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Philosophie ancienne.
Commentaire de texte : Platon, Ménon.
Dans le Ménon, Platon met en scène une discussion entre Socrate et Ménon, personnage
éponyme de l’œuvre. Il utilise Socrate pour défendre ses thèses à lui, et Ménon comme
interlocuteur pour user de la dialectique, processus qui permet en interrogeant un individu
sur des connaissances qu’il croit vrai, de mettre en lumière les contradictions qu’elles
impliquent, afin de se défaire des fausses connaissances et de parvenir à une vérité. Dans
l’ensemble de l’œuvre, ils s’essayent à trouver une définition de la vertu afin de savoir si elle
peut faire l’objet d’un enseignement. Comprenons ici le mot vertu dans sa signification en
grec ancien : le pouvoir de faire au mieux ce qu’il nous a été donné de faire. De la question
de la vertu découlent donc des enjeux politiques en plus d’enjeux moraux évidents, puisque
pour qu’une cité soit bien ordonnée il faut que ses citoyens remplissent au mieux les tâches
qui leur sont assignées, donc qu’ils soient vertueux.
Et dans le texte que nous commentons, Ménon avance sa définition de la vertu. Il dit à
Socrate que c’est selon lui « le désir des belles choses avec le pouvoir de se les procurer », et
par les « belles choses » il entend les bonnes choses, les choses du bien.
Ménon fait donc du désir des bonnes choses, donc du bien, une condition de la vertu, et c’est
là l’objet de notre passage.
Par désir on peut entendre envie, donc le désir du bien, c’est l’envie du bien. Or on sait que
l’homme vertueux est meilleur que l’homme vicieux, la vertu participe donc à la valeur d’un
homme. Il faut donc, pour que la vertu existe chez des hommes, qu’elle ne soit pas commune
à tous, car si la vertu est commune à tous, elle ne peut rendre un homme meilleur qu’un
autre. Donc pour que le désir, l’envie du bien participe à la vertu, il faut nécessairement qu’il
soit aussi possible de désirer autre chose que le bien. Et puisque si l’on désire, on ne peut
désirer de manière neutre, sinon on ne désire pas, ne pas désirer le bien, c’est désirer le mal.
Désirer le mal ça peut donc vouloir dire, selon la définition de la vertu de Ménon, être
vicieux. Il faut alors qu’il y ait des hommes qui désirent le mal parce qu’ils sont vicieux pour
qu’il y ait des hommes qui désirent le bien parce qu’ils sont vertueux, et inversement.
Et puisque l’on sait qu’il y a des hommes qui commettent le mal, on peut penser que ces
hommes le désirent. Mais on peut aussi questionner cette conjecture. Pourquoi des hommes
désireraient-ils le mal, et pour poursuivre cette digression, est-on bien sûrs que si des
hommes commettent le mal c’est qu’ils le désirent ? Or s’ils ne le désirent pas, pourquoi le
commettent-ils ? Mais dans le cas où aucun homme ne désire le mal, peut-on dire que le
désir du bien fait qu’un homme est meilleur qu’un autre, le rend vertueux ? De plus, si aucun
homme ne désire le mal, qu’en est-il de la responsabilité des hommes quant à leurs
mauvaises actions ? Peut-on les tenir pour responsables de maux qu’ils commettent sans les
désirer ? Nous avons là un véritable enjeu, problème philosophique de ce thème.
De ce problème Platon extrait une question qui englobe ces enjeux. Y a-t-il des hommes qui
désirent vraiment le mal ?
Ce que répond Platon, par la voix de Socrate, c’est que non, aucun homme ne désire le mal,
tous les hommes désirent le bien, mais certains prennent de mauvaises choses pour des
bonnes choses et c’est ainsi qu’ils commettent le mal. La définition de la vertu de Ménon
laisse entendre que désirer les bonnes choses, désirer le bien, c’est le désirer pour soi. En
effet, il parle de désir des bonnes choses, et de « pouvoir de se les procurer », alors si après
avoir désiré les bonnes choses, il faut pouvoir se les procurer pour être vertueux, donc les
procurer à soi, c’est bien que le désir des bonnes choses, c’est le désir des bonnes choses
pour soi. Mais il est clair pour Platon qu’aucun homme ne désire le mal pour lui-même, que
tous les hommes désirent le bien, alors, le désir du bien ne créant aucune sorte de
distinction entre les hommes, il ne peut participer à la vertu. Cette définition est donc fausse
et c’est sur autre chose que doit se fonder la vertu.
Le dialogue se divise en trois parties. La première débute avec la tentative d’appréhension de
la nature de la vertu par Ménon qui dit que c’est « le désir des belles choses avec le pouvoir
de se les procurer. ». Puis elle se poursuit par l’explicitation de cette définition, investie par
les questions que Socrate adresse à Ménon, qui servira à en déduire qu’elle présuppose,
puisqu’il y a des hommes qui désirent le bien, qu’il y en a d’autres qui désirent le mal. Elle
s’achève lorsque Ménon répond « Oui. » à Socrate qui lui demande s’il y a selon lui des
hommes désirant le mal. C’est à partir de ce présupposé que débute la deuxième partie.
Socrate s’en sert pour problématiser progressivement, par la dialectique, la définition de
Ménon. Il l’interroge sur la notion de la conscience dans le désir de mal, et il finit par lui faire
dire qu’il y a des hommes qui ont conscience que le mal est mal mais qui le souhaitent tout
de même. Ainsi s’achève cette deuxième partie, par « d’autres savent aussi que le mal fait du
tort. ». Enfin, dans la troisième et dernière partie, Socrate rebondit sur cette idée que
certains hommes désirent le mal tout en sachant qu’il cause du tort, pour mettre en
évidence l’ignorance des hommes qui commettent le mal. Il explique qu’en fait ces hommes
ne désirent pas le mal, mais qu’ils le commettent en pensant que ce mal est le bien, sa thèse
est ainsi déduite, et le texte s’achève. On remarque que Platon structure ce texte en le
débutant par une partie qui avance une idée infondée, puis une partie qui problématise cette
idée en mettant en lumière ses contradictions, et enfin une ultime partie qui déduit de la
problématisation de l’idée infondée une connaissance plus vraie. Le processus de dialectique
est donc incarné, au-delà du dialogue, dans la structure du texte elle-même.
Pour commenter la thèse de Platon défendue à travers ce texte, qui est rappelons le
qu’aucun homme ne désire le mal, nous procéderons aussi en trois parties.
Il s’agir d’abord de montrer pourquoi la définition de la nature de la vertu donnée par Ménon
implique que certains hommes désirent le mal.
Ensuite nous conviendrons que pour désirer le mal il faut nécessairement le connaître.
Enfin, nous expliquerons pourquoi, selon Platon, aucun homme ne désire le mal.
Dans ce dialogue, Ménon parle en premier. Il expose à Socrate sa définition de la
nature de la vertu, qui est pour lui « le désir des belles choses avec le pouvoir de se les
procurer. ». Par là on peut comprendre que Ménon voit la vertu comme un désir des belles
choses pour soi, puisqu’il parle du pouvoir de se les procurer, à soi. On peut en revanche
s’interroger sur ce que Ménon entend par « belles choses », s’il le dit au sens de l’esthétique.
Platon rappelle alors que dans sa philosophie il lie le beau, le bon, et le vrai, et intègre cette
idée dans la question que Socrate pose à Ménon pour lui demander d’expliciter sa définition,
« Veux-tu dire que l’homme qui désire les belles choses est désireux des bonnes ? ». Ménon
affirme que oui, et sa définition de la vertu est ainsi clarifiée. On peut transformer le « désir
des belles choses » en « désir des bonnes choses », et si on synthétise le tout en ajoutant la
première idée, qui est que les choses doivent être désirées pour soi, on déduit que pour
Ménon, la vertu, c’est le désir des bonnes choses, donc des choses du bien, pour soi, couplé
à la capacité de les obtenir. Remarquons ici que l’homme vertueux selon la définition de
Ménon est probablement riche, puisqu’il doit pouvoir se procurer les choses qu’il désire.
Socrate poursuit en faisant expliciter par la dialectique un présupposé que fait Ménon en
définissant la vertu comme désir des bonnes choses, qu’il utilisera ensuite pour créer une
tension dans son point de vue. Il demande « Dis-tu cela avec l’idée que certains hommes
désirent le mal, tandis que d’autres désirent le bien ? Ne crois-tu pas, excellent homme, que
tous les hommes désirent le bien ? ». L’idée défendue par Socrate, est que si l’on avance le
désir du bien comme condition de la vertu, il faut que le désir du mal soit possible. En effet,
si l’on parle de la vertu comme de quelque chose qui distingue les hommes, rendant
l’homme vertueux meilleur que l’homme qui ne l’est pas, la vertu ne peut être commune à
tous. Alors les conditions de la vertu sont nécessairement des qualités qui elles non plus ne
sont pas communes à tous. Donc si le désir du bien participe à la vertu, c’est qu’il est possible
de désirer autre chose que le bien. Et désirer autre chose que le bien, c’est désirer le mal. Il
s’assure donc en demandant à Ménon s’il pense qu’il y a des hommes qui désirent le mal, qui
lui répond que oui, il y a des hommes qui désirent le mal, que sa définition de la vertu
implique bien cette idée, sur laquelle il va fonder la suite de sa dialectique.