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Le fleuve de l’oubli
Par Emilie TAIEB

📖 Texte: Le fleuve d’oubli


Lors donc que toutes les âmes eurent choisi leur vie, elles s'avancèrent vers
Lachésis dans l'ordre qui leur avait été fixé par le sort. Celle-ci donna à chacune le
génie qu'elle avait préféré, pour lui servir de gardien pendant l'existence et
accomplir sa destinée. Le génie la conduisait d'abord à Clôthô et, la faisant passer
sous la main de cette dernière et sous le tourbillon du fuseau en mouvement, il
ratifiait le destin qu'elle avait élu. Après avoir touché le fuseau, il la menait
ensuite vers la trame d'Atropos, pour rendre irrévocable ce qui avait été filé par
Clôthô ; alors, sans se retourner, l'âme passait sous le trône de la Nécessité ; et
quand toutes furent de l'autre côté, elles se rendirent dans la plaine du Léthé, par
une chaleur terrible qui brûlait et qui suffoquait : car cette plaine est dénuée
d'arbres et de tout ce qui pousse de la terre. Le soir venu, elles campèrent au bord
du fleuve Amélès, dont aucun vase ne peut contenir l'eau. Chaque âme est obligée
de boire une certaine quantité de cette eau, mais celles que ne retient point la
prudence en boivent plus qu'il ne faudrait. En buvant on perd le souvenir de tout.
Platon, La République, X, 620e-621a

Introduction:

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Le mythe du fleuve de l’oubli apparaît dans le livre X de la République de Platon. Dans ce
mythe, les âmes avant de se réincarner vont boire l’eau du fleuve Amélès, situé dans la vallée
du Léthé, une eau qui fait perdre le souvenir de tout à quiconque la boit. Ce passage constitue
la dernière étape avant la réincarnation des âmes dans un nouveau corps. Avant de boire l’eau
du fleuve de l’oubli, l’âme doit d’abord choisir quelle sera sa nouvelle vie, un choix guidé par
celles que Platon appelle les filles de la Nécessité : Lachésis, Clotho et Atropos. La vie
choisie par les âmes prend la forme d’un fil fabriqué par les trois parques. Un premier
paradoxe apparaît alors : les âmes apparaissent maîtresses de leurs choix, puisqu’elles
décident elles-mêmes de leur vie future et ont la possibilité de ne boire qu’une quantité
limitée de l’eau du fleuve de l’oubli. Pourtant, il règne au cours de ce processus un
déterminisme que ces âmes ne semblent pas pouvoir éviter, le modèle de vie qu’elles
choisissent étant fabriqué par les trois parques. De plus, le fait que les trois parques soient les
filles de la déesse Anankè, personnification de la nécessité et du destin, appuie cette idée de
fatalité. Enfin un autre paradoxe apparaît : celui de la valeur de l’eau. L’eau du fleuve de
l’oubli a un double rôle dans cet extrait. Tout d’abord un rôle destructeur, puisqu’elle fait
oublier le souvenir de tout, et donc détruit entièrement la mémoire des âmes avant qu’elles ne
se réincarnent, mais aussi un rôle régénérateur, puisque boire l’eau de l’Amélès permet aux
âmes de se réincarner. Ainsi, le mythe du Léthé constitue à la fois la fin d’un cycle et le début
d’un autre. Comment le mythe du fleuve de l’oubli explique-t-il le destin des hommes ?

I – Un destin laissé libre au choix des âmes


Toutes les âmes sont traitées également au cours de ce mythe. Après un séjour soit en enfer
soit au paradis, les âmes sont toutes réunies sans distinction pour choisir ce qui sera leur vie
future, après leur réincarnation. Aucune différence n’est faite entre les âmes provenant du
paradis et celles provenant de l’enfer. Le choix de leur future vie semble donc se faire de
manière égale, d’autant plus que l’ordre de passage des âmes devant Lachésis est tiré au sort.

Le génie qui est attribué à chaque âme par Lachésis a pour rôle d’accompagner l’âme au
cours de son existence et d’accomplir la destinée que celle-ci a choisie. Par la suite, il ratifie
le destin que l’âme a élu. Le génie agit donc en fonction des choix de l’âme.

Les âmes sont forcées de boire une quantité limitée de l’eau du fleuve de l’oubli. Ainsi elles
sont toutes libres d’en boire aussi peu que possible, ce qui leur confère un avantage pour
leurs vies futures.

II – Un sort inévitable
Le choix du génie qui accompagnera l’âme est fait par Lachésis. Celle-ci choisit selon les
âmes le génie qu’elle semble être le plus approprié. Dès le début du processus, on semble
faire face un choix subjectif, Lachésis n’étant pas une divinité.

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Le génie attribué par Lachésis doit accompagner les âmes tout au long de leur existence et les
aider à accomplir leur destinée. L’idée de destinée montre qu’il existe avant même la
réincarnation un déterminisme.

Tout au long du trajet, les âmes sont guidées par le génie que leur a attribué Lachésis. Elles
doivent passer successivement devant Lachésis, Clotho et Atropos. Les trois parques
choisissent alors un modèle de vie pour chaque âme, modèle présenté sous la forme d’un fil.
Les âmes doivent ensuite passé sous le trône de la nécessité : le terme nécessité vient du latin
necessitas, l’inéluctable. Le passage sous ce trône symbolise le déterminisme du destin.

Le fleuve de l’oubli est situé dans une vallée aride et brulante, un environnement qui incite
les âmes à se désaltérer. Ainsi, seules les âmes les plus prudentes ne boivent pas plus que la
quantité d’eau du fleuve de l’oubli qui leur est imposée. Les moins prudentes en boivent en
grande quantité du fait notamment de la chaleur accablante. Les âmes ne semblent alors pas
toutes si égales devant le choix de leur destin, puisque certaine ont déjà plus de clarté que
d’autres, une clarté qui aura des conséquences sur leurs vies futures. En effet, les âmes ayant
bu trop d’eau du fleuve de l’oubli seront par la suite condamné à ne voir que le monde
sensible, et ne pourront jamais au cours de leur existence avoir accès au monde intelligible.

III – Le double aspect de l’eau


L’eau dans cet extrait a tout d’abord un aspect destructeur. Elle efface toute la mémoire de
l’âme qui la boit avant de se réincarner. En buvant cette eau, l’âme oublie tous les souvenirs
de sa vie passée. Le Léthé est ainsi la figure de l’oublie. En grec, le mot Léthé précédé d’un
suffixe privatif donne le terme alatheia qui signifie la vérité ou l’absence d’oubli. En buvant
l’eau du fleuve de l’oubli, les âmes sont ainsi condamnées à oublier leur souvenir et à
redécouvrir la vérité dans la vie qu’ils vont recommencer. On retrouve chez de nombreux
auteurs l’évocation du Léthé associée à l’oubli, la perte de mémoire. Par exemple chez
Baudelaire qui écrit un poème intitulé « le Léthé » ou encore chez Lamartine dans son poème
« Vallon » extrait des Méditations poétiques, dans lequel l’oubli est présenté comme
apaisant : « J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie/ Je viens chercher vivant le calme
du Léthé./ Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l'on oublie /L'oubli seul désormais est
ma félicité ».

Mais l’eau présente un double aspect dans cet extrait. Elle est aussi le point de départ d’un
nouveau cycle, d’une renaissance, d’une réincarnation. L’eau du fleuve de l’oubli est un
passage obligé avant la réincarnation de l’âme, et elle a ainsi une valeur régénératrice. L’eau
apparaît comme une ressource vitale aux âmes qui se trouvent dans la vallée du Léthé. Elle
est ainsi synonyme de vie.
L’épisode du Léthé constitue la dernière étape avant la réincarnation des âmes. Il est à la fois
la fin d’un cycle et le début d’un nouveau cycle. Une idée illustré aussi par l’eau dans ce

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mythe, qui joue à la fois un rôle destructeur par la perte de mémoire qu’elle entraine, et un
rôle créateur puisqu’elle permet la renaissance des âmes sous une nouvelle forme. Dans cet
extrait, les âmes semblent à la fois choisir et subir leur destin, puisqu’elle décide de leurs vies
futures mais subissent les choix des trois parques et sont influencées par les circonstances
dans lesquelles elles font ces choix. Ainsi, leurs nouvelles vies semblent déterminées aussi en
partie par leur existence antérieure, puisque seule les âmes les plus lucides font le choix e
s’abstenir de boire plus d’eau du fleuve de l’oubli qu’il ne leur est imposé.

L’oeuvre: Les eaux de Léthé par les plaines d'Elysium (1879-1880) , John Roddam Spencer
Stanhope.

Dans cette peinture on voit des ames/ personnes qui font la queue pour aller dans le fleuves et
ainsi être jugé.⇒ illustre le texte.

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