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DÉBATS • LIVRES
A
plusieurs axes, une
trame complexe et
une forme
narrative que l’on Article réservé aux abonnés
peut qualifier de postmoderne. Voire de comédie burlesque. Les deux parties relatives à la
révélation et à la conquête de La Mecque par les musulmans, intitulées « Mahound » et « Jahilia »,
sont structurées comme un rêve que fait l’un des principaux personnages, dont le nom renvoie
explicitement à l’archange Gabriel du Nouveau Testament et du Coran : Gibreel Farishta.
Lire aussi : Le romancier Salman Rushdie, cible d’une fatwa depuis 33 ans, victime d’une attaque
au couteau
Le roman raconte les aventures quelque peu rocambolesques de ce personnage qui, orphelin comme
Mahomet, devient une star du cinéma indien et de son alter ego, Saladin Chamcha. Celui-ci est le fils
d’un homme d’a!aires fortuné de Bombay qui porte un regard rationnel sur l’islam et n’en suit pas
toutes les règles qui lui paraissent trop contraignantes. Il envoie Saladin en Angleterre pour qu’il fasse
des études et s’intègre dans la société occidentale. Saladin épouse Pamela, une Anglaise, mais ne renie
pas pour autant sa culture et ses racines.
Les Versets sataniques est donc un roman sur l’exil et l’identité. Sur l’amour aussi, et pas seulement
platonique. L’érotisme est l’un des axes du récit. Mais c’est surtout un roman sur Londres, métropole
cosmopolite et accueillante qui fascine les anciens colonisés. L’auteur excelle dans les descriptions de
la capitale du Royaume-Uni, Babylone de la modernité, et le lecteur y découvre le passé et le présent
d’une ville énigmatique qui accueille les migrants tout en les marginalisant.
L’itinéraire de Saladin ressemble à celui de Salman Rushdie, si l’on en croit son autobiographie, Joseph
Anton. Le conflit entre le père et le fils est d’ordre religieux dans le roman, tandis que dans
l’autobiographie il est plutôt question d’admiration. Devenu athée, Saladin se révolte contre son père,
qui découvre, en vieillissant, sa vocation spirituelle.
Ce n’est peut-être pas le moment de faire une analyse littéraire approfondie du roman, inspiré
également du récit de Tabari (839-923), auteur d’Histoire des prophètes et des rois, la seule source qui
révèle l’existence des versets dits « sataniques » dans le Coran à propos de Lat, Uzza et Manat, les
déesses préislamiques de la Kaaba, alors que son auteur se bat contre la mort. J’espère que le grand
romancier survivra pour écrire encore de belles histoires. Et qu’il se battra, comme il l’a toujours fait,
pour la liberté d’expression. Car, comme chacun sait, il n y a pas de création sans liberté. Au nom de
celle-ci et en tant que romancier, et notamment en tant qu’auteur des Filles d’Allah, qui a été poursuivi
en justice pour blasphème et soutenu par Rushdie, je défendrai le recours à la fiction pour parler
notamment du Prophète de l’islam sans me soucier du fait que le considérer comme un personnage
de roman le désacraliserait.
Les passages du roman de Rushdie relatifs à Mohamet sont en fait une transposition du texte de
Tabari, un détournement de la biographie du Prophète et non son imitation, ni sa répétition. Il faut
admettre qu’un romancier, en puisant dans les récits historiques ou religieux, a le droit de créer des
personnages, y compris des prophètes pour en faire des protagonistes d’une parodie, voire d’une
farce burlesque. C’est ce qu’a fait Salman Rushdie et rien d’autre. Je lui laisse la parole pour faire la
part des choses et se défendre :
Privilège abonnés
« Peut-être seront-ils aussi d’accord pour reconnaître que le tapage fait autour des Versets sataniques
n’avait au fond qu’un but : savoir qui devrait détenir le pouvoir sur le grand récit, l’Histoire de l’Islam, et
que ce pouvoir doit appartenir en part égale à tout le monde. Que, même si mon roman n’en avait pas la
compétence, il représentait une tentative, qui n’était pas moins importante, de raconter à nouveau
l’Histoire. »
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