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des investissements
Suzy H. Nikièma
http://books.openedition.org
Référence électronique
NIKIÈMA, Suzy H. L’expropriation indirecte en droit international des investissements. Nouvelle édition [en
ligne]. Genève : Graduate Institute Publications, 2012 (généré le 29 juillet 2016). Disponible sur
Internet : <http://books.openedition.org/iheid/875>. ISBN : 9782940549009.
| I
II |
Suzy H. Nikièma
L’expropriation indirecte
en droit international
des investissements
| III
Collection INTERNATIONAL | Droit
ª http://graduateinstitute.ch
ISBN 978-2-940503-01-8
Dépôt légal – 1re édition : 2012
IV |
À mes parents,
Victor et Henriette
V
Remerciements
VI
Table des matières
Préface xiii
Avant-propos xvii
Abréviations xix
Introduction1
VII
A. L’indication commune : l’exclusion des critères de licéité
du processus de qualification 55
B. Quelques indications atypiques 58
§ 3 Une absence de définition conventionnelle sans incidence
sur les mesures verticales 60
A. Une définition coutumière incertaine de
l’expropriation indirecte 60
B. Les mesures verticales d’expropriation indirecte
encadrées par une « coutume internationale » 65
Section 2 – Les tentatives récentes de clarification de l’expropriation
indirecte dans les traités de protection des investissements68
§ 1 Le contexte des clarifications conventionnelles 69
A. L’État « providence » dans le contentieux international
des investissements 69
B. L’émergence du concept de développement durable 71
C. La relativisation de l’effet attractif des traités de
protection des investissements 73
D. La mondialisation de l’économie et les nouveaux
rapports étatiques nord-sud 75
§ 2 La substance des clarifications conventionnelles 77
A. La réaffirmation du droit de règlementer de l’État
d’accueil 77
B. L’exclusion de certains types de règlementations étatiques 79
C. L’intégration d’annexes explicatives 81
§ 3 La faible portée des clarifications conventionnelles 82
A. Une affirmation redondante du droit de règlementer 82
B. Des exclusions peu efficientes 84
C. Des précisions qui n’en sont pas 85
Section 3 – Terminologie et typologie de l’expropriation indirecte :
sortir de l’ambiguïté86
§ 1 La terminologie ambiguë de l’expropriation indirecte 87
A. Les termes partiels 87
B. Les termes partiaux 92
Expropriation déguisée ou sournoise 93
Expropriation rampante ou larvée et expropriation
progressive 94
§ 2 Les confusions entre l’expropriation indirecte et les
faits-candidats 97
A. Les confusions mineures 97
B. Les confusions majeures avec des notions juridiques
voisines 99
§ 3 La typologie adéquate aux mesures d’expropriation
indirecte 102
A. Expropriation indirecte ou mesure équivalente à
une expropriation ? 102
B. L’analogie avec la distinction entre mesures verticales
et horizontales 104
VIII
Chapitre 2 – La relative précision des éléments constitutifs
d’une expropriation indirecte dans la jurisprudence arbitrale :
un héritage des mesures verticales107
Section 1 – Une mesure imputable à l’État…108
§ 1 Les mesures éligibles 108
A. Un large éventail de mesures éligibles 109
B. La spécificité de la mesure contractuelle 112
C. Un enjeu inhérent aux mesures horizontales :
les omissions 121
§ 2 L’imputabilité de la mesure éligible à l’État d’accueil 129
A. Le recours au droit international coutumier de la
responsabilité 129
B. L’application inadaptée d’un moyen d’imputabilité à la
mesure d’expropriation indirecte 134
Section 2 – … équivalente à une expropriation136
§ 1 L’effet de la mesure s’apprécie sur l’investissement 136
A. L’effet de la mesure comme « rapport » de l’équivalence 136
B. Le critère de l’effet préjudiciable sur l’investissement 138
C. Deux conceptions possibles de l’effet préjudiciable
sur l’investissement 140
§ 2 Un processus de qualification focalisé sur le préjudice
de l’investisseur 141
A. La doctrine du seul effet 141
B. L’exigence d’un préjudice « substantiel » : une règle
exclusive, mais flexible 152
Un critère exclusif supposé rigoureux 152
Un critère flexible : l’admission de préjudice partiel 158
§ 3 L’incertitude des facteurs de vérification de la gravité
du préjudice causé à l’investissement 159
A. Les facteurs de vérification issus de la sentence
Pope & Talbot c. Canada 159
B. La transposition inadaptée aux mesures horizontales 162
C. Le paradoxe ou l’efficacité de l’usage de critères
inappropriés 163
Chapitre 3 – Une notion interférente pour la qualification
des mesures horizontales : la mesure « de police »165
Section 1 – La notion de mesure de police166
§ 1 Retour sur la notion de mesure de police en droit interne 166
A. Une notion importée du droit constitutionnel américain 166
B. Le processus de transposition en droit international
des investissements 171
§ 2 Le contenu de la notion de mesure de police en droit
international des investissements 172
A. Les intérêts publics légitimant l’édiction d’une
mesure de police 173
B. Le processus d’édiction de la mesure de police 176
C. La mesure de police : une notion fonctionnelle 177
IX
Section 2 – La teneur de l’interférence avec la définition
de l’expropriation indirecte179
§ 1 Des caractéristiques proches de celles de l’expropriation
indirecte 179
A. Une source identique : la mesure imputable à l’État
d’accueil 179
B. Un même but : l’intérêt public 180
C. Un impact similaire : le préjudice substantiel sur
l’investissement 181
§ 2 Des conséquences juridiques diamétralement opposées :
une non-indemnisation de principe face à une
indemnisation obligatoire 181
Section 3 – Le principe inopérant de distinction entre mesure de police
et mesure d’expropriation indirecte183
§ 1 L’énoncé explicite du principe de distinction 183
A. Affirmation du principe de distinction dans les
instruments relatifs à l’investissement :
de l’exclusion à la présomption 183
B. Affirmation du principe de distinction dans la
jurisprudence et la doctrine : la disparité des approches 187
§ 2 Un principe de distinction inopérant devant les tribunaux 193
A. Un principe de distinction inappliqué par les tribunaux 193
B. Un principe de distinction inapplicable 197
§ 3 Le mérite de l’interférence avec la définition de
l’expropriation indirecte : l’insuffisance de la doctrine
du seul effet pour les mesures horizontales 202
X
§ 2 La licéité systémique de la clause d’expropriation indirecte
en droit international 227
A. L’investisseur étranger n’est pas en situation de
« Robinsonnade » sur le territoire national 227
B. L’État comme vecteur des règles internationales sur
le territoire national 231
Le droit international des investissements :
un sous-système du droit international 231
Chapitre 2 : L’intégration des considérations d’intérêt public
dans les éléments constitutifs de l’expropriation indirecte243
Section 1 – Les solutions proposées en remplacement de la doctrine
du seul effet : impasses et enseignements243
§ 1 Les approches postqualification 244
A. L’indemnisation réduite en fonction du but de la mesure 244
B. Les limites : l’obstacle dirimant de la distinction entre
critères de licéité et éléments constitutifs 249
§ 2 Les approches intraqualification 251
A. La réintroduction du critère de l’appropriation étatique 251
B. Le contrôle de l’équilibre des intérêts en présence par
le principe de proportionnalité 256
§ 3 L’approche extraqualification 265
A. Le recours à l’application d’un régime juridique distinct 266
B. Limites de l’approche : l’arbitre saisi du contentieux de
l’expropriation indirecte 269
Section 2 – Méthodologie pour une intégration des considérations
d’intérêt public dans les critères de qualification272
§ 1 La pratique inappropriée du « je le reconnais quand
je le vois » 272
§ 2 Les trois éléments du critère de l’effet préjudiciable 275
A. L’étendue du préjudice 275
B. La gravité du préjudice 276
C. La licéité de l’activité d’investissement
objet du préjudice 277
Chapitre 3 – Le critère de l’effet redéployé279
Section 1 – L’étendue du préjudice : l’investissement envisagé
dans sa globalité279
§ 1 L’impossible admission d’atteintes partielles à
l’investissement 280
A. Introduction à la notion d’investissement en droit
international des investissements 280
B. Le préjudice partiel à raison de la structure légale
de l’investissement 286
C. Le préjudice partiel à raison de la structure
opérationnelle de l’investissement 289
§ 2 L’exigence d’un préjudice global 291
A. Le principe de l’impact préjudiciable sur
l’investissement dans sa globalité 291
XI
B. L’admission du préjudice global via une composante
essentielle de l’investissement 292
Section 2 – La gravité du préjudice : le droit d’user de l’investissement
comme seule prérogative protégée295
§ 1 L’exclusion des attentes légitimes sur l’investissement 296
A. La patrimonialisation des attentes légitimes dans le
contentieux de l’expropriation indirecte 296
B. L’inapplicabilité des attentes légitimes dans le régime
de l’expropriation indirecte 305
L’inutilité des attentes légitimes se greffant sur un
engagement étatique contraignant 305
L’incompatibilité des attentes légitimes déconnectées
d’un engagement étatique contraignant 307
§ 2 L’évaluation de la gravité du préjudice 309
A. L’insuffisance des atteintes aux seuls droits de jouir
et de disposer de son investissement 310
B. La présence incontournable d’une atteinte au droit
d’user dans toute expropriation indirecte 311
C. Le droit d’user d’un investissement aujourd’hui :
la viabilité productive 315
Section 3 – L’objet du préjudice : la licéité de l’activité d’investissement
au regard d’un ordre public international des investissements317
§ 1 La nécessité du recours à la licéité de l’activité de
l’investissement pour les mesures horizontales 318
A. L’approche fonctionnelle de l’investissement privé
étranger 319
B. L’arbitre comme garant de la licéité de l’activité de
l’investissement étranger 322
§ 2 Le choix de l’ordre public applicable : l’ordre public
international des investissements 324
A. La non-pertinence de l’ordre public interne de l’État
d’accueil 324
B. La résolution de la contradiction du double rôle de la
mesure horizontale 329
§ 3 L’identification des normes de l’ordre public international
des investissements 331
A. L’ordre public international applicable au droit
international des investissements 331
B. Les trois critères cumulatifs d’identification des normes
de l’ordre public international des investissements 336
Conclusion343
Annexes – Exemples de clauses récentes d’expropriation 347
Bibliographie353
Index thématique369
XII
Préface
XIII
mesure où les Etats qui adoptent des mesures horizontales condui
sant à une expropriation indirecte sont amenés, sinon à subir une
véritable neutralisation de leur pouvoir normatif, du moins à devoir
payer fort cher le prix de l’usage qu’ils en font puisqu’ils peuvent
être contraints d’indemniser les investisseurs étrangers lésés par
les mesures qu’ils prennent.
Il est visible – ou plus exactement, M me Nikièma prend le parti de
rendre visible – que la difficulté fondamentale se situe au niveau de
la qualification de l’expropriation indirecte beaucoup plus que du
régime juridique de celle-ci.
L’essentiel des analyses de l’ouvrage est consacré à ce problème
de qualification. La qualification sera en effet envisagée d’un point
de vue statique dans la première partie, et d’un point de vue réso
lument dynamique, voire téléologique, dans la seconde partie de
l’ouvrage puisque celle-ci sera consacrée à la « recherche d’une
adaptation du processus de qualification aux fins d’un maintien
du pouvoir normatif de l’Etat d’accueil ».
Une première constatation s’impose : sur l’expropriation les
traités sont avares de définitions et l’analyse de la doctrine et de
la jurisprudence arbitrale sera particulièrement nécessaire. Aux
intuitions qui fondent la démarche d’ensemble de la thèse s’incor
pore à ce stade une méthode proprement cartésienne consistant à
décomposer l’objet à étudier. Ainsi, l’examen critique de la quali
fication s’effectue par stades successifs. Il s’agit de faire apparaître
la « mesure éligible » à la qualification. Les deux piliers de la quali
fication sont 1º une mesure imputable à l’Etat (ce qui suppose que
ces deux éléments soient analysés successivement), 2º une mesure
équivalente à une expropriation, car ici se trouve le cœur de l’ex
propriation indirecte. Il s’impose donc de dévoiler la substance du
rapport d’équivalence.
C’est d’ailleurs au cours de cette analyse qu’est mis en pleine
lumière l’étirement du domaine de l’« effet ». Celui-ci englobe
désormais, à côté des privations de propriété, la viabilité de l’in
vestissement et sa capacité à générer des bénéfices. M me Nikièma
considère que ce forcement du critère de l’effet laisse apparaître
que celui-ci n’est pas pleinement adapté aux mesures horizontales.
La démonstration, malgré les riches enseignements qu’elle pro
cure, peut laisser le jugement du lecteur en suspens (car l’on peut
aussi bien soutenir que la souplesse du critère de l’effet assure son
adéquation aux mesures horizontales). Mais son éventuel défaut
d’adhésion ne sera que provisoire. Il est d’ailleurs difficile de ne
pas adhérer aux développements consacrés à une notion qui obs-
curcit la qualification : la théorie des mesures de police. Il faut se
contenter de prendre acte du fait que le standard précité concur
rence l’expropriation. La théorie des mesures de police est sou
mise à une critique en règle qui nous paraît pleinement justifiée
tant il est vrai que leur qualification est déjà acquise implicitement
XIV
comme une donnée du problème de l’expropriation, laquelle ne
peut se transformer en élément de solution.
La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à la seule problé
matique des mesures horizontales et à la recherche de solutions
au problème lancinant de l’équilibre à établir entre la légitime
protection de l’investisseur et la possibilité pour l’Etat d’user aussi
librement que possible de son pouvoir normatif. Faut-il le rappeler,
la mesure horizontale ne porte atteinte à l’investissement étran
ger que de manière collatérale et seulement (si l’on peut dire) en
altérant l’environnement économique préalable dans lequel évolue
l’activité d’investissement.
Est-il raisonnable de permettre à l’investisseur de s’opposer systé
matiquement à l’application à son égard des mesures adoptées par
l’Etat en le menaçant d’une condamnation à l’indemniser pronon
cée par un tribunal arbitral international ?
M me Nikièma ne le pense pas. Fidèle à un parti pris méthodolo
gique qu’elle entend défendre jusqu’au bout, l’auteur juge que la
question peut être posée – et résolue – au niveau de la qualifica
tion. L’instrument en sera constitué par la recherche de considé
rations d’intérêt public dans les éléments constitutifs de l’expro
priation indirecte. Ainsi, malgré son intérêt, se trouve repoussée
une approche dite « post-qualification » qui conduirait à une dimi
nution de l’indemnisation lorsque l’intérêt public est en jeu. Se
trouvent également repoussées les approches intra-qualification
qui reposent sur le critère de l’appropriation étatique ou la pro
portionnalité, ainsi que l’approche spécifique extra-qualification
défendue en doctrine dans le cadre du droit de l’environnement,
malgré la séduction qu’elle ne peut manquer d’exercer.
La thèse en vient à s’achever, en pleine cohérence avec ses présup
posés, par une proposition qui consiste à approfondir le critère de
l’effet, en le redéployant. Il convient alors de revisiter le préjudice
au niveau de sa gravité et de son étendue. Il convient surtout de
remettre en cause l’objet du préjudice en lui opposant frontalement
(enfin, serait-on tenté de dire, tant il a fallu patienter pour en arri
ver là, mais l’on n’en admire que plus la discipline que s’est impo
sée l’auteur !) un examen de la licéité de l’activité d’investissement
au regard d’un ordre public international des investissements dont
sont livrées à titre prospectif les principales composantes envisa
geables. Avec humilité, l’auteur invite à poursuive la réflexion sur
les pistes explorées en fin d’ouvrage. L’ordre public international a
déjà tellement promis et parfois tellement peu donné ! Mais la voie
est tracée et fortement balisée.
Ainsi l’audace que s’est autorisée finalement M me Nikièma est-elle
le fruit de la conviction qui l’a animée tout au long de sa thèse, sans
que celle-ci ait pu porter le moindre ombrage à la rigueur scienti
fique d’une œuvre si richement documentée et si finement ciselée.
Aucune question n’est définitivement résolue en droit. Cependant,
XV
la thèse de Suzy Nikièma constitue à nos yeux un jalon essentiel
dans la connaissance et l’appréciation critique du sujet qu’elle a
choisi d’explorer. Et il n’est nul besoin d’insister sur l’importance
de ce sujet. De multiples questions, non mentionnées dans cette
préface, y trouvent une analyse approfondie ou reçoivent un éclai
rage nouveau. Nous n’avons pas de doute sur le bel avenir promis à
cet ouvrage. Ni sur la belle carrière promise à son auteur, que nous
accompagnons de nos souhaits.
Jean-Michel Jacquet
Professeur honoraire à l’Institut de hautes études
internationales et du développement
XVI
Avant-propos
C’est avec un très grand plaisir que j’écris cet avant-propos à l’ou
vrage de Suzy Nikièma, que je connais depuis de nombreuses années,
très exactement depuis qu’elle a suivi mon cours sur le règlement des
différends en droit international économique durant l’année 2004-
2005 comme étudiante de ce qui était alors l’Institut universitaire
de hautes études internationales (IUHEI), qui est devenu l’Institut
de hautes études internationales et du développement (IHEID) de
Genève.
Cet ouvrage est consacré au sujet suivant : « L’expropriation indi
recte en droit international des investissements ». Voilà un sujet
délicat tant la notion d’expropriation indirecte est difficile à saisir,
comme le souligne l’auteur dès son introduction : « Alors que l’on
croit avoir enfin saisi le sens exact de ce terme, que ses contours
commencent à se dessiner avec plus ou moins de netteté, il suffit que
surgissent un détail, une simple interrogation, pour que ce dernier
nous échappe de nouveau. » La difficulté de ce sujet vient essentiel
lement du fait qu’il s’agit d’une question soulevant de vastes enjeux.
Selon l’auteur, l’expropriation « constitue à la fois l’atteinte la plus
flagrante à la propriété privée et la manifestation par excellence
d’un acte de souveraineté. De ce fait, cette notion cristallise l’anta
gonisme entre la protection de l’intérêt privé et la sauvegarde de
l’intérêt public ».
La question centrale de cet ouvrage est en définitive celle du main
tien d’un espace de réglementation pour l’Etat qui respecte cepen
dant les droits des investisseurs, question qui est au cœur des débats
qui se déroulent aujourd’hui entre les acteurs du contentieux écono
mique international.
C’est à ce sujet difficile et d’une grande actualité, qui constitue, de
mon point de vue, l’une des questions majeures actuelles du droit
international des investissements, que s’attaque avec courage et
détermination Suzy Nikièma dans le bel ouvrage qu’elle présente ici.
Bien que la question de l’expropriation indirecte ait fait et fasse
tous les jours l’objet de nombreuses publications, le grand mérite de
Suzy Nikièma est d’être sortie des sentiers battus et d’avoir su inno
ver : elle ose présenter une véritable thèse en introduisant de nou
veaux concepts extrêmement précieux, pour éclairer les multiples
zones d’ombre qui existent autour de la notion d’expropriation indi
recte ou « mesure équivalente à une expropriation ».
Pour l’auteur, comme cela devient rapidement apparent à la lec
ture de l’ouvrage, une des difficultés théoriques rencontrées est le
traitement de la notion d’expropriation indirecte comme un concept
univoque, alors que cette notion recouvre en réalité deux catégories
juridiques qu’il convient de distinguer. L’auteur présente alors ce
XVII
qu’elle considère comme une summa divisio au sein du concept d’ex
propriation indirecte, à savoir la distinction entre ce qu’elle appelle
les mesures verticales et les mesures horizontales. Si les concepts de
« mesure horizontale » et de « mesure verticale » ne sont pas usuels et
ne sont donc pas immédiatement compréhensibles, ils le deviennent
rapidement à la lecture des développements présentés par Suzy
Nikièma. Ainsi l’auteur nous indique que « par mesure verticale, il
faut entendre une mesure étatique prise en direction d’un investis
seur/investissement ou d’un groupe d’investisseurs/investissements
étrangers prédéfinis, et dont l’objectif premier est de modifier
immédiatement leur situation juridique en portant atteinte à l’exis
tence de leurs droits ». En ce qui concerne la seconde catégorie, Suzy
Nikièma précise que les mesures horizontales sont « celles qui sont
édictées à l’intention de n’importe quel opérateur économique sur
le territoire et/ou visent le contexte économique général. La carac
téristique fondamentale de la mesure horizontale est qu’elle ne vise
pas l’investisseur dans sa situation particulière ». Cette distinction
inédite recouvre en réalité les mesures ciblées (sur l’investissement
ou l’investisseur) et les mesures générales et constitue à mes yeux un
des apports majeurs de cet ouvrage.
L’utilisation de cette distinction a conduit l’auteur à des remarques
originales et fort pertinentes. Il en va ainsi de la suggestion de dis
tinguer les conséquences des deux sortes de mesures, les mesures
verticales aboutissant à une expropriation de fait, les mesures hori
zontales à une expropriation de valeur. Il en va ainsi également de
la nécessaire différenciation de leur mode opératoire, les mesures
verticales agissant directement sur l’investissement, les mesures
horizontales n’agissant qu’indirectement sur l’investissement par
la modification de l’environnement dans lequel il se déroule. Des
développements extrêmement intéressants sont également consa
crés à la définition générale de ce qui constitue une expropriation
indirecte, c’est-à-dire à la recherche des critères de qualification de
l’expropriation indirecte, dont l’auteur exclut les critères de licéité
de l’expropriation. Enfin, Suzy Nikièma s’interroge sur la nécessaire
adaptation du processus de qualification d’expropriation indirecte
à une mesure horizontale, une telle adaptation étant indispensable
pour un maintien effectif du pouvoir normatif de l’Etat d’accueil
d’investissements étrangers.
Ce bref survol de quelques-uns des points forts de cet ouvrage suf
fit à faire comprendre que Suzy Nikièma a ouvert, dans cette belle
et rigoureuse recherche, des pistes de réflexion extrêmement stimu
lantes, que devraient emprunter les arbitres internationaux…
Brigitte Stern
Professeur émérite de droit international
XVIII
Abréviations
XIX
ICSID Rev.-FIJL ICSID Review – Foreign Investment Journal of
Law
IIA (Section) International Investment Agreements (Section)
IISD International Institute for Sustainable
Development
ILM International Legal Material
ILR International Law Reports
Iran-US CTR Iran – United States Claim Tribunal Report
ITN Investment Treaty News
UE Union Européenne
UEMOA Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine
XX
Introduction
1
plusieurs investissements d’un même secteur économique. Dans ce
dernier cas, l’expropriation directe est également qualifiée de natio
nalisation4. L’expropriation formelle est connue et règlementée de
longue date dans les droits nationaux. Mais en droit international,
elle a toujours été l’objet de controverses, aussi loin que l’on puisse
remonter dans sa genèse5. En effet, elle constitue à la fois l’atteinte
la plus flagrante à la propriété privée et la manifestation par excel
lence d’un acte de souveraineté. De ce fait, cette notion cristallise
l’antagonisme entre la protection de l’intérêt privé et la sauvegarde
de l’intérêt public.
À côté de l’expropriation directe, les traités de protection des
investissements reconnaissent également de longue date6, que l’acte
d’un État qui porte un préjudice grave à un investissement étranger
doit être assimilé à une expropriation directe, même si l’investisseur
reste formellement détenteur de son titre de propriété. L’expropria
tion indirecte peut résulter de n’importe quelle mesure prise par un
État dans le cadre de la règlementation des activités économiques
se déroulant sur son territoire, même lorsque cette dernière ne vise
pas directement un investissement. Elle n’entraîne pas le retrait du
titre de propriété de l’investissement. Cette forme d’expropriation
est également désignée par l’expression de « mesure équivalente à
une expropriation ».
Le régime juridique applicable à l’expropriation directe et indi
recte, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles un État peut expro
prier licitement un investisseur étranger, est aujourd’hui acquis dans
ses grandes lignes, après de nombreuses controverses qu’il n’est pas
possible de restituer ici7. Désormais, il est établi dans les traités de
protection des investissements que chaque État a le droit souverain
d’exproprier les investissements étrangers situés sur son territoire,
2
moyennant la réunion au minimum de trois conditions : un motif
d’intérêt public poursuivi par la mesure d’expropriation, le caractère
non discriminatoire de cette dernière et l’indemnisation de l’inves
tisseur lésé. Parmi ces trois critères de licéité, auxquels deux autres
sont parfois ajoutés8, l’obligation d’indemnisation est celle qui a sus
cité le plus de débats9, notamment aux forts moments des revendi
cations des États du tiers-monde pour un nouvel ordre économique
international au milieu du XXe siècle. Il est aujourd’hui acquis que
toute expropriation d’investissements étrangers doit s’accompagner
d’une indemnisation.
Mais on ne saurait appliquer un régime juridique à une notion,
sans avoir défini au préalable les critères qui permettent d’identifier
ladite notion. Le juge et l’arbitre doivent d’abord identifier et quali
fier un fait dans une notion juridique, avant de pouvoir lui appliquer
le régime juridique correspondant. Alors qu’aujourd’hui, la défini
tion de l’expropriation directe ne suscite plus de débats importants,
celle de l’expropriation indirecte reste problématique. En effet, en
assimilant certains comportements étatiques à une expropriation,
le droit international des investissements s’est contenté d’appliquer
un régime juridique particulier (celle de l’expropriation directe) à
une notion juridique (celle de l’expropriation indirecte) sans défi
nir cette dernière. Cette technique qui consiste à « réglementer sans
définir » a été qualifiée à juste titre de « fâcheuse »10, car elle sou
lève naturellement des problèmes de qualification. L’expropriation
indirecte fait donc partie de ces catégories juridiques qui doivent
8 Deux autres conditions sont parfois mentionnées, mais elles ne font pas
l’unanimité : le respect des procédures légales et la non-violation d’un contrat
d’investissement. Il y a lieu, à notre avis, de ne pas considérer le respect des
procédures légales comme une condition autonome supplémentaire, mais une
condition sous-jacente aux trois autres. Quant à la non-violation d’un contrat
d’investissement, la prise en compte absolue de cette condition, qui est une
survivance des clauses de stabilisation dans les contrats d’investissement,
reviendrait à nier aux États leur droit souverain d’exproprier. Sur ces questions,
voir. M. PELLONPAA, M. FRITZMAURICE. « Taking of Property in the Practice
of the Iran-United Sates Claims Tribunal », NYBIL, vol. 19, 1988, p. 66 et s. ;
S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage…, op. cit., note 1, pp. 504-523 ;
R. DOLZER, Ch. SCHREUER, Principle of International Investment Law, Oxford
University press, 2008, p. 91.
9 Les controverses ont concerné, sur fond de dissensions politiques et
philosophiques, l’existence d’une obligation coutumière internationale
d’indemniser en cas d’expropriation, les standards de calcul de l’indemnisation,
le statut de l’indemnisation comme condition de licéité ou comme conséquence
de l’illicéité, etc. Aujourd’hui, c’est la formule de l’indemnisation « prompte,
complète et effective » (d’après la célèbre formule du secrétaire d’État américain
Cornell HULL dans sa note du 21 juillet 1938 en réponse aux nationalisations
mexicaines de 1917), qui est appliquée par la majorité des tribunaux arbitraux.
10 D. CARREAU, Droit international public, Paris, Pédone, Collection Études
Internationales, 2007, 9e éd., p. 88.
3
encore être « meublées »11, par les tribunaux arbitraux. La préoccu
pation majeure est de déterminer précisément ses éléments constitu
tifs. En d’autres termes, qu’est-ce qui permet à une mesure étatique
quelconque de constituer une expropriation indirecte, en d’autres
termes, d’être équivalente à une expropriation ?
Cette interrogation est l’une des questions majeures actuelles du
droit international des investissements. Elle avait d’ailleurs été pres
sentie par certains auteurs dès les années 198012. Mais c’est avec cer
taines sentences arbitrales rendues sur le fondement de l’Accord de
libre-échange nord-américain (ALENA) à la fin des années 1990,
que l’on a véritablement pris la mesure des difficultés posées par
la notion d’expropriation indirecte ; difficultés qui étaient restées
jusqu’alors virtuelles13. Désormais, l’important contentieux arbitral
sur la matière témoigne de l’actualité du sujet. L’allégation d’expro
priation est systématiquement invoquée par les investisseurs qui
portent un litige d’investissement devant les tribunaux arbitraux
sous l’égide du Centre International de Règlement des Différends
relatif aux Investissements (CIRDI), pour ne citer que cette institu
tion d’arbitrage.
La définition de l’expropriation indirecte semble pourtant relati
vement aisée a priori. N’est-ce pas simplement une mesure étatique
dont les effets sont équivalents à une expropriation, c’est-à-dire
celle qui crée un préjudice grave à l’investissement protégé ? Cette
réponse, outre qu’elle n’apporte pas encore les précisions nécessaires
au processus de qualification, occulte des paramètres qui font toute
la complexité et l’intérêt du sujet. Ces paramètres sont principale
ment de deux ordres.
Le premier paramètre tient au potentiel presque illimité du
champ d’application de l’expropriation indirecte. En effet, une
définition extensive de l’expropriation indirecte peut conduire à
qualifier comme telle, toutes les mesures édictées par les autorités
étatiques qui se répercutent négativement sur un investissement
privé étranger, sans égard pour toute autre considération14. Or, si
les États ne nationalisent presque15 plus, ils n’ont pas renoncé pour
4
autant à contrôler les investissements étrangers effectués à l’inté
rieur de leurs frontières. Chaque État est ainsi amené à prendre des
mesures quotidiennes pour règlementer les activités économiques
qui se déroulent sur son territoire. Ainsi, un investisseur étranger
peut voir son investissement anéanti par une règlementation d’ordre
général qui ne le visait pas directement et n’a pas porté atteinte à son
titre de propriété. Dans une telle situation, l’investisseur prétendra
qu’il a été exproprié indirectement, du fait de la modification du
cadre légal ou économique dans lequel évoluait son activité. Si l’on
se limite à constater que ces mesures étatiques ont créé un préju
dice grave à un investissement privé étranger protégé, elles pour
ront alors être qualifiées d’expropriations indirectes. Dans ce cas,
le champ des mesures étatiques pouvant équivaloir à une expropria
tion se confondrait quasiment avec celui du pouvoir normatif géné
ral de l’État d’accueil de l’investissement.
Toutefois, les tribunaux arbitraux admettent que certaines règle
mentations étatiques, même préjudiciables aux activités d’investis
sement, ne sont pas des expropriations indirectes. Cette catégorie
couvre généralement les règlementations en vue de la protection de
l’intérêt général, qu’il s’agisse de l’ordre public, la moralité publique,
la santé publique, la sécurité nationale, les droits de l’homme, ou
la sauvegarde de l’environnement. Or, et tout l’intérêt est là, les
mesures d’expropriation indirecte et les mesures de réglementation
générale non expropriantes n’entraînent pas de conséquences simi
laires pour l’État d’accueil et l’investisseur lésé. Les premières sont
indemnisables, tandis que les secondes ne le sont pas. Mais il n’est
pas dit, précisément dans quelles conditions une mesure de règle
mentation publique sera indemnisable au titre d’une expropriation
indirecte ou ne le sera pas. En quelque sorte, il existe un principe
de distinction entre expropriation indirecte et règlementations non
indemnisables, qui se contente de poser que la frontière existe entre
les deux notions sans fournir les coordonnées géographiques pour
la localiser. En outre, il est difficile de déterminer si ce principe
pose un régime d’exclusion ou d’exception. Autrement dit, permet-il
d’isoler à titre principal une catégorie de règlementations publiques
ne pouvant jamais équivaloir à une expropriation malgré les préju
dices graves qu’elles causent à l’investissement ? Ou s’agit-il simple
Voir P. JUILLARD, « À propos du décès de l’AMI », AFDI, 1998, p. 595. Cepen
dant, on note quelques exceptions récentes qui ne remettent pas en cause le
constat du recul général des nationalisations en droit international. Ainsi, des
nationalisations du secteur des hydrocarbures ont été effectuées depuis 2006
par les gouvernements boliviens et vénézuéliens, mais elles furent souvent
accompagnées de la conclusion de contrats de concessions au bénéfice des
anciens propriétaires. Excepté quelques compagnies pétrolières au Vénézuéla
qui ont récemment introduit des requêtes devant le CIRDI, ces nationalisations
n’ont pas conduit pour l’instant à un contentieux juridique important.
5
ment de définir quelques situations dans lesquelles une règlemen
tation étatique peut échapper exceptionnellement à la qualification
d’expropriation indirecte ?
Le second paramètre tient au contexte général dans lequel s’ins
crivent les discussions sur l’expropriation indirecte, à savoir la phy
sionomie actuelle du droit international des investissements. Le droit
international des investissements peut se définir comme le droit qui
régit le traitement et la protection des investissements privés étran
gers installés dans un État d’accueil, de la phase d’établissement de
l’investissement à son éventuel retrait ou anéantissement. Il met en
jeu trois entités juridiques distinctes : l’État d’accueil de l’investisse
ment, l’État national de l’investisseur et enfin l’investissement. La
substance de ce droit est essentiellement prévue dans des traités bila
téraux ou régionaux de protection des investissements,16 même si
les prescriptions de certaines clauses sont reconnues comme ayant
une valeur coutumière. Ces traités, bien qu’ils aient été conclus entre
deux États, prévoient des garanties au bénéfice des investisseurs et
de leurs investissements. Comme l’a bien résumé P. Juillard, un traité
de protection des investissements, « en tant qu’[il] crée des obliga
tions entre (…) États (…), est régi par le droit international. Mais
précisément, l’objet et le but de ces instruments (…) ne sont pas de
créer des obligations entre les États contractants : ils sont de mettre
à la charge de chaque partie contractante un certain nombre d’obli
gations dont les créanciers sont les ressortissants de l’autre partie
contractante »17. Les clauses de ces traités s’analysent donc comme
des stipulations pour autrui.
Prenant source dans l’obligation coutumière de protection des
étrangers et leurs biens qui est à la charge des États18, le droit inter
national des investissements s’est développé en quelques décennies
pour constituer une branche spécifique et complexe du droit inter
national19. Ce régime international de protection des investissements
6
étrangers s’est développé en réponse au besoin du renforcement de
la sécurité juridique offerte par les droits nationaux, qui était jugée
précaire par les acteurs de l’économie mondiale. Dès la fin de la
décennie 1990, le droit international des investissements a subi une
évolution rapide et considérable du fait de la multiplication et de
la complexification de ses sources formelles d’une part, et du fait
de l’interprétation des obligations conventionnelles à la charge des
États hôtes d’investissements effectuée par les tribunaux arbitraux
d’autre part20. Parmi les plus significatifs de ces bouleversements,
nous pouvons relever l’accroissement exponentiel des traités bilaté
raux de protection des investissements (TBI). On est ainsi passé de
385 TBI en 1980 à plus de 2572 à la fin du premier trimestre 200721.
Aujourd’hui, plus de 2700 traités de ce type ont été répertoriés22 dans
le monde23. Une évolution également remarquable a été la « bana
lisation »24 de l’accès des investisseurs privés étrangers à l’arbitrage
international contre l’Etat d’accueil. Cette banalisation résulte de
l’insertion quasi systématique d’une clause d’arbitrage actionnable
unilatéralement par les investisseurs dans les traités bilatéraux et
régionaux de protection des investissements25. L’arbitrage entre État
7
et investisseur privé étranger sur le fondement d’un traité bilatéral
d’investissement a ainsi été qualifié d’« arbitration without Privity »26,
ou encore « d’arbitrage transnational unilatéral »27. Plus généralement,
on note une extension des droits conférés aux investisseurs dans des
instruments internationaux ou internes comme les codes nationaux
d’investissements, qui résulte d’une concurrence accrue entre les
États pour l’attrait de l’investissement direct étranger (IDE). Toute
l’économie de la protection internationale des investissements est
donc tendue vers un seul objectif : garantir la meilleure protection
à l’investisseur étranger contre la toute-puissance et l’arbitraire de
l’État d’accueil. Pourtant, ce déséquilibre lié à l’origine à la qualité
étatique de l’une des parties à une relation contractuelle ne corres
pond plus à la situation actuelle des échanges économiques dominés
par de puissantes entreprises multinationales. Le régime juridique
de protection internationale de l’investissement privé étranger a
souvent été qualifié de « déséquilibré »28 en faveur des investisseurs ou
de « surprotecteur »29 envers ces derniers.
L’association de ces deux paramètres, à savoir, les contours incer
tains de la notion d’expropriation indirecte au sein du vaste champ
des règlementations publiques et le régime juridique très protec
teur des investissements qui sert de toile de fond à l’étude de cette
notion, suscite la crainte de remise en cause de la souveraineté des
États d’accueil. En effet, on peut se demander si un État ne serait
pas amené à renoncer à prendre certaines mesures d’intérêt général
8
lorsque leurs implications pécuniaires en matière d’indemnisation
risquent de ne pas être couvertes par les fonds publics. Comme ont
pu le noter R. Dolzer et M. Stevens, « for the host State, the definition
[of indirect expropriation] determines the scope of the State’s power to enact
legislation that regulates the rights and obligations of owners in instances
where compensation may fall due. It may be argued that the State is prevented
from taking any such measures where these cannot be covered by public finan-
cial resources »30. Lorsqu’un État décide de nationaliser licitement un
investissement, c’est seulement après avoir effectué une pesée des
intérêts en présence et prévu une ligne budgétaire pour cette opé
ration. Comment en ira-t-il lorsque le préjudice causé à l’investis
seur est par exemple fortuit ? Un État a-t-il la capacité et les moyens
d’anticiper et d’assumer les coûts financiers éventuels d’une indem
nisation des investissements étrangers lésés pour la moindre de ses
règlementations au niveau national ou local ? Cette interrogation a
amené certains auteurs à craindre que les États ne développent un
« comportement extrêmement timoré lors de l’adoption de mesures
visant à mettre en œuvre les droits humains », les amenant « à subor
donner les choix collectifs visant l’intérêt général au respect des
droits des investisseurs privés étrangers »31, ou encore qu’ils « will not
regulate to the extent that they should, or will modify or remove regulations
when threatened with investor claims »32. On peut donc légitimement se
demander si la protection accordée aux investisseurs étrangers par
le biais de l’expropriation indirecte ne va pas finalement empêcher
les gouvernements d’agir dans l’intérêt public. Cette menace doit
d’autant plus être prise au sérieux que, comme le déplorait P. Fou
chard, « c’est l’État qui est maintenant en position d’infériorité dans
le contentieux économique transnational. Au nom de la liberté et de
la protection de l’investissement international, le balancier est passé
de l’autre côté »33.
Face à la nébuleuse définition de l’expropriation indirecte et les
craintes qu’elle suscite, les États d’accueil des investissements étran
gers ne sont pas les seuls qui bénéficieraient d’une clarification de
la notion. L’investisseur étranger a également besoin de maîtriser
l’environnement économique dans lequel il prend le risque de s’éta
9
blir. Ce qui implique le sort qui lui sera réservé en cas de dommages
résultants des réglementations générales prises par les autorités
locales. Parvenir à une définition claire, univoque et mutuellement
acceptable de l’expropriation indirecte est par conséquent essentiel
à un climat favorable à des opérations d’investissement avantageuses
pour l’ensemble des parties prenantes. Les incertitudes sont grandes,
les enjeux sont d’une grande actualité, mais force est de constater
que, « no one has come up with a fully satisfactory means of drawing this
line [between Valid regulation and compensable taking] »34. En d’autres
termes, « the contours of the definition of an indirect expropriation are not
precisely drawn. An increasing number of arbitral cases and growing body of
literature on the subject have shed some light on the issue but the debate goes
on »35. En réalité, si le débat n’est pas aisé, c’est parce que la probléma
tique sur laquelle repose le sujet est elle-même délicate.
La question fondamentale posée par cette étude peut être résu
mée comme suit : dans quelle mesure un État peut-il affecter l’inté
grité matérielle ou la valeur économique d’un investissement étran
ger par une réglementation publique sans pour autant effectuer une
expropriation indirecte ? Autrement dit, dans quelles conditions
une quelconque mesure de règlementation publique préjudiciable
pourra-t-elle être qualifiée d’expropriation indirecte ? Délimiter les
contours de l’expropriation indirecte dans le droit international des
investissements revient donc à effectuer au sein des règlementations
de l’État d’accueil, une ligne de démarcation entre ce qui relève de
la réglementation publique indemnisable au titre de l’expropria
tion indirecte, et ce qui relève de la règlementation publique non
indemnisable. L’enjeu principal de cette démarcation est de pouvoir
maintenir un espace de réglementation à l’intérieur duquel, chaque
mesure édictée par les autorités locales ou nationales ne conduirait
pas systématiquement au paiement d’une indemnisation si un préju
dice, même important, en résultait pour l’investisseur étranger.
Apporter une réponse adéquate à cette problématique revient à
déterminer des critères de qualification de l’expropriation indirecte.
Pour cela, il est primordial de trouver des critères qui ménagent à la
fois le pouvoir normatif de l’État d’accueil, indispensable à la protec
tion de l’intérêt général, sans pour autant réduire à néant la protec
tion offerte aux investisseurs par le droit international des investisse
ments. Les investigations devront tendre vers un résultat équilibré,
sinon juste, lorsqu’il s’agit d’arbitrer entre les prérogatives de l’État
souverain et la protection de l’investisseur étranger. Par conséquent,
10
la solution devra être dénuée d’empreinte idéologique ou d’une
vision manichéenne des relations économiques internationales. Cela
dit, il importe de garder à l’esprit que l’État est d’abord le garant
de l’intérêt général même lorsqu’il se place dans la situation d’un
cocontractant privé, et qu’il dispose à cette fin de prérogatives qu’il
convient de protéger. L’ambition ici n’est pas de trouver une panacée
qui mettrait fin à toutes les difficultés, mais au moins d’aplanir celles
qui sont fondamentales.
Le problème de la distinction entre la règlementation non indem
nisable et l’expropriation indirecte ressemble à une « hydre »36 menant
à de nombreuses ramifications juridiques et politiques. Il est donc
essentiel de délimiter le cadre de cette étude, afin de ne pas s’enliser
dans plusieurs questions transversales qui n’éclairent pas toujours le
sujet, bien au contraire. Une étude complète de l’expropriation indi
recte devrait normalement porter sur trois branches distinctes. La
première concerne celle des intérêts économiques pouvant faire l’ob
jet d’une expropriation indirecte. C’est la question de la définition
de l’investissement protégé. La seconde se rapporte aux éléments
constitutifs d’une expropriation indirecte, à savoir la définition de
l’expropriation indirecte. La troisième s’intéresse aux conditions
que doit remplir une mesure d’expropriation indirecte pour ne pas
engager la responsabilité internationale de l’État d’accueil. Il s’agit
des critères de licéité. La présente étude se limitera à la définition
de l’expropriation indirecte, c’est-à-dire au processus de qualifica
tion. Cependant, cette séparation intellectuellement nécessaire ne
doit pas masquer l’existence de liens entre ces trois branches. De ce
fait, certaines questions relatives à la définition de l’investissement
protégé et aux critères de licéité interviendront dans l’analyse à titre
connexe. Il faudra préciser enfin qu’il ne s’agit pas ici de revenir
sur la définition de l’expropriation directe et de la nationalisation,
même s’il faudra expliciter les rapports juridiques qui existent entre
l’expropriation directe et l’expropriation indirecte.
Afin de rendre compte des résultats auxquels nous sommes par
venus, cette étude sera subdivisée comme suit. La première partie
sera consacrée à l’examen approfondi du droit conventionnel et de
la jurisprudence arbitrale en matière de définition de l’expropria
tion indirecte. Elle mettra en exergue le fait que les critères actuels
controversés de qualification de l’expropriation indirecte ont été
conçus pour une catégorie de règlementations étatiques préjudi
ciables à l’investissement étranger : les mesures verticales. Il sera
proposé dans la seconde partie d’adapter les critères classiques de
qualification afin qu’ils puissent mieux enserrer la nouvelle catégo
rie de règlementations étatiques dommageables, à savoir les mesures
11
horizontales. Mais avant de faire cet exposé, il faut d’abord démon
trer l’existence et l’intérêt d’une distinction fondamentale omise
jusqu’alors entre les mesures verticales et horizontales d’expropria
tion indirecte. Ce sera l’objet du chapitre préliminaire.
12
Chapitre préliminaire
13
l’analyse ou apparaît seulement en filigrane dans quelques écrits40 :
pourquoi un processus de qualification institué et développé depuis
plusieurs siècles semble-t-il à un moment donné insatisfaisant ? Les
règles qui gouvernent cette matière sont-elles encore adaptées aux
réalités actuelles des rapports entre les États hôtes d’investissements
et les investisseurs étrangers ? S’il est vrai que toute règle de droit est
d’abord un phénomène reflétant une réalité sociale, alors il s’agit
assurément d’une question majeure au cœur de la définition de l’ex
propriation indirecte.
Il est possible de constater dès à présent des différences signifi
catives entre les formes passées et les formes contemporaines des
allégations d’expropriations indirectes. Cette évolution appelle
une systématisation allant au-delà de la simple énumération empi
rique des cas qui se sont posés devant les tribunaux arbitraux. Ainsi,
alors qu’une première génération de mesures étatiques a dominé le
contentieux arbitral jusqu’au début des années 1990, une seconde
génération a pris le relais depuis et pose désormais des défis inédits
auxquels les critères classiques ont du mal à répondre. Ce chapitre
préliminaire permettra d’ébaucher une distinction généralement
occultée, entre deux types de mesures d’expropriation indirecte
(section 2). Cette distinction fondamentale sera le fil conducteur de
cette étude. Auparavant, il est essentiel de revenir sur la singularité
de la notion d’expropriation indirecte, singularité qui explique les
difficultés rencontrées lors du processus de qualification (section 1).
14
cularités remarquables par rapport à l’expropriation directe qui lui
confère une tendance naturelle à l’extension, voire à la dérive (§ 2).
42 En effet, dans ces traités, les investisseurs n’y ont que des droits et pas d’obliga
tions. Voir par exemple l’analyse de F. HORSHANI dans Investment Treaty News,
mai 2009, « Do bilateral investment treaties lead to more foreign investment ? »,
par D. VIS-DUMBAR et S. H. NIKIEMA (http://www.iisd.org/itn/wp-content/
uploads/2009/05/ITN-May-2009.pdf).
43 Les autres clauses les plus communes sont : la définition de l’investissement
protégé, l’interdiction des prescriptions de résultat, le libre transfert de
capitaux, le respect des engagements contractuels ou clause parapluie,
l’arbitrage interétatique, l’arbitrage investisseur-État, etc. Quelques exceptions
apparaissent désormais dans les traités signés depuis la fin des années 1990.
15
Il en va autrement de la clause d’expropriation, la seule qui pose
avant tout une faculté, une liberté d’agir, un droit à une conduite
particulière. Tout État qui accueille des investissements privés étran
gers sur son territoire dispose en vertu du droit international, d’un
droit souverain d’exproprier, que ce soit directement en retirant le
titre de propriété ou indirectement en détruisant l’intégrité maté
rielle ou l’utilité économique de l’investissement. En rappel, ce droit
souverain ne fait plus aujourd’hui l’objet d’aucune contestation à tel
point qu’il a été affirmé que « the general principle that a State may law-
fully expropriate the property interests of a foreign non-State party located
within its borders is universally recognized »44. D’ailleurs, en cas de litige,
la plainte de l’investisseur étranger ne porte pas sur le droit de l’État
d’exproprier son investissement, mais bien sur l’existence et/ou le
montant de l’indemnisation due.
Cette particularité de la clause d’expropriation a une conséquence
importante. Du fait que l’acte d’exproprier, bien que préjudiciable à
l’investisseur étranger, soit d’abord un droit souverain, la distinction
classique entre règle primaire et règle secondaire de la responsabilité
des États se teinte d’une nuance essentielle. En matière de responsa
bilité internationale des États, les règles primaires sont celles dont la
violation engage la responsabilité des États (obligations primaires)
et les règles secondaires sont celles qui régissent la responsabilité
des États pour la violation des règles primaires (obligations secon
daires). En d’autres termes, la règle primaire définit « le contenu de
l’obligation qu’elle impose » et la règle secondaire établit « si cette
obligation a été violée et quelles doivent être les suites de cette viola
tion »45. Dans la responsabilité internationale en cas d’expropriation,
l’obligation primaire ne réside pas dans l’acte d’exproprier qui est
un droit, mais dans les conditions exigées pour sa mise en œuvre
licite. Par conséquent, un État n’engage pas sa responsabilité inter
nationale en expropriant46. Cela ne surviendra que lorsqu’il ne res
pecte pas les conditions de son exercice. Ce sera le cas par exemple,
lorsque l’État expropriant aura manqué à son obligation primaire
d’indemniser. Dans ce cas, « il y a […] une obligation « primaire » de
compenser et, en cas de manquement à cette obligation, une obli
gation « secondaire » de dédommager à titre de responsabilité »47.
16
Cela dit, le fait que la clause d’expropriation reconnaisse un droit
souverain dont l’exercice est encadré pour qu’il ne porte pas pré
judice aux tiers n’est pas exceptionnel en soi. Les droits nationaux
et le droit international reconnaissent des droits strictement enca
drés. Mais dans ces cas, le préjudice résulte généralement de l’usage
excessif, déraisonnable, ou défectueux de la faculté octroyée. Or ici,
le préjudice est inhérent à la mise en œuvre dudit droit. De ce fait,
l’exercice du droit d’exproprier et le préjudice causé ne sont que
l’envers et l’avers d’une même pièce ; ils sont inextricables.
L’indemnisation, qui constitue une question centrale en cas d’ex
propriation, peut donc remplir deux fonctions distinctes.
17
logique voudrait, comme certains commentateurs ont tenté de le
défendre en vain, que l’indemnisation soit une conséquence légale
de l’expropriation et non une condition de licéité50. Cette contro
verse entre l’« indemnisation-conséquence
» et l’«
indemnisation-condi-
tion »51, s’est terminée par le succès de la dernière théorie52. D’autre
part, une fois, admis qu’il s’agit d’une condition de licéité, comment
distinguer l’indemnisation pour expropriation licite de l’indemnisa
tion pour expropriation illicite53 ?
En réalité, s’agissant de l’expropriation indirecte, ces controverses
prennent une nouvelle tournure, car l’hypothèse même d’une
mesure équivalente à une expropriation de nature licite est difficile
à concevoir.
50 Cette position, aujourd’hui écartée, a été défendue par des auteurs tels que B.
STERN, « 3 arbitrages, un même problème, 3 solutions », Rev. Arb. 1980, p. 35 ;
M. PELLONPAA, M. FRITZMAURICE, op. cit., note 8, pp. 69-70.
51 Expressions utilisées par S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage…,
op. cit., note 1, p. 524 et p. 538, pour désigner respectivement l’indemnisation
comme conséquence de l’acte d’exproprier et l’indemnisation comme condition
de licéité de l’acte d’exproprier.
52 Pour les défenseurs de cette doctrine, voir P. WEIL, « Problèmes relatifs aux
contrats passés entre un État et un particulier », RCADI, 1969, t. 128, p. 224 ;
J.-P. LAVIEC, Protection et promotion des investissements, étude de droit international
économique, Genève, IHEI, & Paris, PUF, p. 172.
53 Pour un exposé des doctrines qui se sont opposées sur cette question, voir S.
MANCIAUX, Investissement étranger et arbitrage…, op. cit., note 1, pp. 523-533.
18
priation indirecte licite. Le titre de propriété est intact, l’État ne s’est
pas approprié le bien. Il pouvait n’avoir même pas voulu léser l’inves
tisseur, mais il pouvait objectivement prévoir que les conséquences
seraient désastreuses pour ce dernier. Théoriquement donc, ce type
de mesure, si elle s’avérait constituer une expropriation indirecte,
peut se prendre de manière licite. Dans l’affaire LESI c. Algérie 54, le
litige portait sur la résiliation unilatérale d’un contrat de construc
tion d’un barrage entre l’Agence Nationale des Barrages et un inves
tisseur italien. Étant donné que l’Algérie s’était engagée à verser
une indemnité (en conformité également avec son droit national),
le tribunal a considéré qu’une expropriation ne saurait résulter de
la simple absence d’accord sur le montant de l’indemnité offerte.
En définitive, le tribunal n’a pas trouvé que les conditions d’une
expropriation indirecte étaient réunies. Mais si la réponse avait été
positive, il aurait probablement conclu à une expropriation indirecte
licite, avant de recalculer le montant adéquat dû à l’investisseur.
Dans le second exemple, il y a peu de chance qu’un État puisse,
avant l’édiction de la mesure litigieuse, assumer qu’il s’agit d’une
mesure indemnisable. Soit parce qu’il n’est pas possible d’anticiper
les conséquences préjudiciables. Soit parce les autorités gouverne
mentales estiment ne pas poser un acte d’expropriation, même indi
recte. Supposons qu’un complexe touristique ait pour principale
activité l’organisation d’excursions sur un site préhistorique situé
dans la forêt, et que l’investisseur soit protégé par un TBI. Si une
procédure arbitrale est enclenchée, le tribunal compétent pourrait
qualifier la mesure d’expropriation indirecte. Il est probable qu’à
ce moment, à condition qu’elle ne soit pas considérée comme dis
criminatoire et qu’elle vise un intérêt public, la mesure sera quand
même illicite, car non accompagnée d’indemnisation. Si on ajoute à
cela le fait que la majorité des TBI exigent une indemnisation « préa
lable » à l’expropriation, il n’est plus possible d’envisager une expro
priation indirecte licite dans ce cas de figure. On comprend mieux
alors pourquoi l’expropriation indirecte cristallise à ce point les
objections des États. Ils y voient finalement un droit dont ils peuvent
déclencher l’exercice accidentellement avec des coûts financiers impor
tants à la clé.
La possibilité d’une expropriation indirecte licite est donc en
général peu probable. Ce n’est là qu’une illustration des particulari
tés de cette clause, dont la plus importante réside sans conteste dans
ses rapports avec la notion d’expropriation elle-même.
19
§ 2 – La particularité au sein de l’expropriation lato sensu
« expropriation […] includes not only open, deliberate and acknowledged takings
of property, such as outright seizure or formal or obligatory transfer of title in favor
of the host State, but also covert or incidental interference with the use of property
which has the effect of depriving the owner, in whole or in significant part, of the
use or reasonably-to-be-expected economic benefit of property even if not necessarily
to the obvious benefit of the host State »56.
20
Cette citation reflète à elle seule la non-définition de l’expropria
tion lato sensu. Pour une bonne partie de la doctrine et des tribunaux,
notamment lors des grandes vagues de nationalisations, l’expro
priation renvoyait simplement à l’expropriation directe et formelle.
Mais pouvait-il en être autrement quand l’on sait que l’expropria
tion a d’abord et pendant longtemps été « directe » et « formelle » ?
L’« expropriation » lato sensu n’est donc qu’une enveloppe creuse qui
regroupe deux réalités. Cependant, expropriation directe et indi
recte forment deux entités inextricablement liées et soumises à un
régime juridique commun. Les mêmes droits sont protégés contre
toutes les formes d’expropriations. Une fois qualifiée d’expropria
tion, toute mesure, directe ou indirecte, devra remplir les mêmes
conditions de licéité. Mais tout en obéissant aux mêmes conditions
de mise en oeuvre, expropriation directe et indirecte ne résultent
pas de critères de définition identiques.
L’expropriation indirecte est rattachée et subordonnée à l’expro
priation directe. Il faut comprendre par cette affirmation que c’est
le régime juridique de l’expropriation directe qui s’est étendu à
l’expropriation indirecte. C’est également la définition de l’expro
priation directe qui a servi de socle à l’élaboration de la définition
de l’expropriation indirecte. Cette précision est importante pour
l’expropriation indirecte, car sa filiation juridique étant l’expropria
tion directe, c’est corrélativement, en fonction de ce référent que
pourront être tracés ses contours.
21
pas de renvoyer une image fidèle en tout point, mais une image sem
blable au référent. Si en réfléchissant sur le miroir, les faits-candidats
ressemblent à une expropriation directe par un ou plusieurs aspects
déterminés au préalable comme fondamentaux, les faits seront donc
accueillis dans l’aire dédiée aux expropriations indirectes. Ce miroir
est en réalité un critérium, un filtre. Il constitue l’examen de passage
obligé qui permettra de canaliser, puis d’élire les faits-candidats au
statut d’expropriation indirecte. La place de ce critérium est donc
primordiale pour une catégorie-reflet. Et tout l’enjeu de la définition
de l’expropriation indirecte réside dans le choix des critères qui
composeront le critérium.
Pour une catégorie-reflet, le critère fondamental s’appelle « équiva
lence », il s’agit alors de comparer un fait à un critère et non d’appliquer
un fait à un critère. Toutefois, il n’est pas nécessaire que le critérium
soit composé de tous les éléments caractéristiques d’une expropria
tion directe. En effet, pour qu’un fait-candidat puisse déjà prétendre
passer le test de l’équivalence, il faudrait qu’il ait un minimum de
rapport avec l’expropriation directe. De ce fait, pour certains cri
tères, aucune recherche d’équivalence ne sera nécessaire, car ils
seront déjà vérifiés par le procédé classique de qualification. Ce sera
par exemple le cas pour un acte non imputable à l’État d’accueil.
En matière d’imputabilité, soit l’acte est imputable à l’État d’accueil,
soit il ne l’est pas. On ne saurait envisager un acte équivalant à une
imputabilité à l’État d’accueil. En revanche, il est possible d’envisa
ger un acte équivalant au retrait d’un titre de propriété ou encore un
acte équivalant à l’appropriation d’un bien.
La catégorie-reflet, par l’infinité des hypothèses qu’elle suggère au
départ, est encline à attirer tous les faits qui gravitent autour de la
catégorie de référence. En effet, le risque serait de croire que tout ce
qui ressemble de près ou de loin à une expropriation directe, mais
ne remplit pas toutes les conditions étroites de cette dernière, pourra
tomber dans la catégorie de l’expropriation indirecte. Il faudra donc
veiller à ne pas modeler la définition de l’expropriation indirecte de
sorte que celle-ci ait un « effet d’attraction »57 sur tous les faits-candidats.
À notre avis, l’expropriation indirecte attirera à elle seulement les
cas qui remplissent les caractéristiques fondamentales d’une expro
priation directe sans pour autant remplir ses conditions accessoires
ou secondaires. Par conséquent, elle ne doit pas servir à récupérer
simplement tous les faits qui sont difficiles à classer.
22
B. Une catégorie fonctionnelle
23
Section 2 – La distinction entre
mesures verticales et mesures horizontales
24
en droit. La comparaison devient alors utile pour la définition de la
mesure verticale.
Les normes juridiques sont classées en deux catégories : les règles
ou les décisions. La règle est définie comme une norme générale et
abstraite. A contrario, la décision peut être définie comme la norme
juridique à laquelle manquent trois caractéristiques : la généralité
(dans le sens d’une norme impersonnelle), l’abstraction (les desti
nataires de la norme sont envisagés de manière abstraite à travers
des critères déterminés) et l’hypothèse (quiconque remplit les condi
tions abstraites tombe automatiquement sous l’empire de la norme).
La décision est donc une norme « concrète, catégorique et non per
manente »60. L’effet juridique de la décision est instantané, car elle
prend fin une fois qu’elle s’est réalisée en la personne du ou de ses
destinataires. Mais comme l’a constaté un auteur averti, « l’opposi
tion entre règles et décisions ne coïncide pas avec l’opposition entre
normes individuelles et normes générales »61. Ainsi, une décision
peut viser un large groupe d’individus qui sont pourtant identifiés
au moment de l’édiction de la norme. C’est le cas, par exemple,
d’une décision d’expulsion des locataires d’un immeuble. Il s’agit en
réalité d’une décision collective pouvant se décomposer en plusieurs
décisions individuelles. Dans la décision comme dans la mesure ver
ticale, le ou les destinataires sont individuellement désignés dans le
texte. Dans le même ordre d’idées, il est intéressant de noter qu’une
abondante jurisprudence existe sur la distinction entre le règle
ment (compris dans le sens d’une règle abstraite et générale) et la
décision dans le cadre de l’interprétation des articles 189 alinéas 2,
4 et 173 alinéa 2 du traité de Rome par la Cour des Communautés
Européennes (CCE). Les solutions dégagées sont intéressantes et se
rapprochent de ce qui vient d’être exposé. Il a ainsi été affirmé de
manière d’abord approximative, que la décision se caractérise par
« la limitation des destinataires », avant de poser plus rigoureusement
que les sujets concernés doivent être « désignés ou identifiables », en
dehors « de catégories de personnes envisagées de manière générale
et abstraites » et enfin, qu’une décision peut « s’analyser en un fais
ceau de décisions individuelles » 62.
25
Un exemple vraisemblable qui récapitule une série de mesures de
cette catégorie permet d’illustrer ce que recouvre concrètement la
mesure verticale. Un investisseur privé étranger installé dans un pays
exploite une usine de fabrication de boîtes de tomates. On suppose
qu’il est en concurrence sur le marché local avec deux investisseurs
nationaux et un autre investisseur étranger. Par la suite, les autorités
gouvernementales décident de lui retirer l’autorisation d’exploita
tion, rendant l’activité désormais illégale. Face au refus d’obtempé
rer, la police vient fermer les locaux et décide de la saisie des équipe
ments. L’investisseur est ensuite expulsé du territoire national. On
laissera de côté pour l’instant la raison initiale du retrait de l’auto
risation. Cet exemple correspond en tout point à l’hypothèse des
mesures verticales. En premier lieu, les mesures sont prises en direc
tion d’un investissement particulier parmi quatre (cela pourrait
être aussi plusieurs investisseurs au sein d’un secteur économique
donné). En deuxième lieu, l’objectif de cette mesure était de modi
fier la situation initiale de l’investisseur (ici l’arrêt de l’exploitation).
En troisième lieu, le résultat de l’application de la mesure est la des
truction de l’investissement dans son intégrité. Ce dernier n’existe
plus pour l’investisseur dans les faits, même s’il détient encore for
mellement son titre de propriété. Il en résulte que c’est la chose sur
laquelle porte le droit de propriété qui est détruite, laissant le droit
lui-même intact, mais sans objet. S’il s’agissait de droits purement
incorporels, comme des créances, on dirait que le droit est lui-même
détruit sans qu’il y ait eu transfert d’un patrimoine à un autre.
La verticalité de la mesure ne se constate donc pas seulement dans
le processus par lequel l’investissement est touché, mais aussi dans
le fait que l’investissement est détruit directement dans son exis
tence corporelle ou incorporelle. De ce fait, on peut voir dans les
expropriations indirectes par mesures verticales, des expropriations
directes auxquelles fait uniquement défaut le caractère formel, c’est-
à-dire une loi ou un décret d’expropriation manifestant officielle
ment la volonté étatique de priver l’investisseur de son investisse
ment. Un État qui entreprend la saisie définitive d’un hôtel, mais
sans une loi ou un décret d’expropriation préalable, comme dans
l’affaire Wena Hôtels c. Égypte 63, fait-il autre chose que le retrait pur
et simple de la propriété sur un bien ? Dans cette affaire, le litige
provenait de l’occupation de deux hôtels gérés par l’investisseur par
décision d’une autorité gouvernementale. Cette occupation, suivie
de la nomination forcée d’administrateurs, à la suite d’un différend
sur les obligations contractuelles entre les deux parties, fut effectuée
avec l’aide de l’armée avant que la justice locale ne rétablisse l’inves
26
tisseur dans ses droits. Mais dans l’intervalle, les hôtels avaient subi
des dommages importants et irréversibles.
Les toutes premières mesures verticales se traduisaient générale
ment par des actes physiques : saisie de biens, destruction ou ferme
ture de locaux, expulsion d’investisseurs, etc. La nature physique des
préjudices s’expliquait au regard des formes d’investissements qui
existaient à l’époque. Les biens étrangers, puis les premiers inves
tissements qui ont suivi étaient généralement des biens meubles ou
immeubles corporels. Et quand les droits rattachés à l’investissement
ont eu droit à une protection autonome, ils étaient encore indisso
ciables d’éléments corporels. Aujourd’hui, un investissement pro
tégé par un TBI peut se résumer à des éléments incorporels tels que
des avoirs dans une entreprise, des droits de créances, des droits de
propriété intellectuelle, etc. De nos jours, les mesures verticales sont
rarement constituées par des atteintes physiques en raison de ces
nouvelles formes d’investissements. Ce sont plutôt les annulations
de permis ou d’autorisations d’investissement, dont dépend vitale
ment une activité économique protégée, qui abondent. Les atteintes
physiques ne sont donc pas une caractéristique fondamentale de la
mesure verticale.
En définitive, par mesure verticale, il faut entendre une mesure
étatique prise en direction d’un investisseur/investissement ou d’un
groupe d’investisseurs/investissements étrangers prédéfinis, et dont
l’objectif premier est de modifier immédiatement leur situation juri
dique en portant atteinte à l’existence de leurs droits. Autrement
dit, les destinataires de la mesure verticale sont visés en tant que tels
(il n’y a donc pas de répercussions fortuites or accidentelles), et la
répercussion de la prescription est immédiate sur l’existence même
de l’investissement. En raison de ses caractéristiques, la mesure ver
ticale pourrait également être désignée par les termes de « mesure
ciblée » ou « mesure à effet immédiat ». Toutefois, parce que le terme
de mesure verticale résume mieux les caractéristiques de ce type de
mesures, ce terme aura notre préférence dans la suite de ce travail.
27
sur la protection des biens étrangers qui a servi de modèle à de nom
breux traités bilatéraux signés par les États européens. Toutefois,
quelques affaires remontant au début du siècle précédent peuvent
être répertoriées comme ayant porté sur une allégation d’expro
priation indirecte. Certes, il était davantage question de biens étran
gers que d’investissement, et les arbitres ou les juges ne parlaient
pas encore d’expropriation indirecte. Mais rétrospectivement, ces
mesures peuvent être classées comme telles, et plus précisément
dans la catégorie des mesures verticales. Il s’agit principalement et
pour les plus connues, de la décision de la CPJI sur le fond dans
l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine du 30 août 192464
et de la sentence arbitrale ad hoc dans Lena Goldfields Ltd c. gouver-
nement soviétique du 3 septembre 193065. Les affaires Rialet c. Éthiopie
et Oscar Chinn qui leur sont contemporaines, relèvent en réalité des
rares mesures horizontales litigieuses de cette époque et seront exa
minées ultérieurement.
Dans l’affaire des Concessions Mavrommatis, la Grèce avait saisi la
CPJI d’une demande contre la Grande-Bretagne, fondée sur le fait
que le gouvernement de la Palestine avait refusé de reconnaître plei
nement la validité d’un certain nombre de contrats de concession
passés par M. Mavrommatis, ressortissant hellène, avec les autorités
ottomanes en Palestine avant que la Grande-Bretagne ne devienne
Mandataire de la Société des Nations pour ce territoire. Or, aux
termes du protocole XI du traité de Lausanne applicable, le manda
taire devait, soit maintenir telles quelles les concessions accordées,
soit en renégocier les termes de commun accord avec les concession
naires, soit enfin les racheter contre une indemnisation. Il s’agis
sait donc ici d’une mesure verticale de la Grande-Bretagne, dirigée
contre M. Mavrommatis qui lui déniait l’existence de ses droits de
concession.
Le litige dans l’affaire Lena Goldfields portait sur une concession
minière par laquelle le gouvernement russe avait octroyé des droits
exclusifs à une compagnie britannique pour l’exploration et l’ex
traction de minerais en 1925. La société prétendait que le contrat
de concession avait été détruit par des mesures administratives et
législatives prises à son encontre par le nouveau gouvernement
soviétique. Le tribunal arbitral ad hoc a relevé en effet que lesdites
mesures avaient conduit à une « total impossibility for Lena of either
performing the concession Agreement or enjoying its benefits », ou encore
« deprive the company of available cash resources, to destroy its credit, and
28
generally to paralyse its activities »66. Le gouvernement soviétique avait
pris les mesures suivantes : non-exécution de ses obligations contrac
tuelles dues à Lena Goldfields en vertu de la concession, harcèlement
des employés accusés de servir une entreprise capitaliste et arresta
tion des dirigeants pour espionnage, raids de dévastation des ins
tallations de l’entreprise, saisie des procédés techniques et docu
ments confidentiels. L’URSS avait vainement invoqué, pour dénier
la compétence du tribunal, que l’investisseur avait unilatéralement
mis fin au contrat en rappelant son personnel et en cessant toute
activité67. Elle fut néanmoins condamnée pour rupture abusive de
contrat et enrichissement sans cause. Il est probable qu’un tribunal
actuel aurait conclu à une expropriation indirecte de droits contrac
tuels. Les mesures visaient directement l’investissement et ont rendu
immédiatement caduque l’existence du contrat de concession. Tou
jours au sein des anciennes affaires traitant d’expropriations indi
rectes verticales sans ainsi les nommer, les cas de ventes forcées ou
des renégociations de contrats sous la contrainte peuvent également
être mentionnés68.
29
indiquant que le site du projet était fermé au public à l’exception des
forces de sécurité.
Parmi les affaires portées devant le CIRDI, les exemples de mesures
verticales abondent, indépendamment du fait qu’elles aient été qua
lifiées d’expropriations indirectes ou non : retrait d’une autorisation
d’opérer en tant qu’organisme financier dans A. Genin c. Estonie 71 ;
retrait d’un certificat d’entreprise franche dans A. Goetz c. Burundi 72 ;
résiliation unilatérale d’un contrat portant sur un investissement
dans Letco c. Liberia 73 ; Soabi c. Sénégal 74, ou Société d’investigation c. Bur-
kina Faso 75 ; refus de s’acquitter de tout ou partie de ses obligations
contractuelles dans Holidays Inns c. Maroc 76 ; Klöckner c. Cameroun77 ;
Fedax NV c. Venezuela 78 ; CSOB c. Slovaquie 79 ; et Salini Costruttori
c. Maroc 80. On remarque aussi que les toutes premières affaires por
tées devant le CIRDI sur le fondement d’une clause compromissoire
ou un compromis d’arbitrage et concernant une expropriation indi
recte procédaient toutes de mesures verticales. Ce fut le cas dans les
affaires Benvenuti c. Congo 81, Amco Asia c. Indonésie 82 et Letco c. Liberia
sus mentionnées. Dans les deux premières affaires, il y avait eu sai
sie et occupation des biens de l’investisseur par des troupes armées
nationales ; saisie et occupation auxquelles s’est adjointe une nomi
nation forcée de gérant dans l’affaire Amco Asia. Ce qui les classe
évidemment dans la catégorie des mesures verticales.
30
Parmi les affaires portées à la CIJ, des allégations d’expropriation
indirectes ont été avancées dans l’affaire de la Barcelona Traction 83,
mais n’ont pu être traitées, le tribunal ayant décliné sa compétence.
Les mesures en causes visaient directement une entreprise cana
dienne contrôlée par des intérêts belges et remettaient en cause
l’existence même de la société : décision judiciaire de mise en faillite
sans notification de la procédure à la société, saisie des filiales, prise
de contrôle par la nomination de directeurs locaux, refondation et
vente des parts sociales à une société nationale. Ce sont donc des
mesures verticales, sans préjuger naturellement de leur qualification
en expropriation indirecte.
La période de la décolonisation et des revendications pour un
Nouvel Ordre Économique International (NOEI) n’est pas riche
en mesures verticales d’expropriation indirecte. Comme principale
explication, il convient de relever que les nationalisations formelles
avaient la préférence des gouvernements qui voulaient ainsi affir
mer leur indépendance économique. Il est possible de répertorier
des mesures ayant lésé des investisseurs sans leur retirer le titre de
propriété, mais elles étaient suivies ou précédées de nationalisations
formelles et vues sous cet angle par les tribunaux qui ont eu à les
examiner. C’est ainsi que l’affaire AGIP c. Congo 84, relative à une
nationalisation par décret présidentiel suivie de mesures équiva
lentes (occupation des locaux de la société par l’armée), est à écar
ter. On n’est donc pas dans l’hypothèse d’une expropriation indi
recte, et la nature verticale ou horizontale de la mesure principale
est indifférente85. Mentionnons néanmoins l’affaire Reynolds Jamaica
c. Jamaïque 86, dans laquelle la Jamaïque avait augmenté les taxes sur
l’extraction de la bauxite en multipliant par neuf la charge fiscale
des investisseurs impliqués dans cette activité.
31
catégorie des mesures classiques verticales. Elles méritent d’être isolées
au sein de cette revue historique, car ce Tribunal a joué un rôle majeur
dans la cristallisation de la doctrine actuelle87. À quelques exceptions
près88, et en dehors des rares expropriations directes, le Tribunal
irano-américain a eu à examiner des allégations d’expropriations indi
rectes par le biais de mesures verticales dirigées contre l’investisseur :
prise de contrôle de la société où l’investisseur détenait des parts sou
vent majoritaires par la nomination d’administrateurs locaux (Affaires
Tippetts89 ; Starrett Housing 90 ; Sedco 91) ; suivi parfois d’une déclaration de
nullité d’un contrat qui était le support de l’investissement (Amoco 92 ;
Philips Petrolium 93) ; saisie physique de biens ou occupation de locaux
(William L. Pereira Associates94 ; Computer Sciences Corp 95 ; et Leonard and
32
Mavis Daley 96) ; expulsion forcée de l’investisseur ayant directement
causé un préjudice à ses biens (Kenneth P. Yeager 97). Les litiges por
taient aussi bien sur des biens tangibles que des droits.
Pour terminer avec cette revue historique des mesures verticales,
un récapitulatif peut être fait. Les atteintes physiques à l’investisse
ment ou à l’investisseur ont souvent été les suivantes : saisie des locaux
et des biens, expulsion ou arrestation de l’investisseur, destruction
ou pillage des biens, harcèlement des employés, blocage de l’accès à
une usine, vente forcée de biens, etc. Les atteintes non physiques à
l’investissement ont souvent été les suivantes : annulation/retrait de
permis ou d’autorisation d’exploitation, révocation de contrat, aug
mentation exponentielle individualisée de la charge fiscale de l’ex
ploitation, vente forcée des parts sociales, prise de contrôle par la
nomination forcée d’administrateur, gel de comptes bancaires, etc98.
On peut remarquer aussi qu’une bonne partie des plaintes d’expro
priation indirecte par mesures verticales portées devant les tribunaux
arbitraux sont antérieures à la fin des années 1990 ou ont pris source
dans des mesures survenues avant cette date. On serait donc tenté de
conclure que globalement, cette catégorie de mesures est aujourd’hui
désuète. Toutefois, le contentieux de l’expropriation indirecte montre
que cette conclusion n’est pas vérifiée en ce qui concerne les mesures
d’ordre contractuel et les annulations de permis99.
Toutes ces mesures étatiques ont en commun de refléter de très
près les caractéristiques d’une expropriation directe.
96 Léonard & Mavis Daley c. Iran, sentence du 20 avril 1988, Iran-US CTR, vol. 18,
p. 232 et s.
97 Kenneth P. Yeager c. Iran, sentence du 2 novembre 1987, Iran-US CTR, vol 17, p. 92
et s.
98 Pour d’autres exemples de sentences, voir A. NEWCOMBE & L. PARADELL,
Law and Practice of Investment Treaties, Standards of Treatment, Austin/Boston/
Chicago/New York, Kluwer Law International, Wolters Kuwer, The Netherlands,
2009, pp. 327-328. Voir aussi M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, pp. 400-406.
99 Voir par exemple, Waste Management II, Inc. c. United Mexican States (ARB(AF)/00/3),
sentence CIRDI du 30 avril 2004. Dans cette affaire, l’investisseur se plaignait du
non-paiement persistant de factures par une municipalité mexicaine en violation
des termes du contrat de concession.
33
ne devraient être utilisés que pour ces formes d’expropriation indi
rectes. Comme dans l’expropriation directe formelle, l’investisseur
ne dispose plus de son investissement, car il n’existe plus en pratique
à son endroit. Ces expropriations de fait, combinent généralement,
mais pas nécessairement, la dépossession de l’investissement et une
appropriation ou un bénéfice indirect pour l’État. Ce qui est rare
ment le cas avec les mesures horizontales qui seront examinées. La
ressemblance avec l’expropriation directe est donc très forte.
Évoquant la période où les saisies de biens étaient fréquentes dans
le contentieux de l’expropriation indirecte, M. Sornarajah, affirme
que « the law was developped in the context of such Taking »100. Les mesures
verticales renvoient un reflet très proche, et parfois presque iden
tique au référent lorsqu’il s’agit d’atteintes physiques. Elles s’appa
rentent finalement à des quasi-expropriations directes. Cela signifie que
le critérium exige ici pour le passage vers l’aire des expropriations
indirectes que les faits-candidats présentent une ressemblance très
proche de l’expropriation directe. C’est ce que nous dénommons
une filiation étroite.
La filiation étroite a comme avantage de mettre en place un rap
port d’équivalence simplifié. En prenant par exemple un critère du
référent comme le retrait du titre de propriété, on aura peu de dif
ficultés à trouver dans la saisie définitive d’une usine, un résultat
comparable et donc équivalent à un retrait du titre de propriété. Les
problèmes de qualification sont donc amoindris. De même, l’arbitre
ou le juge n’aura aucune difficulté à écarter de son raisonnement, au
stade de la qualification, l’intérêt public que poursuivait la mesure.
Comme avec l’expropriation directe, l’examen de l’intérêt public
poursuivi par la mesure est un élément superflu, car il y a intention
manifeste et délibérée de porter atteinte à un investissement quelles
que soient les justifications légitimes qui la précèdent. Qui décide
d’exproprier dans l’intérêt public, doit indemniser en retour comme
le requièrent les clauses des TBI et le droit international coutumier.
Il en ressort qu’avec les mesures verticales, qui peuvent entraî
ner une expropriation de facto ou quasi-expropriation directe, les consi
dérations sur les raisons ou le contexte de l’édiction de la mesure
étatique sont inexistantes, car elles sont inutiles. Or, c’est dans ce
contexte des atteintes délibérées à l’investissement étranger aisé
ment identifiables, que se sont forgés les critères de qualification de
l’expropriation indirecte. Si l’on s’accorde à dire que les mesures ver
ticales classiques ont forgé le concept de l’expropriation indirecte et
par conséquent inspiré ses critères de qualification, qu’en est-il de
la nouvelle forme de mesures étatiques préjudiciables ? Le critérium
peut-il demeurer identique en tout point, lorsqu’on est en présence
100 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 367. Précisons néanmoins que l’auteur ne
distingue pas les formes indirectes d’expropriation entre elles. Il entreprend de
distinguer la nationalisation de l’expropriation directe individualisée.
34
d’une mesure édictée dans un but extérieur à l’investisseur, mais
finissant par lui créer un préjudice ?
35
personne concernée par la mesure et bien que la mesure ait été libel
lée en des termes abstraits, on peut se demander si cette personne
n’était pas visée en tant que telle sous le couvert d’une règle abs
traite. Pour éviter toute confusion, il suffira de vérifier si la mesure
en question vise « un caractère sans se préoccuper des personnes qui
le présentent » (règle/mesure horizontale), ou « en revanche (…) vise
[une] personne à travers [son] caractère »102 (décision/mesure verti
cale). Ainsi, s’il est possible d’employer le singulier dans le libellé de
la norme sans en dénaturer le sens, il faudra conclure à l’existence
d’une mesure horizontale.
Une précision importante s’impose dès à présent. Le but initial
de la mesure horizontale ne doit pas être confondu ni avec l’inten
tion d’exproprier, ni avec les motivations de l’État, ni avec l’intérêt
public pris comme critère de licéité. Ces quatre éléments peuvent
néanmoins se chevaucher.
Le but initial de la mesure désigne ici la raison initiale de l’édic
tion de la mesure potentiellement expropriante. Il peut s’agir par
exemple de faire face à un problème sanitaire, de réguler une pénu
rie alimentaire, d’endiguer une crise économique ou financière,
de rétablir l’ordre ou la sécurité, etc. En fait, tous les divers intérêts
étatiques, dont la sauvegarde, permettent ou autorisent un gouver
nement à user de la panoplie des mesures exorbitantes de droit com
mun à sa disposition.
L’intention d’exproprier n’est qu’un but de mesure parmi tant d’autres.
C’est ainsi que dans une expropriation directe, mais aussi dans une
expropriation indirecte par mesure verticale, le but de la mesure se
résume à l’intention d’exproprier. Or, dans une mesure horizontale,
le but initial de la mesure est extérieur à celui d’exproprier l’inves
tisseur. Il suffit, pour classer la mesure comme étant horizontale,
de constater prima facie l’existence d’un but extérieur à la situation
propre de l’investisseur, à charge pour ce dernier de démontrer une
mauvaise foi ou un détournement de la part des autorités étatiques.
Les motivations de l’État sont les considérations politiques, écono
miques ou sociales qui ont guidé l’action des autorités étatiques.
Elles ne doivent pas être confondues avec le but initial de la mesure
malgré l’étroitesse de leurs liens. Ainsi, en cas de nationalisation, il
est possible pour un État de revendiquer la recherche de son indé
pendance économique ou de sa souveraineté sur ses ressources natu
relles. Il ne s’agit pas ici du but initial de la mesure, au sens strict
comme nous l’entendons, mais de la motivation guidant la mesure.
De même, dans le cas d’une mesure étatique prescrivant l’abattage
du bétail touché par une épidémie bovine, le but initial de la mesure
est d’endiguer une épidémie. Il ne concerne pas un investisseur pris
dans sa situation spécifique. La motivation ayant guidé cette mesure
36
horizontale est de protéger la santé de la population. Cette motiva
tion, quelle que soit sa légitimité, n’intervient pas dans la distinction
entre mesures horizontale et verticale, car toutes les mesures éta
tiques ont une motivation censée être légitime. La nuance est donc
primordiale.
L’intérêt public-condition de licéité, quant à lui, permet de vérifier la
présence d’un intérêt autre que l’intérêt privé d’un individu ou d’un
groupe. Il s’agit d’un critère qui se limite à assurer qu’il n’y a pas de
détournement manifeste et grossier des richesses privées étrangères
à des fins strictement personnelles des autorités gouvernementales,
en violation de l’état de droit.
Un exemple fictif permet également de donner une illustration
des mesures horizontales types. Le propriétaire d’une station de
vente d’essence voit la rue où il est installé, réaménagée en rue pié
tonne par un arrêté municipal. Renseignements pris, les autorités
locales souhaitent ainsi désengorger le centre-ville qui est l’objet de
nombreux embouteillages et accidents, et faciliter l’accès des éco
liers à une maternelle (but initial). Cela afin d’améliorer la qualité
de vie des populations riveraines et d’assurer la sécurité des usagers
de la voie (motivation). La mesure ne concerne pas l’activité du com
merçant et ne lui est pas destinée. Pourtant, les répercussions sont
dramatiques pour ce dernier qui détient désormais le titre de pro
priété d’un bien devenu économiquement inutile (disparition de la
clientèle, car les véhicules ne peuvent plus accéder à la station). On
suppose ici que la vente de l’essence était l’activité exclusive ou prin
cipale de la station-service.
Du fait que l’investissement n’est pas visé directement, son exis
tence ne sera pas non plus remise en cause directement du simple
fait de l’édiction de la mesure horizontale. Le préjudice s’effectuera
à travers une modification ou une altération des conditions géné
rales initiales dans lesquelles évoluait l’activité économique. Il peut
s’agir des conditions financières, juridiques, environnementales ou
sociales. L’impact ne portera pas sur l’existence même de l’investis
sement qui n’est pas visé, mais sur ses rendements, sa productivité.
C’est dans ces cas précis que devrait être utilisé le terme galvaudé
d’expropriation de valeur. Ainsi, l’investisseur est formellement et
matériellement propriétaire d’un investissement qui ne produit plus
ou n’a plus aucune valeur économique. Contrairement aux consé
quences d’une mesure verticale, l’investissement existe dans son
intégrité, sauf qu’il n’y a plus d’intérêt économique à le posséder.
L’État d’accueil interfère ici dans les conditions d’exercice de l’acti
vité, la rendant difficile, voire impossible selon les situations.
En substance, il faut retenir que la mesure horizontale est celle
dont le but initial ne concerne pas a priori l’investisseur privé étran
ger lésé. Cela signifie que pour une raison particulière et étran
gère à l’investisseur concerné, un État édicte une mesure dont les
répercussions atteignent néanmoins ce dernier. Celui-ci n’est en
37
quelque sorte qu’une victime collatérale de la mesure. Il subit sim
plement les conséquences du fonctionnement quotidien des services
publics de l’État. La mesure horizontale ne pose alors qu’un cadre
dans lequel certains événements peuvent se réaliser et être préjudi
ciables à l’investisseur. Mais elle ne modifie pas immédiatement la
situation de l’investisseur du fait de sa simple promulgation. Il est
également possible de désigner ce type de mesures par les termes de
« mesure non ciblée » ou « mesure à effet médiat ». Cependant, parce
que ces termes ne permettent pas de rendre compte respectivement
des hypothèses de mesures ciblées qui se répercutent sur un autre
investissement, ou des mesures-cadres qui nécessitent une mesure
d’application, nous retiendrons l’expression « mesure horizontale ».
38
la suite que la production d’alcool par la Rialet ne couvrait pas la
demande locale, prit des mesures pour réduire de moitié les droits
d’accise afin de permettre au public d’importer des alcools. La Rialet
estimait que cette mesure détruisait de fait son monopole et donc le
rendement de son activité. Elle mit fin unilatéralement au contrat de
concession, stoppa son exploitation et liquida ses stocks sans en avi
ser la Régie gouvernementale. C’est donc pour faire face à une pénu
rie que la mesure fut prise (but initial), afin de répondre aux besoins
des consommateurs (motivation). La mesure ne visait pas la situation
particulière de l’investisseur. Cette affaire peut être retenue comme
un exemple de mesure horizontale de la première heure.
Devant la CPJI dans l’affaire Oscar Chinn, le Royaume-Uni, pre
nant fait et cause pour son national, invoquait un préjudice causé
aux activités de M. Chinn en violation du droit international cou
tumier107. Ce dernier, propriétaire d’une entreprise de commerce
fluviale, estimait que les nouveaux tarifs imposés à l’Unatra, une
société concurrente contrôlée par la Belgique, avaient eu pour effet
de [le] ruiner en le contraignant à cesser ses activités. La Belgique,
pour faire face à une chute des prix des matières premières colo
niales suite à la Première Guerre mondiale, avait imposé aux com
pagnies de transports coloniales qu’il contrôlait (dont l’Unatra) de
baisser les coûts de transports desdites matières. Dans les faits, ces
réductions imposées de tarifs ont mis la société Unatra dans une
situation de monopole, car ses concurrents privés ne pouvaient pas
effectuer les mêmes réductions sans risquer la banqueroute. Certes,
un monopole de fait s’est établi par le biais de la mesure étatique et
des entreprises en ont été lésées, mais la mesure d’ordre général avait
pour but initial de maîtriser les coûts de transports des matières pre
mières dont le rendement avait périclité. Elle ne visait pas M. Chinn.
L’affaire Oscar Chinn peut donc être classée comme un exemple de
mesure horizontale.
Les premières affaires à avoir traité nommément d’une expro
priation indirecte (par le biais de mesures horizontales) sont les
Affaires des Armateurs norvégiens 108, devant un tribunal ad hoc et celle
des Intérêts allemands en Haute Silésie polonaise 109, devant Cour Perma
mente d’Arbitrage (CPA). Dans les deux affaires, il était question de
mesures d’expropriation directe de biens ayant entraîné des expro
priations indirectes de droits contractuels étroitement liés aux biens
saisis. Ces affaires illustrent donc l’hypothèse susmentionnée d’une
mesure horizontale qui se répercute sur un investisseur bien qu’elle
107 Cette affaire ne se fondait pas sur un TBI avec les clauses d’expropriations telles
que formulées actuellement.
108 Affaire des Armateurs norvégiens (Etas-Unis/Norvège), sentence du 13 octobre
1922, RSA, vol. I, p. 307 et s.
109 CPJI, Affaire des Intérêts Allemands en Haute Silésie polonaise (Allemagne/Pologne),
25 mai 1926, Série A, n° 7.
39
ait visé initialement un autre investisseur. Les premières mesures
horizontales étaient souvent de ce type.
Dans l’affaire des Armateurs norvégiens, la mesure litigieuse en cause
constituait à la fois une mesure verticale au regard de certains droits
de l’investisseur et une mesure horizontale au regard de ses autres
droits. Le litige portait sur des contrats de construction navale entre
des firmes américaines et des armateurs norvégiens. Suite à l’entrée
en guerre des États-Unis en 1917, les navires en constructions et le
matériel y afférant furent réquisitionnés pour l’effort de guerre. La
question devant le tribunal était de savoir si la réquisition se limi
tait, comme le défendaient les États-Unis, aux navires partiellement
construits ou s’étendait aussi aux droits contractuels sous-jacents.
Il faut noter que les États-Unis n’avaient jamais émis l’intention de
remettre en cause l’existence de ces droits contractuels. Le tribu
nal a octroyé une indemnité pour les navires saisis (mesure verticale
d’expropriation indirecte), mais aussi pour les droits contractuels
neutralisés par répercussion (mesure horizontale d’expropriation
indirecte). Cette sentence fut l’une des premières à avoir reconnu
au plan international que les droits contractuels pouvaient faire l’ob
jet d’expropriation. Mais surtout, elle a reconnu une expropriation
indirecte d’un droit qui a été détruit sans avoir été directement visé.
Il s’agit ici d’une mesure horizontale si l’on se place sur le plan des
contrats de construction.
L’affaire de Certains intérêts allemands en Haute Silésie Polonaise a éga
lement donné l’une des premières occasions à la CPA d’examiner une
prétention relative à une expropriation indirecte en tant que telle.
La Cour avait à connaître de la saisie d’une usine de fabrication de
nitrate détenue par une société allemande (l’Oberschlesische Stick
stoffwerke), mais exploitée par une autre société allemande (la Baye
rische Stickstoffwerke) sur la base d’un contrat de gestion. L’une des
questions posées à la Cour était de savoir si la saisie de l’Usine et des
machines était également une expropriation des droits contractuels
de la société qui exploitait l’usine, mais ne détenait pas le titre de
propriété. La réponse apportée fut positive sur le fondement d’une
étroite interaction des différents droits en présence110. Cet exemple
est plus patent, car il n’y avait pas identité entre l’investisseur visé par
la mesure verticale et par la mesure horizontale. Ici aussi, la mesure,
pour l’entreprise gestionnaire, était de nature horizontale, car elle
ne la visait pas directement.
110 La Cour a ainsi déclaré : « il est clair que les droits de la Bayerische à l’exploitation,
ainsi que la rémunération stipulée par le contrat pour la direction de l’exploitation […]
ont été directement lésés par la reprise de l’usine de Chorzow ». Ibidem, p. 44.
40
tence sur le fond111, que la problématique des mesures horizontales a
pris véritablement corps et est parvenue à la connaissance du grand
public.112 La publication de cette sentence, qui a coïncidé avec la vaste
campagne des Organisations Non Gouvernementales (ONG) contre
le projet de l’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI) initié par
l’OCDE, a eu un retentissement important et a probablement contri
bué à l’échec du projet. La société Ethyl, entreprise américaine ayant
investi au Canada, avait attaqué devant un tribunal CIRDI, et sur le
fondement du chapitre 11 de l’ALENA, une loi canadienne interdi
sant l’importation d’un additif à l’essence (le MMT). Or, la filiale
canadienne d’Ethyl importait ce produit chimique depuis les États-
Unis pour le mélanger à l’essence avant de le distribuer au Canada.
Pour cette dernière, le préjudice qui en résultait dans ses activités
équivalait à une expropriation. Le Canada avançait des risques envi
ronnementaux et sanitaires comme but initial de l’interdiction. Sans
préjuger ici de la pertinence des justifications canadiennes, il suffit
de constater que la mesure en cause ne visait pas a priori l’investis
seur. Il n’était pas le premier destinataire de cette loi. Il en était une
victime collatérale.
Les exemples récents de mesures horizontales sont à rechercher
dans les affaires dites « argentines » devant le CIRDI à la suite de la
crise financière nationale de 2001. Des faits similaires sont à l’origine
des affaires CMS c. Argentine 113, LG&E c. Argentine 114, Azurix c. Argen-
tine 115, Siemens c. Argentine 116, ou Sempra c. Argentine 117. À la suite de
l’effondrement de l’économie argentine, une loi d’urgence de jan
vier 2002 avait abrogé la convertibilité paritaire entre le peso et le
dollar américain et avait converti les dettes publiques et privées des
banques en pesos, pour finalement ordonner la renégociation des
contrats de service public afin d’en adapter les termes au nouveau
système de change. En application de cette loi, deux suspensions
successives de l’ajustement semestriel des tarifs selon le cours du dol
lar américain furent décidées, en violation de contrats de conces
sion conclus entre le gouvernement et les investisseurs détenteurs
de licences d’exploitation. La loi d’urgence doit être évidemment
classée comme mesure horizontale. Les mesures de suspension des
ajustements tarifaires prévus dans les contrats de concessions sont
41
plus délicates. Par application du principe selon lequel la véritable
mesure horizontale entraîne dans son giron ses mesures indivi
duelles d’application, il sera démontré que ces types de mesures sont
également des mesures horizontales.
Concernant toujours le CIRDI, un bon nombre des affaires
portées contre le Mexique sont aussi des mesures horizontales
qui concernent particulièrement des enjeux environnementaux.
Peuvent être utilement citées, les affaires M. R. Feldman c Mexique 118,
et Fireman c. Mexique 119. Dans cette dernière affaire, l’investisseur
se plaignait des répercussions des mesures étatiques prises pour
endiguer la crise financière mexicaine de 1999 qui lui auraient fait
perdre des avoirs dans un établissement financier national ; la santé
financière de la banque n’ayant pas permis à l’établissement de
survivre aux nouvelles conditions drastiques imposées pour sortir
de la crise. Il faudra néanmoins extraire de cette liste les affaires
Metalclad c. Mexique 120, et Tecmed c. Mexique 121, qui n’offrent pas des
exemples satisfaisants de mesures horizontales. Dans l’affaire Metal-
clad c. Mexique, le décret de classement de la forêt où l’investisseur
avait construit une usine de traitement de déchets dangereux, bien
que constituant une mesure horizontale, n’était que la dernière
d’une série de mesures préjudiciables à l’investisseur. Comme l’a
expliqué le tribunal dans cette affaire, l’expropriation indirecte était
déjà réalisée bien avant le décret municipal. Or, les premières séries
de mesures étaient des mesures verticales (refus de délivrance d’un
permis de construire notamment). Il serait possible de citer de nom
breuses autres affaires mettant en cause des mesures horizontales.
C’est bien la preuve de l’actualité et de la vigueur de cette forme de
mesures. Un tel accroissement ne peut qu’interpeller les commen
tateurs sur une possible adaptation des règles pour cette nouvelle
génération de mesures étatiques préjudiciables.
118 Marvin Roy Feldman Karpa c. États-Unis, op. cit., note 34.
119 Fireman’s Fund Insurance Company c. Mexique (ARB(AF)/02/1), sentence CIRDI
du 17 juillet 2006.
120 Metalclad Corporation c. Mexique, op. cit., note 56.
121 Técnicas Medioambientales Tecmed, S.A. c. Mexique (ARB(AF)/00/2), sentence
CIRDI du 29 mai 2003.
42
l’expropriation directe qui échappent à la comparaison sont infimes.
En pratique, l’imputabilité à l’État est l’unique critère échappant au
rapport d’équivalence. Tous les autres éléments, selon l’importance
qui leur est accordée, doivent alors passer par l’examen du critérium.
Dans un second temps, une interrogation importante se profile
déjà : le fait que l’investisseur ne soit touché que comme victime col
latérale n’a-t-il aucune incidence sur le processus de qualification ?
La mesure horizontale étatique a pour particularité qu’elle a ten
dance à faire largement intervenir dans l’analyse des règles externes
aux clauses des TBI. Le but initial de la mesure, qui est extérieur à
l’investisseur, peut résulter par exemple de la mise en œuvre d’autres
traités internationaux. Or, le droit international des investissements
n’est pas un droit étanche ou un vase clos. Il fait partie intégrante de
l’ordre juridique international et les obligations qu’il prescrit doivent
pouvoir cohabiter en toute intelligence avec les autres obligations
internationales des États. Comme l’affirmait C. Leben à propos du
droit international des investissements, « rien dans ses caractéris
tiques propres n’empêche de voire dans [ce dernier] un sous-système
au sein du système du droit international général de la responsabilité
des États »122. Du fait que les mesures horizontales sont avant tout des
réglementations publiques, qui de surcroît ne visent pas directement
l’investisseur, elles élèvent la réflexion à un autre niveau : celle « de
la responsabilité des États du fait de leurs activités normatives » géné
rales123. Par conséquent, les défis posés par les mesures horizontales
sont bien plus complexes que ceux relatifs à la relation simplifiée
entre un gouvernement donné et un investisseur privé étranger avec
les mesures verticales.
Sans anticiper de l’admission ou non de tel ou tel critère dans le
processus de qualification de l’expropriation indirecte, on perçoit
néanmoins que la présence d’un but initial autre que celui de tou
cher l’investissement lors de l’édiction de la mesure devra pouvoir
jouer un rôle. Pour le moment, il suffira de constater que la mesure
horizontale introduit fortement dans l’analyse, contrairement à la
mesure verticale, des considérations plus larges que celles qui se sont
focalisées sur l’investisseur et son préjudice. La mesure horizontale
est plus complexe, car elle soulève des questions multiples. Il lui fau
dra donc une réponse à la hauteur de cette complexité.
* * *
43
En conclusion de ce chapitre préliminaire, deux points essentiels
sont à retenir.
En premier lieu, l’expropriation indirecte est un droit souverain
étatique dont l’exercice est soumis à certaines conditions de licéité.
Par conséquent, elle implique une indemnisation dès sa mise en
œuvre, dont la dualité de fonction n’est pas toujours mise en exergue,
selon que l’on est au niveau des règles primaires ou des règles secon
daires de la responsabilité internationale des États. L’expropriation
indirecte est également une catégorie-reflet de l’expropriation directe.
En effet, l’expropriation indirecte doit renvoyer aux éléments fon
damentaux de l’expropriation directe qui est son référent. Cause ou
conséquence de cette particularité, l’expropriation indirecte est une
notion fonctionnelle qui ne peut être appréhendée et circonscrite
qu’en fonction de ses rapports juridiques avec son référent et dans
l’évolution continue des faits qu’elle doit embrasser.
En second lieu, sous le vocable d’expropriation indirecte, deux
réalités coexistent selon la modalité par laquelle l’investisseur est
atteint. Dans la première hypothèse, il est la raison d’être de l’édic
tion de la mesure et voit son investissement immédiatement détruit
dans son intégrité. Ce type de mesure est verticale et conduit à ce qui
est finalement une quasi-expropriation directe ou une expropriation de
fait. Dans la seconde hypothèse, l’investisseur est la victime collaté
rale d’une mesure prise dans un but initial qui lui est extérieur. Il
n’est pas le destinataire de cette mesure qui est horizontale. Ce type
de mesure conduit à ce qui devra être vu comme une expropriation
de valeur.
La première partie de cet ouvrage montrera que les critères actuels
de qualification de l’expropriation indirecte sont dédiés de manière
satisfaisante aux mesures verticales, alors qu’ils se révèlent insuffi
sants en l’état pour les mesures horizontales.
44
TITRE 1
45
Chapitre 1
47
tion.126 Les clauses d’expropriation des premiers TBI ne prévoyaient
pas encore textuellement l’hypothèse de l’expropriation indirecte127.
Depuis lors, malgré quelques nuances intéressantes, on constate une
grande similitude dans la rédaction des clauses d’expropriation indi
recte dans les traités de protection des investissements (§ 1). Cepen
dant, ces dernières années, quelques États recourent à des disposi
tions plus détaillées, mais souvent encore insuffisantes (§ 2).
126 Ces textes internationaux, qui n’étaient pas conçus spécifiquement pour proté
ger les investissements et ne disposaient pas d’un système de règlement de diffé
rends directement actionnable par l’investisseur, furent peu à peu abandonnés.
127 L’article 3.2 du TBI Allemagne-Pologne se lit comme suit : « Nationals or companies
of either Party shall not be subjected to expropriation of their investments in the territory
of the other Party except for public benefit against compensation, which shall represent
the equivalent of the investments affected. (…) ». Voir aussi le TBI Allemagne-Niger,
1962, article 3.2 et plus récemment le TBI Liban-Malaisie, 2003, article 5. Les
dates mentionnées dans cette étude sont celles de la conclusion des TBI.
128 À défaut de parvenir à un accord multilatéral sur le droit substantiel, des efforts
furent orientés avec succès vers les procédures de règlement des différends relatifs
aux investissements (Convention du 18 mars 1965 conclue sous les auspices de la
Banque mondiale et instituant le CIRDI) et la reconnaissance et l’exécution des
sentences arbitrales dans les États (Convention sur la reconnaissance et l’exécu
48
plus récente visait la conclusion d’un Accord Multilatéral sur l’In
vestissement (AMI). Les traités de protection des investissements
conclus, et parfois en vigueur, sont de deux types.
Il s’agit en premier lieu des Traités Bilatéraux d’Investissements
(TBI) qui sont conclus, comme leur nom l’indique, entre deux États
pour la protection et la promotion réciproques des investissements.
Ils constituent la masse des traités de protection des investissements.
Selon les dernières sources officielles de la CNUCED, « quelques »
2701 TBI au moins existent aujourd’hui dans le monde129. Ce grand
nombre fait obstacle à un examen exhaustif, fût-il superficiel. On
notera néanmoins l’existence des modèles nationaux de traités bila
téraux d’investissement qui ont produit ce que certains auteurs ont
appelé, des « réseaux d’accords »130. En général, la physionomie des TBI
de nombreux pays en développement se calque sur le modèle de TBI
du pays développé partenaire. Cela est particulièrement vrai pour
la clause d’expropriation. Il suffit, pour s’en convaincre, de remar
quer que dans les TBI signés par les États-Unis, la clause d’expro
priation est presque toujours à l’article 6 et est souvent identique à
leurs modèles d’accord respectifs de 1994, 2004 et 2012. L’effet de
mimétisme a fait le reste, y compris dans les TBI conclus entre les
pays du sud.
Il s’agit en second lieu, des Accords bilatéraux ou régionaux de
Libre-Échange (ALE) ou « Free Trade Agreement » (FTA), qui orga
nisent la libéralisation des échanges entre les Parties contractantes.
Autrefois limités aux échanges de marchandises et de services, plu
sieurs de ces accords prévoient désormais un chapitre plus ou moins
détaillé, et plus ou moins libéralisé, sur l’investissement étranger
direct131. Le contenu de ces chapitres s’apparente à celui d’un TBI.
tion des sentences arbitrales étrangères du 10 juin 1958). Ces conventions sont
exclues de cette revue.
129 Source : CNUCED, IIA Monitor n° 3 (2009), op. cit., note 22.
130 P. JUILLARD, « Le réseau français des conventions bilatérales d’investissement :
à la recherche d’un droit perdu », DPCI, 1987, p. 9.
131 On peut citer par exemple, les accords régionaux tels que l’Accord de libre-
échange Nord Américain (ALENA) du 17 décembre 1992 (article 1110) ; le traité
sur la Charte Européenne de l’Énergie du 17 décembre 1994 (article 13.1) ;
le Protocole de Colonia pour la promotion et la protection réciproque des
investissements au sein du MERCOSUR du 17 janvier 1994 (article 4.1) ; le traité
instituant le Marché Commun Est et Sud Africain (COMESA) du 5 novembre
1993 (article 159.4) ; le Protocole sur l’Énergie de la Communauté Economique
des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) du 31 janvier 2003 (article 13.1) ;
l’Accord de 2004 instituant une zone de libre-échange entre le CARICOM
et le Costa Rica (chapitre 10, article 10.6.1) ; l’Accord de libre-échange entre
l’Amérique Centrale, la République dominicaine et les États-Unis d’Amérique
(US-CAFTA-DR) du 5 août 2004 (article 10.7) ; et l’Accord d’investissement de
la zone commune d’investissement du COMESA (CCIA) (article 18.g).
49
Retour sur les projets d’accords multilatéraux sur l’investissement
Les clauses des projets non aboutis de conventions multilatérales
sur l’investissement, bien que ne faisant pas partie du droit posi
tif, ont néanmoins largement influencé la rédaction des traités de
protection des investissements bilatéraux et régionaux actuels et
méritent donc d’être mentionnées. Contrairement aux TBI et ALE
comportant un chapitre sur l’investissement, le nombre limité des
projets permet une revue plus exhaustive.
Le premier texte remarquable qui prévoyait une clause détaillée
sur l’expropriation132 fut le projet de convention sur les investisse
ments étrangers d’avril 1959, encore appelé Convention Abs-Shaw-
cross du nom de ses rédacteurs. L’article 3 du projet déclarait que :
« no Party shall take any measures against nationals of another Party to
deprive them directly or indirectly of their property except (…) »133. Les
formes indirectes d’expropriations sont mentionnées, mais l’article
n’est pas accompagné d’une définition. D’après le commentaire de
cet article, les rédacteurs avaient pour préoccupation majeure de
réaffirmer le droit d’exproprier, mais en l’assortissant de conditions
obligatoires134.
Deux ans plus tard, ce fut au tour de deux juristes américains de
proposer en 1961, à la demande du Secrétariat des Nations Unies,
un projet de convention sur la responsabilité internationale des États
pour les dommages causés aux étrangers ; plus connu comme le Pro
jet de Harvard135. Après avoir posé les mêmes conditions de licéité
que le projet précédent, l’article 10.3 précisait que : « a taking of Pro-
perty include (…) also any such unreasonable interference with the use, enjoy-
ment and disposal of the Property as to justify an inference the owner thereof
will not be able to use, enjoy and dispose of the property within a reasonable
period of time after the inception of such interference ». On apprend avec
ce projet que la mesure expropriante est celle qui interfère avec les
droits de l’étranger, et que ces droits se résument aux trois attributs
de la propriété : les droits d’user, de jouir et de disposer de son bien.
Il n’est pas encore question d’investissements. Autre élément impor
tant, le préjudice doit avoir duré au-delà d’une période raisonnable.
Ces précieuses informations, bien qu’encore insuffisantes, ne seront
50
pas reprises dans la majorité des traités de protection des investisse
ments ultérieurs, mais les tribunaux n’hésiteront pas à s’en inspirer.
En 1967, l’Organisation pour la Coopération et le Développement
Economique (OCDE) fit une première tentative pour finaliser une
convention multilatérale sur la protection des investissements par ses
États membres. L’article 3 du Projet de convention sur la protection de la
propriété étrangère dans sa dernière version du 12 octobre136 prescrivait
que « no Party shall take any measures depriving, directly or indirectly, of his
property a national of another Party unless the following conditions are com-
plied with : (…) »137. Malgré son échec, le projet aura une répercussion
extraordinaire, car il va inspirer la rédaction de centaines de traités
bilatéraux conclus par les États membres européens de l’Organisa
tion. À tel point qu’on a pu dire de l’échec de ce projet, qu’il « s’est
progressivement mué en triomphe, puisque c’est lui, en définitive,
qui constitue la source principale des instruments bilatéraux »138.
En 1992, la Banque Mondiale, forte d’un premier succès (adoption
de la Convention CIRDI du 18 mars 1965), s’aventura prudemment
sur le droit substantiel de la protection des investissements. C’est
ainsi qu’un document censé rendre compte de la pratique étatique
la plus répandue, et qui s’apparentait à une codification par la soft
law, fut élaboré et publié à l’intention des États : les lignes directrices de
la Banque mondiale sur le traitement des investissements privés étrangers 139.
L’article 4.1, évoque l’hypothèse de l’expropriation indirecte en ces
termes : « a State may not expropriate or otherwise take in whole or in part a
foreign private investment in its territory or take measures which have similar
effects, except (…) ».
Enfin, l’OCDE en dépit du premier échec, lança de nouvelles
négociations pour la conclusion d’un Accord Multilatéral sur l’Inves
tissement (AMI) qui ne purent aboutir140. L’article 4.2.1 de la ver
sion consolidée du texte du 24 avril 1998 n’apportait pas de véritable
136 Pour un commentaire favorable au projet, voir A. G. VAN HECKE, « Le projet
de Convention OCDE sur la protection des biens étrangers », RGDIP, 1964,
pp. 641-464.
137 Projet disponible sur (http://www.oecd.org/dataoecd/53/55/44853865.pdf).
138 P. JUILLARD, « L’évolution… », op. cit., note 17, p. 105.
139 Guidelines for the treatment of Foreign Direct Investment, World Bank, New York,
1992, reproduit en traduction française officieuse dans « Les lignes directrices
de la Banque mondiale sur le traitement des investissements privés étrangers »,
AFDI, 1992, pp. 801-807.
140 Sur les causes de l’échec du projet de l’AMI, voir P. JUILLARD, « À propos… »,
op. cit., note 15, pp. 595-612 ; H. MANN, Private Rights, Publics Problems : A guide to
NAFTA’s Controversial Chapter on Investor Rights, 2001, (www.iisd.org/pdf/trade_
citizensguide.pdf) ; W. WÄLDE, « Multilateral Investment Agreement (MITs) in
the Year 2000 » in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 20e siècle.
À propos de 30 ans de recherches du CREDIMI. Mélange en l’honneur de Philippe
KAHN, Paris, Litec, 2000, p. 398 ; R. GEIGER, « Regulatory Expropriations in
International Law : Lessons from the Multilateral Agreement on Investment »,
NYU Environmental Law Journal, Vol. 11, 2002, pp. 94-109.
51
révolution par rapport aux projets précédents. Il énonçait qu’« une
partie contractante ne peut exproprier ou nationaliser directement
ou indirectement un investissement réalisé sur son territoire par
un investisseur d’une autre partie contractante, ni prendre une ou
plusieurs mesures d’effet équivalent (ci-après dénommées “expro
priation”) sauf lorsque (…) »141. Comme les textes précédents, les
précisions sur le sens et encore moins les critères de qualification
demeuraient absentes.
À leur tour, les instruments bilatéraux et régionaux qui furent
signés ont reproduit les mêmes énoncés que ceux proposés dans les
projets multilatéraux. Ils n’ont donc pas apporté un meilleur éclai
rage sur ce qu’il fallait entendre par les termes utilisés.
En définitive, force est de constater l’absence de définition dans
les textes relatifs à la protection internationale des investissements,
qu’ils soient en vigueur ou non, bilatéraux ou régionaux, dédiés aux
seuls investissements ou plus largement au libre-échange.
52
Doivent être regroupés sous cette catégorie, les expressions suivantes
utilisées dans les TBI :
– « expropriation, nationalisation et toute mesure ayant un effet
équivalent à une expropriation ou nationalisation »143 ;
– « mesures qui privent l’investisseur directement ou indirecte
ment de son investissement » ;144
– « expropriation ou nationalisation ou des mesures similaires »145 ;
– « expropriation, nationalisation ou mesure ayant un effet simi
laire »146 ;
– « mesure privative ou toute autre mesure ayant un effet simi
laire »147 ;
– « mesure de dépossession incluant toute mesure ayant un effet
similaire à une nationalisation »148.
La seconde formule distingue littéralement trois formes d’expro
priations :
– L’expropriation (directe) ou nationalisation,
– L’expropriation indirecte, et
– Les mesures équivalentes ou aux effets similaires/équivalents.
Elle se rencontre généralement dans les accords signés par les
pays d’Amérique du Nord et d’Amérique latine, ainsi que la Suisse.
Mais surtout, c’est la formule utilisée dans plusieurs ALE entre pays
d’Amérique du Nord et du sud. Ainsi, l’article 1110 du chapitre 11 de
l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) du 17 décembre
1992 prévoit que « Aucune des Parties ne pourra, directement ou
indirectement, nationaliser ou exproprier un investissement (…), ni
prendre une mesure équivalant à la nationalisation ou à l’expropria
tion d’un tel investissement (…) ». Relèvent donc de cette formule les
expressions suivantes rencontrées dans les TBI :
– « adopter directement ou indirectement des mesures d’expro
priation ou nationalisation, ou toute autre mesure équivalente
ayant un effet similaire à une dépossession »149
53
– « ne prendra, directement ou indirectement, des mesures d’ex
propriation, de nationalisation ou toute autre mesure ayant le
même caractère ou le même effet »150.
A priori, cette formule envisage trois formes distinctes d’expro
priations.
La troisième formule, peu fréquente, prévoit également trois caté
gories d’expropriations :
– L’expropriation (directe) ou nationalisation,
– Les mesures directes équivalant à une expropriation
– Les mesures indirectes équivalant à une expropriation.
Autrement dit, la mesure équivalant à une expropriation peut être
directe ou indirecte. L’exemple le plus éloquent est fourni par L’ar
ticle 4.1. du TBI Finlande-Argentine de 1993 : « Investments by investors
of a Contracting Party in the territory of the other Contracting Party shall
not be expropriated, nationalized or subjected to any other measures, direct
or indirect, having an effect equivalent to expropriation or nationalization
(…) » 151. L’article 6.1 du modèle 2012 de TBI des États-Unis peut
aussi être rangé dans cette formule puisqu’elle parle d’expropriation
indirecte se réalisant « à travers » des mesures équivalentes152.
Il faut noter également l’existence de quelques rares clauses qui
offrent des exemples dans leurs libellés.153 Ainsi l’article 159.4 du
traité COMESA est rédigé comme suit :
54
Cette liste d’exemples ne remplace pas une définition. Mais ces
clauses ont néanmoins le mérite de donner une idée de situations
concrètes pouvant être qualifiées d’expropriations indirectes.
En somme, la revue des traités relatifs à la protection internatio
nale des investissements s’avère infructueuse, voire frustrante. Pour
reprendre le constat du tribunal dans l’affaire LG&E c. Argentine :
« generally, bilateral treaties do not define what constitutes an expropriation
– they just make an express reference to “expropriation” and add the language
“any other action that has equivalent effects.” […] and does not establish
which measures, actions or conduct would constitute acts “tantamount to
expropriation” »154. Pourtant, à la lecture de la clause d’expropriation
dans son intégralité, une indication primordiale se dégage. En effet,
à défaut définir l’expropriation indirecte, ou mesure équivalente,
ou mesure aux effets similaires, ces clauses sans exception, excluent
implicitement, les éléments qui ne pourront pas être pris en compte
dans la définition.
A. L’indication commune :
l’exclusion des critères de licéité du processus de qualification
154 LG&E c. Argentine, op. cit., note 114, § 185. Voir également les sentences Tecmed
c. Mexique, op. cit., note 121, § 113 ; et R. S. Lauder c. République tchèque, sentence
CNUDCI du 3 septembre 2001, § 200.
55
la présence d’un intérêt public visé par la mesure, la non-discrimi
nation dans l’édiction ou l’application de la mesure, et le versement
d’une indemnisation à l’investisseur lésé. Ces trois éléments per
mettent d’évaluer si une expropriation est licite, et pas si une expro
priation a eu lieu. Toutes les clauses posent donc un cadre licite dans
lequel pourra s’effectuer une expropriation directe ou indirecte.
Cela signifie que les tribunaux arbitraux doivent rechercher d’abord
l’existence d’une expropriation indirecte, et si la réponse est posi
tive, vérifier ensuite qu’elle a été licitement édictée. Faire autrement,
ce serait, comme l’ont bien résumé les arbitres dans l’affaire Fireman
c. Mexique, « putting the cart before the horse (…) »155.
En distinguant ainsi la mesure d’expropriation elle-même, de ses
conditions de licéité, une règle fondamentale est posée : les condi
tions de licéité ne peuvent pas se retrouver dans les éléments consti
tutifs de l’expropriation indirecte. De ce fait, ces trois critères de
licéité, que doit remplir toute expropriation en droit international,
sont exclus du processus de qualification de cette dernière. Les cri
tères de définition sont donc à rechercher ailleurs.
Il s’agit là d’une limite très importante qui n’est pas toujours prise
en considération par les auteurs recherchant des solutions de subs
titution aux critères de qualification actuels jugés insatisfaisants.
Parmi les trois critères exclus, l’indemnisation, en raison de son sta
tut particulier, ne suscite pas d’amalgame et rares sont les auteurs et
praticiens qui tentent de la faire sortir des conditions de licéité vers
les éléments constitutifs. Il en va autrement des deux autres critères
qui entraînent parfois des confusions. Ainsi, certaines sentences ont
opéré un véritable renversement entre conditions de licéité et élé
ments constitutifs, tandis qu’un plus grand nombre de sentences ont
alimenté la confusion entre les deux. Concernant le renversement
des conditions de licéité de l’expropriation indirecte en ses éléments
constitutifs, on peut citer, sans s’y arrêter pour l’instant, la sentence
Methanex c. États-Unis : « in the Tribunal’s view, Methanex is correct that
an intentionally discriminatory regulation against a foreign investor fulfils
a key requirement for establishing expropriation »156. Il est clairement posé
ici qu’une mesure peut équivaloir à une expropriation, parce qu’elle
est discriminatoire. Ce renversement s’inscrivait néanmoins dans un
raisonnement particulier. Les confusions ou déclarations équivoques
sont plus fréquentes dans les sentences et il faut alors suivre de très
près le raisonnement des tribunaux pour se convaincre qu’ils gardent
à l’esprit cette limite fondamentale. Le doute surgit par exemple à la
lecture de certains paragraphes de l’affaire Metalcald c. Mexique. Le
tribunal a considéré que les mesures mexicaines : « taken together with
the representations of the Mexican federal government, on which Metalclad
155 § 174.
156 Methanex c. États-Unis, op. cit., note 112, § 7 (part. 4, chp. D). Voir dans le même
sens, Marvin Roy Feldman Karpa c. Mexique, op. cit., note 34, § 98.
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relied and the absences of a timely, orderly or substantive basis for the denial
by the Municipality of the local construction permit, amount to an indirect
expropriation »157. Le tribunal a inséré une condition de licéité dans
la qualification : le respect des procédures légales nationales. Est-ce
à dire que si ces conditions étaient réunies, le tribunal n’aurait pas
conclu à une expropriation ? Il semble bien que non, mais le tribunal
ouvre ici la voie à des confusions regrettables158.
Cependant, plusieurs sentences ont clairement tracé une ligne de
démarcation entre les deux sphères, à l’exemple de la sentence Pac-
kering c. Lituanie. Après avoir rappelé les conditions de licéité d’une
expropriation indirecte, les arbitres ont conclu alors que « therefore,
the Arbitral Tribunal will first determine if an indirect expropriation occur-
red. If the answer is positive, it will analyse if the expropriation is legiti-
mate »159. C’est en raison de cette même distinction que le tribunal,
dans l’affaire LESI c. Algérie, a pu affirmer que « (…) dès lors que
les Demanderesses n’ont pas établi l’existence d’une expropriation
directe ou indirecte (…), il n’y a pas lieu d’examiner si les conditions
de conformité de l’expropriation aux exigences de l’Accord bilatéral
envisagées (…) sont réunies »160. Dans la même ligne, la sentence Fire-
man c. Mexique a statué que : « in the present case, the question is whether
there was expropriation. It cannot be argued that because there is discrimina-
tion, there is expropriation »161.
L’intérêt de cette distinction entre les critères de licéité et les cri
tères de qualification d’une expropriation indirecte réside aussi
dans la distinction entre cette dernière et des notions voisines. Les
frontières sont en effet parfois difficiles à tracer lorsque les élé
ments qui sont des critères de licéité pour une notion (expropria
tion indirecte) se révèlent être des critères de qualification pour
d’autres notions (mesure de police par exemple). Le risque est
alors de glisser directement d’une notion à une autre en opérant
57
un simple renversement. L’indication implicite commune ayant été
déduite des clauses conventionnelles d’expropriation indirecte, il
reste à relever quelques indications atypiques.
162 Voir TBI Suisse-Russie, 1990, article 6.1 ; TBI Suisse-Pologne, 1989, article 6.1 ;
TBI Suisse-Pérou, 1991, article 5.1.
163 TBI République Centrafricaine-Égypte, 2000, article 4.1 : « mesure de nationali-
sation, d’expropriation, ou toute mesure ayant le même effet ou le même caractère (…) ».
Voir aussi TBI Cameroun-Chine, 1997, article. 5.1 ; TBI Suède-Argentine, 1991,
article 4.1.
164 Voir par exemple TBI Liban-Suisse, 2000, article 4.1 : « Neither of the Contracting
Parties shall take, either directly or indirectly, measures of expropriation, nationalization or
any other measures having the same nature or the same effect against investments (…) ».
165 Voir l’annexe 2.c de l’Accord global sur l’Investissement de l’ASEAN de 2009
(ASEAN CIA). Le caractère de la mesure apparaît aussi dans les annexes
explicatives des récents TBI des États-Unis ou du Canada, mais dans une autre
perspective qui sera examinée ultérieurement.
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TBI qui ne définissent pas ces termes. Quoi qu’il en soit, la nature ou
le caractère de la mesure ne peut se confondre avec l’intérêt public
visé. En effet, ces clauses, comme toutes les autres, excluent ce cri
tère des éléments constitutifs.
Enfin, quelques articles parlent de mesures « restrictives » ou d’at
teintes « privant totalement ou partiellement » l’investisseur de ses
droits. Le TBI Belgique-Burundi de 1989 prescrit par exemple à
l’article 4.1 que « chaque partie contractante s’engage à ne prendre
aucune mesure privative ou restrictive de propriété, ni aucune autre
mesure ayant un effet similaire à l’égard des investissements situés
sur son territoire (…) ». Une disposition comparable existe dans le
Protocole 3 du TBI Allemagne-Côte d’Ivoire de 1968 : « on entend
par expropriation le retrait ou la limitation de tout droit de pro
priété »166 ; ainsi que dans le TBI Japon-Égypte de 1978 : « ne serons
pas soumis à expropriation, nationalisation, restriction (…) »167. On
remarque qu’il s’agit de traités signés pour la plupart avant 1990.
De tels articles laissent penser que le préjudice subi peut ne pas être
grave. Alors que d’autres TBI utilisent les termes « privation » ou
« dépossession » qui sont bien plus exigeants. Peut-on alors dire que
les traités utilisant des formules plus souples, autorisent à qualifier
d’expropriation indirecte de simples restrictions et limitations à la
jouissance d’un investissement ? Et cela, alors même qu’une expro
priation directe (le référent) suppose une interférence extrême avec
le droit de propriété, c’est-à-dire son retrait pur et simple ? À notre
avis, il ne faut pas prendre ces clauses à la lettre. En effet, presque
toutes les mesures étatiques restreignent d’une manière ou d’une
autre les droits de propriété. Devoir prendre en compte toute restric
tion semble irréaliste et non conforme à la pratique des États eux-
mêmes. Il est possible qu’un rapport de pouvoir déséquilibré entre
États signataires ne soit pas étranger à l’insertion de telles clauses,
ou que les parties n’aient pas perçu la portée des termes utilisés
dans l’euphorie générale qui entourait la signature des TBI dans les
années 1980 à 1990. La majorité des auteurs est d’ailleurs contre une
telle interprétation tautologique168.
Que déduire finalement de ces particularités ? S’agit-il d’une unité
dans la diversité ou de véritables concepts distincts ? Aucun article ne
donne de définition aux termes qu’il utilise, peut-on conclure alors
que d’un traité à un autre, les arbitres devront prévoir des critères de
qualification au cas par cas, selon la formule utilisée ? Poser une telle
question revient à s’interroger sur les rapports entre le contenu de
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ces clauses conventionnelles et la définition coutumière de l’expro
priation indirecte. Selon que ces clauses seront considérées comme
reflétant ou non, au-delà des nuances rédactionnelles, une coutume
internationale, la réponse variera certainement.
60
ces derniers. Ainsi, des auteurs comme G. White170 et F. Mann171
ont vu dans la multiplication des TBI, un renforcement des règles
coutumières. Dans le même ordre d’idées, C. Leben a estimé que
les TBI ont « réanimé » des règles coutumières préexistantes au plan
coutumier qui avaient été « répudiées par les pays en développement dans
les instances multilatérales » de l’ONU172. Parmi ces auteurs, certains
concèdent que si l’on n’était pas convaincu par l’existence d’une cou
tume antérieure, on ne peut nier l’émergence de règles coutumières
issues des clauses conventionnelles, en raison de la multiplication des
traités conclus par des États issus de toutes les régions du monde173.
D’autre part, certaines théories ont nié l’existence d’une quel
conque coutume internationale. Ainsi, M. Sornarajah rejette non
seulement la théorie de la codification d’une coutume préexistante,
mais aussi celle de l’émergence d’une coutume issue de la codifica
tion. Il appelle donc à une interprétation au cas par cas des traités de
protection des investissements, comme des lex specialis, justifiée selon
lui par un contexte de confusion et de contestation des normes exis
tantes174. Certains auteurs, comme P. M. Norton, vont jusqu’à qua
lifier les thèses qui tentent de démontrer que les tribunaux ne font
qu’appliquer une pratique étatique cohérente combinée à une opinio
juris en matière d’expropriation, de « prestidigitation doctrinale »175.
Chacune de ces théories présente des arguments défendables et
contestables. Mais il faut convenir au moins avec certains auteurs
qui adoptent une position médiane que l’émergence d’une coutume
internationale avant les contestations des pays du sud et la conclu
sion des TBI « reste entourée d’un certain brouillard »176. Ainsi,
avant la prolifération des TBI, les tribunaux d’investissement ayant
appliqué principalement le droit international depuis les premières
170 G. WHITE, « The New International Economic Order : Principles and Trends »,
in International economic law and developping States, an Introduction, International
Economic Law Series, H. FOX (éd.), vol. II, 1992, pp. 44-47. Et les auteurs cités
dans l’article.
171 F. MANN, « British Treaties for the promotion and protection of Investments »,
BYIL, 1981, vol. 52, pp. 249-250.
172 On pense en particulier à la Charte des droits et devoirs économiques des États.
C. LEBEN, « L’évolution du droit international des investissements », Table
ronde sur L’évolution du droit des investissements dans les décennies 80/90, Journal de
CEPMLP, vol. 7, n° 12, 2000 (http://www.jurispolis.com/dt/mat/dt_invts.htm).
173 C. LEBEN, « Retour sur la notion de contrat d’État et sur le droit applicable à
celui-ci », in Mélanges offert à H. THIERRY, Paris, Pedone, 1998, p. 248. Voir aussi
F. MANN, « British Treaties… », op. cit., note 171, pp. 249-250
174 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, pp. 233.
175 Traduction de l’auteure. Voir P. M. NORTON, « A law of the future or a law of
the past ? Modern Tribunals and the International Law of Expropriation », AJIL,
1991, vol. 85, n° 3, p. 504.
176 P. JUILLARD, « L’évolution… », op. cit., note 17, p. 90. L’auteur estime que l’exis
tence d’une telle coutume résulte d’une extrapolation instantanée qui, même si
elle était justifiée, est loin d’avoir été élucidée.
61
sentences CIRDI177, jusqu’à celles des arbitrages pétroliers178 et du
tribunal des différends irano-américains179, se fondaient sur l’exis
tence d’une coutume internationale. Mais une coutume internatio
nale dont la démonstration de l’existence se limitait à citer des précé
dents arbitraux et les écrits des publicistes renommés180. Ce constat
est si remarquable qu’un auteur s’est demandé si « judicial and arbi-
tral precedents be deemed more authoratives sources of law than the officially
expressed views of a majority of States in the General Assembly ? »181. On ne
reviendra pas ici sur la controverse quant à la nature coutumière ou
non des différentes résolutions de l’Assemblée générale des Nations
Unies prises dans le cadre du Nouvel Ordre Économique Internatio
nal (NOEI), sauf à relever la place spéciale de la résolution 1803 sur
la Souveraineté permanente sur les ressources naturelles182. Mais il
est certain qu’avant l’adoption de ces résolutions et surtout avant la
généralisation des TBI, la pratique des États en matière d’expropria
tion était loin d’être cohérente. Des États exportateurs de capitaux
ont parfois remis en cause l’obligation d’indemniser, comme ils ont
défendu l’indemnisation complète à d’autres périodes183.
Il est donc plus adéquat aujourd’hui de conclure que les clauses
insérées dans les traités de protection des investissements ont été
rédigées dans un contexte où la preuve d’une coutume internatio
nale préexistante était incertaine. Par contre, leur multiplication et
leur acceptation par la majorité des États dans le monde ont conduit
à cristalliser une coutume internationale qui reprenait en grande
62
partie des règles anciennes ne faisant pas l’unanimité auparavant.
Ainsi, certaines clauses des TBI, comme l’obligation d’indemniser
en cas d’expropriation, reprenaient certainement des règles dont la
nature coutumière était revendiquée par les pays exportateurs de
capitaux. D’autres clauses créaient une lex specialis entre les Parties,
en important des règles internationales telles que la clause de la
nation la plus favorisée ou le traitement national. D’autres clauses
enfin, instituaient de nouvelles règles allant certainement au-delà
de ce qui était connu à l’époque. C’est le cas de la clause d’arbitrage
Investisseur-État accordant une saisine directe à l’investisseur pro
tégé. Comme on le sait, « l’apport de ces traités réside moins dans
la portée de la protection qu’ils garantissent que dans les moyens
qu’ils mettent à la disposition de l’investisseur pour l’invoquer uti
lement »184.
Cela dit, il faut noter que cette controverse a porté essentiellement
sur le statut de l’obligation d’indemnisation en cas d’expropriation,
ainsi que les standards de calcul de son montant. Qu’en est-il alors
de la définition de l’expropriation, et spécifiquement de l’expropria
tion indirecte ?
63
vers les « principes généraux de droit qui s’affirment indépendam
ment de toute pratique étatique »186. Pour l’auteur, les TBI ne font
que refléter la teneur de tels principes qui trouvent leurs justifica
tions en eux-mêmes (traitement juste et équitable) ou dans des impé
ratifs économiques (traitement national). Pour ce qui est des clauses
dont le contenu est vague, comme le traitement juste et équitable,
P. Juillard estimait en 1994, qu’ils « ne prendront corps que progres
sivement, grâce à l’œuvre prétorienne des tribunaux arbitraux »187.
Cette affirmation peut s’étendre à la définition de l’expropriation
indirecte.
Il a été également proposé de se tourner vers les principes généraux
de droit issus des ordres nationaux des principaux systèmes juri
diques dans le monde, pour dégager les critères de qualification
d’une expropriation indirecte. Ainsi, pour R. Dolzer, il n’existe pas
de définition coutumière de l’expropriation indirecte et la pratique
arbitrale n’est pas concluante188. En se fondant sur le fait que l’ex
propriation pour cause d’utilité publique est réglementée de longue
date dans plusieurs droits nationaux, R. Dolzer propose alors de s’en
inspirer pour extraire des principes généraux de droit. Ce dernier
a d’ailleurs commencé une exploration dans quelques droits natio
naux comme les droits allemands, français, britanniques et améri
cains pour en extraire quelques principes189. Tout en reconnaissant
les difficultés inhérentes à une telle entreprise, il estime néanmoins
qu’elle est nécessaire en l’absence d’une meilleure solution.
Une autre option proposée est celle qui consiste à reconnaître sim
plement l’œuvre prétorienne des tribunaux comme le seul moyen dis
ponible d’ériger des règles communément acceptables et impartiales
sur la définition de l’expropriation indirecte. Partant également du
constat de la pratique incohérente et insuffisante des États en ce
qui concerne le standard de l’indemnisation de l’expropriation,
P. M. Norton en a tiré un argument légitimant le recours aux pré
cédents arbitraux. Selon lui, la jurisprudence, bien que constituant
une des sources formelles subsidiaires, aurait l’avantage d’être cohé
rente, déterminable et impartiale (Integrity)190. L’auteur ajoute que
« althought each of the early precedents may have constitued « judicial legisla-
tion » at the time it was rendered, over time such precedents have a tendency
to coalesce into a source of legitimacy »191. Ces arguments s’appliquent
également à la définition de l’expropriation. Bien que ressemblant
à un aveu d’échec, cette position se rapproche le mieux de la réa
64
lité, à défaut d’être celle qui aurait été idéale. Cette conclusion n’est
d’ailleurs pas extraordinaire. Comme l’avait relevé C. Leben dans un
autre contexte, à savoir l’internationalisation des contrats d’États,
« ce ne sera pas la première fois, ni en droit international, ni en droit
interne que le contenu d’un droit serait développé par l’activité des
tribunaux »192. Sans aller jusqu’à dire, comme P. M. Norton, que la
jurisprudence est devenue une pratique cohérente bénéficiant d’une
opinio juris, il faut reconnaître que les tribunaux d’arbitrage investis
seur-État ne s’embarrassent plus d’interrogations sur la valeur coutu
mière réelle des critères appliqués. Ils la considèrent comme acquise,
à l’instar du tribunal dans l’affaire Saluka c. République tchèque : « it
is clear that the notion of deprivation, as that word is used in the context
of Article 5 of the Treaty, is to be understood in the meaning it has acquired
in customary international law »193. De même, dans la sentence LG&E
c. Argentine, le tribunal a noté que : « generally, bilateral treaties do not
define what constitutes an expropriation (…). Therefore, the Tribunal shall
look to international law in determining the relevant criteria for evaluating
this claim »194. Il est fort probable que cette coutume internationale
résulte essentiellement d’une construction prétorienne des tribu
naux qui se seront inspiré des principes dégagés de certains droits
nationaux. Il convient donc de garder cette réalité à l’esprit toutes les
fois où l’on se référera à la définition coutumière de l’expropriation
indirecte dans la suite de cette étude. Mais si la définition de l’expro
priation indirecte résulte de l’œuvre prétorienne des tribunaux, elle
n’a pu s’élaborer que dans un contexte particulier et en fonction des
cas qui furent soumis aux arbitres.
65
tion gouvernementale de porter préjudice à un bien étranger, ce qui
signifie que la mesure doit être dirigée en toute connaissance contre
ce dernier. Ainsi, après avoir affirmé que le retrait du titre de pro
priété devait être « the avowed object of the measure », le commentaire
ajoute que « by using the phrase « to deprive…directly or indirectly… », in
the text of the Article, it is however intented to bring within its compass any
measures taken with the intent of wrongfull depriving the national concerned
(…), (e.g. prohibiting the national to sell his property or forcing him to do so
at a fraction of the fair market value) »196.
En réalité, une relecture de cette note s’impose. En la replaçant
dans son contexte, on comprend qu’il s’agissait pour les rédacteurs
de prendre en compte, au-delà des mesures d’expropriations forma
lisées dans un texte, les mesures par lesquelles l’État pouvait porter
préjudice à l’investissement en connaissance de cause. Ce qui est le
propre de toute mesure dirigée contre un investisseur en particu
lier, indépendamment des justifications qui précédent son édiction.
Or, c’est la caractéristique principale des mesures verticales. Ce sont
justement ces mesures verticales qui ont inspiré les premières codi
fications d’expropriation indirecte et ce sont ces premières codifi
cations dans les projets de traités multilatéraux qui furent reprises
dans les centaines de TBI ultérieurs. L’explosion du nombre de TBI
dans les années 1980 à 1990 coïncidait encore avec la prédominance
des mesures verticales. Appréhendée sous cet angle, la concision tant
décriée de la clause d’expropriation s’éclaire sous un jour nouveau
et prend du sens.
Il a été reproché aux rédacteurs des TBI un manque de précision
dans la formulation de la clause d’expropriation. Ainsi, pour R. Dol
zer, « (…) the laconic wording of theses characterisations of indirect expor-
priation in investment treaties […] fall bellow the mark of acceptability »197.
On peut déplorer en effet le fait que cette concision fasse perdre
ici en clarté. Toutefois, elle était justifiable. Ce n’est pas seulement
la recherche d’un compromis lors de négociations difficiles, ni le
souci de laisser ouvertes certaines hypothèses ne pouvant pas être
envisagées à l’avance, qui guidaient les négociateurs. Il faut y ajouter,
peut-être sans que ces derniers en fussent pleinement conscients, le
fait que de telles précisions semblaient inutiles. Autrement, cette pra
tique n’aurait pas connue un si long succès dans plus de 2700 traités
de protection des investissements. Sinon il n’y aurait pas eu aussi un
soudain besoin de précisions dans certains récents TBI. Tout cela
s’explique essentiellement par le fait que la concision convenait bien
aux expropriations directes comme aux mesures verticales d’expro
priation indirecte. Les expropriations directes individuelles ou à
66
large échelle n’ont jamais eu besoin de définition minutieuse. Il ne
peut en être autrement, étant donné que c’est l’État expropriant qui
déclare lui-même avoir procédé à un tel acte. Les définitions doctri
nales, parfois divergentes, ne comportaient donc pas d’enjeu majeur.
Cela est si vrai qu’un tribunal n’a pas hésité à affirmer que : « reco-
gnizing direct expropriation is relatively easy : governmental authorities take
over a mine or a factory, depriving the invesstor of all meaningful benefits of
ownerschip and control »198. Si par la suite, les expropriations indirectes
furent ajoutées, les cas portés devant les tribunaux arbitraux étaient
presque toujours des mesures verticales. Or, en raison de la filiation
étroite entre les mesures verticales et l’expropriation directe, repérer
une expropriation indirecte de la première génération ne suscite que
peu, voire aucun problème de qualification. Il est relativement aisé
pour un arbitre de qualifier en expropriation indirecte une mesure
étatique visant directement un investisseur et détruisant son investis
sement dans son intégrité. A l’époque donc, définir conventionnel
lement l’expropriation indirecte (par mesure verticale) ne s’avérait
pas plus indispensable que définir l’expropriation directe. Bien au
contraire, ne pas la définir offrait l’avantage de la flexibilité pour
coller au plus près des diverses réalités199. L’absence de définition
n’était donc pas problématique, tant que les expropriations directes
et les expropriations indirectes par mesures verticales dominaient
le contentieux de l’expropriation. C’est pourquoi les États s’étaient
focalisés sur les conditions de licéité, et particulièrement la compen
sation qui véritablement posait problème.
Certains auteurs ont avancé des explications différentes à cette
lacune des TBI. Ainsi, N. Horn souligne les conséquences de l’in
termède des revendications pour un NOEI dans les années 1960
et 1970. Autrement dit, ce seraient les résolutions de l’Assemblée
générale des Nations Unies200 – auquel l’auteur dénie toute force juri
dique – qui auraient créé les lacunes dans le droit conventionnel en
faisant prévaloir « political opinion on that legal issue »201. D’où l’absence
d’une définition claire des expropriations et mesures équivalentes
à une expropriation. Cette conclusion est bien hâtive et occulte cer
taines réalités. En premier lieu, la controverse n’a pas conduit à un
bouleversement du régime juridique classique, car l’indemnisation
de l’investisseur exproprié demeure aujourd’hui une obligation
67
légale, même en cas de nationalisation à grande échelle. La contro
verse au mieux aurait engendré des définitions ambiguës, mais pas
une absence de définition dans les TBI. En toute logique, les États
du sud avaient plus intérêt à ce que leurs revendications soient ins
crites dans le droit conventionnel, à défaut de pouvoir faire émerger
une nouvelle coutume internationale. En second lieu, le boum des
TBI est intervenu dans un climat de course effrénée pour l’attrait
de l’IDE, engendrant une surenchère dans la protection convention
nelle. Dans ce contexte, si les clauses des TBI sont vagues, c’est bien
pour ouvrir largement la protection et non le contraire, comme le
souhaitaient les pays exportateurs de capitaux. Dans la mesure où
ces derniers se satisfaisaient des critères de qualification dégagés par
les tribunaux jusqu’alors, rien ne justifiait qu’ils s’aventurent dans
une définition rigide qui aurait été forcément restrictive.
La donne a changé aujourd’hui avec les mesures horizontales.
Certes, il n’est pas possible de trouver une définition rigide et
exhaustive à une notion fonctionnelle comme l’expropriation indi
recte. L’absence de définition peut d’ailleurs constituer un atout per
mettant d’adapter, sans les dénaturer, les critères de qualification
de l’expropriation indirecte aux mesures horizontales. Il revient aux
tribunaux de modeler ces critères sur la base des indications des TBI.
Comme ils ont eu à le faire pour les mesures verticales, ils devront le
faire pour les mesures horizontales. Mais s’agissant des mesures hori
zontales, un minimum de précisions est nécessaire pour éviter que
les contours de l’expropriation indirecte ne soient plus repérables.
Pour preuve, une tendance naissante dans les récents traités de pro
tection des investissements consiste à apporter des éléments censés
mieux guider le processus de qualification d’une expropriation indi
recte ; en réalité celle qui se réalise par une mesure horizontale.
68
§ 1 – Le contexte des clarifications conventionnelles
202 Ph. KAHN, « Les investissements internationaux, nouvelles donnes… », op. cit.,
note 20, p. 4.
203 C. LEVESQUE, « Les fondements de la distinction entre l’expropriation et la
réglementation en droit international », Revue générale de droit, Vol. 33, n° 1,
2003, p. 62.
204 R. DOLZER, F. BLOCH, « Indirect Expropriation : Conceptual Realignment ? »
Forum du droit international/International law forum, Vol. 5, 2003, n° 3, p. 155.
69
Dans le cadre de l’ALENA, quelques affaires retentissantes ont
attiré l’attention du grand public sur des clauses comme l’expropria
tion indirecte. Cette clause a révélé un potentiel ignoré jusqu’alors
par les États membres de l’espace ALENA, de leur propre aveu205.
L’expropriation indirecte est apparue brutalement comme un outil
redoutable aux mains des investisseurs privés étrangers206. Ces litiges
expliquent pour une grande part, l’insertion de nombreuses excep
tions dans les récents traités de protection des investissements de
certains États. Craignant, suite aux affaires arbitrales comme Ethyl
c. États-Unis, Methanex c. États-Unis, SD Myers c. Canada, Pop & Talbot
c. Canada, et Metalclad c. Mexique 207, de voir leur droit de règlemen
ter sans contrepartie financière compromis par certains articles de
l’ALENA, les trois membres de l’ALENA tentent de limiter le champ
d’application de certaines clauses. Cette volonté s’est concrétisée par
exemple le 31 juillet 2001 dans la note d’interprétation sur certaines
dispositions du chapitre 11, comme le traitement juste et équitable,
élaborée par la Commission du libre-échange de l’ALENA 208. Quant
à l’expropriation indirecte, c’est sans surprise que l’on a pu constater
que « toutes les récentes controverses qu’a suscitées l’évolution de
la jurisprudence internationale trouvent leur écho dans le nouveau
modèle des États-Unis »209.
70
B. L’émergence du concept de développement durable
71
de la matière, qui se sont dressés en défenseurs des droits sociaux et
environnementaux. Un passage s’est donc opéré d’un forum inte
rétatique vers un forum non-étatique. Concernant le changement
de préoccupation, ce n’est plus un nationalisme exacerbé aux forts
moments des revendications d’un NOEI qui guide les revendica
tions, mais une communauté d’intérêts, une interdépendance face à
des défis mondiaux faisant fi des découpages nationaux. Mais dans
le fond, le problème reste le même : une méfiance envers l’activité
d’investissement mondialisé, ou du moins ceux qui l’entreprennent.
La crainte principale étant que les générations futures ne puissent
hériter d’une planète préservée et viable. Cependant, certains
auteurs se sont insurgés contre ce qu’ils considèrent comme une
« réincarnation » du mouvement nationaliste dans un mouvement
environnementaliste, au point d’y voir un « cheval de Troie »214 et de
la « Xénophobie »215 dans la lutte contre une mondialisation et un
libre-échange qu’ils appellent de tous leurs vœux. Ces affirmations
sont manifestement exagérées.
Le concept de Développement Durable explique en grande partie
les acceptions naissantes et inédites de l’expropriation indirecte. Les
tenants des nouvelles approches tentent en effet de faire intégrer
des modifications qui ménagent un espace de règlementation non
indemnisable plus large à l’État d’accueil d’investissements étran
gers. C’est ainsi que les traités régionaux de libre-échange qui furent
conclus après 2000 ont tous un préambule prenant en compte, à
côté des buts strictement économiques, la poursuite d’un objectif
de développement durable216. Au niveau des TBI, ces préambules
demeurent rares, car la majorité fut signée à une période où le déve
loppement durable n’était pas encore un enjeu de premier ordre.
Bien que ces préambules récents se contentent de poser simplement
que les clauses du traité doivent être compatibles avec le développe
ment durable, ils peuvent être utiles dans l’interprétation des dis
positions du corps des TBI qui sont vagues comme la définition de
l’expropriation indirecte.
72
C. La relativisation de l’effet attractif
des traités de protection des investissements
73
et parce que, précisément ces accords facilitent le déclenchement des
procédures arbitrales par l’investisseur privé contre l’État de territorialité
de l’investissement ? »220.
74
tées à leurs réalités. À tout cela, s’ajoutent les répercussions des crises
financières et économiques successives qui ont montré les limites
d’un libéralisme débridé et le besoin d’une régulation plus forte des
activités d’investissements, y compris dans les pays développés.
À notre avis, les TBI réduisent le risque politique pour les investis
seurs, mais ne l’éliminent pas. Par conséquent, la valeur ajoutée d’un
TBI n’existe que lorsque l’investisseur doit choisir entre deux terri
toires où il prévoit les mêmes retours sur investissement en fonction
des facteurs économiques. Toute chose étant égale par ailleurs, il
choisira alors l’État qui lui offre, en plus de ses atouts économiques,
des garanties conventionnelles réduisant les risques politiques et ses
coûts d’assurances. Dès lors, un État aura beau signer des centaines
de TBI, il ne verra pas affluer plus d’investisseurs si son cadre éco
nomique et politique présente trop d’aléas pour l’investisseur privé
étranger. De même, un État n’ayant pas signé de TBI, pourra quand
même attirer des investissements étrangers s’il satisfait aux détermi
nants les plus importants aux yeux des investisseurs étrangers.
En raison de cette remise en cause de la nécessité de conclure des
TBI, certains États portent une attention accrue lors de la rédaction
des clauses « sensibles », comme l’expropriation, dans leurs nouveaux
traités de protection des investissements.
D. La mondialisation de l’économie
et les nouveaux rapports étatiques nord-sud
224 Par ailleurs, les évolutions du droit international des investissements ne se lim
itent pas à ce rééquilibrage des flux d’investissements entre les pays du nord
et du sud. Il concerne aussi les rapports entre les pays développés. Face à une
concurrence internationale exacerbée pour l’attrait de l’IDE, la question de la
libéralisation des investissements se retrouve au cœur du droit international des
investissements. Deux conceptions différentes existent sur la libéralisation du
flux des investissements. La conception nord-américaine qui prône une libre
admission assortie néanmoins d’exceptions dans des secteurs sensibles. Et la
conception dite « européenne », partagée par les pays en développement, qui
laisse un pouvoir discrétionnaire aux États d’accueillir ou non les investisse
ments de leur choix. Il n’est pas exclu néanmoins que la conception des pays
européens se rapproche à l’avenir de la conception américaine. Ainsi, la Com
mission européenne qui détient désormais, avec l’entrée en vigueur du traité
de Lisbonne le 1er décembre 2009, la compétence de négocier des traités de
protection des investissements pour le compte de l’Union, pourrait s’engager
dans cette voie. A notre avis, il est plus logique d’envisager une libéralisation de
l’accès des investissements étrangers dans le cadre d’une zone de libre-échange
ou d’intégration économique entre des États ayant un niveau de développement
75
Depuis une décennie, les statistiques officielles de la CNUCED
montrent que le flux des capitaux ne se fait plus exclusivement du
nord vers le sud225. La distinction classique entre États exportateurs
de capitaux et importateurs de capitaux est plus floue. Mis à part le
groupe des Pays les Moins Avancés (PMA), il n’est plus possible de
désigner un État comme seulement exportateur ou importateur de
capitaux. En effet, des ressortissants de pays dits émergents inves
tissent dans les pays riches comme dans les pays en développement.
C’est le cas de la Chine, de Singapour, de l’Afrique du Sud, de l’Inde
ou du Brésil.
Il faut se rappeler que la clause d’expropriation insérée dans les
TBI résulte d’un rapport de force entre deux tendances contraires.
La tendance en faveur de l’indemnisation systématique et d’une défi
nition large de l’expropriation était principalement celle des États
exportateurs de capitaux. Or, aujourd’hui ces derniers sont désor
mais des pays importateurs de capitaux qui peuvent être attraits
devant les tribunaux arbitraux en tant qu’États hôtes expropriants.
En outre, avec la conclusion des ALE régionaux et des traités bilaté
raux entre pays développés et pays émergents, les règles de protection
de l’investissement peuvent être invoquées contre des pays dévelop
pés. À titre d’exemple, les États-Unis ne s’étaient jamais trouvés en
situation de défendeur dans un arbitrage CIRDI avant 1999. L’inter
prétation extensive des droits conférés par les TBI aux investisseurs
commence alors à causer des problèmes aux pays développés, qui
contestent désormais le contenu de certaines clauses. Ces derniers
font face aujourd’hui aux dérives extensives de règles qu’ils ont eux-
mêmes contribué à façonner dans le passé226. De ce fait, les anciens
pays exportateurs de capitaux, aujourd’hui également importateurs,
tentent désormais de trouver un certain équilibre, en lieu et place
d’une ancienne vision manichéenne entre les États hôtes spoliateurs
et les investisseurs lésés et démunis face à la toute-puissance étatique.
Tout comme M. Sornarajah, nous sommes intéressés de voir « whether
the arguments the developed countries use in their own defence will succed
when developing countries use them »227.
Pour terminer avec l’étude du contexte général des clarifications
conventionnelles, une dernière remarque s’impose. Normalement,
76
un État a intérêt à recourir à des notions vagues et à des standards
qui pourront être interprétés dans un sens ou dans un autre selon le
cas d’espèce ; avec l’ambition bien sûr de pouvoir convaincre le tri
bunal d’abonder dans le sens qui lui sera avantageux. Mais comme
les risques s’orientent à un moment donné vers une conception qui
leur est défavorable (en tant que pays d’accueil de l’investissement),
certains États prennent le parti d’apporter plus de précisions afin
de restreindre la portée de certaines clauses. Dans le même temps,
ils veulent se ménager une porte de sortie au cas où l’interprétation
actuellement décriée leur serait au contraire favorable (en tant que
pays d’origine de l’investissement). C’est donc mû par des intérêts
contradictoires qu’ils s’engagent dans la clarification de leurs clauses
conventionnelles d’expropriation indirecte. Comment imaginer une
disposition qui avantage un État à la fois comme pays d’origine d’un
investissement lésé dans un litige puis comme pays hôte portant
atteinte à un investissement dans un autre ? Il aurait été miracu
leux qu’une telle attitude conduise à un résultat optimal, comme le
confirmera l’analyse du contenu des clarifications conventionnelles.
228 Par exemple l’article 10 (1) du modèle de TBI canadien est rédigé comme suit :
« À condition qu’elles ne soient pas appliquées de manière à constituer une dis
crimination arbitraire ou injustifiable entre investissements ou investisseurs ou
une restriction déguisée au commerce ou à l’investissement international, le
77
en général qu’aucune disposition dans le traité concerné n’interdit
à une Partie contractante de prendre des mesures aux fins de pro
tection de certains intérêts publics tels que la protection de la santé
publique, de l’environnement, de la sécurité nationale, la garantie et
l’amélioration des droits sociaux des travailleurs, etc. Il s’agit d’une
clause générale qui s’applique à l’ensemble des clauses du traité
d’investissement. De ce fait, elle est a priori applicable à la clause
d’expropriation, sauf indication contraire229.
Une clause générale de ce type est apparue pour la première
fois, dans les accords de libre-échange régionaux signés au début
des années 1990230. C’est le cas de l’article 1114.1 du chapitre 11 de
l’ALENA du 17 décembre 1992, intitulé « mesures environnemen
tales » : « Aucune disposition du présent chapitre ne pourra être
interprétée comme empêchant une Partie d’adopter, de maintenir
ou d’appliquer une mesure, par ailleurs conforme au présent cha
pitre, qu’elle considère nécessaire pour que les activités d’investisse
ment sur son territoire soient menées d’une manière conforme à la
protection de l’environnement ». À l’article 1114.2 du même accord,
on peut lire également que les Parties « reconnaissent qu’il n’est pas
approprié d’encourager l’investissement en adoucissant les mesures
nationales qui se rapportent à la santé, à la sécurité ou à l’environne
ment. En conséquence, une Partie ne devrait pas renoncer ni déro
ger, ou offrir de renoncer ou de déroger, à de telles mesures dans le
dessein d’encourager l’établissement, l’acquisition, l’expansion ou
le maintien sur son territoire d’un investissement effectué par un
investisseur ». Dans l’US-CAFTA-DR, il est reconnu en outre le droit
de chaque pays à fixer son niveau de protection de l’environnement
à l’article 17.1. Intitulé, « Level of Protection », il se lit comme suit :
« Recognizing the right of each Party to establish its own levels of domes-
présent accord n’a pas pour effet d’empêcher les Parties d’adopter ou d’exécuter
des mesures nécessaires : a) à la protection de la santé et de la vie des personnes
et des animaux et à la préservation des végétaux ; b) à l’exécution de lois et
règlements compatibles avec les dispositions du présent accord ; c) à la conserva
tion des ressources naturelles épuisables, biologiques ou non biologiques ». Voir
aussi, article 15 du TBI Japon-Corée du Nord (2002), article 22 (1) du COMESA
CCIA (2007), et article 95 du TBI Japon-Suisse (2009).
229 C’est le cas du traité de la Charte européenne de l’énergie qui contient une
clause en faveur « de la protection de la vie ou de la santé des hommes, des
animaux ou des plantes » (article 24.2). Mais le paragraphe 1 de l’article
prend le soin d’exclure de son champ d’application, certains articles dont
l’expropriation.
230 Des clauses similaires se trouvent dans les traités régionaux comme le traité sur
la Charte Européenne de l’Énergie du 17 décembre 1994 (articles 18 et 19), le
Protocole sur l’Energie de la Communauté Économique des États de l’Afrique
de l’Ouest du 31 janvier 2003 (articles 19 et 24), l’Accord Européen de Libre-
Echange dans sa version consolidée de 2001 (article 27.2), et l’Accord de libre-
échange entre l’Amérique Centrale, la République dominicaine et les États-
Unis d’Amérique (US-CAFTA-DR) du 5 août 2004 (articles 16.2.2. et 17.2.2).
78
tic environmental protection and environmental development policies and
priorities, and to adopt or modify accordingly its environmental laws and
policies, each Party shall ensure that its laws and policies provide for and
encourage high levels of environmental protection, and shall strive to conti-
nue to improve those laws and policies ».
Quelques TBI récents contiennent aussi une clause réaffirmant le
droit de règlementer de l’État231. C’est le cas de l’article 12 du TBI
entre l’Ile Maurice et les Comores de 2001 : « Aucune disposition du
présent Accord ne pourra être interprétée comme empêchant une
Partie Contractante de prendre toute mesure nécessaire à la pro
tection de ses intérêts essentiels en matière de sécurité, ou pour des
motifs de santé publique ou de prévention des maladies affectant les
animaux et les végétaux ». Il en est de même des récents TBI belges232
qui prévoient deux articles sur l’environnement et le droit du tra
vail réaffirmant, entre autres, les engagements internationaux des
États signataires en matière de protection de l’environnement ou
des droits fondamentaux des travailleurs. Ainsi, aux termes de l’ar
ticle 5.3 de ces TBI, « les Parties contractantes réaffirment les enga
gements auxquels elles ont souscrit dans le cadre d’accords interna
tionaux en matière d’environnement. Elles veilleront à ce que lesdits
engagements soient pleinement reconnus et appliqués dans leur
législation nationale »233.
Notons que les modèles de traités de protection des investisse
ments de certains pays européens et américains contiennent des
clauses relatives à la protection de l’environnement, de la santé ou
des droits des travailleurs. C’est le cas des modèles adoptés par les
États-Unis (2012, article 12 et 13), le Canada (2004, article 11), la
Belgique (2002, article 5 et 6), la Finlande (2004, article 14), l’Au
triche (2008, article 4(5)).
231 Voir TBI Tchad-Liban, 2005, article 8 ; TBI Madagascar-Afrique du Sud, 2003,
article 3 ; TBI Suisse-Mexique, 1995, Protocol ad article 3 ; TBI Égypte-Canada,
1996, article 17 ; TBI île Maurice-Burundi, 2001, article 12 ; TBI île Maurice-
Cameroun, 2001, article 11 ; TBI île Maurice-Guinée, 2001, article 12 ; TBI île
Maurice-Bénin, 2001, article 11.
232 Il s’agit par exemple de l’Éthiopie en 2006, de l’île Maurice, du Pérou, de
Madagascar, du Nicaragua, de la République Démocratique du Congo en 2005,
du Guatemala en 2006, et de la Lybie en 2004. Toutefois, tous les TBI signés
n’ont pas encore été ratifiés par la Belgique.
233 Les TBI belges insèrent en outre deux dispositions définissant les termes
«
législation environnementale » (1.5) et « législation du travail » (1.6) en
référence aux standards internationaux.
79
de capitaux, le traitement juste et équitable234, ou la pleine protec
tion et sécurité235. Cela se comprend aisément. Les nationalisations
constituaient, au lendemain des indépendances de nombreux pays
du sud, la principale menace pour les investisseurs des pays occiden
taux. Les pays exportateurs de capitaux n’étaient donc pas disposés
à transiger sur ce point, car ils étaient (à travers leurs ressortissants
investisseurs), quasiment toujours en position de demandeurs en cas
de litige pour une nationalisation.
Néanmoins, quelques textes récemment conclus excluent explici
tement certains types de règlementations étatiques de la définition
de l’expropriation indirecte. Cela signifie que ces règlementations,
quels que soient leurs effets dommageables sur l’investissement, ne
pourront pas être qualifiées d’expropriations indirectes. Elles ne
seront donc pas indemnisables. Les premiers exemples de clauses
d’exclusions sont apparus dans les modèles de traité des États-Unis
(2012) et du Canada (2004). Ainsi, l’alinéa c de l’Annexe canadien
se lit comme suit : « Sauf dans de rares cas, par exemple lorsque la
mesure est si rigoureuse au regard de son objet qu’on ne pourra rai
sonnablement penser qu’elle a été adoptée et appliquée de bonne
foi, ne constituent pas une expropriation indirecte les mesures non
discriminatoires d’une Partie qui sont conçues et appliquées dans
un but légitime de protection du bien public, par exemple à des fins
de santé, de sécurité et d’environnement »236. Cette clause indique
que, face à une mesure de règlementation générale visant un inté
rêt public, l’arbitre ne devra pas conclure à une expropriation indi
recte sauf si la mesure en question est discriminatoire. Elle impose
un renversement de la présomption en défaveur de l’expropriation
indirecte. Il ne s’agit que d’une présomption, car en de « rares cas »,
de telles mesures peuvent quand même être qualifiées d’expropria
tions.
Un exemple d’exclusion plus récent se trouve à l’article 20(8) de
l’Accord d’investissement pour l’espace communautaire d’investisse
ment du Common Market for East and South Africa (COMESA CCIA) de
2007 : « Conformément au droit des États de réglementer et les prin
cipes du droit international coutumier sur les pouvoirs de police, les
mesures réglementaires prises de bonne foi par un État membre qui
sont conçues et appliquées pour protéger ou améliorer les objectifs
légitimes de bien-être public, tels que la santé publique, la sécurité
et l’environnement, ne constituent pas une expropriation indirecte
80
en vertu du présent article ». Il en est de même dans l’annexe 2,
paragraphe 4 de l’Accord global d’investissement de Association
of Southeast Asian Nations (ASEAN) de 2009 qui prévoie que : « Les
mesures non discriminatoires d’un État membre qui sont conçues et
appliquées pour protéger des objectifs légitimes de bien-être public,
tels que la santé publique, la sécurité et l’environnement, ne consti
tuent pas une expropriation du type visé à l’alinéa 2b) [expropria
tion indirecte] ».
Contrairement aux modèles canadiens et américains, ces deux
dispositions énoncent catégoriquement que les mesures étatiques
visant un objectif légitime, prises de bonne foi et sans discrimina
tion ne peuvent constituer des expropriations indirectes. En d’autres
termes, face à une règlementation visant un intérêt public légitime,
l’arbitre ne devra pas conclure à une expropriation indirecte sauf si
la mesure en question est discriminatoire et a été édictée ou appli
quée de mauvaise foi. Les objectifs légitimes sont principalement la
santé, la sécurité et l’environnement. L’article du COMESA CCIA
renvoie explicitement au droit international coutumier sur les pou
voirs de police pour l’interprétation de cette clause.
81
Trois facteurs doivent donc être utilisés cumulativement. Mais ils
ne sont pas exhaustifs, comme le prouve l’utilisation de la locution
« entre autres » dans le texte. En premier lieu, l’investisseur doit
avoir subi une atteinte dommageable à son investissement. Il s’agit
de l’impact économique de la mesure. En second lieu, les anticipa
tions raisonnables basées sur l’investissement constituent un élé
ment d’appréciation de l’existence d’une expropriation indirecte.
En troisième lieu enfin, le caractère de la mesure doit aussi être pris
en compte.
L’annexe 2 de l’Accord global sur l’Investissement de l’ASEAN de
2009 (ASEAN CIA), établit également une liste de facteurs que les
tribunaux doivent prendre en compte :
Sans remettre en cause les droits protégés des investisseurs, les cla
rifications conventionnelles rappellent ceux des pays hôtes. Mais en
voulant insérer des dispositions qui pourront à la fois leur être profi
tables lorsque leurs investisseurs seront victimes de mesures d’expro
priation indirecte, et les exonérer lorsqu’ils seront au contraire les
auteurs de tels actes, la terminologie utilisée se révèle souvent redon
dante (A) ou peu efficiente (B), quand elle n’est pas opaque (C).
82
en droit international coutumier. S’il est toujours positif de réaf
firmer une règle coutumière dans un traité, encore faut-il qu’elle
puisse avoir un impact sur d’autres clauses insérées dans le traité.
En effet, ces clauses générales sont silencieuses quant à leur rapport
avec la clause d’expropriation qui n’interdit pas de prendre une
mesure d’expropriation indirecte (droit de règlementer), mais exige
une indemnisation en cas de préjudice. Or, les clauses réaffirmant le
droit de règlementer ne disent pas si l’État n’est plus tenu d’indem
niser au cas où l’exercice de ce droit créerait un préjudice grave à
l’investisseur au point de constituer une expropriation indirecte.
Cela est renforcé par l’emploi de l’expression « par ailleurs conforme
au présent Accord » dans certains textes comme l’ALENA. En effet,
comme l’ont déjà dénoncé certains auteurs238, l’article 1114(1) a une
formulation tautologique qui conduit à vider la disposition de son
sens. En précisant que les Parties peuvent adopter une mesure néces
saire à la protection de l’environnement, mais par ailleurs conforme
au traité, cet article ne met en place aucune exception. La conformité
au traité pourrait se traduire par une obligation d’indemnisation
lorsque la règlementation correspond à une expropriation indirecte.
Faut-il rappeler que toute expropriation doit justement viser un
intérêt public, et ne pas être discriminatoire ? Tout comme elle doit
aussi s’accompagner d’une indemnisation ? Cette exception géné
rale ne fait que rappeler ce qui est déjà sous-entendu dans la clause
d’expropriation : le droit d’exproprier (rien n’empêche de prendre une
mesure), mais à la condition d’indemniser l’investisseur lésé, de ne
pas être discriminatoire et de poursuivre un intérêt public (par ail-
leurs conforme à cet accord). Dans la logique propre à l’expropriation,
qui distingue entre critères de licéité et critères de qualification,
cette réaffirmation du droit de règlementer se révèle donc caduque.
Comme l’a souligné un auteur, l’article 1114 de l’ALENA est bien en
deçà de l’article XX du GATT, dans la mesure où « it makes it unclear
whether article 1114 provides an exception to the compensation provisions
of article 1110 or wether it merely clarifies the situations in which a measure
may be maintened on payment of adequate compensation »239. La seconde
hypothèse est clairement celle qui a été visée.
Par ailleurs, les dispositions du type du second alinéa de l’ar
ticle 1114(2) de l’ALENA n’ajoutent rien d’opérationnel puisqu’elles
83
désapprouvent seulement l’abaissement des normes de protection
des droits sociaux ou de l’environnement pour attirer les investis
seurs étrangers. De surcroit, en cas de désaccord sur ce point, les
Parties contractantes peuvent uniquement ouvrir des consultations
et aucune sanction n’est prévue. Dans la mesure où les TBI sont
conclus pour protéger des intérêts économiques, il ne faut donc pas
s’étonner que : « the treaty consistency’s natural desire [is] to be the chief
regulator of a subject matter, and to relegate competing constituencies (…) to
a secondary level of significance »240.
En définitive, la réaffirmation du droit de règlementer confère
dans le meilleur des cas une plus grande légitimité à certaines
mesures étatiques visant la protection des droits humains ou de l’en
vironnement. Ces articles visent à assurer que la protection des inves
tissements ne conduise pas à une « course vers le bas » en matière de
protection des valeurs non marchandes, sans cependant s’en don
ner les moyens. Cela est regrettable, car il s’agit des clauses les plus
fréquemment utilisées dans les récents TBI qui se démarquent des
modèles classiques.
240 T. WÄLDE, « Mutlilateral investment agreements… », op. cit., note 140, p. 426.
84
En évitant l’emploi de l’expression « sauf en de rares cas », ces clauses
créent une barrière hermétique et définitive entre l’expropriation
indirecte et certaines règlementations étatiques. Elles ne mettent pas
en place de rapport de « vases communicants » entre ces réglemen
tations exclues et l’expropriation indirecte. Autrement dit, une fois
qualifiées comme telles, ces règlementations spécifiques ne peuvent
plus être qualifiées d’expropriations indirectes. Enfin, la référence
au droit international coutumier (dans le texte du COMESA) fixe
un cadre pour l’interprétation de la clause. Mais le repérage de cette
catégorie particulière de règlementations publiques peut se révéler
délicat.
85
ment opposés. Par exemple, faut-il rechercher un équilibre entre
le préjudice économique, y compris celui portant sur de simples
attentes légitimes et le caractère de la mesure ? Dans ce cas, com
ment concilier cet examen de proportionnalité avec l’affirmation
que l’État a le droit de prendre les règlementations de son choix,
et notamment de fixer librement le niveau de protection qu’il juge
adéquat pour l’environnement ou la santé ?
En somme, sans aller jusqu’à dire qu’elle « do not add anything new
to international expropriation law », il faut reconnaitre qu’elle « do not
« solve » hard cases »242. Ces indications soulèvent encore de nom
breuses questions.
On notera enfin que les clarifications sont limitées à un nombre
restreint de TBI. Les traités conclus après 2000 ne se démarquent
pas, pour la grande majorité, de ceux qui furent conclus lors de la
décennie précédente. Ici encore, seul l’espace nord-américain innove
véritablement à travers ses modèles de traités bilatéraux d’investisse
ment et les ALE qui sont très largement inspirés des dispositions de
l’ALENA. Mais les accords signés après l’adoption de ces modèles
ne sont pas encore nombreux243. Il est trop tôt aujourd’hui pour
généraliser ces clauses. Néanmoins, ces exceptions et précisions ont
un mérite : celui de montrer clairement que, s’agissant de certaines
règlementations publiques, une nouvelle réflexion s’impose désor
mais.
Au terme de cette section, il convient de retenir que la proliféra
tion des TBI a généré des clauses sur l’expropriation indirecte à la
fois variées et similaires. Ces clauses s’articulent autour d’un noyau
dur de principes communs : l’expropriation indirecte peut survenir
à travers des moyens multiples, et ses critères de licéité ne sont pas
ses critères de qualification. Il n’en demeure pas moins que l’expro
priation indirecte n’a pas été définie. Cette lacune a ouvert la voie
au développement d’un vocabulaire hétérogène et équivoque, qu’il
faut clarifier.
86
forcément à la même perception244. De ce fait, la terminologie de
l’expropriation indirecte « comporte un risque élevé d’imprécision, sinon
de confusion »245. Dans un premier temps, il est donc nécessaire de
saisir les nuances des principaux vocables utilisés, tout en mettant en
lumière les problèmes que cette diversité suscite pour la définition
de l’expropriation indirecte (§ 1). Une fois démêlé l’enchevêtrement
des « synonymes », il sera possible dans un second temps de proposer
une terminologie plus appropriée et une classification plus efficace.
(§ 2).
La diversité des termes utilisés dans le vaste réseau des TBI entraîne
logiquement une diversité d’interprétations, elle-même relayée par
la doctrine et la jurisprudence246. Que déduire en effet lorsqu’il est
affirmé que généralement, « the terms « expropriate » and « expropria-
tion » are used in their broadest sense […] including thoses referred to as
nationalizations, appropriations, sociabilizations, and confiscations »247 ?
En une phrase, quatre termes aux significations distinctes sont
assimilés. De même, dans la sentence Benvenuti & Bonfant c. Congo,
cinq termes différents sont utilisés en quelques paragraphes pour
désigner la même idée : saisie, dépossession, appropriation, confis
cation, nationalisation et expropriation248. Trois groupes de termes
se dégagent du vocabulaire propre au droit de l’expropriation indi
recte. Certains termes ne présentent pas en eux-mêmes une source
d’ambiguïté, sauf lorsqu’ils sont utilisés en dehors de leurs contextes
(A). Un deuxième groupe rassemble des termes qui charrient des
préjugés incompatibles avec une étude objective de l’expropriation
indirecte (B). Enfin, dans de rares cas, des exemples de mesures
expropriantes indirectes sont confondus avec la notion juridique qui
les gouverne (C).
244 Un auteur relevait d’ailleurs que « these terms thus may carry differrent connotations
for differents experts who utilize them to designate different situations and to draw differ-
ent legal consequences from them ». Voir I. SEIDL-HOHENVLEDERN, « Semantics
of… », op. cit., note 183, p. 218.
245 J.-P. LAVIEC, op. cit., note 52, p. 165.
246 Comme le regrettait B. H. WESTON, « there is a problem that we lawyers, being also
ordinary people, use (…) symbols in both ways, frequently in the same breath and commonly
without indicated as to which connotation we have in mind ». B. H. WESTON, op. cit.,
note 36, p. 111.
247 A. WESTBERG, B. P. MARCHAIS, op. cit., note 37, p. 455.
248 Bienvenuti & Bonfant c. Congo, op. cit., note 81, § 4.56 à 4.65.
87
de l’expropriation (directe notamment) a été étudiée et règlemen
tée en premier. Par conséquent, des termes propres à certains droits
nationaux furent transposés dans l’ordre juridique international et
insérés dans les premiers TBI. Deux termes qui reviennent fréquem
ment seront examinés. Un terme d’usage francophone : dépossession
et un autre d’usage anglophone : Taking.
La Dépossession (« Deprivation »)
Le terme de « Dépossession » se rencontre dans plusieurs TBI
signés par la France249, mais aussi par d’autres États utilisant le fran
çais comme langue faisant foi dans leurs traités250. Ils se rencontrent
plus rarement dans les textes rédigés en anglais251. À la lecture du
TBI Afrique du Sud-France de 1995 (art. 5.2), il ressort que ce terme
désigne l’expropriation lato sensu, c’est-à-dire les « mesures dont l’ef
fet est de déposséder directement ou indirectement ».
La dépossession est définie en droit comme « la perte de la pos
session […], soit par violence, soit par l’effet d’un titre juridique »
ou « la privation effective de la détention matérielle d’un bien »252.
Sur la base de cette définition, il est possible de vérifier si ce terme
peut véritablement désigner une expropriation indirecte. La dépos
session met l’accent sur l’investisseur et la gravité du préjudice qu’il
a subi. Être dépossédé suppose être complètement dépouillé d’un
droit ou d’un bien. Il occulte le bénéfice retiré ou non par l’auteur
de la dépossession. Ce terme semble donc être plus apte à dési
gner l’expropriation indirecte que l’expropriation directe, puisque
dans ce dernier cas l’appropriation du bien par l’État est toujours
présente. En supposant que seul le préjudice subi par l’investis
seur importe pour la qualification d’une mesure en expropriation
indirecte, les obstacles s’évanouissent entre le rapprochement des
deux termes. Mais une telle conclusion serait bien hâtive. Si le pré
judice est au cœur de la définition de l’expropriation indirecte, il
ne résume pas pour autant le contenu de cette catégorie. Ramener
l’expropriation indirecte à une simple dépossession laisserait pen
ser que tout autre paramètre est superflu. Ce qui n’est pas le cas,
88
quelle que soit l’importance accordée au préjudice subi. En effet,
toute dépossession ne conduit pas à une expropriation indirecte,
alors que toute expropriation indirecte suppose une dépossession.
Peut-on seulement envisager qu’un investisseur, reconnu coupable
d’un trafic d’objets illicite et dont les biens sont confisqués, puisse
être indemnisé pour expropriation indirecte ? Certainement non.
Pourtant, il a bien été dépossédé, de surcroît dans l’intérêt général,
et de manière non discriminatoire. De même, un investisseur dont
l’usine est détruite par une catastrophe naturelle ou encore vanda
lisée par des individus non identifiés et dont les actes ne pourront
pas être imputés à l’État devra-t-il être considéré comme exproprié ?
La réponse est encore négative, alors que ce dernier est également
dépossédé. Ces deux exemples montrent que la dépossession est un
l’élément central de plusieurs notions juridiques parmi lesquelles
l’expropriation n’est qu’un exemple. C’est ainsi, B. H. Weston utilise
l’expression wealth deprivation,253 comme un terme générique cou
vrant toutes les interférences de l’État avec la propriété privée : « it is
meant to describe the public (…) imposition of a wealth loss (…) at whatever
time, by whatever means, with whatever intensity, and for whatever claimed
purpose »254. L’auteur utilise ce terme uniquement pour décrire un
fait, en dehors de ses probables conséquences légales. Pour lui, la pri
vation de richesses sera indemnisable dans la mesure où elle résulte
du « eminent power » de l’État d’exproprier, et ne le sera pas si elle
résulte au contraire de ses pouvoirs de police. Ici encore, la privation
de richesses ne peut être synonyme d’expropriation indirecte, car la
première n’emporte pas une conséquence légale préétablie. Il faut
donc se résoudre à ne pas utiliser la dépossession comme synonyme
de l’expropriation indirecte dans le droit international des investis
sements. Malgré ce décalage entre les deux termes, certains auteurs,
comme D. Carreau et P. Juillard, semblent se résigner à utiliser le
terme de « dépossession » comme synonyme de l’expropriation indi
recte, bien qu’il « implique que l’investisseur n’est jamais privé que
du seul droit de possession »255. La dépossession est un terme partiel
qui ne met l’accent que sur le préjudice de l’investisseur sans pouvoir
renvoyer à un régime juridique spécifique. Bien que nécessaire, il
n’est pas suffisant. À l’opposé de ce terme, un autre se focalise sur
l’auteur de la mesure, à savoir l’État.
89
Le Taking (« Appropriation »)
Le terme « Taking » se veut également hyperonyme, mais il se
révèle partiel. En effet, il se réfère uniquement à l’action de l’État.
Cette expression est très utilisée dans la littérature anglophone et
n’a pas de véritable équivalent en français. L’appropriation semble
le terme le plus proche. Mais alors que l’appropriation n’est presque
jamais utilisée pour définir l’expropriation indirecte, le Taking est
généralement considéré comme le synonyme de ce dernier.
Le terme Taking, tel qu’il est utilisé en droit international des inves
tissements, est compris comme intégrant la perte subie par le déten
teur du bien. Il est donc généralement utilisé soit pour désigner l’ex
propriation directe256, soit pour désigner l’expropriation indirecte257.
La définition du Taking dans le troisième amendement du Foreign
Relations Law of the United States est éclairante à cet égard : « a conduct
attributable to a State that is intended to, and does, effectively deprive an
alien of substantially all benefit of his interest in property even though the
State does not deprive him of his entire legal interest in the property ». C’est
ce qui ressort également de la lecture de plusieurs articles traitant
des expropriations directes et des nationalisations jusque dans les
années 1990258. G. Sacerdoti remarque par exemple que le terme
de Taking est souvent employé « to cover all types of expropriations and
nationalizations »259. L’usage de ce terme dans le sens d’expropriation
lato sensu a été critiqué par B. Weston à juste titre. En effet, le terme
Taking semble suggérer que la propriété est passée de l’investisseur
à l’État, ce qui n’est pas forcément le cas de toutes les expropria
tions260. C’est pourquoi ce terme a parfois été délaissé comme syno
nyme de l’expropriation indirecte, comme ce fut le cas dans l’affaire
Tippetts en ces termes : « the tribunal prefers the terms “deprivation” to the
256 Le Taking apparait en effet presque systématique toutes les fois où les tribunaux
effectuent la distinction entre expropriation directe (Taking) et expropriation
indirecte. Voir par exemple, Metalclad c. Mexique, op. cit, note 56, § 103 ; Biwater
c. Tanzanie (ARB/05/22), sentence CIRDI du 24 juillet 2008, § 452 ; LG&E
c. Argentine, op. cit., note 114, § 188.
257 On retrouve également le terme Taking comme synonyme de l’expropriation
indirecte. Tel est le cas dans certains écrits qui examinent exclusivement des
expropriations indirectes. Voir G. CHRISTIE, « What constitutes a Taking of
Property under International Law ? », op. cit., note 37 ; ou H. SEDDIGH, « What
level of Host State Interference Amounts to a Taking under International
Law ? », Journal of World Investment and Trade, 2001, vol. 2, n° 4, p. 631 et s.
258 Ainsi, A. PELLONPAA et F. FRITZMAURICE, op. cit., note 8, examinent aussi
bien les expropriations directes que les expropriations indirectes. Voir aussi
le Cours général à l’Académie de La Haye de R. HIGGINS, « The Taking of
Property by State », RCADI, t. 176, 1982 III, pp. 267-375. De même dans les
manuels portant sur le droit international des investissements, plusieurs auteurs
ont un chapitre intitulé « Taking » dans lequel sont examinées toutes les formes
d’expropriations. Voir M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 363 et s.
259 G. SACERDOTI, op. cit., note 55, p. 284.
260 B. H. WESTON, op. cit., note 36, p. 12.
90
term “taking”, although they are largely synonymous, because the latter may
be understood to imply that the government has acquired something of value,
which is not required (…) »261.
Il faut noter brièvement pour l’instant l’existence des expressions
telles que « Regulatory Taking »262 ou « Regulatory Expropriation »263. Ces
termes désignent un type particulier de Taking qui se réalise par des
mesures de règlementations générales correspondant aux mesures
horizontales. Le sens et la portée des Regulatory Taking ne peuvent
être définis en dehors de la question des mesures de police, qui sera
examinée plus loin. Par ailleurs, cette expression n’a pas de parfait
équivalent en français, même si on peut la traduire avec prudence
par « expropriation règlementaire ». On rencontre parfois aussi le
terme d’Expropriatory Taking 264. Si le terme Taking désigne l’expro
priation dans son sens large, cela signifie qu’il implique toujours une
indemnisation. Pourquoi alors parler de Expropriatory Taking ? Il se
peut qu’en utilisant cette expression, le tribunal dans l’affaire Gene-
ration Ukraine c. Ukraine entendît par Taking, une simple appropria
tion. Si tel est le cas, l’adjonction du qualificatif « compensable » ou
« expropriant » prend alors un sens.
En somme, il n’est pas évident de distinguer ce à quoi ce terme ren
voie. Est-ce l’appropriation par l’État comme le laisse entendre son
sens immédiat ? Est-ce plutôt l’appropriation et de la dépossession à
la fois ? Ou alors la dépossession, mais avec l’idée sous-jacente qu’elle
est imputable à l’État ? À moins qu’il ne s’agisse simplement d’une
commodité de langage comme l’a reconnu le tribunal arbitral dans
l’affaire Middle East Cement c. Égypte : « for convenience and shortness, in
conformity with the discussion of expropriation measures in international juris-
prudence and writings, the Tribunal will use the term “taking” in the context
of this examination »265. En raison de ces multiples interprétations, il est
91
plus simple de renoncer à l’usage du terme « Taking » pour lui préfé
rer celui d’expropriation indirecte.
En définitive, Dépossession et Taking ne sont que les deux versants
d’un même phénomène selon qu’il est observé du point de vue de
l’investisseur ou de l’État. Lorsqu’il s’agit du phénomène de l’expro
priation indirecte, la dépossession renvoie au préjudice économique
subi par l’investisseur et le Taking à l’appropriation de l’investisse
ment par l’État. C’est uniquement sous cet angle que l’usage de ces
termes peut être accueilli. Mais fondamentalement, l’inconvénient
de ces deux termes est de désigner chacun à la fois un fait et une
conséquence légale. Or les faits mis en lumière par chaque terme
(dépossession et appropriation) n’entraînent pas l’obligation d’in
demniser du seul fait de leur survenance. Il faut encore qu’ils soient
qualifiés d’expropriations indirectes pour produire des effets de
droit spécifiques. Ces termes ne désignent donc pas adéquatement
l’expropriation indirecte. Il est alors plus indiqué de réserver l’usage
de ces termes « peu juridiscisés » au langage commun comme cela a
été préconisé266. Toutefois, pour les tribunaux et la doctrine majo
ritaire, les termes expropriation, Taking, et dépossession, « althought
these different concets each focus on a distinct aspect of the measure, they must
be considered as interchangeable »267.
Si ces deux termes sont partiels dans leurs approches de l’expro
priation indirecte, d’autres pêchent plutôt par leur partialité.
92
Expropriation déguisée ou sournoise
L’expropriation déguisée ou sournoise est celle qui se dissimule
derrière des artifices. Elle ne se manifeste pas clairement, car une
intention malveillante guide les agissements de l’instigateur qui est
ici l’État, ses démembrements ou toutes les entités dont il répond
des actes. L’investisseur est en quelque sorte pris dans un piège.
Ainsi définie, l’expropriation déguisée ou sournoise est forcément
une expropriation indirecte, car elle ne se présente pas formelle
ment dans une loi ou un décret d’expropriation. Dans les faits, ce
sera toujours une mesure horizontale d’expropriation indirecte,
celle qui, a priori, ne visait pas l’investisseur. En effet, parce que la
mesure verticale identifie son destinataire et le vise comme la raison
de son édiction, son but ne peut être dissimulé. Mais une expropria
tion indirecte par mesure horizontale est-elle systématiquement ou
même généralement une mesure déguisée et sournoise ?
Certaines études pourraient faire croire que tel est le cas, mais
il n’en est rien. Ainsi, en invoquant les mesures qui, « sans porter
atteinte à la propriété proprement dite des biens, en restreignant
les possibilités d’utilisation telle que leur valeur en est considéra
blement affectée », un auteur les nomme simplement comme des
« expropriation[s] déguisée[s] ou creeping expropriation »268. Le
contentieux de l’expropriation indirecte ne manque pas d’exemples
de mesures déguisées. Dans le cadre de l’ALENA, la mauvaise foi
du gouvernement canadien a ainsi été soulignée dans l’affaire SD
Myers c. Canada. Le tribunal a conclu que l’édiction du décret gou
vernemental était plus motivée par le souci de protéger l’industrie
locale canadienne (Entreprise Chem-Security notamment), que par
celui de protéger l’environnement et la santé publique qui avait été
invoqué269. Il est vrai que les déclarations publiques de certaines
autorités canadiennes ne laissaient aucun doute à ce sujet : « it is still
the position of the government that the handling of PCBs should be done in
Canada by Canadians »270. Il en allait de même pour l’État mexicain
dans l’affaire Tecmed c Mexique 271. Dans cette affaire, une usine de
traitement de déchet s’était vu refuser le renouvellement du permis
d’exploitation. La raison avancée était celle d’un risque pour la santé
des populations riveraines et pour l’environnement, en raison du
non-respect de certaines normes environnementales. Cependant, les
93
différents rapports et témoignages ont fini de convaincre le tribu
nal que des enjeux électoraux proches avaient essentiellement guidé
les autorités locales272. Dans toutes ces affaires, l’intention véritable
avait été dissimulée derrière des préoccupations environnementales
certes légitimes, mais détournées. Malgré tout, les tribunaux se sont
gardés de porter un jugement sur l’opportunité des actions gouver
nementales, ou de conclure qu’il y avait intention d’exproprier ou
pas.
Par contre, un État peut effectuer de bonne foi une expropriation
indirecte par mesure horizontale. Il peut ne pas avoir anticipé les
conséquences d’une règlementation édictée pour une raison étran
gère à l’investisseur. Un but caché n’est pas toujours présent. Les
exemples sont presque inexistants dans le contentieux arbitral, mais
cela ne prouve pas que ces cas soient seulement théoriques. En fait,
dans plusieurs affaires où l’État était de bonne foi, d’autres para
mètres ont empêché de qualifier les mesures étatiques comme étant
expropriantes273. C’est pourquoi il peut sembler, mais à tort, que la
mauvaise foi accompagne toute expropriation indirecte qualifiée.
Si l’expression « expropriations indirectes déguisées » était utilisée
uniquement pour illustrer des situations concrètes, rien n’aurait pu
leur être reproché. Malheureusement, ces exemples d’expropria
tions sont souvent érigés en emblèmes des expropriations indirectes,
comme si elles pouvaient résumer à elles seules cette catégorie. Ce
qui est parfaitement erroné vu qu’elles ne concernent même pas les
expropriations indirectes par mesures verticales. Par ailleurs, ces
termes sont inutilement dépréciatifs à l’égard de l’État d’accueil.
Comme l’a justement remarqué R. Dolzer « creeping exporpriation sug-
gests a deliberate strategy on the part of the state, which may imply a negative
moral judgment »274.
Cela dit, comment un État peut-il déguiser sa volonté d’expro
prier ? De plusieurs manières, dont la plus évidente est de procéder
par étapes successives. Il est en effet plus facile de dissimuler une
décision qui se met en place progressivement qu’une décision prise
brutalement. C’est à ce niveau que la mesure déguisée rencontre un
autre exemple d’expropriation indirecte, sans que les deux puissent
se recouper complètement : la mesure progressive.
94
priations indirectes avaient mis l’accent sur les mesures progressives.
C’est le cas de G. H. Weston qui avait proposé en 1976 une « modeste
incursion dans le problème des “expropriations rampantes” »276. En
réalité, une expropriation rampante ou larvée est progressive, mais
une expropriation progressive peut ne pas s’accompagner d’inten
tion malveillante. En quelque sorte, l’expropriation rampante est
une expropriation à la fois déguisée et progressive. L’expression
« expropriation rampante » cible la mauvaise foi de l’État hôte. C’est
pourquoi certains auteurs ont estimé qu’il était « fairer to the host state
to designate such measures by the more neutral term of “constructive natio-
nalization” »277. Notre préférence va donc à l’expropriation progres
sive qui a l’avantage de la neutralité par rapport à l’expropriation
rampante. Il faudra donc, chaque fois que l’on rencontre le terme
d’expropriation rampante, y rattacher le contenu de l’expropriation
progressive.
La définition de l’expropriation indirecte progressive est una
nimement acquise, qu’elle soit présentée comme « a slow and incre-
mental encroachment on one or more of the ownership rights of a foreign
investor that diminishes the value of its investment »278 ou encore comme
« a series of separate government measures that, although not expropriatory
when considered as separate and distinct measures, are expropriatory when
considered cumulatively »279. Il a également été affirmé qu’une expro
priation progressive « is a form of indirect expropriation with a distinctive
temporal quality in the sense that it encapsulates the situation whereby a series
of acts attributable to the State over a period of time culminate in the expro-
priatory taking of such property »280.
L’expropriation indirecte progressive s’oppose à l’expropriation
indirecte instantanée. Par instantanée, il faut comprendre ici l’expro
priation indirecte qui survient par le biais, soit d’une mesure unique,
soit d’un groupe de mesures édictées au même moment, et qui
porte(nt) atteinte seule(s) et par elle(s)-même(s) à l’investissement.
Au contraire, avec l’expropriation indirecte progressive, l’investisse
ment est détruit par accumulation d’une série de mesures étalées
95
dans le temps. Aucune mesure ne suffit à elle seule à compromettre
ou détruire l’investissement.
Face à une série de mesures litigieuses isolées, les tribunaux
devront donc effectuer une inquisition en deux phases. En pre
mier lieu, il faudra voir si les mesures prises isolément suffisent à
constituer une expropriation indirecte. En second lieu, et dans la
négative, il faudra s’assurer que ces mesures combinées ensemble
n’ont pas finalement entraîné une expropriation indirecte. L’affaire
Bienvenuti & Bonfant c. Congo offre une bonne illustration d’expro
priation progressive, même si elle ne fut pas examinée comme telle.
PLASCO, une société de droit congolais de fabrication de bouteilles
d’eau minérale, était détenue à 60 % par l’État et 40 % par un inves
tisseur italien. Très vite, après la mise en place de l’usine, une société
publique congolaise à laquelle PLASCO livrait ses bouteilles n’ho
nora pas ses factures. C’est alors qu’en janvier 1975, l’État congolais
imposa par décret à PLASCO un prix de vente des bouteilles bien en
deçà de leurs coûts de production, ce qui mettait clairement l’usine
dans une situation économique insoutenable. D’autres mesures
suivirent : dissolution de la filiale de PLASCO chargée de la vente
des produits, non-application du statut fiscal privilégié qui avait été
accordé à l’entreprise pour la protéger de la concurrence locale et
étrangère. Finalement en janvier 1976, un mémorandum adminis
tratif informa l’investisseur italien que la compagnie était désormais
une société d’État. Les locaux de la PLASCO furent alors occupés
par l’armée congolaise après la fuite du personnel281. Il est vrai que
le tribunal n’eut pas à se prononcer sur les mesures ayant précédé le
mémorandum, l’investisseur n’ayant pas formulé de demande en ce
sens. Mais il aurait été intéressant de savoir si les premières mesures
étaient déjà constitutives d’une expropriation indirecte progressive.
L’expropriation indirecte progressive pose une question majeure
qui est celle de la fixation du moment de l’expropriation. En effet, il
faudra distinguer, parmi une série de mesures successives, celle qui
achève ou cristallise le processus d’expropriation indirecte de celles
qui ont seulement rendu les conditions d’exploitations plus diffi
ciles. Pour le tribunal dans l’affaire Siemens c. Argentine : « (…) the last
step in a creeping expropriation that tilts the balance is similar to the straw
that breaks the camel’s black »282. C’est un élément crucial pour le calcul
des indemnités. Mais il peut aussi jouer un rôle déterminant dans la
compétence du tribunal arbitral, lorsque la question de la nationa
lité de l’investisseur se pose par exemple au moment de l’édiction de
certaines mesures ou lorsque le tribunal a une compétence limitée
dans le temps. Ainsi, même si les premières mesures ont eu lieu dans
la période de compétence, une mesure cristallisante qui survient au-
delà de cette date fera sortir l’affaire de la juridiction du tribunal.
281 Bienvenuti & Bonfant, op. cit., note, 81, § 2.17 à 2.23.
282 Siemens c. Argentine, op. cit., note 116, § 263.
96
Mais l’identification de l’acte déterminant peut s’avérer délicate.
Comme l’ont mis en lumière W. V. Reisman et R. D. Sloane : « because
of their gradual and cumulative nature, creeping expropriations also render
it problematic, perhaps even arbitrary, to identify a single interference […] as
“the moment of expropriation” »283.
Toutefois, il ne faudrait pas confondre la classification entre
mesure instantanée et mesure progressive lorsqu’une mesure d’ex
propriation directe à lieu et qu’une série de mesures non formelles
lui succède. Dans ce cas, les dernières mesures ne font que confirmer
une expropriation déjà qualifiée. Inversement, la confusion ne devra
pas se faire entre une mesure d’expropriation indirecte, suivie d’une
nationalisation formelle. Dans ce cas, la date sera fixée au moment
de l’expropriation indirecte. Dans l’affaire Sedco devant le Tribu
nal irano-américain, le gouvernement révolutionnaire iranien avait
nommé un superviseur temporaire dans une société en novembre
1979 avant de procéder à une nationalisation des parts sociales. Pour
déterminer la date de l’expropriation, le tribunal a considéré la
nomination du superviseur au motif qu’elle avait entraîné une perte
de contrôle de l’entreprise sans perspective raisonnable d’un retour
à la normale. La loi n’avait fait que confirmer un état de fait préexis
tant284.
En conclusion, l’expropriation progressive n’est qu’un processus
de réalisation de l’expropriation indirecte285. Autrement dit, cette
expression « are meant to describe the very real idea of expropriation not so
much as an act per se (…), but as a process (…) »286. Par ailleurs, la notion
d’expropriation indirecte ne saurait être ramenée simplement à ces
cas de figure, et encore moins être confondue avec eux.
97
et articles traitant de l’expropriation en général, une classification
entre les nationalisations, les nationalisations de facto, la nomina
tion forcée d’administrateurs, la saisie physique de matériel et l’ex
pulsion d’investisseurs personnes physiques, ou encore les ventes
forcées, etc287. Si dans cette liste, les deux premières catégories,
nationalisation et nationalisation de facto, sont compréhensibles
(elles désignent autrement l’expropriation directe et l’expropria
tion indirecte), les quatre dernières catégories jettent un trouble. En
effet, ces actes ne sont rien d’autres que des formes d’actions par
lesquelles une expropriation indirecte peut se réaliser. Ce sont de
simples faits-candidats. Par exemple, désigner un administrateur local
peut, dans certaines conditions, faire perdre le contrôle total d’une
société par l’investisseur. De même, la saisie de ses biens compromet
tra probablement l’activité de l’investisseur de manière très sérieuse.
Quant à l’expulsion pure et simple d’un investisseur étranger, on
imagine aisément les conséquences désastreuses sur ses activités éco
nomiques. Il en est de même d’une vente forcée dont le prix d’achat
est bien en deçà de la valeur réelle du bien. Dans son ouvrage sur la
jurisprudence du tribunal irano-américain, G. H. Aldrich distingue
aussi entre la nomination forcée de gestionnaires et la nationalisa
tion de facto 288. Or, ne peut-on pas voir la première mesure comme un
acte constituant justement une nationalisation de facto ? Faire sortir
ces actes de la catégorie d’expropriation indirecte est une confusion
qui égare le lecteur. Si une classification des exemples est utile à
titre pédagogique, il faudra toutefois les regrouper sous une même
catégorie juridique en précisant leur unité289. Dans tous les cas, il
est essentiel de ne pas confondre les divers actes par lesquels une
expropriation indirecte peut survenir et l’expropriation elle-même
qui en est le résultat.
Dans un registre similaire, il faut relever brièvement quelques
autres confusions mineures. La première, heureusement peu fré
quente, consiste à confondre l’expropriation indirecte avec l’expro
priation directe effectuée au profit d’un tiers par l’État hôte. Dans
ce cas de figure, l’État ne retire pas le bien pour son bénéfice direct,
mais octroie la propriété à une tierce personne physique ou morale
privée désignée par lui. Par exemple, une réforme agraire nationale
qui conduit à retirer les titres de propriété détenus par des investis
seurs étrangers au profit de paysans nationaux est bien une expro
priation directe290. La seconde consiste à confondre spoliation et
expropriation indirecte. Or, la spoliation ne désigne simplement
qu’une expropriation illicite (sans indemnisation), notamment du
98
point de vue de l’investisseur lésé. Il est donc inutile d’employer des
termes polémiques qui n’ajoutent rien à la définition.
Deux autres termes souvent utilisés comme synonymes de l’expro
priation indirecte méritent des développements plus importants.
La Confiscation
La confiscation, en droit international, est « l’acte par lequel un
État, par mesure licite de sanction d’un acte délictueux, prive une
personne juridique de son droit de propriété relatif à certains objets
ayant fait l’objet du délit »291. La confiscation sanctionne donc les
actes délictueux, par exemple par la saisie des biens d’un investisseur
étranger. La confiscation fait normalement suite à une procédure
judiciaire qui établit l’existence et la gravité du crime ou du délit
et qui l’impose comme sanction correspondante. Notons également
que la confiscation est souvent incluse dans le concept de « pouvoir
de police ». La confiscation cause un préjudice grave et permanent
au propriétaire de l’investissement, ce qui est aussi un élément
caractéristique de l’expropriation indirecte. Mieux encore, il s’agit
d’un acte de souveraineté par excellence, directement attribuable à
l’État hôte ; autre élément qui le rapproche des caractéristiques de
l’expropriation. La principale différence réside dans le fait qu’une
confiscation ne donne pas droit à indemnisation, contrairement à
l’expropriation indirecte.
De ce fait, la confiscation fut très longtemps utilisée comme syno
nyme de l’expropriation illicite. C’est ainsi qu’il a pu être affirmé
qu’« une expropriation sans paiement d’une indemnité est géné
ralement qualifiée de confiscation, au sens d’une expropriation
confiscatoire »292. Les tribunaux ont aussi recouru à ce terme293,
mais rarement ces dernières années. En général, l’usage du terme
de confiscation dans le domaine de l’expropriation renvoie sim
plement à l’expropriation illicite, dans le sens qu’elle n’a pas été
99
accompagnée d’indemnisation294. La réquisition prend une conno
tation très proche de la spoliation.
Cependant, par définition, la confiscation licite n’implique pas
une indemnisation, contrairement à l’expropriation. Pour distin
guer une mesure licite de confiscation d’une expropriation illicite,
L. Caflisch considère que « l’élément décisif (…) est donc le suivant :
dans le premier cas, la mesure est prise à la suite d’un acte reconnu
ou présumé comme délictueux et est dirigée contre son auteur ;
dans le second cas, la mesure revêt le caractère d’une expropria
tion, directe ou indirecte, mais est prise sans qu’une indemnité soit
payée »295. B. A. Wortley a également mis en lumière cette distinc
tion : « Legitimate expropriation of […] property implies fair compensation.
Confiscation does not. »296. En d’autres termes, la confiscation vise à
punir un investisseur délinquant tandis que l’expropriation consiste
à porter atteinte à la propriété privée dans le but de réaliser un inté
rêt général et implique une indemnisation en retour. L’expropria
tion et la confiscation licite ne poursuivant pas les mêmes fins, l’une
donnera droit à une indemnisation et l’autre pas.
Certes, rien n’empêche qu’une confiscation soit qualifiée dans le
même temps d’expropriation indirecte. Mais dans ce cas, la confis
cation devra être prise comme n’importe quel fait-candidat de l’État
hôte, au même titre qu’un acte extériorisé imputable à l’État. Ce ne
sera donc plus la confiscation au sens juridique du terme qui sera
concerné, mais un simple mot pour désigner une réalité spécifique
d’ordre interne. Cette approche n’est recevable évidemment qu’en
droit international, vu que pour ce dernier, les règlementations de
droit interne ne sont que de simples faits.
La Réquisition
Le terme de réquisition peut prendre plusieurs acceptions selon le
domaine dans lequel il est utilisé. En ce qui nous concerne, la forme
de réquisition qui entretient des liens étroits avec l’expropriation
indirecte, est celle qui se définit comme l’acte unilatéral par lequel
une autorité publique, en temps de paix ou de guerre, « exige de
ses ressortissants ou de personnes résidant sur son territoire que les
biens meubles ou immeubles, des prestations en nature ou des ser
vices personnels soient mis à sa disposition »297, en vue de la satisfac
294 Chez certains auteurs, la réquisition était même un terme interchangeable avec
l’expropriation directe ou la nationalisation. S. PETREN, « La confiscation des
biens étrangers et les réclamations internationales auxquelles elle peut donner
lieu », RCADI, 1963 II, p. 492 et s. Dans la même ligne, on rencontre parfois
aussi le terme de « confiscation indemnisable ».
295 Note de la Direction de droit international public du département fédéral du
21 janvier 1997, chronique Caflisch, R. S. D. I. E, 1998, pp. 651-652.
296 B. A. WORTLEY, op. cit., note 5, p. 242.
297 J. SALMON (dir.), Dictionnaire…, op cit., note 252, pp. 986-987.
100
tion de besoins publics. Les investissements étrangers, comme tous
les biens situés sur le territoire d’un État, peuvent faire l’objet de
telles réquisitions. La mise en œuvre d’une réquisition doit répondre
à certaines conditions. La réquisition des biens est d’abord limitée
dans le temps, et ne devra pas aller au-delà de ce qui est nécessaire
pour atteindre le but poursuivi. Les biens réquisitionnés, s’il ne s’agit
pas de biens fongibles et dans la mesure du possible, doivent revenir
à leurs propriétaires dès que la nécessité ne l’exige plus. Ensuite, la
réquisition doit répondre à une nécessité, voire parfois à un péril,
lorsqu’elle intervient en temps de guerre ou de catastrophe natu
relle. Enfin, la réquisition implique une indemnisation. Réquisition
et expropriation sont donc deux notions proches, mais elles ne se
confondent pas. Dans une réquisition, le bien ou le service est mis à
disposition, le temps nécessaire à la satisfaction des besoins publics.
La réquisition suppose en principe le retour de la jouissance au pro
priétaire, une fois le besoin satisfait. Ce qui n’est pas le cas dans une
expropriation indirecte. Le dommage subi y est irréversible.
Cependant, la réquisition est souvent définie comme une expro
priation effectuée en temps de guerre. Ainsi, A. Newcomb et L. Para
dell notent que « expropriations of Property during wartime or national
emergency are often called requisitions »298. De ce fait, la réquisition ne
serait qu’un procédé particulier d’expropriation indirecte, à la
même enseigne que les expropriations déguisées, rampantes, etc. À
l’appui de ce rapprochement, c’est l’exemple classique de l’affaire
des Armateurs norvégiens qui est souvent cité en exemple. Pourtant,
cette affaire montre en effet qu’une réquisition peut conduire à une
expropriation indirecte, mais ne dit pas qu’une réquisition est égale
à une expropriation. Dans ce différend, les États-Unis avaient saisi
des navires construits par une entreprise privée nationale. Mais du
fait de cette réquisition, l’entreprise n’avait pas pu honorer la livrai
son des navires aux armateurs norvégiens qui en avaient passé la
commande. D’une réquisition d’un bien, il en a résulté une expro
priation indirecte des droits qui y étaient reliés.
Un rapprochement possible entre les deux notions est celui où cer
taines conditions de réalisation d’une réquisition de biens étrangers
ne sont pas respectées. L’investisseur peut alors se considérer comme
simplement exproprié de la valeur de ses biens, sans avoir reçu d’in
demnités en retour. Il en ira ainsi lorsque l’autorité publique refuse
de remettre le bien réquisitionné à la disposition de l’investisseur
alors que la nécessité ne l’exige plus. Ou encore, lorsque l’État lui
remet un bien gravement détérioré ou qui n’a plus aucune valeur
économique, sans dédommagement. Dans ce cas de figure égale
ment, la réquisition peut se transformer en expropriation indirecte,
101
parce que la première est menée de telle sorte qu’elle répond finale
ment aux caractéristiques de la seconde.
En définitive, la confiscation et la réquisition sont deux notions dis
tinctes qui obéissent à leur propre régime juridique. Mais cela n’ex
clut pas qu’elles puissent par ailleurs constituer de simples faits-can
didats pour l’expropriation indirecte dans certaines circonstances.
Autrement dit, la réquisition et la confiscation ne se confondent pas
avec l’expropriation, même si les premières peuvent servir de ter
reau pour la survenance de la seconde. Par conséquent, ces notions
ne devront pas être simplement assimilées dans le contentieux de
l’expropriation indirecte.
Il ressort de la revue des « fausses » synonymies que si les termes étu
diés ont le mérite de décrire des situations factuelles, elles peuvent
néanmoins introduire des éléments étrangers à la nature juridique
de l’expropriation indirecte. De ce fait, certains sont simplement à
proscrire et d’autres pourront être remplacés par des termes plus
neutres. Mais ces confusions, qui sont souvent présentées comme
de simples glissements sémantiques, indiquent en réalité une diver
gence de fond qu’il convient d’examiner.
102
recherche en trois temps pour la même mesure litigieuse : est-ce une
expropriation directe ou une nationalisation ? Sinon, est-ce ensuite
une expropriation ou nationalisation indirecte ? Et si non encore,
est-ce une mesure équivalente à une expropriation ou nationalisa
tion ?
Certains auteurs sont arrivés à cette conclusion, tout en affirmant
que la mesure équivalente est plus large que la mesure indirecte. Ce
qui suppose qu’il est plus facile de réunir les conditions de la mesure
équivalente à une expropriation que de réunir les conditions de l’ex
propriation indirecte. Ainsi, il a été affirmé que « tantamount clause
extends the concept of indirect expropriation (…) »299. De même, dans
l’affaire Pope & Talbot, l’investisseur prétendait que l’article 1110 de
l’ALENA devait être lu comme « creating a lex specialis going beyond
customary international law », tout comme l’expression « “measure tan-
tamount to expropriation” (…) comprehends a measure beyond an outright
taking or creeping expropriation »300.
Plusieurs sentences arbitrales statuant sur le fondement de
l’ALENA ont rejeté, à juste titre, cette distinction artificielle. Une
des premières répudiations fut faite dans l’affaire Feldman c. Mexique
en ces termes : « article 1110 deals not only with direct takings, but indirect
expropriation and measures “tantamount to expropriation,” […] The Tribu-
nal deems the scope of both expressions to be functionally equivalent »301. Mal
gré l’ambiguïté des deux dernières formules, les tribunaux arrivent
à simplifier l’interprétation de ces clauses. Dans l’affaire Generation
Ukraine c. Ukraine, les arbitres faisant appel à une clause ambigüe302,
ont conclu simplement que : « the formulation in the first sentence of Article
III (1) is somewhat circular (…) »303, et qu’il n’y a qu’une seule catégorie
d’expropriation indirecte. De même, les arbitres dans l’affaire Waste
Management II c. Mexique, ont rappelé que l’accumulation des termes
dans les TBI est faite de toute évidence en vue « to add to the meaning
of the prohibition, over and above the reference to indirect expropriation »304.
Il ne s’agit donc pas d’une distinction de fond. D’autres tribunaux
sont également parvenus aux mêmes conclusions305. En définitive,
les termes variés comme « indirecte », « équivalent », « similaire »,
« ayant le même effet », sont considérés comme renvoyant à une
même notion, celle de l’expropriation indirecte306.
299 W. M. REISMAN & R. D. SLOANE, op. cit., note 283, pp. 118-119.
300 Pope & Talbot Inc. c. Canada, sentence CNUDCI du 26 juin 2000, § 84.
301 Feldman c. Mexique, op. cit., note 34, § 100.
302 TBI Ukraine-États-Unis, 1994, article 3.1.
303 Generation Ukraine c. Ukraine, op. cit., note 264, § 20.20.
304 Waste Management II c. Mexique, op. cit., note 99, § 144.
305 S. R. Lauder c. République tchèque, op. cit., note 154, § 200 ; Tecmed c. Argentine, op.
cit., note 121, § 114 ; Petrobart Limited c. Republique du Kyrgystant, Arbitrage de
la Chambre de Commerce international de Stockholm, n° 126/2003 (E.C.T.),
sentence du 25 mars 2005, p. 77.
306 Pope & Talbot, op. cit., note 300, § 104.
103
Dans le même ordre d’idée, plusieurs auteurs ont critiqué la dis
tinction entre les deux termes comme à la fois superficielle et inu
tile307.
L’isolement de cette position, essentiellement doctrinale, confirme
qu’elle est critiquable à plus d’un titre. En effet, elle repose sur des
éléments contextuels sans fondement juridique. Par exemple, cer
tains arguments utilisés par les défenseurs de la distinction entre
mesure équivalente et mesure indirecte sont tirés de la jurisprudence
du tribunal irano-américain. Ils occultent alors le fait que ce tribu
nal spécial avait une compétence matérielle élargie allant au-delà
des expropriations indirectes pour embrasser « other measures affecting
property rights »308. En réalité, la diversité des formules rédactionnelles
traduit simplement les exigences d’une notion fonctionnelle devant
embrasser une diversité de situations factuelles. On trouve autant
de traités qui utilisent l’un ou l’autre terme, ou les deux à la fois, ou
encore d’autres expressions. Pour autant, on ne peut pas conclure
que chaque clause doit être interprétée de manière originale par
rapport à la définition « coutumière » de l’expropriation indirecte. Il
faut garder aussi à l’esprit que les TBI, comme de nombreux textes
internationaux, ne s’illustrent pas toujours par leur clarté.
Cela dit, une différenciation demeure pertinente par ailleurs. À y
regarder de plus près, on peut considérer l’expropriation indirecte
comme une expropriation qui intervient par une mesure verticale,
et la mesure équivalant à une expropriation, comme celle qui inter
vient par une mesure horizontale.
307 On peut citer entre autres, G. SACERDOTI, op. cit., note 55, pp. 385-386 ;
S. MANCIAUX, « Les mesures équivalentes à une expropriation dans l’arbitrage
international relatif aux investissements », in F. HORCHANI (dir.), Où va le droit
international des Investissements ? Désordre normatif et recherche d’équilibre, pp. 75-76 ;
C. LEBEN, « La liberté normative… », op. cit., note 123, p, 169.
308 Voir Declaration of the government of the democratic and popular republic of algeria
concerning the settlement of claims by the government of the united states of america and
the government of the islamic republic of iran, (Déclarations d’Alger) du 19 janvier
1981, article 2. (http://www.parstimes.com/history/algiers_accords.pdf).
104
à l’investissement dans sa globalité309. G. Sacerdoti avait également
distingué les mesures qui « effectively neutralize the benefit of the porperty »
(qu’il nomme expropriation de facto) et les mesures qui « imply an inter-
ference with the exercise of such rights equivalent of that a measure of expro-
priation » (qu’il nomme expropriation indirecte)310. La différence
résiderait donc dans la neutralisation des droits pour la première,
et dans l’interférence avec l’exercice des droits pour la seconde. Ces
tentatives de catégorisation renvoient approximativement aux deux
catégories de mesures horizontales et verticales. Certes, les termes
ne sont pas les mêmes, mais les idées sous-jacentes sont similaires. En
effet, on peut considérer que l’expropriation indirecte renvoie plus
précisément aux mesures qui entravent spécifiquement les droits rat
tachés à un investissement et détruisent physiquement ce dernier.
De telles mesures correspondent aux mesures verticales. Quant à la
mesure équivalente, elle engloberait les mesures dont l’effet préju
diciable est diffus et touche la valeur de l’investissement dans son
ensemble sans avoir visé spécifiquement un droit qui y est rattaché.
De telles mesures correspondent aux mesures horizontales. La dis
tinction opérée ne remet donc pas en cause l’unité conceptuelle de
l’expropriation indirecte.
Cela dit, l’analogie entre expropriation indirecte et mesure verti
cale d’une part, et mesure équivalant à une expropriation et mesure
horizontale d’autre part, n’est pas parfaite. Le problème réside dans
l’insertion du terme « équivalence » pour l’un des termes et pas pour
l’autre. Cela laisse supposer que le rapport d’équivalence ne joue
pas un rôle pour les mesures verticales. Or, nous l’avons vu, l’équiva
lence est un passage obligé pour toutes les expropriations indirectes.
Néanmoins, il est généralement moins complexe à vérifier lorsqu’il
s’agit d’une mesure verticale. On conviendra donc que l’expropria
tion indirecte et la mesure équivalente renvoient au même concept,
mais par le biais de deux canaux différents de réalisation. Toutefois,
comme l’usage de ces termes dans la doctrine et la jurisprudence
ne renvoie pas à l’idée que nous nous en faisons ici, les mesures
verticales et horizontales servent mieux à décrire la subdivision qui
est faite en fonction du processus de réalisation de l’expropriation
indirecte. Dans cet ouvrage, la mesure équivalente sera considérée
comme le seul et véritable synonyme de l’expropriation indirecte.
L’expression « mesure équivalant à une expropriation » présente
l’avantage en effet d’être neutre, globale et communément utili
sée. Cette dernière s’abstient de mettre exclusivement en lumière
un aspect des éléments constitutifs de l’expropriation indirecte au
détriment d’un autre. Il s’agit également d’une expression objective
qui ne renferme aucune connotation en défaveur de l’État ou de
l’investisseur.
105
En résumé, cette section a donné l’occasion de faire un inventaire
des termes utilisés pour désigner l’expropriation indirecte. Deux
typologies qui peuvent avoir un impact significatif ont été dégagées.
La distinction entre mesure instantanée et mesure progressive a une
utilité pratique en amont de la qualification, notamment au moment
du calcul de l’indemnité due. Mais elle demeure secondaire par rap
port à la distinction qui permettra de façonner en aval l’application
des critères de qualification : la mesure verticale et la mesure hori
zontale.
Au terme de ce chapitre, sans aller jusqu’à dire que « the current
versions of investments treaties do not in any way illuminate the issue of indi-
rect expropriations »311, il faut reconnaitre que leurs indications sont
insuffisantes. Cette lacune a permis le développement d’une termi
nologie diverse qui peut désorienter toute tentative d’analyse appro
fondie. Le fait est que la multiplication de ces synonymes apporte
peu, quand elle ne complique pas l’identification d’une mesure
d’expropriation indirecte. Pour autant, catégoriser les mesures d’ex
propriation indirecte demeure nécessaire pour coller au plus près de
réalités bien spécifiques. Cette catégorisation ne vise pas à créer des
définitions différentes, mais à adapter l’application des critères de
qualifications à chaque catégorie : mesure verticale et mesure hori
zontale.
Mais s’il ne fallait retenir qu’un terme comme véritable synonyme
de l’expropriation indirecte, ce serait sans conteste la « mesure équi
valente à une expropriation », car cette expression est explicite. En
effet, elle permet d’avoir immédiatement une idée générale sur
les éléments caractéristiques d’une expropriation indirecte : une
mesure, une expropriation et un rapport d’équivalence entre les
deux. Ayant déjà établi que le terme « expropriation » renvoie à celui
d’« expropriation directe », il reste à examiner le contenu qui a été
donné aux termes « mesure » et « équivalence » dans la jurisprudence
arbitrale.
311 R. DOLZER, « Indirect expropriation of Alien Property », op. cit., note 12, p. 56.
106
Chapitre 2
107
En partant de l’expression « mesure équivalente à une expropria
tion », deux conditions cumulatives seront examinées : une mesure
et son imputabilité à l’État d’accueil d’une part (section 1), et une
équivalence entre cette mesure et l’expropriation directe d’autre
part (section 2). Cette analyse montrera que, globalement, le droit
positif du contentieux de l’expropriation indirecte est un héritage
des mesures verticales.
dans les affaires Foremost Tehran Inc. c. Iran, 11 avril 1986, Iran-US CTR, vol. 10,
p. 228 et s. ; Eastman Kodak Co. C. Iran, 11 novembre 1987, Iran-US CTR, vol 17,
p. 153 et s. ; Seismograph Service Corp. c. NIOC, 31 mars 1989, Iran-US CTR, vol. 22,
p. 3 et s. ; ou United Painting C. Inc. c. Iran, 20 décembre 1989, Iran-US CTR, vol.
23, p. 351 et s.
315 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, Puf, 2007, 8e éd., p. 587.
108
A. Un large éventail de mesures éligibles
109
libéralisation reste marginale dans le monde. Il n’est donc pas cer
tain que ces exemples de mesures soient véritablement adaptés aux
mesures d’expropriation indirecte. Ensuite, il ne s’agit que d’une
liste d’exemples, et non d’une véritable définition. Cette liste a le
mérite de montrer que le terme recouvre un grand nombre d’ac
tions, mais ne signifie pas nécessairement un champ d’application
illimité.
Malgré ces réserves, les dispositions de l’ALENA ont vraisemblable
ment inspiré, dans une large mesure, plusieurs sentences arbitrales
instituées sur le fondement des TBI. Généralement, les tribunaux
statuant sur la base des traités de protection des investissements ont
une acception large de la mesure éligible321. Ainsi, le tribunal dans
l’affaire Consortium RFCC c. Maroc, appliquant le TBI Italie-Maroc de
1990 a constaté que : « les tribunaux arbitraux ont fait une interpré
tation extensive du terme « mesure », considérant qu’une pratique,
un acte peuvent être qualifiés de mesure. ». Il s’est alors référé direc
tement au fait que dans la sentence Ethyl Corp. c. Canada, « le tribu
nal décida que la seule annonce de l’adoption future de la loi avait
causé un dommage à la société Ethyl »322. Dans l’affaire Santa Elena
c. Costa Rica, les arbitres ont considéré que : « as is well known, there is
a wide spectrum of measures that a state may take in asserting control over
property, (…) »323. Dans l’affaire Sempra c. Argentine, le tribunal avait
« no doubt about the fact that such expropriation can arise from many kinds
of measures »324.
En pratique, la mesure peut porter indifféremment sur une loi325,
un décret gouvernemental326, un règlement ministériel327, un arrêté
municipal328, ou une décision de justice329. Dans ces exemples,
la mesure prend clairement la nature d’un acte juridique, définit
321 Voir aussi, Canfor Corp c. États-Unis, sentence du 6 juin 2006, § 148-150 ; Loewen
group c. États-Unis, sentence CNUDCI du 26 juin 2003, § 39-74 ; Pope & Talbot
c. Canada, op. cit., note 300, § 103 ; R. S. Lauder c République tchèque, op. cit., note
154, § 200 ; Fireman c. Mexique, op. cit., note 119, § 96-99 ; Metalclad Corp. c. États-
Unis du Mexique, op. cit., note 56, § 105-107 ; Antoine Goetz c. Burundi, op. cit., note
48, § 121-133.
322 Consortium R.F.C.C. c. Royaume du Maroc (ARB/00/6), sentence CIRDI du
22 décembre 2003, § 64.
323 Ibidem, § 76.
324 Santa Elena c. Costa Rica, op. cit., note 280, § 283.
325 Ce fut le cas notamment dans les affaires Sempra c. Argentine, op. cit., note 3 ; CMS
c. Argentine, op. cit., note 113 ; Metalclad c. Mexique, op. cit., note 56.
326 Pour ne citer qu’un exemple, voir l’affaire Middle East Cement c. Égypte, op. cit.,
note 158.
327 Voir par exemple l’affaire M. R. Feldman Karpa c. Mexique, op. cit., note 34.
328 On peut citer les affaires Metalclad c. Mexique, op. cit., note 56, et Azurix
c. Argentine, op. cit., note 115.
329 C’est l’exemple de l’affaire Loewen Group. c. États-Unis, op. cit., note 321, § 39-74.
Voir aussi les précédents judiciaires cités par le tribunal à l’appui de son
raisonnement.
110
comme « une opération juridique consistant à une manifestation de
la volonté ayant pour objet ou pour effet de produire une consé
quence juridique »330. La question se pose de savoir si les simples
déclarations d’autorités gouvernementales sont également des
« mesures » éligibles.
111
certaine flexibilité. Il est impossible de prévoir et encore moins de
limiter a priori les hypothèses des situations pouvant conduire à une
expropriation indirecte. En second lieu, ce large éventail de mesure
est conforme à la définition coutumière du terme « mesure » en droit
international public. Dans l’affaire Compétence en matière de pêcheries,
la CIJ a considéré que la mesure, « dans son sens ordinaire (…), vise
de façon très large un acte, une démarche ou une façon d’agir, sans
limites particulières quant à leur contenu matériel ou au type de but
qu’ils poursuivent »333.
Mais dans ce large spectre des mesures éligibles, les mesures contrac
tuelles obéissent à un traitement spécifique.
112
La distinction entre les actes « jure imperii » et « jure gestioni »
• Le contenu de la règle
Il est reconnu de longue date par les tribunaux que les droits
contractuels pouvaient faire l’objet d’une expropriation indirecte336.
De même, les traités de protection des investissements définissent
généralement les droits contractuels comme étant des investisse
ments en soi. Aujourd’hui, cette règle est reconnue dans les sen
tences337 et la doctrine338, comme faisant partie intégrante du droit
international « coutumier » de l’expropriation.
Les allégations d’expropriations indirectes portées devant les
tribunaux concernent souvent des mesures contractuelles. L’inves
tisseur reproche alors à son cocontractant étatique ou à la tierce
personne morale dont les actes lui sont imputables, d’avoir violé ses
obligations contractuelles et d’avoir effectué par la même occasion
une expropriation indirecte illicite, car dénué de compensation. La
violation invoquée peut aller du simple non-respect des obligations
contractuelles à la répudiation unilatérale pure et simple du contrat,
en passant par l’altération ou la modification des droits contractuels
de l’investisseur. Dès lors, la relation entre les obligations contrac
tuelles de l’État et l’expropriation indirecte se pose en ces termes :
toute violation d’un contrat d’investissement peut-elle être une
mesure éligible au statut d’expropriation indirecte ?
La majorité des tribunaux ont conclu qu’une simple violation
contractuelle ne suffit pas en elle-même à équivaloir à une expro
priation. Par simple violation contractuelle, il faut comprendre
l’ensemble des aléas inhérents à toute relation contractuelle entre
cocontractants privés ordinaires. Aussi, tant que l’État contractant
demeure et agit comme un simple acteur privé, il ne saurait y avoir
de « mesure » au sens d’une expropriation indirecte. C’est seulement
lorsqu’il sort de ce cadre pour user de ses prérogatives de puissance
publique qu’il peut poser une mesure éligible. La simple violation
contractuelle s’oppose alors aux violations relevant des pouvoirs sou
verains de l’État d’accueil. Ainsi, le tribunal dans l’affaire Consortium
RFCC c. Maroc a noté qu’« un État cocontractant n’« interfère » pas,
mais « exécute » un contrat »339. Un autre tribunal a rappelé que, « it
113
is one thing to expropriate a right under a contract and another to fail to com-
ply with the contract. Non-compliance by a government with contractual obli-
gations is not the same thing, as, or equivalent or tantamount to, an expro-
priation »340. Dans le même sens, après avoir constaté que la plainte de
l’investisseur reposait uniquement sur une violation contractuelle, le
tribunal dans l’affaire R. Azinian c. Mexique a déclaré que : « NAFTA
does not, however, allow investors to seek international arbitration for mere
contractual breaches »341.
Afin de distinguer l’État agissant comme simple cocontractant et
l’État agissant en sa qualité de souveraine, les tribunaux appliquent
la théorie de l’acte de gestion (jure gestioni) et de l’acte de souverai
neté (jure imperii). Ce critère de distinction reconnu de longue date
n’est pas propre à l’expropriation indirecte342. C’est ce qu’a rappelé
le tribunal dans l’affaire Sempra c. Argentine lorsqu’il affirmait que la
distinction « between acts iure imperii and iure gestionis has its origins in
the area of immunity of the State under international law and it differentiates
between acts of a commercial nature and those which pertain to the powers
of a State acting as such (…) »343. Par conséquent, face à une violation
contractuelle, les tribunaux regardent si la mesure litigieuse est à la
portée d’un simple cocontractant. S’il s’agit au contraire d’un acte
de puissance publique comme une loi, un règlement ou une décision
annulant ou modifiant unilatéralement les obligations des parties,
il faudra y voir une mesure éligible. Ce principe de distinction est
largement appliqué par les tribunaux arbitraux en matière d’expro
priation indirecte, indépendamment de la classification finale de la
mesure contractuelle344. C’est ainsi que dans l’affaire Jalapa Railroad,
un tribunal arbitral déclarait déjà en 1948 qu’un décret présidentiel
mettant fin à un contrat conclut avec un investisseur « was clearly not
an ordinary breach of contract. Here the Governement of Veracruz stepped
114
out of the rôle of contracting Party (…) »345. Par contre, dans les affaires
Consortium RFCC c. Maroc (refus de réception définitive d’une auto
route pour défaut allégué de construction) et Waste Management II
(non-paiement de factures par la municipalité), les tribunaux ont
reconnu qu’il s’agissait de simples mesures contractuelles. Il convient
de préciser que les dettes contractuelles demeurent de simples viola
tions contractuelles tant que l’État débiteur n’use pas de ses préroga
tives de puissance publique pour annuler ou réduire arbitrairement
le montant de cette dette, ou que l’investisseur peut faire entendre
sa cause devant une juridiction impartiale346.
Quelques rares tribunaux se sont opposés à cette interprétation.
Dans l’affaire Noble Ventures c. Roumanie, un tribunal CIRDI a rejeté
ce critère de distinction au motif qu’il serait applicable aux seules
questions des immunités des États devant les tribunaux étrangers
locaux347. Cependant, le principe de distinction entre acte de sou
veraineté et acte de gestion est à la fois nécessaire et raisonnable,
même s’il n’est pas explicitement prévu par les TBI348.
115
term “measure” in Article 1110(1) »349. En d’autres termes, « it is not a
matter of being disappointed in the performance of the State in the execution of
a contract but rather of interference in the contract execution through govern-
mental action »350. L’attitude mesurée des tribunaux qui refusent de
faire de toute violation contractuelle, ipso facto une mesure éligible
d’expropriation indirecte est donc justifiée et permet de se confor
mer à une réalité de premier plan : « l’État récepteur d’investissements
(…) n’est pas l’État contractant. En sa personne, les deux qualités coexistent,
mais ne se fondent pas l’une à l’autre »351.
Ce principe est ensuite raisonnable, car le fait d’écarter les actes
de gestion du champ de l’expropriation indirecte ne signifie pas la
répudiation de toute protection pour l’investisseur étranger. Il est
vrai que la validité du contrat relève parfois du droit national de
l’État hôte. Ce qui signifie que si en fonction du droit national, le
contrat a été invalidé ou annulé par la voie judiciaire, l’investisseur
ne détiendra plus de droit qu’il pourra prétendre avoir été expro
prié. Mais il lui appartient de faire valoir ses droits contractuels
devant le forum de règlement prévu par le contrat, qu’il s’agisse des
tribunaux nationaux ou d’un tribunal arbitral statuant uniquement
sur le fondement du contrat. Et si cette option lui est interdite, en
droit ou en fait, il lui est toujours possible d’invoquer devant un tri
bunal statuant sur le fondement d’un TBI, l’argument selon lequel
la décision judiciaire annulant ses droits contractuels constitue un
déni de justice, ou encore que les termes de la loi qui fut appliquée
pour anéantir ses droits contractuels équivalent à une expropriation
indirecte. Dans ce dernier cas, c’est la décision de justice ou la loi
elle-même qui constituera la mesure éligible. On préserve ainsi la sou
veraineté de l’État sans laisser l’investisseur complètement démuni
face à l’éventuel arbitraire de son cocontractant étatique. C’est ce qui
ressort de l’affaire R. Azinian c. Mexique, où un contrat de concession
avait été invalidé par les juridictions mexicaines. Dans ce litige, le tri
bunal a considéré que « there is no complaint against a determination by a
competent court that a contract governed by Mexican law was invalid under
Mexican law, there is by definition no contract to be expropriated »352. Mais
dans le cas d’espèce, l’annulation avait été prononcée pour cause des
fausses déclarations et des documents falsifiés produits par l’investis
seur pour remporter l’appel d’offres.
En définitive, on retiendra que la protection accordée à l’investis
sement dans le cadre de l’expropriation indirecte n’a pas pour objec
tif « to eliminate the normal commercial risks of a foreign investor »353.
349 § 174.
350 Siemens c. Argentine, op. cit., note 116, § 253.
351 J.-M. JACQUET, op. cit., note 355, p. 1130.
352 R. Azinian c. Mexique, op. cit., note 341, § 100.
353 Waste Management II c. Mexique, op. cit., note 99, § 177.
116
L’impact de la clause parapluie
sur la définition de la mesure contractuelle éligible
Les mesures éligibles prises dans le cadre des relations contractuelles
soulèvent une question fondamentale qui a longtemps suscité de
fortes controverses : les contrats d’États. Il ne s’agit pas ici de retra
cer le débat relatif à l’internationalisation des contrats d’État, débat
qui a produit des écrits remarquables, tant en quantité qu’en qua
lité354. Mais si cette étude ne porte pas sur cette question complexe et
renouvelée, elle ne peut néanmoins l’occulter entièrement.
354 Pour ne citer que quelques auteurs, voir P. WEIL, « Problèmes relatifs… »,
op. cit., note 52, pp. 101-240 ; C. LEBEN, « Retour sur la notion… », op. cit., note
173, pp. 247-280, et notamment les nombreuses références citées par ce dernier.
355 Le renouveau des contrats d’État dans le contexte de l’arbitrage mixte
d’investissement a été mis en lumière par J.-M- JACQUET, « Voiçi venu le temps
des traités ! (Quelques réflexions sur sur l’évolution du droit des contrats
d’État) », in La promotion de la Justice, des Droits de l’Homme et du Règlement des
conflits par le droit international, Liber Amicorum Lucius Caflisch, M. G. KOHEN
(dir.), IUHEI, Martinus Nijfoff, Leiden, 2007, p. 1127 et s.
356 En anglais : « umbrella clause », « mirror effect clause », ou « elevator clause ».
357 TBI Afrique du Sud-Belgique, 2002, article 7.2.
358 TBI Autriche-République de Corée, 1991, article 7.2
359 La question est bien plus complexe.
117
cutés dans la doctrine et la jurisprudence360. L’une des questions les
plus controversées est celle de la possibilité et de la pertinence d’une
distinction entre les réclamations fondées sur le contrat (treaty claims)
et les réclamations fondées sur le traité (contract claims) lorsqu’un
litige est porté devant un tribunal arbitral d’investissement sur le
fondement d’un TBI mais en invoquant la violation d’un contrat qui
prévoit déjà son propre forum de règlement de litige361. Certains
auteurs avaient déjà prédit que les clauses relatives au respect des
engagements contractuels insérés dans les TBI allaient « keep interna-
tional lawyers busy with interpretatives argument for a long time »362. Cette
prédiction se vérifie aujourd’hui dans le contentieux arbitral des
investissements363.
En ce qui concerne spécifiquement les rapports entre la clause
parapluie et la définition de l’expropriation indirecte, la question
principale est de savoir si la présence d’une clause parapluie conduit
à transformer toute violation contractuelle en une mesure éligible,
malgré l’affirmation contraire du principe. Autrement dit, la règle
selon laquelle une simple violation contractuelle commise sans
l’usage de prérogatives de puissance publique n’est pas une mesure
éligible, est-elle évincée par la présence d’une clause de respect des
engagements contractuels dans le traité applicable au différend ?
360 Voir pour une étude sur ce sujet, E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI,
vol. 2 : 2004-2010, Paris, Pedone, 2010, pp. 205-215 et 274-284 ; W. BEN
HAMIDA, « La clause relative au respect des engagements dans les traités
d’investissements », in LEBEN C. (dir.), Le contentieux arbitral transnational
relatif à l’investissement : Nouveaux développements, pp. 419-441.
361 La distinction entre « contract claims » et « treaty claims » a été discutée dans
plusieurs sentences arbitrales parmis lesquelles, Noble Venture c. Roumanie, op. cit.,
note 347, § 46-62 ; Lauder c. République Tchèque, op. cit., note 154, § 161-163, Vivendi
I c. Argentine (ARB/97/03), décision sur la demande d’annulation du 3 juillet
2002, § 113 : CMS c. Argentine, sentence du 17 juillet 2003 sur la compétence,
§ 80 ; Azurix c. Argentine (ARB/01/12), sentence CIRDI du 8 décembre 2003 sur
la compétence, § 89 ; SGS c. Pakistan (ARB/01/13), sentence CIRDI du 6 août
2003, § 162. Pour une étude de cette question, voir Y. SHANI, « Contract Claims
vs. Treaty Claims : Mapping Conflicts between ICSID Decisions on Multisourced
Investment Claims », AJIL, 2005, vol. 99, n° 4, pp. 835-851.
362 T. WÄLDE, G. NDI, « Stabilizing international investments commitments :
international law versus contract interpretation », TJIL, 1996, p. 247 ; cité par W.
BEN HAMIDA, « La clause relative… », op. cit., note 360, p. 53.
363 Il suffit de relever les discussions qui ont suivi les sentences arbitrales
rendues en 2003 et 2004 dans les affaires SGS c. Pakistan, op. cit., note 361,
et SGS c. Philippines, op. cit., note 346. Les deux tribunaux ont effectué des
interprétations divergentes de la clause parapluie. V. les commentaires de E.
GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, Paris, Pedone, 2004, respectivement
pp. 832-834 et pp. 903-905.
118
• L’absence d’incidence sur la définition
de la mesure contractuelle éligible
Pour une partie de la jurisprudence364 et de la doctrine, la clause
parapluie a pour effet de transformer toute violation du contrat en
une violation du traité. Ainsi, P. Weil, considère que « l’intervention
du traité de couverture transforme les obligations contractuelles
en obligations internationales et assure ainsi (…) l’intangibilité du
contrat sous peine de violer le traité. Toute inexécution du contrat
(…) engage dès lors la responsabilité de ce dernier »365. Par consé
quent, le fait que la violation contractuelle découle ou non d’un acte
de souveraineté serait sans importance. Il s’agirait donc d’une lex spe-
cialis dérogeant à la règle coutumière selon laquelle un État n’engage
sa responsabilité internationale en violant ses obligations contrac
tuelles envers une personne étrangère privée, que si cette violation
est également un fait illicite en droit international.
Mais un tribunal au moins est allé dans un sens contraire en consi
dérant que la clause parapluie, « would have to be considerably more speci-
fically worded before it can reasonably be read in the extraordinarily expansive
manner submitted by the Claimant »366. Cette interprétation fut large
ment critiquée dans la doctrine comme privant la clause parapluie
de tout effet utile et comme violant les principes élémentaires d’in
terprétation des clauses conventionnelles clairement rédigées. La
position de la sentence SGS c. Pakistan, qui était de reconnaître dans
le principe un effet élévateur à la clause parapluie tout en exigeant
pour ce faire des conditions particulièrement élevées, est restée un
moment isolée. Néanmoins, deux sentences arbitrales CIRDI sont
récemment allées plus loin. En effet, dans les sentences Pan America
c. Argentine 367 et El paso c. Argentine 368 deux tribunaux arbitraux ont
dénié, par principe, tout effet de transmutation à la clause parapluie.
À notre avis, la clause parapluie n’a pas d’incidence sur la défini
tion de la mesure contractuelle éligible, quels que soient les effets
juridiques qui lui sont reconnus. En effet, à supposer que la clause
parapluie ait pour effet d’élever les violations contractuelles en vio
lations du traité, le tribunal arbitral statuant sur le fondement du
traité, ne peut ipso facto considérer une mesure contractuelle comme
éligible au statut d’expropriation indirecte. Deux arguments militent
pour cette conclusion.
En premier lieu, l’effet qui est attribué par la doctrine majoritaire
à la clause parapluie n’est pas de transformer la violation contrac
364 Voir par exemple SGS c. Philippines, op. cit., note 346, § 128.
365 P. WEIL, « Problèmes relatifs… », op. cit., note 52, p. 124.
366 SGS c. Pakistan, op. cit., note 361, § 171.
367 El Paso Energy International Company c. Argentine (ARB/03/15), sentence CIRDI
du 27 avril 2006 sur la cmpétence, § 86.
368 Pan American c. Argentine (ARB/03/13), sentence CIRDI du 27 juillet 2006 sur la
compétence, § 115.
119
tuelle en une violation de n’importe quelle obligation prévue dans
le traité, mais seulement de la clause parapluie. Concrètement, cela
signifie qu’en face d’une violation contractuelle avérée, un tribunal
arbitral conclura directement à la violation de la clause parapluie
du traité. L’indemnisation qui sera octroyée à ce titre relèvera uni
quement de la violation de cette obligation. Elle ne devra pas être
confondue avec celle qui peut être octroyée sur le constat que la vio
lation contractuelle correspond également et de manière autonome
à une violation d’une autre obligation du TBI telle que le traitement
juste et équitable ou l’expropriation. Comme on le sait, une même
mesure étatique peut constituer simultanément une violation d’un
contrat et d’un traité international ; tout comme une violation d’un
contrat n’est pas forcément une violation d’un traité. Par conséquent,
chaque mesure contractuelle, indépendamment de l’existence d’une
clause parapluie dans le traité applicable, devra être examinée sur la
base des critères de qualification de chaque clause substantielle du
traité. Ce n’est donc pas parce qu’une violation contractuelle engage
la responsabilité d’un État en vertu de la clause parapluie, si toute
fois un tel effet est reconnu à cette dernière, que la même violation
engagera nécessairement sa responsabilité en vertu de la clause d’ex
propriation indirecte.
En second lieu, reconnaître que la clause parapluie a pour effet
d’effacer, en ce qui concerne la mesure contractuelle d’expropria
tion indirecte, la distinction entre acte jure gestionii et jure imperii,
revient à supposer qu’en l’absence d’une clause parapluie, aucune
violation contractuelle ne peut équivaloir à une expropriation. Or,
une mesure contractuelle est une « mesure éligible » dans la mesure
où elle relève des prérogatives de puissance publique de l’État
contractant. On peut donc affirmer avec C. Dominicé que « la règle
de respect [des engagements] ne constitue pas un rempart absolu,
car elle s’efface devant la règle relative à l’expropriation »369.
En somme, la mesure contractuelle peut éventuellement violer le
traité par le biais de la clause parapluie et dans ce cas, sa simple exis
tence suffit à engager la responsabilité internationale de l’État. Mais
en ce qui concerne l’examen du grief d’expropriation indirecte, la
simple existence d’une violation contractuelle ne peut suffire à en
faire une mesure éligible au statut d’expropriation indirecte. Quoi
qu’il en soit, comme n’importe quelle « mesure », une violation
contractuelle acceptée comme éligible n’équivaut pas encore à une
expropriation indirecte. Il faudra encore qu’elle remplisse les autres
critères de qualification.
120
C. Un enjeu inhérent aux mesures horizontales : les omissions
121
for State responsibility is that conduct consisting of an action or omission is
attributable to the State under international law »374.
Cette position, bien que séduisante, ignore une limite importante
due aux caractéristiques de la notion d’expropriation. Il est vrai que
l’article 15.1 du projet de la CDI peut être invoqué de prime abord
pour défendre l’admission des omissions. Cet article prévoit que « la
violation d’une obligation internationale par l’État à raison d’une
série d’actions ou d’omissions, définie dans son ensemble comme
illicite à lieu quand se produit l’action ou l’omission qui, conjuguée
aux autres actions ou omissions, suffit à constituer le fait illicite »375.
Sur le fondement de cette règle coutumière, plusieurs auteurs esti
ment que le rejet des omissions comme mesures potentiellement
expropriantes est contraire au droit international376. Cependant,
l’article 15.1 s’adresse aux faits illicites, c’est-à-dire à des compor
tements constituant une violation d’une obligation internationale.
Autrement dit, cet article est applicable à des mesures de violation
d’obligations primaires. Or, la mesure d’expropriation indirecte
est un droit souverain, pas une obligation. L’acte d’exproprier n’est
pas un acte pouvant engager la responsabilité de l’État du fait de sa
seule survenance. C’est seulement lorsqu’il ne respecte pas les condi
tions de licéité requises, que l’État d’accueil auteur de la mesure doit
rendre compte de ses agissements. Le fait générateur de responsabi
lité n’est donc pas consommé dès l’édiction de la mesure elle-même.
Bien entendu, l’article 15.1 peut trouver application en matière de
responsabilité internationale en cas d’expropriation indirecte, mais
seulement à la phase de vérification des conditions de licéité et une
fois qu’une mesure a déjà été qualifiée d’expropriation. En pratique,
cela signifie que l’État d’accueil peut violer l’une des trois obliga
tions de licéité par le biais d’une omission. Par exemple, il peut violer
son obligation de non-discrimination par une omission (s’abstenir
de prendre un acte juridique prescrivant un traitement identique
pour les investisseurs nationaux et étrangers qui sont dans une situa
tion similaire). Mais il est difficile de concevoir l’exercice d’un droit,
d’une faculté d’accomplir un acte ou pas, par le biais d’une omission
(ne pas adopter un acte juridique que l’on a le droit de prendre ou
pas).
L’article 15.1 de la CDI n’est donc pas applicable aux éléments
constitutifs du fait licite qu’est le droit d’exproprier, directement ou
indirectement.
122
Le rejet des omissions comme « mesures » éligibles
Au moins une sentence arbitrale a explicitement adopté la position
contraire à la doctrine dominante et a exclu les omissions du champ
des mesures éligibles. Dans l’affaire Eudoro A. Olguin c. Paraguay,
l’investisseur affirmait en substance que « the Republic of Paraguay
and its agencies were negligent in supervising the activities of La Mercan-
til, and this negligence led to the suspension of operations of that financial
institution »377. La Mercantil, un établissement bancaire dans lequel
l’investisseur détenait des parts sociales, avait fait faillite suite à une
crise financière nationale au Paraguay. Le tribunal a rejeté le fait
que les omissions, même importantes, de l’État paraguayen dans la
supervision générale du marché financier et bancaire puissent enga
ger la responsabilité de l’État pour expropriation indirecte illicite en
ces termes : « expropriation therefore requires a teleologically driven action
for it to occur ; omissions, however egregious they may be, are not sufficient
for it to take place »378. En effet, comme l’a noté le tribunal379, ni le
droit national paraguayen, ni le droit international n’imposent à la
charge d’un État de surveiller étroitement des organismes financiers
dans lesquels il détient des intérêts afin qu’ils ne tombent pas en
faillite, même si une telle attitude est souhaitable. Il fut également
question d’une omission dans l’affaire MTD Equitiy c. Chili 380, même
si le tribunal a éludé la question. En effet, l’investisseur invoquait
l’absence d’un plan de modification d’une zone agricole en zone à
bâtir devant lui permettre de réaliser son projet immobilier. Préten
dant avoir reçu des assurances en ce sens des autorités gouvernemen
tales, l’investisseur qualifiait la non-édiction du nouveau plan, de
mesure d’expropriation indirecte. Le tribunal n’a pas suivi l’inves
tisseur, notamment parce que ce défaut d’action relevait plus d’un
traitement injuste et inéquitable. Mais on peut aussi y voir, comme l’a
relevé S. Manciaux, la conséquence de l’absence d’une mesure dans
le sens d’un acte extériorisé381. Ce dernier regrette notamment le fait
que dans cette affaire, l’investisseur ait « englob[é] dans une même
hypothèse le défaut et le refus de délivrance du titre nécessaire »382.
Pour cet auteur, un défaut d’action, qu’il qualifie d’abstention, ne
peut jamais être une mesure éligible. À l’appui de sa démonstration,
il cite les actes de pillage et de destruction dans l’affaire AMT c. Zaïre.
C’est une explication défendable, mais il semble plus opportun d’en
visager cette dernière affaire sous l’angle du défaut d’imputabilité
des mesures litigieuses à l’État zaïrois. En effet, les actes invoqués
123
dans ce litige étaient extériorisés (pillage et destructions de locaux),
mais du fait qu’ils furent perpétrés par de simples individus, il fallait
pouvoir les imputer à l’État hôte ; constatation à laquelle n’est pas
parvenu le tribunal.
Bien qu’elle soit minoritaire, la thèse du rejet des omissions est en
parfaite adéquation avec le phénomène de l’expropriation indirecte
qui requiert une manifestation de volonté extériorisée. L’expropria
tion indirecte se caractérise par une interférence avec les droits de
l’investisseur. Et qui dit interférence, dit aussi une volonté agissante.
On conçoit mal un État interférant avec des droits protégés en se
contentant de ne rien faire. Certes, ce dernier peut causer un pré
judice à un investisseur par le biais de son inaction, mais cela relève
d’autres standards de protection prévus dans les TBI tels que celui
d’apporter une pleine protection et sécurité à l’investisseur contre
les préjudices portés à ses biens. Dans de telles situations, comme
le notait d’ailleurs M. Sornarajah, « the omission to act could have
consequence that is akin to taking. […] »383. Mais, en réalité, « the matter
will be dealt with as a failure to provide the requisite treatment rather than
as a taking of property »384. De surcroît, il est assez difficile d’imaginer,
surtout pour une expropriation indirecte résultant d’une mesure
générale dont l’effet préjudiciable peut être fortuit ou accidentel,
qu’une omission puisse engager la responsabilité de l’État.
Toutefois, les deux positions ne sont pas irréconciliables. En réa
lité, il s’agit moins d’une divergence de fond que d’un malentendu
sur l’objet même de la controverse. Les deux thèses désignent en
effet la même chose, mais utilisent des termes différents.
124
réprimer des faits comme il lui incombe au regard d’une règle cou
tumière internationale.
Pourtant, selon les circonstances, un acte négatif n’est pas toujours
identique à une omission. L’acte négatif suppose une volonté externe
de ne pas faire ce qui est ordonné, mais l’omission peut se résumer
à une inaction pure et simple quant à ce qui est prescrit ou pas. Il
faut rappeler que la réalisation d’un fait internationalement illicite
suppose au préalable qu’une obligation primaire ait été violée. Dans
le cas de la violation de l’obligation de diligence par un État, il y
a manquement ou refus exprès de se conformer à une obligation
internationale : rendre légalement illicite, prévenir, et poursuivre
des agissements préjudiciables envers les étrangers et leurs biens sur
son territoire.
Cette assimilation d’une omission à un acte négatif n’est pas trans
posable au processus de qualification d’une expropriation indirecte
qui concerne un acte licite à priori. À ce niveau, une démarcation
s’impose entre l’omission proprement dite et l’acte négatif. Pour ce
faire, certains termes doivent d’abord être clairement définis.
L’acte négatif est un acte extériorisé qui peut s’exprimer par un
refus ou le rejet d’une demande quelconque de l’investisseur386.
Ainsi, quel que soit le support utilisé pour l’édiction d’une mesure,
celle-ci s’exprimera par deux voies possibles : la mesure sera soit un
acte positif, soit un acte négatif. Par acte positif, il faut entendre ici
un acte d’octroi d’une prérogative quelconque et par acte négatif, un
acte de refus d’une prérogative quelconque. L’acte positif est l’acte
par lequel l’État accorde, prescrit ou autorise. L’acte négatif est celui
au contraire par lequel il interdit, refuse, annule ou restreint. Que la
mesure soit positive ou négative, elle est ici traduite par un acte juri
dique, donc une conduite, une manifestation de volonté extériorisée
destinée à produire des effets de droit.
L’omission au sens strict est une simple abstention, une inaction,
en l’absence d’une requête spécifique de l’investisseur se prévalant
d’un droit ou d’une obligation d’agir à la charge de l’État. Mais sou
vent, le refus d’accorder une autorisation est vu comme une omis
sion, alors qu’il s’agit d’un acte négatif.
386 Comme l’explique S. MANCIAUX, « le refus de délivrance s’exprime dans une
décision communiquée au demandeur, et peut donc constituer une mesure, alors que
l’abstention ne se manifeste, par définition, par aucun acte ou action susceptible d’être
qualifiée de mesure ». S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage…, op. cit.,
note 1, p. 78.
125
Ainsi, dans l’affaire Biloune c. Ghana, le tribunal est arrivé à la
conclusion qu’une série d’actes et d’omissions du gouvernement
ghanéen avait menée à une expropriation progressive387. Or, aucune
véritable omission de l’État ne peut être isolée dans le raisonnement
du tribunal sur l’expropriation indirecte. En l’espèce, le gouverne
ment avait refusé d’octroyer un permis de construire, puis ordonné
l’arrêt des travaux en cours, une partie des constructions fut démolie
avant que M. Biloune ne soit arrêté puis expulsé du territoire. Ce
sont donc des actes positifs et négatifs qui furent, en toute logique,
examinés sous l’angle de l’expropriation indirecte par le Tribunal388.
De même, dans la sentence CME c. République Tchèque, les précédents
cités par le tribunal pour confirmer sa prise en compte des omis
sions se révèlent être des exemples de refus de poser un acte389. Ce
fut également le cas dans plusieurs affaires où l’investisseur invo
quait une incurie de l’État, et reprochait à ce dernier de n’avoir pas
pris les mesures nécessaires pour contrecarrer les comportements
de l’une de ses collectivités locales ou d’individus ayant mis l’inves
tissement dans une situation périlleuse. Mais l’examen des faits
montre des actes extériorisés posés directement par l’État ou l’un
de ses organes. Ainsi, dans l’affaire Wena Hotels c. Égypte, un orga
nisme public procéda à la saisie et à l’occupation des hôtels gérés par
l’investisseur avec l’aide de l’armée, avant de nommer des gérants
locaux dans l’entreprise concernée. Il s’agissait bien d’actes positifs
émanant d’un organe qui furent ensuite imputés à l’État. On arrive à
la même conclusion en examinant de près les exemples que certains
auteurs citent à l’appui de leur démonstration en faveur de l’accueil
des omissions390. Ainsi, pour A. Newcombe et L. Paradell, « if an inves-
tor were to build a chemical production facility in accordance with host State
law and the host state refused to issue the applicable operational, business or
work permits or other regulatory approvals in order to allow the plant to ope-
rate, that could be considered expropriatory »391. Cet exemple correspond
encore à un refus, donc à un acte extériorisé. Ces auteurs, comme
ces tribunaux, envisageaient en réalité des actes négatifs lorsqu’ils
désignaient des omissions.
La contradiction n’était donc qu’apparente. Les « fausses » omis
sions furent accueillies, car il s’agissait d’actes extériorisés, mais
126
négatifs. Au contraire, les véritables omissions, c’est-à-dire les inac
tions de l’État en l’absence d’une obligation de faire, sont générale
ment rejetées. En effet, les rares véritables omissions ne furent pas
accueillies comme mesures éligibles dans les affaires CIRDI, comme
le montre la sentence E. A. Olguin c. Paraguay précitée.
392 Voir dans le même sens, les faits dans les affaires, American Machine Tools (AMT)
c. Zaïre, op. cit, note 25 ; et Tradex Hellas c. Albanie (ARB/94/2), sentence CIRDI
du 29 avril 1999. Dans la première affaire, les manquements de l’État à son
obligation de diligence furent examinés à la lumière des obligations imposées
par le TBI, mais à l’exclusion de l’expropriation. Dans la seconde affaire, le
tribunal n’a pas eu à examiner l’obligation de la pleine protection et sécurité,
qui était exclue du consentement de l’Albanie dans la clause d’arbitrage de
la loi de 1993 applicable au litige. Certes, le tribunal a considéré l’existence
de mesures éligibles d’expropriation avant de les considérer comme non
imputables à l’État, mais une telle inquisition n’était pas nécessaire.
127
act but failed to do so, has long since been recognized »393. Le tribunal pré
cisait ensuite qu’il fallait au préalable la preuve d’une obligation
d’agir dans le cas d’espèce, pour que les omissions et inactions de
l’État puissent engager sa responsabilité. Ce raisonnement est adé
quat, sauf qu’il n’avait pas de place dans la phase de recherche d’une
expropriation indirecte. La violation de l’obligation de diligence
n’est pas l’expropriation indirecte. Dans le cas d’espèce, le plai
gnant, actionnaire minoritaire, reprochait à l’Iran de n’avoir pas pris
les mesures nécessaires au sein du conseil d’administration d’une
société dans laquelle l’État était devenu actionnaire majoritaire,
pour sauver ladite société de la banqueroute. Le tribunal a conclu
que la situation d’actionnaire majoritaire ne créait pas une obliga
tion d’interférer dans le conseil d’administration. À supposer que
cette obligation soit en effet inexistante394, cette conclusion aurait dû
amener le tribunal à considérer qu’il n’y avait tout simplement pas de
mesure éligible d’expropriation indirecte. Ce n’était donc pas parce
qu’une obligation d’ingérence n’existait pas que l’omission n’était
pas expropriante. C’est plutôt parce qu’il n’y avait pas de mesure
étatique, au sens d’acte extériorisé négatif, que toute investigation
devenait superflue. Les éléments d’un traitement injuste et inéqui
table semblaient au contraire réunis dans ce différend395.
En second lieu, l’admission ou le rejet des omissions est une ques
tion cruciale lorsque des mesures d’ordre général ne visant même
pas directement l’investisseur sont en jeu. En effet, une mesure
ciblée ne peut jamais consister en une omission. Cibler un investis
seur suppose automatiquement une manifestation extériorisée de
volonté, qu’elle se solde par un refus de poser un acte ou par l’accom
plissement d’un acte particulier. Par contre, de véritables omissions
peuvent être considérées à tort comme des mesures d’ordre général
ayant des effets équivalent à une expropriation. Les conditions géné
393 Mohsen Asghari Nazari c. Iran, sentence du 24 aout 1994, Iran-US CTR, vol 30,
p. 123 et s., § 125.
394 Dans son opinion dissidente, le juge HOLTZMANN a trouvé qu’en tant
qu’actionnaire majoritaire, l’État était tenu d’agir pour administrer l’entreprise
de manière prudente afin de sauvegarder les intérêts de l’ensemble des
actionnaires. Mohsen Asghari Nazari c. Iran, op. cit., opinion dissidente du Juge
HOLTZMANN, § 130.
395 Dans les faits, l’État iranien avait le contrôle d’une société (ISIRAN) qui devait
une importante créance à la société où l’investisseur détenait des parts sociales
(SKBM). Suite à la révolution, ISIRAN a renoncé aux services de SKBM mais
sans procéder au paiement de sa dette antérieure. Dans le même temps, la
société SKBM, dans laquelle l’État était devenu actionnaire majoritaire, n’a pris
aucune mesure pour recouvrer sa dette qui constituait à l’époque la principale
richesse de la société. ISIRAN étant détenu à 100 % par l’Iran et SKBM à 57 %
seulement, on peut imaginer que l’État ait choisi de garder une somme dans la
première société plutôt que de la transférer dans la seconde où elle aurait dû
être partagée avec les autres actionnaires.
128
rales favorables à l’investisseur peuvent être altérées, soit parce que
l’État a pris une mesure préjudiciable ou à refuser de prendre une
mesure spécifique qui aurait avantagé l’investisseur, soit en raison
de perturbations internes du marché alors que l’État n’est pas inter
venu comme l’investisseur l’aurait souhaité. Mais alors que dans le
premier cas, une mesure a été édictée, dans le second cas, aucun acte
extériorisé ne peut être invoqué comme ayant entraîné une expro
priation indirecte.
En définitive, seuls les actes positifs et négatifs sont des mesures
éligibles. Il faudra écarter les véritables omissions du champ des
mesures éligibles. Cela dit, toute « mesure » litigieuse doit être impu
table à l’État d’accueil.
129
tribunals in investor-State arbitration (…) »399. Aux termes des articles 4
à 11 du projet de la CDI, il existe trois catégories de moyens d’imputer
une mesure à l’État d’accueil de l’investissement400.
130
dans un intérêt privé propre à travers la gestion d’un fonds auto
nome de retraite. Il est toutefois imputé à l’État les actes ultra vires
de ses agents, organes et démembrements qui sortent des limites de
leurs compétences ou abusent des pouvoirs qui leur sont conférés,
lorsqu’ils ont été posés dans le cadre de leurs fonctions et non de
leur vie privée (article 7 CDI)403. En application du principe fonda
mental du défaut de pertinence de l’organisation interne de l’État
au regard du droit international (article 4.1 CDI), « l’État assume donc
tous les actes qui émanent ou semblent émaner de lui »404. Ce qui inclut
aussi les actes des fonctionnaires de fait. Les mesures horizontales
sont généralement issues des plus hautes instances étatiques (gouver
nement ou parlement), tandis que la plupart des mesures verticales
sont souvent le fait des organes et subdivisions étatiques ou des socié
tés publiques qui sont directement en relation avec les investisseurs
privés étrangers405.
403 Cette règle fut appliquée dans l’affaire Noble Ventures c. Roumanie, op. cit., note
347, § 81, en ces termes : « Even if one were to regard some of the acts of SOF or APAPS
as being ultra vires, the result would be the same. This is because of the generally recognized
rule recorded in Art. 7 2001 ILC Draft (…) ».
404 B. STERN, « La responsabilité internationale des États : perspectives récentes »,
in Cursos Euromediterraneen Bancaja de Derecho Internacional, Pamploma, Vol. 7,
2003, p. 671.
405 Pour ce qui est des organes de l’État, on peut citer Middle Est Cement c. Egypte,
op. cit., note 158, (décret ministériel) ; A. Goetz c. Burundi, op. cit., note 48,
(révocation de certificat de zone franche signé par le ministre compétent) ;
Wena hôtel c. Egypte, op. cit., note 63, (retrait de licence et résiliation de contrat
par une agence sous tutelle du ministère du Tourisme). Pour ce qui est des
collectivités territoriales ou des institutions autonomes, on peut citer les affaires
Metalclad c. Mexique, op. cit., note 56, (ordre d’arrêt des travaux et refus de
délivrer le permis de construire par la municipalité de Guadalacazar, puis arrêté
écologique par l’État fédéré de San Lui Potosi) ; Tecmed c. Mexique, op. cit., note
121, (annulation d’un permis d’exploitation par l’Institut national d’écologie) ;
LESI c. Algérie, op. cit., note 54, (résiliation d’un contrat de construction par
l’Agence Nationale des Barrages).
406 Dans cette affaire, malgré les preuves d’un soutien des États-Unis aux Contras
(opposants nicaraguayens au régime sandiniste), par des financements et une
131
plement un contrôle global plus souple comme dans l’affaire Tadic,
du 15 juillet 1999 devant le Tribunal international pénal pour l’ex-
Yougoslavie dans le second jugement rendu par la chambre d’ap
pel407 ? La question est intéressante et complexe à plus d’un titre,
même si l’analyse des sentences arbitrales d’investissement ne per
met pas de déterminer clairement la position des tribunaux. Cela
peut s’expliquer en partie par l’existence d’une clause dans les TBI
qui prévoit une indemnisation autonome pour les pertes subies lors
de conflits armés et de troubles internes. Cette clause dénommée,
« compensations pour pertes » ne nécessite pas l’imputabilité des
actes dommageables à l’État, mais exige simplement que l’indemni
sation de l’investisseur protégé par le TBI soit alignée sur le traite
ment accordé aux nationaux et/ou aux autres étrangers ayant subi
également des pertes dans le même contexte sur le territoire.
Toutefois, certains tribunaux ont eu à appliquer le critère du
contrôle dans le contentieux de l’expropriation indirecte. Dans
l’affaire Alfred L. W. Short devant le Tribunal irano-américain, les
arbitres ont refusé d’attribuer les actions d’individus ayant expulsé
le plaignant hors de l’Iran, à l’État. Pour le tribunal, les individus
en question étaient de simples partisans spontanés de la révolution
ayant fait preuve de zèle en dehors d’instructions spécifiques : « the
acts of supporters of a revolution cannot be attributed to the government fol-
lowing the success of the revolution just as the acts of supporters of an existing
government are not attributable to the government »408. Dans l’affaire Sche-
ring devant le même tribunal irano-américain, la question s’est posée
à propos des agissements du Conseil des travailleurs au sein d’une
entreprise. Bien que ce conseil ait été mis en place sur décision du
gouvernement, le tribunal a trouvé qu’il n’avait pas agi sous instruc
tions et ne faisait que défendre les intérêts privés de ses membres409.
Par contre, lorsque des milices privées reçurent l’aval ou le soutien des
132
nouvelles autorités ou furent officiellement intégrées dans les struc
tures administratives de l’État, leurs actions postérieures devinrent
alors imputables à l’État. Ce fut le cas dans l’affaire Kenneth P. Yeager,
dans laquelle les actes d’un comité révolutionnaire local dénommé
Komitheh furent attribués à l’État au motif que « soon after the victory
(…) the Komitehs, contrary to other groups, obtained a firm position within
the State structure (…) by decree under the name of Revolutionary guard »410.
Dans d’autres affaires devant les tribunaux CIRDI, les actes d’indi
vidus non identifiés ne purent être imputés à l’État (AMT c. Zaïre ou
Tradex Hellas c. Albanie).
Les actes posés par des personnes privées physiques ou morales
sans lien structurel avec l’État peuvent difficilement correspondre à
des mesures générales qui touchent indifféremment tous les opéra
teurs économiques. C’est pourquoi les mesures verticales sont typi
quement celles qui sont imputées à l’État par ce biais411.
133
c. Lettonie, un tribunal ad hoc, statuant sur le fondement de la Charte
européenne de l’énergie, a procédé à la recherche de cette respon
sabilité résiduelle. C’est ainsi qu’en examinant les violations contrac
tuelles de la société, le tribunal est arrivé à la conclusion que : « the
breach of Windau’s contractual rights was allowed to continue, and in that
sense was caused, by the government’s failure to act in order to correct the
situation »414. Pourtant, le tribunal avait également constaté que les
actes de la société étaient déjà directement imputables à l’État dans
la mesure où celle-ci « cannot be considered to be, or to have been, an inde-
pendent commercial enterprise, but clearly a constituent part of the Republic’s
organization of the electricity market and a vehicle to implement the Repu-
blic’s decisions concerning the price setting for electric power »415. Le critère
fonctionnel était donc satisfait. Le même amalgame semble ressortir
de la sentence Wena Hôtel, lorsque le tribunal y affirma que « (…) whe-
ther or not it authorized or participated in the actual seizures of hotels, Egypt
deprived Wean of its “Fundamental rights of ownership” by allowing EHC
forcibly to seize the hotels, to possess them illegally for nearly a year, and to
return the hotels stripped of much of their furniture and fixtures. (…)»416. Ici
encore, une telle déclaration n’était pas nécessaire, car les actes en
cause étaient directement imputables à l’État.
Corrélativement aux arguments pour l’exclusion des omissions, la
violation de l’obligation de due diligence ne relève pas de l’expro
priation indirecte.
134
du contrôle, les tribunaux ne devraient-ils pas recourir au critère
de rattachement résiduel ?
Dans l’analyse de l’expropriation directe comme indirecte, le
recours à la responsabilité pour violation de l’obligation de dili
gence n’est pas indiqué. En effet, subséquemment à l’exclusion des
omissions du champ de la mesure éligible, la violation de l’obligation
de prudence et de diligence ne relève pas de l’expropriation, mais
d’autres obligations prévues dans les TBI. En d’autres termes, l’État
d’accueil ne peut pas exproprier, même indirectement un investis
seur étranger, en omettant de se conformer à une autre de ses obliga
tions internationales. Il ne peut exercer un droit (celui d’exproprier)
du fait qu’il a omis de se conformer une de ses obligations (obligation
de due diligence). En réalité, lorsqu’un tribunal en vient à devoir
considérer le critère résiduel de rattachement d’un acte, cela signifie
probablement qu’il a pris en compte une véritable omission de l’État
d’accueil comme « mesure éligible ». Il est donc logique qu’une fois
au stade de l’évaluation de l’imputabilité de cette « fausse » mesure éli-
gible, les critères structurels, fonctionnels et du contrôle soient insuf
fisants. Il n’est simplement pas possible de rattacher une « mesure »
quelconque à l’État d’accueil par le biais du critère résiduel de ratta
chement lorsqu’il est question d’expropriation indirecte.
Finalement, les analyses sur les mesures contractuelles, les omis
sions et la responsabilité résiduelle de l’État d’accueil se rejoignent,
se justifient et se renforcent mutuellement. D’abord, la mesure
contractuelle ordinaire n’est pas une mesure éligible parce qu’elle ne
relève pas de prérogatives de puissance publique, qui sont le propre
de l’État souverain. Ensuite, les omissions ne sont pas des mesures
éligibles, car aucun acte extériorisé n’est imputable à l’État. Enfin,
une mesure éligible quelconque ne sera pas imputable à l’État tant
qu’elle ne relève pas d’une manifestation des prérogatives de puis
sance publique. C’est pourquoi il suffit de rejeter dès le départ les
mesures contractuelles ordinaires et les omissions, car on en revien
dra au même point lorsqu’il sera question de les imputer à l’État418.
Une fois que le tribunal du contentieux de l’expropriation indi
recte a constaté l’existence d’une mesure éligible au statut d’expro
priation indirecte, c’est-à-dire un acte extériorisé imputable à l’État
d’accueil, il lui reste à déterminer si cette « mesure » est « équivalente
à une expropriation ».
418 Ce qui n’empêche pas un tribunal d’examiner ensuite les omissions de l’État
lorsqu’il recherchera la violation d’un standard de traitement prévu par le TBI
tel que l’obligation de pleine protection et sécurité.
135
Section 2 – … équivalente à une expropriation
136
[appréciée] »420. En d’autres termes, « l’établissement d’une équiva
lence entre deux choses […], ne peut se faire qu’en indiquant sous
quel rapport, elles sont comparables »421.
Concrètement, dans une relation d’équivalence, trois acteurs
majeurs doivent être isolés. D’abord, le sujet de l’équivalence, qui
correspond à ce qui doit être comparé : il s’agit donc ici de la mesure
éligible telle qu’elle a été définie dans le chapitre précédent. Ce
sujet est donc le « fait-candidat ». Ensuite, l’objet de l’équivalence,
qui correspond à ce à quoi le sujet de l’équivalence ambitionne de
ressembler : c’est bien entendu l’expropriation, et plus précisément
l’expropriation directe. L’objet de l’équivalence représente la fina
lité de l’exercice, ce qui est visé par la comparaison. Enfin, le rapport
d’équivalence qui correspond à l’aspect par lequel le fait-candidat
doit ressembler à l’objet de l’équivalence afin de pouvoir lui être assi
milé. Il doit s’agir d’un élément qui caractérise l’objet de l’équiva
lence lui-même, qui en constitue l’essence. La définition de l’expro
priation indirecte gravite autour des trois questions suivantes. Qui se
veut équivalent ? A quoi veut-il être équivalent ? Comment pourra-t-il
être équivalent ? Les deux premiers éléments ayant déjà été identifiés
(mesure éligible et expropriation directe), il reste à déterminer le
troisième élément.
Le rapport d’équivalence porte sur l’effet produit par l’édiction
de la mesure. Deux facteurs militent pour que le rapport d’équi
valence soit celui de l’effet : les références explicites ou implicites
dans les traités de protection des investissements, et la finalité de la
clause d’expropriation. S’agissant des traités de protection des inves
tissements, la revue des TBI et ALE a montré que les clauses d’ex
propriation indiquent, soit explicitement, soit implicitement, que
c’est l’effet qui est le rapport d’équivalence. Il suffit de rappeler ici
l’exemple d’une clause qui désigne « toute autre mesure dont l’effet
est de déposséder, directement ou indirectement ». Concernant la
finalité de la clause d’expropriation, elle s’inscrit dans le cadre plus
général de la finalité des traités de protection des investissements :
la protection des investisseurs étrangers et de leurs investissements.
La raison d’être de l’expropriation indirecte est de protéger les
investisseurs et leurs investissements au-delà des atteintes formelles.
L’arbitre et le juge sont amenés, « à regarder la substance au-delà de
forme » comme le rappelait la CEDH dans l’affaire Sporrong & Lön-
nroth c. Suède 422. En effet, on ne saurait rechercher une protection
137
effective, en se focalisant sur la forme de la mesure sans scruter de
près ses effets préjudiciables.
Les tribunaux arbitraux retiennent majoritairement le critère
de l’effet de la mesure. On peut donc conclure que lorsqu’on écrit
« mesure équivalant à une expropriation », il faut simplement y lire
« mesure ayant le même résultat qu’une expropriation ». Cela dit,
une question surgit immédiatement à l’esprit : du point de vue de
quel acteur la mesure devra-t-elle produire un résultat comparable à
une expropriation ? L’État, l’investisseur, ou les deux à la fois ?
138
équivalente à celle d’une expropriation directe ? C’est-à-dire, regar
der si la mesure a produit sur l’État un résultat équivalant à la situa
tion où il aurait retiré purement et simplement le titre de propriété
pour son compte. Certains auteurs défendent cette thèse424. D’autres
envisagent simplement cette possibilité à titre de lege ferenda 425. Mais
cette position reste très marginale devant les tribunaux426.
Plusieurs tribunaux ont clairement rejeté le critère de l’effet pro
duit par la mesure sur l’État. Dans l’affaire Tippetts, le tribunal irano-
américain a clairement posé qu’il « prefers the term “deprivation” to the
term “Taking” although they are largely synonymous, because the latter may
be understood to imply that the government has acquired something of value,
which is not required »427. Dans la sentence Metalclad c. Mexique, un
tribunal CIRDI a déclaré également que « expropriation under Nafta
includes (…) also covert or incidental interference with the use of property
which has the effect of depriving the owner, even if not necessary to the obvious
benefit of the host State »428. En outre, il suffit d’examiner les tentatives
de définitions de l’expropriation indirecte dans les sentences arbi
trales, pour se convaincre que nulle référence n’est faite à l’enrichis
sement de l’État. Seul le préjudice subi par l’investisseur est mis en
lumière lorsqu’il est rappelé qu’en droit international « measures taken
by a state can interfere with property rights to such an extent that these rights
are rendered so useless that they must be deemed to have expropriated »429 ; ou
encore qu’en cas d’expropriation indirecte, « measures are taken by a
State the effect of which is to deprive the investor of the use and benefit of his
investment »430. Dans le même sens, il a été affirmé que « l’effet de la
mesure étatique équivaut à une expropriation à partir du moment
où elle restreint l’usage que le bénéficiaire entendait faire de ce droit
et/ou diminue le bénéfice qu’il devait générer (…) »431. En général,
les tribunaux ne discutent même plus cet élément et les États Parties
aux différends l’invoquent rarement comme moyen de défense.
C’est donc le préjudice subi par l’investisseur du fait de la mesure
étatique qui constitue le rapport d’équivalence permettant de qua
424 C’est le cas de A. NEWCOMBE, op. cit., note 38, dont le raisonnement sera
analysé ultérieurement.
425 S. MANCIAUX, « Les mesures équivalentes… », op. cit., note 307, p. 90.
426 Le critère de l’enrichissement sans cause a déjà été accueillie favorablement
devant le tribunal irano-américain. Cependant, en l’espèce, le raisonnement
se situait en dehors de la question de l’expropriation. Le tribunal envisageait
simplement le cas d’une indemnisation accordée au titre de l’enrichissement
sans cause, indépendamment de l’expropriation indirecte. Voir Sea-Land c. Iran,
22 juin 1984, Iran-US CTR, vol. 6, pp. 168-170.
427 Tippetts, op. cit., note 89, pp. 225-226.
428 Metalclad c. Mexique, op. cit., note 56, § 103.
429 Tippetts, op. cit., note 89, p. 154.
430 Middle East Cement c. Egypte, op. cit., note 158, § 107.
431 LESI c. Algérie, op. cit., note 54, § 131.
139
lifier une mesure éligible en expropriation indirecte devant les tri
bunaux.
140
ner la qualification d’expropriation indirecte. Le raisonnement part
toujours du préjudice, avant d’introduire des éléments à même de le
contrebalancer. Cette approche a été qualifiée comme étant la ligne
jurisprudentielle « Chinn-Sea-Land-SD Myers »437. Elle est cependant
moins homogène qu’elle n’y parait. L’affaire Oscar Chinn prend en
compte les risques liés à tout investissement ainsi que le droit de
règlementer de l’État. La sentence Sea-Land privilégie par contre
l’intention délibérée de nuire à l’investissement comme paramètre
supplémentaire. Quant à la sentence SD Myers c. Canada, elle illustre
au-delà des apparences, la doctrine majoritaire, mais avec une exi
gence particulièrement élevée de la gravité et du caractère irréver
sible du préjudice subi. Il faut ajouter que cette seconde conception
du préjudice intervient toujours dans les litiges qui reposent sur des
mesures horizontales dont l’impact est indirect sur l’investissement.
Parce que la prise en compte à titre exclusif de l’effet est celle qui
prédomine, il est nécessaire d’examiner plus en détail ce critère
dans le contentieux de l’expropriation indirecte.
141
determining whether or not a Taking has occurred »439. Cela signifie que les
tribunaux répudient tout critère de qualification axé sur la mesure
éligible ou son auteur qu’il s’agisse de l’intention d’exproprier ou du
but d’intérêt public poursuivi par la mesure.
L’intention d’exproprier
• Les enjeux posés par le critère de l’intention d’exproprier
Le critère de l’intention d’exproprier provient directement des
éléments constitutifs de l’expropriation directe, qui est le référent
de l’expropriation indirecte. En effet, toute expropriation directe
suppose une volonté d’exproprier l’investisseur, volonté qui se mani
feste formellement par une décision règlementaire ou législative.
De ce fait, l’intention d’exproprier pourrait en théorie faire partie
intégrante du rapport d’équivalence au même titre que l’effet de la
mesure. Il ne suffirait pas que l’investisseur ait subi un préjudice, il
faudrait aussi que l’État ait voulu ce résultat afin de s’approprier le
bien. Il est vrai que pour les mesures verticales d’expropriation indi
recte, l’intention d’exproprier est toujours sous-jacente en raison de
la filiation directe avec l’expropriation directe. Du fait qu’elles visent
directement un investissement, les mesures verticales dénotent
l’intention de s’approprier l’investissement ou tout au moins de
lui porter atteinte. Au contraire, une telle intention est rarement
mise en évidence, du moins à première vue, dans une mesure hori
zontale dont le but initial est extérieur à l’investissement. La ques
tion qui doit être posée est la suivante : les mesures étatiques aux
conséquences préjudiciables fortuites doivent-elles être analysées de
manière identique à celles qui dénotent une volonté manifeste de
léser l’investisseur ?
Cette question est d’un enjeu primordial, car de la réponse appor
tée dépendra l’étendue des mesures éligibles pouvant être qualifiées
d’expropriation indirecte. Si l’on considère que l’expropriation indi
recte concerne uniquement les pertes dues à la volonté manifeste
des autorités étatiques d’atteindre un tel résultat, alors les actions
de bonne foi seraient à écarter. Dans ce cas, l’expropriation indi
recte trouverait uniquement sa raison d’être dans le souci d’éviter
que l’État d’accueil puisse contourner son obligation d’indemniser
au titre de l’expropriation directe. Ainsi, ce seraient l’arbitraire et
la mauvaise foi de la puissance publique, retranchée derrière des
mesures déguisées, qui seraient visés. La définition de l’expropria
tion indirecte serait alors relativement étroite. L’examen de la termi
nologie de l’expropriation indirecte a montré que les exemples de
mesures équivalentes visées par les premières études sur le sujet rele
vaient de cette conception. Mais si l’on considère que l’expropriation
indirecte vise la protection systématique de l’investisseur contre les
439 R. DOLZER, « Indirect expropriation, New Developments ? », op. cit., note 103,
p. 78.
142
préjudices causés par les agissements de l’État d’accueil, l’intention
d’exproprier n’aura aucune place dans le processus de qualification.
Toutes les mesures qui mettraient l’investisseur dans une situation
comparable à celle où l’État lui aurait retiré son titre de propriété
seraient favorablement accueillies, peu importe la bonne ou mau
vaise foi de ce dernier. Dans ce cas, les contours de l’expropriation
indirecte seraient plus étendus.
La seconde option a eu la préférence des tribunaux arbitraux.
440 Voir aussi les affaires Tippetts, op. cit., note 89, pp. 225-226 ; Metalclad c. Mexique,
op. cit., note 56, § 111 ; Pope & Talbot c. Canada, op. cit., note 300, § 181.
441 Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, § 116.
442 Siemens c. Argentine, op. cit., note 116, § 270.
443 Philips Petrolium, op. cit., note 93, § 98.
444 Starrett Housing, op. cit., note 90, p. 122.
445 Biloune c. Ghana, op. cit., note 69, p. 209.
446 Generation Ukraine c. Ukraine, op. cit., note 264, § 20.28.
143
conformément à l’article 3 du TBI États-Unis-Ukraine. Si une telle
qualification fut finalement rejetée par le tribunal, ce fut bien après
une évaluation du préjudice subi par l’investisseur et non des inten
tions de l’État d’accueil. La même conclusion ressort de la sentence
Vivendi II c. Argentine : « while intent will weigh in favor of showing a mea-
sure to be expropriatory, it is not a requirement, because the effect of the mea-
sure on the investor, not the state’s intent, is the critical factor »447.
Dans la doctrine, le rejet de l’intention d’exproprier comme cri
tère de qualification est presque unanime. Ainsi, pour G. C. Chris
tie, « even though a State may not purport to interfere with rights to property,
it may, by its actions, render those rights so useless that it will be deemed to
have expropriated them »448. R. Higgins, analysant les décisions de la
CPJI/CIJ dans les affaires des Armateurs Norvégiens et de l’usine de
Chorzow, est arrivé également à la conclusion que « these two cases cer-
tainly indicate that expropriation of a given Property may in fact – regardless
of State Intention – involve a Taking (…) »449. Enfin, on a pu affirmer
que l’insertion d’autres critères aux côtés de l’effet, et notamment
celui de l’intention de l’État, conduirait à rendre la notion d’expro
priation indirecte illusoire et la priverait de son objectif450.
Le rejet de ce critère est défendable. Accueillir l’intention d’ex
proprier comme critère revient à affirmer qu’il s’agit d’un élément
fondamental de l’expropriation directe. Or, ce critère n’est pas un
élément fondamental dans la qualification d’une expropriation
directe, même s’il est, de fait, toujours présent. Mais la véritable
limite est d’ordre pratique. Comment un tribunal arbitral, de sur
croit d’arbitrage d’investissement, peut-il connaître et apprécier les
réelles intentions d’un État ou tout au moins des autorités gouverne
mentales ? Il est par ailleurs difficile d’exiger de l’investisseur qu’il
prouve une intention délibérée de l’État de lui nuire. S’aventurer
dans une telle inquisition serait aussi laborieux qu’inutile.
Toutefois, l’intention d’exproprier n’est pas complètement inutile
dans le processus de qualification. En effet, un tribunal qui consta
terait une intention manifeste de porter préjudice à l’investisseur
orientera plus aisément son raisonnement vers une qualification posi
tive451. Par conséquent, si l’intention d’exproprier n’est pas un critère
d’appréciation de premier ordre, elle peut venir renforcer ou facili
ter la qualification d’une expropriation indirecte. C’est d’ailleurs la
conclusion à laquelle est parvenu un rapport de la CNUCED : « in
fact, intent is relevant only in highly exceptional cases, where it is possible to
144
show that a Government had abused its powers, by acting for a purpose other
than the one it had invoked »452. Dans le passé, il semble que l’intention
d’exproprier ait constitué un critère complémentaire dans les situa
tions délicates mettant en cause des mesures fiscales, monétaires ou
douanières. Des auteurs comme A. Bindschedler ou J.-P. Laviec ont
avancé prudemment que dans la pratique diplomatique, le fait de
prétexter des motifs pénaux ou fiscaux non justifiés pour porter pré
judice à des investisseurs étrangers faisait pencher la balance vers
la qualification d’expropriation453. Quoi qu’il en soit, si l’intention
d’exproprier peut éventuellement être un indice pour confirmer
l’existence d’une expropriation indirecte, il ne peut jamais faire
échec à la qualification lorsque les critères fondamentaux ont été
constatés.
« a finding of expropriation would require, at the very least, that the tribunal be
satisfied that there was deliberate governmental interference with the conduct of
Sea-Land’s operation, the effect of which was to deprive Sea-Land of the use and
benefit of its investment. Nothing has been demonstrated here which might have
amounted to an intentional course of conduct directed against Sea-Land »454.
145
aurait été appliquée, c’est-à-dire que l’intention d’exproprier n’au
rait eu aucun rôle à jouer. C’est l’occasion de remarquer que cette
incohérence aurait pu être aisément évitée, si le tribunal avait sim
plement refusé de prendre en compte les omissions. Cette affaire
montre une fois de plus les difficultés posées par les omissions. Elle
renforce donc la position favorable à l’exclusion des omissions du
champ des mesures éligibles. Notons que la sentence Sea-land fut
l’objet d’une opinion dissidente456, et que cette partie de son dispo
sitif ne connut pas de suite notable dans la jurisprudence de ce tri
bunal.
Il a fallu attendre une sentence rendue par un tribunal sur le fon
dement de la Charte européenne de l’énergie (ECT) en 2003, pour
retrouver cette ligne marginale. Dans l’affaire Petrobart c. Kirghizis-
tan 457, le tribunal a déclaré qu’il n’y avait pas eu d’expropriation
indirecte malgré le préjudice grave subi par l’investisseur. La société
Petrobart s’était plainte de plusieurs mesures étatiques qui auraient
conduit à une expropriation progressive de son investissement458.
En rejetant les allégations d’expropriation indirecte, le tribunal a
pris en compte l’intention d’exproprier en ces termes : « Nor does it
appear that the measures taken by the Kyrgyz Government and state authori-
ties, although they had negative effects for Petrobart, were directed specifically
against Petrobart’s investment or had the aim of transferring economic values
from Petrobart to the Kyrgyz Republic »459. Le fait que l’État n’ait pas eu
pour intention d’exproprier l’investisseur a donc constitué un élé
ment d’appréciation pour le tribunal.
456 Dans son opinion dissidente, le juge HOLTZMANN, a considéré que « the critical
question is the objective effect of a government’s acts, not its subjective intention ». Sea-
Land c. Iran, op. cit., note 426, p. 207.
457 Petrobart c. Kirghizistan, op. cit., note 305.
458 Petrobart avait conclu un contrat avec une société publique (KGM) pour la
production et la livraison d’une quantité convenue de gaz à condensation à
un prix fixé à l’avance et de commun accord. Mais rapidement, plusieurs
factures ne furent pas honorées par KGM, et bien que Petrobart ait obtenu un
jugement d’un tribunal local en sa faveur, l’administration obtint la suspension
de l’exécution du jugement, avant que la société publique ne soit mise en faillite.
Les actifs de KGM furent transférés à une nouvelle entreprise, mais en laissant
les dettes à la charge de la première avant de la déclarer en faillite. Le tribunal,
malgré le transfert des seuls actifs, a estimé que l’investisseur détenait encore
ses droits dans la procédure de faillite. Cette conclusion est douteuse au regard
du fait que tous les biens de la société ayant été transférés au préalable, la mise
en faillite de KGM ne laissait aucune possibilité à ses créanciers de recouvrer
leurs créances.
459 Petrobart c. Kirghizistan, op. cit., note 305, p. 77.
146
Parmi les auteurs, rares sont ceux qui ont récemment défendu
explicitement le critère de l’intention d’exproprier460. K. A. Byrne461
a proposé dans un article récent de débarrasser l’intention d’expro
prier de sa nature subjective, pour en faire un critère de qualification
opérationnel. Partant de l’analyse du contentieux de l’expropriation
devant les tribunaux nationaux dans l’espace du Commonwealth462,
l’auteure a conclu que c’est l’intention d’exproprier qui permet de
reconnaitre toute expropriation directe (intention explicite) ou
indirecte (intention implicite)463. Il est vrai, comme elle le note,
que certaines affaires souvent citées par la doctrine majoritaire
n’écartent pas le critère de l’intention de l’État comme étant absolu
ment inutile. Par exemple, dans l’affaire Tippetts, il est indiqué que
l’intention de l’État est moins importante que l’effet de la mesure ;
ce qui laisse supposer que le premier peut avoir un rôle secondaire
à jouer. Elle se fonde également sur l’absence de preuve quant à la
nature coutumière du rejet du critère de l’intention d’exproprier464 ;
rappelant ainsi l’incertitude entourant la définition « coutumière »
de l’expropriation indirecte. Malgré ces arguments défendables, le
raisonnement dans son ensemble n’est pas convaincant. D’abord,
parce que l’intention d’exproprier, malgré les efforts de rationali
sation de l’auteure, est encore entourée d’une grande subjectivité
et impose une incursion dans les motivations de l’État465. Ensuite, et
surtout, K. A. Byrne semble faire de la gravité même du préjudice,
un indice d’évaluation de l’intention d’exproprier. Autrement dit,
plus le dommage subi est grand, plus il faut y voir une volonté éta
tique d’atteindre un tel résultat. Or, faire dépendre le contenu de la
motivation d’une mesure au résultat qu’elle produit revient simple
ment à ôter tout intérêt à la recherche de cette motivation.
En conclusion, pour la majorité des tribunaux arbitraux, la quali
fication d’une expropriation indirecte n’est pas tributaire de l’exis
tence d’une volonté de contourner la règle de l’expropriation directe.
Cette dernière est focalisée sur le préjudice subi par l’investisseur. Si
donc, l’intention d’exproprier est présente dans une expropriation
147
directe, il ne s’agit pas pour autant d’un critère essentiel du rapport
d’équivalence, pour les mesures verticales, et encore moins pour les
mesures horizontales d’expropriation indirecte. Toutefois, la pré
sence d’une intention d’exproprier ou de nuire peut constituer une
preuve facilitant l’appréciation des faits par le tribunal. Cela dit, il ne
faudrait pas confondre l’intention d’exproprier avec l’intérêt public
poursuivi par la mesure. Si généralement, un État décide d’expro
prier parce qu’il poursuit un intérêt public, le contraire n’est pas for
cément vérifié. Un État peut poursuivre un intérêt public en édictant
une mesure, sans avoir cherché à exproprier ou même à nuire à des
intérêts privés. Quoi qu’il en soit, les tribunaux réservent le même
sort aux deux éléments. L’intérêt public poursuivi par la mesure est
également inopérant.
466 Pour une étude détaillée de ces critiques, voir N. BOHREN, « Investor-
State arbitration : overview of criticisms directed at the ICSID », in Aktuelle
Entwicklungen des europäischen und internationalen Wirtschaftsrechts. –
Neuwied [etc.] : H. Luchterhand ; Basel ; Genf [etc.] : Helbing & Lichtenhahn,
2006, 8, pp. 1-57. Voir aussi, N. Bernasconi-Osterwalder et al., Investment Treaties
and Why They Matter to Sustainable Development : Questions and answers, op. cit., note
32, pp. 44-42.
148
cus curiae, en passant par l’impartialité des arbitres467. Toutefois, de
notables évolutions sont en cours sur la transparence des procédures
au niveau du CIRDI ou du règlement CNUDCI468.
En second lieu, les arbitres ne sont pas habilités en droit interna
tional à juger du bien-fondé de ce qui constitue un « intérêt public »
pour un État. Le droit international accorde en effet un pouvoir dis
crétionnaire aux États sur ce point. Ainsi, même le juge communau
taire qui semble avoir plus de pouvoir qu’un arbitre statuant sur le
fondement d’un TBI pour s’immiscer dans l’appréciation de l’inté
rêt public d’un État, exprime une grande déférence : « because of their
knowledge of their society and its needs, the national authorities are in prin-
ciple better placed than the international judge to appreciate waht is “in the
public interest (…)” »469.
Par ailleurs, les dispositions mêmes des TBI qui fondent géné
ralement la compétence des tribunaux constituent déjà un frein
à un jugement de valeur sur l’intérêt public d’un État signataire.
Dans la célèbre sentence Texaco/Calasiatic c. Lybie, l’arbitre unique
R.-J. Dupuy a estimé « devoir considérer le gouvernement libyen
comme ayant agi selon l’appréciation qu’il fait souverainement des
intérêts du pays »470. C’est en ce sens également qu’un auteur s’est
demandé si « soumettre la mesure à cet examen n’est […] pas empié
ter sur la souveraineté en bornant la faculté discrétionnaire d’ap
précier la nécessité et l’urgence de son exercice, dont seul l’État est
titulaire ? »471. Plus récemment, dans la sentence Tecmed c. Mexique,
les arbitres avaient expliqué leurs abstentions par le fait que la pers
pective dans laquelle se situait un tribunal arbitral constitué sur le
fondement de l’ALENA était différente de celle d’un juge interne :
« its [the tribunal] function is to examine whether the resolution violates
the agreement in light to its provisions and of international law »472. Par
conséquent, peu importe que la mesure en cause poursuive un but
conforme et légitime au regard du droit interne de l’État hôte, elle
doit avant tout être conforme au traité de protection des investisse
149
ments. Un autre tribunal a également considéré que les TBI « cannot
prevent a country from pursuing its own economic choices. (…) ICSID tribu-
nals cannot pass judgment on whether such policies are right or wrong. Judg-
ment can only be made in respect of whether the rights of investors have been
violated »473. Ce faisant, le tribunal a conclu que les mesures générales
prises par l’Argentine n’entraient pas, en principe, dans sa compé
tence. Néanmoins, il a retenu sa compétence en ce qui concerne les
mesures contractuelles spécifiques prises à l’égard des investisseurs
sur le fondement des mesures d’ordre général474.
L’arbitre ne veut pas s’immiscer dans le contrôle de l’intérêt public
de l’État et prend acte de l’intérêt public invoqué par l’État, sauf cas
de détournement grossier et manifeste. Mais il écarte l’intérêt public
du processus de qualification de l’expropriation indirecte. Autre
ment dit, l’État définit librement ses objectifs et ses intérêts publics,
mais ce choix n’engage pas l’arbitre dans l’appréciation des mesures
prises pour les atteindre. Il est vrai que chaque État pourrait tou
jours justifier tous ses actes par un intérêt public, tandis que l’arbitre
ne peut pas juger de l’opportunité de tel ou tel intérêt public. Le
tribunal dans l’affaire Vivendi II c. Argentine, avait ainsi résumé cette
crainte : « if public purpose automatically immunizes the measure from being
found to be expropriatory, then there would never be a compensable taking for
a public purpose »475.
Cependant, s’inspirant de la jurisprudence de la CEDH, un tri
bunal CIRDI a procédé à un contrôle de l’intérêt public, par une
voie qui permet en effet d’encadrer les prétentions de l’État, sans
pour autant remettre directement en cause sa souveraineté. Dans la
sentence Tecmed c Mexique, le tribunal a regardé de plus près l’intérêt
public invoqué par l’État mexicain pour ne pas renouveler un permis
de construire. Il était évident que dans le litige, des considérations
politiques avaient guidé le comportement des autorités locales. Mais
en procédant à cet examen, le tribunal s’est limité à un contrôle de
proportionnalité tout en réaffirmant la déférence due à l’État dans
ce domaine476.
Toutefois, la déférence de l’arbitre envers l’État ne peut justifier à
elle seule l’exclusivité du critère de l’effet. Un autre argument pèse
d’un poids considérable.
150
dans les traités de protection des investissements. Elle n’exonère pas
l’État d’accueil d’indemniser l’investisseur lésé. Par conséquent, ce
n’est pas parce qu’une mesure étatique poursuit un intérêt public
que celle-ci ne sera pas qualifiée d’expropriation indirecte donnant
droit à indemnisation. Au contraire, c’est parce que c’est une expro
priation indirecte, qu’elle doit viser un intérêt public et être accom
pagnée d’une indemnisation pour être licite. En plus, dans tous les
cas d’expropriations avérées, licites ou illicites, une indemnisation
est due.
Dans la sentence Phelps Dodge c. Iran, les arbitres ont signifié que
bien qu’ils comprennent les enjeux financiers, économiques et
sociaux ayant inspiré la mesure, « those reasons and concerns cannot
relieve the respondent of the obligation to compensate Phelps Dodge for its
losses »477. En l’espèce, l’Iran invoquait des mesures de sauvegarde
prises pour éviter la fermeture d’une usine et pour assurer aux tra
vailleurs locaux le paiement de leurs salaires ainsi que le recouvre
ment des dettes de l’entreprise dues à l’État iranien, après que les
dirigeants américains aient fui le territoire à la suite de la révolution.
C’est également le rejet de l’intérêt public comme critère de défi
nition qui a conduit à l’affirmation controversée dans la sentence
Metalclad c. Mexique, selon laquelle : « the Tribunal need not decide or
consider the motivation or intent of the adoption of the Ecological Decree »478.
Pour certains auteurs, la protection contre l’investisseur serait illu
soire, si la légitimité de la mesure en cause devait exclure une telle
qualification479.
En conclusion, le but d’intérêt public poursuivi par la mesure appa
raît doublement inopérant dans la jurisprudence, du fait des prin
cipes encadrant la compétence des arbitres, mais aussi du régime
juridique de l’expropriation. Pourtant, nous sommes d’avis que l’in
térêt public peut et doit jouer un rôle. En effet, ce n’est pas parce que
l’intérêt public ne peut être pris en soi comme critère de définition
de l’expropriation indirecte, qu’il faut renoncer à toute considéra
tion sur les raisons ayant amené les autorités à prendre la mesure liti
gieuse. En effet, dans le cadre de la distinction fondamentale propo
sée entre mesures verticales et mesures horizontales, le rejet complet
et définitif de l’intérêt public est problématique. En cas de mesure
verticale, le but de l’édiction de la mesure est de porter atteinte à
l’intégrité de l’investissement, quel que soit l’intérêt public avancé
comme justification. Le but d’intérêt public se greffe à l’objectif d’at
teindre l’investissement. Cela signifie que la réalisation de l’intérêt
public passe nécessairement et directement par le préjudice causé à
l’investisseur. Concrètement, et pour paraphraser G. Fouilloux, on
peut dire : « ce n’est pas la nature des terrains qui entraîne l’expropriation,
151
mais l’intérêt public qu’il y a d’agrandir un jardin ou une ville, de construire
un canal ou une voie de communication (…)»480. Par contre, dans une
mesure horizontale, l’intérêt public poursuivi par la mesure est exté
rieur à l’investisseur. Ce but existe de manière autonome, sans lien
direct avec l’existence de l’investissement. Par conséquent, il est nor
mal que les considérations d’intérêt public ayant guidé l’édiction de
la mesure n’ajoutent rien à l’analyse lorsque la mesure litigieuse est
verticale. Mais elles pourront constituer un paramètre de premier
plan lorsque la mesure litigieuse est horizontale.
Dans la pratique arbitrale cependant, seul le préjudice subi
par l’investisseur constitue le critère d’appréciation de l’équivalence,
quel que soit le type de mesure étatique en cause.
152
Le niveau de gravité du préjudice ressort clairement des expres
sions utilisées dans les sentences arbitrales, telles que : rights rendered
so useless that they must be deemed to have been expropriated 483; a company
with assets, but without business484 ; a lasting removal of the ability of an
owner to make use if its economic rights485 ; radically deprived of the eco-
nomic use and enjoyment of its investments, as it the rights related thereto
(…) has ceased to exist 486 ; effectively neutralize the benefit of the property487 ;
Investor no longer be in control of its business operation, or that the value
of the business have been virtually annihilated 488 ; a substantially complete
deprivation of the economic use and enjoyment of the rights to the property,
or of identifiable distinct part thereof (i.e. it approaches total impairment) 489;
Expropriation require a strong interference 490 ; devastating effect on the eco-
nomic viability of the concession 491 ; « although the right in question lost some
of its substance, it did not disappear »492; the affected property must be impai-
red to such extend that it must be seen as taken 493 ; expropriation requires a
substantial deprivation 494 ; substantial deprivation of the entire investment
or substantial part of the investment 495 ; give rise to a substantial decrease of
the value of the investment 496 ; covert or incidental interference with the use of
property which has the effect of depriving the owner, in whole or in significant
part of the use 497 ; la disparition (…) sinon d’un titre de propriété, du
moins de la jouissance de ladite propriété ou de l’accès à celle-ci498.
De cet aperçu, les termes comme « radical », « complet », « neutrali
sation », « anéantissement », « dévastation », « inutilité », « destruction
totale », « disparition », ne laissent pas de place à l’ambiguïté : il ne
doit rien subsister ou presque de la valeur économique de l’investisse
ment. Mais on trouve aussi des termes comme, « excessif », « significa
tif », ou « fort », qui renvoient également à une certaine intensité, tout
en laissant subsister quelques interrogations. Faut-il évaluer la perte
en valeur absolue par le biais d’un pourcentage de la part détruite
dans la valeur totale du bien ? Et jusqu’à quel degré ? La moitié, les
153
3/4 ou 90 % ? Ou faut-il plutôt procéder à une comparaison avec un
étalon de mesure extérieur qui désignerait le seuil d’une atteinte
inacceptable ? Dans ce cas, où poser cet étalon de mesure ? Ces pré
occupations semblent ne pouvoir trouver de réponse que dans une
appréciation au cas par cas. Ainsi, il reviendra à l’arbitre d’apprécier
pour chaque situation si le préjudice est « substantiel » ou non, au
regard des facteurs qui lui semblent pertinents.
Par exemple, Dans Pope & Talbot, le tribunal a refusé de prendre
en compte une simple perte de bénéfice comme un préjudice de
degré élevé. Il a constaté en effet que l’investisseur continuait à
exporter des produits en quantité suffisante et à tirer de substantiels
profits de ces ventes499. De même dans l’affaire Feldman c. Mexique,
où le tribunal n’a pas conclu à un préjudice substantiel en se fon
dant sur le constat que l’investisseur demeurait « free to pursue other
continuing lines of export trading, (…), although he is effectively precluded
from exporting cigarettes »500. Dans la même ligne, le tribunal dans l’af
faire Nykomb c. Lettonie a considéré que la retenue d’une partie de la
somme due en paiement à un investisseur n’avait pas complètement
anéanti l’activité car « the payment of 0.75 rather than 2.00 of the tariff
does not result in the investment becoming worthless. The Claimant itself
admits that the pay-back time is only lengthened »501.
Comme conséquence de l’exigence d’un préjudice substantiel,
les tribunaux rejettent les dommages de moindre gravité. Ainsi, les
requêtes frivoles et abusives sont à écarter. Les restrictions mineures,
les simples désagréments administratifs et autres interférences moins
importantes ne peuvent constituer une expropriation indirecte. De
même, une activité rendue seulement plus difficile, mais pas impos
sible ne sera pas prise en compte comme une expropriation indi
recte. Comme le rappelait la sentence LG&E c. Argentine « interference
with the investment’s ability to carry on its business is not satisfied where
the investment continues to operate, even if profits are diminished »502. Cela
est justifié par le fait que le risque fait partie intégrante de l’inves
tissement. L’investisseur est en effet soumis aux aléas économiques,
car « aucune entreprise […] ne peut échapper aux éventualités et
aux risques qui sont le résultat des conditions économiques géné
rales »503. Tout opérateur économique peut s’attendre à des périodes
fastes et néfastes dans l’évolution de ses activités. Lorsque les diffi
499 Pope & Talbot c. Canada, op. cit., note 300, § 102. Voir aussi Sea-Land, op. cit., note
426, p. 167. Dans cette affaire, le tribunal irano-américain a refusé de considérer
comme une interférence grave, un refus d’autorisation de conversion de la
monnaie locale en dollar américain d’une somme déposée dans une banque
iranienne.
500 Feldman c. Mexique, op. cit., note 34, § 152.
501 Nykomb c. Lettonie, op. cit., note 413, § 4.3.1, p. 33.
502 LG&E c. Argentine, op. cit., note 114, § 191.
503 Oscar Chinn, op. cit., note 105, p. 73.
154
cultés résultent des règlementations étatiques, mais qu’elles ne sont
pas insurmontables pour un opérateur économique avisé, l’investis
seur devra trouver les moyens de les anticiper ou d’y faire face. Ainsi,
un tribunal a considéré que « the very reality of conduct tantamount to
expropriation is doubtful in the absence of a reasonable – not necessarily
exhaustive – effort by the investor to obtain correction »504.
Mais une fois que sa gravité est avérée, le préjudice doit être égale
ment définitif.
155
tion. Le facteur temporel fut aussi un élément d’appréciation, parmi
d’autres, dans l’affaire Oscar Chinn devant la CPJI. La cour n’a pas
considéré comme étant une dépossession, les effets d’un décret
ministériel octroyant une sorte d’avance sur trésorerie à une entre
prise publique concurrente de l’investisseur, bien qu’elle fût renou
velable512. En outre, un tribunal peut requalifier une mesure présen
tée comme temporaire par l’État d’accueil, en mesure permanente
dès lors que les circonstances montrent clairement qu’elle ne sera
pas retirée dans à l’avenir513.
Cette flexibilité dans l’appréciation de la durée d’application de
la mesure préjudiciable a conduit le tribunal dans l’affaire RFCC
c. Maroc a statué que « s’il n’est pas nécessaire que cette disparition
(…) soit permanente, une mesure temporaire doit alors avoir des
conséquences substantielles équivalentes à une perte définitive. La
récupération du titre de propriété ou de l’accès à celui-ci ne replace
pas le propriétaire dans sa situation initiale (…) »514. En définitive,
ce n’est pas la durée de la mesure en soi qui importe, mais la durée
de ses effets handicapants sur l’investissement, autrement dit son
caractère irréversible. Cela signifie que la durée d’application de
la mesure doit être suffisamment longue pour que, même si celle-
ci est retirée par la suite, l’investisseur ne puisse plus raisonnable
ment continuer son activité. Seule une approche au cas par cas peut
déterminer le caractère irréversible ou non d’une dépossession subs
tantielle. La flexibilité dans l’appréciation de la durée nécessaire à
l’avènement d’un préjudice substantiel est parfaitement justifiée. En
effet, chaque situation est unique. Ainsi une annulation de permis
d’exploitation produira immédiatement un dommage considérable
et irréversible. Alors qu’une prise de contrôle temporaire d’une
société étrangère par la nomination forcée d’un administrateur
national peut faire partie d’une longue stratégie pour prendre pos
session de l’investissement.
Dans le contentieux du tribunal irano-américain, les nominations
forcées d’administrateurs par le gouvernement iranien dans des entre
prises contrôlées par des Américains et présentées comme provisoires
furent qualifiées d’expropriations indirectes. Toutefois, il faut préci
ser que les nominations temporaires d’administrateurs ne sont pas en
soi des expropriations indirectes tant qu’elles ne s’accompagnent pas
d’une négation des droits de participation aux décisions et à la gestion
156
de l’entreprise. En effet, ce n’est pas la nomination en elle-même qui
cause le préjudice, mais bien les agissements ultérieurs des représen
tants étatiques dans la gestion de l’entreprise. Il faut que cette gestion
ait conduit à priver l’investisseur du contrôle effectif de son entre
prise515. L’affaire Tippetts, à propos d’un projet de construction d’un
aéroport, constitue à ce titre un exemple intéressant516. Bien qu’au
départ la nomination d’un administrateur fut effectuée avec l’accord
de l’investisseur, ce dernier constata rapidement que le nouveau gérant
assumait des pouvoirs de direction sur la société et pouvait engager
l’entreprise sans se référer ou obtenir l’accord de la partie américaine
(contrairement à l’accord de partenariat). Finalement, le gérant cessa
toute communication et n’impliqua plus le partenaire américain dans
la direction de l’entreprise et l’évolution du projet de construction. Le
tribunal a alors considéré au regard des faits, que « while assumption of
control over the property by a government does not automatically and immedia-
tely justify a conclusion that the property has been taken by the government (…),
such a conclusion is warranted whenever events demonstrate that the owner was
deprived of the fundamental rights of ownership and it appears that its depriva-
tion is not merely ephemeral »517. Bien avant la jurisprudence du tribunal
irano-américain, l’examen d’affaires portées devant des commissions
mixtes de réclamations ou des juridictions internes avait permis à un
auteur de parvenir à la même conclusion. Ainsi, pour B. H. Weston,
les affaires où le plaignant invoquait la mise sous « administration éta
tique » de son entreprise n’étaient pas en soi des expropriations indi
rectes518. Il fallait pour cela que certaines conditions soient réunies et
notamment que la désignation des gérants locaux temporaires ait eu
pour seul but de liquider l’entreprise, ou que l’investisseur se soit vu
refuser la reprise de la gestion de son entreprise alors que la situation
n’exigeait plus la mainmise de l’État519. En somme, dans les cas de
nominations forcés de gérants locaux, y compris pour des raisons légi
times de sauvegarde d’intérêts sociaux et financiers (emplois, dettes),
la gestion ne devra ni perdurer au-delà du temps nécessaire, ni priver
l’investisseur de ses droits de participation dans les processus de déci
sions et de perception des dividendes éventuels520. Notons enfin, avec
515 C’est le cas lorsque ce dernier ne reçoit plus aucun dividende de l’entreprise (y
compris ceux qui avaient été engrangés avant la prise de contrôle par l’État),
qu’il n’a aucune information sur les affaires courantes de l’entreprise, et ne
dispose d’aucune opportunité pour participer aux rencontres du comité de
direction ou des actionnaires.
516 Voir aussi, Starrett Housing, op. cit., note 90, p. 156.
517 Tippetts, op. cit., note 89, p. 225. Voir aussi l’affaire Foremost, op. cit., note 314,
dans laquelle la compensation ne fut pas accordée sur le fondement d’une
expropriation, mais d’une « mesure affectant la propriété ».
518 B. H. WESTON, op. cit., note 36, pp. 153-170.
519 Ibidem, pp. 163-165.
520 Pour des affaires où la nomination d’administrateur temporaire ne fut pas qua
lifiée d’expropriation, voir Eastman Kodac, op. cit., Iran-US CTR, vol. 37, 2003,
157
le tribunal irano-américain dans Sea-Land, que la date de l’expropria
tion survenue par le biais d’une prise contrôle, devra être fixée dès le
moment où il a été prouvé que suite à la nomination d’un administra
teur « temporaire », il n’y avait plus d’espoir raisonnable d’une reprise
du contrôle par l’investisseur étranger521.
L’affirmation du principe de l’atteinte substantielle et irréversible
ne suffit pas véritablement à faire le tour de la question. Les défini
tions mentionnées sont de l’ordre des généralités et des déclarations
de principes. Elles sont donc appropriées aux situations évidentes.
Mais entre l’anéantissement et le simple désagrément administratif,
il existe une zone grise qui rend l’interprétation plus délicate. Pour
y faire face, certains tribunaux ont cru devoir apporter une certaine
flexibilité au principe de l’atteinte substantielle et irréversible.
p. 153 et s., et Motorolla Inc. c. Iran National Airline Corp., 28 juin 1988, Iran-US
CTR, vol. 19, p. 73 et s. Pour un commentaire critique de ces décisions, voir
G. H. ALDRICH, op. cit., note 87, pp. 182-184.
521 Sea-Land, op. cit., note 426, pp. 278-279.
522 SD Myers c. Canada, op. cit., note 269, § 283.
523 Nous ne partageons pas l’analyse du tribunal lorsqu’il a conclu à une
expropriation partielle des sommes dues à l’investisseur par la municipalité
mexicaine aux termes d’un contrat, alors que l’activité de l’entreprise n’était
pas compromise dans son ensemble. Voir Waste Management II c. Mexique, op. cit.,
note 99, § 163.
524 Ibidem, § 141.
158
tel niveau de préjudice si l’investissement n’est pas anéanti ou ne
présente plus aucune valeur économique ? Comment un préjudice
partiel peut-il rendre la détention de l’ensemble des droits inutiles ?
Certes, l’atteinte d’un seul élément du droit de propriété peut, selon
le type d’investissement en cause, rendre impossible toute activité
future. Mais il s’agira alors d’une atteinte totale faisant suite au pré
judice causé à une composante de l’investissement. D’ailleurs, dans
l’affaire SD Myers c. Canada, le tribunal après avoir admis l’hypothèse
d’une dépossession partielle, s’est pourtant refusé à voir dans une
simple baisse de profits n’ayant pas entraîné la faillite de l’entreprise,
une expropriation indirecte, même partielle525.
À notre avis, admettre des atteintes partielles revient à admettre
des atteintes non substantielles, dans le sens d’une « détention des
droits devenue inutile ». Mais l’hypothèse n’est pas clairement écar
tée par tous les tribunaux.
159
applications particulières tenant compte des faits, des prétentions
des parties ou de la manière dont les plaidoiries sont menées et les
preuves présentées devant le tribunal. Quant au fait que parfois les
arbitres retiennent ou rejettent des allégations d’expropriations indi
rectes quasiment sans démonstration, l’explication pourrait résider
dans ce que certaines affaires ne présentent pas de réelles ambiguï
tés. En effet, lorsqu’une activité est devenue simplement impossible à
réaliser, il est facile d’y voir une expropriation indirecte.
Malgré ces limites, une ligne générale peut être dégagée. Ainsi,
certains facteurs de vérifications de la gravité du préjudice subi par
l’investisseur reviennent régulièrement dans les observations des tri
bunaux. Il s’agit de ce qui est dénommé ici le test Pope & Talbot, du
nom de la principale sentence qui l’a formalisé. Le tribunal arbitral
dans cette affaire, pour évaluer à quel point l’investissement avait
été compromis, a pris en compte plusieurs éléments en ces termes :
« the Investor remains in control of the Investment, it directs the day-to-day opera-
tions of the Investment, and no officers or employees of the Investment have been
detained by virtue of the Regime. Canada does not supervise the work of the officers
or employees of the Investment, does not take any of the proceeds of company sales
(apart from taxation), does not interfere with management or shareholders’ acti-
vities, does not prevent the Investment from paying dividends to its shareholders,
does not interfere with the appointment of directors or management and does not
take any other actions ousting the Investor from full ownership and control of the
Investment »527.
527 Pope & Talbot c. Canada, op. cit., note 300, § 100.
528 CMS c. Argentine, op. cit., note 113, § 263.
529 LG&E c. Argentine, op. cit., note 114, § 188 .
530 Sempra c. Argentine. op. cit., note 3, § 284.
531 Suez InterAgua c. Argentine, op. cit., note 34, § 129.
532 PSEG Global Inc. and Konya Ilgin Elektrik Üretim ve Ticaret Limited Sirketi c. Turquie
(ARB/02/5), sentence CIRDI du 19 janvier 2007, § 278.
533 Marvin Feldman c. Mexico, op. cit., note 34, § 152.
160
comme la première affaire rendue dans le cadre de la Charte euro
péenne de l’énergie, reprennent les mêmes facteurs, mais sans citer
de références : « in the present case, there is no possession taking of Windau
or its assets, no interference with the shareholder’s rights or with the manage-
ment’s control over and running of the enterprise (…) »534. En clair, pour
la plupart des tribunaux, la liste de facteurs élaborés dans Pope &
Talbot c. Canada est « representative of the legal standard required to make a
finding of indirect expropriation »535.
En examinant de près ces facteurs de vérification, on est frappé par
la ressemblance avec des faits déjà portés auparavant devant d’autres
tribunaux arbitraux, et notamment le tribunal irano-américain insti
tué en 1981536. Dans les affaires comme Starrett Housing, Tippetts, Sedco,
ou Phelps Dodge, l’investisseur se plaignait justement d’avoir perdu la
conduite quotidienne de son entreprise à cause de la désignation for
cée d’un administrateur local, ou d’avoir perdu l’accès à ses dividendes
ou son droit de vote en tant qu’actionnaire au sein d’une société pas
sée sous le contrôle de l’État iranien, ou encore d’avoir été contraint
physiquement à quitter l’Iran. Or, tous ces éléments se retrouvent dans
les observations du tribunal dans la sentence Pope & Talbot c. Canada.
À partir de là, on peut donc raisonnablement établir que la ligne ins
tituée par la sentence Pope & Talbot est directement inspirée des faits
portés devant le tribunal irano-américain. Si l’on s’accorde sur ce
point, la première conséquence est que ces facteurs de vérifications
furent conçus pour les formes de dommages causés par des mesures
verticales. En effet, le contentieux du tribunal irano-américain consti
tue l’une des meilleures illustrations de mesures verticales d’expro
priation indirecte. Et même en ouvrant la perspective au-delà de ce
tribunal, les situations qui coïncident avec cette liste de facteurs de
vérification sont bien des mesures verticales.
En règle générale, les tribunaux constatent brièvement que ces fac
teurs sont présents ou pas. Il est vrai qu’un exposé détaillé est quasi
ment inutile dans le cas des mesures verticales. Il suffit de constater
que l’investissement n’existe plus matériellement pour son déten
teur. Seuls les cas de prise de contrôle par le biais de la nomination
d’administrateurs requièrent une investigation plus importante,
dans la mesure où le tribunal irano-américain a exigé la preuve que
la gestion de l’administrateur ait effectivement privé l’investisseur de
534 Nykomb c. Lettonie, op. cit., note 413, § 4.3.1, p. 33. Voir dans le même sens la
sentence Azurix c. Argentine, op. cit., note 115, § 322, dans laquelle le tribunal
a conclu que « Azurix did not lose the attributes of ownership, at all times continued
to control ABA and its ownership of 90 % of the shares was unaffected. No doubt the
management of ABA was affected by the Province’s actions, but not sufficiently for the
Tribunal to find that Azurix’s investment was expropriated ».
535 Enron Corporation and Ponderosa Assets, L. P. c. Argentina, op. cit., note 3, § 245.
536 On pense aussi aux sentences rendues par des tribunaux ad hoc comme Biloune
c. Ghana, op. cit., note 69, ou Lena Goldfiels c. URSS, op. cit., note 65.
161
ses droits au sein de l’entreprise. Mais, pour ce qui est de la grande
majorité des mesures verticales, qu’il s’agisse d’un retrait ou d’une
annulation de permis d’exploitation indispensable à l’activité d’in
vestissement, d’une saisie ou destruction des locaux et du matériel,
ou de l’expulsion pure et simple de l’investisseur hors du territoire
national, l’appréciation de la gravité du préjudice relève quasiment
du bon sens. Ces facteurs de vérifications ayant été conçus pour les
mesures verticales, ils leur sont donc parfaitement adaptés. Il en va
autrement des mesures horizontales.
Si, pour les mesures qui touchent les droits de l’investisseur dans
leur intégrité sans retirer formellement le titre de propriété, le test
Pope & Talbot est approprié, il faudrait un autre test pour les mesures
horizontales qui ne touchent pas l’investissement dans son existence
même, mais dans sa capacité à être viable et à générer des béné
fices. En effet, le mode de destruction des investissements n’est pas le
même selon que l’on est face à une mesure verticale ou à une mesure
horizontale.
La mesure horizontale type ne touche pas directement une préro
gative juridique rattachée à un droit ou un bien corporel. Avec une
mesure horizontale qui modifie seulement l’environnement dans
lequel évolue un investissement, l’investisseur, très souvent, garde le
contrôle et la direction de son investissement. Il peut encore l’alié
ner et il a libre accès aux bénéfices générés par ses activités. Sur ce
dernier point, précisons que l’incapacité de jouir des bénéfices de
son investissement ne se confond pas avec l’incapacité d’un inves
tissement à produire des bénéfices. Les mesures verticales corres
pondent souvent à la première hypothèse (exemple d’un bailleur
d’immeubles qui n’a plus accès aux loyers perçus pour cause d’impôt
exorbitant), alors que les mesures horizontales correspondent géné
ralement à la seconde hypothèse (exemple d’une usine qui n’a plus
accès à une matière première désormais interdite à la vente sur le
territoire national, et cesse alors toute production). Dans le premier
cas, le bénéfice existe, mais il est hors de portée de l’investisseur.
Dans le second cas, l’investisseur a virtuellement accès à un béné
fice qu’il n’est plus en mesure de produire. Quelques rares sentences
semblent cependant avoir perçu la différence. Ainsi, dans l’affaire
Waste Management II c. Mexique, le tribunal a reconnu que : « the reason
Waste Management withdrew from Acapulco was not because (…) because its
activity as a whole had been blocked, (…) but because (…) the operation was
persistently uneconomic »537.
162
Parce que le dommage ne survient pas selon les mêmes modali
tés, les facteurs de vérification ne peuvent donc pas être les mêmes.
Ce que l’investisseur invoque dans une expropriation par mesure
horizontale, c’est le fait qu’il ne lui est plus possible de tirer une
quelconque valeur économique de son activité dans un nouvel envi
ronnement économique ou juridique, bien qu’il détienne le titre de
propriété, et bien qu’il garde le contrôle de son investissement. Dans
ces conditions, exiger de l’investisseur qu’il prouve un préjudice de
l’ordre de celui qui survient par une mesure verticale revient à lui
fermer l’accès à l’indemnisation, faute de preuves du préjudice.
538 Alors que des centaines de plaintes pour expropriations indirectes ont été
portées devant les tribunaux arbitraux depuis le tribunal irano-américain, le
nombre de sentences favorables à l’investisseur se compte sur le les doigts de
la main. Dans un ouvrage récent, A NEWCOMBE & L. PARADELL, op. cit.,
note 98, pp. 346-347, ont relevé 7 qualifications positives dans l’ensemble des
sentences rendues sur le fondement de traités de protection des investissements
publiés.
539 Pour M. FRIEDMAN et autres, « International Arbirtration », International Law
Journal, 2007, vol. 41, pp. 280-281, « one could argue that the failed expropriation
claims in (…) arbitrations demonstrate investor-state arbitral tribunal’s wariness of
indicating state responsibility under that traditional international law delict ».
540 Toutefois, le traitement juste et équitable semble devenir un standard de
protection refuge en lieu et place de l’expropriation indirecte. Les investisseurs
invoquent avec plus de succès la violation de cette clause.
163
le moment pourrait venir où les arbitres appliqueront les facteurs
de vérification qu’ils jugeront mieux appropriés aux mesures hori
zontales, alors même que leurs critères de qualification demeurent
encore larges ou au moins entourés d’une grande incertitude. Le
nombre de requêtes d’expropriation indirectes accueillies favorable
ment par les tribunaux pourrait alors augmenter sensiblement.
À ce propos, un certain malaise peut être relevé dans les sentences
arbitrales, y compris parmi celles qui ont le plus clairement opté
pour le critère du seul effet. Dans l’affaire SD Myers c. Canada, le tri
bunal a évoqué furtivement dans son interprétation de l’article 1110
ALENA (expropriation), un autre critère à savoir le but de la mesure.
Il a en effet accepté que « in legal theory, rights other than property rights
may be “expropriated” and that international law makes it appropriate for
tribunals to examine the purpose and effect of governmental measures »541.
Bien qu’ayant cité le but de la mesure, aucune conséquence pratique
n’a été tirée de cette affirmation dans la suite de la sentence. Pour
quoi alors, les arbitres ont-ils néanmoins ressenti le besoin de rele
ver ce critère souvent rejeté dans le processus de qualification de
l’expropriation indirecte ? Doit-on juste y voir un terme qui se serait
glissé par inadvertance dans le texte ? Il est plus probable, comme le
laisse d’ailleurs supposer un membre du tribunal dans son opinion
concurrente542, que les arbitres aient voulu d’une certaine manière
se prémunir contre les critiques que susciterait la prise en compte
exclusive de l’effet préjudiciable, dans l’une des premières affaires
ALENA sur une mesure environnementale.
Par ailleurs, on peut se demander si ces facteurs de vérification du
préjudice n’ont pas été largement reçus dans la jurisprudence en rai
son de ce résultat finalement commode. Bien évidemment, non pas
parce que les arbitres chercheraient ainsi à atteindre un résultat par
ticulier. Mais parce que l’application de critères inappropriés permet
au final de masquer les lacunes de la doctrine du seul effet pour la
catégorie de mesures horizontales. Il est vrai que cette doctrine offre
des avantages certains. Elle a la capacité de couvrir toutes les formes
possibles de dépossessions, y compris celles qui se dissimulent der
rière l’arbitraire ou les manœuvres déguisées de l’État. Cependant,
à trop vouloir enserrer la réalité, elle risque d’attirer dans le champ
de l’expropriation indirecte, des situations qui n’en relèvent pas,
même si elles s’y apparentent. La doctrine du seul effet, lorsqu’elle
est rigide et automatique dans son application, peut transformer
l’expropriation indirecte en une clause « attrape tout ».
164
Chapitre 3
165
publique ». Cette notion est en réalité au cœur de la problématique
de cette étude. Une mise en parallèle cursive de la portée juridique
des deux termes laisse déjà entrevoir une profonde incompatibilité.
En droit international coutumier, une mesure d’ordre général non
discriminatoire et prise dans un but d’intérêt public légitime est une
mesure de police qui n’ouvre pas droit à indemnisation malgré son
éventuel impact négatif sur la propriété privée. Dans les traités de
protection des investissements, une mesure étatique qui lèse grave
ment un investissement est une expropriation indirecte devant être
effectuée dans un but d’intérêt public, de manière non discrimina
toire et s’accompagner d’une indemnisation.
Après avoir tenté de saisir ce que recouvre précisément la notion de
« mesure de police », et devoir se contenter d’une définition générale
(section 1), il sera possible de comprendre les enjeux d’une absence
de délimitation adéquate par rapport à l’expropriation indirecte
(section 2). Enfin, l’analyse du principe de distinction entre les deux
notions, aussi largement préconisé qu’il n’est pas appliqué, révélera
les limites de cette solution (section 3).
545 C. LEBEN, « La liberté normative… », op. cit., note 123, p. 177.
166
la mesure de police édictée sur la base des pouvoirs de police (Police
Power) de l’État a connu des développements importants en relation
avec la notion d’expropriation indirecte. On y parle précisément de
« mesures prises en vertu des pouvoirs de police ».
L’influence de la jurisprudence américaine en matière d’expro
priation sur le plan international fut reconnue de longue date, et a
été dénoncée par plusieurs auteurs. Ainsi, on a pu se demander si la
transposition des « principes développés en interprétation de la consti
tution américaine » ne conduirait pas à « importer en droit internatio
nal l’idéologie américaine »546. T. Weiler considère que « while the inter-
national of expropriation may bear something in common with U.S. Taking
jurisprudence, it is not the same thing »547. D’autres estiment simplement
que la doctrine des pouvoirs de police ne peut être transposée dans
le droit international des investissements en raison du statut particu
lier du droit de propriété américain, de l’incertitude qui caractérise
la jurisprudence fédérale, ainsi que du confinement de cette doctrine
aux seuls droits réels de propriété et non à l’investissement internatio
nal548. Ces critiques soulèvent des points pertinents. Peut-on se baser
sur le droit américain en matière de pouvoirs de police, et unique
ment ce droit, alors qu’il s’agit ici d’une étude en droit international
des investissements ? En plus du risque d’être illégitime, cette juris
prudence élaborée dans un contexte interne particulier, est-elle trans
posable en droit international ? Il faut reconnaître, avec deux auteurs
que : « arguments for compensations requirements that are dubious in the US
domestic context become altogether untenable when translated into the interna-
tional sphere. We should therefore proceed with great caution in opening the
door to regulatory expropriations claims »549.
Malgré ces réserves, le fait est que la notion de mesure de police en
droit international des investissements doit beaucoup à la doctrine
des Police power du droit américain, et qu’il est impossible de l’igno
rer. Bien avant que l’on ne parle formellement de mondialisation,
« american investors were exporting capital and American concepts about the
protection of private property abroad »550. Et cela, bien que la conception
546 C. LEVESQUE, op. cit., note 203, p. 52. L’auteur propose que la jurisprudence
américaine soit prise comme un « élément de preuve dans un ensemble plus vaste ».
547 T. WEILER, « A first Look… », op. cit., note 238, p. 186.
548 Voir K. A. BYRNE, op. cit., note 262, p. 103 ; M. SORNARAJAH, op. cit., note 40,
pp. 370-371 et pp. 383-384. Dans le même sens, V. BEEN, op. cit., note 262, p. 50,
considère que « importing a regulatory taking doctrin into NAFTA’s investor protection
provisions allows international arbitrators, who have even less legitimacy, to second-guess
domestic legislative judgments ».
549 V. BEEN, J. C. BAUVAIS, « The global Fith Amendment : NAFTA’s Investment
protections and Misguided Quest for an International “Regulatory Taking”
Doctrine », NYU Env. Law Rev., 2003, vol. 78,
550 B. APPLETON, op. cit., note 262, p. 36. M. SORNARAJAH, op. cit., note 40,
p. 386, rappelle que : « Hegemonic Powers have always sought to transfer their domestic
law into the international sphere. They have had a measure of success in their efforts ».
167
américaine de la propriété et de sa protection551 ne soit pas universel
lement partagée par toutes les législations du monde.
551 Pour une vue générale de la conception américaine du droit de propriété, voir
M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, pp. 383-385.
552 Pour une étude détaillée du droit américain sur cette question, voir J. L. SAX,
« Taking and the Police power », The Yale Law Journal, 1964, vol. 74, n° 1,
pp. 36-76.
553 Voir par exemple, Rith Energy, Inc. c. United States, 270 F.3d 1347, 1352 (Federal
Circuit, 2001). Cité par E. SHENKMANN, « Could Principles of fifth Amendment
Taking Jurisprudence be Helpful in analyzing Regulatory Expropriation Claims
under International Law ? » NYU Environmental Law Journal, 2003, Vol. 11, p. 187.
554 J. L. SAX, op. cit., note 552, p. 36.
168
the owner in the control or use of his property for lawful purposes, nor restrict
his right to dispose to it, but only a declaration by the State that its use by any
one, for certain forbidden purposes, is prejudicial to the public interests »555.
La qualification reposait alors sur un critère qualitatif. La mesure
de police était donc celle qui était prise pour mettre fin à un usage
nocif dans l’intérêt général de la société, et par lequel l’État ne retire
ni le titre de propriété, ni ne l’utilise à ses fins propres. Cette doc
trine pêchait par son trop grand formalisme. Par exemple, il suffit
que l’État rende d’abord une activité illicite par sa règlementation
avant de développer ensuite ses propres activités, au lieu de simple
ment exproprier le propriétaire en lui versant une indemnisation.
De même, une activité qui était licite lors de sa mise en œuvre peut
devenir illicite, sans qu’elle soit à la source de la nuisance qu’elle
constitue désormais au regard de la loi. Ce serait le cas d’une usine
qui, après lotissement de la zone environnante en zone résidentielle,
constitue désormais une nuisance sonore pour les riverains.
La seconde doctrine, développée au début du XXe siècle met l’ac
cent sur un critère quantitatif, c’est-à-dire la gravité du préjudice
subi. Cette thèse est née du constat que l’État ne se contentait plus
de réglementer les activités nocives ou illicites. Il fixait de plus en
plus des objectifs de développement à atteindre qui ne pouvaient se
réaliser que par des mesures actives portant atteinte à des propriétés
privées dont l’usage demeure pourtant inoffensif ou conforme à la
loi. L’interventionnisme effréné de l’État a alors sonné le glas de la
première doctrine. Ainsi, dans la décision Hudson Country Water Co.
c. McCarter, la Cour suprême a considéré que si la propriété affectée
par la mesure était « wholly useless, the right of property would prevail other
the other public interest, and the police power would fail »556. Selon cette
théorie, seuls les « petty larceny of the police power »557 échappent à l’obli
gation d’indemnisation. La mesure de police est donc selon cette
doctrine, la mesure de règlementation publique dont l’incidence est
sans extrême gravité sur l’usage de la propriété privée. La Cour a
eu l’occasion de reconnaitre néanmoins que dans certaines circons
tances exceptionnelles, même une destruction totale de la propriété
pouvait ne pas donner droit à indemnisation, sans cependant établir
précisément ces circonstances.
555 Mugler c. Kansas, 123 U.S. 623 (1887). Cité par J. L. SAX, Ibidem, p. 38.
556 209 U.S. 349, 355 (1908). Cité par J. L. SAX, Ibid, note 552, p. 41.
557 Expression du Juge HOLMES, in Holmes-Laski Letters, Howed éd., 1953, p. 457.
Cité par J. L. SAX, Idid, p. 55.
169
cains n’a pas été uniforme558. Ces derniers, au lendemain de la créa
tion du jeune État fédéral américain, semblaient plus favorables à
une large définition des mesures de police et cela pouvait s’expliquer
par le besoin de construire un État alors pauvre en infrastructures,
mais disposant de moyens financiers limités. Puis, avec le dévelop
pement économique et industriel des États-Unis, la tendance a été
de renforcer la protection constitutionnelle d’un droit de propriété
absolu, tolérant difficilement la notion de mesure de police. C’est
justement à cette époque que les États-Unis, dont les capitaux privés
s’exportaient, ont défendu avec vigueur et constance l’indemnisation
systématique des intérêts privés lésés à l’étranger559. C’est pourquoi
certains auteurs reprochent aux États-Unis d’avoir importé sélective
ment dans la sphère internationale une partie de leur droit interne
relatif à la protection de la propriété privée, c’est-à-dire la théorie de
l’expropriation indirecte indemnisable, sans l’autre versant qui est
celui de la mesure de police non indemnisable560.
En définitive, la Cour suprême américaine a continuellement
appliqué de manière incohérente, la définition qualitative ou quan
titative de la mesure de police, sans développer d’approche claire561.
Ainsi, le critère quantitatif (gravité du préjudice) semble faire
l’unanimité aujourd’hui dans la jurisprudence américaine, même si
le mode d’évaluation du préjudice excessif demeure incertain. Cette
acception de la mesure de police est en adéquation avec le terme de
Regulatory Takings. Ces derniers sont simplement des expropriations
indirectes qui surviennent par le biais de règlementations générales
ayant toutes les caractéristiques d’une mesure de police. Par Regu-
latory Taking, il faut donc comprendre une expropriation indirecte
résultant d’une forme particulière de règlementation. Toutefois, la
jurisprudence américaine n’a pas complètement évacué le critère
qualitatif (nature de la mesure) qui permet à des mesures d’être non
indemnisables malgré la gravité du dommage causé à la propriété.
Mais le repérage de ce type de mesures demeure encore incohérent
dans la pratique des tribunaux. Comme le notait L. J. Sax, la Cour
suprême reconnait elle-même que « “no rigid rules” or “set formula” are
available to determine where regulation ends and taking begins »562. Si le
concept de mesure de police ne bénéficie pas d’une définition uni
voque dans le droit constitutionnel américain, il connaît les mêmes
incertitudes dans le droit international des investissements.
170
B. Le processus de transposition
en droit international des investissements
« a State is not responsible for the loss of property or for the other economic disadvan-
tage resulting from the bona fide general taxation, regulation, forfeiture for crime,
or other action of the kind that is commonly accepted as within the police power of
State, if it is not discriminatory (…) and is not designed to cause the alien to aban-
don the property to the state or sell it at a distress price »567.
563 American Law Institute, Restatement of the Law, (Third), The foreign Relations Law
of the United State, American Law Institute Publishers, St. Paul, Minesota, 1987,
vol. 2.
564 Le document est le résultat des travaux privés d’experts réunis au sein d’une
société savante, l’American Law Institute, et ne fait pas œuvre de codification.
La première version fut publiée en 1965.
565 Voir les commentaires de P. JUILLARD, « Chronique de droit international
économique, Investissements », AFDI, 1988, pp. 582-588.
566 Ibidem, p. 583.
567 Restatement Third, op. cit., note 563, p. 200. Notons que ce paragraphe englobe
également la confiscation pour crime. En réalité, cette dernière n’a pas besoin
de l’exception de la mesure de police pour être écartée de la définition de
l’expropriation indirecte.
171
Cette reconnaissance des pouvoirs de police dans le droit inter
national de l’expropriation est suivie par un aveu révélateur des
auteurs du Restatment Third : « As Under United States constitutional law,
the line between « taking » and regulation is sometimes uncertain »568. En
outre, leurs notes précisent que « in general, the line in international
law is similar to that drawn in United States jurisprudence for purposes of the
fifth and fourteenth Amendments to the constitution in determining whether
there has been a taking requiring compensation »569. Ainsi, en prenant en
compte les mesures de polices dans la problématique des mesures
d’expropriation indirecte, c’est bien la doctrine américaine, elle-
même incertaine, qui est importée.
Malgré ce constat, nombreux sont les tribunaux arbitraux inter
nationaux qui citent directement le Restatement Third à l’appui de
leurs raisonnements570. Ce commentaire g est également cité pour
démontrer la pertinence de la notion de « mesure de police » ou de
la « réglementation publique non compensable » dans le contentieux
de l’expropriation indirecte571. Tous s’accordent pour reconnaître sa
difficile délimitation, mais nul ne remet véritablement en cause son
existence.
Le commentaire g du § 712 du Restatement Third soulève pourtant
plus de questions qu’il n’apporte de réponses. En effet, que faut-il
entendre par mesure prise de bonne foi et sans discrimination ? Mais
surtout, quelles sont les mesures qui sont communément acceptées
comme relevant des pouvoirs de police de l’État au regard du droit
international ? À ces interrogations, les réponses du droit internatio
nal des investissements ne sont pas plus précises que celles du droit
américain.
172
être définie au-delà de ce qui est possible avec une notion fonction
nelle (C).
572 Voir, G. C. CHRISTIE, op. cit., note 37, pp. 331-332 ; J.-P. LAVIEC, op cit., note 52,
p. 165 ; B. A. WORTLEY, op. cit., note 5, pp. 45-50 ; SEIDL- HOHENVELDERN,
« Semantics… », op. cit., note 183, p. 229 ; M. SORNARAJAH, op. cit., note 40,
p. 374.
573 Il s’agit, selon les rédacteurs, des décisions de justice imposant des pénalités
dans le cadre des procédures criminelles. On peut y ranger les confiscations.
574 L. B. SOHN, R. R. BAXTER, op. cit., note 135, p. 554.
173
l’homme, y compris les droits sociaux fondamentaux des travail
leurs, et la protection de l’environnement. Plusieurs TBI récents
reconnaissent ainsi que chaque État a le droit de règlementer pour
protéger la santé publique, l’environnement et les droits sociaux des
travailleurs. En cela, le contenu de la mesure de police ne fait que
refléter les évolutions du droit international.
Ces indicateurs d’intérêts publics légitimant le recours aux pou
voirs de police par un État demeurent cependant vagues et peuvent
recouvrir une multitude de situations. Afin d’apporter un minimum
de cohérence, quelques auteurs575 ont proposé de se limiter aux inté
rêts publics correspondant aux standards minimaux internationaux.
De ce fait, en matière de droits de l’homme, une mesure étatique
qui saisirait les locaux d’une agence de presse pour atteinte à l’ordre
public ou à la moralité publique ne serait pas une mesure de police,
car il s’agirait en même temps d’une violation de la liberté d’expres
sion. Il a ainsi été proposé, aux cas où il n’existerait pas de standards
communément acceptés sur le plan international, de se reporter
aux pratiques communes des États, telles que les règles sur la libre
concurrence. Mais la liberté d’expression n’est ni un droit absolu, ni
un droit règlementé de manière uniforme dans les différents États
en raison des réalités sociales, religieuses et politiques.
Une autre solution consiste à proposer comme critère, les pratiques
qui sont à la fois acceptables pour les pays exportateurs et les pays
importateurs de capitaux576. Ainsi, pour A. S. Weiner, il faut écar
ter les pratiques qui ne concernent qu’un groupe d’États. Comme
exemple d’intérêts publics non communément acceptés, il cite ceux
qui furent considérés comme légitimes par une partie du monde
lors des revendications pour un NOEI, à savoir les mesures visant la
redistribution collective de la propriété. Comme exemple d’un inté
rêt public communément accepté, l’auteur cite les principes de l’Or
ganisation Internationale du Travail auxquels a adhéré la presque
totalité des États dans le monde. Selon lui, la protection de l’environ
nement est aussi une valeur acceptée à la fois par les pays développés
et en développement. Il considère aussi que les mesures concernant
la lutte contre les trusts, ou visant la protection des consommateurs
et l’aménagement du territoire sont des mesures de police.
575 Voir A. NEWCOMBE, L. PARADELL, op. cit., note 98, pp. 360-361 ; A. REINISCH,
op. cit., note 373, p. 434.
576 A. S. WEINER, « Indirect Expropriations : The Need for a Taxonomy of
« Legitimate » Regulatory Purposes », International law forum, Vol. 5, n° 3, 2003,
p. 167. Cette distinction n’est plus pertinente aujourd’hui pour un grand nombre
d’États et il vaut mieux parler de pays en développement et pays développés.
174
police de l’État ne sont pas encore suffisantes. À supposer qu’un
intérêt public soit considéré comme communément accepté par l’en
semble ou une majorité représentative des États, et même qu’il soit
directement prévu dans un instrument conventionnel contraignant,
cela ne garantit pas une interprétation uniforme de cet intérêt dans
chaque État. En effet, ces intérêts peuvent être diversement compris
d’un pays à un autre, d’une culture à une autre, d’un niveau de déve
loppement à un autre, etc.
Ainsi, la moralité publique et l’ordre public peuvent intégrer selon
les États, des mesures faisant face à des activités criminelles comme
le trafic de drogue, la contrebande, mais aussi la pornographie, la
consommation d’alcool, la prostitution, etc. Comme le notait un
auteur, « in a world of divergent moral and political philosophies, how are
judgments to be made about the scope of « legitimate » police powers with res-
pect of morality »577.
La protection des droits de l’Homme, malgré sa nature coutumière
et son assise historique, n’est pas à l’abri d’interprétations diver
gentes. En matière de protection de l’environnement, il peut exister
des problèmes d’application en raison de la terminologie flexible de
certaines des prescriptions conventionnelles. Peut-on traiter identi
quement une mesure qui impose à une entreprise polluante de sup
porter les coûts générés par le traitement des résidus dangereux, et
une mesure qui crée une zone écologique en mettant fin à toute
exploitation économique dans le périmètre ? À cela s’ajoutent les
incertitudes liées aux données scientifiques et au principe de pré
caution qui entraîne la réflexion sur des terrains peu familiers aux
juristes. En matière de protection de la vie et de la santé humaine,
il semble plus aisé d’invoquer les pouvoirs de police. Tel serait le cas
d’une épidémie bovine qui peut imposer l’abattage massif de bêtes
dans les exploitations agricoles. L’affaire dite des melons offre un
exemple pertinent 578. En 1894, le Brésil avait fait détruire la produc
tion de melons en raison d’une crise de choléra dans le pays. Les pro
ducteurs américains n’ayant pas eu gain de cause devant les autorités
brésiliennes pour leur demande d’indemnisation, ils se sont retour
nés vers les États-Unis pour demander la protection diplomatique.
L’État américain a alors renoncé à engager des démarches au motif
que les circonstances justifiaient une non-indemnisation. Toutefois,
en dehors de ces différends qui ne furent pas réglés par la voie arbi
trale, la pratique offre peu d’exemples significatifs.
Les mesures fiscales semblent constituer une catégorie communé
ment acceptée. En effet, la règle qui inclut les mesures fiscales dans
la catégorie de mesures de police est très largement reconnue dans
la doctrine. Par exemple, F. A. Mann affirme que « (…) there is a vital
difference between taxation and the Taking of property, a difference which
175
is one of both definition and substance (…) » même s’il ajoute immédia
tement que « the question of definition (…) has not yet been satisfactorily
answered »579. Le droit international coutumier autorise clairement
une charge fiscale, même lourde sur les investissements, au titre
des pouvoirs de police de l’État. Le pouvoir de lever des impôts est
l’un des plus anciens et des plus fondamentaux droits souverains de
l’État. Cela explique sans doute sa large prise en compte dans la liste
des mesures de police. Les questions monétaires semblent avoir aussi
une place privilégiée. Plusieurs agences nationales ou internatio
nales d’assurance des investissements privés à l’étranger excluent de
leur protection les pertes résultant de la dévaluation ou de la dépré
ciation de la monnaie. La plus significative est l’Agence Multilatérale
de Garantie des Investissements (AMGI), instituée sous l’égide de la
Banque Mondiale, qui garantit des investissements effectués dans les
pays en développement contre les risques non commerciaux580. Ainsi,
l’article 11.b du traité instituant l’AMGI de 1985 exclut des risques
admissibles à la garantie, ceux liés à la dévaluation et la dépréciation
de la monnaie581. Toutefois, il ne s’agit que d’un mécanisme de garan
tie, et ses impératifs ne répondent pas nécessairement à ceux d’un
TBI. Quoi qu’il en soit, la règlementation de la monnaie demeure un
domaine emblématique de la souveraineté étatique.
En définitive, il faut retenir qu’une liste unanime, définitive et pré
cise n’existe pas, même si pour certains auteurs, « there appears to be
an emerging consensus that certains types of state measures are considered
legitimate »582. À notre avis, il faudra se contenter ici d’une liste non
exhaustive d’intérêts publics parmi lesquels sont incluses les ques
tions d’ordre public, d’ordre sanitaire, d’ordre fiscal, d’ordre moné
taire, de protection de l’environnement et des droits sociaux des tra
vailleurs. Mais il ne suffit pas qu’une règlementation vise un intérêt
public légitime pour qu’elle soit une mesure de police. Elle doit être
édictée selon un processus exempt de tout vice.
176
cipes de justice reconnus par les principaux systèmes juridiques, ne
devait pas constituer un abus de pouvoir visant à priver l’investisseur
de son bien, et ne devait pas contrevenir aux articles 6 à 8 du projet
[déni de justice]583. Le commentaire des rédacteurs précisait ensuite
que « the judicial, fiscal, and police powers of the State not be used to cloak
an uncompensated seizure of an alien’s property. This sub-paragraph would
preclude taxes raised to confiscatory levels from being used as means of secu-
ring the property of an alien without paying him for it »584. La mesure de
police doit donc être prise sans discrimination et sans intention mal
veillante. L’AMGI prévoit aussi une catégorie de mesures qui n’est
pas couverte par la garantie de l’Agence à l’article 11 (b). Ici encore,
ces mesures monétaires doivent être d’application générale, être non
discriminatoires et être prises dans l’intérêt général.
Trois critères reviennent donc souvent lorsqu’il est question du
processus d’édiction des mesures de police : la bonne foi, la non-
discrimination et l’exercice normal. Des auteurs ont aussi proposé
comme référence, « the society’s current standard of reasonably acceptable
behavior »585. Mais ces mots étant eux-mêmes des standards, on n’est
pas plus avancé. Dans les faits, il est encore plus difficile de définir la
procédure licite d’édiction de la mesure de police que d’énumérer
les intérêts publics légitimes. Néanmoins, l’idée générale véhiculée
est que la mesure de police doit être édictée et mise en œuvre « rai
sonnablement ». Le concept du raisonnable résume bien les qualités
auxquelles doit répondre l’édiction des mesures de police. Il exclut
l’arbitraire, l’excessif, la mauvaise foi, la discrimination. Autrement
dit, l’État en édictant la mesure de police doit, autant que possible,
éviter de causer des dommages aux biens privés. Il doit agir avec la
plus grande impartialité et objectivité pour atteindre l’intérêt public
poursuivi. Les dommages qui en résulteront doivent être, en quelque
sorte, inévitables pour réaliser l’intérêt général.
583 Le texte original se lit comme suit : « (a) it is not a clear and discriminatory violation
of the law of the State concerned ; (b) it is not the result of a violation of any provision
of Articles 6 to 8 of this Convention ; (c) it is not an unreasonable departure from the
principles of justice recognized by the principal legal systems of the world ; and (d) it is not
an abuse of the powers specified in this paragraph for the purpose of depriving an alien of
his property ». L. B. SOHN, R. R. BAXTER, op. cit., note 135, p. 562.
584 Ibidem.
585 T. WÄLDE, A. KOLO, op. cit., note 39, p. 827.
177
réalisation d’un intérêt public particulier. La mesure de police peut
prendre la forme de règlements, de lois ou de décisions de justice.
Elle peut concerner divers intérêts, dont la protection de la santé,
de l’environnement, de la sécurité, ou des droits humains. Elle
peut découler d’une obligation internationale ou non. Elle peut
enfin s’adresser à des personnes morales ou physiques, des activités
diverses, etc. Le seul point commun réside, excepté le fait qu’il doit
s’agir d’une mesure étatique directement imputable à l’État, dans
l’existence d’un but d’intérêt public. La mesure de police est, en sim
plifiant, l’ensemble des mesures « essential to the efficient functioning of
the State »586. Ni la doctrine, ni la jurisprudence ne s’aventurent à la
définir plus précisément.
Mais il ne suffit pas de dire que la mesure de police poursuit la
réalisation de l’intérêt général. Toutes les mesures d’un État pour
suivent virtuellement cet objectif. La mesure de police se situe à un
niveau encore plus élevé. Elle est indispensable à la pérennité et au
fonctionnement de l’État. La spécification du but d’intérêt public
poursuivi est primordiale, si on ne veut pas voir la notion de mesure
de police se diluer complètement au point de n’être plus identifiable.
Sans cette qualité supérieure octroyée à la mesure de police, il est
pratiquement impossible de l’isoler des autres mesures de règlemen
tation publique qui peuvent relever d’autres notions juridiques, dont
l’expropriation. Il ne suffit donc pas de produire une liste d’inté
rêts publics communément acceptés, il faudrait d’abord établir une
grille de sélection basée sur la prééminence de certains intérêts. Il
sera alors possible de dire, au fur et à mesure, pourquoi et comment
un tel intérêt public sera inclus dans la liste, et tel autre pas. Mal
heureusement, ceux qui invoquent souvent la mesure de police ne
tiennent pas compte de cette nécessité. Rares sont les auteurs en effet
qui militent pour une taxinomie de la mesure de police sur la base
de la particularisation des buts d’intérêts publics poursuivis587.
La nature fonctionnelle de la mesure de police s’illustre également
dans la définition générale de la notion. En effet, c’est par ses consé
quences juridiques qu’elle est appréhendée : « le pouvoir de police
de l’État […] est celui de règlementer, ou de limiter des droits indivi
duels dans l’intérêt public ; pour sérieuses que soient les limitations
imposées, elles ne confèrent pas de droit à indemnisation »588. L’ab
sence de définition précise ne semble pas préoccuper les nombreux
commentateurs qui s’intéressent aux mesures de police en droit
international des investissements. Ce qui importe en réalité, ce sont
les conséquences juridiques qu’elles ont sur le plan de la responsabi
178
lité de l’État. Les mesures de police intéressent et interpellent avant
tout l’opinion publique parce qu’elles ne créent pas d’obligation sys
tématique d’indemnisation malgré leurs éventuels dommages subs
tantiels sur l’investissement privé.
Cependant, l’expropriation licite s’exerce aussi dans l’intérêt
public. Par conséquent, si la mesure de police doit se résumer à la
mesure visant un intérêt général, « l’expropriation n’est plus possible,
faute d’espace conceptuel »589. Il apparaît déjà en filigrane que la notion
de mesure de police sera d’un maniement difficile dans le conten
tieux international des investissements, car l’interférence qu’elle
cause avec la définition de l’expropriation indirecte est particuliè
rement sérieuse.
179
En pratique, l’identité est plus étroite entre la mesure de police et
la mesure horizontale d’expropriation. Cette dernière en effet est
une réglementation d’ordre général qui ne vise pas l’investisseur. La
mesure de police est normalement aussi une mesure générale. Mais
la catégorie des mesures horizontales n’épuise pas celle des mesures
de police. Une décision individuelle peut théoriquement être une
mesure de police.
Par conséquent, à ce stade et sans autres considérations, une
mesure étatique peut tomber indifféremment dans l’une ou l’autre
catégorie.
180
propriation indirecte. Comme le notait R. Higgins, « property is taken,
or regulated, to promote the general welfare on an ad hoc basis »591.
181
Lorsqu’elle est octroyée dans le cadre d’une expropriation indi
recte illicite, elle vient s’ajouter comme la réparation requise pour
un fait illicite. Dans ce dernier cas, l’État devra donc payer à la fois
pour l’acte même d’exproprier et pour le fait illicite qui accompagne
cet acte592.
Au contraire, la mesure de police ne donne pas droit à une indem
nisation. Cette absence d’indemnisation est directement rappe
lée dans la définition qui est généralement donnée à la mesure de
police. Alors que toute l’économie des TBI vise à mettre l’investis
seur à l’abri des actions étatiques préjudiciables, et à lui garantir le
cas échéant une compensation correspondant au dommage subi, la
mesure de police pose absolument le contraire. Elle permet à un
État de prendre certaines mesures dommageables à l’investisseur
sans être tenu de l’indemniser en retour.
La portée de la règle selon laquelle la mesure de police ne donne
pas droit à une indemnisation n’est pas toujours nettement comprise.
En effet, il est possible d’envisager qu’un État fasse un usage dérai
sonnable de la mesure de police et la transforme alors en un fait
internationalement illicite. Ce qui ouvrirait un droit à réparation ou
à indemnisation. Tel sera le cas si la mesure de police se révèle être
finalement discriminatoire ou édictée pour des raisons autres que la
réalisation d’un intérêt public. C’est ainsi que certains auteurs esti
ment que la mesure de police se transforme dans ces conditions en
expropriation indirecte ou Regulatory Taking et doit s’accompagner
d’une indemnisation593. Il s’agit d’un amalgame regrettable. Les cri
tères de bonne foi, de non-discrimination et du but d’intérêt public
ne sont pas des conditions de licéité pour la mesure de police. Il
s’agit des critères dont dépend la qualification elle-même. De ce fait,
une mesure qui ne remplit pas ces critères ne sera tout simplement
pas une mesure de police, mais correspondra à une autre notion, qui
sera peut-être l’expropriation indirecte. Par conséquent, dès lors que
la qualification en mesure de police est acquise, aucune obligation
d’indemnisation ne saurait être encore invoquée.
En résumé, si l’intérêt public et la non-discrimination inter
viennent dans la qualification d’une mesure de police, ils en sont
exclus au contraire dans celle d’une expropriation indirecte. Pour
la même mesure éligible, il suffit donc de renverser les critères de
licéité en éléments constitutifs et vice versa pour glisser d’une notion
à une autre. Le risque de confusion est donc très élevé.
En conclusion, la mesure de police et la mesure équivalant à une
expropriation sont deux notions étroitement liées. De ce fait, il
existe un risque important qu’elles se chevauchent ou que l’une se
592 Même si en pratique, cette distinction n’est pas toujours effectuée par les
tribunaux. Le calcul de l’indemnisation dépendra généralement du caractère
rentable ou non de l’investissement.
593 Voir par exemple, V. HEISKANEN, op. cit., note 40, p. 173 et p. 185.
182
fonde simplement dans l’autre. Pour éviter cette possible confusion,
comment établir une ligne de démarcation ? Idéalement la mesure
de police, une fois qualifiée comme telle, doit pouvoir rester hermé
tique à toute qualification ultérieure en expropriation indirecte. À
ce propos, un auteur a constaté que dans son acception originale, les
pouvoirs de police étaient « as a per se exemption from any duty to com-
pensate »594. Il convient d’évaluer maintenant à quel point les mesures
de police sont véritablement des « règlementations intouchables »595 dans
l’arbitrage investisseur-Etat sur le fondement des TBI.
183
Le recours à l’exclusion dans les textes non contraignants
Le recours à l’exclusion est utilisé dans au moins trois instruments
internationaux non contraignants, auxquels il faut ajouter comme
exception notable un récent traité régional de protection des inves
tissements.
Le plus ancien texte non contraignant est le projet de convention
sur la responsabilité internationale des États pour les dommages
causés aux étrangers, élaboré en 1961. Le projet de Harvard prévoit
un article 10.5 qui se lit comme suit :
184
Dans la recherche du principe de distinction, il est parfois fait
mention du projet de Convention de l’OCDE de 1967 sur la protec
tion des biens privés étrangers600. Or, rien de tel ne ressort de ce
projet. En effet, le commentaire de l’article 3, § 3.b se lit comme suit :
600 Ce fut le cas par exemple dans la sentence Saluka c. République tchèque, op. cit.,
note 193, § 256. V aussi C. YANNACA-SMALL, « L’“expropriation indirecte” et
le “droit de règlementer” dans le droit international de l’investissement », Document
de travail sur l’investissement international, n° 2004/4, Publications OCDE,
septembre 2005, p. 8.
601 Projet de convention de l’OCDE sur la protection des biens privés étrangers,
1967, op. cit., note 37.
185
doivent pas être qualifiées comme étant des expropriations indi
rectes, malgré un préjudice éventuel causé à l’investisseur.
En rappel, l’annexe B. 13 (1) du modèle de TBI canadien prévoit
que, « sauf dans de rares cas (…) les mesures non discriminatoires
d’une Partie qui sont conçues et appliquées dans un but légitime de
protection du bien public, par exemple à des fins de santé, de sécu
rité et d’environnement, ne constituent pas une expropriation indi
recte ». L’annexe B. 4. c du modèle américain, repris à l’identique
dans plusieurs ALE602, prévoit aussi que : « except in rare circumstances,
non-discriminatory regulatory actions by a Party that are designed and
applied to protect legitimate public welfare objectives, such as public health,
safety, and the environment, do not constitute indirect expropriations ».
Ce type de clauses tend à se généraliser, notamment dans les ALE
signés dans l’espace Nord et Sud-américain. Elles stipulent que cer
taines mesures étatiques, qui correspondent aux mesures de police
telles que définies ici, ne sont pas en principe des expropriations
indirectes. Il s’agit d’une directive très importante à l’adresse des
arbitres, qui est de surcroit pleinement contraignante pour ces
derniers. Contrairement aux articles des projets d’accords dont la
valeur coutumière reste encore à démontrer, le principe de distinc
tion dispose, grâce à ces clauses, d’une force obligatoire appréciable.
Néanmoins, ces clauses conventionnelles autorisent des entorses au
principe de distinction. En effet, le libellé des articles commence
toujours par l’expression « sauf dans de rares circonstances ». Il s’agit
donc d’une présomption en faveur des mesures de police non indem
nisables et non d’une règle péremptoire.
En substance, le principe de distinction est posé par le biais de
deux formules différentes dans les textes relatifs à l’investissement.
La première formule, celle de l’exclusion, est généralement prévue
dans des instruments qui ne lient pas directement les États. Elle pose
que les mesures de police ne sont pas des expropriations indirectes
et qu’à ce titre, elles ne sont pas assorties d’une obligation d’indem
nisation. Toutefois, quelques rares traités conclus récemment ont
opté pour cette formule rigide. La seconde formule se retrouve dans
les TBI et les ALE signés par certains États. Elle pose plus modes
tement une présomption en faveur des mesures de police. En effet,
sauf exception, les mesures de police ne sont pas des expropriations
indirectes. Il peut donc arriver que des mesures de police reconnues
en tant que telles puissent migrer, sous certaines conditions, vers la
catégorie d’expropriation indirecte.
On notera, en guise de conclusion, que le principe de distinction
est rarement prévu dans les plus de 2700 traités de protection des
investissements. Seuls quelques textes parmi les plus récents insèrent
ce principe. Dans la mesure où la majorité des textes contraignants
186
ne prévoient que la formule de la présomption, est-ce la seule qui
s’impose aux arbitres ? La première formule est-elle de nature cou
tumière, de sorte que les arbitres statuant sur des TBI ne contenant
pas une telle clause puissent l’appliquer ? L’examen des sentences
arbitrales comme de la doctrine permettra de confirmer l’existence
d’un principe de distinction ayant une valeur coutumière, mais dont
l’interprétation est disparate.
La prédominance de l’exclusion
dans la jurisprudence et la doctrine anciennes
Les premières affaires ayant explicitement traité d’une mesure de
police ont été portées devant le Tribunal irano-américain. On pour
rait, rétrospectivement, y ajouter la décision de la CPJI dans l’affaire
Oscar Chinn 603. Parmi les sentences rendues par le tribunal irano-
américain, deux affaires méritent une attention particulière. Mais
au préalable, il faut exclure ici toutes les affaires où furent invoqués
les effets directs de la révolution islamique, à savoir les détériora
tions des biens, le harcèlement ou l’insécurité résultant directement
des troubles et des agissements de la population. En réalité, ces pré
judices furent rejetés sur le constat de l’absence d’une mesure éta
tique, au sens d’un acte extériorisé imputable à l’Iran.
La première sentence à avoir examiné le principe de distinction
entre la mesure de police et l’expropriation indirecte est l’affaire E.
Too v. Greater Modesto Insurance Associates. Cette affaire fait d’ailleurs
partie des rares premiers cas où la plainte était dirigée par un inves
tisseur iranien contre les États-Unis. Le requérant réclamait une com
pensation pour la saisie de sa boutique d’alimentation générale en
Californie par un service des impôts. En réalité, la saisie faisait suite
au non-paiement par l’investisseur de ses taxes s’élevant à plus de
70 000 $ U.S. Le tribunal affirma que : « a State is not responsible for loss
of Property or for other economic disadvantage resulting from bona fide general
taxation or any other action that is commonly accepted as within the police
603 En effet, une mesure économique générale prise par l’État belge et non
dirigée contre l’investisseur avait été rejetée par le tribunal comme étant une
expropriation. La Cour a pris en compte le fait que M. Chinn en lançant son
activité savait qu’il serait en concurrence directe avec une entreprise contrôlée
par l’État belge et remplissant un service public. De plus, la mesure était limitée
dans le temps et la solvabilité de l’entreprise de M. Chinn était déjà problématique
avant l’édiction de la mesure. Mais la Cour a aussi considéré que le préjudice subi
par M. Chinn était dû aux conditions économiques générales et non à la mesure
belge. Elle n’est pas alors allée plus loin dans la recherche d’une expropriation
indirecte. De ce fait, nous pouvons conclure que la Cour a simplement rejeté la
mesure gouvernementale comme étant une mesure éligible parce qu’elle était
d’application générale et répondait aux nécessités du service public.
187
power of States, provided it is not discriminatory and is not designed to cause
the alien to abandon the property to the State or to sell it at a distress price (…)
»604. Il s’agissait donc ici, selon les arbitres, d’une mesure de police
fiscale605. En réalité, les faits en cause ne relevaient pas vraiment de
la mesure de police telle qu’appréhendée ici, mais d’une confiscation
pour délit. L’investisseur, qui avait une dette fiscale en souffrance,
s’était mis dans une situation illégale et s’exposait donc à des sanctions
légales. Toutefois, la déclaration du tribunal reste valable, et pose clai
rement un principe de distinction. La seconde affaire intéressante du
Tribunal irano-américain est la sentence Sedco. Ce litige, qui opposait
un investisseur américain à la compagnie nationale iranienne d’hy
drocarbures, concernait une prise de contrôle d’une société suivie
d’une nationalisation des parts sociales. Bien qu’il n’ait pas eu direc
tement à traiter d’une mesure de police proprement dite, le tribunal
a saisi l’occasion pour poser le principe de distinction : « it is also an
accepted principle of international law that the State is not liable for economic
injury which is a consequence of bona fide « regulation » within the accepted
police power of State »606. Pour arriver à cette conclusion, le tribunal s’est
fondé sur le commentaire g du § 712 du Third Restatment américain.
Dans le cas d’espèce, les arbitres n’ont pas considéré que la mesure
en cause, la loi iranienne pour la protection et le développement de
l’industrie iranienne, était une mesure de police. Ils sont parvenus à la
conclusion qu’elle avait eu pour conséquence « an outright transfer of title
rather than incidental economic injury »607, c’est-à-dire une expropriation
directe. Il est vrai que la définition de la mesure de police n’interfère
pas avec celle de l’expropriation directe.
Ces deux affaires posent un principe de distinction exclusif, à
l’image de celui qui était prévu dans les premiers projets de textes
relatifs aux investissements. Plus importants encore, les Accords
d’Alger fondant la compétence du Tribunal irano-américain ne pré
voyaient pas textuellement un principe de distinction. Les arbitres se
sont donc basés sur une règle coutumière.
Dans la doctrine, la reconnaissance du principe de distinction est
aussi ancienne qu’elle est largement partagée608. En fait, il n’est pas
d’auteur ayant traité plus ou moins spécifiquement de l’expropria
188
tion indirecte qui n’ait affirmé que toutes les mesures étatiques pré
judiciables ne sont pas des expropriations indirectes en droit inter
national coutumier. Certains auteurs sont même remontés au droit
romain pour trouver les origines de ce principe de distinction. On a
ainsi pu relever qu’à cette période, « frequently exceptions were admitted
partly in the case of general statutes affecting all individuals, particularly
in cases of emergency »609. Encore aujourd’hui, nombreux sont ceux
qui considèrent que la propriété privée peut être détruite par des
mesures de police sans avoir à être indemnisée. Ainsi, I. Brownlie
considère que, « States measures, prima facie a lawful exercice of powers
of governments, may affect foreign interests considerably without amounting
to expropriation. Thus foreign assets and their use may be subject to taxa-
tion, trade restrictions involving licences and quotas, or measures of devalua-
tion. While special facts may alter cases, in principles such measures are not
unlawful and do not constitute expropriation »610. Pour R. L. Bindsched
ler également, « il est admis (…) que le principe de la protection de
la propriété privée n’interdit pas la levée d’impôts sur le patrimoine,
ni les amendes, ni les limitations de la propriété pour des motifs
de police, non plus que la confiscation d’objets dont l’ordre public
exige la destruction »611. Mais ce dernier reconnait aussi que « ces
mesures peuvent constituer cependant en réalité des confiscations,
c’est-à-dire qu’elles ont pour but véritable d’opérer un transfert de
propriété ; l’argument fiscal ou pénal ou l’invocation de règlement
de police n’est alors qu’un prétexte »612.
Il faudra attendre la généralisation des mesures horizontales pour
voir se multiplier les références aux pouvoirs de police dans les sen
tences arbitrales. Celles qui ont récemment reconnu l’existence du
principe de distinction ont été rendues également sans référence à
une clause conventionnelle613.
609 O. VON GIERKE, Political Theories of the Middle Ages, 1900. Cité par B. A. WORTLEY,
op. cit., note 5, p. 239.
610 I. BROWNLIE, Principles of Public International Law, Oxford University Press, 7e éd.
2008, p. 532. L’auteur cite la sentence Oscar Chinn à l’appui de sa démonstration.
611 R. L. BINDSCHEDLER, op. cit., note 453, p. 211. Voir aussi les auteurs cités
dans le texte par l’auteur : A. VERDROSS, L. OPPENHEIM, H. LAUTERPACH,
P. GUGGENHEIM.
612 Ibidem, p. 212.
613 Ainsi, le tribunal dans la sentence Saluka c. République Tchèque, op. cit., note 193,
§ 254, a reconnu que « article 5 of the Treaty in the present case is drafted very broadly
and does not contain any exception for the exercise of regulatory power ». Cependant, ce
silence n’a pas empêché le tribunal de reconnaître l’existence du principe de
distinction.
189
Methanex c. États-Unis sur le fondement de l’ALENA. Le litige portait
sur une mesure interdisant l’utilisation d’un additif à l’essence soup
çonné d’être cancérigène. Dans cette affaire, le tribunal a rejeté la
qualification d’expropriation sur le motif qu’il s’agissait d’une règle
mentation générale visant un intérêt public qui fut prise de bonne
foi et sans discrimination :
614 Methanex c. États-Unis, op. cit., note 112, Part IV, Chapter D, § 7.
615 Saluka c. République Tchèque, op. cit., note 193, § 255.
616 Ibidem, § 257, § 259 et § 262. Le tribunal cite d’autres sentences mais elles ne
sont pas toutes pertinentes.
617 Ibid, § 262.
618 CME c. République Tchèque, op. cit., note 312, § 603.
190
exercise of its sovereign powers within the framework of its police power may
cause economic damage to those subject to its powers as administrator wit-
hout entitling them to any compensation whatsoever is undisputable »619. De
même, dans Feldman c. Mexique, le tribunal a reconnu le principe de
distinction en ces termes :
« Governments must be free to act in the broader public interest through protection
of the environment, new or modified tax regimes, the granting or withdrawal of
government subsidies, reductions or increases in tariff levels, imposition of zoning
restrictions and the like. Reasonable governmental regulation of this type cannot be
achieved if any business that is adversely affected may seek compensation, and it is
safe to say that customary international law recognizes this »620.
191
to regulate »624. Cependant, le renvoi aux mesures de police n’avait
pas d’implication dans cette affaire, car le tribunal n’a pas conclu
à l’existence d’une expropriation indirecte. On peut donc suppo
ser que les arbitres auraient pu prendre en compte une mesure de
police au titre d’une exception, si une expropriation indirecte avait
été qualifiée.
D’autres sentences sont encore plus en retrait et rejoignent fina
lement la formule de la présomption. Tel fut le cas de la sentence
SD Myers c. Canada : « the general body of precedent usually does not treat
regulatory action as amounting to expropriation. Regulatory conduct by
public authorities is unlikely to be the subject of legitimate complaint under
Article 1110 of the NAFTA, although the Tribunal does not rule out that
possibility »625. Dans Pope & Talbot c. Canada, le tribunal après avoir
affirmé qu’une règlementation générale non discriminatoire prise
de bonne foi et visant le l’intérêt général pouvait être une expropria
tion, apporte ensuite un bémol dans une note de bas de page : « this is
not to say that every regulatory restraint can be likened to expropriation »626.
Ces sentences arbitrales sont à ranger dans la catégorie de celles qui
ont opté pour une simple présomption en faveur des mesures de
police non indemnisables.
Le principe de distinction est donc généralement reconnu dans
la jurisprudence, même s’il n’est pas toujours affirmé avec vigueur.
Toutefois, l’examen détaillé de certains passages des sentences
arbitrales, a priori favorables au principe de distinction, laisse sub
sister un doute quant à sa portée réelle. Ainsi, dans la sentence SD
Myers c. Canada, le tribunal estimait déjà qu’il ne pouvait pas exclure
la possibilité qu’une mesure de police soit néanmoins une expro
priation indirecte627. Dans la sentence Pope & Talbot c. Canada éga
lement, le tribunal, en rejetant la défense du Canada concernant
l’existence d’une exception générale en faveur des mesures de police
non indemnisables, a noté que « regulations can indeed be exercised in
a way that would constitute creeping expropriation ». Il a alors procédé
à une mise en garde contre une solution contraire : « blanket excep-
tion for regulatory measures would create a gaping loophole in internatio-
nal protections against expropriation »628 . Dans la même ligne, certains
auteurs ont reconnu le principe de distinction tout en émettant des
réserves629. En réalité, si un principe de distinction est aisé à affir
mer, les choses se compliquent lorsqu’il faut en tirer des implica
tions concrètes. Il est vrai que comme le déplorait le tribunal dans
192
la sentence Saluka c. République tchèque, lui-même favorable à un tel
principe, « international law has yet to identify in a comprehensive and
definitive fashion precisely what regulations are considered “permissible” and
“commonly accepted” as falling within the police or regulatory power of States
and, thus, noncompensable »630. Le véritable problème ne réside pas,
à notre avis, dans la définition encore incertaine de la mesure de
police, mais dans la réalité même du principe de distinction. Une
chose est de reconnaître que l’État a le droit de règlementer pour
le bien-être général. Une autre est de déclarer qu’il n’est pas obligé
d’indemniser les préjudices qui en résulteraient. En effet, dans la
confrontation entre le régime juridique de la mesure de police et
celui de l’expropriation indirecte, la mesure de police cède du ter
rain dans une grande proportion.
193
son obligation d’indemniser lorsqu’il effectue une expropriation
indirecte par le biais d’une mesure de police. Cela signifie que les
deux notions ne sont pas exclusives. Une expropriation indirecte
peut résulter d’une mesure de police qui n’est donc qu’une mesure
éligible comme une autre. Par conséquent, reconnaitre l’existence
de la mesure de police n’a aucun impact dans la problématique de
l’expropriation. Aucun principe de distinction n’est alors possible.
Devant le tribunal irano-américain, les arbitres ont eu plusieurs
fois l’occasion de se prononcer sur ce point. Dans la sentence Phelps
Dodges, il était question d’une prise de contrôle d’un investisse
ment par une entité étatique iranienne afin d’éviter la fermeture
de l’usine en difficulté, d’assurer le paiement des salaires dus aux
employées et de sauvegarder les dettes dues au gouvernement631. Le
tribunal a alors conclu qu’il comprenait « the financial, economic and
social concerns that inspired the law pursuant to which it acted, but those rea-
sons and concerns cannot relieve the Respondent of the obligation to compen-
sate Phelps Dodge for its loss »632. Les arbitres semblent avoir interprété
les mesures iraniennes comme étant des mesures de police, mais cela
ne fit pas obstacle à une investigation supplémentaire pour déter
miner s’il s’agissait d’une expropriation indirecte. Dans le cadre de
l’affaire Santa Elena c. Costa Rica, un tribunal arbitral a statué que
« expropriatory environmental measures – no matter how laudable and bene-
ficial to society as a whole – are, in this respect, similar to any other expropria-
tory measures that a state may take in order to implement its policies : where
property is expropriated, even for environmental purposes, whether domestic
or international, the state’s obligation to pay compensation remains. ».633 Il
s’agissait ici d’une expropriation directe et les parties au litige ne
contestaient que le montant de l’indemnisation. Le tribunal a saisi
néanmoins l’occasion de rédiger ce fameux obiter dictum sur la qua
lification de l’expropriation en général, et des mesures indirectes
en particulier. Le fait que la mesure en cause fut un décret de clas
sement d’une propriété de l’investisseur en forêt protégée afin de
sauvegarder des espèces menacées, pouvait faire pencher la balance
vers les pouvoirs de police. Le Costa Rica avait d’ailleurs invoqué
ses pouvoirs de police et le but environnemental de la mesure pour
faire diminuer le montant de l’indemnisation. En réfutant l’utilité
de ce critère dès la qualification, le tribunal fermait également la
porte à toute considération de ce type au moment du calcul des
indemnités. Dans des termes similaires, la sentence Tecmed c. Mexique
a aussi rejeté la pertinence du principe de distinction au stade de la
qualification de l’expropriation indirecte, alors même que le tribu
nal avait considéré ledit principe comme étant « indiscutable ». En
631 Précisons néanmoins que certaines dettes avaient été contractées durant la
gestion des administrateurs nommés par l’État.
632 Phelps Dodge, op. cit., note 179, § 22.
633 Santa Elena c. Costa Rica, op. cit., note 280, § 72.
194
réalité, après avoir reconnu l’existence des mesures de police non
indemnisables, le tribunal a considéré que sa fonction « is to examine
whether the Resolution violates the Agreement in light of its provisions and of
international law. (…) That the actions of the Respondent are legitimate or
lawful or in compliance with the law from the standpoint of the Respondent’s
domestic laws does not mean that they conform to the Agreement or to inter-
national law »634. Or, au niveau du droit international et dans le traité
de protection des investissements, le tribunal a estimé n’avoir pas
trouvé un quelconque principe
« stating that regulatory administrative actions are per se excluded from the scope
of the Agreement, even if they are beneficial to society as a whole – such as environ-
mental protection –, particularly if the negative economic impact of such actions on
the financial position of the investor is sufficient to neutralize in full the value, or
economic or commercial use of its investment without receiving any compensation
whatsoever »635.
195
Le rejet implicite du principe de distinction
La deuxième attitude des tribunaux face au principe de distinc
tion est celle qui consiste à en altérer le contenu. Elle se rencontre
dans les sentences où le tribunal avait préalablement reconnu l’exis
tence et la nécessité du principe de distinction. Cependant, ces
mêmes tribunaux admettent aussi que certaines mesures de police
peuvent être indemnisables au titre d’une expropriation indirecte.
Tel fut le cas par exemple de la sentence Azurix c. Argentine. Après
avoir affirmé la nature coutumière de la règle des mesures de police
non indemnisables, le tribunal reconnait ensuite que la démarcation
entre de telles mesures et les règlementations indemnisables est dif
ficile à établir. Mais surtout, il ajoute que « no one can seriously question
that in some circumstances government regulatory activity can be a violation
of Article 1110 [expropriation] »639. Le tribunal dans l’affaire Saluka
c République Tchèque a également évoqué l’hypothèse de la mesure
de police expropriante. Après avoir posé très clairement le prin
cipe de distinction, il a estimé être en face de la question de savoir :
« when, how and at what point an otherwise valid regulation becomes, in fact
and effect, an unlawful expropriation (…) »640. Ne s’agit-il pas ici d’une
reconnaissance implicite que de telles mesures peuvent être de facto
des mesures d’expropriations illicites ? Autrement, le tribunal aurait
dû se contenter de rechercher si la mesure en cause était une mesure
de police ou une mesure d’expropriation.
Dans le même ordre d’idées, plusieurs auteurs résument la pro
blématique de l’interférence causée par les mesures de police, à la
question de déterminer les critères et les conditions dans lesquelles
de telles mesures peuvent se transformer en une expropriation. Face
à une règlementation quelconque, ce qui importe serait moins de
savoir s’il s’agit d’une véritable mesure de police, que de saisir « when
regulation “goes too far” »641. En d’autres termes, « even what appears
prima facie legitimate regulation has certain limits, beyond it becomes a
taking »642. La même idée est également défendue par L. Y. Fortier et
S. L. Drymer643.
Il est vrai que le contenu de ce principe de distinction suscite des
inquiétudes légitimes. Ces inquiétudes relèvent de la détermination
des critères de distinction et particulièrement du rôle de l’intérêt
public poursuivi par la mesure. Dans un cours à l’Académie de
La Haye, R. Higgins s’interrogeait déjà sur la viabilité d’une ligne de
196
démarcation entre la mesure de police et l’expropriation indirecte :
« is this question viable ? […] Under international law standards, a regula-
tion that amount (by virtue of its scope and effect) to a taking, would need
to be « for a public purpose » […]. And just compensation would be due »644.
En effet, la définition de la mesure de police impose à l’arbitre de
s’immiscer dans un contrôle de l’intérêt public invoqué. Ainsi, par
tant du fait que les tribunaux doivent une déférence, sauf détourne
ment manifeste, à l’intérêt public avancé par l’État pour prendre la
mesure d’expropriation, G. C. Christie déclarait que « a State’s decla-
ration that a particular interference with an alien’s enjoyment of his property
is justified by the so called « police power » does not perclude an international
tribunal from making an independant determination of this issue »645. C’est
donc le fait que l’intérêt public soit au centre des critères de démar
cation, que le principe de distinction est difficile d’application ; ce
dernier étant en même temps un critère de licéité de l’expropriation
indirecte. On peut donc dire que le rejet provient moins du principe
de distinction lui-même que de l’absence d’un critère de distinction
efficace. Comme le notait un auteur, non sans ironie, « great legal
minds have struggled – most would say, unsuccessfully – to identify a simple
theory or rule that explains when a regulation “goes far” »646.
En définitive, si en 1962, G. C. Christie estimait au début de
l’émergence de la problématique des expropriations indirectes,
qu’une compensation ne devrait pas être accordée si « the State (…)
actions (…) has a purpose in mind which is recognized in international law
as justifying even severe (…) restrictions on the use of property »647; en 2001,
T. Wälde et A. Kolo rétorquaient que « in the extreme case of complete
and indefinite destruction of the economic value of property by otherwise fully
legitimate regulation (…) compensation is also owned »648. Les mesures
de police ne sont donc pas finalement exclues du champ d’applica
tion de l’expropriation indirecte comme on pouvait s’y attendre en
lisant le principe de distinction. Mais comment une telle altération
du principe peut-elle s’expliquer ? En réalité, l’articulation même du
principe de distinction ne permet pas d’en faire un instrument opé
rationnel.
644 R. HIGGINS, op. cit., note 258, p. 331. Cette interrogation est partagée par
plusieurs arbitres ayant statué dans les tribunaux d’arbitrages. Voir par exemple
Azurix c. Argentine, op. cit., note 115, § 310.
645 G. C. CHRISTIE, op. cit., note 37, p. 338.
646 E. SHENKMANN, op. cit., note 553, p. 174.
647 G. C. CHRISTIE, op. cit., note 37, pp. 331-332.
648 T. WÄLDE, A. KOLO, op. cit., note 39, p. 846.
197
ner. Deux éléments émergent de ce principe. D’une part, il s’est mué
en présomption renversée en faveur de l’expropriation indirecte.
D’autre part, il ne dispose pas d’un critère efficace pour déterminer
les situations dans lesquelles une mesure de police préjudiciable ne
donnera jamais droit à indemnisation.
La présomption renversée
Avant de pouvoir démontrer la mutation du principe de distinc
tion au stade de son application par les tribunaux arbitraux, il faut
d’abord expliquer le résultat originel auquel il aurait dû conduire.
Un principe de distinction a pour vocation de tracer une ligne de
démarcation nette entre deux notions.
En prenant la forme rigide du principe de distinction (l’exclu
sion), la logique est la suivante : la mesure de police et la mesure d’ex
propriation indirecte sont deux notions qui ne se rencontrent pas,
même si elles peuvent cohabiter l’une à côté de l’autre. Cela signifie
qu’une fois que la mesure étatique est qualifiée de mesure de police,
il n’est plus possible d’y rechercher une expropriation indirecte. Et
vice versa. Une fois qualifiée dans une notion, la règlementation ne
peut plus alors relever de l’autre notion. C’est à cette condition que
le principe de distinction devient exclusif et efficace. La mesure de
police apparait alors comme « a carve out from the applicable rules. Such
acts were simply not covered by the concept of expropriation »649.
En prenant la forme souple du principe de distinction (la présomp
tion), les deux notions sont toujours séparées, mais elles prennent
la physionomie de vases communicants. Il est donc possible dans
certaines circonstances qu’une mesure qualifiée dans une première
catégorie puisse néanmoins migrer vers l’autre catégorie. Il est à
noter que dans les faits, la migration se fait toujours dans un sens,
c’est-à-dire de la mesure de police vers l’expropriation indirecte650.
Quoi qu’il en soit, les TBI et ALE récents posent une présomption
en faveur des mesures de police et non en faveur de l’expropriation
indirecte. La mesure de police préjudiciable ne devient une mesure
équivalant à une expropriation indirecte que « dans de rares circons
tances », c’est-à-dire exceptionnellement. Si donc, certaines mesures
de police peuvent devenir des expropriations indirectes, ces traités
ont le mérite de poser que la qualification se fera autant que possible
en faveur de la mesure de police. D’un principe de distinction, on
passe donc à une règle et son exception. Mais au moins, la mesure
de police est la règle et la mesure équivalente à une expropriation
est l’exception.
198
Pourtant, dans la pratique jurisprudentielle examinée précédem
ment, la mesure de police se révèle être une mesure éligible au
même titre que toute mesure imputable à l’État, sauf exception éven
tuelle. Cela signifie que la mesure de police préjudiciable n’échappe
à la qualification d’expropriation indirecte que très rarement. Par
conséquent, la catégorie de mesure de police n’est pas exclue de la
définition de l’expropriation indirecte et ne bénéficie pas d’une pré
somption particulière. L’usage du terme Regulatory Taking, malgré
certaines divergences651 dans la littérature anglophone, illustre cette
présomption renversée en faveur de l’expropriation indirecte. Cette
expression renvoie simplement à une expropriation survenant par le
biais d’une règlementation générale. La distinction ne se fait pas en
réalité entre la mesure de police et l’expropriation indirecte, mais
entre les mesures de police non indemnisables et indemnisables. Si
une ligne de démarcation existe, ce sera donc entre les « Regula
tory powers » et les « Regulatory Taking »652. Certains auteurs se sont
insurgés contre ce renversement de la présomption en estimant que
« the starting point must always be that regulatory interference is presump-
tively non-compensable. The per se rule in the Santa Elena award has no
place in the law (…) »653. Telle devrait en effet être l’interprétation
du principe pour lui donner sens et effectivité. Mais tel n’est pas la
réalité constatée dans les sentences arbitrales et une bonne partie de
la doctrine, du moins celles qui reconnaissent ce principe de distinc
tion et tentent de lui trouver un champ d’application.
Malgré cet affadissement du principe de distinction, il est encore
possible de réserver une place spéciale aux mesures de police. Cela
suppose qu’un critère de distinction soit établi pour permettre d’iso
ler des mesures de polices préjudiciables non indemnisables, même
à titre exceptionnel. Cependant, le critère utilisé par la majorité des
tribunaux ne permet pas la moindre démarcation.
651 Pour certains auteurs, les Regulatory Taking sont au contraire des règlementations
non indemnisables. L’expression devient alors synonyme de mesure de police.
C’est la position adoptée par exemple par M. SORNARAJAH, op. cit., note 40,
p. 374 ; ou H. MANN, K. VON MOLTKE, op. cit., note 206, p. 16.
652 C’est cette ligne de démarcation que recherchent précisément certains auteurs
comme T. WÄLDE, « Multilateral investment agreements… », op. cit., note 140,
p. 402.
653 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 396. L’auteur se réfère au § 72 de la
sentence Santa Elena c. Costa Rica, op. cit., note 280.
199
même temps, comme la règle n’est pas rigide, il est admis que dans
certaines circonstances, des mesures de police, bien que valides et
ainsi qualifiées, puissent néanmoins devenir des expropriations.
Cela dit, quelles sont ces circonstances exceptionnelles qui peuvent
faire migrer des mesures de police vers la catégorie des mesures d’ex
propriation indirecte ? Un premier indice apparaît dans l’annexe
B.13 (1) du dernier modèle canadien de TBI, même si la présomp
tion y est en faveur de la mesure de police. Contrairement à son
équivalent américain, ce modèle offre l’exemple d’une circonstance
exceptionnelle dans laquelle la mesure de police sera néanmoins
une expropriation indirecte : « lorsque la mesure est si rigoureuse au
regard de son objet qu’on ne pourra raisonnablement penser qu’elle a été adop-
tée et appliquée de bonne foi ». En d’autres termes, la mesure de police
change de nature juridique lorsque son impact économique est trop
lourd pour l’investisseur. De surcroît, il est surprenant de constater
que l’intensité du préjudice apparaît ici comme un indice ou une
preuve de la mauvaise foi de l’État réglementant.
Plusieurs tribunaux avaient déjà opté pour ce même critère bien
avant l’adoption de ce texte. Ainsi, certains tribunaux ont statué
qu’une mesure de police allant trop loin, au point de devenir une
expropriation indirecte, est une mesure qui cause un préjudice subs
tantiel à l’investisseur. Dans la sentence SD Myers c. Canada, le tri
bunal a établi qu’une distinction devait être faite entre les mesures
de règlementations non discriminatoires et légitimes ne donnant
pas droit à compensation et les expropriations indirectes. Concrète
ment, on a pu affirmer que « expropriation tend to involve the deprivation
of ownership rights ; regulation a lesser interference »654. Les arbitres ont
considéré que le critère du préjudice substantiel était suffisant pour
éliminer la plupart des demandes frivoles des investisseurs et ména
ger le pouvoir normatif de l’État655. Dans la sentence Pope & Talbot
c. Canada, le tribunal arbitral, en référence à la doctrine américaine
du Taking et particulièrement au Restatement Third, avait aussi établi
que le degré d’interférence permettait de tracer la ligne de démar
cation656. Dans cette affaire, le tribunal a eu le mérite de rejeter
clairement le principe de distinction. Il avait estimé que les mesures
de règlementation n’étaient pas exclues de la définition de l’expro
priation indirecte657. Si elles sont donc gravement préjudiciables, il
doit y avoir indemnisation. Dans le même sens, le tribunal arbitral
dans l’affaire Tecmecd c. Mexique a affirmé que « the measure adopted
200
by a State, whether regulatory or not, are an indirect de facto expropriation
if they are irreversible and permanent and if (…) any form of exploitation
(…) has disappeared »658. La sentence SD Myers c. Canada a abouti au
même résultat, mais en empruntant la voie inverse. Le tribunal a
commencé par reconnaitre l’existence du principe de distinction,
avant de poser que seul le degré d’interférence permettait de faire
cette distinction. Par conséquent, il a abouti à la règle de la gravité
du préjudice qui aurait été directement appliquée par un tribunal
rejetant le principe de distinction.
Dans la doctrine, un auteur, constatant la difficulté à dégager un
test clair et définitif par lequel « legitimate regulatory measure becomes an
illegal compensable Taking », avait conclu que « it is a question of degree »659.
Pour une large part de la doctrine, l’intensité de l’interférence est
donc l’élément crucial pour qualifier à la fois une expropriation
indirecte et la distinguer des règlementations non compensables660.
S’il s’agit de simples restrictions, ce sera une mesure de police non
indemnisable. S’il s’agit d’une dépossession au sens propre du terme,
ce sera une expropriation indirecte.
201
constituer une expropriation indirecte indépendamment du but
ou de la nature de la mesure. Or, toute mesure de règlementation
publique peut être dommageable à l’investissement. C’est même le
propre d’une réglementation, visant notamment la protection de
l’environnement, de la santé ou de l’ordre public, de faire peser des
charges plus ou moins élevées sur les personnes privées, dont l’opé
rateur économique étranger. La seule dépossession ne peut dans ces
conditions, suffire à distinguer ce qui est compensable de ce qui ne
l’est pas en matière de règlementation dite légitime.
Un principe de distinction a de l’intérêt si une règle évidente
est respectée : le critère de distinction doit être extérieur au cri
tère commun aux deux notions. En effet, ce qui rend deux notions
voisines, la caractéristique qu’elles partagent, ne saurait constituer
dans le même temps le critère de leur différenciation. En d’autres
termes, si l’effet préjudiciable sur l’investissement est le critère par
excellence qui permet à une mesure étatique quelconque d’intégrer
la catégorie d’expropriation indirecte ; il faudra un autre critère
pour tenir cette mesure étatique gravement préjudiciable hors de
cette catégorie.
En définitive, la position dominante est de faire de l’expropriation
indirecte une notion qui attire à « elle toutes les hypothèses qui semblent
de prime abord lui revenir au même titre »661 que la mesure de police.
Le principe de distinction, en l’état, ne suffit donc pas à ébranler
sérieusement la large définition de la mesure d’expropriation indi
recte qui bénéficie d’un « favoritisme de principe »662. Que faut-il alors
retenir de la notion de mesure de police ? Est-ce finalement une
simple formule incantatoire sans aucune valeur opératoire ? Devra-t-
on se contenter d’évacuer complètement cette question épineuse de
la problématique des mesures équivalentes à une expropriation ? Ce
serait en effet une solution commode, vu le difficile maniement de
cette notion. Pourtant, si la mesure de police n’est peut-être pas la
solution, elle offre cependant des enseignements utiles qui peuvent
servir à mieux tracer les contours de l’expropriation indirecte.
202
tion et critère de la démarcation, « la notion de « mesures équivalentes »
ne s’arrêt[e] pas où commencent les mesures prises dans l’intérêt prééminent de
l’État d’accueil »663. Or, cette conclusion n’a jamais vraiment été intel
lectuellement acceptable.
La notion de mesure de police était censée constituer un rem
part contre la propension de l’expropriation indirecte à accueillir
toutes les mesures étatiques préjudiciables à l’investisseur. En effet,
le principe que toute mesure dommageable à l’investisseur, même
important, n’est pas automatiquement une expropriation indirecte
est généralement reconnu. Mais il n’est pas donné à ce principe les
moyens de son efficacité. Ce rempart s’est donc révélé peu solide. Si
elle n’apporte pas de solution satisfaisante, la mesure de police a le
mérite de souligner un fait : la doctrine du seul effet n’est pas satis
faisante lorsque des mesures de règlementations générales visant
certains intérêts publics. Le problème de départ est donc toujours
présent. Le processus actuel de qualification des mesures d’expro
priation est trop large et permet d’englober l’ensemble des mesures
qu’un État prend quotidiennement pour veiller à l’intérêt général.
En réalité, le critère du seul effet est un critère par défaut qui semble
être utilisé faute de mieux. Malgré ses lacunes, il apparaît aux yeux
des arbitres comme le critère le plus rigoureux et du moindre mal.
Il serait idéal que les conditions requises pour qualifier une
mesure d’expropriation indirecte permettent dans le même temps
d’exclure les mesures de police. Mais les éléments caractéristiques
dégagés par la jurisprudence demeurent insuffisants pour départa
ger les mesures de police et les mesures équivalant à une expropria
tion. C’est la place même de l’expropriation indirecte par rapport
au droit de règlementer de l’État d’accueil dans l’intérêt public qui
est ainsi mise en lumière. Or, ce problème est également celui de la
mesure horizontale éligible au statut d’expropriation indirecte.
Dans la manière dont elle pose le problème de l’interaction entre
l’intérêt privé de l’investisseur et l’intérêt public de l’État réglemen
tant, la mesure horizontale présente cependant un avantage sur
la mesure de police. Il ne s’agit pas vraiment d’une différence de
nature, mais d’une différence de perspective. La mesure de police se
distingue avant tout par le fait qu’elle vise un intérêt public, supposé
prééminent. La mesure horizontale se distingue parce qu’elle ne vise
pas directement l’investisseur, peu importe en définitive la teneur
de l’objectif initial. Il est certain que dans les faits, une mesure qui
ne vise pas a priori un investisseur sera une mesure qui vise l’inté
rêt public. À ce titre, la mesure horizontale pose simplement le pro
blème autrement et ne se focalise pas sur l’existence et la nature
d’un intérêt public difficile à manier. Son identification sera donc
plus aisée à effectuer. En outre, par définition, la mesure horizontale
663 Y. NOUVEL « Les mesures équivalant… », op. cit., note 419, p. 95.
203
est neutre. Elle ne porte pas en elle-même sa qualification. Aucun
enjeu de distinction ne se pose. Mais la mesure horizontale doit être
soumise à une grille d’analyse plus complexe et adaptée aux enjeux
qu’elle pose. Avant de la qualifier en expropriation indirecte, des
paramètres allant au-delà du seul préjudice économique devront
être pris en compte.
En résumé, il apparait clairement que la recherche d’une ligne
de démarcation par la voie des mesures de police est vraisemblable
ment vaine. Il est évident que le raisonnement qui gouverne la clause
d’expropriation est hermétique à l’admission des mesures de police,
du moins tel que ces dernières sont appréhendées aujourd’hui. La
notion de mesures de police n’est qu’un révélateur d’un problème,
non sa solution. Toutefois, une ligne de démarcation demeure néces
saire et doit être tracée. Et dans cette nouvelle recherche, les intérêts
et les idées véhiculées par le concept de « mesure de police » pour
ront alors, sous une autre forme ou par un autre biais, intégrer le
régime juridique de l’expropriation indirecte.
* * *
Une conclusion sous forme de trois constats peut être faite sur
les contours de l’expropriation indirecte tels qu’ils se dessinent
aujourd’hui dans le contentieux international des investissements.
Le premier constat se rapporte à la clause conventionnelle d’ex
propriation. La mesure équivalant à une expropriation n’est pas, à
dessein, définie dans les traités de protection des investissements
étrangers. Le seul apport de ces traités réside finalement dans le fait
qu’ils défendent aux tribunaux de recourir à certains éléments pour
qualifier l’expropriation indirecte, à savoir ses critères de licéité.
Mais ces indications implicites demeurent insuffisantes pour établir
clairement les critères de définition. Les arbitres se sont donc tour
nés vers une coutume internationale qui, en plus d’être incertaine,
ne contenait que des éléments de réponses partielles. En effet, seules
les mesures verticales d’expropriation avaient été examinées et enca
drées jusqu’alors dans les sentences arbitrales.
Le deuxième constat concerne le critère de qualification dégagé
de la « coutume internationale » par les arbitres. L’effet préjudiciable
substantiel de la mesure sur l’investisseur est le critère fondamental
de qualification. Il est considéré comme se suffisant à lui-même et
excluant la prise en compte de toutes autres considérations. Cette
position est justifiée, mais uniquement dans le cadre des mesures
verticales. Pour les mesures horizontales, il est intellectuellement
impossible de ne pas prendre en compte le fait qu’elles n’ont pas été
prises à l’adresse de l’investisseur, et qu’elles visaient un autre objec
tif qui se trouve souvent être un intérêt public prééminent. Malgré
204
l’inadaptation de ce critère pour la qualification des mesures hori
zontales, les tribunaux ne continuent pas moins à l’appliquer dans
leur grande majorité, comme un critère par défaut.
Le troisième constat concerne la mesure de police. Face à la néces
sité de mieux encadrer les mesures horizontales d’expropriation
indirecte, dont l’expansion inquiète aussi bien les États, la société
civile, que certains tribunaux, la notion de mesure de police a sem
blé être la panacée. On a voulu se référer à un principe de distinc
tion qui permettrait d’isoler certaines mesures de règlementation de
l’État afin qu’elles ne soient pas indemnisables. Mais le contenu de la
mesure de police est trop imprécis, et les critères de distinctions pro
posés trop similaires aux critères de licéité de l’expropriation, pour
que cette solution soit viable. En substance, c’est la mesure de police
qui veut sortir du régime de l’expropriation indirecte qui, elle, s’ac
commode volontiers de la première. Comment sortir alors de ce que
l’on a pu qualifier de « conceptual labyrinth that separates the so-called
police power from the so called [power of eminent domain] »664 ? La solution
pourrait reposer, non pas sur une distinction entre mesure de police
et mesure d’expropriation indirecte, mais dans une approche adap
tée à chaque forme d’expropriation indirecte : la mesure verticale
et la mesure horizontale. C’est sur la recherche des éléments consti
tutifs adaptés aux mesures horizontales, dans le respect du pouvoir
normatif de l’État et du régime juridique de l’expropriation, que va
porter la seconde partie de cette étude.
205
TITRE 2
207
Chapitre 1
La spécificité juridique
d’une mesure horizontale éligible
au statut d’expropriation indirecte
209
§ 1 – Une mesure ne visant pas initialement l’investisseur
210
mesure vise « un caractère sans se préoccuper des personnes qui le pré-
sentent »665.
La mesure d’ordre général est donc celle qui n’a pas été édictée
à l’intention d’un investisseur ou un groupe d’investisseurs en par
ticulier. Le préjudice subi par l’investisseur, sauf dissimulation, n’a
pas été prémédité. Cela ne signifie pas que les décideurs politiques
n’aient pas prévu de possibles retombées négatives pour les opéra
tions économiques évoluant sur le territoire, mais l’impact sur tel ou
tel investisseur n’était pas la raison d’être de la prise de la mesure.
Le but initial est extérieur à l’investisseur. Les mesures horizontales
de ce genre sont par excellence, celles par lesquelles l’État peut expro-
prier en règlementant 666. La mesure d’ordre général est une mesure
horizontale par nature. Elle est plus facile à identifier que les mesures
qui sont horizontales par assimilation.
211
La seule réponse viable est d’assimiler la mesure d’application spé
cifique à la mesure-cadre horizontale. Mais comment justifier qu’une
mesure spécifique soit néanmoins de nature horizontale ? Prenons
l’exemple d’une loi ou d’une convention internationale interdi
sant désormais le monopole dans certains secteurs économiques. Il
appartiendra à l’État signataire de prendre une mesure modifiant
un contrat préalable qui instituait un monopole de fait ou de droit
au bénéfice d’un investisseur privé. À ce niveau, c’est bien la nature
horizontale de la première mesure qui primera et déteindra sur la
seconde mesure. Le but initial est la disparition des monopoles voulue
par la mesure-cadre. Il se trouve que l’investisseur répond à la situa
tion donnée, mais en raison de l’existence d’un contrat, il est néces
saire que l’État prenne une mesure supplémentaire pour rendre la
première mesure effective tout en organisant ses conditions de mise
en œuvre. Si donc, certaines mesures horizontales sont « autosuffi
santes », d’autres nécessitent une mesure d’application concrète. Dans
ce dernier cas, il faudra assimiler toutes les mesures secondaires à la
première mesure-cadre.
On peut nous rétorquer que la solution de l’assimilation est artifi
cielle. Ce serait le cas d’un décret gouvernemental qui déciderait l’an
nulation de tous les contrats de concessions dans un secteur d’activité
donné, suivi par une décision d’annulation à l’encontre de chaque
investisseur concerné (exemple des faits à l’origine de l’affaire Philips
Petrolium devant le tribunal irano-américain). Mais dans ce cas, en réa
lité, la première et la seconde mesure demeurent des mesures verti
cales. En effet, la première mesure, à savoir le décret annulant tous
les contrats, n’est qu’une mesure verticale collective. Le but initial était
de mettre fin à des concessions identifiées a priori, car elles avaient
été accordées à des investisseurs en particulier. Mais surtout, la pre
mière mesure modifie immédiatement leur situation initiale, à savoir
la résiliation de contrats de concessions identifiables a priori. Ce serait
également le cas d’un règlement décidant de l’expulsion des locataires
d’un immeuble pour cause d’insalubrité. Il s’agira alors d’une mesure
verticale collective, car les destinataires peuvent être identifiés a priori
et sont visés en tant que tels. Ces situations doivent donc distinguer
de véritables mesures horizontales suivies d’une mesure d’application.
212
de fourniture en gaz, en électricité ou en eau potable, étaient calculés
en dollars avant d’être convertis et collectés en pesos auprès des usa
gers. Ensuite, les prix devaient être ajustés deux fois par an en fonc
tion de l’Indice des Prix à la Production (IPP) des États-Unis. Enfin,
tous les cinq ans, les tarifs devaient faire l’objet d’un ajustement géné
ral. Suite à la crise de 2001, une loi d’urgence fut adoptée le 6 janvier
2002 pour mettre fin à la convertibilité paritaire du peso argentin en
dollars américains. Dans la même ligne, elle mettait fin au calcul des
tarifs en dollars américains et à l’ajustement semestriel en fonction
de l’IPP des États-Unis (article 8). La loi prévoyait également que les
contrats seraient renégociés afin de les rendre conformes à ses nou
velles prescriptions. Les tarifs, désormais gelés, devaient être calculés
directement en pesos argentins. Les mesures prises pour modifier les
contrats et rendre effectif le gel des tarifs pourraient être considérées
comme des mesures verticales collectives.
Mais il faut analyser de près le contexte dans lequel la mesure fut
prise afin de se rendre compte qu’elle n’est que l’application d’une
autre mesure de nature horizontale : la loi d’urgence mettant fin à la
convertibilité du peso argentin en dollars américains à un taux pari
taire d’un contre un. Quand le gouvernement argentin décroche la
monnaie nationale du dollar américain pour la laisser aux forces du
marché, et procède ainsi à la « pesification » de l’économique, on est
bien en présence d’une mesure horizontale d’ordre général. Quand
il décide à la suite de cette mesure de mettre fin au calcul des tarifs
en dollars et à l’ajustement des tarifs sur l’IPP américain, il ne fait
que prendre des mesures d’application de la mesure d’ordre général
à l’adresse des investisseurs concernés. De ce fait, ces mesures, bien
que désignant leurs destinataires, sont des mesures horizontales par
assimilation. Dans la mesure où l’interdiction de cet ajustement n’est
qu’une étape nécessaire de mise en œuvre d’une mesure d’ordre
général, il ne saurait être question d’une mesure verticale.
En effet, comment peut-on reconvertir une économie nationale
dans la monnaie nationale, et maintenir dans le même temps la pos
sibilité de calculer des prix de consommation de certaines denrées
essentielles dans une monnaie étrangère avant de convertir le prix
dans la monnaie locale, et en se basant sur l’indice des prix à la pro
duction d’un autre État ? Il faut savoir qu’à cause de la dévaluation
brusque du peso après l’abandon de la parité, les salaires des Argen
tins furent considérablement dépréciés par rapport au dollar. Il était
devenu impossible pour les usagers de continuer à payer les services,
comme le demandaient les entreprises, soit en dollars, soit en pesos à
un montant augmenté de 200 % pour combler la dépréciation de la
monnaie667. Il s’agit donc ici d’une relation de continuité entre plu
667 D’un autre côté, on peut comprendre la position des entreprises qui avaient
contracté des prêts ou continuaient à honorer certaines dépenses facturées à
l’étranger dans des devises étrangères fortes et stables.
213
sieurs mesures liées directement à une situation économique d’un
pays, et non à la situation d’un investisseur ou d’un groupe d’inves
tisseurs. Il en irait autrement, si pour une raison ou pour une autre,
les autorités avaient décidé de mettre fin directement, unilatérale
ment ou par voie de renégociation, à l’ajustement des tarifs prévus
dans les contrats avec des investisseurs étrangers. Dans ce cas, dès le
départ, la mesure serait autonome et prise à l’encontre d’un inves
tisseur ou un groupe d’investisseurs. Les autorités seraient alors en
train de modifier directement la situation initiale de ces derniers,
peu importe les justifications à leur choix. Dans ces conditions, les
mesures seraient alors de nature verticale.
Dans le cadre de cette crise financière et économique, un tribunal
CIRDI n’a pas retenu sa compétence pour connaitre des mesures
générales prises par l’Argentine, mais uniquement pour les mesures
spécifiques prises à l’encontre des investisseurs668. Mais n’était-il pas
artificiel ici de déconnecter ainsi les mesures spécifiques que l’on
pourrait prendre pour verticales, des mesures générales qui étaient
horizontales ? En d’autres termes, les mesures spécifiques, même
si elles rentrent dans la compétence d’un tribunal, ne peuvent être
complètement isolées du contexte général dans lequel elles furent
édictées.
Un autre exemple, hypothétique cette fois, peut être utilement
donné. Supposons un État qui s’engage dans un processus d’inté
gration dans une Union monétaire et économique régionale comme
l’Union européenne. Pour ce faire, l’État candidat doit prendre des
engagements et procéder à des modifications de sa législation afin
de se mettre en conformité avec les lois communautaires de l’Or
ganisation régionale qu’il souhaite intégrer. Ce processus peut se
dérouler sur plusieurs années et suivre différentes étapes établies
par un cahier des charges. On le sait, dans toute intégration régio
nale de ce type, les capitaux (et donc les investissements) circulent
sans entraves et les politiques économiques sont harmonisées. De ce
fait, la libre concurrence devient une question primordiale. Si le pays
candidat sort par exemple d’une économie planifiée où l’État était le
seul opérateur économique, ou si des monopoles avaient été octroyés
dans certains secteurs à des entreprises privées ou publiques, il est
évident que certains avantages devront être supprimés. L’État adop
tera alors probablement une nouvelle loi libéralisant certains sec
teurs économiques. Cette loi constitue une mesure d’ordre général
dont le but initial est la mise en conformité de la législation natio
nale avec une obligation internationale de l’État. Afin de mettre en
œuvre cette loi, l’État concerné pourra décider de renégocier les
garanties et privilèges octroyés aux investisseurs privés étrangers
dans leurs contrats. Les décisions prises dans le cadre de ces négocia
214
tions seront des mesures spécifiques d’application. Dans un tel cas, il
serait aberrant de prendre en considération les seules mesures d’ap
plication et d’ignorer le but initial de la première mesure d’ordre
général.
Avec ces exemples, on comprend mieux les risques liés à une clas
sification erronée de la mesure éligible en cause. Il faut donc garder
à l’esprit que la mesure d’application d’une mesure d’ordre général
ne dispose pas d’une autonomie propre. Elle n’existe que dans le
cadre des conditions et limites posées de la mesure-cadre. Elle est en
quelque sorte le bras armé de cette dernière. Ce n’est donc pas en
elle qu’il faut rechercher le but initial extérieur à l’investisseur. Ce
but initial se trouve dans la mesure préalable qui conditionne son
existence. Une fois encore, on rappellera qu’une mesure horizon
tale, comme n’importe que la mesure éligible, peut se révéler être ou
pas une expropriation indirecte.
Un second élément caractérisant toute mesure horizontale, et qui
n’est qu’un corollaire du précédent est la nature de ses effets sur
l’investissement.
215
sont également préservés. Dans une mesure verticale, l’interférence
peut consister en une prise de contrôle de l’investissement par l’État.
Sur la base du critère du préjudice causé à l’existence matérielle
d’un investissement, ou du préjudice causé par la prise de contrôle
de ce dernier, une mesure horizontale ne pourra jamais remplir la
condition du préjudice substantiel requis pour l’expropriation indi
recte. Or, la modification des conditions générales dans lesquelles
évoluait l’investissement peut compromettre profondément et dura
blement une opération économique. Lorsque les conditions géné
rales évoluent dans un sens défavorable, une activité d’investissement
peut se retrouver dans une situation économique délicate, difficile,
voire impossible. De ce fait, évaluer la nature du préjudice ne saurait
consister à regarder si des locaux ont été saisis ou si l’investisseur
gère au quotidien son entreprise. Une mesure étatique qui interdit
dorénavant l’exploitation d’une essence de bois protégée ne vise pas
initialement l’investisseur dans sa situation juridique propre. Mais
si ce dernier avait justement pour activité la coupe et la commer
cialisation de cette essence de bois, il est certain que son investisse
ment perdra toute utilité économique. Bien que son entreprise ait
toujours une existence en droit (contrairement à une expropriation
directe) et en fait (contrairement à une expropriation indirecte par
mesure verticale), il ne pourra plus en tirer un quelconque bénéfice.
Sans préjuger de l’évaluation par le tribunal de la gravité du pré
judice subi, une telle mesure horizontale est bien éligible au statut
d’expropriation indirecte, dans la mesure où elle peut conduire à
une expropriation de valeur.
En définitive, la mesure horizontale se distingue par deux élé
ments essentiels :
– Elle ne vise pas initialement l’investisseur, mais poursuit un but
initial qui lui est extérieur. La nature de ce but initial est sans
pertinence, au moment de l’identification de la mesure.
– Ses effets sur l’investissement, contrairement à une mesure ver
ticale, ne portent que sur les conditions économiques générales
dans lesquelles évoluait l’activité. L’investissement continue
d’exister dans son intégrité matérielle et demeure à la disposi
tion de l’investisseur.
Concrètement, l’arbitre pourra se poser successivement ces deux
questions : la situation juridique de l’investissement était-elle la
raison initiale de l’adoption de la mesure ; que celle-ci soit d’ordre
général ou le concerne spécifiquement à la suite d’une première
mesure-cadre ? Dans la négative, l’impact de la mesure a-t-il porté
sur l’existence matérielle ou les pouvoirs de direction et de contrôle
de l’activité d’investissement ? Si la réponse est toujours négative, il
devra conclure à une mesure horizontale. Il est évident que par défi
nition, la mesure horizontale est plus large que la mesure verticale.
Il est donc possible, afin d’en simplifier l’identification, de vérifier
la présence d’une mesure horizontale, par le biais de l’inexistence
216
d’une mesure verticale. Ainsi, tout ce qui n’est pas une mesure verti
cale est une mesure horizontale. Autrement dit, le doute profite à la
mesure horizontale et à ses éventuelles mesures spécifiques d’appli
cation. Dès lors que les mesures horizontales éligibles ont pu être iso
lées, il faut maintenant convaincre de la pertinence et de la nécessité
d’une distinction entre mesures verticales et mesures horizontales,
aux fins de l’application de critères de qualifications adaptés.
670 F. HORCHANI, « Le droit international des investissements… », op. cit., note 11,
p. 367
217
pouvoir normatif lorsque la dépossession de l’investissement n’était
pas la raison de son intervention (B).
« while a sovereign State possesses the inherent right to regulate its domestic affairs,
the exercise of such right is not unlimited and must have its boundaries. (…) the
rule of law, which includes treaty obligations, provides such boundaries. Therefore,
when a State enters into a bilateral investment treaty like the one in this case, it
becomes bound by it and the investment-protection obligations it undertook therein
must be honored rather than be ignored by a later argument of the State’s right to
regulate »672.
671 Voir par exemple, H. MANN, K. VON MOLTKE, op. cit., note 206, pp. 23-36.
672 ADC Corp. c. Hongrie (ARB/03/16), sentence CIRDI du 2 octobre 2006, § 423.
218
tive rights under the instruments providing them with theses guarantee and
protection »673.
Un deuxième argument est de rappeler qu’aucun traité de protec
tion des investissements ne donne le pouvoir à un tribunal d’impo
ser dans le dispositif d’une sentence, le retrait ou la modification
d’une mesure d’expropriation, même indirecte et illégale. Ainsi, en
matière d’expropriation, il n’est pas interdit à l’État hôte de procéder
à un tel acte. Il lui est seulement exigé d’indemniser l’investisseur en
retour. Et comme la règlementation d’ordre général est considérée
comme potentiellement expropriante au même titre que n’importe
quelle mesure étatique, cela revient à dire qu’il n’est pas interdit de
règlementer, mais d’indemniser en cas de préjudice.
Chaque État est donc théoriquement libre de prendre les mesures
qu’il estime nécessaires pour la régulation des activités économiques
se déroulant sur son territoire, dans la limite de ses obligations inter
nationales souverainement consenties. En vertu du régime juridique
de l’expropriation (directe et indirecte), il doit alors assumer les
conséquences préjudiciables de ses lois et règlements sur les inves
tisseurs privés étrangers. Il appartient donc à chaque État de mettre
en œuvre des politiques à la fois soucieuses de l’intérêt général et
conformes aux droits des investisseurs. Théoriquement, le pouvoir
normatif de l’État est parfaitement préservé.
673 AES c. Argentine (ARB/02/17), sentence CIRDI du 26 avril 2005 sur la juridiction,
§ 57.
674 C. LEBEN, « La liberté normative… », op. cit., note 123, p. 179.
219
cause « la liberté normative de l’État ». Mais l’auteur admet égale
ment que dans certains cas limités et flagrants, les mêmes arbitres
pourraient « s’engager dans une voie conduisant à une censure de
l’activité normative générale des États »675. En réalité, les arbitres
ont généralement toujours pris soin de ne pas émettre de jugement
de valeur ou d’opportunité sur les mesures étatiques dont ils ont à
connaître, même lorsqu’ils procèdent à un contrôle de proportion
nalité. Comme l’a souligné la sentence Tecmed c. Mexique, le rôle des
tribunaux arbitraux se limite à vérifier la conformité de ces mesures
avec les engagements que l’État a pris dans le cadre d’un TBI676. Cela
est d’autant plus vrai que l’acte d’exproprier est aussi l’expression
d’une liberté normative.
En conclusion, sur le plan théorique, et au regard des sentences
arbitrales rendues jusqu’à présent ces deux dernières décennies dans
le cadre du CIRDI notamment, il n’y aurait pas de dilution de la sou
veraineté étatique. Mais, on ne peut s’arrêter ni à une simple analyse
théorique, ni aux statistiques des requêtes d’expropriation indirecte
rejetées par les tribunaux arbitraux, pour ignorer le potentiel exten
sif de la définition de l’expropriation indirecte. Surtout lorsqu’on sait
que plusieurs sentences arbitrales ne sont pas rendues publiques et
que certains États préfèrent retirer certaines règlementations sur la
simple menace d’un arbitrage par les investisseurs lésés.677 En outre,
comme le constate un auteur, « la capacité de l’État d’élaborer des règles
visant à réguler les activités socio-économiques s’analyse traditionnellement
comme l’un des principaux attributs de la souveraineté »678. Or, les limita
tions à la souveraineté étatique ne se présument pas679. La question
fondamentale est donc de savoir si, en concluant des TBI, les États
hôtes d’investissement ont voulu par là un complet « désarmement (…)
dans la conduite de leurs politiques économiques »680.
220
La remise en cause réelle du pouvoir normatif : il est risqué de règlementer
• La problématique des ressources financières publiques requises
pour l’exercice du droit d’exproprier
La question des capacités financières des États dans l’analyse du
droit de l’expropriation ne date pas d’aujourd’hui. Ainsi, l’argu
ment avait déjà été défendu contre la formule de Hull qui exigeait
pour toute expropriation une indemnisation « prompte, adéquate, et
effective », c’est-à-dire une indemnisation intégrale. Il avait été repro
ché à cette règle de faire fi des capacités de paiement de chaque État,
et donc de constituer un frein à son droit de choisir librement son
système économique et mener ses réformes économiques en vertu
de sa souveraineté. Ces discussions anciennes sont brièvement rele
vées ici pour mieux les écarter. Notre propos n’est pas de discuter
du montant de l’indemnisation due en cas d’expropriation indirecte
par mesure horizontale. La capacité de paiement de l’État doit être
envisagée dès la phase de qualification.
Le fossé est en effet grand entre la reconnaissance du pouvoir nor
matif de l’État et la réalité de ses capacités financières. L’impossibi
lité pour un État de financer par ses ressources publiques les consé
quences préjudiciables de ses projets de réglementations d’intérêt
public, ne conduit-elle pas à lui interdire de modifier ou d’adapter
sa législation lorsque le besoin se fait sentir ? R. Dolzer et M. Stevens
estimaient déjà que, « it may be argued that the State is prevented from
taking any such measures where these cannot be covered by public financial
resources »681. La sentence Marvin Feldman c. Mexique, a aussi mis en
exergue ce problème crucial :
« Governments must be free to act in the broader public interest through protection
of the environment, new or modified tax regimes, the granting or withdrawal of
government subsidies, reductions or increases in tariff levels, imposition of zoning
restrictions and the like. Reasonable governmental regulation of this type cannot
be achieved if any business that is adversely affected may seek compensation »682.
221
de son interventionnisme débridé. La menace réelle d’être attrait
devant les tribunaux peut alors devenir une arme redoutable aux
mains des investisseurs683. En outre, il faut se rappeler que dans doc
trine américaine du Taking, les tribunaux nationaux américains ont
d’abord été favorables à une définition très restrictive des règlemen
tations générales expropriantes lorsque les États-Unis étaient encore
un jeune État fédéral engagé dans de vastes projets de développe
ment de ses infrastructures. Puis la tendance s’est inversée avec le
développement économique et l’expansion capitaliste de l’État. Par
tant de ce constat, M. Sornarajah estime, à juste titre, que « if it is
necessary that guidance must be sought from US law, then the preference of
the developing States would be to select an earlier stage of the development
of US law at the time when the United States was also undergoing a stage of
development. During these early stages, it is evident that the United States
did recognize a wider category of regulatory taking which was not compen-
sated »684. Encore aujourd’hui, dans un État où la protection de la
propriété privée contre l’expropriation est directement garantie par
la Constitution fédérale, la Cour suprême a considéré, s’agissant des
restrictions imposées à l’usage des terres par exemple, que « treating
them all as per se takings would transform government regulation into a
luxury few government could effort »685.
La crise argentine a illustré récemment le problème des capacités
financières d’un État traversant des difficultés économiques. Pour
faire face à une crise économique d’une sévérité sans précédent pour
le pays et qui a culminé en 2001, le gouvernement argentin avait pris
des mesures qui remettaient en cause les garanties octroyées à des
investisseurs privés étrangers dans divers contrats de concessions686.
Ces derniers ont alors introduit pas moins de 40 requêtes d’arbitrage
auprès du CIRDI contre des mesures gouvernementales et locales.
On notera de surcroît que la plupart des litiges concernent des inves
tissements effectués dans des services publics sensibles comme la
683 Ainsi la compagnie R.J. Reynolds Tobacco avait ainsi brandi la menace du
chapitre 11 de l’ALENA avec succès au Canada pour obtenir le recul des autorités
gouvernementales qui voulaient interdire l’utilisation des appellations « légères »
et « douces » sur les paquets de cigarettes, au motif qu’elles masqueraient les
effets nocifs du produit. L’entreprise soutenait qu’une réglementation de ce
genre constituerait une expropriation de leurs actifs intangibles (marque de
commerce et clientèle). Voir V. BEEN, J. C. BAUVAIS, op. cit., note 549, pp. 133-
134.
684 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 387.
685 Tahoe-Sierra Preservation Council Inc. c. Tahoe Regional Planning Agency, 535 U.S.
302, 122 S. Ct. 1465, 1479 (2002).
686 Pour un résumé succinct de la crise, voir E. KENTIN, « Economic crisis and
Investment Arbitration : The Argentine Cases », in Ph. KAHN, T. WÄLDE,
Les aspects nouveaux du droit des investissements internationaux, Leiden/Boston,
Martinus Nijhoff Publischers, 2007, pp. 631-634.
222
fourniture en eau ou en électricité687. Cet État qui était sérieusement
menacé par une faillite de toute l’économie nationale se retrouve
en situation de devoir payer des millions de dollars aux investisseurs
qui l’ont attrait devant les tribunaux. On laissera aux économistes
le soin d’évaluer la justesse et l’efficacité des mesures prises par le
gouvernement pour endiguer la crise. On se limitera à constater que
la majorité de ces mesures était de type horizontal par nature ou
par assimilation, et qu’elles furent prises justement à une période de
crise économique et financière.
La problématique de l’indemnisation
systématique des mesures horizontales préjudiciables
La question des capacités financières de l’État règlementant soulève
également des questions philosophiques délicates. Qui doit payer les
coûts de la réalisation de l’intérêt public ? La société en totalité ou le
détenteur du bien sacrifié ? Mais ces questions dépassent largement
le cadre de ce travail. On se limitera ici à évaluer certains arguments
para juridiques qui ont été avancés pour justifier le bien-fondé de
l’indemnisation, toutes les fois où l’État cause un préjudice à autrui
dans le cadre de ses règlementations générales quotidiennes. On
verra si ces arguments, probablement satisfaisants dans le cadre des
mesures verticales, sont concevables pour les mesures horizontales.
Trois justifications sont généralement avancées688. La théorie de l’in
ternalisation des coûts, la théorie de l’indemnisation-assurance, la
théorie de l’équité et de la justice.
687 Les requêtes peuvent être divisées en fonction du secteur d’activité en cause :
production et distribution de l’électricité (9), transport et distribution du gaz
(9), fourniture en eau (6), télécommunication (2), autres (9).
688 Pour un exposé de ces théories, voir V. BEEN, op. cit., note 262, pp. 49-63 ;
F. I. MICHELMAN, « Property, Utility, and Fairness : Comments on the Ethycal
Foundations of « just Compensation » Law », Harvard Law Review, 1967, vol. 80,
pp. 1165-1258.
223
d’indemniser n’est pas seulement une protection pour l’investisseur,
elle rend aussi service aux États d’accueil.
Mais ce raisonnement pêche par un point important. Comme l’a
remarqué V. BEEN, cette théorie part du principe que « governments
actors are the equivalent of rational, profit-maximizing firms. That is a big
leap »689. En effet, les gouvernants n’ont pas été élus, et les fonction
naires embauchés, pour maximiser les profits financiers d’un État.
Leur rôle est plutôt d’arbitrer les différents intérêts qui animent la
société et de trancher dans le sens le plus favorable à la majorité.
Or, l’intérêt général n’est que rarement l’intérêt optimal. Par consé
quent, le fait qu’une possible indemnisation pende à leurs choix de
règlementations passe au second plan face à la nécessité de remédier
à une catastrophe, prévenir un péril avéré ou réaliser un objectif de
développement économique ou social. La seule contrainte financière
pour les décideurs politiques est celle de la mise en œuvre même de
la mesure et pas celle des coûts pour l’indemnisation éventuelle des
dommages qu’elle occasionnera à certains opérateurs économiques.
Il faut le rappeler, cette analyse ne concerne que les mesures hori
zontales et non des mesures contractuelles spécifiques.
Par ailleurs, est-il possible pour un État de prévoir et même de
budgétiser le montant des indemnisations au titre d’une hypothé
tique expropriation indirecte survenant à la suite d’une mesure hori
zontale ? Et quand bien même y parviendrait-il, devrait-on s’attendre
à ce que chaque gouvernement, avant l’édiction de chaque mesure
horizontale, puisse par exemple augmenter les impôts à l’échelle
nationale ou locale sur les bénéficiaires de la mesure litigieuse en
prévision d’une future indemnisation ? L’envisage-t-on surtout dans
un pays en développement ? Cette théorie, biaisée par des prémisses
erronées, est surtout irréaliste.
• La théorie de l’indemnisation-assurance
Selon la seconde théorie, l’obligation d’indemnisation n’est rien
d’autre qu’une sorte d’assurance risque contre les réglementations
d’ordre général préjudiciables. Par conséquent, les gouvernements
doivent remédier aux préjudices causés par leurs réglementations.
Sans cette assurance d’indemnisation, l’investisseur ne serait pas
dans les conditions requises pour faire le meilleur usage de son
investissement. Cette théorie est la moins défendable. En premier
lieu, parce que les investisseurs disposent déjà de mécanismes de
garanties de couverture des risques non commerciaux, y compris les
expropriations indirectes issues de certaines règlementations géné
rales690. Mais surtout, et c’est le plus important, l’investisseur ne paie
aucune prime d’assurance à l’État. L’indemnisation que ce dernier
224
lui verserait en cas d’expropriation indirecte ne peut s’analyser en
une assurance pour risque. Comme l’ont rappelé à maintes reprises
les sentences arbitrales, les TBI ne sont pas des polices d’assurance.
Par ailleurs, il appartient à l’investisseur d’anticiper les nouvelles
règlementations préjudiciables, en prenant une assurance, ou en
diversifiant les risques.
Enfin, l’application de cette théorie peut conduire à un résultat
contraire à celui qui était visé. Les entreprises qui seraient assu
rées d’être indemnisées par l’État d’accueil pour n’importe quelle
règlementation générale préjudiciable, ne seraient-elles pas moins
enclines à anticiper les nouvelles règles, en investissant par exemple
dans la recherche de nouvelles technologies ou de produits ? C’est
particulièrement le cas des activités utilisant des substances dange
reuses. Si cette théorie est peut-être rationnelle d’un point de vue
économique, elle n’est pas défendable d’un point de vue juridique.
225
des avantages fiscaux importants qui lui sont accordés, notamment
dans les pays en développement, et qui compensent largement le
déséquilibre de départ.
En second lieu, les obligations de traitement national et de trai
tement juste et équitable prévues dans les traités de protection des
investissements offrent une meilleure protection et permettent de
remédier au désavantage de départ de l’étranger qui ne jouit pas de
droits politiques. En effet, si l’investisseur ne peut pas contribuer au
choix des dirigeants qui défendront ses intérêts, les traités de pro
tection des investissements lui garantissent que les dirigeants élus
par les nationaux ne pourraient pas règlementer spécialement en sa
défaveur pour protéger les ressortissants de l’État. Par exemple, une
nouvelle loi adoptée dans le but de favoriser les opérateurs nationaux
dans un secteur concurrentiel où opèrent des investisseurs étrangers
pourra constituer une discrimination illicite, sans forcément consti
tuer une expropriation indirecte.
En dernier lieu, la justice et l’équité sont des concepts particuliè
rement délicats à manier. Ce qui est juste et équitable ne peut être
défini en dehors de paramètres aussi multiples que complexes. Or,
il faut le rappeler, les tribunaux arbitraux d’investissements « have
neither the structural protection nor the institutional credibility necessary wit-
hin a democracy to review the balance legislatures have struck between the
interests of investors and those of broader society »693.
En définitive, aucun de ces arguments ne suffit à justifier le bien-
fondé d’une indemnisation large et systématique des mesures hori
zontales qui causent un préjudice grave à l’investissement étranger.
L’État doit pouvoir adopter dans l’intérêt général certaines mesures
susceptibles de porter atteinte aux intérêts des particuliers étrangers
ou nationaux, sans être entravé par la perspective d’actions en dom
mages et intérêts. Il est essentiel de garder à l’esprit qu’un État, pour
reprendre les propos de G. Burdeau, « n’est pas seulement le parte
naire de l’investisseur, comme dans l’hypothèse où il y a un contrat
et par conséquent des parties avec des obligations réciproques.
L’État a une certaine responsabilité vis-à-vis de l’investisseur, mais
il a aussi des responsabilités plus vastes »694. Les mesures horizon
tales, prises en dehors des relations contractuelles, relèvent de ces
obligations plus vastes de l’État. Il serait donc aberrant que chaque
pays doive s’assurer quotidiennement de l’incidence de la moindre
loi, règlement ou décret du plus petit de ses démembrements, et le
cas échéant indemniser un ou plusieurs investisseurs. Cette situation
226
est encore moins acceptable lorsque la mesure étatique a été prise
conformément à une obligation internationale de l’État.
227
Le risque inhérent à toute opération d’investissement
Tout investissement, par définition, inclut des risques. Risques
commerciaux naturellement liés à la gestion de l’entreprise et aux
conditions générales du marché, mais aussi risques non commer
ciaux liés à la stabilité politique, économique et sociale de l’État
d’accueil. On distingue ainsi entre l’« aléa économique », relatif
aux risques commerciaux et l’« aléa législatif » relatif aux risques de
modifications législatives et règlementaires697.
Comme l’a exprimé le tribunal irano-américain dans l’affaire Star-
ret Housing : « investors in all […] countries, have to assume a risk that
the country might experience strikes, lock-outs, disturbances, changes of the
economics and political system and even revolution. That any of these risks
materialized does not necessarily mean that property rights affected by such
events can be deemed to have been taken »698. L’investisseur en s’instal
lant donc dans un pays donné est censé être averti de ses conditions
économiques, politiques et sociales. Il est normal qu’il s’entoure de
certaines garanties contractuelles ou conventionnelles, mais il ne
saurait être à l’abri de toute mésaventure. Ainsi, le tribunal dans
l’affaire Fireman c. Mexique a considéré que
« not all government regulatory activity that makes it difficult or impossible for
an investor to carry out a particular business, change in the law or change in the
application of existing laws that makes it uneconomical to continue a particular
business, is an expropriation under Article 1110. Governments, in their exercise
of regulatory power, frequently change their laws and regulations in response to
changing economic circumstances or changing political, economic or social consi-
derations »699.
« Aucune entreprise […] dont le succès est lié au cours changeant des prix
et des tarifs ne peut échapper aux éventualités et aux risques qui sont
le résultat des conditions économiques générales. Certaines entreprises
697 Sur la distinction entre l’aléa économique et l’aléa législatif, voir P. MAYER, « La
neutralisation du pouvoir normatif de l’État en matière de contrat d’États », JDI,
1986, pp. 5-6.
698 Starrett Housing, op. cit., note 90, p. 156.
699 Fireman c. Mexique, op. cit., note 119, § 112.
228
peuvent faire de grands profits dans une époque de prospérité générale
ou bien en profitant d’un traité de commerce ou d’une modification des
droits de douane ; mais elles sont aussi exposées à se ruiner et à s’éteindre
à cause d’une situation différente »700.
229
ou morale étrangère soumise à la toute-puissance de l’État d’accueil,
et non en tant qu’opérateur économique quelconque.
Quoi qu’il en soit, l’expropriation indirecte n’est pas une catégo
rie fourre-tout dans laquelle il faudra jeter toutes les situations qui
ne rempliraient pas totalement les critères de qualification d’une
expropriation directe, tout en ayant au moins un point commun avec
cette dernière. Il faut ajouter que l’expropriation indirecte n’est ni
une garantie de profits maximums, ni une garantie contre tous les
aléas qui peuvent survenir dans la vie d’une entreprise. Cette clause
a pour justification profonde de corriger les défaillances dans la pro
tection des biens étrangers qu’offre l’expropriation directe et for
melle. Autrement dit, au-delà de la forme, il faut regarder concrè
tement la situation de l’investisseur privé étranger pour lui assurer
une protection effective. Certes, le régime de l’expropriation directe
comme indirecte tourne autour du préjudice subi par l’investisseur.
Mais conclure, à partir de cette réalité, qu’aucune autre considéra
tion ne doit être prise en compte dans l’analyse est un pas qui ne
saurait être franchi. Les droits de l’investisseur ne sont pas infinis. Si
la protection doit être effective, elle ne peut être absolue.
À ce propos, il faut relever que le droit international des inves
tissements est un droit déséquilibré qui n’appréhende les rapports
entre l’État et les investisseurs qu’en termes de responsabilité inter
nationale du premier. Or une telle conception de la responsabilité à
la charge d’un seul partenaire ne peut permettre de répondre aux
besoins de développement, notamment lorsque l’investisseur est éco
nomiquement aussi puissant, sinon plus puissant que l’État d’accueil.
Par conséquent, « la légitimité du concept traditionnel de la respon
sabilité sera mise à rude épreuve aussi longtemps qu’il ne fournira
qu’une base à la protection de l’investissement étranger contre les
intérêts souvent légitimes de pays d’accueil. Un système qui n’aborde
un problème que du côté d’un seul partenaire ne peut être considéré
comme un système international juste »704.
On conclura sur ce point avec ces propos empruntés à M. Sornara
jah : « it should not be the function of international law to insulate the foreign
investor from the regulatory regime of the host state’s law »705. La fonction
du droit international des investissements est en effet de protéger
l’investisseur contre les comportements internationalement illicites
de l’État hôte à son égard, mais ce droit ne peut rendre l’activité
d’investissement imperméable à toute règlementation locale qui lui
est incidemment désavantageuse.
230
B. L’État comme vecteur des règles
internationales sur le territoire national
231
la coutume internationale, le droit conventionnel ou les principes
généraux pertinents pour le domaine spécifique. En outre, les pré
ambules de certains traités de protection des investissements récents
intègrent au côté de l’objectif de la croissance économique mutuelle,
la réalisation du développement durable comme la promotion des
droits humainsou la protection de l’environnement.
Dans une analyse de la responsabilité internationale des États sur
le fondement des traités de protection des investissements, C. Leben
est arrivé à la conclusion que « rien dans ses caractéristiques propres
n’empêche de voir dans [cette dernière] un sous-système au sein
du système du droit international général de la responsabilité des
États »706. De même, dans son cours professé à l’Académie de La Haye
sur l’expropriation, R. Higgins, avait insisté sur le fait que, « questions
relating to property in international law need to be looked at as a coherent
whole. Questions of permanent sovereignty over natural resources, compensa-
tion, public interest, concessions, regulatory controls, human rights, are all
intertwined. If we isolate them we exclude relevant factors from our conside-
ration »707.
Une conséquence de premier ordre ressort de ces affirmations. Les
mécanismes et les obligations qui permettent d’engager la responsa
bilité de l’État sur le fondement d’un TBI ne peuvent contrecarrer
les règles cardinales du droit international général de la responsabi
lité des États. Cela signifie qu’un État ne pourra pas agir de manière
licite au regard du droit international général ou d’une branche de
ce dernier, et être par ailleurs en situation d’illicéité au regard d’un
traité d’investissement. C’est pourquoi un État peut invoquer par
exemple comme moyen de défense devant un tribunal arbitral, une
circonstance excluant l’illicéité telle que l’état de nécessité qui relève
du droit international coutumier. De ce fait, l’investisseur étranger
installé sur un territoire étranger est soumis aux obligations interna
tionales qui pénètrent la sphère nationale et qui peuvent l’affecter
d’une manière ou d’une autre. Il est difficile de concevoir qu’un État
qui règlemente certaines activités compromettant des intérêts inter
nationalement protégés commette à la fois un acte illicite sur le fon
dement d’un TBI et un acte licite au regard du droit international.
En réalité, si l’État est tenu d’interdire certains comportements sous
peine d’engager sa responsabilité internationale, en toute logique,
lesdits comportements sont devenus eux-mêmes illicites. Et dans
un tel cas, l’État ne saurait engager sa responsabilité internationale
sur le fondement d’une règle du droit international, en mettant en
œuvre une autre règle du même système juridique.
La réponse de nombreux tribunaux a souvent été de rejeter cet
argument, même lorsqu’une obligation internationale était en cause.
Dans l’affaire Oscar Chinn, où la Cour avait refusé de qualifier une
706 C. LEBEN, « La responsabilité de l’État… », op. cit., note 122, p. 686.
707 R. HIGGINS, op. cit., note 258, p. 375.
232
mesure belge ayant simplement modifié les conditions économiques
générales comme un acte internationalement illicite, les juges ont
néanmoins rappelé que le droit de règlementer s’exerce sans préju
dice des autres engagements internationaux de l’État :
« Le gouvernement Belge était seul juge de cet état critique et des remèdes à y
apporter, sous la réserve naturellement de ne pas se départir de ses obligations
internationales. […] Quelque légitime et libre que soit l’action gouvernemen-
tale (…), il est clair que cela ne permet pas à un État tiers de se départir à ce
propos de ses engagements internationaux »708.
En des termes encore plus explicites, le tribunal dans l’affaire
Santa Elena c. Costa Rica a déclaré que : « the international source of the
obligation to protect the environment makes no difference. (…) where pro-
perty is expropriated, even for environmental purposes, whether domestic or
international, the state’s obligation to pay compensation remains »709. Dans
le même sens, une sentence, en rejetant l’argument de l’Argentine
selon lequel le droit d’accès à l’eau pouvait l’autoriser implicitement
à violer ses obligations au regard d’un TBI, a conclu que l’État est
« subject to both international obligation, i.e. human rights and treaty obliga-
tion, and must respect both of them ».710
Ces affirmations suscitent des inquiétudes légitimes, en dehors
même de la question des capacités financières des États. Pourquoi
un État devrait-il quand même payer pour la mise en œuvre du droit
international, lorsqu’il respecte une obligation que lui impose une
convention internationale, de surcroît lorsque le traité ne laisse pas
le choix des moyens aux États signataires (même si une telle situation
se vérifie rarement) ? Qu’en sera-t-il également si l’obligation inter
nationale qui entre en interaction avec les droits de l’investisseur
interdit directement l’activité de ce dernier ? Autrement dit, quand
le traité international prend l’investisseur pour destinataire et rend
l’activité désormais illicite au regard du droit international ? Lorsque
les règles internationales pénètrent le droit national d’un État et
s’imposent aux personnes physiques ou morales, n’est-ce pas normal
que les investisseurs étrangers subissent les nouvelles charges dans
les mêmes conditions que les nationaux ? Pourquoi une société quel
conque ne pourrait-elle pas subir l’application d’une norme inter
nationale dans un pays d’accueil qu’en contrepartie d’une indem
nisation (en tant que société étrangère protégée par un TBI), alors
qu’il en irait autrement dans son État de nationalité si elle s’y était
implantée (en tant que société nationale non couverte par un TBI) ?
On le voit, les questions des rapports entre la définition de l’expro
priation et le droit international dans son ensemble sont nombreuses
et complexes. Si une incompatibilité stricto sensu ne se pose pas dans
233
le principe (il n’est pas interdit de règlementer, mais d’indemniser),
une interférence peut se produire entre des obligations relevant de
deux catégories de normes.
La réalisation d’une obligation dans une matière comme les droits
humains ou la protection de l’environnement peut entrer en conflit
avec le respect d’une obligation en matière d’investissement, et vice
versa. On peut relever par exemple, en matière de protection des
droits de l’homme711, le développement des obligations positives qui
permettent d’engager la responsabilité internationale de l’État, non
pas seulement du fait de son ingérence « active » dans un droit, mais
aussi de sa « passivité » lorsqu’il ne prend pas les mesures nécessaires
pour assurer la jouissance dudit droit ou en empêcher la remise en
cause par des tiers. Ces obligations prescrivent donc des actions pré
ventives et proactives aux États. Ainsi, le Comité des droits écono
miques, sociaux et culturels a établi une liste d’obligations positives à
la charge des États en matière du droit d’accès à l’eau potable, parmi
lesquelles, l’obligation de « veiller à ce que les tiers qui gèrent ou
contrôlent les services (…) ne compromettent pas l’accès physique,
à un coût abordable et sans discrimination, à une eau salubre et de
qualité acceptable, en quantité suffisante »712. Il ne s’agit encore que
d’un projet, même si on ne peut nier toute valeur juridique à son
contenu. Mais dans l’hypothèse où ces normes deviendraient juridi
quement contraignantes, qu’adviendra-t-il si un État décide d’impo
ser des prix de vente accessibles aux consommateurs d’un service de
première nécessité dont la gestion a été privatisée713 ?
711 Pour une étude des rapports entre la protection des investissements et les droits
de l’Homme, voir L. LIBERTI, « Investissements et droits de l’Homme », in Ph.
KAHN, T. WÄLDE, Les Aspects nouveaux du droit des investissements internationaux,
Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2007, pp. 791-852 ; R. BACHAND,
M. GALLIE, S. ROUSSEAU, op. cit., note 31, pp. 575-610.
712 Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels, Le droit à l’eau,
Observation générale n° 15 du 26 novembre 2002, § 27 ; Nations Unies, doc. E/C
12/2002/11, XXIXe session, (http://www.aidh.org/alimentation/eau/images/
Droit-eau-2002.pdf).
713 C’est le cas notamment d’une affaire qui fut portée devant le CIRDI contre
la Bolivie. Le litige portait sur la révocation d’un contrat de concession
d’exploitation exclusive des ressources et du système de livraison et de traitement
de l’eau potable dans la municipalité de Cochabamba. Suite à la privatisation,
les tarifs avaient augmenté considérablement (43 %) et devenaient hors de
portée des populations pauvres. Des manifestations populaires violentes contre
ces installations contraignirent l’investisseur à quitter le territoire à cause de
l’insécurité, malgré l’intervention de la police bolivienne. Le gouvernement
révoqua finalement le contrat de concession et le céda à une coalition d’ONG
locales ; révocation que l’investisseur qualifia d’expropriation indirecte. Le
tribunal CIRDI constitué ne s’étant pas déclaré compétent, le litige ne fut pas
tranché au fond. Voir Agua del Tunare c. Bolivie (ARB/02/03), sentence CIRDI
du 25 octobre 2005 sur la compétence.
234
Aujourd’hui, des intérêts divers font l’objet d’une protection de
plus en plus élevée et des obligations internationales contraignantes
en résultent continuellement pour les États. Il ne sera peut-être plus
possible, dans un avenir proche, de s’interroger sur le caractère
licite ou illicite de certaines activités économiques encore tolérées
par le droit international. Et cela peut advenir plus vite qu’on le croit
vu l’évolution rapide de plusieurs branches du droit international
comme la protection de l’environnement ou de la santé humaine.
C’est pourquoi il est important dès à présent de réfléchir à la solution
de ces problèmes dont certains commencent déjà à prendre forme.
714 Demande d’arbitrage du 19 février 2010, FTR Holdings S.A. (Suisse) c. La
République orientale d’Uruguay, CIRDI, (ARB/10/7) (http://www.smoke-free.
ca/eng_home/2010/PMIvsUruguay/PMI-Uruguay %20complaint0001.pdf).
235
côtés des emballages de cigarettes d’avertissements sanitaires715. Phi
lip Morris avance en outre que l’exigence de présentation unique
constitue une expropriation des marques commerciales de Philip
Morris en interdisant leur utilisation sur les paquets de cigarettes716.
Elle a également introduit une requête d’arbitrage le 21 novembre
2011 contre l’Australie devant le CIRDI, en prétendant que la législa
tion australienne sur les emballages de cigarettes viole le traité d’in
vestissement bilatéral Hong-Kong-Australie. Au titre de la loi austra
lienne, qui doit entrer en vigueur en décembre 2012, les emballages
sont dépouillés de logos et d’éléments de marque, même si le nom
de la marque de tabac peut demeurer sur le produit. L’Australie est
le premier pays au monde à mettre en œuvre une restriction si rigide
sur les marques figurant sur les produits du tabac, comparativement
à la loi uruguayenne.
Ces deux différends, encore en cours, pourraient amener les deux
tribunaux à se prononcer sur la compatibilité entre le droit interna
tional de la santé et le droit international des investissements. Les
deux lois contestées correspondent à des mesures horizontales. De
surcroît, elles ont été préconisées dans le cadre de l’initiative pour
un monde sans tabac menée par l’Organisation Internationale de la
Santé (OIS). En effet, plus de vingt pays ont signé à ce jour la Conven
tion-Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac du 21 mai 2003.717 Elles
constituent des mises en œuvre courageuses de la convention-Cadre
de l’OMS, même si cette dernière est rédigée sous forme de recom
mandations. Si les deux premiers pays qui ont eu l’audace de prendre
les mesures recommandées sont finalement obligés d’indemniser
des investisseurs lésés au titre de la protection contre l’expropriation
dans leurs TBI, il est certain que d’autres États hésiteront à suivre
leur voie. Cela compromettrait certainement les efforts entrepris par
les États dans le cadre de la lutte contre la consommation du tabac,
particulièrement chez les plus jeunes.
715 Ibidem, §. 3 à 5.
716 Ibid., §. 82-83.
717 Convention-Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac du 21 mai 2003, (http://
whqlibdoc.who.int/publications/2003/9242591017.pdf). En septembre 2011,
170 Etats avaient signé la convention et 120 pays ont déjà pris des lois pour
renfocer la lutte contre le tabac sur leur territoire.
718 SPP c. Egypte, op. cit., note 337.
236
sites archéologiques. Le classement par l’UNESCO du site en Patri
moine mondial de l’humanité n’est intervenu que plus tard et sur
la demande de l’État. L’Égypte ne pouvait donc pas utilement invo
quer une obligation internationale de protéger le site au moment
de l’édiction de la mesure. Le tribunal, même s’il a tenu compte de
ce paramètre dans le calcul des indemnités719, a refusé de le consi
dérer dès le processus de qualification de l’expropriation indirecte.
Certes, la Convention du patrimoine mondiale de l’UNESCO pré
voit que la préservation du patrimoine s’effectue « sans préjudice des
droits réels prévus par la législation nationale »720. Ce qui signifie
clairement que les éventuels investisseurs lésés pourront être indem
nisés. En serait-il allé autrement si la Convention ne prévoyait pas
une telle clause ? Il semble que non. Et de fait, le tribunal a considéré
que « clearly, as a matter of international law, the Respondent was entitled
to cancel a tourist development project situated on its own territory for the
purpose of protecting antiquities. (…) The decision to cancel the project consti-
tuted a lawful exercise of the right of eminent domain. (…). The obligation
to pay fair compensation in the event of expropriation applies equally where
antiquities are involved »721. La conclusion du tribunal arbitral CIRDI
fut donc que : « the UNESCO Convention by itself does not justify the mea-
sures taken by the Respondent to cancel the project, nor does it exclude the
Claimants’ right to compensation »722.
L’affaire SD Myers c. Canada aurait pu donner une meilleure occa
sion à un tribunal de se pencher sur le problème. Mais les dispo
sitions des différents accords n’ont pas rendu l’analyse absolument
nécessaire, même si le tribunal aurait pu saisir l’occasion de prendre
position sur la question. Les faits en cause illustrent excellemment
les enchevêtrements possibles entre les différentes obligations d’un
État au titre d’un traité d’investissement et un traité de protection de
l’environnement. Le Canada, État d’accueil, avait signé la Conven
tion de Bâle sur le mouvement transfrontalier des déchets dange
reux. Aux termes de ce traité, il s’était engagé à ne pas autoriser
les exportations de déchets dangereux vers un État non Partie à la
convention, sauf accord spécifique. Le but de la Convention de Bâle
n’est pas en soi d’interdire l’exportation des déchets dangereux,
mais de rationaliser les risques inhérents à l’activité en imposant des
règles de sécurité aux Parties contractantes. Dans le même temps,
le Canada avait signé un accord spécifique avec les États-Unis, État
non Partie à la Convention de Bâle, pour autoriser l’exportation de
237
déchets dangereux vers ce pays. Ce qui était autorisé par la Conven
tion, à la condition que le traité bilatéral énonce des prescriptions
« non moins écologiquement rationnelles » que celles qu’elle pres
crivait. S.D. Myers, entreprise américaine de recyclage des déchets
de biphényles polychlorés (BPC), s’était établie au Canada dans la
province de l’Ohio, à quelques kilomètres de la frontière américaine.
Son activité était de recycler et de traiter les déchets de BPC produits
au Canada en procédant à leur transfert sur le territoire américain
où sont situées ses infrastructures de recyclage. Suite à l’interdiction
canadienne du 26 février 1996 d’exporter les déchets dangereux
issus du PCB (reconnue comme particulièrement nocifs pour la
santé humaine et l’environnement) vers les États-Unis, l’investisseur
s’est estimé victime d’un préjudice équivalent à une expropriation.
Ce dernier avait vu ses activités paralysées pendant 16 mois avant que
la frontière ne fût ouverte de nouveau.
Le tribunal s’est contenté de relever que le Canada avait le droit de
fixer son niveau de protection, mais qu’il lui appartenait de prendre
les mesures appropriées et les moins dommageables pour mettre en
œuvre la Convention de Bâle ou ses propres objectifs nationaux723.
Par conséquent, la liberté de choisir les moyens de mettre en oeuvre
une obligation internationale ne dispense pas de l’obligation de res
pecter les engagements souscrits dans un traité d’investissement. Le
tribunal l’a exprimé en ces termes :
« even if the Basel Convention were to have been ratified by the NAFTA Parties, it
should not be presumed that Canada would have been able to use it to justify the
breach of a specific NAFTA provision because where a party has a choice among
equally effective and reasonably available alternatives for complying with a Basel
Convention obligation, it is obliged to choose the alternative that is least incon-
sistent with the NAFTA. »724.
723 Le tribunal a conclu que l’interdiction totale d’exportation vers les États-
Unis n’était pas la solution la plus efficace et la moins dommageable au vu des
objectifs affichés.
724 SD Myers c. Canada, op. cit., note 269, § 215.
238
qu’ils prescrivent sans aucune indemnisation. Ce qui nous renvoie
encore au problème récurrent des capacités financières de l’État qui
sont nécessaires à la réalisation de ses obligations internationales.
Les exemples parfaits et épurés d’incompatibilité entre les obliga
tions résultant de l’expropriation indirecte et une autre obligation
internationale à la charge de l’État d’accueil sont rares. Cependant,
l’incompatibilité n’est pas une simple hypothèse d’école comme
nous le montrent un litige historique et un litige hypothétique.
• L’affaire de l’Entreprize :
incompatibilité historique avec la protection des droits humains
Il faut parfois remonter loin dans le passé pour entrevoir de ce que
l’avenir peut nous réserver. Dans la sentence arbitrale de l’Enterprise
de 1855725, les faits suivants étaient à l’origine du différend entre les
États-Unis et la Grande-Bretagne. Un navire négrier battant pavillon
américain avait fait une escale forcée en état de détresse dans le port
de Hamilton dans les Bermudes, un archipel de la couronne britan
nique. Profitant du fait que l’esclavage était aboli depuis 6 mois envi
ron dans ces territoires, les esclaves furent libérés par les autorités
locales. Le gouvernement américain, prenant fait et cause pour son
national, porta plainte contre la Grande-Bretagne pour violation du
droit international. Le premier exigeait en effet une indemnisation
du préjudice subi en raison de la perte de la « cargaison d’esclaves »,
comme cela avait déjà été le cas dans des affaires similaires avant
l’abolition de l’esclavage dans certaines colonies britanniques. La
Grande-Bretagne, elle, invoquait le fait que la libération d’esclaves
n’était pas contraire au droit international et qu’elle n’avait fait
qu’appliquer sa législation nationale sur un navire se situant sur son
territoire. Elle considérait que « slavery was not a relation which the Bri-
tish Government, by the comity of nations, was bound to respect »726.
Devant le juge-arbitre, les États-Unis ont obtenu gain de cause sur
la base, entre autres arguments727, qu’au moment des faits le droit
international ne contenait aucune règle coutumière interdisant le
commerce des esclaves. Ayant donc causé un préjudice aux nationaux
d’un État tiers, sans pouvoir invoquer une obligation internationale
qui lui imposait de prendre la mesure en cause, la Grande-Bretagne
fut considérée comme ayant manqué à ses obligations internatio
nales de protection des biens des étrangers situés sur son territoire.
239
Tout en reconnaissant que « slavery is contrary to the principles of justice
and humanity », le juge-arbitre a conclu que « at the time of the transac-
tion on which the claim is founded, slavery existed by law in several countries
and was not wholly abolished into the British Dominions. It could not, then,
be contrary to the law of nations »728. En faisant abstraction du caractère
absolument choquant de cette affaire, une question surgit. Si l’on
suit le raisonnement du juge-arbitre, la Grande-Bretagne n’aurait
donc pas eu à indemniser les négriers si l’esclavage était interdit sur
le plan du droit international au moment du litige. Par contre, une
stricte application de la doctrine du « seul effet », en supposant que
l’activité commerciale fut alors une activité d’investissement, aurait
conduit à l’indemnisation du préjudice substantiel subi.
Dans un autre contexte, mais relevant finalement de la même
philosophie, on peut citer certaines sanctions du Conseil de sécu
rité qui furent prises pour assurer le respect des droits humains en
Afrique du Sud et en Namibie729 ; ainsi que l’étude de M. CASSESE,
Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’Homme, sur
la situation des droits de l’Homme au Chili730. Ces deux exemples,
dans lesquels des entreprises transnationales ont été officiellement
accusées de violation de droits de l’homme, montrent qu’il n’est pas
possible de se cloisonner au droit substantiel prévu par les TBI. Dans
le cas du Chili, le rapport avait montré en effet que le gouvernement
de Pinochet avait modifié la législation nationale, puis s’était retiré
du Pacte andin (dans lequel des règlementations plus rigoureuses
permettaient de sauvegarder la souveraineté nationale), afin de
permettre aux entreprises étrangères de violer les droits fondamen
taux des travailleurs chiliens et maximiser leurs profits. Il est vrai
qu’ici, ce n’était pas l’État qui revendiquait lui-même l’obligation
de prendre des mesures de protection de l’intérêt public. Mais on
peut imaginer qu’à la suite d’un changement de régime, un nouveau
gouvernement veuille mettre fin à de telles pratiques. Dans ce cas,
l’État pourrait-il voir sa responsabilité engagée au regard d’un traité
bilatéral d’investissement ?
240
mesures contre un autre État membre. L’objectif à la base de ces
contre-mesures n’est pas comme en droit international général de la
responsabilité, de contraindre l’État à cesser une violation du droit.
Elles permettent plutôt de rétablir un équilibre entre les avantages
comparatifs de deux membres de l’OMC. Par exemple, un État A
prend des mesures commerciales violant le droit de l’OMC. L’État B,
s’estimant lésé, enclenche une procédure de règlement du différend
et obtient gain de cause. La sentence impose à l’État A de retirer la
mesure dans un délai donné. Si ce dernier ne se met pas en confor
mité avec la décision du panel ou de l’Organe d’appel, l’État B peut,
conformément à l’article 22 du Mémorandum d’accord de règle
ment des différends de l’OMC, exiger une compensation ou prendre
une contre-mesure temporaire pour rétablir l’équilibre brisé par la
mesure prohibée. Si la contre-mesure respecte les conditions posées
par le droit de l’OMC, l’État B ne viole pas ses obligations par rap
port à ce traité. Si la contre-mesure choisie est une restriction à l’im
portation d’un produit de l’État A, elle peut causer un impact préju
diciable sur une entreprise utilisant ledit produit comme intrant. On
peut même aller plus loin, en imaginant que l’entreprise en question
soit le national de l’État A. L’État B pourrait-il, au titre d’un TBI,
être reconnu responsable pour expropriation indirecte illicite, si la
mesure a causé un préjudice substantiel à l’investisseur de l’État A ?
En définitive, les mesures horizontales sont susceptibles de faire
entrer en interaction des obligations diverses que l’État d’accueil
assume dans l’ordre juridique international. Il est donc nécessaire
de prendre en compte l’ensemble de ces éléments lorsqu’il faut
décider si de telles mesures sont éligibles au statut d’expropriation.
Cela ne signifie pas que les arbitres doivent appliquer à titre prin
cipal les obligations issues d’autres traités internationaux relevant
d’autres matières qui ne fondent pas leur compétence. Mais dans la
mesure où personne ne discute plus sérieusement l’application du
droit international dans le contentieux État-investisseur, les arbitres
devront lire les dispositions des TBI à la lumière des normes d’autres
branches du droit international qui trouvent application dans le
litige. Il s’agit donc d’une démarche interprétative, rendue néces
saire par un système juridique international au sein duquel il ne peut
y avoir de régimes autosuffisants et imperméables. C’est à cette seule
condition que l’affirmation selon laquelle le droit international des
investissements est un « sous-système dans le droit international et
non à côté de lui »731 prendra un sens. Le processus de qualification
des mesures horizontales éligibles ne doit ni procéder d’un raison
nement cloisonné, ni faire abstraction complète des intérêts de l’État
d’accueil.
731 C. LEBEN, « La responsabilité de l’État… », op. cit., note 122, p. 694.
241
En vue de parvenir à un processus de qualification ménageant
le pouvoir normatif de l’État d’accueil d’investissement lorsque la
mesure litigieuse est d’ordre général, des solutions de substitution
à la doctrine du « seul effet » ont été proposées ; propositions qu’il
convient d’examiner maintenant.
242
Chapitre 2
243
§ 1 – Les approches postqualification
244
la valeur marchande de son bien, en raison de l’intérêt spécifique
ou prééminent ayant rendu nécessaire la dévalorisation de l’inves
tissement. Le montant de l’indemnisation est en quelque sorte pon
déré par le préjudice qui aurait été causé si l’investissement avait été
maintenu tel quel. Autrement dit, l’effet expropriant de la mesure
étatique est perçu comme un mal nécessaire pour atteindre un inté
rêt général transcendant celui des intérêts particuliers, y compris des
étrangers. La justification principale avancée à cette pondération du
montant de l’indemnisation est qu’elle permet de rendre la régle
mentation d’intérêt général financièrement soutenable pour l’État,
tout en ne décourageant pas complètement l’initiative privée.
Toutefois, cette approche laisse intactes les autres conditions de
licéité de l’expropriation indirecte. Cela signifie que la mesure, pour
être licite, devra viser un intérêt public et ne pas être discrimina
toire. Par contre, elle n’a plus besoin d’être accompagnée d’une
indemnisation. Au contraire, c’est parce qu’elle est licite (avec deux
conditions au lieu de trois) qu’elle ne sera pas indemnisable. En fait,
l’indemnisation est extirpée des conditions de licéité.
Trois propositions de ce type peuvent être brièvement mention
nées.
Ainsi, il a été proposé d’utiliser les effets négatifs qui auraient été
créés par le maintien de l’activité pour pondérer le montant de l’in
demnisation due. C’est ce que défend T. Weiler par exemple, lorsqu’il
affirme que « if the economic activity undertaken by an investment leads
to externalities that are so damaging to the environment that a government
must take regulatory steps that substantially interfere with that investment,
the appropriate level of compensation for such interference should take into
account the negative value of those externalities »733. Par conséquent,
l’impact négatif de l’activité sur l’environnement doit constituer un
critère de calcul de la valeur marchande réelle de l’investissement.
La notion économique d’externalisation des coûts est en effet un
critère intéressant pour évaluer l’impact économique d’une activité.
En matière environnementale notamment, elle peut avoir son utilité.
D’autres auteurs se sont fondés sur l’existence d’obligations impé
ratives, parmi lesquelles, les droits humainsoccupent le premier
plan. Pour L. Liberti par exemple, « c’est le caractère erga omnes de
l’obligation qui l’emporte sur la protection des investissements »734.
De ce fait, l’obligation d’indemnisation se trouve neutralisée « en
raison du caractère impératif et erga omnes de l’obligation inter
nationale en exécution de laquelle l’État a adopté une mesure de
dépossession substantielle qui porte atteinte à la protection des
investissements, pourvu qu’elle ne porte atteinte à la proportionna
lité »735. Faire autrement, reviendrait selon l’auteure, à rendre d’un
733 T. WEILER, « A first look… », op. cit., note 238, p. 187.
734 L. LIBERTI, op. cit., note 711, p. 831.
735 Ibidem, pp. 830-831.
245
côté licite ce qui est devenu illicite de l’autre. En effet, des mesures
étatiques pourront toujours être considérées comme équivalentes à
une expropriation, « même si elles ont été prises en exécution d’une
obligation internationale positive, toujours en raison de l’effet subs
tantiel de la dépossession qu’elles produisent »736. Cette proposition
part très justement d’une vision systémique du droit international
et rejette le cloisonnement des disciplines. Le problème de la licéité
systémique de la clause d’expropriation trouve ici une réponse inté
ressante. Elle permet aussi d’écarter les éventuelles contradictions
lorsque l’État règlementant a activement participé à la violation de
l’obligation impérative par l’investisseur ; soit par complicité, soit
en ayant autorisé ou encouragé de tels agissements par le passé. Le
caractère impératif de l’obligation qui fonde la mesure étatique rend
en effet inopérant de telles considérations. Mais comme déjà souli
gné, aucune obligation internationale, même impérative et positive,
n’impose à un État de ne pas indemniser les investisseurs lésés par
les mesures qu’elle prescrit ou autorise. C’est probablement ce qui
amène L. Liberti à chercher la solution dans le standard de l’indem
nisation et non dans le processus de qualification. Ainsi, l’équilibre
entre l’existence d’une obligation impérative et positive et la protec
tion de l’investissement peut se matérialiser par une « détermination
de l’indemnisation qui pourrait être détachée du standard de la full
compensation »737. En d’autres termes, une indemnisation partielle
devient satisfaisante, lorsque la mesure répond à une obligation
impérative de droit international.
On pourrait multiplier les exemples d’arguments ayant été avancés
pour justifier une indemnisation réduite738 en cas d’expropriation
indirecte survenant à la suite de certaines règlementations. Cepen
dant, une variante retiendra spécialement l’attention ici, parce
qu’elle fait écho à la distinction binaire entre la mesure verticale et
la mesure horizontale. L’objectif n’est pas le même, mais les bases du
raisonnement sont proches.
246
différemment selon que la mesure en cause a modifié la seule situa
tion de l’investisseur ou le contexte économique dans lequel il se
trouve740. En d’autres termes, le montant de l’indemnisation d’une
expropriation indirecte peut être déterminé en fonction de l’échelle
de grandeur sur laquelle se répercutent les effets de la mesure liti
gieuse.
L’auteur part d’un constat empirique. Il estime que, schématique
ment, « en matière d’indemnisation, le critère relatif à la rentabilité
des avoirs expropriés s’est peu à peu substitué à celui de la licéité
de l’expropriation. (…) Dans l’évaluation du quantum de l’indem
nisation, l’avoir rentable a pris la place de l’expropriation illicite et
l’avoir non rentable a pris la place de l’expropriation licite »741. Il faut
reconnaître que l’octroi des indemnisations est fonction aujourd’hui
essentiellement de la rentabilité démontrée de l’investissement
(octroi de damnun emergens et lucrum cessans), ou au contraire de son
incapacité à produire des gains futurs certains en raison de sa pré
carité financière ou de l’absence d’une exploitation suffisamment
longue (octroi de damnun emergens). Fort de ce constat, l’auteur pro
pose alors de s’en inspirer pour ériger une indemnisation prenant en
compte la nature de la mesure expropriante. En effet, pour détermi
ner ce qu’aurait été la rentabilité d’un investissement dans le futur,
les arbitres doivent utiliser un faisceau d’indices parmi lesquels le
contexte économique général occupe une place primordiale. C’est
pourquoi Y. Nouvel estime que « l’interrogation centrale consiste
alors à déterminer si la mesure litigieuse, en dehors de l’effet qu’elle a
exercé sur le patrimoine de l’investisseur, comprend un effet de plus
vaste ampleur qui modifie les conditions économiques générales »742.
Concrètement, si la mesure en cause modifie la seule situation de
l’investisseur, les standards classiques du calcul de l’indemnisation
trouvent à s’appliquer. Si par contre, la mesure modifie le contexte
économique dans lequel l’investisseur se trouve, l’indemnisation ne
devra porter que sur les pertes subies, à l’exclusion des gains futurs
devenus impossibles. En effet, personne n’achèterait au prix fort une
activité qui ne peut plus générer de profits futurs dans les nouvelles
conditions économiques induites par la mesure litigieuse. L’investis
sement n’étant plus rentable en raison de la modification du contexte
général, sa valeur marchande s’en trouve réduite. Y. Nouvel estime
de ce fait qu’« écarter ces effets durables reviendrait à indemniser
l’investisseur sur la base de profits qui n’étaient plus économique
740 D’autres auteurs semblent avoir pressenti l’argument, sans l’avoir néanmoins
développé. Voir par exemple, G. ALDRICH, op. cit., note 87, p. 247 : « it seems
important to distinguish sharply between policies of general application to all business,
which may affect determination of value, and policies aimed at specific investors or
industries […], which should not ».
741 Y. NOUVEL, « L’indemnisation… », op. cit., note 40, p. 199.
742 Ibidem, p. 203.
247
ment réalisables »743. La mesure qui ne modifie que la situation de
l’investisseur est qualifiée de « mesure individuelle », et celle modi
fiant l’environnement économique général de « mesure d’organisa
tion sociale »744. Il n’est donc pas ici question du but poursuivi par la
mesure. Seul le caractère général ou individuel de la répercussion de
la mesure est déterminant.
Cette distinction se rapproche sensiblement de celle proposée
dans cette étude, mais elles ne peuvent être confondues. La mesure
« individuelle » se caractérise par le fait qu’elle ne modifie que la
situation de l’investisseur. Dans les faits, ces mesures peuvent cor
respondre à des mesures verticales qui visent directement l’inves
tisseur. Mais alors que Y. Nouvel se focalise sur la modification de
la situation de l’investisseur, la mesure verticale se définit d’abord
par le fait qu’elle vise directement l’investisseur, pris comme raison
d’être de la mesure. Par conséquent, une mesure « individuelle »
peut modifier la seule situation de l’investisseur sans l’avoir visé en
tant que tel, alors que les deux éléments sont indissociables pour
la mesure verticale. C’est parce que la mesure verticale vise directe
ment l’investisseur qu’il en ressent individuellement les effets. Quant
à la mesure « d’organisation sociale », elle modifie un secteur écono
mique ou toute l’économie nationale. La mesure horizontale modi
fie aussi l’environnement économique de l’investissement. Cepen
dant, contrairement à la mesure d’organisation sociale, la mesure
horizontale peut ne modifier que la seule situation de l’investisseur.
En effet, bien qu’elle ne le vise pas directement, il peut être le seul
à en ressentir les répercussions. L’investisseur est alors directement
et principalement concerné par la mesure horizontale, parce qu’il
est le seul à répondre à l’hypothèse posée par la règle. En somme, la
mesure « individuelle » de Y. Nouvel recouvre en partie la mesure ver
ticale et la mesure « d’organisation sociale » n’épuise pas la catégorie
de mesure horizontale.
En plus de cette différence au niveau de leur champ d’application
respectif, la distinction de Y. Nouvel ne procède pas de la même
logique que la distinction binaire. L’auteur examine des mesures qui
ont déjà été qualifiées d’expropriations indirectes. Il isole ensuite
celles qui modifient les conditions économiques générales au-delà
de la seule situation de l’investissement. Et c’est cette caractéristique
de la mesure expropriante qui doit se répercuter sur le quantum
de l’indemnisation. Cette distinction vise donc une indemnisation
réduite pour certaines expropriations indirectes, alors que la dis
tinction entre mesure verticale et mesure horizontale veut conduire
à l’application d’éléments constitutifs aménagés dès la phase de la
qualification.
743 Ibid.
744 Il s’inspire pour ce faire, de la distinction opérée par P. MAYER entre règlement
et décision. Voir P. MAYER, La distinction…, op. cit., note 59.
248
Cette solution de substitution postqualification ne manque pas de
pertinence. Tout investissement incluant par définition un risque, il
ne peut être isolé totalement du contexte économique général dans
lequel il s’est établi. Il est donc logique de prendre en compte les
réalités de cet environnement pour évaluer la valeur de l’investisse
ment. Certaines sentences rendues par le tribunal irano-américain
ont d’ailleurs reconnu le rôle du contexte général modifié dans le
calcul des indemnisations745. Toutefois, la majorité des TBI imposent
explicitement que la valeur marchande de l’investissement soit cal
culée à la date précédant l’édiction de mesures d’expropriation746.
En pratique, cette proposition, comme toutes les approches postqua
lification, soulève un problème important de compatibilité avec les
termes de la clause conventionnelle d’expropriation.
745 Voir sur cette question, G. A. ALDRICH, op. cit. note 87, pp. 242-247.
746 Voir par exemple, l’article 1110.2 de l’ALENA qui prescrit que, « l’indemnité
devra équivaloir à la juste valeur marchande de l’investissement exproprié,
immédiatement avant que l’expropriation n’ait lieu (« date d’expropriation »),
et elle ne tiendra compte d’aucun changement de valeur résultant du fait que
l’expropriation envisagée était déjà connue ».
747 V B. H. WESTON, op. cit., note 36, p. 116 ; R. HIGGINS, op. cit., note 258, p. 277.
748 Santa Elena c. Costa Rica, op. cit., note 280, § 72. Voir aussi Azurix c. Argentine, op.
cit., note 115, § 311.
249
table »749, la clause d’expropriation ne fait pas de distinction selon
qu’il s’agit d’une expropriation directe ou indirecte. Comme l’ont
rappelé certains auteurs, « for purpose of state responsibility and the obli-
gation to make adequate reparation, international law does not distinguish
indirect from direct expropriation »750. En cela, créer des critères d’in
demnisation différents selon la catégorie d’expropriation ou selon
le type de mesure d’expropriation indirecte en cause, contrevient à
l’esprit et à la lettre des clauses des TBI.
En réalité, il n’y a qu’une alternative pour un tribunal arbitral sta
tuant sur le fondement d’un TBI. Soit il s’agit d’une expropriation
indirecte et cela implique une indemnisation conforme à la pres
cription du TBI. Soit il ne s’agit pas d’une expropriation indirecte,
auquel cas il n’y a pas lieu d’indemniser. Au regard du régime juri
dique propre à toute expropriation, il n’est pas possible à un arbitre,
statuant particulièrement sur le fondement d’un TBI, de décider
qu’il y a expropriation, mais que néanmoins une indemnisation en
deçà de la valeur du bien exproprié doit être octroyée. Certes, dans le
calcul des indemnités, la prise en compte de la situation économique
de l’investissement influera certainement sur le quantum. Mais cette
prise en compte ne revient pas à supprimer ou à réduire ce quantum
en raison même du but de la mesure expropriante (intérêt public
légitime, application d’une norme impérative ou positive), ou de la
nature de cette dernière (mesure modifiant le contexte économique
général ou la situation spécifique de l’investisseur).
Outre cette limite générale, certaines variantes de l’approche
posent des problèmes particuliers. Pour ce qui est l’approche de
Y. Nouvel, on peut se demander comment la mesure qui modifie le
contexte économique général peut être la même que celle qui justi
fie une indemnité réduite. En d’autres termes, pourquoi ce qui a été
la cause de la dévalorisation de l’investissement permet-il ensuite la
réduction de l’indemnisation due ? Certes, le contexte économique
général est amené à évoluer dans chaque État du fait de décisions
internes ou de facteurs exogènes ou imprévisibles. S’il est possible
de défendre cette thèse lorsque les causes de la modification du
contexte général sont essentiellement exogènes, qu’en est-il lorsque
cette modification résulte d’une mesure interne planifiée ? En effet,
si cette dernière n’avait pas été édictée, la situation serait restée favo
rable aux gains futurs de l’investisseur. La question du double rôle
de la mesure n’a pas été ignorée par l’auteur lui-même, qui estime
néanmoins que « les circonstances ne peuvent être écartées au motif
qu’elles sont produites par la mesure ayant causé l’expropriation
749 Aujourd’hui, les tribunaux font rarement la distinction entre ces termes lorsqu’il
faut calculer concrètement le montant de l’indemnisation. Ils appliquent le
standard de la formule de Hull (indemnisation pleine, prompte et effective).
750 W. M. REISMAN, R. D. SLOANE, op. cit., note 283, p. 121.
250
indirecte »751. Il rappelle à ce propos que « l’investissement ne s’im
plante pas dans un milieu “mono statique”. Ce milieu varie selon la
volonté de l’État »752. Enfin, « la mesure n’est pas envisagée en tant
qu’elle a pour conséquence la dépossession, mais en tant qu’elle
entraîne un changement des “conditions économiques générales”.
On raisonne sur une autre grandeur »753. Concernant le recours au
caractère impératif du but poursuivi par la mesure étatique, défendu
par exemple par L. Liberti, il faut noter que cette proposition laisse
de côté les mesures qui peuvent être légitimes sans relever d’une
obligation internationale impérative et/ou positive. C’est le cas par
exemple de l’accès à l’eau potable, à l’alimentation, ou à la santé
dont la mise en œuvre ne relève pas toujours d’obligations positives.
En somme, ces approches tentent de faire en sorte que « le montant
de la compensation [fasse] une place à l’objet de la mesure »754. Elles
se heurtent alors au libellé des clauses d’expropriations dans les TBI.
Mais si l’approche postqualification va à contre-courant d’un débat
plus focalisé aujourd’hui sur la définition de l’expropriation indi
recte que sur le standard de l’indemnisation, elle a le mérite de mon
trer que l’intérêt public peut être appréhendé de multiples façons
dans le contentieux international de l’expropriation indirecte.
251
Contenu et pertinence de l’approche
Le préjudice substantiel subi par l’investisseur est unanimement
reçu aujourd’hui comme une condition sine qua non pour la qualifi
cation de toute expropriation, directe ou indirecte. Cette exigence se
justifie pleinement au regard de la finalité des traités de protection
des investissements. Cependant, on constate que dans une expro
priation directe ou une nationalisation, l’appropriation du bien par
l’État est systématiquement présente. Cela signifie que le retrait ou
la destruction de l’investissement correspond à un enrichissement
de l’État. Il y a donc transfert de richesses d’un patrimoine à un
autre. Toute expropriation directe combine donc un préjudice et
une appropriation. Cependant, cet enrichissement n’accompagne
pas toujours une mesure préjudiciable à l’investissement. L’État
peut ne pas retirer un avantage de la destruction d’un bien, surtout
lorsqu’une mesure horizontale est en cause. Parfois même, l’État
peut subir une perte du fait de sa règlementation. L’interdiction
d’importer une substance jugée dangereuse, auparavant exploitée
par plusieurs sociétés locales ou étrangères, peut s’analyser en une
réduction des recettes fiscales à l’importation.
Dans les TBI, l’appropriation par l’État n’est pas une condition
formelle de l’expropriation. Ce silence empêche-t-il cependant de
prendre en compte l’appropriation par l’État du bien comme cri
tère de qualification ? Si cet élément est toujours présent dans une
expropriation directe, pourquoi ne devrait-il pas l’être dans une
expropriation indirecte ? Autrement dit, la question est de savoir si le
critère de l’appropriation par l’État n’est pas aussi un élément essen
tiel du référent de l’expropriation indirecte, et à ce titre un critère à
intégrer dans le rapport d’équivalence.
À l’appui de cette thèse, quelques rares sentences arbitrales ont
explicitement reconnu le critère de l’appropriation telle que Lau-
der c. République Tchèque, et A. Olguin c. Paraguay. Dans la première
affaire, le tribunal ad hoc a considéré que la mesure litigieuse, même
gravement préjudiciable, n’est pas équivalente à une expropriation
« since it did not benefit the Czech Republic or any person or entity related
thereto, and was not taken for any public purpose. It only benefited CET
21, an independent private entity owned by private individuals »755. Il res
sort implicitement de ceci que l’État doit avoir retiré un bénéfice
du préjudice causé à l’investisseur. Rappelons néanmoins qu’un
autre tribunal ad hoc ayant statué sur les mêmes faits a procédé à
une analyse contraire756. Dans une affaire contre le Paraguay, un
tribunal a également statué que pour qu’il ait expropriation indi
recte, la mesure ayant entraîné la dépossession de l’investisseur doit
252
avoir été édictée : « in such a way that whoever performs thoses actions will
acquire, directly or indirectly, control, or at least, the fruits of the expropriated
property »757. Dans l’affaire Petrobart c. Kyrgystan, un tribunal arbitral
semble avoir pris en considération le critère de l’appropriation. Il a
rejeté la qualification d’expropriation indirecte sur le fondement,
entre autres, qu’il n’apparaissait pas que « the measures taken by the
Kyrgyz Government and state authorities, although they had negative effects
for Petrobart, were directed specifically against Petrobart’s investment or had
the aim of transferring economic values from Petrobart to the Kyrgyz Repu-
blic. (…).»758.
Quelques auteurs ont également manifesté une position favorable
à une définition de l’expropriation indirecte prenant en compte
l’enrichissement de l’État. Par exemple, F. Mann estimait en 1981,
que l’expression « mesures équivalentes » insérée dans les TBI britan
niques devait être interprétée comme renvoyant à « any act depriving
the investor of his property or proprietary rights and enriching the State, even
if no property is transferred to it »759. On doit cependant la plus récente
et la plus complète défense de cette proposition à A. Newcombe760.
En partant du fait que « case of regulatory expropriation involves conflic-
ting policies and interests which are not easily, if at all, reconcilable »761,
A. Newcombe est arrivé à la conclusion que la doctrine du seul effet,
qu’il nomme « orthodoxe », n’est pas satisfaisante pour faire la dis
tinction avec les mesures de police. L’auteur assume le fait que les
mesures de police ne sont pas normalement indemnisables, mais
qu’elles peuvent le devenir. Il suggère alors de recourir au critère
de l’appropriation comme instrument d’analyse en complément
de celui de l’effet préjudiciable. Ce critère, à son avis, est toujours
présent dans toute expropriation et fonde le régime juridique de
cette règle en droit international ; c’est-à-dire veiller à ce qu’un État
ne s’approprie pas un bien privé sans compensation. Citant l’un des
Rapporteurs de la CDI sur le projet de responsabilité internationale
des États, G. Amador, il considère que la véritable « raison d’être »
de l’obligation d’indemnisation repose sur l’enrichissement sans
cause762. Cet enrichissement de l’État est évidemment présent dans
les expropriations directes, mais aussi indirectes. Pour conforter sa
théorie, A. Newcombe commence par une relecture de la jurispru
dence pertinente afin de démontrer que dans l’ensemble des affaires
où le critère de l’effet a été utilisé exclusivement pour qualifier une
expropriation indirecte, dans les faits, il y avait aussi une appropria
tion de l’État : « even though the orthodox approach is widely cited and
253
applied, in the vast majority of cases in which there has been a finding of
expropriation, the investor has suffered a deprivation and there has been a
corresponding acquisition of use or control of the investment by the State »763.
Dans les rares cas où une expropriation indirecte a été reconnue
sans qu’il ait eu une appropriation consécutive, c’est l’interférence
arbitraire et injustifiable de l’État qui aurait été l’élément fondamen
tal764. Les sentences peuvent alors être classées, selon l’auteur, en
trois catégories : appropriation par l’État765, interférence arbitraire
et injustifiable après admission de l’investissement766, ou les deux767.
Il ressort ainsi de cette relecture qu’un retrait ou une annulation de
permis ou d’autorisation s’analyse en une appropriation d’un droit
antérieurement conféré à l’investisseur : « by abrogating a concession,
the State is essentially reacquiring rights that it can use or grant to ano-
ther party in the future »768. De surcroît, comme dans l’affaire Metalcald
c. Mexique, le retrait du permis s’accompagne parfois de la création
au bénéfice de l’État d’une zone protégée. A. Newcombe en déduit
alors que pour distinguer les « Regulatory Taking » des mesures de
polices non indemnisables, il suffit de regarder si la mesure a permis
à l’État d’acquérir ou de faire usage de la propriété à des fins d’uti
lité publique. Ce n’est donc pas le fait que la mesure de police vise un
intérêt public qui est fondamental, mais le fait qu’elle s’accompagne
ou non d’une appropriation du bien lésé par l’État pour réaliser cet
intérêt public. Sur ce point, l’approche de A. Newcombe évite les
pièges de la difficile définition de la mesure de police légitime sur la
base des intérêts publics poursuivis.
La réintégration de l’appropriation à côté de l’effet préjudiciable
présente plusieurs attraits remarquables. Son principal mérite est de
matérialiser le principe primordial qui est que les TBI ne peuvent
accorder une protection maximale aux investisseurs. Comme l’af
firme A. Newcombe, « the purpose of international expropriation law is
not to find an optimal balance between Regulatory authority and protection
of foreign investment »769. L’idée que l’État doive débourser des fonds
763 Ibid, p. 403. L’auteur cite à l’appui des affaires des Armateurs norvégiens et
Certains intérêts allemands en haute Silésie polonaise, les affaires du tribunal irano-
américain dans lesquelles les prises de contrôle des entreprises étrangères
furent reconnues comme expropriantes ; et enfin les affaires ayant porté sur des
ventes forcées ou des mesures fiscales confiscatoires.
764 L’auteur cite pour exemples les affaires ayant concerné des interdictions totales
de vente ou d’accès à une usine, des harcèlements d’employés, des interdictions
d’exporter des équipements. L’exemple le plus significatif étant l’affaire Biloune
c. Ghana.
765 Exemples donnés : Sedelmayer c. Russie ; Wena Hôtel c. Egypte.
766 Exemples donnés : Metalclad c. Mexique ; CME c. République Tchèque ; Tecmed
c. Mexique.
767 Exemples donnés : Middle East Cement c. Egypt.
768 Ibid, p. 411.
769 A. NEWCOMBE, « The Boundaries… », op. cit., note 38, p. 449.
254
publics à cause de l’incidence d’une mesure d’application générale,
qui ne visait même pas l’investisseur au départ, dont il ne retire
aucun bénéfice financier et dont l’application entraîne parfois même
des coûts pour ce dernier, est difficilement acceptable. En outre,
cette solution n’induit pas nécessairement une dilution du contenu
de l’expropriation indirecte, comme on a pu le laisser entendre.
Pour certains auteurs, introduire les deux éléments (dépossession
et appropriation) dans la définition de l’expropriation indirecte
reviendrait à établir un rapport d’identité et non d’équivalence avec
l’expropriation directe. Ce qui réduirait également le champ des
mesures étatiques couvertes et affaiblirait donc la protection accor
dée à l’investisseur. Mais il a déjà été démontré que l’usage de plu
sieurs critères est possible dans un rapport d’équivalence. D’ailleurs,
il existe des expropriations indirectes qui présentent la double carac
téristique de la dépossession et de l’appropriation. Par exemple, une
fiscalité abusive qualifiée d’expropriation indirecte entraîne aussi
bien la destruction de l’investissement que l’enrichissement des
caisses publiques de l’État770. Pourtant, il ne s’agit pas d’une expro
priation directe. Bien que séduisante, le critère de l’appropriation se
heurte aussi au régime juridique de la clause d’expropriation.
Limites de l’approche :
un critère extérieur au référent de l’expropriation indirecte
La première limite du critère de l’appropriation est d’ordre pra
tique. Tout comme le préjudice subi par l’investisseur doit équiva
loir aux effets d’un retrait pur et simple de son titre de propriété,
l’appropriation par l’État devrait être aussi équivalente par ses effets
à un transfert pur et simple de l’investissement dans le patrimoine
de l’État. Mais alors, comment mesure-t-on un enrichissement ou
un bénéfice équivalent ? Qu’est-ce qu’une appropriation indirecte
d’un investissement ? S’il faut considérer les avantages résultant de
l’édiction même de la mesure, il faudra conclure toujours à une
appropriation et donc à une expropriation indirecte. Toute mesure
de règlementation publique est motivée par un objectif bénéfique
tel que, veiller à la santé des consommateurs, améliorer les droits
sociaux de travailleurs, protéger une espèce en voie de disparition,
réduire la pollution, etc. L’appropriation se confond alors avec
la motivation de l’auteur de la mesure. Si par contre, l’appropria
tion indirecte s’évalue en numéraires, comment vérifier alors que
la faillite d’un investissement a été financièrement bénéfique à un
État ? En outre, le critère de l’appropriation flirte étroitement avec
le critère de l’intention de l’État qui, on le sait, est délicat à évaluer.
L’investisseur risque donc de ne jamais être en position de pouvoir
770 S. MANCIAUX, « Les mesures équivalentes… », op. cit., note 307, p. 83.
255
prouver un bénéfice économique indirect retiré par l’État du préju
dice qui lui a été causé.
La seconde et principale limite de cette thèse résulte de sa confron
tation avec la pratique arbitrale. Le critère de l’appropriation a été
vigoureusement rejeté par la majorité des tribunaux arbitraux. Dans
l’affaire Tippetts, le tribunal irano américain avait statué qu’il « prefers
the term “deprivation” to the term “Taking” although they are largely syno-
nymous, because the latter may be understood to imply that the government
has acquired something of value, which is not required »771. Depuis lors,
cette position a été confirmée, explicitement ou implicitement, dans
un nombre impressionnant de sentences arbitrales772. En fait, cette
solution est considérée comme si évidente que les tribunaux ne se
donnent même plus la peine de s’y attarder. D’ailleurs, même s’agis
sant des nationalisations, la théorie de l’enrichissement sans cause
fut continuellement rejetée comme le fondement de l’obligation d’in
demniser. Pour certains auteurs, « en cas de nationalisation ou d’ex
propriation, la dépossession opérée au détriment d’une personne
privée coïncide avec une appropriation au profit d’une personne
publique ; celle-ci entraîne cela. En revanche, la mesure d’effet équi
valant à une expropriation rompt l’enchaînement »773. Le critère de
l’appropriation n’est donc pas aujourd’hui une solution viable dans
le contentieux arbitral de l’expropriation indirecte, à moins que les
TBI ne l’insèrent explicitement dans la clause d’expropriation. En
effet, la revue des clauses conventionnelles a montré que les TBI,
soit ne précisent pas le rapport d’équivalence, soit renvoient à l’effet
de la mesure, mais n’indiquent pas la personne sur laquelle il doit
s’apprécier. Ce silence a laissé aux tribunaux le soin d’interpréter la
clause en faveur du seul effet subit par l’investisseur. Il est vrai que
cette interprétation paraît adéquate en ce qui concerne les mesures
verticales. La donne est différente avec les mesures horizontales.
S’il n’est pas réaliste aujourd’hui, en raison de la rédaction des
clauses conventionnelles, de regarder ce que l’État a gagné du fait
de la destruction ou la dévalorisation d’un investissement, une autre
approche se propose de rétablir l’équilibre par un autre biais. Celui
du critère de la proportionnalité entre la charge imposée à l’investis
seur et l’intérêt public poursuivi par la mesure étatique.
256
public et l’intérêt privé. C’est une règle qui veut assurer que la réa
lisation de l’intérêt général impose un sacrifice « proportionné »
aux intérêts particuliers. S’il est relativement peu familier en droit
international des investissements, focalisé sur la protection des
investisseurs, le principe de proportionnalité a déjà fait l’objet de
développements importants dans d’autres forums de règlements de
différends774. La transposition de ce principe dans le contentieux
de l’expropriation indirecte fut d’abord prônée par la doctrine775,
avant de trouver un écho favorable dans quelques affaires arbitrales
récentes. Le principe de proportionnalité a d’abord été utilisé
dans l’examen d’autres obligations, notamment celle de la non-dis
crimination, à l’exemple des sentences Pope & Talbot 776, ou Loewen
group c. États-Unis 777. Mais c’est véritablement avec l’affaire Tecmed
c. Mexique, qu’il a acquis ses lettres de noblesse dans le contentieux
de l’expropriation indirecte.
Dans l’affaire Tecmed c. Mexique, le tribunal CIRDI a commencé par
rejeter le principe que les mesures de police soient exclues a priori
de la définition de l’expropriation indirecte778. Bien que l’article 5
du TBI Espagne-Mexique ne soit pas rédigé en des termes similaires
à ceux des TBI suisses, le tribunal a procédé à une lecture novatrice
pour conclure qu’il devait regarder à la fois les effets substantiels de
la mesure sur l’investisseur et les caractéristiques de la mesure éta
tique : « the Arbitral Tribunal deems it appropriate to examine, (…) whether
the Resolution, due to its characteristics and considering not only its effects,
is an expropriatory decision »779. Afin d’évaluer les caractéristiques de la
mesure, le tribunal a considéré que le critère de la proportionnalité
était le moyen indiqué, en justifiant son choix en ces termes :
« The Arbitral Tribunal will consider, in order to determine if they are to be charac-
terized as expropriatory, whether such actions or measures are proportional to the
public interest presumably protected thereby and to the protection legally granted to
investments, taking into account that the significance of such impact has a key role
upon deciding the proportionality. (…) There must be a reasonable relationship of
proportionality between the charge or weight imposed to the foreign investor and the
aim sought to be realized by any expropriatory measure »780.
774 Tel est le cas de la Cour Européenne des Droits de l’Homme dont quelques
décisions seront examinées ci-après.
775 T. WÄLDE, A KOLO, op. cit., note 39, pp. 827-835. Ces derniers se fondaient déjà
sur la jurisprudence de la CEDH qu’ils citent de manière extensive.
776 Pope & Talbot, op. cit., note 300, § 43-72.
777 Loewen group c. États-Unis, op. cit., note 321, § 104-118.
778 Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, § 121-122.
779 Ibidem, § 118.
780 Ibidem, § 122.
257
Mais comment vérifie-t-on alors la proportionnalité entre le but
poursuivi par une mesure et le préjudice causé aux investissements
étrangers ? Dans l’affaire Tecmed c. Mexique, trois facteurs ont été pris
en compte pour évaluer la proportionnalité entre la mesure de régle
mentation visant un intérêt public et la charge que ladite mesure fait
peser sur l’investisseur.
En premier lieu, il faut d’abord un préjudice substantiel. C’est une
condition préalable dont l’absence rend inutile toute investigation
supplémentaire. De l’avis du tribunal, « this determination is important
because it is one of the main elements to distinguish, from the point of view of
an international tribunal, between a regulatory measure, which is an ordi-
nary expression of the exercise of the state’s police power that entails a decrease
in assets or rights, and a de facto expropriation that deprives those assets and
rights of any real substance »781. Pour ce faire, les arbitres appliquèrent
les critères posés par la doctrine majoritaire du seul effet782. Par
conséquent, tel qu’il fut appliqué dans la sentence Tecmed, le prin
cipe de proportionnalité ne vise pas à se substituer à celui du seul
effet. Il s’agit d’un critère complémentaire. Cela signifie que dans la
mesure où l’usage du critère de l’effet n’est pas concluant, le test de
proportionnalité devient superflu.
En second lieu, il faut vérifier l’existence prima facie d’un intérêt
public. Ce second critère est laissé à l’appréciation souveraine de
l’État, exception faite d’un détournement de pouvoir manifeste et
grossier. Cependant, les arbitres ont estimé nécessaire de vérifier si
l’intérêt public invoqué par l’État était bien celui qui fut à l’origine
de la mesure. Non pas pour juger de l’opportunité de cette mesure,
mais afin d’appliquer le test de proportionnalité au véritable intérêt
public qui était visé. En l’espèce, ils ont conclu que la mesure ne
visait pas un but environnemental, contrairement aux affirmations
de l’État mexicain. En effet, seules quelques infractions mineures
aux normes de protection de l’environnement avaient été relevées
et des amendes avaient été recommandées par l’institution locale
compétente. Par contre, le refus de renouvellement du permis était
une réponse à des manifestations des populations riveraines hostiles
aux activités de l’investisseur à proximité de leur zone d’habitation :
« to sum up, the reasons that prevailed in INE’s decision to deny the renewal
of the Permit were reasons related to the social or political circumstances and
the pressure exerted on municipal and state authorities »783. C’est donc par
rapport à la sévérité des troubles civils que le tribunal a évalué la
proportionnalité de la mesure mexicaine.
En troisième lieu enfin, il fallait que la réponse des autorités mexi
caines soit nécessaire pour réaliser l’intérêt public poursuivi, à savoir
mettre fin aux protestations des populations riveraines. C’est à cette
258
condition que le préjudice causé à l’investisseur sera proportionné.
Par conséquent, le tribunal a examiné « the extent to which such political
circumstances (…) are the basis of the Resolution, in order to assess whether
the Resolution is proportional to such circumstances and to others circums-
tances, and to the neutralization of the economic and commercial value of the
Claimant’s investment caused by the Resolution »784. Il a constaté que les
contestations populaires n’avaient pas atteint le niveau d’une crise
sociale785. La situation ne justifiait donc pas une solution aussi radi
cale. De l’avis du tribunal, le problème était la situation de l’usine
de traitement de déchet et la solution devait donc se trouver dans la
délocalisation de l’usine sur un autre site acceptable par toutes les
parties prenantes. Cette solution avait d’ailleurs été envisagée par les
autorités locales, avec le soutien financier de l’investisseur, avant le
début des manifestations locales. Il est donc ressorti de l’analyse du
tribunal que la décision de ne pas renouveler le permis d’exploita
tion n’était pas nécessaire pour atteindre le but poursuivi, et qu’elle
avait mis à la charge de l’investisseur un poids excessif 786.
Depuis la sentence Tecmed c, Mexique, le principe de proportion
nalité a été reconnu comme applicable au contentieux de l’expro
priation dans d’autres affaires portées devant le CIRDI, avec toute
fois de légères variantes. Il s’agit notamment des sentences Azurix
c. Argentine et LG&E c. Argentine. Dans la première affaire, le tribu
nal a estimé que le but poursuivi par la mesure était un élément
essentiel, mais insuffisant pour qualifier une expropriation indi
recte, en plus de l’effet substantiel : « the public purpose criterion as an
additional criterion to the effect of the measures under consideration needs
to be complemented »787. Toutefois, le but de la mesure ne devient un
critère maniable qu’avec le secours du principe de proportionna
lité. Il s’agit donc ici d’un moyen de rationalisation du critère du
but légitime, pris comme critère secondaire et non comme moyen
d’analyse de la « caractéristique » de la mesure elle-même. Dans
la sentence LG&E, une autre variante de l’usage du principe de
proportionnalité a été mise en lumière : « in order to establish whether
State measures constitute expropriation (…), the Tribunal must balance two
competing interests : the degree of the measure’s interference with the right
of ownership and the power of the State to adopt its policies »788. Contrai
rement à la sentence Tecmed c. Mexique, qui l’utilise pour évaluer la
« caractéristique » de la mesure étatique, la proportionnalité est un
critère de distinction entre expropriation et mesure de police dans
la sentence LG&E c. Argentine. En effet, le principe de distinction
entre mesure de police et mesure équivalente à une expropriation,
259
a été accueilli favorablement dans cette sentence : « it is important
not to confound the State’s right to adopt policies with its power to take an
expropriatory measure »789. Le critère de proportionnalité apparaît
ici comme le moyen de mise en oeuvre du principe de distinction :
« with respect to the power of the state to adopt its policies, it can generally be
said that the State has the right to adopt measures having a social or general
welfare purpose. In such a case, the measure must be accepted without any
imposition of liability, except in cases where the State’s action is obviously
disproportionate to the need being addressed »790. Bien que le tribunal cite
la sentence Tecmed c. Mexique qui a rejeté le principe de distinction,
il se situe donc dans une perspective quelque peu différente. Cepen
dant, dans ces deux affaires, les tribunaux n’ont pas eu l’occasion de
mettre en pratique leurs affirmations de principe. En effet, le critère
préalable du préjudice substantiel n’était pas rempli.
Les arbitres, dans la sentence Tecmed c. Mexique, se sont référés
explicitement à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits
de l’Homme (CEDH) concernant l’interprétation de l’article 1 du
Protocole à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et
des libertés fondamentales de 1952 (le Protocole 1). Il convient donc
d’exposer brièvement la teneur de cette jurisprudence, avant de pro
céder ultérieurement à une analyse plus détaillée aux fins de compa
raison avec les sentences CIRDI. On sait qu’en raison de divergences
importantes, la protection du droit de propriété n’a pas été prévue
directement dans la Convention de 1950, mais à l’article 1 du Proto
cole 1 dont le libellé trahit la recherche d’un compromis :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut
être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions
prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États
de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des
biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou
d’autres contributions ou des amendes ».
789 § 194.
790 § 195.
791 Pour un exposé détaillé sur l’élaboration de cet article et notamment des dif
férentes versions du projet d’article, Voir R. HIGGINS, op. cit., note 258, pp. 357-
375. Voir aussi B. STERN, « Le droit de propriété, l’expropriation et la national
isation dans la convention européenne des droits de l’homme », Droit et pratique
du Commerce International, 1991, vol. 17, p. 394-425 ; H. RUIZ FABRI, « The
approach taken by the European Court of Human Rights to the Assessment
of Compensation for « Regulatory Expropriation » of the Property of Foreign
Investors », New York University Environmental Law Journal, 2003, Vol. 11, pp. 148-
173 ; H. MOUNTFIELD, « Regulatory Expropriations in Europe : The Approach
260
n’use pas du terme « expropriation », il est unanimement considéré
qu’il s’y réfère dans la seconde phrase du premier alinéa à travers
le terme de « privation » de la propriété. La notion de privation a
été interprétée comme incluant à la fois l’expropriation directe et
l’expropriation indirecte. En cas de requête pour expropriation, la
CEDH estime qu’elle se doit de regarder au-delà « des apparences »,
afin que la protection accordée par la Convention soit réelle et
effective792. La CEDH applique depuis longtemps le principe de
proportionnalité dans le cadre de l’article 1 P.1. En substance, les
éléments qu’elle prend en compte pour évaluer la proportionnalité
d’une mesure d’un État membre peuvent être résumés comme suit :
le caractère discriminatoire ou non de la mesure, la disponibilité
d’autres mesures moins dommageables pour atteindre le but d’uti
lité publique, et le poids excessif mis à la charge de l’investisseur au
bénéfice de l’intérêt général. Le critère de proportionnalité appli
qué par la CEDH ne nécessite pas de jugement de valeur ou d’oppor
tunité sur l’intérêt public poursuivi. Il s’agit plutôt de s’assurer que
l’État a choisi, parmi les actions à sa portée, celle qui présente le
meilleur équilibre entre le moyen et le but de poursuivi.
Cependant, la transposition de ce critère d’un contexte très ins
titutionnalisé à un autre qui l’est beaucoup moins, ne peut-elle pas
poser de problèmes ? Il faut en effet s’assurer que ce critère est appli
cable dans le contexte du droit international des investissements en
général et de l’expropriation en particulier.
Limites de l’approche :
le cadre juridique spécifique du droit international des investissements
Les limites à la transposition du principe de proportionnalité dans
le droit international des investissements sont de deux ordres. La
transposition est fondée sur une approche partielle de la jurispru
dence pertinente de la CEDH, et se révèle inadaptée aux spécificités
actuelles du contentieux investisseur-État sur le fondement des trai
tés de protection des investissements.
261
xième vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ;
elle figure dans la seconde phrase du même alinéa. Quant à la troisième,
elle reconnaît aux États le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des
biens conformément à l’intérêt général et en mettant en vigueur les lois
qu’ils jugent nécessaires à cette fin ; elle ressort du deuxième alinéa »793.
262
tations excessives : impossibilité de vendre à la valeur marchande,
de contracter des hypothèques, d’effectuer des travaux importants,
etc. Leurs droits de propriété se seraient ainsi trouvés vidés de leur
substance pendant la durée de validité des mesures municipales.
La Cour européenne, en examinant s’il y avait eu expropriation
indirecte, a d’abord évalué le degré de la dépossession en ces termes :
« S’ils laissaient juridiquement intact le droit des intéressés à disposer
et user de leurs biens, les permis d’exproprier n’en réduisaient pas
moins dans une large mesure la possibilité pratique de l’exercer. (…)
Le droit de propriété des requérants devenait ainsi précaire et révo
cable. De leur côté, les interdictions de construire limitaient sans
conteste le droit des requérants à user de leurs biens »795. Néanmoins,
la Cour a conclu que le préjudice subi n’atteignait pas l’ampleur
d’une dépossession : « bien qu’il ait perdu de sa substance le droit
en cause n’a pas disparu. Les effets des mesures en question ne sont
pas tels qu’on puisse les assimiler à une privation de propriété »796.
Il apparaît donc que la Cour n’a pas usé de la proportionnalité dans
cette partie de la décision, et cela ne fut pas remis en cause par les
nombreuses opinions dissidentes des juges de la Cour797. C’est seu
lement ensuite que la CEDH effectue une recherche de proportion
nalité entre intérêt public et intérêt privé, sous l’angle du second ali
néa ; alinéa dont le libellé traduit la recherche d’un équilibre général
voulu par la Convention de 1950. Contrairement donc à ce qui est
parfois affirmé798, le principe de proportionnalité n’a pas trouvé
à s’appliquer dans la qualification de l’expropriation indirecte799.
Seul le second alinéa est soumis au contrôle de proportionnalité. La
CEDH a rarement qualifié des expropriations indirectes, alors que
les restrictions à l’usage de la propriété ont plus souvent été recon
263
nues comme compensables du fait qu’elles étaient disproportionnées
par rapport à l’intérêt public poursuivi.
Au-delà de cette interprétation partielle, recourir au principe de
proportionnalité de la CEDH relève d’un paradoxe. Le Protocole
1 règlemente l’expropriation directe ou indirecte et la restriction à
l’usage de la propriété. Au regard de la jurisprudence de la CEDH,
les règlementations générales sur l’usage de la propriété, qui rap
pellent largement par leurs caractéristiques les mesures de police,
tombent sous le coup du second alinéa. Elles ne peuvent donc pas
être des expropriations aux termes de la seconde phrase du premier
paragraphe. Par conséquent, si l’on veut utiliser le critère de la pro
portionnalité, il faut se positionner hors du régime de l’expropria
tion indirecte. Or, la réglementation de l’usage des investissements
n’est pas prévue dans les traités de protection des investissements. En
effet, dans la perspective du droit international des investissements,
une réglementation générale, même dite de police, est une mesure
expropriante comme une autre et ne bénéficie pas d’un traitement
spécial800. Une transposition de la jurisprudence de la CEDH ne
serait possible que si les réglementations générales de ce type étaient
clairement exclues du régime de l’expropriation indirecte par les
TBI, de sorte à pouvoir soumettre ces dernières à un contrôle de pro
portionnalité. C’est probablement en raison de ces contradictions
qu’un auteur a affirmé que le raisonnement de la sentence Tecmed
c. Mexique procède d’un « amalgam of the US regulatory Takings test and
the ECtHR jurisprudence on Protocol n° 1 of the Protection of Human Rights
and Fundamental Freedoms »801. Il est vrai que l’on retrouve des réfé
rences aux critères des récents TBI américains, inspirés eux-mêmes
de la doctrine américaine du Taking, lorsque le tribunal a recherché
le caractère raisonnable des mesures mexicaines au regard de « their
goals, the deprivation of economic rights and the legitimate expectations of
who suffered such deprivation »802.
800 Position partagée par le tribunal dans la sentence Tecmed c. Mexique, op. cit.,
note 121, lorsqu’il a rejeté le principe de distinction entre mesure de police et
mesures équivalente à une expropriation.
801 A. NEWCOMBE, « The Boundaries… », op. cit., note 38, p. 410.
802 Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, § 122.
264
ment (souvent comparé à un bol de spaghetti) et un système peu har
monisé de règlement de différends. Comme l’observait C. Leben, la
prise en compte d’éléments très subjectifs comme la proportionna
lité peuvent être acceptés lorsqu’il s’agit « d’institutions judiciaires
internes ou de juridictions internationales telles que la Cour euro
péenne des droits de l’Homme, mais […] peuvent étonner lorsqu’il
s’agit de tribunaux arbitraux composés de personnes privées et sans
aucun mécanisme d’appel ou de cassation »803. On se doit de recon
naitre avec un auteur que « domestic courts, in deciding issues of Taking,
balance the social benefits behind the taking against the public objectives
that are furthered. An arbitral tribunal is incapable of such exercise »804. En
outre, les TBI eux-mêmes ne recherchent pas un équilibre entre les
droits en présence. Au contraire, le déséquilibre congénital qu’ils
véhiculent a souvent été dénoncé. L’article 1 alinéa 2 du protocole
1 est donc plus sensible au pouvoir normatif de l’État que la clause
type d’expropriation dans les TBI. La sentence Sporrong & Lonnröth,
citant des précédents de la Cour, l’avait reconnu en ces termes : « aux
fins de cette disposition [alinéa 2], la Cour doit rechercher si un juste
équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de
la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fonda
mentaux de l’individu. (…). Inhérent à l’ensemble de la Convention,
le souci d’assurer un tel équilibre se reflète aussi dans la structure
de l’article 1 »805. Le fait que les demandes puissent être introduites
par des personnes physiques et morales contre leur État national,
contrairement à ce qui est permis dans le contentieux international
des investissements, n’est peut-être pas étranger à ce souci d’équi
libre.
En définitive, aussi intéressante que soit cette approche, elle devra
encore prouver son bien-fondé et trouver ses marques. L’état actuel
du droit international des investissements, malgré les notables évo
lutions, ne se prête pas encore facilement à une telle transposition.
L’avenir pourra peut-être changer positivement la donne, si les futurs
TBI commencent à tendre vers un rapport équilibré entre les droits
des investisseurs étrangers et les droits de l’État d’accueil.
803 C. LEBEN, « La liberté normative de l’État… », op. cit., note 123, p. 179. Voir
aussi R. DOLZER, Ch. H. SCHREUER, op. cit., note 8, p. 99.
804 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, pp. 389-390.
805 Sporrong & Lonnröth, op. cit., note 422, § 69.
265
échec à une obligation d’indemniser, une récente doctrine propose
de se placer purement et simplement hors du régime de l’expro
priation. Cette approche ne concerne que les mesures mettant en
cause des enjeux environnementaux, mais elle pourrait intéresser
l’ensemble des mesures horizontales (A). Bien qu’elle soit particuliè
rement séduisante et pratique, un obstacle important remet en cause
son applicabilité devant l’arbitre du contentieux de l’investissement
étranger (B).
La doctrine extraqualification
L’approche « extraqualification » se situe résolument à l’extérieur
du processus de qualification. Il existe bien un processus de quali
fication, mais il est étranger à celui de l’expropriation. L’approche
extraqualification consiste à sortir certaines mesures étatiques, qui
correspondent largement à la catégorie des mesures horizontales, du
régime de l’expropriation pour les soumettre aux règles classiques
de la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite.
Cette approche a été défendue récemment par S. Robert-Cuendet806.
Sans pouvoir rendre compte ici de la richesse de l’analyse, le raison
nement peut être résumé dans ses grandes lignes.
L’auteure part du constat très réaliste, sinon pessimiste, que le
régime juridique de l’expropriation indirecte ne permet pas la prise
en compte d’autres considérations en dehors du préjudice subi par
l’investissement. À son avis, la corrélation automatique entre l’exis
tence d’un préjudice grave et l’obligation d’indemniser est un obs
tacle infranchissable, tant que l’on demeure dans la logique propre à
l’expropriation. L’auteure remarque à propos de la doctrine du seul
effet, que son caractère déterminant a « tendance à éluder l’utilité
des autres critères invoqués, et ce même lorsque les arbitres tentent
de diversifier leur analyse »807. Elle démontre alors que le critère de
l’effet préjudiciable exclusif est incapable de prendre en compte
les préoccupations environnementales et d’assurer le respect de la
liberté normative de l’État en ce domaine : « la qualification d’expro
priation a ceci d’irrémédiable qu’elle entraine automatiquement,
quelles que soient les règles qui la commandent, le versement d’une
indemnisation »808. S. Robert-Cuendet explique, très justement, que
le problème réside avant tout dans une protection élevée accordée à
l’investissement par le biais d’une clause dont la logique se situe en
266
dehors de la responsabilité internationale de l’État. L’indemnisation
étant une condition de licéité, un contentieux de la responsabilité de
l’État ne fait que se greffer à la règle lorsque l’expropriation est illi
cite. L’analyse se focalise sur les mesures environnementales et non
le concept de « mesure de police ». L’auteure critique le concept de
mesure de police parce qu’il est vague, qu’il ressort d’une logique
de responsabilité internationale que l’expropriation ne connaît pas,
et qu’il est appliqué à titre d’exception. De fait, ce concept n’est pas
en mesure de faire échec à la doctrine du seul effet. Or, pour S.
Robert-Cuendet, l’investisseur étranger devrait être protégé contre
les mesures qui le visent en tant qu’étranger, et non pas simplement
comme n’importe quel opérateur économique sur le territoire.
Pour sortir de cette impasse, elle propose de sortir du régime de
l’expropriation indirecte pour se positionner directement dans celui
de la responsabilité internationale de l’État. Ainsi, les mesures de
règlementation visant la protection de l’environnement devront être
jugées sur la base de leur caractère raisonnable ou déraisonnable,
en sus du préjudice substantiel. Le principe serait que ces mesures
ne donnent pas lieu à indemnisation malgré le préjudice causé, sauf
si elles sont déraisonnables. L’auteure, pour ce faire, élabore ensuite
des critères pour apprécier le caractère déraisonnable d’une mesure
de protection de l’environnement, en s’inspirant des critères utilisés
dans l’appréciation du traitement injuste et inéquitable. L’ouvrage
finit par une proposition d’indemnisation en cas de règlementation
déraisonnable basée sur la réparation du « déraisonnable », et non
sur le préjudice économique subi par l’investissement.
Il est possible d’interpréter cette approche comme une nouvelle
tentative d’opérer une distinction entre les mesures de police et les
mesures d’expropriation indirecte. Cependant, tel n’est pas l’objec
tif de S. Robert-Cuendet. Pour reprendre ses propos, l’objectif est
de « passer d’une logique d’exception au régime de l’expropriation
(…) à une logique d’exclusion du régime de l’expropriation »809. Au
lieu de chercher à faire entrer certaines mesures étatiques, environ
nementales notamment, dans la notion de mesure de police pour
les soustraire à l’obligation d’indemnisation, il suffit d’examiner ces
mesures sous un autre angle. Ce qui permet de les rendre indemni
sables en raison de leur caractère déraisonnable, et non en raison de
leurs effets préjudiciables.
267
2000, l’État californien prévoyait qu’à partir du 31 décembre 2002,
plus personne ne pourrait offrir à la vente ou fournir de l’essence
qui aurait été produite avec du MTBE, un additif suspecté être can
cérigène et non dégradable dans l’environnement. L’investisseur
canadien était un fabricant de méthanol, l’un des composants du
MTBE. Bien que le décret n’ait pas remis en cause la fabrication et la
commercialisation du méthanol, l’investisseur s’est estimé lésé, car
il écoulait l’essentiel de sa production chez les fabricants de MTBE.
En outre, il accusait l’État californien de discrimination déguisée en
faveur de ses concurrents locaux fabriquant de l’éthanol, un autre
additif à l’essence qui n’était pas prohibé.
Avant d’examiner si les États-Unis avaient violé une obligation de
l’ALENA, le tribunal a commencé par rechercher l’existence d’une
« mesure related to investment » au sens de l’article 1101 de l’Accord.810
En l’espèce, la réglementation ne visait pas directement l’activité
de la société Methanex, ni même la production et le commerce du
méthanol, mais constituait une mesure d’application générale rela
tive au MTBE. En recherchant l’existence d’une expropriation indi
recte, le tribunal a affirmé qu’une mesure ne peut ouvrir droit à
indemnisation que si elle ne vise pas un intérêt public, est discrimi
natoire et arbitraire :
268
Les conditions qui furent exigées par le tribunal pour engager la
responsabilité de l’État coïncident exactement avec les conditions de
licéité de l’expropriation. Ainsi, une mesure règlementaire générale
(que le tribunal ne considère pas comme une mesure relative à un
investissement) qui remplirait dans les faits les conditions de licéité
d’une expropriation indirecte, ne pourrait pas être qualifiée comme
telle. Ce renversement, assez surprenant, peut être compris de la
sorte : face à une mesure générale visant un intérêt public, le tribu
nal se place, sans le dire, hors du régime de l’expropriation indi
recte. Cela lui permet alors, comme pour une mesure dommageable
quelconque, d’apprécier si elle est arbitraire et discriminatoire. Et
c’est seulement à cette condition qu’elle engagera la responsabilité
de l’État et pourra entraîner une indemnisation. Si le raisonnement
était parti de l’expropriation, l’indemnisation aurait été automatique
sur le simple constat d’un préjudice substantiel, indépendamment
du fait que l’État ait agi de manière raisonnable ou pas. C’est donc
l’intérêt général visé par la mesure qui a permis de sortir la mesure
du régime de l’expropriation. Et c’est son caractère arbitraire et dis
criminatoire qui aurait pu la rendre néanmoins indemnisable.
Le principal mérite de l’approche extraqualification est de se
placer, en l’assumant, hors du régime de l’expropriation. Elle uti
lise des critères qui se retrouvent à divers degrés dans les autres
approches, mais elle ne prétend pas attirer les conditions de licéité
de l’expropriation vers ses éléments de qualification. À ce titre, c’est
une approche cohérente. En outre, cette proposition permet de
renverser la présomption en faveur des mesures de règlementations
générales environnementales. Ce renversement va à l’encontre de la
position qui veut que les mesures de police soient qualifiées d’expro
priations indirectes toutes les fois où elles entraineront un préjudice
grave, sauf exception ; exception qui est au mieux virtuelle sinon
introuvable. En d’autres termes, cette approche permet de poser
un régime d’autorisation en faveur du droit de règlementer dans
l’intérêt général, et non un régime d’exception tolérant à peine les
règlementations préjudiciables non accompagnées d’indemnisation.
Posée ainsi, l’approche extraqualification semble ne présenter que
des avantages. Néanmoins, elle n’est pas exempte de limites sérieuses
qui la rendent difficilement applicable.
B. Limites de l’approche :
l’arbitre saisi du contentieux de l’expropriation indirecte
Une première remarque sous forme de bémol peut être faite quant
à la portée de l’approche postqualification. La protection de l’envi
ronnement mérite-t-elle un traitement spécial par rapport à d’autres
intérêts publics ? Pour l’auteur, « l’exception environnementale » se
prête le mieux à une telle approche. Cette exception ne réside pas
fondamentalement dans une supériorité des valeurs protégées, mais
269
plutôt dans la possibilité d’identifier et d’isoler plus facilement les
mesures environnementales pour les soumettre à un régime diffé
rent. Toutefois, cela suppose déjà que l’existence de cette spécificité
environnementale soit reconnue. Il est vrai que plusieurs TBI récents
intègrent des exceptions en faveur de la protection de l’environne
ment, mais on peut en dire de même de la protection de la vie et de
la santé, ou des droits fondamentaux des travailleurs. Le fait donc
que cette doctrine soit conçue essentiellement comme un exemple
de mesures horizontales pourrait en réduire la portée. Il est impor
tant, à notre avis, de veiller à ne pas créer une définition de l’expro
priation indirecte qui n’aurait pour utilité que de pouvoir sortir les
mesures environnementales de son champ d’application. L’environ
nement n’est pas le seul intérêt public pouvant être invoqué. Il faut
le reconnaître cependant, l’auteur propose que sa doctrine puisse
être transposée à d’autres mesures portant sur des intérêts publics
internationalement reconnus afin d’en élargir la portée.
La véritable limite de cette doctrine est d’ordre pratique et réduit
considérablement son applicabilité. Cette limite tient à la compétence
des tribunaux du contentieux de l’investissement international sur
le fondement d’un TBI. Lorsqu’une affaire est portée devant un tri
bunal arbitral, les parties déterminent leurs plaintes sur la base des
violations des clauses conventionnelles. Si un investisseur reproche à
un État de l’avoir exproprié de son bien, le tribunal doit répondre à
une question précise : la mesure litigieuse est-elle une expropriation
ou ne l’est-elle pas ? Il ne lui est pas demandé si une mesure environ
nementale a été appliquée de manière déraisonnable. Le tribunal ne
peut pas occulter les demandes formulées par une partie. La mesure
de protection de l’environnement ou des droits humains n’est pas
présentée devant lui sur le fondement de cette caractéristique, mais
bien parce qu’elle est une mesure imputable à l’État et qu’elle est
prétendument expropriante. Si son caractère environnemental
devait intervenir dans le débat, ce ne serait que lors de la phase de
qualification d’une expropriation ou de l’évaluation de sa nature
licite. Cette contrainte est d’autant plus forte que la dissociation du
consentement des parties à la procédure d’arbitrage fait dépendre la
physionomie du litige des termes fixés par l’investisseur dans sa requête. La
saisine unilatérale par l’investisseur est aujourd’hui banalisée812. Il
est donc matériellement impossible à l’État d’introduire une requête
d’arbitrage de sa seule initiative, à supposer qu’il souhaite le faire.
En outre, la possibilité d’une demande reconventionnelle par l’État
d’accueil est limitée en raison de la pauvreté des obligations inter
nationales mises directement à la charge des investisseurs dans les
TBI. Par conséquent, l’investisseur a généralement la maîtrise de la
requête et il modèlera de ce fait les points de droit devant être exa
270
minés par le tribunal. Ce dernier est bien sûr libre de faire interve
nir toutes les sources du droit international qui lui sembleront per
tinentes. Mais le raisonnement devra toujours partir du cadre posé
par le traité bilatéral d’investissement qui fonde sa compétence.
L’option proposée par l’approche extraqualification, demeure tou
tefois utilisable, à condition que le traité de protection des investis
sements exclue explicitement certaines catégories de règlementation
du champ d’application de l’expropriation, et/ou prescrive de les
analyser sous l’angle exclusif de leur caractère déraisonnable. Dans
ce cas, le traité limiterait les mesures environnementales pouvant
entraîner une obligation d’indemniser à celles qui sont excessives et
arbitraires.
Aux termes de cette section, il ressort que les solutions propo
sées en remplacement de la doctrine du seul effet présentent des
limites importantes que ne peut ignorer un tribunal arbitral devant
connaître d’une allégation d’expropriation indirecte sur le fonde
ment d’une clause type d’un TBI. Il pourra toujours être opposé à
ces approches plusieurs obstacles qui ont été résumés en ces termes
par C. Schreuer, partisan de la doctrine du seul effet : « an expropria-
tion may take place under perfectly legitimate circumstances. Arbitrariness,
bad faith, lack of proportionality and other improprieties are not constitutive
elements of expropriation. Their absence does not mean that an expropriation
could not have taken place »813. On ne peut donc s’étonner de ce que les
quelques sentences ayant fait preuve jusqu’ici d’innovation n’aient
pas encore pu lancer une tendance assez importante pour ébranler
sérieusement la jurisprudence dominante. Comme le notait un autre
auteur, à la suite d’une revue des sentences rendues jusqu’en mars
2009, après les sentences Methanex c. États-Unis et Saluka c. République
tchèque, « not a single tribunal has recently cited or referred to the reasoning
of the tribunals in either of these cases. Rather they have continued to apply
the traditional approach »814. Le besoin d’adapter l’approche tradition
nelle demeure pourtant une réalité.
L’analyse de ces différentes approches permet de tirer quelques
enseignements qui seront utiles pour la recherche d’une meilleure
option à celle de la doctrine du seul effet. Il est certain d’abord que
les contours de l’expropriation indirecte ne peuvent être délimités
que lors du processus de qualification et non à la phase de l’évalua
tion de ses conditions de licéité. Ensuite, l’intérêt public à la source
de l’édiction de la mesure horizontale ne peut être complètement
évacué du processus de qualification. D’une manière ou d’une autre,
il faut le prendre en considération. Enfin, la prise en compte de cet
intérêt public de l’État d’accueil ne peut se faire en ignorant com
plètement la distinction entre critères de qualification et critères de
813 Ch. H. SCHREUER, « The concept of Expropriation… », op. cit., note 39, p. 111.
814 C. KNAHR, « Indirect Expropriation in Recent Investment Arbitration », TDM
1, 2009, (www.transnational-dispute-management.com/article.asp?key=1353).
271
licéité. Au contraire, il ne faut jamais la perdre de vue, afin de mieux
la contourner. À cette fin, il est nécessaire d’élaborer une méthodo
logie de travail.
815 D’après le titre d’un article de L. Y. FORTIER, L. S. DRYMER, op. cit. note 286,
p. 293.
272
effet, encensé comme rationnel et objectif, devrait laisser peu de
place à des raccourcis et à des interprétations divergentes. Mais il
n’en va pas toujours ainsi dans la pratique. Force est de constater
avec R. Dolzer, que « a review of the justifications given in individual cases
(…) reveals a certain resistance to explaining the reasoning which has led to
the result ; broad formulae and statement may appear in place of the more
specific elaborations on the substance and contours of the taking doctrine
that one might expect »816. En comparaison d’autres questions telles que
l’existence d’une mesure imputable à l’État d’accueil, l’existence
d’un investissement protégé, ou encore le calcul de la valeur mar
chande ou comptable de l’investissement, l’évaluation de l’impact
du préjudice est le parent pauvre dans le dispositif des sentences
rendues sur le contentieux de l’expropriation indirecte ; alors même
qu’il est l’élément déterminant.
L’incertitude qui entoure la méthode d’évaluation du préjudice
subi par l’investisseur n’est cependant pas perçue comme une
lacune. Au contraire, la grande majorité des tribunaux et des auteurs
la revendique et l’assume complètement. La meilleure illustration
jurisprudentielle de cette attitude se trouve probablement dans la
sentence finale rendue dans l’affaire Generation Ukraine. Le tribunal
a considéré qu’en matière de définition de l’expropriation indirecte,
« there is no checklist, no mechanical test to achieve this purpose. (…) The
outcome is a judgment, i.e., the product of discernment, and not the printout
of a computer program »817. La pratique conventionnelle récente de cer
tains États tend d’ailleurs à codifier cette pratique et à l’imposer aux
arbitres818. G. C. Christie fait partie des nombreux auteurs qui ont
défendu l’approche du cas par cas en estimant que c’était la meil
leure méthode et la seule possible pour évaluer l’existence d’une
expropriation indirecte819. Pour celui-ci, « the common law method of
case by case development is pre-eminently the best method, in fact probably the
only method, of legal development »820. Cette pratique peut être dénom
mée comme celle du « I Know it when I See it », pour reprendre le
titre d’un article défendant cette approche pragmatique, censée dis
suader les investisseurs de porter des demandes frivoles devant des
arbitres vigilants821. Ainsi donc, pour l’ensemble de ces auteurs, seule
l’observation empirique de chaque situation permet une évaluation
judicieuse. Il suffit donc de s’en remettre au bon sens des praticiens.
816 R. DOLZER, « Indirect expropriation : New developments ? », op. cit., note 103,
p. 76.
817 Generation Ukraine, op. cit., note 264, § 20.29.
818 C’est le cas des récents traités de protection des investissements américains et
canadiens.
819 C’est le cas également de M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 368 ; et
J. PAULSSON, Z. DOUGLAS, op. cit., note 168, p. 146.
820 G. C. CHRISTIE, op. cit., note 37, p. 338. Voir aussi, M. PELLONPAA,
M. FRITMAURICE, op. cit., note 8, p. 85.
821 L. Y. FORTIER, L. S. DRYMER, op. cit., note 286, p. 293.
273
Pourtant, s’en remettre au seul bon sens et à la vigilance des
arbitres ne peut garantir une justice efficace et cohérente. Cela sup
pose en effet que tous les arbitres ont une même ligne d’interpréta
tion, basée sur une culture juridique similaire, et une même accep
tion de certaines notions juridiques comme le droit de propriété et la
protection qui lui est accordée. Ce qui est loin d’être vérifié. Comme
le notait R. Dolzer, la pauvreté de certaines démonstrations et les
résultats surprenants qui en résultent parfois ne s’expliquent pas
uniquement par la culture du consensus entre les arbitres statuant
dans un tribunal. Il arrive aussi de constater un manque d’expertise
et de connaissance des conseils des parties au litige, voire de cer
tains arbitres qui, très compétents par ailleurs (droit commercial par
exemple), sont peu familiarisés avec le contentieux de l’investisse
ment international sur le fondement des TBI822. Dans le même sens,
même les défenseurs d’une approche au cas par cas « quasiment
intuitif » reconnaissent que la qualification de l’expropriation indi
recte tient aux circonstances de chaque affaire, mais parfois aussi
aux « culural elements that define shared expectations »823.
En réalité, une systématisation de la méthode d’évaluation du pré
judice n’est ni impossible, ni incongrue. D’abord, parce que l’objectif
n’est pas de trouver une formule magique universelle. Ensuite, et
surtout, parce qu’une méthode systématisée n’interdit pas une appli
cation au cas par cas. Au contraire, les deux solutions vont de pair et
se renforcent mutuellement. Il existe en effet une différence entre
d’une part, appliquer directement un critère formulé sous forme
de principe général au gré des affaires qui surviennent et d’autre
part, élaborer sur la base de ce principe une méthode rationnelle et
structurée qui pourra s’adapter ensuite à chaque cas d’espèce. Est-il
suffisant pour les tribunaux et les parties à un litige de savoir que le
préjudice doit être « substantiel » et « irréversible » ? N’est-il pas plus
éclairant de savoir, en plus, que la gravité du préjudice doit s’appré
cier sur telle prérogative rattachée à la propriété et non sur telle
autre par exemple ? Une méthode structurante ne peut être qu’un
avantage. C’est pourquoi, il convient de ne pas suivre l’affirma
tion selon laquelle, « just as the quest for the alchemic formula no longer
attracts research funding, the search for the chimerical perfect rule on indirect
expropriation need not preoccupy counsel and arbitrators »824. Et même si
l’on concède la nécessité d’une application au cas par cas, il n’en
demeure pas moins que « international lawyers should explore in a more
822 R. DOLZER, « Indirect expropriation : New developments ? », op. cit., note 103,
p. 76
823 G. C. CHRISTIE, op. cit., note 38, p. 338.
824 J. PAULSSON, Z. DOUGLAS, op. cit., note 168, pp. 146-147.
274
systemic way »825. Il ne faut pas céder à une certaine fatalité au risque
d’adopter l’attitude qui consisterait à « throw up our hands in a fit of
despair and resign ourselves to an ad hoc approach, hopping that somehow
we will chance upon justice in the individual case »826.
La pratique empirique défendue par les auteurs et les tribunaux
est loin de clarifier les contours de l’expropriation indirecte. De sur
croît, elle constitue un frein à une incursion dans les étapes néces
saires à l’évaluation de la gravité du préjudice.
A. L’étendue du préjudice
825 A. NEWCOMBE, « The Boundaries… », op. cit., note 38, p. 397. Voir dans le
même sens, A. REINISCH op. cit., note 373, p. 426, pour qui, « a scholarly analysis
should not dispense with identifying those elements and factors are crucial for a finding of
an indirect expropriation ».
826 B. H. WESTON, op. cit., note 36, p. 120. L’auteur rejette aussi cette fatalité et
propose des solutions différentes.
275
Toutefois, il ne suffit pas de dire que la mesure a eu un impact
préjudiciable sur l’ensemble de l’investissement ou qu’elle est seule
ment restreinte à l’une de ses composantes. Il faut aussi que les com
posantes touchées aient été gravement lésées. Cela signifie que la
mesure étatique doit avoir remis en cause une prérogative juridique
fondamentale de l’investissement protégée par le droit de l’expro
priation.
B. La gravité du préjudice
276
Cependant, l’analyse ne doit pas s’arrêter là. Il faut encore véri
fier que l’activité porteuse de l’investissement est elle-même licite et
digne de protection.
827 Voir par exemple les clauses suivantes : TBI Burkina-Tchad, 2001, article 1.1
(« ces investissements doivent être effectués selon les lois et règlements en vigueur dans
le pays hôte ») ; TBI Cameroun-Chine, 1997, article 1.1 (« le terme investissement
désigne des avoirs de toute nature investis (…) conformément à la législation de chacune
des Parties contractantes (…) »).
277
– Le préjudiciable a-t-il conduit à l’anéantissement d’une activité
économique licite ?
Alors que les deux premières questions (l’existence d’une mesure
et son imputabilité à l’État) sont examinées de manière satisfaisante
par les tribunaux, il n’en va pas de même pour les trois dernières.
Ces questions, qu’il convient d’examiner maintenant, constituent en
réalité un ensemble cohérent pouvant être qualifié comme le critère
de l’effet redéployé.
278
Chapitre 3
828 Middle East Cement c. Egypte, op. cit., note 158, § 107.
279
d’une dépossession formelle. Par contre, l’évaluation du préjudice
doit être particulièrement rigoureuse pour les mesures horizontales.
Pour cette catégorie de mesures, dont le rapport de filiation juri
dique avec l’expropriation directe est particulièrement distendu et
donc moins évident à établir, il est primordial de réduire au maxi
mum la brèche ouverte par les atteintes partielles. Les références
à la privation partielle de la valeur de l’investissement recouvrent
des réalités différentes à l’origine de certaines confusions. Afin de
rendre le critère du préjudice substantiel plus rigoureux, il convient
de comprendre ce que peut recouvrir un préjudice partiel à l’inves
tissement (§ 1), pour mieux l’écarter ensuite du processus de quali
fication au profit du préjudice global (§ 2).
280
certains instruments internationaux tels que la Convention CIRDI
ont renoncé par commodité à toute définition, tandis que d’autres,
notamment les TBI, se sont contentés d’une énumération non
exhaustive. L’absence de définition juridique précise et univoque de
la notion d’investissement soulève logiquement des interrogations
quant à ses contours830.
Les premiers investissements étrangers prenaient généralement la
forme de constitution de société ou de prises de participations dans
une société existante. Ce sont les formes dites traditionnelles ou
habillées de l’investissement (Equity Investment). L’investissement
traditionnel peut prendre deux formes principales : l’investissement
direct et l’investissement de portefeuille. Les investissements directs
étrangers peuvent être définis comme des investissements par les
quels des entreprises utilisent des capitaux en vue de créer ou d’ac
quérir une entreprise à l’étranger et leur permettant d’exercer un
contrôle ou une influence significative et durable sur la gestion de
l’entreprise étrangère. Les investissements de portefeuille sont consi
dérés comme des prises de participations minoritaires dans une
entreprise existante à l’étranger. Les investissements de portefeuille
sont souvent de nature spéculative et volatile et n’octroient pas de
pouvoir de décision dans l’entreprise831. Mais avec le développement
technologique et les besoins des pays en développement, certains
types de contrats ont intégré la notion d’investissement du fait que
leurs objectifs et leurs impacts économiques se rapprochent de ceux
des formes traditionnelles de l’investissement. Ces contrats consti
tuent les formes nouvelles ou déshabillées de l’investissement (non-
Equity investment). Il s’agit des contrats de licence, de construction,
de concession, d’entreprise conjointe clé en main, de coopération
industrielle, de partage de production, de services, de transfert de
technologie, des contrats BOT (Build Operate and Transfert)832,
constituer une capacité de production nouvelle de biens ou services, soit de rationaliser des
méthodes de production ou d’en améliorer la qualité ». Notons également des tentatives
plus récentes de définition. L’article 10.27 de l’ALE signé entre les États-Unis et
le Chili exige explicitement l’existence de trois éléments caractéristiques : l’ap
port en capital, l’anticipation du gain et le fait que l’investisseur supporte un
risque.
830 Quelques traités, comme l’AMGI, prévoient aussi une définition plus ou moins
synthétique de la notion, mais à des fins de politiques financières qui leur sont
propres. Ce qui rend la transposition de leurs approches malaisée dans un autre
cadre.
831 Certains TBI excluent explicitement de leur protection les investissements de
portefeuille. Voir par exemple ALE entre l’ALEE et le Mexique, 2000, article 25 :
« aux fins de la présente section, les investissements réalisés conformément aux
lois et règlements des Parties désignent l’investissement direct, (…) ».
832 Il s’agit d’un contrat global par lequel une entreprise finance et construit une
infrastructure, puis gère et perçoit les revenus pendant une période limitée,
avant de transférer la propriété à l’État.
281
etc. Les formes d’investissements ont donc grandement évolué ces
dernières décennies833, au point qu’il devient difficile de fixer des
limites entre ce qui demeure un contrat commercial et ce qui peut
être assimilé à un contrat d’investissement834. On a pu craindre que
l’extension aux formes nouvelles « banalise trop la notion juridique
d’investissement qui risque d’être diluée dans celle, très générale, de
droit économique, à telle enseigne que tout devient investissement et
que, désormais, la question qui mérite d’être posée est : qu’est-ce qui
n’est pas investissement ? »835.
Face à l’absence de définition juridique de la notion d’investisse
ment dans les TBI, les tribunaux ont suivi des approches divergentes.
Une partie des sentences arbitrales adopte une interprétation litté
rale des clauses. Cela signifie que tout bien ou avoir énuméré dans
la liste d’un TBI, voire au-delà (la liste étant souvent indicative),
constitue un investissement protégé. Cette interprétation se foca
lise sur une interprétation subjective de la notion d’investissement,
c’est-à-dire celle à laquelle les États ont formellement consenti dans
leurs traités de protection des investissements. Une autre partie des
sentences arbitrales a estimé qu’il revenait aux tribunaux de déga
ger une définition objective de la notion d’investissement. Cette
approche part de l’idée que la liste des biens et avoir cités dans les
TBI ne désigne que des éléments pouvant constituer des investisse
ments s’ils répondent à certaines caractéristiques. Ainsi, un investis
sement se caractérise globalement par un apport en numéraire ou
en nature dans une opération économique, sur une durée significa
833 Voir C. OMAN, Les nouvelles formes d’investissements dans les industries des pays
en développement, Paris, Etudes du centre de développement de l’OCDE, 1989,
pp. 190-195 ; G. R. DELAUME, « Le Centre International pour le Règlement des
Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) », JDI, 1982, pp. 800-801 ; Ph.
KAHN, « L’extension de la notion d’investissement », in J. BOURRINET (dir.),
Les investissements français dans le monde, Paris, Economica, 1984, pp. 111-117.
834 P. JUILLARD, « Contrats d’État et investissements », in H. CASSAN (dir.),
Contrats internationaux et pays en développement, Paris, Economica, 1989, p. 172,
distingue les contrats commerciaux des contrats d’investissement par le fait
que l’investisseur se voit « attribuer des « droits durables » sur l’investissement
qui fait l’objet du contrat », et par le fait que ce dernier participe aux risques
(bénéfices et pertes) de l’activité. Sur la base de ces considérations, certaines
opérations furent justement rejetées comme étant des investissements par
certaines sentences arbitrales. Ce fut le cas des frais engagés dans la phase
préparatoire pour la conclusion d’un contrat BOT sur une centrale électrique
qui ne fut jamais finalisé (Mihaly International Corp. c. Sri Lanka (ARB/00/2),
sentence CIRDI du 15 mars 2002) ; la fourniture de garantie pour l’appel
d’offre d’un contrat de fourniture d’équipements et d’installations clé en main
sur un site minier après que l’État n’ait pas libéré la garantie suite à un litige sur
la qualité des prestations (Joy Mining Machinery c. Egypte (ARB/03/11), sentence
CIRDI du 6 août 2004).
835 F. HORCHANI, « Le droit international des investissements… », op. cit., note 11,
p. 381. Voir dans le même sens, P. JUILLARD, op. cit, note 834, p. 174.
282
tive, et prévoyant une participation aux risques de l’exploitation. En
plus de ces trois critères (apport, durée et risque), il est parfois exigé
que l’activité participe au développement économique de l’État d’ac
cueil, mais ce dernier critère peut être considéré comme présumé
par l’existence des trois autres. C’est le test dit « Salini »836.
Certains auteurs, tout en défendant la nature extensible de la
notion d’investissement, rendue nécessaire par l’évolution de l’éco
nomie et des techniques, déplorent que d’une notion conceptuelle,
l’investissement soit devenu une notion fonctionnelle ; de sorte que
de nombreuses opérations économiques n’ayant aucune similitude
avec les caractéristiques requises soient reconnues comme des inves
tissements837. De l’avis de Ph. Kahn, des prêts destinés à financer de
grands projets d’investissements et dont le remboursement dépend
dans une large mesure des ressources issues de l’exploitation, ainsi
que des contrats de service ou de transfert de technologie peuvent
intégrer la notion d’investissement par extension. Mais il est exces
sif d’y faire entrer de simples effets de commerce838, des crédits à
court terme ou des facilités de paiement839, et des contrats de service
dépourvus d’un apport significatif 840.
En réalité, le risque de dilution de la notion d’investissement ne
réside pas dans l’extension des opérations économiques pouvant
être qualifiées d’investissements, mais dans la confusion entre la
notion juridique de bien et d’investissement. Il importe donc de
définir précisément les rapports juridiques entre bien, propriété et
investissement.
283
familiales d’un bien meuble ou immeuble à l’étranger n’est pas un
investissement »841. Il importe de distinguer le bien ou le droit de
l’investissement.
Le bien est un terme générique qui désigne toute chose susceptible
d’appropriation. Le droit, dans sa conception subjective, est une pré
rogative juridiquement protégée qui permet à son titulaire de faire,
d’exiger ou d’interdire quelque chose dans son propre intérêt. Ainsi
définis, un bien et un droit peuvent avoir une valeur économique
et donc constituer l’apport dans un investissement. L’investissement
étant une notion dynamique qui « ne peut se concevoir que dans la
durée et dans le mouvement »842, il s’oppose de ce fait au bien qui est
une notion statique. Cela signifie que « l’investissement transcende
le bien qui n’est protégé que dans la mesure où il se rapporte à un
investissement »843.
Il existe également un rapport entre propriété et investissement.
Il est reconnu de longue date que le droit de propriété peut por
ter indifféremment sur des choses tangibles (biens meubles et
immeubles) et des choses intangibles (propriété artistique, intel
lectuelle, industrielle, etc.). La propriété, qu’elle soit corporelle ou
incorporelle fonde juridiquement l’acte d’investir. C’est parce qu’il
dispose de la propriété sur une chose corporelle ou incorporelle que
la personne physique ou morale étrangère peut en faire un investis
sement. Il s’agit donc d’un élément central dans la constitution d’un
investissement. En droit interne, la propriété, forme la plus achevée
de droit réel, signifie qu’un sujet détient le droit d’user, de jouir, et
de disposer d’une chose de manière exclusive, sous réserve des res
trictions imposées par la loi. Cette subdivision classique a été recon
nue dans les sentences arbitrales. Ainsi, dans l’affaire Liamco c. Libye,
à propos d’une nationalisation, l’arbitre unique S. Mahmassani,
rappelait que la conception classique de la propriété comportait le
droit d’user, de jouir et de disposer de l’objet de la propriété844. Il est
évident que si la notion d’investissement repose sur celle de bien,
elle ne peut occulter le droit de propriété. Comme l’avait déjà noté
C. Lévesque, « le recours à la notion d’investissement (…) n’élimine
pas le besoin de définir la propriété »845. Mais, comme le regrettait
R. Higgins, la jurisprudence internationale, les résolutions et les
284
projets d’accords internationaux, ainsi que la doctrine, ont prêté
peu d’attention à la définition même de la « propriété » dans l’ordre
international. Cette lacune s’explique probablement par la diversité
des conceptions nationales du droit de propriété. Toutefois, « how can
we know if an individual has lost property rights unless we really understand
what property is ? »846. Pour preuve, alors que dans les affaires Oscar
Chinn devant la CPJI et Sea-Land c. Iran devant le Tribunal irano-
américain, rendues respectivement en 1934 et 1984, la clientèle et la
perspective de profits ont été exclues comme des droits de propriété,
l’accès à un marché a été considéré comme un droit protégé dans le
cadre d’un investissement dans l’affaire Pope & Talbot 847.
Il peut sembler difficile de recourir aux trois prérogatives de la pro
priété avec les formes actuelles des investissements qui sont de plus
en plus complexes et échappent parfois à toute matérialité. Pour
tant, il suffit de garder à l’esprit que tout investissement procède de
la détention d’un bien ou d’un droit ayant une valeur économique.
Par conséquent, quel que soit l’investissement en cause, il est tou
jours possible d’y percevoir ces trois prérogatives en revenant au bien
ou au droit qui est l’instrument ou le véhicule de l’investissement.
L’investisseur dirige, administre, et gère le bien ou le droit objet de
l’investissement : il en use. L’investisseur a accès aux retombées éco
nomiques de l’usage sous forme d’investissement qu’il fait de son
bien ou de son droit et en profite librement : il en jouit. L’investis
seur peut aliéner le bien ou le droit objet de son investissement, en
le vendant ou le cédant gracieusement : il en abuse. Présenté ainsi,
chaque type d’investissement, de l’usine de fabrication de textiles848
à l’investissement de portefeuille dans une banque, en passant par
le contrat de concession minière, peut se voir appliquer ces trois pré
rogatives. Cette approche triptyque du droit de propriété se retrouve
d’ailleurs dans la définition de l’expropriation indirecte élaborée
par le projet de Harvard de 1961, à l’article 10.3 : « a taking of Property
include not only an outright taking of property but also any such unreaso-
nable interference with the use, enjoyment and disposal of the Property as
to justify an interference the owner thereof will not be able to use, enjoy and
dispose of the property within a reasonable period of time after the inception
of such interference ». Aujourd’hui encore, et contrairement à ce qui est
parfois affirmé, la notion de propriété n’est ni désuète, ni complè
tement inadaptée aux nouvelles réalités du droit international des
investissements849. Elle en fait partie intégrante.
285
En somme, l’investisseur, en vertu de la propriété qu’il détient sur
une chose corporelle ou incorporelle, bénéficie de la prérogative
soit de l’utiliser dans l’immédiat, soit de l’immobiliser sous forme
d’épargne, soit enfin de l’investir afin d’en tirer une plus-value éco
nomique. Dans ce dernier cas, le bien ou le droit se transforme en
un investissement protégé sur lequel l’investisseur détient les préro
gatives de la propriété (usage, jouissance, aliénation).
À la suite de ce rapide survol de la notion d’investissement en droit
international des investissements, il est possible désormais d’envisa
ger comment un investissement peut subir un préjudice partiel. Pour
les besoins de la présentation, une distinction est faite entre l’in
vestissement composé d’une pluralité d’instruments juridiques et
l’investissement composé d’une diversité d’opérations économiques.
850 Voir l’affaire Holiday Inns c. Maroc, op. cit, note 76, combinant essentiellement
un contrat de financement, un contrat construction et un contrat de gestion
d’hôtels.
851 Voir par exemple, les affaires, Bienvenuti & Bonfant c. Congo, op. cit. note 81 ; Amco
Asia c. Indonésie, op. cit. note 83 ; Soabi c. Sénégal (ARB/82/1), sentence du 1er août
1984 sur la compétence ; SPP c. Egypte, op. cit., note 337 ; ou Waste Management II
c. Mexique, op. cit., note 99.
852 Voir S. MANCIAUX, Investissements privés étrangers et arbitrage…, op. cit., note 1,
p. 90.
286
Il a été défendu dans la doctrine que lorsque diverses activités éco
nomiques reposent sur plusieurs accords entre une personne privée
étrangère et un État, l’existence de caractéristiques unitaires entre
ces accords permet de qualifier l’ensemble comme étant un investis
sement au sens juridique du terme853. À cet effet, les différents actes
juridiques visés par un investissement doivent avoir un but commun
et être complémentaires. Pour prendre l’exemple d’un contrat BOT
sur une autoroute, l’investisseur ne finance et n’effectue la construc
tion qu’en raison du fait qu’il en aura la gestion sur une période
suffisamment longue pour avoir un retour sur investissement. De
son côté, l’État ne concède la concession que parce qu’il obtient un
financement privé pour une infrastructure coûteuse et qu’il a prévu
de reprendre la gestion de l’autoroute à la fin de la concession. En
raison de cette unité et de cette cohérence, il faut donc considérer
l’ensemble des éléments dans leur globalité pour procéder à la quali
fication d’investissement. Cela signifie que c’est l’ensemble contrac
tuel qui doit remplir les conditions de l’apport, de la durée, et du
risque. Il ne peut être exigé de chaque composante qu’elle constitue
elle-même un investissement854. Par exemple, un simple prêt en soi
ne remplit que rarement les critères d’un investissement. Si la « qua
lification d’investissement s’attache à l’opération dans son ensemble
et non à ses composantes »855 ; pourquoi alors réintroduire le « dépe
çage » de l’investissement au stade de l’évaluation de l’effet préjudi
ciable d’une mesure étatique ?
287
chaque sous-contrat étant alors un investissement, il suffira qu’une
mesure étatique lui porte préjudice pour obtenir une indemnisation.
Cette approche a été adoptée par certains tribunaux arbitraux,
même si le raisonnement n’est pas toujours explicite. Un exemple
d’investissement à plusieurs composantes s’est posé devant les arbitres
dans l’affaire Middle East Cement c. Egypte, l’une des rares sentences à
avoir explicitement subdivisé un investissement en droits spécifiques
autonomes aux fins de la recherche d’une expropriation. Dans les faits,
le tribunal a successivement considéré l’atteinte à un droit (la révoca
tion de la licence d’exportation), puis l’atteinte à un bien tangible (la
saisie d’un bateau), alors même qu’il s’agissait d’éléments constituant
un investissement global d’importation, de stockage et de distribution
de ciment sur le territoire égyptien. Le tribunal a finalement constaté
une expropriation indirecte, dans le sens d’un préjudice substantiel
pour chaque élément individualisé de l’investissement. Il est vrai que
cette subdivision a été facilitée par la nature même des mesures incri
minées. En effet, chaque droit ou bien a été la cible d’une mesure
distincte de la part de l’État, en l’occurrence des mesures verticales.
Qu’en aurait-il été si le litige avait concerné une mesure horizontale
n’ayant visé aucun droit contractuel spécifique ?
Le litige dans l’affaire Waste Management II c. Mexique 856 a donné
l’occasion à un tribunal d’apprécier l’existence d’une expropriation
indirecte sur l’investissement dans son ensemble, mais aussi sur les
droits contractuels de l’investisseur. Dans le cas d’espèce, alors même
que chaque droit ne faisait pas l’objet d’un contrat individualisé, les
arbitres ont statué que : « even if the enterprise of Acaverde was not subjected
to conduct in breach of Article 1110 when considered as a whole, it is arguable
that the persistent refusal or inability of the City to pay sums due under the
Concession Agreement involved an expropriation, or at least measures tanta-
mount to an expropriation, of the sums due »857. Le différend portait sur un
contrat de concession de collecte et de traitement de déchets urbains
dans la ville d’Acapulco au Mexique ; contrat qui avait été conclu entre
un investisseur privé étranger et la municipalité. Plusieurs contrats pré
voyaient, en plus de la concession, la mise à disposition gratuite d’un
terrain constructible pour l’usine de traitement par la municipalité
et un monopole dans la collecte des déchets sur un périmètre donné.
Dans les faits, la collecte des déchets par le secteur informel a continué
à avoir la préférence des usagers avec la bienveillance des autorités
locales. Par ailleurs, la municipalité a mis un terrain autre que celui
qui était prévu, à la disposition de l’investisseur. De même, elle n’a pas
payé les factures qui lui avaient été présentées par l’investisseur en
vertu du contrat de concession. La mise à disposition gratuite d’un ter
rain avantageux et l’octroi du monopole peuvent être considérés indi
288
viduellement comme des droits ayant une valeur économique, mais
pas comme des investissements en soi. C’est l’ensemble des contrats
qui répond à la définition objective de l’investissement. Or, le non-
respect du monopole a-t-il les mêmes conséquences préjudiciables sur
l’ensemble de l’investissement que le non-paiement des factures par la
municipalité ? La recherche d’une expropriation des sommes dues à
l’investisseur en vertu de son contrat de concession était à la fois inu
tile et inappropriée. Il aurait suffi que le tribunal apprécie les effets de
la mesure litigieuse sur l’ensemble de l’investissement.
La prise en compte individuelle de chacune des composantes
légales de l’investissement au stade de l’évaluation du préjudice a
été également défendue par certains auteurs comme M. Radin avec
la théorie du « conceptual severance »858. L’auteur y explique que toute
partie d’un investissement qui peut être « hypothetically or conceptually
« servers » from the whole bundle of rights », peut alors être considérée
comme un investissement à part entière dans la mesure où elle est
visée par une réglementation qui la limite. Ainsi, la gravité du préju
dice ne devrait pas s’apprécier sur l’investissement dans son ensemble,
mais sur chaque droit pouvant être isolé. De telles propositions per
mettraient de conduire à une expropriation indirecte lorsqu’une quel
conque composante de l’investissement est compromise. Par exemple,
un propriétaire d’une exploitation agricole de 100 ha peut prétendre
avoir été indirectement exproprié de 20 ha dès lors qu’une mesure
étatique rend l’exploitation de cette surface impossible. Si l’hypothèse
de l’expropriation de 20 ha est intellectuellement concevable lorsqu’il
s’agit d’une appropriation directe et formelle par l’État ou même
d’une expropriation indirecte par mesure verticale, l’idée devient
aberrante pour une mesure horizontale n’ayant pas visé l’exploitation
et ayant laissé la possession matérielle de ces 20 ha intacts. Ce serait
l’hypothèse d’une règlementation générale interdisant la culture
d’une espèce végétale particulière sur les parcelles touchées par une
érosion importante ; interdiction qui ne concernerait qu’une partie
d’une exploitation agricole donnée. Avec cette théorie, l’impact de la
mesure ne s’évaluera donc pas sur la valeur économique ou la rentabi
lité de l’exploitation dans son ensemble, mais sur cette seule portion,
alors même que le propriétaire pourrait en faire un autre usage, ou
continue de faire un usage rentable du reste de l’exploitation.
289
gènes, car aucune activité ne peut être isolée de manière distincte
comme ayant une valeur économique propre en dehors de l’en
semble. Tel sera l’exemple d’un contrat de gestion d’un hôtel. Parler
de préjudice partiel dans ce cas est en pratique impossible. L’arbitre
pourra seulement évaluer la gravité du préjudice, à savoir s’il rend la
poursuite de l’activité impossible. Moins que l’étendue du préjudice,
c’est de sa profondeur qu’il aura à discuter.
Par contre, certains investissements, les plus nombreux aujourd’hui,
peuvent être décomposés en éléments autonomes plus ou moins cohé
rents, et plus ou moins interdépendants. La diversification des activi
tés d’une entreprise est en effet préconisée sur le plan économique
pour réduire les risques. L’investissement prend ici la forme d’un
agrégat d’opérations dont la rentabilité de l’ensemble dépend plus ou
moins étroitement de la rentabilité de chacune. Il s’agit en quelque
sorte d’une architecture qui peut s’écrouler en fonction de l’agence
ment des pièces de la construction entre elles, et de l’importance de la
pièce qui a été détruite. Chaque composante peut faire ou non l’objet
d’un contrat avec l’État. C’est par exemple le cas d’une entreprise qui
cumule l’exportation, la production, et la distribution d’un produit
comme dans les affaires SD Myers c. Canada ou Benvenuti c. Bonfant.
Si une mesure étatique compromet une composante économique
de l’investissement, le préjudice peut être grave sur cette compo
sante. L’est-il pour autant pour l’investissement en entier ? Il peut
arriver que toutes les composantes n’aient pas la même importance
au sein de l’investissement. C’est-à-dire qu’elles ne sont pas toutes
primordiales pour la continuité de l’investissement dans sa globalité.
Un exemple fictif permet de mieux cerner le problème. Un gouver
nement, suite à une étude sur le rôle important des panneaux publi
citaires sur les autoroutes dans la survenue des accidents, décide
d’interdire les publicités sur les tronçons nationaux. Un investisseur
qui détient un contrat de concession sur une autoroute s’estime lésé
par cette mesure horizontale. En effet, il tire des revenus importants
des droits d’affichages sur les panneaux implantés sur cette auto
route. Supposons que les recettes publicitaires constituent 20 % de
son chiffre d’affaires ; le reste étant constitué par les droits de péages
ainsi que d’autres avantages qu’il détient en vertu de son contrat
de concession. Dans un tel cas, il est peu probable que l’investisse
ment dans sa globalité s’écroule du fait de cette interdiction. Mais
si chaque source de revenus est considérée de manière autonome
comme un investissement autonome, il peut y avoir expropriation
de la valeur de l’activité de location des panneaux d’affichages sur
l’autoroute.
De l’avis de certains auteurs, cette décomposition de l’investisse
ment en activités opérationnelles est la bienvenue aussi bien pour
l’État que pour l’investisseur. Par exemple, S. Manciaux, qui s’op
pose par ailleurs à la décomposition légale de l’investissement au
290
stade de sa qualification, estime que le rejet des atteintes partielles
de ce type serait déplorable. L’auteur considère en effet que
A. Le principe de l’impact
préjudiciable sur l’investissement dans sa globalité
291
les tribunaux. Par contre, il convient d’examiner dans une vision
plus globale l’étendue du préjudice. La gravité du préjudice se limite
à évaluer les effets handicapants d’une mesure étatique, tandis que
l’étendue du préjudice permet de s’assurer que c’est l’ensemble de
l’investissement qui a été compromis. En effet, un préjudice peut
être grave, mais être handicapant sur une portion de l’investisse
ment ; tandis qu’un préjudice peut concerner toutes les composantes
de l’investissement, sans pour autant être suffisamment grave pour
compromettre ce dernier. Il s’agit donc de deux éléments qui doivent
être vérifiés cumulativement.
L’admission du préjudice partiel comme élément constitutif d’une
expropriation indirecte est critiquable à plusieurs points de vue.
Dans l’expropriation directe, qui est la catégorie de référence du
rapport d’équivalence, l’investissement est formellement retiré à
son propriétaire. Par équivalence, dans une expropriation indirecte,
l’investisseur doit se retrouver dans une situation similaire à celle où
il ne détiendrait plus son droit de propriété. L’expropriation directe
comme indirecte est nécessairement le résultat d’une dépossession,
au sens premier du terme ; c’est-à-dire une perte totale d’un bien.
Comment une telle situation peut-elle exister, si l’investissement n’est
pas complètement détruit (mesure verticale type) ou rendu écono
miquement inutile (mesure horizontale type) ? En outre, admettre
l’existence d’expropriation partielle au sens d’une atteinte partielle
est contraire à l’encadrement efficace des mesures horizontales dont
les effets sont déjà collatéraux. En effet, il est difficile de concevoir
en quoi une atteinte partielle peut équivaloir à une dépossession for
melle, c’est-à-dire à un retrait pur et simple du titre de propriété. Si
l’investisseur détient encore une partie de ses droits lui rapportant
encore des revenus, il ne peut être objectivement affirmé qu’il a été
dépossédé indirectement de son investissement ou que ce dernier
est anéanti. Pour être excessive, une atteinte doit être totale au sens
que l’investisseur n’a plus aucun intérêt, même réduit, à détenir son
investissement. Cette analyse ne trouve pas application en cas d’une
expropriation directe.860
Toutefois, la rigueur de cette conclusion ne doit pas conduire à
une rigidité aveugle qui occulterait certaines réalités. En effet, un
préjudice bien que global peut avoir eu pour point de départ un pré
judice à une seule composante de l’investissement.
860 Par exemple, un Etat qui décide de nationaliser 55 % des parts sociales d’une
entreprise étrangère est bien une expropriation directe de ces parts sociales.
292
dants, il est possible que la remise en cause d’un seul élément soit
dramatique pour l’ensemble. En fonction donc de la structure légale
ou opérationnelle de l’investissement, l’anéantissement de certains
éléments d’un investissement peut être irréversible pour l’ensemble.
Le préjudice porté à une composante plutôt qu’à une autre n’aura
donc pas toujours les mêmes conséquences. Les investissements dont
les différentes composantes sont très intégrées sont par conséquent
particulièrement sensibles à toute atteinte partielle. C’est sur ces der
niers que le préjudice partiel peut conduire à la dévalorisation totale
de l’investissement.
Lorsque le préjudice résultant de la mesure étatique, verticale
comme horizontale, concerne d’abord une seule composante, l’ar
bitre se doit de regarder le résultat sur l’ensemble de l’investisse
ment. En ce sens, dans l’affaire Waste Management II c. Mexique exa
minée précédemment, la distinction opérée entre l’expropriation de
l’investissement comme un tout et l’expropriation de droits contrac
tuels est regrettable, même si aucune expropriation indirecte ne
fut qualifiée en raison de l’inexistence d’une mesure éligible. Les
droits contractuels de l’investisseur sont en effet indissociables de
son investissement. En rappel, des biens ou des droits ne constituent
pas en eux-mêmes des investissements au sens juridique du terme.
Ils doivent être utilisés de manière dynamique en vue de la produc
tion d’autres biens, conformément aux trois critères objectifs déga
gés par les tribunaux : apport, durée et risque. Par conséquent, c’est
seulement dans le cadre d’un investissement qu’ils sont protégés par
les TBI et qu’ils peuvent donc faire l’objet d’une expropriation. Il
ne suffit pas que l’investissement regroupe diverses activités. Il faut
aussi qu’elles soient complètement dépendantes les unes des autres,
de sorte que la destruction d’une seule composante de l’investisse
ment rende la détention de l’ensemble inutile. Dans ce cas, le pré
judice, initialement partiel, aura entraîné une privation totale de
l’investissement.
Quelques sentences peuvent être citées à l’appui de cette approche
en deux temps des atteintes partielles. La sentence Feldman c. Mexique
montre l’exemple le plus explicite. L’investisseur invoquait une
expropriation indirecte de son investissement par le biais du retrait
d’un régime fiscal favorable par l’État mexicain. Le tribunal n’a pas
suivi le raisonnement de M. Feldman, principalement parce que ce
dernier continuait à effectuer des activités auxiliaires rentables861.
En effet, ce qui avait été compromis dans son activité était l’achat et
l’exportation de cigarettes mexicaines. On peut donc considérer que
cette activité avait été substantiellement compromise. Or, il expor
tait aussi d’autres produits tels que des boissons alcoolisées et du
matériel photographique. Ces activités n’avaient pas été lésées par
293
la modification du régime fiscal sur les exportations de cigarettes,
et l’investisseur continuait d’en tirer de beaux profits. En quelque
sorte, si l’investisseur se voit interdire l’usage de son bien dans un
domaine donné, il se peut encore qu’il puisse en faire usage dans
d’autres domaines. L’interdiction de l’une de ces activités ne peut
suffire à conclure que son investissement est devenu économique
ment inutile. Il en va différemment d’autres situations comme celle
qui s’est posée dans l’affaire Metalclad c. Mexique. Dans cette affaire,
le refus de délivrance d’un permis d’exploitation, puis l’édiction
d’un arrêté écologique n’avaient laissé aucune autre perspective
d’exploitation et de profit à une usine de traitement de déchets
dangereux construite et équipée pour cette activité spécifique. Éga
lement dans la sentence SD Myers c. Canada 862, même si le tribunal
ne l’a pas formulé ainsi, il est possible de dire que le préjudice a
d’abord été partiel (sur la capacité d’exportation), mais s’est avéré
totale parce qu’il s’agissait d’une activité au cœur de l’investissement
qui en déterminait l’existence. Toutefois, si la condition de l’étendue
était remplie dans cette affaire, celle de la gravité n’a pas été vérifiée
étant donné que l’investissement pouvait continuer à exporter une
quantité réduite de ses produits et que la fermeture n’a été que tem
poraire et sans effets irréversibles.
En résumé, bien que partant d’une atteinte qui est partielle, la
dépossession devra toujours être totale à l’arrivée. Il n’existe pas
de contradiction entre requérir une dépossession totale et considé
rer des effets qui se manifestent en premier lieu sur une partie de
l’investissement. Il n’y a en définitive qu’une différence chronolo
gique, mais pas une différence de nature. C’est pourquoi le préju
dice d’une seule composante de l’investissement ne pourra conduire
à une expropriation que parce qu’il en a résulté un préjudice total.
Par conséquent, un investisseur ne devrait jamais pouvoir subdiviser
les droits et les biens qu’il détient dans le cadre d’un investissement
en plusieurs lots protégés afin de se focaliser sur le préjudice causé
à l’un d’entre eux par une mesure étatique. Si l’activité compromise
constitue l’intégralité de l’investissement, il y aura préjudice subs
tantiel dès lors que l’atteinte est grave. Par contre, si elle ne consti
tue qu’une composante de l’investissement, il faudra s’assurer que
l’atteinte est à la fois grave et totale.
Une dernière remarque doit être faite avant de terminer avec l’ana
lyse des atteintes partielles dans le processus qualification de l’ex
propriation indirecte. Les considérations d’intérêts publics de l’État
hôte n’ont pas fait l’objet de développements importants ici. En effet,
ce premier paramètre du critère de l’effet redéployé se prête peu à
de telles considérations. Cela s’explique essentiellement par le fait
que, bien qu’il soit souvent occulté par les tribunaux, ce paramètre
294
fait déjà partie de la conception classique du critère du seul effet ;
conception qui, en l’état, est justement inapte à prendre en compte
d’autres considérations en dehors des intérêts de l’investisseur. La
prise en compte du préjudice global n’en demeure pas moins fonda
mentale. En effet, la répudiation des atteintes partielles sans effets
privatifs sur l’ensemble de l’investissement permet déjà d’écarter un
grand nombre de requêtes inappropriées. Comme les mesures hori
zontales ne visent pas directement l’investissement, leurs préjudices
ne se font que très rarement sentir directement sur toutes les com
posantes de l’investissement. Aussi, est-il important de s’assurer que
le préjudice est véritablement total lorsqu’une seule composante a
subi les répercussions collatérales de la mesure étatique horizontale.
Quoi qu’il en soit, aussi bien pour les mesures verticales que les
mesures horizontales, l’application rigoureuse de l’exigence d’un
préjudice substantiel est un atout pour la clarté du processus de qua
lification. Pour les mêmes raisons, la rigueur devra être de mise dans
l’appréciation de la gravité du préjudice.
295
§ 1 – L’exclusion des attentes légitimes sur l’investissement
863 C’est le cas notamment des derniers TBI ou ALE signés par les États-Unis ou le
Canada.
296
to act in reliance on said conduct, such that a failure by the NAFTA Party
to honor those expectations could cause the investor (or investment) to suffer
damages »864. Concrètement, l’anéantissement des attentes légitimes
peut résulter d’un « complete lack of transparency and candor in adminis-
trative process », comme ce fut affirmé dans l’affaire Waste Management
II c. Mexique 865, ou encore, même si l’hypothèse ne fut pas vérifiée
dans le cas d’espèce, d’une « arbitrary repudiation of a preexisting licen-
sing regime upon which a foreign investor has demonstrably relied », dans
GAMI Investment c. Mexique 866.
La violation d’attentes légitimes ou raisonnables fut reconnue
dans plusieurs sentences867, et rejetée dans d’autres868. Mais indépen
damment de la conclusion finale, le fait est que la notion d’attentes
légitimes est généralement considérée comme un paramètre impor
tant pour l’évaluation du traitement juste et équitable. Dans l’affaire
MTD c. Chili par exemple, l’État avait approuvé un projet immobilier
en laissant ainsi croire à l’investisseur que son projet était conforme
aux prescriptions de la règlementation nationale. Le gouvernement
avait ensuite refusé de délivrer les permis nécessaires au motif que
le projet contrevenait à la loi d’urbanisme. Partant du constat que
« approval of a project in a location would give prima facie to an investor the
expectation that the project is feasible in that location from a regulatory point
of view »869, le tribunal a conclu que « approval of an investment (…) for
a project that is against the urban policy of the Government is a breach of the
obligation to treat an investor fairly and equitably »870. Dans la sentence
Tecmed c. Mexique, le tribunal a défini le traitement juste et équitable
prévu dans les TBI comme exigeant de l’État d’accueil un traitement
« that does not affect the basis expectations that were taken into account by
the foreign investor to make the investment »871. Le refus de renouvelle
ment d’un permis de construire sur lequel l’investisseur avait, selon
le tribunal, une attente légitime et raisonnable fut qualifié de traite
ment injuste et inéquitable. En somme, pour les tribunaux, chaque
investisseur attend légitimement de l’État d’accueil qu’il agisse de
manière cohérente, transparente et sans ambigüité afin de pouvoir
connaître et anticiper les règlementations qui régissent son acti
vité. De même, l’investisseur s’attend à ce que l’État n’agisse pas de
manière arbitraire par rapport aux droits qui lui ont été conférés
297
préalablement. Il faut noter toutefois que cette approche du traite
ment juste et équitable va au-delà de la conception traditionnelle
élaborée dans la fameuse sentence arbitrale Neers rendue en 1926
par une commission mixte d’arbitrage entre les États-Unis et le
Mexique. À cette époque, pour qu’un traitement accordé par un État
soit considéré comme injuste et inéquitable, il devait correspondre
à « an outrage, to bad faith, to wilful neglect of duty, or to an insufficiency
of governmental action so far short of international standard that every rea-
sonnable and impartial man would readily recognize its insufficiency »872.
Le niveau exigé pour violer ce standard était donc plus élevé. Mais
l’interprétation récente des tribunaux abaisse de plus en plus ce
niveau de sorte qu’un plus grand nombre de comportements éta
tiques peuvent violer ce standard. Le contenu du traitement juste et
équitable est en ce sens également controversé.
Quoi qu’il en soit, le succès grandissant du concept d’attentes légi
times est tel que ce dernier pourrait devenir un concept autonome et
distinct du traitement juste et équitable. Telle est la thèse défendue
récemment par quelques auteurs. Dans son opinion dissidente ren
due dans l’affaire Thunderbird Gaming c. Mexique, T. Wälde, a estimé
que le principe des attentes légitimes tend à devenir « a self-standing
subcategory and independent basis for a claim under the « fair and equitable
standard » as under Art. 1105 of the NAFTA »873. Dans le même sens,
mais sur un autre fondement juridique, E. Snodgrass défend la posi
tion selon laquelle le respect des attentes légitimes ou raisonnables
de l’investisseur est une obligation autonome pouvant servir de
fondement à une requête d’arbitrage. Pour sa part, cette obligation
relève d’un principe général de droit international874. Ainsi, pour
un nombre croissant d’auteurs, la protection des attentes légitimes
serait devenue une règle à la fois comprise dans l’obligation de trai
tement juste et équitable et distincte de cette dernière. Cette émanci
pation est critiquable. Comme le notait à juste titre A. Newcombe, la
notion des attentes légitimes ou raisonnables de l’investisseur « is not
a self-referentiel concept. The difficulty with the concept of legitimate expec-
tations is its circularity »875. L’émancipation du concept est également
encouragée par les investisseurs qui n’hésitent pas à l’invoquer dans
le cadre d’autres clauses des TBI telles que celle du respect des enga
gements contractuels (la clause parapluie couvrirait ainsi les attentes
872 L. F. H. Neer and Pauline Neer (U.S.A.) v. United Mexican States, General Claim
Commission (United States-Mexico), Recueil des Sentences Arbitrales, 1926, vol. 4,
pp.61-62.
873 Thunderbird Gaming c. Mexique, op. cit., note 864, opinion dissidente de T.
WÄLDE, § 37.
874 E. SNODGRASS, op. cit., note 543, p. 2.
875 A. NEWCOMBE, « The Boundaries… », op. cit., note 38, p. 441.
298
légitimes)876, ou dans le cadre de la définition de l’investissement (les
attentes légitimes seraient des investissements protégés de manière
autonome)877. Heureusement, ces dérives ne semblent pas avoir eu
jusqu’à présent un écho favorable devant les tribunaux. Mais il en va
autrement de l’immixtion des attentes légitimes dans le contentieux
de l’expropriation indirecte.
876 Voir les arguments avancés par l’investisseur dans l’affaire MTD Equity c. Mexique,
op. cit., note 380. Ce dernier estimait en effet que la frustration de ses attentes
légitimes dans le cadre d’un contrat d’investissement, indépendamment d’une
violation de ses droits contractuels, constituait une violation du traité par l’effet
de la clause parapluie. Le tribunal n’a pas trouvé de violation contractuelle,
mais il n’a pas rejeté clairement l’idée que les attentes légitimes de l’investisseur
puissent faire partie des engagements de l’État.
877 Negel c. République tchèque, sentence finale de 2003, SCC case 49/2002.
878 Metalclad c. Mexique, op. cit., note 56, § 103.
879 Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, § 122.
880 Ibidem, § 141, § 150 et § 160.
299
La patrimonialisation des attentes légitimes aux fins de les rendre
susceptibles d’expropriation en soi est également défendue par
une part grandissante de la doctrine. On fait parfois remonter à
F. I. Michelman881, l’usage du terme « Investment-backed expecta
tion » tel qu’il est utilisé dans le contentieux arbitral de l’expropria
tion. Depuis, certains auteurs882 ont défendu la pertinence du concept
dans ce cadre. C’est ainsi qu’il a été affirmé que « the disappointment of
legitimate investor’s expectations by host states may play a crucial factor not
only with regard to the fair and equitable treatment standard, but also in the
determination of whether an expropriation has taken place »883. De même,
pour J. Paulsson et Z. Douglas, « the prohibition against indirect expro-
priation should be protect legitimate expectations of the investor based on spe-
cific undertakings or representations by the host State upon which the investor
has reasonably relied »884. Dans le même sens, R. Dolzer et S. Schreuer
estiment que « legitimate expectations play a key role in the interpretation
of the fair and equitable treatment standard. But they have also found entry
into the law governing indirect expropriations »885. Certains auteurs vont
plus loin et proposent d’utiliser ce concept comme solution en rem
placement de la doctrine du seul effet. Il a ainsi été défendu que
« the « legitimate expectations » criterion is of capital importance if indirect
expropriation is not judged on the basis of sole effect doctrine »886. Ici, la pro
tection des attentes légitimes deviendrait alors un garde-fou pour
s’assurer que l’investisseur pouvait légitimement s’attendre à ce que
son investissement ne subisse pas certains préjudices.
La patrimonialisation des attentes légitimes semble donc gagner
l’approbation d’un grand nombre de spécialistes. Cependant, une
question fondamentale se pose. Si l’on peut s’accorder sur le l’uti
lité de ce principe dans l’arbitrage investisseur-État, encore faut-il
s’assurer que n’importe quel espoir ou anticipation sur un investis
sement ne pourra pas s’ériger en attente légitime protégée. Afin de
répondre aux critiques faites à cette notion aux contours incertains
et proches des perceptions subjectives que l’investisseur peut se faire
de sa situation, des critères ont été proposés pour sa rationalisation.
300
Les tentatives de rationalisation
dans le contentieux de l’expropriation indirecte
Le tribunal dans l’affaire Sempra c. Argentine, qui a accueilli favora
blement les attentes légitimes dans son analyse, s’est voulu rassurant
en affirmant que ce critère, même important, ne devait pas rendre
le test du traitement juste et équitable moins rigoureux887. Afin de
distinguer ce qui est raisonnable et légitime, les thèses favorables à la
patrimonialisation des attentes légitimes posent quelques jalons qui
sont censés limiter une trop grande extension du concept. Ainsi, la
protection des attentes légitimes n’équivaut pas à l’intangibilité des
lois de l’État hôte. En même temps, aucune attente légitime ne peut
prendre naissance dans un contexte économique général instable
qui ne s’y prête guère. Enfin, toute attente légitime doit résulter de
ce qui a été promis ou accordé spécifiquement à un investisseur qui
s’en est prévalu de bonne foi.
301
Mais l’une des objections les plus fermes a été faite par le tribunal
dans l’affaire Saluka c. République tchèque :
« No investor may reasonably expect that the circumstances prevailing at the time
the investment is made remain totally unchanged. In order to determine whether
frustration of the foreign investor’s expectations was justified and reasonable, the
host State’s legitimate right subsequently to regulate domestic matters in the public
interest must be taken into consideration as well. » 891.
302
c. Ukraine a également exigé l’existence d’un environnement stable
et favorable à l’investissement pour l’émergence d’attentes légitimes
et raisonnables. L’investisseur était ici informé de la fragilité du sys
tème financier et bancaire de l’Ukraine, qui était alors en pleine
transition vers une économie de marché. Le tribunal ayant d’abord
examiné « the vicissitude of the economy of the state (…) in determining the
investor’s legitimate expectations »894, il a conclu que le requérant avait
pris le risque d’investir dans un environnement très instable dans
lequel des frustrations et des retards dans les formalités administra
tives étaient courants.
En dehors des sentences arbitrales, des auteurs tels que R. Dolzer
proposent de prendre en compte trois paramètres pour évaluer la
légitimité d’une attente pouvant être expropriée : la situation légale
initiale dans laquelle l’investisseur a choisi d’investir ; les perspec
tives de profits attendus de l’investissement, et le contexte temporel
en ce sens que ce qui est légitime à un moment peut ne plus l’être
à un autre en raison de nouvelles conditions économiques et de la
modification des priorités sociales895. Tous ces paramètres sont fonc
tion en définitive du contexte économique et juridique dans lequel
s’implante l’investisseur.
En somme, un investisseur qui investit dans un « traditionally foreign
investment-friendly State »896 serait plus en droit d’avoir des attentes
légitimes que celui qui s’installe dans un environnement risqué, hos
tile ou incertain. Toutefois, même dans un contexte très favorable,
il faut également que l’investisseur puisse se prévaloir d’assurances
spécifiques préalables de l’État hôte.
894 Generation Ukraine c. Ukraine, op. cit., note 264, § 20. 37.
895 R. DOLZER, « Indirect expropriation : News developments », op. cit., note 103,
pp. 78-79. Voir dans le même sens, L. Y. FORTIER, L. S. DRYMER, op. cit., note
286, p. 306.
896 Expression de L. Y. FORTIER, L. S. DRYMER, Ibidem.
897 L’auteur avance également un autre critère qui n’est pas propre à la définition
des attentes légitimes de l’investisseur. La raison ayant amené le gouvernement
à anéantir les attentes de l’investisseur doit être plus important que le préjudice
subi par l’investisseur. Dans le cas où l’intérêt poursuivit par l’État à plus de
poids que celui de l’investisseur à voir les assurances exécutées, les attentes de
ce dernier ne seraient plus légitimes, et ne seraient donc plus protégées. Voir
E. SNODGRASS, op. cit., note 543, p. 48.
303
droits nationaux représentatifs898, est arrivé à extraire, au titre d’un
principe général de droit international, quelques critères de qua
lification. Pour elle, « any individual who, as a result of governmental
conduct, holds certain expectations concerning future governmental activity,
can require those expectations to be fulfilled unless there are compelling rea-
sons for not doing so »899.
Concrètement, la conduite gouvernementale à la source des
attentes légitimes doit d’abord être identifiable, être ensuite spéci
fique et enfin exempte d’ambiguïté. Toutefois, elle ne doit pas néces
sairement revêtir une forme particulière. La conduite peut donc
prendre la forme de déclarations orales, des promesses, d’informa
tions générales dans des documents administratifs, ou même d’actes
implicites. Par conséquent, la simple existence d’une règlementation
générale préexistante ne peut suffire à faire naître des attentes légi
times, car elle ne crée pas spécifiquement de bénéfice à l’adresse de
l’investisseur. Seuls les actes individuels sont concernés900. En outre,
l’attente doit être raisonnable, à la fois objectivement et subjective
ment, en référence à la perception qu’une personne diligente et pru
dente peut se faire de sa situation901. Enfin, l’investisseur doit avoir
agi de bonne foi ; ce qui exclut les avantages ou les garanties obtenus
par la fraude, la contrainte ou la corruption. Tel serait le cas égale
ment d’une personne qui sait qu’elle ne répond pas aux conditions
de l’octroi d’un avantage qui lui a été néanmoins accordé, ou s’il
est clairement prévu que l’avantage peut être retiré discrétionnaire
ment.
C’est probablement dans l’optique de ces deux critères qu’il faut
lire les conclusions du tribunal dans l’affaire Maffezini c. Espagne.
En effet, les arbitres ont refusé de prendre en compte les erreurs
statistiques fournies par un organisme public espagnol à l’investis
seur argentin qui s’était fondé sur ces données pour élaborer son
plan d’affaires et implanter son activité dans ce pays. Le tribunal a
en effet décidé que le rapport, malgré ces erreurs et le manque de
rigueur, ne pouvait engager la responsabilité de l’État. C’est de cette
analyse que provient la citation selon laquelle « bilateral investment
treaties are not insurances policies against bad business judgments »902. Mais
il est possible d’analyser aussi cette sentence comme une sanction
de la mauvaise foi de l’investisseur qui était tenu à un minimum de
prudence et de professionnalisme afin de vérifier les données du
rapport. En outre, le rapport n’avait pas été spécifiquement élaboré
898 Ibidem, pp. 25-30. L’auteur a effectué ses recherches dans la common law, le
droit civil, socialiste, islamique et japonais, à travers quelques droits nationaux
représentatifs.
899 Ibid, p. 31, citations omises.
900 Ibid., pp. 32-36.
901 Ibid, p. 41.
902 Ibid.
304
à son intention. Il était seulement mis à la disposition des investis
seurs potentiels afin de les inciter à investir dans le pays.
Au regard de ces éléments, et dans la mesure où ils sont appliqués
avec cohérence, on peut espérer que les tribunaux utiliseront avec
parcimonie le concept d’attentes légitimes dans le contentieux de
l’investissement international. Toutefois, ces critères ne sont pas tous
reconnus et appliqués par l’ensemble des tribunaux. Cela dit, les
attentes légitimes de l’investisseur, telles qu’elles sont définies dans
la doctrine et la jurisprudence, sont-elles véritablement appropriées
au cadre juridique de l’expropriation indirecte ? La définition pré
cise de ce concept ne convient-elle pas et ne sert-elle pas uniquement
l’appréciation du standard de traitement juste et équitable ?
305
actions à l’investisseur qui deviendrait alors l’actionnaire majoritaire.
Mais l’appel d’offres ne fut jamais lancé. De ce fait, il s’agissait en l’es
pèce d’un engagement contraignant. De même, dans l’affaire Encana
c. Équateur, le tribunal arbitral a considéré que : « [in] absence of a specific
commitment from the host State, the foreign investor has not neither the right
nor any legitimate expectations that the tax regime will not change, perhaps to
its disadvantage during the period of the investment »905. Cela signifie que
l’attente légitime ne peut résulter que d’un engagement contraignant.
On retrouve également cette approche chez certains auteurs. Pour T.
Wälde et A. Kolo, par exemple, « contractual commitment by a government
formalizes a legitimate expectation with the foreign investor. (…) A breach of
the commitment by the government undermines that legitimate expectation »906.
Les attentes se dégagent donc directement de l’engagement contrac
tuel, en même temps qu’elles se confondent avec lui.
En pratique, cette catégorie d’attentes raisonnables et légitimes
recouvre simplement les droits conférés à l’investisseur à la suite de
véritables engagements. Le fait que ces derniers ne soient pas tou
jours formalisés n’enlève rien à leur caractère juridiquement contrai
gnant. Qu’il s’agisse d’un contrat d’investissement ou de l’octroi
d’un permis, l’État est tenu de respecter ce à quoi il s’est souverai
nement obligé ; sous réserve que les termes du contrat ou les condi
tions d’octroi du permis ne prévoient pas d’exceptions. L’investisseur
détient alors un droit à l’encontre de l’État ; droit qui, s’il est en rela
tion avec un investissement, bénéficie de la protection du TBI appli
cable. Par conséquent, la violation d’une obligation contractuelle,
dans la mesure où elle procède des pouvoirs exorbitants de l’État
d’accueil, ou encore le retrait d’un permis sans justifications légales
sont des mesures éligibles pouvant créer un préjudice équivalent à
une expropriation. Le fait que l’investisseur s’attende à ce que l’État
respecte son engagement n’est d’ailleurs pas propre aux contrats
d’investissements, ni même aux contrats commerciaux. Toute partie
à un contrat ne s’attend-elle pas légitimement à ce que son cocon
tractant honore ses engagements ? Dans le cas contraire, il lui suffit
alors d’invoquer la violation d’une obligation contractuelle.
Dans ces conditions, pourquoi considérer qu’un investisseur a une
attente légitime au respect d’une garantie, quand il suffit d’établir
qu’il a le droit au respect de cette garantie ? Qu’apporte le recours
aux attentes légitimes de l’investisseur fondées sur l’existence d’un
engagement contraignant ? Il n’est pas aisé de trouver une réponse
certaine. Une première explication plausible serait que cette dichoto
905 EnCana Corporation c. Equateur, op. cit., note 344, § 173. Cependant, le tribunal
a précisé en note de bas de page 120 de la sentence que : « even if there were such
a commitment (e.g. to a tax freeze or tax holiday), this would not convert a breach of
contract or the denial of a legitimate expectations into an expropriation. Such conduct
might violate other provisions of a BIT (…) ».
906 T. WÄLDE, A. KOLO, op. cit., note 39, p. 844.
306
mie permet d’étendre la protection des TBI au-delà des biens et des
droits impliqués dans un investissement, pour couvrir de manière
plus large les simples anticipations de rentabilité. Tout investisseur
s’attend, au regard d’un ensemble de facteurs (y compris les engage
ments de l’État d’accueil), à ce que son investissement soit rentable,
à telle ou telle échelle et selon telle ou telle échéance. Dans cette
optique, l’attente légitime ne repose pas sur un droit spécifique, mais
sur la réalisation de profits. Il suffirait alors que cette prévision de
rentabilité soit compromise pour que l’investisseur puisse prétendre
à une indemnisation en extrapolant sur certains de ces droits. Une
telle solution, si elle était vérifiée, devrait être rejetée fermement par
les tribunaux. Cependant, au regard des derniers TBI et ALE signés
par les pays membres de l’ALENA qui prévoient une annexe expli
cative sur la définition de l’expropriation, le recours aux attentes
légitimes pourrait s’expliquer aussi par la recherche d’un meilleur
encadrement de la clause d’expropriation. En quelque sorte, il est
demandé à l’arbitre de vérifier que l’attente dont se prévaut l’inves
tisseur est légitime et mérite véritablement la protection du traité.
L’idée serait alors que certaines prétentions pourront alors être reje
tées parce qu’elles ne sont pas raisonnables. Mais cette hypothèse
n’est pas vraiment convaincante. Dans la mesure où un droit protégé
existe, le fait que des attentes déraisonnables se soient greffées sur ce
dernier n’enlève ni n’ajoute pas grand-chose à la protection qui est
lui est due en vertu de la clause d’expropriation.
En définitive, faire dépendre les attentes légitimes d’un enga
gement contraignant n’apporte rien de significatif au processus
de qualification de l’expropriation indirecte. Qu’en sera-t-il si les
attentes légitimes peuvent être déconnectées de tout engagement
contraignant pour se rattacher à de simples promesses générales et
assurances de l’État ? En effet, il est parfois affirmé que les attentes
légitimes englobent au-delà des engagements contractuels, « underta-
kings of a more general kind »907.
307
l’étranger, etc. Ces incitations politico-économiques ne sont pas des
engagements contractuels, mais elles peuvent avoir été fondamen
tales dans le choix final de l’investisseur. La frustration complète de
ces promesses s’apparente dans ce cas à une tromperie des autorités
gouvernementales. C’est pourquoi de tels comportements peuvent
éventuellement trouver leur place dans l’évaluation du traitement
juste et équitable.
Mais la prise en compte de ces derniers dans le processus de quali
fication d’une expropriation indirecte serait une violation des règles
gouvernant cette notion. En effet, la patrimonialisation des attentes
légitimes de l’investisseur dans le contexte de l’expropriation fait fi
des fondements mêmes de l’expropriation en général, et de l’expro
priation indirecte en particulier. Protéger l’investisseur au mieux et
de manière effective, tel est le rôle de la clause d’expropriation. Il n’a
jamais été question de garantir à un investisseur qu’il ne souffrira
d’aucune déception ou frustration quant aux agissements des autori
tés locales, et les tribunaux l’ont toujours rappelé. Les droits protégés,
même s’ils sont très largement ouverts dans les TBI, ne recouvrent
jamais les espoirs et les simples possibilités de gains futurs. Même
dans la jurisprudence sur les Regulatory Taking aux États-Unis, il a
été considéré que « a mere unilateral expectation or an abstract need is not
a property interest entitled to protection »909. Pour conforter cette réalité
de premier plan, on peut appliquer un test intéressant aux attentes
légitimes considérées en tant que telles, en dehors d’un engagement
juridiquement contraignant. Dans l’affaire Amoco, le tribunal irano-
américain, à la suite de la CPA dans l’affaire des Armateurs norvégiens,
avait reconnu que la clause d’expropriation ne se limitait pas à la
protection des biens corporels, mais couvrait aussi les droits détenus
par un investisseur ; extension qui est depuis longtemps un principe
largement acquis en droit international des investissements. Le tribu
nal a alors résumé dans une formule, les caractéristiques des droits
pouvant faire l’objet d’une expropriation : « any right which can be the
object of a commercial transaction, i.e., freely sold and bought, and thus has a
monetary value »910. Les attentes légitimes répondent-elles à ces carac
téristiques ? La réponse est certainement négative, car il est évident
que les anticipations raisonnables d’un investisseur ne peuvent pas
faire l’objet d’une transaction économique et être transférées d’un
patrimoine à un autre. De même, comment pourrait-on évaluer la
valeur monétaire d’une attente légitime, lorsqu’il faudra calculer le
montant des indemnisations ? Bien qu’elles puissent représenter un
intérêt économique important pour un investissement, les attentes
légitimes et raisonnables ne sont pas des droits patrimoniaux. Leurs
frustrations, au mieux, pourraient faire l’objet de dommages-inté
909 Citation de la décision Webb’ s Fabulous Pharmacies, Inc. c. Beckwith, 449 U.S. 155,
161 (1980). Cité par E. SHENKMANN, op. cit., note 553, p. 183.
910 Amoco c. Iran, op. cit., note 92, § 108.
308
rêts dans le cadre d’un traitement injuste et inéquitable. Suggérer
le contraire « would be to confuse the circumstances in which claims will lie
under the expropriation and fair and equitable provisions of modern invest-
ment treaties »911.
Plus que toute autre clause dans les TBI, l’expropriation porte sur
des droits concrets et exigibles. Si les attentes légitimes ne désignent
pas autre chose que des engagements formels spécifiques, il s’agit
alors de véritables droits et ce terme devra être préféré pour sa clarté
et sa précision. S’il s’agit d’espérances basées sur des « representa-
tions made by the State which the investor took into account in making the
investment »912, elles ne peuvent fonder une expropriation indirecte,
fussent-elles légitimes.
Les attentes légitimes et raisonnables de l’investisseur devant être
exclues des droits patrimoniaux sur l’investissement protégé par la
clause d’expropriation, il reste maintenant à déterminer la préroga
tive juridique fondamentale qui doit avoir été gravement détruite
pour l’ensemble de l’investissement. En d’autres termes, du droit
d’user, de jouir et d’abuser de son investissement, lequel doit néces
sairement avoir disparu pour que la détention matérielle de l’inves
tissement n’ait plus aucune utilité économique ?
911 S. FIETTA, « Expropriation and the “Fair and Equitable” Standard. The
Developing Role of Investor’s “Expectation” in internationals Investment
Arbitration », Journal of International Arbitration, vol. 33, 2006, n° 5, p. 399.
L’auteur admet néanmoins l’utilisation, à titre subsidiaire, des attentes légi
times dans l’examen de l’expropriation indirecte.
912 Azurix c. Argentine, op. cit., note 115, § 318.
913 Ainsi, R. HIGGINS déclarait en 1982, être frappée par « the almost total absence
of any analysis of conceptual aspects of property » dans les discussions concernant
l’expropriation. R. HIGGINS, op. cit., note 258, p. 268. Notons également un
article plus récent qui déplore cette lacune et procède à une analyse instructive
sur la question. C. LEVESQUE, op. cit., note 203, pp. 77-84.
309
un paramètre fondamental (B). Cependant, en raison des formes
actuelles d’investissements, le droit d’user d’un investissement ne
peut être défini aussi étroitement que le droit d’user d’un bien (C).
310
pour les mesures verticales pouvant conduire à des expropriations
de facto. G. Sacerdoti arrive d’ailleurs à ce constat après avoir analysé
plusieurs différends ayant porté sur des expropriations de facto qui
avaient anéanti les trois prérogatives juridiques rattachées à la pro
priété.
La destruction complète des attributs de la propriété s’explique
aisément par la filiation directe entre les mesures verticales d’expro
priation indirecte et les mesures d’expropriation directe. En effet, la
répercussion de la mesure verticale, qui concerne l’intégrité même
de l’investissement, se rapproche de la répercussion d’une expro
priation directe. Une mesure d’expropriation directe et formelle
détruit nécessairement tous les attributs rattachés à la propriété.
L’investisseur ne peut plus, ni jouir, ni user, ni disposer de son bien
investi, puisqu’il n’en est plus le propriétaire. Le résultat sera souvent
similaire avec une mesure verticale. Qu’il s’agisse de la destruction
physique des locaux d’une usine, ou de l’annulation d’un contrat
d’investissement ou d’une autorisation d’exploitation, l’investisseur
perdra, dans les faits, l’ensemble des prérogatives qu’il détenait sur
son investissement. Dans un cas comme dans l’autre, l’investisse
ment est détruit dans son intégrité. La différence tient seulement
au fait que pour l’une (expropriation formelle et directe), l’inves
tisseur ne détient plus le titre de propriété, tandis que pour l’autre
(expropriation indirecte par mesure verticale), il détient virtuelle
ment sur le papier un investissement qui n’existe plus matériellement
à son endroit. Par conséquent, l’investisseur qui est victime de ces
deux sortes de dépossessions ne détient plus aucune de ses préroga
tives juridiques sur son investissement. Cependant, même pour les
mesures verticales, cette coïncidence ne signifie pas que chacun des
trois attributs de la propriété doit être anéanti. A fortiori, dans le cas
des mesures horizontales, il peut suffire que l’une des trois préroga
tives soit atteinte pour que les deux autres soient également lésées.
311
La dépendance entre la perte du droit d’user
et celle des droits de jouir ou de disposer
Une relation de cause à effet existe entre la perte du droit d’user
de son investissement et celle des droits d’en jouir ou d’en disposer.
Il suffit en effet que le droit d’usage soit atteint pour que les deux
autres prérogatives disparaissent. Lorsque seuls les droits de jouir ou
d’abuser de l’investissement sont anéantis, cela n’entraine pas systé
matiquement une destruction du droit d’user. C’est le cas des inves
tissements fondés sur des biens corporels tels qu’immeubles, exploi
tations agricoles ou minières. Deux affaires qui avaient été portées
devant la Commission américaine de règlement des réclamations
étrangères permettront d’illustrer cette réalité.
Dans l’affaire Jeno Hartman 920, le requérant américain était pro
priétaire d’un terrain qu’il avait mis en valeur en construisant des
résidences équipées et une boulangerie fonctionnelle. Mais ces
installations furent gérées par des personnes tierces qui retiraient
tous les bénéfices pour le compte de l’État hongrois, à l’exclusion de
l’investisseur. La Hongrie invoquait le fait qu’elle n’avait pas retiré
le titre de propriété du requérant. Il ne s’agissait donc pas d’une
expropriation directe. Mais ce dernier ne pouvait plus retirer de
bénéfices de son investissement. Le tribunal a conclu à une expro
priation indirecte, en sanctionnant ainsi la privation sans indem
nisation de la jouissance des fruits de l’investissement. En réalité,
l’investisseur avait perdu son droit d’user. Il ne pouvait plus utiliser
et gérer son investissement à sa guise, et de ce fait jouir des bénéfices
qui découlaient de la gestion. Dans une autre affaire portée devant
la même Commission contre la Tchécoslovaquie, il avait été imposé
à un propriétaire d’immeubles locatifs de verser la totalité des loyers
perçus sur un compte spécial où le gouvernement prélevait 45 à 50 %
d’impôts et retenait au moins 30 % comme dépôt pour les éven
tuels frais d’entretiens des immeubles921. Au total, 80 % des béné
fices générés par l’activité allaient directement dans les caisses de
l’État. Dans cette affaire également, il est possible de conclure que
l’investisseur avait été privé de la jouissance des fruits de son acti
vité. En outre, les propriétaires ne pouvaient louer leurs immeubles
qu’aux personnes sélectionnées par le gouvernement. Dans les faits,
les immeubles étaient passés sous administration gouvernementale,
et l’investisseur était devenu de facto un simple collecteur de loyers
au bénéfice de l’État : « even though he remains the record owner he is to
all intents and purposes practically a managing and collecting agent for the
government »922. L’investisseur avait perdu le contrôle de la gestion de
ses immeubles. Cette affaire illustre encore l’existence sous-jacente
920 United States Foreign Claims Settlement, Decision (1958), M. WHITEMAN, Digest of
International Law, vol. 8, p. 1011 et s.
921 Affaire citée par G. C. CHRISTIE, op. cit., note 37, p. 315.
922 Ibidem, p. 315.
312
d’une perte de contrôle de l’investissement qui est la composante
essentielle du droit d’user. G. C. Christie, qui a eu à examiner les
sentences anciennes rendues par cette Commission, était arrivé à la
conclusion que « the right which seems (…) to be least subject to successful
interference, is the right of the owner to manage his enterprize »923.
Les tribunaux ne peuvent donc pas se limiter au constat de la perte
de l’accès aux bénéfices ou de la possibilité d’aliéner un investissement,
pour estimer qu’il est gravement compromis. Or, il suffit de constater
la privation du droit d’user, pour constater la perte subséquente des
droits de jouir et de disposer. Par les effets collatéraux d’une mesure
horizontale, une activité d’investissement peut subir une réduction
drastique de ses bénéfices en raison de la modification de son envi
ronnement juridique et/ou économique. Mais l’investisseur détient
encore la capacité de prendre les décisions, de faire les choix néces
saires pour trouver des solutions, maintenir son entreprise à flot, ou
l’adapter aux nouvelles circonstances. C’est seulement lorsque cette
emprise sur le destin de l’investissement est détruite qu’il peut être
affirmé que l’investissement a complètement été détruit.
L’examen de certaines sentences arbitrales pertinentes permet de
renforcer la conclusion selon laquelle, seule la perte du droit d’user
importe ou devrait importer.
313
de la CNUCED a défini le préjudice grave comme : « an effective loss
of management, use or control, or a significant depreciation of the value, of
the assets of a foreign investor »929. On le sait, les termes de « gestion »,
« usage » et « contrôle », recouvrent les différentes facettes du droit
d’user d’un investissement. De même, la perte de contrôle de l’inves
tissement a été l’élément primordial dans plusieurs affaires rendues
par le tribunal irano-américain. Il ressort de l’analyse des affaires
Sedco, Starrett Housing, Tippetts, et Phelps Dodge, que la nomination
d’administrateurs gouvernementaux ayant privé l’actionnaire de son
droit de participation aux décisions de l’entreprise a conduit à la
qualification d’expropriation indirecte. En général, les différentes
chambres du tribunal ont qualifié une expropriation indirecte dans
tous les cas où l’investisseur avait été empêché d’administrer et/ou
de participer au processus décisionnel au sein de l’entreprise dans
laquelle il détenait des parts sociales. Des mesures verticales étaient
en cause dans ces affaires, mais la question de la gravité du préjudice
intéresse toutes les mesures d’expropriations indirectes.
L’importance du droit d’user ressort également des facteurs d’ap
préciation du préjudice empruntés à la sentence Pope & Talbot et
utilisés par la majorité des tribunaux pour toutes les mesures éta
tiques (verticales comme horizontales). Si nous écartons les effets
préjudiciables qui ne peuvent résulter que d’une mesure verticale930,
les autres critères permettent tous de vérifier l’intégrité du droit
d’user : « The investor is in control of the investment, government does not
manage the day-to-day operations of the company, the investor has full (…)
ownership and control of the investment ». Les références au « contrôle »
et à la « direction » reviennent donc souvent. Il ne s’agit pas d’une
coïncidence, mais bien de la preuve que la capacité que détient l’in
vestisseur à diriger souverainement son investissement est au cœur
du faisceau des facteurs de vérification de la gravité du préjudice.
En définitive, le seul et véritable attribut qui est toujours lésé est
bien le droit d’user de l’investissement. Il ne faut pas seulement
admettre avec J.-P. Laviec que « le droit sans doute le plus fondamental
de l’investisseur étranger concerne son pouvoir de direction dans une entre-
prise, et participer aux décisions »931. Il faut reconnaître qu’il s’agit de
la seule prérogative protégée dans le cadre de l’expropriation indi
recte survenant par une mesure horizontale. Toutefois, un investisse
ment ne se résume pas aux biens ou aux droits qui le composent. Ce
qui caractérise ces derniers et les distingue de n’importe quel autre
élément d’un patrimoine, est l’usage spécifique qui en est fait : la
production sur le long terme d’autres biens. Exiger donc que l’inves
tisseur ait perdu la direction et le contrôle de son investissement ne
314
nous renseigne pas véritablement sur le contenu de cette préroga
tive. Il faut aller plus loin pour définir un droit d’user compatible
avec les caractéristiques de l’investissement.
315
Toutefois, la simple altération des bénéfices économiques retirés
ou seulement escomptés par une mesure horizontale ne peut équi
valoir à une dépossession de l’investissement. C’est un fait reconnu
qu’une simple diminution de bénéfice ne peut être constitutive d’une
expropriation indirecte. Quelle que soit la doctrine appliquée, ce
point est acquis. Mais une autre question est de savoir si la disparition
totale des bénéfices équivaut aussi à une dépossession. Il est majori
tairement considéré que la disparition totale des bénéfices est une
expropriation de valeur. Cependant, une nuance importante doit
être apportée ici. À notre avis, ce n’est pas parce qu’une entreprise
a perdu tous ses bénéfices à un moment donné de son existence que
cette dernière ne représente plus aucun intérêt économique. Toute
activité qui se déroule sur le long terme, connaît des périodes fastes
et néfastes, et traverse parfois des étapes difficiles avant de pouvoir se
relever lorsque la conjoncture redevient favorable ou que les stratégies
sont améliorées. Il faut donc aller au-delà et voir si l’entreprise a gardé
sa viabilité productive. Autrement dit, est-elle en mesure de produire à
l’avenir des bénéfices en faisant des efforts raisonnables pour sortir de
sa crise ? Est-ce une faillite définitive ou remédiable au regard des nou
velles conditions économiques posées par la nouvelle règlementation ?
L’affirmation selon laquelle « bilateral investment treaties are not insu-
rances policies against bad business judgements »933 n’aura de sens que si
l’on s’en tient à la viabilité productive de l’investissement. Il n’appar
tient pas à l’État d’accueil de compenser financièrement le manque
d’anticipation, de stratégies prévisionnelles, de capacité d’adaptation
de l’entreprise qui s’est installée dans un environnement amené forcé
ment à évoluer dans un sens favorable ou défavorable. Paraphrasant
la sentence R. Azinian c. Mexique 934, le tribunal dans l’affaire Feldman
c. Mexique a rappelé cette réalité en ces termes :
« not all government regulatory activity that makes it difficult or impossible for an
investor to carry out a particular business, change in the law or change in the applica-
tion of existing laws that makes it uneconomical to continue a particular business, is
an expropriation (…). Governments, in their exercise of regulatory power, frequently
change their laws and regulations in response to changing economic circumstances or
changing political, economic or social considerations. Those changes may well make
certain activities less profitable or even uneconomic to continue »935.
316
En somme, évaluer l’intensité du préjudice en fonction de la préro
gative juridique fondamentale lésée revient pour l’arbitre à regarder
si « the property in question, after introduction of the measure concerned, can
no longer be put to reasonable economic use »936. Prendre en compte exclu
sivement le droit d’user de son investissement, à travers sa configu
ration moderne, permettra d’exclure la majorité des plaintes qui
contestent des mesures horizontales. Soit en effet, l’investisseur est
seulement empêché d’utiliser une partie de son investissement sans
que son droit d’user soit remis en cause sur l’ensemble de l’investis
sement. Soit l’investisseur subit une perte importante de bénéfices
sur l’ensemble de l’investissement sans que la viabilité productive de
ce dernier soit réduite à néant.
Ainsi, en cas d’expropriation indirecte par mesure horizontale,
affectant de surcroît une forme particulièrement complexe d’inves
tissement, il faut retenir que le cadre classique des trois attributs
de la propriété demeure d’une importance capitale. Mais il peut se
révéler étroit au regard de la dynamique de l’investissement qui va
au-delà de la simple existence d’un bien ou d’un droit. Il faut alors
élargir la perspective du droit d’user qui a été retenu comme la pré
rogative juridique fondamentale protégée dans le cadre de l’expro
priation indirecte. D’un droit d’user, compris au sens du pouvoir de
contrôle et de direction, il y a lieu de passer à la viabilité productive
de l’investissement. En limitant donc la recherche au droit d’user de
l’investissement, on évite les dérives des indemnisations de la perte
de simples bénéfices. Mais en prenant en compte la viabilité pro
ductive, on évite l’écueil d’une définition trop formelle et donc peu
réaliste aujourd’hui. On aurait tort cependant de considérer que la
zone grise est entièrement effacée.
Il restera encore des mesures horizontales qui, tout en détruisant
complètement la viabilité productive de l’investissement dans sa glo
balité, ne devront pas encore être qualifiées d’expropriations indi
rectes.
936 R. DOLZER, « Indirect expropriation of Alien Property », op. cit., note 12, p. 62.
317
le contenu matériel de l’investissement. Ce contenu matériel peut
en effet ne pas ou ne plus mériter la protection offerte par la clause
d’expropriation. L’activité d’investissement doit en effet être de
nature licite ; licéité qui va au-delà de la simple légitimité morale.
Mais en fonction de quelles règles et de quelles valeurs doit être
appréciée la licéité d’une activité d’investissement ? La réponse à
cette question doit être particulièrement réfléchie, afin de ne pas
réduire à néant la protection offerte aux investissements, sous cou
vert de la sauvegarde des intérêts de l’État d’accueil. La conclusion
d’un TBI par un État implique en effet une restriction à son pouvoir
normatif, même si l’étendue de ces restrictions demeure controver
sée. Il faut donc trouver un système de référence, dont le rôle et la
place dans l’ordre juridique international permettent sans ambi
guïté de l’imposer à l’investissement étranger protégé par un TBI.
Seules les règles relevant d’un ordre public disposent de l’impérati
vité nécessaire pour peser de tout leur poids sur la licéité ou l’illicéité
d’une activité d’investissement.
Cette déduction, bien que logique, n’est cependant pas suffisante.
Il importe d’abord de montrer que la vérification de la licéité de l’ac
tivité d’investissement est nécessaire dans les litiges naissant d’une
mesure horizontale étatique (§ 2). Il faudra ensuite choisir un ordre
public applicable pour le contrôle de licéité. En gardant à l’esprit
les précédents développements sur la licéité systémique de la clause
d’expropriation, et au regard de certaines difficultés posées par les
mesures horizontales, la seule référence possible est celle d’un ordre
public international des investissements (§ 2). Enfin, sachant qu’il
est toujours plus facile d’invoquer l’ordre public que d’en fixer le
contenu, il serait vain de vouloir définir précisément et limitative
ment les règles d’ordre public applicable. Il convient plutôt de pro
poser aux tribunaux des critères pour identifier ces règles en fonc
tion des évolutions du droit international (§ 3).
318
tissement nous a montré l’étroitesse des liens qui les unissent. De
ce fait, l’activité d’investissement ne doit pas, à son tour, constituer
une violation de l’ordre public applicable (A). En second lieu, l’arbi
trage investisseur-État met en rapport une personne publique et une
personne privée. Les questions qui sont soulevées dans ces litiges,
notamment lorsque des mesures horizontales sont en jeux, dépassent
le seul cadre des intérêts strictement privés des investisseurs. Dans
le même temps, on remarque un recul, voir un affaiblissement du
rôle de l’État dans les relations internationales économiques qui
transcendent ses frontières. Que ce recul soit salué ou décrié, nul
ne saurait se satisfaire d’un système juridique qui fonctionne sans
un minimum de contrôle. Dans ce contexte, l’arbitre pourrait être
amené à jouer le rôle de garant d’un ordre public à déterminer (B).
937 Pour un résumé des principales théories et les références qui les accompagnent,
voir J. GHESTIN (dir.), Traité de droit civil, les biens, LGDJ, 2e éd., 2010, pp. 82-88.
938 Ibidem, p. 88.
319
l’étendue et les conditions de sa protection. Ce qui est interdit peut
varier d’un droit national à un autre, mais le principe de l’usage
licite de la propriété ne peut être discuté. Si le droit de propriété est
légitime, son exercice ne peut être abusif. En ce sens, la propriété
répond à une finalité sociale, peu importe qu’elle soit exclusive ou
collective, absolue ou relative939. Cette analyse fonctionnelle de la
protection accordée à la propriété permet de transcender les divers
courants de pensée sur le droit de propriété. Comme le notait F.
A. Mann, « never and nowhere was there any support for the proposition
that property could not in any circumstances be taken, that it was sacrosanct,
inviolable »940.
Par ailleurs, les limitations à la propriété privée gravitent autour
d’un noyau dur qui est propre à tous les ordres juridiques internes :
les règles d’ordre public. Bien entendu, le contenu de l’ordre public
peut varier énormément d’un pays à l’autre. Mais généralement, on
peut retenir que « property cannot be used in a way that results in serious
harms to public order and morals, human health or the environment »941. Il
convient cependant de se demander si cette conception de la pro
priété dans les droits internes est transposable à l’investissement
dans l’ordre juridique international.
939 Voir pour plus de détails, R. HIGGINS, op. cit., note 258, pp. 268-278.
940 F. A. MANN, « Outline of… », op. cit., note 6, p. 189 et les nombreuses
références dans le texte. L’auteur cite par exemple, R. Von IHERING pour qui,
« expropriation was not something abnormal, something inconsistent with the “ieds” of
property, but constituted « the solution of the task to reconcile the interests of society with
those of the owner (…) ».
941 A. NEWCOMBE, « The Boundaries… », op. cit., note 38, p. 419.
942 A. BENCHENEB, op. cit., note 223, p. 182.
320
consommé immédiatement ou immobilisé au titre de l’épargne.
Enfin, si l’on ajoute à cela l’impact positif qu’est sensé avoir l’inves
tissement étranger sur le développement économique de l’État où
il s’implante, impact qui fut longtemps posé comme une évidence
avant d’être relativisé, il est alors permis d’exiger de cette activité
un respect minimum de l’ordre public, garant d’un intérêt général à
l’origine de son admission dans un État.
Cette fonction sociale de l’investissement est d’ailleurs implici
tement reconnue dans les préambules des TBI qui fixent les buts
et les objectifs des parties signataires. Ainsi, c’est généralement le
développement économique des États contractants qui est principa
lement visé, mais le développement durable apparait désormais dans
les récents traités. Trois composantes du développement durable
reviennent fréquemment dans les textes de la dernière génération :
la protection de la vie et de la santé humaine, la protection de l’envi
ronnement humain, la protection des droits fondamentaux des tra
vailleurs943. Certes, ces traités ne disent pas toujours directement que
les investissements doivent promouvoir ces valeurs. Mais les activités
d’investissement ne doivent pas au moins constituer un frein à la pro
tection de ces valeurs. Par conséquent, l’activité ne doit pas compro
mettre les avancées enregistrées dans certains domaines, à défaut de
favoriser leurs survenances. Il s’agit bien d’une fonction sociale très
large qui leur est dévolue.
Si donc l’investisseur est en principe libre d’user, de jouir et de
disposer de son investissement, ces prérogatives sont limitées par la
non-contrariété à l’ordre public. Supposons un investisseur X, pro
priétaire d’une usine dans un État A. L’investisseur A peut décider
d’utiliser son bien pour fabriquer des biscuits, puis réadapter les
machines pour fabriquer d’autres friandises. Mais il ne pourra pas y
produire des biscuits avariés ou modifier ses installations pour pro
duire une substance illicite. Il ne pourra pas non plus employer des
personnes mineures, ou octroyer des salaires à un montant inférieur
au minimum salarial fixé dans cette branche d’activité dans l’État
A. Voilà pour ce qui est des restrictions à son droit d’user. L’investis
seur X dispose de la libre jouissance des bénéfices produits par son
usine. Il perçoit les dividendes et peut les consommer, les épargner
ou les réinvestir. Pourtant, à ce niveau encore, il devra quand même
reverser une partie de ses dividendes à titre d’impôts à l’État A. Dans
le même temps, il pourra lui être imposé un prix maximum ou une
fourchette de prix de vente de ses produits en raison de la protection
des consommateurs ou de l’accès aux denrées de première néces
sité. Voilà pour ce qui peut être des restrictions à la jouissance de
son investissement. Enfin, l’investisseur X décide librement s’il veut
vendre, céder à titre gracieux, ou confier la gestion de son usine à
943 Voir les préambules de certains TBI américains conclus après 2000.
321
une personne tierce. De nouveau, ce droit pourra être limité par
l’État A en raison des règles sur la concurrence et notamment l’inter
diction des positions dominantes ou des monopoles de fait sur le
marché. Voilà pour ce qui peut être des restrictions au droit de dis
poser de son investissement. C’est seulement en demeurant dans les
limites fixées par l’ordre public interne que l’investisseur peut user,
jouir et disposer librement de son activité économique.
En somme, il n’y a aucune raison à ce que l’investissement effectué
au niveau international échappe à l’obligation de respect de l’ordre
public, sachant qu’en définitive l’investissement finit par prendre
assise sur un territoire national. Autrement, l’octroi d’une indem
nisation reviendrait dans certaines circonstances à récompenser un
délinquant ou à rejeter l’existence d’intérêts publics prépondérants
dans l’usage de la propriété.
Dans la mesure où un ordre public doit s’imposer à la licéité de
l’activité d’investissement étranger, les tribunaux des litiges investis
seur-État pourraient devenir les garants de son respect.
322
transnational945. A fortiori, avec l’implication d’un État dans le diffé
rend, qui est garant de l’intérêt général sur son territoire, la prise en
compte d’un ordre public devient indispensable. Mais plus que l’im
plication d’un État, c’est souvent la teneur de l’activité économique
qui attire inexorablement dans le giron de l’arbitrage international
d’investissement, les enjeux d’ordre public. C’est le cas par exemple
des privatisations de la gestion de certains services publics fonda
mentaux comme la distribution de l’eau ou de l’énergie. Comme
l’avait constaté le tribunal dans l’affaire Methanex c. États-Unis, « the
substantive issues extend far beyond those raised by the usual transnational
arbitration between commercial parties »946. Cette affirmation fut textuel
lement reprise dans la sentence Biwater c. Tanzanie, à propos d’un
contrat de fourniture d’eau potable947.
Certes, les tribunaux arbitraux du contentieux de l’investissement
international, qu’ils soient constitués de manière ad hoc ou sous
l’égide d’un centre d’arbitrage institutionnalisé comme le CIRDI,
doivent généralement appliquer les clauses d’un traité d’investisse
ment et/ou d’un contrat d’investissement. De ce fait, ils ne sont pas
les garants d’un ordre juridique parfaitement intégré et homogène
comme le juge étatique devant connaître d’un différend internatio
nalisé. Toutefois, et contrairement à un tribunal arbitral en matière
commerciale, il n’est pas possible de dire que l’arbitre du contentieux
de l’investissement n’est pas le garant de l’ordre public et qu’aucun
système juridique ne s’impose à lui. Comme certains l’ont défendu,
« en tant que juridiction internationale, un tribunal arbitral (…) se
doit en effet de faire respecter l’ordre public international, c’est-à-
dire les principes correspondant aux exigences fondamentales uni
verselles considérées comme essentielles par la communauté inter
nationale pour régir les relations de ses membres »948.
En théorie, rien n’empêche donc l’arbitre de s’assurer, au-delà de
l’existence d’un investissement aux termes d’un TBI, que l’activité
exercée ne contredit pas un ordre public imposable à tout investis
sement étranger.
En conclusion, plusieurs arguments peuvent être avancés pour justi
fier le recours à la licéité de l’activité d’investissement par rapport à un
ordre public déterminé. Mais encore faudra-t-il s’entendre sur l’ordre
945 Pour un plaidoyer en faveur d’un ordre public transnational qui s’imposerait à
l’arbitre du contentieux du commerce international, voir J.-F. LAVIVE, « Ordre
public transnational (ou réellement international) et arbitrage international »,
Revue de l’arbitrage, 1986, Issue 3, pp. 329-374.
946 Methanex c. États-Unis, Décision sur l’intervention d’amicus curiae du 15 January
2001, § 49. Cet argument a été utilisé par le tribunal pour accepter l’intervention
de deux ONG dans la procédure.
947 Biwater c. Tanzanie, op. cit., note 256, § 356-369.
948 S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage…, op. cit., note 1, p. 287.
Voir dans le même sens, E. GAILLARD, « CIRDI, chronique des sentences
arbitrales », JDI, 1994, p. 254.
323
public dont il est question. Avant de pouvoir établir les règles qui le
composent, il faut d’abord identifier l’ordre juridique dont il relève.
949 Voir sur cette question, P. JUILLARD, « L’évolution… », op. cit., note 17, pp. 108-
110.
324
La recherche d’une expropriation indirecte sur un investissement
suppose que ce dernier a déjà été reconnu comme bénéficiant de la
protection du TBI applicable. La question de la qualification d’une
opération économique en un investissement protégé au regard du
traité pertinent doit avoir été réglée avant la recherche d’une viola
tion d’une obligation conventionnelle. En ce sens, aucune violation
subséquente du traitement national, du traitement juste et équitable,
ou de l’expropriation, ne pourra être imputée à l’État. Il n’y a plus en
effet d’investissement juridiquement protégé sur lequel un tribunal
peut vérifier la conformité des actes des autorités locales avec les
obligations mises à la charge de l’État d’accueil dans un TBI. Une
fois parvenu à l’application du critère de l’effet redéployé, ce n’est
donc plus de la légalité de l’investissement qu’il est question.
Par contre, la licéité de l’activité d’investissement concerne la
qualification de la clause d’expropriation. Elle s’inscrit uniquement
dans le cadre de cette qualification, même si on ne peut rejeter défi
nitivement l’idée qu’elle puisse être étendue à d’autres obligations
conventionnelles, comme la non-discrimination950. Quoi qu’il en
soit, le terrain de l’expropriation est celui qui se prête le mieux à
l’évaluation de cette licéité.
Toutefois, lorsqu’au cours de sa vie un investissement n’est plus
conforme à une règlementation nationale, la question qui se pose
devient celle de sa conformité à l’ordre public. L’ordre public appli
cable n’est cependant pas celui de l’État d’accueil de l’investissement,
même s’il est particulièrement intéressé à régir l’investissement.
950 En effet, une activité devenue illicite peut néanmoins être l’objet d’une discri
mination par rapport à d’autres activités également illicites, et donc engager
la responsabilité de l’État au regard d’un TBI. Par exemple, l’investisseur peut
se plaindre éventuellement de ce que d’autres investisseurs étrangers ou natio
naux dans une situation similaire à la sienne ont bénéficié exceptionnellement
d’exonérations ou de l’indulgence de la part des autorités locales.
325
contrat d’investissement. Dans ce contexte, soumettre la licéité de
l’activité d’investissement à l’ordre public de l’État hôte constituerait
assurément un retour en arrière.
En second lieu, les TBI mettent à la charge des États signataires des
obligations internationales réciproques, même si les « créanciers » de
ces obligations sont les ressortissants de l’autre État signataire951. Ce
qui signifie que ces derniers ne peuvent pas alléguer de leurs droits
internes pour justifier une violation à leurs obligations internatio
nales. On le sait, en droit international, la conformité du compor
tement d’un État avec son droit interne est sans pertinence pour la
constitution d’un fait internationalement illicite. De ce fait, l’ordre
public interne est appréhendé comme un simple fait par les arbitres
du contentieux international des investissements, au même titre que
la mesure horizontale éligible. L’arbitre détient seulement le pou
voir de vérifier la conformité des comportements de l’État défen
deur avec les obligations qu’il a souscrites dans un TBI ou un contrat
d’investissement internationalisé.
Un lien peut être fait ici avec la notion de mesure de police. L’une
des principales difficultés à déterminer les mesures étatiques pou
vant être qualifiées comme des mesures de police résultait de la
grande variabilité de la perception de l’intérêt public légitime. Le
même grief s’applique à la prise en compte de l’ordre public interne.
En ce qui concerne les questions de bonnes mœurs par exemple,
un arbitre peut-il se limiter à ce qui est invoqué par un État pour
qualifier l’activité d’investissement comme désormais illicite ? Une
réponse positive ne serait pas satisfaisante eu égard aux risques
importants de divergences d’interprétations et de dérives.
La conformité de l’activité d’investissement à l’ordre public interne
est certes indifférente, mais elle peut constituer un indice pour l’ar
bitre. Le fait qu’une activité d’investissement soit également illicite
par rapport à l’ordre public interne de l’État d’accueil, en plus de
l’ordre public applicable, ne peut que simplifier la tâche des arbitres
et faciliter leurs conclusions.
La répudiation de l’ordre public de l’État hôte est rendue néces
saire par une autre difficulté. Comment distinguer l’activité d’in
vestissement devenu illicite de celle qui serait devenue simplement
indésirable ?
951 Exception faite des clauses en rapport avec le règlement interétatique des diffé
rends sur l’interprétation du traité.
326
sation dès lors qu’un préjudice substantiel est constaté. Or, comment
différencier ce qui est véritablement illicite de ce qui est seulement
indésirable en demeurant dans le seul cadre du droit interne de
l’État hôte ?
Pour montrer l’incapacité de l’ordre public interne à résoudre ce
dilemme, quelques cas fictifs peuvent servir ici d’illustration. Par
exemple, un investisseur ouvre une chaîne de casino dans un État où
la règlementation autorise les jeux de hasard952. Un second investis
seur met en place dans le même État une chaîne de cabarets. Un troi
sième investisseur installe une usine de production de liqueurs. Ces
trois investissements ont bénéficié lors de leur admission, des auto
risations nécessaires accompagnées par l’enthousiasme des autori
tés locales en raison des retombées fiscales escomptées. Quelques
années plus tard, du fait soit d’un changement de gouvernement,
soit d’un retour à une certaine ferveur religieuse, ou soit encore de
l’explosion du nombre de personnes ayant une dépendance aux
jeux du hasard ou à l’alcool avec son cortège de drames humains, les
autorités locales décident d’interdire ces trois types d’activités sur le
territoire, ou imposent des conditions d’exercice telles qu’il devient
économiquement impossible aux investisseurs de maintenir leurs
activités. Ces dernières sont-elles devenues illicites ou indésirables ?
Si l’on se contente d’observer qu’il existe désormais une loi inter
disant ces activités et que cette loi est d’ordre public, alors ces activi
tés seraient devenues illicites. Mais si l’on considère l’environnement
sociopolitique à l’origine de cette règlementation, il est possible d’y
voir une simple désapprobation morale ou culturelle, reposant sur
des dangers réels ou supposés. Aucune de ces deux approches n’est
vraiment satisfaisante. La seule option envisageable est de voir si l’in
terdiction des jeux du hasard, des cabarets ou de la vente d’alcool
trouve un écho dans un ordre juridique supérieur au droit national,
à savoir le droit international. Si le droit international ne protège, ni
n’interdit ces activités, elles ne peuvent alors devenir internationale
ment illicites du seul fait d’une réglementation interne. En ce sens,
l’illicéité ne peut dépendre exclusivement de la « désirabilité sociale »
d’une activité économique dans l’État où il s’est déjà implanté. Cette
désirabilité ne peut concerner que les investissements qui souhaite
raient s’implanter à l’avenir. Par conséquent, l’État qui décide souve
rainement de règlementer ou d’interdire des activités économiques
qui ne coïncident plus avec ses objectifs de développement devra
assumer les conséquences pécuniaires de ce choix.
Il en ira autrement si l’activité en question fait l’objet d’une pro
tection ou d’une interdiction dans l’ordre juridique international.
952 L’affaire Thunderbird Gaming c. Mexique, op. cit., note 864, peut dans une certaine
mesure, être rapprochée de cet exemple. Cependant, dans ce cas, les jeux du
hasard étaient à peine tolérés sur le territoire national lors de l’admission de
l’investissement et les interdictions complètes n’étaient pas exceptionnelles.
327
Un cas fictif peut également servir la démonstration. Une usine de
traitement de peaux animales à l’usage de la maroquinerie utilise
des produits déversés sans traitement dans un lac à proximité duquel
elle s’est implantée. L’usine lors de son admission disposait des auto
risations valables et était soumise à des contrôles réguliers des auto
rités sanitaires. On peut imaginer également qu’elle ait bénéficié
d’une complaisance d’un régime corrompu ou peu sensibilisé aux
risques sanitaires pour la population. Avec les développements de
la science, ou l’avènement d’un nouveau gouvernement, un produit
chimique utilisé dans le traitement des peaux et déversé dans le lac
est classé comme dangereux pour la santé humaine et la survie des
espèces végétales cultivées dans les environs. L’État interdit alors
l’utilisation de tels produits. L’usine n’a peut-être ni le temps, ni les
moyens financiers, ni la technologie pour s’adapter rapidement à
cette nouvelle règlementation. Les activités périclitent et c’est la fail
lite. S’agit-il d’une activité devenue illicite ou seulement indésirable ?
Dans la mesure où la protection de la santé humaine relève direc
tement d’un traité international ou d’une coutume internationale
qui s’impose à l’État d’accueil, ou lorsque l’utilisation du produit
dangereux est réglementée par un Accord international, l’activité est
désormais illicite. Elle ne bénéficie donc plus de la protection offerte
par la clause d’expropriation. Cette analyse est également applicable
dans l’hypothèse où une entreprise exploite une essence de bois
devenue au cours du temps une espèce en voie de disparition et pro
tégée à ce titre par un traité international. On pense également à la
situation d’une filiale de droit national d’une entreprise étrangère
qui emploie des mineurs dans un État auparavant peu regardant sur
ces infractions. La conclusion sera similaire au cas précédent si l’État
en question décide désormais de faire respecter sa législation natio
nale et ses obligations internationales sur le travail des enfants. Bien
entendu, le processus par lequel l’État impose la nouvelle règlemen
tation peut constituer une violation d’autres normes de traitement
dans le TBI tel que la non-discrimination ou le traitement juste et
équitable. Mais dans ce cas, c’est le processus qui est en cause, non le
fondement de la nouvelle règlementation.
Le choix du droit international comme le système juridique duquel
l’ordre public applicable doit émerger ne constitue pas seulement
la garantie d’une meilleure impartialité entre les intérêts privés et
publics concurrents. Ce choix offre également la seule voie possible
à la résolution d’un problème récurrent, propre à la mesure hori
zontale type.
328
B. La résolution de la contradiction
du double rôle de la mesure horizontale
Le dépassement de la contradiction
par le secours de l’ordre juridique international
La première solution au problème serait que l’activité de l’investis
seur soit directement interdite dans l’ordre juridique international,
c’est-à-dire que ce dernier soit le destinataire direct d’obligations
internationales. Pour certains auteurs, il s’agirait même de la seule
329
voie possible pour apprécier la licéité d’une activité d’investissement.
Comme l’a remarqué L. Liberti,
330
d’une obligation à la charge de l’État hôte dont le contenu ou l’im
pact concerne leurs activités. Un État ne pourra peut-être pas ame
ner un investisseur devant un tribunal arbitral pour la commission
d’un fait internationalement illicite au regard des obligations du
second. Mais au moins, cet État ne pourra pas être tenu responsable
devant le même tribunal pour avoir pris les mesures requises afin de
se mettre en conformité avec ses propres obligations internationales.
Cela dit, comment déterminer concrètement les obligations éta
tiques internationales concernées qui relèvent d’un ordre public
international ? La tâche est certainement malaisée. Mais la difficulté
à énumérer les règles d’ordre public international « ne doit pas pour
autant obliger le juriste à se résigner à une neutralité axiologique »956.
« La notion “d’ordre public” est une de ces notions “claires obs
cures” en droit dont la part de lumière et d’ombre dépend largement
du contexte dans lequel elle est appelée à agir »957. En partant de ce
constat de premier ordre, il importe de situer le contexte dans lequel
s’inscrit l’ordre public international auquel l’activité d’investissement
ne doit pas contrevenir. Ce contexte est certainement le droit interna
tional des investissements (A). Ainsi situé, il devient possible dans une
démarche prospective, de déterminer les règles qui relèvent de l’ordre
public propre au droit international des investissements (B).
331
l’ordre public transnational au sens du droit international privé, tel
qu’il fut défendu par des auteurs émérites.958 L’existence, le contenu
et la portée d’un ordre public transnational en droit international
privé et particulièrement dans l’arbitrage commercial ont suffisam
ment été commentés, pour appeler ici encore de longs développe
ments. Ainsi, dans le cadre de l’arbitrage commercial, P. Lalive a
défendu l’existence d’un ordre public transnational (ou véritable
ment international) qui aurait deux fonctions : « soit négative (évic
tion de la loi ou des règles normalement applicables), soit positive
(application impérative ou « prioritaire » de certaines normes ou de
certains principes supérieurs et fondamentaux pour le droit du com
merce international) »959. On se contentera de relever que le recours
à un ordre public de ce type n’a pas de portée fondamentale pour le
sujet de cette étude.
En effet, il est évident que la première conséquence, dite de l’évic
tion, ne concerne pas le contentieux de l’expropriation indirecte
devant un tribunal arbitral statuant sur le fondement d’un traité de
protection des investissements. L’arbitre n’a pas besoin de cet ordre
public transnational pour écarter l’application d’un droit interne,
qu’il fût celui de l’État hôte ou de l’État ressortissant de l’investis
seur, car il n’est intéressé que par la conformité d’un comportement
étatique à une obligation internationale. De même, on imagine diffi
cilement un investisseur, ou même un État, demandant à un tribunal
d’invalider le traité international d’investissement applicable dans
un litige d’investissement pour contrariété à l’ordre public interna
tional.
Quant à la seconde fonction, celle de la primauté de certaines
règles, il existe certainement des règles impératives transnationales
qui s’imposent à l’arbitre du contentieux de l’investissement interna
tional. Mais elles sont dénuées de conséquences pratiques dans notre
contexte. En premier lieu, parce qu’il est peu probable, contraire
ment à une simple relation contractuelle privée, qu’un contrat d’État
sur un investissement soit complètement immoral ou contraire aux
bonnes mœurs (réserve faite des accusations de corruption qui
relèvent plus souvent des circonstances de la conclusion du contrat
que de son objet et qui sont d’ailleurs rarement prouvées devant les
958 Au premier rang desquels se trouve P. LALIVE, dont deux articles sont
particulièrement incontournables sur le sujet : « Ordre public transnational (ou
réellement international) et arbitrage international », Revue de l’arbitrage, 1986,
Issue 3, pp. 329-374 ; « L’ordre public transnational et l’arbitre international »,
in Nouveaux instruments du droit international privé, Liber Fausto POCAR, Milan,
Giuffré Editor, 2009, 599-611. Voir aussi I. FADLALLAH, « L’ordre public dans
les sentences arbitrales », RCADI, 1994, vol. 249, pp. 377-430 ; A. COURT DE
FONTMICHEL, l’arbitrage, le juge et les pratiques illicites du commerce international,
LGDJ, Paris, 2004, pp. 99-139.
959 P. LALIVE, « Ordre public transnational (ou réellement international)… »,
ibidem, p. 331.
332
tribunaux)960. Envisager que des litiges soient portés devant un tri
bunal CIRDI pour un contrat d’investissement dont l’objet porterait
sur la contrebande, les exportations fictives, ou la vente d’armes de
guerre961 relèverait pratiquement de la fiction. En second lieu, et ce
fut déjà souligné, la question de la licéité de l’activité d’investisse
ment ne concerne pas la légalité de l’admission de l’investissement.
Il est peu probable qu’un État admette un investissement sur son
territoire ou signe un contrat dont l’objet est illicite, à moins que
des informations ne lui aient été frauduleusement cachées. Et même
dans l’hypothèse où un investissement ne serait pas admis en confor
mité avec les lois et règlements de l’État hôte, la question de l’expro
priation indirecte ne se poserait même pas. Cet investissement ne
serait pas en effet couvert par la protection du TBI.
C’est donc un ordre public prenant directement assise sur le droit
international qui importe ici962. Par conséquent, il n’est pas indis
pensable de s’atteler à la tâche laborieuse de déduire des règles
impératives de la convergence d’un grand nombre d’ordres publics
étatiques. Les sources formelles de l’ordre public international des
investissements sont résolument internationales, qu’il s’agisse d’obli
gations conventionnelles ou coutumières impératives. Ainsi ratta
ché aux obligations internationales de l’État hôte, l’ordre public
international des investissements pourra éviter le reproche qui est
souvent fait à l’existence d’un ordre public transnational en droit
international privé ; à savoir que ce dernier n’est qu’un révélateur
d’une éthique des affaires internationales ne constituant pas un sys
tème de règles de droit positif. Par exemple, il ne sera pas possible
de réduire l’ordre public international des investissements à des
« règles morales [qui] n’organisent pas elles-mêmes la conséquence
juridique qui découle de leur violation »963 et dont la seule utilité est
de rendre « opératoires et adéquats des concepts de droit interne »964.
Mais il ne suffit pas que l’ordre public applicable se situe dans
l’ordre juridique international. Il faut qu’il s’enracine dans une
960 Voir par exemple les affaires Azurix c. Argentine, op. cit., note 115, ou EDF (service)
Limited c. Roumanie, op. cit, note 411. On peut citer néanmoins une affaire
récente portée devant le CIRDI sur le fondement d’un contrat d’investissement
dans laquelle l’allégation de corruption a été retenue par le tribunal : World Duty
Free Company Limited c. Kenya, (ARB/00/7), sentence CIRDI du 4 octobre 2006.
961 D’après une liste de contrats reconnus comme contrevenant à l’ordre public
transnational par les arbitres du contentieux du commerce international établie
par A. COURT DE FONTMICHEL, op. cit., note 958, pp. 103-130.
962 L’ordre public transnational dans l’arbitrage commercial est souvent distingué
de l’ordre public international étatique de droit international privé. Ce dernier
est constitué des règles d’ordre public d’un État ayant vocation à régir toutes les
situations ayant un lien suffisant avec son ordre juridique interne. Aucune des
deux notions ne sera examinée ici.
963 A. COURT DE FONTMICHEL, op. cit., note 959, p. 129.
964 Ibidem, p. 139.
333
banche particulière du droit international qui pourra lui donner de
la substance et un minimum de cohésion. Cette branche sera logi
quement celle où se situe la problématique de l’expropriation indi
recte, à savoir le droit international des investissements. Il importe
en effet que l’ordre public international applicable soit adapté aux
besoins et aux réalités des opérations d’investissements. Aussi bien
les investisseurs étrangers que les États d’accueil ont pour intérêt
commun de créer un cadre favorable à des relations mutuellement
fructueuses. En ce sens, l’ordre public international des investisse
ments ne peut se résumer à embrasser simplement toutes les règles
reconnues comme impératives par le droit international.
334
le sait, les sentences arbitrales CIRDI sont exécutoires dans les pays
membres de la Convention et ne peuvent faire l’objet d’une annula
tion que par un autre tribunal arbitral CIRDI.
En ce qui concerne la résolution du litige lui-même, les arbitres
ont parfois recouru à l’ordre public international pour déterminer le
droit applicable lorsque l’interaction entre le droit interne et le droit
international n’était pas encore clairement établie par les tribunaux,
et lorsque l’interprétation de l’article 42 (1) de la convention CIRDI
faisait encore l’objet de controverses967. Le rôle de l’ordre public
international était alors de permettre l’éviction de règles nationales
applicables qui lui seraient contraires. Par conséquent, le contenu
de cet ordre public international se confondait pratiquement avec
les obligations incluses aujourd’hui dans les TBI : standard minimal
de traitement des étrangers ; traitement national ; indemnisation en
cas d’expropriation, pour ne citer que ces exemples968. L’ordre public
international intervenait alors pour assurer la protection des intérêts
de l’investisseur et non pas celui de l’État d’accueil.
L’avènement d’un revirement en faveur des intérêts de l’État hôte,
ou plutôt du dédoublement du rôle de l’ordre public international
en matière d’investissement est désormais nécessaire. Il ne fait que
répondre à l’évolution du rôle joué par les États d’accueil d’inves
tissements dans les relations économiques internationales. D’une
souveraineté étatique exacerbée au lendemain de l’accession des
territoires colonisés à l’indépendance, on est passé à un assouplis
sement plus ou moins consenti du contrôle étatique sur les investis
seurs étrangers.
Il arrive aussi, comme dans l’arbitrage commercial, que l’ordre
public international mène à l’invalidation du contrat d’investisse
ment invoqué par les parties au litige et les droits qui en découlaient.
Tel fut le cas dans l’affaire World Duty Free c. Kenya. Le contrat d’in
vestissement pour la construction et l’exploitation de commerces
dans la zone franche d’un aéroport national avait été conclu grâce
à la corruption des plus hautes autorités de l’État. La remise d’une
somme de 2 millions de dollars américains en espèces au précédent
président de la République n’était d’ailleurs pas contestée devant le
967 L’article 42 (1) est rédigé comme suit : « Le Tribunal statue sur le différend
conformément aux règles de droit adoptées par les parties. Faute d’accord entre
les parties, le Tribunal applique le droit de l’État contractant partie au différend
– y compris les règles relatives au conflit de lois – ainsi que les principes de droit
international en la matière ». La question était essentiellement de savoir si le droit
applicable en cas de silence des parties était le droit interne de l’État hôte ou
le droit international, ou le premier complété par le second en cas de lacune
ou de contrariété. Sur ces discussions, voir Ch. H. SCHREUER et al., The ICSID
Convention, A Commentary, Cambridge University Presse, 2009, 2e éd., pp. 545-639.
968 Avec la multiplication des TBI, le recours à l’ordre public international assurant
un minimum de protection à la propriété privée face à l’arbitraire et la toute-
puissance de l’État a perdu largement de son intérêt pratique.
335
tribunal, même si les parties divergeaient sur la qualification juri
dique de ce geste969. Ayant qualifié ce don d’acte de corruption au
regard des preuves présentées devant lui, le tribunal a invalidé le
contrat contrevenant à l’ordre public international. Cet ordre public
a été défini par le tribunal comme un « international consensus as to
universal standards and accepted norms of conduct that must be applied
in all fora »970. Mais l’ordre public international n’a pas été appliqué
dans le processus de qualification d’un comportement étatique en
violation d’une clause contractuelle. C’est l’admissibilité en amont
de la requête qui était concernée. En effet, le tribunal a conclu que :
« claimant is not legally entitled to maintain any of its pleaded claims in
these proceedings as a matter of “ordre public international” and public policy
under the contract’s applicable law »971. La perspective du tribunal dans
cette affaire ne correspondait donc pas à celle présentée ici.
En dehors de ces questions, l’ordre public international n’est pas
directement utilisé au fond du litige afin de moduler l’interprétation
d’une obligation conventionnelle, et encore moins celle de l’expro
priation indirecte. La multiplication des mesures d’expropriations
indirectes par mesures horizontales et les enjeux qu’elles posent
devraient faire évoluer cette situation. Afin d’assurer une interac
tion harmonieuse entre le droit international des investissements
et les obligations issues d’autres matières du droit international, les
règles d’ordre public international des investissements doivent pou
voir concilier les différentes obligations étatiques qui intéressent une
même activité d’investissement.
969 Pour le Kenya, il s’agissait d’un acte de corruption et pour l’investisseur d’un
don à l’État kenyan pour le financement de projets de développement.
970 World Duty Free c. Kenya, op. cit., note 960, § 139.
971 Ibidem, § 188. En français et en italique dans le texte.
336
l’eau potable (Biwater c. Tanzanie), la protection de l’environnement
(Metalclad c. Mexique, SD Myers c. Canada, Pope & Talbot c. Canada ;
Tecmed c. Mexique), et la protection de la santé humaine (Methanex
c. États-Unis ; P Morris c. Venezuela ; P. Morris c. Australie (deux affaires
en cours) sont des questions qui sont soulevées par les parties dans
un litige d’investissement devant les tribunaux CIRDI. Il faut noter
que la protection de l’environnement est l’argument le plus fré
quemment soulevé actuellement. Cela n’a rien de surprenant quand
on sait que l’environnement peut avoir une valeur économique et
que son exploitation est source d’importantes richesses. Au-delà de
sa valeur pour la survie de l’espèce humaine, l’environnement est
aussi un objet de convoitise au centre de gros enjeux financiers. Il
est donc normal qu’il soit à la source de tensions importantes entre
des intérêts strictement financiers et des valeurs non marchandes.
Les hypothèses des obligations qui peuvent entrer en contradiction
avec la protection offerte aux investisseurs par la clause d’expropria
tion étant presque illimitées, il n’est pas possible de toutes les recen
ser. Sur ce point, les développements précédents en rapport avec la
licéité systémique de la clause d’expropriation suffisent à dresser des
exemples pertinents. Précisons que le dispositif de l’obligation doit
autoriser, encourager ou prescrire un comportement étatique pou
vant porter préjudice aux intérêts économiques d’un investisseur ;
qu’il s’agisse de règlementer, limiter, interdire ou au contraire impo
ser certains comportements sur le territoire national.
Dans la mesure où l’impérativité d’une obligation internationale
en droit international n’est pas fonction de sa source formelle, cer
taines de ces obligations pourront provenir de conventions inter
nationales. D’autres relèveront simultanément ou exclusivement du
droit international coutumier.
972 La CIJ a fait allusion à l’existence de ce qu’elle a nommé des normes impéra
tives, erga omnes, ou intransgressibles dans plusieurs de ses décisions. Voir par
exemple Affaire relative au Sud-Ouest Africain de 1950 (Rec. p. 332) ; Affaire de la
Barcelona Traction, op. cit., note 83 ; Avis consultatif sur la Namibie de 1971 (§ 126-
131) ; Affaire des Essais Nucléaires français dans le Pacifique de 1974 (Rec. p. 269) ;
Avis consultatif sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires du 8 juillet
1996 (§ 79) ; Avis consultatif dans l’affaire du mur du 9 juillet 2004 (§ 156-157).
337
autant le problème de la précision des contours de cette notion. On
s’accorde à reconnaître qu’il s’agit de règles impératives auxquelles
les sujets du droit international ne peuvent pas déroger. Les règles
impératives sont définies, conformément à l’article 53 de la Conven
tion de Vienne comme des normes « acceptées et reconnues par la
communauté internationale des États dans son ensemble ». Mais la
détermination des règles de jus cogens demeure une question diffi
cile en raison de plusieurs paramètres inhérents à la définition de la
notion elle-même973. Toutefois, un noyau de règles fait l’objet d’un
consensus quant à leur indérogeabilité dans la jurisprudence des ins
titutions internationales de règlement des différends : actes d’agres
sions, génocide, atteintes aux droits fondamentaux de la personne
telles que l’esclavage, la torture, ou la discrimination raciale, une
partie des règles du droit humanitaire, et le droit à l’autodétermi
nation.
L’application de la clause d’expropriation indirecte peut soulever
parfois la question de sa licéité systémique. Et parce que la clause
d’expropriation indirecte doit pouvoir s’insérer harmonieusement
dans l’ordre juridique international, elle ne saurait protéger une
activité d’investissement elle-même contraire aux règles impératives
de cet ordre juridique. L’obligation relevant de l’ordre public des
investissements doit donc être au préalable impérative en droit inter
national. Comme le remarquait P. Sands, « in the context of globaliza-
tion in the early part of the twenty-first century, we are required to ask whether
international law is a set of self-contained regimes or a more holistic and
complete system that accommodates different social values and melds them
into an integrated whole »974. Seule une conception holistique du droit
international permet d’en assurer la cohérence. Cett cohérence est
une condition fondamentale si l’on souhaite trouver « clear guidelines
on the question of which classes or categories of regulatory purposes are accep-
ted by both developed and developing states as requiring property owners to
bear the resulting economic costs »975.
Mais il ne suffit pas que l’obligation soit impérative en droit inter
national, il faut qu’elle bénéficie d’une reconnaissance, au moins
implicite, dans les traités de protection des investissements.
Il a fallu attendre 2006 pour que la Cour emboîte le pas d’autres juridictions
internationales et régionales, et fasse expressément référence au terme de « jus
cogens » dans l’affaire des activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête)
RDC c. Rwanda du 3 février 2006 (§ 64).
973 Sur ces questions, voir P.-M. DUPUY, « L’unité de l’ordre public international »,
RCADI, vol. 27, 2002, pp. 269-313.
974 P. SANDS, « Searching for Balance : Concluding Remarks », NYU Environmental
Law Journal, 2003, Vol. 11, p. 202.
975 A. S. WEINER, op. cit., note 576, p. 175.
338
Une norme mentionnée dans les traités de protection des investissements
La reconnaissance ou la référence, même indirecte, à des obliga
tions internationales impératives dans les TBI permet de conférer
un rôle plus large à l’ordre public international des investissements.
Cette reconnaissance permet de légitimer l’immixtion de l’ordre
public international des investissements directement dans le proces
sus de qualification de l’expropriation indirecte lorsqu’une mesure
horizontale est en cause. Elle confère toute sa légitimité à la prise
en compte d’autres considérations aux côtés des seuls intérêts éco
nomiques des investisseurs. Comme le souligne M. Sornarajah, « the
increasing recognition of such regulatory right will undermine the aim of
investment protection and require the recognition that a state has the right to
intervene in an investment that poses a danger to the environment or involves
an abuse of human rights »976.
On a souvent reproché aux traités de protection des investisse
ments d’être uniquement focalisés sur les intérêts économiques des
investisseurs, à l’exclusion des intérêts de la communauté internatio
nale ou même de l’État hôte. Il est vrai que dans ces traités, les inves
tisseurs n’y ont que des droits et aucune obligation. Mais une petite
évolution s’effectue par le biais des préambules plus élaborés des TBI
et ALE récents et l’exclusion de certains types de règlementations
étatiques de la définition de l’expropriation indirecte. Trois groupes
d’obligations peuvent déjà être identifiés car ils sont insérés dans cer
tains traités récents qui tentent de les concilier avec la protection de
l’investissement privé étranger : la protection de la vie et de la santé
humaines, le respect des droits fondamentaux des travailleurs, et la
protection de l’environnement. Ces trois intérêts protégés reconnus
dans les préambules des TBI ou dans les clauses d’exceptions ren
voient finalement aux droits fondamentaux des droits de l’Homme.
Cela tient sans doute, comme le dit P.-M. Dupuy, à « la propagation
de la logique des droits de l’homme dans l’ensemble du corps nor
matif du droit international »977.
Il faut rappeler que le contenu de ces préambules et la rédaction
de ces clauses ne permettent pas de les utiliser efficacement pour
contrer directement la doctrine du seul effet. Il ne s’agit pas de dis
positions contraignantes pouvant faire l’objet de sanctions. Et c’est
en raison de cette difficulté que la recherche des arguments pour
exporter le critère de l’intérêt public des conditions de licéité vers les
critères de qualification s’est révélée vaine.
Toutefois, même rédigées sous forme de recommandations, les
valeurs protégées qui sont mentionnées dans les préambules ou dans
les clauses des traités de protection des investissements reflètent des
obligations internationales qui, si elles sont reconnues comme impé
ratives, doivent s’imposer aux activités d’investissements. Une fois
339
que l’on se situe au sein du critère de l’effet redéployé, ces obligations
impératives sont appelées à jouer un rôle novateur important. En
d’autres termes, ces préambules et ces clauses serviront à guider la
recherche des règles internationales impératives reconnues comme
applicables dans le contentieux international des investissements. À
ce propos, certains traités récents précisent les sources convention
nelles où il faut aller chercher les obligations pertinentes. À l’image
de l’article 5 des récents TBI belges, quelques textes précisent que
les droits fondamentaux des travailleurs ne pouvant pas être com
promis en faveur de la protection accordée aux investissements, sont
ceux prévus dans la déclaration de l’Organisation Internationale
du Travail sur les droits fondamentaux des travailleurs. S’agissant
de l’ALENA, la protection de l’environnement est mise en relation
avec quatre accords environnementaux dont la convention de Bâle,
même si certaines conditions encadrent l’intervention de ces accords
dans le contentieux978.
On notera également qu’une simple référence à un traité ou
une norme particulière dans un traité d’investissement ne signi
fie pas ipso facto que les obligations qui en ressortent sont d’ordre
public. Comme on le sait, si toute norme juridique est obligatoire,
elle n’est pas nécessairement impérative au sens de la non-dérogea-
bilité. Il faut donc que la norme internationale appelée à interagir
avec la protection de l’investissement privé international et invoquée
par les TBI et ALE soit reconnue dans le même temps comme une
norme impérative de droit international.
En définitive, l’esquisse des obligations impératives de protec
tion des droits humains effectuée dans cette section n’épuise pas
le contenu de l’ordre public international des investissements appli
cable lors du processus de qualification d’une expropriation indi
recte. Il ne peut en aller autrement, car la notion d’ordre public
international renvoie à un « contenant » et non à un « contenu »
précis. Il appartient aux tribunaux arbitraux qui seront amenés à se
pencher sur cette question de définir au fur et à mesure, sur la base
des critères proposés, la physionomie de l’ordre public spécifique
au droit international des investissements et directement applicable
au sein du processus de qualification d’une expropriation indirecte.
En somme, reconnaître la nécessité d’évaluer la licéité de l’activité
d’investissement ayant subi un préjudice substantiel par le biais d’une
mesure horizontale étatique, permet de réconcilier le besoin de pro
téger l’investissement privé étranger tout en s’assurant du respect
de certains intérêts fondamentaux de la communauté internationale
dans un système juridique qui se veut cohérent. N’est-ce pas normal
de pouvoir demander à l’investisseur étranger, qui est avant tout un
opérateur économique implanté sur un territoire national donné,
978 Les deux États concernés par le litige, État hôte et État de nationalité de l’inves
tissement, doivent avoir ratifié ces traités.
340
de veiller à ce que ses activités ne soient pas contraires aux valeurs
les plus fondamentales et universelles de nos sociétés humaines ?
En quelque sorte, il ne s’agit là que d’un échange de bons procédés
entre l’État qui assure la protection de l’investissement et l’investis
sement qui contribue au développement économique de l’État hôte.
* * *
341
Au terme de cette seconde partie, il faut concéder que plusieurs
de nos propositions relèvent pour une grande part de la prospec
tion ; prospection rendue nécessaire par la complexité et la difficulté
du sujet. L’évaluation de la licéité de l’activité d’investissement peut
cependant passer du statut de lege feranda à celui de lege lata, sans que
les tribunaux aient besoin de faire preuve d’une extrême audace.
Certes, l’approche est novatrice mais elle repose sur des notions qui
disposent déjà d’une solide assise dans les droits internes et dans cer
taines branches du droit international. C’est le cas des attributs de la
propriété ou la notion de l’ordre public. En pratique, ni les réalités
économiques des investissements internationaux, ni la théorie géné
rale du droit international des investissements ne font sérieusement
obstacle à l’insertion de ces paramètres dans l’évaluation de l’effet
préjudiciable de la mesure par les tribunaux.
Il a été démontré que l’État hôte d’investissement ne se dépouille
pas complètement de son pouvoir normatif du simple fait qu’il s’est
engagé à protéger des investisseurs ressortissants d’un autre État
dans un traité de protection des investissements. Non seulement il
ne peut renoncer à règlementer directement les activités d’investis
sement, mais surtout il ne saurait abandonner son pouvoir normatif
général sur les activités économiques se déroulant dans les limites
de son territoire. Si l’on doit convenir que les TBI et ALE imposent
une ligne de conduite aux États signataires envers les investisseurs
étrangers qu’ils reçoivent, on conçoit beaucoup plus difficilement
que ces traités puissent contraindre l’État à abandonner l’idée de
modifier et adapter ses lois et règlements pouvant concerner de près
ou de loin les activités économiques d’un investisseur. Dans le même
ordre d’idée, le fait que l’État soit autorisé par le droit international,
moyennant indemnisation, à porter préjudice, même incidemment,
à un investissement privé étranger ne doit pas masquer la réalité
de ses capacités financières. Aucun pays ne peut assumer le fait de
devoir payer toutes les fois qu’il légifère au détriment de certaines
personnes privées. De surcroît, comment justifier qu’un État doive
payer pour un comportement qui lui est recommandé, sinon pres
crit, par d’autres normes internationales ?
Puisque l’attraction directe des conditions de licéité d’une expro
priation vers les éléments constitutifs de cette dernière n’est pas
défendable, ni en théorie, ni en pratique, il ne reste alors qu’à
contourner l’obstacle, au lieu de vouloir le franchir en ligne droite.
Le critère de l’effet redéployé est l’une des voies de contournement
possible, car il respecte à la fois les principes fondamentaux de pro
tection résultant du droit de l’expropriation, tout en ménageant de
manière raisonnable un espace règlementaire non indemnisable à
l’État d’accueil.
342
Conclusion
343
cadre légal posé par la clause d’expropriation dans les traités de pro
tection des investissements. Une fois que cette réalité est comprise, il
devient possible de trouver une solution idoine.
Concrètement, lorsqu’une mesure verticale est en cause, l’applica
tion plus rigoureuse de la doctrine du seul effet suffit globalement à
écarter les mesures non expropriantes de l’État.
Lorsqu’il s’agit d’une mesure horizontale, expression du fonction
nement normal des services publics, le critère de l’effet redéployé est
alors préférable. Ce critère signifie qu’une mesure horizontale étatique ne
peut équivaloir à une expropriation directe que si un préjudice total et sérieux
a été porté à la viabilité productive d’une activité licite d’investissement. L’ap
plication du critère de l’effet redéployé implique que ne peuvent pas
être accueillis au sein du processus de qualification, ni les préjudices
sur une portion de l’investissement, ni les préjudices aux seuls droits
de jouir des fruits de son investissement ou de l’aliéner, et encore
moins les préjudices causés à des activités contraires aux valeurs car
dinales protégées par le droit international. En d’autres termes, l’éva
luation de la gravité de l’effet préjudiciable de la mesure horizontale
doit se déployer sur l’ensemble des activités constituant l’investisse
ment (étendue du préjudice), sur le cœur patrimonial qui fonde l’in
térêt à détenir l’investissement (profondeur du préjudice), et sur la
conformité de l’activité d’investissement au regard d’un ordre public
international des investissements (licéité de l’activité substantielle
ment lésée). Cet ordre public international des investissements est
constitué par les obligations internationales impératives à la charge
de l’État hôte qui interfèrent avec la protection de l’investissement
étranger, et qui sont reconnues au moins implicitement comme pri
mordiales par les traités de protection des investissements.
Le critère de l’effet redéployé offre une solution de rechange
admissible à la doctrine du seul effet, car il n’impose pas de procé
der à une attraction directe des critères de licéité dans les éléments
constitutifs de l’expropriation indirecte, en violation de l’esprit et
la lettre des clauses conventionnelles. Il introduit d’abord une plus
grande rigueur dans l’application d’un paramètre déjà acquis dans
la jurisprudence qu’est le caractère substantiel du préjudice à travers
le double examen de son étendue et de sa profondeur. Il intègre
ensuite une flexibilité, rendue nécessaire par certaines réalités et
certains impératifs économiques, permettant de regarder au-delà
du strict droit d’user de son investissement pour englober la viabilité
productive de ce dernier. Enfin, il permet d’aménager un espace
raisonnable de réglementation à l’État en faveur de l’intérêt général,
lorsque la valeur protégée au détriment de l’investissement relève
d’une obligation impérative du droit international. Il s’agit donc
d’un critère de qualification à multiples facettes mêlant des éléments
classiques et novateurs afin de prendre en compte les intérêts de l’in
vestisseur et ceux de l’État d’accueil dont l’antagonisme se cristallise
avec l’édiction d’une mesure horizontale. Par conséquent, le critère
344
de l’effet redéployé n’est finalement qu’une version de celui de l’effet
préjudiciable classique.
Il est donc possible de prendre appui sur ce qui est déjà acquis,
sans avoir recours à de nouveaux concepts. Les notions juridiques
sont certes amenées à évoluer avec la réalité, mais il vaut mieux les
adapter que d’en inventer de nouvelles. L’expropriation indirecte,
catégorie fonctionnelle et catégorie-reflet d’une autre notion juri
dique, à savoir l’expropriation directe, se prête parfaitement à un tel
exercice.
Toutefois, il appartient aux États signataires des traités de protec
tion des investissements qui souhaitent tirer leçons des arbitrages
investisseurs-États des deux dernières décennies, de fixer par la voie
conventionnelle, des limites plus précises aux expropriations indi
rectes survenant par le biais d’une règlementation d’ordre géné
ral. Qu’ils optent de définir l’expropriation indirecte ou de créer
des exceptions, les nouvelles clauses devront être plus explicites et
efficaces qu’elles ne le sont dans les récents TBI et ALE. En effet,
tant que certaines qualités conférées à la mesure horizontale par le
droit interne de l’État d’accueil, en fonction par exemple de l’inté
rêt public particulier qu’elle vise, ne seront pas reçues directement
dans les traités de protection des investissements, l’exclusion pure
et simple de certaines règlementations générales, notamment celles
dites de police, ne sera pas défendable devant les tribunaux arbi
traux. L’idéal serait que les traités, dans leur ensemble, soient rené
gociés pour clarifier les contours de l’expropriation indirecte. Mais
cette solution est aujourd’hui peu probable, car la possibilité d’un
accord multilatéral semble s’être évanouie, du moins dans un avenir
proche. En attendant donc l’émergence souhaitable d’une nouvelle
génération de clauses conventionnelles, le critère de l’effet redéployé
constitue une option viable d’encadrement des mesures horizontales
éligibles au statut d’expropriation indirecte.
Il serait illusoire de rechercher une solution miracle qui résoudrait
tous les enjeux posés par les mesures horizontales d’expropriation
indirecte. Telle n’était d’ailleurs pas la prétention de cet ouvrage.
Son apport premier a été de proposer une nouvelle grille de lec
ture du phénomène de l’expropriation indirecte à travers la caté
gorisation entre la mesure verticale et la mesure horizontale. Cette
distinction binaire constitue véritablement la clé pour délimiter
les contours de l’expropriation indirecte en droit international des
investissements. Elle pourra donc constituer le point de départ pour
des recherches ultérieures pouvant aller ou pas dans le même sens
que nos propositions finales. Si cette relecture a conduit ici à « redé
ployer » un critère classique de qualification, d’autres conséquences
pourraient en être tirées. En définitive, il revient aux tribunaux arbi
traux, aux conseils des parties et aux spécialistes de la matière de se
saisir de cette grille d’analyse afin de la rendre opérationnelle dans
les litiges portant sur l’investissement étranger.
345
Annexes
Article 6
(Traduction de l’auteure)
Expropriation
6.1. Un État Partie ne peut, directement ou indirectement, nationa
liser ou exproprier les investissements sur son territoire, si ce
n’est :
(a) dans l’intérêt public ;
(b) en conformité avec l’application régulière de la loi ;
(c) moyennant le versement d’une indemnisation juste et adé
quate dans un délai de temps raisonnable.
6.2. Option 1 : L’évaluation de l’indemnisation juste et adéquate
doit être fondée sur un juste équilibre entre l’intérêt public et
l’intérêt des personnes lésées, en tenant compte de toutes les
circonstances pertinentes et en tenant compte de l’utilisation
actuelle et passée de la propriété, de l’histoire de son acquisi
tion, de la juste valeur marchande de la propriété, du but de
l’expropriation, de l’étendue des profits antérieurs réalisés par
l’investisseur étranger grâce à l’investissement, et la durée de
l’investissement.
6.2. Option 2 : L’indemnisation juste et adéquate doit normalement
être évaluée par rapport à la juste valeur marchande de l’inves
tissement exproprié immédiatement avant que l’expropriation
n’ait lieu (« date d’expropriation ») et ne tiendra compte d’aucun
changement de valeur résultant du fait que l’expropriation envi
sagée était déjà connue. Toutefois, le cas échéant, l’évaluation
d’une indemnisation équitable et adéquate devra être fondée
sur un juste équilibre entre l’intérêt public et l’intérêt des per
sonnes lésées, en tenant compte de toutes les circonstances per
tinentes et en tenant compte de l’utilisation actuelle et passée
de la propriété, de l’histoire de son acquisition, de la juste valeur
marchande de l’investissement, du but de l’expropriation, de
l’étendue des profits antérieurs réalisés par l’investisseur étran
ger grâce à l’investissement, et la durée de l’investissement.
347
6.2. Option 3 : L’indemnisation juste et adéquate devra être évaluée
par rapport à la juste valeur marchande valeur de l’investisse
ment exproprié immédiatement avant que l’expropriation n’ait
lieu (« date d’expropriation ») et ne tiendra compte d’aucun
changement de valeur résultant du fait que l’expropriation envi
sagée était déjà connue.
6.3. Tout paiement doit être effectué dans une monnaie librement
convertible. Le paiement doit inclure un intérêt simple [taux
LIBOR] [taux commerciale actuelle de l’État hôte] à partir de
la date d’expropriation jusqu’à la date du paiement effectif. Au
moment du paiement, l’indemnité sera librement transférable.
6.4. Les sentences qui constituent un fardeau significatif sur un État
hôte peuvent être payées annuellement sur une période de trois
ans ou toute autre période convenue par les parties à l’arbitrage,
sous réserve de l’intérêt au taux fixé par accord entre les parties
à l’arbitrage ou à défaut d’un tel accord, par un tribunal.
6.5. Le présent article ne s’applique pas à la concession de licences
obligatoires portant sur des droits de propriété intellectuelle,
ou à la révocation, la limitation ou la création de droits de pro
priété intellectuelle, pour autant qu’une telle concession, révo
cation, limitation ou création soit conforme aux accords inter
nationaux applicables en matière de propriété intellectuelle.
6.6. Une mesure [non discriminatoire] d’application générale ne
sera pas considérée comme une expropriation d’un titre de
créance ou d’un prêt couvert par le présent Accord au seul motif
que la mesure impose au débiteur des coûts qui le forcent à faire
défaut au remboursement de la dette.
6.7. Une mesure [non discriminatoire] d’un État Partie qui est
conçue et appliquée pour protéger ou renforcer les objectifs
légitimes de bien-être public, comme la santé publique, la sécu
rité et l’environnement, ne constitue pas une expropriation
indirecte en vertu du présent Accord.
6.8. L’investisseur concerné par l’expropriation a le droit, conformé
ment au droit de la Partie qui procède à l’expropriation, à une
révision de son dossier par une autorité judiciaire ou autre auto
rité indépendante de l’État Partie, ainsi qu’à une évaluation de
son investissement conformément aux principes énoncés dans
le présent article.
348
Accord global d’investissement de l’Association des Nations
de l’Asie du Sud Est/ASEAN Comprehensive Investment
Agreement, 2009
Article 14
(Traduction de l’auteure. Les notes proviennent de l’Accord)
349
5. Le présent article ne s’applique pas à la concession de licences
obligatoires accordées relativement aux droits de propriété
intellectuelle, conformément à l’Accord sur les ADPIC.
Annexe 2
(Traduction de l’auteure)
Expropriation et indemnisation
1. Une action ou une série d’actions liée à un membre Etat ne peut
pas constituer une expropriation à moins qu’elle interfère avec
un droit de propriété corporelle ou incorporelle ou un intérêt
dans un investissement couvert.
2. L’article 14 (1) traite de deux situations :
(a) la première situation est celle où un investissement est natio
nalisé ou autrement exproprié directement par le transfert for
mel de titre ou la confiscation pure et simple ; et
(b) la deuxième situation est celle où une action ou une série
des actions liées à un État membre a un effet équivalent à l’ex
propriation directe sans transfert formel de titre ou confisca
tion pure et simple.
3. La question de savoir si une action ou une série d’actions d’un
État membre, dans une situation déterminée, constitue une
expropriation du type visé à l’alinéa 2 (b), nécessite une analyse
au cas par cas, une enquête sur les faits qui prend en compte,
entre autres facteurs :
(a) les effets économiques de l’action gouvernementale, encore que
le fait que l’action ou la série d’actions d’un État Partie ait un
effet défavorable sur la valeur économique d’un investissement
ne suffise pas à lui seul à établir qu’il y a eu expropriation ;
(b) si l’action gouvernementale porte atteinte aux engagements
écrits contraignants préalables du gouvernement envers l’inves
tisseur soit par contrat, licence ou tout autre document légal ; et
(c) le caractère de l’action gouvernementale, y compris son but et si
l’action est disproportionnée par rapport au but d’intérêt public
visé à l’article 14 (1).
4. Les mesures non discriminatoires d’un État membre qui sont
conçues et appliquées pour protéger des objectifs légitimes de
bien-être public, tels que la santé publique, la sécurité et l’envi
ronnement, ne constituent pas une expropriation du type visé à
l’alinéa 2b)
350
Accord d’investissement pour le Marché Commun du COMESA/
Investment Agreement for The Common Market for Eastern and
Southern Africa (COMESA) Common Investment Area, 2007
Article 20
(Traduction de l’auteure)
Expropriation
1. Les États membres ne peuvent nationaliser ou exproprier
des investissements sur leur territoire, ou adopter toute autre
mesure équivalant à l’expropriation des investissements, si ce
n’est :
(a) dans l’intérêt public ;
(b) sur une base non discriminatoire ;
(c) en conformité avec l’application régulière de la loi ; et
(d) moyennant le versement d’une indemnité prompte et adé
quate.
2. La compensation appropriée doit normalement être équiva
lente à la juste valeur marchande de l’investissement expro
prié immédiatement avant que l’expropriation n’ait lieu (« date
d’expropriation »), et ne tiendra compte d’aucun changement
de valeur résultant du fait que l’expropriation envisagée était
déjà connue. L’indemnisation peut être ajustée pour refléter
le comportement aggravant par un investisseur du COMESA
ou lorsqu’un tel comportement ne cherche pas à minimiser les
dommages.
3. Si le paiement est effectué dans une devise de l’État hôte ou
l’État d’origine, l’indemnité comprendra des intérêts à un taux
commercial raisonnable pour cette devise à la date d’expropria
tion jusqu’à la date du paiement effectif.
4. Si un État membre choisit de payer dans une monnaie autre
que la monnaie d’un État hôte ou d’origine, le montant payé à
la date du paiement, s’il est converti dans la monnaie d’un État
hôte ou d’origine au taux de change du marché en vigueur à
cette date, ne doit pas être inférieure au montant de l’indem
nité qui serait due à la date de l’expropriation si elle avait été
convertie dans la monnaie d’un État d’accueil ou d’origine au
taux de change du marché en vigueur à cette date, ainsi que
les intérêts courus à un taux commercial raisonnable au regard
de la monnaie de cet État hôte ou d’origine à partir de la date
d’expropriation jusqu’à la date du paiement.
5. Au moment du paiement, l’indemnité sera librement transfé
rable. Les sentences qui constituent un fardeau significatif sur
un État hôte peuvent être payées annuellement sur une période
de trois ans ou toute autre période convenue par les parties,
351
sous réserve de l’intérêt au taux fixé par accord entre les parties
à l’arbitrage ou à défaut d’un tel accord, par un tribunal.
6. Le présent article ne s’applique pas à la concession de licences
obligatoires portant sur des droits de propriété intellectuelle,
ou à la révocation, la limitation ou la création de droits de pro
priété intellectuelle, pour autant qu’une telle concession, révo
cation, limitation ou création soit conforme aux accords inter
nationaux applicables en matière de propriété intellectuelle.
7. Une mesure d’application générale ne sera pas considérée
comme une expropriation d’un titre de créance ou d’un prêt
couvert par le présent Accord au seul motif que la mesure
impose au débiteur des coûts qui le forcent à faire défaut au
remboursement de la dette.
8. « Conformément au droit des États de réglementer et les prin
cipes du droit international coutumier sur les pouvoirs de
police, les mesures réglementaires prises de bonne foi par un
État membre qui sont conçues et appliquées pour protéger ou
améliorer les objectifs légitimes de bien-être public, tels que la
santé publique, la sécurité et l’environnement, ne constituent
pas une expropriation indirecte en vertu du présent article ».
9. L’investisseur concerné par l’expropriation a le droit, confor
mément au droit de la Partie qui procède à l’expropriation, à
une révision de son dossier par une autorité judiciaire ou autre
autorité indépendante de l’État Partie, ainsi qu’à une évalua
tion de son investissement conformément aux principes énon
cés aux paragraphes (1) à (8) du présent article. L’État membre
qui procède à l’expropriation doit s’assurer qu’un tel examen est
effectué promptement.
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367
Index thématique
A B
Accords de Libre-échange, 53 Bien
Accord Multilatéral sur Définition, 284
l’Investissement, 41, 51 Rapport Bien, propriété et
Acte investissement, 284-286
Extériorisé, 124-129, 135, 187 But de la mesure, 35-38
Positif, 124-125 But d’intérêt public, 37
Négatif, 124-129 But initial de la mesure, 36
De Gestion (v. Distinction) But légitime (v. aussi mesure de
De souveraineté/Puissance publique police) 79-80
(v. Distinction)
Aliéner (droit d’), 162, 285, 313 C
Application au cas par cas, 272-275 Caractère de la mesure, 58-59
Approches Caractère irréversible (v. préjudice
Postqualification irréversible)
Contenu, 244-249 Catégorie-reflet (définition), 21-22
Limites, 249-251 Catégorisation binaire (v. distinction
Intraqualification, 251-265 mesure verticale et horizontale)
Extraqualification Clause conventionnelle
Contenu, 265-269 d’expropriation
Limites, 269-272 Formule type, 52-55
Appropriation par l’Etat (critère de) Exemples, 48-52
Contenu, 252-255 Clause parapluie/de respect des
Limites, 255-256 engagements
Rejet par les tribunaux, 138-139 Enjeux, 117-119
Appropriation – Notion (Voir Taking) Rapport avec l’expropriation
Annexes explicatives dans les traités indirecte, 119-120
de protection des investissements Clarifications conventionnelles
Contenu, 81-82 Contexte, 69-77
Portée, 85-86 Portée, 82-86
Arbitres (fonction), 148-150 Substance, 77-82
Attentes légitimes/raisonnables Clause de stabilisation, 301-302
Définition dans le cadre du Contrat BOT, 286, 287
traitement juste et équitable, Contrat d’investissement, 112-115
296-299 Critères de licéité de l’expropriation
Critères de rationalisation, 300-305 indirecte, 2-3, 55-58, 83, 249-251
Patrimonialisation dans le cadre Critère de définition de
de l’expropriation indirecte, l’expropriation indirecte, 20-21
299-300 Critère de l’effet redéployé
Inapplicabilité dans le cadre de (Méthodologie), 275-279
l’expropriation indirecte, 305-
309 D
Atteinte partiel (v. Préjudice partiel) Damnun emergens, 246-247
Attraction de l’investissement étranger Distinction
Facteurs d’attraction, 73 Acte négatif et acte positif, 124-125
Relativisation du rôle des TBI, 73-75 Acte négatif et omissions, 124-127
Attributs de la propriété (v. propriété) Acte de gestion et acte de puissance
publique, 114-116
But initial, intérêt public et
motivation de la mesure, 36-38
369
Critères de licéité et critères de G
qualification/définition, 55-58 Globalité du préjudice (v. Préjudice
Mesure de police et expropriation global)
indirecte, 179-181 Gravité du préjudice (v. Préjudice
Mesure verticale et mesure grave)
horizontale, 24-45 Gains escomptés (v. Damnum emergens)
Dépossession, 88-89
Développement durable, 71-73, 321 H
Doctrine du seul effet (v. effet Horizontale (v. mesure horizontale)
préjudiciable)
Droit de règlementer I
Réaffirmation, 77-79 Imputabilité, 129-134
Portée, 82-84 Indemnisation
Droit souverain d’exproprier, 2, 16, Réduite, 244-249
218-227 Distinction expropriation licite et
illicite, 33-34
E Indication implicite dans les TBI,
Effet préjudiciable 55-60
Doctrine, 140-152 Intention d’exproprier
Contenu, 152-159 Définition, 36, 93-95
Effet redéployé (v. Critère de l’Effet Enjeux, 142-143
redéployé) Rejet par les tribunaux, 143-145
Equivalence (rapport d’), 136-138 Admission marginale, 145-148
Exception des mesures de police (v. Investissement (Définition), 280-283
mesure de police) Intérêt public
Exclusivité de l’effet préjudice, 152-158 But d’intérêt public (v. But d’intérêt
Exclusion de certaines public)
règlementations, 79-81 Critère de licéité (v. critère de
Expropriation lato sensu (Absence de licéité)
définition), 20 Enjeux, 148-149
Expropriation directe Rapport avec mesure de police,
Définition, 1-2 173-176
Référent, 20-21 Rejet comme critère de
Régime juridique, 2-3 qualification, 150-152
Expropriation indirecte
Définition coutumière, 60-65 J
Filiation juridique (v. Filiation Jurisprudence (incohérence), 107
juridique) Jouir (droit de), 310-311
Catégorie fonctionnelle, 23-24
Expropriation indirecte (terminologie) L
Termes partiels, 87-92 Légitimité (v. Intérêt public)
Termes partiaux, 92-94 Licéité (v. critères de licéité)
Confusions mineures, 97-99 Lucrum Cessans, 247
Confusions majeures, 99-102
M
F Mesure
Facteurs de vérification du préjudice Notion, 109-112
(v. Préjudice) Imputabilité à l’Etat (v.
Fait-candidat (définition), 21-22 imputabilité)
Filiation juridique Mesures de police
Notion, 20-22 Définition, 172-177
Mesures horizontales, 42-44 Nature fonctionnelle, 177-179
Mesures verticales, 33-35 Principe de distinction,
Exclusion, 184-105
Présomption, 185-186
370
Renversement de la présomption, R
198-199 Relativisation de l’attrait de
Mesures équivalant à une l’investissement (v. Attraction de
expropriation l’investissement)
Distinction avec l’expropriation
indirecte, 102-104 S
Analogie avec distinction binaire, Solutions de substitution à la doctrine
104-106 du seul effet (v. Approches)
Mesures verticales
Définition, 24-27 T
Exemples, 27-33 Taking, 90-92
Filiation juridique, 33-35 Termes partiaux (v. expropriation
Mesures horizontales indirecte-terminologie)
Définition, 35-38 Termes partiels (v. expropriation
Exemples, 38-42 indirecte-terminologie)
Filiation juridique, 42-43 Traités de protection des
Mondialisation (impact sur la investissements (typologie), 48-49
conclusion des TBI), 75-77
Motivation (de la mesure), 36 U
User (droit d’), 311-317
N
Nature de la mesure (v. Caractère de la V
mesure) Viabilité productive, 315-317
O
Ordre public interne (Indifférence de
l’), 325-326
Ordre public international (Notion),
331-334
Ordre public international des
investissements
Applicabilité à l’expropriation
indirecte, 334-336
Critères, 336-340
P
Préjudice (facteurs de vérification),
159-164
Préjudice irréversible/permanent,
155-158
Principe de distinction (v. distinction)
Préjudice Global, 291-295
Préjudice partiel
Admission, 158-159
Hypothèses de préjudice partiel,
286-291
Préjudice Substantiel, 152-155
Proportionnalité (principe de)
Contenu, 256-261
Limites, 261-265
Propriété
Attributs, 310-311, 317
Rapport propriété, bien et
investissement, 283-286
371
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Anouck Carsignol, L’Inde et sa diaspora. Influences et intérêts croisés à l’île Maurice et
au Canada, 2011, 328 p.
Bruno Arcidiacono, Cinq types de paix. Une histoire des plans de paix de pacification
perpétuelle (XVII e-XX e siècles), 2011, 486 p.
Anne-Sophie BENTZ, Les réfugiés tibétains en Inde. Nationalisme et exil, 2010, 264 p.
Ousmane DIALLO, Le consentement des parties à l’arbitrage international, 2010, 296 p.
Claire La Hovary, Les droits fondamentaux au travail : Origines, statut et impact en droit
international, 2009, 340 p.
Thierry KELLNER, L’Occident de la Chine : Pékin et la nouvelle Asie centrale (1991-2001),
2008, 622 p.
Construire l’Europe : mélanges en hommage à Pierre du Bois, sous la direction d’André
LIEBICH et Basil GERMOND, 2008, 300 p.
Pierre du BOIS, Histoire de l’Europe monétaire 1945-2005 : Euro qui comme Ulysse…, 2008,
252 p.
Benedikt SCHOENBORN, La mésentente apprivoisée : De Gaulle et les Allemands, 1963-1969,
2007, 432 p. – Prix Duroselle 2007.
Moustapha LÔ DIATTA, Les Unions monétaires en droit international, 2007, 380 p.
Mohammad-Reza DJALILI et Thierry KELLNER, Géopolitique de la nouvelle Asie centrale,
4e édition revue, 2006, 588 p.
Santiago VILLALPANDO, L’émergence de la communauté internationale dans la responsabi-
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D. L. TEHINDRAZANARIVELO, Les sanctions des Nations unies et leurs effets secondaires,
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François VOEFFRAY, L’actio popularis ou la défense de l’intérêt collectif devant les juridictions
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Marianne DUCASSE-ROGIER, A la recherche de la Bosnie-Herzégovine : la mise en œuvre de
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Anne-Marie LA ROSA, Juridictions pénales internationales : la procédure et la preuve, 2003,
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Drazen PETROVIC, L’effet direct des accords internationaux de la Communauté européenne,
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Tradition et modernisation des économies rurales : Asie-Afrique-Amérique latine, mélanges en
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1998, 392 p.
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Bertha SANTOSCOY, La Commission interaméricaine des droits de l’homme et le développement
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Nicolas LEVRAT, Le droit applicable aux accords de coopération transfrontalière entre collectivi-
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Moyen-Orient : migrations, démocratisation, médiations, sous la direction de
Riccardo BOCCO et Mohammad-Reza DJALILI, 1994, 408 p.
L’Europe centrale et ses minorités : vers une solution européenne ?, sous la direction d’André
LIEBICH et André RESZLER, 1993, 208 p.
Fatsah OUGUERGOUZ, La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, 1993, 480 p.
Armand ROTH, La prohibition de l’appropriation et les régimes d’accès aux espaces extra-
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Agnès DORMENVAL, Procédures onusiennes de mise en œuvre des droits de l’homme : limites
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Miklos MOLNAR, La démocratie se lève à l’Est, 2e édition, 1991, 387 p.
Michel VIRALLY, Le droit international en devenir, 1990, 502 p.
Mohammad-Reza DJALILI, Diplomatie islamique : stratégie internationale du khomey-
nisme, 1989, 240 p.
Achevé d’imprimer
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en octobre 2012
sur les Presses de Musumeci S.p.A.
Quart (Vallée d’Aoste) - Italie
L’expropriation indirecte
en droit international des investissements
Prix 28 €
ISBN 978-2-940503-01-8
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