies a une
de Shaw et Mohler, généralisée à toutes les fonctions forme différente pour les mâles et les femelles (Frank
de retour sur investissement, y compris les cas non 1990). C’est le retour sur investissement qui doit être
linéaires (voir par exemple Frank 1998). L’augmen- égal, et non pas l’allocation globale dans la population.
Famille 1 Famille 2
Famille n
Famille i
Enfants i
Aptitude Aptitude
des filles i des fils i
Génération 3
Figure 11.6 Allocation conditionnelle en fonction des variations du retour sur investissement.
(a) La théorie prédit des variations d’allocation entre les familles si le retour sur investissement associé à la produc-
tion de chaque sexe varie entre les familles. Chaque famille devrait simplement se spécialiser dans la production du
sexe avec le plus grand retour sur investissement, relativement à la moyenne de la population. (b) Le retour sur
investissement dépend du coût de production et de l’aptitude des fils et des filles, ainsi que des degrés de parenté.
Si ces facteurs varient entre les familles, une spécialisation conditionnelle peut en résulter.
population (Chapuisat et Keller 1999, West et Shel- Dans le reste de ce chapitre, nous examinerons
don 2002). Cette approche représente actuellement différentes applications particulières de la théorie géné-
la voie la plus fructueuse pour tester la théorie de rale. La théorie permet parfois de faire des prédictions
l’allocation selon les sexes. sur l’allocation globale à l’échelle de la population.
Proportion de mâles
mères en bonne condition devraient alors se spécia-
0,6
liser dans la production de mâles, et celles en moins
bonne condition dans la production de femelles. 0,5
Cette prédiction a été testée chez de nombreuses
espèces d’ongulés. Sur l’île de Rum, en Écosse, une 0,4
population de cerfs élaphes Cervus elaphus est suivie
depuis 1971. Une première étude a montré un biais 0,3
dans la direction attendue, en fonction du rang social 40 60 80 100 120 140 160 180
de la mère (Clutton-Brock et al. 1984). Premièrement, Densité de la population
les mâles nés de mères dominantes avaient un succès Figure 11.8 Allocation conditionnelle
reproducteur beaucoup plus élevé que les mâles nés en fonction du statut social de la mère
de mères occupant des positions subordonnées. En chez le cerf élaphe Cervus elaphus .
revanche, le succès reproducteur des femelles n’était Les ronds noirs et la ligne continue représentent la
proportion moyenne de mâles nés de femelles domi-
pas corrélé avec le rang social de leur mère. Deuxiè- nantes (chaque rond correspond à une année). Les
mement, en accord avec les prédictions de Trivers et ronds blancs et la ligne pointillée indiquent la pro-
Willard (1973), la proportion de mâles à la nais- portion moyenne de mâles nés de femelles subor-
sance était fortement corrélée avec le rang social de données. On voit que les femelles dominantes ont
produit préférentiellement des mâles quand la den-
la mère, les mères dominantes faisant plus de mâles. sité de cerfs était faible, mais que cet effet a disparu
Toutefois, le suivi ultérieur de cette population a lorsque la densité des cerfs a augmenté. Notons
montré que cet effet a ensuite disparu au cours du que ces données corrélationnelles ne démontrent
temps (Kruuk et al. 1999). La proportion de nais- pas un lien de causalité. D’après Kruuk et al. (1999).
sances mâles a chuté pour les femelles dominantes,
tout en restant constante pour les femelles subor- aussi s’expliquer par le fait que peu d’espèces rem-
données. Cette diminution dans la production de plissent toutes les conditions du modèle de Trivers et
mâles était corrélée à une augmentation de la densité Willard. Il s’agit en particulier des espèces polygynes
des cerfs (figure 11.8), ainsi qu’à un accroissement et à fort dimorphisme sexuel, comme le cerf, le mou-
des pluies hivernales. Kruuk et ses collègues ont pro- flon et le daim. Toutefois, même chez ces espèces, une
posé que le stress alimentaire associé à la densité et allocation conditionnelle en accord avec les prédictions
au climat avait provoqué une mortalité plus élevée des de Trivers et Willard n’est que rarement observée
fœtus mâles, et que l’effet de ces variables environ- (Hewison et Gaillard 1999).
nementales avait masqué l’allocation conditionnelle En fonction des composantes biodémographiques
selon le statut social de la mère. Plus généralement, et du régime de reproduction, un supplément de
les résultats obtenus dans plus de quinze espèces ressources peut profiter davantage aux femelles qu’aux
d’ongulés sont très variables (Hewison et Gaillard mâles. La prédiction est alors inversée: les mères en
1999). Certaines études ont montré que les mères bonne condition devraient produire davantage de
en bonne condition produisent davantage de mâles, femelles. Par exemple, si les femelles héritent du ter-
d’autres n’ont pas détecté d’association, et d’autres ritoire ou du statut social de leur mère, alors que les
ont même détecté une corrélation inverse. Les études mâles se dispersent, la condition maternelle influen-
chez les cerfs, les porcs et les chevreuils indiquent cera plus le succès reproducteur des femelles que celui
aussi que la relation entre sex-ratio et condition des mâles. Les femelles avec un territoire de bonne
maternelle varie au sein de la même espèce. Il sem- qualité ou un rang social élevé devraient produire
ble donc que l’effet de la condition maternelle sur la préférentiellement des filles. Ces conditions s’appli-
sex-ratio dépende de divers facteurs, et varie selon quent à de nombreuses espèces de primates. Chez
les conditions environnementales. Par exemple, un certaines espèces de babouins et de macaques, la
investissement accru dans la reproduction peut proportion de femelles augmente effectivement en
affecter le succès reproducteur futur de la mère de fonction du rang social de leur mère (Clutton-Brock
manière variable, en fonction des conditions envi- 1991).
ronnementales et démographiques. La grande varia- Pour résumer, les études sur l’allocation selon les
bilité des résultats obtenus chez les ongulés peut sexes en rapport avec la condition maternelle suggèrent
B
A
marqué peut s’expliquer par le fait que, comme l’hôte
0,6
continue à croître après la ponte, les ressources effec-
0,4 tives dont disposera chaque descendant sont plus
C difficiles à prédire (paragraphe 11.10).
0,2
Figure 11.9 Allocation conditionnelle Chez certaines espèces d’oiseaux, les jeunes d’un seul
selon la distribution des tailles d’hôtes chez la guêpe sexe restent avec leurs parents et les aident à élever
parasitoïde Lariophagus distinguendus .
les nichées suivantes. Pour les parents, le bénéfice
La proportion de mâles produits est indiquée en
fonction de la taille des larves de charançons hôtes,
procuré par ces assistants peut varier en fonction du
estimée par le diamètre du tunnel creusé dans le nombre d’assistants présents et de la qualité du terri-
grain de blé. Dans cette expérience, un nouvel hôte toire. S’ils ont déjà de nombreux assistants, ou si
est offert aux guêpes toutes les 2,5 heures. Chaque leur territoire n’a que peu de ressources, un «assis-
point de la courbe A (trait continu) résulte de la
présentation séquentielle de vingt hôtes focaux de
tant» supplémentaire qui reste sur leur territoire peut
taille identique. La proportion de mâles diminue en fait s’avérer coûteux pour les parents, parce qu’il
lorsque la taille de l’hôte augmente. Les courbes B consomme des ressources ou perturbe l’élevage de la
et C démontrent que l’allocation est ajustée en nichée. La théorie de l’allocation conditionnelle pré-
fonction de la taille des autres hôtes disponibles.
Dans ces deux cas expérimentaux, les hôtes focaux
dit que les parents qui manquent d’assistant par rap-
sont présentés en alternance avec d’autres hôtes. port à la qualité de leur territoire devraient produire
Pour la courbe B, les hôtes focaux sont présentés en préférentiellement le sexe coopératif. En revanche,
alternance avec des hôtes 0,4 millimètre plus gros. les parents disposant d’un nombre d’assistants suffisant
Pour la courbe C, les hôtes focaux sont présentés en
alternance avec des hôtes 0,4 millimètre plus petits.
par rapport à la qualité de leur territoire devraient se
On voit que les guêpes pondent plus de mâles dans spécialiser dans la production du sexe qui se disperse.
les hôtes focaux quand ils sont rencontrés en alter- Ces prédictions ont été testées avec un succès remar-
nance avec des hôtes plus gros (courbe B), et plus
de femelles quand les autres hôtes disponibles sont
quable chez la rousserolle des Seychelles Bebrornis
plus petits (courbe C). Les guêpes ajustent donc la sechellensis (Komdeur et al. 1997, Komdeur 1998).
sex-ratio à la ponte de manière très précise en fonc- Ces rousserolles ne pondent qu’un œuf par année.
tion d’une part de la taille de l’hôte focal, et d’autre En général, les descendants mâles se dispersent, alors
part de la taille des autres hôtes disponibles dans
l’environnement. Cet ajustement de la sex-ratio en
que les descendants femelles restent souvent avec
fonction de la taille relative de l’hôte est rapide. leurs parents et les aident à élever les nichées suivan-
D’après Charnov et al. (1981). tes. Les parents occupent le même territoire pendant
plusieurs années. Dans les territoires de haute qua-
Plus généralement, de très nombreuses études ont lité, la présence d’un ou deux assistants augmente le
examiné en détail la sex-ratio des descendants en succès reproducteur des parents. En revanche, la
fonction de la taille de l’hôte chez les guêpes parasi- présence d’assistants dans les territoires de basse
toïdes solitaires. West et Sheldon (2002) ont réalisé qualité, ou la présence de plus de deux assistants
une méta-analyse portant sur soixante-cinq études dans les territoires de haute qualité, diminue le succès
de cinquante-six espèces. Globalement, la sex-ratio reproducteur des parents. Jan Komdeur et ses colla-
est biaisée de manière significative dans la direction borateurs ont montré que la femelle de la rousserolle
attendue, avec une relation positive entre taille de des Seychelles est capable d’ajuster précisément le
l’hôte et proportion de femelles (Figure 11.15). Dans sexe de son œuf unique (Figure 11.10). Si aucun
les espèces de guêpes qui tuent ou paralysent leurs assistant n’est présent, les couples dans des territoires
hôtes, la taille de l’hôte explique en moyenne 19% de faible qualité produisent près de 80% de mâles,
de la variance dans la sex-ratio. Dans les espèces qui alors que les couples dans des territoires de qualité
ne tuent pas l’hôte au moment de la ponte, la corré- élevée produisent presque exclusivement des femel-
les, c’est-à-dire le sexe philopatrique et coopératif.
selon les sexes au cas particulier des populations seul facteur altérant leur asymétrie de parenté, on peut
d’hyménoptères sociaux dans lesquelles l’asymétrie de examiner si les ouvrières manipulent l’allocation en
parenté varie entre les colonies. La théorie prédit que leur faveur. Plus généralement, on peut tester l’impact
les ouvrières devraient favoriser le sexe qui transmet de la sélection de parentèle et le bien-fondé de la théo-
le mieux les copies de leurs propres gènes, relative- rie de l’allocation selon les sexes dans de nombreuses
ment aux ressources investies (paragraphe 11.3.3). espèces ou populations indépendantes, en évitant la
Ce retour sur investissement varie entre les colonies plupart des facteurs corrélés qui affectent les compa-
en fonction des variations dans la structure fami- raisons entre espèces (paragraphe 11.6.2). De plus,
liale, qui affectent les degrés de parenté des ouvrières l’asymétrie de parenté peut parfois être manipulée
envers les femelles et les mâles. La théorie prédit expérimentalement.
donc une spécialisation conditionnelle des colonies
dans la production du sexe le plus profitable, si les b) Tests empiriques de cette théorie
ouvrières contrôlent l’allocation. Il s’agit d’un cas
particulier d’allocation conditionnelle qui varie entre Une allocation qui varie entre les colonies en fonction
les familles (paragraphe 11.4). des asymétries de parenté a été observée chez une
Cette théorie des «sex-ratios spécialisées» fait des vingtaine d’espèces d’hyménoptères sociaux (voir
prédictions quantitatives précises, qui peuvent être Queller et Strassmann 1998 pour une synthèse, ainsi
testées dans des populations où l’asymétrie de parenté que Hastings et al. 1998, Henshaw et al. 2000,
varie entre les colonies. En examinant les variations Walin et Seppä 2001, et Hammond et al. 2002 pour
d’allocation entre des colonies qui diffèrent par un les études les plus récentes). Dans tous ces cas, les
1994 20 1995
15
p = 0,006 p = 0,000 1
Nombre de colonies
15
n = 30 n = 44
10
10
5 5
colonies où l’asymétrie de parenté est grande ont Cette spécialisation conditionnelle des colonies
produit plus de femelles que les colonies où l’asymé- dans la production d’un sexe ou l’autre démontre
trie de parenté est petite, comme prédit par la théorie clairement que la sélection de parentèle et les degrés
des «sex-ratios spécialisées» (Boomsma et Grafen de parenté ont un fort impact sur l’allocation selon
1990, 1991). Ces résultats empiriques indiquent les sexes chez les hyménoptères sociaux. Plus géné-
que les ouvrières manipulent conditionnellement ralement, ces données confirment le bien-fondé de
l’allocation dans leur propre intérêt génétique. la théorie de l’évolution basée sur la sélection au
Une telle spécialisation conditionnelle dans la pro- niveau des gènes. En effet, en biaisant l’allocation de
duction d’un sexe ou l’autre a été observée lorsque manière conditionnelle en fonction de la parenté, les
les différences d’asymétrie de parenté étaient produites ouvrières maximisent la transmission de copies de
par diverses sources: (1) en fonction du nombre leurs propres gènes. Cette réponse dépend à la fois
d’accouplements de la reine chez des populations de de l’asymétrie de parenté dans leur propre colonie et
fourmis monogynes (Sundström 1994, Sundström de l’allocation dans les autres colonies de la popula-
et al. 1996, figure 11.13); (2) en fonction du nombre tion, le tout dans un contexte intracolonial conflic-
de reines chez des fourmis et des guêpes (Herbers tuel, ce qui constitue un problème complexe
1984, Queller et al. 1993, Chan et Bourke 1994, (Figure 11.12). Au cours de millions d’années d’évo-
Deslippe et Savolainen 1995, Evans 1995, Hastings lution, les ouvrières ont donc été sélectionnées pour
et al. 1998, Henshaw et al. 2000, Walin et Seppä biaiser l’allocation de manière adaptative. La question
2001, Hammond et al. 2002); et (3) en fonction du cognitive de savoir comment les ouvrières acquiè-
remplacement de la reine par une fille chez des rent l’information nécessaire à leurs prises de décision
abeilles halictes (Boomsma 1991, Mueller 1991, Packer reste ouverte. Les ouvrières estiment probablement
et Owen 1994). Chez l’abeille halicte Augochlorella l’asymétrie de parenté dans leur colonie à l’aide d’indi-
striata, l’asymétrie a pu être manipulée expérimenta- ces simples, tels que le nombre de reines ou le niveau
lement, en enlevant la reine qui est alors remplacée de diversité génétique dans le nid.
par l’une de ses filles. Ce remplacement de reine fait Le contrôle de l’allocation par les ouvrières n’est
que l’asymétrie de parenté passe de 3:1 à 1:1, car toutefois pas universel, et dans certains cas les ouvrières
les ouvrières sont également apparentées à leurs neveux ne manipulent pas l’allocation de leur colonie en
et nièces. Comme prédit par la théorie des «sex- fonction des asymétries de parenté. Chez les fourmis
ratios spécialisées», les nids avec la reine d’origine polygynes, les prédictions sont complexes, car plu-
ont produit significativement plus de femelles que sieurs facteurs comme la compétition entre les reines
les nids où la reine a été remplacée (Mueller 1991). et le besoin de produire des reines de remplacement
TABLEAU 11.2 LES QUATRE TYPES D’INTERACTIONS ENTRE INDIVIDUS APPARENTÉS DU MÊME SEXE, ET LEUR EFFET SUR L’ALLOCATION.
Mâles Compétition pour les accouplements ou les ressources Biais vers les femelles
Mâles Coopération augmentant les accouplements ou les ressources Biais vers les mâles
Parents
Génération 3
Si les accouplements ont exclusivement lieu entre les descendants de la même famille, il y a une forte compétition
entre les mâles apparentés. Cela diminue le retour sur investissement associé à la production de plusieurs mâles (cas
de la famille 1). Les familles qui biaisent l’allocation en faveur des femelles minimisent cette compétition et maximi-
sent la transmission de leurs gènes. À l’extrême, un seul mâle est suffisant pour inséminer toutes les femelles (cas de
la famille 2).
est capable d’inséminer toutes les femelles, la mère forte, et la sex-ratio est fortement biaisée en faveur
maximise son retour sur investissement en ne pro- des femelles (de l’ordre de neuf femelles pour un
duisant qu’un seul fils et en investissant tout le reste mâle). En revanche, quand la figue contient les des-
des ressources dans ses filles (figure 11.14, famille 2). cendants de plusieurs guêpes, la compétition entre
Cette compétition locale entre les mâles (local mate mâles apparentés diminue, et la proportion de mâles
competition, Hamilton 1967) peut donc provoquer dans la progéniture augmente (Herre 1985, 1987).
un fort biais d’allocation en faveur des femelles.
Un exemple extrême de compétition entre mâles 11.7.2 Coopération entre mâles apparentés
apparentés est celui de Acarophenax tribolii. Ces aca-
riens ont des mœurs assez particulières. Les jeunes se À l’inverse, il arrive parfois que des mâles apparentés
développent dans le corps maternel, qu’ils dévorent coopèrent pour obtenir des accouplements (local mate
de l’intérieur. Les accouplements ont lieu entre frères enhancement). Le retour sur investissement augmente
et sœurs à l’intérieur de la mère. En général, un seul alors si plusieurs mâles sont produits simultanément.
mâle est produit. Ce mâle s’accouple avec ses nom- Chez les lions, où les mâles d’une même cohorte for-
breuses sœurs, puis il meurt avant même d’être né, ment des coalitions qui cherchent à conquérir un
sans avoir quitté le corps maternel (Hamilton 1967). groupe de femelles, l’aptitude individuelle des mâles
D’autres exemples de compétition entre mâles augmente fortement en fonction du nombre de mâles
apparentés ont été bien documentés chez diverses dans leur cohorte. En accord avec la prédiction
espèces d’acariens, de guêpes parasitoïdes, et en parti- théorique, la proportion de mâles est plus élevée dans
culier de guêpes des figuiers. Ces guêpes pollinisent les grandes cohortes que dans les petites (Packer et
les fleurs des figuiers et pondent leurs œufs à l’inté- Pusey 1987).
rieur du fruit. Le couvain se développe dans la figue,
et les accouplements ont lieu à l’intérieur du fruit, 11.7.3 Compétition entre femelles apparentées
avant que les femelles ne se dispersent. Quand la
figue ne contient que la progéniture d’une seule Des processus symétriques s’appliquent aux femelles. Des
femelle, la compétition entre mâles apparentés est femelles apparentées peuvent entrer en compétition
0,4
d’allocation conditionnelles montrent que le déter-
minisme chromosomique du sexe n’est pas une con-
trainte insurmontable, au moins dans certains cas 0,2
(paragraphes 11.5.1 et 11.5.4). West et Sheldon (2002)
ont réalisé une méta-analyse pour comparer l’ampli-
tude des variations adaptatives de l’allocation chez 0
les espèces à déterminisme chromosomique du sexe
et les espèces à déterminisme haplo-diploïde du sexe
(Figure 11.15). Ils ont comparé quatre groupes –0,2
d’espèces, deux chez les oiseaux et deux chez les Oiseaux Oiseaux Guêpes Guêpes
(qualité (présence (proies (proies
guêpes parasitoïdes. Chez les oiseaux, des variations
du mâle) d’aides) vivantes) tuées)
conditionnelles sont attendues en fonction de l’attrac-
tivité du père (paragraphe 11.5.1) ou de la présence Figure 11.15 Précision de l’ajustement
d’assistants en fonction de la qualité du territoire de la sex-ratio dans des taxons avec différents
(paragraphe 11.5.4). Les auteurs font le présupposé mécanismes de détermination du sexe.
La figure indique la moyenne (ligne horizontale),
que l’effet de la qualité du mâle est plus difficile à
l’intervalle de confiance à 95% (boîte) et l’inter-
prévoir que celui de la qualité du territoire et de la valle total (ligne verticale) de l’amplitude de l’effet
présence ou l’absence d’assistants. Chez les guêpes dans quatre situations: chez certaines espèces
parasitoïdes, des variations d’allocation sont atten- d’oiseaux (en fonction de la qualité du père), chez
d’autres espèces d’oiseaux (en fonction de la pré-
dues en fonction de la taille de l’hôte parasité (para-
sence d’assistants), chez des guêpes parasitoïdes
graphe 11.5.3). Chez les espèces de guêpes qui ne qui laissent leurs hôtes vivants (en fonction de la
tuent ni ne paralysent l’hôte au moment de la ponte, taille de l’hôte), et chez des guêpes parasitoïdes qui
l’hôte continue à croître, et la quantité finale de res- tuent ou paralysent leurs hôtes (en fonction de la
taille de l’hôte). Une amplitude de l’effet positive
sources est difficile à prévoir. En revanche, chez les
indique un ajustement dans la direction prédite par
espèces de guêpes qui tuent ou paralysent leur hôte, la théorie, et une amplitude de l’effet négative un
les ressources peuvent être évaluées de manière pré- ajustement dans la direction opposée. L’amplitude
cise. La comparaison des biais d’allocation dans de de l’effet varie significativement entre les groupes.
D’une manière contre-intuitive, la précision de l’adap-
nombreuses espèces appartenant à ces quatre groupes
tation semble plus dépendre de la prévisibilité de
montre un ajustement de l’allocation dans la direction l’environnement que du déterminisme du sexe.
attendue (Figure 11.15). L’amplitude de l’ajustement D’après West et Sheldon (2002).
Chez la grande majorité des animaux, à un moment un problème pour l’évolution. Le chapitre 14 traite
ou un autre de leur existence, tous les individus vont de certains aspects de la communication entre indi-
interagir régulièrement entre eux, ne serait-ce que vidus. En particulier, les aspects physiques de la
pour accéder à un partenaire de reproduction. Cette communication qui ont fait de grands progrès dans
quatrième partie est centrée autour des processus les années passées sont détaillés pour la communi-
sociaux. Nous commencerons par deux chapitres sur cation visuelle et acoustique. Enfin, le chapitre 15
l’évolution de la vie en groupe: le chapitre 12 se traite de l’importance du comportement dans les
consacre à ce que l’on peut appeler la vie en groupe par interactions durables entre individus d’espèces diffé-
la voie parasociale, c’est-à-dire résultant des décisions rentes. Ce chapitre traite plus particulièrement du
individuelles de vivre ensemble. Ce sujet a fait et fait mutualisme et du parasitisme. Nous verrons que le
encore aujourd’hui l’objet de controverses toujours mutualisme constitue une forme d’interaction entre
bien présentes. Le chapitre 13 traite du dilemme très individus d’espèces différentes qui semble particu-
général posé par l’évolution de la coopération. En lièrement instable, ce qui pose un intéressant pro-
effet, dès les origines, cette question a été identifiée blème pour les évolutionnistes. Le parasitisme quant
comme un des contre-exemples flagrants de l’appro- à lui, constitue une forme plus connue car plus
che évolutionniste. Nous verrons qu’aujourd’hui la étudiée des interactions durables entre individus
question de la coopération ne constitue plus du tout d’espèces différentes.
Chapitre 12
Vivre en groupe :
hypothèses et controverses
Effet du traitement:
3
2,5
2
1,5
1
Figure 12.2 Vie en groupe 0,5
et transmission de parasites. 0
–0,5
–1
0 100 200 300 400
Taille de la colonie
(b)
Dans une expérience désormais classique, Charles Brown et Mary Bomberger Brown ont montré l’importance des
coûts de la vie en groupe liés à la transmission des parasites chez l’hirondelle à front blanc (Hirundo pyrrhonota).
Partant de la double constatation que (1) le nombre de parasites par poussin et par nid augmentait significative-
ment avec la taille de la colonie et que (2) la masse corporelle à l’envol ainsi que la survie au nid des poussins dimi-
nuaient avec la taille de la colonie, ces deux chercheurs américains ont traité certaines colonies pour éliminer les
parasites afin de montrer que les parasites sont, au moins en partie, responsables de la faible productivité des
couples dans les grandes colonies. Les effets de ces traitements ont été violents.
(a) Le nombre de poussins survivant jusqu’à l’envol et la masse corporelle des poussins sont tous les deux plus élevés
dans les colonies traitées que dans celles de taille équivalente, mais non traitées. On notera que l’augmentation
apparente de l’effet du traitement avec la taille de la colonie n’est significative ni pour le nombre de jeunes produits
(p = 0,59, n = 12), ni pour le poids moyen des jeunes de 10 jours (P = 0,61, n = 8), cela pouvant être dû à la faible
taille des échantillons (adapté de Brown et Bomberger Brown 1996).
(b) Comparaison de deux poussins provenant de colonies d’une taille d’environ 350 couples et ayant tous les deux
l’âge de 10 jours; l’un, celui de gauche, provient d’une colonie non traitée contre les parasites, l’autre, à droite,
provient d’une colonie traitée contre les parasites. Photographie gracieusement fournie par Charles Brown.
Cette espèce se reproduit dans des terriers que les reproducteurs creusent
eux-mêmes dans des talus meubles en bord de rivière ou dans des gravières.
Hirondelle de rivage Cela donne donc à chaque couple la possibilité de choisir l’emplacement de
Stutchbury 1988
(Riparia riparia) son nid au sein de l’espace disponible. Cependant, de nombreux sites favora-
bles à la nidification au sein d’une vaste zone d’étude ne sont pas du tout
utilisés par cette espèce.
Une définition précise de ce que doit contenir un habitat pour être favorable
Hirondelle rustique Shields et al.
à la reproduction conduit à la conclusion que de tels habitats sont suffisam-
(Hirundo rustica) 1988
ment abondants pour ne pas constituer un facteur limitant.
Oiseaux marins: cormoran Une description détaillée d’une portion de côte près d’Aberdeen (Écosse)
huppé, mouette tridactyle, montre que pour chacune de ces espèces, il existe de nombreuses zones favo- Olsthoorn et al.
guillemot de Troil, pingouin rables non occupées. Celles-ci sont situées au sein des colonies elles-mêmes, 1990
torda, pétrel fulmar aux alentours, ou plus à l’écart de zones occupées.
ble principalement expliqué par une détection plus vidus passent d’autant moins de temps en vigilance
précoce par les grands groupes de pigeon (Figure 12.4). que la colonie est grande (Figure 12.5).
Les proies peuvent se protéger des prédateurs par D’autre part, la dynamique de l’alternance des pha-
des comportements de vigilance. Cependant, le temps ses d’alimentation (picorage tête baissée) et de veille
passé en vigilance peut représenter une proportion (tête levée) peut constituer en soit une adaptation.
importante du temps, et est perdu pour pratiquer Par exemple, un animal présentant une forte prévisi-
d’autres activités comme l’alimentation ou la forma- bilité dans l’alternance de ces intervalles faciliterait
tion de couple ou encore le soin aux jeunes. La vie en l’approche d’un éventuel prédateur, alors qu’un patron
groupe chez les pigeons ramiers permettrait donc une d’alternance peu prévisible rendrait l’approche du pré-
détection plus précoce du prédateur par un simple dateur beaucoup plus délicate (Ferrière et al. 1996).
effet du nombre (Figure 12.4 a et b). Autre exemple, L’application d’une méthode permettant d’étudier la
chez les hirondelles rustiques, le temps de détection prévisibilité de ces séquences d’alternance sur des pas
d’une chouette d’Athéna (Athene noctua) empaillée de temps croissants fait apparaître une dichotomie
présentée dans une colonie diminue très rapidement très nette entre des espèces comme le bécasseau violet
avec la taille de la colonie (Figure 12.4 c). (Calidris maritima; figure 12.6 a-c) ou la tourterelle
Grâce à la vigilance des autres membres du groupe, turque (Streptopelia decaocta; figure 12.6 d-e) et le crave
chaque individu peut passer moins de temps en vigi- à bec rouge (Pyrrhocorax pyrrhocorax; figure 12.6 f-g).
lance pour repérer les éventuels prédateurs en train Chez le bécasseau et la tourterelle, les profils de pré-
de se rapprocher et allouer plus de temps à d’autres visibilité révèlent une dynamique chaotique de vigi-
activités. Par exemple, une fois enlevé l’effet de la lance (forte prévisibilité à court terme décroissant
position dans le groupe (les individus centraux veillant exponentiellement avec le temps), alors que le crave
moins que les individus de la périphérie du groupe), alterne picorage et surveillance de façon périodique
chez le phoque veau marin (Phoca vitulina), les indi- (profil de prévisibilité plat).
80 100
70
60 80
50
40 60
30
20 40
10
20
0
Groupes Groupes Groupes Groupes
de 1 de 2 à 10 de 11 à 50 de + de 50 0
1-5 6-10 11-20 21-29 30-39 > 40
Taille des groupes de pigeons
Taille des groupes de phoques
b) Distance moyenne de réaction au prédateur
Figure 12.5 Vigilance et taille de groupe.
45
40 Temps passé en vigilance chez les phoques veau
marin (Phoca vitulina) en fonction de la taille du
Distance moyenne
de réaction (en m)
35
30 groupe. Le temps passé en vigilance était estimé sur
des périodes de 180 secondes. Modifié d’après
25
Terhune et Brillant (1996).
20
15
10 Ferrière et ses collaborateurs montrent ensuite par
5 des simulations mathématiques qu’une coordination
0
Groupes Groupes Groupes Groupes même lâche entre les individus d’un groupe et basée
de 1 de 2 à 10 de 11 à 50 de + de 50 sur des prédictions fondées sur une seule période de
Taille des groupes de pigeons picorage peut dramatiquement réduire la prévisibi-
lité du comportement d’un individu, tout en aug-
c) Taille de la colonie et temps de détection d'un prédateur mentant le niveau de surveillance globale du groupe.
1 500 Ces caractéristiques génèrent une dynamique chao-
Temps de détection (en s)
0,8 0,8
0,6 0,6
0,4 0,4
0,2 0,2
0 0
0 2 4 6 8 10 12 14 16 0 2 4 6 8 10 12 14 16
0,2
–0,4
0 2 4 6 8 10 12 14 16 0
0 2 4 6 8 10 12 14 16
(d) 1
0,8
0,6
0,4
0,2
0
–0,2
–0,4
0 2 4 6 8 10 12 14 16
ressources disponibles), on s’attend à ce qu’il y ait des congénères risquerait fort de ne pas pouvoir profiter
différences de motivation à recruter par les divers du tout de sa découverte.
individus. L’intensité des signaux de recrutement doit Du point de vue d’un individu n’ayant pas trouvé
donc varier en fonction du bénéfice net potentiel de nourriture, l’existence de variation dans l’intensité
pour le découvreur en relation avec la taille du groupe des signaux de recrutement, offre aussi à ce suiveur
d’alimentation. Un exemple de ce type de variation potentiel la possibilité de comparer l’intensité des
est donné par Mark A. Elgar chez le moineau domes- signaux de recrutement de divers individus ayant
tique (Passer domesticus). En effet, un moineau solitaire trouvé de la nourriture. La situation ressemble alors
découvrant une source de nourriture émet habituel- étrangement à celle du langage des abeilles dans laquelle
lement un cri «chirrup» (une onomatopée imitant l’intensité du signal de recrutement est modulée en
le cri en question) qui a pour effet de recruter des fonction de la qualité potentielle globale de la source
congénères avant de commencer à s’alimenter. Par de nourriture.
de très simples expériences, Elgar a montré que le taux Les prédictions de l’hypothèse du centre de recru-
d’émission de ce cri varie en fonction des circons- tement peuvent être mises à l’épreuve des faits de
tances: quand la source de nourriture est divisible diverses manières (voir le tableau 12.3). En mettant
(par exemple des miettes de pain), le moineau qui à la disposition d’animaux des sources de nourriture
découvre la source émet le cri «chirrup»; quand la éphémères reproduisant la situation naturelle, on
source n’est pas divisible (la même quantité de pain, s’attend (1) à ce que le bénéfice net d’un fourrageur
mais en un seul morceau) le découvreur n’émet pas sur le site d’alimentation soit plus faible lors de la
le cri. D’autre part, il a constaté que le temps s’écou- découverte que lorsqu’il revient avec des congénères
lant entre la découverte de la source de nourriture et (2) que les oiseaux arrêtent de recruter d’autres
et l’arrivée de nouveaux moineaux rejoignant le individus à la colonie quand il n’y a plus aucun
découvreur est inversement proportionnel aux taux bénéfice à augmenter la taille du groupe d’alimenta-
d’émission du cri «chirrup». En faisant de la repasse tion. Les signaux de recrutement doivent être intenses
de ce cri, il constate aussi que le fait de diffuser le cri au début et ne plus être produits lors des retours
«chirrup» suffit à attirer des moineaux vers une suivants (voir le tableau 12.3).
mangeoire vide de toute nourriture (Tableau 12.2). En résumé, bien que proche de l’hypothèse du
Ce cri semble donc bien jouer une fonction de recru- centre d’information, le HCR ajoute donc un pré-
tement. supposé fondamental qui permet d’expliquer l’inté-
Elgar propose une interprétation simple de ce rêt des leaders et des suiveurs: les leaders y gagnent
comportement. Si l’on admet que les moineaux sont en termes de taux d’alimentation et/ou de protec-
soumis à de réels risques de prédation pendant l’ali- tion contre les prédateurs, et les suiveurs ont aussi le
mentation (un fait qui est indéniable), nous avons bénéfice d’obtenir de l’information sur les sources
vu au paragraphe 12.2.2 en quoi un individu décou- de nourriture. Les bénéfices des suiveurs et des lea-
vrant une source de nourriture facilement partagea- ders sont donc immédiats, et il n’est pas nécessaire
ble peut avoir intérêt à attirer des congénères pour se d’attendre une éventuelle réciprocité d’un geste qui
nourrir avec lui. En revanche, lorsque la ressource peut être coûteux. Richner et Heeb (1996) et Dan-
n’est pas partageable, les coûts engendrés pour le chin et Richner (2001) proposent que cela crée les
découvreur par la compétition avec des congénères conditions favorables à la stabilité évolutive de ce
sont tels que le même moineau qui attirerait des mécanisme.
Type de bénéfice Réciproque et donc de même Mutuel, pas nécessairement Aucun. Le parasitisme de
nature. de même nature. l’information est le résultat
de sa stabilité évolutive et
implique un coût.
Variation des bénéfices nets Variation possible Pas de variation, des bénéfi- Aucune
entre les individus ces équivalents sont mainte-
nus par densité dépendance.
Types de phénotypes Tous les individus sont égale- Il peut exister des variations Les individus peuvent
présents au site communau- ment efficaces à localiser de la dans la capacité à localiser de alterner entre les straté-
taire nourriture de façon à permet- la nourriture, mais ceci n’est gies «chercheur» et
tre la réciprocité. pas forcément nécessaire. «suiveur».
Variation du succès Décroît par rapport à sa Augmente par rapport à sa Décroît par rapport à sa
d’alimentation du décou- première visite. première visite. première visite.
vreur quand il retourne au
site d’alimentation en étant
suivi
et/ou Pas de prédictions faites par Décroît par rapport à sa Pas de prédictions faites.
Risque de prédation lors du l’hypothèse. première visite.
retour vers le site d’alimen-
tation
Stabilité de l’appartenance Requise car pour fonctionner, la Pas nécessaire. En d’autres Pas nécessaire
au groupe d’alimentation et réciprocité implique que les termes les individus n’ont pas
à la communauté individus se connaissent. besoin de se connaître.
e) Un débat qui continue aujourd’hui tout à fait impressionnants, tant par ce qu’ils met-
taient en évidence que parce que c’était une des seules
Le débat sur cette hypothèse continue encore véritables approches expérimentales appliquées à
aujourd’hui. En 1996, Marzluff, Heinrich et Marz- l’étude de cette question. Cet article a donné lieu
luff publient des résultats expérimentaux obtenus à un forum dans la même revue quelques années
dans des dortoirs de grands corbeaux (Corvus corax) plus tard (Danchin et Richner 2001, Mock 2001,
dans la revue Animal Behaviour. Ces résultats étaient Marzluff et Heinrich 2001, Richner et Danchin 2001).
DLI
un observateur sur le terrain pourrait avoir l’impres-
sion que la distribution est agrégée car une part très
importante de la population apparaît comme localisée
dans les quelques parcelles les plus riches. Mais cela
ne ferait que refléter la variation de qualité de l’envi-
ronnement. Danchin et Wagner (1997) ont qualifié
Zone de faible
sous-exploitation ce cas d’agrégation résultant de l’habitat (habitat
mediated aggregation en anglais). En fait, dans ce cas,
l’agrégation n’est qu’apparente, car les individus de
toutes les parcelles ont la même quantité de ressources.
Zone de forte En revanche, tout écart par rapport à la distribution
sous-exploitation: libre idéale implique que les individus des différentes
surdispersion parcelles de l’environnement n’ont pas accès à la même
quantité de ressources. Tous les points situés au-dessus
Pauvre Riche de la droite de la figure 12.8 correspondent à des parcelles
Quantité de ressources dans la parcelle (ki) où les individus ont moins de ressources qu’à la distri-
bution libre idéale (ces parcelles sont surexploitées);
Figure 12.8 Une définition de l’agrégation
ceux au-dessous de la droite ont accès à plus de res-
(cette figure reprend la nomenclature de l’encart 6.1)
L’agrégation est un pattern que l’on peut définir si
sources et les parcelles correspondantes sont donc
l’on est capable de mesurer à la fois le nombre sous-exploitées au vu de la taille globale de la popu-
d’individus Gi dans chaque parcelle ainsi que la lation. Danchin et Wagner (1997) ont désigné ce cas
quantité de ressources kI qu’elle contient, dans une d’agrégation véritable (real aggregation en anglais).
distribution libre idéale, les points se trouveront
tous alignés (droite pointillée). La pente de cette
L’agrégation étant ainsi définie, il apparaît que la
droite varie en fonction de la taille totale de la vie en groupe constitue tout d’abord un pattern, une
population. Plus la population globale est grande, distribution biaisée des individus dans l’espace. On
plus la pente est forte. Les parcelles situées en des- peut alors se demander ce qui produit ces biais de
sous de cette droite correspondent aux parcelles où
les individus ont en moyenne plus de ressources
distribution. La question se pose car, quand la distri-
que si la population était à la distribution libre idéale bution montre une agrégation véritable, la réparti-
(parcelles sous-exploitées); celles situés au-dessus tion des ressources est inégale entre les individus des
de la droite correspondent aux parcelles où les indi- diverses parcelles, et tout individu qui quitte une
vidus ont en moyenne moins de ressources que si la
population était à la distribution libre idéale (par-
parcelle surexploitée pour aller vers une parcelle sous-
celles surexploitées). Plus un point est éloigné verti- exploitée gagne en termes d’accès aux ressources et
calement de la droite représentant la distribution donc en aptitude. On s’attend donc à ce que la sélec-
libre idéale, plus l’agrégation qu’il révèle est forte. tion naturelle favorise tout individu capable de faire
À l’extrême, dans le coin en haut à gauche, cela
correspond à une situation de colonialité.
de la sorte, ce qui, comme nous l’avons vu au chapi-
Lorsque l’habitat est fortement hétérogène, c’est- tre 6, devrait faire tendre la distribution vers une
à-dire qu’il est constitué de parcelles de qualité très distribution libre idéale et donc une disparition de
variable, à la distribution libre idéale, une part l’agrégation. Visiblement, chez certaines espèces comme
conséquente de la population peut se retrouver
dans les quelques parcelles les plus riches. Cette
les oiseaux coloniaux ou les diverses sociétés animales,
agrégation n’est qu’apparente et résulte de l’habitat. la distribution ne tend pas du tout vers une distri-
Tout décalage par rapport à la distribution libre bution libre idéale. Il doit donc y avoir des raisons
idéale est révélateur d’une agrégation véritable. pour lesquelles la distribution chez ces espèces reste
si fortement agrégée.
quantité de ressources dans cette parcelle. Si l’on La question de l’évolution de la vie en agrégats
trace la courbe du nombre d’individus dans chaque peut donc être reformulée de manière sensiblement
parcelle en fonction de la quantité de ressource dans différente. Il s’agit de comprendre, non pas les avan-
ces mêmes parcelles, alors on obtient une droite (droite tages et désavantages de la vie en groupe, mais plutôt
Amplitude de l’agrégation
une distribution agrégée 100
60
80
50
60 40
30
40
20
20 10
0 0
0 0,2 0,4 0,6 0,8 1 0 0,2 0,4 0,6 0,8 1
Autocorrélation temporelle Autocorrélation temporelle
(Figure 12.9 b) de l’agrégation, les autres stratégies tion de l’année précédente sont probablement ce
semblent surtout produire de l’agrégation dans des que les animaux peuvent faire de mieux. Il n’en
environnements ne montrant pas une très forte reste pas moins que très peu de choses sont connues
autocorrélation. sur la prévisibilité des environnements naturels.
On peut se demander alors si les animaux ne Ainsi, même des stratégies de choix de l’habitat de
pourraient pas se baser sur de l’information collec- reproduction relativement sophistiquées impliquant
tée en temps réel, c’est-à-dire pendant l’année en toute une série de comportements de prospection et
cours, pour décider de leur lieu de reproduction. d’acquisition d’information sur la qualité de l’environ-
En effet, on pourrait imaginer d’autres stratégies nement, ne permettent pas d’atteindre une distribu-
dans lesquelles les individus mesurent leur environ- tion libre idéale parfaite. Cela signifie, que d’une
nement pendant l’année en cours, juste avant de manière très générale, on doit s’attendre à trouver
s’installer. Cependant, la majorité des études ayant un certain niveau d’agrégation dans la majeure partie
recherché ce type de stratégie ont conclu qu’il est des populations naturelles. Reste à savoir si ce niveau
très difficile d’estimer en début de saison de repro- d’agrégation peut être suffisant pour générer l’agré-
duction la qualité d’un lieu de reproduction poten- gation des territoires de reproduction en colonie ou
tiel pendant le reste de la saison en cours: il semble groupes sociaux. Les modèles existant à ce jour ne per-
que les caractéristiques de l’environnement en mettent pas de le dire. Des modèles conçus pour tester
début de saison de reproduction ne permettent le spécifiquement cette question sont donc nécessaires
plus souvent pas de faire des prédictions fiables de pour pouvoir affirmer définitivement que de simples
la qualité à venir de ce même environnement pen- processus de choix de l’habitat peuvent conduire
dant le reste de la saison de reproduction. De ce ou non à une agrégation suffisante pour favoriser le
fait, il semble que les stratégies utilisant l’informa- développement de groupes sociaux.
(Figure 12.11 b). De plus, comme dans les leks, le n’obtiennent de copulation avec ces derniers. Il est
succès d’accouplement d’un mâle donné est princi- vrai que les interférences pendant la cour et l’accou-
palement expliqué par les tentatives d’interférences plement sont souvent un des principaux corrélats du
par d’autres mâles de l’arène et ayant lieu pendant les succès de reproduction (Wagner et al. 2000). De ce
accouplements de ce même mâle, le nombre de com- fait, à cause de l’agrégation des mâles secondaires, les
bats gagnés contre les autres mâles, et le taux de tenta- mâles attractifs qui pourraient attirer les femelles sans
tive d’accouplement hors couple. Ces trois variables l’intervention des mâles secondaires perdent des
sont en fait fortement corrélées entre elles. opportunités d’accouplement. Les femelles n’ont, elles
non plus, aucun avantage à l’agrégation d’autres
e) Une agrégation qui ne bénéficie à personne femelles autour des mâles attractifs. Tout d’abord, la
Le scénario décrit ci-dessus propose en fait que chez présence des mâles secondaires les prive d’avoir des
la plupart des espèces socialement monogames, il y ait accouplements avec les mâles attractifs. Ensuite, la
deux régimes d’appariement agissant en parallèle: venue d’autres femelles augmente fortement la com-
l’un serait la monogamie sociale, l’autre, de nature pétition pour accéder au mâle attractif. Les mâles
génétique, rappellerait étrangement le fonctionne- secondaires, eux, ont clairement un bénéfice à parader
ment des leks et fonctionnerait discrètement, en près des mâles attractifs: cela leur permet d’accéder
arrière-plan, d’une manière cachée. D’où le nom à des femelles, mais ils payent le coût important de
d’hypothèse du lek caché. perdre une part significative de leur paternité.
D’après l’hypothèse du lek caché, aucune catégorie Donc, dans ce modèle, l’agrégation des mâles
d’acteur ne semble retirer de bénéfice de l’agrégation. secondaires est un sous-produit du comportement
Les mâles secondaires s’agrègent autour des mâles de choix du partenaire par les femelles, comportement
attractifs pour intercepter les femelles avant qu’elles qui génère en retour des coûts pour elles-mêmes.
95
90
Sex-ratio (en pourcentage de mâles)
85
80
75
70
65
60
55
50
45
s
r.
r.
r.
r.
r.
r.
r.
r.
ai
ai
ai
ai
ai
ai
ar
av
av
av
av
av
av
av
av
m
m
10
14
18
22
26
30
12
16
20
24
29
Date
8
Nombre d’accouplements hors couple par mâle
0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Figure 12.11 Les arènes d’accouplement des petits pingouins ressemblent à des leks.
(a) Changement de la sex-ratio au cours de la saison dans l’arène d’accouplement. Globalement, la sex-ratio
augmente au cours du temps (rs = 0,84; n = 39; P < 0,0001); mais il n’y avait pas de changement significatif pendant la
période précédant la ponte alors que pendant la ponte la sex-ratio augmente fortement (rs = 0,69; n = 20; P < 0,003).
(b) Variation individuelle du succès total d’accouplement hors couple des divers mâles fréquentant une arène.
Modifié d’après Wagner (1992).
ment cette particularité qui a permis de clairement un certain nombre de faits qui soutiennent cette
distinguer ces deux composantes du régime d’appa- affirmation. Nous allons en voir un exemple dans le
riement. paragraphe suivant.
Imaginons l’étape suivante avec une espèce où la
parade et la reproduction se déroulent dans le même g) Des espèces territoriales agrégées
lieu (Figure 12.12). C’est en fait le cas de la plupart La mésange à tête noire (Poecile atricapillus) est une
des espèces d’oiseaux, en incluant les espèces colo- espèce monogame vivant en milieu forestier. Les mâles
niales. Alors, les mécanismes qui peuvent conduire à défendent un territoire de reproduction qui remplit
l’agrégation des territoires de parade devraient con- toutes les fonctions nécessaires à la reproduction:
duire aussi à l’agrégation des territoires de reproduc- alimentation, emplacement du nid, zone de chant,
tion, c’est-à-dire à des colonies de reproduction tout etc. D’autre part, pendant l’hiver, les individus de cette
ce qu’il y a de plus typiques. Selon ce schéma, ce sont espèce forment des rondes de structure assez stable.
les processus de sélection sexuelle qui fournissent le Il est alors facile d’étudier le comportement des divers
moteur de l’agrégation. mâles pour les classer selon un rang décroissant de
La figure 12.12 propose une étape supplémentaire. dominance au sein du groupe. La hiérarchie de domi-
Comme nous venons de le voir, pour des raisons prati- nance est en générale linéaire, et chaque ronde est
ques évidentes, chez la plupart des espèces d’oiseaux, composée d’un mâle a qui domine le mâle b qui lui-
le territoire de reproduction est confondu avec le même domine le mâle g, et ainsi de suite. Il existe
territoire de parade. Le plus souvent, les mâles aussi un taux conséquent de paternité hors couple chez
acquièrent et défendent un site de reproduction, et cette espèce. Enfin, dans cette espèce, c’est la femelle
ensuite y paradent pour attirer une femelle. Cela se qui décide de l’emplacement du nid à l’intérieur du
trouve chez beaucoup d’espèces territoriales. Si le territoire du mâle avec lequel elle s’est appariée. La
mécanisme du lek caché est fondé, on s’attend à ce Canadienne S.M. Ramsay et ses collaborateurs se sont
qu’il fonctionne aussi chez les espèces non coloniales, posé la question des facteurs qui influencent le choix
et en particulier chez les espèces territoriales. De ce de la femelle de placer le nid à tel ou tel endroit. Ils ont
fait, on s’attend à ce que les territoires de reproduc- émis quatre hypothèses alternatives et les ont testées
tions soient eux aussi agrégés plus que nécessaire. chez une population ontarienne du lac Opinicon.
Par exemple, chez une espèce territoriale en forêt, on 1. Tout d’abord, les femelles choisissent peut-être les
s’attend à observer de l’agrégation des territoires de emplacements où la nourriture est la plus abon-
reproduction, c’est-à-dire que des zones de qualité dante. Pour tester cette hypothèse, ils ont fait des
équivalente devraient être laissées inoccupées. Il existe prélèvements de nourriture dans le voisinage
[arcsinus (distance/diamètre)]
cements où la végétation présente des caracté-
ristiques bien particulières et favorables à leur
reproduction. En employant la même méthodo- 0,8
logie, ils ont constaté que la végétation autour du
nid ne présente pas de caractéristiques différentes
de la végétation des autres parties du territoire 0,6
des mâles. Cette hypothèse était donc rejetée.
3. Une troisième hypothèse était que les femelles
choisissaient en fonction de leur expérience passée 0,4
ou de l’histoire liée à ce territoire. Peut-être, les
femelles tendent par exemple à choisir le même
emplacement que la femelle de l’année précédente.
0,2
Ou, au contraire, peut-être évite-t-elle l’emplace- 1996 1997
ment de l’année précédente. Là encore les tests Année
effectués montrent qu’il n’y a aucune association
particulière, ni positive ni négative entre les empla- (b) Nord
cements de deux années consécutives ce qui rejette
aussi cette hypothèse.
4. La quatrième hypothèse était que les femelles
construisaient le nid proche de la frontière du
territoire de leur mâle de façon à être proche d’un
mâle voisin attractif comme l’a proposé Wagner
(1997). Si c’est effectivement le cas, on s’attend à
ce que les femelles appariées avec un mâle de
faible rang social cherchent à placer leur nid très
proche de la frontière avec un mâle voisin de plus 500 m
haut rang social, alors que les femelles appariées
à un mâle de haut rang social devraient moins Lac Opinicon
rechercher la proximité des voisins. On s’attend Figure 12.13 Facteurs expliquant la position
aussi à ce que les femelles tendent de toute façon du nid à l’intérieur du territoire du mâle
à construire leur nid plus proche que nécessaire chez la mésange à tête noire.
de la limite du territoire de leur mâle. Les résul- (a) Distance moyenne à la frontière du territoire
chez les femelles dont au moins un des voisins a un
tats obtenus sont intrigants (Figure 12.13 a). La rang supérieur (à gauche) à leur mâle et chez les
première année, en 1996, les deux prédictions ne femelles dont tous les voisins sont de rang inférieur
sont pas rejetées: les femelles entourées de mâles au leur (à droite). Résultats obtenus sur deux années
ayant tous un rang social inférieur à leur propre consécutives. En 1996, la différence est significative:
les femelles nichaient plus près de la bordure du
mâle tendent à construire leur nid à plus grande territoire lorsque le plus proche voisin était de rang
distance de la frontière de leur territoire que les supérieur à celui de leur mâle; P = 0,04. En 1997
femelles dont au moins un des voisins a un rang toutes les femelles ont niché plus près de la fron-
supérieur à leur partenaire. Cependant, l’année tière du territoire qu’en 1996, indépendamment du
rang de leur mâle. Les nombres entre parenthèses
suivante, il n’y a pas de différence significative de donnent la taille des effectifs. (b) Carte des terri-
distance à la frontière du territoire entre ces deux toires et emplacement des nids en 1997. Les cercles
catégories de femelles, ce qui conduit à rejeter la entourent de petits agrégats de quelques nids très
première prédiction. Cependant, cette année-là, les rapprochés. Modifié d’après Ramsay et al. (1999).
distances à la frontière sont en moyenne toutes
très courtes (Figure 12.13 a), et la deuxième pré- bien que l’on ait affaire à une espèce strictement
diction n’est donc pas rejetée. Il en résulte que, territoriale, les distances entre les couples sont dans
Aptitude moyenne
cherche la valeur qui annule la dérivée de l’aptitude 0,65
par rapport à x. Cette dérivée w’(x) = g’(x) – q, s’annule
N=1
lorsque g’(x) = q. Pour un individu dans un groupe 0,60
N=3
de N membres, l’aptitude de chaque individu est de 0,55 N = 10
w(x) = g(Nx) – qx. Cette fonction est maximisée partage total
lorsque g’(x) = q/N. On peut illustrer les principaux 0,50
résultats avec le cas où la taille de la mémoire est 0 5 10 15 20 25 30
infinie et n’engendre pas de coût (Figure 12.15), Résultat de mesure perçu par unité de temps
(= information)
c’est-à-dire le scénario le plus conservateur car c’est
le cas le plus défavorable pour le partage d’informa- Figure 12.15 Aptitude moyenne dans un agrégat
tion: lorsque le coût de la mémoire augmente, nous en fonction de l’information perçue par pas de temps
et de la taille de l’agrégat lorsque l’acquisition
avons vu que cela augmente les bénéfices d’obtenir d’information est coûteuse.
de l’information par les autres membres du groupe. Dans ces conditions, il y a deux avantages à la vie
Il apparaît clairement que les individus partageant au sein d’un groupe partageant l’information: les
l’information paient moins pour une quantité d’infor- individus dans les groupes ont au total plus d’infor-
mation, et celle-ci est moins coûteuse à obtenir.
mation donnée parce qu’en partageant, chaque indi- Dans le cas représenté, la taille de la mémoire est
vidu paie les coûts d’une plus faible proportion des infinie, le coût q par mesure est de 0,01, l’erreur de
mesures correspondantes (Figure 12.15). De ce fait, mesure e est de 0,4, et l’environnement varie avec
en vivant dans un groupe, chaque individu peut accé- un taux n = 0,05. Les courbes montrent que pour
diverses tailles de groupe, l’aptitude est maximale
der à plus d’information en ne payant qu’une petite pour une valeur donnée de l’information. L’infor-
partie du coût d’acquisition de cette information. mation alors disponible augmente avec la taille de
Ainsi, un individu au sein d’un groupe partageant groupe (triangles noirs).
l’information a deux avantages complémentaires: il Modifié d’après Lachmann et al. (2000).
a plus d’information qu’un individu solitaire, et il
paie moins pour cette information (Figure 12.15). ➤ Le partage de l’information
Au fur et à mesure que le groupe augmente en taille, est-il évolutivement stable?
le coût payé par chaque individu diminue. Cela devrait
Nous avons déjà vu plusieurs fois que le fait qu’un
donc favoriser les individus vivant en groupe. Natu-
comportement soit avantageux à un individu n’est
rellement, cette hypothèse suppose qu’un individu
pas suffisant pour en assurer la stabilité évolutive.
peut amasser l’information publique sans perdre
Un des problèmes est celui du risque de l’apparition
d’information personnelle. En fait, elle suppose que
les actes de quérir l’information publique et person- d’un phénotype égoïste qui utiliserait (parasiterait)
nelle peuvent se faire de manière concomitante et l’information mesurée par les autres membres du
simultanée. Si, pour acquérir une unité d’informa- groupe sans jamais effectuer de mesure par lui-même.
tion publique, un individu doit cesser d’acquérir de Un tel phénotype aurait une aptitude encore plus
l’information privée, à chaque fois qu’un individu se élevée car il ne payerait aucun coût de mesure de
tourne vers l’information publique il existe un compa- l’environnement, tout en disposant de l’ensemble de
gnon de moins qui produit de l’information privée à l’information recueillie par tous les membres du groupe.
ce moment-là. Dans ce cas, la collecte de l’information La stabilité du comportement de partage de l’infor-
publique et privée étant des activités incompatibles, mation dépend en fait essentiellement de la dissimu-
le problème se résume à nouveau à un jeu des pro- labilité de l’information concernée. Si l’on présuppose
ducteurs-chapardeurs (chapitre 6). Dans ce cas, il est que l’information sur l’environnement est non dissi-
possible que l’agrégation ne produise aucun avantage mulable, alors Lachmann et al. (2000) montrent
au point de vue de l’information (Giraldeau, Valone que le partage de l’information au sein des groupes
et Templeton 2002). Il faut donc porter notre atten- est stable sur le plan évolutif: les individus au sein
tion sur l’existence, et le cas échéant, l’intensité de des groupes ont une plus grande aptitude que les
l’incompatibilité entre la collecte des deux types individus solitaires. En revanche, si l’information est
d’information pour savoir dans quelle situation on dissimulable, et si son partage est coûteux, soit à
se retrouve. cause de la compétition que cela peut entraîner sur
peut conclure que le partage de ces informations par tat et du partenaire peuvent avoir ensuite acquis des
essence publiques peut à lui seul favoriser l’agrégation comportements les conduisant éventuellement à
des individus et par-là la vie en groupe. bénéficier de la vie en groupe. L’ensemble des méca-
nismes proposés dans le cadre de l’approche fonc-
b) La sélection des commodités intègre tionnelle et développé au paragraphe 12.2 peut alors
l’approche fonctionnelle classique intervenir pour expliquer l’augmentation éventuelle
L’hypothèse de la sélection des commodités se fonde de l’agrégation jusqu’à obtenir de très fortes densités
sur la constatation que la vie en groupe correspond à et/ou la complexité des comportements sociaux obser-
une sorte de biais dans les choix individuels d’habitat vée dans un grand nombre de taxa. Cette hypothèse
des divers membres du groupe. La question essen- resitue donc toutes les hypothèses proposées dans le
tielle à l’origine de ce biais est celle de l’information. cadre de l’approche fonctionnelle dans un contexte
En d’autres termes, l’hypothèse de la sélection des plus général. Tous ces mécanismes mettent en fait en
commodités voit la vie en groupe comme une pro- évidence des facteurs pouvant influencer les choix
priété émergente des processus de choix des com- individuels. Dans le cadre de l’hypothèse de la sélec-
modités nécessaires à la vie. Dans une première étape tion des commodités, les coûts à la vie en groupe
(primordiale) la vie en groupe ne serait pas apparue participent à la densité dépendance. Les auteurs étu-
parce qu’elle est une fin en soit au sens évolutif. Les diant des populations dans lesquelles c’est la préda-
animaux n’étaient alors pas sélectionnés pour vivre tion qui limite la qualité réelle d’un habitat (définie
en groupe mais plutôt pour choisir un site de repro- comme l’aptitude potentielle des individus s’y ins-
duction ou choisir un partenaire, ce qui les conduisait, tallant) mettent en avant le rôle de la prédation.
secondairement à s’agréger. Lorsque les conditions environnementales font que
Il va de soi qu’une fois que des agrégats existent, ce qui limite la qualité de l’habitat c’est la capacité
cette propriété de la distribution des individus peut des individus à trouver de la nourriture, les auteurs
devenir l’objet de la sélection naturelle. En d’autres concluent alors à l’importance du partage d’infor-
termes, les animaux contraints de se reproduire en mation. En d’autres termes, les diverses hypothèses
agrégats par les bénéfices en termes de choix de l’habi- de l’approche fonctionnelle mettent en avant chacune
QUESTIONS DE RÉFLEXION
1. Tester l’impact de la vie en groupe sur les risques de transmission de pathogènes: effectuer une enquête
parmi la classe sur la fréquence des maladies de gorge et ORL en général au sein de deux groupes, ceux qui
prennent les transports en commun et ceux qui ne les prennent pas.
2. Quelles sont à votre avis les conditions qui rendent une information dissimulable ou non? Quel est le lien
entre la notion d’information publique et privée d’une part, et la notion d’information dissimulable et non
dissimulable d’autre part?
3. Un petit exercice de terrain: observer chez des oiseaux en train de se nourrir l’alternance des phases de vigi-
lance et de picorage. Mesurer la durée de chacune de ces phases. Réfléchir aux méthodes possibles d’analyse
de ce type de série temporelle.
L’évolution de la coopération
c d
C1:a C1:b
C2:a C2:b
C3:a C3:b
C4:a C4:b
C5:a C5:b
C6:a C6:b
population de l’espèce considérée lorsque, toutes La coopération suppose une activité collective
choses égales par ailleurs: dont bénéficient tous les partenaires (Connor 1995).
– chez un individu isolé, l’expression du comporte- Notons que si l’altruisme individuel établit de facto
ment se traduit par un effet net négatif sur l’apti- une forme de coopération au niveau du groupe, la
tude phénotypique. On parle d’effet négatif direct; coopération peut émerger d’autres types de compor-
– en société, définie comme l’ensemble des indivi- tements individuels qui ne seront pas considérés
dus en interaction coopérative, l’expression du dans ce chapitre. Une classification fonctionnelle
comportement se traduit par un effet net positif des comportements de coopération entre altruistes
sur l’aptitude phénotypique de chaque individu. est présentée dans le tableau 13.1. On parle de coo-
On parle d’effet positif indirect. pération symétrique (vs asymétrique) si l’effet net
Soins corporels
Vigilance et alarme
Exposition au prédateur
Soldats des espèces eusociales
Diminution prédation sur l’individu Diminution du nourrissage individuel
Attaque collective chez les oiseaux
Dépense énergétique
Nourrissage collectif
Nourrissage individuel
Soins à la reproduction
partage du nid et des soins aux jeunes (Cockburn portement d’alarme chez les oiseaux. Le signal d’alarme
1998). Le mode de reproduction solitaire traduit d’une proie en présence d’un prédateur est un com-
une coopération pour la reproduction au sein de la portement altruiste si le signal permet la fuite effi-
sphère parentale. Un partage du nid peut aussi se cace des partenaires et expose l’acteur au prédateur
faire entre duos de femelles associées à des mâles, selon (Hamilton 1964b). Cependant, plusieurs alternatives
un système de polygynie coopérative. La reproduc- sont concevables:
tion dite coopérative implique le partage du nid et la • le cri d’alarme d’un oiseau pourrait être non adap-
coopération pour l’élevage des jeunes par des indivi- tatif, et correspondre à une simple réponse de stress
dus extérieurs au noyau parental. Elle concerne envi- à la vue d’un prédateur (Kitchen et Packer 1999);
ron 3% des espèces connues d’oiseaux et se décline • le cri d’alarme pourrait avantager directement
sous trois formes principales (Brown 1987). Chez l’acteur en déconcentrant le prédateur ou en diluant
les espèces à reproduction plurielle, plusieurs cou- son impact sur l’ensemble du groupe (FitzGibbon
ples coopèrent sur le même territoire ou plus rare- 1989). Cette possibilité a été corroborée chez une
ment sur le même nid, ce qui est le cas du pic à espèce où la surveillance d’un groupe est assurée
glands Melanerpes formicivorus. Chez les espèces à re- par des sentinelles (Clutton-Brock et al. 1999b). Ces
production polygynandrique, plusieurs femelles sentinelles sont en fait des individus à satiété qui
pondent dans un nid partagé, dont l’incubation et bénéficient directement de leur position de vigi-
les soins sont assurés par le mâle. Enfin, chez les lance, en étant les premiers à détecter le prédateur
oiseaux à reproduction coopérative avec assistants, ou en étant plus proches d’une retraite potentielle
un couple parental est assisté par des individus non (Rasa 1989, Bednekoff 1997);
reproducteurs, comme chez la rousserolle des Sey- • le cri d’alarme pourrait correspondre à une super-
chelles Acrocephallus sechellensis. Cette variabilité cherie de la part de l’acteur pour s’approprier les
étonnante observée chez les oiseaux a rendu néces- ressources de ses partenaires en les faisant fuir
saire le développement d’une classification hiérarchi- (Charnov et Krebs 1975).
que plus générale (Crespi et Yanega 1995, Crespi et
Avant de prétendre à l’altruisme du cri d’alarme, il
Choe 1997), qui reconnaît cinq formes typiques de
faut donc exclure ces trois hypothèses alternatives.
socialité (tableau 13.2; voir aussi encart 13.1).
L’estimation des coûts et bénéfices associés à un
comportement altruiste fournit la base d’une évalua-
13.2.2 Pressions de sélection tion des pressions de sélection qui peuvent s’exercer
sur ce caractère, dont la nature quantitative ne peut
De manière générale, la démonstration de la nature être ignorée. Ainsi, différents individus d’une même
altruiste d’un comportement requiert une évalua- population peuvent manifester des comportements
tion des coûts et des bénéfices associés, dont le para- altruistes plus ou moins marqués. Chez l’impala
graphe 13.4 de ce chapitre détaille des exemples par exemple, il existe une forte variabilité inter-
empiriques. L’identification des composantes poten- individuelle dans le temps dévolu à l’épouillage.
tiellement coûteuses ou bénéfiques peut s’avérer Lorsqu’un individu s’engage dans un comportement
problématique, comme en témoigne le cas du com- d’épouillage collectif, des séries d’actes de nettoyage
La classification des structures sociales proposée dans la coopération au bénéfice d’autres indivi-
par Crespi et Yanega (1995) et Crespi et Choe dus spécialisés dans la reproduction. Cette spé-
(1997) distingue cinq formes typiques de socia- cialisation est de nature comportementale et est
lité (pour une critique de cette division en échelle réversible. Le cas des sociétés d’oiseaux à repro-
voir Sherman et al. 1995 et Wcislo 1997). duction coopérative avec des assistants en consti-
Structure solitaire. La vie solitaire est caractérisée tue un exemple.
par un partage des soins aux jeunes entre les Structure eusociale. Les groupes dits eusociaux
parents au sein de sites de reproduction distincts sont caractérisés par le plus haut niveau de spé-
entre couples (voir chapitre 10). L’exemple typi- cialisation entre les partenaires engagés dans la
que de cette structure solitaire est une espèce coopération (Wcislo 1997, Wilson 1971, Crespi
dont les territoires sont défendus par des couples. et Yanega 1995). Premièrement, il existe une
Structure coloniale. La vie coloniale fait interve- division de la reproduction, définissant un groupe
nir un partage du même site de reproduction sans d’individus accédant à la reproduction (caste
coopération entre les individus (Danchin et reproductrice) et un groupe d’individus dont la
Wagner 1997, voir chapitre 12). Les grandes colo- reproduction est irréversiblement inhibée (caste
nies de reproduction d’oiseaux marins, qui sont non reproductrice). Deuxièmement, il y a une
relativement indépendantes de la disponibilité en division du travail au sein de la caste non repro-
sites de nidification et en ressources nutritives, ductrice. Certains individus participent aux soins
constituent des structures coloniales typiques. envers la descendance ou au nourrissage (ouvriers),
et d’autres assurent la défense du groupe (sol-
Structure communautaire. La vie en commu- dats). Des organisations eusociales sont connues
nauté implique une coopération symétrique entre chez de nombreuses espèces de l’ordre des hymé-
individus au sein de colonies, de sorte que les noptères (guêpes, abeilles, fourmis, voir Wilson
membres du groupe sont impliqués dans toutes les 1975, Hamilton 1964b) et des isoptères (termi-
activités de la colonie. Des sociétés communau- tes; Thorne 1997, Shellman Reeve 1997), mais
taires sont observées temporairement chez certaines aussi chez un coléoptère (le scarabée Austro-
espèces de guêpes ou de fourmis lors de la fondation platypus incompertus), chez des thysanoptères
d’une colonie. Par exemple, plusieurs reines non (Crespi 1992) ou chez des hémiptères (Benton et
apparentées peuvent participer conjointement Foster 1992). On connaît aussi des espèces euso-
aux activités de la colonie fondatrice chez certai- ciales chez certains crustacés (crevettes du genre
nes fourmis (Bernasconi et Strassmann 1999). Synalpheus: Duffy 1996) et deux espèces euso-
Structure de reproduction coopérative. La ciales de vertébrés, appartenant à la famille des
reproduction coopérative est caractérisée par un bathyergidae (mammifères rat-taupe: Jarvis et al.
partage des tâches entre des individus spécialisés 1994).
réciproques sont entreprises pendant plusieurs minu- 13.2.3 Origine et stabilité évolutives
tes. Des individus «tricheurs» car moins altruistes
participent moins efficacement au nettoyage de leur La variabilité génétique des comportements altruistes
partenaire; voire, des individus strictement «égoïs- soulève un double problème en écologie comporte-
tes» profitent du nettoyage du partenaire sans en mentale:
retourner le geste (Hart et Hart 1992, Roberts et
• Comment expliquer l’évolution d’un phénotype
Sherratt 1998). À l’extrême, les mâles territoriaux ne
altruiste dans une population ancestrale composée
prennent aucune part à l’épouillage collectif (Mooring
et Hart 1995). La question du déterminisme génétique exclusivement d’égoïstes?
d’une telle variabilité, fondamentale pour une ana- • Comment expliquer la persistance de l’altruisme
lyse adaptative de l’altruisme, est posée au para- face à la menace de phénotypes tricheurs produits
graphe 13.3. par mutation?
b) Amibes sociales
a) Des pucerons tricheurs
L’amibe Dictyostelium discoideum est un microorga- Chez certains insectes, le statut d’ouvrier est déter-
nisme de la famille des acrasiales qui possède un miné par le contrôle dominant de la reine (Keller et
comportement social. Le cycle de vie de l’espèce fait Nonacs 1993), par la nourriture des larves (Wilson
alterner des phases solitaires, lorsque les conditions 1971) ou par l’âge de l’individu (Stern et Foster
sont favorables pour la croissance individuelle de 1997). Cette réversibilité de l’altruisme de repro-
l’amibe, avec des phases sociales en conditions défa- duction illustre de manière générale la dépendance
vorables. Au cours de cette phase sociale, un agrégat de l’altruisme aux conditions physiologiques, sociales
de plusieurs milliers de cellules se forme à partir des ou écologiques. Il s’agit donc d’une plasticité phé-
cellules solitaires du voisinage et de leurs descen- notypique. Parmi les quelques études ayant mis en
dants, puis se différencie dans un corps de fructifica- évidence une telle dépendance, le cas des pucerons
tion (Figure 13.1). En moyenne, 20% des cellules est exemplaire. Ces animaux alternent entre une phase
originales contribuent à une lignée somatique du de reproduction parthénogénétique, où se mettent
corps de fructification, le pédicelle, alors que 80% en place des «colonies» composées de formes repro-
des cellules se différencient en spores. Cette description ductrices (larves jeunes) et de soldats non reproduc-
moyenne de la coopération cache un conflit intense teurs (larves âgées), et une phase de reproduction
entre les clones pour l’accès à la reproduction. En sexuée associée à la production de formes ailées fon-
réalisant des agrégats chimériques à partir de plusieurs datrices. Au sein d’une colonie, le partage équitable
clones échantillonnés dans des populations naturelles, de la reproduction entre jeunes larves est possible du
Strassmann et al. (2000) ont mis en évidence un poly- fait de l’homogénéité génétique du clone qui assure un
morphisme génétique du comportement altruiste. parallélisme des intérêts individuels (Hamilton 1972).
D’après ces expériences, la moitié des chimères Un immigrant du clone coopérateur développe au
construites révèlent un clone altruiste surreprésenté contraire un comportement égoïste dans sa nouvelle
dans la lignée somatique par rapport à la lignée ger- colonie, en participant de façon disproportionnée à
minale et un clone égoïste surreprésenté dans la la reproduction (Abbot et al. 2001). Cela démontre
lignée germinale par rapport à la lignée somatique la possibilité d’une plasticité adaptative du compor-
(Figure 13.1 d). De tels tricheurs ont aussi été obte- tement coopératif en fonction du contexte social.
nus en laboratoire à l’aide de mutations dirigées,
permettant d’identifier des gènes de motilité cellulaire b) Des rousserolles coopératives
contrôlant génétiquement le comportement social
(Ennis et al. 2000). Un autre exemple de l’influence de l’environnement
sur l’expression d’un comportement altruiste pro-
c) Insectes sociaux vient de l’étude des sociétés familiales d’une espèce
rare et endémique des Seychelles, la rousserolle des
Une composante génétique a été décrite pour cer- Seychelles Acrocephallus sechellensis (Komdeur 1992).
tains comportements sociaux chez des insectes (Keller Il s’agit dans ce cas de la réponse du mode de repro-
et Ross 1998, Moritz et al. 1996, Olroyd et al. 1994, duction – solitaire ou coopératif – à la saturation de
Ross et Keller 1998). Chez l’abeille à miel Apis mel- l’habitat. Chez ce passereau confiné sur quelques îles
lifera, les croisements contrôlés montrent que le de l’archipel des Seychelles, au nord de Madagascar,
comportement de nettoyage du nid et des couvains une certaine proportion des jeunes demeure sur le
(a) (b) 1
NS ***
10 0,8
Masse perdue (en%)
Survie annuelle
5 0,6
0 0,4
–5 0,2
–10 0
0 10 20 30 Intrapopulation Intracouple
Pourcentage des incubations Type de comparaison
(c) (d) 27 75 28 26
2,5 100 60
***
Effort d’incubation ( )
***
Succès reproducteur
2 12 90
Survie annuelle ( )
NS 21
40
1,5 9 80
1 8 70
20
8 16
0,5 60
0 50 0
1987 1988 Total 2-3 4-5 6-7 8-9
Année d’étude Taille du groupe (ind.)
Figure 13.4 Coûts et bénéfices de l’assistance chez les oiseaux à reproduction coopérative.
(a) Une augmentation de l’effort d’assistance chez le tousseur à ailes blanches Corcorax melanorhamphos se traduit
par une diminution de la masse corporelle des jeunes assistants, alors que le couple parental ne perd pas de masse
pendant l’incubation. D’après Heinsohn et Cockburn (1994). (b) Les assistants avec un important investissement
altruiste au sein d’un couple du troglodyte à dos rayé Campylorhynchus nuchalis ont une survie réduite. Barre
pleine: effort important; barre vide: effort faible. D’après Rabenold (1990). (c) Une réduction expérimentale de la
présence des assistants chez le geai des buissons Aphelocoma c. coerulescens révèle des bénéfices immédiats à l’assis-
tance pendant deux années sur trois. Le succès de l’élevage des jeunes jusqu’à 60 jours est plus faible dans les grou-
pes manipulés (barre pleine) que dans les groupes contrôles. D’après Mumme (1992). (d) Chez l’ ani à bec cannelé
Crotophaga sulcirostris, la femelle reproductrice participe moins intensément à l’incubation des œufs et à l’élevage
des jeunes dans les groupes de grande taille (effort d’incubation, cercles vides). Elle a alors une survie annuelle plus
forte (cercles pleins). D’après Vehrencamp et al. (1988).
Encart 13.2
Prestige social chez le cratérope écaillé: applications et limites
Zahavi propose la théorie du handicap pour ren- d’une coopération avec les subordonnés (Carlisle
dre compte de l’évolution de l’altruisme (Zahavi et Zahavi 1986, Zahavi et Zahavi 1997). De
1995). Selon cette théorie (voir chapitre 14), un plus, les interactions altruistes ne se feraient pas
comportement individuel reflète avec honnêteté de façon discriminante en fonction de l’apparen-
la qualité génétique d’un individu s’il est coûteux tement ou du comportement passé des partenaires
d’une manière différentielle (c’est-à-dire s’il est (Zahavi et Zahavi 1997). La théorie du prestige
beaucoup plus coûteux pour les individus de fai- social, dont il a été montré qu’elle pouvait être
ble qualité relativement aux individus de bonne évolutivement stable (réciprocité indirecte,
qualité). Ces deux hypothèses peuvent valoir Nowak et Sigmund 1998), semble seule capable
pour un comportement altruiste en général: de rendre compte de ce faisceau d’observations,
l’acte altruiste est coûteux par définition, et le mais elle pose cependant une série de problèmes:
coût d’un acte altruiste pourrait être plus faible – Les observations ont été obtenues au sein de struc-
pour un individu de bonne qualité génétique. tures sociales atypiques. Des travaux plus récents
On peut donc considérer l’altruisme comme un suggèrent que l’assistance fournie aux jeunes est
signal honnête de la qualité de l’individu, ce compatible avec un modèle d’optimisation du
qu’Amotz Zahavi a nommé le «prestige social» succès de la ponte plutôt qu’avec un modèle de
(Zahavi 1990). Ce prestige social indiquerait la compétition pour le prestige (Wright 1997).
qualité intrinsèque de l’individu aussi bien en
tant que futur partenaire pour la coopération – La majorité des interactions sociales ont tout
(réciprocité indirecte, voir paragraphe 13.6.2) de même lieu entre apparentés, au sein de fa-
qu’en tant que futur conjoint pour la reproduction milles étendues (Wright 1999). La possibilité
(Nowak et Sigmund 1998, Zahavi et Zahavi 1997). d’une sélection de parentèle pour l’émergence
Dans les groupes du cratérope écaillé Turdoides de la coopération n’est donc pas à exclure.
squamiceps, oiseau dont une population est étu- – Les interférences entre individus pour la coo-
diée depuis 1970 en Israël, les adultes entreraient pération ont été rarement observées chez
en compétition pour l’accomplissement des actes d’autres espèces (Reyer 1984, Boland et al.
altruistes, en interférant pour le nourrissage soit 1997, Wright 1999). Chez les tousseurs à ailes
de jeunes soit d’autres adultes. Les interactions blanches Corcorax melanorhamphos, les jeunes
altruistes procèdent selon une hiérarchie sociale assistants font état de leur caractère altruiste en
compétitive. Les dominants défendent un accès nourrissant préférentiellement les poussins en
privilégié à l’altruisme et refusent les bénéfices présence de congénères (Boland et al. 1997).
Probabilité de disparition
Probabilité de maintien
• La pression de sélection induite par le coût indi- 0,8
1
rect de concurrence est en réalité rendue très faible
0,6
par l’effet continuel de la stochasticité démogra- 0,9
phique ou environnementale (Mittledorf et Wil- 0,4
son 2001, Le Galliard et al. 2003).
0,8
• Un niveau élevé de mobilité individuelle ne fait 0,2
pas obstacle à l’évolution de l’altruisme, même s’il
0 0,7
peut la retarder considérablement (Le Galliard et
Émigration Stabilité
al. 2003).
• En accord avec l’intuition de Hamilton, l’invasion Figure 13.5 Différence de dispersion et de structure
de l’altruisme procède effectivement de l’expansion sociale entre un habitat semi-aride (barres vides)
et un habitat non aride (barres pleines)
d’une structure familiale, dont l’apparentement chez le rat-taupe commun.
«utile» est donné par la probabilité qu’un mutant L’intensité de l’émigration est mesurée par la
altruiste interagisse pendant la phase d’invasion probabilité de disparition d’un individu entre deux
avec un semblable (van Baalen et Rand 1998). sessions de capture. La stabilité des individus repro-
D’un point de vue qualitatif, le comportement de ducteurs (en général un couple) est mesurée par la
probabilité de maintien à l’état reproducteur dans
dispersion (voir le chapitre 8) semble soumis aux la même colonie. Dans les habitats semi-arides,
mêmes pressions de sélection que le caractère altruiste, l’émigration est plus faible et les couples reproduc-
mais la pression induite par le coût indirect de la teurs sont très stables. D’après Spinks et al. (2000).
concurrence peut s’exercer beaucoup plus fortement
sur ce trait. Cet effet quantitatif a trois conséquences mammifères fouisseurs qui vivent en couples ou en
remarquables lorsque l’on considère l’évolution con- colonies dans des cavités souterraines qu’ils utilisent
jointe de l’altruisme et de la dispersion (Le Galliard pour défendre et exploiter leurs ressources alimen-
et al. sous presse): taires (Bennett et Faulkes 2000). Ce groupe com-
• L’existence d’un coût physiologique direct à la dis- prend un total de dix-huit espèces dont quatre ont
persion est cruciale pour expliquer l’origine évolutive une reproduction solitaire et quatorze une reproduc-
de l’altruisme inconditionnel. Par ailleurs, l’évolu- tion coopérative. Dans chacun des deux genres,
tion d’un degré significatif d’altruisme requiert un Heterocephalus et Cryptomys, il existe une espèce qui
coût de la dispersion suffisamment élevé. peut être considérée comme eusociale, puisqu’il y a
• Entre les valeurs faibles et hautes du coût à la dis- une division comportementale du travail chez les non-
persion, on passe d’un état asocial et mobile à un reproducteurs: le rat-taupe glabre, Heterocephalus
état social et sédentaire, mais pour des valeurs glaber (Jarvis 1981), et le rat-taupe de Damaraland,
intermédiaires du coût de la dispersion, l’augmen- Cryptomys damarensis (Jarvis et al. 1994). L’apparition
tation de ce coût peut entraîner la sélection de de la reproduction coopérative chez les rats-taupes
niveaux d’altruisme et de dispersion conjointement est associée à la disponibilité faible et hétérogène des
plus élevés. ressources en milieu aride. De fait, dans ces milieux,
• Au cours d’une évolution d’un état ancestral soli- les coûts à la dispersion sont élevés, les opportunités
taire et mobile vers un état social et sédentaire, la de reproductions indépendantes limitées et les béné-
dynamique adaptative d’une population passe fices à la vie en groupe élevés (Jarvis et al. 1994).
typiquement par une première phase de sélection Classées par leur degré d’altruisme, les espèces se
de la philopatrie empêchant l’état asocial, suivie dans
distribuent régulièrement le long d’un gradient
un second temps par l’évolution de l’altruisme.
d’aridité, l’eusocialité s’observant dans les milieux
les plus arides où la dispersion est la plus faible
a) Des rats-taupes altruistes (Faulkes et Bennett 2001, Jarvis et al. 1994, Jarvis et
Le groupe des rats-taupes africains, ou bathyergidae, al. 1998). Deux études intraspécifiques confirment
définit un niveau taxonomique cohérent pour analyser cette analyse comparative. Chez le rat-taupe de
l’évolution de l’altruisme dans son contexte écologique Damaraland, le nourrissage est sévèrement limité
et mettre à l’épreuve les prédictions théoriques que par la disponibilité en tubercules et l’humidité du sol
nous venons de résumer. Les rats-taupes sont des (Jarvis et al. 1998). En milieu aride, la distribution
M R
0,5
0,
1
5
0,
Figure 13.6 Altruisme de reproduction
M O O M entre sœurs chez les hyménoptères:
rôle de l’asymétrie génétique.
0,
0,5
1
5
O M
M R M R M R
1
1
0,5
0,5
0,5
1
1
5
5
0,
0,
0,
M O O M O O M O O
0,
0,
0,
0,5
0,5
0,5
1
1
5
5
O M O M O M
(a) Règles d’apparentement dans une société primitive monogynandrique de femelles. (b) Règles d’apparentement
dans une société primitive polygyne formée par l’association de trois reines sœurs. La valeur associée à chaque
flèche correspond à l’espérance de la proportion des gènes du parent transmis à un descendant (identité génétique
par descendance). L’apparentement entre les reines sœurs en (b) est de 75%. Les lettres signifient: M, mâle;
R, reine; O, ouvrière.
(b) Chaque diagramme représente les règles d’appariement de chacune des reines sœurs. L’apparentement entre
deux ouvrières prises au hasard est donc fortement réduit.
13.5.4 La facilitation par effet de groupe Par ailleurs, les effets de groupe peuvent aussi aug-
menter les perspectives de bénéfices directs futurs,
La «facilitation par effet de groupe» est parfois pro- par exemple l’héritage d’un groupe de grande taille
posée comme alternative à la sélection de parentèle et avec une productivité élevée.
pour expliquer l’origine et le maintien de certaines
formes de coopération entre altruistes (Jarvis et al. a) Kidnapping chez les oiseaux
1994, Emlen 1997, Bernasconi et Strassmann 1999, La facilitation par effet de groupe pourrait fonction-
Clutton-Brock 2002). Clutton-Brock (2002) souli- ner par des mécanismes de compétition entre groupes
gne que l’effet de groupe (corrélation du bénéfice sociaux, comme ceux observés chez certains oiseaux
indirect de l’altruisme à la taille du groupe social) à reproduction coopérative (Cockburn 1998). Cette
pourrait opérer dans les sociétés de vertébrés et compétition est elle-même à l’origine du phéno-
d’invertébrés à reproduction coopérative, où une mène étrange du kidnapping décrit à ce jour, sous sa
plus grande taille de groupe serait associée à un plus forme intraspécifique, chez une seule espèce – un
grand succès individuel dans l’acquisition des res- oiseau à reproduction coopérative d’Australie, le
sources (Wilson 1971), l’évitement de la prédation tousseur à ailes blanches Corcorax melanorhamphos.
(Queller et Strassmann 1998), la dispersion (Ligon Ce phénomène implique une participation coopérative
et Ligon 1978), et l’élevage des jeunes (Brown 1987). de jeunes individus non apparentés, car détournés de
Des modèles récents ont suggéré que si les individus leur propre nichée, à l’élevage de la portée des kid-
partagent équitablement les bénéfices induits par nappeurs (Connor et Curry 1995). Plusieurs études
l’augmentation de la taille de groupe, les pressions ont démontré que la présence d’un minimum de
de sélection induites conjointement par la structure cinq assistants est nécessaire au succès de la ponte,
de parentèle et l’effet de groupe favorisent l’évolution de l’élevage et du premier hivernage de la portée chez
d’un niveau élevé d’investissement individuel dans la cette espèce (Heinsohn et Legge 1999). La viabilité
fonction altruiste (Kokko et al. 2001, Roberts 1998). des petits groupes sociaux s’en trouve fortement
On considère un jeu simple entre deux partenaires Deuxième situation: coopération non coûteuse
qui implique deux stratégies, qui sont la coopéra- et effets synergiques. On suppose ici que la coo-
tion C et l’égoïsme D. Les interactions possibles pération est exprimée par un gain a sans coût
entre deux partenaires C et D peuvent être for- pour l’individu (S = P = 0) et dont les effets sont
mulées sous la forme d’une matrice, qu’on appelle synergiques: si le partenaire est un égoïste T = a
aussi matrice des gains du jeu. Dans notre cas, la et si le partenaire est un coopérateur R = f (a) > a.
matrice de ces gains s’écrit: Dans cette situation, la coopération est une stra-
tégie évolutivement stable et l’égoïsme est évolu-
tivement instable: il y a émergence et fixation de
Gains de l’interaction Partenaire C Partenaire D
la coopération à partir d’une population initiale
Acteur C R S de coopérateurs.
Acteur D T P Troisième situation: altruisme à effet additif.
On suppose ici que la coopération résulte en un
gain a à effets additifs pour un coût individuel c,
où R est la récompense de la coopération avec un ce qui conduit à R = a – c, S = – c, T = a et P = 0.
coopérateur, S est la supercherie de la coopération Dans ces conditions, la stratégie C est envahissable
avec un égoïste, T est la tentation de la tricherie par un égoïste D, alors que la stratégie égoïste est
avec un coopérateur et P la punition de l’égoïsme évolutivement stable. On prédit donc l’évolution
face à un égoïste (Axelrod et Hamilton 1981). de l’égoïsme dans une population homogène des
On peut directement noter que la formulation deux stratégies. On remarquera que dans la situa-
biologique du jeu implique les relations de rang tion où R > P, ce jeu correspond précisément à
R > S, T > P, T > S, R > P et P = 0. On va tenter une situation de dilemme du prisonnier, ce qui
dans la suite de reconstruire la valeur des gains de signifie que la coopération peut évoluer si le jeu
la matrice sur la base d’hypothèses réalistes et en est itéré (voir paragraphe 13.6.1).
déduire le résultat évolutif du jeu.
Quatrième situation: altruisme à effet synergi-
Première situation: coopération non coûteuse que. On suppose dans cette dernière situation
et effets additifs. On suppose ici que la coopéra- que la coopération résulte en un gain a à effets
tion est exprimée par un gain a sans coût pour synergiques et avec un coût c, ce qui conduit à R
l’individu coopérateur et qu’elle a des effets addi- = f (a) – c, S = – c, T = a et P = 0. On peut distin-
tifs. Donc, on obtient R = T= a et S = P = 0: il guer deux cas selon la hiérarchie des gains de la
n’existe pas de stratégie évolutivement stable du matrice du jeu. Lorsque l’interaction synergique
jeu. L’équation aux réplicateurs (voir question 2) est trop faible (f (a) – c < a), on retrouve la situa-
prédit une ligne d’équilibres neutres. Cependant, tion précédente avec le cas du dilemme du pri-
comme une population pure de coopérateurs sonnier si 0 < f (a) – c < a. Lorsque f (a) – c > a,
assure des gains supérieurs à une population pure alors la coopération comme l’égoïsme sont des
d’égoïstes, la coopération est avantagée dans des stratégies évolutivement stables: il y a bistabilité.
populations où l’extinction et la dérive sont pos- La coopération se fixe quand la population des
sibles. coopérateurs est suffisamment abondante.
compromise. Le kidnapping offre une solution les évènements de kidnapping bénéficient majoritai-
adaptative: chez cette espèce dont la reconnaissance rement aux groupes de grande taille, qui sont com-
des apparentés repose sur un apprentissage précoce pétitivement supérieurs. En quatre années de suivi,
plutôt qu’un marquage génétique strict, les jeunes Heinsohn (1991a) a ainsi décrit quatorze cas de
détournés font l’objet des mêmes soins que les appa- transferts de jeunes oiseaux encore dépendants vers
rentés et peuvent ensuite devenir assistants dans leur des groupes non apparentés, dont quatre ont été
famille d’élevage (Heinsohn 1991a, 1991b). De plus, attribués directement à du kidnapping.
Fonctions et coûts. La reconnaissance des appa- rité est la composante principale de la discrimina-
rentés permet quatre formes de discriminations: tion entre individus pendant les interactions
– l’évitement de la transmission de maladies par les agonistes chez les écureuils terrestres de Belding
contacts avec les congénères (Pfennig et al. 1994); (Holmes 1986a). Le second mécanisme est un
– l’évitement de la compétition avec les apparen- processus minimaliste qui utilise simplement la
tés (Hamilton et May 1977, voir le chapitre 8); proximité spatiale comme un indice de l’appa-
rentement.
– la distribution préférentielle de la coopération
vers les individus les plus apparentés (Hamil- Évolution de la reconnaissance des apparentés
ton 1964a); et coopération. Les données obtenues chez les ver-
tébrés et les invertébrés suggèrent que la recon-
– et l’évitement de la consanguinité lors de la
naissance des apparentés est répandue chez des
reproduction (Bateson 1978, Bateson 1983).
espèces solitaires ou coloniales (Waldman 1988,
Les coûts associés à un mécanisme de reconnais- Hepper 1991). Par exemple, chez les amphi-
sance et des erreurs dans le choix du partenaire biens, cette reconnaissance affecte le comporte-
limitent l’optimisation de la reconnaissance. ment cannibale des têtards (Pfennig et al. 1993,
Mécanismes de reconnaissance des apparentés. 1994). La capacité à discriminer les apparentés
Trois modes majeurs de reconnaissance des appa- semble donc préexister à la socialité et ne fournit
rentés sont reconnus, dont un seul peut être défini donc pas a priori une limite à l’évolution de la
comme un mécanisme sensu stricto de reconnais- coopération. Cependant, la socialité a pu favoriser
sance des apparentés (Hepper 1991, Grafen la régression ou l’évolution de certaines formes de
1990b, Sherman et al. 1997). Cette reconnais- reconnaissance. En permettant le contact sur de
sance au sens strict des apparentés fait appel à des longues durées entre plusieurs générations, les
allèles de reconnaissance: elle passe par une structures familiales étendues favoriseraient la
reconnaissance directe de la proximité génétique reconnaissance par familiarité par rapport à un
(Grafen 1990b). Par exemple, chez l’ascidie colo- système de reconnaissance allélique (Emlen et
niale marine Botryllus schlosseri, la fusion entre Wrege 1994, Emlen 1997). Selon les différents
colonies est contrôlée par les allèles du complexe scénarios évolutifs imaginables, l’absence de recon-
majeur d’histocompatibilité (Grosberg et Quinn naissance directe pourrait être évoluée (perte
1986). La reconnaissance au sens large assure la récente) ou être dérivée (absence ancestrale).
même fonction par un mode de reconnaissance L’évolution conjointe des systèmes de reconnais-
indirect. Le premier mécanisme est une compa- sance et de la socialité ne peut donc être comprise
raison phénotypique: l’apparentement est qu’à l’aide d’études conduites tant dans les espè-
évalué par la différence entre la valeur d’un mar- ces coopératrices que non coopératrices. La diffi-
queur phénotypique du partenaire et de l’acteur culté majeure de cette approche comparative
(Lacy et Sherman 1983). Lorsque ce mécanisme tient au fait que la reconnaissance dépend du
utilise une référence phénotypique qui se met en contexte social dans lequel s’exprime le compor-
place au cours du développement de l’individu, tement (Sherman et al. 1997, Waldman 1988),
on dit que l’apparentement est estimé par un donc qu’il est difficile de faire des «moyennes»
apprentissage associatif. Par exemple, la familia- par espèce.
tation et de refus. L’évolution de l’altruisme discri- discrimination dans une population altruiste non
minant dans une population égoïste est favorisée par discriminante est favorisée par une faible proportion
une forte proportion d’interactions avec les apparentés d’interactions avec les apparentés et un faible niveau
et un faible niveau d’erreur d’acceptation. Ici, l’avan- d’erreur de refus. Dans cette situation, l’avantage de
tage de l’altruisme dépend essentiellement des béné- la discrimination tient en effet à la capacité à rejeter
fices à favoriser les interactions entre apparentés des interactions avec les non-apparentés. De plus,
(Hamilton 1964a). En revanche, l’évolution de la Perrin et Lehmann (2001) ont mis en évidence que
Probabilité d’assister
de parentèle constitue en fait un moyen de séparer
0,6
les voisinages de compétition et d’interaction sociale, 17
en restreignant les interactions sociales entre proches 14
parents (voir les paragraphes 13.4.3 et 13.5.2 du 0,4
présent chapitre). Ces travaux démontrent l’impor-
tance d’une aide différentielle entre apparentés, ou 0,2
népotisme, pour l’évolution de la coopération dans
8 10
certains contextes. Cela nous amène donc à discuter 0
la prévalence et les mécanismes de reconnaissance Moyenne Haute
d’apparentés mis en évidence au sein des sociétés Qualité du territoire
coopératives. Figure 13.7 La discrimination des partenaires sociaux
chez la rousserolle des Seychelles se traduit
➤ L’existence de népotisme… par une plus forte coopération envers les jeunes
les plus apparentés à l’assistant.
Les exemples de népotisme proviennent principale- La probabilité d’assistance des assistants matures de
ment des oiseaux (Clarke 1984, Curry 1988, Emlen deux et trois ans des deux sexes de 1986 à 1990 est
et Wrege 1988, Marzluff et Balda 1990, Mumme 1992) maximale entre plein-frères (barres gris foncé), plus
faible entre demi-frères (barres gris claire) et nulle
et des mammifères à reproduction coopérative
entre non-apparentés (barres vides), au sein de
(Sherman 1981, Holmes et Sherman 1982, Owens deux types de territoires. D’après Komdeur (1994).
et Owens 1984). Par exemple, sur la base de données
généalogiques récoltées au cours d’une étude à moyen plutôt été étudiée dans le contexte de l’acceptation
terme (1986-1990), Komdeur (1994) a comparé d’immigrants au sein de la colonie (O’Riain et al.
l’investissement dans la coopération des jeunes indi- 1996, O’Riain et Jarvis 1997) et du choix du parte-
vidus (deux à trois ans) selon qu’ils étaient confron- naire (Clarke et Faulkes 1999). Clarke et Faulkes (1999)
tés à des poussins pleins frères (r = 0,5), demi-frères ont mis en évidence une discrimination des mâles
(r = 0,25) ou non apparentés (r = 0). Comme attendu, par les femelles reproductrices reposant sur la fami-
l’investissement dans la coopération augmente avec liarité, les mâles non familiers étant préférés par les
le niveau d’apparentement au poussin (Figure 13.7). femelles sexuellement actives. Des discriminations
Le fait que les assistants distribuent préférentielle- semblables favoriseraient l’intégration des immigrés
ment leur aide à des individus apparentés qui les ont dans la colonie et limiteraient ainsi les conséquences
nourris, plutôt qu’à des individus apparentés qui ne néfastes de la dépression de consanguinité (O’Riain
les ont pas nourris, suggère que le mécanisme impliqué et Braude 2001).
repose sur un apprentissage associatif (Encart 13.4).
De manière générale, la familiarité est classique-
ment invoquée pour expliquer les interactions diffé-
➤ … basé sur la familiarité
rentielles chez les vertébrés sociaux, bien que peu de
Au cours de la seule étude expérimentale chez les validations rigoureuses aient été conduites (Grafen
oiseaux à reproduction coopérative, Hatchwell et al. 1990b, Komdeur et Hatchwell 1999). Chez les
(2001) ont aussi mis en évidence un mécanisme oiseaux, les empreintes utilisées seraient de nature
d’apprentissage de la relation d’apparentement basé acoustique (Price 1999, Hatchwell et al. 2001) ou
sur la familiarité: les assistants de la mésange à lon- visuelle (Lacy et Sherman 1983). Chez les mammi-
gue queue Aegithalos caudatus recrutent en effet au fères, plusieurs travaux suggèrent un rôle des odeurs,
sein d’une famille indifféremment du statut d’appa- et en particulier des marqueurs urinaires, dans la
rentement du couple parental pour peu qu’ils aient régulation des interactions entre apparentés (Hol-
été élevés par ce couple. Chez le rat-taupe glabre, le mes 1986b). Il n’existe donc aucun cas de reconnais-
népotisme semble peu prononcé malgré l’existence sance directe des apparentés chez les vertébrés
de plusieurs lignées paternelles au sein de la colonie (Encart 13.4), bien qu’on ne puisse l’exclure en
(Lacey et Sherman 1991, Reeve et Sherman 1991). théorie quand le contexte est favorable (faible taille
Chez cette espèce, la discrimination des apparentés a de groupe, forte diversité d’apparentés, forts bénéfices
une unité coloniale mobile apte à prospecter l’envi- servent à assurer la réplication. Une stricte différen-
ronnement pour profiter de ressources énergétiques ciation germe/soma confère une hérédité à cette
localisées (Michod 1999). Plus généralement, chez unité, et dans les cas les plus simples, chaque unité
les cellules d’organismes différenciés et chez les ani- est fondée par la copie d’un individu germinal. Une
maux eusociaux, la reproduction des individus au tendance égoïste peut alors provenir d’une mutation
sein de l’unité coloniale est partiellement sacrifiée au germinale, l’individu mutant fondant une unité dont
profit de l’accomplissement du fonctionnement tous les individus somatiques sont moins altruistes, ou
d’un organe ou d’une caste. d’une mutation somatique, l’individu moins altruiste
Le bénéfice est donc retourné par la classe germi- qui apparaît ainsi développant son clan au sein
nale sous forme de nouvelles unités coloniales fon- même du soma de l’unité concernée.
dées par des individus fortement apparentés aux La différenciation germe/soma et l’hérédité ger-
altruistes. Dans un tel système, un tricheur, au sens minale offrent donc les moyens d’une régulation de
de Hauert et al. (2002), est un individu somatique la coopération:
qui, bien que payant le coût de la mort somatique, • en limitant le risque de mutations germinales et en
ne paye que partiellement celui de la reproduction et exposant les unités coloniales qui en seraient issues
conserve donc une capacité de réplication propre à l’action de la sélection au niveau supérieur
supérieure. L’ordre des volvocales offre un exemple (Michod 1999);
d’organismes chez lesquels se rencontrent des formes • en éliminant le risque de propagation de muta-
mutualistes et non mutualistes. Les résultats expéri- tions somatiques: piégées dans leur propre unité,
mentaux de Bell (1985) suggèrent que le succès repro- elles disparaissent à la mort de celle-ci;
ducteur net des premières est effectivement supérieur • en réduisant, dans les systèmes à reproduction
à celui des secondes, confirmant l’hypothèse du sexuée, le coût de la reproduction consanguine
modèle de mutualité relative à la supériorité des altruis- (Emlen 1997).
tes sur les marginaux. Mais comment comprendre le
verrouillage adaptatif qui maintient le système dans b) Domestication des parasites
son état mutualiste en lui évitant le cycle évolutif Chez de nombreuses espèces dont les populations
prédit par ce modèle? sont structurées en unités sociales, le partage des
La sélection à niveaux multiples (Wilson 1997) tâches peut se révéler plus complexe qu’une simple
est probablement essentielle pour comprendre ce différenciation germe/soma. Par exemple, la tâche
verrouillage. Le système mutualiste forme une unité de reproduction n’est pas forcément réservée à un
supérieure dont les bénéfices de l’altruisme individuel individu ou à une caste germinale exclusive. Ou
Chez les hyménoptères eusociaux, la caste ouvrière que (méiose suivie d’une fusion des produits
est généralement incapable de reproduction auto- méiotiques qui restaure la diploïdie de l’œuf ).
nome. Les cas de reproduction par des ouvrières
Ces trois propriétés conduisent à la prolifération
anarchistes, observés chez les abeilles par exem-
des ouvrières de l’abeille du Cap au sein de leurs
ple, ont des conséquences limitées sur la colonie
colonies d’accueil. Deux facteurs de la mort de la
dans la mesure où les œufs produits sont de sexe
colonie ont été identifiés:
mâle; et, en présence d’une reine, les ouvrières
exercent un contrôle extrêmement efficace de la – un affaiblissement de la force d’approvisionne-
reproduction au sein de leur propre caste, en atta- ment alimentaire de la colonie, à laquelle les
quant et détruisant les œufs pondus par les indi- abeilles du Cap participent très peu, qui entraîne
vidus anarchistes (Ratnieks 1988, Barron et al. la mort de la reine;
2001). En 1990 les apiculteurs d’Afrique du Sud – avant cette issue fatale, se produit une forte
ont transféré une abeille à miel sauvage, l’abeille concurrence pour les ressources disponibles
du Cap, Apis mellifera capensis, vers le nord du entre la reine et les ouvrières parasites.
pays. Dès son transfert, l’abeille du Cap s’est mise
Ce phénomène est similaire au cancer qui, par la
à parasiter les colonies de l’abeille à miel domes-
prolifération de cellules somatiques ne contri-
tique, A. m. scutellata, provoquant une véritable
buant plus au fonctionnement d’un organe, met
hécatombe chez l’abeille domestique. Martin et
en péril l’intégrité collective. Une différence
al. 2002 ont montré que les ouvrières de l’abeille
importante, cependant, tient à l’origine du para-
du Cap sont capables:
site: interne dans le cas du cancer, externe, par
– de s’introduire dans les colonies de l’abeille voie d’infection horizontale entre colonies, dans
domestique sans provoquer de réaction parti- le cas des abeilles. Apis m. capensis et A. m. scutel-
culière de rejet par les gardiennes de la ruche lata, bien qu’appartenant à la même espèce,
(leur niveau de tolérance à l’entrée d’ouvrières présentent en effet des différences génétiques
extérieures à la ruche étant généralement substantielles et des distributions géographiques
élevé; Downs et Ratnieks 2000); naturelles complémentaires. On ne connaît pas à
– d’activer leurs ovaires sans encourir de comporte- ce jour d’espèce eusociale chez laquelle pourrait
ment répressif de la part de la colonie d’accueil; apparaître, par mutation interne à la colonie,
– de pondre, sans s’accoupler, des œufs femelles une ouvrière capable d’engendrer une lignée femelle
diploïdes, grâce à une parthénogenèse thélyto- proliférant.
éliminant la gamergate plutôt qu’en attendant sa sont plus apparentées aux descendants de la gamer-
mort et sa substitution par une autre fille ouvrière. gate en place qu’à ceux potentiellement produits par
En effet, une fille de haut rang est plus apparentée à la prétendante. De plus, les ouvrières de bas rang ont
ses propres descendants (0,5) qu’à ceux d’une sœur intérêt à éviter le remplacement pour s’affranchir du
(0,375). Lorsqu’une ouvrière de haut rang entreprend «coût de la succession» (induit par une suspension
de défier la gamergate, les deux fourmis s’engagent de reproduction sur six semaines environ, temps
dans une lutte au cours de laquelle la gamergate nécessaire à l’accouplement de la nouvelle gamergate
effleure la prétendante de son dard, la marquant et à l’activation complète de ses ovaires) et de la perte
ainsi chimiquement. Le résultat est une immobilisation d’une ouvrière, qui représente environ 1% de la puis-
de la prétendante par des ouvrières de bas rang, sance de travail de la colonie (Monnin et Peeters 1999).
immobilisation qui peut durer plusieurs jours et à la Le marquage chimique et l’immobilisation pratiqués
suite de laquelle la prétendante se trouve déchue de par Dinoponera quadriceps représentent un exemple
sa position élevée dans la hiérarchie (Monnin et al. de régulation punitive (Clutton-Brock et Parker 1995).
2002, Monnin et Peeters 1999). Une telle forme de D’autres cas de comportements de régulation de
coopération entre gamergate et ouvrières de bas rang conflits par immobilisation sont connus chez les
tire sa valeur sélective du fait que les deux parties fourmis sans reine (Monnin et Ratnieks 2001), mais
Encart 13.6
Biologie et altruisme: bref historique
Darwin et les insectes sociaux. La théorie darwi- la stérilité des castes ouvrières des insectes
nienne classique propose une vision compétitive sociaux, qui est un altruisme de reproduction, ne
du monde – la «lutte pour la vie». Les descrip- perturbe pas fondamentalement Darwin (Darwin
tions de comportements coopératifs par des con- 1859, p. 234-263). Darwin est plus fondamenta-
temporains de Charles Darwin auraient dû lever lement gêné par un problème d’hérédité: com-
un obstacle majeur à la théorie de la sélection ment une différenciation morphologique entre
naturelle. Une lecture précise des textes de castes stériles et castes fertiles peut-elle évoluer en
Darwin indique cependant que le «problème de l’absence de transmission des caractères acquis
la coopération» y est effectivement traité, mais chez la caste stérile? Il assimile parfois la stérilité
avec une forte ambiguïté (Cronin 1991). des ouvrières à une difficulté préliminaire:
À de nombreuses reprises, Darwin se montre «L’explication de la stérilité des ouvrières est une
incapable d’évaluer les coûts associés à un com- difficulté, mais pas plus que toute autre modi-
portement altruiste (Darwin 1859). Par exemple, fication frappante de structure […]. Si de tels
QUESTIONS
1. Construisez la valeur sélective inclusive complète du comportement décrit à l’aide de la figure 13.3, et
déduisez-en une règle économique simple pour l’évolution de l’altruisme envisagée dans la section 13.4.
2. Déduisez des paramètres de la matrice du jeu décrit dans l’encart 13.3 les règles pour la stabilité évolutive
des deux stratégies et la dynamique en temps discret de la population de coopérateurs dans un milieu homogène.
Le rangement des valeurs des gains permet de déterminer la stabilité évolutive d’une stratégie du jeu, qui
décrit la résistance d’une stratégie établie à l’invasion de la stratégie alternative: (1) lorsque R > T ou R = T
et P < S la coopération est évolutivement stable, et lorsque P > S ou P = S et R < T l’égoïsme est évolutive-
ment stable; (2) lorsque R = T et P = S la coopération et l’égoïsme sont évolutivement neutres et (3) lors-
que R < T la coopération est évolutivement instable et lorsque P < S l’égoïsme est évolutivement instable.
Par ailleurs, si on désigne par p(t) la fréquence relative des individus coopérateurs dans une population bien
mélangée des stratégies C et D, l’équation des réplicateurs décrit la dynamique de la population des coo-
pérateurs comme:
Rp ( t ) + S [ 1 – p ( t ) ]
p ( t + 1 ) = -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------p ( t )
p ( t ) { Rp ( t ) + S [ 1 – p ( t ) ] } + [ 1 – p ( t ) ] { Tp ( t ) + P [ 1 – p ( t ) ] }
3. Considérez une extension du jeu de l’encart 13.3 à une population structurée dans l’espace. Quelles sont
les prédictions évolutives dans ce contexte?
4. Discuter de la différence entre reconnaissance et discrimination des partenaires (Encart 13.4). Quelles sont les
conséquences pour l’interprétation des résultats expérimentaux?
5. L’article de Zahavi (1995) donne une description très atypique du problème de la coopération. À l’aide de
cet article, soulevez les contradictions de l’argumentation de Zahavi quand il présente la théorie de la sélection
de parentèle et sa propre théorie du handicap. Plus généralement, jugez de la pertinence scientifique de la
structure du texte de Zahavi et de la neutralité de l’auteur dans son texte.
Les réponses critiques de Pomiankowski et Iwasa (1998) et de Wright (1999) peuvent servir de correction
à ce problème.
Communication
et évolution des signaux
Signaux Indices
publics publics ou privés
l’autocommunication (Bradbury et Vehrencamp 1998). même, dans le cas d’un signal acoustique, l’individu
Le terme de transfert d’information que l’on trouve doit développer la taille de son appareil vocal. De
aussi dans la littérature est encore plus général que la plus, les caractéristiques de l’environnement peu-
communication au sens large car il désigne toute vent contraindre la transmission des signaux et en
situation où des informations passent entre individus, restreindre grandement les possibilités d’évolution.
sans aucun préjugé sur les bénéfices des partenaires D’autre part, produire des signaux puissants, par
de l’interaction. exemple pour rechercher des partenaires sexuels,
expose l’émetteur à une exploitation par des préda-
teurs. Il existe donc une profonde imbrication des
14.2.2 Sélection naturelle et sexuelle des signaux phénomènes de sélection naturelle et sexuelle des
signaux, à tel point qu’il est parfois impossible de
Pour se signaler efficacement, un être vivant a tout distinguer lequel des deux modes de sélection est le
intérêt à développer des signaux puissants très faciles plus actif. On parle de sélection naturelle des
à détecter, comme des colorations vives sur tout le signaux pour les signaux procurant un avantage en
corps ou au niveau des fleurs, des chants puissants termes de survie pour l’émetteur. On parle de sélec-
faciles à localiser, des odeurs tenaces. Bien évidem- tion sexuelle des signaux pour les signaux procurant
ment, des contraintes énergétiques et environne- des avantages en termes de succès reproducteur, en
mentales limitent le développement de ces signaux. incluant les parades nuptiales, le choix du partenaire
Par exemple, un oiseau doit acquérir suffisamment sexuel, l’accouplement et la fertilisation (Chapi-
de pigments pour colorer ses plumes, ce qui impli- tre 9). Cette distinction semble claire, mais nous
que de bonnes capacités d’approvisionnement. De verrons que la sélection sexuelle des signaux est souvent
Nombre de scrutation
7
de l’émetteur. Par exemple, le chant d’un passereau
6
par faucon
au printemps a pour effet d’attirer des partenaires de 5
reproduction potentielles, favorisant ainsi la repro- 4
duction de l’émetteur. Dans un tel cas, le chant pro- 3
cure un bénéfice clair pour le mâle chanteur en 2
terme d’aptitude. Il s’agit donc bien d’un signal qui 1
participe à une communication au sens strict. En 0
revanche, une souris qui s’alimente produit par Lumière UV Lumière visible
inadvertance des sons qu’une chouette peut alors (b) Type de lumière utilisé
utiliser pour la détecter puis l’attaquer: l’émission
Temps passé à scruter les zones
15
sonore non intentionnelle de la souris est un indice,
marquées par faucon
Taux d’approche
percevoir. Une fois qu’ils ont trouvé une densité suf-
fisante d’indices de la présence des proies, les préda- 20
teurs focalisent leur chasse sur cette zone qui devient
ainsi beaucoup plus profitable qu’une zone prise au 10
hasard. De même, les prédateurs utilisent certains
indices de l’apparence visuelle des proies cryptiques 0
en cage en forêt
sous la forme d’images de recherche qui leur permet-
Conditions d’expérience
tent d’être beaucoup plus efficaces dans leur activité
de prédation. Figure 14.3 Exploitation des signaux sexuels
Il existe aussi de nombreux exemples d’exploitation des grenouilles tungara (Physalaemus pustulosus)
par les chauves-souris prédatrices (Trachops cirrhosus).
de signaux par des prédateurs, le plus célèbre étant
La chauve-souris prédatrice repère les grenouilles
probablement celui des mâles de grenouille tungara par une composante du chant, appelée «chuck», qui
Physalaemus pustulosus que les chauves-souris préda- a aussi pour effet d’attirer les femelles. Les chauves-
trices Trachops cirrhosus repèrent grâce à leur chant, souris approchent plus de haut-parleurs qui diffu-
particulièrement un des sons qui le compose que les sent les chants complexes «whine-chuck» (histo-
gramme gris) et moins de ceux qui ne diffusent que
États-Uniens Michael Ryan et al. (1982) appellent le le «whine» (histogramme blanc), que ce soit en
«chuck» (prononcer «tchoque») (Figure 14.3). En captivité ou en forêt. D’après Ryan et al. (1982).
réaction à cette exploitation du signal par un préda-
teur, les mâles réduisent la fréquence d’émission du (a)
Pourcentage de temps passé
25
«chuck», surtout s’ils sont isolés. Mais pourquoi
près du haut-parleur
80
blème de l’attirance des femelles et des prédateurs les
70
mâles chantent avec peu de «chuck» lorsqu’ils sont
60
seuls mais leurs chants contiennent beaucoup plus
50
de «chuck» lorsqu’ils se regroupent afin de diluer
40
leur risque de prédation (voir chapitre 12).
30
L’exploitation des signaux par les prédateurs ou
20
les parasitoïdes intervient fréquemment pour les
10
signaux acoustiques, mais aussi pour les signaux 0
visuels ou olfactifs. Par exemple, les mouches parasi- Mâles chanteurs Mâles silencieux
toïdes Euphasiopteryx ochracea pondent leurs œufs Types de mâles
sur les criquets Gryllus integer qu’elles localisent par
Figure 14.4 Exploitation des signaux des hôtes
leur chant (Cade 1975; figure 14.4). D’autre part, par les parasitoïdes.
les mâles de criquets silencieux ont moins de risque La mouche parasitoïde Euphasiopteryx ochracea
d’être parasités mais pour contrer le fait qu’ils n’atti- repère le criquet Gryllus integer par son chant, puis
rent pas les femelles ils se placent à la périphérie des pond sa larve qui parasite le criquet. (a) Les mouches
territoires de mâles qui chantent afin d’intercepter passent plus de temps auprès de haut-parleurs diffu-
sant des cris de criquets que près de haut-parleurs
les femelles attirées par le mâle chanteur. De plus, silencieux. (b) Les mâles qui chantent sont beaucoup
l’organe acoustique utilisé par la mouche pour plus souvent parasités que des mâles mis dans
détecter le chant du criquet est remarquablement l’impossibilité de chanter. D’après Cade (1975).
350 14
60
Fréquence du comportement
50
(en% du temps)
40
Figure 14.7
Une audience 30
de femelles modifie
la communication 20
entre mâles.
10
0
Mâles observateurs Absence d’audience Femelles observatrices
présents présentes
Présence d’une audience lors de l’interaction entre deux mâles
La présence d’une audience de mâles ne modifie pas la communication entre mâles de poisson combattant (Betta
splendens, partie gauche de la figure, différence non significative). En revanche, en présence d’une audience de
femelles (partie droite de la figure), les mâles émettent plus de signaux ritualisés comme les battements de queue
(P = 0,003) et l’ouverture des opercules (P = 0,03) en direction de l’autre mâle et de la femelle (histogrammes gris),
et émettent moins de signaux directement agressifs comme le nombre de morsures (P = 0,016) et la durée des
approches de la paroi (P = 0,028) envers l’autre mâle de l’interaction (histogrammes blancs). Modifié d’après Doutrelant
et al. (2001).
l’information véhiculée par le signal, car seuls les (Wilkinson et Reillo 1994, Wilkinson et Dodson
individus en bonne condition physique peuvent en 1997; figure 14.8).
supporter ce coût. C’est ce que l’on appelle le prin- De la même manière, le brame du cerf ou le croas-
cipe du handicap. Ce principe, dont l’énoncé verbal sement du crapaud sont des signaux honnêtes de la
peut paraître simple, a en fait provoqué de nom- condition corporelle des mâles. Seuls les cerfs en excel-
breuses réactions. Ce n’est en fait qu’avec les forma- lente condition peuvent bramer pendant de longues
lisations mathématiques de Pomiankovski (1987a) périodes en cessant quasiment de s’alimenter (Clutton-
et Grafen (1990a et d) que le bien-fondé évolutif de Brock et Albon 1979). Seuls les plus gros crapauds
ce principe a été démontré. peuvent coasser dans les notes basses; les coasse-
ments graves sont donc des signaux honnêtes de la
b) Exemples de handicaps taille corporelle des crapauds et permettent à deux
De nombreuses informations ou signaux sont des rivaux d’évaluer facilement leurs chances de gagner
indicateurs honnêtes de la qualité des émetteurs. Par un combat (Figure 14.9).
exemple, il existe une relation étroite entre la taille
corporelle, la masse musculaire, et la force chez c) Mais il existe des signaux malhonnêtes
des espèces animales très différentes (Le Bœuf 1974, Cependant, les exemples ne manquent pas de signaux
Whitham 1979, Dodson 1997). La grande taille de malhonnêtes, en particulier entre espèces différentes.
certains attributs est coûteuse à produire, voir à trans- Un exemple célèbre est celui des lucioles «femmes
porter, difficile à imiter par des individus petits ou fatales» étudiées par Lloyd (1965, 1975). Les femelles
faibles, et informe donc honnêtement les rivaux sur des lucioles prédatrices du genre Photuris répondent
la taille et la capacité à combattre: il peut s’agir des aux signaux des lucioles mâles du genre Photinus et
bois de cerf (Clutton-Brock et al. 1979), de sortes de les attirent pour les manger. Ces signaux lumineux
cornes ou de l’écartement entre les yeux de certaines ont des codes bien spécifiques, et certaines femelles
espèces de mouches de Malaisie et de Nouvelle-Guinée Photuris peuvent imiter la réponse de trois espèces
(b)
Figure 14.10 Les signaux des plantes attractifs pour les animaux pollinisateurs ou disséminateurs.
Les fleurs et les fruits ont des couleurs attractives pour leurs pollinisateurs et disséminateurs diurnes.
(a) Un colibri de Guyane française (dryade à queue fourchue Thalurania furcata) visite une fleur orange de Pitcair-
nia geyskessi pour en récolter le nectar. Ce faisant, il pollinise les fleurs de cette espèce. Photographie Marc Théry.
(b) Une graine d ’Ormosia coccinea peut leurrer des oiseaux disséminateurs en mimant la présence d’une pulpe
externe (par la forme arrondie rouge contrastant sur le fond noir de la graine) mais en ne fournissant aucune
ressource alimentaire à l’individu qui l’ingère et la dissémine. Photographie Pierre Charles-Dominique.
lesquelles elles s’immobilisent à l’affût dans l’attente effectuer des mouvements difficiles et coûteux en
d’insectes pollinisateurs, attirés par la fleur, qu’elles énergie comme les sauts de certaines gazelles peut
capturent alors pour les manger. Leur coloration les aussi indiquer la bonne condition de la proie poten-
rend difficiles à détecter aussi bien par les oiseaux tielle et dissuader ainsi l’attaque par le prédateur
prédateurs de l’araignée-crabe que par les insectes (Caro 1994). De plus, de nombreuses espèces émet-
pollinisateurs dont elles se nourrissent. Ce fait est tent des signaux acoustiques qui recrutent d’autres
d’autant plus étonnant que les oiseaux prédateurs individus (ou espèces) autour d’un prédateur; elles
potentiels et les insectes proies potentiels ont des commencent généralement par l’observer puis par
systèmes de vision des couleurs très différents le houspiller, ce qui a pour effet de décourager
(Figure 14.11). Nous reviendrons sur cet exemple plus l’embuscade ou la poursuite de la proie et d’amener
loin dans la figure 14.16. le prédateur à s’éloigner (Curio 1978).
Ombre
Eau froide + pression modérée = lent sonore
• Le rôle du bruit souvent à la fin des sons arrivant par une voie plus
Le bruit altère aussi la propagation des sons en ajou- directe. Les fréquences plus élevées sont réfléchies
tant de nouvelles fréquences et/ou en renforçant cer- par la végétation et forment de nombreux échos
taines d’entre elles. La principale source de bruit moins intenses. Les fréquences situées entre 1 et
dans l’air est le vent et les turbulences sur la végéta- 3 kilohertz subissent le moins de réverbération en
tion, le sol, et le corps du récepteur, essentiellement forêt. Comme cette gamme de fréquences est égale-
dans les basses fréquences (< 2 kilohertz). Les bruits ment celle qui est la moins bruyante, il s’agit en fait
de hautes fréquences sont surtout liés aux insectes d’une gamme particulièrement efficace chez les
(> 4 kilohertz). Il existe une fenêtre relativement oiseaux forestiers.
calme entre 1 et 4 kilohertz dans plusieurs environ- Par exemple, on peut supposer que les oiseaux
nements terrestres, ce qui peut expliquer pourquoi vivant dans des milieux à végétation dense émettent
de nombreuses vocalisations d’oiseaux et de mam- des signaux acoustiques plus adaptés aux propriétés
mifères se retrouvent principalement dans ces fré- acoustiques de cet habitat que ceux vivant en milieu
quences. Bien qu’une fenêtre similaire existe dans les ouvert. Un test de cette hypothèse a été réalisé en
océans, les poissons produisent des sons surtout comparant la propagation des cris de détresse d’une
entre 200 et 900 hertz dans une zone de fréquences espèce forestière (le merle noir Turdus merula) à celle
riche en bruit. Une explication possible est que les des cris d’une espèce de milieu ouvert (l’étourneau
poissons ne peuvent produire des sons de fréquences sansonnet Sturnus vulgaris; Mathevon et al. 1997).
supérieures à 1 kilohertz avec leurs vessies natatoires. Il apparaît que l’atténuation des fréquences élevées
Une autre possibilité est que la plupart des commu- après une propagation à longue distance concentre
nications des poissons étant à courte distance, l’exis- les signaux dans une bande passante 1,5-4 kilohertz
tence de ce bruit ne les empêche en fait pas de quel que soit le spectre initial. Le cri de détresse de
communiquer. l’étourneau, présentant un spectre large (0,8-7 kilo-
hertz), est grandement modifié, alors que celui du
• La réverbération sur la végétation varie merle, plus étroit (2-5,5 kilohertz), n’est que peu
selon la fréquence altéré. D’un point de vue spectral, le cri du merle est
La réverbération des sons peut aussi représenter une bien adapté à une propagation dans une végétation
contrainte pour les animaux, surtout pour ceux qui dense tandis que celui de l’étourneau ne l’est pas.
communiquent en milieu forestier (Richards et Wiley Bien qu’ici la comparaison ne porte que sur deux
1980). Les sons de basses fréquences (< 1 kilohertz) espèces, la répétition de ce genre de conclusion a
se réfléchissent sur la voûte forestière et sur le sol en permis de montrer que cette interprétation est tout à
produisant des échos intenses qui se superposent fait correcte. Il est donc possible de mettre en évidence
Ensoleillé Nuageux
OMBRE
FORÊT
OUVERT/
NUAGEUX
OMBRE
BOIS
Irradiance
PETITES
OUVERTURES
GRANDES I
OUVERTURES
AUBE/
CRÉPUSCULE
AUBE/
II
CRÉPUSCULE
Longueur d’onde
Figure 14.14 Couleur des habitats lumineux en milieu forestier.
La lumière directe du Soleil est une lumière blanche en ce sens que son spectre est plat dans le visible (spectre des
grandes ouvertures par exemple). La couleur de la lumière blanche des zones ouvertes est modifiée par les effets de
filtration et de réflexion de la végétation. À gauche, en situation ensoleillée, l’ombre de forêt est verte (spectre avec
un pic dans la zone les longueurs d’onde vertes, c’est-à-dire au milieu du spectre); l’ombre de bois est bleue (spectre
avec un pic d’énergie dans les petites longueurs d’onde); les petites ouvertures sont jaune/orange (spectre avec plus
d’énergie dans les grandes longueurs d’onde); et l’aube et le crépuscule apparaissent pourpre (mélange de bleu et
de rouge, c’est-à-dire un pic dans le bleu et un dans le rouge). À droite, en situation nuageuse, la couleur de l’aube
ou du crépuscule est tout d’abord clairement rouge en présence de nuages (situation I) puis pourpre (situation II).
Par temps nuageux, la lumière des ombrages et des petites ouvertures converge vers la couleur blanche des zones
ouvertes. D’après Endler (1993).
Contraste de couleur
0,1
(Craig et al. 1996). Le jaune est une couleur très
attractive pour les insectes herbivores ou pollinisateurs, 0,08
et cette araignée attire et intercepte plus d’insectes 0,06
en construisant des toiles avec des pigments jaunes 0,04
(qui apparaissent dorés sous un fort éclairement).
0,02
La couleur de la toile est adaptée aux différences
d’intensité et de couleur de la lumière. Elle apparaît 0
Séneçon Séneçon
Menthe
avoir la même couleur dans les différents habitats centre périphérie
lumineux, les araignées modulant la production de
(b) Hyménoptères proies
certains pigments pour l’ajuster en fonction de la 0,14
couleur de la lumière. Contrairement aux poissons
0,12
guppys et aux oiseaux manakins, qui choisissent un
Contraste de couleur
habitat lumineux pour exposer des couleurs spécifi- 0,1
ques, cette araignée adapte son signal coloré à une 0,08
large gamme d’environnements lumineux. En ce sens, 0,06
elle est potentiellement moins sensible aux change-
ments de conditions de lumière, ce qui pourrait expli- 0,04
quer sa large répartition dans des milieux forestiers, 0,02
des lisières ou des milieux non forestiers. 0
L’exemple de cette araignée est intéressant car il Menthe Séneçon Séneçon
centre périphérie
montre l’importance de certains traits comportemen-
taux en termes de capacité d’adaptation à d’éventuelles Figure 14.16 Contraste de couleur de l’araignée-crabe
variations de leur milieu de vie. Nous voyons ici com- Thomisus onustus sur les fleurs.
Contraste de couleur entre l’araignée-crabe Thomi-
ment des êtres vivants spécialistes d’un environnement
sus onustus et les fleurs de menthe Mentha spicata
lumineux précis peuvent s’avérer plus susceptibles à et de séneçon Senecio jacobea mesuré dans les
des modifications de leur environnement lumineux, systèmes visuels (a) des oiseaux prédateurs et (b)
avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer en des abeilles proies. Les figures représentent la
distance euclidienne entre les spectres des arai-
termes de conservation. Les animaux spécialistes d’une
gnées et des fleurs sur lesquelles on les a trouvées,
lumière forestière peuvent disparaître si l’on perturbe distance mesurée dans les espaces visuels (a) des
leur éclairement naturel, par exemple en transformant oiseaux et (b) des abeilles. Les traits pointillés hori-
une forêt vierge en une forêt secondaire exploitée dans zontaux marquent les seuils minimaux nécessaires
pour que les individus puissent détecter une diffé-
laquelle certains types d’éclairage n’existent plus, ou
rence de couleur: au-dessous de cette distance, les
bien ne sont plus du tout répartis de la même manière. couleurs sont perçues comme identiques, au-
Des espèces plus plastiques et généralistes, comme dessus, les couleurs sont perçues comme différen-
l’araignée Nephila clavipens, s’adapteront beaucoup tes. Deux contrastes sont calculés: celui entre l’arai-
gnée et la zone centrale et celui entre l’araignée et
plus facilement à de telles modifications.
les pétales à la périphérie. L’araignée n’est miméti-
que que sur la zone centrale qu’elle utilise, mais
➤ Systèmes visuels et perception des contrastes apparaîtrait plus contrastée si elle se positionnait
On a longtemps décrit et évalué les signaux colorés sur les pétales à la périphérie de séneçon sans changer
de couleur. Modifié d’après Théry et Casas (2002).
des animaux à travers le filtre que constitue la vision
humaine. Dans certains cas, des planches d’ouvrages
dessinées pour reproduire la sensation humaine et non de méthodes de mesure de la sensibilité des photo-
la véritable coloration, ont servi à estimer l’intensité récepteurs ou de la lumière ambiante et réfléchie, et
de la coloration ou du dimorphisme sexuel. La plu- celle de modèles de vision et de discrimination ont
part du temps, une telle démarche est acceptable, mais permis de prendre en compte les systèmes visuels des
dès que l’on a affaire à des espèces ayant un spectre espèces étudiées (et de leurs prédateurs ou proies).
de vision différent du nôtre, cette démarche n’est plus On s’est ainsi rendu compte par exemple que la
vraiment tenable. Progressivement, la mise au point mésange bleue (Parus caeruleus), espèce réputée pour
Les femelles d’araignées-crabes Thomisus onustus et de clarté entre les spectres colorés de l’araignée
et Misumena vatia chassent à l’affût en se postant et de la fleur sur laquelle elle se trouvait. Un
sur des fleurs visitées par des insectes butineurs. Il espace de vision des couleurs différent a été
est frappant de constater que les individus de la reconstitué pour les prédateurs et les proies sépa-
même espèce peuvent se poster sur des fleurs de rément en se basant sur les spectres d’absorption
couleurs variées mais présentent généralement un des pigments des systèmes visuels de ces deux
fort mimétisme avec la couleur particulière de la groupes d’animaux. Il était ensuite possible de
fleur sur laquelle ils se trouvent (Figure 14.11). reporter les spectres mesurés pour l’araignée et la
Ce mimétisme avait été interprété en disant qu’il fleur correspondante dans ces deux systèmes
procurait un double avantage: celui de n’être vu visuels. Les contrastes de couleur étaient ensuite
ni des prédateurs, ni des proies potentielles. mesurés comme la distance euclidienne, dans cha-
Cependant, les prédateurs étant des oiseaux et les cun des espaces visuels, entre la couleur de la fleur
proies des insectes butineurs, rien ne prouvait et celle de l’araignée. La comparaison de ces dis-
que ce qui paraissait mimétique à notre œil l’était tances aux distances minimales, calculées par
aussi pour ces deux groupes d’espèces dont les ailleurs comme étant nécessaires pour que les
systèmes visuels sont très différents. oiseaux et les insectes soient capables de faire une
Pour tester cette possibilité, un chercheur français discrimination, a montré que le mimétisme de
et un suisse, Marc Théry et Jérôme Casas (2002) couleur fonctionne avec la même efficacité simul-
ont mesuré les spectres de réflexion lumineuse des tanément dans les systèmes visuels des prédateurs
fleurs et des araignées Thomisus onustus sur deux et des proies: les araignées sont effectivement
espèces de fleurs: le séneçon Senecio jacobea (aux mimétiques aussi bien pour les oiseaux qui cher-
pétales jaunes à notre œil) et la menthe Mentha chent à les manger, que pour les insectes qu’elles
spicata (aux pétales roses). En s’appuyant sur la cherchent à capturer (voir Figure 14.16, page
connaissance précise des systèmes visuels des suivante). À plus longue distance, les proies et les
oiseaux insectivores (quatre photopigments de prédateurs peuvent être attirés par des différences
l’ultraviolet au rouge) et des insectes hyménoptè- de clarté entre les araignées et les fleurs, mais ils ne
res (trois photopigments de l’ultraviolet au vert), peuvent distinguer les araignées des fleurs par
il a été possible d’analyser les contrastes de couleur contraste de couleur à courte distance.
son absence de dimorphisme sexuel, était en fait claire- Chez les oiseaux, c’est seulement à la fin des
ment dimorphique dès lors que l’on prenait en années 1970 que les différents types de photorécep-
compte les ultraviolets, longueur d’onde à laquelle la teurs, les cônes notamment, ont été séparés et analysés.
plupart des oiseaux sont sensibles: la couleur de la Actuellement, les études ont montré que la plupart
calotte bleue des mâles est plus riche en ultraviolets des trente espèces dont les systèmes visuels sont connus
que celle de la femelle (Andersson et al. 1998, Hunt possèdent des cônes sensibles aux ultraviolets qui
et al. 1998) et doit donc paraître dimorphique à tout s’ajoutent aux récepteurs sensibles au bleu, au vert et
individu voyant dans les ultraviolets. Des expériences au rouge semblables à ceux de l’homme. Ces oiseaux
ultérieures ont montré que très probablement les ont donc une sensibilité plus large et une perception
femelles basaient, en partie au moins, leur choix de des couleurs différente de celle de l’homme. La
partenaire et leur stratégie de reproduction sur l’inten- mesure et l’analyse des couleurs animales (ou des
sité de cette coloration ultraviolette (Hunt et al. 1999). signaux colorés produits par les plantes et qui atti-
Nous avons en particulier vu dans le paragraphe 11.5.1 rent ou repoussent les animaux) doivent donc, si
que chez certains oiseaux comme les mésanges bleues possible, prendre en compte les systèmes visuels mis
(Parus caeruleus), les femelles modifiaient la sex-ratio en jeu. Une étude récente illustre ce problème, le cas
de leur descendance en fonction de l’attractivité des femelles d’araignée-crabe que nous avons vu dans
visuelle de leur partenaire. la figure 14.11 et détaillé dans l’encart 14.1.
QUESTIONS DE RÉFLEXION
1. Analyser la relation existant entre les divers concepts présentés dans le présent chapitre (indiscrétion,
signaux, indices) et les notions d’information publique de dissimulabilité présentées au chapitre 12, para-
graphe 3.5.
2. Décrivez les différentes étapes de la ritualisation et expliquer comment ce genre de communication peut
être exempt ou non de tricherie.
3. D’après l’information contenue dans ce chapitre, que vous attendez-vous des caractéristiques d’un signal
sonore de houspilleur d’une espèce d’oiseau sylvestre dont la fonction est d’attirer le plus d’individus pos-
sible pour l’aider à attaquer et repousser un prédateur? En quoi ce signal serait-il différent dans un milieu
ouvert?
4. Spéculez sur les conditions environnementales qui favorisent et défavorisent la communication olfactive,
faites le même exercice pour la communication visuelle.
Interactions durables
15.1.1 Des interactions durables D’un point de vue évolutif, la relation interspécifique
peut être assimilée à une interaction où le génotype
Une caractéristique essentielle permettant de classer de l’un des protagonistes est susceptible d’influencer
les interactions interspécifiques est leur inscription le phénotype de l’autre. C’est la notion de phéno-
dans le temps. Certains types d’interactions sont par type étendu introduite par Richard Dawkins dans
nature éphémères, voire instantanées. Ainsi, la pré- son ouvrage éponyme (Dawkins 1982). Au sein d’une
dation constitue une interaction brève limitée au interaction hôte-parasite, le génotype du parasite est
temps nécessaire au prédateur pour détecter, pour- ainsi capable de prolonger son expression dans le
suivre, capturer et ingérer sa proie. Mais d’autres phénotype de l’hôte, à travers diverses altérations
interactions se prolongent dans le temps en asso- physiologiques. La modification du phénotype de
ciant les mêmes acteurs de manière pérenne ou en les l’hôte se fait généralement à l’avantage du parasite et
confrontant régulièrement. Les systèmes hôte-parasite au détriment de l’hôte. On parle alors de manipulation
Positif Mutualisme
de l’hôte par le parasite. Les influences partagées des (et réciproquement) si l’équilibre des coûts et des béné-
deux génotypes ne sont toutefois pas obligatoire- fices d’un ou des deux partenaires vient à se déplacer
ment antagonistes, et l’interaction entre génotypes à l’échelle des temps écologiques ou évolutifs.
peut en certains cas se rapprocher d’une coopération. Selon les organismes concernés, les interactions
Quel que soit le caractère antagoniste ou synergique durables suivent différentes modalités. Leurs aspects
de l’interaction entre les deux espèces, sa prolongation physiologiques et génétiques ont fait l’objet de plu-
à travers les générations implique qu’au cours du sieurs synthèses (Boucher et al. 1982, Cushman et
temps, les deux génomes évoluent de concert. Cette Beattie 1991, Bronstein 1994, Combes 1995, Begon
co-évolution peut prendre au sein d’une interaction et al. 1996). Au sein de ce chapitre, nous nous inté-
antagoniste la forme d’une course aux armements resserons exclusivement au rôle du comportement
discontinue, marquée par des époques de relative des protagonistes au sein de ces interactions, en
stabilité entrecoupées d’événements où chaque prota- nous efforçant d’illustrer la très large gamme d’orga-
goniste surenchérit à son tour dans la manipulation nismes concernés et la grande subtilité des compor-
ou la résistance à celle-ci. tements impliqués.
total de tiques
tats peuvent être généralisés aux interactions liant les
3
pique-bœufs aux espèces d’ongulés sauvages, car le
bétail domestique n’a pas co-évolué avec les pique- 2
bœufs. Ils indiquent cependant que les coûts et les
bénéfices de l’interaction sont susceptibles de chan- 1
ger selon l’espèce hôte. On ne peut donc savoir si d’une 0
manière générale les pique-bœufs se comportent plus Présents Absents
souvent comme des vampires ou comme d’honnêtes (b) Pique-bœufs
nettoyeurs. Il semble qu’ils exploitent exclusivement
5
les blessures sur les hippopotames (Olivier et Laurie
1974), mais leur relation avec les impalas ou les rhi-
par bœuf
férence des pique-bœufs pour des espèces hôtes de
grande taille et à l’agilité réduite, donc moins capa-
2
bles de déloger les oiseaux indésirables (Koenig 1997),
suggère cependant que l’interaction entre les pique-
1
bœufs et leurs hôtes ne constitue pas un mutualisme
parfaitement équilibré.
0
Présents Absents
b) Poissons nettoyeurs, poissons clients Pique-bœufs
Les symbioses de nettoyage les mieux étudiées restent Figure 15.1 Effets de la présence des pique-bœufs
sur la charge parasitaire et le nombre de plaies
celles observées au sein du monde marin (Feder des bœufs domestiques.
1966, Arnal 2000, Côté 2000). Elles impliquent un Les histogrammes représentent les valeurs moyen-
individu d’une espèce, qualifiée de nettoyeuse, qui nes et les écarts-types des différences entre la fin et
prélève sur le corps, la cavité buccale ou les bran- le début de l’expérience concernant: (a) le nombre de
chies d’un individu d’une autre espèce, dite espèce tiques (P > 0,60), et (b) le nombre de plaies par bovin.
La différence n’est significative que pour le nombre
cliente, divers ectoparasites, bactéries ou lambeaux de plaies (P = 0,003). Modifié d’après Weeks (2000).
de tissus morts ou putrescents. Comme dans le cas
de l’interaction entre pique-bœufs et ongulés, les
nettoyeurs appartiennent typiquement à des espèces de nettoyage (Côté 2000). Deux familles de pois-
de petite taille, telles que des crevettes ou de petits sons sont particulièrement concernées, les gobiidés
poissons, et leur clientèle est constituée de poissons et les labridés. Ce sont parmi les espèces appartenant
de plus grande taille, y compris certaines espèces de à ces deux familles et leurs clients que certaines
raies ou de requins (Côté 2000, Sazima et Moura caractéristiques morphologiques et comportementales
2000). tout à fait originales sont observées. Tout d’abord, il
La répartition du comportement de nettoyage à existe une similarité dans les colorations des diffé-
travers les différents taxa indique que ce comporte- rentes espèces de nettoyeurs réparties dans différentes
ment a évolué à plusieurs reprises indépendamment régions du Globe (Côté 2000). Bien que la forme
chez les crustacés et chez les poissons (Côté 2000). des nettoyeurs varie largement d’une espèce à
Si le comportement de nettoyage a été décrit chez l’autre, il existe des convergences dans les colora-
plus d’une centaine d’espèces de poissons, il reste tions, notamment l’existence de rayures latérales le
une activité sporadique pour la plupart d’entre elles, long de l’axe du corps. Chez les gobies nettoyeurs du
et seulement 18% d’entre elles peuvent être quali- genre Elacatinus, une analyse sommaire (Côté 2000)
fiées de nettoyeurs obligatoires en ce sens que leur indique que la taille relative des rayures latérales par
alimentation dépend majoritairement de l’activité rapport à celle du corps est supérieure chez les espèces
Nombre de visites/10 mn
0,6
À première vue, les bénéfices pour les clients sem-
blent évidents. Les nettoyeurs, en prélevant les ecto- 0,5
parasites, doivent réduire les différents coûts liés aux 0,4
effets pathogènes induits par ces derniers. Cepen- 0,3
dant, les expériences consistant à retirer localement 0,2
les poissons nettoyeurs pour mettre en évidence (par 0,1
comparaison avec des zones témoins) un effet de 0
leur présence sur la charge parasitaire des espèces Territoire avec Territoire sans
clients n’ont pas toujours abouti aux mêmes résul- une station station de
de nettoyage nettoyage
tats (Grutter 1996, Côté 2000). Cela est en partie
expliqué par des problèmes méthodologiques. Il sem- Figure 15.3 Territorialité et fréquence des visites
ble en effet que certains nettoyeurs concentrent leur à une station de nettoyage.
prédation sur les parasites de plus grande taille, ce Fréquence de visites des stations de nettoyages par
les clients en fonction du fait que leur territoire
qui a pour effet de causer une augmentation conco- contient ou ne contient pas une station de net-
mitante du nombre de parasites de petite taille. La toyage. La différence est significative; test unilaté-
densité totale d’ectoparasites n’est donc pas directe- ral: P < 0,10, (n1 = n2 = 6).
ment influencée, mais la biomasse totale est réduite, D’après Arnal et Côté (1998).
(a) (b)
Figure 15.5 Exemple d’impact d’un parasite sur le comportement de son hôte.
(a) Toile ordinairement construite par l’araignée Plesiometa argyra. (b) Résultat de la manipulation par la guêpe
parasitoïde Hymenoepimecis sp. lors de la nuit précédant la dernière mue du parasitoïde. Cette «toile» modifiée
étant plus solide, elle procurerait une protection contre les fortes pluies fatales à l’insecte parasitoïde. D’après
Eberhard (2000).
signaux issus des congénères, en particulier dans le constitue un hôte intermédiaire particulièrement
contexte sexuel. La simple altération du comporte- important pour T. gondii avec une prévalence moyenne
ment antiprédateur ou du comportement social de d’environ 35%. Habituellement, les rats évitent les
l’hôte ne constitue alors pas une adaptation au béné- zones où ils perçoivent les indices de la présence de
fice du parasite, mais une simple expression de son chats. La manipulation exercée par T. gondii a pour
effet pathologique direct. effet de transformer l’aversion innée des rats envers
Certaines altérations, en revanche, sont difficile- l’odeur des chats en une attraction probablement
ment assimilables à de simples sous-produits de fatale (Figure 15.7). Une telle expérience montre
l’infection. Par exemple, chez différentes espèces que l’altération du comportement induite par le
animales, les individus sains tendent ordinairement parasite est à la fois subtile et spécifique. Seule la
à éviter la rencontre avec leurs prédateurs. Les signaux réaction à l’odeur des chats semble être modifiée,
chimiques trahissant la présence des prédateurs ont alors que les autres comportements et l’état de santé
un fort effet répulsif et suffisent à provoquer une général des rats infectés restent inchangés. Un exem-
réaction de fuite ou de mise à l’abri. Chez les hôtes ple similaire a été rapporté chez l’isopode Caecidotea
intermédiaires parasités, cette aversion aux odeurs de intermedius parasité par l’acanthocéphale Acantho-
prédateurs est souvent altérée. Une absence de réponse céphalus dirus (Hechtel et al. 1993): les isopodes
pourrait éventuellement être analysée comme un dys- infectés tendaient à être attirés vers les poissons
fonctionnement pathologique du système nerveux hôtes définitifs du parasite alors que les isopodes sains
des hôtes. Mais dans certains cas, l’altération ne se tendaient à s’en éloigner.
réduit pas à une absence de réponse mais implique
une véritable inversion de la réponse. De répulsive, • … des proies qui oublient de se cacher
l’odeur du prédateur devient attirante. Dans l’exemple qui précède, le fait que deux phéno-
mènes de manipulation similaires aient évolué indé-
• Des proies attirées par leur prédateur… pendamment l’un de l’autre dans des interactions
Un tel phénomène a été constaté chez des rongeurs hôte-parasite impliquant des organismes très éloi-
porteurs de la toxoplasmose. Toxoplasma gondii est gnés du point de vue phylogénétique mais parta-
un protozoaire intracellulaire à cycle complexe, capa- geant le même impératif de transmission trophique,
ble d’infecter tous les mammifères (Webster 2001). contribue à établir leur caractère adaptatif, confor-
Cependant, les chats sont les seuls hôtes définitifs mément au troisième critère érigé par Poulin (1995).
appropriés connus pour ce parasite: les œufs de La similitude des altérations produites chez un
T. gondii se retrouvent uniquement dans les fèces même type d’hôte par des parasites différents mais
des chats et jamais dans ceux d’autres mammifères exploitant le même type d’hôte définitif est tout aussi
infectés par le parasite. Lorsque les œufs sont ingérés démonstrative. Ainsi, le trématode Microphallus
par un mammifère, comme un rongeur, le parasite papillorobustus possède la faculté de modifier le géo-
s’enkyste dans les tissus, principalement dans le cer- tropisme de son hôte intermédiaire, l’amphipode
veau. Un chat peut donc se contaminer de façon Gammarus insensibilis. Alors que les gammares sains
directe en ingérant les œufs du parasite ou de façon tendent à nager au fond de la colonne d’eau, les
indirecte en ingérant les kystes d’une proie préalable- gammares infectés montent régulièrement à la sur-
ment contaminée. Le rat surmulot, Rattus norvegicus, face où ils deviennent plus vulnérables à la prédation
0
Personnelle Neutre Lapin Chat
Traitement
Comportement de rats sains (histogrammes blancs) et infectés par T. gondii (histogrammes noirs) envers l’odeur de
chat. Quatre odeurs différentes ont été présentées simultanément, chacune à un des quatre coins d’un enclos
de 2 mètres ¥ 2 mètres:
personnelle: paille marquée par la propre odeur du rat; neutre: paille fraîche mouillée avec de l’eau; lapin: paille
marquée avec de l’urine de lapin; chat: paille marquée avec de l’urine de chat.
Les histogrammes représentent le nombre de visites effectuées par des rats sains ou infectés dans les quatre coins
marqués par une des quatre odeurs. Les rats infectés ne diffèrent des rats sains que par leur attirance pour l’odeur
de chat. D’après Berdoy et al. (2000).
par des oiseaux aquatiques (Helluy 1983, 1984). Le • … Cela facilite-t-il la transmission du parasite?
même type de modification du comportement est
Le dernier critère permettant d’établir le caractère
observé chez l’amphipode G. pulex parasité par l’acan-
adaptatif de la manipulation consiste à vérifier que
thocéphale Polymorphus minutus dont l’hôte définitif
les hôtes infectés sont bien plus susceptibles que les
est aussi un oiseau d’eau (Cézilly et al. 2000). Le
hôtes sains à la prédation par l’hôte définitif. Dans
caractère adaptatif de la manipulation peut être encore
une synthèse récente, Moore (2002) a recensé vingt-
mieux jugé en comparant les altérations induites par cinq études ayant conclu à une prédation accrue des
un parasite donné au sein d’un groupe d’espèces- hôtes infectés par l’hôte définitif du parasite. Globa-
hôtes apparentées avec la phylogénie de ce groupe. lement, le quatrième critère de Poulin (1995) sem-
Une telle approche permet en effet de visualiser si une ble être vérifié. Cependant, un examen plus attentif
telle manipulation du comportement n’est apparue des études publiées incite à une certaine prudence.
qu’une seule fois ou bien plusieurs fois de manière Premièrement, certains travaux (Urdal et al. 1995,
indépendante dans des taxa différents (Figure 15.8). Webster et al. 2000) n’ont pas réussi à démontrer
En l’absence d’inertie phylogénétique, il est alors une prédation différentielle sur les hôtes inter-
possible de conclure au caractère adaptatif de la médiaires infectés et dont le comportement était
manipulation. Cette perspective historique est sou- pourtant profondément modifié par l’infection.
vent absente des études sur la manipulation du fait Deuxièmement, la plupart des études ont générale-
de la difficulté à contrôler expérimentalement des ment présenté aux prédateurs des individus sains et
cycles complexes d’infestation, et aussi en partie du des individus infectés en proportions équivalentes,
fait de l’absence d’information phylogénétique fia- alors que dans la nature la prévalence des parasites
ble. Cette lacune a été en partie comblée par l’étude manipulateurs est souvent faible, de l’ordre de 5 à
réalisée par Moore et Gotelli (1996) sur la suscepti- 15%. Curieusement, l’importance de la densité
bilité de vingt-neuf espèces de blattes à la manipula- relative des hôtes infectés dans le phénomène de vul-
tion par l’acanthocéphale Moniliformis moniformis. nérabilité accrue à l’hôte définitif n’a pas été consi-
La susceptibilité des espèces à la manipulation était dérée pour l’heure. Enfin, les tests pratiqués ont tous
variable selon les sous-familles considérées, mais ne consisté à tester la vulnérabilité des hôtes intermé-
concordait pas avec la phylogénie (Figure 15.8), diaires et sains vis-à-vis des hôtes définitifs appro-
confirmant le caractère adaptatif de la manipulation priés du parasite. Cependant, les modifications
pour le parasite (Moore et Gotelli 1996). phénotypiques induites par l’infection pourraient
Blattinae
Periplaneta fuliginosa
Periplaneta brunnea
Periplaneta americana
Periplaneta australasiae
Eurycotis floridana Polyzosteriinae
Blattella germanica
Blattellinae
Symploce pallens
Nahublattella fraterna
Parcoblatta pensylvanica
Suppela longipalpa Plectopterinae
Pycnoscelus surinamensis Pycnoscelinae
Phoetellis pallida Epilamprinae
Panchlora nivea Panchlorinae
Schultesia lampyridiformis Zetoborinae
Diploptera punctata Diplopterinae
Nauphoetacinerea
Oxyhaloinae
Henschou lendenia flexivitta
Phyparobia maderae
Gromphadorhina portentosa
Jagrehniamadecassa
Blaberus altropos
Blaberus craniifer
Blaberinae
Blaberus discoidalis
Archimandrita tessellata
Blaptica dubia
Eublaberus posticus
Figure 15.8 Retracer la susceptibilité des hôtes à leur pathogènes sur une phylogénie.
Phylogénie retraçant la susceptibilité et la résistance des différentes espèces de blattes à la manipulation par le para-
site acanthocéphale Moniliformis moniliformis. Les branches en noir correspondent aux branches de la phylogénie
pour lesquelles la reconstruction la plus parcimonieuse implique que les espèces étaient susceptibles à la manipulation
par les pathogènes. Les branches en blanc correspondent aux parties reconstruites comme étant résistantes à la
manipulation par les parasites. L’état ancestral dans ce groupe est donc l’état non résistant. Il apparaît que l’acquisition
de la résistance à la manipulation s’est produite probablement trois fois dans des branches différentes de la phylo-
génie. De plus, parmi les taxons résistants, celle-ci a été perdue au moins deux fois. D’après Moore et Gotelli (1996).
tout aussi bien rendre les hôtes infectés plus vulnéra- être accepté de manière systématique tant il est peu
bles à d’autres prédateurs au sein desquels le parasite évident en biologie de distinguer entre ce qui est
serait incapable de terminer son cycle. Le bénéfice complexe et ce qui est simple. Décider si une inver-
de la manipulation pour le parasite serait alors consi- sion de la réaction à la lumière ou une modification
dérablement réduit. de la pigmentation présente un caractère complexe
nécessite idéalement d’en élucider les mécanismes
➤ Que peut-on en conclure? physiologiques sous-jacents (Thompson et Kavaliers
1994, Kavaliers et al. 1999). L’identification des voies
Par divers aspects, le phénomène de manipulation d’action des parasites manipulateurs a juste débuté
parasitaire semble donc dépasser les simples consé- (Helluy et Holmes 1990, Maynard et al. 1996, Adamo
quences pathologiques ordinairement liées à l’infes- 2002). Joint à une information phylogénétique fiable
tation. Son caractère adaptatif ne doit cependant pas sur les parasites et leurs hôtes, ce champ d’investigation
d
b
testé les prédictions de ce modèle n’ont pas fourni 1998), ainsi que le niveau d’apparentement entre
des résultats en accord avec cette hypothèse (Roth- espèces (Andersson 2001). Comme pour le modèle
stein 1993). Il existe, cependant, tout un débat sur la de Hamilton et Orians (1965), les prédictions issues
pertinence d’expériences effectuées à un instant pré- de ces études récentes sont difficiles à tester car elles
cis (en l’occurrence aujourd’hui) dans le but d’infé- visent à reconstruire des scénarios évolutifs. L’accu-
rer les processus macro-évolutifs, c’est-à-dire s’étant mulation des données sur l’écologie et les stratégies
déroulés lors de l’évolution du trait étudié (Yezerinac biodémographiques des parasites et des espèces phy-
et Dufour 1994, Rothstein 1994). logénétiquement proches, jointe à la disponibilité
croissante des relations phylogénétiques établissant
➤ Une évolution résultant d’un processus les liens de parenté entre espèces pour différents
sélectif groupes d’oiseaux, devraient nous permettre d’abor-
Plus récemment, d’autres modèles ont formalisé les der ces questions par une approche comparative per-
pressions de sélection susceptibles d’intervenir dans mettant ainsi d’analyser les processus s’étant déroulés
l’évolution du parasitisme de ponte. Un certain nom- sur une échelle de temps macro-évolutive.
bre de stratégies biodémographiques ont ainsi été
identifiées comme des facteurs clés potentiellement c) Co-évolution hôtes-parasites
impliqués dans l’évolution du parasitisme de ponte, Quel que soit le processus sélectif qui a abouti à
notamment la taille de ponte (Lyon 1998, Robert et l’émergence du parasitisme de ponte, force est de
Sorci 2001), la période d’incubation et le différentiel constater que l’apparition de ce mode de reproduc-
entre taille du parasite et taille de l’hôte (Slagsvold tion a été associée à un nombre impressionnant de
P 0 0 0 0
P
Accepteur Accepteur
1
1
–P
–P
–P
–P
S S S S
0 0
P
0 0
P
1
S 0
–P
–P
P
Rejeteur Rejeteur
B B
1
–P
1
P
–P
S S
1
1
S S
–P
–P
Figure 15.11 Pourquoi discriminer des œufs subtilement différents
et ne pas discriminer des poussins si évidemment différents?
Schéma illustrant le succès reproducteur d’un hôte parasité ou non en fonction de la stratégie d’éjection soit au
stade œuf, soit au stade poussin.
(a) Aptitude en cas d’éjection de l’œuf du parasite. (b) Aptitude en cas d’éjections du poussin parasite. P est la
probabilité qu’un nid soit parasité. X représente le succès de reproduction moyen. b représente le bénéfice du rejet
des œufs du parasite, c’est-à-dire le succès reproductif moyen des individus éjecteurs; à cause des coûts liés à l’éjec-
tion et à cause de l’œuf enlevé par le coucou lors de la ponte, b est inférieur à X – 1.
Ce modèle a deux importants présupposés: (1) les premiers reproducteurs apprennent à reconnaître les œufs et les
jeunes de leur espèce par un processus d’imprégnation pendant leur première reproduction; (2) le poussin parasite,
dès l’éclosion, élimine tous les jeunes de l’espèce hôte. De ce fait, lorsque les premiers reproducteurs sont parasités
ils s’imprègnent à la fois de leurs œufs et de celui du parasite mais seulement du poussin du parasite (leurs propres
poussins ayant été éliminés très vite par le parasite). Un comportement de discrimination des poussins réduirait donc
à zéro l’aptitude des individus parasités dès la première ponte sur l’ensemble de leur vie (ils rejetteraient toujours
leurs propres poussins s’ils ne sont pas parasités ultérieurement et accepteraient ceux du parasite sinon). En revan-
che, la discrimination des œufs, elle, ne réduit pas l’aptitude de l’hôte lorsque, par la suite, il n’est pas parasité.
Il faut cependant noter que les présupposés de ce modèle peuvent être discutés car ils sont eux-mêmes soumis à une
pression de sélection. On peut se demander par exemple pourquoi une espèce n’aurait pas un mécanisme de reconnais-
sance de ses propres poussins fixé génétiquement. D’autre part, de nombreux parasites de ponte n’ont pas ce compor-
tement d’élimination de tous les œufs de l’hôte. Ce modèle ne s’applique donc qu’à des situations précises, mais
dans de telles circonstances, il fournit une explication convaincante à l’absence de discrimination au stade poussin.
D’après Lotem (1993).
Imaginons maintenant que le même phénomène à zéro, car, lorsqu’il sera parasité, il reconnaîtra le
d’apprentissage soit nécessaire pour mettre en place poussin parasite comme étant le sien et lorsqu’il ne
la reconnaissance du poussin parasite. À nouveau sera pas parasité, il éjectera ses propres poussins.
deux scénarios sont possibles: (1) lorsque la première Dans de telles circonstances, l’imprégnation sur le
ponte n’est pas parasitée l’hôte apprend à reconnaître poussin du parasite entraîne donc des coûts si forts
ses propres poussins et est en mesure d’éjecter le pous- qu’ils sont susceptibles d’empêcher l’évolution de la
sin parasite dans l’avenir; (2) en revanche, lorsque la discrimination au stade poussin (Lotem 1993).
première ponte est parasitée, étant donné que le
poussin coucou éclôt en premier et qu’il éjecte du
nid les œufs de l’hôte avant qu’ils n’éclosent, l’hôte 15.4 PARASITISME ET SOCIALITÉ
n’apprend à reconnaître que le poussin coucou
comme étant le sien. Dans ce cas-là, le succès repro- L’évolution de mécanismes de défense contre les
ducteur cumulé au cours de la vie de l’hôte sera égal parasites ne peut pas se faire sans que cela entraîne
Nous avons développé dans ce chapitre certains des BOLLACHE L., GAMBADE G. et CÉZILLY F. – 2001, The
effects of two acanthocephalan parasites, Pomphorhyn-
aspects comportementaux liés à la relation hôte
chus laevis and Polymorphus minutus, on pairing success
parasite. Nous avons en particulier vu comment le in male Gammarus pulex (Crustacea: Amphipoda).
parasitisme de ponte constitue en fait un véritable Behavioural Ecology and Sociobiology, n° 49: p. 296-303.
parasitisme du comportement de leur hôte, en ce BOUCHON D., RIGAUD T. et JUCHAULT P. – 1998,
sens que la ressource qui est parasitée ne l’est pas Evidence for widespread Wolbachia infection in isopod
tant en termes de nourriture mais plutôt en terme de crustaceans: molecular identification and host femini-
comportement de soin aux jeunes par les membres sation. Proceedings of the Royal Society London B., n° 265,
de l’espèce hôte. Plus généralement, tous les exemples 1081-1090.
développés dans ce chapitre illustrent parfaitement BROWN C.R. et BROWN M.B. – 1988, A new form of
la complexité des relations hôte-parasite, véritables reproductive parasitism in cliff swallows. Nature, n° 331,
théâtres d’interactions entre les caractéristiques bio- p. 66-68.
logiques et écologiques d’organismes vivants appelés CÉZILLY F., GRÉGOIRE A. et BERTIN A. – 2000, Conflict
à co-évoluer dans un environnement changeant. between co-occurring manipulative parasites? An expe-
De par la dynamique même de leurs populations, rimental study of the joint influence of two acantho-
les parasites constituent un des facteurs importants cephalan parasites on the behaviour of Gammarus pulex.
Parasitology, n° 120, p. 625-630.
responsables de la dynamique de l’hétérogénéité spatio-
temporelle de l’environnement. Leur action est de plus COMBES C. – 2001, Parasitism. The Ecology and Evolution
susceptible de participer à l’autocorrélation tempo- of Intimate Interactions. Chicago University Press,
Chicago.
relle de l’environnement. En effet, si un lieu est
parasité aujourd’hui, il y a des chances réelles qu’il le CÔTÉ I.M. – 2000, Evolution and ecology of cleaning
symbioses in the sea. Oceanography and Marine
sera encore pendant un certain temps. Dans le cadre
Biology: an Annual Review, n° 38, p. 311-355.
de l’évolution de la vie en groupe que nous avons
rapidement abordée à la fin de ce chapitre, si nous DAVIES N.B. – 2000, Cuckoos, Cowbirds and Other Cheats.
T. et A.D. Poyser, Londres.
nous plaçons dans le contexte de l’hypothèse de la
sélection des commodités développée dans le chapi- DAWKINS R. – 1982, The Extended Phenotype. Oxford
University Press, Oxford.
tre 12, il apparaît alors que le rôle important des
parasites dans la genèse de l’hétérogénéité de l’envi- LOTEM A. – 1993, Learning to recognize nestlings is
ronnement conduit à rendre d’autant plus nécessaires maladaptive for cuckoo Cuculus canorus hosts. Nature,
n° 362, p. 743-745.
les comportements de choix du lieu de reproduction.
Nous avons vu dans le chapitre 12 comment ces LOTEM A. et NAKAMURA H. – 1998, «Evolutionary equi-
libria in avian brood parasitism», dans ROTHSTEIN
mêmes comportements peuvent générer eux-mêmes
S.I. et ROBINSON S.K., Parasitic Birds and their Hosts,
de l’agrégation dans l’espace. On arrive donc à un p. 223-235. Oxford University Press, Oxford.
paradoxe en ce sens que le parasitisme, l’un des
POULIN R. – 1998, Evolutionary Ecology of Parasites. From
coûts de la vie en groupe classiquement avancé dans Individuals to Communities. Chapman et Hall, Londres.
la littérature, peut, en fait, avoir participé indirecte-
RIGAUD T., MOREAU J. et JUCHAULT P. – 1999, Wolba-
ment à la genèse de la vie en groupe, dont il peut
chia infection in the terrestrial isopod Oniscus asellus:
ensuite constituer un coût. sex ratio distortion and effect on fecundity. Heredity,
Nous avons vu aussi à la fin de ce chapitre un n° 83, p. 469-475.
exemple impliquant le comportement de l’être humain ROBERT M. et SORCI G. – 2001, The evolution of obli-
dans les risques de transmission de pathogènes. Il est gate interspecific brood parasitism in birds. Behavioral
clair que compte tenu des enjeux liés à la compré- Ecology, n° 12, p. 128-133.
hension des relations hôtes pathogènes, notamment ROTHSTEIN S.I. – 1990, A model system for coevolu-
en termes de santé publique, et du rôle manifeste du tion: avian brood parasitism. Annual Review of Ecology
comportement dans ce contexte, l’attention portée and Systematics, n° 21, p. 481-508.
Pouvez vous imaginer un ou des mécanismes pouvant expliquer pourquoi les hôtes ne différencient pas les
poussins de leurs parasites dans les conditions non couvertes par l’hypothèse de Lotem [1993; voir paragra-
phe 15.3.2 (c)]? Vous aider pour cela des différents éléments développés dans ce chapitre.
APPLICATIONS ET IMPLICATIONS
POUR LES ACTIVITÉS HUMAINES
Nous avons vu et commenté à la fin du chapitre pré- male doit nous exposer aux mêmes processus. Notre
cédent un exemple impliquant le comportement de phénotype est transmis de génération en génération
l’être humain dans les risques de transmission de selon les mêmes lois biologiques que les autres êtres
pathogènes chez les jeunes enfants. Le lecteur n’aura vivants. Ce sera l’objet de cette cinquième et der-
pas manqué de remarquer que nous n’avons que nière partie d’envisager les implications d’un raison-
rarement utilisé le cas de l’être humain pour illustrer nement qui consisterait à systématiquement prendre
notre propos tout au long de cet ouvrage. C’est l’espèce humaine comme objet d’étude évolution-
l’objet de cette cinquième et dernière partie d’abor- niste.
der cette importante question. Cet exercice a été Le chapitre 16 aborde une question fondamentale
tenté à maintes reprises depuis un demi-siècle et ce pour l’avenir de l’espèce humaine: peut-on transposer
pas par les moindres auteurs. Cette question n’est les raisonnements et résultats de l’approche évolu-
pas simple, bien évidemment, mais il nous semble tive du comportement à la biologie de la conservation
qu’elle ne peut être évitée pour la simple raison afin de se donner les moyens d’agir efficacement
qu’elle risque de nous déranger. Tout lecteur de cet pour la préservation de la biodiversité?
ouvrage est en droit de se demander dans quelle Le chapitre 17 aborde la question délicate de
mesure l’espèce humaine est, elle aussi, l’objet de ces l’homme en tant qu’objet de la sélection naturelle et
processus de sélection. A priori, notre nature ani- donc par-là sujet à évolution.
Chapitre 16
Écologie comportementale
et biologie de la conservation
Probabilité d'extinction
0,8 dans le nombre d’appariements
0,6
Monogamie
0,4
Polygynie
0,2
0
0 40 80 120 160 200 240 280 320 360 400
Taille initiale de la population
(Burley 1986). Les simulations de Legendre et al. (1999) 16.2.2 Les effets Allee
nous apprennent qu’une réduction de la fécondité
de l’ordre de seulement 10% en moyenne mène à L‘effet Allee (Allee 1931) a été invoqué en tout pre-
une augmentation dramatique de la taille de la mier par le zoologiste et écologiste des États-Unis,
population minimale nécessaire pour éviter les effets Warder Clyde Allee (1885-1955), qui s’intéressait à
de la stochasticité démographique (Figure 16.1). Sur l’évolution de l’agrégation et de la vie sociale. Ces
la base d’une revue de la littérature, Møller et Legen- effets se rapportent aux conséquences de l’agréga-
dre (2001) ont ensuite montré que des réductions tion. Ces conséquences sont souvent bénéfiques, c’est
en fécondité supérieures à 10% se produisent dans le cas par exemple d’une réduction du taux de des-
de nombreuses espèces, ce qui suggère que la stochas- siccation de cloportes en fonction de la densité de
ticité démographique doit jouer un rôle important leur agrégation. Certains effets Allee se rapportent à
même dans des populations de plusieurs centaines des situations où les taux de reproduction dimi-
d’individus lorsque les femelles investissent plus ou nuent à faible densité, conduisant inexorablement
moins dans la reproduction en fonction de la qualité les populations en dessous d’une certaine taille à
de leur mâle. Ce résultat peut avoir des conséquen- l’extinction. Ces processus ne concernent probable-
ces importantes pour la gestion des programmes de ment pas que les populations de petite taille qui sont
reproduction en captivité, et pour estimer la taille si souvent l’objet d’études dans le contexte de la con-
minimale d’une population viable. servation. Même des populations très abondantes
Il est bien évident que de tels résultats nécessitent peuvent s’éteindre. C’est le cas entre autres de la
une certaine validation empirique possiblement par tourterelle voyageuse (Ectopistes migratorius) de l’est
des expérimentations sur le terrain. Néanmoins, les de l’Amérique du Nord, qui bien qu’ayant des popu-
résultats de Legendre et al. (1999) montrent que la lations de plusieurs centaines de millions d’indivi-
sélection sexuelle peut créer de la stochasticité même dus, s’est éteinte relativement rapidement à cause du
dans des populations de plusieurs centaines d’indivi- déclin dramatique de ses effectifs sur l’ensemble de
dus. Plusieurs espèces qui sont placées sur la liste rouge son aire de répartition. Bien que la véritable cause de
des espèces menacées d’extinction ont des tailles de cette extinction soit toujours chaudement débattue,
population de ce type. De plus, il est clair que d’autres des facteurs comme la persécution humaine et les
paramètres démographiques comme la survie, l’âge à maladies ayant été invoquées, les effets Allee restent
maturité, la fécondité peuvent avoir des effets simi- une alternative possible (Blockstein et Tordoff 1985).
laires qui exacerberaient ceux de la sex-ratio et de la L’effet Allee est donc devenu pertinent pour les bio-
sélection sexuelle. De telles considérations devraient logistes de la conservation à cause de son rapport
conduire à une sérieuse révision de la notion de avec l’étude des risques d’extinction associés aux petites
taille minimale de la population viable. populations (Lande 1987, Dennis 1989).
0,8 NS
60 0,6
0,4
40 47 27 50 24 41 33
0,2
20 0
2,5 ans avant 1,5 ans avant 6 mois
40 auparavant
0
Perte pas de perte Présence ou abscence de chasse
Perte de jeune sur les mâles adultes auparavant
Figure 16.3 Perte des jeunes et disponibilité pour une Figure 16.4 Chasse sur les mâles
nouvelle reproduction chez les ours bruns Ursus arctos. et survie des oursons.
Pourcentage de femelles d’ours brun s’engageant Survie des jeunes ours bruns durant leurs premières
dans une nouvelle reproduction chez les femelles années en fonction de la chasse sur des mâles adultes
ayant ou non perdu leur petit l’année précédente. à trois intervalles après la disparition du mâle rési-
Les tailles d’échantillon sont données au-dessus des dent. Les données ont été recueillies sur une vaste
barres. La différence de durée était significative région de 11 200 kilomètres carrés, entre 1985 à
(c2 = 32,37, dl = 1, P < 0,0001). Adapté de Swenson 1995. Dans la zone chassée qui était située au nord,
et al. (1997). la chasse n’a été effective que pendant quatre des
onze années de l’étude. Les jeunes n’étaient pas
marqués, mais leurs mères portaient un émetteur
même, là où aucun ours mâle n’avait été tué un an et radio permettant de les localiser et de les identifier.
demi auparavant, la survie des jeunes était élevée et La saison de chasse était en automne, impliquant
quasi identique dans les deux zones d’étude (100% que les mouvements de mâles et leurs effets sur la
survie des jeunes survenaient au printemps suivant.
dans l’une contre 98% dans l’autre), ce qui suggère Globalement, la survie des jeunes était plus faible
que les mâles résidents tuent peu de jeunes. Des dans la zone chassée (0,72, N = 74) que dans la zone
simulations informatiques ont montré qu’une telle non chassée (0,98, N = 50; P = 0,0004). Les nombres
dans les barres donnent les tailles d’échantillon.
réduction de la survie juvénile conduisait à dimi-
Significativité des différences: *: P = 0,016, ***:
nuer le taux de croissance de la population l de 1,18 P = 0,0005, NS: non significatif. La survie des jeunes
à 1,14, et la production nette de la population de n’était pas corrélée à la densité (P = 0,77) mais était
30% (Wielgus et al. 2000). négativement corrélée à la masse corporelle des
femelles au printemps (P = 0,02). Il apparaît donc
Ainsi, l’effet du sexe et de la sélection sexuelle peut que la survie des jeunes était affectée par la chasse
générer des effets Allee dans les petites populations, sur les mâles adultes pendant au moins dix-huit mois
conduisant à des effets négatifs sur leur fonctionne- après la naissance. Au-delà, la chasse sur les mâles
n’avait plus d’effet significatif.
ment. Le fait d’ignorer ces processus comportemen- D’après Swenson et al. (1997).
taux peut conduire les gestionnaires impliqués dans
la sauvegarde d’espèces menacées à ne pas prendre a) Un perroquet atypique fortement menacé
les bonnes décisions, ou pire, à prendre des décisions
conduisant à l’effet inverse de celui recherché, c’est- Le kakapo présente un grand nombre de caractéris-
à-dire à l’accélération du déclin des populations traitées tiques atypiques pour un perroquet. Tout d’abord, il
diminuant ainsi leur viabilité. a perdu toute capacité de voler et constitue la plus
grande espèce de perroquet (d’un poids allant jusqu’à
quatre kilogrammes pour les mâles). Il est actif
16.2.3 Le rôle des processus déterministes: essentiellement la nuit. D’autre part, il est strictement
le cas du kakapo herbivore. Il est de plus extrêmement longévif, ne se
reproduisant que lorsque la nourriture est suffisam-
En plus des effets de la stochasticité, certains proces- ment abondante, soit tous les trois à quatre ans.
sus déterministes peuvent aussi avoir d’importantes Enfin, il forme des leks et présente un fort dimor-
conséquences en conservation. Le perroquet aptère phisme sexuel de taille à la fin de la période de
néo-zélandais, le kakapo, Strigops habroptilus, cons- dépendance des jeunes, les mâles étant de 30 à 40%
titue un bon exemple (Figure 16.5). plus grands que les femelles. Cependant, le poids
des adultes des deux sexes peut varier fortement sent la nuit. Les jeunes restent au nid pendant environ
selon les saisons et les années (Clout et al. 2002). dix semaines. Habituellement, seul un ou deux jeunes
La reproduction est habituellement synchrone sont élevés jusqu’à l’envol.
avec les événements épisodiques de fructification des Toutes ces caractéristiques biologiques rendent
arbres podocarpes qui se produisent à des intervalles l’espèce particulièrement exposée à la prédation par
de deux à cinq ans. Les années de reproduction, les les mammifères introduits (à l’exception de chauves-
mâles forment des groupes lâches (qu’on appelle des souris, la Nouvelle-Zélande n’avait aucun mammifère
leks éclatés) sur des sites traditionnels où ils para- avant l’arrivée de l’homme, il y a environ 1 500 ans).
dent vocalement la nuit pour attirer les femelles. Les En dehors de la saison de reproduction, les indivi-
vocalisations appelées «Booming» sont très puissan- dus sont habituellement solitaires et vivent dans les
tes et peuvent s’entendre à plusieurs kilomètres. forêts où ils se nourrissent de fruits, de graines, de
Chaque mâle en parade maintient et défend une feuillages, de jeunes tiges, de bourgeons et de racines
série d’excavations peu profondes reliées entre elles de nombreuses espèces végétales. L’espèce, endémi-
par des pistes maintenues en bon état par le mâle. que de la Nouvelle-Zélande, est aujourd’hui éteinte
Les mâles peuvent rentrer en combat, allant jusqu’à dans la nature à cause de la prédation par les chats et
la mort, sur les sites des leks. Ils ne s’investissent les hermines introduites par l’homme. Les derniers
individus trouvés dans la nature remontent à la fin
ensuite ni dans la nidification, ni dans l’incubation
des années 1970.
ou le nourrissage de la femelle, ni dans l’élevage des
jeunes. Les mâles semblent atteindre la condition de
reproducteur plus facilement que les femelles, car b) Une situation désespérée
toutes les femelles ne se reproduisent pas lorsque les Afin d’essayer de sauver l’espèce, tous les individus
conditions sont favorables. La ponte de un à quatre connus (soit un total de 82 individus dont seule-
œufs est déposée dans des cavités naturelles au niveau ment 22 femelles) ont été transférés sur de petites
du sol, l’incubation durant environ trente jours, les îles sans prédateur en 1982. Sur ces îles, la survie
femelles laissant les œufs pendant qu’elles se nourris- adulte est très forte: 98% par an. Cependant, la
Sexe de la descendance
Sex-ratio
Mâles Femelles
d) Une expérience grandeur nature et ont été sexés. Parmi ces poussins survivants, 15 étaient
de manipulation de la sex-ratio des femelles soit une sex-ratio de 0,60 mâle pour
Sur la base de ces éléments, le Departement of Con- une femelle (tableau 16.2).
servation en Nouvelle-Zélande, partant de l’observation Ce résultat est particulièrement intéressant, car
que le nourrissage n’influençait pas le taux de repro- alors que l’année 2002 s’est révélée être une des années
duction les années de forte fructification des arbres, les plus favorables à la reproduction du kakapo en
a pris en 2002 la décision de ne nourrir les femelles cinquante ans d’étude, ce qui aurait dû conduire à
qu’après la ponte. Cela alliait les avantages d’un une sex-ratio la plus élevée de cette espèce, les femelles
éventuel biais en faveur des femelles dans la descen- ont produit plus de filles que de garçons. Cela veut
dance dû à l’absence de nourrissage avant la ponte, dire que la sex-ratio naturelle au moment de l’indé-
et d’un meilleur succès de reproduction global des pendance chez cette espèce doit toujours impliquer
femelles reproductrices sous l’effet du nourrissage un excédent de femelle. Cela implique que le fait de
après la ponte. nourrir ad libitum certaines femelles les avait conduites
à se trouver dans des conditions corporelles anorma-
➤ Un excès de femelles produites lement favorables, un peu équivalentes à l’obésité chez
même lors d’une année très favorable… l’homme. Dans de telles conditions elles faisaient
quasi systématiquement des mâles.
De nouveau, les résultats ont été édifiants (voir le
tableau 16.2). Ce résultat est d’autant plus frappant
➤ … malgré une sex-ratio primaire
que l’année 2002 a été une année de fructification
de un mâle pour une femelle
particulièrement intense (une des meilleures depuis
que l’on étudie cette espèce). Vingt des 21 femelles Les résultats sont devenus encore plus intéressants
se sont reproduites. Elles ont pondu un total de lorsque tous les embryons n’ayant pas donné lieu à
67 œufs dont 42 se sont révélés fertiles. Parmi les un jeune produit ont été sexés. Il s’est alors avéré que
26 jeunes qui en sont éclos, 24 ont survécu à l’envol la sex-ratio des œufs pondus était de un mâle pour
Tableau 16.2 Sex-ratio des œufs pondus lors de l’expérience de 2002 chez le kakapo.
Les données ont été fournies par Mick N. Clout et rapportées dans Sutherland 2002.
80
Nombre de couples ou de poussins produits/an
70
60
50
Nombre de couples
reproducteurs
40
30
20
Nombre
10 de jeunes
produits
0
1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000
Année
Figure 16.6 Évolution numérique de la population de vautour fauve réintroduite dans les Cévennes.
Nombre de couples reproducteurs (courbe pointillée avec des carrés) et nombre de poussins produits annuellement
dans la population de vautours fauves Gyps fulvus réintroduite dans les Cévennes (sud du Massif central, France). La
population a été constituée par le lâcher de 60 individus adultes entre 1981 et 1986. Depuis cette date, la population
n’a cessé d’augmenter à un rythme soutenu pour atteindre pratiquement 80 couples reproducteurs et environ
300 individus en 2000. Adapté et complété de Sarrazin (1998).
PROJETS À RÉALISER
1. Quels sont les systèmes d’appariement des primates qui sont menacés d’extinction aujourd’hui relativement
au système d’appariement chez les primates non menacés?
2. Concevez une liste alternative de critères pour décider de mettre une espèce sur la liste rouge des espèces
menacées.
3. Concevez un modèle d’optimalité pour les lâchers d’individus nés en captivité qui tienne compte de l’attrac-
tion sociale, de la compétition, de la prédation et des maladies.
17.1.2 L’importance relative de l’inné et de l’acquis? On affirme aussi que les êtres humains diffèrent des
autres organismes par la grande taille de leur cer-
Certains chercheurs insistent toujours pour opposer veau, et en conséquence par leurs capacités mentales.
l’action de l’environnement à celui des gènes, attri- Les humains ne sont pas uniques à cet égard non
buant tel trait à la génétique et tel autre à l’acquis. plus car plusieurs autres organismes ont aussi de grands
Cette dichotomie entre l’inné et l’acquis (nurture- cerveaux par rapport à leur taille corporelle. C’est le
nature en anglais) est artificielle et erronée. Un gène cas par exemple des céphalopodes chez les inverté-
ne peut générer un phénotype qu’en interagissant brés et les baleines et les dauphins chez les vertébrés.
avec l’environnement, il ne peut donc exister des traits De même, des marques d’intelligence et l’utilisation
qui soient purement d’une ou de l’autre origine. de capacités cognitives dans les interactions sociales
Société à monogamie
imposée socialement
Sociétés naturellement
polygynes
les très rares cas de polyandrie sont observés dans des ce qui peut introduire bien des biais dans l’analyse du
environnements où les ressources sont très limitées et dimorphisme sexuel. Ainsi, les premières estimations
au sein de sociétés dont l’économie repose largement sur qui suivirent la découverte d’un des plus anciens
une division du travail (Levine 1988, Deliège 1996). hominidés, Australopithecus afarensis, avaient conclu
à un dimorphisme sexuel bien supérieur à celui observé
b) Un certain dimorphisme sexuel en relation chez l’homme actuel. Des analyses récentes (Reno et
avec le taux de polygynie al. 2003) démontrent, grâce à un échantillon plus
important que ceux examinés dans les études précé-
Le dimorphisme sexuel humain est faible compara- dentes, que le dimorphisme sexuel d’A. afarensis est
tivement aux autres primates, mais les hommes sont similaire à celui de l’homme moderne et tendent à
généralement plus forts et plus grands que les fem- accréditer l’existence d’un régime de reproduction
mes. Cela indiquerait une plus forte sélection sexuelle monogame chez cet hominidé.
(voir chapitre 9) chez les hommes que chez les fem-
mes. De fait, la variance du succès de reproduction c) Des soins paternels importants
est considérablement plus grande chez les premiers.
D’après le livre Guinness des records, l’homme ayant Parmi les mammifères, les humains sont particuliers
eu la plus grande descendance fut le Sultan Moulay par l’importance des soins paternels intensifs. Chez
Ismail du Maroc avec 888 enfants alors que le record la plupart des mammifères il n’existe pas de soins
pour un individu de sexe féminin s’établit «seule- paternels, à l’exception de quelques espèces monogames
ment» à 69 enfants en 27 grossesses. La différence ou semi-polyandres (voir chapitre 10). Le point de
entre des deux records est d’un facteur de plus de 10. vue adaptationniste considère que les soins paternels
humains sont associés d’une part à une forte certi-
Les patrons de dimorphisme sexuel parmi les
tude de paternité, et, d’autre part, à la dépendance
cultures humaines suivent les patrons de polygynie,
prolongée de la progéniture vis-à-vis des soins paren-
avec un plus fort taux de polygynie dans les sociétés
taux qui rend difficile l’élevage par une femelle seule.
montrant le plus grand dimorphisme (Figure 17.1).
Dans une telle situation, les hommes seraient mieux
Le régime de reproduction des ancêtres de l’homme
à même d’assurer leur descendance en contribuant
moderne n’est pas précisément établi. Il a longtemps
aux soins parentaux qu’en cherchant à s’apparier avec
été considéré que les hommes préhistoriques présen-
d’autres femmes.
taient un dimorphisme sexuel beaucoup plus impor-
tant qu’aujourd’hui, ce qui a été interprété comme
l’indication d’un régime de reproduction polygyne 17.2.2 Sélection sexuelle humaine
(Lewin 1999). Cependant, il convient d’être prudent
car les données fossiles examinées sont souvent répar- Nous allons maintenant aborder plusieurs aspects
ties sur des échelles de temps et d’espace assez larges, du comportement sexuel humain en les interprétant
15
Figure 17.4 Durée de la période 12
d’appariement et manipulation 13
conjointe de la longueur et de l’asymétrie 10 14 12
de la queue chez les hirondelles rustiques
(Hirundo rustica).
5
12 10
11
0
Allongée Contrôle Raccourcie
Manipulation de la longueur de la queue
Asymétrie augmentée Asymétrie non manipulée Asymétrie diminuée
Un total de 101 mâles ont été attribués au hasard aux 8 traitements possibles.
La longueur de la queue était soit: raccourcie de 20 millimètres, ce qui correspondait à une réduction de 17,3%
pour une longueur finale de 91 millimètres; allongée de 20 millimètres conduisant à une augmentation de 16,7%
pour une longueur finale moyenne de 126 millimètres; contrôle I: les plumes extérieures de la queue étaient
coupées puis recollées à l’identique, ce qui conduisait à une réduction de 1% avec une longueur de queue finale de
105 millimètres; contrôle II: les individus étaient capturés mais ne subissaient aucune manipulation avec une
longueur de queue de 106 millimètres.
L’autre traitement consistait à manipuler l’asymétrie des plumes extérieures de la queue en: augmentant l’asymé-
trie de 20 millimètres (jusqu’à une moyenne de 23 millimètres) sans changer la longueur moyenne de la queue
(barres noires); réduisant l’asymétrie à 0 millimètre (barres blanches); ou gardant les mâles comme contrôles sans
changer l’asymétrie naturelle moyenne de 3 millimètres (barres blanches).
Dans les deux groupes à droite et à gauche, la longueur de la queue a été augmentée (à gauche) ou diminuée (à
droite). Dans chacun de ces groupes, l’asymétrie a aussi été soit diminuée (barres blanches) soit augmentée (barres
gris foncé) soit laissée inchangée (barres gris claire). Les deux barres hachurées donnent les longueurs moyennes
de la période d’appariement des individus des contrôles dont ni la longueur moyenne de la queue, ni l’asymétrie
n’a été manipulée. Aucune différence de longueur de la queue avant traitement n’était détectable. En revanche, la
longueur de la queue variait significativement entre les traitements après les manipulations (F7,88 = 35,15; P < 0,0001).
Les durées sont données en jours, ± l’erreur standard. L’interaction entre la manipulation de la longueur et de
l’asymétrie de la queue était fortement significative (P < 0,001), montrant un effet conjoint des deux manipulations.
Les nombres au-dessus des barres donnent les tailles d’échantillon.
D’après Møller (1992).
25
Nombre de partenaires sexuels sur l’ensemble de la vie
Femmes
20
15
10
40 Hommes
Figure 17.5 Nombre de partenaires sexuels
30 au cours d’une vie en relation avec le degré
d’asymétrie chez les hommes et les femmes.
20
Cette analyse tenait compte de l’âge car il pouvait
10 influencer le nombre de partenaires sexuels au
cours de la vie. Une fois pris en compte cet effet,
0 l’effet de l’asymétrie fluctuante est significatif et de
pente négative chez les hommes (P < 0,02) et chez les
–200 –100 0 100 200 300 femmes (P < 0,01). D’après Thornhill et Gangestad
Index d’asymétrie fluctuante (1994).
alors que pour les couples voulant avoir une fille, les
106,4
médecins conseillent de n’avoir qu’un seul rapport
106,2 au moment favorable du cycle de la femme.
106
➤ Une situation quasi expérimentale
105,8 avec réplication
105,6
Globalement, ce résultat est intéressant car la démarche
105,4 des auteurs est claire: ils ont commencé par faire des
prédictions à partir d’une théorie relevant des méca-
105,2
1915-1918 1919-1920 1921-1923 nismes de l’évolution, et ils ont testé ces prédictions
Années sur l’espèce humaine. De plus, on a affaire à une
situation quasi expérimentale: les guerres ont dimi-
Figure 17.9 Sex-ratio à la naissance nué la sex-ratio d’une manière artificielle que l’on peut
en Europe
après la Première Guerre mondiale.
considérer comme équivalente à une manipulation
Nombre de naissances de garçons pour 100 nais- que l’on pratiquerait chez un animal. De plus, dans
sances de filles dans les pays impliqués (ligne continue le cas de la Première Guerre mondiale, l’expérience
et losanges pleins) et les pays non impliqués (ligne contient un véritable contrôle interne avec les pays non
pointillée et ronds vides) dans la Première Guerre
impliqués dans le conflit. Enfin, cet exemple propose
mondiale dans les années qui ont suivi le conflit.
Les données des pays impliquées sont extraites des une réplication par le fait que le même résultat a été
statistiques de douze pays européens comme la trouvé sur deux populations indépendantes après deux
France, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume- guerres très différentes dans leur impact et dans la
Uni et la Bulgarie. Celles des pays non impliqués
période où elles se sont produites. Il n’est pas courant
incluent sept autres pays européens comme la Suisse,
la Finlande, la Norvège et le Danemark. Extrait de que ces trois conditions puissent être réunies dans
Trivers (1985). les études chez l’humain.
51,7
Pourcentage de naissances de garçons
Risque relatif
40
30
20
10
0
0 à 2 ans 3 à 5 ans 6 à 8 ans 9 à 11 ans 12 à 14 ans 15 à 17 ans
Âge des enfants
Figure 17.12 Fréquence des mauvais traitements chez des enfants vivant
avec leurs deux parents biologiques, relativement à ceux vivant dans un couple
constitué d’un parent biologique et d’un beau-parent en fonction de l’âge de l’enfant.
Donnée provenant du Canada entre 1974 et 1983. Ces données sont basées sur de très gros effectifs.
D’après Daly et Wilson (1988).
s
s
an
an
an
an
an
an
14
17
11
à
à
à
0
de mauvais traitements.
12
15
9
QUESTIONS
1. L’existence de la culture est-elle une objection recevable face à l’étude biologique du comportement
humain?
2. La morale peut-elle avoir une base biologique?
3. La connaissance du processus de sélection sexuelle peut-elle permettre de prédire les phénomènes de mode
relatifs à la beauté plastique et à l’habillement?
Quel avenir
a l’écologie comportementale?
Arrivés au terme de cet ouvrage sur l’étude du com- un dogmatisme avec toutes les implications que cela
portement dans le cadre de l’évolution, nous espé- peut avoir sur l’inhibition de la créativité et de l’ima-
rons avoir convaincu le lecteur de l’extraordinaire gination des chercheurs. Il faut savoir remettre en
pouvoir prédictif et structurant de l’approche évolu- cause les idées considérées comme acquises et, de ce
tionniste dans la compréhension des stratégies com- fait, éviter de les transformer plus ou moins en dogmes.
portementales (mais aussi de tout autre trait) des Très souvent, lors de leur émergence, les idées con-
espèces aujourd’hui présentes à la surface du Globe. duisant à remettre en cause les dogmes apparaissent
Ce pouvoir prédictif constitue en lui-même une comme essentiellement iconoclastes, mais à terme,
validation des plus convaincantes des principes de cela s’avère positif pour le développement de la pensée.
l’approche évolutionniste. Que serait aujourd’hui la géologie sans l’idée, au départ
totalement farfelue, de la dérive des continents? Enfin,
la remise en cause des idées acquises peut quelque-
L’ÉCOLOGIE fois conduire à la reformulation des questions que
l’on se pose au sujet de tel ou tel trait. Il faut toujours
COMPORTEMENTALE attacher une attention particulière à la formulation
CONSTITUE UNE APPROCHE des questions scientifiques. Cette formulation n’est
jamais anodine et contribue à orienter, parfois forte-
Un premier message général sous-jacent tout au ment, les observations des chercheurs. C’est là aussi
long de cet ouvrage est celui de l’importance de la un important message méthodologique.
méthodologie. Une hypothèse n’est faite que pour
être mise en défaut de prédiction. Une prédiction
faite sur la base de présupposés clairement énoncés L’ÉCOLOGIE
et qui s’avère vérifiée a plus de valeur qu’un résultat COMPORTEMENTALE
obtenu et interprété a posteriori. Autant de petites CONSTITUE UNE PARTIE
phrases qu’il faut garder en mémoire. De plus, il ne
faut pas négliger l’importance des techniques dans le DES SCIENCES DE L’ÉVOLUTION
développement du savoir. C’est l’arrivée des techni-
ques de biologie moléculaires qui, en permettant les Nous avons vu au cours des chapitres que le domaine
recherches de paternité, a conduit à reconsidérer tous des sciences du comportement est vaste et on peut se
les systèmes d’appariement en distinguant clairement poser la question des limites de ce champ scientifique.
les systèmes sociaux des systèmes génétiques sous- Maintenant que nous en avons parcouru les grands
jacents. Cela a conduit à de profonds chamboulements champs, nous pouvons tenter à nouveau d’en définir
dans le domaine de la sélection sexuelle qui s’est, en les contours: l’écologie comportementale n’est autre que
partie de ce fait, de plus en plus révélée comme un la biologie évolutive appliquée à l’étude du comporte-
processus majeur de l’évolution. ment, c’est-à-dire l’ensemble des processus de décision
D’autre part, toutes hypothèses aussi stimulantes par lesquels les individus ajustent leur état et leur situa-
soient-elles risquent inévitablement de mener vers tion par rapport aux variations du milieu (abiotique et
Physiologie L’INFORMATION:
UN THÈME RÉCURRENT
Cellule
Chaque entrée du glossaire, écrite en gras, est suivie Amplexus (amplexus). Voir gardiennage précopula-
de sa traduction anglaise, puis de la définition pro- toire.
prement dite. Des expressions françaises équivalen- Amplificateur (amplifyer). Trait morphologique ou
tes susceptibles d’être rencontrées dans la littérature comportemental d’un individu dont la fonction est
figurent ensuite. Lorsqu’il y a lieu, un renvoi est indi- de faciliter l’évaluation de la condition de l’individu
qué vers le chapitre qui développe la notion. Afin de possédant ce trait. Contraire d’un atténuateur.
faciliter la mise en relation des divers concepts, nous Analogie (analogy). Ressemblance entre deux traits
avons mis en gras les termes utilisés qui ont une présents chez des espèces distinctes procédant de
entrée propre dans le glossaire. l’action d’une même pression sélective sur des struc-
Accouplement hors couple (extra-pair copulation; tures à l’origine différentes (phénomène de conver-
EPC). Désigne chez les espèces socialement mono- gence évolutive). La ressemblance entre les silhouettes
games, l’accouplement d’un individu d’un sexe des poissons et celles des cétacés relève de l’analogie
avec tout autre individu de sexe opposé autre que (homoplasie).
son partenaire social (accouplement illégitime). Anisogamie (anisogamy). Désigne une asymétrie dans
Adaptation (adaptation). Ce terme peut désigner la taille des gamètes chez une espèce à reproduction
deux choses différentes. Un trait phénotypique sexuée. Le sexe femelle produit un petit nombre
fixé ou stabilisé au sein d’une population à travers le de gros gamètes, généralement peu mobiles. Le sexe
processus de sélection naturelle (état d’adaptation); mâle, à l’inverse produit en grand nombre de petits
le processus graduel d’ajustement des caractéristiques gamètes très mobiles.
des organismes aux conditions du milieu sous l’effet Aposématisme (aposematism). Désigne l’association
de la sélection naturelle (mécanisme d’adaptation). chez certaines espèces entre des signaux visuels sail-
Agrégation (aggregation). Distribution des individus lants et leur caractère non comestible qui résulte
dans l’espace ou le temps de manière différente de de leur toxicité ou de leur goût piquant, irritant
celle prédite par la distribution idéale libre, c’est- ou désagréable pour un prédateur. De tels signaux
à-dire qui ne résulte pas du seul effet des variations d’avertissement conduisent les prédateurs à éviter
spatiales ou temporelles des ressources. ces proies potentielles. Plusieurs espèces peuvent
Allocation selon les sexes (sex investment ratio, sex arborer des signaux très voisins par convergence
allocation). Proportions de ressources parentales au sein d’une communauté d’espèces (mimétisme
investies dans la progéniture mâle et femelle. müllérien). D’autres espèces de la même commu-
Altruisme (altruism). Comportement, a priori para- nauté peuvent exploiter cette situation: tout en étant
doxal d’un point de vue évolutif, qui à la fois tout à fait comestibles, elles arborent des signaux
diminue l’aptitude de celui qui le manifeste et très semblables aux espèces non comestibles, se pro-
augmente celle d’un ou de plusieurs de ses congé- tégeant ainsi de la prédation (mimétisme batésien).
nères. Un comportement apparemment altruiste au Voir mimétisme.
niveau des phénotypes peut s’interpréter comme une Apprentissage (learning). Processus par lequel le
stratégie égoïste au niveau des gènes sous-tendant phénotype d’un individu, en incluant le compor-
ce comportement. Alternativement, un comporte- tement, est modifié par des informations acquises.
ment altruiste peut se maintenir s’il implique une Cet apprentissage peut se faire par imitation,
réciprocité directe ou indirecte entre les protago- empreinte, ou enseignement. Voir culture.
nistes (altruisme réciproque). Voir coopération; Approvisionnement (foraging). Ensemble des activités
réciprocité. d’exploitation d’une ressource. Le terme est princi-
GLOSSAIRE 551
palement employé pour la recherche de nourriture Armement (armament). Tout trait offensif ou défensif
mais peut s’appliquer à d’autres types de ressour- ayant évolué à travers un processus de sélection
ces: matériel de construction du nid, partenaires intrasexuelle. S’oppose à ornement.
sexuels, etc.; le terme «affouragement», parfois Assistant (helper). Individus non reproducteurs (ou
rencontré, est une traduction maladroite qui sensu ayant échoué précocement dans leur tentative de
stricto signifie approvisionner en fourrage. reproduction) et qui aident un couple de congénères
Approvisionnement centralisé (central place foraging). à se reproduire en les assistant dans l’élevage des jeu-
Désigne une situation où le comportement d’appro- nes. Le terme s’applique essentiellement aux verté-
visionnement s’organise en trajets aller-retour à brés (oiseaux et mammifères). (aides; auxiliaires
partir d’un point fixe (nid, terrier, etc.). La ressource de reproduction).
est amassée et transportée vers le lieu central au
Atténuateur (attenuator). Trait morphologique ou
lieu d’être consommée sur son lieu de prélèvement.
comportemental qui rend plus difficile l’évaluation
L’approche théorique de cette situation a donné lieu
d’une condition par un autre individu (contraire:
à une variante du théorème de la valeur marginale.
amplificateur).
Approche comparative (comparative approach).
Démarche consistant à juger du caractère adaptatif Attraction sociale (social attraction). Tendance à être
d’un trait à travers la mise en évidence au niveau attiré par la présence de congénères; par exemple
interspécifique d’une corrélation entre la valeur du lors du choix d’un habitat.
trait et une variable écologique ou biodémogra- Audience (audience). Le ou les individus assistant à
phique. L’analyse des corrélations doit tenir compte une interaction sociale sans y participer.
des relations phylogénétiques entre espèces pour Autocommunication (autocommunication). Utilisation
être valide d’un point de vue statistique. par un même individu de la différence entre les
Approche économique (economic approach). versions émises et reçues de son propre signal per-
Approche consistant à analyser l’aspect adaptatif mettant d’extraire de l’information sur les condi-
d’un trait phénotypique à partir de l’estimation de tions ambiantes. Le même individu est à la fois
ses coûts et de ses bénéfices en termes d’aptitude. l’émetteur et le récepteur. Cas de l’écholocation
Aptitude phénotypique (fitness ou individual fitness). ou de l’électrolocation.
Capacité d’un individu (ou capacité moyenne d’un Aversif au risque (risk averse). Jargon de la théorie de
phénotype) à produire des descendants matures, l’approvisionnement. L’expression est utilisée pour
relativement aux autres individus de la même un individu qui évite l’alternative (parcelle ou
population et au même moment (voir aussi valeur proie) dont le bénéfice net est le plus incertain
sélective). N.B.: nous avons retenu le mot aptitude (variance du bénéfice plus élevée). Il est important
aux dépens des autres expressions plus souvent de ne pas confondre cette utilisation de «risque»
utilisées car: il correspond très exactement au mot et celle qui se rapporte à un danger, comme par
fitness; et, comme fitness, il présente l’avantage exemple un danger (risque) de prédation.
d’être très concis.
Aptitude inclusive (inclusive fitness). Aptitude d’un Badge ou étiquette (badge). Trait révélant le statut
individu calculée en tenant compte des consé- de l’individu qui le porte.
quences de son comportement à la fois sur sa propre Bayésien (bayesian). En référence au théorème de
reproduction et sur la reproduction des congénères Bayes qui permet la combinaison d’une informa-
qui lui sont apparentés. Elle se mesure par le nom- tion préalable à une information courante afin
bre de descendants matures directement issus de d’obtenir une estimation de la valeur d’un objet à
sa propre reproduction, diminuée des effets posi- la suite de l’événement d’échantillonnage.
tifs ou négatifs de son environnement social (com-
posante directe), et augmentée des effets positifs Bénéfice (benefit). Tout gain exprimé en devise de
ou négatifs (pondérés par le coefficient de simila- conversion ou en aptitude qui est la conséquence
rité génétique) que l’individu cause lui-même à d’un comportement ou d’un trait. (avantage).
son environnement social (aptitude globale). Bénéfice direct ou indirect (direct benefit ou indirect
Arène d’accouplement (mating arena). Emplace- benefit).
ment où les mâles et les femelles d’une population En sélection sexuelle:
se retrouvent pour l’accouplement. Voir aussi lek. – bénéfice direct: gain en aptitude découlant de la
552 GLOSSAIRE
qualité du partenaire sexuel ou parental affectant l’un de ces traits entraîne systématiquement un
la viabilité immédiate de la progéniture; changement dans la valeur optimale de l’autre.
– bénéfice indirect: gain en aptitude découlant Colonialité (coloniality). Caractéristique des espèces
aussi de la qualité du partenaire choisi mais qui se dont la reproduction prend place au sein de terri-
transmet génétiquement et qui ne sera effectif qu’à toires agrégés dans l’espace et ne contenant pas
la génération à venir. d’autres ressources que les emplacements des nids.
En sélection de parentèle: La colonialité implique que les reproducteurs doi-
– bénéfice direct: gain affectant la partie de l’apti- vent quitter leur lieu de reproduction pour aller cher-
tude inclusive qui concerne seulement l’aptitude cher leur nourriture à l’extérieur de leur territoire.
de l’individu sans tenir compte de l’aptitude de la
Commodité (commodity). Toutes les ressources néces-
parentèle.
saires à une activité donnée ainsi que l’ensemble
– bénéfice indirect: gain affectant la partie de des facteurs (conditions climatiques, la protection
l’aptitude inclusive qui se rapporte uniquement à contre les prédateurs ou contre les aléas climati-
l’aptitude de la parentèle. ques, etc.) susceptibles d’influencer le succès de
Bluff (bluff ). Utilisation d’un signal dont le niveau cette activité.
n’exprime pas une information honnête. Voir
Communauté (community). Assemblage des popu-
tromperie.
lations des différentes espèces qui coexistent au sein
Brigand à deux bras (two-armed bandit). Mot issu du des écosystèmes dans l’espace et le temps.
nom donné à certaines machines à sous des casinos
Communication (communication).
américains où, après avoir inséré une pièce, le
Au sens large: utilisation d’une information émise
joueur doit choisir d’activer une des deux manet-
(volontairement ou involontairement) par un
tes afin de pouvoir gagner le gros lot. Il s’agit pour
individu (l’émetteur) vers un autre individu (le
le joueur de deviner laquelle des deux manettes est
récepteur).
la plus susceptible de le faire gagner.
Au sens strict (communication vraie): émission et
Capacité cognitive (cognitive ability). Capacité d’un réception d’un signal dont la fonction évolutive
organisme de percevoir acquérir, mémoriser et est d’influencer le comportement du récepteur.
utiliser l’information extraite des caractéristiques La communication est souvent envisagée comme
de son environnement. une interaction entre seulement deux individus.
Cependant, lorsqu’il y a une audience, on parle
Capacité de charge (carrying capacity). Taille de
plutôt d’un réseau de communication.
population maximale que peut supporter un envi-
ronnement. Souvent dénoté par le symbole k dans Compétition spermatique (sperm competition).
les modèles de dynamique des populations. Tout processus de compétition entre spermatozoïdes
Choix (choice). Série d’alternatives disponibles à un de mâles différents pour la fertilisation des ovules
animal à un moment donné. L’animal choisit dans de la même femelle.
la mesure où il adopte l’une des alternatives dispo- Compétition locale pour les partenaires sexuels (local
nibles. Ce choix n’implique pas nécessairement un mate competition). Compétition entre individus
mécanisme conscient. En revanche, un choix non apparentés pour l’accès aux partenaires sexuels.
aléatoire implique d’une manière ou d’une autre Plus communément, il s’agit de compétition entre
une certaine prise d’information sur les diverses frères pour l’accès aux femelles.
alternatives possibles. Voir décision. Compétition locale pour les ressources (local resource
Choix cryptique (cryptic choice). Capacité des femel- competition). Compétition entre apparentés pour
les à contrôler, grâce à différents mécanismes l’accès aux ressources. Il s’agit plus communément
internes (et donc cryptiques), les probabilités de de compétition entre sœurs pour l’accès aux res-
fertilisation de leurs ovules par les spermatozoïdes sources nécessaires à la reproduction.
de différents mâles. Compétition par exploitation (scramble competition).
Co-évolution (coevolution). Évolution conjointe de Diminution du gain individuel d’exploitation d’une
deux espèces à travers leurs influences respectives ressource en conséquence exclusive de la consom-
l’une sur l’autre. Par extension, on peut considérer mation simultanée de la même ressource par d’autres
que deux traits différents au sein d’une seule et individus, et en l’absence de toute interaction directe
même espèce co-évoluent si un changement dans entre tous les individus exploitant la ressource.
GLOSSAIRE 553
Compétition par interférence (interference compe- Course aux armements (arms race). Phénomène de
tition). Diminution du gain individuel d’exploi- co-évolution antagoniste caractérisé par une esca-
tation d’une ressource attribuable aux interactions lade dans les moyens d’attaque et de défense des
antagonistes entre compétiteurs. protagonistes au cours du temps; en référence à la
Composante biodémographique (life-history trait). course aux armements nucléaires entre les États-
Composante des stratégies biodémographiques Unis et l’Union soviétique durant la Guerre froide.
d’une espèce ou d’un phénotype. Par exemple, âge Coût (cost). Toute perte d’aptitude (éventuellement
à la première reproduction, survie, fécondité, etc. mesurée en devise de conversion) associée à un
Cette expression est préférable à «trait d’histoire comportement ou à un trait. (Terme équivalent:
de vie» qui est aussi employée mais qui n’a pas de désavantage).
sens en français. Coût de la reproduction (cost of reproduction).
Compromis (trade-off ). Ajustement adaptatif des Ensemble des coûts directement associés à la repro-
valeurs de deux caractères, ou plus, qui ne peuvent duction. Ces coûts peuvent être mesurés en termes
être optimisés simultanément. de diminution de la probabilité survie dans l’avenir ou
Conflit (conflict). Interaction au sein de laquelle les de diminution du potentiel reproducteur résiduel.
intérêts des protagonistes diffèrent. Culture (culture). Pour un évolutionniste, c’est
Conflit parent-progéniture (parent offspring conflict). l’ensemble des conduites et informations propres à
Conflit dans lesquels sont impliqués les parents et un groupe ou une population dont la transmission
leurs enfants (conflit parent-enfant). à travers les générations dépend d’interactions sociales
Confusion (effet de) (confusion). Effet produit par (imprégnation, imitation, apprentissage, enseigne-
l’adoption simultanée de nombreuses trajectoires ment). La culture est donc l’ensemble des infor-
imprévisibles par des proies lors de l’attaque d’un mations capables de modifier durablement le
prédateur. L’effet de confusion réduit l’efficacité phénotype, informations acquises en dehors du
d’attaque du prédateur. Voir chapitre 12. système génétique. On ne parle de culture que si
ces modifications socialement induites sont trans-
Consanguinité (inbreeding). Reproduction entre indi- mises entre les générations, verticalement ou obli-
vidus directement apparentés (endogamie). Opposé quement. Dès lors, il existe une héritabilité des
à non-consanguinité (outbreeding). différences culturelles. Les variations culturelles
Conservateur (conservative). On dit qu’un test statis- donnent alors prise à la sélection naturelle car:
tique est conservateur si les biais que l’on peut (a) il existe des variations de culture; (b) ces varia-
imaginer de par nos capacités d’estimer les para- tions peuvent être sous l’influence de pressions de
mètres impliqués vont à l’encontre de la prédiction sélection; et (c) les variations sont héritables. On
testée. peut alors parler d’évolution culturelle. Pour un
Convergence évolutive (convergence). Voir analogie. évolutionniste la culture constitue donc un autre
moyen de générer des différences héritables et donc
Coopération (co-operation). Action conjointe mutuel-
soumises à sélection.
lement bénéfique en termes d’aptitude pour les
différents protagonistes. Voir: altruisme, si l’action
Décision (decision). Processus non aléatoire condui-
a un coût pour l’acteur; réciprocité directe, si les
sant à sélectionner l’une des alternatives disponi-
gestes altruistes s’échangent entre les mêmes indi-
bles lors d’une situation de choix. Le concept de
vidus; mutualisme, si l’acteur et les récipiendaires
décision n’implique pas forcément un processus
bénéficient de chaque action de coopération.
conscient. En revanche, il implique une certaine
Coopération locale entre mâles (local mate enhance- prise d’information sur les alternatives disponi-
ment). Coopération entre frères pour accéder à des bles. La théorie de la décision explore les facteurs
femelles. cognitifs qui peuvent influencer la décision.
Coopération locale pour les ressources (local resource Démarche hypothético-déductive (hypothetico-deduc-
enhancement). Coopération entre apparentés pour tive approach). Démarche consistant à poser une
accéder aux ressources. hypothèse et à en tirer des prédictions qui peuvent
Courbe d’exploitation (exploitation function). Fonc- être soumises à un test empirique. L’absence de
tion décrivant le gain cumulé d’un animal exploitant congruence entre les faits observés et les prédictions
une parcelle en fonction du temps écoulé. conduit au rejet de l’hypothèse.
554 GLOSSAIRE
Densité dépendance (density dependence). Lorsque probabilité d’être la victime au sein d’un groupe
l’aptitude phénotypique varie avec la densité. La de n individus est 1/n.
forme de cette relation peut être soit négative, soit Dispersion (dispersal). Phénomène par lequel les indi-
positive, soit en forme de cloche: l’aptitude phéno- vidus s’éloignent de leur lieu de naissance (dispersion
typique augmente tout d’abord avec la densité, de naissance) ou de leur précédent lieu de repro-
puis au-delà d’un certain seuil l’aptitude diminue duction (dispersion de reproduction).
quand la densité augmente. Dans ce dernier cas, Disposition (disposition). Capacité à réaliser une action,
on dit qu’il y a un effet Allee. Lorsque la diminution sans pour autant la réaliser (voir Performance).
de la densité d’une population a un effet délétère
Dissimulabilité (excludability). Une information
sur la capacité de cette population à croître, on
dissimulable peut être cachée aux congénères. Une
parle de densité dépendance inversée.
information non dissimulable ne peut être cachée
Dépense parentale (parental expenses). Traduit la part aux congénères. Voir chapitre 12.
de ressource parentale, en temps ou en énergie, Distribution idéale despotique (ideal despotic distri-
investie dans les soins parentaux apportés à un ou bution). Voir distribution idéale libre.
plusieurs jeunes. La dépense parentale relative cor-
Distribution idéale libre (ideal free distribution).
respond à la fraction des ressources parentales
Modèle définissant la distribution à l’équilibre d’une
allouée aux soins parentaux.
population d’individus dans un habitat hétéro-
Déplacement de caractères reproductifs (displace- gène contenant plusieurs parcelles de qualités dif-
ment of reproductive characters). Suite à une diver- férentes. Le modèle de base considère que tous les
gence allopatrique entre deux populations, la individus ont la même capacité compétitive, con-
moindre viabilité des hybrides peut conduire à un naissent parfaitement la qualité des parcelles de
déplacement des caractères reproductifs, condui- l’environnement (d’où le qualificatif idéal) et sont
sant à l’accentuation des différences entre les deux capables de se déplacer sans aucun coût entre les
formes dans les zones de contact. Le mécanisme parcelles de cet environnement (d’où le qualificatif
de déplacement de caractères reproductifs n’inter- de libre). À l’équilibre, les individus ont tous la
vient que lorsque l’isolement est devenu total, même aptitude moyenne quelle que soit la parcelle
c’est-à-dire entre espèces distinctes. Le déplacement qu’ils exploitent. Il existe différents développements
réduit les risques de gaspillage de gamètes dans des de ce concept. Par exemple, la distribution idéale
accouplements infertiles, et réduit les risques d’inter- despotique correspond à une DIL impliquant des
férence entre espèces en rendant les signaux plus individus de capacités compétitives différentes.
différenciés et donc plus efficaces. Voir divergence Divergence allopatrique (allopatric divergence). L’hypo-
allopatrique et sympatrique et processus de ren- thèse de la divergence allopatrique suggère que les
forcement. caractères d’isolement divergent par hasard au sein
Dérive génétique (genetic drift). Fluctuation aléatoire de populations séparées géographiquement à tra-
de la fréquence des gènes au cours des générations vers l’accumulation de différentes mutations, sous
liée à un effet d’échantillonnage. l’effet de pressions de sélection contrastées et/ou
Déséquilibre de liaison (linkage disequilibrium). de la dérive génétique. Quand les deux formes se
Dans une population, association non aléatoire retrouvent en contact pour une raison ou une
d’allèles appartenant à des locus différents. autre, la reconnaissance des partenaires peut avoir
divergé au point que les deux formes ne se croisent
Désinformation (disinformation). Voir tromperie.
plus. Voir divergence sympatrique.
Devise de conversion (currency). Composante de Divergence sympatrique (sympatric divergence).
l’aptitude utilisée comme valeur approximative pour Selon ce mécanisme, les traits impliqués dans l’isole-
comparer d’un point de vue adaptatif les consé- ment reproductif de deux sous-espèces continuent
quences de différentes stratégies sur l’aptitude. à évoluer dans les zones de contact secondaire
Cette variable doit donc être directement liée à entre deux formes ayant entamé une divergence
l’aptitude. Voir figure 5.1 (devise d’échange; mon- allopatrique. Les individus d’une forme qui res-
naie d’échange; devise de comparaison). semblent le plus à l’autre, ou qui ne discriminent
Dilution (effet de) (dilution). Réduction de la pro- pas entre les deux formes, risquent de s’apparier
babilité d’être la victime d’un prédateur du fait de avec des individus de la forme opposée. Si de tels
la présence de victimes potentielles alternatives. La appariements hybrides produisent des descendants
GLOSSAIRE 555
moins viables, la sélection favorise les individus Empirisme (empiricism). Approche fondant la con-
capables de différencier entre les deux formes. naissance sur l’observation et l’expérimentation.
Voir processus de renforcement et déplacement S’oppose à l’approche théorique.
de caractères reproductifs. Empreinte (imprinting). Forme d’apprentissage massif,
généralement limitée à une période précoce du
Échantillonnage vicariant (vicarious sampling). Le fait développement, qui consiste en l’établissement d’un
pour un individu d’acquérir de l’information à lien irréversible entre un individu et une configu-
travers l’échantillonnage effectué par d’autres indi- ration de stimuli. Le phénomène d’empreinte est
vidus. Équivalant à information publique. notamment impliqué dans l’apprentissage du chant
Économie dispersive (dispersion economy). Situation et dans l’orientation sociosexuelle chez les oiseaux.
où, en absence de bénéfices, les coûts augmentent Enclin au risque (risk prone). Qualifie un individu
avec l’accroissement de la densité des congénères. dont le comportement l’amène à privilégier l’option
L’aptitude est alors maximale lorsque la densité qui présente la variance la plus forte dans l’espé-
des individus est minimale. rance des gains.
Économie agrégative (aggregation economy). Situation Enjambement (crossing over). Processus survenant
où, en absence de coûts importants, l’aptitude d’un au cours de la méiose au cours duquel les chromo-
individu augmente avec l’accroissement de la den- somes d’une cellule diploïde échangent des fragments
sité des congénères. L’aptitude est alors augmentée d’ADN. Ce processus assure la recombinaison du
par l’agrégation des individus. Voir effet Allee. matériel génétique.
Effet Allee (Allee effect). Proposé par l’américain Entraînement sensoriel (sensory drive). Limitation
Warder Clyde Allee lorsque, à faible densité, la de l’efficacité des signaux imposée par les caracté-
présence de congénères confère des bénéfices. ristiques de l’environnement physique ou social.
Effet maternel (maternal effect). Influence du phéno- Peut influencer toutes les étapes depuis la génération
type maternel sur le phénotype des descendants; des signaux jusqu’à leur perception. Par exemple,
influence indépendante de la similarité génétique. sauf condition particulière, un signal de commu-
nication vert ne peut évoluer s’il doit s’exprimer
Effort de reproduction (reproductive effort). Quan-
dans un environnement où la couleur largement
tité de ressources investie par un individu dans la
dominante du fond visuel est le vert.
production de progéniture viable.
Équilibre de Nash (Nash equilibrium). Au sein de la
Égoïsme (selfishness). Comportement dont le béné-
théorie des jeux, situation d’équilibre entre les fré-
fice se rapporte uniquement à l’acteur (par oppo-
quences des différentes stratégies assurant un gain
sition à coopération ou altruisme).
identique à chaque joueur quelle que soit sa straté-
Émancipation (emancipation). Phase du développe- gie. Toute déviation unilatérale de l’équilibre d’un
ment des jeunes marquée par la fin des soins équilibre de Nash ne peut être que désavantageuse.
parentaux.
Espèce dichromatique (dichromatic species). Se dit
Emballement (processus d’) (runaway process). Pro- d’une espèce où mâles et femelles arborent des
cessus de co-évolution entre un trait phénotypi- couleurs différentes. Par extension, se dit des espèces
que chez un sexe et une préférence pour ce même où les mâles diffèrent des femelles sur un (ou plu-
trait chez le sexe opposé. Du fait que les descen- sieurs) trait(s) morphologique(s) (longueur et forme
dants héritent à la fois du trait choisi et de la pré- des phanères, etc.), par opposition à monochro-
férence pour ce trait, il en résulte une association matique où les sexes sont semblables en tout point.
entre ce qui est héritable dans le trait et ce qui est Dans ce cas on parle aussi de dimorphisme.
héritable dans la préférence, ce qui génère une Espèce monochromatique (monochromatic species).
rétroaction positive entre le trait et la préférence Voir Espèce dichromatique.
qui conduit à l’exagération du trait au-delà de la
valeur qu’il devrait avoir s’il n’était soumis qu’à la État (state).
sélection utilitaire. En communication, un état correspond à un signal
perceptible en permanence – e.g. les plumages colo-
Émergence (emergence). Voir propriété émergente. rés et les odeurs corporelles persistantes. Voir événe-
Émetteur (transmitter). Individu qui émet un signal. ment.
556 GLOSSAIRE
En modélisation dynamique, l’état correspond à Finalité apparente. Voir téléonomie.
un facteur interne à l’animal (satiété, réserve éner- Fonction objective (objective function). Fonction
gétique, réserve spermatique etc.) qui exerce une maximisée par un individu à travers ses choix.
influence sur sa prise de décision.
Fonction de coût (cost function). Fonction que devrait
Eusocialité (eusociality). Mode d’organisation sociale maximiser un individu de par ses choix pour
particulier, rencontré par exemple chez plusieurs maximiser son aptitude phénotypique. L’approche
hyménoptères sociaux et les termites. Il se caractérise adaptationniste considère que, sous l’effet de la
par l’existence de castes stériles assistant la repro- sélection naturelle, l’écart entre la fonction objec-
duction des autres individus du groupe social. tive et la fonction de coût est généralement faible.
Exigence ou sélectivité (choosiness). Tendance d’un Fréquence dépendance (frequency-dependence).
individu à sélectionner ses partenaires sexuels sur Caractérise une stratégie dont le bénéfice dépend
la base de caractères phénotypiques particuliers. de sa proportion dans la population. La fréquence
Exigeant (choosy). Se dit du sexe qui exerce une dépendance est positive lorsque le bénéfice aug-
sélection sur l’autre sexe. En général, ce sont les mente avec un accroissement de la proportion des
femelles qui exercent ce choix (sélectif ). individus utilisant cette stratégie. La fréquence
Expérience, expérimentation (experiment, experimen- dépendance est négative lorsque le bénéfice décroît
tation). Épreuve pratique consistant à manipuler avec une augmentation de la proportion d’utilisation
une composante d’un phénomène pour en préci- de la stratégie.
ser l’influence. Toute expérience doit comporter
un contrôle (ou témoin) servant de référence pour Gardiennage du partenaire (mate guarding).
mesurer les effets des manipulations effectuées. Tendance des individus d’un sexe (généralement les
Contrairement à une approche basée uniquement mâles) à maintenir une étroite proximité spatiale
sur des corrélations, l’approche expérimentale per- avec leur partenaire reproducteur, particulièrement
met de s’assurer que les effets observés résultent pendant sa période fertile. Dans le cas du gardiennage
uniquement de la manipulation effectuée. précopulatoire ou amplexus, les mâles tendent à
Exploitation (exploitation). demeurer à proximité ou même à s’accrocher tempo-
En rapport avec les ressources, se dit de l’acte rairement à une femelle jusqu’au moment où elle
d’utiliser une ressource. peut être fécondée. Une fois l’accouplement réalisé,
En rapport avec les autres, se dit d’un acte qui pro- le mâle cesse de garder la femelle. À l’inverse, dans
fite de l’effort investit par un autre individu. le cas du gardiennage postcopulatoire, le mâle reste
En communication, il s’agit de l’utilisation d’indi- un certain temps près de la femelle après l’accou-
ces ou de signaux par un récepteur extérieur au plement, ce qui a pour effet de limiter la capacité
détriment des acteurs. Voir indiscrétion. de la femelle à s’accoupler à nouveau et donc
Il peut aussi s’agir d’une relation sociale d’exploi- limite le risque de compétition spermatique.
tation dans la mesure où un individu tire profit de Génome (genome). Ensemble de l’information géné-
l’investissement ou l’effort d’un ou de plusieurs tique portée par un individu (Gouyon et al. 1997).
autres. C’est le cas notamment dans les relations Dans un sens restreint: ensemble des gènes formant
producteur-chapardeur. une unité fonctionnelle (génome mitochondrial,
Exploitation sensorielle (principe de l’) (sensory génome hérité d’une espèce ancestrale chez un
exploitation). Principe expliquant l’évolution ini- individu polyploïde, etc.).
tiale d’un signal à partir d’une correspondance Génotype (genotype). Composition allèlique du ou des
fortuite avec un biais sensoriel préexistant chez les loci étudiés chez un individu (Gouyon et al. 1997).
récepteurs. Goulot d’étranglement reproductif (reproductive
bottleneck). Période pendant laquelle un nombre
Facilitation sexuelle (sexual facilitation). Augmenta- très restreint d’individus peut participer à la repro-
tion de l’activité sexuelle et reproductive induite duction, ce qui tend à faire chuter la diversité
par la présence d’autres individus. génétique d’une population.
Facilitation sociale (social facilitation). Intensifica-
tion d’une activité induite par la présence d’indi- Habitat (habitat). Type de milieu présentant des
vidus de la même espèce engagés simultanément caractéristiques plus ou moins favorables à la repro-
dans la même activité. duction des organismes.
GLOSSAIRE 557
Handicap (principe du) (handicap principle). Principe Héritabilité (heritability). Pour un généticien, c’est la
visant à expliquer l’évolution de caractères extra- part de la variabilité interindividuelle dans l’expres-
vagants a priori désavantageux (comme par exemple sion d’un trait due à des différences génétiques.
la queue du paon) dans un contexte de communi- Comme il est quasiment impossible d’éliminer
cation. La pleine expression du trait ne peut se tous les effets non génétiques, l’héritabilité peut
produire que chez les individus de bonne qualité, être définie d’une manière plus utile en écologie
seuls capables d’en supporter le coût. Ces traits comportementale, en disant que c’est l’hérédité
constituent donc des signaux honnêtes de condi- des différences. Une telle définition est plus adap-
tion individuelle. Le coût élevé du trait scelle la tée à l’approche évolutionniste car ce qui compte
fiabilité du signal. pour la sélection naturelle, c’est la partie des diffé-
Handicap dépendant de la condition (condition- rences entre les individus qui est transmise d’une
dependent handicap). Handicap dont le degré d’expres- génération à l’autre. De plus, elle ne réduit pas la
sion augmente avec la condition de l’individu. Les transmission des caractères à la seule génétique en
mâles de plus faible condition ne développent pas, incluant l’hérédité culturelle.
ou très peu, le handicap, même s’ils possèdent Homogamie (homogamy). Désigne au sein d’une
l’allèle correspondant. (Autre terme employé: population une ressemblance (homogamie positive)
Handicap épistatique). ou une dissemblance (homogamie négative) entre
Handicap fixe (fixed handicap). Cas où la pleine partenaires sexuels significativement différente de ce
expression d’un handicap est codée par un seul qui serait attendu sous l’hypothèse d’un appariement
allèle. Les individus possédant cet allèle expriment aléatoire des individus.
tous le handicap, mais les individus de faible viabi- Homologie (homology). Rapport de ressemblance
lité sont plus pénalisés que ceux de forte viabilité. entre deux ou plusieurs espèces différentes attri-
L’action de la sélection augmente la proportion buable à leur parenté phylogénétique. Les traits de
des individus possédant une forte viabilité parmi deux ou plusieurs espèces sont dits homologues
ceux présentant le handicap et non chez les indivi- s’ils ont été hérités au départ d’un ancêtre com-
dus ne portant pas le handicap. En choisissant les mun puis se sont transformées dans des lignées
partenaires avec le handicap, les individus sélectifs séparées. À ce titre, l’aile des oiseaux, les nageoires
obtiennent plus souvent des «bons gènes» pour pectorales des poissons et les pattes antérieures des
leur descendance. Il n’existe donc aucune corrélation tétrapodes constituent des structures homologues
entre le degré de développement du handicap et la (opposé à analogue).
qualité des individus. Honnête (honest). Qualifie un signal qui véhicule
Handicap révélateur (revealing handicap). Cas dans une information fiable au sujet de l’état d’un indi-
lequel tous les individus développent le trait ini- vidu, de ses intentions, de son statut ou de sa qua-
tialement, quelle que soit leur qualité génétique. lité Voir handicap (principe du).
Mais au cours de la vie, l’ornement fonctionnant Horizon temporel (time horizon). Espace de temps
comme un handicap, il s’use et s’abîme en fonc- borné dont dispose un animal pour accomplir une
tion de la capacité des individus à le maintenir en activité donnée. La durée de l’horizon temporel
bonne condition. Les individus malades ou affaiblis dépend du contexte. Il peut varier de quelques
auront plus de mal à maintenir le handicap. La heures pour un prédateur diurne qui doit chaque
propension à tomber malade dépendant de la qua- jour acquérir une certaine quantité d’énergie avant
lité génétique, les individus qui choisissent leur la nuit, jusqu’à plusieurs semaines pour un indi-
partenaire sexuel en fonction de la qualité de vidu à la recherche d’un partenaire reproducteur
l’ornement obtiendront un bénéfice indirect sous en début de saison de reproduction.
forme de bons gènes pour leur progéniture. Hormone (hormone). Substance chimique fabriquée
Harem (harem). Forme particulière de polygynie dans par un organe appelé glande endocrine et qui, une
laquelle un mâle monopolise non pas un territoire fois libérée dans le sang, a un effet sur d’autres cel-
mais un groupe de femelles qu’il défend contre les lules de l’organisme, appelées cellules cibles. L’action
tentatives d’intrusion d’autres mâles. Le mâle et son de l’hormone sur les cellules cibles implique l’inter-
harem mènent généralement une existence noma- vention d’un récepteur spécifique de l’hormone
dique. en question.
558 GLOSSAIRE
Hybridation (hybridization). Croisement entre deux dans un contexte de communication, par opposition
espèces différentes. à signal.
Hypothèse (hypothesis). Proposition résultant d’une Indiscrétion (eavesdropping). Dans le contexte de la
observation ou d’une déduction logique dont la communication, comportement d’un récepteur
validité est soumise au contrôle de l’expérience. qui extrait de l’information à partir des signaux ou
L’hypothèse repose sur un certain nombre de pré- indices émis lors d’une interaction à laquelle il ne
supposés. participe pas.
Information (information). Contenu sémantique
Identique par filiation (identical by descent). Deux d’un signal ou d’un indice. L’information permet
gènes peuvent être identiques pour diverses raisons une réduction dans le niveau de l’incertitude de
liées à leur histoire. Ils sont dits identiques par filia- l’observateur au sujet d’un objet, d’une compo-
tion lorsqu’ils sont la copie du même gène ancestral sante de l’environnement, ou de l’état, de la qua-
récent. Par exemple, deux frères ont en moyenne lité ou des intentions d’un émetteur. La valeur de
50% de leurs gènes identiques par filiation car ils l’information réside dans le fait qu’elle permet de
résultent d’une copie des gènes de leur père ou de prédire l’aptitude de celui qui la détient dans telle
leur mère. La similarité des gènes entre les chim- ou telle alternative. On dit qu’un individu possède
panzés et les humains ne correspond pas à une plus d’information qu’un autre s’il a effectué plus
identité par filiation récente. de mesures indépendantes de la même grandeur
Imitation, Copiage (imitation, copying). Action consis- qu’un autre individu – ou observé le résultat de la
tant à reproduire le comportement ou le choix mesure effectuée par d’autres.
(habitat, partenaire sexuel) d’un autre individu Information courante (current information). Toute
d’imitation d’habitat. Intervient notamment dans information directement issue d’un événement
les processus d’apprentissage. d’échantillonnage. Tirer un as de cœur d’un jeu de
Imitation sexuelle (mate copying). Le fait qu’un carte dont la composition exacte est inconnue
individu naïf copie le choix de partenaire sexuel constitue une information courante.
d’un congénère Voir information publique. Information préalable (prior information). Informa-
Imitation d’habitat (habitat copying). Le fait qu’un tion à propos d’un environnement qui précède un
individu copie le choix d’habitat d’un autre indi- événement d’échantillonnage. Par exemple, le fait
vidu Voir information publique. de savoir que tous les jeux de cartes complets con-
tiennent quatre as est une information préalable.
Investissement parental (parental investment).
L’investissement parental est défini d’après les Information privée (private information). Par oppo-
conséquences des soins parentaux sur l’aptitude sition à information publique, désigne une infor-
des parents. La dépense qu’ils effectuent peut en mation dont dispose un individu mais qui n’est pas
effet avoir diverses conséquences pour leur survie disponible aux autres. Le goût d’un aliment, par
et leur reproduction, à court, moyen ou long terme. exemple, est une information privée.
L’investissement parental est donc défini comme Information publique (public information). Par oppo-
toute dépense parentale qui est bénéfique pour la sition à information privée, désigne une information
progéniture aux dépens des chances du parent de se au sujet de la qualité d’une ressource qui est acquise
reproduire dans l’avenir (Trivers 1972). Cet inves- à partir de la performance des congénères. Le nom-
tissement se mesure au travers des coûts de reproduc- bre de proies découvertes dans une parcelle peut être
tion. Voir soins parentaux et régime d’appariement. une information publique.
Immunocompétence (immunocompetence). Ensem- Intentionnalité (intentionality). Se dit d’un signal,
ble des capacités du système immunitaire d’un c’est-à-dire d’un comportement qui possède les
individu lui permettant de lutter contre des agents caractéristiques attendues d’un comportement
pathogènes extérieurs. En l’absence de précision, il dont la fonction adaptative est de communiquer.
s’agit d’un terme générique qui englobe les diverses À ne pas confondre avec l’intention consciente
composantes de l’immunité. d’un acteur.
Indice (cue). Désigne tout élément renseignant sur Intensité de la sélection (intensity of selection). Au sein
l’état d’un individu ou de l’environnement dont le d’une population donnée, différence entre la valeur
design n’a pas été façonné par la sélection naturelle moyenne d’un trait après et avant sélection divisée
GLOSSAIRE 559
par l’écart type de la distribution du trait dans la avec sa proie (ou son hôte) ou avec une autre espèce
population avant sélection. que la proie (ou l’hôte) ne juge pas dangereuse.
Interaction durable (intimate interaction). Toute Mimétisme müllérien: phénomène de conver-
interaction entre des individus d’espèces différentes gence morphologique au sein d’une communauté
qui se maintient dans le temps. Exemple: parasi- d’espèces vénéneuses ou toxiques d’origines phy-
tisme, mutualisme, symbiose, etc. logénétiques différentes. Voir aposématisme.
Intérêt (interest). Lié à la notion de bénéfice en ter- Mimétisme batésien: phénomène de convergence
mes d’aptitude phénotypique. au cours duquel l’apparence d’une espèce non
toxique et non vénéneuse rejoint celle d’une espèce
Isogamie (isogamy). Production de gamètes de taille
toxique ou vénéneuse avec laquelle elle vit en sym-
identique par les deux sexes.
patrie.
Itéropare (iteroparous). Qualifie une espèce dont les
individus se reproduisent plusieurs fois au cours Monogamie sociale (social monogamy). Régime
de leur vie (opposé à sémelpare). d’appariement consistant en l’association d’un seul
mâle avec une seul femelle au cours d’un ou plu-
Lek (lek). Agrégation des territoires de parade sieurs épisodes de reproduction et impliquant le
nuptiale des mâles (en règle générale, les territoires plus souvent un certain degré de coopération dans
ne possèdent aucune ressource susceptible d’inté- les soins parentaux. N’implique pas forcément
resser les femelles). Le terme désigne à la fois le une fidélité sexuelle entre partenaires.
lieu de l’agrégation et le régime de reproduction Monogamie génétique (ou monogamie stricte) (gene-
correspondant. tic monogamy). Régime monogame accompagné
Lek caché (hypothèse du) (hidden lek). Chez certaines d’une fidélité sexuelle absolue entre partenaires.
espèces socialement monogames, arènes situées au Motivation (motivation). Disposition à manifester un
sein des colonies où se déroulent des copulations comportement sous l’effet de l’interaction entre
hors couple. Le lek est alors «caché» derrière la des mécanismes internes (physiologie, hormones,
monogamie sociale. Par extension, l’intérêt d’avoir horloge interne, etc.) et des déclencheurs externes
accès à des copulations hors couple a été invoqué (événement climatique, luminosité, présence de
pour expliquer la genèse d’agrégations de couples nourriture, présence d’un partenaire sexuel).
reproducteurs.
Mutualisme (mutualism). Forme d’interaction durable
Manipulation (manipulation). Altération du phéno- assurant un bénéfice net aux deux protagonistes.
type d’un hôte induite par un parasite et résultant Le terme «symbiose», souvent utilisé en lieu et
en une augmentation de l’aptitude du parasite aux place du terme mutualisme, est plus approprié
dépens de celle de l’hôte. pour désigner des interactions mutualistes obliga-
Mensonge (lie). Voir tromperie. toires où les protagonistes ne peuvent survivre l’un
sans l’autre.
Métapopulation (metapopulation). Ensemble de
populations plus ou moins connectées entre elles Néodarwinisme (neodarwinism). Synthèse concep-
par la dispersion, soumises à extinction récurrente tuelle amorcée au milieu du XXe siècle consistant à
et pouvant être colonisées par des propagules incorporer au sein de la théorie initialement
venant d’autres populations appartenant à cette formulée de Darwin les données modernes de la
métapopulation. Voir population. génétique, de la biologie du développement, de la
Migration (migration). Mouvement aller-retour d’ani- paléontologie et de la systématique; aussi appelée
maux entre une zone de reproduction et une zone Nouvelle Synthèse.
d’hivernage. Désigne en génétique des populations le
Nidicole (altricial). Se dit de poussins présentant une
flux de gènes entre sous-populations d’une même
longue phase de dépendance au nid, par opposi-
métapopulation.
tion aux poussins précoces ou nidifuges qui, eux,
Mimétisme (mimicry). Phénomène de convergence quittent le nid rapidement après l’éclosion.
évolutive augmentant la ressemblance entre (a) un
individu et le substrat sur lequel il vit et (b) un indi- Nidifuge (precocial). Voir Nidicole.
vidu et les membres d’une autre espèce. Mimétisme Norme de réaction (reaction norm). Ensemble des
agressif: forme de similarité par laquelle un préda- phénotypes pouvant être obtenus à partir d’un seul
teur (ou un parasite) bénéficie de sa ressemblance génotype dans une gamme d’environnements.
560 GLOSSAIRE
L’étendue de la norme de réaction illustre la plasti- dont elle réduit la viabilité. Voir interaction durable.
cité phénotypique. L’essentiel du cycle de vie du parasite se déroule en
général en liaison étroite avec un hôte, qui, en
Œstrus (œstrus). Période de réceptivité et de fécon- quelque sorte, fournit à lui tout seul le gîte et le
dité des femelles chez les mammifères. couvert. On distingue les endoparasites qui vivent
Ontogenèse (ontogeny). Ensemble des processus de à l’intérieur de l’hôte des ectoparasites qui se
développement et de maturation du comportement logent à la surface du corps de l’hôte.
prenant place au cours du développement post- Parasitisme de ponte (brood parasitism). Stratégie de
embryonnaire et se poursuivant éventuellement reproduction qui consiste à pondre ses œufs dans
jusqu’à l’atteinte de la maturité. le nid d’un hôte non apparenté afin d’en exploiter
Optimal (optimal). Qualifie l’option comportemen- les soins parentaux. Peut être intra- ou interspéci-
tale la plus favorable en termes de maximisation fique.
de l’aptitude phénotypique. Parasitoïde (parasitoid). Insectes parasites dont le
Optimalité simple (simple optimality). Approche stade larvaire se développe à l’intérieur d’un hôte
formelle visant à identifier l’option comportementale dont il exploite les ressources. L’émergence de
la plus favorable en termes de maximisation de l’adulte hors de l’hôte implique généralement la
l’aptitude phénotypique. S’applique aux cas où les mort de ce dernier.
bénéfices d’une stratégie ne dépendent pas de sa fré- Parcelle (patch). Zone homogène contenant des
quence dans la population. Voir théorie des jeux. ressources (ou portion d’habitat) dont les limites
Optimisation (principe d’) (optimisation). Principe physiques sont accessibles, et qui est séparée de
qui consiste à considérer que les traits phénotypiques zones semblables par des espaces où la disponibilité
tendent sous l’effet de la sélection naturelle vers des des ressources (ou l’habitat) est moins favorable.
valeurs optimales en terme de maximisation de Le concept de distribution parcellaire (patchy dis-
l’aptitude phénotypique. Ce principe est utilisé tribution) renvoie à un environnement hétérogène
pour générer des prédictions qui peuvent ensuite discret au sein duquel les ressources sont concentrées
être éprouvées expérimentalement. dans différentes parcelles.
Ornement (ornament). Caractère sexuel secondaire Partage d’information (information sharing).
ayant évolué à travers un processus de sélection L’information est dite «partagée» au sein d’un
intersexuelle. S’oppose à armement. groupe quand tous ses membres possèdent la
même information à propos d’une ressource. Voir
Paradoxe du lek (lek paradox). Le concept de lek information publique et dissimulabilité.
présuppose qu’il existe une hétérogénéité généti-
que des mâles dans la population et que les mâles Patron (pattern). Configuration, aspect d’ensemble
sélectionnent les mâles de meilleure qualité. Or, si d’un phénomène. Un patron est généré par un
l’accès des mâles à l’accouplement dépend de leur processus, mais il est la plupart du temps difficile,
qualité génétique, les meilleurs gènes devraient voir impossible, d’inférer les processus à partir des
augmenter en fréquence dans la population au fil patrons, car différents processus peuvent conduire
des générations jusqu’à fixation. À ce stade, tous au même patron (pattern).
les mâles sont devenus équivalents d’un point de Performance (performance). Niveau de réalisation
vue génétique et il n’existe plus aucune pression de d’une activité. Voir disposition.
sélection pour maintenir le lek. La solution de ce Période de réceptivité (receptive period). Période
paradoxe est à rechercher dans les mécanismes qui pendant laquelle un individu est physiologique-
maintiennent l’hétérogénéité génétique des mâles. ment disposé à s’accoupler. À l’inverse, on parle de
(paradoxe des bons gènes). période de non-réceptivité ou période réfractaire
Paradoxe du grégarisme (aggregation paradox). Para- (non-receptive period ou time out) pour désigner
doxe résultant du fait que l’avantage sélectif d’être l’intervalle pendant laquelle un individu n’est
en groupe conduit la taille du groupe à croître physiologiquement pas disposé à s’accoupler.
jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’avantage à être en Phénotype (phenotype). Caractéristiques d’un orga-
groupe. nisme qui résultent de l’interaction entre son
Parasite (parasite). Espèce dont l’existence dépend génotype et l’influence de l’environnement dans
étroitement de son association avec une autre espèce lequel il s’est développé. Voir phénotype étendu.
GLOSSAIRE 561
Phénotype étendu (extended phenotype). Manifesta- Prédateur (predator). Organisme se nourrissant de
tion du phénotype d’un organisme à l’extérieur de proies animales (prédateur carnivore) ou végétales
son propre corps. Ainsi les termitières, les nids (prédateur herbivore).
d’oiseaux et les toiles d’araignées sont des phéno- Prédiction (prediction). Résultat prédit par une hypo-
types étendus. Au sein d’une interaction hôte- thèse (ou une théorie). Une prédiction n’a de valeur
parasite, le génotype du parasite est souvent capable que dans la mesure où l’on peut la tester, c’est-à-
de prolonger son expression dans le phénotype de dire chercher à la mettre en défaut, et si elle per-
l’hôte, à travers diverses altérations physiologiques. met de différencier clairement deux hypothèses
Voir manipulation. (ou théories).
Phéromone (pheromone). Molécules sécrétées vers Préférence de compatibilité (compatibility prefer-ence).
l’extérieur de l’organisme par des glandes exocrines, Préférence d’un partenaire sexuel fondé sur sa
et qui facilitent la communication entre individus. compatibilité avec l’individu qui le choisit.
Celles qui sont détectées entre espèces sont les
substances allélochimiques, réparties entre allomones Préférence directionnelle (directional preference).
ou allohormones qui bénéficient à l’émetteur, et Lors du choix d’un partenaire, préférence systé-
kairomones qui bénéficient au récepteur. matique en faveur d’une certaine direction dans la
gamme de variation d’un trait (préférence pour les
Pigment (pigment). Molécule qui, en absorbant cer-
individus plus grands, plus vieux, etc.).
taines longueurs d’ondes du spectre visible et en
transmettant les autres, est à la base des couleurs. Préférence partielle (partial preference). Désigne
dans le contexte du modèle du régime optimal, la
Plasticité phénotypique (phenotypic plasticity). Capa-
consommation occasionnelle de proies non profi-
cité d’un génotype donné à produire différents
tables.
phénotypes selon l’environnement dans lequel il
s’exprime. Voir norme de réaction. Prestige social (prestige). Voir réciprocité indirecte.
Pléiotropie (pleiotropy). Capacité d’un seul et même Présupposé (assumption). Condition implicite accom-
gène à influencer différents caractères phénotypiques pagnant une hypothèse ou un modèle. À ne pas
fonctionnellement indépendants. confondre avec l’hypothèse elle-même. Contraire-
ment à un postulat, un présupposé peut être remis
Polyandrie (polyandry). Régime de reproduction
en cause. Le terme de «prémisse» est équivalent à
consistant en l’association d’une femelle avec plu-
présupposé, mais nous avons préféré ce dernier
sieurs mâles au cours d’une saison de reproduc-
dans la mesure où son étymologie correspond
tion. Dans la plupart des cas, les mâles assurent
exactement au concept: supposition faite a priori
alors l’essentiel des soins parentaux.
(postulat, prémisse).
Polygénique (polygenic). Qualifie un trait phénoty-
Prévalence (prevalence). Rapport du nombre de cas
pique dont le déterminisme génétique implique
plusieurs gènes. constatés pour un phénomène à l’effectif d’une
population donnée. La prévalence d’un parasite
Polygynie (polygyny). Régime de reproduction carac- dans une population donnée correspond à la pro-
térisé par la reproduction d’un mâle avec plusieurs portion d’individus infectés.
femelles, alors que chaque femelle ne se reproduit
qu’avec un seul mâle. Au cours d’une même saison Prévisibilité (predictability). Une quantité est prévi-
de reproduction, un mâle peut s’associer avec plu- sible dans le temps (ou dans l’espace), si sa mesure
sieurs femelles simultanément (polygynie simulta- à un instant (lieu) donné permet de prédire, avec
née) ou successivement (polygynie séquentielle). une certaine marge d’erreur, sa valeur à n pas de
Au sein des régimes polygynes, les soins parentaux temps plus tard (à une distance n). La prévisibilité
sont généralement assurés par les femelles. est mesurée par le coefficient d’autocorrélation
qui peut varier de –1 à 1.
Population (population). Groupe d’individus ayant
une plus forte probabilité de se reproduire entre Principe du handicap. Voir handicap.
eux qu’avec d’autres individus de la même espèce. Processus (process). Un ensemble de phénomènes
Population viable (viable population). Taille mini- reliés dans une chaîne causale. Voir aussi patron.
male d’une population permettant d’en assurer la Processus d’emballement (runaway process). Voir
pérennité. Voir viabilité. emballement.
562 GLOSSAIRE
Profitabilité (profitability). Rapport entre le contenu Renforcement (processus de) (reinforcement).
énergétique d’une proie et son temps de manipu- Dans le contexte de l’évolution, suite à une diver-
lation incluant l’ingestion. gence allopatrique entre deux populations, la
Proie (prey). Organisme vivant (animal ou végétal) moindre viabilité des hybrides conduit à un ren-
dévoré par un animal, le prédateur. forcement des caractères reproductifs, menant à
l’accentuation des différences entre les deux for-
Promiscuité sexuelle (promiscuity). Régime de repro- mes dans les zones de contact. Pendant ce proces-
duction au sein duquel au cours d’une même saison sus de renforcement, il existe toujours des flux de
de reproduction, à la fois les mâles et les femelles gènes entre populations car l’isolement n’est pas
s’accouplent avec plusieurs partenaires. complet quand les populations en cours de diver-
Propriété émergente (emergent property). Propriété gence rentrent en contact. La divergence se renforce
d’un ensemble qui ne peut être déduite des pro- par l’effet d’une sélection en défaveur des hybri-
priétés individuelles de ses constituants. des. Voir déplacement de caractère reproductif et
Prospection (prospecting). Action consistant à visiter divergence allopatrique et sympatrique).
des sites sans en exploiter directement la ressource Dans le contexte de l’apprentissage, le terme ren-
principale. Un prospecteur est par exemple un forcement fait référence à l’effet que peut avoir la
individu présent sur un site de reproduction poten- conséquence d’un geste sur la probabilité qu’il soit
tiel de son espèce dans lequel il ne se reproduit pas répété. Le renforcement peut être positif, s’il aug-
pendant la saison en cours. mente la probabilité de répétition; ou négatif, s’il
diminue cette même probabilité.
Protocole (experimental design). Plan réglant l’organi-
sation d’une expérience, ou d’une prise de données Régime d’appariement (ou régime de reproduction)
sur le terrain. (mating system). Ce terme désigne tout à la fois la
manière dont les individus d’une espèce ou d’une
Proximal (proximate). Qui se rapporte aux causes population ont accès à leurs partenaires reproduc-
immédiates (physiologiques et neurologiques) des teurs, le nombre de partenaires sexuels avec qui ils
comportements. Opposé à ultime. interagissent au sein d’une saison de reproduction,
la durée des liens sociaux entre partenaires repro-
Qualité d’un environnement (habitat suitability). ducteurs, et l’implication relative de chaque sexe
La qualité d’un environnement se définit comme dans les soins parentaux.
l’espérance de l’aptitude des individus s’y instal-
Règle du bilan énergétique (energy budget rule). Dans
lant. Cette qualité comporte deux composantes:
le contexte de l’approvisionnement, il s’agit de la
la qualité intrinsèque de l’habitat (habitat quality)
règle selon laquelle un animal qui est en déficit
qui correspond à l’aptitude attendue en l’absence
énergétique devrait être enclin au risque alors que
d’autres congénères, et l’environnement social qui
lorsque le budget est largement positif il devrait
fait intervenir toutes les interactions entre congé-
être aversif au risque.
nères, qu’elles soient positives (effets Allee) ou
négatives (compétition). Repasse (play back). Se dit d’expériences dans les-
quelles on repasse dans la nature un enregistre-
Récepteur (receptor). Voir émetteur. ment de sons d’une espèce de façon à en extraire
des informations sur l’espèce concernée (capture
Réciprocité indirecte (indirect reciprocity). Selon la au filet, territorialité, agressivité, etc.).
théorie du prestige social, qui constitue une exten-
sion du principe du handicap, l’acte altruiste peut Réplication (replicator). Toute entité capable de
être vu, de par le coût qu’il implique, comme un répliquer. Désigne principalement les gènes.
signal honnête de qualité individuelle. De ce fait, Réplication (replication).
à travers leurs actes altruistes, les individus peu- Sens statistique: répétition d’un traitement expé-
vent acquérir un prestige social qui a pour effet rimental sur un nouveau groupe de sujets ou
d’augmenter la probabilité de bénéficier eux-mêmes d’une analyse corrélationnelle sur un nouveau jeu
d’un acte altruiste dans le futur. La réciprocité est de données.
indirecte dans la mesure où ce ne sont pas néces- Sens biologique: processus par lequel un gène
sairement les mêmes individus qui reçoivent les génère une copie de lui-même.
bénéfices de l’acte altruiste initial et qui se montrent Réponse à la sélection (selective response). Le fait
altruistes par la suite. Voir prestige social. qu’une forte pression de sélection se traduit ou
GLOSSAIRE 563
non en des variations de fréquences de gènes dans du fait qu’elle est arbitrée par les choix effectués
la population. par les individus de sexe opposé. Voir ornement.
Reproduction communautaire (cooperative breed- Sélection naturelle (natural selection). Processus de tri
ing). Désigne un mode particulier d’organisation entre variants phénotypiques en fonction de leurs
sociale au sein de laquelle des individus non repro- capacités à survivre et à produire une descendance
ducteurs assistent d’autres individus du groupe à féconde. Le processus de sélection naturelle ne peut
se reproduire, notamment en prodiguant des soins s’enclencher que lorsque trois conditions sont simul-
à la progéniture. tanément remplies: (a) l’existence d’une variation
sur un trait; (b) l’existence d’une variation concomi-
Réseau de communication (communication network).
tante au trait en terme d’aptitude phénotypique;
Voir communication.
(c) l’existence d’une héritabilité du trait. La réponse
Ressource (resource). Élément d’origine biotique ou à la sélection consiste en un changement des fré-
abiotique présent dans l’environnement en quan- quences alléliques à l’intérieur d’une génération
tité limitée et dont l’exploitation contribue à aug- ou entre deux générations. Le processus de sélec-
menter l’aptitude phénotypique des individus tion naturelle sous-tend l’adaptation des organis-
d’une population. mes au milieu. On distingue couramment deux
Ressource limitante (limiting factor). La principale sous-processus: la sélection utilitaire et la sélection
ressource qui limite l’accroissement d’une popula- sexuelle.
tion. Voir capacité de charge. Sélection sexuelle (sexual selection). Processus de tri
Retour sur investissement (fitness return, fitness pay- entre variants phénotypiques en vertu de leur accès
off per unit of investment). Augmentation de l’apti- différentiel aux partenaires sexuels. La sélection
tude phénotypique résultant de l’investissement sexuelle est invoquée pour expliquer l’évolution des
dans une activité donnée. caractères sexuels secondaires.
Sélection sexuelle par course-poursuite (chase-away
Rétroaction (feed back). Action en retour d’un pro-
sexual selection). Processus en boucle répétitive par
cessus sur la cause (ou une des causes) de son
lequel l’évolution des traits mâles et de la préfé-
déclenchement. Une rétroaction peut être positive
rence des femelles co-évoluent en permanence par
ou négative.
exploitation sensorielle et par résistance des femelles
à ces stimuli: si un trait auquel les femelles sont
Sélection de parentèle (kin selection). Processus de
sensibles apparaît chez des mâles, par mutation
sélection s’exerçant en vertu des conséquences du
par exemple, ceux-ci sont préférés par les femelles.
comportement d’un individu sur la survie et/ou la
Cependant, il y a peu de chances pour que l’appa-
reproduction d’autres individus qui lui sont géné-
rition de ce trait soit liée à la qualité génétique des
tiquement proches. Voir Aptitude inclusive.
mâles. De ce fait, les femelles en choisissant des
Sélection diversifiante (diversifying selection). Pres- mâles ayant le trait en question ne choisissent pas
sion de sélection favorisant au sein d’une popula- les meilleurs mâles et leur aptitude diminue. Cela
tion les phénotypes les plus extrêmes. La sélection crée une pression de sélection en faveur des femelles
diversifiante tend à augmenter la variance de la qui ignorent ce trait (ces femelles sont dites résis-
distribution d’un trait dans une population. tantes à ce trait). Cela diminue l’attractivité des
Sélection intrasexuelle (intrasexual selection). Sélec- mâles chez qui la sélection va alors continuer à
tion d’un caractère en vertu de l’avantage qu’il exagérer le trait en question.
procure lors d’une compétition directe entre indi- Sélection utilitaire (utilitarian selection). Processus
vidus d’un même sexe pour accéder aux gamètes de tri entre variants phénotypiques en vertu de leur
de l’autre sexe. Cette compétition directe peut capacité différentielle à survivre et être fécond (indé-
s’effectuer par exploitation ou par interférence. pendamment de l’accès aux partenaires sexuels).
Voir armement. Sémelpare (semelparous). Espèce dont les individus
Sélection intersexuelle (intersexual selection). Sélec- se reproduisent une seule fois au cours de leur vie,
tion d’un caractère en vertu de l’avantage qu’il généralement de manière massive.
procure lors d’une compétition indirecte entre Sex-ratio (sex-ratio). Rapport numérique du nombre
individus d’un même sexe pour accéder aux gamètes de mâles et de femelle. Peut être définie au niveau
de l’autre sexe. Cette compétition est dite indirecte d’une population, ou au niveau de la progéniture
564 GLOSSAIRE
d’un seul individu. Généralement mesurée par le Stratégie évolutivement stable/SES (evolutionarily
nombre de mâle divisé par le nombre de femelles. stable strategy/ESS). Stratégie qui une fois installée
Sex-ratio opérationnelle (operational sex-ratio). La dans une population ne peut être envahie par aucune
sex-ratio effective au moment de la reproduction, autre stratégie et de ce fait correspond à une stabilité
c’est-à-dire le rapport numérique du nombre de évolutive.
mâles au nombre de femelles disponibles pour la Succès reproductif total sur l’ensemble de la vie (life-
reproduction à un moment donné. time reproductive success – LRS). Mesure du succès
Signal (signal). Tout trait ou comportement dont la global d’un individu calculé d’après le nombre total
fonction adaptative est de transmettre une infor- de descendants produits sur l’ensemble de sa vie.
mation. Symbiose (symbiosis). Le terme «symbiose» désigne
Socialité (sociality). Tendance des organismes à vivre un mutualisme impliquant des interactions mutua-
en groupe avec leurs congénères. listes hautement spécialisées entre partenaires qui
ne peuvent survivre l’un sans l’autre.
Société (society). Association d’individus d’une même
espèce présentant une structuration particulière et Taille efficace (effective population size). Effectif d’une
un certain degré de coordination des activités de population mesuré en terme d’individus impliqués
ses membres. dans la reproduction.
Sociobiologie (sociobiology). Branche de l’écologie Taux de rencontre (encounter rate). Correspond au
comportementale qui s’intéresse plus particulière- sein des modèles d’approvisionnement à la cadence
ment aux bases biologiques du comportement de rencontre avec un type de proie donné dans
social dans une perspective adaptationniste. l’environnement.
Soins parentaux (parental care). N’importe quelle Taux potentiel de reproduction (potential repro-
manifestation du comportement parental suscep- ductive rate). Nombre maximum de descendants
tible d’augmenter l’aptitude de la progéniture. Les indépendants que les parents peuvent produire
soins parentaux incluent au sens large la prépara- par unité de temps. Cette variable contribue direc-
tion des nids et des terriers, la production d’œufs tement à déterminer dans quelle direction s’opère
garnis de substances de réserve, les soins apportés le processus de sélection sexuelle.
aux œufs et aux jeunes à la fois à l’intérieur et à Téléonomie (teleonomy). Interprétation du but appa-
l’extérieur du corps du géniteur, l’alimentation des rent d’un comportement ou d’un trait comme la
jeunes avant et après la naissance, et les soins éven- conséquence d’un processus de sélection naturelle
tuellement apportés après l’indépendance nutri- (par opposition à l’invocation de causes finales ou
tionnelle des jeunes. téléologie).
Source-puits (source-sink). Métapopulation dans la- Temps de trajet (travel time). Au sein des modèles
quelle certaines populations sont excédentaires d’approvisionnement, temps que passe un animal à
(celles qui ont un taux d’accroissement intrinsèque se déplacer entre les parcelles successives qu’il visite.
supérieur à 1) et d’autres sont déficitaires (celles Dans le cas de l’approvisionnement centralisé,
qui ont un taux d’accroissement intrinsèque infé- correspond au temps de trajet aller-retour entre le
rieur à 1). lieu central et la parcelle exploitée.
Les puits ne se maintiennent donc que par l’arrivée
Théorie des bons gènes (good genes theory). Théorie
d’individus en provenance des populations sources.
selon laquelle les femelles sont capables de discri-
Stabilité évolutive (evolutionary stability). État d’une miner les partenaires sexuels en fonction de leur
population qui ne peut plus évoluer. À ce stade, qualité génétique (voir handicap).
toute perturbation qui éloigne la population du
Théorie des jeux (game theory). Approche théorique
point de stabilité évolutive induit des forces sélec-
développée dans les sciences économiques et qui
tives qui ramènent la population vers ce point.
sert à déterminer la stratégie optimale dans le con-
Stochasticité démographique (demographic stochas- texte d’une interaction sociale. En écologie com-
ticity). Fluctuation aléatoire du niveau d’une popu- portementale, la théorie évolutive des jeux se
lation, ou de ses paramètres démographiques. différencie de l’optimalité simple de deux façons:
Stratégie (strategy). Ensemble structuré de compor- (a) le principe de solution repose sur la recherche
tements ou de règles de décision ayant évolué par d’une stabilité évolutive au lieu d’un principe de
sélection naturelle. maximisation de l’aptitude; (b) le bénéfice d’une
GLOSSAIRE 565
stratégie dépend des stratégies adoptées par les qui résulte de la tentative de chaque individu de
autres individus dans la population. Voir optimi- s’abriter des attaques des prédateurs en cherchant
sation et stratégie évolutivement stable. à se placer au centre du groupe.
Transition majeure en évolution (major transition in
evolution). Étape de l’histoire du vivant correspon- Ultime (ultimate). En référence aux interprétations
dant à l’apparition d’un nouveau niveau de com- adaptatives et évolutives du comportement, opposé
plexité au sein de l’organisation du vivant. Par à proximal.
exemple, l’apparition des organismes pluricellulaires.
Valeur d’utilité (utility value). En microéconomie, le
Transmission horizontale (horizontal transmission).
comportement des consommateurs est souvent
Transmission culturelle d’un comportement entre
envisagé comme un processus de choix au sein
individus de la même génération. Le même terme
duquel une certaine valeur est maximisée. Les
est utilisé pour décrire la transmission d’un para-
consommateurs sont censés se conduire comme
site d’un individu hôte à un autre qui s’effectue
des agents rationnels en persistant dans leurs choix
(a) par contact entre les deux individus, (b) suite à la
lorsqu’ils font face de manière répétée aux mêmes
consommation de l’individu infecté par un indi-
alternatives. Les différentes options peuvent alors
vidu sain, (c) à travers un insecte vecteur, ou encore
être classées selon un ordre de grandeur et le choix
(d) suite à l’émission hors de l’hôte infecté de pro-
s’effectue selon un principe de maximisation. En
pagules, produits par reproduction sexuée ou
économie, la valeur qui est maximisée par les
asexuée, qui pénètrent à l’intérieur d’un nouvel hôte.
consommateurs dans leurs choix est appelée valeur
Transmission verticale (vertical transmission). Trans- d’utilité. La notion de valeur d’utilité est rempla-
mission culturelle intergénérationnelle, générale- cée en biologie évolutive par la notion d’aptitude
ment entre les parents et leur progéniture. Le même phénotypique.
terme est utilisé pour décrire la transmission trans-
ovarienne d’un parasite. Valeur intrinsèque (intrinsic value or basic suitability).
Dans le contexte de l’approvisionnement, valeur d’un
Transfert d’information (information transfer). habitat lorsque la densité de ses habitants approche
Voir partage d’information. de zéro. De même, dans le contexte de la sélection
Tromperie, tricherie (deceit, cheating). Production de l’habitat de reproduction, succès de reproduc-
d’une information non fiable servant à manipuler tion attendu lorsque la densité tend vers zéro.
le comportement d’un autre individu. Se produit
Valeur sélective (genotypic fitness). Mesure, absolue
dans divers domaines.
ou relative, du succès d’un génotype au sein d’une
Relations sociales. Il y a tromperie quand un des
population donnée, apprécié d’après sa variation
partenaires d’une interaction sociale applique une
de fréquence entre deux générations (valeur adap-
stratégie qui vise à leurrer son partenaire à ses dépens.
tative). Voir aptitude.
Communication. Il y a tromperie ou tricherie
quand l’information émise ne correspond pas à la Viabilité (viability). Capacité d’une population, ou
réalité. La tromperie peut impliquer le mensonge: d’une stratégie ou d’un phénotype à se maintenir
– une fausse information émise vers un récepteur dans le temps. Les études de viabilité sont particu-
confronté à quelques alternatives incompatibles. lièrement importantes en biologie de la conserva-
C’est le cas lors de l’émission d’une fausse alerte; tion.
– la rétention d’information, ou le fait de cacher Viscosité (viscosity). Ce dit d’un environnement
la vérité au récepteur (Ai-je trouvé ou non de la pour traduire la difficulté pour un individu de s’y
nourriture?). déplacer.
– le bluff (ou exagération);
Voie quasi sociale et parasociale. L’évolution de la
– des atténuateurs.
vie en groupe par la voie parasociale survient
Tropisme (tropism). Chez les végétaux: il s’agit de comme la conséquence de décisions individuelles
phénomènes de croissance orientée sous l’influence de vivre ensemble; celle par la voie quasi sociale
d’une stimulation extérieure. Chez les animaux: implique le fait que les parents gardent les petits
les mouvements d’orientation. avec eux pour former des groupes, ce qui mène à
Troupeau égoïste (selfish herd). Dynamique de groupe terme à l’évolution de sociétés.
566 GLOSSAIRE
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Index alphabétique
Étienne Danchin
Luc-Alain Giraldeau
Frank Cézilly
ÉCOLOGIE
COMPORTEMENTALE
Rédigé par les meilleurs spécialistes, sous la direction de Étienne ÉTIENNE DANCHIN
est directeur de
Danchin, Luc-Alain Giraldeau et Frank Cézilly, ce livre s’adresse aux recherches au CNRS.
étudiants en Master de Sciences de la Vie, ainsi qu’aux candidats aux
concours de l’enseignement, CAPES et agrégation de Sciences de la
LUC-ALAIN GIRALDEAU
Vie et de la Terre. est professeur à
l’Université du Québec à
Montréal.
L’écologie comportementale est née de la nécessité de bien comprendre
la façon dont fonctionne l’évolution pour produire l’incroyable diversité
FRANK CÉZILLY
des formes du vivant.
est professeur à
l’Université de
Bourgogne.
Cet ouvrage présente d’abord l’écologie comportementale dans son
histoire, ses concepts et ses méthodes. Il est ensuite organisé autour
des grandes décisions que l’individu doit prendre au cours de sa vie :
choisir un habitat de vie pour exploiter les ressources, choisir un
partenaire, s’apparier, vivre en groupe ou isolément, coopérer, se
défendre, communiquer… Il traite enfin des applications et des
implications de l’écologie comportementale pour les activités humaines. MATHÉMATIQUES
réflexion.
CHIMIE
L’ouvrage offre aussi :
• le premier glossaire bilingue d’écologie comportementale jamais SCIENCES DE L’INGÉNIEUR
SCIENCES DE LA TERRE
1 2 3 4 5 6 7 8
6435200
ISBN 978-2-10-005499-2 www.dunod.com