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Le Sikkim et la révolution biologique

ANOUCHKA BAGNOUD, JOHANN RECORDON

UNIVERSITÉ DE LAUSANNE
MASTER EN FONDEMENTS ET PRATIQUES DE LA DURABILITÉ

COURS DU SEMESTRE DE PRINTEMPS 2020 :


« ANTHROPLOGIE ET IDÉE DE NATURE »

SOUS LA DIRECTION DES PROFESSEUR·E·S


CAROLINE LEJEUNE ET OLIVIER FERRARI

JUIN 2020
Table des matières
1. Introduction ........................................................................................................ 3

2. État des lieux ...................................................................................................... 4

Brève histoire du Sikkim .................................................................................................... 4


Géographie ......................................................................................................................................... 4
Influences religieuses ......................................................................................................................... 6

La révolution biologique.................................................................................................... 8
La révolution écologique du Sikkim .................................................................................................... 8
Loi sur l’interdiction de l’abattage de vaches ................................................................................... 13

Convergence et luttes – problématique spécifique .......................................................... 15

3. Lecture à la lumière de l’ontologie politique ..................................................... 17

Les ontologies relationnelles : bouddhique, hindoue, biologique .................................... 17


L’ontologie bouddhique de l’interexistence ..................................................................................... 18
Le symbolisme de la vache dans l’hindouisme ................................................................................. 20
Vers une ontologie biologique ? ....................................................................................................... 24
Objectifs ....................................................................................................................................... 24
Valeurs ......................................................................................................................................... 27

4. Conclusion ........................................................................................................ 30

5. Bibliographie .................................................................................................... 32

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1. Introduction
Le lundi 18 janvier 2016, le Premier Ministre de l’Inde, Narendra Modi, annonçait que le
Sikkim avait réussi avec succès sa transition vers une agriculture sans pesticide, devenant le
premier État bio au monde1. Le 29 août 2017, l’Assemblée Législative du Sikkim entérinait le
« Sikkim Prevention of Cow Slaughter Act2 », condamnant toute personne qui abattrait ou
faciliterait l’abattage de vaches3. Ces deux décisions, parmi d’autres, s’inscrivent dans une
volonté du gouvernement sikkimais, depuis le début des années 2000, de transformation de
l’État, au sein de ce que l’on pourrait appeler une révolution biologique.
Comment expliquer cette transition ? Quelles clés de lecture pouvons-nous mobiliser, au
sein de ce qui a été qualifié de « tournant ontologique4 », afin de comprendre les dynamiques
qui y ont conduit ?
Pour ce faire, nous commencerons par une courte histoire du Sikkim, sous les angles du
territoire et des influences religieuses, puis une analyse des points saillants de cette révolution
biologique, en relation avec l’agriculture et l’élevage. Après avoir introduit notre
problématique détaillée, nous analyserons certains termes spécifiques (telle que
l’interexistence) et mobiliserons les apports d’Arturo Escobar sur l’ontologie politique afin de
tenter de faire émerger les différents mondes qui coexistent et s’affrontent au sein du Sikkim.
Enfin, nous reprendrons, dans la conclusion, les éléments clés de ce travail et tenteront de les
replacer dans un contexte global, animé par la convergence des crises, afin de mettre en exergue
le rôle central qu’ils pourraient prendre dans le futur proche.

1
Press Trust of India. 2016. « PM Modi Declares Sikkim As First Organic State In The Country ». NDTV.com.
Consulté le 10 juin 2020. https://www.ndtv.com/india-news/pm-modi-declares-sikkim-as-first-organic-state-in-
the-country-1267335.
2
Sikkim Legislative Assembly. 2017. Sikkim Prevention of Cow Slaughter Act, 2017.
http://www.bareactslive.com/SIK/sik071.htm.
3
The Wire Staff. 2017. « Sikkim Passes Bill Banning Cow Slaughter ». The Wire. 30 août 2017.
https://thewire.in/politics/sikkim-bans-c0w-slaughter-neda.
4
Keck, Frédéric, Ursula Regehr, et Saskia Walentowitz. 2015. « TSANTSA 20 / 2015, Anthropologie : le
tournant ontologique en action. Introduction ». Société Suisse d’Ethnologie/Schweizerische Ethnologische
Gesellschaft, Bern 20 (octobre): 18‑28.

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2. État des lieux
Brève histoire du Sikkim
Géographie
Le Sikkim, avec ses 7’107 kilomètres carrés5, est le plus petit état Indien après celui de
Goa et le moins habité du pays avec 610’577 habitants, selon le recensement national de 20116.
Sa capitale est Gangtok. Comme on peut le voir sur l’Illustration 1, il est frontalier avec le
Népal, l’État du Bengale de l’Ouest, le Bhoutan et le Tibet et est composé de quatre districts :
Sikkim du Nord, Sikkim de l'Ouest, Sikkim de l’Est et Sikkim du Sud.

Illustration 1 - cartes du Sikkim : par rapport à l’Inde à gauche, et selon ses quatre districts à droite7.

Se situant au pieds de la chaine de l’Himalaya, le Sikkim est essentiellement


montagneux – ses paysages varient entre hautes montagnes, fonds de vallées accompagnés de
rivières torrentielles8. Même Gangtok est située à 1'700 mètres d’altitude (voir Illustration 29,
en page suivante). Comme le mentionne le Guide du Routard, « rien n’est plat au Sikkim. Tout
est pente. Tout est vertige10 ». D’ailleurs, Kanchendzonga, une montagne himalayenne qui peut
être observée depuis Gangtok, est le troisième plus haut sommet de la planète.11

5
« Sikkim ». 2020. In Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Sikkim&oldid=171823613.
6
Government of India. s. d. « Sikkim Population 2011-2020 Census ». Consulté le 10 juin 2020.
https://www.census2011.co.in/census/state/sikkim.html.
7
Suman, Paul. 2013. « Analysing tourism attractiveness using probabilistic travel model: A study of Gangtok
and its surroundings ». GEOGRAFIA OnlineTM Malaysian Journal of Society and Space 9 (3): 61‑68.
8
Ibid.
9
« Inde : le Sikkim, Petit Poucet de l’Himalaya ». s. d. Routard.com. Consulté le 10 juin 2020.
https://www.routard.com/reportages-de-voyage/cid138663-inde-le-sikkim-petit-poucet-de-l-himalaya.html.
10
Ibid.
11
Joshi, H.G. 2004. Sikkim : Past and Present. Éditeur Mittal Publications. Mittal Publications, p.1.

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Le Sikkim est considéré comme un
trésor de nature et de biodiversité, composé
de plusieurs réserves naturelles telles que
Kanchendzonga National Park, Fambong
Lho, Shingba Rhododendron Sanctuary,
Maenam, Alpine Sanctuary et Wild Life
Sanctuary. On y trouve de nombreux lacs de
montagne comme Tsomgo, Gurudongmar
Illustration 2 - Gangtok, capitale du Sikkim
(voir Illustration 3), Memancho,
Khechipalri et Green ainsi qu’une multitude de rivières : Lachen, Lhonak, Zemu, Rangit, Tista,
Sebozung et Lachung – pour n’en citer que quelques-unes. De nombreux lieux sauvages
contiennent une flore et une faune exceptionnelle, comme dans les vallées de Chopta, Lachen
et Yumthang, où on trouve quelques 3’000 espèces de fleurs différentes, 250 de fougères, 11
de chênes et 350 de plantes médicinales. Ce petit État est d’ailleurs réputé pour ses orchidées :
on peut en apercevoir jusqu’à 450 espèces différentes dans les milieux propices à
l’épanouissent de ces dernières12. Également, plus de 4'000 espèces de plantes différentes y
sont présentes13.

Illustration 3 - Drapeaux de prière bouddhistes flottant au-dessus du lac de GuruDongmar14.

12
Suman, 2013, op. cit.
13
Joshi, 2004, op. cit., p. 2.
14
Vickeylepcha. s. d. Buddhist Flag flutters in GuruDongmar Lake. Wikipedia.
https://en.wikipedia.org/wiki/File:Buddhist_Flag_flutters_in_GuruDongmar_Lake.jpg.

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D’ailleurs, si petit que soit le Sikkim, il est pourtant composé de plusieurs climats,
relativement différents selon les régions et qui se subdivisent en microclimats, dont la
répartition n’est pas homogène. Le tableau15 ci-dessous en donne une idée :
Melli Sikkim du Sud
Rongli Sikkim de l’Est
Climat subtropical
Mangan Sikkim du Nord (bas)
humide
Jorethang Sikkim du Sud (près de la frontière du Bengale)
Manpur Sikkim du Sud (~16 km de route de Namchi)
Gangtok Sikkim de l’Est
Namchi Sikkim du Sud
Climat subtropical Pelling Sikkim de l’Ouest (près de la frontière du Bengale)
Pemayangtse Sikkim de l’Ouest
Lachung Sikkim du Nord
Climat océanique Hema Sikkim du Nord (haut)
Climat continental
Phuni Sikkim du Nord (près de Katao)
chaud
Tashiding Sikkim de l’Ouest
Toundra
Katao Sikkim du Nord (près de la frontière chinoise)

L’économie du Sikkim est essentiellement basée sur l’agriculture. On y trouve d’ailleurs


la plus importante production de cardamome d’Inde. Ses principales cultures sont le « maïs,
riz, blé, patate [...], gingembre16 ». Pourtant, l’agriculture occupe uniquement 11 à 12% des
terres utilisées, sans oublier que seul un certain nombre de terres sont praticables à cause de la
topographie escarpée. L’économie du Sikkim a connu une croissance régulière au début du
siècle (7.8% par an entre 2000-01 et 2006-07) et « la contribution au PIB étatique du secteur
primaire et en baisse continue, alors que celle du secteur tertiaire est en croissance17 ».

Influences religieuses
De par sa position stratégique au pied de la chaîne de l’Himalaya, le Sikkim a, au moins
depuis le VIIIe siècle, été un lieu de transhumance et de mélange des croyances et des peuples.
Si l’on peut retracer la présence d’une dizaine de tribus natives, ce sont les religions hindoue

15
« Climat Sikkim: Température Sikkim, diagramme climatique pour Sikkim - Climate-Data.org ». s. d.
Consulté le 10 juin 2020. https://fr.climate-data.org/asie/inde/sikkim-779/, complété avec des recherches sur
GoogleMap.
16
Joshi, 2004, op. cit., p. 2.
17
Chakrabarti, Anjan. 2009. « Tourism in Sikkim: Quest for A Self-Reliant Economy ». The NEHU Journal 7
(1), p. 89.

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et bouddhiste qui semblent être dominantes, bien qu’elles aient intégré plusieurs rites
chamaniques ancestraux à leurs pratiques au cours des siècles18.
Dans les jalons historiques importants19, on peut noter le passage du moine bouddhiste
indien Guru Padmasambhava au VIIIe siècle. En route vers le Tibet, qu’il convertira
subséquemment, il sera le premier à disséminer, de manière majeure, les thèses bouddhiques
au Sikkim. Au XIIIe siècle, le « Blood Brotherhood Treaty », entre les chefs de deux tribus
natives, marque une première vague migratoire majeure de tibétain·e·s, emmenant avec elleux
leurs croyances, et sera suivie, un siècle plus tard, d’une seconde vague, lors de l’établissement
de monastères et de centres de méditation par le maître bouddhiste Rigzin Godemchen.
Néanmoins, c’est en 1642, lors de la consécration du premier Chogyal Phuntso Namgyal et
l’établissement du royaume du « Greater Sikkim », dont il sera le monarque, que le
bouddhisme prend vraiment son essor est se voit déclaré religion officielle.

Illustration 4 - Statue de Guru Padmasambhava mesurant 135 pieds de haut (env. 41 mètres), considérée comme la plus
grande au monde. Namchi, Sikkim20.

18
Nous ne traiterons pas ici des spécificités des tribus, ni de leurs pratiques, car elles ne nous ont pas semblées
être essentielles à l’analyse de la révolution biologique.
19
Toutes les informations ci-dessous sont tirées de Subba, Jash Raj. 2009. Mythology of the People of Sikkim.
New Delhi: Gyan Publishing House. https://books.google.ch/books?id=S07zMmQuhjoC&pg.
20
@arpita.h. 2020. Gigantic 135 Ft. High Statue of Guru Padmasambhava on Samdruptse Hills in
#SouthSikkim 😇. https://www.picuki.com/media/2194996249170537559.

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Un siècle plus tard, lors du processus d’unification du Népal, pays limitrophe qui
disputera de nombreux territoires au Sikkim, la tribu des Khasas adopte l’hindouisme et le
dissémine à travers les Himalayas. Elle migre au Sikkim à partir de 1774, dans les districts de
l’Ouest, du Sud et de l’Est (qui sont majoritairement hindous aujourd’hui). De nombreux
conflits et alliances avec le Népal (hindou), le Bhoutan (bouddhiste), l’Inde (majoritairement
hindoue), le Tibet (bouddhiste) et l’empire britannique rythment les siècles suivants, jusqu’à
la déposition du roi et l’intégration du Sikkim au sein de la « secular democracy21 » indienne
en 1975. Aucune religion officielle n’est plus déclarée mais le recensement national indien
dénombre au Sikkim 53% puis 58% d’hindous et 29% puis 27% de bouddhistes, entre 1981 et
201122.
Un dernier point qui mérite d’être évoqué brièvement est celui de l’article 371F de la
Constitution of India 194923. En effet, en 1975, la souveraineté et la pérennité de cet article,
qui confère au Sikkim un statut législatif particulier, « était une des conditions principales de
la fusion avec l’Inde24 ». En plus de préserver la diversité ethnique au sein de l’assemblée
législative du Sikkim, cet article garantit que les anciennes lois sikkimaises prévalent sur la
constitution indienne, que la terre appartient, en dernière instance, à l’État du Sikkim et que
seul le président indien peut intervenir dans un cas de désaccord législatif. Ainsi, le Sikkim
jouit d’une certaine liberté dans la préservation de ses spécificité ethniques, son territoire et sa
gouvernance.

La révolution biologique
La révolution écologique du Sikkim
Lorsqu’on sort du petit et unique aéroport du Sikkim, un panneau de bienvenue nous
accueille ainsi : « Sikkim, where nature smiles25 ». Un peu plus loin, on peut lire « Keep this
area clean and green26 » ou encore « Beat plastic pollution27 ». Et ce ne sont pas que des
slogans sans fondement, comme on le verra par la suite. D’ailleurs, dans la presse européenne,

21
« Laïcité, Secularism en Inde ». s. d. Consulté le 10 juin 2020.
http://www.thucydide.com/realisations/comprendre/laicite/inde.htm.
22
Government of India. s. d. « Sikkim Population 2011-2020 Census ». Consulté le 10 juin 2020.
https://www.census2011.co.in/census/state/sikkim.html.
23
Government of India. 1975. « Article 371F in The Constitution Of India 1949 ». 1975.
https://indiankanoon.org/doc/338476/.
24
Chhetri, Shradha R. 2019. « Lessons on Old Laws Are What the Young Sikkimese Generation Needs ». The
Sikkim Chronicle - Sikkim News (blog). 27 novembre 2019. https://www.thesikkimchronicle.com/lessons-on-
old-laws-are-what-the-young-sikkimese-generation-needs/.
25
Routard.com, n.d., op. cit.
26
Ibid.
27
Ibid.

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le Sikkim est applaudi comme étant le « symbole de la transition agricole28 » : « La région de
Sikkim achève sa conversion au tout biologique29 », « Le Sikkim, cet état indien où toutes les
terres agricoles sont bio30 » ou encore « Inde : au Sikkim, le summum du bio31 ».

Certes, le Sikkim est connu pour la transition agricole vers le bio, mais sa révolution
écologique va au-delà : cet État himalayen a commencé à lutter contre la pollution de
l’environnement par le plastique. Son gouvernement a commencé, en 1998, par interdire les
sacs en plastique à usage unique. Quelques années plus tard, en 2016, il a interdit l’usage d’eau
en bouteille plastique au sein du secteur public, comme par exemple dans les évènements
organisés par le gouvernement ou dans les bureaux, ainsi que celui des couverts et assiettes à
usages uniques. Plusieurs facteurs ont motivé les décideu·se·r·s à prendre ces mesures. Le
premier est, bien sûr, de stopper la pollution de l’environnement par le plastique. Le deuxième
est que le Sikkim manque de place pour les décharges à cause, notamment, de sa topographie,
mais aussi de par la volonté politique de ne pas détruire la formidable biodiversité présente en
la remplaçant par une zone d’enfouissement des déchets. Par des sanctions importantes et un
travail essentiel de sensibilisation, ces lois ont pu atteindre leurs objectifs32.

Revenons sur la révolution agricole. Leur politique sur l'agriculture biologique de 2004
et la mission biologique du Sikkim de 201033 leur a valu de remporter, en 2018, l’ « Oscar for
best policies », distribué par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et
l’agriculture (FAO) « à l’intention des meilleures politiques publiques au monde faisant la
promotion de systèmes de nutrition agroécologiques et durables34 ». Le moment historique de
cette transition sikkimaise se passe en 2003, lorsque le premier ministre annonce la fameuse

28
novethic. 2019. « [Vidéo] Le Sikkim, cet État indien où toutes les terres agricoles sont bio ». 17 janvier 2019.
https://www.novethic.fr/actualite/environnement/agriculture/isr-rse/video-le-sikkim-cet-etat-indien-ou-toutes-
les-terres-agricoles-sont-bio-146807.html.
29
Derville, Emmanuel. 2018. « La région de Sikkim achève sa conversion au tout biologique ». 24 heures, 23
septembre 2018. https://www.24heures.ch/economie/region-sikkim-acheve-conversion-
biologique/story/27281145.
30
novethic, 2019, op. cit.
31
Farcis, Sébastien. 2020. « Inde : au Sikkim, le summum du bio ». parismatch.com, 6 mai 2020.
https://www.parismatch.com/Actu/Environnement/Inde-au-Sikkim-le-summum-du-bio-1684298.
32
Environment, U. N. 2018. « Comment l’état Indien de Sikkim Oeuvre à Mettre Fin à La Pollution Par Les
Plastiques ». UN Environment. 26 avril 2018. http://www.unenvironment.org/fr/actualites-et-
recits/recit/comment-letat-indien-de-sikkim-oeuvre-mettre-fin-la-pollution-par-les.
33
Future Policy. 2019. « Sikkim’s State Policy on Organic Farming, India ». Futurepolicy.Org (blog). 5 mars
2019. https://www.futurepolicy.org/healthy-ecosystems/sikkims-state-policy-on-organic-farming-and-sikkim-
organic-mission-india/.
34
Food and Agriculture Organization of the United Nations. 2018. « Sikkim, India’s first “fully organic” state
wins FAO’S Future Policy Gold Award ». 15 octobre 2018. http://www.fao.org/india/news/detail-
events/en/c/1157760/.

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résolution devant la State Assembly qui transforma le Sikkim en premier état 100% biologique
au monde35. Ainsi, en 2004, la « State Policy on Organic Farming » voit le jour et a pour
objectif de débuter la mise en œuvre de programmes pour mettre l’agriculture biologique en
application. Dans le texte de cette politique, il est mentionné que « l'élevage fait partie
intégrante de l'agriculture et la bouse de vache est la principale source de nutriments végétaux
dans le système d'agriculture biologique36 ». Avant l’arrivée des engrais chimiques, des
pesticides et de l’agriculture intensive dans les années 60 avec la Révolution Verte37, les
agricult·rice·eur·s sikkimais pratiquaient déjà une sorte d’agriculture biologique, proche des
fonctionnements naturels – on pourrait donc voir cette nouvelle étape dans l’histoire agricole
de l’État comme un retour aux sources. Cette politique a donné lieu à de nombreux programmes
d’action, comme par exemple des subventions pour construire des fosses de compost,
l’adoption de la dénomination « village biologique » et de l’aide dans l’utilisation de fertilisants
et d’engrais certifiés biologiques. Entre 2004 et 2009, plus de 100 villages ont ainsi été nommés
« villages biologiques » et 10'000 agricult·rice·eur·s ont effectué leur transition38.

Le 15 août 2010, le Premier Ministre annonce l’Organic Mission, qui a les objectifs
suivants :
1. Encadrer la politique de l'agriculture biologique dans l'État.
2. Préparer une feuille de route claire et réalisable pour l'agriculture biologique.
3. Mettre en œuvre les programmes d'agriculture biologique avec une approche
systématique.
4. Atteindre l'objectif fixé par le gouvernement.
5. Développer et explorer les marchés des produits biologiques.
6. Développer les liens entre les agriculteurs biologiques et le marché avec l'intervention
des agences de certification afin de poursuivre la politique de manière permanente.
7. Développer la marque biologique Sikkim avec un logo approprié.
8. Rendre l'agriculture rentable, durable et acceptable pour l'environnement.39

35
Sikkim Organic Mission, FS&AD and H&CCD Departments Government of Sikkim, Krishi Bhawan. 2015.
« State Policy on Organic Farming Government of Sikkim ». Tadong, East Sikkim.
http://scstsenvis.nic.in/WriteReadData/links/Sikkim%20Organic%20Policy%202015-401740061.pdf, p. 5-6.
36
Sikkim Organic Mission, 2015, op. cit., p.1.
37
Kumar, Vishal, G. T. Patle, et Ravishankar Kumar. 2017. « Overview on Sikkim Organic Agriculture and
Strategies for Future Market Potential ». International Journal of Engineering Technology Science and Research
4 (8): p. 1. http://www.ijetsr.com/images/short_pdf/1502192795_2-9-ieteb834_ijetsr.pdf.
38
Sikkim Organic Mission, 2015, op. cit., p. 7.
39
Government of Sikkim. s. d. « Sikkim Organic Mission. Policy Vision and Mission ».
http://ofai.s3.amazonaws.com/Sikkim_Policy%20vision%20n%20mission.pdf, p.1.

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Aujourd’hui, 66'000 agricul·rice·eur·s ont ainsi abandonné les techniques agricoles
indsutrielles et toutes les terres agricoles du Sikkim sont certifiées biologiques. De plus, cette
révolution biologique a fait fleurir le secteur du tourisme : entre 2014 et 2017, une
augmentation de 50% du nombre de touristes a été constatée40.
Comme on a pu le voir, ces changements agricoles sont dus à une véritable volonté
politique. Si, au début de la mise en place de ces programmes, les récoltes des
agricult·rice·eur·s étaient plus mauvaises que par le passé et que l’État a dû les soutenir
financièrement, d’autres aides ont également été mises en place, comme des formations pour
faire ses propres engrais naturels et son propre compost. De plus, des centres ont été créés afin
de mettre à disposition des agricult·rice·eur·s des plantons de certaines espèces de plantes plus
résistantes aux maladies, et cela gratuitement.41

Illustration 5 - Une ferme biologique dans le village de Tingvong, situé dans la vallée de Dzongu au Sikkim42.

40
Food and Agriculture Organization of the United Nations, 2018, op. cit.
41
novethic, 2019, op. cit.
42
Gattoni, Matilde. 2020. An organic farm in the village of Tingvong, Dzongu, in the Indian state of Sikkim.
Post Magazine. https://www.scmp.com/magazines/post-magazine/travel/article/3074689/sikkim-india-worlds-
first-fully-organic-state-might.

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L’efficacité de ce cette transition biologique sur le terrain est sûrement due également aux
sanctions mises en place. Dans la notice n°18 du gouvernement du Sikkim à l’intention des
forces de polices (2018)43, il est mentionné que la police a le pouvoir de saisir tout matériel et
toute production agricole ou horticole qui n’est pas biologique et de les débarrasser dans une
décharge appropriée. Dans la notice n°2944, le gouvernement du Sikkim annonce la mise en
place d’une « Task Force » (groupe d’intervention) pour l’intérêt public et pour sauvegarder
les intérêts des fermier·e·s biologiques dans la vente de leur légumes. Cette Task Force inspecte
les marchés et saisit immédiatement toutes les productions agricoles non autorisées, qui
regroupent notamment les produits non-bio et ceux qui ne sont pas vendus au prix fixé par le
gouvernement. De plus, des contraventions ont été mises en place : pour un non-respect de ces
consignes une première fois, le permis du véhicule ayant servi à transporter la marchandise et
le permis de conduire de l’individu sont retiré jusqu’à 15 jours. Pour une deuxième infraction,
ils sont retirés pendant une durée d’un mois, et pour toute autre infraction supplémentaire, les
deux permis sont annulés. Il en va de même pour l’autorisation de vente : lors de la première
infraction, elle est retirée durant un mois, puis pendant trois mois lors de la deuxième infraction,
et, pour une troisième infraction, le retrait dure un an. Ces mesures sont relativement strictes
et peuvent être lourdes de conséquences, notamment pour un retrait d’autorisation de vente qui
empêcherait un·e agricult·rice·eur d’avoir un revenu.

La base du concept bio que le gouvernement souhaite appliquer, tel qu’explicité dans le
document State Policy on Organic Farming45, se compose de quatre points. Le premier,
Health, revendique la préservation de la santé, non seulement des humains mais également des
sols, des plantes, des animaux et de la planète. Le deuxième, Ecology, mentionne que la
pratique agricole doit être inspirée des systèmes naturels et des cycles écologiques, en plus de
travailler avec ces derniers et de contribuer à leur pérennité. Le troisième, Fairness, met en
avant l’équité des communs environnementaux et les perspectives de vie. Le dernier, Care,
souligne la nécessité de préserver les agrosystèmes pour un bénéfice intra- et
intergénérationnel.

43
Government of Sikkim, Home Department, Gangtok. 2018. « Notification No.18/Home/2018 ».
http://sikkimpolice.nic.in/Notifications_Circulars/Notifications_Circulars_2018/2018_04_03_Procedure_for_Se
izure_and_Disposal_of_non_organic_agricultural_and_horticultural_commodities.pdf.
44
Government of Sikkim, Home Department, Gangtok. 2018. « Notification No.29/Home/2018 ».
http://sikkimpolice.nic.in/Notifications_Circulars/Notifications_Circulars_2018/2018_06_12_Constitution_of_T
ask_Force_for_Seizure_Disposal_of_non_organic_Argicultural_Horticultural_commodities.pdf.
45
Sikkim Organic Mission, 2015, op. cit.

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Différentes raisons, toujours dans le State Policy on Organic Farming46, ont convaincu
les dirigeant·e·s du Sikkim de réaliser cette transition agricole vers le biologique.
Premièrement, la transition ne paraissait pas insurmontable car le Sikkim utilisait peu de
pesticides et d’engrais de synthèses comparativement aux autres États indiens et, comme
mentionné précédemment, les agricult·rice·eur·s utilisaient déjà des techniques biologiques
avant l’apparition de l’agriculture industrielle. Deuxièmement, des raisons économiques les y
ont encouragé·e·s, notamment celle du tourisme, dont il était attendu qu’il augmente en
devenant le premier État biologique au monde. Néanmoins, l’agriculture biologique permet
aussi de réduire les coûts en éliminant les intrants externes et d’assurer un revenu plus élevé
pour les agriculteurs. Troisièmement, on retrouve tous les arguments liés à la protection de
l’environnement et des agrosystèmes, telle que l’amélioration de la fertilité des sols, la
protection et l’enrichissement de la biodiversité, la conservation des ressources en eau et l’arrêt
de la pollution de l’air, de l’eau et du sol. Quatrièmement, la question des maladies, liées
notamment aux pesticides, et l’importance d’une vie saine sont mises en avant. Il s’agit de
garantir une alimentation non-polluée et bonne pour la santé. Sur ce point, Khorlo Bhutia,
secrétaire d’état à l’agriculture et à l’horticulture, a confié à une caméra de TF147 que les acteurs
étatiques ont constaté que, dans les endroits où l’on épandait beaucoup de pesticide en Inde,
les cas de cancers avaient explosés, ce qui a convaincu les agricult·rice·eur·s sikkimai·se·s.
Cinquièmement, on retrouve l’argument du respect intergénérationnel avec l’idée de renforcer
et protéger les savoirs traditionnels relatifs à l’agriculture et à la gestion des semences pour les
générations futures. D’ailleurs, une sikkimaise, interviewée dans la même émission de TF1, a
mis en avant le fait que, malgré que le prix des denrées alimentaires ait augmenté, il fallait
penser aux générations futures et leur laisser une planète propre. On a donc des arguments
relatifs à une situation favorisant la transition, à des avantages économiques, à la protection de
l’environnement, à la santé humaine et aux générations futures.48

Loi sur l’interdiction de l’abattage de vaches


Le 29 août 2017, l’Assemblée Législative du Sikkim – qui fonctionne sur un système
monocaméral – entérine la « Sikkim Prevention of Cow Slaughter Bill, 201749 ». Le projet de
loi est présenté le jour précédent par Somnath Poudyal, ministre d’état à l’élevage, et accepté

46
Ibid.
47
novethic, 2019, op. cit.
48
Sikkim Organic Mission, 2015, op. cit., p. 9-10.
49
Sikkim Legislative Assembly, 2017, op. cit.

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par le Sikkim Democratic Front (SDF)50, le parti au pouvoir au Sikkim de 1994 à 201951. Le
SDF appartient à une alliance appelée North-East Democratic Alliance (NEDA)52, fondée par
le parti nationaliste Bharatiya Janata Party (BJP), un des principaux en Inde, auquel appartient
le président actuel Narendra Modi53. Des lois antérieures régulaient déjà en partie l’abattage de
vaches au Sikkim54, mais jamais de manière aussi stricte, ni pérenne.

Lors de son annonce, le ministre en chef Pawa Chamling mentionne plusieurs arguments
en faveur de la loi, faisant appel à des registres aussi bien éthiques qu’utilitaristes. Ainsi, on y
trouve que la « protection des vaches est devenue importante, considérant le besoin d’engrais
pour l’agriculture bio dans l’état du Sikkim55 » et que « le gouvernement veut faire appel à des
alternatives humaines, éthiques et durables pour s’occuper des vaches âgées et ne produisant
plus de lait ». Le ministre à l’élevage, quant à lui, mentionne que « la vache est considérée
comme une mère de l’agriculture, de l’industrie laitière et de l’humanité, en particulier en
Inde » et que « les habitant·e·s du Sikkim considèrent la vache comme sacrée et y sont
attaché·e·s émotionnellement ». Il qualifie la pratique d’abattage des vaches une fois qu’elles
ne sont plus productives de « fortement inhumain et immoral ». Il ajoute également, dans un
registre plus socio-économique, que « le secteur laitier est, avec l'agriculture, le plus gros
employeur au Sikkim et est une source majeure de revenus pour les petits agriculteurs », notant
que « plus de 80% des ménages ruraux possèdent des animaux laitiers et tirent un revenu
additionnel de ces activités ».

Au niveau du texte de loi56, on peut noter que le terme « vache » s’applique aussi bien
aux vaches capables de produire du lait qu’à celles qui ne le sont pas ou plus, mais également
aux génisses et aux veaux. Le terme « abattage », quant à lui, désigne toute mise à mort d’un
animal, quelle que soit la méthode, et la loi interdit aussi bien l’abattage que le fait de faire

50
The Wire Staff. 2017. « Sikkim Passes Bill Banning Cow Slaughter ». The Wire. 30 août 2017.
https://thewire.in/politics/sikkim-bans-c0w-slaughter-neda.
51
« Sikkim Democratic Front ». 2020. In Wikipedia.
https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Sikkim_Democratic_Front&oldid=954677566.
52
« North-East Democratic Alliance ». 2020. In Wikipedia. https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=North-
East_Democratic_Alliance&oldid=958210938.
53
« Bharatiya Janata Party ». 2020. In Wikipedia.
https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Bharatiya_Janata_Party&oldid=959587378.
54
Saldanha, Alison. 2017. « More than 99% Indians Now Live in Areas under Cow Protection Laws, Gujarat
Has Strictest Rules ». Hindustan Times. 14 avril 2017. https://www.hindustantimes.com/india-news/more-than-
99-indians-now-live-in-areas-under-cow-protection-laws-gujarat-has-strictest-rules/story-
Z8v4B9skYXyoW79vZ6KHBI.html.
55
The Wire Staff. 2017, op. cit., idem pour les citations suivantes.
56
Sikkim Legislative Assembly, 2017, op. cit.

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abattre par un tiers ou d’offrir l’animal en vue d’un abattage. Des exceptions peuvent être faites
dans le cas où une vache est atteinte d’une infection ou d’une maladie contagieuse, mais son
abattage est strictement régulé et ne peut se faire qu’après l’obtention d’un certificat officiel.
Afin de loger les vaches qui ne sont plus productives, le gouvernement et les autorités
locales sont astreints, par cette loi, à créer des gaushalas, soit des « refuges pour les bovins sans
abri ou non-désirés57 ».
Sans évoquer tous les détails, les amendes et peines infligées aux contrevenant·e·s à la loi
vont de 2 à 5 ans de prison et 10'000 roupies au minimum pour une première infraction, allant
jusqu’à 7 ans de prison ferme et 100'000 roupies au minimum lors de récidives. En
comparaison, le revenu annuel moyen d’une exploitation agricole au Sikkim était d’environ
80'000 roupies en 201358. Bien que cette peine puisse paraître déjà très sévère aux yeux
d’occidentaux, des États comme le Gujarat vont jusqu’à des condamnations de prison à vie et
des amendes de 500'000 roupies. Néanmoins, on peut noter que les infractions à cette loi sont
considérés, au Sikkim également, comme « cognizable and non-bailable », ce qui correspond
à des infractions graves dans le code pénal indien, au même titre que les meurtres, viols ou
enlèvements59.

Convergence et luttes – problématique spécifique


Au travers de ce bref état des lieux, nous pouvons constater que le Sikkim est, d’une part,
un territoire particulier de par son emplacement géographique aux conséquences
contradictoires – logé dans les contreforts de l’Himalaya, avec peu de routes carrossables
permettant le commerce de nourriture avec les pays et États limitrophes, ce qui implique
presque obligatoirement une relation consciente à la terre et au climat afin d’être autosuffisant –
mais, dans le même temps, il est également un lieu de transhumance des peuples, reliant le
Nord et le Sud de l’Himalaya, générant un mélange des croyances, religions et pratiques au fil
du temps.
D’autre part, les évolutions légales récentes que nous avons explorées font appel à
plusieurs registres argumentatifs éthiques, sociaux, économiques, politiques, parfois
contradictoires, souvent complémentaires, dont les racines sont, la plupart du temps, plurielles

57
« Definition of GAUSHALA ». s. d. Merriam-Webster Dictionnary. Consulté le 30 mai 2020.
https://www.merriam-webster.com/dictionary/gaushala.
58
Ranganathan, Thiagu. 2015. « Farmers’ income in India: Evidence from secondary data ». New Delhi:
Institute of Economic Growth (IEG), p. 29.
http://www.iegindia.org/ardl/Farmer_Incomes_Thiagu_Ranganathan.pdf.
59
Saldanha, 2017, op. cit.

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et impossibles à séparer les unes des autres, mais qui puisent une partie de leurs nutriments
sémantiques et idéologiques au sein des deux ontologies majeures du Sikkim : bouddhique et
hindoue, auxquelles nous ajoutons la tentative d’identification d’une quatrième : une ontologie
biologique, fondée dans la tradition agricole et remise au goût du jour.

Ainsi, et afin d’offrir une piste de réflexion non-ancrée dans l’ontologie occidentale60,
dans quelle mesure peut-on comprendre la révolution biologique qui s’est produite ces
vingt dernières années au Sikkim au-travers des ontologies relationnelles qui y
coexistent ?

60
Nous avons hésité à entrer dans les questions de néo-colonialisme de l’ontologie occidentale, et de post-
colonialisme comme courant de pensée et de pratiques pour y faire face, mais cela aurait demandé tout un pan
supplémentaire de recherche. Nous nous bornerons donc à utiliser la dénomination « ontologie occidentale »
pour désigner tout ce qui, par le passé ou dans le présent, peut être assimilé à une influence de celle-ci, comprise
comme étant fondamentalement dualiste, en opposition aux ontologies relationnelles.

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3. Lecture à la lumière de l’ontologie politique
Les ontologies relationnelles : bouddhique, hindoue, biologique
Afin de regarder cette thématique sous un angle
différent, nous allons nous appuyer sur certains des
outils conceptuels proposés par Arturo Escobar (voir
Illustration 661). Professeur d'anthropologie à
l'université de Chapel Hill en Caroline du Nord aux
États-Unis, d’origine colombienne, il est
principalement connu pour son ouvrage Encountering
Development, publié en 1995, dans lequel il critique
tout « l’édifice pourri des idées occidentales qui
soutiennent le concept de développement62 »,
identifiant aussi bien son caractère « d’exportation
idéologique que d’impérialisme culturel63 ». Dans le
cadre de ce travail, nous puiserons notre inspiration au Illustration 6 - Arturo Escobar
sein du quatrième chapitre d’un de ses livres plus
récents, publié en 2018 : Sentir-penser avec la Terre, aux éditions Seuil, traduit par l’Atelier
La Minga, lui-même un collectif impliqué dans les études décoloniales.

Afin de mobiliser les outils conceptuels qui peuplent l’ontologie politique d’Escobar pour
tenter de comprendre cette révolution biologique, il nous faut d’abord tenter de dépasser les
limitations inhérentes à la pensée occidentale moderne.
Le premier aspect que nous pouvons considérer est que, au sein des ontologies
relationnelles, « le territoire représente bien plus qu'une simple « ressource », une simple base
matérielle pour la reproduction de la communauté humaine et de ses pratiques64 ». Alors que
nous pourrions comprendre la transition agro-écologique comme une volonté de maximiser la
production de la terre, en vertu de sa topologie et pédologie uniques ou pour faire face à un
appauvrissement des sols dû à la monoculture, il nous faut déconstruire notre rapport à la nature
et aller chercher dans la relationalité de toute chose pour tenter de comprendre la complexité

61
Portrait d’Arturo Escobar. 2017. https://alchetron.com/Arturo-Escobar-(anthropologist).
62
Reid-Henry, Simon. 2012. « Arturo Escobar: A Post-Development Thinker to Be Reckoned with | Simon
Reid-Henry ». The Guardian, 5 novembre 2012, sect. Global development.
https://www.theguardian.com/global-development/2012/nov/05/arturo-escobar-post-development-thinker.
63
Ibid.
64
Escobar, 2018, op. cit., p. 124

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des mondes présents au Sikkim. La même logique est valable pour le traitement des vaches,
qui pourrait être réduit à une compréhension purement utilitariste – les bovins servant à
produire de l’engrais pour l’agriculture bio, dans une vision de nature-machine. Si cet argument
se trouve mentionné dans la première citation du ministre en chef Pawa Chamling, cité plus
haut, bien d’autres, plus surprenants d’un point de vue occidental, nous ouvrent la voie vers
une pluralité d’ontologies en jeu.

L’ontologie bouddhique de l’interexistence


Comme nous l’avons vu, l’histoire du Sikkim a été rythmée par l’influence du
bouddhisme. Escobar cite, afin de comprendre l’aspect relationnel de cette religion, le maître
vietnamien Thich Nhat Hanh qui explique qu’aucune entité préconstituée n’existe par elle-
même dans l’absolu, mais que toutes les entités interexistent65. Cette simple prémisse contient,
en vérité, une quantité de concepts que nous ne pourrons développer ici, mais il est intéressant
d’en considérer au moins deux plus en détails, qui nous éclaireront sur le sens général.
Premièrement, l’absence de « préconstitution » fait référence à la notion de « dependant
arising ». Alan Wallace, prenant le soi comme exemple, décrit que « le soi apparaît en fonction
de causes et de conditions antérieures, tels que nos parents et toutes les personnes qui
contribuent à notre survie, notre éducation, etc.66 ». Vue de cette manière, notre existence n’est
jamais indépendante de ce qui nous entoure, humain, non-humain, vivant ou pas, car nous
sommes en permanence influencé·e·s par celleux-ci, et les influençons en retour. Pour illustrer
cet aspect, Thich Nhat Hanh enseigne d’observer une feuille de papier et de retracer les causes
et les conditions de son existence :
« Si vous êtes poète, vous verrez clairement un nuage flotter dans cette feuille de papier.
Sans nuage, il n’y aurait pas de pluie ; sans pluie, les arbres ne pousseraient pas ; et sans
arbre, nous ne pourrions pas faire de papier. […] en regardant encore plus en profondeur
dans cette feuille de papier, nous y voyons aussi le soleil. Sans soleil, la forêt ne pourrait
pousser. En fait, rien ne pourrait pousser, nous ne pourrions nous développer. Par conséquent,
nous percevons aussi la présence du soleil dans cette feuille de papier. Le papier et le soleil
inter-sont.67 »

65
Escobar, 2018, op. cit., p. 121.
66
Wallace, B. Alan. 2001. « Intersubjectivity in Indo-Tibetan Buddhism ». Journal of Consciousness Studies 8
(5‑7), p. 209.
67
Hanh, Thich Nhat. 1990. Le coeur de la compréhension - Commentaires sur le Soutra du Coeur de la
Prajnaparamita. France: Village des Pruniers, p. 7.

Page 18 / 35
Deuxièmement, la notion d’ « absolu » fait référence à un concept central de la pensée
bouddhique, à savoir l’existence de deux réalités. L’une, relative, représente « le monde tel que
nous le percevons68 », à savoir comme le fruit de nos constructions mentales, perçu au-travers
des filtres créés par notre trajectoire sociale, nos peurs, nos croyances, nos désirs, etc. L’autre,
absolue, représente « le monde tel qu’il est69 », dénué de jugement et de préconception,
également appelé « vacuité70 ». Si ces modalités d’expérience du monde pourrait paraître
dualistes, elles servent en fait le but opposé : en prenant conscience que notre conception d’un
soi séparé du reste du monde est une construction de l’esprit ; que notre perception des choses
et personnes qui nous entourent est influencée par une multitude de facteurs mentaux ; et que
notre habitude de diviser le monde entre ce qui nous est bénéfique et ce qui nous est nuisible
ajoute encore une couche de subjectivité, nous faisons le premier pas sur le chemin de la
reconnaissance de la réalité absolue et de l’interexsitence de toute chose. En d’autres termes,
prendre conscience de la relativité de la réalité que nous percevons nous permet de ne pas
tomber dans le piège du dualisme. Si cette problématique semble avoir été au cœur de la pensée
bouddhique, au moins depuis le VIIe siècle avec les écrits de Śāntideva71, elle semble constituer
un outil fondamental pour permettre de penser au-delà de l’ontologie occidentale moderne.
Ainsi, au sein d’un territoire ayant été officiellement bouddhiste pendant plus de 300 ans,
comment comprendre les relations qui unissent les humains, les animaux, les plantes, la terre,
les montagnes, etc. ?
Escobar constate que les ontologies relationnelles, comme le bouddhisme, ne se limitent
pas à « des imaginaires, des idées ou des représentations72 » mais qu’elles « se déploient sous
la forme de pratiques concrètes73 », processus qu’il nomme énaction. Ainsi, le
Kanchendzonga, nous l’avons vu, troisième plus haut sommet du monde culminant à 8’586 m,
situé entre le Népal et le Sikkim, est considéré comme abritant une déité, couramment nommée
Dzö-nga, qui peut être invoquée pour différents buts, au-travers de rituels aux formes variées.
Anna Balikci Denjongpa note à son propos que « cette multitude d’identité a permis de créé
un symbole national au sein de la société multi-ethnique complexe, alors que le Sikkim était

68
Wit, Han F. de. 1992. « Transmitting the Buddhist View of Experience ». In On Sharing Religious
Experience: Possibilities of Interfaith Mutuality, 189‑202. Rodopi, p. 189.
69
Wit, 1992, op. cit., p. 189.
70
Ibid.
71
Hayes, Richard. 2019. « Madhyamaka ». In The Stanford Encyclopedia of Philosophy, édité par Edward N.
Zalta, Fall 2019. Metaphysics Research Lab, Stanford University.
https://plato.stanford.edu/archives/fall2019/entries/madhyamaka/.
72
Escobar, 2018, op. cit., p. 114.
73
Ibid.

Page 19 / 35
encore un royaume indépendant […]74 », ce qui nous sera utile plus tard pour le comparer à la
vache, sacrée dans la religion hindoue.
S’il ne nous est pas possible d’affirmer que ce rapport à l’une des montagnes principales
du Sikkim est une des causes de la révolution biologique, on peut supposer que le fait de
considérer un territoire comme refuge de déités, et donc d’énacter « une ontologie dans
laquelle la montagne est un être sensible75 », a une influence non-négligeable sur la manière
dont on décide de le cultiver. D’autant plus que le caractère sacré ne se limite pas au
Kanchendzonga puisque « presque chaque montagne, sommet d'une colline, rocher
proéminent, col de montagne, crevasse, vallée, vieil arbre, lac, rivière et ruisseau semble être
la demeure d'un être surnaturel76 ».

Le symbolisme de la vache dans l’hindouisme


Si son influence semble plus tardive au Sikkim, l’hindouisme est aujourd’hui majoritaire
au sein de sa population, à l’exception du Nord de l’état. Bien qu’il ne nous ait pas été possible
de retracer les raisons exactes de ce changement, on peut supposer que l’entrée dans l’Inde en
1975 a joué un rôle majeur, permettant des vagues migratoires depuis les états limitrophes
notamment.
Une des figures les plus saillantes des croyances et pratiques hindoues, et celle qui nous
sera utile ici pour comprendre la partie bovine de la révolution biologique, est celle de la vache
sacrée. Sans entrer dans le débat idéologique qui anime les érudit·e·s indien·ne·s et occidentaux
depuis des décennies, nous pouvons identifier quatre phases principales de la relation
privilégiée de l’Inde avec la vache.
Premièrement, Korom mentionne que, lors du tout début de la littérature Védique
(premiers textes de la religion hindoue), vers le XVe siècle av. J.-C., la vache « avait un statut
quelque peu élevé77 » et que, bien qu’elle ne soit pas encore « inviolable78 », elle était utilisée
comme « un motif symbolique79 ».
Puis, pendant la période Védique, elle est décrite « plus souvent que n’importe quel autre
membre du royaume animal80 », autant sous sa forme profane que sacrée. En effet, ses vertus

74
Denjongpa, Anna Balikci. 2002. « Kangchendzonga: Secular and Buddhist perceptions of the mountain deity
of Sikkim among the Lhopos ». Bulletin of Tibetology, 2002, p. 5.
75
Escobar, 2018, op. cit., p. 115.
76
Denjongpa, 2002, op. cit., p. 5.
77
Korom, Frank J. 2000. « Holy Cow! The Apotheosis of Zebu, or Why the Cow Is Sacred in Hinduism ».
Asian Folklore Studies 59 (2), p. 186.
78
Korom, 2000, op. cit., p. 186.
79
Ibid.
80
Korom, 2000, op. cit., p. 187.

Page 20 / 35
économiques sont louées – aspects que l’on retrouve fortement mis en avant chez certains
auteurs matérialistes occidentaux comme Marvin Harris qui décrit en détails la manière dont
la vache non-seulement fournit du lait mais permet d’enfanter des mâles servant de force de
travail dans l’agriculture indienne non-mécanisée des années 197081 – mais également le rôle
qu’elle joue dans les pratiques de sacrifice servant à maintenir l’ordre de l’univers. Ainsi, « la
vache prend alors des proportions cosmiques en étant au cœur du sacrifice82 » et commence à
être décrite elle-même comme étant un « univers produisant tout et contenant tout83 », symbole
que l’on retrouve jusqu’à nos jours (voir Illustration 7).

Illustration 7 - "World mother cow of good fortune", milieu du XXe siècle. Le panthéon hindou est représenté au sein de la
vache et la déesse Vishvarajlakshmi émerge de son dos pour avertir le dieu de la mort Yama que celleux qui vénèrent la vache
sont protégé de lui et de ses punitions. Devant la vache, une femme effectue un rituel de vénération de celle-ci, que l’on
retrouve encore communément pratiqué au XXIe siècle en Inde et dans les pays hindous, notamment lors de la fête de Dashain.

81
Harris, Marvin. 1978. « India’s Sacred Cow ». Human Nature 1 (2): 28‑36.
http://www.isd547.com/HS/Teachers/dobrien/documents/SacredCow.pdf.
82
Korom, 2000, op. cit., p. 187.
83
Ibid.

Page 21 / 35
Une troisième phase est entamée, au début du Ve siècle av. J.-C., avec l’influence
croissante du bouddhisme et du jainisme, qui semble atteindre son apogée pendant le règne du
roi Ashoka, avec la conversion de celui-ci au bouddhisme vers 262 av. J.-C. En effet, Korom
dénombre plusieurs textes sacrés et juridiques faisant mention de la notion de non-violence,
ahiṃsā, qui était jusqu’alors presque totalement absente, avec des interdictions spécifiques de
tuer des vaches ou, pour la caste des Brahmanes (prêtres), une interdiction de manger de la
viande. Néanmoins, d’autres passages préservent une ambiguïté, notamment en ce qui concerne
les autres castes de la société indienne. Après la mort du roi Ashoka, le sacrifice animal
redevient pratique courante jusqu’au Moyen-Âge. Bien que « la littérature brahmanique (ait)
commencé à traiter la notion de ahiṃsā comme un dogme, l’idée de pratiquer la non-violence
à grande échelle rencontrait encore de la résistance de la part des classes subalternes84 ».

Enfin, une dernière phase peut être


identifiée à partir de l’utilisation de la
vache comme symbole sacré par Mahatma
Gandhi (voir Illustration 885), notamment
en 1921 dans un article paru dans le
journal Young India, qui va réellement
ancrer son statut dans le pays et dans les
territoires limitrophes pratiquant
l’hindouisme. Korom note : « peut-être
était-ce la rupture créée par la domination
coloniale qui a facilité l’émergence du
besoin d’ "inventer" la vache comme un
objet védique de vénération, qui perdure
avec encore plus d’éclat aujourd’hui86 ».
Ce dernier point, mettant en relation
Illustration 8 - Un jeune veau est présenté à Mahatma Gandhi.
l’aspect sacré avec l’action politique, nous
ouvre la piste vers une interprétation de l’utilisation du symbole de la vache comme outil de
défense ontologique contre la domination occidentale ou, comme le dit Escobar, de prendre

84
Korom, 2000, op. cit., p. 188.
85
Gandhi being shown a new ashram calf. 1950. http://earthethics.org/clarifying-gandhi/clarifying-gandhi-9-
cow-protection/.
86
Ibid.

Page 22 / 35
une perspective politique ontologique car « l’autonomie renvoie à la capacité de se
reconcevoir soi-même dans tous les aspects, dans sa diversité et son hétérogénéité, et dans son
articulation avec d'autres mondes87 ».

Néanmoins, s’il serait séduisant d’expliquer ce phénomène selon un axe unique


dominant·e·s-dominé·e·s, l’histoire et la politique indiennes sont bien plus complexes et le peu
que nous puissions en dire, en tant qu’européens non-aguerri·e·s à ce territoire, devra se limiter
à ouvrir quelques voies de réflexion. Ainsi, nous pouvons citer l’ouvrage d’Andersen et Damle
de 2018 sur la Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS, « National Volunteer Organisation88 »),
une organisation paramilitaire, nationaliste hindoue, dont les vues sur l’abattage des vaches
« sont enracinées dans l'utilisation, par le mouvement de réforme hindou du XIXe siècle, de la
vénération des vaches comme symbole pour créer une délimitation aidant à unifier la
communauté hindoue fracturée89 » et qui est liée avec le BJP, le parti nationaliste hindou étant
à la base de l’alliance politique ayant permis d’entériner la loi sur l’interdiction d’abattage de
vaches au Sikkim. Bien que la protection des vaches ait décru au début des années 1990 pour
le BJP, qui se concentrait alors plus sur le développement économique, et qu’il ait « cherché à
éviter la confrontation dans les régions où la consommation de viande de bœuf fait partie de
l'alimentation, comme dans le nord-est de l'Inde90 », on peut commencer à voir les implications
politiques, sociales et idéologiques de cette thématique, et la complexité avec laquelle ses
act·rice·eur·s doivent composer pour la manier.
Ces ramifications se retrouvent exposées de manière particulièrement intéressante dans
une note de Dharampal, penseur et historien indien dont « les travaux fondateurs sur la société
indienne pré-britannique ont conduit à une réévaluation radicale de l'historiographie
dominante sur la société et la politique indiennes d’avant la domination britannique91 », à
l’intention de la National Commission on Cattle en 2002 et que l’on retrouve dans les archives
numériques du BJP (nous soulignons) :
« Il y a environ 150 ans, on dénombrait quelques 350 variétés de fleurs dans la Vallée
des Fleurs de l'Himalaya. Il n’en reste maintenant plus que 50 à 100. Selon la compréhension
moderne, ce déclin semble être dû à l'arrêt forcé du pâturage dans la région. La question de

87
Escobar, 2018, op. cit., p. 146.
88
« Rashtriya Swayamsevak Sangh ». 2020. In Wikipedia.
https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Rashtriya_Swayamsevak_Sangh&oldid=960293997.
89
Andersen, Walter, et Shridhar Damle. 2018. RSS: A View to the Inside. Penguin Viking.
90
Andersen, Walter, 2018, op. cit.
91
Chowdhury, Probal Roy. 2020. « Introducing Dharampal ». Center For Indic Studies (blog). Consulté le 2 juin
2020. https://www.cisindus.org/2020/06/02/introducing-dharampal/.

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la vache, de l'agriculture, de nos croyances, du swabhava (propre nature de tout être), etc.
sont toutes liées entre elles. Nous devons examiner tous ces aspects si nous voulons être
efficaces. Sur la base de tels liens et relations, peut-être une théorie indigène indienne
pourrait-elle être construite sur les plantes, les animaux, l'environnement, le swabhava, etc.
L'Inde a besoin d'une histoire approfondie de la vache indienne et de sa relation avec la vie et
la société qui l'entoure, de l'Antiquité à nos jours92 ».
C’est donc bien une relation interpersonnelle que les indien·ne·s entretiennent avec la
vache, débordant dans tous les aspects de la vie, de la production de nourriture à la préservation
de la biodiversité, des croyances à l’identité même de ce qui était indien avant la colonisation
britannique, avant les invasions musulmanes, au commencement des premiers textes de foi et
peut-être même avant. On retrouve ici les quatre points de stratégie et de sauvegarde des
territoires énoncés par Escobar (écologique, social, politique, culturel93) qui, ensemble,
permettent de penser le monde et de l’énacter. La vache comme symbole et outil de l’autonomie
qui « en dernière instance […] est ontologique94 ».

Vers une ontologie biologique ?


Conne nous l’avons vu plus haut, le 15 août 2010, l’Organic Mission du Sikkim était
annoncée officiellement. Globalement, elle a pour fonction d’organiser l’agriculture biologique
sikkimaise. Plusieurs points de ce texte peuvent être ici mis en évidence et questionnés.
Objectifs
Le premier concerne « développer et explorer les marchés des produits biologiques ».
On peut se rendre compte ici que la politique sikkimaise en matière d’agriculture ne suit pas
les logiques classiques que la Banque Mondiale ou le Fond Monétaire International pourraient
recommander, à savoir une spécialisation en une ou quelques commodités (en particulier les
« cash crops ») pour ensuite les exporter et les placer sur les marchés internationaux. Ici, il
nous semble que l’on parle d’une remise en valeur des produits agricoles biologiques, mais
aussi une revalorisation à l’échelle locale dans une logique de circuits courts. Cette politique
casse donc le lien avec le développement entendu à l’occidentale.
Le deuxième, à savoir « développer la marque biologique Sikkim avec un logo
approprié », est intéressant car iels souhaitent, en quelque sorte, « breveter » leur agriculture

92
Dharampal. Note à l’intention de la National Commission on Cattle. 2002. « Towards Banning of Cow-
Slaughter in India », 2002. http://library.bjp.org/jspui/bitstream/123456789/965/1/Dharampal-
Note_on_cowslaughter_2001-02.pdf.
93
Escobar, 2018, op. cit., p. 145.
94
Escobar, 2018, op. cit., p. 146.

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biologique. Un peu comme s’iels voulaient en faire leur marque de fabrique. On pourrait se
demander dans quels but iels souhaitent instaurer ce logo. Peut-être pour une potentielle
exportation ? Pourtant, l’objectif est d’abord de nourrir les citoyen·ne·s sikkimai·se·s de
manière saine et non polluée. On pourrait également y voir une sorte de nationalisme. En effet,
après avoir été reconnu·e·s internationalement, avoir reçu l’ « Oscar for best policies » et même
ayant vu certains pays comme l’Italie les contacter afin d’appliquer le modèle sikkimais à leur
agriculture95, un sentiment de fierté nationale pourrait accompagner cette transition. On peut
se demander si ce n’est pas une conséquence de l’influence du modèle occidental de
privatisation, allant d’ailleurs à l’encontre de la gestion des communs, que nous développerons
un peu plus bas. De plus, on notera que, pour l’instant, il semble exister plusieurs logos et
appellations du bio au Sikkim (voir Illustration 9), ce qui ne semble pas indiquer l’existence
d’un monopole de sa certification.

Illustration 9 - Trois des logos de la certification bio du Sikkim que l'on peut trouver sur internet96.

Le dernier point que nous retenons ici est peut-être le plus intéressant : « rendre
l'agriculture rentable, durable et acceptable pour l'environnement ». Cet objectif semble, à
première vue, renvoyer au développement durable. En effet, les termes clés sont présents : le
premier est celui de la durabilité afin de laisser aux générations futures des moyens de subvenir
à leurs besoins, le deuxième est lié à la volonté de rendre l’agriculture « acceptable » pour
l’environnement, c’est-à-dire qu’on ne cherche pas à valoriser la nature pour elle-même, mais
qu’on la laisse survivre en lui laissant des seuils minimaux pour que l’être humain puisse
s’adonner au développement ; et le dernier, celui de la « rentabilité », est central dans le concept

95
Northeast Now. s. d. « Italy to Adopt Sikkim Organic Model: Pawan Chamling ». Northeast Now (blog).
Consulté le 10 juin 2020. https://nenow.in/uncategorized/italy-to-adopt-sikkim-organic-model-pawan-
chamling.html.
96
Sikkim: Leader in Organic. 2018. http://krishijagran.com/agripedia/sikkim-leader-in-organic/.

Page 25 / 35
de développement durable. Mais peut-être interprétons-nous cet objectif ainsi à cause de notre
ontologie occidentale ; on pourrait donc relire ce point de manière différente. Par exemple, le
fait d’être « rentable » n’entendrait pas la maximisation des bénéfices mais plutôt une sorte
d’autonomie, d’indépendance vis-à-vis des institutions de développement comme la Banque
Mondiale ou le Fond Monétaire International ou encore de l’État fédéral indien. On pourrait
aussi comprendre le fait de rendre l’agriculture « acceptable » et « durable » pour
l’environnement comme une prise en compte réelle et sérieuse de celui-ci, comme une
personnification de l’environnement, qui serait alors un acteur qui compte réellement. Ainsi,
l’environnement naturel impacté par l’agriculture représenterait « bien plus qu’une simple
"ressource" , une simple base matérielle pour la reproduction de la communauté humaine97 ».
On serait alors loin de l’ontologie occidentale, avec sa « curieuse division du travail : la
science parle au nom du non-humain, tandis que la politique s’occupe du devenir humain98 ».
En effet, dans le monde occidental, « la nature ne peut pas être à l’origine de faits
politiques99 ». Cette ontologie supposée correspond à l’ontologie bouddhique de
l’interexistence, c’est-à-dire qu’aucune entité préconstituée n’existe par elle-même dans
l’absolu, mais que toutes les entités interexistent. Cette prise en compte réelle et sérieuse de
l’environnement pourrait venir d’une sorte de conscience de ce lien indéfectible entre l’humain
et ce qui l’entoure. Ainsi, la prise en compte des sols, de la biodiversité et du Tout que
représente la planète en politique parait essentiel.
On peut noter également que le secrétaire à l’agriculture du Sikkim, Khorlo Bhutia,
appartient à une tribu majoritairement bouddhiste100 (les Bhutias), et qu’il est une des figures
principales de la transition vers l’agriculture biologique. Bien qu’il ne soit pas possible
d’affirmer que ses traditions familiales soient à la base de son engagement politique et
administratif dans ce sens, on peut imaginer qu’elles ont eu une influence notable.
De plus, on pourrait mettre en lien la présence de cette ontologie relationnelle avec le
premier argument ayant contribué à convaincre les dirigeant·e·s du Sikkim à réaliser cette
transition agricole, cité précédemment, à savoir que cette dernière ne paraissait pas
insurmontable à cause du contexte. En effet, un savoir local en agriculture biologique était déjà
présent, ainsi qu’une utilisation modérée des pesticides et engrais chimiques.

97
Escobar, 2018, op. cit., p. 124.
98
op. cit., p. 128.
99
Ibid.
100
Subba, 2009, op. cit.

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Cependant, une partie relativement importante de l’argumentaire du gouvernement pour
cette transition agricole reste quand même économique. En effet, nous avons vu qu’une des
conséquences de cette transition est la renommée internationale du Sikkim et, notamment, son
influence sur le développement du tourisme. Il était également question de réduire les intrants
et d’assurer un revenu plus élevé pour les agriculteurs. Ces deux points, en revanche, peuvent
être sujets à interprétation : en réduisant les intrants, il est certain qu’on réduit également les
coûts de production, mais avec leur définition de la valeur Écologie, que nous verrons en détails
plus loin, iels sont proches d’une vision permacole, qui promeut un système autonome,
produisant lui-même ses propres intrants (semences, « pesticides », engrais, etc.). Ainsi, ce
premier point pourrait s’inscrire dans l’ontologie bouddhique de l’interexistence car produire
soi-même ses intrants revient à faire du bio-mimétisme. Le deuxième argument, d’un revenu
plus élevé pour les agriculteurs, est certes économique mais également social.

Nous souhaitons relever ici un point important auquel nous nous sommes confronté·e·s à
plusieurs reprises dans notre questionnement. Il ne faut pas se laisser tomber dans le piège de
la posture anthropologique du relativisme culturel, car elle ne nous permet pas de sortir de
l’ontologie occidentale. En effet, celle-ci ne rend légitime que son propre monde, ses façons
de faire et de voir – et notamment « une dualité entre nature et culture, et entre un « nous » et
« eux » »101 – au-travers d’une compréhension des autres visions du monde comme n’étant que
le produit d’une interprétation différente des mêmes données de l’expérience, basée sur des
croyances. Le relativisme culturel ne remet aucunement en cause l’idée qu’il n’y aurait qu’une
seule réalité, et « l’existence d’une supranationalité – la « raison universelle » - que l’Occident
est la seule à posséder à son degré le plus haut »102. Il faut alors se distancer de l’ontologie
occidentale, voir les sociétés humaines comme constituées de plurivers, c’est-à-dire « un
ensemble de mondes en connexion partielle les uns avec les autres, qui n’ont de cesse de
s’énacter et de se déployer »103, et non comme des visions du monde différentes, basées sur les
cultures, qui sont toutes subordonnées à une supposée objectivité absolue de la science.

Valeurs
La manière que le gouvernement sikkimais a de comprendre l’agriculture biologique à
travers des sortes de valeurs est intéressante à relever et à questionner.

101
Escobar, 2018, op. cit., p .126.
102
Ibid.
103
op. cit., p. 129.

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Il mentionne tout d’abord le concept de Health, mais l’applique non seulement à
l’humain, mais également aux sols, aux plantes, aux animaux et à la planète. Nous ne sommes
donc pas dans le registre d’une éthique anthropocentrée, comme c’est le cas majoritairement
en Occident, mais face à une ontologie qui prend en compte des êtres vivants (plantes et
animaux), des entités inanimée (le sol), mais aussi une sorte de Tout (la planète). Il nous semble
donc qu’on soit plutôt dans le registre d’un écocentrisme moral, voire d’un holisme moral,
comme exploré notamment par Callicott en Occident104. Cela sous-entend qu’une valeur
intrinsèque est attribuée, non seulement à tous les êtres vivants, mais à tout ce qui existe
naturellement : les populations d’organisme, les écosystèmes, la matière et le Tout ou la
communauté biosphérique, au sens de Lovelock. On pourrait alors penser que cette ontologie
a favorisé la révolution biologique. Elle se retrouve d’ailleurs dans les arguments mentionnés
par le gouvernement sikkimais, comme nous l’avons noté ci-dessus.

Dans la valeur Ecology, il est mentionné que l’agriculture doit être bio-inspirée, doit
travailler avec les fonctionnements naturels et assurer leur durabilité. Cette vision de
l’agriculture nous renvoie à celle de la permaculture, qui est la version la plus connue en
Occident. En effet, cette dernière « propose de prendre la nature pour modèle105 », surtout en
observant les fonctionnements de cette dernière pour les transposer dans un agrosystème. Un
des principe développé par David Holgren est d’ailleurs « se servir de la diversité et la
valoriser106 », où il est notamment question de protection de la biodiversité. Ses différents
principes orientent la·e permacult·rice·eur pour reproduire les fonctionnements naturels dans
l’agrosystème, avec des principes tels que « chaque élément est placé en relation aux
autres107 », « chaque élément remplit plusieurs fonction108 », « utiliser des ressources
biologiques109 », « accélérer les successions pour accélérer l’évolution110 » ou encore
favoriser les « effets de lisières111 ». Dès lors, on pourrait se demander si l’agriculture
biologique sikkimaise et la permaculture partage une même ontologie.

104
Callicott, J. Baird. 2007. « La valeur intrinsèque de la nature : une analyse métaéthique ». In Ehtique de
l’environnement : nature, valeur, respect. Paris. France: Librairie philosophique J. Vrin.
105
Gruyer, Perrine, et Charles-Hervé Gruyer. 2019. Vivre avec la terre. Ferme du Bec Hellouin. Actes Sud, p.
16.
106
Holmgren, David. 2014. Permaculture. Principes et pistes d’action pour un mode de vie soutenable. France :
Paris: Editions rue de l’échiquier, p. 477.
107
Mollison, Bill. 2012. Introduction à la permaculture. France : Tigneu-Jameyzieu: Passerelle Eco, p. 17.
108
op. cit., p. 20.
109
op. cit., p. 29.
110
op. cit., p. 37.
111
op. cit., p. 40.

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Ce qui est intéressant avec la valeur de Fairness, c’est qu’elle met en avant les notions de
communs environnementaux. Dans les systèmes capitalistes d’Occident, la propriété privée
prime (la grande majorité du temps) sur les communs, surtout environnementaux. La question
des communs environnementaux est à mettre en relation avec cette conscience que l’on fait
partie d’un Tout, que tout est inter-relié.
À cet égard, Escobar prend l’exemple de la fille qui apprend à manier le potrillo avec son
père. À première vue, c’est une situation simple, mais, quand on regarde avec les lunettes de
l’ontologie relationnelle, on ne voit plus seulement une fille et son père navigant sur un fleuve.
On remarque que « le Portillo a été taillé par le père dans un arbre de la forêt ou de la
mangrove grâce aux savoirs transmis de génération en génération. La mangrove a été
parcourue jusque dans ses moindres méandres par les habitants du lieu, qui profitent du réseau
fractal des marais. […] La mangrove est elle-même un grand réseau d’interrelation […]112 ».
Ainsi, ce ne sont plus des entités séparées, mais un tout, un monde. Ce point remet en question
les dualismes modernes. L’accès équitable aux communs environnementaux reviendrait à
accepter et valoriser ces liens inhérents à l’existence.

Le dernier, Care, est mis en avant surtout sur la question intra- et intergénérationnelle.
Nous définissons généralement le Care par « sollicitude ou soin, (et) connote une forme
d’engagement, au-delà du seul intérêt personnel113 ». Ce que met en avant cette valeur est donc
un soin entre les générations actuellement, mais aussi pour les générations futures. On pourrait
aussi penser qu’il y a une extension de l’ontologie bouddhique de l’interexistence aux
générations futures. Dans l’exemple tiré d’Escobar au point précédent, les liens de ce monde
sont d’ailleurs étendus à travers le temps car il est également question de savoir transmis de
générations en générations. Le cinquième argument qui a convaincu les dirigeant·e·s du Sikkim
à faire cette transition agricole renvoie à cette valeur du Care : l’idée de protection des
générations futures y est clairement explicitée. De plus, il semble que ce ne soit pas une volonté
uniquement des élites car, lors de l’interview de TF1, une sikkimaise semblait avoir ce même
sentiment : elle misait sur le long terme, au détriment du cout terme, car elle préférait laisser
une planète propre et payer ses aliments plus cher.

112
Escobar, 2018, op. cit., p.119.
113
Swaton, Sophie. 2017. « Introduire le concept de personne en économie ? Des capabilités au care :
réciprocité et responsabilité ». Ethique et économique 14 (1). http://ethique-economique.net/, p. 14.

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4. Conclusion
La première partie de ce travail nous a permis, grâce à un état des lieux historiques et
l’analyse de deux cas législatifs récents, de mettre en exergue certaines des ontologies qui
pouvaient être présentes au Sikkim. Afin de proposer des pistes de réponse à la problématique
visant à comprendre la révolution biologique du Sikkim au-travers des ontologies relationnelles
qui y coexistent, nous nous sommes appuyé·e·s, dans la deuxième partie, sur les thèses
d’Escobar afin d’appréhender :
L’influence de l’ontologie bouddhique – dans son concept d’interexistence, caractérisé
par le fait que rien n’est jamais indépendant de ce qui l’entoure et que prendre conscience de
la relativité de la réalité que nous percevons nous permet de ne pas tomber dans le piège du
dualisme – qui nous permet de considérer le territoire comme un refuge de déités et d’énacter
une ontologie dans laquelle il est un être sensible ;
Les racines hindoues de la sacralisation de la vache – permettant de comprendre comment
elle a été érigée en symbole et outil de défense contre la domination occidentale, contribuant à
une autonomie ontologique, mais aussi utilisée politiquement par les partis et groupes
nationalistes indiens – qui met à jour la relation interpersonnelle que les indien·ne·s
entretiennent avec la vache et qui déborde dans tous les aspects de la vie ;
La potentialité d’une ontologie biologique – comprenant un éventail d’objectifs et de
valeurs permettant de remettre les concepts de développement croissantiste et industriel en
question, tout comme celui du développement durable à l’occidentale – qui met en jeu aussi
bien un holisme moral qu’une bio-inspiration proche de la permaculture, la revalorisation, à
l’échelle locale, des produits et des circuits courts, une redéfinition des communs
environnementaux ou un soin des êtres, décentralisé jusqu’aux générations futures.

Le Sikkim, comme tout territoire peuplé d’humains et de non-humains, mais peut-être


plus encore de par son emplacement et son histoire, est le terrain à la fois d’un combat et d’une
coexistence entre de nombreuses ontologies. Elles ne sont pas le fruit de cultures différentes,
que nous pourrions objectiver grâce à la science ou à une sorte de supra-neutralité, mais elles
représentent des mondes qui sont, de manière inter-reliée, se faisant concurrence et collaborant
à la fois, s’énactant à chaque instant au-travers des pensées et des comportements de celleux
qui les habitent. La révolution biologique est une conséquence de tout cela et à la fois une
composante de ces mondes. On ne peut pas voir ces lois comme n’étant que le résultat d’un

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combat politique. Les ontologies relationnelles se ressentent plus qu’elles ne se comprennent
rationnellement :
« on ne pourra résoudre la tension entre univers et plurivers, entre un monde fondé sur
une réalité et de nombreux mondes et formes de réel, en essayant de déterminer laquelle des
deux options est la plus vraie ou la plus juste. Cela nous ferait retomber dans les pièges des
jeux de vérité et de pouvoir - épistémè - de la modernité. Il nous faudra plutôt choisir une
position éthico-politique qui ne peut être "démontrée" comme vraie, mais plutôt éprouvée et
vécue dans ses implications pratiques et politiques114 ».

Ce que nous avons constaté et dont nous sommes sûr·e·s, c’est que le Sikkim est un
territoire complexe qui méritera qu’on analyse ses ontologies relationnelles et la manière dont
elles s’entre-nourrissent de manière bien plus détaillée, en allant sur le terrain, en parlant à ses
habitant·e·s. Mais, peut-être plus encore, cela demandera des chercheu·se·r·s provenant du Sud
globalisé, ayant une conception approfondie des enjeux que représentent la compréhension et
la mise en récit de ces ontologies, dans le milieu académique comme sur le terrain.

À l’aune de la crise écologique, sociale et sanitaire que nous traversons, partout dans le
monde, il nous paraît essentiel d’aller puiser dans ces territoires, désormais les pionniers de
l’innovation qui sera réellement utile à l’humanité, l’inspiration nécessaire pour effectuer une
transition ontologique en Occident, et créer avec eux les liens qui permettront le partage des
connaissances, essentiel et inhérent à un plurivers interconnecté, interdépendant et, surtout,
interexistant.

114
Escobar, 2018, op. cit., p. 11.

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