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J'avais quinze ans, quand je partis pour Conakry.

J'allais y suivre l'enseignement technique à l'école Georges Poiret,


devenue depuis le Collège technique. Je quittais mes parents pour la deuxième fois. ...

Depuis une semaine, ma mère accumulait les provisions. Conakry est à quelque 600 kilomètres de Kouroussa et,
pour ma mère, c'était une terre inconnue, sinon inexplorée, où Dieu seul savait si l'on mange à sa faim. Et c'est
pourquoi les couscous, les viandes, les poissons, les patates s'entassaient...

La veille de mon départ, un magnifique festin réunit dans notre concession marabouts notables et amis et, à dire
vrai, quiconque se donnait la peine de franchir le seuil, car il ne fallait, dans l'esprit de ma mère, éloigner personne
afin que la bénédiction qui m'accompagnera fût complète. Et ainsi chacun, après s'être rassasié, me bénissait, disait
en me serrant la main: — Que la chance te favorise! Que tes études soient bonnes! Et que Dieu te protège.

(À quinze ans, le narrateur quitte sa famille pour aller étudier à Conakry)

Un homme de haute taille et qui imposait, vint au-devant de moi… Je devinai qu'il était le frère de mon père.

— Êtes-vous mon oncle Mamadou, dis-je.

— Oui, dit-il, et toi, tu es mon neveu Laye. Je t'ai aussitôt reconnu tu es le vivant portrait de ta mère ! Vraiment, je
n'aurais pas pu ne pas te reconnaître. Et, dis-moi comment va-t-elle, ta mère ? Et comment va ton père ? … Mais
viens ! Nous aurons tout loisir de parler de cela. Ce qui compte pour l'instant, c'est que tu dînes et puis que tu te
reposes. Alors suis-moi, et tu trouveras ton dîner prêt et ta chambre préparée. Cette nuit fut la première que je passai
dans une maison européenne. Était-ce le manque d'habitude, était-ce la chaleur humide de la ville ou la fatigue de
deux journées de train, je dormis mal. C'était pourtant une maison très confortable que celle de mon oncle, et la
chambre où je dormais était très suffisamment vaste, le lit assurément moelleux, plus moelleux qu'aucun de ceux sur
lesquels je m'étais jusque-là étendu ; au surplus j'avais été très amicalement accueilli, accueilli comme un fils
pourrait l'être ; il n'empêche je regrettais Kouroussa, je regrettais ma case ! Ma pensée demeurait toute tournée vers
Kouroussa: je revoyais ma mère, mon père, je revoyais mes frères et mes sœurs, je revoyais mes amis. J'étais à
Conakry et je n'étais pas tout à fait à Conakry. J'étais toujours à Kouroussa ; et je n'étais plus à Kouroussa! J'étais ici
et j'étais là; j'étais déchiré Et je me sentais très seul, en dépit de l'accueil affectueux que j'avais reçu.

L'année où je regagnai Kouroussa, mon certificat dans ma poche, je fus évidemment reçu à bras ouverts… Mais
tandis que mes parents me pressaient sur leur cœur, tandis que ma mère se réjouissait peut-être plus de mon retour
que du diplôme conquis, je m'écriai comme si la nouvelle devait ravir tout le monde :
— Et ce n'est pas tout ; le directeur se propose de m'envoyer en France !
— En France? dit ma mère.
Et je vis son visage se fermer.
— Oui. Une bourse me sera attribuée ; il n'y aura aucun frais pour vous.
— Il s'agit bien de frais ! dit ma mère. Quoi ! tu nous quitterais encore ?
— Mais je ne sais pas, dis-je. Et je vis bien - et déjà je me doutais bien - que je m'étais fort avancé, fort
imprudemment avancé en répondant « oui » au directeur. Tu ne partiras pas ! dit ma mère.
— Non, dis-je. Mais ce ne serait pas pour plus d'une année.
— Une année ? dit mon père. Une année, ce n'est pas tellement long.
— Comment ? dit vivement ma mère. Une année, ce n'est pas long ? Voilà quatre ans que notre fils n'est plus jamais
près de nous, sauf pour les vacances, et toi, tu trouves qu'une année ce n'est pas long ?
— Bon, dit mon père; n'en parlons plus. Aussi bien cette journée est-elle la journée de son retour et de son succès :
réjouissons-nous ! On parlera de tout cela plus tard. Nous n'en dîmes pas davantage, car les gens commençaient
d'affluer dans la concession, pressés de me fêter. Tard dans la soirée, quand tout le monde fut couché, j'allai
rejoindre mon père sous la véranda de sa case : le directeur m'avait dit qu'il lui fallait, avant de faire aucune
démarche, le consentement officiel de mon père et que ce consentement devrait lui parvenir dans le plus bref délai.

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