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Serge Cottet Freud Désir PDF
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C h a m p F r e u d i e n
Paris VIII
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SERGE COTTET
FREUD
ET LE DÉSIR
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DU PSYCHANALYSTE
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ÉDITIONS DU SEUIL
27, rue Jacob, Paris VIe ^
La première édition de cet ouvrage
a été publiée en 1982 aux éditions Navarin.
isbn 2-02-025706-8
lui, la fonction universelle isolée par Lacan entre 1964 et 1967 prenait pire. Ne dit-il pas à Ferenczi au moment où il élabore Totem et Tabou :
une certaine consistance. Elle devenait, sinon un paradigme du désir de «Je ne voulais avoir qu’une petite liaison et maintenant à mon âge je
chaque analyste, du moins un modèle, une norme, à laquelle tout un suis forcé d’épouser une nouvelle femme » (30 novembre 1911) ? Enfin,
chacun pouvait se confronter. on peut dire que cette cause il l’a aimée et l’a voulue telle qu’elle était.
Il était donc tentant d’appliquer aux comptes rendus de cures faits Lacan fait même l’hypothèse qu’il l’a voulue dans ce qu’elle a de plus
par Freud l’instrument proposé par Lacan, le désir de l’analyste, et d’en funeste au point de vue institutionnel dans les mains de l’I.P.A.
faire à la fois le « pivot de la cure » autant que la loi qui assujettit le désir Nous sommes ainsi confrontés à la question qui concerne le désir
de savoir de Freud ; à la fois dans la pratique et dans la théorie. de Freud dans sa relation au « désir du psychanalyste » selon Lacan.
Dans la Direction de la cure, Lacan faisait apparaître le désir de l’ana Car cette singularité du désir de Freud, dans sa contingence historique
lyste comme pivot, en tant que la fin de l’analyse comme sa stagnation comme dans son caractère absolu en tant que condition de la nais
ou la résistance lui sont subordonnées. sance de la psychanalyse, pose le problème du modèle, du paradigme.
La définition de cette fonction ne requiert que les corollaires à tirer Mais cet élément identificatoire qui reconduit l’identification au père
du concept de désir de l’Autre. C’est dire que le désir de l’analyste est mort constitue tout aussi bien un repoussoir. On sait les conséquences
d’emblée présupposé par le sujet appelé à déchiffrer son propre désir par néfastes qu’une telle identification engendre dans la communauté ana
la médiation du désir de l’Autre. Après que Lacan a construit la notion lytique.
de « sujet supposé savoir » à la fin de son Séminaire sur le Transfert, on Il est donc nécessaire de poser le problème de la place du désir de
peut en déduire le désir de l’analyste comme « sujet supposé désir ». Les Freud dans l’histoire de la psychanalyse.
deux suppositions sont complémentaires. La pratique analytique fait Par commodité, je distingue trois moments plus logiques que chro
émerger le désir du sujet comme désir de l’Autre. Ce dernier est la cause nologiques et qui sont d’ailleurs dispersés dans les différents chapitres.
du désir du sujet. 1° Le premier concerne l’élaboration du concept de « désir de l’ana
Cette fonction, pourtant, n’entraîne aucune existence ni ne nomme lyste » comme fonction opératoire; la logique de la cure l’impose;
aucun particulier. Le désir est pris au sens générique ; celui de l’universel d’autres relations y sont impliquées : le transfert, la fin de l’analyse, la
de la fonction. Cet universel est nécessaire à la dynamique de la cure et passe. Ces relations peuvent être décrites sans qu’il soit nécessaire de
à la manœuvre du transfert propre à l’analysant : c’est bel et bien une faire appel au désir de l’un plutôt qu’au désir de l’autre.
supposition. 2° Nous avons défini le désir de Freud dans sa singularité : il constitue
Or, nous posons maintenant une question portant sur l’existence : en une exception à cette fonction en tant que condition même de l’expé
existe-t-il au moins un qui satisfasse à cette fonction, qui la vérifie comme rience. C’est l’excentricité du désir de son inventeur par rapport à cette
opératoire ? Cela paraît indémontrable durant un certain temps, préci fonction même.
sément le temps d’inventer le dispositif vérifiant l’émergence de ce désir. 3° La particularité du désir du psychanalyste considérée comme dis
Et cela ne peut se faire qu’à partir du particulier. tinguant l’un de l’autre, pris un par un : là se pose la question de l’adé
Avant l’invention de la passe en 1964, l’exception dont on peut se quation du désir d’un particulier à cet universel ; plus exactement, on
demander aussi par rapport à quelle règle elle se confirme, est le désir demande comment chacun, à partir de son inconscient, satisfait à la
de Freud : le seul qui puisse prétendre répondre à la question de la cause conversion de son désir propre pour s’inscrire sous cette catégorie.
de la psychanalyse. Car son désir, c’est la psychanalyse elle-même. Ce schéma peut paraître par trop aristotélicien. Il vise à opposer à
Ce désir est donc en position d’exception à plusieurs titres : d’abord l’universel d’une fonction la singularité de la position de Freud. La ques
Freud n’est pas un « sujet supposé savoir » ; il savait. (Cf. Lacan, le Sémi tion est de savoir s’il fut lui-même adéquat à cette fonction ou bien au
naire, XI, p. 211). contraire si la singularité de son désir n’a pas marqué étrangement l’his
Ensuite, il a désiré la psychanalyse et l’a fait exister comme signifiant toire de la psychanalyse. Quoi qu’il en soit, modèle ou repoussoir, il
nouveau dans la civilisation : il l’a épousée pour le meilleur et pour le convient de déchiffrer et d’expliciter son origine.
IV Freud et le désir du psychanalyste Avant-propos de la seconde édition V
À l’instar de célèbres paradoxes logiques, le désir de Freud est en « Qui mieux que lui avouant ses rêves, a su filer la corde où glisse
exclusion interne à sa découverte. l’anneau qui nous unit à l’être, et faire luire entre les mains fermées qui
Notre travail suit donc une voie qui consiste à extraire le désir de se le passent au jeu du furet de la passion humaine, son bref éclat ?
Freud d’une énonciation qui se déchiffre comme désir de savoir dans « Qui a grondé comme cet homme de cabinet contre l’accaparement
sa particularité. On a donc pris le désir de Freud dans un sens large de la jouissance par ceux qui accumulent sur les épaules des autres les
comme désir de savoir mais aussi comme position subjective par rap charges du besoin ?
port à sa passion de la vérité. Cela à partir de ses comptes rendus de « Qui a interrogé aussi intrépidement que ce clinicien attaché au terre-
cure comme de son œuvre en son ensemble. On n’a pas exclu ce que à-terre de la souffrance, la vie sur son sens, et non pour dire qu’elle n’en
Lacan appelle la somme des préjugés, notamment les plus célèbres a pas, façon commode de s’en laver les mains, mais qu’elle n’en a qu’un
concernant la cure de Dora, la féminité, et en général le rapport où le désir est porté par la mort ?
sexuel. « Homme de désir, d’un désir qu’il a suivi contre son gré dans les
Autant dire qu’une réévaluation du désir de Freud est en jeu. Elle a chemins où il se mire dans le sentir, le dominé et le savoir mais dont il
souvent été effacée par le retour de Lacan à Freud à partir de 1953. a su dévoiler, lui seul, comme un initié aux défunts mystères, le signifiant
Cependant, en 1964, une note critique est perceptible dans l’œuvre de sans pair : ce phallus dont le recevoir et le donner sont pour le névrosé
Lacan à ce sujet : « quelque chose chez Freud n’a jamais été analysé » <gaiement impossibles... » (Écrits, p. 642.)
(le Séminaire, XI, p. 16). En regard de ce texte, nous pourrions citer de nombreux exemples
Dans les années quatre-vingt, on avait tendance à interpréter ce juge qui mettent en évidence cette division au cœur même du désir. Contre
ment dans un sens positif ; j ’y voyais moi-même une invitation à analyser son gré, en effet, comme en témoigne le rêve inaugural de « l’injection
le désir de Freud comme pur désir de savoir au-delà des limites qu’impose à Irma », Freud résume son parcours où son désir de savoir s’inscrit dans
le discours du maître. l’identification moliéresque au médecin avant de reculer devant la cas
Aujourd’hui, cependant, je soulignerai davantage la tension qui existe tration féminine. L’absence de « solution » à la réussite du rapport sexuel
entre les principes implicites du freudisme et l’orientation lacanienne. laisse ouverte la voie à l’élucidation du réel par la seule écriture symbo
Tout se passe comme si Lacan, dans la dernière partie de son enseigne lique. Lacan dans le commentaire qu’il en a donné (le Séminaire, II) situe
ment, opérait une sorte de partage entre la structure propre à l’expé en ce point d’ombilic du rêve un au-delà du désir de Freud, notamment
rience et la fiction par laquelle Freud l’a appréhendée. l’au-delà du désir thérapeutique.
En deçà de cette perspective, notre ouvrage se limite à décrire les Bien d’autres exemples pourraient être apportés qui signalent tous un
caractéristiques du désir de Freud dans des termes qui soulignent plutôt point de butée de la théorie, d’une syncope du désir de savoir. Jusqu’à
l’identité de l’universel de la fonction et du paradigme freudien. Cette la découverte de la pulsion de mort en 1921, on voit Freud en effet suivre
démarche se justifie toujours. contre son gré un destin qui le voue, lui et son invention, à être le paria
Il est vérifiable qu’une grande partie de l’enseignement de Lacan va de la civilisation.
dans ce sens : celui d’une quasi-identité entre la structure et le désir de Témoin de ce que la psychanalyse a d’étranger au désir du savant,
Freud. Ce dernier est à ce point le modèle d’un savoir nouveau et d’un ne dit-il pas à Binswanger : « Il n’est rien dans la structure de l’homme
« désir inédit » à l’horizon du malaise de la civilisation qu’une nouvelle qui le prédispose à s’occuper de psychanalyse » (Correspondance avec
éthique en procède. Binswanger, lettre 56, p. 134).
Avant que Lacan ne découvre que quelque chose cloche dans le désir Forçant cette position d’exception où Freud affronte l’intolérable, il
de Freud, il n’était pas loin de le promouvoir en tant qu’idéal fondateur écrit d’ailleurs en 1925 dans une revue juive : « Pour avoir formulé ces
de la position subjective du psychanalyste. La dernière page de la Direc critiques (contre la répression du désir par la civilisation), la psychanalyse,
tion de la cure constitue, par son lyrisme, un véritable hymne à l’héroïsme ennemie de la civilisation, a été bannie comme danger public. » (« Résis
freudien : tances à la psychanalyse » in Résultats, Idées, Problèmes, t. II.)
VI Freud et le désir du psychanalyste Avant-propos de la seconde édition VII
Freud ici identifié à Abélard ou à Kepler plus qu’à Copernic s’arroge Il est vrai que cette description s’inscrit encore dans la perspective de
la fonction prestigieuse mais sacrificielle de subvertir la vie psychique. la subjectivité de l’analyste. Les catégories qui l’informent seront sérieu
En décentrant le sujet de l’inconscient des Idéaux de la maîtrise et de la sement entamées après 1968. L’analyste n’y sera plus considéré comme
connaissance de soi, il s’inscrit aussi bien à la place du juif dans la civi sujet mais comme objet a, bouchon de la béance subjective de l’analysant.
lisation retrouvant par là un destin auquel il avait vainement tenté Le renversement des rapports du savoir et de la vérité dans Radio
d’échapper par la recherche d’une reconnaissance universelle de la phonie (in Scilicet 213, Paris, Seuil, 1970) ne permet plus d’analyser le
communauté savante : « ce n’est pas par hasard que le promoteur de la prestige humaniste de la docte ignorance. La question du savoir du psy
psychanalyse soit un juif» (ibid., p. 134). chanalyste va devenir prioritaire. Sur ce point une différence sensible
Quelques années avant Malaise dans la civilisation, Freud révèle sa existe entre Freud et Lacan concernant le désir de savoir.
position dans la coupure du discours du maître dans un rapport d’oppo Si nous distinguons les temps forts de cette rectification opérée par
sition absolue. De ce point de vue on peut radicaliser le caractère spé Lacan, il faut réserver une place spéciale aux Écrits où l’usage du concept
cifique de l’éthique freudienne comme antagoniste aux Idéaux du maître. du « désir du psychanalyste » sert à valoriser au contraire l’œuvre de
Ainsi le retour à Freud opéré par Lacan jusqu’à 1964 peut figurer Freud. En revanche, dans son Séminaire L ’Envers de la psychanalyse,
dans la rubrique d’une éthique d’un désir « purifié » : en cela consiste Lacan disjoint nettement discours analytique et désir de Freud.
l’essentiel des conseils prodigués par Freud aux médecins en 1912 (« puri- Compte tenu des vertus paradigmatiques et même proches de l’Idéal
fiezierung » s’oppose aux préjugés et à la résistance du médecin) in la que la position de Freud soutient aux yeux de Lacan, la chute d’un tel
Technique psychanalytique, Paris, P.U.F., 1967, p. 67. Idéal pose un problème historique. Le changement de point de vue est
Ce nettoyage est résumé par Lacan à la suite de Ferenczi, lequel a solidaire d’une réélaboration des concepts fondamentaux de la psycha
décrit cette ascèse de l’analyste dans des termes proches des principes du nalyse. Le désir de l’analyste subit lui-même un remaniement conceptuel.
« non-agir » tao. Il n’est pas étonnant que le tournant ait lieu en 1964, époque à laquelle
Et dans son commentaire de « l’élasticité de la psychanalyse » de Lacan institue la passe, soit un protocole susceptible de vérifier l’analyse
Ferenczi en 1928, Lacan ratifie la nécessité de cette ascèse au titre d’une de l’analyste. Enfin la logique entraînée par ses propres concepts le
annulation du moi de l’analyste. conduisait à une révision du désir de Freud.
Cette division subjective de l’analyste, thème cher à Ferenczi, abou Si nous ajoutons que dans les années soixante-dix, on assiste à une
tira dans les années trente à l’institutionnalisation de la cure personnelle mise en cause de la garantie offerte par l’Autre et même à son inconsis
préalable à l’acte analytique. La séparation de l’être du sujet et de son tance, on saisit alors l’existence d’une autre dialectique du désir : le désir
acte ne se réduit pourtant pas à un idéal d’objectivité ; c’est encore comme de l’analyste entre en tension avec le désir de l’Autre. Il n’est plus paré
sujet d’un désir que l’analyste opère. Cette première version du désir de des vertus de l’intersubjectivité. Il désigne le paradoxe d’un désir qui veut
l’analyste anticipe déjà l’article de 1967 où l’annulation du moi sera la la place d’un objet rebut, du déchet.
condition même de l’interprétation. (Raison d’un échec, in Scilicet 1, p. 47.) Enfin, une mise au point est à faire concernant la place de la psy
Cette opération de retranchement n’est pas sans évoquer à nouveau chanalyse par rapport au discours de la science ; un décentrement de
la métaphore de la sculpture chère à Freud pratiquant la «via per l’idéal freudien se révèle nécessaire.
levare ». La science comme idéal du savoir reste inentamée chez Freud. D’ail
Retrouvant le charme des préceptes du non agir, Lacan définissait en leurs Lacan ne récuse pas ce scientisme et tient pour essentielle cette
effet par la négative cette position : « réduction de l’équation personnelle, adhésion aux idéaux du positivisme du XIXe siècle dans la découverte de
- place seconde du savoir, - empire qui sache n’insister pas, - bonté sans la psychanalyse. On sait que la coupure galiléenne est essentielle à la
complaisance, —défiance des autels du bienfait, —seule résistance à atta constitution de la psychanalyse, indépendamment du fait de savoir si elle
quer : celle de l’indifférence... » (« Variantes de la cure type », Écrits, est scientifique ou non. Freud en effet considère l’idéal scientifique
p. 341). comme extérieur à son champ et comme modèle sur lequel prendre
VIII Freud et le désir du psychanalyste Avant-propos de la seconde édition IX
appui, par exemple il s’agit de fonder la technique d’interprétation des rectes. Ainsi le savoir se construit dans le cadre de l’ignorance et non
rêves sur le signifiant pour échapper à l’obscurantisme, ou encore s’arra dans la lumière de la vérité. Il en résulte d’ailleurs une mise en garde
cher à l’interprétation religieuse ou paranoïaque. adressée à ses élèves contre « le mystérieux inconscient » et à son pouvoir
Lacan au contraire établit que la science structure le champ freudien de fascination (cf. « Théorie et pratique de l’interprétation du rêve », in
de manière interne, que le signifiant est le point où d’emblée la psycha Résultats, Idées, Problèmes, t. II, p. 82).
nalyse se branche sur la science (cf. Scilicet 5). Elle n’a donc rien d’un Il n’en reste pas moins vrai que le désir de savoir de Freud, s’il a un
idéal normatif (cf. J.-C. Milner, « Lacan et la science moderne », in Lacan pied dans la science, boite par une passion de la vérité que trahit le mythe
avec les philosophes, Bibliothèque du Collège international de philosophie, œdipien. Lacan en situe l’origine dans le rapport de Freud au père et à
Albin Michel, 1991). l’impensé religieux du registre œdipien. Rien moins que la névrose de
L’évaluation du désir de savoir de Freud dépend des rapports de la Freud est là concerné : la formalisation lacanienne revient, en un sens,
science à la vérité. Lacan, certes, a toujours bien distingué vérité et exac comme l’a montré J.-A. Miller, « à purger la psychanalyse en intention
titude, cela au profit de la vérité ; néanmoins, dans Radiophonie et les de la fonction du père » (cf. la Causefreudienne, « Au-delà de l’Œdipe »,
Séminaires qui suivent, il localise le savoir dans le réel sans égard à la n° 21, p. 9).
vérité. Les constructions de Totem et Tabou s’étayent sur des requisits reli
Lorsque Lacan prétend que le péché originel de la psychanalyse, ce gieux à expliciter (cf. Lacan, Séminaire, L ’Envers de la psychanalyse,
sont « les amours de Freud avec la vérité » (« Note italienne », in Omi- chap. 7) : quel est ce père qui mérite d’autant plus l’amour qu’il est le
car ? 26), il disqualifie en même temps la prétention qu’a la science de grand castrateur de la horde des fils ? Pourtant, ces fondements religieux
dire quoi que ce soit qui soit de l’ordre du vrai. appartiennent plus au monde chrétien qu’au judaïsme. Freud, en effet,
Sans doute ne peut-on contester l’exigence éthique de Freud qui ne prédit la conquête d’aucune terre promise, le continent noir de la
commande au patient de ne pas mentir et au nom de l’amour de la vérité sexualité féminine y faisant obstacle. En revanche, on peut avec Lacan
de renoncer « à tout faux-semblant et tout leurre » (cf. Analyse avecfin et mettre en évidence un christocentrisme chez Freud : Freud sauve le père
analyse sans fin , p. 263). et le met à l’abri de la castration. En ce sens amour de la vérité et mythe
En revanche, ce qui est mis en question, c’est la volonté obstinée chez du père se rejoignent.
Freud à vouloir lever le refoulement originel, à mettre la main sur le Ainsi Lacan réinterprète le mythe d’Œdipe non pas comme crime
réel, avec la passion d’un détective aux prises avec le mystère de la cham envers le père, mais comme forçage des limites imposées à la vérité.
bre de la scène originaire. De ce point de vue, la passion de la vérité Œdipe s’aveugle pour avoir forcé ces limites, ce qui est la position fon
chez Freud s’apparente plus à celle de Sherlock Holmes qu’à celle de damentale du névrosé. Lacan suggère ainsi qu’un tel amour se confond
Dupin d’Edgar Poe. Cette dernière référence, chère à Lacan, implique avec l’appel à la castration.
une tout autre conception de la vérité : tout le monde l’a devant les yeux, Au reste, la « cause phallique » de Freud, sa croyance au rapport
personne ne la voit et chacun n’en veut rien savoir. sexuel, s’articulent avec cette exigence de vérité.
Il est vrai que dans les années trente, Freud aura une conception Cette critique faite à Freud dans les années soixante-dix est assez
moins absolue du vrai et donnera sa place au mythe, ce que Lacan sévère. Elle ne tient pas toujours compte des rectifications auxquelles
appelle la structure de fiction de la vérité : les « constructions », en ana Freud a procédé, notamment sur les limites de l’interprétation, sur le
lyse notamment, ne touchent le réel que de biais, elles se substituent au caractère résiduel de la fin de l’analyse, sur l’importance de nœuds psy
refoulé comme au souvenir, et comme dit Freud « la carpe de la vérité chiques inaccessibles à l’interprétation symbolique. Il en résulte que le
a été attrapée avec l’appât du mensonge ». Notre chapitre consacré aux désir de Freud ne s’épuise pas dans une passion du déchiffrage, de
« constructions » doit être interprété comme le renoncement chez Freud l’enquête archéologique, de l’obsession de la scène primitive. Encore que
à la preuve directe et à tout effet de catharsis. On ne touche le réel que Lacan tienne cette passion freudienne pour non négligeable dans le
par le signifiant. Les preuves de l’inconscient passent par des voies indi déclenchement de la psychose de l’Homme aux loups^^^™— —__
X Freud et le désir du psychanalyste Avant-propos de la seconde édition XI
On notera qu’en 1923, dans son article synthétique : « Psychanalyse question : « Qu’a voulu Freud ? » débouche naturellement sur la psycha
et théorie de la libido », Freud situe le désir de savoir au-delà de la nalyse en extension ; soit : la politique de la psychanalyse. Notre travail
jouissance d’une rencontre avec l’inconscient. Dans ce texte, la satisfac s’était limité, à l’époque, à la psychanalyse en intention. Il s’achevait
tion du déchiffrage est elle-même mise en question. On ne saurait se pourtant dans les coups de tonnerre provoqués par la crise à l’École
contenter, dans l’investigation d’un cas, de la satisfaction du « désir de freudienne de Paris, suivis de sa dissolution.
savoir » de l’analyste (Wissbegierde) : terme assez rare chez Freud dans Avec un effet rétrospectif, cette crise, comme bien d’autres dans l’his
ce contexte. (Cf. Résultats, Idées, Problèmes, t. II, p. 67.) toire de la psychanalyse, porte les traces d’une question institutionnelle
En substituant le travail de construction à l’interprétation qui est le restée latente chez Freud, voire impensée.
bouleversement technique introduit dans les années vingt, Freud refuse Qu’a voulu Freud pour la psychanalyse ? Sans aucun doute qu’elle
de s’abandonner aux séductions du déchiffrage comme aux facilités des perdure au-delà de son nom comme YAuJklàrung des Temps modernes.
résistances supposées du patient. Qu’a voulu Freud pour les psychanalystes? Il est plus difficile de
Il entérine alors un déclin de l’interprétation dû autant à l’abus qu’en répondre : un groupe solidaire et pour « la cause », mais de quel type ?
ont fait ses élèves qu’à son inefficacité relative dans ces années-là. Église, armée, parti ?
En reconnaissant une part de non-symbolisable dans le fameux Il n’a certes pas réussi à inventer un lien social inédit capable d’assurer
« reste » de l’analyse infinie, il refuse la thèse d’une totalisation sans reste. la transmission de la psychanalyse.
Il y a un réel non-symbolisable, du hors-sens, de la jouissance, sans liaison Méfiant à l’égard des médecins et des prêtres dans leur ambition de
démontrable à l’inconscient. Freud rencontre sur ce terrain la logique de subordonner la psychanalyse, soit à une technique, soit à une vision du
son époque : il y a de l’inconsistance et de l’indécidable. monde, il n’a pas su reconnaître chez les analystes eux-mêmes les pré
En s’affranchissant ainsi des mythes de la psychologie des profon misses de l’autodestruction. Sans doute pensait-il que l’idéal de scientifi-
deurs, et en anticipant par sa méthode de déchiffrage le structuralisme cité l’emporterait sur toute autre considération, lui qui disait à Pfister
au dire de Lévi-Strauss lui-même (La Potière jalouse), Freud hisse le tenir « la signification scientifique de l’analyse pour plus importante que
déchet dont se détourne la science à la hauteur d’un savoir inscrit dans sa signification médicale » (lettre du 18.1.1928).
le réel. Et pourtant, après sa mort, les effets imaginaires de groupe n’ont pas
« Le savoir scientifique a transmis au rebut de la docte ignorance un cessé. Le modèle de la foule freudienne s’est imposé dans l’I.P.A. où le
savoir inédit » (Lacan, « Note italienne », op. cit.). culte officiel rendu au père mort se révèle compatible avec l’abandon ou
Dans le commentaire qu’à proposé J.-A. Miller de cet énoncé, une l’abâtardissement de sa doctrine.
relation est clairement établie entre malaise dans la civilisation et savoir Voulait-il empêcher cela avec son comité secret soudé par les sept
scientifique. Freud épargne à la science l’accusation d’être une idéologie anneaux de la fidélité ?
de la suppression du sujet sans toujours tirer les conséquences de sa A la fin de sa vie, raconte Kardiner, il se reprochait de faire trop le
subordination au discours du maître (cf. J.-A. Miller, « La passe de la père dans ses analyses : n’aurait-il pu en tirer les conséquences dans
psychanalyse vers la science : le désir de savoir », in Quarto, n° 56). l’Institution ? Freud chef d’École faisant l’Autre de la loi pour la Cause,
Pourtant la psychanalyse, nous l’avons déjà dit, n’est pas une insur sans doute. Mais à être si peu regardant quant à la doctrine de ses élèves,
rection du discours humaniste contre la science. Elle reprend à son il fut assez aveugle relativement aux déviations qui s’annonçaient. Ce qui
compte les rebuts de la science et ce qui est forclos de son discours, compte en effet, n’est pas l’amour de chacun d’entre eux pour Freud,
soit la relation du désir à un objet par nature non désirable. Lacan mais le rapport de chacun à l’inconscient. (Sur ces questions, cf. le maga
dans le Séminaire, XI, radicalisera cette différence absolue entre servi zine l’Ane, n° 42, juin 1990).
tude de l’idéal assujetti à la loi du même et particularité absolue du Au reste, il semble impensable aujourd’hui d’opiner sur la question
désir. du désir de l’analyste en dehors de cette référence institutionnelle : la
Pour finir, nous devons ajouter que le vaste champ ouvert par la passe, l’École, les Écoles...
XII Freud et le désir du psychanalyste
Les analystes veulent-ils que la psychanalyse continue ? Comment
veulent-ils s’associer entre eux ?
S’il est vrai qu’à la troisième génération après Freud l’inconscient
était déjà en voie de se refermer, c’est qu’il n’est pas étemel. Lacan en
a donné l’avertissement. Les analystes ont une responsabilité dans 1exis
tence et dans l’avenir même de l’inconscient. Corrélativement, une apha-
nisis du désir du psychanalyste succombant à l’exigence du discours du
maître est toujours à craindre. Si l’inconscient, selon Lacan, implique
qu’on l’écoute, la voix de la raison peut devenir tellement basse que PREMIÈRE PARTIE
l’inconscient peut finir par se taire.
Tel est l’axe éthique d’un désir qui se voudrait à la hauteur de l’idéal
freudien de la transmission. DE L’HYSTÉRIQUE
Cette exigence n’est pas immédiatement déductible du discours ana AU DÉSIR DE FREUD
lytique lui-même, ni de la pratique qui s’en réclame. Elle requiert de la
part de chaque analyste un choix décidé.
Freud n'a pas toujours été freudien. Les coupures qui jalonnent
son œuvre témoignent des instants de découverte aussi bien que du
temps d'inhibition. Il y a un temps pour comprendre chez Freud que
ne règle pas une volonté de savoir pourtant évidente. Même l'éclairage
du désir de Freud à la lumière de son transfert avec Fliess ne nous paraît
pas non plus suffire à définir la spécificité de son orientation par rapport
aux médecins de son temps1. Si nous tentons de saisir in statu nascendi
Yacte analytique de Freud, c'est qu'aucune préhistoire de la psychana
lyse ne peut rendre compte de ce commencement absolu qui donne à
la parole les pleins pouvoirs avec la règle fondamentale : « tout dire ».
Que Freud ait voulu cela et finalement enjoigne à ses patients de
suivre cette règle ne va pas sans conséquences qui questionnent néces
sairement tous ceux qui prennent sa suite.
Ce serait, au fond, un grand paradoxe de la part d’un analyste, et tour, dont la moindre n’est pas l’ambition brûlante de se faire un nom.
peut-être même une grande imposture, de revendiquer cette neutralité Mais que faire sinon constater que la somme des passions dont Freud
pour lui-même, alors qu’il a été conduit à la place qu’il occupe par les •i témoigné au cours de sa vie ne sont pas de celles qui pourraient
chemins qu’il compte justement déblayer pour celui dont il a la charge. s'éteindre avec l’invention de la psychanalyse ? Aussi bien, personne
Aurait-il oublié qui l’a fait roi ? L’ascèse dont il doit faire montre n’est n’a pu sérieusement contester que Freud, loin d’être ce bourgeois rangé
alors que le semblant dont il s’habille pour offrir à l’autre cette surface que A. Breton croyait découvrir avec stupéfaction à Vienne, ne fût un
lisse réfléchissant le message et le restituant à son locuteur afin de lui homme de désir. Que l’avenir de la psychanalyse reste suspendu à la
faire entendre à qui il l’adressait en vérité. Quand bien même cette cause freudienne ne serait une évidence qu’à la condition de déterminer
expérience serait-elle oubliée par celui-là même qui a pour tâche de la ce que Freud lui-même a pu y engager de passions, car cet héritage
faire parcourir à un autre, on ne saurait, en ce qui concerne Freud lui- pèse tellement qu’en dehors de cette source, on ne voit pas à quoi un
même, affirmer qu’une pareille indifférence puisse être au principe de malyste pourrait rattacher sa filiation.
l’invention : « Que veut le psychanalyste, en effet ? Ramener à la Il est donc légitime d’aborder la question du désir de Freud par la
surface de la conscience tout ce qui en a été refoulé2. » somme de ses passions. Pourtant, si nous utilisons à la suite de Lacan
Les analystes assument-ils ce programme en retirant leur épingle l'énoncé « désir du psychanalyste », c’est que nous supposons une cer
du jeu ? Chaque analyste ne pouvant fonder sa pratique que sur un taine communauté entre ce désir et celui du patient. Dès lors, est-on
effet de transmission de ce que Freud lui a légué viendrait-il à oublier fondé à appliquer à l’un les mêmes propriétés qu’à l’autre ? Si nous
cet héritage ? C’est que le lien à Freud pour un analyste est d’autant parlons du désir du psychanalyste, ce ne peut pas être en éliminant la
plus incontournable que rien, aucune garantie, aucun tiers, ne peut dimension érotique : si le désir, pour Freud, c’est la « luxure4 », le désir
avaliser la scientificité de l’expérience. A ce titre, elle reste non pas du psychanalyste n’y échappe pas. Avançons même que la métaphore
ineffable, mais invérifiable. Bien plus, cette expérience ne peut trouver <lu rapport sexuel est la seule formule qui soit venue sous la plume de
sa raison d’être ailleurs que dans le désir de Freud lui-même qui l’a Freud pour rendre compte de cette curieuse rencontre : « Le pouvoir
inventée. Aucune autre nécessité que la passion de Freud ne peut de l’analyste sur les symptômes est en quelque sorte comparable à la
rendre compte de l’invention de cette « peste » qui n’est d’aucune puissance sexuelle ; l’homme le plus fort, capable de créer un enfant
nécessité publique. tout entier, ne saurait produire, dans l’organisme féminin, une tête,
Au déclin de sa vie et après que son ardeur de pionnier se soit un bras, ou une jambe seulement, il n’est même pas capable de choisir
quelque peu refroidie, Freud écrivait à Binswanger : « En vérité, il n’y a le sexe de l’enfant. La seule chose qui lui soit permise est de déclencher
rien à quoi l’homme, par son organisation, serait moins apte qu’à la un processus extrêmement complexe, déterminé par une série de phéno
psychanalyse3. » mènes et qui a abouti à la séparation de l’enfant d’avec sa mère5. »
Ces lignes prouvent que 1’ « au-moins-un » à n’avoir pas reculé Que la psychanalyse, dès ses débuts, ait eu pour cadre non pas la
devant elle et à avoir fait la preuve d’une certaine aptitude n’avait relation médecin-malade, mais la relation d’une femme à Freud, la
qu’une faible idée des possibilités de transmission de l’analyse. C’est plainte hystérique notamment, donne une consistance supplémentaire
dire que la brèche qu’il a ouverte n’a que peu de raison de le rester, à cette déclaration. En excluant de son dispositif « toute réaction
hormis une volonté égale à la sienne de la rouvrir. Il n’est que de affective et jusqu’à toute sympathie humaine6 », Freud dénudait la
constater les nombreux articles et ouvrages consacrés à la biogra réalité de l’inconscient : le sexuel. En même temps, toute relation
phie de Freud pour s’apercevoir qu’aucun d’eux n’est capable de dire sexuelle étant écartée7, il provoquait nécessairement chez son parte
pourquoi Freud a inventé la psychanalyse plutôt qu’autre chose ? Ce naire la question : que veut-il ? quel acte ?
n’est d’ailleurs pas un échec car c’est tout simplement impossible. On ne On voit que le désir de l’analyste se dédouble selon qu’il lui est
psychanalyse pas une œuvre, pas plus celle de Freud qu’une autre. supposé ou selon qu’il énonce quelque chose où son désir est repérable.
Pourtant, ce ne sont pas les passions qui manquaient à son inven- Ces deux aspects, le désir « subjectif », et la fonction que Lacan désigne
22 Freud et le désir du psychanalyste De l’hystérique au désir de Freud 23
comme cet x, ne doivent pas être confondus. Bien plus, comment un sortit de la scène. « Malgré ses grands dons intellectuels, il n’avait en
analyste digne de Freud, et quelque peu averti de son propre désir, lui rien de faustien 12 », ajoute Freud qui, lui, prend le risque d’agiter
ignorerait-il les passions tristes ? La haine aussi fait partie du cortège, les enfers.
En supposant celui-ci à un point plus avancé qu’un autre de son désir, Pour faire de cet acte, non un acting out qui consiste à sortir de la
comment ne saurait-il pas que l’amour a essence de tromperie que scène, mais un passage à l’acte, il y faut prendre le risque du ratage,
conditionne l’amour de soi-même ? Aussi est-ce souvent un motif de ce que Freud n’a certainement pas évité : « [...] il y faut, écrit Lacan,
malentendu entre analystes : à force de vouloir faire d’un analyste comme au fondement de tout droit, un passage à l’acte, et [...] c’est
l’égal de Dieu, on ne saurait supposer chez lui la haine. Un psychana devant quoi le psychanalyste aujourd’hui se dérobe13. »
lyste non haineux, tel ne fut pas Freud pourtant. C’est ce dont s’indigne un sociologue14, non dupe de la fameuse
« neutralité analytique », et qui parle de véritable coup de force dans
L ’horreur de l’acte l’institution du dispositif analytique. Il est vrai que cette juste
remarque dispense l’auteur d’interroger les fondements de la psycha
On aurait tort de croire que Freud a eu avec l’inconscient un simple nalyse autrement qu’en termes d’arbitraire intellectuel ou d’abus de
rapport d’amour. Le programme qu’il se fixait en 1905 ne pouvait pouvoir, faute de voir que c’est du symbolique seul que le matériel tient
manquer d’apporter beaucoup de surprises et beaucoup de déceptions : sa consistance. Ce coup de force pourtant, nous ne dirons pas que
« les névrosés sont un ennui et un embarras pour tout le monde, même Freud l’a instauré de gaieté de cœur, mais au contraire, il n’a pu que
pour les analystes8 ». tirer les conséquences les plus redoutables de son acte, sans même se
Cette déception est ensuite au cœur même du dispositif analytique. douter de la peste qu’il allait propager : « Tel est l’effroi qui s’empare
La règle fondamentale et son corollaire, l’écoute d’égal niveau (gleich- de l’homme à découvrir la figure de son pouvoir qu’il s’en détourne
schwebende Aufmerksamkeit), impliquent qu’un analyste accepte de se dans l’action même qui est la sienne quand cette action la montre
laisser surprendre9. Or, les mauvaises surprises ne tarderont pas à venir, nue18. »
moins la découverte de l’étiologie sexuelle des névroses que l’amour de On voit quelle vanité il y aurait à essayer de seulement rendre
transfert, moins la compulsion de répétition que la réaction thérapeu raison de l’histoire de la psychanalyse indépendamment de ce que
tique négative. Mais en acceptant, à toute occasion, de se laisser sur Freud y a risqué. L’histoire de la psychanalyse pose en effet la question
prendre, Freud devait nécessairement s’interroger sur la légitimité de de la résistance de Freud à sa propre découverte. Avant que ses hysté
son acte et, considérant cet Unheimlich qu’est l’inconscient, se deman riques, dont il a tout appris, ne lui renvoient son propre message sous
der s’il valait la peine de « réveiller le chat qui dort ou les démons des une forme inversée, soit son désir de les faire parler « de tout », Freud
temps anciens10 ». pouvait sans doute croire que la science et la vérité qu’il mettait à jour
C’est donc dans le sillage d’un certain ratage que Freud s’avance sur faisaient bon ménage. Comment un savant, au sens moderne du terme,
la scène analytique, là où Breuer, en somme, a réussi puisqu’il a quitté c’est-à-dire qui confond le service de la vérité avec le service des biens
la psychanalyse au moment où les choses commençaient à se gâter. et le devoir social, a-t-il pu ne pas céder sur son désir est le mystère
Il a évité le transfert sexuel, preuve incontournable de l’étiologie que ce travail essaie d’éclairer.
sexuelle des névroses. Cet untoward event11, cet « événement fâcheux », Du désir hystérique à l’éthique de Freud, en passant par sa passion
est le point de départ de Freud. Il n’a pas reculé devant les consé de l’origine, nous tâchons de mettre en valeur ce qui, chez lui, fait
quences à tirer de l’étiologie sexuelle de l’hystérie. La fuite de Breuer chaîne dans son discours, et qui, sans ce désir, conduit son œuvre au
le jour où sa patiente, Anna O..., lui apporta le symptôme de son propre non-sens.
désir sous la forme avantageuse de l’enfant imaginaire est un acte
manqué, donc un discours réussi contre la psychanalyse. Mais Breuer,
n’ayant pas reconnu pour sien ce premier enfant de la psychanalyse,
24 Freud et le désir du psychanalyste
NOTES
l'inconscient du sujet soit d'un prix suffisant pour qu'elle en fasse don de cette façon seulement que nous parviendrons immanquablement à
au médecin ; il y a une autre structure que celle de la suggestion, même trouver ce que nous cherchons. Puis, j'exerçais pendant quelques
s'il est assez clair que l'hystérique ne dit que ce que l'autre veut secondes une pression sur le front du malade allongé devant moi et
entendre ; sans doute, mais qu'est-ce que Freud voulait entendre ? lui demandais ensuite d'un ton assuré, comme si la déception était
qu'est-ce qu'il ne savait pas déjà ? La docilité de l'hystérique à livrer impossible : “ Qu'avez-vous vu ? ” ou “ A quoi avez-vous pensé ? " 3 »
ses secrets, sa réticence ou au contraire son mauvais caractère, ses hési Le schéma est le suivant : une patiente évoque-t-elle l'absence de
tations, sa résistance, en un mot les coupures signifiantes de son énon souvenir pathogène par la formule « je n'en sais rien » en réponse
ciation subissent des variations où l'implication de l'analyste n'est pas à une question de Freud ? Celui-ci utilise le procédé de la pression
toujours lisible ; il y a pourtant des cas où c'est avec une grande pureté sur le front, faisant ainsi surgir une pensée : «Me voilà toute seule au
qu'on assiste à la séduction hystérique du psychanalyste. Qui séduit monde maintenant. Personne ne m'aime, cet animal était mon seul
qui dès lors que le maître exige de l'hystérique qu'elle produise le ami et je l'ai perdu », dit une malade affectée d'une toux nerveuse.
savoir qu'elle détient ? « Elle poursuit son récit, écrit Freud : “ Ma toux cessa quand je quittai
L'artifice de la pression sur le front est l'équivalent pour l'hysté ma tante, mais pour réapparaître dix-huit mois plus tard. " — “ Pour
rique de l'appui amoureux dont elle a été imaginairement privée, et quel motif ? " — “ Je n'en sais rien. " J'exerce à nouveau ma
qui, dans le réel de la cure, est le signe du désir de Freud, signe qu'il pression4. »
aime ce savoir qu'elle détient. On aboutit enfin à la représentation pathogène : « on ne l'aimait
Il est aisé de montrer sur un exemple comment l'hystérique mise pas » ; tout cela cependant est insuffisant mais Freud n'obtiendra pas
à la question mène Freud, c'est le cas de le dire, par la main, en confor plus : « Quelque chose d'autre devait encore se rattacher à cette
mant le choix de ses souvenirs à l'insistance réitérée du maître. Dans conception de 1 "' amour ", quelque chose qu'une forte résistance
le chapitre « Psychothérapie de l'hystérie », Freud précise le mode l'empêchait de révéler. L'analyse fut interrompue avant que cette
d'intervention du praticien confronté à la « résistance » : « L'ignorance question pût être résolue5. »
des hystériques était ainsi un refus plus ou moins conscient et la tâche Il est clair que ce que Freud appelle la résistance n'est ni plus ni
du thérapeute consistait à vaincre, par un travail psychique, cette moins que la mesure de sa déception. Il apparaît de même que la
résistance aux associations2. » Or, il est établi que la lutte est inégale proximité de son désir, ou, si l'on veut, sa passion de la vérité, est ce
entre la « résistance aux associations » et les « exhortations d'un méde devant quoi l'hystérique recule dans un mouvement que Freud va
cin étranger » qui, nous le savons, n'est « pas au courant des faits ». bientôt qualifier de transfert négatif. Ce n'est pas dire d'ailleurs qu'il
C'est donc un facteur quantitatif, l'inégalité des forces, qui conduit en estime exactement le ressort dans l'insistance qui est la sienne à
Freud à recourir à ce qu'il appelle « un petit artifice technique ». Il demander toujours plus, tout en retirant son épingle du jeu.
consiste à annuler la pression qu'exerce la volonté sur l'idée patho Ainsi fait-il l'aveu suivant, chef-d'œuvre de méconnaissance de ce
gène : « Je fais, en pareil cas, usage d'un petit artifice technique. J'in qu'il en est du transfert comme réponse au désir du médecin : « Très
forme mon malade que je vais, dans l'instant qui suivra, exercer une fréquemment quand on utilise le procédé par pression, la malade se
pression sur son front et lui assure que pendant tout le temps que plaint de maux de tête. La plupart du temps, elle reste ignorante de
durera cette pression, un souvenir surgira en lui sous la forme d'une la cause nouvelle de sa résistance et ne la révèle que par un symptôme
image ou bien qu'une idée se présentera à son esprit. Je lui enjoins de hystérique nouveau. Le mal de tête traduit l'aversion de la malade à
me faire part de cette image ou de cette idée quelle qu'elle puisse être. l'égard de toute influence qui s'exercerait sur elle6. »
Il ne doit pas les taire, même s’il pense qu'elles n'ont aucun rapport Comment éviter cependant cette issue alors que Freud, de son
avec ce qu'on recherche, qu'il ne s'agit pas de cela ou encore s'il les propre aveu, considère que, pour prix du sacrifice consenti par une
trouve désagréables à révéler. Aucune critique, aucune réserve ne sont patiente pour livrer ses pensées érotiques, il consent, lui, à fournir
admises même pour des raisons d'affect ou de mésestimation ! C'est quelque succédané d'amour : « Les efforts du médecin, son attitude de
28 Freud et le désir du psychanalyste De Vhystérique au désir de Freud 29
bienveillante patience doivent constituer de suffisants succédanés7. » 1 hérapeutique négative qui sanctionne toute intervention quelque peu
On a consacré un bref commentaire à cet artifice : « Dégageons donc, précipitée dans le sens de la guérison. « Ce qui apparaît ici comme
comme le suggère Freud, ce “ petit procédé technique ”, ce “ tour de revendication orgueilleuse de la souffrance montrera son visage — et
main ”, de son premier support, rendons-le à sa pure fonction de parfois à un moment assez décisif pour entrer dans cette “ réaction
médiation : à l'expression libre émanant de l'analysant, c'est-à-dire thérapeutique négative ” qui a retenu l'attention de Freud — sous la
à l'expression libérée de l'exigence d'appropriation inhérente à l'énon- forme de cette résistance de l'amour-propre, pour prendre ce terme
ciation, répond, du côté de l'analyste, un certain ton, une certaine clans toute la profondeur que lui a donnée La Rochefoucauld, et qui
position de repos de la voix. Et tout l'art de l'intervention est déjà ici souvent s'avoue ainsi : " Je ne puis accepter la pensée d'être libéré
engagé8. » par un autre que par moi-même. ” 12 »
Cette fonction de médiation nous semble, quant à nous, assurée par Freud, dans la méconnaissance qui est la sienne de provoquer
l'image de la mainmise plus que par le ton tranquille qui, dans les l'amour de sa patiente par une technique de séduction qui ne peut
Études, n'est pas encore conforme à l'idéal de passivité qui sera défini qu'assurer cet effet, s'attire comme seule réponse possible l'échec de
plus tard par l'attention d'égal niveau ; c'est bien plutôt l'inégalité la cure, ou, à tout le moins, l'arrêt des associations ; son intervention
de ce niveau qui caractérise le mode d'intervention de Freud, et son « dans le réel », en particulier son procédé par pression, en même temps
insistance à provoquer des aveux en témoigne au point de méconnaître qu'il symbolise une sorte de mainmise sur l'inconscient où son désir de
ce qui est en jeu dans le silence, la présence actuelle de l'Autre : le maîtrise s'avoue, provoque en même temps l'amour réciproque de la
transfert. patiente.
Comment en serait-il autrement, d'ailleurs, lorsque Freud, intimant Dès qu'il y a arrêt des associations, il y a transfert, ce que Freud
l'ordre de tout dire et groupant « soigneusement les occasions où cette ignore encore ; c'est alors qu'il fait une pression sur le front ; immanqua
résistance se manifestait de la façon la plus évidente9», prétend acquérir blement le geste opère comme suggestion ou invitation à la résistance ;
une confiance totale dans sa technique. Élisabeth racontant sa vie à la Freud n'a pas tort de dire que le transfert est un obstacle, qu'il se
façon d'un roman, page après page, scène après scène, n'est supposée confond avec la résistance ; son erreur réside dans la création à son
laisser des blancs dans son récit qu'au moment où la représentation insu de cet effet, véritable déclaration d'impatience et aveu de son
insupportable va accompagner le récit d'une première scène : la pre désir de posséder l'Autre.
mière séduction qui va s'exercer sur elle va faire naître le conflit. « Je Le procédé, on l'aura remarqué, se distingue radicalement de la
lui exposai les faits en lui montrant que, depuis longtemps, elle était suggestion, puisqu'ici aucun contenu représentatif n'est proposé au
amoureuse de son beau-frère10 », déclare Freud. Comme ce n'est pas patient : « Il s'agissait d'apprendre du malade quelque chose qu'on ne
là un aveu de la patiente, qui, au contraire, rejette ses « explications », savait pas et que lui-même ignorait », affirmera Freud en 1905, dans les
qu'elle met sur le compte d'une suggestion, on est conduit à voir dans Cinq leçons sur la psychanalyse1*.
ce forçage de l'amour un effet du « contre-transfert » de Freud, « for Ce procédé, qui fait la transition entre l'hypnose, qu'il vient
çant l'appel de l'amour sur l'objet de l'identification11 ». d'abandonner, et la libre association, a pour but de faire surgir les
On ne s'étonnera donc pas de voir Lacan mettre en évidence les souvenirs susceptibles d'assurer au discours une continuité : « Lors
« ressorts d'agressivité » déclenchés par une attitude trop bienveillante qu'ils prétendaient ne plus rien savoir, je leur affirmais qu'ils savaient,
de la part du thérapeute ; le rôle du prophète ou du sauveur n'est pas qu'ils n'avaient qu'à parler et j'assurais même que le souvenir qui leur
seulement en contradiction avec une éthique qui répudie la suggestion, reviendrait au moment où je mettrais la main sur leur front serait le
mais aussi conduit à déclencher une réaction hostile de la part du bon. De cette manière, je réussis, sans employer l'hypnose, à apprendre
malade comme contrecoup agressif de la charité. Dans la méconnais des malades tout ce qui était nécessaire pour établir le rapport entre
sance, non pas tant de ce qu'il veut, mais de son désir, Freud en arrive les scènes pathogènes oubliées et les symptômes qui en étaient les
à susciter un transfert qu'on peut appeler négatif au sens de la réaction résidus14. »
30 Freud et le désir du psychanalyste De l'hystérique au désir de Freud 31
Freud donne ensuite, pour raison de son abandon, le caractère vention d'un tiers est ici déterminante. Il est à remarquer que seul un
« pénible et épuisant à la longue » du procédé. En d'autres termes, les signifiant peut réaliser cet effet qui, à partir d'un petit autre, fait un
modifications apportées à la technique, c'est-à-dire le dépassement de lieu : par exemple, s'il est clair que Dora s'intéresse à un homme pour
la méthode cathartique, ne relèvent pas entièrement d'une mise en le désir qu'il a pour une femme, l'essentiel de l'intrigue à laquelle se
question de la suggestion. En effet, « la méthode cathartique avait déjà livre la jeune fille est destiné à soutenir le désir de l'homme, mais non
renoncé à la suggestion15 ». Au fond, le procédé de la pression sur le pas de n'importe quel homme, celui du père, même si n'importe quel
front est peut-être moins un artifice technique tenant lieu de suppléance homme peut faire l'affaire en tant qu'il désire une autre femme qu'elle.
provisoire à une technique plus au fait de la dynamique du transfert Sans développer davantage, nous essayerons de faire usage de ces
et de la résistance, qu'un signe permanent du désir de Freud de décou formules en ce qui concerne le désir de Freud, pour autant que sa
vrir un secret, d'obtenir un aveu. structure nous est livrée par l'agencement voulu par lui, et auquel se
Encore est-ce sans doute beaucoup dire que de prétendre que telle prêtent si complaisamment ses premières patientes. Or, il est remar
serait sa préoccupation des débuts de l'analyse jusqu'à la fin. Il faut quable que, sans même forcer l'interprétation des textes, l'hystérique
bien dire qu'à cette époque, la cure analytique est calquée sur l'interro met en scène, actualise le désir de Freud au moins dans le premier
gatoire ; mais celui-ci a finalement peu de rapport avec l'interrogatoire sens : ce que disent, l'a-t-on remarqué suffisamment, les patientes de
policier, puisque le patient, on l'a vu, est invité à dire non seulement ce l<reud ne fait pas l'objet d'une interprétation, la cure cathartique n'a
qu'il sait, mais aussi et surtout ce qu'il ne sait pas16. C'est sans doute pas encore pour visée de délivrer un sens sexuel caché, mais de délivrer
cette supposition de savoir faite à l'autre qui définit le mieux la relation un savoir que seule l'hystérique détient. Seulement, il apparaît que
de Freud à l'hystérique à cette époque. Pour le psychanalyste, le sa soumission au dispositif de Freud réalise ce désir tout aussi bien. Il
patient est un sujet supposé savoir et le désir de l'analyste est de percer est à remarquer que ce désir n'est pas d'avant la mise en place du dispo
le mystère au-delà du mur du langage. sitif, mais se révèle comme désir inconscient par les aveux et la résis
Cette identification de l'inconscient à un savoir qui ne se sait pas tance des patientes.
lui-même induit une pratique de la cure qui dirige le patient vers la Que les indices majeurs du désir résident essentiellement dans les
révélation d'un secret. Freud fait promesse d'introduire à l'objet du moments de résistance se lit facilement à partir de l'insistance que met
désir par la levée de ce secret. Ainsi, à cette époque, Freud tient pour Freud à obtenir de l'hystérique le souvenir d'une scène de séduction.
équivalent l'inconscient et le savoir concernant la jouissance, savoir On se rappelle ce commentaire de Lacan sur les relations de Breuer et
barré par le refoulement et dont il entend débarrasser le sujet. « Que Anna O... : « Pourquoi est-ce que la grossesse de Bertha nous ne la
veut le psychanalyste, en effet ? Ramener à la surface de la conscience considérerions pas plutôt, selon ma formule le désir de l'homme c'est le
tout ce qui en a été refoulé17. » désir de l'autre, comme la manifestation du désir de Breuer18 ? »
On peut ainsi appliquer aux cas des Études la formule : « Le désir Appliquée aux cures de Freud, la formule nous inviterait à faire
de l'homme, c'est le désir de l'Autre. » On sait que c'est l'expérience accoucher l'enfant de Freud sur le divan hystérique, ce qui revient à
des hystériques qui, pour Lacan, justifie cette formulation : pour l'hys s’entendre dire ce qu'on voulait entendre : la scène de séduction
térique, c'est le désir de l'homme qui place le désir en position d'objet ; comme réel à démasquer vient à point nommé. On peut en effet faci
ce qui veut dire deux choses : lement observer comment la sexualité fait son entrée sur la scène
1) son désir reste insatisfait puisque ce n'est pas le sien qu’elle analytique : par un péché originel, selon l'expression de Lacan, qui
cherche à satisfaire dans ce qu'on appelle son intrigue. C'est donc dans n'est rien moins que le désir de Freud. « Aussi l'hystérie nous met-elle,
un sens où le génitif doit prévaloir que l'on dit : son objet, c'est le désir dirais-je, sur la trace d'un certain péché originel de l'analyse. Il faut
de son père ; bien qu'il y en ait un. Le vrai n'est peut-être qu'une seule chose, c'est
2 ) le deuxième sens excède l'emploi du génitif. Il s'agit du désir le désir de Freud lui-même, à savoir le fait que quelque chose, dans
de l'Autre en tant que c'est de ce lieu de l'Autre qu'il s'origine. L'inter Kreud, n'a jamais été analysé19. »
32 Freud et le désir du psychanalyste De Vhystérique au désir de Freud 33
Cependant, loin de considérer ce désir comme ce qui affecterait la 8. P. K a u f m a n n , Psychanalyse et Théorie de la culture, Paris, Denoël-Gonthier,
1974, p. 48-49.
psychanalyse d'une relativité historique ou psychologique préjudiciable 9. S. F r e u d , Etudes sur Vhystérie, op. cit., p. 122.
10. Ibid., p. 125.
à sa pureté théorique, on doit soutenir au contraire qu elle n est rien 11. J . L a c a n , « L a direction de la cure et les principes de son pouvoir » (1958),
sans cela. Le champ freudien, dans son entier, a cet héritage à assumer : in Écrits, p. 639.
« J'ai dit, ajoute Lacan, que le champ freudien de la pratique analy 12. J. L a c a n , « L ’agressivité en psychanalyse » (1948), in Écrits, p. 107.
13. S. F r e u d , Cinq leçons sur la psychanalyse, op. cit., p. 23.
tique restait dans la dépendance d'un certain désir originel, qui joue 14. Ibid., p. 24.
toujours un rôle ambigu, mais prévalent, dans la transmission de la 15. S. F r e u d , « La méthode psychanalytique de Freud » (1904), in la Technique
psychanalytique, op. cit., p. 2.
psychanafyse. Le problème de ce désir n'est pas psychologique, pas 16. Cf. S. F r e u d , Psychanalyse et Médecine (1926), in Ma vie et la psychanalyse,
op. cit., p. 100-102.
plus que ne l'est celui, non résolu, du désir de Socrate20. » 17. S. F r e u d , Cinq leçons sur la psychanalyse, op. cit., p. 44-45.
De même donc que le désir d'enfant de Breuer a engrossé Bertha, 18. J. L a c a n , le Séminaire, livre X I, les Quatre Concepts fondamentaux de la
de même l'aveu que les hystériques vont faire à Freud et qui a pour psychanalyse (1964), Paris, Seuil, 1973, p. 144.
19. Ibid., p. 16.
nom la séduction, le trauma, la mauvaise rencontre, 1 effroi produit par 20. Ibid., p. 17.
la sexualité est-il soufflé à Freud en réponse a son désir de maître21. 21. Cf. C. M e l m a n , « A propos des Études sur Vhystérie », in Lettres de VÉcole
freudienne, bulletin intérieur de l’E.F.P., juin 1975, n° 15, p. 194-205.
Un désir de savoir, donc, s'y manifeste dans 1insatisfaction de ne 22. S. F r e u d , Études sur Vhystérie, op. cit., p. 48.
jamais obtenir le fin mot d'une histoire dont le scénario se complexifie 23. Il n’est pas possible de localiser ce désir qui se déplace, conformément à cette
formule de Freud qui s’appliquerait particulièrement à lui-même : « Ainsi
à mesure même qu'on essaye d'isoler le fil qui relie ensemble toutes les passé, présent et futur s’échelonnent au long du fil continu du désir. »
(S. F r e u d , « La création littéraire et le rêve éveillé » (1907), in Essais de
scènes. psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, 1975 ; c’est nous qui soulignons.)
La curiosité de Freud, son avidité, son insatiable demande, qui
l’assure de rester toujours sur sa faim, lui sont d'ailleurs signifiées par
une de ses patientes, Emmy von N..., excédée par son bavardage :
« Je lui donne jusqu'à demain pour s'en souvenir. Elle me dit alors,
d'un ton très bourru qu'il ne faut pas lui demander toujours d’où pro
vient ceci ou cela, mais la laisser raconter ce qu elle a a dire. J y
consens22... »
On remarque ici qu'en remettant Freud a sa place, Emmy lui en
assigne une que Freud n'a donc pas inventée : celle du psychanalyste.
De plus, en lui apprenant à se taire, elle pointe, évidemment sans le
savoir, ce qui fait le ressort d'une curiosité brûlante, indiscrète et insa
tiable qu'est le désir de Freud de lui-même ignoré23.
NOTES
manquait aux Études et rendait très insatisfaisante la thèse du trauma. existe bel et bien un dégoût de la sexualité ; le déplacement d'une
C'est, à n'en point douter, l'écho, pas très lointain, de l'analyse de Dora énergie sexuelle d'une zone à l'autre, du clitoris à la bouche ou la gorge
qui permet à Freud d'écrire : « Il en est de même dans le cas où un indi n'éclaircit pas la question du dégoût. C'est une insatisfaction sexuelle
vidu, qui a commencé par être normal, présente des caractères patho qui vient à la place du rapport sexuel qui fait défaut.
logiques à la suite d'un amour malheureux. On pourra, avec certitude, On a donc deux modèles : celui, freudien, du déplacement de la
démontrer que le mécanisme de la maladie consiste en un retour de sensation (ce qui implique qu'elle a existé) et celui, lacanien, de ce qui
la libido aux personnes aimées pendant l'enfance28. » tient lieu du rapport sexuel en tant qu'il est manquant ; ce que l'hysté
Toute la fin des Trois essais est consacrée à l'inceste et aux « effets rique traduit par le dégoût (oral) est cet impossible pour elle de jouir
lointains du choix d'objet infantile ». C'est bien ces effets et leurs causes tant qu' « elle était amoureuse de son père32 ». Si le désir de Freud est
que Freud veut séparer, et, en ce qui concerne Dora, il fait converger de faire reconnaître à l'hystérique l'objet de son désir, il s’avère, au
tous les fantasmes sur l'amour incestueux pour le père. Le long détour résultat engendré par la suite, qu'il s'est égaré. Il a cependant erré de la
par le chemin de la sexualité infantile ne sert qu'à cette démonstration : bonne façon, en situant dans l'amour du père l'origine du refoulement.
le choix d'objet primitif demeure après que le sujet a éprouvé une Cependant, cette passion du signifiant n'est pas sans inconvénients.
déception amoureuse. La descente aux enfers aboutit à une impasse, un passage à la limite
Freud tente ensuite de souder sur la phase orale de la sexualité le ou à une conclusion asymptotique du traitement33. Le secret n'est levé
refoulement de la sexualité génitale manifeste chez la jeune fille : qu'en partie. La succession des scènes met en évidence du pareil au
« À la place de la sensation génitale, qui n'aurait certainement pas fait même qui, dans sa répétition, de scène en scène, insiste sans qu’aucun
défaut dans ces conditions chez une jeune fille normale, il y a chez elle réel vienne en délester la répétition du même fait.
cette sensation de déplaisir liée à la partie muqueuse supérieure du Freud, c'est clair, cherche un au-delà de ce nœud de signifiants. Une
canal digestif : le dégoût29. » Ici, Freud se donne à l'avance ce qu'il veut coupure, qui ne se ferait pas dans le symbolique mais aurait pour enjeu
prouver, à savoir 1' « interversion de l'affect » et le « déplacement de la un objet, exigerait néanmoins que soit levée l'hypothèque du transfert
sensation ». Pour lui, le dégoût est un plaisir négatif, autrement dit un comme obstacle, et donc que Freud se repère comme objet a dans la
plaisir qui ne peut pas être ressenti comme tel. Et il dira la même chose cure. Que ce soit l'interprétation dans le signifiant qui prévale ou l'inter
de la phobie (cf. Au-delà du principe de plaisir). prétation dans le sens sexuel, on échoue dans les deux cas à mettre en
Le refoulement de la génitalité a pour conséquence l'érogénéisation jeu un réel.
de la bouche et tous les symptômes de Dora symbolisent une satisfac Cette dichotomie du signifiant et de l'objet du désir est de nature à
tion orale en rapport avec le suçotement (cf. Lacan : le dégoût est une relativiser l'objection qu'on fait à Freud et qu'il se fait à lui-même de la
désexualisation qui s'accomplit lorsque « l'objet sexuel file vers la pente méconnaissance du transfert. Que cette butée du transfert soit elle-
de la réalité »30). Au contraire, la thèse de Lacan est que : « C'est juste même relative à la place accordée par Freud à l'objet du désir et consé-
ment dans la mesure où des zones annexes, connexes, sont exclues, quemment à la place qu'il occupe lui-même dans le transfert, c'est ce
que d'autres prennent leur fonction érogène, qu'elles deviennent des que nous allons mettre en lumière.
sources spécifiées pour la pulsion31. »
Ce que Freud ne montre que d'une façon embarrassée est la dépen
dance de la pulsion orale par rapport à la sensation génitale. Il y a une
NOTES
migration de la pulsion qui se fait par le mécanisme du déplacement :
la sensation génitale est i) déplacée et 2) inversée. C'est là un méca
nisme obsessionnel plutôt qu'hystérique parce que, dans ce cas, le 1. « L'histoire de la psychanalyse proprement dite date du jour de rintro
duction de Finnovation technique qui consiste dans l'abandon de l’hyp
refoulement de la sexualité est très imparfait. nose. » (S. F r e u d , Contribution à Vhistoire du mouvement psychanalytique,
Ce que Freud ne veut pas affirmer ici, c'est que chez l'hystérique in op. cit., p. 81.)
44 Freud et le désir du psychanalyste
2. S. F r e u d , Études sur l'hystérie, op. cit., p. 12 5 .
3. C’est sous ce terme que Freud désigne jusqu’en 1897 sa conception du
trauma sexuel par la séduction infantile (cf. S. F r e u d , Lettres à W. Fliess,
n° 69, 21 sept. 1897, in la Naissance de la psychanalyse, Paris, P.U.F.,
1956, p. 190).
4. S. F r e u d , Contribution à Vhistoire du mouvement psychanalytique, in op. cit.,
p. 82-83.
5. Ibid., p. 83-84.
6. Ibid., p. 83.
7. Ibid., p. 84.
8. Voir par exemple le développement sur l’auto-érotisme, in S. F r e u d , Cinq
leçons sur la psychanalyse, op. cit., p. 46-57.
9. J. L a c a n , le Séminaire, livre X I, p. 54.
10. S. F r e u d , Contribution à Vhistoire du mouvement psychanalytique, in op. cit.,
p. 84.
11. S. F r e u d , Fragment d'une analyse d'hystérie (Dora) (1901) [cité infra : IV
Dora], in Cinq psychanalyses, Paris, P.U.F., 1970, p. 57.
12. Ibid.
13. Ibid., p. 60, note 1. LE TRANSFERT DE FREUD
14. Ibid., p. 58.
15. Ibid., p. 26.
16. S. F r e u d , Lettres à W.Fliess, n° 141, 30 janv. 1901, in op. cit., p. 290.
17. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 60, note 1.
18. Ibid.
19. Ibid., p. 66-67. Lacan, dans son Séminaire I, déclare que Freud essayait de pétrir
20. Ibid., p. 6.
21. Cf. S. F r e u d , la Sexualité dans Vétiologie des névroses (1898), in Résultats, Idées, l’ego de Dora, et, dans les Écrits, il fait du transfert négatif de Dora
Problèmes, t. I, Paris, P.U.F., 1984. une réplique du contre-transfert de Freud1. Mais cette relation se fait,
22. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 5.
23. Ibid. pour ainsi dire, en miroir, pour autant que, favorisant la relation duelle
24. S. F r e u d , l’Interprétation des rêves (1899), Paris,P.U.F., 1967, p. 345. de la cure par l’insuffisante appréciation de l’identification virile de
25. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 33.
26. Ibid., p. 14. Dora, Freud méconnaît la distinction, qu’il fera plus tard, entre l’objet
27. S. F r e u d , Trois essais sur la théorie de la sexualité (1905), Paris, Gallimard, d’amour et l’objet d’identification. Car si l’objet du désir de Dora,
1968, p. 139.
28. Ibid. disons Mme K..., échappe à Freud, c’est bien en raison de ce préjugé,
29. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 18. qui n’est pas propre à Freud, selon lequel « la fille est pour le garçon ».
30. J. L a c a n , le Séminaire, livre X I, p. 157.
31. Ibid. Plus profondément, on constate ici que l’intérêt évident de Dora
32. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 40. pour M. K... n’a pu être considéré par Freud comme la preuve d’un
33. Freud, dans les lettres à Fliess, évoque longuement les péripéties du trai
tement du cas de M. E... Il y parle, pour la première fois, d’ « une conclu amour inavoué que dans la mesure où les identifications viriles de la
sion asymptotique du traitement » qui, d’ailleurs, en tant que telle, lui jeune femme lui ont échappé. L’insuffisante appréciation du lien dit
est indifférente. (Cf. S. F r e u d , Lettres à W. Fliess, n° 133, 16 avr. 1900,
in op. cit., p. 282.) « homosexuel » et l’erreur commise sur la véritable nature du t r a n s f e r t
sont une seule et même chose, de sorte qu’on peut dire que la
méconnaissance du désir de l’hystérique chez Freud donne la raison
de son « contre-transfert ». En effet, « en forçant l’appel de l’amour
sur l’objet d’identification2 » (pour Dora : M. K...), Freud méconnaît
plusieurs choses.
C’est l’occasion ici de distinguer ce qui est de l’ordre de l’erreur et
ce qui est de l’ordre du préjugé. À propos de Dora, Lacan écrit ainsi :
« Lorsque les préjugés de l’analyste (c’est-à-dire son contre-transfert,
terme dont l’emploi correct à notre gré ne saurait être étendu au-delà
46 Freud et le désir du psychanalyste De l’hystérique au désir de Freud 47
des raisons dialectiques de l’erreur) l’ont fourvoyé dans son interven de rapports sexuels. » « C’est le même qui s’exprime simplement dans
tion, il le paye aussitôt de son prix par un transfert négatif3. » le refrain bien connu : “ Comme le fil est pour l’aiguille, la fille est pour
C’est cette relation des deux transferts que l’on se propose le garçon ” 8 »
d’examiner. Lacan, à cette époque, reconnaît que cette observation implique
Si on peut parler d’un retournement complet des positions, si pour Freud d’une façon qui « la fait vibrer d’un frémissement qui, franchis
Freud Dora est supposée savoir son inconscient, Freud, alors, que sait-il sant les digressions théoriques, hausse ce texte, entre les monographies
et que veut-il ? « C’est pour s’être mis un peu trop a la place de M. K..., psychopathologiques qui constituent un genre de notre littérature, au
écrit Lacan, que Freud n’a pas réussi à émouvoir l’Achéron4. » ton d’une Princesse de Clèves en proie à un bâillon infernal9 ». Toute
Cette constatation est à mettre en relation avec cette autre : c’est fois, on ne saurait aujourd’hui se contenter d’une appréciation qui
que Dora, quant à elle, est identifiée à un personnage masculin, M. K... tiendrait pour prévalent le contre-transfert de Freud au sens de la
lu i-m ê m e , de sorte qu’elle peut aussi bien s’identifier à Freud lui-même. sympathie qu’aurait par exemple Freud pour M. K..., et qui lui fait
C’est pourquoi Lacan fait observer que l’erreur commise par Freud rêver d’une « victoire de l’amour10 ».
sur l’odeur de fumée, loin de révéler le lien amoureux qui ferait des L’essentiel, croyons-nous, tient plutôt en effet à la théorie freu
deux hommes le « pendant l’un de l’autre », les deux fumeurs dont elle dienne de l’Œdipe qui fait dépendre le destin des pulsions du désir
attendrait un baiser, désigne plutôt le trait unaire, par lui-même indiffé pour le père, et non du désir du père auquel Dora sacrifie pourtant son
rent, qui sert de support à l’identification masculine : le trait commun objet masculin. L’intérêt que l’hystérique accorde à la relation de
aux trois personnages : le père, comme Dora le fait observer, M. K... et l’homme à la femme, à condition de s’y dérober elle-même comme
Freud*. objet, et au détriment du désir pour le partenaire sexuel, n’est pas
Lacan en tire la confirmation que l’hallucination olfactive du réveil encore pour Freud de l’ordre du démontrable.
correspond au « stade crépusculaire du moi » au heu de révéler une
demande orale infantile. Freud n’est-il pour rien dans cet effet6 ? La somme des préjugés
On constate donc une fois de plus que toute 1 observation est traversée
par une loi, la loi du désir de Freud, qui préordonne la créature féminine À mettre le discours de l’hystérique en relation avec le désir de
à son bien. Freud, on est conduit à inverser les termes de cette relation : si la
Plus profondément encore, si l’identification virile de l’hystérique, modulation du transfert peut se déchiffrer à partir du contre-transfert
dont la matrice chez Dora (imaginaire) réside dans 1identification au de Freud, rien n’empêche, une fois cette hypothèse posée, de coor
frère aîné, n ’obéit à aucune bisexualité constitutionnelle, on peut dire donner les variations et les modulations du transfert de Dora avec le
qu’à cette date (1900) Freud est encore loin du compte. désir de Freud de la convaincre. Posons alors que le désir de Freud est
Cependant, les préjugés ne sont pas forcément des erreurs, comme homogène à l'interprétation qu’il donne du transfert, obstacle sur lequel
Freud lui-même nous l’a appris dans l’Avenir d’une illusion1, et, lors se brisera l’analyse : « Par où nous allons tenter de définir en termes de
qu’un désir est prévalent, la méconnaissance d’une structure ne risque pure dialectique le transfert qu’on dit négatif dans le sujet, comme
pas d’être levée par de nouvelles découvertes, principalement lorsqu’il l’opération de l’analyste qui l’interprète11. »
s’agit du « continent noir ». C’est pourquoi l’importance, enfin admise À supposer d’ailleurs qu’un « amour de transfert » se soit noué Hang
en 1925 , du lien homosexuel n’entame pas forcément la construction cette relation, la bévue de Freud aura été de la rompre pour des raisons
freudienne de l’Œdipe tant que n ’est pas reconnu que l’objet primor qui n ’ont pas leur ressort dans l’affectivité, pas plus que le transfert
dial est la mère chez les deux sexes, et que le père a pour la fille une lui-même. Son erreur est de ne pas distinguer l’objet d’amour de
place symbolique plutôt qu’imaginaire comme chez le garçon. l’objet d’identification, autrement dit de glisser d’une identification
Dans Intervention sur le transfert, Lacan propose une interprétation imaginaire à une identification symbolique, cette dernière allant au-delà
du désir de Freud qui s’éclaire par sa thèse postérieure : « Il n’y a pas des intérêts narcissiques de la personne où s’origment les relations de
48 Freud et le désir du psychanalyste De l'hystérique au désir de Freud 49
haine et d’amour, pour désigner une place, un lieu d’où elle se voit les symptômes de Dora, celui de l'aphonie en particulier, subissent une
comme aimable et s’identifie à des signifiants d’où résultera, selon recrudescence. L'appel de la pulsion orale est, dans ce cas, au plus vif
Lacan, la formation de l’idéal du moi. parce que Dora est seule en présence de Mme K..., autrement dit son
Or, l’identification virile de Dora n’implique nullement qu’elle soit aphonie mime un cunnilingus avec la maîtresse de son père : elle prend
amoureuse de M. K..., mais seulement que ce dernier l’assure d’une la place de M. K... en son absence.
position de maître qui ne renonce pas à son désir, à condition qu’elle On devine, après coup, que l'intérêt de Dora pour M. K... n ’est pas
n’en soit pas l’objet. C’est donc son désir qu’elle aime et non sa per adéquat à « un amour véritable » mais lui sert de point d’identification
sonne. Lacan a rendu compte dans son Intervention sur le transfert hystérique, de lieu d’où Mme K... lui paraît désirable : autrement dit
du rôle qu’avait M. K... pour Dora. C’est son moi, c’est-à-dire l’image de signifiant. Si nous mettons maintenant l'accent sur le préjugé de
virile dans laquelle et grâce à laquelle elle peut à la fois, « en faisant Freud relatif à la relation de la femme à l’homme, quelles sont alors
l’homme », tenter de symboliser la sortie de l’Œdipe qui est l’identifi son illusion principale dans Dora et sa bévue ?
cation à l’idéal et, d’autre part, tenir tête aux hommes dans une rivalité On peut soutenir qu'elles tiennent entièrement dans l’énoncé :
imaginaire où s’exprime sa rage d’être objet d amour et signifiant « Vous êtes amoureuse de M. K ...14 » Nous avons vu que cela est une
phallique. erreur sur la personne puisque, Freud le reconnaît, c'est d’un autre
En même temps donc qu’elle soutient son propre désir insatisfait, objet qu’il s'agit, Mme K... Pourtant cette erreur abrite un préjugé
elle sollicite l’homme à désirer la femme qui contient « le mystère de sa qui est celui du rapport sexuel entre fille et garçon et, au-delà, la théorie
propre féminité12 », à savoir Mme K..., qui est, pourrait-on dire, son freudienne de l’Œdipe qui considère l'amour de la fille pour le père
objet d’amour par procuration, étant entendu qu’elle s’arrange pour comme une donnée et non comme une norme. « Cela ressortit, dirons-
le procurer à son père dont elle soutient le désir par son intrigue. nous, à un préjugé, celui-là même qui fausse au départ la conception
M. K... vient donc rompre l’équilibre et provoquer chez Dora une du complexe d’Œdipe en lui faisant considérer comme naturelle et non
revendication passionnelle à l’endroit de son père. Il laisse entendre a comme normative la prévalence du personnage paternel15. »
Dora qu’il a sacrifié sa femme à ce dernier en échange de Dora elle- Freud tient, en effet, pour allant de soi une « inclination précoce de
même. La rage d’être traitée ainsi en objet d’ « odieux échange13 » la fille pour son père et du fils pour sa mère16 », renouant ici avec la
vaut à M. K... une gifle mémorable. doxa que sa théorie de la sexualité aura pour effet de contrer, effet qui
Ainsi c’est l’erreur de Freud concernant la place de M. K... qui se fait attendre tant que l'Œdipe de la fille n'est pas reconnu dans sa
est le point de butée de l’analyse. Il faut dire que le préjugé selon lequel complexité et sa dissymétrie. La résistance théorique de Freud est ici
une fille est faite pour aimer les garçons fonde cette erreur. Toutefois, mesurable au temps qu’il devra mettre à comprendre que la phase
ce n’est pas la même chose de mettre un certain temps avant de œdipienne de la fille est à apprécier à partir du signifiant phallique dont
s’apercevoir que 1’ « homosexualité » était la tendance la plus forte de la mère l’a frustrée et qu'elle va chercher ailleurs17.
la jeune fille et de ne pas faire la différence entre deux types d’identi
fication dont l’une est exclusive du désir. C’est l’identification virile de Résistance de Freud
l’hystérique, en effet, qui lui aliène le chemin de l’amour sexuel. Or Freud, note Lacan, « aborde Dora sur le plan de ce qu’il appelle
Freud, dans les années 20, met les choses au point, en particulier dans lui-même la résistance. Qu'est-ce à dire ? Je vous l'ai déjà expliqué.
le chapitre vu de la Psychologie des masses pour distinguer les deux. Freud fait intervenir, c’est absolument manifeste, son ego, la concep-
L’identification au désir de l’homme, et au désir de l’homme comme Iion qu'il a, lui, de ce pour quoi est faite une fille — une fille, c’est fait
impossible parce qu’impuissant, se singularise chez Dora particulière pour aimer les garçons18 ».
ment par la toux et la dyspnée, commémoration de la jouissance du À l'époque, où l'analyse des résistances devient le parangon de la
père. L’aphonie, quant à elle, met bien en évidence la place qu’occupe technique analytique, Lacan retournait la situation et mettait en évi
M. K... dans son fantasme. C’est, nous dit Freud, en son absence que dence la résistance, non du patient mais de l'analyste.
5« Freud et le désir du psychanalyste De Vhystérique au désir de Freud 5i
Ainsi l’amour pour M. K... que Freud imputait à Dora était 1 objet transfert, « n'est rien de réel dans le sujet, sinon l'apparition, dans un
d’une « vive résistance19 ». « Elle persista longtemps encore à s’opposer moment de stagnation de la dialectique analytique, des modes perma
à mon allégation jusqu’à ce que fût fournie, vers la fin de l’analyse, la nents selon lesquels il constitue ses objets26 », on voit comment Freud
preuve décisive du bien-fondé de mes dires20. » a pu favoriser cette « agressivité » de Dora envers les hommes en ratant
C'est donc à la place du maître de vérité que Freud s'est situé, les véritables ressorts de sa relation à l'homme qui est celle d'une
empêchant Dora de reconnaître dans Mme K... l'objet de son désir. identification imaginaire, celle qui structure la relation narcissique.
Freud, écrit Lacan, aurait pu, au lieu « de mettre en jeu son propre Mais la formule est tout aussi valable pour la résistance, qui n'est rien
ego dans le but de repétrir, de modeler celui de Dora », lui montrer de réel dans le sujet, mais effet d'interprétation. Il n'y a qu'une résis
« que c'était Mme K... qu'elle aimait21 ». tance parce qu'il n'y a qu'un transfert.
Cette hypothèse conduit à supposer que la relation de transfert Lacan a renversé l'ordre des relations du transfert et de l'interpré
en eût été bouleversée, c'est-à-dire que Yeffet de vérité produit par cette tation tel qu'il était en vigueur dans les années 6027. « Le grave, écrit-il,
intervention aurait donné à Freud le prestige qu'elle met ici à rude est qu'avec les auteurs d'aujourd'hui la séquence des effets analytiques
épreuve, de sorte que le renversement du signe qui affecte le transfert semble prise à l'envers. L'interprétation ne serait, à suivre leur propos,
ressortit ni plus ni moins à l'interprétation portant sur la cause du qu'un ânonnement par rapport à l'ouverture d'une relation plus large
désir : « Si Freud en un troisième renversement dialectique eût donc où enfin l'on se comprend (“ par le dedans ” sans doute). »
orienté Dora vers la reconnaissance de ce qu'était pour elle Mme K... Autrement dit, le transfert n'est pas « la sécurité de l'analyste »
en obtenant l'aveu des derniers secrets de sa relation avec elle, de quel à partir de laquelle toutes les interprétations possibles pourraient être
prestige n’eût-il pas bénéficié lui-même (nous amorçons ici seulement données. Une fois établi, il ne saurait tenir lieu « d'alibi à une sorte de
la question du sens du transfert positif) ouvrant ainsi la voie à la revanche prise de la timidité initiale, c'est-à-dire à une insistance qui
reconnaissance de l'objet viril22 ? » ouvre les portes à tous les forçages, mis sous le pavillon du renforce
Freud, lui-même, le dira, dans sa note de 1923 : « Avant que je ment du moi29 ».
reconnusse l'importance des tendances homosexuelles chez les névrosés, Ces lignes, bien entendu, doivent être tenues pour relatives à
j'échouais souvent dans les traitements ou bien je tombais dans un l’époque. Cependant, elles offrent la possibilité de mettre en perspec
désarroi complet23. » tive le décalage de Freud par rapport à une telle option et aussi ce qui,
Eût-il repéré chez elle cette « tendance psychique inconsciente la dans la technique, a pu autoriser cette visée théorique. Dans le style
plus forte », Freud convient que l'issue aurait été autre, c'est-à-dire d'intervention que Freud utilise avec Dora, il est remarquable que c'est
que Dora ne se serait pas vengée de lui comme de M. K..., Yacting out l'interprétation qui fait obstacle au transfert positif, en ceci qu'elle
relevant de l'ignorance de Freud à cet égard. favorise la relation duelle, car en voulant mettre Dora sur la bonne
« C'est ainsi que la théorie traduit comment la résistance est voie, Freud ne lui donne qu'une nouvelle occasion d'attiser son désir
engendrée dans la pratique. C'est aussi ce que nous voulons faire de vengeance des hommes, conséquence de l'aliénation narcissique,
entendre, quand nous disons qu’il n'y a pas d autre résistance a 1 ana c’est-à-dire de son identification à M. K... et à Freud. Le transfert
lyse que de l'analyste lui-même24. » négatif est donc l'effet de l'interprétation du transfert et relatif à lui.
La résistance est donc faussement imputée à Dora par Freud, par « Le désir, c'est en somme l'interprétation elle-même30. » On posera
quoi il méconnaît la sienne propre : c'est que celle-ci ressortit à un donc que le désir de Freud coïncide avec son interprétation de la cause
effet d'incompréhension et c'est avec les termes dont se sert Freud du désir, formule plus explicite, pensons-nous, que celle du contre-
pour qualifier d'ordinaire la résistance à la psychanalyse qu on est en transfert. « Il ne s'agit nullement du contre-transfert de tel ou tel ; il
droit de juger la sienne : « Il n'y a qu une seule résistance, c est la s’agit des conséquences de la relation duelle, si le thérapeute ne la
résistance de l'analyste25. » surmonte pas, et comment la surmonterait-il s'il en fait l'idéal de son
Si donc le transfert, comme le dit Lacan dans Intervention sur le action31 ? »
52 Freud et le désir du psychanalyste De Vhystérique au désir de Freud 53
Dès lors se combinent de façon complexe les préjugés et les erreurs implique pour le sujet un désir de guérir, voire de sauver, la réponse ne
de Freud, à quoi se mêlent des inhibitions théoriques, ce qui, après sera pas meilleure.
coup, nous paraît ressortir à un retard de la théorie sur le savoir C'est le cas de la jeune homosexuelle qui cherche à capturer le désir
inconscient de Dora, quant à l'absence de ce qui, dans le sexuel, fait de Freud en lui apportant des rêves qui la marient au fantasme supposé
rapport. de Freud, mais dont celui-ci n'est pas dupe36.
Freud dit qu'il n'a pas découvert à temps les signes de transfert. Il faut avoir en tête, en effet, que le transfert négatif manifeste de
Est-il besoin de souligner qu'il s'agit d'un transfert négatif ? « Je ne la part du sujet une résistance à la suggestion bien plutôt qu'une
réussis pas à me rendre maître du transfert ; l'empressement avec lequel manifestation de mauvaise volonté. On sait que cette dernière concep
Dora mit à ma disposition une partie du matériel pathogène me fit tion motivera 1' « analyse des résistances ». La méfiance de l'hysté
oublier de prêter attention aux premiers signes du transfert qu'elle rique37 trouvera finalement sa raison d'être dans une réactivation de
préparait au moyen de ce même matériel, partie qui me restait la scène de séduction que le traitement lui-même vient mimer « quand
inconnue32. » la malade est saisie d'une crainte de trop s'attacher à son médecin, de
perdre à l'égard de celui-ci son indépendance et même d'être sexuelle
Ce matériel inconnu est un signe par lequel Freud lui rappelait ment asservie à lui38 ».
M. K ...33 et que Freud appelle un « facteur inconnu ». Le résultat est
Freud fait l'aveu de sa propre déception en ces termes : « J'ignore
que Dora se venge de Freud au même titre qu'elle s'est vengée de son
quelle sorte d'aide elle avait voulu me demander, mais je promis de
père et de M. K..., en somme par dépit. Tous les hommes se valent.
lui pardonner de m'avoir privé de la satisfaction de la débarrasser plus
À l'universel qui soutient sa vengeance des hommes et sa rivalité radicalement de son mal39. »
narcissique avec eux, fait écho la « touthommie34 » de Freud ; il ne
Ainsi se faire l'agent du Tout-Puissant, réconciliant enfin le
parvient pas à faire exception à cette latéralité du transfert négatif et
sujet avec son désir, revient à n'être pas 1' « au-moins-un » qui ferait
à constituer 1' « au-moins-un » qui, déchu de sa position de maîtrise,
exception à la répulsion généralisée à laquelle l'hystérique voue les
l'introduirait à l'objet de son désir. hommes. Aussi Freud s'exposait-il aux contrecoups agressifs de l'en-
Pourtant les difficultés que réserve la conduite de la cure ne sont doctrination qu'il faisait subir en général à ses patientes « en for
pas toutes imputables au désir de l'analyste ; les résistances sont de çant l'appel de l'amour sur l'objet de l'identification40 » et en donnant
structure, si c'est la résistance de la parole et non celle du sujet déter consistance à un signifiant (M. K...) dont la fonction de soutien du
minée par sa mauvaise volonté. désir impliquait 1' « indifférence de l'objet ». La « belle indifférence »
Dès lors, les manifestations d'hostilité de l'hystérique comme son de l'hystérique se portait dès lors sur l'interprétation elle-même, an
agressivité sont moins des réactions visant la « personne de l'analyste » nulant du même coup le signifiant du psychanalyste, après que Freud,
comme le croit Freud, que le signifiant de l'analyste auquel sa personne s’impliquant dans le réel, manœuvre de façon qu'elle ne puisse « plus le
prête consistance. En tant qu'il veut guérir ou veut savoir, en effet, contredire41 ».
le maître comme tel réactive la castration de l'hystérique qui entend, Cette confusion que fait Freud entre sa personne et le signifiant de
par l'agressivité qu'elle déchaîne, entraîner le maître à désirer et donc l’analyste est encore plus manifeste à propos de la jeune homosexuelle :
à l'aimer comme châtrée. « En réalité elle transféra sur moi le radical refus de l'homme par
C'est pourquoi le transfert négatif de même que Yacting ont lequel elle était dominée depuis que son père l'avait déçue. Générale
impliquent le psychanalyste dans son action. Certes, pas au même ment la rancœur contre l'homme se satisfait facilement auprès du
titre. C'est, en effet, dans la mesure où l'analyse « a déjà engagé plus médecin42. » Et, plus loin, après qu'elle a fourni à Freud des rêves desti
loin le sujet dans une reconnaissance authentique 35 » que le prix à nés à le tromper, celui-ci conclut que « son intention était de me trom
payer sera d'autant plus fort si l'analyste se fourvoie dans son inter per, comme elle avait coutume de tromper son père43 ».
vention. Mais, d'autre part, en tant que le signifiant de l'analyste Il apparaît ici que Freud se croit visé dans le réel, autrement dit
84 I ynul et le désir du psychanalyste De Vhystérique au désir de Freud 55
<|u< l.i personne du médecin sert de catalyseur à son dépit et à son un savoir sur le sexe que Dora détient. L'amour de transfert ne fait
erreur : « Les deux intentions, tromper le père et plaire au père, pro pas défaut, mais il ne va pas dans le sens attendu. Dora, objet a de
viennent du même complexe44. » l’reud, fait de celui-ci un cas.
De même, tromper Freud et lui plaire ont la même source chez
rhomosexuelle, une source œdipienne. Que Freud soit l'analyste ne le
distingue pas, par un signifiant nouveau, d'un père « supposé », souhai
tant la détourner de sa perversion. Freud pourtant voit bien qu'elle NOTES
rêve pour son analyste, elle lui suppose le même désir que son père.
r. J. L a c a n , le Séminaire, livre I, les Écrits techniques de Freud (1953-1954)
On est fondé, à partir de cette technique d'interprétation, à poser cette Paris, Seuil, 1975, p. 208 ; — « Intervention sur le transfert » (1951) in
question : quel rôle joue Freud ? Il fait remarquer dans Dora qu'il ne Ecrits, p. 225.
1. J. L a c a n , « L a direction... », in Écrits, p. 639.
joue aucun rôle : « J'ai toujours évité de jouer des rôles et me suis 3. J. L a c a n « Fonction et champ... », in Écrits, p. 305.
contenté d'une part psychologique plus modeste. Malgré tout l'intérêt 4 J. L a c a n , « Intervention... », in Écrits, p. 224.
5. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 54.
théorique, tout le désir qu'a le médecin d'être secourable, je me dis 0. J. L a c a n , « Intervention... », in Écrits, p. 222.
qu'il y a des limites à toute influence psychique et je respecte de plus 7. « Une illusion n'est pas la même chose qu'une erreur, une illusion n'est pas
non plus nécessairement une erreur. [...] Nous appelons illusion une
la volonté et le point de vue du patient45. » Cela est difficile à admettre. croyance quand, dans la motivation de celle-ci, la réalisation d’un désir
Se souvenant sans doute jusqu'à la lie des déboires causés par ses est prévalente. » (S. F r e u d , VAvenir d'une illusion (1927) Paris P U F
1 9 7 1 , P - 4 4 -4 5 -) , V / / > > • • -,
analyses d'hystériques, Freud écrit plus tard, dans son article « Le J . L a c a n , « Intervention... », in Ecrits, p. 22*.
début du traitement » : « Le malade s'attache de lui-même à l'analyste 9. Ibid.
10. Ibid. — Freud note dans Dora (in op. cit., p. 82-83) : « L'incapacité de satis
et le range parmi les imagos de ceux dont il avait accoutumé d'être faire aux exigences réelles de l’amour est un des traits caractéristiques
aimé. L'analyste risquerait de réduire à néant ce premier succès s'il de la névrose \ ces malades sont sous l'empire de l'opposition qui existe
entre la realite et les fantasmes de leur inconscient. Ce à quoi ils aspirent
témoignait envers son patient d'autres sentiments que celui d'une le plus ardemment dans leurs rêveries, ils le fuient dès que la réalité le
sympathie compréhensive, par exemple s'il cherchait à moraliser ou leur offre et c est quand aucune réalisation n'est plus à craindre qu'ils
s adonnent le plus volontiers à leurs fantasmes. »
s'il se comportait comme le représentant ou le mandataire d'une tierce 11. J. L a c a n , « Intervention... », in Écrits, p. 218.
personne, d'un conjoint, etc.46. » 12. Ibid., p. 220.
13. Ibid., p. 218.
C'est bien en tiers, en effet, que Freud, s'introduisant dans le réel, 14. Cf. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p v 25.
accrédite l'interprétation de Dora qui fait des hommes des complices 15. J. L a c a n , « Intervention... », in Écrits, p. 223.
16. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 40.
de la trahison paternelle. 17. C/ S F r e u d , « Sur la sexualité féminine » (19 3 1), in la Vie sexuelle, Paris,
C'est l'occasion de préciser un point : si le désir du patient tire P.U.F., 1969, p. 139-155.
18. J. L a c a n , le Séminaire, livre I, p. 207.
consistance de sa rencontre avec le désir de l'analyste, une convergence 19. Allégation « devant laquelle elle regimbait vivement » serait une traduction
s'établit dans le couple Freud-Dora : l'échec du rapport sexuel. Rappe plus exacte de sich straüben (le terme de « résistance » n'apparaissant pas
dans le texte original). (S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 4 1 • cf G W V
lons que le symptôme majeur de Dora n'est rien moins qu’une série p. 218.) ' '
d'idées « hyperpuissantes47 » : « la répétition incessante des mêmes 10. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 43.
^r. J . L a c a n , le Séminaire, livre I, p. 208.
pensées relatives aux rapports de son père avec Mme K ...48 ». Cette 11. J . L a c a n , « Intervention... », in Écrits, p. 222.
idée « prévalente » doit sa persistance, on l'a vu, à la jouissance que 23. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 90, note 1.
24. J. L a c a n , « L a direction... », in Écrits, p. 5 3 5 .
l'hystérique tire du savoir de l'Autre (la femme) sur la jouissance de * 5- J- L a c a n , le Séminaire, livre II, p. 267.
son père. Freud, à son insu, fait les frais d'une concurrence avec le 26. J. L a c a n , « Intervention... », in Écrits, p. 225.
27. Cf. S. L é b o v ic i , la Psychanalyse^aujourd’hui, Paris, P.U.F., 1956.
maître du désir, signifiant du névrosé, auquel il s'identifie. 28. J. L a c a n , « L a direction... », in Écrits, p. 595.
Cet obstacle du « transfert négatif » est révélateur de la place à 29. Ibid., p. 596.
jo. J. L a c a n , le Séminaire, livre X I, p. 161.
laquelle Freud s'est mis : celle du maître du désir, en concurrence avec 31. J . L a c a n , « L a direction... », in Écrits, p. 595.
56 Freud et le désir du psychanalyste
32. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 88.
33. Ibid., p. 89. ^
34. J. L a c a n , VEtourdit, (1972), in Scilicet, revue de l’E.F.P., Paris, Seuil, 1973,
n° 4, p. 18.
35. J. L a c a n , « Fonction et champ... », in Écrits, p. 305.
36. « Pour la jeune homosexuelle du cas d’homosexualité féminine,il[Freud]
voit mieux mais achoppe à se tenir pour visé_ dans le réel parle transfert
négatif. » (J. L a c a n , « La direction... », in Écrits, p. 639.)
37. Cf. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 53.
38. S. F r e u d , Études sur V hystérie, op. cit., p. 245.
39. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 91.
40. J. L a c a n , « L a direction... », in Écrits, p. 639.
41. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 77.
42. S. F r e u d , « Sur la psychogenèse d'un cas d’homosexualité féminine » (1920),
in Névrose, Psychose et Perversion, Paris, P.U.F., 1975, p. 262-263. V
43. Ibid., p. 264.
44. Ibid.
45. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 82. LE CAS FREUD
46. S. F r e u d , « Le début du traitement », in la Technique psychanalytique, op. cit.,
p. 99-100.
47. « Ûberstarker », überwertiger Gedanke » : cf. S. F r e u d , Dora, G. W., V, p. 214-
215.
48. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 38.
Il existe sur Freud et Dora une littérature abondante, voir notamment : « L’inter
Si ce que nous avons soutenu jusqu’ici a quelque fondement, alors
ruption de la cure », in la Conclusion de la cure, VIIIe Rencontre internationale <'est un inconscient différent de ce que Freud en a dit jusque-là que
du champ freudien, Paris, Folio/Seuil, 1994. Voir également : « Problématique nous rencontrons : en effet, on ne peut plus, après la relation que
freudienne de la sortie d’analyse », in Commentfinissent les analyses, textes réunis
par l’A.M.P., Paris, Seuil, 1994. Freud fait de ces cas, et en particulier de Dora, traiter de l’inconscient
(omme d’un objet extérieur, objectivable, et mieux serait encore de
dire que si l’inconscient n’est pas une entité « interne » à exhiber ou à
faire passer de la puissance à l’acte, c’est que, par son acte, l’analyste
s’engage à faire partie des phénomènes dont son artifice va être le
produit. Tout comme l’inconscient, l’analyste est en exclusion interne
à son objet ; en d’autres termes, on ne dira jamais mieux que dans le
domaine du transfert à quel point l’observateur fait partie de l’obser
vation. Et encore est-ce peu dire, tant il est vrai que la relation d’un
cas, par un psychanalyste du nom de Freud, contient toujours l’aveu
implicite de ses choix, préférences, déceptions, de sorte que les réponses,
les rêves, le transfert apparaissent comme activés par la demande de
Freud1.
Le signifiant de l’analyste est donc présent dans la parole de
l’hystérique dès qu’elle ouvre la bouche, invitant à y introduire un
doigt, soit pour la lui ouvrir plus carrément, soit pour la faire taire.
Ainsi, lorsque Lacan écrit que « le transfert fait obstacle à l’inter-
subjectivité2 », cela doit-il faire renoncer à tout espoir de relation à
deux, dans laquelle deux inconscients s’interprétant l’un l’autre ou
s’interpénétrant s’homogénéiseraient dans une communication enfin
retrouvée. Si l’on peut dire, en revanche, qu’il n’y a pas d’extériorité
58 Freud et le désir du psychanalyste De Vhystérique au désir de Freud 59
du cas par rapport à l'analyste qui le relate, c’est que la résistance I* . lèves ont, très tôt, révélé à Freud. On rêve pour son analyste, nous
de Freud à reconnaître l'objet du désir définit justement la structure I ivons vu avec le cas de l’homosexuelle, et pour tromper son désir
de l'inconscient. Si le psychanalyste est inclus dans 1' « existence » <sirnilé à une demande de rectification de la conduite. Le signifiant
de l'inconscient3, nul texte n’est plus expücite que celui de Dora pour <l< l’analyste, selon Freud, s'il doit être décollé de sa personne, est
illustrer ce qu’il en est des rapports de Freud à la femme. toujours un sujet désirant un « sujet supposé désir9 ».
On voit, dans ce cas, qu’il n’est aucunement question de l'incons À titre d’exemple, on pourrait évoquer, à ce point de vue, le rêve
cient de Freud, mais au contraire, d’une dénégation de l’inconscient I* la « dame au marché » qu’on peut interpréter comme étant destiné
qui, Freud l’annoncera en 1914 , « ignore la contradiction » et mécon a décevoir la demande de l’analyste. Freud, en effet, expliquait la veille
naît la différence des sexes. Disons-le en termes lacaniens : pour .» sa patiente que nous ne pouvions plus disposer des événements de
l’inconscient, il n’y a pas de rapport sexuel. Tandis que, pour Freud, notre première enfance comme tels, « mais qu’ils nous étaient rendus
du moins ici, il y a un rapport entre l’homme et la femme. C’est donc p.ir des “ transferts ” et des rêves lors de l’analyse10 ». Nous pouvons
plus exactement une intervention de l’ego de Freud idéalisant le parte tenir ce rêve pour un symptôme du désir de Freud, autrement dit une
naire sexuel de Dora, qu’un effet de son inconscient venant parasiter interprétation. Voici ce rêve : « “J ’ai rêvé que j ’arrivais trop tard au
celui de sa malade. marché et que je ne trouvais plus rien chez le boucher et chez la marchande
Jacques-Alain Miller a pu ainsi écrire à ce propos : « El caso Dora </r légumes. ” Voilà assurément un rêve innocent ; mais un rêve ne se
es tanbien el caso Freud*. » Que Freud soit impliqué dans les dires mêmes pi ésente pas de cette manière ; je demande un récit détaillé. Le voici :
de Dora, comme dans les formations de son inconscient pourrait l'Ile allait au marché avec sa cuisinière qui portait le panier. Le bou-
s’illustrer du premier rêve d’incendie, comme O. Mannoni l’a déjà h<r lui a dit, après qu'elle lui eut demandé quelque chose : “ On ne
montré5. On voit bien, compte tenu des textes postérieurs sur la /•nit plus en avoir ”, et il a voulu lui donner autre chose en disant :
féminité, à quel point le cas relaté devient le cas de celui qui le rapporte, " ( 'est bon aussi. " Elle a refusé et est allée chez la marchande de légumes.
situation extrêmement sensible dans la relation de Freud à la femme, ( r/le-ci a voulu lui vendre des légumes d'une espèce singulièrey attachés
bien que Freud prétende « ne jouer aucun rôle6 ». <n petits paquets, mais de couleur noire. Elle a dit : “ Je ne sais pas ce que
t ’rst, je ne prends pas ça. ”u »
La cause phallique de Freud Freud prend particulièrement en compte l’expression : « On ne peut
plus en avoir. » C'est une expression qu'il a prononcée la veille, confor
Il apparaît, au cours des étapes que Freud désire faire franchir à mément à sa méthode, qui retient son attention. La métaphore des
Dora, que son interprétation porte sur la cause du désir : M. K..., en l<7-umes est doublement articulée. Que les légumes soient des signi-
tant que substitut du père. Que l’hystérique soutienne ce désir au liants du manque se soutient en effet à plus d'un titre.
prix de sa propre insatisfaction n’a pas échappé à Freud pour des rai Le désir de l'Autre, celui de Freud en l'occurrence, est évoqué par
sons contingentes. La question, à cette époque, du complexe de castra l i métaphore allemande de la boucherie fermée. Freud traduit : la
tion chez la fille ne se pose pas, puisque la fille est, d’emblée, châtrée. luaguette. Ainsi le je ne prends pas ça du rêve requiert deux types
D’où le problème que soulève Lacan : « Freud, lui, part de sa cause ^'explications qu'un deuxième rêve confirme12 :
phallique pour en déduire la castration, ce qui ne va pas sans bavures, 1 ) je ne comprends pas ça, je ne sais pas ce que c’est ;
que je m’emploie à éponger7. » 2 ) ne me prends pas, ce n'est pas la peine.
Peut-être trouverons-nous dans les rêves des patients de Freud et Dans les deux cas, la signification de son refus des substituts
leur interprétation les traces de cette butée de la castration ? Elle indique bien sûr la jouissance phallique qu’elle se refuse faute d’ « har
donne à Freud la mauvaise orientation, celle qui fait la femme « poisson monie sexuelle ». Mais elle refuse aussi à Freud la satisfaction qu’elle
dans l’eau 8 » à l’égard de la castration. <*>1 en droit d’imaginer : elle ne lui donnera aucun souvenir.
Que l’analyste soit présent dans le discours du patient, c’est ce que C'est dans le langage « à double sens » que s’exprime la patiente et
6o Freud et le désir du psychanalyste De l’hystérique au désir de Freud 61
que permet la géographie du corps féminin (la boîte, le piano...). Cette demande en offre sexuelle, reproduisant le « trauma initial d’où prove
femme, mécontente de ses formes dans l’enfance, répudie les insignes nait sa névrose14 ». Elle rêve donc du transfert conformément aux
de sa féminité en tant que causes du désir de l’Autre, du mari, et se « explications » que Freud lui donnait aux alentours de 1900, c’est-à-
refuse. Bien plus, ces signes, elle n’en veut pas. Elle « ne sait pas ce dire d’une transposition d’une scène de séduction. Freud ajoute :
que c’est » ; et, comme on l’a vu, demande à une autre de le lui dire « D’autres personnes, qui avaient subi dans leur enfance des attentats
(Mme K..., pour Dora, qui lui fournit des dictionnaires). Peut-être la à la pudeur et en souhaitaient le retour dans leurs rêves, m’ont souvent
patiente a-t-elle interprété le désir de Freud au-delà de ce qu’il lui donné l’occasion d’observer les mêmes phénomènes16. »
demandait : les souvenirs d’enfance faisant défaut, je vous engage On voit qu’à cette époque les rêves traumatiques ne font pas pour
à rêver et à transférer... — Vous voulez du sens sexuel ? En voilà. Mais Freud difficulté quant à la thèse de la réalisation du désir dans le rêve.
pour le phallus vous repasserez. I.a répétition n’obéit pas à un autre principe que celui du plaisir.
Ce qui frappe dans ce rêve, c’est la parfaite homogénéité de la Dira-t-on que les patientes de Freud rêvaient conformément à la
théorie freudienne du transfert à l’époque de l’Interprétation des rêves, conception que Freud avait du trauma et de l’étiologie de l’hystérie ?
c’est-à-dire un simple déplacement de signifiant, et la théorie du trans Sans doute. Tout y est : lë trauma, le dégoût, la scène de séduction.
fert de la patiente. Freud lui a donné des « explications », mais de ces Cependant, au-delà de l’interprétation du rêve selon les schémas de
explications, elle ne veut pas. La résistance se manifeste donc au lieu 1897 (la « neurotica »), on voit dans ce rêve autre chose, comme dans
même que Freud lui a indiqué : « C’est donc moi qui suis le boucher, le deuxième rêve de Dora, une antinomie entre le savoir sur le sexe
et elle repousse ce “ transfert ” d’anciennes manières de penser et de et la jouissance, sur quoi Lacan mettra tout l’accent. La fille se prive
sentir13. » de la satisfaction génitale parce qu’ « elle ne sait pas ce que c’est »,
Le désir du rêve est donc de ne pas rêver de substituts. Elle rêve formule où s’énonce on ne peut plus clairement le refoulement du
qu’elle ne désire pas ces transferts, ces rêves, ces substituts. Mais le signifiant phallique, l’antinomie du savoir et de la jouissance.
rêve transpose la demande faite par Freud de rêves et de transferts, en
un sens sexuel. Freud lui fait des propositions. « Il n’y en a plus », elle Le père idéal
aura affaire à des substituts, des ersatz de satisfaction, dont elle ne veut
pas. Le boucher lui dit : « C’est bon aussi », et la marchande de légumes Freud apprend donc, à ses dépens, ce qu’il en coûte de parler en
a voulu lui vendre des légumes qu’elle ne connaît pas. On pourrait maître. À cet égard, un des écueils que doit éviter l’analyste, écrit
écrire : je ne prends pas ce que je ne sais pas. Il est clair que le savoir Lacan, est d'incarner le père idéal : « Le père souhaité du névrosé est
dont il s’agit n’est pas bon à prendre. Comme Irma, elle ne veut pas clairement, il se voit, le père mort. Mais aussi bien un père qui serait
des solutions de remplacement proposées par Freud (le boucher). Plus parfaitement le maître de son désir, ce qui vaudrait autant pour le
précisément, les ersatz de souvenirs ont, dans le rêve, activé les sou sujet16. »
venirs du manque, soit la castration imaginaire de la patiente. À la Autrement dit, la docte ignorance de l’analyste doit être accom
proposition de Freud : il y a des substituts, elle répond, non par un pagnée d’une mise en cause de l’idéal : « Comment l’analyste doit-il
souvenir d’enfance, mais par une fin de non-recevoir : ce n’est pas la préserver pour l’autre la dimension imaginaire de sa non-maîtrise, de
peine. sa nécessaire imperfection, voilà qui est aussi important à régler que
À qui s’adresse cette formule décourageante, sinon aux maîtres qui l’affermissement en lui volontaire de sa nescience quant à chaque sujet
proposent leurs services ? Ainsi le rêve témoigne-t-il de cette réactiva venant à lui en analyse, de son ignorance toujours neuve à ce qu’aucun
tion de la castration imaginaire chaque fois qu’une nouvelle proposition 11e soit un cas17. »
est faite de lui donner le change (ce qu’elle n ’a pas) ; elle rêve qu’elle C’est en ce sens qu’on peut parler de neutralité, au sens où y est
ne désire ni rêves ni propositions. La demande de Freud est transposée neutralisé un signifiant, celui d’un père qui fermerait les yeux sur les
en une offre à laquelle, dans le rêve, elle se refuse. Le rêve transpose la désirs. L’analyste peut-il occuper cette place ?
62 Freud et le désir du psychanalyste De Vhystérique au désir de Freud 63
11 est clair qu’il y a deux façons de se fermer les yeux. Ne pas vouloir du partenaire. Disons que pour l'hystérique, il faut le partenaire
voit équivaut à autoriser, à entériner tous les désirs, et c'est ainsi qu'il châtré. Qu'il soit châtré, il est très clair qu'il l'est au principe de la
fonctionne dans l'inconscient. Le père interdicteur du désir, contraire possibilité de jouissance de l'hystérique. Il faut qu'il soit seulement ce
ment à ce qu'on dit, n'est pas ce qui empêche le névrosé de désirer, qui répond à la place du phallus21. »
c'est bien son fantasme d'un père mort qui le met à l'abri de la castra Freud répond à une place qui ne peut que relancer l'insatisfaction
tion. Cette figure, qui n'est pas explicitée par Freud, n'est pas absente de Dora puisque c'est celle d'un maître qui ne saurait tenir cette place
de son œuvre, puisque les rêves du père mort mettent en évidence la qu'à s'identifier à M. K..., ce qu'il fait à son insu avec les inconvénients
position de ce père par rapport à l'interdit et au désir. Ce père symbo que l'on sait. De même que M. K... provoque la réaction agressive de
lise aussi une place : celle du phallus. Comme telle, elle peut s'accom Dora en lui faisant l'aveu qu'il n'est pas un maître puisqu'il s'abaisse
moder d'être occupée par un savoir sur le sexe qui vient justement à l'aimer, de même Freud, qui s'interroge sur ce qu'il peut bien avoir
chez Dora se substituer à ce père. Ce savoir sur le sexe n'entre-t-il pas en commun avec M. K..., méconnaît son désir de vouloir réunir les
en conflit avec celui de Freud ? Ce dernier voit très bien que le désir amants supposés. En quoi il commet une erreur sur ce qu'il en est du
de se venger du père conduit à se venger de M. K..., puis, par transfert, désir de l'hystérique de préférer le savoir sur la vérité à la jouissance.
de Freud lui-même, mais n'est-ce pas que Freud s'est lui-même institué Freud, qui se laisse prendre au jeu de l'intrigue dans laquelle il vient
comme dépositaire d'un savoir sur le sexe ? occuper le rôle du Faust, aura donc affaire à forte partie. « Celui qui
« Dora a quitté la maison de sa propre autorité, le père est malade, réveille, comme je le fais, les pires démons incomplètement domptés
puis mort... elle rentre à la maison, les autres sont déjà tous au cime au fond de l'âme humaine, afin de les combattre, doit se tenir prêt à
tière. Elle monte dans sa chambre sans du tout être triste et lit tran n'être pas épargné dans cette lutte22. »
quillement un dictionnaire18. » Cela, Freud l'affirmera en d'autres occasions : « D'une conception
C’est ce passage qui sert de point d'appui à Lacan pour mettre en de la psychanalyse », « Résistance à la psychanalyse », « Analyse finie
relief la substitution chez l'hystérique du savoir à la place de la jouis et infinie » où il compare l'action de l'analyste à celui qui manipule
sance. « Parce que tu m'as traitée comme une domestique, je t'aban dangereusement les rayons X.
donne, je continue mon chemin toute seule, je ne me marie pas », dit L'espoir d'une guérison par l'amour ne pouvant plus animer légiti
son rêve19. Ce n'est donc pas simplement de vengeance qu'il s'agit, mement Freud, d'autres passions vont succéder à celle-ci. C'est ce que
mais de savoir. Les hystériques sont bien placées pour dire la vérité sur nous abordons maintenant.
le rapport sexuel.
Cette figure du père idéal n'est pas toujours récusée par Freud.
On la voit émerger dans Dora où explicitement Freud vient à occuper NOTES
la place du maître de vérité : « Ainsi le discours du maître trouve sa
raison du discours de l'hystérique à ce qu'à se faire l'agent du tout-
1. « Car il faut le dire, l'inconscient est un fait en tant qu'il se supporte du
puissant, il renonce à répondre comme homme à ce qu'à le solliciter discours même qui l'établit. » (J. L a c a n , VÉtourdit, in op. cit., p. 35.)
d'être, l'hystérique n'obtenait que de savoir20. » 2. Ibid., p. 18.
3. Cf. J. L a c a n , Télévision (1973), Paris, Seuil, 1974, P* 2^*
À la sollicitation hystérique : « fais voir si tu es un homme », 4. « Le cas Dora est aussi bien le cas Freud. » (J.-A. M i l l e r , Cinco Conferencias
Freud réplique sur le mode : « j'ai l'arme absolue, le savoir ». Mais Caraquenas sobre Lacan (1979), Caracas, Editorial Ateneo de Caracas,
1980, p. 85.)
comme ce savoir est constamment battu en brèche par les réponses 5. Cf. O. M a n n o n i , Clefs pour VImaginaire ou VAutre Scène, op. cit., p. 150-160.
souvent ectopiques à ce que Freud veut obtenir, c'est à un maître 6. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 82.
7. J. L a c a n , le Séminaire, livre X X V II, Dissolution, 24 janv. 1980, in Ornicar ?
châtré qu'elle a affaire. bulletin périodique du Champ freudien, 1980, n° 20/21, p. 12.
« Il y a plusieurs procédés pour éviter la castration ; l'hystérique a 8. J. Lacan, VÉtourdit, in op. cit., p. 21.
9. J.-A. M i l l e r , l’Orientation lacanienne (1977-1978), université de Paris-VIII,
ce procédé simple : c'est qu'elle l'unilatéralise de l'autre côté, du côté cours inédit.
64 Freud et le désir du psychanalyste
10. S. F r e u d , VInterprétation des rêves, op. cit., p. 165.
11. Ibid., p. 164.
12. « Son mari demande : Ne faudrait-il pas faire accorder le piano ? Elle : Ce
n’est pas la peine, il faut d’abord le faire recouvrir. » (Ibid., p. 166.)
13. Ibid., p. 165.
14. Ibid., p. 166, note 2.
15. Ibid.
16. J . L a c a n , « Subversion du sujet et dialectique du désir dans F inconscient
freudien » (i960), in Écrits, p. 824.
17. Ibid.
18. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 83, note 1.
19. Ibid.
20. J . L a c a n , Radiophonie (1970), in Scilicet, 1970, n° 2/3, p. 97.
21. J . L a c a n , le Séminaire, livre X V III, D’un discours qui ne serait pas du DEUXIÈME PARTIE
semblant (1971), inédit, 16 juin 1971.
22. S. F r e u d , Dora, in op. cit., p. 82.
LA PASSION DE L’ORIGINE
VÉRITÉ ET CERTITUDE
LA FOUILLE FREUDIENNE
ET LE DÉSIR DE L’ARCHÉOLOGUE
LA PARANOÏA RÉUSSIE
Ce qui donne à la périodicité cette allure ésotérique, c'est unique pas affaire à deux discours dont l'un serait l'envers de l'autre, mais à
ment ceci : le réel du corps s'y accorde sur le firmament des cieux : le l'issue antinomique d'une question qui intéresse la science et la folie
cycle de la femme sympathise avec le rythme cosmique : les astres, à la fois. Sans nul doute la « formule » vise les anciens rapports de
horloges du monde, concordent avec les périodes féminines. Au fond, Freud avec Fliess. Ce dernier aurait pris la voie qui conduit à l'élabo
ce qui fait la communauté de Schreber avec Fliess, c'est que, pour ration d'une théorie délirante pour autant que son homosexualité n'est
l'un comme pour l'autre, le féminin et le masculin trouvent à s'incarner pas sublimée. Encore faut-il montrer que c'est bien dans cet échec, ou
dans une inscription chiffrée, dans un nombre : il y a le chiffre de la plutôt de cet échec, que résulte sa doctrine de la bisexualité biologique,
femme, 28, et le chiffre de l'homme, 23. La théorie délirante de Fliess qui fait passer dans le réel et dans l'univers tout entier les signes du
de l'analogie anatomique des organes du nez et des organes génitaux masculin et du féminin. Qu'il y ait une théorie proprement délirante de
féminins consiste à contourner la différence sexuelle en ne lui assignant la division sexuelle est l'idéologie, si l'on peut dire, la mieux partagée,
aucune marque symbolique. La théorie de la bisexualité réduit la à ceci près qu'elle ne fait pas l'objet d'une doctrine comme c'est le cas
différence homme/femme à une différence purement quantitative ; elle dans l'œuvre de Fliess. Il s'agirait au fond, pour lui, de mettre le désir
justifie les élucubrations mathématiques de Fliess. Les combinaisons (Mi formule, d'obtenir que le rapport sexuel puisse s'écrire conformé
savantes des deux chiffres suppléaient à l'impossible d'écrire le symbole ment à un savoir sur les cycles qui seraient susceptibles d'en régler
du rapport de l'homme et de la femme. C'est d'ailleurs précisément sur le cours. Comme ce cycle est de nature mécanique et obéit à des lois
ce point que Freud ne suivra pas Fliess, alléguant en matière d'excuse cosmiques, on pourrait dire que la révolution freudienne fut de renoncer
son manque de connaissance mathématique13. à ce modèle imaginaire de la révolution astrale qu'il a pourtant inscrite,
Paradoxalement, on saisit, dans cette réticence de Freud, la proxi sous l'égide de Copernic, au principe de la psychanalyse.
mité de son désir avec celui du mathématicien qui, en réaüté, ne se Ce texte ironique de Freud pourrait fort bien servir d'illustration
laisse pas égarer par la jouissance du sens. À l'inverse, Fliess croyait !héorique à l'antinomie qui existe entre une conception para
pouvoir donner un sens sexuel à une proportion mathématique. Tout noïaque de la sexualité pour laquelle la prévisibilité du désir pro
dans l'univers résonnait aux accents de l'écart mathématique qu'il céderait de son chiffrage préalable et celle de Freud, pour qui la fameuse
savait retrouver dans tous ses calculs. Or, à partir du moment où l'on «poussée » de la pulsion est constante. Ce principe, véritable coup
fait entrer la différence sexuelle dans un calcul savant, le chemin n'est d'État théorique, est ce qui va désormais guider Freud dans sa
pas loin qui conduit de l'homme à la femme par une simple opération doctrine de la sublimation. Elle implique comme préalable la théorie
arithmétique. C'est en renonçant à trouver la bonne mesure entre le de la libido comme énergie susceptible de transformation dont, au
masculin et le féminin que Freud a pu tirer profit de la théorie délirante reste, on ne sait rien (la libido est un mythe) si ce n'est qu'une constante
de la bisexualité fliesséenne. est mise au principe de l'explication qui tient le désir pour indes
Ce n'est pas sans ironie qu'il écrit à Fliess : « Plusieurs choses fort tructible.
bizarres me sont aujourd'hui venues à la pensée et je ne les saisis pas On voit par là en quoi la psychanalyse touche à la science, non pas
encore parfaitement. Pas question pour moi de méditer ; cette façon par sa proximité avec des théories dont on vient de souligner l'analogie
de travailler me prend par intermittence et Dieu seul sait la date de avec le délire paranoïaque. Qu'est-ce qu'une « science » qui, justement,
la prochaine poussée, à moins que tu n'aies déjà découvert ma méconnaît l'impossible du rapport sexuel et, sous couvert d'un savoir
formule14. » sur la différence, reconduit l'espoir d'une réduction à un unique
La formule freudienne, au vrai, signifierait plutôt que le destin principe15 ?
de la pulsion sexuelle en jeu dans la paranoïa, à savoir l'homosexualité, C'est miracle que Freud, qui ne s'est jamais départi de son idéal
a été dans son cas, la sublimation et non pas l'échec dans la régression scientiste inspiré des idéaux de Brücke, son maître, n'ait pas fait de
au narcissisme. L'élargissement du moi pourrait suggérer alors qu'un la psychanalyse un délire paranoïaque. Son garde-fou, à cet égard, aura
avatar de la paranoïa pourrait conduire à la psychanalyse. On n'aurait été le délire de Fliess lui-même. L'échec de ce dernier, que Freud
n 8 Freud et le désir du psychanalyste
LE MYTHE FREUDIEN
NOTES
TROISIÈME PARTIE
L’ÉTHIQUE FREUDIENNE
L’ÉTHIQUE DU DÉSIR
ascétique. Ce n'est pas résoudre ce conflit que d'aider un des adversaires promesse d'une réconciliation entre les instances déchirées du psy
à vaincre l'autre11. » chisme. Néanmoins, la direction qu'il impose à la cure est du type de
Freud prend donc nettement position contre une interprétation la rencontre du sujet avec son désir inconscient et c'est avec cela que
sexologique de l'éthique analytique, telle qu'elle sera au contraire l'analyste a affaire. Tant que le conflit est inconscient, que les « adver
promue par un Wilhelm Reich, par exemple. La direction de la cure ne saires » s'ignorent et ne peuvent se confronter dans un face-à-face,
confie pas à l'analyste le rôle de mentor ; il « n'a qu'un désir, celui de aucune solution n'est possible. « Une vraie solution ne peut intervenir
voir le malade prendre lui-même ses décisions12 ». que lorsque les deux se retrouvent sur le même terrain. Et je crois que
Celles-ci seraient-elles inspirées par un idéal ascétique triomphant la seule tâche de la thérapeutique consiste à rendre cette rencontre
que l'analyste n'aurait rien à redire, s'il est vrai que le conflit seul est possible18. »
pathogène, et non pas les valeurs adoptées par l'individu lorsqu'elles On pourrait sans doute faire valoir ici une suspension du désir de
s'accordent à celles de la civilisation. Or, à supposer que la psycha Freud, une apathie quelque peu suspecte. Cette indifférence n'est
nalyse soit « ennemie de la civilisation13 », c'est pour autant qu'elle peut-être pas l'aspect principal à retenir. Car si l'analyste se propose
estime que le prix à payer par l'individu est trop fort. Le paradoxe est comme but « la rencontre » avec le désir refoulé, il ne doit pas croire
que justement on ne rend pas compte de 1' « action thérapeutique de la pouvoir retirer ainsi son épingle du jeu. En témoigne le transfert négatif
psychanalyse en disant qu'elle permet de vivre jusqu'au bout sa vie qui surgit lorsque l'analyste vient incarner cet objet ou mimer le réel.
sexuelle14 ». Tout se passe comme si, au contraire, une fois levé le refoulement qui
C'est, en apparence, un Freud partisan du juste milieu entre faisait obstacle à cette « rencontre », les jeux étaient déjà faits ; le
l'ascèse sexuelle et la débauche, qui s'exprime dans YIntroduction : sujet ne peut que constater son aliénation fondamentale et acquiescer
après avoir dénoncé l'hypocrisie sexuelle de la civilisation, dont « la à ce destin que lui fait l'inconscient : il a rencontré son objet a. Or, de
morale coûte plus de sacrifices qu'elle ne vaut15 », Freud fait appel à l’aveu de Freud lui-même, si le désir est indestructible, un nouveau
l'esprit critique de ses patients. « [...] lorsque, le traitement terminé, ils refoulement est impossible, et le sujet n'a plus qu'à être la dupe de
deviennent indépendants et se décident de leur plein gré en faveur d'une son désir.
solution intermédiaire entre la vie sexuelle sans restrictions et l'ascèse Ce que Freud exclut ici, c'est que l'analyste soit lui-même cet
absolue, notre conscience n'a rien à se reprocher. Nous nous disons que objet, et que la rencontre avec ce réel soit en quelque sorte mimée par
celui qui a su, après avoir lutté contre lui-même1*, s'élever vers la vérité, la séance analytique elle-même. Cette orientation est celle de Lacan.
se trouve à l'abri de tout danger d'immoralité et peut se permettre Encore faut-il ajouter que, selon lui, cette rencontre est toujours man-
d'avoir une échelle de valeurs morales quelque peu différente de celle quee 19.
en usage dans la société17. » On serait tenté de demander à la psychanalyse des conseils de
Incontestablement, Freud considère ici que le névrosé est en butte sagesse, un nouvel art de vivre. Mais outre que celle-ci n’apporte
à un conflit de nature morale qu'il y a à respecter. Il ne fait donc pas aucune bonne nouvelle, elle nous confronte à ceci que les exigences
du conflit un symptôme à éradiquer, puisque c'est le refoulement de ce auxquelles un sujet du langage a à se soumettre sont contradictoires.
conflit qui est pathologique. Le malaise dans la civilisation requiert « Un adage, dit Freud, nous déconseille de servir deux maîtres à la fois.
d'autres dispensateurs de calmants. Pour le pauvre moi la chose est bien pire, il a à servir trois maîtres
sévères et s’efforce de mettre de l’harmonie dans leurs exigences.
Celles-ci sont toujours contradictoires et il paraît souvent impossible
L'impossible harmonie
de les concilier ; rien d’étonnant dès lors à ce que souvent le moi échoue
On ne trouvera donc pas chez Freud une éthique de la jouissance dans sa mission. Les trois despotes sont le monde extérieur, le surmoi
ou une invitation à l'activisme sexuel prometteur d'un « bonheur et le ça20. »
phallique ». En ce sens, Freud n'annonce aucune bonne nouvelle ni la Sans doute, cette faiblesse du moi à réussir l’impossible harmonie
*34 Freud et le désir du psychanalyste L'éthique freudienne 135
justifie-t-elle le « contrat » que l’analyste va tenter d’instaurer avec le
moi. Mais ainsi épaulé par l’Autre, quelle garantie avons-nous de la
réussite ? Si le moi échoue dans sa tentative de conciliation, en quoi NOTES
1 analyste est-il fondé à « renforcer le moi » ? Cette formule, qui a fait
recette et connu le succès que l’on sait, est-elle de Freud ? Et, si elle
1. J . L a c a n , « L a direction... », in Écrits, p. 6 15 .
l’est, est-elle homogène à sa découverte ? Il ne serait pas déraisonnable 2. S. F reud, Cinq leçons sur la psychanalyse, op. cit., p. 44-45.
de fonder cette aide du psychanalyste au moi débile, « disloqué et 3. J. L acan, « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache : “ Psychanalyse
et structure de la personnalité »(i960), in Écrits, p. 684.
rétréci21 ». 5. S. F r e u d , « Sur les types d’entrée dans la névrose » (19 12 ), in Névrose,
Deux voies, deux stratégies guident l’analyste et posent un pro Psychose et Perversion, op. cit., p. 17 8 .
4. Freud dit parfois Liebesversagung : cf. G. W., X II, p. 324.
blème éthique. Ou bien on préconise un renforcement du moi, et le 6. Ibid.
recours à l’idéologie de la maîtrise, ou bien on ne prend pas parti pour 7. Freud emploie l'expression de gleichschwebende Aufmerksamkeit qui signifie
attention d’égal niveau, que nous traduisons par l'attention prêtée
la libido, ni pour sa libération ni pour son contrôle. autant au signifiant qu’à la signification.
Miser sur l’espoir d’un contrôle de la libido est une contradiction 8. S. F r e u d , « Les voies nouvelles de la thérapeutique psychanalytique » (19 18 ),
in la Technique psychanalytique, op. cit., p. 1 3 7 - 1 3 8 ; nous avons cité ici
dans les termes, puisque Freud définit celle-ci comme le « démo la traduction de J. L a p l a n c h e et J.-B. P o n t a l i s , Vocabulaire de la
niaque »22, c’est-à-dire ce qui est animé d’une poussée constante, ne psychanalyse, Paris, P.U.F., 19 67, p. 267.
9. Cf., en particulier, S. F r e u d , Analyse finie et infinie, G. W., X V I, p. 59-99 ;
connaît ni jour ni nuit, et, par conséquent, est rebelle à toute opération — Abrégé de psychanalyse (1938), Paris, P.U.F., 1967, p. 40.
de coupure qui viendrait s’exercer sur elle. La seconde voie, plus en 10. Cf. E . J o n e s , op. cit., t. II, p. 474.
11. S. F r e u d , Introduction à la psychanalyse, op. cit., p. 409-410.
accord avec le texte des Nouvelles Conférences que nous citons, consiste 12. Ibid., p. 410.
dans une meilleure répartition de la libido dont l’analyste serait le 13. S. F r e u d , Résistance à la psychanalyse, op. cit., p. 132.
14. S. F r e u d , Introduction à la psychanalyse, op. cit., p. 4 1 1 .
maître d’œuvre, cela grâce au transfert dont il est l’objet. La maîtrise 15. Ibid.
étant impossible, son mode de circulation, c’est-à-dire la plasticité de 16. C’est nous qui soulignons ce passage ainsi que le suivant.
17. S. F r e u d , Introduction à la psychalalyse, op. cit., p. 4 11.
la libido, due à de nouveaux investissements, s’effectuerait conformé 18. Ibid., p. 410.
ment aux vicissitudes des pulsions, en particulier la sublimation. 19. Sur cette question, voir l’article de J.-A. M i l l e r , « Réveil », in Ornicar ?
1980, n° 20/21, p. 49.
Or, c’est un fait que Freud ne fait pas de la cure analytique un 20. S. F r e u d , Nouvelles Conférences sur la psychanalyse, op. cit., p. 104.
processus comparable à la sublimation. Pousser le sujet à la sublimation 21. S. F r e u d , l’Analyse avecfin et l’Analyse sans fin} op. cit., p. 236.
22. S. F r e u d , « L a dynam ique... », in la Technique de la psychanalyse, op. cit.,
ressortit à l’orgueil thérapeutique âprement combattu par Freud en p. 50 ; — Au-delà du principe de plaisir, in op. cit., p. 6 1.
1912. « Il faut aussi se rappeler que bien des gens ont succombé à la 23. S. F r e u d , « Conseils aux médecins... », in la Technique de la psychanalyse,
op. cit., p. 70.
maladie, à cause justement de l’effort que leur a coûté la sublimation 24. S. F r e u d , Le Moi et le Ça, in op. cit., p. 272.
de leurs pulsions, efforts allant au-delà de leur capacité23. »
Mieux encore, la sublimation, selon Freud, laisse le champ libre
aux pulsions de mort, comme si la désexualisation de la libido était
« une libération des pulsions d’agression dans le surmoi24 ». Que l’ana
lyste devienne le maître du désir revient à se conformer à la demande
du névrosé dont l’angoisse de ne pas désirer conformément au surmoi
fait la souffrance.
X III
STRATÉGIE ET TACTIQUE
l'analyste peut-il « assister le moi26 » dans ces contradictions, si le moi 13. S. F r e u d , Esquisse d'une psychologie scientifique (1895), in la Naissance de la
psychanalyse, op. cit., p. 341.
est structuré comme un symptôme ? La division du sujet, n'est-ce pas 14. Ibid., p. 342.
en définitive ce que l'analyste doit désirer si, dans cette fonction chirur 15. S. F r e u d , Abrégé de psychanalyse, op. cit., p. 74.
16. Cf. S. F r e u d , « La perte de la réalité... », in Névrose, Psychose et Perversion,
gicale de séparateur, il doit disjoindre le moi du symptôme, cette op. cit., p. 299-303.
17. S. F r e u d , le Moi et le Ça, in op. cit., p. 271.
coalescence intenable ? 18. Ibid., p.271-272.
Mais une difficulté supplémentaire surgit : comment peut-il y par 19. Ibid., p. 272.
20. Ibid., p. 261.
venir, s'il entre lui-même dans le fantasme, s'il est lui-même, à la 21. Ibid., p. 272.
faveur du transfert, objet a, corps étranger que le névrosé essaye 22. S. F r e u d , Inhibition, Symptôme et Angoisse, op. cit., p. 14.
23. Ibid., p. 15.
d'« introjecter27 » ? 24. Ibid., p. 16.
Lorsque Freud dit que le névrosé abandonne ses symptômes par 25. Ibid.
26. Ibid.
amour de l'analyste dans le transfert, la situation n'est pas meilleure 27. S. F e r e n c z i , « Transfert et introjection » (1909), in Œuvres complètes. Psycha
pour autant. L'analyste devient le symptôme à analyser, nouveau nalyse, t. I : 1908-1912, Paris, Gallimard, 1968, p. 93.
corps étranger que le moi tente d'assimiler. Doit-il se prêter à cette
anthropophagie ? Son désir, au contraire, est la fonction qui déçoit
cette identification au profit de la différence absolue : l'objet a antino
mique du moi. Ces formulations, certes, sont celles de Lacan. Rien
n'indique, dans son œuvre, que Freud désirait occuper la place d'un
objet dans ses analyses. C'est néanmoins le point de repère obligé pour
parvenir à situer son acte.
NOTES
surmoi ? Quels sont ceux que l’analyste désire favon-.n ( < .lill.
Cruauté du surmoi rentes questions permettent de mieux saisir la relation <l< H.-n.l .
l’instance de la loi.
Ce terme de « réalité », dans 1’ Erziehung nach Realitât de l’Avenir Pour cela, il est nécessaire de se référer, une fois encore, au Malais
d’une illusion, masque le procès dont il s’agit, à savoir un dispositif dans la civilisation. On sait que l’analyste n’engage pas l’analysant dans
propre à faire reconnaître son désir. C’est bien de cette réalité-là qu’il la voie de la sublimation ou de la sainteté. Dans les deux cas, on
s’agit. Contrairement à ce qu’on pourrait croire néanmoins, l’assistance continue d’affirmer l’exigence de la pulsion qui contraint le sujet à des
de l’analyste ne représente aucune « autorité paternelle » dont la fonc mesures de défense. Si une conscience est, par définition, « exigeante
tion est précisément d’introduire le sujet à une conscience morale : or, et vigilante9 », c’est qu’on ne peut rien lui cacher, qu’elle sait toutes les
celle-ci, une fois l’agression inhibée, est « introjectée et intériorisée », de pensées. On reconnaît là l’origine infantile de la position de 1’ « Autre
sorte que retournée contre le moi, « elle manifeste à l’égard du moi la qu’on ne peut tromper » et dont la survivance dans l’inconscient est
même agressivité rigoureuse que le moi eût aimé satisfaire contre les attestée par la culture autant que par la névrose : si l’Autre, en effet,
individus étrangers5 ». sait les pensées interdites, quelle meilleure définition du surmoi que
Loin que ce retournement de l’agression ait quelque valeur morale, celle que Lacan donne du psychanalyste comme sujet supposé savoir ?
il consacre au contraire la toute-puissance des pulsions que la civilisa Le sujet supposé savoir les pensées refoulées a pour nom, chez Freud,
tion ne peut domestiquer que par l’entremise d’un « surmoi » « en le le surmoi.
faisant surveiller par l’entremise d’une instance en lui-même, telle une En effet, « rien ne peut rester caché au surmoi, pas même des
garnison placée dans une ville conquise6 ». pensées10 ». C’est pourquoi l’analyste ne peut reduire a une illusion pure
Il en résulte ce paradoxe de la conscience morale qui fait que celle-ci et simple le sentiment de culpabilité. Par exemple, dans la névrose
se « comporte, en effet, avec d’autant plus de sévérité, et manifeste une obsessionnelle, « le moi du malade se révolte donc contre l’allégation
méfiance d’autant plus grande, que le sujet est plus vertueux ; si bien qu’il est coupable, et il réclame du médecin qu’il vienne renforcer son
qu’en fin de compte ceux-là s’accuseront d’être les plus grands pécheurs propre refus de ces sentiments de culpabilité. Il serait déraisonnable de
qu’elle aura fait avancer le plus loin dans la voie de la sainteté7 ». lui céder, car cela resterait sans effet. L’analyse montre alors que le
Ainsi la source du surmoi étant l’agressivité dirigée contre l’inter- surmoi est influencé par des processus qui sont restes inconnus au moi.
dicteur de la jouissance, cette instance n’est pas supprimée une fois le On peut retrouver réellement les impulsions refoulées qui fondent le
renoncement obtenu. Bien au contraire, sa puissance se trouve renfor sentiment de culpabilité. Ici le surmoi en a su plus long que le moi sur
cée à proportion de ce renoncement. Véritable Moloch, plus on lui le ça inconscient11 ».
cède, plus il en demande ; la pulsion est, en effet, une « force constante » C’est ainsi que le surmoi représente ce qui, dans l’impératif, est
dont l’énergie est indestructible. Refoulée ou inhibée, elle n’en exerce pure jouissance, « le surmoi peut devenir hyper-moral et alors aussi
que davantage sa demande de satisfaction. cruel que seul le ça peut l’être12 ».
La cruauté que le névrosé exerce sur lui-même n’a d’ailleurs pas Aussi, dans Malaise dans la civilisation, Freud tire-t-il toutes les
d’autres sources que ce renoncement lui-même que Freud semble géné conséquences du paradoxe de la conscience morale déjà mis en lumière
raliser à toutes les formes cliniques : « Voyons-nous les choses de haut, dans le Moi et le Ça : « Plus un homme maîtrise son agressivité, plus son
alors la genèse des névroses nous apparaît sous cette formule simple : idéal devient agressif contre son moi13. »
le moi a tenté d’étouffer certaines parties du ça d’une manière impropre. Or, la source des exigences éthiques n est pas ailleurs que dans le
Il y a échoué et le ça se venge8. » domptage de l’agressivité qui ne profite ni à la civilisation ni au sujet.
C’est bien entendu le refoulement que Freud qualifie de « manière Toutefois, ce mécanisme n’est pas simplement imaginaire, c’est-à-
impropre ». Mais que serait la bonne manière de faire avec la pulsion ? dire tel qu’une représentation quantitative et énergétique puisse en
Y-a-t-il des renoncements qui ne tombent pas sous la loi aveugle du rendre compte. L’intrusion du surmoi, comme savoir de l’Autre, réins
i6o Freud et le désir du psychanalyste L'éthique freudienne
taure cette fausse autorité qui fait violence quoi que fasse le sujet. la pulsion. « [...] une agressivité consid^i.ililr i «lu - i* • i n * * *
« Nous connaissons ainsi deux origines au sentiment de culpabilité : l’enfant contre Fautorité qui lui défendait h-, pimii* •« *«»
l'un est Fangoisse devant Fautorité, l’autre, postérieure, est l’angoisse plus importantes, satisfactions21. »
devant le surmoi. La première contraint l’homme à renoncer à satisfaire L’enfer de la culpabilité a d’abord sa logique pn»|M« put j*. »i «
ses pulsions. La seconde, étant donné l’impossibilité de cacher au sur renforce « par le transfert au surmoi de l’énergie propu <1< ilniipn
moi la persistance des désirs défendus, pousse en outre le sujet à se nouvelle agression réprimée22 ».
punir14. » Mais, de plus, la civilisation le renforce dans la mesure ou rllt
On a vu que l’un des points essentiels de la butée de la thérapeutique s’édifie pour contrer l’agressivité individuelle. « Comme la civilisât mu
est ce besoin de punition inconscient qui va contraindre Freud à obéit à une poussée érotique interne visant à unir les hommes en uMi
prendre la mesure de la réaction thérapeutique négative15. masse maintenue par des liens serrés, elle ne peut y parvenir que pai
La conception de Freud qui fait de la conscience un symptôme un seul moyen, en renforçant toujours davantage le sentiment de
s’avère donc « totalement étrangère à la pensée humaine tradition culpabilité. Ce qui commença par le père s’achève par la masse28. »
nelle16 ». Celle-ci fait de la conscience la cause du renoncement pul La tâche du psychanalyste est-elle alors l’envers du désir de civili
sionnel, soit le principe spirituel dont la source est extérieure aux sation ? L’assèchement du Zuyderzee est-il compatible avec la
pulsions et peut, par conséquent, les réduire. Freud prend le contrepied « conquête du ça » ? Dans l’éternelle querelle entre l’amour et le désir
de cette doxa. Si, comme on Fa vu, le renoncement accroît la culpabi de mort24, où se situe le désir du psychanalyste ?
lité, c’est qu’il y a un rapport de cause à effet entre les deux. Puisque la
« Céder sur son désir »
culpabilité résulte de la conscience morale, cette dernière doit sa forme
à ce renoncement même. Le raisonnement de Freud revient à ceci : la C’est à la suite de l’examen des thèses contenues dans Malaise dans
cause étant homogène à l’effet, la conscience morale ne peut qu’être la civilisation que Lacan résume l’éthique analytique par cette formule :
homogène à la pulsion qui l’alimente ; elles ont la même source qui est « La seule chose dont on puisse être coupable c’est d’avoir cédé sur son
l’agressivité. désir25. »
« Tout renoncement pulsionnel devient alors une source d’énergie On a montré, par l’étude détaillée du chapitre vu de Malaise dans
pour la conscience, puis tout nouveau renoncement intensifie à son la civilisation, que le renoncement aux pulsions entraînait Fangoisse
tour la sévérité et l’intolérance de celle-ci17 » ; de sorte que « la devant le surmoi. En revanche, les tentations « se relâchent, pour un
conscience est la conséquence du renoncement aux pulsions18 » qui, dès temps au moins, si on leur cède à l’occasion26 ». On serait tenté de
lors, ne peut avoir dans une spiritualité autonome son principe. conclure de ces paradoxes à un certain laxisme éthique et, comme le
Il faut corriger le schéma selon lequel ce ne serait que les pulsions dit Freud parfois, à un certain « libéralisme en matière de sexualité27 ».
agressives qui, inhibées, se déchargeraient sur le moi lui-même, se Cependant, nous l’avons vu, la psychanalyse ne saurait préconiser
retourneraient sur la personne propre pour, en somme, trouver un aucune « jouissance sans entraves », puisque c’est précisément l’entrave
débouché. Freud fait en effet la remarque qu’il y a une autre origine à au plaisir qui permet au sujet l’accès à la jouissance. Mais que le
la conscience morale que le renoncement pulsionnel. Au fond, c’est renoncement à celle-ci déclenche l’exercice d’une cruauté du sujet sur
l’agression contre l’interdiction de toute satisfaction pulsionnelle, quel lui-même, c’est bien le paradoxe que Freud et Lacan à sa suite ont mis
que « soit leur genre19 », qui est fondamentale. en valeur pour justifier la recherche d’une éthique du désir.
Le surmoi « s’approprie alors toute l’agressivité qu’on eût préféré Concluant sur le destin des pulsions refoulées, Freud distingue
en tant qu’enfant pouvoir exercer contre Fautorité elle-même20 ». nettement les conséquences de la « privation » de celle de la « répression
En effet, lorsque Freud retrace la genèse de l’agressivité, il s’efforce de l’agressivité28 ». Contrairement au mouvement qui s’amorce, mené
de supprimer l’antinomie de l’interne (renoncement) et de l’externe par Jones, Isaacs, Klein puis Reik et Alexander, Freud refuse de faire
(introjection de Fautorité) : l’Œdipe fixe une fois encore le destin de dériver le renforcement du sentiment de culpabilité de « toute entrave
IÔ2 Freud et le désir du psychanalyste L'éthique freudienne 163
à une satisfaction pulsionnelle29 ». Il y faut le détour de l'agressivité s’incliner devant lui. « Si le patient doit ne pas guérir, continuer à être
contre « la personne qui empêche cette satisfaction30 ». Freud ajoute : malade, c’est parce qu’il ne mérite pas mieux35. »
« une fois réprimée et transférée au surmoi, c'est l'agressivité seule qui Dans ces conditions, l’analyste nous dit Freud, se borne à rendre
se mue en sentiment de culpabilité31 ». cette résistance consciente et à « détruire progressivement le surmoi
Cette notation a son importance à une époque où l'on commençait hostile36 ». Toutefois, ajoute-t-il, il existe une autre résistance, « en face
à parler de l'agressivité orale ou anale en fonction des pulsions prégéni de laquelle nous sommes particulièrement désarmés37 ». Elle concerne
tales, c'est-à-dire sans référence à l'Œdipe. Freud, au contraire, met le cas où, par suite de « désintrications des pulsions très poussées38 »,
l'accent, dans ce texte tout entier consacré à la formation des masses et on constate une « libération de quantités excessives de l'instinct de
au rôle du père symbolique dans cette formation, sur la haine incons destruction tourné vers le dedans39 ».
ciente du père dans la genèse du surmoi. Il résume ainsi dans un Dans ce cas, Freud semble mettre en cause la validité jusque-là
raccourci approximatif la distinction décisive entre deux avatars du accordée à la théorie du conflit psychique dont toutes les phases sont
désir : « Quand une pulsion instinctive succombe au refoulement, ses « liées » au complexe d'Œdipe. Ainsi, dans le chapitre vi à'Analyse
éléments libidinaux se transforment en symptômes, ses éléments finie et infinie, après avoir buté sur cette « tendance indépendante du
agressifs en sentiment de culpabilité32. » conflit qui n'est guère attribuable qu'à la mise en jeu d'une part
Cette accentuation de la haine et de sa répression dans la culture d'agression libre40 », en vient-il à fonder la résistance sur une base
jette une lumière nouvelle sur la formation des névroses et sur la biologique, entendons hors de la référence à l'Œdipe et au surmoi.
définition du conflit. C'est que la pulsion de mort y est ici définie, «Ne doit-on pas, à sa lumière, reformer toute notre notion du conflit
comme certains auteurs l'ont repéré, comme pulsion de destruction et psychique41 ? »
non pas essentiellement comme tendance à la répétition. Freud, dans Y a-t-il une agressivité non liée au symbolique ? Comme les
Malaise dans la civilisation, fait des deux pulsions antagonistes l’enjeu impasses de la thérapeutique sont réductibles à ce roc de l'agressivité,
d'un combat, dans lequel l'analyste prend parti, tout en sachant que nous sommes conduits à ce paradoxe : ou bien maintenir le schéma de
« Dieu combat ici aux côtés des plus forts bataillons33 ». l’agressivité liée à l’Œdipe et à la castration et constater qu’il y a là un
Les nouvelles théories des pulsions, le rôle maintenant donné à la roc infranchissable ; ou bien prendre la mesure de cette agression libre,
pulsion de mort en tant qu'autodestructrice laissent à penser que la non liée au signifiant du père castrateur mort, et la dériver d’ailleurs.
pulsion de mort n'est plus un ingrédient d'Éros, mais un obstacle à la Il nous semble que cette double origine de la pulsion de mort motive
réalisation du désir. C'est ce que nous voulons examiner maintenant. la distinction établie par Lacan entre le père imaginaire et le père sym
À supposer que le désir de l'analyste soit cet x, cette butée qui bolique. L’originalité de la thèse de Lacan est que le surmoi ne dérive
rappelle au sujet l'instance de la loi en tant qu'elle fait barrière à la pas de la relation au père castrateur mais au père privateur, non pas
simple homéostase du plaisir, quel point l’analyste peut-il faire privateur de la mère, mais privateur d’être : c’est le père imaginaire
atteindre à son patient sur la voie de la levée du refoulement ? On ne en tant qu’il n’est pas Dieu tenu pour responsable d’avoir si « mal
saurait en effet écarter la question du refoulement de la haine, sous foutu » sa créature.
prétexte que la civilisation est l’antithèse de l’agressivité. La présence Si cela est vrai, le surmoi ne saurait correspondre à aucune « inté
du meurtre du père et de la culpabilité du fils est, on le sait, le leitmotiv riorisation de la loi42 », mais serait bien au contraire cet « énoncé
du Malaise dans la civilisation, au point que cette haine du créateur, discordant43 », témoin d’une faille dans la compréhension de la loi, en
transférée au surmoi, alimente les symptômes les plus difficiles à tant qu'arbitraire et insensée.
vaincre. Or, si la perspective de la guérison est, comme le dit Freud, Nous émettons alors l'hypothèse suivante : si la haine du père
«ressentie comme un nouveau danger34 », il ne peut s’agir que du danger comme créateur repousse les bornes que la castration semblait imposer,
de la castration. À cette occasion, l’analyste se révèle être un « substi l’horreur de la vérité peut bien être le pas à franchir de plus. S’il y a un
tut » du père, et le refus de guérison a la signification d’un refus de au-delà de la castration, il y a une autre sortie de l’analyse. Pourquoi
Freud et le désir du psychanalyste
NOTES
ACTION DU PSYCHANALYSTE
l’analyse aux « vauriens, qui ne sont pas dignes de nos efforts21 ». En la notice nécrologique qu’il a consacrée à Ferenczi, il ni 'i...... I*
revanche, on sait qu’il s’est intéressé à un jeune Américain psycho besoin de guérir et de secourir était devenu chez lu i i n i j *<•>« u s 1 1</ , *
tique parce qu’ü s’était attaché à lui. Ce garçon (nommé A.B.) se mâchtig) 30 ».
trouve être l’objet d’un échange de lettres entre Pfister et Freud Freud visait essentiellement là une technique prête à s’iiiMmc
auquel celui-là l’avait recommandé. Hans le confort de l’oblativité. Ne pas manifester ses sentiments 111
« Ma conviction médicale qu’il est à la limite d une démence para- prodiguer de belles paroles l’assurait d’être cette forme du rien, à
noïde s’est accrue. J ’ai été prêt à l’abandonner de nouveau, mais il partir de quoi le sujet peut accéder à l’objet du désir.
y a en lui quelque chose de touchant qui me retient de le faire22. »
Plus loin : « Lié à lui par une grande sympathie, je ne puis me résoudre
à le renvoyer et à risquer ainsi une issue funeste23. » « L’impression Le moment de conclure de Freud
que sa personne vaut bien tous ces efforts n’est pas accessoire24. »
Ces textes sont d’autant plus remarquables qu’ils témoignent d’une On ne saurait prétendre que la fin de l’analyse obéisse à un effet
sympathie assez exceptionnelle chez Freud, surtout si l’on tient aussi spontané que le déclenchement du transfert. Nulle part l’action
compte de son destinataire, Pfister. Ce pasteur suisse, avec une can de l’analyste n’est aussi solhcitée que dans cette fin de partie. Cela
deur et un optimisme désespérants, pousserait plutôt Freud a noircir est d’autant plus vrai que pour Freud, comme le titre de son article
le tableau du genre humain qu’il vient de composer dans ces années l’indique, il y a une alternative à trancher entre analyse finie et ana
d’après-guerre. Il écrit par exemple : « L’éthique m est étrangère et lyse infinie (endliche und unendliche). Gageons que la direction de la
vous êtes pasteur d’âmes. Je ne me casse pas beaucoup la tête au cure ne saurait répondre à des standards purement techniques, et que
sujet du bien et du mal, mais, en moyenne, je n’ai découvert que fort là surtout, la responsabilité de l’analyste est entièrement engagée.
peu de “ bien ” chez les hommes. D’après ce que j’en sais, ils ne sont Lacan l’a illustré de façon saisissante : « La contribution que chacun
pour la plupart que de la racaille, qu’ils se réclament de 1 éthique de apporte au ressort du transfert, n’est-ce pas, à part Freud, quelque
telle ou telle doctrine — ou d’aucune28. » chose où son désir est parfaitement lisible ? Je vous ferai l’analyse
Freud est trop averti des ressorts agressifs que dissimulent les d’Abraham simplement à partir de sa théorie des objets partiels. Il
mouvements de sympathie pour leur faire crédit, même et peut-être n’y a pas seulement ce que dans l’affaire l’analyste entend faire de son
surtout lorsqu’ils viennent de l’analyste26. D’ailleurs, on voit toujours patient. Il y a aussi ce que l’analyste entend que son patient fasse de
Freud condamner le contre-transfert pour des raisons éthiques et non lui. Abraham, disons, voulait être une mère complète31. »
pas techniques : « Puisque nous exigeons de nos patients une franchise Freud n’encourageait pas le transfert négatif ; Ferenczi le lui repro
totale, nous compromettrions toute notre autorité en nous faisant chait, selon les propres déclarations de Freud dans l’Analyse avec fin et
surprendre en flagrant délit de mensonge. De plus, il n’est pas sans l’Analyse sans f i n 32. Mais il n’y a pas chez Freud de théorie du désir de
danger de se laisser aller à de tendres sentiments à 1 égard de la malade. l’analyste, on en est donc réduit à des conjectures sur ce que Freud
Est-on jamais assez sûr de soi pour ne pas dépasser les limites que désirait que son patient fasse de lui. Par contre, le rôle de catalyseur a
l’on s’était fixées ? Je pense donc qu’il ne faut, en aucun cas, se dépar bien été mis en évidence par Ferenczi, en 1909 33, et on ne peut certes
tir de l’indifférence que l’on avait conquise en tenant de court le contre- pas penser que Freud désirait que son patient fasse de lui un objet total,
transfert27. » Aussi la critique de cette technique chez Freud est-elle une mère complète, ce qui semble être la pente du Ferenczi vieillissant.
essentiellement motivée par cette exigence de sincérité et de rigueur. Freud désirait-il être un objet partiel ? Bien qu’il n’y ait pas chez lui de
L’analyste n’étant pas en place d’Autre réel de la demande, il ne théorie de l’analyste en tant qu’objet a, cause du désir, à tout le moins
saurait être identifié à une bonne mère28. À Ferenczi, ü reprochait de était-il loin d’occuper la place de la chose en soi ou de l’Autre absolu.
s’identifier à une « tendre mère29 » ; l’activisme thérapeutique et l’iden La polémique avec Ferenczi à propos du transfert maternel34
tification à la mère ont en effet pour Freud la même source. Dans indique suffisamment que Freud n’entendait pas servir d’objet idéal
174 Freud et le désir du psychanalyste Le désir de L'A utre m
à son patient, mais de cause, au sens de déclenchement d un processus c'est bien pour cette raison qu'ils ressortissent philAi 1 l'onlie du i..|
susceptible de transformer des rapports de force intrapsychiques35. que du symbolique. C'est pourquoi, tant qu'ils m sont p.» «• i. Im I
C'est ainsi que « l'excès de puissance du facteur quantitatif36 » autrement dit de l'ordre de la réalité dans laquelle < <l« Imt I* ni* i
est le nom que Freud donne à l'impuissance du psychanalyste à réussir ils sont du « réel », ce réel de la castration sur lequel I<* p v< ImimI\ i *
le détachement du sujet fixé à l'objet de son fantasme sexuel. La fixa reconnaît son impuissance40. Avançons que la mesure <le relie ei n id<
tion de la libido à l'objet a pour corrélat l'impossible déplacement du dans l'impossibilité qu'il y a à opérer avec le seul signifiant m l<
transfert, et donc l'impossibilité de metonymiser le désir subverti « facteur quantitatif », ou en termes thermodynamiques : il n'y .1 |» «
par le fantasme, ce qu'il appelle « la viscosité de la libido » (Klebrigkeit une conversion totale des phénomènes de la vie psychique les uns dans
der Libido37j. Freud a donc lié la possibilité du détachement de la les autres, en quoi la notion de libido laisse à cet égard un déficit ou
libido à celle du déplacement, mais comme le déplacement du désir un reste impossible à symboliser. « La übido dans Freud est une énergie
dans la cure ne peut être que symbolique, c'est-à-dire réglé par les susceptible d'une quantimétrie d'autant plus aisée à introduire en
possibilités de substitution, l'impossibilité d accepter un substitut théorie qu'elle est inutile, puisque seuls y sont reconnus certains
du père (Vaterersatz) et la « viscosité » sont une seule et même chose. quanta de constance41. »
Freud a donc fait dépendre d'un phénomène purement symbolique Mais si l'énergie psychique ne saurait se confondre avec l'énergie
__le transfert comme substitution signifiante de l'Autre conduisant de la libido, c'est que cette dernière n'est pas essentiellement définie
à un remaniement du désir — les possibilités de vacillation du fantasme. par la réalité psychique, mais tient à ce réel de la castration qui n'a
Or, tout dans le fantasme n'est pas signifiant. L objet de la pulsion en pas d'inscription dans le langage, comme dit Freud, qui ne trouve pas
tant qu'il excède les remaniements symboliques est dans la catégorie de possibilité de « liaison42 ». Or, il s'avère que cette « force » qui n'entre
du réel. Freud l'appelle économique ou encore « le facteur quantitatif » pas dans le calcul de l'appareil psychique, qui n'est pas « liée psy
pour indiquer qu'aucune substitution signifiante ne peut recouvrir chiquement » au moi ou au surmoi ou au ça, est un « témoignage irré
ce déficit, cet %, symbolique de l'objet. C'est pourquoi cet objet repré futable » de la pulsion de mort, autrement dit constitue la limite du
sente ce qui vient colmater le (-9), le manque phallique en tant que signifié, de la signification phallique. C'est ce que Freud appelle « l'épui
ce manque permet toutes les substitutions qu on voudra, les ersatz, sement de la faculté d'assimilation » qui « s'explique par une sorte
sauf ce résidu non résorbable qui est pour Freud le Penisneid chez la d'entropie psychique43 ». Cet échec est la pointe avancée à laquelle
fille, l'angoisse de castration chez l'homme. Dans les deux cas, le refus Freud voulait mener son patient.
de la féminité (A blehnung der Weiblichkeit38) est ce roc contre lequel
le désir vient cogner et dont le fantasme imaginarise le franchissement
par un scénario qui l'annule.
Si ce facteur quantitatif se révèle rebelle aux effets de l'interpré NOTES
tation comme des constructions, n'est-ce pas qu'il est hétérogène à
toute prise sur lui du symbolique ? Par conséquent, on peut trouver
1. J. L a c a n , « Variantes... », in Écrits, p. 33 2 .
dans cet échec le mode de révélation de l'imaginaire auquel la résistance 2. Ibid.
du fantasme doit sa consistance. Que cette adhérence au fantasme, en 3. Ibid.
4. J. L a c a n , Séminaire, livre I, p. 42.
tant que fixation du sujet non pas à des signifiants qu'on pourrait 5. Cf. J . L a c a n , « Variantes... », in Écrits, p. 338 .
désenchaîner, mais à un objet, au réel de la pulsion, rende la tâche 6. C ’est le cas de l’Analyse avecfin et l’Analyse sansfin et de YAbrégé de psychanalyse.
7. S. F r e u d , l’Analyse avecfin et l’Analyse sans fin, op. cit., p. 263.
de l'analyste ardue, c'est ce que Freud a mis en valeur de plusieurs 8. Ibid., p. 250.
façons. Fixation, viscosité de la libido constituent donc la limite de 9. J'. L a c a n , « Variantes... », in Ecrits, p. 339 .
10. Sur l'histoire de cette notion chez Freud, on peut consulter le commentaire
l'effet du signifiant sur le sujet. Si celui-ci, cloué à son fantasme, ne qu'en fait E . R ib e ir o H a w e l k a , traductrice du Journal inédit que Freud
peut, comme dit Freud, « caser tous ses conflits dans le transfert39 », consacra à l'analyse de l’Homme aux rats, op. cit., p. 255 sq.
176 Freud et le désir du psychanalyste
11. Cf. M. L i t t l e , « Counter-transference and the patient’s response to it », in
International Journal of Psychoanalysis, 1957, XXXVIII, p. 240-254. Voir aussi
le Contre-Transfert, Paris, Navarin, 1987.
12. Cf. P. H e i m a n n , « On counter-transference », ibid., 1950, X X X I, p. 81-84.
1 3 Cf M. K y r l e , « Normal counter-transference and some of its déviations »,
ibid., 1956, X X X V II, p. 360-366.
14. Cf. E. P o r g e , « Sur le désir de l’analyste », in Ornicar? 1978, n° 14, p. 35-39*
15. J. L a c a n , le Séminaire, livre XI, p. 210.
16. J. L a c a n , le Séminaire, livre I, p. 253.
17. Sur l’équation personnelle de Freud, on peut consulter P. R o a z e n , Freud
and his Followers (1975), New York, Penguin Books, 1976, p. 168 sq.
18. Lettre de S. F r e u d du 20 fév. 1913, cit. in L. B i n s w a n g e r , Discours, Par
cours, et Freud, op. cit., p. 317.
XVII
19. À M. Schur, par exemple, S. F r e u d écrit : « Je n’aipas d’intérêt pour ces
patients [psychotiques], ils m’ennuient, je les trouvetrop étrangersà moi
et à tout ce qui est humain. » (Cité in M . M a n n o n i , la Théorie comme LE DÉSIR DE SOCRATE
fiction, Paris, Seuil, I979> P- 119.)
20. Cf. P, R o a z e n , Animal mon frère toi, Paris, Payot, 1971, chap. vi.
21. S. F r e u d [à] E. W e i s s , op. cit., 28 mai 1922, p. 57.
22. S. F r e u d , Correspondance avec le pasteur Pfister, op. cit., 3 janv. 1926, p. 151-
I 52 - Il est temps, maintenant, d’entrer dans le ressort du transfert,
23. Ibid., 11 avr. 1927, p. 160.
24. Ibid., 14 sept. 1926, p. 158. puisque, selon Lacan, ce phénomène est impensable sans qu on suppose
25. Ibid., 9 oct. 1918, p. 103. le désir du psychanalyste. « C’est le désir de l’analyste, qui, au dernier
26. On a vu que Freud condamnait le fanatisme thérapeutique, la furor sanandi,
pour l’orgueil qui le motive. (Cf. S. F r e u d , « Observations... », in la terme, opère dans la psychanalyse1. »
Technique psychanalytique, op. cit., p. 130.) Cette formule implique une théorie qui se démarque de celle de
27. S. F r e u d , id., ibid., p. 12 2 .
28. Cf. la confidence de S. F r e u d à Hilda Doolittle : « Je n’aime pas être la mère Freud. D’une part, Lacan, on l’a vu, a radicalement séparé le phéno
dans un transfert. » (H. D o o little, Visage de Freud, Paris, Denoël, 1977,
mène du transfert de la répétition2. C’est que le transfert n’est pas un
P- 65.)
29. E. J o n e s , op. cit., t. III, p. 187. phénomène que la catégorie du réel permet d’aborder comme la répé
30 S. F r e u d , notice nécrologique consacrée à Sândor Ferenczi, mai 1933»
G. W., X V I, p. 269.
tition (rencontre manquée avec le réel). De plus, le transfert est un
31. J. L a c a n , le Séminaire, livre XI, p. 145. — On lira sur ce sujet l’article phénomène relatif à l’interprétation. Déjà, dans l’analyse qu il faisait
d’Éric Laurent, pointant la position transférentielle de K. Abraham
comme « celle de la bonne mère qui regarde pousser le bon objet non de Dora, Lacan indiquait que le « transfert n’est rien de réel dans le
ambivalent ». (E. L a u r e n t , « L ’effet-mère », in VAne, le magazine freu sujet* », ce qui souligne son caractère nettement artificiel. Autrement
dien, 1981, n° 2, p. 30.) Le même auteur consacre une analyse comparable
à Winncott (E. L a u r e n t , « Une phobie moderne », in VAne, 1981, n° 1, dit, Lacan le pense comme effet du dispositif de la cure, avec sa struc
p. 45). ture sui generis, différent de son aspect spontané en dehors d’elle.
32. Cf. S. Freud, VAnalyse avecfin et l'Analyse sans fin, op. cit., chap. II. En effet, dans ce cas, on peut dire que « dès qu’il y a sujet supposé
33. Cf. S. F e r e n c z i , « Transfert et introjection », in Œuvres complètes. Psycha
nalyse, t. I, op. cit., p. 96. savoir, il y a transfert4 ». D’autre part, dans la cure analytique, il faut
34. Cf. S. F r e u d , Sândor Ferenczi, op. cit., G. W X VI, p. 269. penser le transfert comme résistance, moment de fermeture et non
35. S. F r e u d , Analyse finie et infinie, G. W ., X V I, p. 410.
36. Ibid., p. 70. d’ouverture de l’inconscient6, ce qui le distingue encore de la répétition,
37. Ibid., p. 87. dont le battement en éclipse est la structure. Comme cette résistance
38. Ibid., p. 99.
39. Ibid., p. 415. se manifeste essentiellement par l’énamoration, c’est 1 amour de trans
40. Cf. le « mystère du corps parlant », in J. L a c a n , le Séminaire, livre X X , fert qui en constitue l’aspect le plus propre à mettre en évidence la
P- II8- . fonction de l’Autre supposé : celui-ci ne saurait être entièrement défini
41. J. L a c a n , « Du “ Trieb "... », in Ecrits, p. 851.
42. Bindung : cf. S. F r e u d , l’Analyse avecfin et l’Analyse sans fin, op. cit., p. 258.
par la fonction du sujet supposé savoir, il y faut, en outre, la suppo
43. Ibid., p. 88.
sition que l’analyste est désirant, et non seulement « désiré ». L’analyste
est un « sujet supposé désir6 ».
Freud et le désir du psychanalyste Le désir de VAutre
Il faut alors construire ce désir de l'analyste à partir du transfert quel est l'objet du désir. Or, contrairement aux dismui qui <»ui «i*
comme incluant cette double définition du sujet supposé savoir et tenus avant lui, Socrate sépare l'amour comme dieu, du d* n • * u
du sujet supposé désir. C'est ce que Lacan a fait en i960 dans son sémi tiellement qualifié par son manque. Socrate produit alni*. le m.m<|u<
naire le Transfert, puis en 1964 dans les Quatre Concepts fondamentaux décisif au cœur de la question de l'amour. Mais l'essentiel, en «< «pu
de la psychanalyse. Dans ces deux séminaires, il a eu recours, non pas concerne le rapprochement avec l'analyste, va se jouer ave< la pu .<m r
aux textes de F reu d , mais à un dialogue de Platon, le Banquet, où de trois personnages, Agathon, Socrate et Alcibiade. Le liant]net note,
s avoue le désir d'Alcibiade et se masque le désir de Socrate. enseigne en effet qu'il faut être trois pour aimer, et Socrate v.i jouei
le rôle de médiateur dans la relation méconnue entre Alcibiade et
Le sujet supposé désir Agathon. Différentes médiations, d'ailleurs, entrent en jeu, les plus
fameuses étant les agalmata contenus à l'intérieur du corps de Socrate.
La référence d e Lacan au désir de Socrate se motive d'une analogie Ces merveilles, ces idoles sont assimilées par Lacan à l'objet du
maintenant célèbre entre le psychanalyste et le père de la philosophie. désir, celui que la théorie analytique nommait jusque-là objet partiel.
La figure de Socrate fait émerger effectivement un nouveau rap p o rt Le texte de Platon met particulièrement bien en valeur la dialectique
non pas tellement à la vérité, mais au désir : pour la première fois kleinienne du bon et du mauvais objet interne en tant qu'ils déclenchent
dans l'histoire occidentale, le désir de l'Autre est mis en position d 'o b jet. le désir. Alcibiade méconnaît cette fonction de l'objet en tant que
« Il y a toute une thématique qui touche au statut du sujet, lorsque cause du désir ; et donc sa raison d'aimer Socrate. Néanmoins, cette
Socrate formule ne rien savoir, sinon ce qui concerne le désir. Le désir flamme n'a pu se déclarer que relativement au désir de Socrate, Yéras-
n est pas mis par Socrate en position de subjectivité originelle, mais en tès, le désirant qui, par l'appel qui suscite son savoir des choses de
position d objet. E h bien ! c'est aussi du désir comme objet qu'il s'a g it l'amour, déclenche cette passion. C'est l'instant de la rencontre du
chez Freud7. » désir du patient avec le désir de l'analyste que Lacan a relevé dans
Notons que 1 objet dont il s'agit n'est pas encore l'objet cause d u l'épisode socratique. « Le sujet, en tant qu'assujetti au désir de l'ana
désir. L objet nouveau que Socrate isole dans la sphère des passions lyste, désire le tromper de cet assujettissement, en se faisant aimer
est le désir lui-même, non pas l'objet désirable, mais bien le désirant. de lui, en proposant de lui-même cette fausseté essentielle qu'est
Si le désir est désir de désir, désir de l'Autre, nul mieux que Socrate l'amour11. »
dans le Banquet ne pouvait le mettre en évidence avant Freud, puisque Socrate, instruit de la tromperie de l'amour, joue le jeu un instant,
c est lui qui fait 1 étonnement d'Alcibiade en se dérobant aux sollici avant de détourner Alcibiade vers l'objet de son désir, le jeune Agathon.
tations amoureuses dont il est l'objet, dérobade d'autant plus d éro u C'est là l'effet de transfert le plus propre à mettre en relief l'analogie.
tante qu il est, dès le début du dialogue, présenté comme celui « q u i Cependant, cette tromperie n'existe que relativement au savoir de
assure ne rien savoir d'autre que ce qui a trait à l'amour8 ». A vec Socrate, autrement dit à ce qu'il prétend détenir comme vérité de
Socrate, 1 amant se substitue à l'aimé, le désir prend le dessus su r le l'amour : que ce n'est pas un bien.
désirable. Celui qui désire ïérastès se substitue à Yéromenos9. Après la déclaration que lui fait Alcibiade, en effet, c'est bien à un
Ainsi, dans le Lysis, Socrate avoue qu'à tout autre point de v u e, échange unique qu'il se réfère : la vérité de l'amour qu'il détient n'est
hormis 1 amour, il est « un piètre sire et un propre à rien ; mais à celui- pas à la mesure de l'amour lui-même. « Il se pourrait bien, cher Alci
là, c est^ comme un don que m'a fait la divinité, d'être à même d e biade, que réellement tu ne fusses pas un écervelé, s'il est bien vrai
reconnaître rapidement un amant aussi bien qu'un aimé10 ». que justement tout ce que tu dis de moi je le possède, et si en moi il
C est donc le désir, non du désirable, mais du désirant qui justifie existe un pouvoir grâce auquel tu deviendrais, toi, meilleur ! Oui, c'est
Lacan à prendre Socrate comme référence du désir de l'analyste p a r- cela, tu as dû apercevoir en moi une invraisemblable beauté et qui ne
delà Freud. Mais 1 analogie n'est possible que si Socrate est non seule ressemble nullement à la grâce de formes qu'il y a chez toi. Cette beauté,
ment expert en choses d'amour, mais surtout sujet supposé sav o ir tu l'as découverte : tu te mets dès lors en devoir de la partager avec
i8o Freud et le désir du psychanalyste Le désir de VAutre 18 1
moi et d'échanger beauté contre beauté : auquel cas ce n'est pas un ment antinomique aux idéaux du sujet, et en particulier au bien.
petit bénéfice que tu médites à mes dépens ! Loin de là : à la place Agathon est en effet l'image même de la bouffonnerie et de la futilité,
d'une opinion de beauté12, c'en est la vérité que tu te mets en devoir « l'objet le moins propre sans doute à retenir le désir d'un maître17 ».
de posséder ; et positivement, troquer du cuivre contre de l'or, tel est Cependant, c'est cette futilité même de Yéron qui désigne l'essence
ton dessein13. » des agalmata dont la brillance éclatante obture l'horreur invisible
Ainsi, de cet amour, Socrate n'est pas innocent, si c'est l'aveu qu'il de la castration.
fait de son savoir sur la vérité de l'amour qui engage l'autre dans ce Socrate sait qu'il n'a pas ce qu'Alcibiade cherche dans Agathon
faux contrat. Il fait l'âne pour avoir du son, et n'en avoue pas moins, et qu'il n'occupe cette place de l'idole qu'à cause du savoir dont il fait
au-delà de son ironie, qu'il est à la place du sujet supposé savoir. En parade. Mais cette place, il l'occupe d'autant plus qu'il ne donne, de
échange de la tromperie de la beauté, il veut la vérité ; si celle-ci était son désir, aucun signe ; mieux, ces objets que le Silène contient à l'inté
monnayable, c'est évidemment Socrate, dont le désir est ailleurs, au- rieur de son corps ne lui seront pas cédés. L'amour d'Alcibiade est
delà des beautés, des agalmata, qui serait perdant : « Mais qui sait entièrement relativé par rapport à la stratégie que Socrate a mise en
mieux que Socrate qu'il ne détient que la signification qu'il engendre place, celle du semblant : « en faisant l'amoureux alors qu'il tient
à retenir ce rien, ce qui lui permet de renvoyer Alcibiade au destina plutôt le rôle du bien-aimé au lieu de celui de l'amant18 ».
taire présent de son discours, Agathon (comme par hasard) : ceci pour Les conditions de l'amour expérimental sont ici mises en évidence ;
vous apprendre qu'à vous obséder de ce qui dans le discours du psy elles justifient Socrate en tant que « précurseur de l'analyse19 ». Il est
chanalysant vous concerne, vous n'y êtes pas encore14. » vrai que ce label, Lacan le donne à Socrate, non sans ironie, à une
C'est en effet en tant qu'il n'est rien (ouden on15) que Socrate peut époque où il n'était pas superflu de rappeler aux analystes quel était
renvoyer Alcibiade à ses oignons, c'est-à-dire à Agathon, l'objet de le moteur du transfert : « C'est ainsi qu'à montrer son objet comme
son désir. Mais c'est aussi parce que l'analyste incarne un désir au-delà châtré, Alcibiade parade comme désirant, — la chose n'échappe pas
de tous les biens, le désir de l'Autre, qu'il peut capter le désir du sujet : à Socrate —, pour un autre présent parmi les assistants, Agathon,
Lacan, dans son séminaire sur le Désir et son interprétation, disait, que Socrate, précurseur de l'analyse, et aussi bien, sûr de son affaire
dans une terminologie très socratique : « Le désir de l'analyste est en ce beau monde, n'hésite pas à nommer comme objet du transfert,
dans une situation paradoxale. Pour l'analyste, le désir de l'Autre, mettant au jour d'une interprétation le fait que beaucoup d'analystes
c'est le désir du sujet en analyse, et nous devons, ce désir, le guider, ignorent encore : que l'effet amour-haine dans la situation psychana
non pas vers nous mais vers un autre. Nous mûrissons le désir du sujet lytique se trouve au dehors20. »
pour un autre que nous16. » On est loin du principe d'abstinence et de Tout se passe comme si le désir de l'analyste était de permettre
la neutralité analytique. au patient de repérer au-delà des mirages de l'amour l'objet du désir
Ce transfert latéral que l'analyste doit susciter est, ici, comme dans à partir du manque de son signe dans l'Autre. « La castration, écrit
Platon, la véritable raison du transfert : ce dernier est un masque et, encore Lacan, est le ressort tout à fait nouveau que Freud a introduit
comme Freud le notait, non pas un faux amour, mais ce que l'amour dans le désir, donnant au manque du désir le sens resté énigmatique
contient de tromperie dans son essence le plus pathologique des phé dans la dialectique de Socrate, quoique conservé dans la relation du
nomènes normaux : c'est par procuration que l'analyste assume d'in Banquet21. »
carner l'idole. Il procure l'occasion d'aimer à un autre dont le désir Il apparaît enfin que la dialectique du désir pivote non pas autour
est en peine pour le dériver sur un objet, comme dit Freud, «véritable ». du savoir mais autour de l'objet : les merveilles contenues à l'intérieur
Mais alors, loin de liquider le transfert, on peut aussi bien dire que le du corps du Silène auquel Alcibiade compare Socrate n'y sont qu'en
désir de l'analyste est de l'éterniser. Le transfert serait, par essence, creux : nous voulons dire que leur présence est relative à une absence :
latéral. Mais cet « objet véritable » dont Freud accentuait l'indice de celle du désir de Socrate et très précisément le signe de ce désir, l'objet
réalité par rapport à l'objet du fantasme se présente comme foncière phallique : « C'est parce qu'il n'a pas vu la queue de Socrate [...],
182 Freud et le désir du psychanalyste Le désir de l}Autre 183
qu'Alcibiade, le séducteur exalte en lui Yagalma, la merveille qu'il eût biade de repérer son propre désir comme étant le désir de l'Autre, le
voulu que Socrate lui cédât en avouant son désir [...]23. » désir inconscient, celui qui atteste sa division de sujet. Sa demande de
Ces objets de charme dont la brillance phallique est relative à la savoir est dénudée et remise dans l'axe du désir : « Si le transfert est ce
castration mettent donc en valeur la dialectique des désirs pour autant qui de la pulsion écarte la demande, le désir du psychanalyste est ce qui
que l'un est toujours relatif à l'autre. Mais cela ne fait qu'accentuer une l'y ramène27. »
autre dialectique, celle du désir et de l'objet dans sa dépendance, non Lorsque, dans les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse,
plus seulement au désir de l'Autre, mais à la castration. Lacan écrit que « derrière l'amour dit de transfert, nous pouvons dire
On doit noter pourtant une différence entre les objets de cette dia que ce qu'il y a, c'est l'affirmation du lien du désir de l'analyste au désir
lectique qui sont les objets du désir et la fonction de l'objet a comme du patient28 », on peut comprendre que l'analyste ne désire pas avoir
cause du désir : cet objet en effet n'étant pas un signifiant mais au pour objet a le patient. Désire-t-il Vêtre ?
contraire surgissant en somme aux dépens de lui par une déchéance Dans un sens, oui puisque Socrate parvient à faire passer Alcibiade
signifiante. C'est pourquoi l'analyste peut bien l'incarner une fois de l'amour à la libido par le ressort de Yagalma qu'il contient : « Dès
dépossédé du savoir. lors Yagalma de Yéron s'avère le principe par quoi le désir change la
De l'objet d'amour à l'objet du désir, la dialectique des désirs nature de l'amant. Dans sa quête, Alcibiade vend la mèche de la trom
conduit à l'objet de la jouissance : les agalmata deviennent alors le pivot perie de l'amour, et de sa bassesse (aimer, c'est vouloir être aimé) à quoi
de ce mouvement qui conduit Lacan à accentuer non plus tellement le il était prêt à consentir29. »
désir de Socrate, qui se réduit au désir hystérique, mais l'objet. Cependant, on l'a vu, Socrate est ici le désirant (érastès) et le
rapport du maître à l'hystérique ne saurait tenir Heu de paradigme au
Socrate hystérique discours analytique. Alcibiade n'est pas un névrosé et ne craint pas la
castration. De son côté, Socrate ne veut pas la place de l'objet a, et se
On ne peut pas laisser sous silence l'énigme que constitue le désir de dérobe, comme objet, à prendre la place du semblant. Or, tant que
Socrate. C'est une des ambitions de ce travail de résoudre le problème Lacan n'avait pas fait de l'analyste un objet a — c'est-à-dire non plus
des rapports de Socrate avec l'analyse puisque c'est une orientation un signifiant mais un objet cause du désir — il y avait une grande
que Lacan suit encore au-delà des années 60. C'est en effet à Socrate homogénéité entre le désir de l'hystérique et le désir de l'analyste.
qu'il se réfère deux fois encore en 1967 et en 1970, dans sa revue Mieux, on ne pouvait parler de ce dernier qu'en référence à l'hystérie,
Scilicet™. L'accent, toutefois, a changé. Socrate est désormais inscrit de sorte que l'effet Socrate venait là à point nommé. Par contre, à
non pas tant dans le discours analytique que dans le discours hysté partir du moment où Lacan a théorisé l'objet a de façon à faire de
rique, en tant que c'est d'un tel discours que la « science prend ses l'analyste lui-même cet objet incarné, la question de son désir ne se
élans24 ». Socrate y est désigné comme « hystérique avoué de ce qu'il pose plus qu'en ces termes : l'analyste veut-il cette place, celle du
dit ne s'y connaître qu'en affaire de désir25 ». Si nous comparons les déchet, « ce pour réaliser ce que la structure impose, à savoir permettre
deux discours produits par Lacan en cette occasion, nous nous aperce au sujet, au sujet de l'inconscient, de le prendre pour cause de son
vons que la division du sujet est, dans le discours hystérique, à la place désir30 » ?
de l'agent : $ -> Sx Ce n'est donc pas la position hystérique de Socrate par rapport à
V Alcibiade qui, à elle seule, peut justifier son inscription dans le discours
L'ironie feinte de Socrate « met le maître au pied du mur de pro analytique. Socrate ne fait pas pivoter, comme Freud, toute la psycha
duire un savoir26 ». Dans un sens le désir de Socrate est un désir hysté nalyse « autour de l'acte génital31 ».
rique. Son désir du désir de l'Autre permet par commodité de mettre Les traits qui, selon Lacan, confèrent à Socrate une certaine parenté
Socrate dans le discours hystérique puisqu'il se dérobe à être désiré avec l'analyste sont ceux qui sont, d'ordinaire, considérés comme les
comme objet a. Au contraire, c'est comme désirant qu'il permet à Alci- attributs de la sagesse : indifférence aux affaires du monde, ce que
184 Freud et le désir du psychanalyste Le désir de VAutre »«3
14. J. L a c a n , Proposition du 9 octobre ig ô y sur le psychanalyste <ie I I >oh in
Lacan appelle le renoncement au service des biens. C'est dans cette Scilicet, 1968, n° 1, p. 22.
perspective que doit être interprété le désir de mort de Socrate dans le 15. P la t o n , le Banquet, in op. cit., 2 1 9 a, p. 83.
16. J. L a c a n , le Séminaire, livre VI, le Désir et son interprétation (n>y1' i >v>)
Phédon. Pour Freud, comme nous allons le voir, la question n'est pas inédit, I er juil. 1959.
refoulée. 17 . J. L a c a n , le Séminaire, livre XI, p. 230.
18. P la t o n , le Banquet, in op. cit., 222 b, p. 89.
La question du désir de Socrate est le carrefour auquel aboutissent I9- Cf. J. L a c a n , « Subversion... », in Écrits, p. 825.
toutes ces questions : en effet, loin que la relation analytique, se déroule 20. Ibid.
2 1. J. L a c a n , «Du “ Trieb ” ... », in Écrits, p. 853.
comme une pastorale où deux désirs se déterminent l'un l'autre dans 22. J. L a c a n , «Subversion... », in Écrits, p. 825.
une bienheureuse émulation, le rôle d'un tiers va se révéler essentiel : 23. Cf. J. L a c a n , Proposition..., in op. cit., p. 22-46 ; — Radiophonie, in Scilicet,
dans l'épisode commenté par Lacan du Banquet de Platon, c'est 1970, n° 2/3, p. 89. Voir aussi Ecrits, p. 825.
24. J. L a c a n , Radiophonie, in op. cit., p. 80.
Agathon en position d'objet du désir qui tient ce rôle. 25. Ibid., p. 89 ; — cf. aussi Conférences et Entretiens dans des universités nord-
Que l'objet du désir soit donc un pivot de la relation transférentielle américaines (1975), in Scilicet, 1976, n° 6/7, p. 38.
26. J. L a c a n , Radiophonie, in op. cit., p. 89.
introduit déjà une dissymétrie des deux désirs. Mais Lacan en accen 27. J. L a c a n , le Séminaire, livre XI, p. 245.
28. Ibid., p. 229.
tuant au cours de son enseignement cette fonction de l'objet, va aboutir 29. J. L a c a n , «Du “ Trieb ” ... », in Écrits, p. 853.
à un retournement : c'est l'analyste lui-même qui va occuper cette 30. J. L a c a n , Télévision, p. 28.
place ; dès lors, si l'analyste est délogé du lieu de l'Autre pour venir 3 1 . J. L a c a n , le Séminaire, livre VII, VÉthique de la psychanalyse, p. 347.
occuper la place de l'objet cause du désir, il n'est plus présent au champ
de l'Autre ; il y est en tant qu'il y manque et fait semblant de l'objet.
Ce retournement pose en d'autres termes la question du désir du
psychanalyste : c'est la jouissance du psychanalyste à occuper cette
place qui fait question : qu'un autre dispositif s'avère dès lors néces
saire à en saisir l'émergence, c'est ce que Lacan à partir de 1967 a
commencé à formaliser. Ce dispositif s'appelle la passe : il vise à trans
mettre cette expérience qui conduit l'analyste à venir à cette place.
C'est ce mouvement complexe que l'on va maintenant décrire.
NOTES
DÉSÊTRE DE L’ANALYSTE
Le désir de mort
rapport que nous entretenons avec la mort d'autrui, faute de pou deuil, quelque douloureux qu'il soit, se résout enfin de lui-même.
voir nous représenter la nôtre : « C'est que notre propre mort ne nous Lorsqu'il a renoncé vraiment à tout ce qui fut perdu [...], alors notre
est pas représentable et aussi souvent que nous tentons de nous la libido redevenue libre est capable, dans la mesure où nous sommes
représenter nous pouvons remarquer qu'en réalité nous continuons à encore jeunes et actifs, de rechercher alentour de nouveaux objets en
être là en tant que spectateur6. » remplacement de ceux qu'elle a perdus, aussi précieux ou plus précieux
Nous ne faisons pas de la mort un réel incontournable, mais un encore14. »
accident, un événement à la limite « dépouillé de tout caractère de Ce texte, Vergànglichkeit, écrit en 1915, pendant la guerre, est très
nécessité ». Or, contrairement aux épicuriens qui n'en ont pas plus surprenant en ceci qu'il met sur le même plan les désastres dévasta
cure que d'un songe, la mort est pour Freud le réel qui donne à la vie teurs de la guerre et la perte des objets d'amour. L'intuition de Freud,
son sérieux. Pour Freud, notre vie a un sens : « La vie s appauvrit, elle ici, est que rien n'est absolument irremplaçable, qu'il n'y a pas d'objet
perd de son intérêt, dès l'instant où dans les jeux de la vie il n'est plus qui ne puisse être échangé. Ce parti pris, très réaliste, revient à admettre
possible de risquer la mise suprême, c'est-à-dire la vie elle-même7. » que la seule « valeur » à accorder aux objets d'amour réside dans la
Et contre l'adage du bon sens selon lequel « il faut bien vivre », possibilité de leur perte. Cette certitude que l'objet n'a de valeur
Freud s'appuie sur la devise hanséatique pour donner à cette nécessité : qu'en tant que substitut implique nécessairement un deuil surmonté à
Navigare necesse est, vivere non necesse8/ une portée tragique. partir d'une perte. Bien sûr, dans cet « être-pour-la-mort » que nous
Cependant, il serait étrange que Freud puisse se contenter d'une n'assumons pas, trouverons-nous des accents plus heideggeriens que
approche philosophique de l'angoisse de la mort. Si seule la mort donne dans les propos raisonnables de Freud. Mais le débat est peut-être
du prix à la vie, c'est que la beauté, le désirable sont éphémères et ne ailleurs ; il est au niveau d'une certitude. Nous savons que les choses
dureront qu'un printemps. Dans son article Fugitivité9, Freud semble sont mortelles, mais ce savoir, nous n'en voulons pas, et notre savoir
fixer en effet le prix des choses à leur nécessaire disparition : en compa de la mort est ainsi profondément affecté par l'inconscient comme non-
gnie « d'un ami taciturne et d'un jeune poète déjà célèbre10 », il fait savoir de la mort. Cette analyse freudienne du refus de la mort doit
objection au découragement qui envahit le poète devant la fugitivité être mise en perspective avec le refus de la féminité, soit la castration
des beautés naturelles. Peut-on jouir d'une beauté sans lendemain ? imaginaire, et ce n'est pas par hasard si Freud, après avoir noté que
Le paysage n'est qu'un semblant de vie puisque son destin est de « chacun est persuadé de son immortalité », en vient à des exemples
succomber à l'hiver. À cela, Freud rétorque : « Je ne puis me résoudre où la relation à la femme devient le critère de ce savoir sur la mort16,
ni à contester la fugitivité universelle, ni à exiger une exception pour plutôt un flirt qu'un « amour réel » dont la perte serait trop cruelle.
le beau et l'accompli. Aussi m'élevai-je contre les assertions pessimistes Nous pourrions nous étonner que Freud fasse dépendre la valeur
du poète, quand il disait que la fugitivité de la beauté en comportait érotique de nos attachements de ce seul signifiant de la mort. Mais ce
une dévalorisation11. » E t il ajoute : « La lim itation de nos possibilités serait ignorer qu'une telle construction implique nécessairement le
d'en jouir en rehausse le prix12. » signifiant de la beauté. Cette amputation de l'Autre que recèle toute
Non seulement ce petit texte nous donne une indication précieuse beauté en tant que périssable est un des noms de la castration. Au
sur le rapport de l'analyste à la m ort, en corrigeant le prétendu pessi fond, jouir de la vie, comme dit Freud, et accepter la mort est un cliché
misme freudien, mais encore il conduit à une appréciation différente de philosophique qui requiert une démonstration. Comme par ailleurs
la « mélancolie » poétique. La tristesse que suscite la « fugitivité » est Freud fait de l'angoisse de mort un « analogon de l'angoisse de castra
l'expression d'un deuil ; la projection dans la nature d'un deuil subjec tion16 », il devient clair que le deuil doit être conçu comme acceptation
tif, l'expression d'une impossibilité à terminer ce deuil. Selon Max de celle-ci chez l'Autre. La nature vaut comme analogon de l'Autre,
Schur qui cite ce passage, « toute cette beauté donne à ces deux esprits bien périssable parce que la beauté est le fugitif par excellence.
sensibles un avant-goût de deuil contre lequel ils se révoltent13 ». C'est Le refus du deuil coïncide avec le refus de la castration de l'Autre.
pourquoi les arguments de Freud sont sans valeur sur eux. « [...] le On voit que la relation à la femme et le refus de la féminité donnent la
igo Freud et le désir du psychanalyste Le désir de VAutre 191
de la représentation du couple analysant-analyste qu’il n'y a plus de ment que de ce qui, dans le passé, s V\i apprit H i r u n n u i ” h'« i«
place pour le « sujet » analyste. L'analyste étant appelé à incarner à savoir ce qui commande le renoncrmrnt <lr I .umI\ i* * • lu 1• ♦ -
l'objet a, on a désormais affaire à un seul sujet, qui est le sujet même selon ses mérites, soit son renoncement à la justu « <lin|iiluiiiv*
du fantasme ($ 0 à) ) si l’analyste vient à la place de cet objet, la En outre, la promotion de l’objet a à la plat < <lu <m U m i .!* ■r . »
question de son désir dévient solidaire du passage de l’analysant à lifie l’analyste à vouloir représenter un sujet. Sa fonction m|*i< « ni .
l’analyste. Cette place, la désire-t-il ? Et que se produit-il au cours tive tombe en ruine : c’est le désêtre de l’analyste en tin <!<• <u n |.»i «jim
d’une cure pour que ce franchissement se fasse, à partir duquel un aucun signifiant ne vient le représenter. C’est là une abjection qui |»«» <
analysant en vient à occuper cette place ? la question, non plus tellement du désir de l’analyste en tant qnr
On voit la différence entre une position subjective, c’est celle de «pivot de la cure », mais celle de son « aspiration » à venir occuper cet te
Freud, et la position « objectale » dans laquelle s’engage Lacan. Pour place. D’où, sans doute, l’alternative, que laisse Lacan aux analystes,
Freud qui définit l’analyste « objectif » et non « objectivé », le signifiant d’être ou saint ou escroc.
de l’analyste existe, aussi divisé et aliéné qu’il soit, au point que cette Il y a une consonance entre la dernière définition de l’analyste
aliénation subjective définit sa fonction. L’analyste représente un sujet, par Lacan et l’accent mis sur l’abjection de la pratique analytique.
c’est ce qui permet le transfert. Le désir de l’analyste est donc natu L’analyste à la place du semblant est un défi à la logique du signifiant,
rellement suscité par cette structure intersubjective. On peut saisir mais pas à la logique du fantasme. Il y a, en effet, une antinomie entre
la logique qui commande le passage d’une telle formule à celle que la fonction de l’objet a et l’être de l’analyste ; cet objet, il ne saurait
Lacan emploie dans sa Proposition du 9 octobre içôy28, et plus nettement l’être34.
encore en 1970 dans Radiophonie29. C’est ce qui rapproche la question de l’analyste de celle du maso
Dans les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, Lacan chiste, mais jusqu’à un certain point seulement. En effet, le maso
met en évidence l’opération analytique comme visant à maintenir chiste est celui qui sait qu’il n’y a pas d’autre jouissance que celle du
la distance entre l’idéal et l’objet du désir, le I et le a30. Or, l’analyste corps, d’un corps découpé par les objets partiels. Le a est son Dasein.
incarne cet idéal ; il veut donc obtenir la fin de cette idéalisation : il En revanche, l’analyste ne saurait s’assurer d’aucune consistance
doit vouloir déchoir « pour être le support de Va séparateur31 ». ontique au prix d’une soumission à la jouissance de l’Autre, qui en
Le principe que Lacan promeut à cette époque repose sur le refus principe, pour lui, n’existe pas. L’opération rejette le psychanalyste
radical de toute identification à l’analyste. dans le désêtre. « Ce que le " je ne pense pas ” de l’analyste exprime,
L’espace analytique ne s’ouvre cependant qu’à une condition : c’est cette nécessité qui le rejette dans le désêtre35. »
c’est que l’analyste, comme sujet, vienne à la bonne place. De cette C’est la fin de l’analyste « sujet ». Lacan a ainsi décollé le désir de
place, rien n’indique que sa jouissance trouve son compte puisqu’il a, Freud de l’objet a, mais l’aspiration à venir occuper cette place fait
comme ego, à disparaître. Au-delà du narcissisme donc, et à l’opposé problème.
de toute position de maîtrise, le désir du psychanalyste est une fonction En tant que tout analyste répète l’acte de Freud sans aucune autre
qui opère et non une modalité de la pulsion. garantie d’être tel sinon par la transmission de son désir, on peut dire
C’est le renoncement auquel Freud s’est soumis. Il souligne la qu’il n’y en a qu’un, celui de Freud. Encore faut-il remarquer que
difficulté qu’il y a à s’y tenir, à être, paradoxalement, celui qui renonce c’est sur un mode hystérique que ce désir se transmet, qui n’exclut pas
à user du pouvoir imaginaire qui lui est donné32. le narcissime des petites différences. C’est ce que Lacan note en 1964 :
Il n’y a pas deux désirs comme il n’y a pas place pour deux objets, « Que savons-nous de tout cela ? — si ce n’est qu’au gré des flottements
si l’analyste n’est pas dans la cure comme un sujet mais comme l’objet dans l’histoire de l’analyse, de l’engagement du désir de chaque ana
du fantasme d’un autre. Dès lors, comme objet a polyvalent et fonc lyste, nous sommes arrivés à ajouter tel petit détail, telle observation
tionnant au gré de chacun des sujets, quel désir le soutient lorsqu’il de complément, telle addition ou raffinement d’incidence, qui nous
supporte cette amputation ? « On ne saurait mieux le situer objective permet de qualifier la présence, au niveau du désir, de chacun des
194 Freud et le désir du psychanalyste Le désir de l'Autre
analystes. C’est là que Freud a laissé cette bande, comme il dit, qui
le suit36. »
Lacan, lui, a tenté de soustraire le désir de l’analyste à ses origines
NOTES
hystériques. Tant qu’on se représente le désir de l’analyste sur le
modèle de l’intersubjectivité, on ne peut le définir que comme désir
de l’Autre. Avec Lacan, on est passé d’une question à une autre : 1. S. F r e u d , Au-delà du principe de plaisir, in op. cit., p. 106 et 107, noir 1
« Il n’y a pas seulement ce que dans l’affaire l’analyste entend faire — La pulsion de mort apparaît chez Socrate sous la forme épur<V <l« i.»
de son patient. Il y a aussi ce que l’analyste entend que son patient demande de mort, la « tendance suicide » ; autre aspect de la perfrt tion
hystérique notée plus haut. Voir également la conférence de J L a c a n ,
fasse de lui37. » Joyce et Paris, in Actes du Ve symposium international James Joyce,
Si l’analyste conduisait la cure jusqu’au point de vouloir sa propre 16-20 juin 1978, publication de l’université de Lille-III, p. 13-17.
2. G œ th e, cité in S. Freud, M alaise..., op. cit., p. 21.
déchéance comme objet a, un déplacement de la question aurait lieu. 3. Cf. J. L a c a n , « Fonction et champ... », in Écrits, p. 314.
Mais Lacan tient pour énigmatique le désir d’un analyste à venir 4. S. F r e u d , Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort (1915), in Essais
de psychanalyse, chap. n : « Notre relation à la mort », p. 26-40.
occuper une place qui n’a ni les charmes ni les délices de la jouissance 5. Cf. M. B la n c h o t , VEspace littéraire, Paris, Gallimard, 1955.
masochiste. C’est la raison de la formule des Quatre Concepts fonda 6. S. F r e u d , Considérations actuelles..., in op. cit., p. 26.
7. Ibid., p. 28.
mentaux de la psychanalyse : « Le désir du psychanalyste n’est pas un 8. Ibid.
9. Cf. S. F r e u d , Ephémère Destinée, in Résultats, Idées, Problèmes, t. I, p. 233.
désir pur38. » 10. Max Schur, qui cite ce passage, suppose avec Herbert Lehmann qu’il s’agit
Cette place qui n’est pas désirable, le psychanalyste pourtant la de Lou Andreas-Salomé et Rilke (cf. M. S c h u r, la M ort dans la vie de
désire. Quelle logique permet-elle de penser ce paradoxe ? Freud, Paris, Gallimard, 1975, p. 363).
1 1 . Ibid.
Il faut poser que le psychanalyste répugne à venir à cette place 12. Ibid.
à laquelle son acte pourtant va le fixer. C’est à ce contexte qu’on rap 13. Ibid., p. 364.
14. Ibid., p. 236.
portera cette assertion de Lacan : « Le psychanalyste a horreur de son 15. Cf. S. F r e u d , Considérations actuelles..., in op. cit., chap. n, p. 26 sq.
16. S. F r e u d , Inhibition, Symptôme et Angoisse, op. cit., p. 53.
acte.39 » 17. S. F r e u d , Considérations actuelles..., in op. cit., p. 40.
Bien fait pour remettre à leur place les aspirations idéalistes qui 18. Ibid.
feraient précéder l’acte par un appel irrésistible de la vérité, ce chiasme 19. « Seule la mort est pour rien », note S. F r e u d , dans le Clivage du moi dans
le processus de défense (1938), in Résultats, Idées, Problèmes, t. II, p. 284.
entre désir du psychanalyste et horreur de l’acte implique au contraire 20. S. F r e u d , VAvenir d'une illusion, op. cit., p. 77.
l’existence d’une discontinuité entre ce que l’analyste peut soutenir 21. S. F r e u d , Au-delà du principe de plaisir, in op. cit., p. 114.
22. Cf. la conférence de J. L a c a n à la Société française de psychanalyse, le
de son acte et du motif particulier qui en répond pour chacun. Symbolique, l’Imaginaire et le Réel, le 8 juil. 1953, annoncée. dans la
Aucune solution de continuité n’existant pourtant du désir à l’acte, Psychanalyse, 1956, n° 1, p. 288, inédite.
23. J. L a c a n , « L a direction... », in Écrits, p. 642.
solution qui ferait précéder logiquement cet acte par l’examen de ses 24. J. L a c a n , le Séminaire, livre X I, p. 229.
motifs, c’est donc un dispositif entièrement nouveau qui est requis 25. Ibid., p. 228.
26. Ibid.
pour saisir en chaque cas le virage subjectif qui a conduit un analysant 27. J. Lacan, le Séminaire, livre XVII, l’Envers de la psychanalyse (1969- 1970) ; - cf.
à occuper la place de l’analyste. aussi Radiophonie, in op. cit., p. 55 à 99.
28. J. L a c a n , Proposition..., in op. cit., p. 14.
Là est la limite de ce que le dispositif de la cure peut en transmettre 29. J. L a c a n , Radiophonie, in op. cit., p. 55.
et c’est à l’extérieur de la cure analytique qu’on trouvera, ou non, la 30. J. L a c a n , le Séminaire, livre XI, p. 245.
31. Ibid. — On notera que même dans ses écrits les plus activistes, Freud sou
logique qui y préside. Ce dispositif est la passe40. ligne l’antinomie de la position analytique avec l’identification à un idéal.
Ainsi écrit-il : « Si tenté que puisse être l’analyste de devenir l’éducateur,
le modèle et l’idéal de ses patients, quelque envie qu’il ait de les façonner
à son image, il lui faut se rappeler que tel n’est pas le but qu’il cherche
à atteindre dans l’analyse. » (S. F r e u d , Abrégé de psychanalyse, op. cit.,
P. 43.)
196 Freud et le désir du psychanalyste
32. « Celui qui a la puissance en partage a de la peine à n’en point faire usage. »
(S. F r e u d , l ’Analyse avec fin et l’Analyse sans fin , op. cit., p. 264.)
3 3 . J. L a c a n , Télévision, op. cit., p. 28.
34. J. L a c a n , De la psychanalyse dans ses rapports avec la réalité (1967)» i11 Scilicet,
1968, n® 1, p. 59.
35. Ibid., p. 58.
36. J. L a c a n , le Séminaire, livre X I, p. 145-146.
37. Ibid., p. 145.
38. Ibid., p. 248.
39. J. L a c a n , Lettre au journal « le Monde », 26 janv. 1980, in Ornicar ? n° 20/21,
p. 13 .
40. Sur ce problème, trop vaste pour être abordé ici, on lira J. L a c a n , Propo
sition..., in op. cit., p. 14 à 30 ; — et aussi J.-A . M i l l e r et alii, « Sur la
passe », in Ornicar ? 1977, n° 12/13, p. 103 à 142.
CONCLUSION
par la main, guidant son désir de savoir vers ce qui dans la vie sexuelle Le désir du psychanalyste n'est pas pur amoui pmii l lm nu • m *»«
fait traumatisme. Sa passion de l'origine, sa recherche d'un réel qui Il participe nécessairement de cette ambiguïté qui fait <jur l< |* \ , h m .
troue le fantasme, de la scène primitive de YUrvater donnaient raison lyste tient son savoir en horreur chaque fois qu'il répond pai «>n .n h
à l'hystérique pour qui le désir de l'Autre fait loi. Des Études sur à celui qui veut « savoir la vérité ». Chez Freud, nulle religion non plu
Vhystérie au Malaise dans la civilisation, Freud aura été la dupe du du désir à jamais contrarié par la civilisation. C'est un fait. Pourtant,
désir hystérique, traçant dans la théorie le chemin qu'il comptait Freud n'a pas aimé la psychanalyse à la folie et on a vu à quel point
faire parcourir à ses malades. le désir de l'analyste échappait à la loi du plaisir.
Cette origine, sans doute, aurait pu être fatale à la découverte. À partir du moment où le désir d'interpréter s'émousse chez Freud,
En voulant « lever le refoulement », de son propre aveu, Freud s'expo où sa passion du signifiant vient trouver son point de butée dans la
sait dès l'origine de la psychanalyse à un risque : aboutir à une pulsion de mort et la résistance thérapeutique négative, c'est à l'au-
technique qui ferait du dévoilement de la vérité et de la mise au delà du désir qu'on doit se référer.
jour d'un secret le tremplin d'une nouvelle vision du monde. Tel n'a Lacan a fait le pas qui fait basculer le désir de l'analyste du côté
pas été le cas. de la jouissance. À partir du moment où l'analyste n'est plus en position
Freud a échappé à la séduction qu'exerçait déjà sur d'autres le de sujet mais d'objet, le problème en effet se déplace de la cure à un
« mystérieux inconscient ». Parce qu'il a suivi l'hystérique jusqu'au autre dispositif. Autant c'est le dispositif de la cure qui implique le
bout, il n'a pas cédé à l'ivresse du sens sexuel, grâce à quoi il a pu faire désir du psychanalyste, autant c'en est un autre qui doit rendre
entrer le discours analytique dans la science, donnant en dernier res compte du fait qu'un analyste s'installe à cette place de l'objet. Lacan
sort au réel et au hasard le pas sur l'herméneutique. Ce qu'en effet il a a institué précisément ce dispositif de la passe pour que quelque chose
nommé « pulsion de mort » fait limite à la jouissance du sens en pour se transmette de ce virage subjectif qui au cours d'une cure entraîne
suivant jusqu'au bout le savoir qu'il faut produire pour ne pas faire cette mutation.
dépendre la psychanalyse de la seule cause phallique. Seuls les résultats acquis dans et par cette expérience permettront
Il s'ensuit que les passions de Freud ne tombent pas dans les de renouveler la question du désir du psychanalyste. On sait que Lacan
carreaux que le philosophe a tracés : le vrai, le beau, le bien. Le désir jeta dans cette entreprise ses dernières forces.
de vérité qui caractérise l'éthique freudienne, l'éthique du bien-dire,
se heurte à la passion de l'ignorance que la clinique met en évidence
contre les tenants naïfs de la croyance à un Wissentrieb. Freud évitait
à ses patients le « sadisme de la vérité », et refusait de leur « jeter
brusquement à la tête les secrets que le médecin a devinés ». Partisan
de l'adage selon lequel toute vérité n'est pas bonne à dire, il n'était
pas comme Zola, qu'il admirait tant, un fanatique de la vérité. Et, s'il
espérait voir arriver, comme il le dit dans ses Nouvelles Conférences,
« la dictature de la vérité », c'était pour faire pièce à l'interdiction de
penser que résume pour lui le discours de la religion.
De même, il n'est d'autre bien que celui qui permet de payer le prix
pour accéder à l'objet du désir, toute trahison à cet égard faisant
ravage chez le parlêtre. Enfin, séparant la vérité du désir de toute
collusion avec l'idéal, Freud ne lui prêtait aucun des ornements de la
beauté, laquelle n'habille que l'horreur de la mort. Ce qui lui a évité
de se laisser fasciner par les splendeurs de l'inconscient.
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TAB LE
A v a n t-p ro p o s ................................................................................ 13
Avant-propos de la seconde é d itio n .............................................. 1
P r e m iè r e p a r t ie
D e u x iè m e p a r t ie
LA PASSION DE L ’ORIGINE
L'ÉTHIQUE FREUDIENNE
Q u a t r iè m e p a r t i e
Conclusion.................................................................................... 197
Bibliographie........................................................................ ... . 201