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[Ceci, dit-il1 d’une voix éclatante en montrant la Peau de chagrin, est le pouvoir et le vouloir réunis. Là sont
vos idées sociales, vos désirs excessifs, vos intempérances, vos joies qui tuent, vos douleurs qui font trop
vivre ; car le mal n’est peut-être qu’un violent plaisir. Qui pourrait déterminer le point où la volupté devient
un mal et celui où le mal est encore la volupté ? Les plus vives lumières du monde idéal ne caressent-elles
pas la vue, tandis que les plus douces ténèbres du monde physique la blessent toujours ; le mot de
Sagesse ne vient-il pas de savoir ? et qu’est-ce que la folie, sinon l’excès d’un vouloir ou d’un pouvoir ?]
[1]
[— Eh ! bien, oui, je veux vivre avec excès, dit l’inconnu en saisissant la Peau de chagrin.
— Jeune homme, prenez garde, s’écria le vieillard avec une incroyable vivacité.
— J’avais résolu ma vie par l’étude et par la pensée ; mais elles ne m’ont même pas nourri, répliqua
l’inconnu. Je ne veux être la dupe ni d’une prédication digne de Swedenborg 2, ni de votre amulette oriental,
ni des charitables efforts que vous faites, monsieur, pour me retenir dans un monde où mon existence est
désormais impossible.] [2] [Voyons ! ajouta-t-il en serrant le talisman d’une main convulsive et regardant
le vieillard. Je veux un dîner royalement splendide, quelque bacchanale3 digne du siècle où tout s’est, dit-
on, perfectionné ! Que mes convives soient jeunes, spirituels et sans préjugés, joyeux jusqu’à la folie ! Que
les vins se succèdent toujours plus incisifs, plus pétillants, et soient de force à nous enivrer pour trois jours !
Que la nuit soit parée de femmes ardentes ! Je veux que la Débauche en délire et rugissante nous emporte
dans son char à quatre chevaux, par-delà les bornes du monde, pour nous verser sur des plages
inconnues : que les âmes montent dans les cieux ou se plongent dans la boue, je ne sais si alors elles
s’élèvent ou s’abaissent ; peu m’importe ! Donc je commande à ce pouvoir sinistre de me fondre toutes les
joies dans une joie. Oui, j’ai besoin d’embrasser les plaisirs du ciel et de la terre dans une dernière étreinte
1 Il désigne l’antiquaire. 2 Swedenborg est un scientifique et théologien Suédois, célèbre pour ses visions
mystiques. Il établit des correspondances entre le monde terrestre et le monde spirituel qui inspireront
beaucoup Balzac. 3. Bacchanale : orgie
« Voyons ! » , « Je veux »
- Interjection
(x2) « que … » (x4)
- Répétition du verbe Raphaël proclame son désir
« perfectionné ! »
vouloir et anaphore avec force et agitation
« jusqu’à la folie !» « trois
- exclamations
jours ! »
Raphaël veut assouvir tous ses
désirs sans se préoccuper de
« un dîner royalement morale. Le dîner désiré est à
splendide » l’image du siècle : il en reflète la
« bacchanale » « « convives corruption. La jeune génération
[…] jeunes, spirituels et Champ lexical de la représentée par les convives a
sans préjugés « vins « débauche et du plaisir perdu ses valeurs : la spiritualité
enivrer » « femmes Enumération est réduite à des traits d’esprit, la
ardentes ! » « Débauche en Allégorie de la débauche noblesse au luxe, la bacchanale
délire et rugissante » nous (autrefois fête religieuse) à
emporte dans son char à l’ivresse. L’absence de préjugés
quatre chevaux » des convives cache en réalité une
absence de principes et de
valeurs
« que les âmes montent dans
les cieux ou se plongent dans Antithèses et exclamations
la boue, je ne sais si alors désinvoltes Raphaël confond plaisirs
elles s’élèvent ou s’abaissent ; terrestres et religieux et les met
peu m’importe ! » « fondre sur le même plan. Il balaie la
toutes les joies dans une distinction et affirme la nullité
joie. » « embrasser les plaisirs - des valeurs religieuses
du ciel et de la terre dans une
dernière étreinte »
Prolepse ( = récit de ce qui Raphael choisit le vouloir et
« Donc je commande » « ce passera dans le futur) devient propriétaire de la peau à
pour en mourir. » laquelle il adresse son dernier
souhait. La fin prend une valeur
prophétique en annonçant sa mort
Bilan du 3eme mouvement Raphaël représente une jeunesse corrompue et sans repères, ne
trouvant sens à sa vie que dans le plaisir
V Conclusion
1) Résumé
Bien que l’antiquaire condamne fermement l’excès des désirs et des plaisirs encouragés par la
société, et prône une vie de sagesse, Raphaël rejette ses conseils en arguant que la société ne
lui a pas permis vivre dignement. Le jeune homme représente une jeunesse désœuvrée,
corrompue, sans repère ne trouvant de sens à sa vie que dans les plaisirs matériels. L’extrait
permet également une critique sociale de cette société qui condamne sa jeunesse à la
corruption, en ne lui permettant pas un épanouissement intellectuel ou spirituel.
2) Réponse à la problématique
La présentation de la peau de chagrin par l’antiquaire permet donc à Balzac de nous délivrer
une leçon philosophique : désirons-nous brûler intensément et inconsciemment notre énergie
vitale, ou souhaitons-nous préserver notre capital, en nous consacrant au savoir, à la
contemplation, en nous tournant vers des plaisirs immatériel plutôt que matériel, vers une
recherche de l’idéal plutôt que de la débauche.
Ouverture
On retrouve la même condamnation d’une société matérialiste et superficielle dans le portrait
de Dorian Gray d’Oscar Wilde ou l’objet magique est cette fois un portrait qui vieillit et
s’enlaidit à chaque action égoïste du héros
VI Introduction
1) Présentation de l’auteur
Honoré de Balzac (1779-1850), auteur prolifique a eu pour ambition d’« être le secrétaire » de la
société française de son temps avec sa Comédie humaine, représentation d’une microsociété dans
laquelle l’auteur met en évidence le dérèglement, l’hypocrisie et les passions incontrôlées.
2) Présentation de l’œuvre
La Peau de chagrin, parait en 1831 constitue le premier grand succès de Balzac. C’est aussi le
premier roman des œuvres philosophiques de la comédie humaine. Le jeune Raphaël de Valentin y
opère un choix de vie qui le conduira à une mort précoce.
3) Situation et présentation de l’extrait
L’extrait se situe dans la première partie du roman : le talisman. Nous ne connaissons pas encore le
nom ni le passé du héros. Nous savons juste qu’il est ruiné, désespéré et décidé à se donner la mort
jusqu’à la rencontre de la peau de chagrin, élément déclencheur des évènements qui vont suivre. Ce
talisman est censé offrir à son possesseur d’exhausser tous ses vœux tout en raccourcissant sa vie.
Dans l’extrait deux conceptions philosophiques s’affrontent puis le jeune homme formule un vœu
assez précis, de plaisirs purement matériels et de « débauche en délire »