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Devoir maison de philosophie

Texte :

"Et voilà cette fameuse liberté humaine que tous se vantent d'avoir ! Elle
consiste uniquement dans le fait que les hommes sont conscients de leurs
désirs et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés. C'est
ainsi que le bébé croit librement désirer le lait, que l'enfant en colère croit
vouloir la vengeance, et le peureux, la fuite. Et puis l'homme ivre croit que
c'est par un libre décret de l'esprit qu'il dit des choses qu'il voudrait avoir
tues, une fois dégrisé. C'est ainsi que le fou, le bavard et beaucoup
d'autres du même genre croient qu'ils agissent par un libre décret de
l'esprit, et non qu'ils sont emportés par une impulsion ! Parce que ce
préjugé est inné chez tous les hommes, ils ne s'en libèrent pas si
facilement. L'expérience l'enseigne plus qu'assez, rien n'est moins au
pouvoir des hommes que de modérer leurs désirs. Souvent, quand des
affects contraires s'affrontent, ils voient le meilleur et ils font le pire. Mais,
en dépit de cela, ils se croient libres ! Et cela vient du fait qu'ils ont pour
certaines choses un désir léger, et qu'ils peuvent facilement contrarier cet
appétit par le souvenir d'une autre chose, souvent rappelée à leur
mémoire." (Spinoza, Correspondance, Lettre 58 à Schuller, 1674,
traduction M. Rovere, éditions Garnier-Flammarion, 2010, p. 318-919)

Questions :

I)Eléments d’analyse :

1)Expliquez le passage suivant : “les hommes sont conscients de


leurs désirs et ignorants des causes par lesquelles ils sont
déterminés” (ligne 2)

Dans ce passage, Spinoza formule un argument lui permettant de défendre


sa thèse (implicitement formulée dans le texte) selon laquelle les hommes
ne possèdent pas le libre arbitre. Mais essayons de comprendre avec
précision notre passage. L’auteur indique que ce qui explique que les
hommes se croient libres est qu’ils sont “conscients de leurs désirs et
ignorants des causes qui les déterminent”. On peut en effet d’emblée
comprendre que les hommes, selon l’auteur, se croient libres de manière
illusoire puisqu’il indique qu’ils “se vantent” (ligne 1) d’être libres mais qu’ils
sont en réalité “déterminés” (ligne 3). Après avoir situé le rôle et la fonction
du passage dans le texte, nous allons essayer de l’analyser un peu plus
dans le détail. Commençons pour cela par définir le terme “désir” qui
désigne une tendance vers un objet. Par objet nous entendons de manière
très générale un aliment, une personne, une activité ou toute autre chose
que l’on peut être amenée à convoiter. Mais que signifie que les hommes
sont conscients de leurs désirs ? Cela veut-il dire que nous avons
connaissance de la valeur et de la portée de nos désirs ? Comme lorsqu’on
reprend quelqu’un en lui disant : “Es-tu conscient de ce que tu fais?”
lorsqu’on pense qu’il ne mesure pas la portée de son acte. Ou bien cela
veut-il dire que nous avons simplement connaissance du désir lui-même ?
C’est la deuxième interprétation qu’il faut privilégier parce qu’il n’y a pas
besoin d’avoir pris la mesure de la valeur de notre désir pour que nous
nous jugions libres. Le seul savoir que nous avons du désir suffit pour cela.
Prenons par exemple une personne qui désire manger du nutella. Pour
qu’elle s’estime libre, il n’y a pas besoin qu’elle connaisse les effets précis
du nutella sur sa santé ; elle a simplement besoin de savoir qu’elle a ce
désir.

Mais pourquoi alors, cela Spinoza cette liberté n’est qu’illusoire ? La raison
est la suivante, c’est que les désirs des hommes sont déterminés et que
ces derniers ignorent par quoi. Mais que signifie être déterminé? Cela veut
dire qu’ils ne sont pas le fruit d’une décision libre de l’homme mais qu’ils
sont les effets nécessaires de causes qui pèsent sur l’individu. Ainsi, je ne
désire pas du nutella parce que je l’ai décidé mais parce que mon
organisme est constitué de telle sorte qu’il est attiré par le sucre et le gras.
J’ignore tout cependant des causes précises, biologiques, qui sont à
l’origine de mon désir. Pourtant, ce sont elles qui font que je désire et pas
autre chose. Le désir et l’action des hommes ne sont que le résultat
nécessaire d’un enchaînement de causes et d’effets ; l’Homme ne possède
donc pas le libre arbitre.

2)Expliquez le passage suivant : “Parce que ce préjugé est inné chez


tous les hommes, ils ne s'en libèrent pas si facilement” (ligne 9)

Dans cette phrase notre auteur fait référence au préjugé du libre arbitre, au
fait que les hommes croient le posséder alors qu’il n’en est rien. Il affirme
ainsi que ce préjugé est tenace en raison de sa nature innée. Ce faisant,
l’auteur permet de répondre à deux objections que l’on pourrait lui faire. La
première pourrait consister à lui répondre que son affirmation est
nécessairement fausse en raison du fait que tous les hommes pensent
faire l’expérience de la liberté. La seconde consisterait à lui objecter qu’il
est étrange que les hommes continuent à se croire libres malgré des
explications comme les siennes.

Mais avant de préciser la manière dont Spinoza répond à ces deux


objections possibles à son propos, nous allons tout d’abord tenter de mieux
comprendre certains termes de notre passage. Le terme préjugé renvoie à
une opinion hâtive et préconçue venant du milieu ou de l’éducation qui
revient à généraliser une expérience personnelle. Le libre arbitre quant à
lui renvoie à l’idée selon laquelle la volonté est cause première et donc
déterminée par aucune autre cause antécédente. Ici c’est un préjugé de
se croire doté de libre arbitre en raison du fait que cette opinion est forgée,
selon l’auteur, de manière hâtive sur la seule base de la conscience des
désirs qui sont les nôtres. Ne sont pas prises en compte, en revanche, les
causes de ces mêmes désirs. L’analyse de ces dernières tend à montrer à
l’inverse que les désirs sont en réalité complètement déterminés et donc
qu’il n’ont pas pour origine la volonté consciente de l’agent. Spinoza
indique en outre que ce préjugé est inné c’est à dire qu’il découle de la
nature de l’homme et les touche par conséquent tous.

Revenons aux réponses à d’éventuelles objections que contient ce


passage. Premièrement Spinoza montre que l’expérience que les hommes
pensent faire de la liberté ne prouve rien dans la mesure où elle n’est qu’un
préjugé illusoire. Mais la deuxième objection que l’on pourrait faire est de
se demander pourquoi ce préjugé est aussi tenace. A ce point aussi notre
passage permet de répondre en indiquant que ce qui explique la
persistance du préjugé malgré sa fausseté est son caractère inné. Parce
que tous les hommes, depuis leur plus tendre enfance, ont ce préjugé, il
leur est difficile de le modifier tant on sait l’influence profonde des
croyances adoptées dans l’enfance sur l’esprit.

3)Indiquez les raisons pour lesquelles, selon Spinoza, les hommes se


croient libres.

Selon notre auteur, les hommes se croient libres pour deux raisons. La
première est qu’ils sont ignorants des causes qui déterminent leurs désirs.
Et parce qu’ils n’en sont pas conscients, ils pensent donc qu’il n’y en a pas.
Ils croient donc que leur désir a pour origine leur propre volonté consciente.
Prenons par exemple le cas d’une personne qui veut être musicienne. Elle
pense le vouloir librement, alors que dans bien des cas -comme Mozart par
exemple- son désir est l’effet nécessaire de son éducation et de son talent.

La deuxième raison est que les hommes lorsqu’ils sont sujets à de faibles
désirs peuvent facilement les contrarier, ils pensent donc qu’ils ne sont pas
déterminés par eux mais que leur volonté domine. Ainsi par exemple
lorsque nous passons devant une boulangerie, sommes tentés par l’éclair
au chocolat et passons malgré tout notre chemin. Nous nous croyons libres
parce que nous avons maitrisé notre désir mais cela, pour Spinoza n’est
que le reflet de la force supérieure de notre désir de ne pas manger sur
celui de manger.

II)Eléments de synthèse :

1)quel est le thème du texte ?

L’homme possède-t-il le libre arbitre ?

2)quelle est la thèse du texte ?

L’homme ne possède pas le libre arbitre.

3)indiquez et expliquez les exemples rapportés ici par Spinoza

Dans son texte, Spinoza propose de nombreux exemples pour illustrer son
argument selon lequel les hommes ne sont pas conscients des causes qui
déterminent leurs désirs. Dans une première série d’exemples, Spinoza
parle d’un bébé, d’un enfant, puis d’un peureux. Il est à noter ici (merci
Lucie !!) que se trouve une gradation au niveau de l’âge dans les
exemples. Spinoza part volontairement d’un bébé et termine avec ce qu’on
s’imagine être un adulte comme pour nous indiquer que l’adulte, tout autant
que le bébé est ignorant des causes qui déterminent ses désirs. La
maturité ne fait ici rien à l’affaire alors qu’on aurait volontiers pensé le
contraire du fait de la maturité et de la lucidité que l’on peut acquérir avec
l’âge. Dans les trois exemples le désir ne nait pas d’une décision
spontanée mais de la nature biologique ou psychologique (caractère) des
individus (la peur). Autrement dit, ils ne peuvent pas ne pas avoir les désirs
qu’ils ont… bien qu’il ne s’en rendent pas compte. L’homme ivre quant à
lui, emporté par son ivresse en vient à manque de lucidité et à prononcer
des choses qu’il n’aurait pas voulu dire. Alors qu’il se croit parfaitement
libre au moment où il parle, il n’est en fait que le jouet de son état d'ébriété
qui le domine sans qu’il en ait le moindre contrôle. Il en va de même pour
le fou qui est dominé par les idées extravagantes qui se bousculent dans
son esprit. Il est dominé par le fonctionnement déréglé de son esprit,
prononce des paroles sans cohérence aucune et se croit pourtant
parfaitement libre. Enfin, pour le bavard, il est aussi dominé par son désir
de parler qu’il ne peut contenir alors qu’il croit lui aussi parler librement et
sans contrainte aucune.

4)quels sont les arguments formulés par l’auteur ? expliquez les.

L’auteur formule dans ce texte deux arguments lui permettant de défendre


sa thèse selon laquelle l’Homme ne possède pas le libre arbitre. Le
premier, nous l’avons vu, repose sur l’idée que les désirs des hommes sont
nécessaires parce que déterminés par des causes qui s’appliquent sur les
esprits et les corps des individus. Un événement nécessaire (dans notre
cas, un désir) signifie que ce qui se produit ne pouvait pas ne pas se
produire, ni d’une autre manière. Mon désir de nutella, en rentrant chez
moi, pour reprendre cet exemple, ne pouvait pas ne pas avoir lieu ; et il ne
pouvait pas non plus être plus intense ou moins intense que ce qu’il a été.
Si cela est vrai, cela montre que l’Homme, parce qu’il est déterminé à agir
d’une manière précise, ne possède pas le libre arbitre.

Le deuxième argument proposé par l’auteur (ligne 10) est que les hommes
sont dans l’incapacité de maîtriser leurs désirs. Leurs actions sont donc
déterminées par des désirs qu’ils n’ont pas choisi eux mêmes et contre
lesquels ils ne peuvent lutter même s’ils le voulaient. C’est ainsi que
Spinoza prend l’exemple du bavard ; son désir de parler est si fort que
même s’il se rend compte qu’il ennuie tout le monde, il est incapable de
s’empêcher de parler. Comme l’indique Spinoza à la ligne suivante, “il voit
le meilleur” (arrêter de parler) mais fait quand même “le pire” (continuer à
ennuyer les gens).

III)Commentaire :

1)Peut-on considérer que nous sommes réellement auteurs de nos


actes ?

Avant de répondre à cette question, essayons de la comprendre avec


précision. Si l’on nous demande si nous sommes réellement auteurs de
nos acte cela semble présupposer que la plupart du temps nous pensons
l’être ; dans le cas contraire, l’adverbe “réellement” serait superflu. Mais
que veut dire être auteur de ses actes ? Cela signifie que nos actes
peuvent nous être attribués parce que nous en sommes à l’origine, qu’il
dépendait de nous de les accomplir ou pas ; en un mot, que nous en
sommes responsables. Par exemple, il semble que je suis auteur de mon
acte lorsque je cultive mon jardin. L’acte ne dépend que de moi, c’est moi
qui en suis à l’origine dans la mesure où j’exerce cette activité comme un
loisir et non comme une source nécessaire de revenu. Je peux donc être
aussi tenu pour responsable des conséquences de mon acte. Je peux être
considéré comme l’auteur de mon acte parce que je l’accomplis
consciemment, il est contingent et dépend de ma volonté de l’accomplir qui
est elle-même contingente (c’est à dire qu’elle peut être autrement que ce
qu’elle est).

Mais est-ce si sûr ? N’y a-t-il pas de bonnes raisons de penser que ce que
nous faisons est en réalité intégralement déterminé? que nos actes ne sont
que les effets nécessaires de causes qui pèsent sur nous de sorte que nos
conduites seraient prévisibles par un esprit omniscient? Tel est le cas, du
moins selon Spinoza, dans la mesure où selon lui, nos désirs (qui eux
mêmes sont à l’origine de nos actes) ne sont pas choisis par nous mais
définis par l’ensemble des conditions qui constituent l’environnement dans
lequel j’évolue. Ces conditions qui sont les miennes sont elles-mêmes les
effets nécessaires de causes antérieures de sorte que l’on peut expliquer
ma conduite présente en remontant une chaîne de causes et d'effets allant
aussi loin que l’on veut dans le passé. Dans cette perspective, l’homme
n’est pas le véritable auteur de ses actes mais le simple maillon d’une
chaîne dans laquelle il est prise. Ainsi par exemple, mon désir de devenir
footballeur n’est que le résultat nécessaire de mes belles facultés
physiques (endurance, bons appuis…), de mon attrait pour les sports
d’équipe qui s’explique lui même par mon caractère sociable et enfin par
l’attrait que ce sport présente dans la société qui est la mienne.

2)Comparez la thèse de Spinoza à celle de Descartes et indiquez par


l’intermédiaire d’arguments et d’exemples laquelle doit être
privilégiée.

Spinoza prétend que l’homme ne possède pas de libre arbitre, c’est à dire
que ses actes sont strictement déterminés par des causes qui les
précèdent. Cette thèse peut être défendue avec de solides arguments. Le
premier consisterait à mettre en avant le fait que les actions des hommes
sont déterminées par des désirs lesquels sont déterminés par des causes
précises qui elles mêmes sont les effets de causes antérieures, et ainsi à
l’infini. La conduite de chaque individu n’est donc que la conséquence
nécessaire de causes antérieures et peut donc intégralement être prédite
par un être omniscient. Ainsi par exemple, mon amour pour le football peut
être expliqué par mon éducation (mon père l’aimait aussi énormément),
l’engouement de la société pour ce sport et mes facilités pour ce dernier.
ce sont tous ces facteurs qui ont pour effet nécessaire mon amour pour lui
et le fait que j’y consacre une bonne partie de mon temps libre. Chacune
de ces causes pouvant être aussi aisément expliquée comme l’effet
nécessaire de causes précises.

Spinoza avance un deuxième argument pour défendre sa position


déterministe. Il consiste à mettre en avant la faiblesse de la volonté face au
désir. En effet, il est fréquent que j’approuve le Bien (par exemple aider ma
grand mère à nettoyer son salon) mais que je ne le fasse pas alors que
j’aurais aimer l’accomplir. Dans ce cadre, l’absence d’acte vertueux
s’explique justement par une faiblesse de la volonté face au désir (acrasie,
pour employer le mot technique). Et les exemples de ce type peuvent être
multipliés. Or si je possédais le libre arbitre ma volonté pourrait toujours
triompher de mon désir et me permettre de passer à l’action.

Si ces arguments sont percutants ils ne permettent cependant pas


d’évacuer totalement l’existence d’une indétermination au sein de
l’existence humaine. Cette dernière n’est pas totalement déterminée mais
contient un élément d’imprévisibilité. En effet, selon Descartes, il existe au
moins une situation où la conduite n’est pas totalement déterminée, c’est
dans le cas du choix à faire entre deux options à peu de choses près
indifférentes. Si l’on vous demande par exemple de bouger un membre et
que vous avez le choix entre l’index et le pouce droit, vous choisirez l’un
d’eux de manière tout à fait indifférente. Vous pouvez même décider aux
dés duquel vous bougerez de sorte qu’il est clair qu’aucune des deux
options n’est déterminée à l’avance. Là où la thèse de Descartes peut être
excessive c’est lorsqu’il affirme, dans les Méditations Métaphysiques, que
nous pouvons vouloir tout et n’importe quoi à chaque instant comme par
exemple pour un joueur de basket professionnel de tout arrêter et se
mettre à la danse classique. Cela semble parfaitement impossible qu’il
puisse tenir dans cette direction dans la durée dans la mesure où il n’en a
pas le désir.
RAPPEL : même si ça ne vous est pas demandé, illustrez et définissez dès que vous
pouvez !

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