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La protection de l’environnement,
composante de l’intérêt général
Mémoire de Master 2
Mention Droit de l’environnement - Parcours Recherche
« L’université Paris Sud n’entend donner aucune approbation ni improbation
aux opinions émises dans les mémoires. Ces opinions doivent être considérées
comme propres à leur auteur. »
TABLE DES ABRÉVIATIONS
Je tiens enfin à remercier mes correcteurs pour leur soutien dans la finalisation de ce
mémoire.
SOMMAIRE
INTRODUCTION .................................................................................................................... 1
CONCLUSION ...................................................................................................................... 87
ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE................................................................................... 89
Introduction
« L’intérêt général, concept parfois un peu abstrait, est souvent défini comme étant
“distinct de la simple somme des intérêts particuliers”. Peut-on trouver un meilleur exemple
que celui de la défense, non seulement des intérêts des habitants actuels de la planète mais
aussi ceux des générations futures ? »1.
Par cette formule, extraite des conclusions de Yann Aguila sous la décision Commune
d’Annecy rendue par le Conseil d’État le 3 octobre 2008, la protection de l’environnement
s’affirme comme l’expression la plus adéquate de l’intérêt général par sa capacité à agir pour
l’intérêt du plus grand nombre d’individus. Loin de nous l’idée de porter un jugement de
valeur ou d’effectuer un classement des différentes composantes de l’intérêt général mais
cette phrase nous invite à constater l’importance prise par la protection de l’environnement en
tant qu’intérêt général au sein du contentieux ici administratif. Malgré cette phrase
introductive, l’objet de notre étude concerne bien le traitement jurisprudentiel de la notion par
la CEDH mais il est intéressant de relever un certain parallélisme dans l’importance prise par
celle-ci au sein des deux contentieux.
Pour aussi renommée qu’elle soit, la notion d’intérêt général conserve toutefois une
grande part de mystère. Celle-ci tient particulièrement à la difficile définition de ses contours
et de son contenu, le doyen Georges Vedel la qualifiait d’ailleurs comme étant
« indéfinissable »2. Ainsi, à défaut d’en saisir parfaitement la teneur, les auteurs s’accordent
sur l’objectif poursuivi par la notion à savoir la réalisation de l’intérêt du plus grand nombre,
« […] la meilleure satisfaction collective de valeurs partagées »3 ou encore « ce qui est pour
le bien public, à l’avantage de tous. »4. Cette difficulté explique notre volonté de ne pas
rechercher une définition de l’intérêt général mais plutôt, en nous inspirant du raisonnement
1
Y. AGUILA, Conclusions sur CE, 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, n° 297931.
2
Cité par D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, LAMY-PUF, coll. Quadrige,
2ème édition, 2007, p. 839.
3
Ibid., p. 840.
4
G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, coll. Quadrige, 10ème édition, 2014, p. 563.
1
suivi par Didier Truchet dans sa thèse5, de nous concentrer sur les fonctions que recouvre
cette notion à travers une de ses composantes, la protection de l’environnement. De même,
nous n’évoquerons pas les notions voisines, voire identiques pour certains auteurs6, de
l’intérêt général que sont celles de l’utilité publique, du bien commun, de l’intérêt commun,
de l’intérêt public ou encore de l’intérêt national. Cette conception s’explique au regard du
peu de cas que la CEDH fait des différences entre les notions en matière de protection de
l’environnement, faisant référence indifféremment à l’utilité publique ou à l’intérêt général 7.
5
« Cette notion, relativement floue, est au cœur de notre étude ; elle n’en est pas l’objet. Ce sont surtout les
fonctions que le juge lui assigne, qui nous importent. », D. TRUCHET, Les fonctions de l’intérêt général dans la
jurisprudence du Conseil d’État, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, 1977, p. 22.
6
Ibid. ; D. SIMON, « L’intérêt général vu par les droits européens », in B. MATHIEU et M. VERPEAUX (dir.),
L’intérêt général, norme constitutionnelle, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2007, p. 48.
7
CEDH, 29 mars 2010, Depalle c. France, § 87.
8
D. ALLAND et S. RIALS (dir.), op. cit., p. 842.
9
F. SUDRE, « La protection du droit de propriété par la Cour européenne des droits de l’Homme », D., 1988, p.
73.
10
S. RIALS, Le juge administratif français et la technique du standard, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit
public, 1980, p. 107 ; cité par G. MERLAND, L’intérêt général dans la jurisprudence du conseil constitutionnel,
Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, 2004, p. 18.
11
D. ALLAND et S. RIALS (dir.), op. cit., p. 1440.
12
S. GUINCHARD et T. DEBARD (dir.), Lexique des termes juridiques, Dalloz, 22ème édition, 2014, p. 425.
2
conditions de leur développement. »13. Il ressort néanmoins de ces deux définitions que
l’environnement doit avant tout être appréhendé dans un ensemble constitué de multiples
interactions. Cette conception explique que l’environnement recouvre une notion
extrêmement protéiforme en droit dont les différents aspects se retrouvent au sein de la
jurisprudence de la CEDH. Ainsi, cette étude s’intéressera à l’ensemble des thématiques
environnementales qu’elles aient trait à la lutte contre les nuisances sonores14 ou olfactives15,
la protection des animaux contre la chasse16, le développement des énergies renouvelables17ou
la protection de la forêt18 et du domaine public maritime19. Dans la même optique, nous
pourrons aussi être amenés à évoquer certaines problématiques extérieures à la protection de
l’environnement mais ayant néanmoins des effets à son égard, telles que l’aménagement du
territoire20. Toutefois, malgré le champ extrêmement large recouvert par la protection de
l’environnement, cette étude ne se livrera pas à un recensement exhaustif des jurisprudences
de la Cour ayant trait à des problématiques environnementales mais plutôt d’en relever les
éléments les plus pertinents.
13
F. BIORET, R. ESTÈVE et A. STURBOIS, Dictionnaire de la protection de la nature, Presses universitaires
de Rennes, coll. Espaces et territoires, 2009, pp. 174-175.
14
CEDH, 21 février 1990, Powell et Rayner c. Royaume-Uni.
15
CEDH, 9 décembre 1994, Lopez Ostra c. Espagne.
16
CEDH, 29 avril 1999, Chassagnou et autres c. France.
17
CEDH, 26 février 2008, Fägerskiöld c. Suède (recevabilité).
18
CEDH, 27 novembre 2007, Hamer c. Belgique.
19
CEDH, 29 mars 2010, Depalle c. France, préc.
20
CEDH, Gr. Ch., 18 janvier 2001, Chapman c. Royaume-Uni ; CEDH, 22 mai 2003, Kyrtatos c. Grèce.
21
Par exemple, V. SAINT-JAMES, La conciliation des droits de l’homme et des libertés en droit public
français, Limoges, PUF, coll. Publications de la Faculté de droit et des sciences économiques de l’Université de
Limoges, 1995, pp. 395-406.
3
2. L’évolution de la jurisprudence environnementale de la CEDH
Afin de mieux saisir la place occupée par l’intérêt général attaché à la protection de
l’environnement, il est ainsi nécessaire d’effectuer un bref rappel historique de l’évolution de
la CEDH l’ayant conduite à élaborer progressivement une jurisprudence environnementale.
La Cour européenne des droits de l’Homme est une juridiction internationale instituée par
l’article 19 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés
fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950. La fonction principale de la Cour consiste
en l’exercice d’un contrôle supranational de l’application de la conv. EDH par les États
contractants. L’ancienneté de la conv. EDH explique directement l’absence de toute référence
aux thématiques environnementales, apparues principalement au niveau international au début
des années 7022. Ainsi, à la même période, nous pouvons constater l’invocation de celles-ci
dans certaines requêtes soumises à la com. EDH. Cette dernière, fort logiquement, concluait
systématiquement à leur irrecevabilité au motif « [qu’] aucun droit à la protection de la
nature ne figure, comme tel, au nombre des droits et libertés garantis par la Convention
[…]. »23.
Toutefois, au début des années 80 et en dépit de ces premiers rejets, la com. EDH
jugea bientôt recevables certaines requêtes dans lesquelles les plaignants invoquaient des
dégradations de leur environnement immédiat, dégradations pouvant être conçues comme des
ingérences dans les droits prévus à la conv. EDH. Dans l’affaire Arrondelle¸ la commission a
ainsi déclaré la requête recevable et considéré que le Royaume-Uni était responsable selon la
Convention « […] en raison du bruit excessif causé par les moteurs [qui] gêne la requérante
qui habite dans le voisinage immédiat. »24. Les premières apparitions de l’intérêt général
attaché à la protection de l’environnement peuvent aussi être observées au sein des décisions
de recevabilité de la com. EDH à partir de 198725.
22
Déclaration de Stockholm à la conférence des Nations Unies sur l’environnement en 1972.
23
Com. EDH, 13 mai 1976, X et Y c. République fédérale d’Allemagne, requête n° 715/60.
24
Com. EDH, 15 juillet 1980, Arrondelle c. Royaume-Uni.
25
Com. EDH, 15 juillet 1987, Hakansson et Sturesson c. Suède ; Com. EDH, 14 décembre 1987, Fredin c.
Suède.
26
M. DÉJEANT-PONS, « L’insertion du droit de l’Homme à l’environnement dans les systèmes régionaux de
protection des droits de l’Homme », RUDH, 1991, vol. 3, n° 1, pp. 462-463.
4
90. L’intérêt général attaché à la protection de l’environnement fut ainsi expressément
reconnu par deux arrêts de 199127 tandis que le droit à un environnement sain bénéficia d’une
reconnaissance en deux temps par l’arrêt Powell et Rayner en 199028 puis par l’arrêt Lopez
Ostra en 199429. La protection de ce droit fut ainsi mise en place, à défaut de dispositions
textuelles, de manière indirecte, « par ricochet ». Cette formule souligne le fait que ce droit est
protégé par l’intermédiaire d’un autre droit prévu à la convention, l’article 8 dans les deux
précédentes affaires, en tant que le bon exercice de ce dernier doit passer nécessairement par
la préservation d’un environnement de qualité.
Le mouvement suivi par la CEDH indique ainsi la place essentielle prise par les
thématiques environnementales au sein de sa jurisprudence, influencée par l’importance que
revêt la protection de l’environnement dans la sphère publique aujourd’hui. L’intérêt général
attaché à la protection de l’environnement est au cœur de cette influence puisqu’il bénéficie
de cet essor et revêt une certaine prédominance sur les autres composantes de l’intérêt général
telles que des impératifs économiques comme en témoigne la formule utilisée dans l’affaire
Hamer32.
27
CEDH, 18 février 1991, Fredin c. Suède (n° 1) ; CEDH, 29 novembre 1991, Pine Valley Developments Ltd c.
Irlande.
28
CEDH, 21 février 1990, Powell et Rayner c. Royaume-Uni, préc.
29
CEDH, 9 décembre 1994, Lopez Ostra c. Espagne, préc.
30
CEDH, 18 juin 2002, Öneryildiz c. Turquie ; CEDH, 20 mars 2008, Boudaïeva et autres c. Russie.
31
CEDH, 16 février 1998, Guerra et autres c. Italie ; CEDH, 9 juin 1998, L.C.B. c. Royaume-Uni.
32
« L’environnement constitue une valeur dont la défense suscite dans l’opinion publique, et par conséquent
auprès des pouvoirs publics, un intérêt constant et soutenu. Des impératifs économiques et même certains droits
fondamentaux, comme le droit de propriété, ne devraient pas se voir accorder la primauté face à des
considérations relatives à la protection de l’environnement […] », CEDH, 27 novembre 2007, Hamer c.
Belgique, préc., § 79.
5
3. L’intérêt de notre étude
Cette approche historique nous permet de démontrer l’importance prise par la notion de
protection de l’environnement comme composante de l’intérêt général au sein de la
jurisprudence de la CEDH et ainsi d’illustrer au mieux notre propos sur l’intérêt de l’étude de
cette dernière. La protection de l’environnement est encore, à l’heure d’écriture de cette étude,
une thématique extrêmement présente et actuelle au sein de la jurisprudence de la CEDH33.
L’étude du standard qu’est l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement nous
est apparue comme la démarche nous permettant de saisir au mieux l’évolution continue dans
laquelle s’inscrivait la jurisprudence environnementale de la CEDH.
Comme nous avons pu l’évoquer plus haut, au-delà de la confrontation classique entre
l’intérêt général et les droits de l’Homme, notions extrêmement présentes au sein de la
jurisprudence de la Cour de Strasbourg, l’objet de notre étude invite à repenser cette relation.
En effet, en développant des alternatives à la simple opposition frontale entre les deux
notions, l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement opère un renouvellement
des concepts plus classiques au sein de la jurisprudence de la CEDH. La protection de
l’environnement, par sa spécificité, nécessite du juge le développement de mécanismes et de
solutions spécialement adaptées.
Afin de mieux appréhender ce renouvellement, une étude poussée des différentes fonctions du
standard qu’est l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement sera nécessaire.
Notre étude visera donc à analyser les fonctions revêtues par l’intérêt général attaché à la
protection de l’environnement au sein de la jurisprudence de la CEDH mais aussi à étudier le
renouvellement que ce standard apporte à la jurisprudence environnementale de la Cour en
général.
Cette étude se concevra donc en deux parties, chacune relative à l’une des fonctions
identifiées du standard. Ainsi, le premier chapitre portera sur la mise en compatibilité des
droits fondamentaux avec l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement,
illustratrice de la fonction d’encadrement du standard. Ce chapitre sera l’occasion d’aborder le
33
CEDH, 24 mars 2015, Viviani et autres c. Italie (recevabilité) ; CEDH, 24 mars 2015, Smaltini c. Italie
(recevabilité).
6
traitement constitutionnel européen de la notion avant de se pencher plus en détail sur le cas
de la CEDH dans lequel les principaux points de renouvellement pourront être relevés.
7
8
Chapitre 1 : Les droits de l’Homme et leur mise en compatibilité
avec l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement
Afin de parvenir à une étude optimale de la relation entre ces deux notions, il nous a
semblé pertinent de nous intéresser, en premier lieu, au traitement constitutionnel européen de
la protection de l’environnement. Cette étude des Cours constitutionnelles permet de
comprendre le cadre constitutionnel européen dans lequel s’insère la jurisprudence de la
CEDH en matière d’environnement. La première section se divisera ainsi en deux parties,
l’une sur les jurisprudences de plusieurs Cours constitutionnelles de pays européens membres
du Conseil de l’Europe comme la France, l’Espagne ou encore l’Italie. La seconde partie
portera ensuite sur l’étude de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme
et le traitement qu’elle effectue de l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement
(Section 1).
9
Section 1 : L’étude du traitement constitutionnel européen en matière de
protection de l’environnement
Le traitement constitutionnel est ici entendu dans un sens large puisqu’il englobe les
jurisprudences de différentes Cours constitutionnelles européennes mais aussi celle de la
CEDH. Il nous paraît judicieux de rassembler ces juridictions sous le vocable de « Cour
constitutionnelle »34 dans la mesure où la CEDH a eu l’occasion de s’affirmer comme étant
l’interprète de la convention conçue comme étant « [l’] instrument constitutionnel de l’ordre
public européen »35. Ainsi, cette première section étudiera, en premier lieu, les différentes
conceptions constitutionnelles européennes de la protection de l’environnement (§ 1) avant
d’analyser plus spécifiquement la jurisprudence de la CEDH en la matière (§2).
Cette sous-partie vise donc très logiquement à démontrer les spécificités constitutionnelles
des différents pays précités. Ainsi permettra-t-elle de mieux saisir les approches adoptées en
matière de protection d’environnement par la Belgique, l’Italie et l’Allemagne (1) et de
comprendre l’influence de la Cour européenne en matière d’environnement sur la juridiction
constitutionnelle espagnole (2).
34
Le terme « cour constitutionnelle » sera ici utilisé pour désigner les différentes juridictions constitutionnelles
étudiées, indifféremment de leur nature institutionnelle.
35
CEDH, Gr. Ch., 23 mars 1995, Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), § 75.
10
1. Les conceptions des Cours constitutionnelles européennes en matière de protection de
l’environnement, l’exemple de la Belgique, de l’Italie et de l’Allemagne
Comme évoqué plus haut, l’approche des conceptions des Cours constitutionnelles
européennes en matière d’environnement, demeure parfaitement en lien avec le sujet de notre
étude, puisque celle-ci nous permet ainsi de replacer les différents développements de la
CEDH dans un contexte plus large que celui de sa jurisprudence.
Par cette décision, nous pouvons ainsi mieux saisir la conception belge des
problématiques environnementales tendant à rapprocher la protection de l’environnement
d’une composante de l’intérêt général ne pouvant être limitée dans le cadre de
développements législatifs défavorables que sous réserve de l’invocation de motifs impérieux.
36
Cour Bel., 14 septembre 2006, arrêt n° 137/2006 ; P. BON et D. MAUS (dir.), Les grandes décisions des
cours constitutionnelles européennes, Dalloz-Sirey, coll. Grands arrêts, 2008, fiche n° 78, pp. 344-346 ; C.-H.
BORN et F. HAUMONT « Le principe de non-régression en droit de l’environnement - la situation en Belgique
», in M. PRIEUR et G. SOZZO (dir.), La non-régression en droit de l’environnement, Bruylant, 2012, pp. 285-
306.
37
F. HAUMONT, « Le droit constitutionnel belge à la protection d’un environnement sain. État de la
jurisprudence », RJE, 2005, n° spécial, pp. 41-52.
38
Constit. Bel., Article 23 : « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
À cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations
correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
Ces droits comprennent notamment : […]
4° le droit à la protection d’un environnement sain […]. »
11
Il est donc intéressant de relever que la juridiction suprême attribue la même valeur à la
protection de l’environnement que la Cour européenne des droits de l’Homme.
39
Constit. Ital., Article 117 : « L’État a le pouvoir exclusif de légiférer dans les matières suivantes : […]
s) protection de l’environnement, de l’écosystème et du patrimoine culturel. ».
40
D. AMIRANTE, « Le principe de non-régression de l’environnement en droit italien », in M. PRIEUR et G.
SOZZO (dir.), op. cit., p. 333.
41
Cass. (Italie), 6 octobre 1979, arrêt n° 5172 ; G. PECCOLO, « Le droit à l’environnement dans la constitution
italienne », RJE, 1994, n° 4, p. 335.
42
Cour Ital., 20 novembre 2002, arrêt n° 478, considérant en droit n° 5 ; M.-P. ELIE, L’environnement dans la
jurisprudence de la cour constitutionnelle italienne, Toulon, 2003, pp. 359-360.
43
Cour Ital., 26 octobre 1994, arrêt n° 379, considérant en droit n° 6 ; M.-P. ELIE, op. cit., pp. 349-353.
12
l’État44. Cette disposition permet ainsi d’ériger la protection de l’environnement en tant que
valeur permettant de limiter l’exercice des droits fondamentaux 45. Toutefois, il faut noter que
la constitution allemande est dépourvue de toute référence à l’existence d’un droit subjectif à
un environnement sain. L’article 20a n’est pas considéré comme faisant partie des droits
fondamentaux de la constitution allemande et, de ce fait, ne peut pas faire l’objet d’un recours
individuel devant la Cour constitutionnelle allemande46.
44
GG, Article 20a : « Assumant ainsi également sa responsabilité pour les générations futures, l’État protège les
fondements naturels de la vie par l’exercice du pouvoir législatif, dans le cadre de l’ordre constitutionnel, et des
pouvoirs exécutif et judiciaire, dans les conditions fixées par la loi et le droit. ».
45
BVerfG, 24 novembre 2010, 1 BvF 2/05 n° 137, § 270 ; M. BOTHE, « Le droit à l’environnement dans la
constitution allemande », RJE, 2005, n° spécial, p. 37 ; G. WINTER, « Non-regression principle in German law
», in M. PRIEUR et G. SOZZO (dir.), op. cit., p. 368.
46
GG, Article 93 : « La cour constitutionnelle fédérale statue : […]
4a. Sur les recours constitutionnels qui peuvent être formés par quiconque estime avoir été lésé par la puissance
publique dans l’un de ses droits fondamentaux ou dans l’un de ses droits garantis par les articles 20, al. 4, 33,
38, 101, 103 et 104 ; […] ».
47
BVerfG, 8 août 1978, Décision concernant le super-phénix de Kalkar ; M. BOTHE, op. cit., p. 35.
13
2. L’influence de la CEDH sur les jurisprudences constitutionnelles européennes en
matière d’environnement, l’exemple de l’Espagne
14
Le cas espagnol est donc particulièrement intéressant dans la mesure où l’influence de la
Cour européenne des droits de l’Homme est très prégnante en matière de rattachement du
droit à un environnement sain à la protection de la vie privée. Comme le relève très justement
Fernando López Ramón, l’affaire Lopez Ostra trouvant ses origines en Espagne, « on ne doit
pas s’étonner que les études et l’application de cette doctrine y aient proliféré. »55.
55
F. LÓPEZ RAMÓN, « L’environnement dans la constitution espagnole », RJE, 2005, n° spécial, p. 60.
56
CC, n° 70-65 L, 17 décembre 1970, Nature juridique de certaines dispositions des articles 2 et 3, premier
alinéa de la loi du 28 novembre 1963 relative au domaine public maritime.
57
CEDH, 29 mars 2010, Depalle c. France, préc.
15
Au-delà de cette première référence, le juge constitutionnel français, à l’instar des
conceptions étudiées précédemment conçoit, lui aussi, la protection de l’environnement
comme une composante de l’intérêt général. Cette conception apparaît pour la première fois
en 1985. Dans cette décision, le conseil constitutionnel précise que « l’administration doit
fonder ses décisions […] sur des motifs se référant à des fins d’intérêt général »58, l’intérêt
général ici évoqué renvoyait à la protection du caractère naturel des espaces, la qualité des
paysages ou le maintien des équilibres biologiques. Suite à cette première décision, plusieurs
références à la protection de l’environnement au sein de la jurisprudence du conseil
constitutionnel français pourront être trouvées par la suite, par le biais d’une assimilation
répétée de l’environnement à un but d’intérêt général de manière plus59 ou moins60 explicite.
Ces références se trouvent aussi dans des décisions constitutionnelles précisant les contours
de l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement comme la lutte contre l’effet de
serre61 et ainsi le réchauffement climatique62.
58
CC, n° 85-189 DC, 17 juillet 1985, Loi relative à la définition et à la mise en œuvre des principes
d’aménagement, considérant 10.
59
CC, n° 2002-464 DC, 27 décembre 2002, Loi de finances pour 2003, considérant 57 ; CC, n° 2003-488 DC, 29
décembre 2003, Loi de finances rectificative pour 2003, considérant 8.
60
CC, n° 90-276 DC, 5 juillet 1990, Résolution complétant l’article 86 du règlement de l’Assemblée nationale,
considérant 1 (unique) ; L. FONBAUSTIER, « Le conseil constitutionnel et la protection de l’environnement »,
in Conférence en formation continue à l’école nationale de la magistrature, 13 décembre 2011, p. 6.
61
CC, n° 2000-441 DC, 28 décembre 2000, Loi de finances rectificative pour 2000, considérant 35.
62
CC, n° 2009-599 DC, 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010, considérant 82.
63
G. MERLAND, op. cit., pp. 251-252.
64
CC, n° 2013-317 QPC, 24 mai 2013, Syndicat français de l’industrie cimentière et autre, considérant 10.
16
capacité de ce standard à limiter l’exercice de certains droits fondamentaux ou à être balancé
par d’autres considérations d’intérêt général. Ce balancement apparaît de manière assez claire
dans la décision du 29 décembre 2009 puisque le juge rappelle la possibilité d’établir un
traitement différencié devant les charges publiques au nom de l’intérêt général. Le juge
constitutionnel reconnaît ici l’existence de l’intérêt général attaché à « la sauvegarde de la
compétitivité de secteurs économiques exposés à la concurrence internationale »65
néanmoins, l’exemption fiscale mise en place au nom de cet intérêt général contrevient
totalement à l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique.
65
CC, n° 2009-599 DC, 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010, considérant 82 ; V. BERNAUD et L.
GAY, « Droit constitutionnel. Janvier 2009 - Décembre 2009 », D., 2010, pp. 1508-1518.
66
CC, n° 2015-441/442/443 QPC, 23 janvier 2015, Mme Michèle C. et autres, considérant 8.
67
Ibid.
17
2. La relation entre le conseil constitutionnel et la CEDH en matière de protection de
l’environnement
En effet, l’une des similitudes pouvant être relevée entre les juridictions est celle de
l’utilisation de l’intérêt général pour justifier les atteintes du législateur au droit de propriété.
Selon Guillaume Merland, cette similitude provient d’un rapprochement que le conseil
constitutionnel aurait opéré en s’inspirant de la jurisprudence de la CEDH en la matière70.
Au-delà de cette inspiration, il est aussi intéressant de relever des divergences entre les
deux juridictions. La Cour européenne a rejeté l’invocation de l’intérêt général attaché à un
risque financier pour justifier la violation de l’article 6 de la convention71. La divergence
apparaît d’autant plus sévère qu’elle faisait suite à une décision du conseil constitutionnel
ayant statué sur la conformité de la disposition litigieuse par rapport à la constitution72. Ces
décisions révèlent ainsi les différences de conceptions existantes sur le standard d’intérêt
général.
Au regard des problématiques environnementales, il est donc plus difficile d’établir avec
certitude l’existence d’une influence de la jurisprudence de la CEDH sur celle du conseil
constitutionnel. En effet, si, selon la délégation française à la XVIème conférence des Cours
68
« Protection constitutionnelle et protection internationale des droits de l’Homme : concurrence ou
complémentarité ? », Rapport présenté par la délégation française à la IXème Conférence des Cours
constitutionnelles européennes (Paris, 10-13 mai 1993), RFDA, 1993, n° 5, p. 862.
69
Ibid., pp. 855-857.
70
G. MERLAND, op. cit., pp. 88 et 90-91.
71
CEDH, Gr. Ch., 28 octobre 1999, Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France, § 57 et 59.
72
CC, n° 93-332 DC, 13 janvier 1994, Loi relative à la santé publique et à la protection sociale.
18
constitutionnelles européennes, la jurisprudence de la CEDH a contribué à l’émergence du
droit au respect de la vie privée73, le conseil constitutionnel ne semble pourtant pas
appréhender le droit à un environnement sain de la même manière que la Cour de Strasbourg.
Selon Laurence Burgorgue-Larsen, la conception constitutionnelle française du droit à un
environnement sain est à rattacher au droit à la santé plutôt qu’au droit à la vie privée 74. Bien
que la CEDH effectue dorénavant le même rattachement75, le conseil constitutionnel a pu
démontrer par une jurisprudence antérieure à l’affaire Öneryildiz, qu’il concevait une faible
exposition à des nuisances sonores comme ne méconnaissant pas le droit de chacun à la
protection de la santé garanti par la Constitution76. Ce rattachement du droit à un
environnement sain au droit à la santé ayant d’ailleurs été entériné par l’entrée en vigueur de
la charte de l’environnement en 200577.
Après avoir dressé le cadre constitutionnel européen dans lequel s’inscrivent les
décisions environnementales de la CEDH, le deuxième paragraphe de cette première section
se concentrera plus spécifiquement sur le cas de la Cour de Strasbourg. Ce second paragraphe
sera donc l’occasion d’étudier au cas par cas le traitement par la CEDH de la notion d’intérêt
général puis de celle de la protection de l’environnement. Il est intéressant d’évoquer un à un
ces deux objets puisque le recours à l’intérêt général entraîne à certains égards une certaine
73
« La coopération entre les Cours constitutionnelles en Europe - Situation actuelle et perspectives », Rapport
présenté par la délégation française à la XVIème Conférence des Cours constitutionnelles européennes (Vienne,
12-14 mai 2014), p. 9.
74
L. BURGORGUE-LARSEN, op. cit., pp. 89-90.
75
CEDH, 18 juin 2002, Öneryildiz c. Turquie, préc., § 64.
76
CC, n° 2000-436, 7 décembre 2000, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, considérant 29.
77
Charte de l’environnement de 2004, Article 1 er : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré
et respectueux de la santé ».
19
interrogation sur l’origine et la légitimité d’un tel recours (A). De même, dans le cas de la
protection de l’environnement, l’utilisation de cette notion ne va pas sans entraîner une levée
de boucliers poussant quelque fois la Cour à revoir certaines de ses positions (B).
Au regard du rôle confié à la CEDH par la conv. EDH, il paraît relativement logique
que celle-ci doive contrôler et manier le standard d’intérêt général lors de l’encadrement de
droits fondamentaux. Ainsi, au regard de la convention, cette fonction d’encadrement apparaît
de manière plus ou moins explicite. Dans le texte originel de 1950, il n’y aucune référence à
l’intérêt général. Toutefois, lorsque l’article 8 énonce les différentes ingérences possibles dans
l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale que sont la sécurité nationale, le
bien-être économique du pays ou encore la protection de la santé ou de la morale, ce sont des
composantes de l’intérêt général qui apparaissent ici81.
78
D. TRUCHET, op. cit., p. 19.
79
D. SIMON, op. cit., p. 49.
80
Ibid., p. 48.
81
D. ALLAND et S. RIALS (dir.), op. cit., p. 842.
20
CEDH parfaitement compétente à manier le standard d’intérêt général ainsi que les différents
éléments le composant comme la protection de l’environnement. Toute référence à
l’environnement étant absente de la convention, l’assimilation de cette valeur à l’intérêt
général ouvre la voie à la limitation par la Cour à l’exercice du droit de propriété au nom de la
protection de l’environnement notamment82.
Au-delà de cette affirmation en tant que Cour constitutionnelle, la CEDH, par son arrêt
Loizidou, affirme l’existence d’un ordre public européen dont elle serait la dépositaire. Cette
82
CEDH, 18 février 1991, Fredin c. Suède (n° 1), préc.
83
DDHC, Article 6.
84
J.-F. FLAUSS, « La cour européenne des droits de l’Homme est-elle une Cour constitutionnelle ? », RFDC,
1998, n° 36, p. 723.
85
CEDH, Gr. Ch., 23 mars 1995, Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), préc., § 75.
86
J.-F. FLAUSS, op. cit., p. 711 ; CEDH, 29 octobre 1992, Open Door et Dublin well woman c. Irlande.
21
notion est ainsi directement en lien avec la légitimation de la Cour à manier le standard
d’intérêt général.
Comme évoqué plus haut, bien que les définitions de ces deux notions soient floues, le
lien entre intérêt général et ordre public a été affirmé plusieurs fois par la doctrine 87. Ce lien
est aussi affirmé par la CEDH, dans son arrêt Kärner c. Autriche, indiquant que l’un des
objets fondamentaux de la convention est de « […] trancher dans l’intérêt général, des
questions qui relèvent de l’ordre public, en élevant les normes de protection des droits de
l’Homme et en étendant la jurisprudence dans ce domaine à l’ensemble de la communauté
des États parties à la Convention. »88. Cette décision est particulièrement intéressante car, en
plus de rappeler le lien existant entre intérêt général et ordre public, la Cour rappelle ici
l’objectif qu’elle poursuit, à savoir l’amélioration de la protection des droits de l’Homme et
l’extension de cette protection à l’ensemble des États parties. Cette décision fait ainsi
apparaître en filigrane l’ordre public européen conduisant à une harmonisation de la
protection des droits fondamentaux entre les États parties. La notion d’ordre public européen
permet à la CEDH de conférer une autorité supérieure à sa jurisprudence qui « […] déborde
largement la simple autorité relative de la chose jugée »89 puisque celle-ci produit des effets à
l’encontre de tous les États membres et non pas seulement des parties au litige90.
87
Par exemple, S. LETURCQ, Standards et droits fondamentaux devant le conseil constitutionnel français et la
cour européenne des droits de l’Homme, Paris, LGDJ, 2005, pp. 91-95 ; D. SIMON, op. cit., p. 48.
88
CEDH, 24 juillet 2003, Kärner c. Autriche, § 26.
89
F. SUDRE, « Existe-t-il un ordre public européen ? », in P. TAVERNIER (dir.), Quelle Europe pour les droits
de l’Homme ? : La cour de Strasbourg et la réalisation d’une union plus étroite, Bruylant Bruxelles, coll.
Organisation internationale et relations internationales, 1996, p. 65.
90
CEDH, 18 janvier 1978, Irlande c. Royaume-Uni, § 154 ; E. LAMBERT, Les effets des arrêts de la cour
européenne des droits de l’Homme, contribution à une approche pluraliste du droit européen des droits de
l’Homme, Strasbourg, Bruylant Bruxelles, 1999, p. 296.
22
l’intérêt général entraîne certaines différences d’interprétation puisque l’intérêt général retenu
par la CEDH peut ne pas toujours coïncider avec celui retenu sur le plan interne91.
Toutefois, il est intéressant de souligner que si cet encadrement facilite la mise en place
de l’ordre public européen et sa fonction harmonisatrice, certaines réticences peuvent
apparaître à cet égard sur le plan interne. De manière générale, ces réticences remettent
directement en cause l’activisme jurisprudentiel dont peut faire preuve la CEDH, activisme
également présent en matière de protection de l’environnement.
91
CEDH, Gr. Ch., 28 octobre 1999, Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France, préc., § 57 et 59.
92
D. SIMON, op. cit., p. 53.
93
J.-F. FLAUSS, op. cit, p. 726.
23
convention ni même dans la référence à l’intérêt général dans l’article 1 du protocole
additionnel n° 1.
Cette absence de base légale a poussé une partie de la doctrine à s’élever contre cet
activisme de la CEDH qui irait bien au-delà de son objet initial. Ainsi, comme le relève
Philippe Malaurie, certains auteurs, comme Gérard Cornu94 par exemple, condamnaient avec
force la tendance à la création jurisprudentielle de la CEDH. Dans son article, Philipe
Malaurie ne cache pas non plus sa défiance à l’égard de la Cour, en estimant certains arrêts
comme étant « […] intrinsèquement mauvais lorsque [la Cour] mène une politique normative,
modifiant de sa propre autorité les fondements essentiels de notre société, méconnaissant la
séparation des pouvoirs et dépassant ses limites et sa compétence. »95. Ces critiques, émises
de manière générale contre l’activisme de la Cour, peuvent être aussi bien dirigées contre sa
jurisprudence environnementale. En effet, pour ses premières décisions reconnaissant la
protection de l’environnement en tant que composante de l’intérêt général, la jurisprudence
s’est montrée aussi particulièrement créatrice puisqu’elle a puisé les motifs de cette
reconnaissance dans les attentes de la société et non pas dans le texte de la conv. EDH96.
Toutes ces critiques renvoient, en creux, à la compétence étatique pour régler l’apparition
de tels litiges. En effet, pour les auteurs précités, la CEDH ne devrait pas dépasser le cadre de
la conv. EDH et créer de nouveaux droits puisque cette reconnaissance appartient aux États.
94
« […] une jurisprudence incontrôlable [qui] prospère au mépris du génie du droit français […] un pont aux
ânes qui débouche sur un terrain vague. », G. CORNU, Droit civil, Introduction au droit, Montchrestien, coll.
Domat droit privé, 13ème édition, 2007, p. 150, cité par P. MALAURIE, « Grands arrêts, petits arrêts et mauvais
arrêts de la cour européenne des droits de l’Homme », LPA, 2006, n° 166, p. 4.
95
P. MALAURIE, op. cit., p. 6.
96
CEDH, 18 février 1991, Fredin c. Suède (n° 1), préc., § 48.
97
F. RUBIO LLORENTE « La relation entre les juridictions espagnoles et les juridictions « européennes » » in
Renouveau du droit constitutionnel, Mélanges en l’honneur de Louis FAVOREU, Dalloz, 2007, pp. 1408-1409.
24
De plus, la jurisprudence de la CEDH, s’imposant à tous les États membres, risque de ne pas
tenir assez compte de la particularité de certains droits nationaux98.
Comme l’a décrit Paul Mahoney, cet activisme de la CEDH va toutefois de pair avec une
retenue judiciaire (self-restraint99), puisque la Cour alterne entre les deux comportements,
parfaitement complémentaires, lorsqu’il l’est nécessaire. L’auteur relève un cas de retenue
judiciaire lorsque les juges sont priés d’éviter d’établir une disposition légale ne figurant pas
dans le corpus de loi préexistant100. La jurisprudence environnementale de la CEDH se prête
parfaitement à l’étude de ce mécanisme puisque plusieurs exemples de cette retenue peuvent y
être trouvés.
Consciente des critiques pouvant être émises à son égard, la CEDH prend parfois des
précautions au niveau de sa jurisprudence, afin d’éviter une confrontation violente avec les
États membres. Ce cas de figure s’est trouvé réalisé dans le cas de la protection de
l’environnement. Faisant suite aux différents développements jurisprudentiels en matière
d’environnement survenus avec les affaires Lopez Ostra c. Espagne ou encore Guerra c.
Italie, la CEDH a souhaité amorcer une nouvelle étape dans l’affaire Hatton c. Royaume-Uni
de 2001. En effet, dans cet arrêt, les requérants invoquaient une violation de l’article 8 causée
par les nuisances sonores émises par des aéronefs qui troublaient leur sommeil. Ces nuisances
sonores n’étant pas du fait direct de l’État mais d’une personne privée, il jouissait d’une
marge d’appréciation plus importante pour la mise en œuvre des obligations positives lui
incombant en vertu de l’article 8101.
Malgré cette affirmation, la CEDH établit ici, que « […] dans le domaine particulièrement
sensible de la protection de l’environnement, la simple référence au bien-être économique du
pays n’est pas suffisante pour faire passer les droits d’autrui au second plan. »102. La
protection de l’environnement implique donc une obligation renforcée de l’État de limiter les
98
E. LAMBERT, op. cit., p. 300.
99
P. MAHONEY, « Judicial activism and judicial self-restraint in European Court of Human Rights: two sides
of the same coin », HRLJ, 1990, vol. 11, n° 1-2, p. 59.
100
Ibid., p. 58.
101
CEDH, 2 octobre 2001, Hatton et autres c. Royaume-Uni, § 86.
102
Ibid., § 97.
25
atteintes au droit de l’environnement. Il faut aussi noter que le bien-être économique étant un
des cas d’ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, la
protection de l’environnement s’impose, aux yeux de la CEDH, comme une valeur supérieure
à celui-ci.
Toutefois, une telle affirmation, pour profitable qu’elle soit aux défenseurs de
l’environnement, est difficilement acceptable pour le gouvernement britannique qui obtient le
renvoi de l’affaire devant une Grande Chambre103. Par un arrêt de 2003, la Grande Chambre
limite ces évolutions et rejette la violation de l’article 8. Elle considère ainsi que la protection
de l’environnement ne conduit pas à l’adoption d’une « […] démarche particulière tenant à
un statut spécial qui serait accordé aux droits environnementaux de l’Homme. »104. Par cet
arrêt, la Cour rejette l’hypothèse, émise par la chambre en 2001, attribuant un statut particulier
à la protection de l’environnement et qui en ferait une valeur supérieure au bien-être
économique du pays.
Deux mois avant cette décision et dans un raisonnement similaire à celle-ci, la Cour avait
rendu l’arrêt Kyrtatos c. Grèce. Dans cette affaire, les requérants se plaignaient d’une
violation de leur droit au respect de la vie privée, causée par un aménagement urbain illégal
dans une réserve naturelle. La CEDH rejette l’hypothèse d’une violation et rappelle les
fondements de la protection du droit à un environnement sain105. Ce faisant, elle affirme
l’inexistence d’une « protection générale de l’environnement en tant que tel »106 garantie par
la convention. La Cour écarte donc la possibilité qu’un individu puisse participer à la
réalisation de l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement, représenté dans
cette affaire par la lutte contre la destruction d’une réserve naturelle.
Cet arrêt est donc à rapprocher de la décision Hatton de 2003 puisque la CEDH renonce à
développer sa jurisprudence environnementale bien au-delà des textes en donnant une valeur
103
Conv. EDH, Article 43 : « 1. Dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute
partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.
[…] ».
104
CEDH, Gr. Ch., 8 juillet 2003, Hatton et autres c. Royaume-Uni, § 122 ; F. SUDRE, J.-P. MARGUÉNAUD,
J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, A. GOUTTENOIRE et M. LEVINET avec la collaboration de G.
GONZALEZ, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, PUF, coll. Thémis Droit, 6ème
édition, 2011, p. 506.
105
« […], l’élément crucial qui permet de déterminer si, […], des atteintes à l’environnement ont emporté
violation de l’un des droits sauvegardés par le paragraphe 1 de l’article 8 est l’existence d’un effet néfaste sur la
sphère privée ou familiale d’une personne […] », CEDH, 22 mai 2003, Kyrtatos c. Grèce, préc., § 52.
106
Ibid.
26
particulière à la protection de l’environnement et dont la préservation intrinsèque serait
prévue par la conv. EDH. Sans s’attarder sur les conséquences politiques, il faut cependant
noter l’impact qu’aurait une telle reconnaissance puisque la Cour se serait auto-habilitée à
dépasser le cadre de la conv. EDH pour protéger directement l’environnement et aurait ainsi
pu autoriser n’importe quel individu à présenter une requête pour atteinte à l’environnement
du fait d’un État. Par ce mécanisme, tous les individus auraient pu contribuer, d’une certaine
manière, à la réalisation de l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement.
27
Section 2 : L’intérêt général attaché à la protection de l’environnement et
les droits de l’Homme, un traitement variable dans la jurisprudence de la
CEDH
Afin de régler les éventuels conflits pouvant survenir entre les normes, la CEDH
effectue une analyse différenciée au cas par cas. Ce cas de figure se retrouve dans les
différentes formes que peut revêtir l’intérêt général mais il est intéressant de voir que la
protection de l’environnement peut comporter, pour certains auteurs, des caractéristiques
« liberticides »107 et pour d’autres, permettre la réalisation de certains de ces droits108.
Dans cette seconde sous-partie du premier chapitre, nous nous focaliserons plus sur le
traitement réservé à la protection de l’environnement en tant que composante de l’intérêt
général par la Cour. Ce traitement est ainsi qualifié de variable dans le titre de la section dans
la mesure où ce standard participe d’un encadrement des droits de l’Homme (§1) mais
entraîne aussi une approche renouvelée des droits fondamentaux en tant que tels (§2).
L’environnement est donc perçu comme une valeur d’intérêt général dont « la société se
soucie sans cesse de préserver davantage »109. À ce titre, il paraît légitime qu’au nom de sa
protection, la Cour puisse limiter l’exercice de certains droits prévus par la conv. EDH
comme le droit des minorités (1), la liberté de religion (2) ou encore le droit à la liberté et à la
sûreté (3). Il ne s’agit pas ici de dresser une liste exhaustive des différentes décisions en lien
107
S. MALJEAN-DUBOIS, Quel droit pour l’environnement ?, Hachette supérieur, coll. Les fondamentaux,
2008, pp. 35-37 ; M. GROS, « L’environnement contre les droits de l’Homme », RDP, 2004, n° 6, pp. 1583-
1592.
108
L. FONBAUSTIER, « Brèves réflexions sur les splendeurs et misères d’un vieux couple : protection de
l’environnement et droits fondamentaux » in Mélanges François JULIEN-LAFERRIÈRE, Bruylant Bruxelles,
2011, pp. 231-249.
109
CEDH, 18 février 1991, Fredin (n° 1) c. Suède, préc., § 48.
28
avec l’environnement, mais plutôt de relever certains arrêts pertinents dans notre
démonstration.
Pour Jean-Pierre Marguénaud, si ce statut d’intérêt général peut s’avérer utile pour que la
protection de l’environnement soit valorisée face au développement de l’industrie, un tel
statut peut s’avérer préjudiciable lorsqu’il touche aux droits des minorités110.
En effet, comme évoqué plus haut, la Cour a donc consacré la valeur d’intérêt général à la
protection de l’environnement dans les affaires Fredin c. Suède et Pine Valley Developments
c. Irlande où étaient en jeu un développement de différentes industries, respectivement une
carrière et entrepôt industriel111. Dans ces affaires, l’intérêt général s’oppose à des atteintes
potentielles à l’environnement ou légitime le développement d’espaces naturels.
Par un parallèle avec la décision de la com. EDH sur les Lapons de Norvège114, Jean-
Pierre Marguénaud estime que, par cet arrêt de 1996, « […] pour avoir placé trop haut les
110
J.-P. MARGUÉNAUD, « L’incidence de la CESDH sur le droit de l’environnement », JTDE, 1998, n° 54, pp.
218-219.
111
CEDH, 18 février 1991, Fredin c. Suède (n° 1), préc. ; CEDH, 29 novembre 1991, Pine Valley Developments
Ltd c. Irlande, préc.
112
CEDH, 25 septembre 1996, Buckley c. Royaume-Uni.
113
Ibid., § 62-63.
114
Com. EDH, 3 octobre 1983, G. et E. c. Norvège.
29
exigences de la protection du paysage, la Cour européenne des droits de l’Homme a donc
manqué l’occasion de donner enfin aux populations minoritaires un signe clairement
perceptible d’une évolution en profondeur »115.
Cela est d’autant plus dommageable que comme J.-P. Marguénaud le relève, il s’agit d’un
droit revendiqué au chapitre 26 de l’agenda 21116. De plus, comme le démontre une
jurisprudence postérieure dont les faits étaient similaires à ceux de l’affaire Buckley, la
protection de l’environnement comme composante de l’intérêt général a servi de nouveau de
but légitime à une ingérence dans l’exercice de l’article 8 et de l’article 14 de la conv.
EDH117.
Dans un cas assez particulier, il est intéressant de souligner une affaire dans laquelle s’est
manifestée une apparente limitation de la liberté de religion par l’intérêt public
d’aménagement rationnel du territoire118. Toutefois, la Cour a préféré retenir le fait que
l’ingérence de l’État portait, non pas sur la liberté de religion, mais plutôt sur la volonté du
requérant d’ériger une maison de prière et son non-respect des documents d’urbanisme. Pour
anecdotique qu’il paraît, cet arrêt illustre une nouvelle fois la fonction d’encadrement des
droits fondamentaux par l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement.
Dans le cadre de la jurisprudence de la CEDH, l’article 5 peut aussi faire l’objet d’un
encadrement par l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement. En effet, cet
article établissant le droit à la liberté et la sûreté a ainsi été confronté à la matière
environnementale dans l’affaire Mangouras c. Espagne119. Dans cette affaire, il s’agissait du
capitaine du navire Le Prestige, qui, en novembre 2002, libéra 70 000 tonnes de fioul dans
l’océan Atlantique à cause d’une ouverture dans la coque du bateau. Suite à cette catastrophe,
une instruction pénale fut ouverte et le capitaine fut donc mis en détention avec une caution
115
J.-P. MARGUÉNAUD, op. cit., p. 219.
116
Agenda 21, chapitre 26 : Reconnaissance et renforcement du rôle des populations autochtones et de leurs
communautés.
117
CEDH, Gr. Ch., 18 janvier 2001, Chapman c. Royaume-Uni, préc., § 82 et § 129.
118
CEDH, 24 juin 2004, Vergos c. Grèce, § 40-42.
119
CEDH, Gr. Ch., 28 septembre 2010, Mangouras c. Espagne.
30
fixée à trois millions d’euros. Le capitaine fut détenu pendant 83 jours avant d’être libéré
puisque sa caution fut payée par les assureurs du propriétaire du navire. Le requérant a
invoqué la violation de l’article 5 devant la Cour notamment à cause du montant
excessivement élevé de la caution fixée sans prendre en considération sa situation personnelle.
Les juges européens ont cependant conclu à la non-violation de l’article 5 §3 dans la mesure
où ils ont estimé que les tribunaux espagnols avaient bien pris en compte les caractéristiques
tenant à la situation du requérant.
De plus, la Cour relève que « […] le niveau d’exigence croissant en matière de protection
des droits de l’Homme et des libertés fondamentales implique, parallèlement et
inéluctablement, une plus grande fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs
fondamentales des sociétés démocratiques »120. Il est donc intéressant de noter que l’intérêt
général représenté par la protection de l’environnement a servi d’argument pour imposer une
telle amende au capitaine et ainsi encadrer son droit à la liberté et la sûreté.
120
Ibid., § 87.
121
On pense ici aux ingérences prévues par la convention comme la sécurité nationale, la sûreté publique, la
protection de la santé…
31
B- L’exemple particulier du droit de propriété
Pour Jehan de Malafosse, « les limitations sont apportées au droit de propriété dans le
double but de protéger la nature et de reconnaître aux autres des droits spécifiques à
l’utilisation du milieu naturel »122. Depuis l’affaire Sporrong et Lönnroth c. Suède, la Cour a
rappelé la possibilité que le droit de propriété soit limitée par les exigences de l’intérêt
général123. Il paraît donc logique que la protection de l’environnement puisse s’opposer au
droit de propriété.
122
J. DE MALAFOSSE, « Le droit des autres à la nature » in Religion, société et politique, Mélanges en
hommage à Jacques ELLUL, PUF, 1983, p. 516.
123
CEDH, 23 septembre 1982, Sporrong et Lönnroth c. Suède, § 69.
124
CEDH, 18 février 1991, Fredin c. Suède (n°1), préc., § 48 ; CEDH, 29 novembre 1991, Pine Valley
Developments Ltd c. Irlande, préc., § 57 ; CEDH, 29 mars 2010, Depalle c. France, préc., § 84 ; CEDH, 27
novembre 2007, Hamer c. Belgique, préc., § 79.
32
Ces différentes jurisprudences ont en commun le rejet d’une violation de l’article 1 du
protocole n° 1 de la conv. EDH au motif que l’ingérence poursuivait bien un but légitime, ici
la protection de l’environnement. La CEDH fait même de la protection de l’environnement
une valeur dont l’importance est telle, qu’elle ne peut être contrebalancée par certains droits
fondamentaux comme le droit de propriété. L’arrêt Hamer c. Belgique en est une parfaite
illustration, puisque la Cour indique que « des impératifs économiques et même certains
droits fondamentaux, comme le droit de propriété, ne devraient pas se voir accorder la
primauté face à des considérations relatives à la protection de l'environnement, en particulier
lorsque l'État a légiféré en la matière. »125. La Cour opère donc une nouvelle fois, une
affirmation du statut d’intérêt général revêtu par la protection de l’environnement et la
capacité qu’à celle-ci à encadrer l’exercice de droits fondamentaux comme le droit de
propriété.
Si cette affirmation peut faire plaisir aux plus fervents défenseurs de l’environnement,
certains auteurs, en revanche, notent une tendance de la CEDH à vouloir donner plus souvent
la prédominance à la protection de l’environnement face aux droits « exclusivement civils »126.
Cela est ainsi accentué par l’importance que prend la protection de l’environnement dans la
jurisprudence de la Cour, dorénavant « ogre d’intérêt général »127. Pour Manuel Gros, la
place prise par la protection de l’environnement occulte la place initiale du droit de propriété à
savoir un droit dit « absolu »128.
33
protocole n° 1 au motif que l’interdiction de construire imposée est trop générale 130. Cette
interdiction consistait en un classement de plusieurs terrains en zone agricole, avicole,
sylvicole ou de divertissement public rendant les terrains inconstructibles. La Cour a
considéré que cette mesure était bien attentatoire au droit de propriété malgré l’existence d’un
site archéologique considérée comme étant d’une « beauté naturelle particulière »131.
Il est tout d’abord intéressant d’évoquer l’affaire Zander c. Suède, dans laquelle les
requérants se plaignaient d’avoir subi une pollution de la nappe phréatique se situant à
proximité de leur propriété par le fait d’une société spécialisée dans le traitement et le
stockage des déchets. Cette pollution entraînait, pour eux, une impossibilité de jouir de l’eau
tirée de leurs puits et n’ayant pas eu la possibilité d’exercer un recours judiciaire contre la
130
CEDH, 21 février 2008, Anonymos Touristiki Etaira Xenodecheia Kritis c. Grèce, § 46-48.
131
Ibid., § 9.
132
M. BOUTELET BLOCAILLE, « Les limites des moyens traditionnels de l’ordre public : propriété et ordre
public écologique », in M. BOUTELET BLOCAILLE et J.-C. FRITZ (dir.), L’ordre public écologique, Towards
an ecological public order, Bruylant, coll. Actes et Débats, 2005, p. 201.
133
F.-G. TRÉBULLE, « Environnement et droit des biens » in Le droit et l’environnement, Association Henri
Capitant, Journées nationales tome XI, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2010, pp. 86-88.
34
décision autorisant la société à poursuivre son activité, ils invoquaient une violation de
l’article 6 § 1 de la conv. EDH134.
La com. EDH, bientôt suivie par la Cour, avait reconnu l’existence d’un droit civil,
rattaché au droit de propriété des requérants, ouvrant le droit à exercer un recours devant les
juridictions comme le prévoit l’article 6 § 1135. Toutefois, l’intérêt principal de cet arrêt réside
dans le fait que la CEDH reconnaît « [le] droit de jouir de l’eau de leur puits comme boisson,
[en tant qu’] élément de leur droit de propriétaires du terrain »136. Le droit de propriété
permet ainsi de procéder à la protection de la nappe phréatique environnant la propriété des
requérant. La protection de l’environnement devient donc ici l’opérateur permettant la
protection d’une composante du droit de propriété.
134
Com. EDH, 14 octobre 1991, Zander c. Suède ; CEDH, 25 novembre 1993, Zander c. Suède.
135
Conv. EDH, Article 6 § 1 : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement,
publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui
décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil […]. ».
136
CEDH, 25 novembre 1993, Zander c. Suède, préc., § 27.
137
CEDH, 29 avril 1999, Chassagnou et autres c. France, préc., § 74.
138
Ibid., § 79.
35
dans le droit de propriété139, réaffirme cependant le droit des propriétaires du terrain à
s’opposer à la chasse. Ces deux affaires témoignent de la possibilité pour les propriétaires de
s’opposer à la chasse lorsque celle-ci se déroule sur leur parcelle140. Le droit de propriété peut
être perçu comme un moyen de défense de la faune sauvage contre la chasse et ainsi, une
manière de participer à la protection de l’environnement. Il faut toutefois noter que ces
affaires témoignaient aussi d’un conflit entre l’intérêt général de gestion du patrimoine
cynégétique et le droit de propriété invoqué ici pour protéger la faune, preuve du caractère
protéiforme de la protection de l’environnement comme nous le verrons plus en détail dans le
paragraphe suivant.
Pour finir nos développements sur ces différents exemples de renouvellement dans la
relation entre droit de propriété et protection de l’environnement, il peut être intéressant
d’évoquer l’affaire Öneryildiz c. Turquie. L’apport principal de cette affaire demeure le
rattachement du droit à un environnement sain à l’article 2 de la conv. EDH, toutefois, comme
le note Paul Tavernier, cette affaire est aussi intéressante sur le terrain de l’article 1 protocole
n° 1141. En effet, dans cet arrêt, la CEDH rappelle que « l'importance cruciale du droit
consacré par l'article 1 du Protocole no 1 et considère que l'exercice réel et efficace de ce
droit ne saurait dépendre uniquement du devoir de l'État de s'abstenir de toute ingérence : il
peut exiger des mesures positives de protection. »142. En mettant cette affirmation en parallèle
avec les faits de l’espèce, à savoir une explosion de méthane dans une déchetterie située à
proximité du bidonville où vivait le requérant et sa famille, Paul Tavernier estime que l’arrêt
consacre une obligation positive de l’État de protéger « […] les propriétés et leurs biens
contre les risques de catastrophes et contre les atteintes de l’environnement. »143. La
protection de l’environnement en tant qu’intérêt général, ici sous la forme de lutte contre les
activités industrielles dangereuses, permet de dégager une obligation positive de l’État de
mettre en place des mesures permettant de protéger la propriété et favorise donc son exercice.
139
CEDH, Gr. Ch., 26 juin 2012, Herrmann c. Allemagne, § 91.
140
I. MICHALET, « Cour européenne des droits de l’Homme et biodiversité », in L. ROBERT (dir.),
L’environnement et la convention européenne des droits de l’Homme, Bruylant Bruxelles, coll. Cahiers de droit
international, 2013, pp. 96-98.
141
P. TAVERNIER, « Droit de propriété et protection de l’environnement devant la Cour de Strasbourg », in
I.D.H.A.E., La protection du droit de propriété par la cour européenne des droits de l’Homme, Bruylant
Bruxelles, 2005, p. 75.
142
CEDH, 18 juin 2002, Öneryildiz c. Turquie, préc., § 145.
143
P. TAVERNIER, op. cit., p.75.
36
Ces différentes jurisprudences témoignent de la volonté de la Cour de faire évoluer la
relation entre droit de propriété et protection de l’environnement. Pour Marguerite Boutelet
Blocaille, cette évolution est même indispensable en tant que la protection du droit de
propriété favorise une protection de la biodiversité. Selon elle, « […] pour réaliser l’objectif
de protection de la biodiversité, il apparaît clairement que l’on ne peut se passer de l’Homme
car les espaces qui constituent les habitats ne sont pas des espaces de la nature primitive, ce
sont des espaces colonisés depuis longtemps par l’Homme […]. »144.
§2 Une approche renouvelée des relations entre intérêt général et droits de l’Homme
144
M. BOUTELET BLOCAILLE, op. cit., p. 219.
37
A- Le traitement des droits environnementaux et l’invocation de l’intérêt général
Le droit à un environnement sain en tant que droit de l’Homme peut être écarté au profit
de l’intérêt général. Ce traitement semble évident à partir du moment où l’environnement est
considéré comme n’importe quelle autre valeur reconnue par la conv. EDH.
Néanmoins, cette mise à l’écart peut varier sensiblement selon les droits opposés à
l’intérêt général. La Cour a rappelé dans l’arrêt Depalle c. France que les droits
« exclusivement civils » faisaient l’objet d’un traitement différent par rapport à la protection
de l’environnement comme composante de l’intérêt général puisque que l’État se voyait
reconnaître une marge d’appréciation plus importante146. Il paraît donc logique d’estimer que
la Cour effectue une appréciation différenciée selon les droits opposés à l’intérêt général.
De même, nous pouvons considérer que le droit à un environnement sain tiré de l’article 2
ou de l’article 8 de la conv. EDH ne subira pas le même traitement. En effet, l’article 2
contrairement à l’article 8 comprend des exceptions à son exercice bien plus restreintes 147. À
ce titre, il paraît intéressant d’estimer que cette limitation permettrait donc d’assurer une
protection renforcée du droit à un environnement sain contre l’intérêt général évoqué puisque
celui-ci ne figure pas parmi les exceptions de l’article 2. Ainsi, cette protection pourrait
s’opposer à la mise en œuvre par exemple de politiques d’aménagement et de protection de
l’environnement au nom de l’intérêt général pouvant entraîner des risques pour la vie des
personnes. Néanmoins, à ce stade, la jurisprudence européenne n’offre pas d’illustration d’une
telle opposition.
145
Pour une distinction entre ces deux types de droits, voir notamment, M. DÉJEANT-PONS et M.
PALLEMAERTS, Droits de l’Homme et environnement, Éditions du Conseil de l’Europe, 2002, pp. 9-43 ; V.
REBEYROL, L’affirmation d’un « droit à l’environnement » et la réparation des dommages environnementaux,
Paris 1, Defrénois - Lextenso éditions, 2010, pp. 63-75.
146
CEDH, 29 mars 2010, Depalle c. France, préc., § 84 ; R. NOGUELLOU, op. cit., p. 3.
147
« […] La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait
d'un recours à la force rendu absolument nécessaire […] ».
38
Au-delà de cette considération très prospective, la jurisprudence de la CEDH donne aussi
lieu à certaines oppositions intéressantes. En effet, la Cour de Strasbourg a vu apparaître de
manière plus148 ou moins149 explicite, un conflit intra-environnemental entre l’intérêt général
attaché à la protection de l’environnement et le droit à un environnement sain. Ces différends
qui tendent à se multiplier, constituent une remarquable illustration de la complexité de la
matière environnementale et de la variété de thématiques qu’elle comporte, de la protection
des animaux sauvages150 au développement des énergies renouvelables151. Ces
problématiques sont autant d’enjeux différents qui peuvent s’affronter, l’un sous le couvert de
l’intérêt général et l’autre sous l’angle d’un droit de l’Homme152.
L’affaire Lopez Ostra constitue une première étape dans l’apparition de ces conflits intra-
environnementaux. Comme il l’a déjà été plusieurs fois expliqué, dans ce litige, une
requérante se plaignait des émanations de gaz et d’odeurs pestilentielles provenant d’une
station d’épuration située à proximité de son domicile, entraînant ainsi une perturbation de
son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que contenu à l’article 8 de la conv. EDH.
Cette station d’épuration ayant été mise en place pour épurer les différents rejets provenant
d’une tannerie, elle opérait un travail de purification de l’eau afin d’éviter que ces nuisances
ne puissent se propager dans le cours d’eau. Ce faisant, elle effectuait un travail de protection
de l’environnement par la préservation de la ressource aquatique mais aussi de limitation des
pollutions, ces deux missions pouvant se rattacher à l’intérêt général. Néanmoins, la Cour a
estimé dans son arrêt de 1994 que les émanations de la station d’épuration et l’inaction de
l’État pour les limiter, pouvaient se concevoir comme une violation de l’article 8. Le droit de
la requérante à jouir d’un environnement sain s’est donc opposé à l’intérêt général de la
communauté (ici le village de Llorca) de préservation de la ressource en eau et de lutte contre
la pollution153. Un tel conflit a pu se retrouver également à propos d’une usine de traitement
de déchets dangereux en Italie154.
148
CEDH, 26 février 2008, Fägerskiöld c. Suède (recevabilité), préc.
149
CEDH, 9 décembre 1994, Lopez Ostra c. Espagne, préc.
150
CEDH, Gr. Ch., 26 juin 2012, Herrmann c. Allemagne, préc.
151
CEDH, 26 février 2008, Fägerskiöld c. Suède (recevabilité), préc.
152
Hypothèse déjà évoquée par J. UNTERMAIER, « Droit de l’Homme à l’environnement et libertés
publiques », RJE, 1978, n° 4, p. 334.
153
D. GARCIA SAN JOSÉ, La protection de l'environnement et la Convention européenne des droits de
l'Homme, Éditions du Conseil de l’Europe, 2005, p. 13.
154
N. DE SADELEER, « Les droits fondamentaux au secours de la protection de l’environnement : examen du
droit de l’UE et de la CEDH » in ROBERT (L.) (dir.), op. cit., p. 125, à propos de CEDH, 2 novembre 2006,
Giacomelli c. Italie.
39
Le développement des énergies renouvelables constitue un champ privilégié d’apparition
des conflits intra-environnementaux. La mise en place de diverses constructions telles que les
éoliennes155 ou les barrages hydrauliques156 ne vont pas sans entraîner l’apparition de
nuisances pour le voisinage ou pour la biodiversité, l’affaire Fägerskiöld en est une parfaite
illustration.
En effet, il s’agissait d’une requête émanant d’un couple de particuliers qui se plaignaient
de nuisances sonores notamment, causées par des éoliennes situées à proximité de leur lieu de
résidence. Cette requête a été déclarée irrecevable par la Cour puisque ceux-ci ne
démontraient pas un grief suffisant pour caractériser des nuisances environnementales. Le
principal apport de cette affaire consiste en la caractérisation du développement des parcs
éoliens comme participant de l’intérêt général157. Se retrouve ici une opposition entre la
protection de l’environnement comme composante de l’intérêt général et le droit à un
environnement sain, sous son volet protection contre les nuisances sonores, récurrent dans la
jurisprudence de la CEDH158.
Dans cette affaire, la CEDH donne la préférence à l’intérêt général de manière un peu
ambigüe, parce que le développement des parcs éoliens doit se maintenir dans le contexte du
développement durable mais aussi parce que la violation alléguée de l’article 8 de la conv.
EDH n’était pas suffisante. Il paraît donc difficile de conclure à la possibilité d’une
prédominance systématique de l’intérêt général incarné par le développement des énergies
renouvelables sur le droit à un environnement sain.
L’intérêt général peut aussi être mis en opposition avec le second volet des droits
environnementaux que composent les droits procéduraux environnementaux.
155
CEDH, 26 février 2008, Fägerskiöld c. Suède (recevabilité), préc. ; CEDH, Vecbaštika et autres c. Lettonie,
(Requête pendante communiquée au gouvernement letton le 7 janvier 2013).
156
CEDH, 27 avril 2004, Gorraiz Lizarraga et autres c. Espagne.
157
CEDH, 26 février 2008, Fägerskiöld c. Suède (recevabilité), préc., p. 14 : « […] Il ne fait aucun doute pour la
Cour que l’exploitation de l’éolienne va dans le sens de l’intérêt général, dans la mesure où elle permet de
produire de l’énergie en respectant l’environnement et contribue ainsi au développement durable des ressources
naturelles. ».
158
CEDH, 16 novembre 2004, Moreno Gomez c. Espagne, préc. ; CEDH, 25 novembre 2010, Mileva et autres c.
Bulgarie.
40
2. Intérêt général et droits procéduraux environnementaux
La Cour mais aussi la com. EDH ont été confrontées à plusieurs reprises à la
problématique de l’information environnementale161. Il ressort de ces différentes décisions
que la CEDH et la commission ont préféré écarter la reconnaissance d’un droit à l’information
environnementale issu de l’article 10 de la conv. EDH reconnaissant la liberté d’expression.
De plus, il est intéressant de noter qu’à l’instar de l’exemple développé plus haut, un
conflit intra-environnemental entre l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement
et un droit à l’information environnementale peut aussi se manifester dans ce cadre-là. En
effet, l’État peut limiter les droits issus de l’article 8 pour des motifs de sûreté publique. Il
159
A. KISS, « L’évolution du concept de droit à l’environnement », in Protection des droits de l’Homme : la
perspective européenne, mélanges en la mémoire de Rolv RYSSDAL, Carl Heymanns Verlag KG, 2000, p. 679.
160
Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la
justice en matière d’environnement du 25 juin 1998 dite d’Aarhus, préambule § 7 et 8.
161
Com. EDH, 6 juillet 1995, Anna Maria Guerra et autres c. Italie ; CEDH, 16 février 1998, Guerra et autres
c. Italie, préc. ; Com. EDH, 28 novembre 1995, L.C.B. c. Royaume-Uni ; CEDH, 9 juin 1998, L.C.B. c.
Royaume-Uni, préc.
162
CEDH, 20 mars 2008, Boudaïeva c. Russie, préc., § 131.
163
CEDH, 9 juin 1998, McGinley et Egan c. Royaume-Uni, § 97.
164
Conv. EDH, Article 8 § 2.
165
L. FONBAUSTIER « Le droit à l’information environnementale » in L. ROBERT (dir.), op. cit., pp. 63-67.
41
paraît donc possible d’imaginer le cas d’une requête formée sur la violation de l’article 8 en
tant que l’individu ne s’est pas fait communiquer des informations environnementales liées à
une centrale nucléaire installée à proximité de son domicile. L’État se défendrait par exemple
en invoquant l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement et à la sûreté
publique afin de ne pas communiquer des informations liées à cette centrale nucléaire pouvant
mettre en danger l’environnement et la santé du voisinage. Cet exemple, bien
qu’hypothétique, ne semble pas, pour autant, impensable notamment au regard des requêtes
précédemment formées à l’encontre de l’installation de centrales nucléaires166.
166
CEDH, 26 août 1997, Balmer-Schafroth et autres c. Suisse ; CEDH, Gr. Ch., 6 avril 2000, Athanassoglou et
autres c. Suisse.
167
J. DE MALAFOSSE, op. cit., p. 511.
42
1. L’apport de l’intérêt général à la réalisation des droits de l’Homme
168
CEDH, 18 juin 2002, Öneryildiz c. Turquie, préc., § 145.
169
CIJ, 8 juillet 1996, Avis consultatif sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, § 29.
170
L. FONBAUSTIER, « Brèves réflexions sur les splendeurs et misères d’un vieux couple : protection de
l’environnement et droits fondamentaux », in Mélanges François JULIEN-LAFERRIÈRE, Bruylant Bruxelles,
2011, p. 243.
43
2. La réalisation de l’intérêt général par le prisme des droits de l’Homme
La réalisation de l’intérêt général par le prisme des droits de l’Homme est une illustration
parfaite de la conception doctrinale soulignant une véritable nécessité de dépasser l’opposition
classique entre intérêt privé et intérêt collectif171 notamment dans le cadre de la protection de
l’environnement172.
Le droit à l’information environnementale, dans les termes évoqués plus haut, peut aussi
contribuer à la protection de l’environnement en tant qu’intérêt général. Il s’agit d’un cas
évoqué par Petr Muzny ne concernant pas l’information environnementale de manière
spécifique, mais au regard du raisonnement établi, il semble possible de l’y rattacher. En effet,
171
Voir par exemple, M. MEKKI, L’intérêt général et le contrat, contribution à une étude de la hiérarchie des
intérêts en droit privé, Paris 1, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, 2004, pp. 24-25.
172
J. DE MALAFOSSE, op. cit., p. 511 ; M. BOUTELET BLOCAILLE, op. cit., p. 201 ; P. TAVERNIER, op.
cit., p. 75 ; F.-G. TRÉBULLE, op. cit., pp. 86-88 et L. FONBAUSTIER, op. cit., p. 243.
173
CEDH, 27 janvier 2009, Tătar c. Roumanie, § 107.
174
F.-G. TRÉBULLE, « Droit de l’environnement. Mai 2008 - Mai 2009 », D., 2009, p. 2449.
44
selon l’auteur, la CEDH « […] reconnaît bien souvent elle-même que derrière l’intérêt dit
individuel de celui qui fait acte de liberté d’expression, se situe en même temps l’intérêt
général de tous ceux qui peuvent bénéficier de l’information »175, cette réflexion peut se
décliner au sujet de l’information environnementale.
De même, le droit à la liberté d’expression, prévu par les dispositions de l’article 10, a pu
se révéler en tant que vecteur de réalisation de l’intérêt général dans un arrêt de 2004 rendu
par la CEDH. Dans cet arrêt, la Cour a reconnu la qualité de « chien de garde de la
démocratie » à une ONG spécialisée dans la protection de l’environnement176. Par l’exercice
de son droit individuel à la liberté d’expression, l’organisation avait ainsi attiré « […]
l’attention sur des questions sensibles d’intérêt général »177.
Par le biais des différents exemples et raisonnements démontrés dans cette section, il
paraît clair que la protection de l’environnement en tant qu’intérêt général opère bien une
fonction d’encadrement des droits fondamentaux au sein de la jurisprudence de la CEDH.
Cette fonction permet ainsi de noter l’importance prise par les problématiques
environnementales au niveau de la Cour. Toutefois, cet encadrement invite aussi à constater
175
P. MUZNY, La technique de proportionnalité et le juge de la convention européenne des droits de l’Homme,
essai sur un instrument nécessaire dans une société démocratique, Aix-Marseille III, Presses universitaires
d’Aix-Marseille, 2005, p. 323.
176
CEDH, 27 mai 2004, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, § 36 et 42.
177
J.-P. MARGUÉNAUD, « La charte constitutionnelle de l’environnement face au droit de la cour européenne
des droits de l’Homme », RJE, 2005, n° spécial, p. 204.
45
l’émergence de nouvelles relations entre les droits fondamentaux et l’intérêt général. Ces
nouvelles relations prennent différentes formes telles que les conflits intra-environnementaux
ou l’apparition d’une interdépendance entre les droits fondamentaux et l’intérêt général.
46
47
Chapitre 2 : L’intérêt général attaché à la protection de
l’environnement comme standard de contrôle des actions étatiques
Cette notion opère ainsi un contrôle du bien-fondé des actions étatiques dans le
domaine de la protection de l’environnement par le biais notamment de la célèbre doctrine des
obligations positives. Toutefois, comme indiqué plus haut, l’activisme de la Cour en matière
de protection de l’environnement est parfois mal perçu. Cette réticence pousse ainsi la Cour à
adopter une démarche toute autre qui vise à encadrer les actions étatiques par la
reconnaissance d’une marge nationale d’appréciation. Ces deux mécanismes permettent à la
CEDH de mettre en place un contrôle variable des actions étatiques en matière de protection
de l’environnement (Section 1).
L’instauration d’un tel contrôle entraîne une réflexion sur l’objectif visé, à terme, par
la CEDH en matière de protection de l’environnement. En effet, comme nous l’avons vu à
plusieurs reprises au cours de cette étude, la conv. EDH ne prévoyant pas de dispositions
relatives à l’environnement, la CEDH a dû élaborer progressivement une jurisprudence
environnementale par le rattachement du droit à un environnement sain à d’autres droits
protégés par la convention ou par la reconnaissance de la protection de l’environnement en
tant qu’intérêt général. Cette jurisprudence fait naître une sensibilisation des États membres
aux enjeux environnementaux entraînant ainsi, une réflexion sur la possible émergence d’un
ordre public européen écologique. Dans le même mouvement de sensibilisation, la prise en
compte de plus en plus importante des enjeux environnementaux par les États membres nous
conduit aussi à évoquer la création d’un protocole additionnel à la convention sur
l’environnement (Section 2).
48
Section 1 : Le contrôle des actions étatiques par la CEDH dans le domaine de
la protection de l’environnement
Le contrôle des actions étatiques repose donc sur deux mécanismes distincts dont la
création, purement prétorienne, repose sur le souci constant de la CEDH d’assurer une
effectivité aux droits protégés par la convention. Une telle origine implique, néanmoins, pour
la CEDH de manier avec prudence ces outils vis-à-vis des États et d’opérer un contrôle
variable des actions étatiques à travers la doctrine des obligations positives d’une part (§1), et
la reconnaissance de la marge nationale d’appréciation, d’autre part (§2).
La doctrine des obligations positives est apparue dans la jurisprudence de la Cour dès
1968 dans la célèbre affaire Linguistique belge dans laquelle la CEDH évoque pour la
première fois cette notion.178 Par une affaire de 1979, la Cour va poser le fondement de cette
doctrine qui participe au but de la convention de « […] protéger des droits non pas théoriques
ou illusoires, mais concrets et effectifs […]. »179. À partir de 1985, la Cour va faire de cette
notion « […] un instrument familier de son contrôle. »180. Cette doctrine permet à la CEDH
de dégager des obligations d’agir à l’encontre des États pour assurer l’exercice des droits (A)
mais aussi pour lutter contre l’immixtion des tiers dans le droit garanti, renvoyant ainsi à
l’effet horizontal de la conv. EDH (B).
178
CEDH, 23 juillet 1968, Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en
Belgique » c. Belgique, § 1 et 3.
179
CEDH, 9 octobre 1979, Airey c. Irlande, § 24.
180
F. SUDRE, « Les “obligations positives” dans la jurisprudence européenne des droits de l’Homme », RTDH,
1995, p. 363.
181
CEDH, 21 février 1990, Powell et Rayner c. Royaume-Uni, préc., § 41.
49
que la protection de l’environnement a donné naissance à des obligations positives extérieures
à la conv. EDH, tirées de normes internationales (2).
L’intérêt général se retrouve au titre de la doctrine des obligations positives en tant que
cette valeur vient fonder la nécessité ou non d’instaurer une obligation positive. Comme
l’énonce parfaitement l’arrêt Powell et Rayner, ce contrôle est ainsi à rapprocher de celui de
l’ingérence de l’État dans l’exercice de droits prévus à la convention. « Dans les deux cas, il
faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de
la société dans son ensemble […]. »182.
L’affaire Hatton de 2003 affirme, de son côté, la nécessité de prendre en compte les
intérêts des individus concernés au sein du processus décisionnel186. Ces deux exemples
182
Ibid.
183
CEDH, 18 février 1991, Fredin c. Suède (n° 1), préc., § 51.
184
CEDH, 18 juin 2002, Öneryildiz c. Turquie, préc., § 145.
185
CEDH, 19 février 1998, Guerra et autres c. Italie, préc., § 58 et 60 ; C. MADELAINE, La technique des
obligations positives en droit de la convention européenne des droits de l’Homme, Montpellier, Dalloz, coll.
Nouvelle bibliothèque de thèses, 2014, p. 76.
186
CEDH, Gr. Ch., 8 juillet 2003, Hatton et autres c. Royaume-Uni, préc., § 99.
50
établissent ainsi, peu à peu, le cadre que doit mettre en place l’État afin que les droits prévus à
l’article 8 puissent pleinement s’exercer.
187
CEDH, 20 mars 2008, Boudaïeva et autres c. Russie, préc., § 129-132.
188
CEDH, 27 janvier 2009, Tătar c. Roumanie, préc., § 88.
189
CEDH, Gr. Ch., 30 novembre 2004, Öneryildiz c. Turquie, § 89.
190
N. DE SADELEER, op. cit., p. 130.
191
CEDH, 22 mai 2003, Kyrtatos c. Grèce, préc., § 52.
51
l’intérêt de celle-ci pour les normes internationales en matière de protection de
l’environnement.
Cet intérêt pour les normes internationales apparaît tout d’abord avec les autres textes
élaborés au sein du Conseil de l’Europe tels que la convention de Strasbourg192, la convention
de Lugano193 mais aussi des résolutions issues de travaux de l’Assemblée parlementaire.
L’arrêt Öneryildiz de 2004 illustre parfaitement cette hypothèse puisque la CEDH énonce au
titre des règles pertinentes pour cette affaire, les deux conventions mais aussi la résolution
1087 relative aux conséquences de l’accident de Tchernobyl par exemple194. La Cour examine
ces différents éléments afin de déterminer la responsabilité de chaque acteur dans le
traitement des déchets dangereux. De plus, il faut aussi signaler que dans le cas de l’espèce, la
Turquie n’était partie à aucune des deux conventions.
L’arrêt Taşkin c. Turquie va, de son côté, encore plus loin dans l’utilisation de la
convention d’Aarhus dans la décision de la CEDH. En effet, s’il ne paraît pas illogique que la
Cour se base sur le texte de 1998 pour établir des obligations renforcées à l’encontre des pays
l’ayant ratifié, il paraît plus surprenant, en revanche, que celui-ci puisse s’imposer à un État
n’y étant pas partie. Pourtant, la CEDH rappelle dans cet arrêt, les axes poursuivis par la
192
Convention STE n° 172 sur la protection de l’environnement par le droit pénal du 4 novembre 1998.
193
Convention STE n° 150 sur la responsabilité civile des dommages résultant des activités dangereuses pour
l’environnement du 21 juin 1993.
194
CEDH, Gr. Ch., 30 novembre 2004, Öneryildiz c. Turquie, préc., § 59.
195
CEDH, 27 janvier 2009, Tătar c. Roumanie, préc., § 118.
196
CEDH, 10 janvier 2012, Di Sarno et autres c. Italie, § 107.
197
Ibid.
52
convention d’Aarhus, en précisant bien que si la Turquie n’y a pas adhéré198, cela ne
l’empêche pourtant pas d’appliquer « en substance » les dispositions de ce texte199. La Cour
entérine ensuite ce recours dans l’arrêt Demir et Baykara c. Turquie, en indiquant très
clairement qu’elle avait « […] complété sa jurisprudence relative à l’article 8 de la
Convention en matière de protection de l’environnement (aspect considéré comme faisant
partie de la vie privée de l’individu) en s’inspirant largement des principes établis par la
Convention d’Aarhus […]. »200.
198
CEDH, 10 novembre 2004, Taşkin et autres c. Turquie, § 99.
199
M. CHYSCLAIN, M.-N. PATAUD et M. TABONE, « L’utilisation par la cour européenne des droits de
l’Homme des instruments internationaux relatifs à la protection de l’environnement », in L. ROBERT (dir.), op.
cit., p. 89.
200
CEDH, 12 novembre 2008, Demir et Baykara c. Turquie, § 83 ; L. FONBAUSTIER, « Le droit à
l’information environnementale » in L. ROBERT (dir.), op. cit., p. 57.
201
J.-P. MARGUÉNAUD, « La convention d’Aarhus et la convention européenne des droits de l’Homme »,
RJE, 1999, n° spécial, p. 78.
202
Directive n° 91/676/CEE concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de
sources agricoles.
203
CAA Nantes, 1er décembre 2009, Ministre de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la
Mer, req. n° 07NT03775 ; CJUE, 13 juin 2013, Commission c. France, affaire n° C-193/12 ; L.
FONBAUSTIER, « L’État et la responsabilité environnementale » in Le droit et l’environnement, Association
Henri Capitant, Journées nationales tome XI, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2010, p. 132.
53
La protection de l’environnement se trouve donc renforcée par la mise en œuvre des
obligations positives qui permettent d’étendre le champ d’application et l’effectivité des droits
auxquels les considérations environnementales sont rattachées. L’un des apports majeurs de la
doctrine réside aussi dans le contrôle qu’elle permet d’opérer sur les relations entre
particuliers par l’effet dit « horizontal ».
54
garantis par la Convention, la responsabilité dudit État peut se trouver engagée au regard de
la Convention. »210.
Comme le relève très justement Frédéric Sudre dans son article de 1995, « […] la
jurisprudence des obligations positives est particulièrement bien adaptée à la protection de
l’environnement, les atteintes à l’environnement trouvant bien souvent leur source dans la
carence législative et/ou dans le fait des particuliers. »213. En effet, dans le cas de la
protection de l’environnement immédiat des individus, de nombreuses ingérences proviennent
donc des particuliers et l’effet « horizontal » de la convention apparaît ainsi comme le
meilleur moyen de protéger les droits fondamentaux des individus.
De plus, il nous faut aussi relever le fait que plusieurs atteintes graves à
l’environnement trouvent leur origine dans certaines actions commises par des personnes
privées comme des entreprises. L’arrêt Kyrtatos avait pour origine la destruction d’une
réserve naturelle par une vaste opération d’aménagement. De même, dans l’affaire
Mangouras déjà évoquée plus haut, le capitaine du navire Le Prestige avait ainsi été reconnu
d’un comportement fautif lors de la survenance de la marée noire en 2002. Ces deux
210
CEDH, Gr. Ch., 10 mai 2001, Chypre c. Turquie, § 81.
211
F. SUDRE et al., op. cit., pp. 37-38.
212
D. GARCIA SAN JOSÉ, op. cit., p. 13.
213
F. SUDRE, « Les “obligations positives” dans la jurisprudence européenne des droits de l’Homme », RTDH,
1995, pp. 373-374.
55
exemples, bien que ne mettant pas en œuvre l’effet « horizontal », témoignent des graves
atteintes que certains particuliers peuvent faire peser sur l’environnement. Il nous semble
envisageable que la CEDH, reprenant les termes utilisés dans l’arrêt Mangouras, attende une
plus grande « fermeté » de la part des États dans la lutte contre les atteintes à l’environnement
causées par les particuliers.
Cette attente nous pousse ainsi à considérer la possible mise en œuvre d’obligations
environnementales à l’encontre des particuliers par les États sous l’impulsion de l’effet
« horizontal » de la conv. EDH.
214
F. SUDRE, Droit européen et international des droits de l’Homme, PUF, coll. Droit fondamental, 11ème
édition, 2012, p. 268.
215
CEDH, 27 novembre 2007, Hamer c. Belgique, préc., § 79.
56
protection de l’environnement dans l’intérêt collectif. »216. Cette fin d’intérêt général attaché à
la protection de l’environnement permettrait donc de légitimer la mise en place d’obligations
environnementales. Elles contribueraient ainsi, dans un effort commun, à la réalisation de ce
dernier.
216
M. BOUTONNET et L. NEYRET, « La consécration du concept d’obligation environnementale », D., 2014,
p. 1335.
217
J.-P. MARGUÉNAUD, « Les devoirs de l’Homme dans la Charte constitutionnelle de l’environnement », in
Confluences, mélanges en l’honneur de Jacqueline MORAND-DEVILLER, Montchrestien, 2007, p. 884.
218
J. DE MALAFOSSE, op. cit., p. 513.
219
P. ABADIE, Entreprise responsable et environnement : recherche d’une systématisation en droits français et
américain, Paris 1, Bruylant, 2013, p. 304.
220
CEDH, 9 décembre 1994, Lopez Ostra c. Espagne, préc., § 52.
57
hypothèse est ainsi à rapprocher de l’obligation de remise en état existant en matière de police
des installations classées221.
221
Code de l’environnement, Dalloz, 17ème édition, 2014, Article L. 512-6-1.
222
F. SUDRE, op. cit., p. 231.
223
« La marge nationale d’appréciation va donc de pair avec un contrôle européen. », CEDH, 7 décembre 1976,
Handyside c. Royaume-Uni, § 49.
224
Protocole n° 15 portant amendement à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés
fondamentales du 24 juin 2013, Article 1 : « […] Affirmant qu’il incombe au premier chef aux Hautes Parties
contractantes, conformément au principe de subsidiarité, de garantir le respect des droits et libertés définis dans
la présente Convention et ses protocoles, et que, ce faisant, elles jouissent d’une marge d’appréciation sous le
contrôle de la Cour européenne des Droits de l’Homme instituée par la présente Convention. ».
58
Comme toute matière soumise au contentieux de la CEDH, la théorie de la marge
nationale d’appréciation trouve à s’appliquer dans le cadre de la protection de
l’environnement. À l’exception de certains cas, les États se voient généralement reconnaître
une marge d’appréciation assez large dans la mise en œuvre de la protection de
l’environnement (A). Toutefois, il est intéressant de souligner qu’au regard de certaines
spécificités environnementales, cette liberté affichée se voit opposer certaines limites (B).
Rolv Ryssdal définissait ainsi cette notion, « […] le domaine discrétionnaire laissé aux
sociétés démocratiques pour décider de ce qui est nécessaire. »225. Cette définition permet de
saisir d’emblée dans quel terrain se situe la théorie de la marge nationale d’appréciation : celui
d’une liberté laissée aux États dans la mise en œuvre des mesures garantissant l’exercice des
droits prévus à la convention. Il s’agit avant tout, pour la CEDH, de rappeler que « […] la
Convention est un instrument non d’uniformisation mais d’harmonisation des droits internes
[…] »226 et qu’elle est bien « […] sensible à la diversité européenne […]. »227.
59
contrôle des obligations positives. Dans le cas d’un contrôle de l’ingérence étatique, la Cour
se livre à un contrôle de proportionnalité pour déterminer l’étendue de la marge
d’appréciation reconnue en l’espèce. Comme l’explique Frédéric Sudre228, ce contrôle dépend
de 3 critères principaux, « la nature du droit en cause ou des activités en jeu », « le but de
l’ingérence » et « la présence ou absence d’un dénominateur commun aux systèmes
juridiques des États »229.
Partant, une marge nationale d’appréciation étendue signale donc la volonté de la CEDH
de reconnaître la compétence de l’État en la matière du litige. Cela se retrouve par exemple
pour des situations que la Cour juge complexes ou délicates tels qu’une politique
d’urbanisation ou la survenance d’un danger public justifiant la mise en œuvre de mesures
dérogatoires prévues à l’article 15 de la conv. EDH230.
Les États se voient aussi reconnaître une marge d’appréciation étendue dans l’appréciation
de l’intérêt général ainsi que de ses « produits dérivés »231, tels que l’utilité publique en
matière d’expropriation232 ou les composantes de l’ordre public233. Selon Denys Simon, cela
se justifie par le fait que les autorités nationales sont sans doute les plus à même de saisir
« […] l’intensité des exigences d’intérêt général et les données économiques, sociales,
politiques qui justifient l’intervention de la puissance publique. »234.
228
F. SUDRE, op. cit., pp. 235-238.
229
CEDH, 28 novembre 1984, Rasmussen c. Danemark, § 40.
230
CEDH, 18 janvier 1978, Irlande c. Royaume-Uni, préc., § 207 ; A.-D. OLINGA et C. PICHERAL, « La
théorie de la marge d’appréciation dans la jurisprudence récente de la cour européenne des droits de l’Homme »,
RTDH, 1995, p. 578.
231
D. SIMON, op. cit., p. 48.
232
CEDH, 21 février 1986, James et autres c. Royaume-Uni, § 46.
233
CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni, préc., § 48.
234
D. SIMON, op. cit., p. 53.
60
2. L’application particulière de la théorie de la marge nationale d’appréciation en matière
de protection de l’environnement
La protection de l’environnement fait donc partie des domaines, pour lesquels la CEDH
laisse une marge d’appréciation étendue aux États, notamment dans le cas d’ingérences
étatiques dans les droits prévus à la conv. EDH. Bien que cette théorie ne fasse pas l’objet
d’une application uniforme, il apparaît que la jurisprudence en la matière soit relativement
constante et soit rappelée régulièrement dès l’examen de la recevabilité d’une requête235. De
manière relativement claire, la Cour affirme ainsi que les domaines « […] tels que celui de
l’urbanisme ou de l’environnement, […] constituent par excellence des domaines
d’intervention de l’État […] »236.
Comme évoqué plus haut, le choix d’une telle marge d’appréciation se comprend
totalement au regard de la politique judiciaire menée par la CEDH. Par habitude, la Cour
préfère, en effet, ne pas opérer un contrôle trop poussé sur les politiques d’aménagement et
d’environnement menées par les États tant que ceux-ci n’interfèrent pas de manière trop
importante dans un droit « intime » protégé par la convention237. Ce retrait est souvent justifié
par la Cour, par les facilités qu’ont les États pour comprendre les enjeux existant au niveau
local, notamment grâce à la visite des lieux, la collecte des arguments des parties et les
interrogations de témoins, par exemple238. La Cour considère ainsi qu’elle « […] n’a pas
qualité pour substituer son propre point de vue sur ce que pourrait être la meilleure politique
en matière d’aménagement foncier ou les mesures individuelles les plus adéquates dans les
affaires ayant trait à ce domaine. »239.
Cette position s’inscrit en droite ligne de celle adoptée à l’origine dans l’affaire
Handyside notamment dans la mesure où les États sont sans doute mieux placés que la Cour
pour considérer ce qui relève de l’intérêt général ou non. Toutefois, il est intéressant de
relever que si la Cour s’accorde souvent avec les États sur leur conception de la protection de
l’environnement en tant qu’intérêt général, elle semble conserver un certain contrôle sur cette
235
CEDH, 23 septembre 2004, Kapsalis et Nima-Kapsali c. Grèce (recevabilité) ; CEDH, 17 janvier 2006,
Luginbühl c. Suisse (recevabilité).
236
CEDH, 23 septembre 2004, Kapsalis et Nima-Kapsali c. Grèce (recevabilité), préc., § 3.
237
CEDH, Gr. Ch., 8 juillet 2003, Hatton et autres c. Royaume-Uni, préc., § 103.
238
CEDH, 18 janvier 2001, Chapman c. Royaume-Uni, préc., § 92.
239
CEDH, 25 septembre 1996, Buckley c. Royaume-Uni, préc., § 75 ; J. DUFFAR, « Environnement et
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme : quelques considérations pratiques », in
Confluences, mélanges en l’honneur de Jacqueline MORAND-DEVILLER, Montchrestien, 2007, p. 800.
61
qualification. L’arrêt Hamer en est ainsi une parfaite illustration. Dans cet arrêt, la Cour
reconnaît là encore l’existence d’une marge d’appréciation étendue en matière de protection
de l’environnement240, mais elle semble aussi venir conforter la conception étatique de
l’intérêt général. La Cour établit ainsi que « des impératifs économiques et même certains
droits fondamentaux, comme le droit de propriété, ne devraient pas se voir accorder la
primauté face à des considérations relatives à la protection de l’environnement, en particulier
lorsque l’État a légiféré en la matière. »241.
Cette formule est très intéressante puisque la Cour va bien dans le sens de l’État mais
pousse son argumentation encore plus loin que celui-ci, donnant ainsi le sentiment qu’elle
formule certaines recommandations à l’État sur la valeur de la protection de l’environnement
en tant qu’intérêt général dans l’ordre interne, alors que celui-ci y est censé jouir d’une
certaine liberté. La CEDH opère une légère immixtion dans les politiques environnementales
nationales puisqu’elle effectue, par ce biais, un certain encadrement de l’intérêt général
national attaché à la protection de l’environnement242 en affirmant de manière répétée la place
prééminente occupée par un tel intérêt général243.
Ainsi, en dépit du choix initial d’une marge d’appréciation plus étendue, la CEDH
semble-t-elle opérer un contrôle indirect sur les politiques de protection de l’environnement.
Nonobstant que la Cour maintienne un contrôle des ingérences indifféremment de l’étendue
de la marge nationale d’appréciation, celle-ci maintient une vérification du bien-fondé de
l’intérêt général de manière régulière, réduisant ainsi la liberté laissée initialement à l’État. Un
tel constat nous amène à remettre en cause l’affirmation affichée de la Cour d’une liberté
étatique dans la mise en œuvre des politiques d’environnement. Cette liberté est d’autant plus
remise en cause à l’occasion du contrôle de l’ingérence dans les droits environnementaux
pouvant donner lieu à un examen des politiques de protection de l’environnement de manière
indirecte.
240
CEDH, 27 novembre 2007, Hamer c. Belgique, préc., § 78.
241
Ibid., § 79.
242
D. SIMON, op. cit., p. 53.
243
CEDH, 27 avril 2004, Gorraiz Lizarraga et autres c. Espagne, préc., § 70 ; CEDH, 28 juillet 2005,
Alatulkkila et autres c. Finlande, § 67 ; CEDH, 29 mars 2010, Brosset-Triboulet et autres c. France, § 87 ;
CEDH, 29 mars 2010, Depalle c. France, préc., § 84.
62
B- L’encadrement de la compétence étatique en matière de protection de
l’environnement par la CEDH
Malgré une volonté affichée d’accorder une marge d’appréciation étendue en matière de
protection de l’environnement, la CEDH opère un contrôle parfois approfondi de manière
indirecte sur la politique étatique en la matière. Par le biais de sa jurisprudence en matière de
droits environnementaux, la Cour tend à intervenir dans la mise en œuvre de certaines
politiques environnementales (1). Elle rappelle ainsi la connexité existante entre les droits
environnementaux et l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement qui révèle
une certaine inadaptation de la théorie de la marge d’appréciation en matière de protection de
l’environnement (2).
1. Le contrôle indirect de la politique environnementale des États par le biais des droits
environnementaux
Parmi les critères pris en compte pour retenir ou non l’extension de la marge nationale
d’appréciation, se trouve notamment « la nature du droit en cause »244. Le droit prévu à la
convention, au cœur du litige porté devant la CEDH impacte grandement l’étendue de la
marge nationale d’appréciation. Ainsi, dans le cas des droits environnementaux, comme
l’explique Daniel Garcia San José, « selon la jurisprudence environnementale de la Cour, dès
qu’un aspect intime des droits de l’individu est en jeu (par exemple l’intimité dans le cadre de
la vie privée), les raisons doivent être particulièrement convaincantes et une marge
d’appréciation plutôt étroite est concédée aux États contractants. »245. En revanche, des droits
« exclusivement civils » donnent lieu à une marge d’appréciation plus grande246. Cette
différence, qui n’est pas propre pour autant aux droits environnementaux247, s’explique par le
caractère objectif des droits tels que le droit à la vie privée ou le droit à la vie qui doivent être
protégés indifféremment des circonstances locales. Pour Jean Duffar, cette différence de
marge d’appréciation peut aussi être comprise sous l’angle de l’éthique dans le cas du droit à
244
F. SUDRE, op. cit., p. 235.
245
D. GARCIA SAN JOSÉ, op. cit., p. 51.
246
CEDH, 29 mars 2010, Depalle c. France, préc., § 84.
247
« […] il ne serait pas indiqué que la Cour adopte en la matière une démarche particulière tenant à un statut
spécial qui serait accordé aux droits environnementaux de l’Homme. » ; CEDH, Gr. Ch., 8 juillet 2003, Hatton
et autres c. Royaume-Uni, préc., § 122.
63
la vie. « […] Les autorités ne peuvent légitimement invoquer leur marge d’appréciation
[…] »248 face à la mort de plusieurs personnes249.
Ce cadre normatif, dont les limites ne sont pas précisées, peut conduire la Cour à
s’immiscer dans le choix de certaines politiques environnementales qui peuvent avoir trait à
des activités pouvant causer des dommages à l’environnement et à la santé humaine. Cet
examen s’avère logique par rapport à l’ingérence dans un droit « intime » prévu à la
convention, potentiellement induite par la politique environnementale251. Toutefois, par la
connexité existante entre l’intérêt général et les droits de l’Homme en matière
d’environnement, la CEDH peut ainsi être amenée à examiner certaines politiques
environnementales menées par l’État bénéficiant habituellement d’une marge d’appréciation
étendue.
248
CEDH, Gr. Ch., 30 novembre 2004, Öneryildiz c. Turquie, préc., § 128.
249
J. DUFFAR, op. cit., p. 799.
250
CEDH, 20 mars 2008, Boudaïeva et autres c. Russie, préc., § 129-132 ; CEDH, 27 janvier 2009, Tătar c.
Roumanie, préc., § 88.
251
CEDH, Gr. Ch., 8 juillet 2003, Hatton et autres c. Royaume-Uni, préc., § 103.
64
prévention efficace et dissuadant de mettre en péril le droit à la vie. »252. Cette prévention
s’opère ainsi dans le cadre des activités dangereuses. La Cour détaille les différents moyens à
mettre en œuvre par l’État qui doit « […] régir l’autorisation, la mise en place, l’exploitation,
la sécurité et le contrôle afférents à l’activité ainsi qu’imposer à toute personne concernée
par celle-ci l’adoption de mesures d’ordre pratique propres à assurer la protection effective
des citoyens dont la vie risque d’être exposée aux dangers inhérents au domaine en
cause. »253.
La CEDH dégage un certain nombre de pratiques devant être suivies par la Turquie qui
vont impacter d’autres politiques pouvant être menées en matière de protection de
l’environnement. Par exemple, il paraît logique, au vu des circonstances de cette affaire, que
la Turquie doive modifier sa politique en matière de gestion des bidonvilles et de stockage des
déchets, indépendamment du fait qu’elle soit mieux placée que la CEDH pour apprécier les
circonstances locales. En effet, les enjeux environnementaux et sanitaires conduisent une
nouvelle fois la Cour à examiner de manière indirecte, certaines problématiques relevant
normalement d’une marge d’appréciation étendue de l’État.
La CEDH parvient donc à opérer un contrôle renforcé dans des matières laissées
habituellement à la discrétion, à travers le contrôle des ingérences dans les droits
environnementaux. Un tel constat rappelle la connexité existante entre les droits
environnementaux et l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement puisque les
mesures prises dans le cadre de l’un, impactent l’autre. Cette connexité présente dans la
matière environnementale rend ainsi difficile une mise en œuvre cohérente de la marge
nationale d’appréciation révélant une certaine inadaptation de celle-ci aux spécificités
environnementales.
252
CEDH, Gr. Ch., 30 novembre 2004, Öneryildiz c. Turquie, préc., § 89.
253
Ibid., § 90 ; CEDH, 30 mars 2010, Băcilă c. Roumanie, § 61 ; A. GOURITIN, « La jurisprudence de la cour
européenne des droits de l’Homme sur les obligations positives en matière environnementale peut-elle
s’appliquer aux changements climatiques ? », in C. COURNIL et C. COLARD-FABREGOULE (dir.),
Changements climatiques et défis du droit, Bruylant Bruxelles, 2010, p. 264.
65
2. L’inadaptation de la théorie de la marge nationale d’appréciation à la protection de
l’environnement
Selon Michele De Salvia, en dehors de ces cas limités, dans de nombreuses hypothèses «
[…] la référence à la “marge d’appréciation” s’analyse en fait, comme un rappel de
caractère routinier, voire comme une simple clause de style, et où le raisonnement suivi en
amont suffit largement à justifier la solution adoptée. »256. Cette critique s’applique
parfaitement à la protection de l’environnement où la référence à la théorie de la marge
d’appréciation paraît superficielle au regard du degré de contrôle de la CEDH257.
254
Conv. EDH, Article 15.
255
Conv. EDH, Protocole additionnel n° 1, Article 1 al. 2.
256
M. DE SALVIA, « Contrôle européen et principe de subsidiarité - Faut-il encore (et toujours) émarger à la
marge d’appréciation ? » in Protection des droits de l’Homme : la perspective européenne, mélanges en la
mémoire de Rolv RYSSDAL, Carl Heymanns Verlag KG, 2000, p. 384.
257
CEDH, 27 novembre 2007, Hamer c. Belgique, préc., § 78-79.
258
CEDH, 28 novembre 1984, Rasmussen c. Danemark, préc., § 40 ; F. SUDRE, op. cit., pp. 237-238.
66
différenciée dans des États « […] aussi dissemblables que Saint-Marin et la Russie »259, la
CEDH semble avoir déjà fait de la protection de l’environnement, un dénominateur commun
aux États membres.
Ce constat peut être dressé au regard des obligations positives imposées aux États
membres sur la base de traités internationaux. Par l’imposition de tels mécanismes, la Cour
estime que la protection de l’environnement doit faire l’objet d’une application uniforme
indépendamment des spécificités nationales et de l’adhésion ou non à la norme
internationale260. La protection de l’environnement revêt donc une valeur « universelle » et à
ce titre, la présence d’un « dénominateur commun » pour fonder la marge nationale
d’appréciation ne semble pas nécessaire.
L’hypothèse de cette réflexion en amont des litiges ainsi que l’affirmation de la protection
de l’environnement comme dénominateur commun aux États invitent à prendre du recul sur
l’ensemble de la jurisprudence environnementale pour appréhender l’objectif d’ensemble
poursuivi par la CEDH. En effet, par l’action de sa jurisprudence, la Cour a poussé les États à
prendre des mesures traduisant une prise en compte de plus en plus importante des
thématiques environnementales. Le contrôle opéré par les juges de Strasbourg sur les actions
étatiques relève d’une véritable démarche sensibilisatrice aux problématiques
environnementales avec deux conséquences notables à relever. D’un côté, une conséquence
jurisprudentielle avec l’émergence d’un ordre public européen écologique et de l’autre côté,
259
D. SAN GARCIA JOSÉ, op. cit., p. 52.
260
CEDH, 10 novembre 2004, Taşkin et autres c. Turquie, préc., § 99 ; CEDH, 12 novembre 2008, Demir et
Baykara c. Turquie, préc., § 83.
261
J. CALLEWAERT, op. cit., p. 165.
262
Ibid.
67
une conséquence plus politique, avec les réflexions autour de l’élaboration d’un protocole sur
l’environnement.
68
Section 2 : Le contrôle des actions étatiques à travers la démarche
sensibilisatrice de la jurisprudence environnementale de la CEDH
Depuis les années 90, la jurisprudence de la CEDH est marquée par une prise en
compte de plus en plus importante de la problématique environnementale. Cette prise en
compte s’inscrit dans un mouvement général qui tend à placer la protection de
l’environnement parmi les valeurs défendues par la Cour, malgré son absence originelle au
sein de la conv. EDH. Outre une volonté accrue de conférer une certaine effectivité aux
thématiques environnementales, la CEDH tend, dans le même mouvement, à sensibiliser de
plus en plus les États à ces différentes thématiques.
263
F. SUDRE, « Existe-t-il un ordre public européen ? », in P. TAVERNIER (dir.), Quelle Europe pour les
droits de l’Homme ? : La cour de Strasbourg et la réalisation d’une union plus étroite, Bruylant Bruxelles, coll.
Organisation internationale et relations internationales, 1996, p. 43 ; N. BELAÏDI, La lutte contre les atteintes
globales à l’environnement : vers un ordre public écologique ?, Dijon, Bruylant Bruxelles, 2004, p. 58 ; A.
KISS, « L’ordre public écologique », in M. BOUTELET et J.-C. FRITZ (dir.), op. cit., p. 158 ; S. LETURCQ,
op. cit., p. 92 ; D. SIMON, op. cit., p. 48.
264
CEDH, 22 mai 2003, Kyrtatos c. Grèce, préc., § 52 ; CEDH, 8 juillet 2003, Gr. Ch., Hatton et autres c.
Royaume-Uni, préc., § 122.
69
§1 L’action sensibilisatrice de la jurisprudence environnementale de la CEDH par
la notion d’ordre public européen écologique
L’émergence d’un ordre public européen écologique apparaît comme l’une des
conséquences de l’importance prise progressivement par la jurisprudence environnementale
de la CEDH. En effet, à travers ses diverses décisions et par le biais des outils à sa disposition
(A), la Cour a esquissé la mise en œuvre d’un ordre public européen écologique (B).
L’émergence progressive de cet ordre public résulte ainsi de deux facteurs combinés.
D’une part, la sensibilisation progressive de la CEDH aux thématiques environnementales (1)
et d’autre part, l’utilisation de ses mécanismes propres en matière de protection de
l’environnement (2).
La notion d’ordre public européen a été consacrée par l’arrêt Loizidou qui fait de la
convention « [l’] instrument constitutionnel de l’ordre public européen. »265. La référence à
cette notion permet à la CEDH d’entériner la « nature particulière »266 de la conv. EDH et
marque « […] la volonté progressiste du juge européen : il s’agit d’assurer non seulement la
sauvegarde mais aussi le développement des droits de l’Homme. »267. En somme, le recours à
l’ordre public européen s’inscrit dans l’optique de développer le champ d’application de la
conv. EDH afin de maintenir l’effectivité de la protection des droits de l’Homme face aux
évolutions potentielles de la société268.
265
CEDH, Gr. Ch., 23 mars 1995, Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), préc., § 75.
266
Ibid., § 93.
267
F. SUDRE et al., op. cit., p. 12.
268
« La Cour rappelle en outre que la Convention est un instrument vivant à interpréter […] à la lumière des
conditions de vie actuelles », CEDH, 25 avril 1978, Tyrer c. Royaume-Uni, § 31.
70
s’est appuyée sur la sensibilisation progressive de la société aux problématiques
environnementales269. La place prise par la protection de l’environnement au sein de la sphère
publique permet à la Cour de légitimer certaines de ses décisions validant les ingérences
étatiques dans l’exercice des droits prévus à la convention270.
269
CEDH, 18 février 1991, Fredin (n° 1) c. Suède, préc., § 48.
270
CEDH, 27 novembre 2007, Hamer c. Belgique, préc., § 79 ; CEDH, 28 septembre 2010, Mangouras c.
Espagne, préc., § 86.
271
CEDH, 26 février 2008, Fägerskiöld c. Suède (recevabilité), préc., p. 14.
272
« […] la Cour européenne pose le postulat de l’existence d’un ensemble de règles perçues comme
fondamentales pour la société européenne et s’imposant à ses membres. », F. SUDRE et al., op. cit., p. 10.
273
Ibid., p. 11 ; CEDH, 30 janvier 1998, Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, § 45.
274
Voir notamment conv. EDH, Article 8 § 2 ; CEDH, 26 février 2008, Fägerskiöld c. Suède (recevabilité),
préc., p. 14.
275
A. VAN LANG, « L’ordre public écologique », in C.-A. DUBREUIL (dir.), L’ordre public, Cujas, coll. Actes
et études, 2013, p. 206 ; A. KISS, op. cit., p. 167.
71
bien-être en société et plus largement une harmonie sociale et constitué par les milieux
naturels, la faune, la flore, l’eau, la qualité de l’air, ainsi que, plus précisément, par la
diversité et les équilibres biologiques. »276. Il ressort de cette définition, que nous transposons
au cas de la CEDH, que l’ordre public européen écologique viserait la garantie du droit à un
environnement sain, droit protégé « par ricochet ». La protection de l’environnement en tant
qu’intérêt général participerait donc de cet effort commun.
2. L’émergence d’un ordre public européen écologique par l’action des mécanismes de
contrôle de la CEDH
276
M.-C. VINCENT-LEGOUX, « L’ordre public écologique en droit interne », in M. BOUTELET et J.-C.
FRITZ (dir.), op. cit., p. 104.
277
F. SUDRE, « Les “obligations positives” dans la jurisprudence européenne des droits de l’Homme », RTDH,
1995, p. 384.
72
Cette relation entre la doctrine des obligations positives et l’ordre public européen est
aussi relevée par Nadia Belaïdi qui relève que « […] les obligations positives peuvent ainsi
accréditer l’image d’un ordre public européen qui ne se bornerait pas à préserver un acquis
mais tendrait vers un aménagement social plus harmonieux. »278. Par cette formule, l’auteur
rappelle l’amélioration constamment poursuivie par l’ordre public européen dans laquelle se
retrouve sa déclinaison environnementale.
En effet, les obligations positives, en imposant des mesures aux États, parties ou non au
litige279, permettent de fonder le corps de règles uniforme qui constitue l’ordre public
européen. Afin de garantir le même niveau de protection du droit à un environnement sain, la
CEDH impose ainsi les mêmes exigences à tous, indépendamment de la situation des États.
L’ordre public européen écologique participe de cette logique unique qui veut que le droit
à un environnement sain soit conçu comme un standard minimum respecté partout dans la
communauté des États membres. À ce titre, il est donc intéressant d’étudier les effets rattachés
à la notion d’ordre public européen écologique sur ses destinataires principaux à savoir, les
États membres.
Par l’affirmation de l’existence d’un ordre public européen, la CEDH a donc cherché à
attribuer une effectivité accrue à la conv. EDH. En effet, au nom de cet ordre public, la Cour
s’avère légitime pour étendre son champ d’application au-delà des limites de la convention.
278
N. BELAÏDI, op. cit., p. 340.
279
CEDH, 18 janvier 1978, Irlande c. Royaume-Uni, préc., § 154.
73
L’ordre public européen écologique en tant que déclinaison environnementale de la première
notion bénéficie ainsi de ces différents effets recouverts par l’ordre public européen.
La notion d’ordre public européen vise aussi à garantir l’exercice efficace du droit de
recours individuel qui ne doit pas se voir entraver par l’État par exemple283. De même, la
référence à cette notion permet aussi à la Cour de refuser la radiation d’une affaire du rôle
« […] si le respect des droits de l’Homme garantis par la Convention et ses Protocoles
l’exige. »284. C’est au titre de l’intérêt général et de l’ordre public européen que la CEDH
décide de la radiation ou non d’une affaire du rôle en particulier lorsque celle-ci est relative à
une question « […] intéressant non seulement l’État partie mais aussi les autres États
membres. »285. Ces différentes fonctions de l’ordre public européen s’appliquent à sa
déclinaison environnementale et permettraient ainsi à la CEDH de refuser la radiation du rôle
d’un litige dans la mesure où l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement le
commanderait.
La mise en œuvre d’un ordre public européen écologique participerait aussi grandement
d’une mission de légitimation de la jurisprudence environnementale de la CEDH. Cette
légitimation peut s’avérer nécessaire dans la mesure où la Cour a procédé à plusieurs reprises
à des décisions extrêmement novatrices s’écartant de la lettre de la conv. EDH et qui ont pu
entraîner certains remous du côté des États membres.
280
F. SUDRE et al., op. cit., p. 13.
281
CEDH, 10 juillet 1978, Chypre c. Turquie (recevabilité), § 10 et 13.
282
CEDH, 29 avril 1988, Belilos c. Suisse, § 59-60 ; F. SUDRE, op. cit., p. 44.
283
CEDH, 23 septembre 1998, Petra c. Roumanie, § 44.
284
Conv. EDH, Article 37, § 1 ; F. SUDRE et al., op. cit., p. 15.
285
Ibid. ; CEDH, 24 juillet 2003, Kärner c. Autriche, préc., § 25-27.
74
Ainsi, nous voyons, dans l’ordre public européen écologique, l’opportunité pour la CEDH
de légitimer la dimension environnementale transversale de la convention286. La Cour de
Strasbourg reconnaît, en effet, un aspect environnemental à certains droits prévus à la conv.
EDH dès lors que leur protection effective le commande. La reconnaissance de la valeur
d’ordre public permettrait à la Cour d’étendre l’aspect environnemental encore peu développé
au sein d’autres droits prévus à la convention287. De plus, la notion d’ordre public européen
écologique participe du mouvement décrit au sein du premier chapitre établissant la
réalisation de l’intérêt général attaché à la protection de l’environnement par le prisme des
droits de l’Homme288.
L’érection d’un ordre public européen écologique bénéficierait donc, en grande partie, des
effets recouverts par l’ordre public européen en tant que tel et contribuerait à une légitimation
de sa jurisprudence environnementale. Toutefois, au-delà de ces différents apports, la mise en
œuvre d’une telle notion ne va pas sans poser certaines difficultés vis-à-vis des principaux
destinataires des décisions de la CEDH, les États membres.
L’ordre public européen écologique s’appliquerait aux États membres de manière tacite
dans la mesure où, en adhérant à la conv. EDH, ces derniers en acceptent les principes
fondamentaux et mécanismes de contrôle. Cette acceptation tacite est parfaitement résumée
par Caroline Picheral qui estime que « l’invocation d’un ordre public trouve ainsi sa
justification théorique dans l’idée qu’en adhérant à la conv. EDH, les États parties ont
entendu affirmer leur attachement aux valeurs, comprises comme supérieures et irréductibles,
d’un modèle partagé de société et d’organisation politique, dont la sauvegarde et la
promotion apparaissent à ce point d’intérêt public qu’elles suscitent l’institution d’un organe
juridictionnel international de contrôle. »289.
286
D. GARCIA SAN JOSÉ, op. cit., p. 61.
287
Conv. EDH, Article 3 : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou
dégradants. » ; CEDH, 14 septembre 2010, Florea c. Roumanie, § 63-65 ; CEDH, 25 janvier 2011, Elefteriadis
c. Roumanie, § 53-55.
288
« Il en résulte que l’ordre public européen, fût-il constitué de libertés, et ces libertés fussent-elles
individuelles, sert toujours un intérêt général. », N. BELAÏDI, op. cit, p. 334.
289
C. PICHERAL, « L’ordre public dans les droits européens », in C.-A. DUBREUIL (dir.), op. cit., p. 107.
75
Toutefois, malgré sa volonté d’imposer un corps de règles uniforme à la communauté des
États membres, la CEDH reconnaît l’existence de certains éléments pouvant faire obstacle à la
mise en place d’un niveau de protection équivalent sur l’ensemble de la juridiction de la Cour.
Comme nous avons pu le développer plus haut, la mise en œuvre de l’ordre public européen
écologique se traduirait donc par un ensemble de règles fondamentales permettant d’assurer le
même niveau de protection d’un droit à un environnement sain notamment par le biais des
obligations positives. Cependant, la Cour, consciente des différences pouvant exister entre les
membres du Conseil de l’Europe, fait le choix à certains égards de différencier les obligations
positives « […] en fonction de la diversité des situations dans les États contractants, et des
choix à faire en termes de priorités et de ressources. »290.
Toutefois, comme nous avons pu l’observer lors des développements sur la marge
nationale d’appréciation, le juge bien que conscient de certaines spécificités nationales, n’a
pas hésité à inciter les États à mettre en œuvre un cadre normatif adéquat permettant une
protection efficace de l’environnement immédiat des citoyens. La Cour, prenant appui sur la
place importante de la protection de l’environnement, pourrait poursuivre dans le même
mouvement jurisprudentiel et passer outre certaines particularités nationales pour établir de
manière ferme l’ordre public européen écologique.
290
CEDH, 16 mars 2000, Özgür Gündem c. Turquie, § 43 ; CEDH, 22 février 2005, Novosseletski c. Ukraine, §
70 ; J. DUFFAR, op. cit., p. 792.
291
CEDH, 9 octobre 1979, Airey c. Irlande, préc., § 26.
76
Il ressort de ces courts développements que l’ordre public européen écologique, à défaut
d’une reconnaissance expresse au sein de la jurisprudence de la CEDH, peut être décelé à
travers différents indices attestant d’une volonté de la Cour d’imposer un corps de règles
uniforme s’imposant à tous les États contractants en matière de droit à un environnement
protégé. Toutefois, la jurisprudence environnementale de la Cour ayant déjà subi plusieurs
coups d’arrêts manifestés notamment par les décisions Hatton et Kyrtatos de 2003, la
construction d’un ordre public européen écologique peut sembler bien précaire. Afin de
consolider cette sensibilisation générale des États contractants aux thématiques
environnementales, l’élaboration d’un protocole additionnel sur l’environnement semble a
priori nécessaire.
292
« On n’improvise pas une codification internationale. […] L’expérience démontre qu’il faut d’abord faire la
juridiction. Alors, la jurisprudence tranche des cas, elle élabore progressivement une jurisprudence. […] Par le
développement de cette jurisprudence, elle fait pénétrer, jour après jour, le droit qu’elle élabore dans la
pratique et la coutume des pays qu’elle gouverne. Puis, longtemps après, une codification peut venir qui fixe et
cristallise les résultats acquis dans l’expérience juridictionnelle. », P.-H. TEITGEN, Aux sources de la Cour et
de la Convention européennes des droits de l’Homme, Confluences, coll. « Voix de la cité », 2000, pp. 22-23.
77
consacrer l’importance des thématiques environnementales déjà reconnue dans la
jurisprudence de la CEDH (2).
Ce dernier s’est dit, en revanche, plus favorable à la rédaction d’un manuel ou de lignes
directrice reprenant la jurisprudence de la CEDH en la matière. La rédaction d’un manuel fut
préférée et ce document, paru en 2006, constitue actuellement le premier et seul texte du
293
Recommandation n° 683 du 23 octobre 1972, « relative aux suites à donner aux conclusions de la conférence
parlementaire sur les droits de l’Homme ».
294
Recommandation n° 720 du 28 septembre 1973, « relative aux résultats de la Conférence ministérielle sur
l’environnement ».
295
Recommandation n° 1431 du 4 novembre 1999, « action future du Conseil de l’Europe en matière de
protection de l’environnement ».
296
Recommandation n° 1614 du 27 juin 2003, « environnement et droits de l’Homme ».
297
Y. WINISDOERFFER et G. DUNN, « Le manuel sur les droits de l’Homme et l’environnement : ce que les
États membres du Conseil de l’Europe retiennent de la jurisprudence “environnementaliste” de la Cour
Européenne des Droits de l’Homme », RJE, 2007, n° 4, pp. 468-470.
298
Ibid., p. 469.
78
Conseil de l’Europe relatif aux droits de l’Homme et à l’environnement299. Pour les auteurs de
l’article, bien que ce document ne constitue pas « un pas de géant vers l’inclusion d’un droit
individuel à l’environnement […], il n’est néanmoins pas anodin que cet instrument, rédigé et
avalisé par les États membres, reconnaisse explicitement les implications que la dégradation
de l’environnement peut avoir sur l’exercice des droits fondamentaux. »300.
Au-delà de ces avancées plus ou moins importantes au sein du Conseil de l’Europe pour
l’élaboration d’un protocole additionnel sur l’environnement, la doctrine s’est prononcée à
plusieurs reprises en faveur d’un tel protocole. En effet, pour une grande partie des auteurs,
l’élaboration d’un protocole additionnel représente une étape indispensable pour le
développement de la jurisprudence environnementale, « […] la Cour, à défaut d’un protocole
additionnel spécifique qui lui servirait de boussole, navigue à vue. »301. En effet, un protocole
additionnel sur l’environnement permettant la consécration textuelle des nombreuses avancées
en matière de protection de l’environnement poursuivies par la CEDH, témoigne d’une
véritable attente au sein de la doctrine302.
299
http://www.echr.coe.int/LibraryDocs/DH_DEV_Manual_Environnement_Fr.pdf.
300
Y. WINISDOERFFER et G. DUNN, op. cit., p. 471.
301
F. SUDRE et al., op. cit.., p. 510.
302
J.-C. MARTIN, « La contribution de la cour européenne des droits de l’Homme au développement du droit à
l’environnement », in O. LECUCQ et S. MALJEAN-DUBOIS (dir.), Le rôle du juge dans le développement du
droit de l’environnement, Bruylant Bruxelles, coll. À la croisée des droits, 2008, p. 173 ; M. DÉJEANT-PONS, «
L’insertion du droit de l’Homme à l’environnement dans les systèmes régionaux de protection des droits de
l’Homme », RUDH, 1991, vol. 3, n° 1, p. 470 ; J.-F. RENUCCI, Traité de droit européen des droits de
l’Homme, LGDJ - Lextenso éditions, 2ème édition, 2012, p. 799 ; D. GARCIA SAN JOSÉ, op. cit., p. 68.
303
CEDH, Gr. Ch., 8 juillet 2003, Hatton et autres c. Royaume-Uni, préc., opinion dissidente commune à M.
COSTA, M. RESS, M. TÜRMEN, M. ZUPANČIČ et M me STEINER, juges.
304
CEDH, 22 mai 2003, Kyrtatos c. Grèce, préc., opinion en partie dissidente de M. le juge ZAGREBELSKY.
79
2. L’opportunité d’un protocole additionnel à la convention européenne sur
l’environnement
Bien que nous ne puissions que supposer le contenu d’un éventuel protocole consacré à
l’environnement, il y a fort à parier que celui-ci reprenne pour partie les développements
jurisprudentiels de la Cour rattachant le droit à un environnement sain aux autres droits de la
convention, en consacrant de manière expresse ce droit et en prévoyant les conditions
d’encadrement de son exercice. Dans le cadre de notre sujet d’étude, nous pouvons ainsi
estimer que la protection de l’environnement comme composante de l’intérêt général fasse
aussi l’objet d’une consécration textuelle au regard de l’importance prise par la notion dans la
jurisprudence de la Cour. L’inscription des thématiques environnementales dans la conv.
EDH à travers un protocole additionnel conduirait, en creux, à la reconnaissance de leur
valeur constitutionnelle.
305
J.-P. MARGUÉNAUD, « Faut-il adopter un Protocole n° 15 relatif au droit à l’environnement ? », in L.
ROBERT (dir.), op. cit., p. 81.
306
J. MORANGE, Manuel des droits de l’Homme et libertés publiques, PUF, coll. Droit fondamental, 2007, pp.
273-274.
80
moment donné contre un risque donné. »307. Ces revirements jurisprudentiels apparaissent
comme une conséquence logique de cette interprétation évolutive308.
307
J.-P. MARGUÉNAUD, « Le principe de non-régression et la Cour Européenne des droits de l’Homme », in
M. PRIEUR et G. SOZZO (dir.), op. cit., p. 192.
308
E. LAMBERT, op. cit., p. 312.
309
J.-P. MARGUÉNAUD, op. cit., p. 186.
310
Ibid., pp. 194-195.
311
CEDH, 30 mars 2010, Băcilă c. Roumanie, préc., § 71.
312
CEDH, 2 décembre 2010, Ivan Atanasov c. Bulgarie, § 66.
313
J.-P. MARGUÉNAUD, « Faut-il adopter un Protocole n° 15 relatif au droit à l’environnement ? », in L.
ROBERT (dir.), op. cit., pp. 79-80.
314
CEDH, 28 novembre 2006, Murillo Saldias et autres c. Espagne (recevabilité) ; CEDH, 28 septembre 2010,
Mangouras c. Espagne, préc. ; CEDH, 28 février 2012, Kolyandeko et autres c. Russie ; J.-P. MARGUÉNAUD,
« Le droit à la vie vu par la CEDH » in J.-M. LAVIEILLE, J. BÉTAILLE et M. PRIEUR (dir.), Les catastrophes
écologiques et le droit : échecs du droit, appels au droit, Bruylant, 2012, pp. 117-125.
81
L’élaboration d’un protocole additionnel à la convention européenne relatif à
l’environnement présente de nombreux avantages pour la jurisprudence environnementale de
la CEDH qui bénéficierait ainsi d’une consécration textuelle et, partant, d’une légitimation
accrue. Cette consécration bénéficierait de manière générale à l’ensemble des thématiques
environnementales appréhendées par la Cour, parmi lesquelles se trouve l’intérêt général
attaché à la protection de l’environnement. Néanmoins, il est à noter que si les avantages d’un
protocole additionnel tel que nous l’avons décrit plus haut sont indéniables pour la
jurisprudence environnementale de la CEDH, ce texte peut aussi imposer certaines limites à
celle-ci, limites remettant en cause son opportunité.
L’élaboration d’un protocole additionnel à la conv. EDH sur l’environnement peut en effet
poser certaines difficultés au développement de la jurisprudence environnementale de la Cour.
Ces difficultés sont de deux ordres, celles inhérentes à l’adoption d’un protocole relatif à
l’environnement et celles liées à l’adoption d’un protocole a minima.
Parmi les différents avantages liés à l’adoption d’un protocole relatif à l’environnement,
nous avons considéré qu’un tel texte consacrerait de manière expresse et ferme, le droit à un
environnement sain parmi les droits fondamentaux prévus à la conv. EDH. Toutefois, pour
certains auteurs comme Jean Morange, une telle consécration, comme pour celle d’autres
droits considérés comme « nouveaux », entraîne inévitablement une dilution des autres droits
fondamentaux315. L’auteur, rejoignant Jean Rivero et Robert Pelloux, considère que
l’affirmation de « nouveaux droits de l’Homme » remet en cause tous les efforts effectués sur
le plan interne et international pour la reconnaissance des droits de l’Homme. Celle-ci
entraînerait des situations dans lesquelles « l’enfant à naître se voit ainsi reconnaître le droit
de vivre dans une nature non polluée, alors qu’on ne lui reconnaît pas le simple droit à la vie
[…]. »316. Bien que nous ne souscrivons pas du tout à cette affirmation que nous pensons non
fondée au regard de l’apport que représente la protection de l’environnement pour la
315
J. MORANGE, Droits de l’Homme et libertés publiques, PUF, coll. Droit fondamental, 5 ème édition, 2000, pp.
424-425.
316
Ibid., p. 425.
82
réalisation de certains droits fondamentaux, il nous paraissait intéressant de soulever cette
critique souvent émise à l’occasion de la reconnaissance de « nouveaux » droits de l’Homme.
En effet, la crainte est souvent évoquée que les nouvelles préoccupations l’emportent sur les
précédentes mais dans le cas de la protection de l’environnement, cette crainte nous paraît
moins avérée.
La consécration textuelle d’un droit à un environnement sain dans la conv. EDH pourrait
aussi s’avérer être un obstacle au développement d’une jurisprudence de la CEDH en faveur
de la reconnaissance d’un droit à la protection de l’environnement. En effet, comme la Cour a
pu le rappeler à plusieurs reprises, la conv. EDH ne reconnaît pas de droit à la protection de la
317
J.-P. MARGUÉNAUD, op. cit., pp. 74-75.
318
Ibid., p. 74.
83
nature mais certains arrêts semblaient construire récemment une conception de plus en plus
large du champ d’application du droit à un environnement sain. C’est le cas de l’arrêt Tătar
qui a reconnu « […] les droits des intéressés au respect de leur vie privée et de leur domicile
et plus généralement à la jouissance d’un environnement sain et protégé »319 puis de l’arrêt
Băcilă qui évoque « […] le droit des personnes concernées à jouir d’un environnement
équilibré et respectueux de la santé. »320. À travers ces deux exemples, le droit à un
environnement sain acquiert un champ d’application de plus en plus étendu qui laisse une
frontière de plus en plus mince entre le droit à la protection de l’environnement immédiat de
l’Homme et la protection de la nature pour elle-même.
319
CEDH, 27 janvier 2009, Tătar c. Roumanie, préc., § 107.
320
CEDH, 30 mars 2010, Băcilă c. Roumanie, préc., § 71.
321
C. PICHERAL, « L’hypothèse d’un “droit à” l’environnement », BDEI, 2009, supplément au n° 19, p. 64.
322
B. DE BOYSSON, « Le droit au respect de la vie privée et l’environnement », in L. ROBERT (dir.), op. cit.,
p. 32.
84
ministres323. Suite à la recommandation n° 1614 de 2003 de l’assemblée parlementaire, cet
organe avait eu l’occasion d’affirmer que la jurisprudence environnementale de la CEDH était
suffisante dans le cas de la protection de l’environnement et que, de ce fait, l’élaboration d’un
protocole additionnel n’était pas nécessaire. Il s’agit là d’une position constante puisque le
comité des ministres a de nouveau considéré comme inopportune l’élaboration d’un protocole
sur l’environnement lors de la 1088ème réunion des délégués des ministres du 16 juin 2010.
Cette déclaration faisait suite à une nouvelle recommandation de l’assemblée parlementaire
sur le sujet324. Cette position du comité des ministres est partagée en partie par Jean-Pierre
Marguénaud qui considère que, du point de vue de « la promotion de la protection de
l’environnement au rang des fins supérieures d’intérêt général », « […] la Cour de
Strasbourg a déjà fait beaucoup plus que ce qu’aucun protocole additionnel n’aurait pu
prévoir. »325. Cette formule illustre bien la crainte partagée par certains que l’adoption d’un
protocole additionnel ne soit pas d’une très grande utilité voire qu’il puisse se révéler néfaste
à la jurisprudence environnementale de la CEDH.
Ce dernier cas de figure semble particulièrement se poser dans le cas de l’adoption d’un
protocole a minima. Par cette formule, nous entendons ainsi un texte prévoyant des
dispositions relatives au droit à un environnement sain mais se contentant d’une consécration
assez restreinte des droits environnementaux sans possibilité d’interprétation évolutive par la
CEDH et laissant une grande liberté en la matière au nom du principe de subsidiarité. Ce
scénario apparaît envisageable au regard de la défiance de certains États contractants vis-à-vis
de la jurisprudence extensive de la CEDH. Cette défiance est parfaitement illustrée par le
discours de Brighton du 25 janvier 2012 du Premier Ministre britannique, David Cameron,
dans lequel ce dernier appelait à un renforcement du principe de subsidiarité et une extension
de la marge d’appréciation dans le contrôle de la CEDH326.
Le protocole additionnel serait ainsi l’occasion pour certains États membres de tempérer
un peu les avancées jurisprudentielles de la Cour en matière de protection de l’environnement.
En effet, la jurisprudence de la CEDH, dans le silence des textes, a dû procéder à une
interprétation extrêmement créative pour dégager les différents droits environnementaux
323
Y. WINISDOERFFER et G. DUNN, op. cit., pp. 468-470.
324
Recommandation n° 1885 du 30 septembre 2009, « Élaboration d’un protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l’Homme sur le droit à un environnement sain ».
325
J.-P. MARGUÉNAUD, op. cit., p. 73.
326
https://www.gov.uk/government/speeches/speech-on-the-european-court-of-human-rights.
85
substantiels comme procéduraux ou s’adapter aux évolutions sociétales pour élever la
protection de l’environnement au rang d’intérêt général. Un protocole sur l’environnement a
minima donnerait à la Cour la base textuelle qui lui manque et procèderait donc à un certain
encadrement de ses interprétations en matière de protection de l’environnement.
Le risque représenté par l’élaboration d’un protocole additionnel à la conv. EDH sur
l’environnement contrebalance l’opportunité que peut représenter un tel texte pour le
développement de la jurisprudence environnementale de la CEDH et, partant, de l’extension
du champ de contrôle du standard d’intérêt général attaché à la protection de l’environnement.
L’heure n’étant pas, d’après certains auteurs327, à l’adoption d’un protocole n° 17 sur
l’environnement328, il nous faut donc miser sur une continuité de la jurisprudence récente
tendant vers un champ d’application de plus en plus étendu du droit à un environnement sain,
procédant ainsi d’une meilleure protection de l’environnement en parallèle de celle visée par
le standard d’intérêt général.
327
J.-F. RENUCCI, op. cit., p. 799.
328
Contrairement à ce que suppose le titre de la contribution de J.-P. MARGUÉNAUD, il existe déjà un
protocole n° 15 et même n° 16 à la convention mais ceux-ci ne sont pas relatifs à l’environnement. Voir ainsi
http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/ListeTraites.asp?CL=FRE&CM=8.
86
Conclusion
« Il en est du droit comme de la littérature, les thèmes classiques y sont éternels,
seulement de temps à autre, ils ne paraissent plus adaptés à la mentalité des contemporains et
il convient de les renouveler dans la forme. »329
Il ne nous apparaît pas formule plus adaptée pour conclure notre étude que cette
citation de Maurice Hauriou. En effet, il convient de « renouveler dans la forme » certains
thèmes, c’est justement l’observation que nous pouvons faire de la notion d’intérêt général.
Par l’étude de la jurisprudence de la CEDH, nous avons pu observer comment l’intérêt
général, à travers sa composante environnementale, opère un renouvellement de ses fonctions
que sont celles d’encadrement des droits fondamentaux et de contrôle des actions étatiques.
Au-delà de ce renouvellement que nous pourrions qualifier d’intrinsèque au standard d’intérêt
général, l’exigence de protection de l’environnement a ainsi conduit la Cour à plusieurs
reprises à faire évoluer certains de ses mécanismes de contrôle pour mieux les adapter à cette
mission. Cette évolution a été permise par la réceptivité grandissante de la Cour aux
thématiques environnementales et sa volonté maintenue de garantir la protection la plus
effective des droits prévus à la conv. EDH.
329
M. HAURIOU, Principes de droit public, Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2010 (réédition de 1910), p. 6.
87
protection de l’environnement immédiat de l’Homme et celle de l’environnement en général.
Ce mouvement jurisprudentiel illustre bien notre propos sur la connexité de plus en plus forte
entre les droits environnementaux et l’intérêt général attaché à la protection de
l’environnement, connexité qui tend presque à une certaine confusion tant leurs objets
peuvent être rapprochés.
La confusion entre les deux notions se comprend ainsi au regard des problématiques
liées au changement climatique qui reflètent la similarité des atteintes causées à la santé des
Hommes et celles causées à l’environnement.
88
Éléments de Bibliographie
Ouvrages de référence
Dictionnaires :
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Quadrige, 2ème édition, 2007.
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GUINCHARD (S.) et DEBARD (T.) (dir.), Lexique des termes juridiques, Dalloz, 22ème
édition, 2014.
Codes :
Monographies :
Ouvrages :
BERGER (V.), Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, Dalloz, coll.
Sirey, 13ème édition, 2014.
FAVOREU (L.), Les Cours constitutionnelles, PUF, coll. Que sais-je ?, 3ème édition, 1996.
HAURIOU (M.), Principes de droit public, Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2010 (réédition
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ROCHE (C.), Droit de l’environnement, Gualino Éditeur, coll. Mémentos LMD, 2ème édition,
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CEDH, 8 juillet 2003, Gr. Ch., Hatton et autres c. Royaume-Uni.
CEDH, 24 juillet 2003, Kärner c. Autriche.
CEDH, 27 avril 2004, Gorraiz Lizarraga et autres c. Espagne.
CEDH, 27 mai 2004, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie.
CEDH, 24 juin 2004, Vergos c. Grèce.
CEDH, 23 septembre 2004, Kapsalis et Nima-Kapsali c. Grèce (recevabilité).
CEDH, 10 novembre 2004, Taşkin et autres c. Turquie.
CEDH, 16 novembre 2004, Moreno Gómez c. Espagne.
CEDH, Gr. Ch., 30 novembre 2004, Öneryildiz c. Turquie.
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CEDH, 12 juillet 2005, Okyay et autres c. Turquie.
CEDH, 28 juillet 2005, Alatulkkila et autres c. Finlande.
CEDH, 17 janvier 2006, Luginbühl c. Suisse (recevabilité).
CEDH, 13 juin 2006, Hutten-Czapska c. Pologne.
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CEDH, 28 novembre 2006, Murillo Saldias et autres c. Espagne (recevabilité).
CEDH, 27 novembre 2007, Hamer c. Belgique.
CEDH, 21 février 2008, Anonymos Touristiki Etaira Xenodecheia Kritis c. Grèce.
CEDH, 26 février 2008, Fägerskiöld c. Suède (recevabilité).
CEDH, 20 mars 2008, Budaïeva et autres c. Russie.
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CEDH, 30 mars 2010, Băcilă c. Roumanie.
CEDH, 14 septembre 2010, Florea c. Roumanie.
CEDH, 28 septembre 2010, Mangouras c. Espagne.
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104
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION .................................................................................................................... 1
105
§2 La CEDH et le recours à l’intérêt général attaché à la protection de
l’environnement .......................................................................................................... 19
106
§2 Une approche renouvelée des relations entre intérêt général et droits de
l’Homme ...................................................................................................................... 37
107
§2 Le contrôle détourné de l’action des États par la marge nationale
d’appréciation ............................................................................................................. 58
108
§2 Une action sensibilisatrice potentiellement reprise par un protocole
additionnel à la convention européenne sur l’environnement ............................... 77
CONCLUSION ...................................................................................................................... 87
ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE................................................................................... 89
109