Vous êtes sur la page 1sur 5

Paul Ricœur, « 

Qu’est-ce qu’un texte? » et « Expliquer et comprendre », Du


texte à l’action, Paris, Seuil, 1986, pp. 155-178, 179-203.

Résumé

« Qu’est-ce qu’un texte? »

Dans ce texte, Paul Ricœur, explore dans la perspective de l’herméneutique


moderne le débat de l’opposition entre « expliquer et interpréter » amorcé depuis
l’époque de Dilthey. Pour ce faire, il part d’une investigation sur la structure du
texte. En effet, l’auteur définit le texte comme étant « tout discours fixé par
l’écriture » (p 154). Dans le système du discours tel que appréhendé par
Ferdinand de Saussure la parole est antérieure à l’écriture. Toute parole écrite,
fait appel à la lecture et à l’interprétation. La lecture établit alors un dialogue
entre le lecteur et l’auteur du texte. C’est dans la lecture que se pose le dualisme
« expliquer » et « interpréter » chez Dilthey. La notion de compréhension émerge
de ce dualisme et se veut une méthode objective aux sciences humaines.

Parlant de l’«explication structurale » du texte, Paul Ricœur évoque deux


possibilités. La première consiste à traiter le texte de l’extérieur. C’est le sens de
l’explication. La deuxième possibilité c’est rentrer dans le texte en y créant une
communication réelle afin de lui donner du sens. C’est ce qui conduit à
l’interprétation.

Paul Ricœur approfondit sa réflexion en statuant que l’explication du texte est


possible selon les règles de la science du langage. Selon lui, l’application de la
linguistique permet l’explication structurale du texte. C’est ce qu’il fait ressortir
de l’hypothèse de Claude Lévi-Strauss dans l’histoire du « mythe ».

Quant au concept d’interprétation, Paul Ricœur l’oppose d’abord au concept


d’explication avant de les accepter comme étant complémentaire. « Lire, c’est,
en toute hypothèse, enchainer un discours nouveau au discours du texte », écrit
Paul Ricœur (p 170). Ce qui revoie à l’interprétation dans le sens de Dilthey.
Cependant, la lecture doit être aussi ce travail intellectuel sur un texte afin de
parvenir à une interprétation personnelle. C’est là que se situe toute la dimension
de l’herméneutique et de l’interprétation moderne.

Dans cette perspective, nous sommes d’avis avec Paul Ricœur étant donné que
de nos jours, le texte est perçu comme un tissu à travers lequel on tisse des
relations. Étudier un texte, c’est en quelque sorte saisir la richesse de cette
constellation de relations. Le texte fait également appel à la fois à la subjectivité
de l’auteur et du lecteur.

« Expliquer et comprendre »

D’entrée de jeu, Paul Ricœur souligne l’ancienneté du débat scientifique entre


« expliquer » et « comprendre ». L’enjeu, c’est éclairer d’un point de vue
scientifique le rapport entre la méthode des sciences de la nature et celle des
sciences de l’homme. Au fond, il s’agit d’analyser la nuance entre l’objet des
sciences de la nature et celui les sciences de l’homme.

Pour ce faire, Paul Ricœur identifie trois problématiques : la « théorie du texte »,


la « théorie de l’action » et la « théorie de l’histoire ». Selon l’auteur, ces
thématiques sont intimement liées. Paul Ricœur part du principe que le dualisme
explication et compréhension n’est pas une opposition tranchée. Du point de vue
de l’herméneutique, la théorie compréhensive de Dilthey ne s’oppose pas à la
théorie romantique de Galilée. Le but de Dilthey c’est d’attribuer à la
compréhension le critère de scientificité, c’est de faire de la théorie
compréhensive une méthode scientifique qui soit crédible. L’approche de Dilthey
va servir de base à Paul Ricœur comme argument dans sa théorie du texte, de
l’action et celle de l’histoire.

Il débute son propos avec la théorie du texte. Selon Ricœur, l’idée du texte est
fondamentale dans la mesure où Dilthey lui-même, utilise les signes pour
démontrer la théorie compréhensive. Pour Paul Ricœur, l’impact du texte est tel
qu’avec le développement de la science du langage, des schémas explicatifs ont
émergé pour donner sens à une théorie interprétative. En effet, la science du
langage a donc évolué à partir du structuralisme et embrasse désormais les
domaines techniques et institutionnels. Ce qui d’ailleurs, rend fécond aujourd’hui
le débat « expliquer » et « comprendre ». Néanmoins, on constate une tendance
dichotomique entre les auteurs. D’un côté, il y a les théoriciens qui pensent que
le texte ne peut faire l’objet d’une signification quelconque. De l’autre, il y a les
partisans de l’émergence d’une compréhension objective du discours.
Poursuivant l’analyse, Paul Ricœur montre que la théorie compréhensive fait
toujours appel à la théorie explicative. Dans le langage discursif, l’explication et
la compréhension sont des procédés qui vont de pair. Le passage de
l’explication à la compréhension traduit le souci de rendre intelligible le langage
discursif. Cette compréhension repose essentiellement sur deux éléments : le
contenu du texte et l’auteur du message. Ce qui souligne le fait que la
compréhension aboutit à l’explication.

La deuxième théorie que Ricœur aborde est celle de l’action. Il l’inscrit avant tout
dans la même logique que la première. Loin de vouloir intensifier une réflexion
unilatérale de nature sémiologique, Paul Ricœur met plutôt en exergue le lien
entre le texte et l’action dans la dialectique « expliquer » et « comprendre ».
D’emblée, il note que la théorie de l’action est d’origine anglo-saxonne.
L’apparition de la théorie de l’action a suscité dans la tradition allemande une
opposition. Le problème soulevé, est celui d’identifier et de clarifier les causes
des événements de la vie à partir des motivations humaines. De ce point de
vue, Ricœur développe l’idée selon laquelle il existe logiquement chez l’homme,
une corrélation entre les actions et les motivations. Il utilise deux arguments
pour soutenir sa thèse. Premièrement, selon lui, il n’existe pas de dualisme
entre motif et cause parce que les deux éléments vont toujours ensemble dans le
système du langage. Dans ce principe, il n’y a pas de cause sans une motivation
quelconque. La causalité sans motivation est orientée vers la « violence » dans
la perspective d’Aristote. Poursuivant son raisonnement, l’auteur classe la
motivation inconsciente dans le cadre de la causalité contraignante. Sinon,
l’activité de l’homme est toujours guidée par la rationalité. L’homme, en fonction
des avantages liés à l’action juge si celle-ci serait davantage plus rationnelle ou
moins rationnelle. Ce qu’Aristote qualifie de choix de « préférence ». Par
conséquent, Paul Ricœur conclut que l’opposition entre la cause et la motivation
relève d’une construction arbitraire.

Le deuxième argument est basé sur les conditions de l’action humaine. En effet,
Paul Ricœur part du postulat que toute activité de l’homme a un impact dans le
monde extérieur. Selon lui, l’accent doit être mis sur cet aspect plutôt que sur les
motivations intérieures. Pour soutenir ce postulat, l’auteur cite Wright qui, à partir
de la théorie des systèmes développe une argumentation riche en la matière.
Ainsi, il contredit le déterminisme universel et propose un modèle dans lequel
l’activité humaine doit être située.

Quant à la théorie de l’histoire, Paul Ricœur l’appréhende toujours en corrélation


avec les deux précédentes. Selon lui, la théorie de l’histoire renforce la capacité
de théoriser la discussion entre «  explication » et « compréhension ». Par
histoire, il attend la narration des événements du passé. En abordant cette
théorie, Paul Ricœur distingue également deux camps. Il s’agit d’un côté les
auteurs français tels que Raymond Aron, Henri Marrou attachés à la sociologie
allemande et les historiens anglais inspirés par Collingwood. Tout d’abord, la
méthode historique est perçue comme étant celle qui permet de mieux
comprendre l’action humaine partant bien entendu des intentions. C’est
également le seul moyen pour comprendre les autres. Aussi, la méthode
compréhensive fait intervenir la subjectivité de l’historien en tant qu’auteur et
agent. Faire l’histoire revient donc à saisir les événements passés dans la
double dimension intérieure/extérieure.

Pour démontrer la théorie explicative, Ricœur fait donc appel à la thèse de Karl
Hempel pour qui l’explication en histoire est fondée sur les conditions et la
régularité de l’événement. La critique adressée au modèle hempelien, c’est le
fait qu’il soit basé sur des généralités. A cette critique, Paul Ricœur rétorque en
disant que le modèle hempelien décrit mieux la spécificité de l’explication en
histoire.
Paul Ricœur termine son propos sur une note positive. Selon lui, la
compréhension et l’explication ne se contredisent pas; bien au contraire, ce sont
deux méthodes qui se complètent. Nous partageons ce point de vue dans la
mesure où premièrement, l’interprétation en sociologie veut dire à la fois
comprendre et expliquer. Faire de la sociologie, c’est avant tout chercher à
comprendre les phénomènes et ensuite les expliquer. Max Weber dans
Économie et société définit la sociologie de la façon suivante : « Nous appelons
sociologie (au sens où nous entendons ici ce terme utilisé avec beaucoup
d'équivoques) une science qui se propose de comprendre par interprétation
[deutend verstehen] l'activité sociale et par là d'expliquer causalement [ursiichlich
erkliiren] son déroulement et ses effets » (1971, p 28).

Deuxièmement, nous pensons que de nos jours le fait d’opposer les méthodes
des sciences de la nature à celles des sciences de l’homme entrave l’évolution
de la science moderne. Cela fixe une limite à la réflexion scientifique. Aussi
pensons-nous, qu’avec l’expérience de la pluridisciplinarité, le débat entre
« expliquer » et « comprendre » est en train de perdre du même coup sa raison
d’être.

Vous aimerez peut-être aussi