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Cours : Les séductions de la parole

Les séductions de la parole


Cours

Sommaire

I La naissance d'une parole


séductrice dès l'Antiquité
A Les effets de la parole séductrice

B La mé6ance des philosophes envers la


parole séductrice

II Le discours amoureux : un
exemple de discours séducteur
A L'apprentissage du discours amoureux dans
l'Antiquité
B Le 6n'amor ou l'amour courtois au Moyen
Âge
C Le discours amoureux comme carpe diem à
la Renaissance
D Le discours amoureux comme parole
manipulatrice

III L'âge classique : une parole


séductrice pour instruire
A L'importance de la clarté du discours

B Les outils stylistiques

C Placere et docere : une parole séductrice et


didactique

RÉSUMÉ
La parole permet de séduire. En effet, maîtriser un
discours, c'est être capable de convaincre et de
persuader les autres. Dès l'Antiquité, les grands
philosophes et les poètes parviennent à séduire
l'auditoire par l'edcacité de leurs discours ou par
l'utilisation de procédés qui touchent et savent
émouvoir. Le discours amoureux est l'exemple
même d'une parole séductrice, qui vise à séduire
l'autre. Cette parole peut devenir manipulatrice.
 l'âge classique, la parole se doit d'être séductrice
mais dans un but bien précis : instruire.

VIll°siècleav.J.-C.
Homère

469-399av.J.-C.
Socrate
ntiquit

428-347av.J.-C.
Platon

43av.J.-C.
17-18apr.J.-C.
Ovide
MoyenÀge

1160-1210
MariedeFrance

1496-1544
Marot
Renaissance

1524-1585
Ronsard

1621-1695
Àgeclassique

LaFontaine

1636-1711
Boileau
XVIII°siècle

1741-1803
Lacios

I La naissance d'une parole


séductrice dès l'Antiquité
Dès l'Antiquité, les philosophes et les poètes
séduisent leurs interlocuteurs par la parole. En effet,
ils maîtrisent l'art de bien parler et d'émouvoir. Ainsi,
ils parviennent à toucher les personnes auxquelles
ils s'adressent grâce à leur maîtrise impeccable de
l'art oratoire. Cependant, certains philosophes
mettent en garde contre ces pouvoirs séducteurs.

A Les effets de la parole séductrice


La parole peut être séductrice, dans le sens où elle
séduit celui qui écoute, elle le convainc, elle le
touche. Ainsi, la maîtrise de la parole par certains
philosophes antiques rend une quelconque
opposition impossible, on ne sait pas quoi répondre.
Dans les récits épiques, les héros savent émouvoir
par le récit de leurs aventures, ils suscitent
l'affection, la pitié ou l'amour.

Ménon fait remarquer à Socrate qu'il maîtrise si bien


la parole qu'on ne sait pas quoi répondre.

« Et tu me sembles, s'il est possible de plaisanter


un peu, être tout à fait ressemblant, pour ce qui
est de la forme et de tout le reste, à cette large
torpille de mer. Et en effet cette dernière fait
s'engourdir toute personne qui s'en approche et
la touche, et tu me sembles en ce moment
m'avoir mis dans un engourdissement
semblable. Car en vérité moi, que ce soit mon
esprit ou ma bouche, je suis engourdi, et je n'ai
rien à te répondre. Et pourtant, mille fois j'ai
prononcé des discours sur la vertu et face à des
foules, et de fort beaux, à ce qu'il me semblait du
moins ; mais en ce moment, je ne peux
absolument pas dire ce que c'est. »

Platon
Le Ménon, trad. Émile Chambry -

Dans cet extrait, Ménon


compare Socrate à une
torpille, un poisson qui
INTERPRÉTATION électrise tous ceux qui le
touchent. Socrate paralyse
d'embarras les autres hommes avec ses
questions, ils se sentent ignorants. Socrate
parvient à séduire Ménon grâce à sa
maîtrise de la rhétorique, qui le laisse sans
voix.

La parole permet de capter l'auditoire, de lui raconter


des histoires et de le convaincre. Socrate est le
philosophe qui maîtrise la parole par excellence, et
qui parvient à séduire les autres, à les convaincre. Il
pose de nombreuses questions qui poussent à
l'admiration, puisqu'il sait toujours comment
répondre, il a toujours quelque chose à ajouter, il
réJéchit à tout. Il séduit également par sa force de
conviction, notamment lors de son procès.

« Ce sont ces enquêtes, Athéniens, qui ont


soulevé contre moi tant de haines si amères et si
redoutables, et c'est de ces haines que sont
venues tant de calomnies et cette renommée de
sage qu'on m'a faite ; car ceux qui m'entendent
s'imaginent toujours que je sais les choses sur
lesquelles je démasque l'ignorance des autres.
Mais il y a bien des chances, juges, que le dieu
soit réellement sage et que par cet oracle il
veuille dire que la sagesse humaine n'est pas
grand-chose ou même qu'elle n'est rien. Et s'il a
nommé Socrate, il semble bien qu'il ne s'est servi
de mon nom que pour me prendre comme
exemple. C'est comme s'il disait : « Le plus sage
d'entre vous, hommes, c'est celui qui a reconnu
comme Socrate que sa sagesse n'est rien. » Voilà
pourquoi aujourd'hui encore je vais partout,
enquêtant et questionnant tous ceux des
citoyens et des étrangers qui me paraissent être
sages ; et, quand je découvre qu'ils ne le sont
pas, je me fais le champion du dieu, en leur
démontrant qu'ils ne sont pas sages. Ainsi
occupé, je n'ai jamais eu le loisir de m'intéresser
sérieusement aux affaires de la ville ni aux
miennes, et je vis dans une pauvreté extrême,
parce que je suis au service du dieu. »

Platon
Apologie de Socrate, IX, trad. Émile Chambry -

Socrate use de paroles


séductrices lorsqu'il
comparaît devant le
INTERPRÉTATION tribunal de la cité pour
corruption de la jeunesse
et invention de nouveaux dieux. Socrate a
alors soixante-dix ans, il ne cherche pas à
présenter d'excuses ou à admettre ses
fautes, il préfère défendre sa conduite.
Condamné à mort, il mène une défense
implacable et séduit une partie de son
auditoire en évoquant la pratique de la
philosophie.

Dans les récits épiques, les héros mythologiques


maîtrisent l'art de séduire grâce à la connaissance
parfaite des techniques de la rhétorique. Le premier
séducteur par la parole est sans doute Orphée, le
poète. Selon la légende, il manie aussi bien la
musique que le chant. Il parvient à séduire le dieu des
Enfers qui lui rend Eurydice, sa femme qui était
morte. La poésie d'Orphée touche le dieu des Enfers.

« Ô divinités de ce monde souterrain où retombe


tout ce qui naît pour mourir, souffrez que laissant
les détours d'une éloquence artiVcieuse, je parle
avec sincérité. Non, ce n'est pas pour voir le
ténébreux Tartare que je suis descendu sur ces
bords. Non, ce n'est pas pour enchaîner le
monstre dont la triple tête se hérisse des
serpents de méduse. Ce qui m'attire, c'est mon
épouse. Une vipère, que son pied foula par
malheur, répandit dans ses veines un poison
subtil, et ses belles années furent arrêtés dans
leur cours. J'ai voulu me résigner à ma perte ; je
l'ai tenté, je ne le nierai pas : l'Amour a triomphé.
L'Amour ! il est bien connu dans les régions
supérieures. L'est-il de même ici, je l'ignore : mais
ici même je le crois honoré, et si la tradition de
cet antique enlèvement n'est pas une fable, vous
aussi, l'Amour a formé vos nœuds. Oh ! par ces
lieux pleins de terreur, par ce chaos immense, par
ce vaste et silencieux royaume, Eurydice !... de
grâce, renouez ses jours trop tôt brisés ! Voici
notre dernière demeure, et vous tenez le genre
humain sous votre éternel empire. Qu'elle vive !
c'est la seule faveur que je demande. »

Ovide
Les Métamorphoses, X, trad. Louis Puget -

Grâce à sa parfaite
maîtrise de la parole,
Orphée parvient à séduire
INTERPRÉTATION le dieu des Enfers, qui
accepte de lui rendre sa
bien-aimée. La ponctuation expressive
(utilisation de points de suspension et de
points d'exclamation) souligne qu'Orphée
est dévasté. Il utilise des onomatopées
(« Oh ! ») qui expriment la supplication. Il
parvient à attendrir le dieu des Enfers.

Dans l'Iliade, Priam parvient à émouvoir Achille qui


vient de tuer son Vls Hector

« Souviens-toi de ton père, Achille pareil


aux dieux. Il a mon âge ; il est, tout comme moi,
au seuil maudit de la vieillesse. Des voisins
l'entourent, qui le tourmentent sans doute, et
personne près de lui, pour écarter le malheur, la
détresse ! Mais il a, du moins, lui, cette joie au
cœur, qu'on lui parle de toi comme d'un vivant, et
il compte chaque jour voir revenir son Vls de
Troie. Mon malheur, à moi, est complet. J'ai
donné le jour à des Vls, qui étaient des braves,
dans la vaste Troie : et je songe que d'eux aucun
ne m'est resté. Ils étaient cinquante, le jour où
sont venus les Vls des Achéens [...] Le seul qui
me restait, pour protéger la ville et ses habitants,
tu me l'as tué hier, défendant son pays - Hector.
C'est pour lui que je viens aux nefs des Achéens,
pour te le racheter. Je t'apporte une immense
rançon. Va, respecte les dieux, Achille, et,
songeant à ton père, prends pitié de moi. Plus
que lui encore, j'ai droit à la pitié ; j'ai osé, moi, ce
que jamais encore n'a osé mortel ici-bas : j'ai
porté à mes lèvres les mains de l'homme qui m'a
tué mes enfants. »

Homère
Iliade, XXIV, trad. Philippe Jaccotet -

Priam implore Achille de


lui rendre le corps de son
Vls Hector. Ayant
INTERPRÉTATION prononcé ce discours,
Priam provoque les larmes
d'Achille grâce à la comparaison entre lui-
même et le père du héros. De fait, la
séduction a parfaitement fonctionné et il lui
rend la dépouille d'Hector.

Dans l'Odyssée, Ulysse parvient à séduire la belle


Nausicaa et son peuple à travers le récit de son long
périple. Il suscite la pitié de son auditoire avec un
discours émouvant et ses propres larmes.

« Voilà ce que chantait l'illustre aède ; Ulysse


faiblit, des pleurs coulaient de ses paupières sur
ses joues ; Comme une femme pleure son époux
en l'étreignant, qui est tombé devant sa cité et
son peuple en défendant sa ville et ses enfants
du jour fatal et, le voyant mourant et convulsé,
jetée sur lui, pousse des cris aigus. »

Homère
Odyssée, trad. Philippe Jaccotet -

B La mé>ance des philosophes


envers la parole séductrice
Dès l'Antiquité, certains philosophes se mé6ent de la
parole séductrice et plus particulièrement des
poètes, qui sont considérés comme des
manipulateurs oratoires.

Ainsi, Platon incite à censurer les larmes des héros


homériques. Il condamne en effet la poésie pour des
raisons morales et pédagogiques.

Platon
« La poésie est un art d'illusionnisme, la poésie
est un art d'impressionnisme. À ces deux titres,
elle est une force de perversion ».

La République

« Si tu considères que cet élément de l'âme que,


dans nos propres malheurs, nous contenons par
force, qui a soif de larmes et voudrait se
rassasier largement de lamentations est
précisément celui que les poètes s'appliquent à
satisfaire et à réjouir ; et que, d'autre part,
l'élément le meilleur de nous-mêmes, n'étant pas
sudsamment formé par la raison et l'habitude,
se relâche de son rôle de gardien vis-à-vis de cet
élément porté aux lamentations, sous prétexte
qu'il est simple spectateur des malheurs d'autrui,
que pour lui il n'y a point de honte, si un autre qui
se dit homme de bien verse des larmes mal à
propos, à le louer et à le plaindre, qu'il estime que
son plaisir est un gain dont il ne souffrirait pas de
se priver en méprisant tout l'ouvrage. »

Platon
La République, X, trad. Robert Baccou -

Dans cet extrait, Platon


invite à refuser tout
ouvrage qui met trop en
INTERPRÉTATION avant les larmes des
personnages. Il se méVe
de la parole qui émeut, il pense qu'elle
s'adresse avant tout aux émotions et non à
l'intelligence, c'est donc une parole
dangereuse.

II Le discours amoureux : un
exemple de discours séducteur
Le discours amoureux est l'exemple par excellence
de la parole séductrice, du discours qui séduit. Dans
l'Antiquité, il existe des traités pour apprendre à
maîtriser un discours amoureux permettant de
séduire l'être aimé. Du Moyen Âge à la Renaissance,
le discours amoureux évolue. Durant la période
médiévale, l'amour courtois ou 6n'amor met en avant
l'amour entre le chevalier et la dame, lesquels se
doivent respect et honnêteté. À la Renaissance, le
discours amoureux sert à valoriser la dame aimée et
à la pousser à se donner. Le poète célèbre la beauté
de celle qu'il tente de séduire. De tout temps, le
discours amoureux a aussi pu être un discours
manipulateur et trompeur.

A L'apprentissage du discours
amoureux dans l'Antiquité
Dès l'Antiquité, le discours amoureux est enseigné,
on éduque à la séduction. Le discours amoureux est
avant tout un discours séducteur, un discours qui
permet de charmer l'autre. Il est à destination des
hommes et des femmes.

Ainsi, L'Art d'aimer d'Ovide se présente comme un


livre de séduction. Dans le premier tome, le poète
explique comment engager une conversation auprès
d'une femme pour être certain d'obtenir ses faveurs.
Le deuxième tome est un prolongement du premier
tome, tandis que le troisième tome s'adresse
directement aux femmes, leur indiquant comment
séduire par la parole.

« Si parmi vous, Romains, quelqu'un ignore l'art


d'aimer, qu'il lise mes vers ; qu'il s'instruise en les
lisant, et qu'il aime. Aidé de la voile et de la rame,
l'art fait voguer la nef agile ; l'art guide les chars
légers : l'art doit aussi guider l'amour. […]
Maintenant, je vais t'apprendre par quel art tu
captiveras celle qui t'a charmé ; c'est ici le point
la plus important de mes leçons. »

Ovide
L'Art d'aimer, I, trad. M. Heguin de Guerle -

Ici, Ovide adrme que l'on


peut apprendre le discours
amoureux. Ce discours
INTERPRÉTATION permet de « charmer ».
L'art de séduire est une
« leçon » aussi importante que les autres.

B Le >n'amor ou l'amour courtois au


Moyen Âge
Au Moyen Âge, la 6n'amor (« l'amour courtois ») se
développe. L'amour courtois est souvent un amour
entre une dame et un chevalier. L'un et l'autre
doivent se jurer 6délité et respect. En général, les
deux personnages ne sont pas mariés.

DÉFINITION

Fin'amor
La 6n'amor ou amour courtois est une expression qui
apparaît au Moyen Âge, au XIIe siècle, et qui désigne
une manière d'aimer entre une dame et un homme.
Cette conception de l'amour repose sur le sens de
l'honneur, le serment partagé entre la dame et son
amant et la noblesse des sentiments.

« D'eux il en fut ainsi que du chèvrefeuille qui


s'était pris au coudrier. Lorsqu'il y est bien enlacé
et roulé autour du bois, ensemble ils peuvent
bien durer ; mais si on les sépare, le coudrier
meurt bientôt et le chèvrefeuille également. —
Belle amie, il en est de même de nous : ni vous
sans moi, ni moi sans vous. »

Marie de France
Le Lai du chèvrefeuille, trad. Paul Tuffrau -

Ici, les deux amants


répondent aux codes de
l'amour courtois puisqu'ils
INTERPRÉTATION s'aiment d'un amour
réciproque. Dans cet
extrait, ils sont comparés au chèvrefeuille et
au coudrier, qui ne peuvent être séparés une
fois qu'ils sont enlacés.

ILLUSTRATION

Tristan et Iseult est un célèbre récit d'amour dans


lequel Tristan, chevalier, tombe fou amoureux de la
dame Iseult, qui l'aime également passionnément.
Les deux se jurent un amour éternel, bien qu'ils
épousent tous les deux d'autres personnages.

C Le discours amoureux comme


carpe diem à la Renaissance
À la Renaissance, le discours amoureux prend
surtout la forme de poèmes comme le blason ou le
sonnet. Le poète cherche à persuader une dame de
se donner à son amant. C'est l'homme qui célèbre la
femme, et particulièrement son corps. Les poètes
défendent l'idée du « carpe diem » : il faut vivre
l'amour au jour le jour.

Au Moyen Âge, la forme du blason est privilégié. Ce


type de poème célèbre une partie du corps féminin.

« Tétin refait, plus blanc qu'un œuf,


Tétin de satin blanc tout neuf,
Toi qui fais honte à la rose
Tétin plus beau que nulle chose,
Tétin dur, non pas tétin voire
Mais petite boule d'ivoire
Au milieu duquel est assise
Une fraise ou une cerise
Que nul ne voit, ne touche aussi,
Mais je gage qu'il en est ainsi. »

Clément Marot
« Du beau tétin » -

Dans ce blason, Clément


Marot célèbre la beauté du
sein féminin pour séduire
INTERPRÉTATION la femme aimée.

On trouve également la forme du sonnet, poème


d'amour par excellence.

« Quand vous serez bien vieille, au soir à la


chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et Vlant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j'étais
belle. »
[…]
Regrettant mon amour et votre Ver dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie. »

Pierre de Ronsard
Sonnets pour Hélène - 1578

Dans ce sonnet, Ronsard


s'adresse à Hélène de
Surgères. Il lui explique ce
INTERPRÉTATION qui lui arrivera si elle
refuse ses avances. Il lui
indique qu'ils doivent proVter de chaque
instant ensemble, c'est ce que l'on appelle le
carpe diem.

On séduit l'autre pour goûter avec lui aux joies que


permet le présent : c'est l'idée du « carpe diem ».

DÉFINITION

Carpe diem
Carpe diem est une expression latine, empruntée à
Horace dans l'un de ses poèmes, qui signiVe « cueille
le jour ». Il s'agit d'une manière de concevoir chaque
jour comme s'il était le dernier que nous avons à vivre
sur terre. Durant la Renaissance, Ronsard reprend ces
mots pour convaincre sa dame d'accéder à ses
désirs.

D Le discours amoureux comme


parole manipulatrice
Le discours amoureux peut également se montrer
manipulateur, et ce depuis la nuit des temps. Depuis
l'Antiquité jusqu'à nos jours, dans de nombreux
récits, on trouve des exemples de discours
amoureux utilisés pour manipuler, tromper, attirer. Le
discours amoureux est utilisé dans le but d'obtenir ce
que l'on veut.

Dans la Bible, Ève est victime de la parole séductrice


du serpent.

« Vous ne mourrez point ; car Dieu sait que, du


jour où vous en mangerez, vos yeux seront
dessillés, et vous serez comme Dieu,
connaissant le bien et le mal.
La femme vit que l'arbre était bon comme
nourriture, qu'il était attrayant à la vue et précieux
pour l'intelligence ; elle cueillit de son fruit et en
mangea, puis en donna à son époux, et il
mangea.
Leurs yeux à tous deux se dessillèrent, et ils
connurent qu'ils étaient nus. »
La Bible, Genèse 3:1 -

Dans la Bible, le serpent


parvient à charmer Ève
grâce à ses paroles. Ève
INTERPRÉTATION trouve tout à coup que
l'arbre est attrayant, elle
est attirée par lui.

Dans l'Odyssée, les sirènes tentent de séduire les


hommes par leur chant pour les dévorer.

« Quand, dans sa course rapide, le vaisseau n'est


plus éloigné du rivage que de la portée de la voix
et qu'il ne peut plus échapper aux regards des
Sirènes, ces nymphes font entendre ce chant
mélodieux : « Viens, Ulysse, viens, héros fameux,
toi la gloire des Achéens ; arrête ici ton navire et
prête l'oreille à nos accents. Jamais aucun
mortel n'a paru devant ce rivage sans avoir
écouté les harmonieux concerts qui s'échappent
de nos lèvres. Toujours celui qui a quitté notre
plage s'en retourne charmé dans sa patrie et
riche de nouvelles connaissances. Nous savons
tout ce que, dans les vastes plaines d'Ilion, les
Achéens et les Troyens ont souffert par la
volonté des dieux. Nous savons aussi tout ce qui
arrive sur la terre féconde. »
Odyssée, chant XII, trad. Philippe Jaccotet -

C'est par un chant


mélodieux et des paroles
séductrices que les
INTERPRÉTATION sirènes tentent de
corrompre Ulysse et ses
compagnons. Comme elles le lui expliquent,
aucun homme jusqu'à présent n'a résisté à
leur chant.

Dans Les Mille et Une Nuits, Shéhérazade séduit le


sultan par ses récits. Elle manipule le sultan, arrêtant
toujours son récit à un moment crucial, ce qui donne
envie au sultan d'entendre la suite le lendemain. La
parole manipulatrice permet à Shéhérazade de
survivre. En effet, le sultan voulait la tuer, mais au
bout de mille et une nuits, il est Vnalement séduit par
elle et la laisse vivre.

« Mon père va me conduire chez le sultan pour


être son épouse. Que cette nouvelle ne vous
épouvante pas ; écoutez-moi seulement avec
patience. Dès que je serai devant le sultan, je le
supplierai de permettre que vous couchiez dans
la chambre nuptiale, aVn que je jouisse cette nuit
encore de votre compagnie. Si j'obtiens cette
grâce, comme je l'espère, souvenez-vous de
m'éveiller demain matin une heure avant le jour,
et de m'adresser ces paroles : « Ma sœur, si vous
ne dormez pas, je vous supplie, en attendant le
jour qui paraîtra bientôt, de me raconter un de
ces beaux contes que vous savez. » Aussitôt je
vous en conterai un, et je me Jatte de délivrer, par
ce moyen, tout le peuple de la consternation où il
est. »
Les Mille et Une Nuits, trad. Antoine Galland -

Dans cet extrait,


Shéhérazade demande à
sa sœur de l'aider à mettre
INTERPRÉTATION au point un stratagème : il
s'agit de l'aider à raconter
chaque soir des contes au sultan et de
s'arrêter au moment où il y a le plus de
suspense pour attiser sa curiosité. C'est
ainsi qu'elle parvient à le manipuler, et au
bout de mille et une nuits à calmer sa colère
pour se sauver la vie. Shéhérazade maîtrise
l'art de manipuler par une parole séductrice.

La parole manipulatrice permet de séduire les autres


et d'acquérir ce que l'on veut d'eux. C'est ce qu'adrme
le personnage de la marquise de Merteuil dans Les
Liaisons dangereuses.

« J'étais bien jeune encore, et presque sans


intérêt : mais je n'avais à moi que ma pensée, et
je m'indignais qu'on pût me la ravir ou me la
surprendre contre ma volonté. Munie de ces
premières armes, j'en essayai l'usage : non
contente de ne plus me laisser pénétrer, je
m'amusais à me montrer sous des formes
différentes ; sûre de mes gestes, j'observais mes
discours ; je réglais les uns et les autres, suivant
les circonstances, ou même seulement suivant
mes fantaisies. »

Pierre Choderlos de Laclos


Les Liaisons dangereuses, lettre 81 - 1782
La marquise de Merteuil
rédige une longue lettre au
vicomte de Valmont, dans
INTERPRÉTATION laquelle elle présente sa
personnalité. Elle explique
qu'elle manipule son auditoire à travers des
discours bien menés. Elle manipule les
autres pour obtenir la liberté.

IIIL'âge classique : une parole


séductrice pour instruire
À l'âge classique, la parole séductrice est utilisée
pour instruire. Pour les hommes de lettres
(philosophes, dramaturges et auteurs) la parole doit
être claire et on doit user de tous les outils
stylistiques pour toucher l'auditoire et le persuader.
On le séduit pour mieux l'instruire.

A L'importance de la clarté du
discours
À l'époque classique, le discours amoureux, comme
tous les autres discours, doit être une discours clair
et bien construit.

Pour séduire l'auditoire, il faut avant tout bien


exprimer sa pensée. C'est ce qu'explique Boileau dans
son Art Poétique. Pour émouvoir le spectateur au
théâtre, il faut se conformer à des règles strictes. Un
discours bien construit et clair est un discours qui
séduira, il faut donc travailler son discours.

« Il est certains esprits dont les sombres


pensées
Sont d'un nuage épais toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
[…]
En vain vous étalez une scène savante :
Vos froids raisonnements ne feront qu'attiédir
Un spectateur toujours paresseux d'applaudir,
Et qui, des vains efforts de votre rhétorique
Justement fatigué, s'endort, ou vous critique
Le secret est d'abord de plaire et de toucher
Inventez des ressorts qui puissent m'attacher.
[…]
Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu'à la Vn le théâtre rempli. »

Nicolas Boileau
L'Art poétique - 1674

On remarque que Boileau


exige des dramaturges de
la clarté et un respect des
INTERPRÉTATION règles dans leurs pièces
de théâtre ; sans cela, ils
ne parviendront pas à toucher le spectateur.

Boileau souligne qu'il travaille un écrit. Selon lui, les


mécanismes tout faits ne fonctionnent pas pour
séduire l'auditoire.

« C'est en vain qu'au Parnasse un téméraire


auteur
Pense de l'art des vers atteindre la hauteur :
S'il ne sent point du ciel l'inJuence secrète,
Si son astre en naissant ne l'a formé poète,
Dans son génie étroit il est toujours captif ;
Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif.
Ô vous donc qui, brûlant d'une ardeur périlleuse,
Courez du bel esprit la carrière épineuse,
N'allez pas sur des vers sans fruit vous
consumer,
Ni prendre pour génie un amour de rimer :
Craignez d'un vain plaisir les trompeuses
amorces,
Et consultez longtemps votre esprit et vos
forces. »

Nicolas Boileau
L'Art poétique, chant I -

Il ne sudt pas d'être aidé


par les muses pour écrire
un texte séduisant.
INTERPRÉTATION Boileau rappelle qu'avant
toute chose, le poète doit
travailler et retravailler constamment son
texte. Ici, il se moque de ceux qui pensent
qu'il sudt d'utiliser des rimes pour toucher
l'auditoire.

B Les outils stylistiques


Pour frapper le cœur de son auditoire, l'homme
classique utilise tous les outils stylistiques. Il joue
sur les formules, le rythme et maîtrise la
ponctuation. Il emploie des 6gures de style au
service de la persuasion comme l'hyperbole,
l'euphémisme, la métaphore ou l'antithèse.

« PHÈDRE.
Mon mal vient de plus loin. À peine au Vls d'Egée
Sous ses lois de l'hymen je m'étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi ;
Athènes me montra mon superbe ennemi :
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler ;
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D'un sang qu'elle poursuit, tourments
inévitables. »

Jean Racine
Phèdre, acte I, scène 3 -

Racine décrit ici, avec un


langage soutenu, tous les
ressorts du coup de
INTERPRÉTATION foudre. Il utilise différents
outils stylistiques :

le champ lexical de la vue : « montra »,


« vis », « vue », « yeux », « voyaient » ;
une métonymie : « Athènes me montra »,
désigne les Athéniens et non la ville ;
un oxymore : « transir et brûler ».

C Placere et docere : une parole


séductrice et didactique
L'objectif des auteurs classiques est de plaire tout en
instruisant grâce à une parole séduisante. La devise
classique est ainsi : « Placere et docere ». Ainsi, la
parole séductrice acquiert une dimension
didactique, son principal but est d'instruire.

DÉFINITION

Placere et docere
Placere et docere est une expression latine qui
signiVe « plaire et instruire ». Au XVIIe siècle, Molière
reprend cette idée lorsqu'il écrit ses pièces de théâtre.
Selon le dramaturge, ses comédies doivent à la fois
être plaisantes pour le spectateur et l'instruire, le faire
réJéchir sur certains aspects de la société.

Jean Racine souligne l'importance de plaire et


séduire dans les préfaces de Phèdre et Bérénice : « La
principale règle est de plaire et de toucher ». Molière a
les mêmes intentions puisqu'il souhaite « corriger les
mœurs en riant » avec ses comédies. C'est également
le cas de La Fontaine avec ses fables.

« Dans Athène autrefois, peuple vain et léger,


Un orateur, voyant sa patrie en danger,
Courut à la tribune ; et d'un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l'écoutait pas. L'orateur recourut
À ces Vgures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes :
Il Vt parler les morts, tonna, dit ce qu'il put.
Le vent emporta tout, personne ne s'émut ;
L'animal aux têtes frivoles,
Étant fait à ces traits, ne daignait l'écouter ;
Tous regardaient ailleurs ; il en vit s'arrêter
À des combats d'enfants et point à ses paroles.
Que Vt le harangueur ? Il prit un autre tour.
« Céres, commença-t-il, faisait voyage un jour
Avec l'anguille et l'hirondelle ;
Un Jeuve les arrête, et l'anguille en nageant,
Comme l'hirondelle en volant,
Le traversa bientôt. » L'assemblée à l'instant
Cria tout d'une voix : « Et Céres, que Vt-elle ?
– Ce qu'elle Vt ? Un prompt courroux
L'anima d'abord contre vous.
Quoi ? de contes d'enfants son peuple
s'embarrasse !
Et du péril qui la menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet !
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ? »
À ce reproche l'assemblée,
Par l'apologue réveillée,
Se donne entière à l'orateur :
Un trait de fable en eut l'honneur.
Nous sommes tous d'Athènes en ce point, et
moi-même,
Au moment que je fais cette moralité,
Si Peau d'Âne m'était conté,
J'y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on : je le crois ;
cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant. »

Jean de La Fontaine
« Le Pouvoir des fables », Fables - 1678

Jean de La Fontaine
défend ici le pouvoir
didactique de la fable.
INTERPRÉTATION Selon lui, un grand orateur
doit instruire son public
tout en le séduisant, c'est la raison pour
laquelle il faut raconter des histoires
plaisantes. Cette fable montre que les
hommes sont davantage séduits par une
histoire que par de longs discours.

Voir aussi
DéVnitions : Les
séductions de la parole Auteurs : Les séductions
de la parole
Quiz : Les séductions de
la parole

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