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Il y a dans cette interrogation un doute implicite portant sur la possibilité que le désir puisse
prendre la parole, accéder à la parole, puisse tout simplement parler. Et pourtant le désir n’a-t-il
pas pris la parole en 68, n’a-t-il pas même rêvé de prendre le pouvoir ?
Deux nécessités donc. Celle de dire pourquoi le désir serait plutôt une réalité privée de parole
et pourquoi en revanche ce dernier se serait frayé un chemin vers la parole.
Quelle est cette antinomie du désir et de la parole ? Quelle est au contraire cette possibilité
d’une prise de parole du désir ?
2) Réponse, non. Le désir sait user de la parole pour déjouer les interdits. Dans ces deux
exemples, le désir prend la parole pour pouvoir contourner ce qui l’empêche de s’exprimer et
d’être assouvi.
Premier exemple.
« Tartuffe de Molière → Dans l'acte III, scène 2, Tartuffe exprime son désir pour le corps de
Dorine de manière détournée en faisant croire notamment qu'il est choqué par la vue de sa
poitrine qu'il souhaite qu'elle recouvre d'un mouchoir qu'il lui tend. Tartuffe tente de faire
triompher ses désirs par le masque de la parole. »
Deuxième exemple.
Le jeu de l'amour et du hasard de Marivaux → Dorante et Silvia utilisent l'art du détour pour
exprimer leurs sentiments.( =marivaudage) Tout au long de la pièce, les deux personnages tentent
d'exprimer les sentiments qu’ils ont l’un pour l’autre mais sans jamais les exprimer clairement. Le
désir s’exprime donc implicitement ici à travers le masque de la parole pour contourner les
contraintes qu’entraîne son dévoilement explicite puisque Silvia se fait passer pour sa servante et
les contraintes sociales empêchent Dorante de dévoiler son amour à une servante. »
3) Réponse, non. L’Éros céleste séduit par la parole, mais celle-ci dispense un savoir.
Il n’y a pas de parole vraie sans désir amoureux, sans amour. Éros incite l’éraste à séduire
son éromène par de belles paroles instructives.
Voilà qui contraste avec le froid discours écrit (le pharmakon) de Lysias qui préconise qu’une
relation amoureuse ne vienne pas perturber la relation entre l’auteur d’un discours et son public.
Dans le Banquet, tout au contraire, c’est la mémoire vive qui accompagne la parole élogieuse des
orateurs. Les productions d’Éros méritent les plus beaux éloges parce qu’elles introduisent de la
puissance, de l’harmonie, de la beauté et du savoir là où régnait la peur (Phèdre), la prédation
(Pausanias), la maladie (Éryximaque), la souffrance (Aristophane), la laideur (Agathon) et
l’ignorance (Diotime). Ce n’est pas différent dans Phèdre puisque plusieurs espèces de paroles,
divinatoire, poétique, naissent du désir amoureux dont la plus essentielle est la parole
philosophique.
La jonction faite entre le désir et la parole, la prise de parole du désir, suppose que soit dépassé
le caractère fruste et inculte des désirs naturels.
II La parole signifie un dépassement du désir dans ce qu’il a de naturel, de non civilisé, de non
maîtrisé.
1) La nécessaire discipline qu’il faut imposer aux désirs qui ont libre cours dans l’état de
nature (Hobbes) a une vertu civilisatrice qui porte le nom de sublimation (Freud). La pulsion
sexuelle est dérivée vers un nouveau but non sexuel où elle vise des objets socialement valorisés.
La pulsion muette a cessé d’œuvrer en silence. La parole poétique participe de ce dépassement de
la passion mortifère. Dans le chant IV de l’Enfer de Dante, l’ombre de Francesca répond au cri
affectueux de Dante. Jean-Louis Poirier note dans sa conférence qu’elle souffre le châtiment, en
forme de contrapasso, d’avoir une âme désirante mais pas de corps. La parole de Francesca
s’anime. Que dit-elle ?
III Freud et Lacan a sa suite ont permis de comprendre l’articulation du désir et de la parole,
essentielle également pour comprendre le processus de création littéraire ou artistique.