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L’expropriation indirecte en droit international

des investissements

Suzy H. Nikièma

Éditeur : Graduate Institute Publications


Année d'édition : 2012 Édition imprimée
Date de mise en ligne : 14 décembre 2015 ISBN : 9782940503018
Collection : International Nombre de pages : XX-374
ISBN électronique : 9782940549009

http://books.openedition.org

Référence électronique
NIKIÈMA, Suzy H. L’expropriation indirecte en droit international des investissements. Nouvelle édition [en
ligne]. Genève : Graduate Institute Publications, 2012 (généré le 29 juillet 2016). Disponible sur
Internet : <http://books.openedition.org/iheid/875>. ISBN : 9782940549009.

Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée.

© Graduate Institute Publications, 2012


Creative Commons - Attribution-NonCommercial-NoDerivs 3.0 Unported - CC BY-NC-ND 3.0
Suzy H. Nikièma
L’expropriation
indirecte en droit
international
des investissements
Préface de Jean-Michel Jacquet
Avant-propos de Brigitte Stern
L’expropriation indirecte
en droit international des investissements

| I
II |
Suzy H. Nikièma

L’expropriation indirecte
en droit international
des investissements

Presses Universitaires de France

| III
Collection INTERNATIONAL | Droit

Etablissement d’enseignement supérieur et de


re­cherche, l’Institut de hautes études interna­
tionales et du développement offre une analyse
indépendante et rigoureuse des grands enjeux
actuels et émergents du monde contempo­
rain, fondée sur une double approche pluri­
disciplinaire et disciplinaire des relations
internationales.

Dans ce cadre, cette collection présente,


depuis plus de trente ans, des ouvrages en fran­
çais, résultats de la recherche menée dans les
domaines du droit, de l’histoire et de la science
politique.

ª http://graduateinstitute.ch

ISBN 978-2-940503-01-8
Dépôt légal – 1re édition : 2012

© Presses Universitaires de France


6, avenue Reille, 75014 Paris

IV |
À mes parents,
Victor et Henriette

V
Remerciements

Mes remerciements vont d’abord au professeur Jean-Michel Jacquet


qui a été mon directeur de thèse. Qu’il soit infiniment remercié pour
son professionnalisme et sa rigueur scientifique, mais aussi pour sa
disponibilité et sa sincère empathie.
Je tiens ensuite à exprimer toute ma reconnaissance à ceux qui
m’ont enseigné le droit international, en particulier aux professeurs
Brigitte Stern et Laurence Boisson de Chazournes, à Jean-Pierre
Laviec, à Luc Marius Ibriga et à Vincent Zakané. Leurs enseigne­
ments passionnants, leurs conseils avisés et leurs encouragements ont
positivement influencé mon parcours académique et professionnel.
Je ne saurais oublier l’Institut de hautes études internationales et du
développement (IHEID) de Genève qui, m’ayant acceptée comme
étudiante et octroyé une bourse d’études, m’a amenée à l’édition de
ce travail.
Ma très profonde gratitude va enfin à ma famille et à mes amis, dont
les encouragements ont contribué à l’aboutissement de cet ouvrage.
Je pense spécialement à ma mère, Henriette, pour sa tendresse et son
courage exemplaire, et à mon époux, Frédéric, pour son soutien indé­
fectible et sa générosité.

VI
Table des matières

Préface xiii
Avant-propos xvii
Abréviations xix
Introduction1

Chapitre préliminaire – La distinction fondamentale omise


entre deux catégories d’expropriations indirectes 13
Section 1 – L’expropriation indirecte : une clause singulière
de protection internationale de l’investissement étranger14
§ 1 Une clause originale au sein des standards de protection
de l’investissement étranger 15
A. Un droit souverain dans un catalogue d’obligations
étatiques 15
B. Une indemnisation de nature hybride 17
C. L’improbable expropriation indirecte licite 18
§ 2 La particularité au sein de l’expropriation lato sensu20
A. Une filiation juridique spécifique 20
B. Une catégorie fonctionnelle 23
Section 2 – La distinction entre mesures verticales et mesures horizontales 24
§ 1 Les mesures verticales de la première génération 24
A. La mesure verticale : essai de définition 24
B. Les mesures verticales dans le contentieux international
de l’expropriation indirecte 27
C. La filiation étroite avec l’expropriation directe 33
§ 2 Les mesures horizontales de la deuxième génération 35
A. La mesure horizontale : essai de définition 35
B. Les mesures horizontales dans le contentieux
international de l’expropriation indirecte 38
C. La filiation distendue avec l’expropriation directe 42

Titre 1 – Le processus classique de qualification de


l’expropriation indirecte approprié à la mesure verticale 45

Chapitre 1 – Le cadre conventionnel de la clause


d’expropriation indirecte : l’absence assumée de définition47
Section 1 – L’indétermination des critères de qualification
de l’expropriation indirecte47
§ 1 L’énoncé des clauses conventionnelles d’expropriation
indirecte 48
A. Les clauses d’expropriation indirecte 48
B. Trois formules types pour la clause d’expropriation
indirecte 52
§ 2 Les indications implicites de la clause d’expropriation
indirecte 55

VII
A. L’indication commune : l’exclusion des critères de licéité
du processus de qualification 55
B. Quelques indications atypiques 58
§ 3 Une absence de définition conventionnelle sans incidence
sur les mesures verticales 60
A. Une définition coutumière incertaine de
l’expropriation indirecte 60
B. Les mesures verticales d’expropriation indirecte
encadrées par une « coutume internationale » 65
Section 2 – Les tentatives récentes de clarification de l’expropriation
indirecte dans les traités de protection des investissements68
§ 1 Le contexte des clarifications conventionnelles 69
A. L’État « providence » dans le contentieux international
des investissements 69
B. L’émergence du concept de développement durable 71
C. La relativisation de l’effet attractif des traités de
protection des investissements 73
D. La mondialisation de l’économie et les nouveaux
rapports étatiques nord-sud 75
§ 2 La substance des clarifications conventionnelles 77
A. La réaffirmation du droit de règlementer de l’État
d’accueil 77
B. L’exclusion de certains types de règlementations étatiques 79
C. L’intégration d’annexes explicatives 81
§ 3 La faible portée des clarifications conventionnelles 82
A. Une affirmation redondante du droit de règlementer 82
B. Des exclusions peu efficientes 84
C. Des précisions qui n’en sont pas 85
Section 3 – Terminologie et typologie de l’expropriation indirecte :
sortir de l’ambiguïté86
§ 1 La terminologie ambiguë de l’expropriation indirecte 87
A. Les termes partiels 87
B. Les termes partiaux 92
Expropriation déguisée ou sournoise 93
Expropriation rampante ou larvée et expropriation
progressive 94
§ 2 Les confusions entre l’expropriation indirecte et les
faits-candidats 97
A. Les confusions mineures 97
B. Les confusions majeures avec des notions juridiques
voisines 99
§ 3 La typologie adéquate aux mesures d’expropriation
indirecte 102
A. Expropriation indirecte ou mesure équivalente à
une expropriation ? 102
B. L’analogie avec la distinction entre mesures verticales
et horizontales 104

VIII
Chapitre 2 – La relative précision des éléments constitutifs
d’une expropriation indirecte dans la jurisprudence arbitrale :
un héritage des mesures verticales107
Section 1 – Une mesure imputable à l’État…108
§ 1 Les mesures éligibles 108
A. Un large éventail de mesures éligibles 109
B. La spécificité de la mesure contractuelle 112
C. Un enjeu inhérent aux mesures horizontales :
les omissions 121
§ 2  L’imputabilité de la mesure éligible à l’État d’accueil 129
A. Le recours au droit international coutumier de la
responsabilité 129
B. L’application inadaptée d’un moyen d’imputabilité à la
mesure d’expropriation indirecte 134
Section 2 – … équivalente à une expropriation136
§ 1 L’effet de la mesure s’apprécie sur l’investissement 136
A. L’effet de la mesure comme « rapport » de l’équivalence 136
B. Le critère de l’effet préjudiciable sur l’investissement 138
C. Deux conceptions possibles de l’effet préjudiciable
sur l’investissement 140
§ 2 Un processus de qualification focalisé sur le préjudice
de l’investisseur 141
A. La doctrine du seul effet 141
B. L’exigence d’un préjudice « substantiel » : une règle
exclusive, mais flexible 152
Un critère exclusif supposé rigoureux 152
Un critère flexible : l’admission de préjudice partiel 158
§ 3 L’incertitude des facteurs de vérification de la gravité
du préjudice causé à l’investissement 159
A. Les facteurs de vérification issus de la sentence
Pope & Talbot c. Canada 159
B. La transposition inadaptée aux mesures horizontales 162
C. Le paradoxe ou l’efficacité de l’usage de critères
inappropriés 163
Chapitre 3 – Une notion interférente pour la qualification
des mesures horizontales : la mesure « de police »165
Section 1 – La notion de mesure de police166
§ 1 Retour sur la notion de mesure de police en droit interne 166
A. Une notion importée du droit constitutionnel américain 166
B. Le processus de transposition en droit international
des investissements 171
§ 2 Le contenu de la notion de mesure de police en droit
international des investissements 172
A. Les intérêts publics légitimant l’édiction d’une
mesure de police 173
B. Le processus d’édiction de la mesure de police 176
C. La mesure de police : une notion fonctionnelle 177

IX
Section 2 – La teneur de l’interférence avec la définition
de l’expropriation indirecte179
§ 1 Des caractéristiques proches de celles de l’expropriation
indirecte 179
A. Une source identique : la mesure imputable à l’État
d’accueil 179
B. Un même but : l’intérêt public 180
C. Un impact similaire : le préjudice substantiel sur
l’investissement 181
§ 2 Des conséquences juridiques diamétralement opposées :
une non-indemnisation de principe face à une
indemnisation obligatoire 181
Section 3 – Le principe inopérant de distinction entre mesure de police
et mesure d’expropriation indirecte183
§ 1 L’énoncé explicite du principe de distinction 183
A. Affirmation du principe de distinction dans les
instruments relatifs à l’investissement :
de l’exclusion à la présomption 183
B. Affirmation du principe de distinction dans la
jurisprudence et la doctrine : la disparité des approches 187
§ 2 Un principe de distinction inopérant devant les tribunaux 193
A. Un principe de distinction inappliqué par les tribunaux 193
B. Un principe de distinction inapplicable 197
§ 3 Le mérite de l’interférence avec la définition de
l’expropriation indirecte : l’insuffisance de la doctrine
du seul effet pour les mesures horizontales 202

Titre 2 – L’adaptation du processus de qualification


à la mesure horizontale aux fins du maintien effectif
du pouvoir normatif de l’État d’accueil207

Chapitre 1 – La spécificité juridique d’une mesure horizontale


éligible au statut d’expropriation indirecte209
Section 1 – L’identification des mesures horizontales éligibles au statut
d’expropriation indirecte209
§ 1 Une mesure ne visant pas initialement l’investisseur 210
A. Les mesures horizontales par nature 210
B. Les mesures horizontales par assimilation 211
§ 2 Une mesure sans répercussion sur l’intégrité de
l’investissement 215
Section 2 – Réalités et enjeux d’une atteinte au pouvoir normatif
de l’État d’accueil217
§ 1 Le pouvoir normatif en question : entre respect formel et
remise en cause effective 217
A. Le respect formel du pouvoir normatif :
il n’est pas interdit d’exproprier 218

X
§ 2 La licéité systémique de la clause d’expropriation indirecte
en droit international 227
A. L’investisseur étranger n’est pas en situation de
« Robinsonnade » sur le territoire national 227
B. L’État comme vecteur des règles internationales sur
le territoire national 231
Le droit international des investissements :
un sous-système du droit international 231
Chapitre 2 : L’intégration des considérations d’intérêt public
dans les éléments constitutifs de l’expropriation indirecte243
Section 1 – Les solutions proposées en remplacement de la doctrine
du seul effet : impasses et enseignements243
§ 1 Les approches postqualification 244
A. L’indemnisation réduite en fonction du but de la mesure 244
B. Les limites : l’obstacle dirimant de la distinction entre
critères de licéité et éléments constitutifs 249
§ 2 Les approches intraqualification 251
A. La réintroduction du critère de l’appropriation étatique 251
B. Le contrôle de l’équilibre des intérêts en présence par
le principe de proportionnalité 256
§ 3 L’approche extraqualification 265
A. Le recours à l’application d’un régime juridique distinct 266
B. Limites de l’approche : l’arbitre saisi du contentieux de
l’expropriation indirecte 269
Section 2 – Méthodologie pour une intégration des considérations
d’intérêt public dans les critères de qualification272
§ 1 La pratique inappropriée du « je le reconnais quand
je le vois » 272
§ 2 Les trois éléments du critère de l’effet préjudiciable 275
A. L’étendue du préjudice 275
B. La gravité du préjudice 276
C. La licéité de l’activité d’investissement
objet du préjudice 277
Chapitre 3 – Le critère de l’effet redéployé279
Section 1 – L’étendue du préjudice : l’investissement envisagé
dans sa globalité279
§ 1 L’impossible admission d’atteintes partielles à
l’investissement 280
A. Introduction à la notion d’investissement en droit
international des investissements 280
B. Le préjudice partiel à raison de la structure légale
de l’investissement 286
C. Le préjudice partiel à raison de la structure
opérationnelle de l’investissement 289
§ 2 L’exigence d’un préjudice global 291
A. Le principe de l’impact préjudiciable sur
l’investissement dans sa globalité 291

XI
B. L’admission du préjudice global via une composante
essentielle de l’investissement 292
Section 2 – La gravité du préjudice : le droit d’user de l’investissement
comme seule prérogative protégée295
§ 1 L’exclusion des attentes légitimes sur l’investissement 296
A. La patrimonialisation des attentes légitimes dans le
contentieux de l’expropriation indirecte 296
B. L’inapplicabilité des attentes légitimes dans le régime
de l’expropriation indirecte 305
L’inutilité des attentes légitimes se greffant sur un
engagement étatique contraignant 305
L’incompatibilité des attentes légitimes déconnectées
d’un engagement étatique contraignant 307
§ 2 L’évaluation de la gravité du préjudice 309
A. L’insuffisance des atteintes aux seuls droits de jouir
et de disposer de son investissement 310
B. La présence incontournable d’une atteinte au droit
d’user dans toute expropriation indirecte 311
C. Le droit d’user d’un investissement aujourd’hui :
la viabilité productive 315
Section 3 – L’objet du préjudice : la licéité de l’activité d’investissement
au regard d’un ordre public international des investissements317
§ 1 La nécessité du recours à la licéité de l’activité de
l’investissement pour les mesures horizontales 318
A. L’approche fonctionnelle de l’investissement privé
étranger 319
B. L’arbitre comme garant de la licéité de l’activité de
l’investissement étranger 322
§ 2 Le choix de l’ordre public applicable : l’ordre public
international des investissements 324
A. La non-pertinence de l’ordre public interne de l’État
d’accueil 324
B. La résolution de la contradiction du double rôle de la
mesure horizontale 329
§ 3 L’identification des normes de l’ordre public international
des investissements 331
A. L’ordre public international applicable au droit
international des investissements 331
B. Les trois critères cumulatifs d’identification des normes
de l’ordre public international des investissements 336

Conclusion343
Annexes – Exemples de clauses récentes d’expropriation 347
Bibliographie353
Index thématique369

XII
Préface

L’expropriation indirecte est une des questions les plus délicates


au sein de cet îlot de droit international de plus en plus repérable
que constitue le droit international de l’investissement. La question
n’est pas en soi nouvelle, mais le contexte dans lequel elle surgit
le plus souvent s’est modifié : nombreux traités de protection des
investissements, fréquentes incitations pour les Etats de légiférer
dans des domaines qui interfèrent avec l’investissement, nombreux
arbitrages donnant lieu à l’éclosion d’un corpus jurisprudentiel
abondant. Et cela à tel point que la signification et l’usage du
concept d’expropriation indirecte sont devenus problématiques.
Le présent ouvrage, issu de la thèse de doctorat de M me Suzy
Nikièma, constitue à nos yeux une contribution majeure à l’appro­
fondissement de ce sujet sur lequel bien des esprits se sont déjà
penchés. En effet, à être trop sollicitée, la notion d’expropriation
indirecte acquiert une extension dangereuse. Elle est à vrai dire
soumise à une double distorsion. D’un côté elle s’éloigne de sa défi­
nition initiale : catégorie-reflet du référent de base que constitue
l’expropriation directe, elle se transforme en une expropriation
par équivalent aux contours incertains. D’un autre côté, et par voie
de conséquence, la protection élargie qu’elle offre désormais à l’in­
vestisseur en vient à empiéter sur le pouvoir normatif général de
l’Etat puisqu’à proprement parler, il n’est plus besoin d’une mesure
ciblée sur l’investisseur, l’expropriation ainsi entendue pouvant
résulter d’une réglementation à objet plus large.
Nous n’aurions pas pu écrire les lignes qui précèdent si
M me Nikièma n’avait si lumineusement inscrit au frontispice de ce
livre la distinction entre les mesures étatiques verticales et hori­
zontales. Les premières visent un investissement ou un investisseur
étranger défini, ou un groupe de ceux-ci, et ont pour effet de modi­
fier immédiatement la situation juridique de leurs destinataires.
Les secondes sont le plus souvent (mais pas nécessairement) prises
sous forme de règles générales, et s’adressent potentiellement à tout
opérateur économique. Elles ne lèseront éventuellement l’investis­
seur étranger protégé par un traité que de manière collatérale. La
mesure horizontale se distingue donc fortement de la mesure ver­
ticale car, poursuivant son objectif propre, elle se borne à altérer
les conditions économiques dans lesquelles l’investissement opère,
au point parfois de lui faire perdre toute consistance. Elle conduit
plutôt à une expropriation de valeur. Est-ce encore une expropria­
tion ?
Une brève étude historique rappelle que les mesures horizontales
ont gagné beaucoup de terrain à l’heure actuelle. Le problème juri­
dique (éthique ?) acquiert ainsi une nouvelle dimension, dans la

XIII
mesure où les Etats qui adoptent des mesures horizontales condui­
sant à une expropriation indirecte sont amenés, sinon à subir une
véritable neutralisation de leur pouvoir normatif, du moins à devoir
payer fort cher le prix de l’usage qu’ils en font puisqu’ils peuvent
être contraints d’indemniser les investisseurs étrangers lésés par
les mesures qu’ils prennent.
Il est visible – ou plus exactement, M me Nikièma prend le parti de
rendre visible – que la difficulté fondamentale se situe au niveau de
la qualification de l’expropriation indirecte beaucoup plus que du
régime juridique de celle-ci.
L’essentiel des analyses de l’ouvrage est consacré à ce problème
de qualification. La qualification sera en effet envisagée d’un point
de vue statique dans la première partie, et d’un point de vue réso­
lument dynamique, voire téléologique, dans la seconde partie de
l’ouvrage puisque celle-ci sera consacrée à la « recherche d’une
adaptation du processus de qualification aux fins d’un maintien
du pouvoir normatif de l’Etat d’accueil ».
Une première constatation s’impose : sur l’expropriation les
traités sont avares de définitions et l’analyse de la doctrine et de
la jurisprudence arbitrale sera particulièrement nécessaire. Aux
intuitions qui fondent la démarche d’ensemble de la thèse s’incor­
pore à ce stade une méthode proprement cartésienne consistant à
décomposer l’objet à étudier. Ainsi, l’examen critique de la quali­
fication s’effectue par stades successifs. Il s’agit de faire apparaître
la « mesure éligible » à la qualification. Les deux piliers de la quali­
fication sont 1º une mesure imputable à l’Etat (ce qui suppose que
ces deux éléments soient analysés successivement), 2º une mesure
équivalente à une expropriation, car ici se trouve le cœur de l’ex­
propriation indirecte. Il s’impose donc de dévoiler la substance du
rapport d’équivalence.
C’est d’ailleurs au cours de cette analyse qu’est mis en pleine
lumière l’étirement du domaine de l’« effet ». Celui-ci englobe
désormais, à côté des privations de propriété, la viabilité de l’in­
vestissement et sa capacité à générer des bénéfices. M me Nikièma
considère que ce forcement du critère de l’effet laisse apparaître
que celui-ci n’est pas pleinement adapté aux mesures horizontales.
La démonstration, malgré les riches enseignements qu’elle pro­
cure, peut laisser le jugement du lecteur en suspens (car l’on peut
aussi bien soutenir que la souplesse du critère de l’effet assure son
adéquation aux mesures horizontales). Mais son éventuel défaut
d’adhésion ne sera que provisoire. Il est d’ailleurs difficile de ne
pas adhérer aux développements consacrés à une notion qui obs-
curcit la qualification : la théorie des mesures de police. Il faut se
contenter de prendre acte du fait que le standard précité concur­
rence l’expropriation. La théorie des mesures de police est sou­
mise à une critique en règle qui nous paraît pleinement justifiée
tant il est vrai que leur qualification est déjà acquise implicitement

XIV
comme une donnée du problème de l’expropriation, laquelle ne
peut se transformer en élément de solution.
La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à la seule problé­
matique des mesures horizontales et à la recherche de solutions
au problème lancinant de l’équilibre à établir entre la légitime
protection de l’investisseur et la possibilité pour l’Etat d’user aussi
librement que possible de son pouvoir normatif. Faut-il le rappeler,
la mesure horizontale ne porte atteinte à l’investissement étran­
ger que de manière collatérale et seulement (si l’on peut dire) en
altérant l’environnement économique préalable dans lequel évolue
l’activité d’investissement.
Est-il raisonnable de permettre à l’investisseur de s’opposer systé­
matiquement à l’application à son égard des mesures adoptées par
l’Etat en le menaçant d’une condamnation à l’indemniser pronon­
cée par un tribunal arbitral international ?
M me Nikièma ne le pense pas. Fidèle à un parti pris méthodolo­
gique qu’elle entend défendre jusqu’au bout, l’auteur juge que la
question peut être posée – et résolue – au niveau de la qualifica­
tion. L’instrument en sera constitué par la recherche de considé­
rations d’intérêt public dans les éléments constitutifs de l’expro­
priation indirecte. Ainsi, malgré son intérêt, se trouve repoussée
une approche dite « post-qualification » qui conduirait à une dimi­
nution de l’indemnisation lorsque l’intérêt public est en jeu. Se
trouvent également repoussées les approches intra-qualification
qui reposent sur le critère de l’appropriation étatique ou la pro­
portionnalité, ainsi que l’approche spécifique extra-qualification
défendue en doctrine dans le cadre du droit de l’environnement,
malgré la séduction qu’elle ne peut manquer d’exercer.
La thèse en vient à s’achever, en pleine cohérence avec ses présup­
posés, par une proposition qui consiste à approfondir le critère de
l’effet, en le redéployant. Il convient alors de revisiter le préjudice
au niveau de sa gravité et de son étendue. Il convient surtout de
remettre en cause l’objet du préjudice en lui opposant frontalement
(enfin, serait-on tenté de dire, tant il a fallu patienter pour en arri­
ver là, mais l’on n’en admire que plus la discipline que s’est impo­
sée l’auteur !) un examen de la licéité de l’activité d’investissement
au regard d’un ordre public international des investissements dont
sont livrées à titre prospectif les principales composantes envisa­
geables. Avec humilité, l’auteur invite à poursuive la réflexion sur
les pistes explorées en fin d’ouvrage. L’ordre public international a
déjà tellement promis et parfois tellement peu donné ! Mais la voie
est tracée et fortement balisée.
Ainsi l’audace que s’est autorisée finalement M me Nikièma est-elle
le fruit de la conviction qui l’a animée tout au long de sa thèse, sans
que celle-ci ait pu porter le moindre ombrage à la rigueur scienti­
fique d’une œuvre si richement documentée et si finement ciselée.
Aucune question n’est définitivement résolue en droit. Cependant,

XV
la thèse de Suzy Nikièma constitue à nos yeux un jalon essentiel
dans la connaissance et l’appréciation critique du sujet qu’elle a
choisi d’explorer. Et il n’est nul besoin d’insister sur l’importance
de ce sujet. De multiples questions, non mentionnées dans cette
préface, y trouvent une analyse approfondie ou reçoivent un éclai­
rage nouveau. Nous n’avons pas de doute sur le bel avenir promis à
cet ouvrage. Ni sur la belle carrière promise à son auteur, que nous
accompagnons de nos souhaits.

Jean-Michel Jacquet
Professeur honoraire à l’Institut de hautes études
internationales et du développement

XVI
Avant-propos

C’est avec un très grand plaisir que j’écris cet avant-propos à l’ou­
vrage de Suzy Nikièma, que je connais depuis de nombreuses années,
très exactement depuis qu’elle a suivi mon cours sur le règlement des
différends en droit international économique durant l’année 2004-
2005 comme étudiante de ce qui était alors l’Institut universitaire
de hautes études internationales (IUHEI), qui est devenu l’Institut
de hautes études internationales et du développement (IHEID) de
Genève.
Cet ouvrage est consacré au sujet suivant : « L’expropriation indi­
recte en droit international des investissements ». Voilà un sujet
délicat tant la notion d’expropriation indirecte est difficile à saisir,
comme le souligne l’auteur dès son introduction : « Alors que l’on
croit avoir enfin saisi le sens exact de ce terme, que ses contours
commencent à se dessiner avec plus ou moins de netteté, il suffit que
surgissent un détail, une simple interrogation, pour que ce dernier
nous échappe de nouveau. » La difficulté de ce sujet vient essentiel­
lement du fait qu’il s’agit d’une question soulevant de vastes enjeux.
Selon l’auteur, l’expropriation « constitue à la fois l’atteinte la plus
flagrante à la propriété privée et la manifestation par excellence
d’un acte de souveraineté. De ce fait, cette notion cristallise l’anta­
gonisme entre la protection de l’intérêt privé et la sauvegarde de
l’intérêt public ».
La question centrale de cet ouvrage est en définitive celle du main­
tien d’un espace de réglementation pour l’Etat qui respecte cepen­
dant les droits des investisseurs, question qui est au cœur des débats
qui se déroulent aujourd’hui entre les acteurs du contentieux écono­
mique international.
C’est à ce sujet difficile et d’une grande actualité, qui constitue, de
mon point de vue, l’une des questions majeures actuelles du droit
international des investissements, que s’attaque avec courage et
détermination Suzy Nikièma dans le bel ouvrage qu’elle présente ici.
Bien que la question de l’expropriation indirecte ait fait et fasse
tous les jours l’objet de nombreuses publications, le grand mérite de
Suzy Nikièma est d’être sortie des sentiers battus et d’avoir su inno­
ver : elle ose présenter une véritable thèse en introduisant de nou­
veaux concepts extrêmement précieux, pour éclairer les multiples
zones d’ombre qui existent autour de la notion d’expropriation indi­
recte ou « mesure équivalente à une expropriation ».
Pour l’auteur, comme cela devient rapidement apparent à la lec­
ture de l’ouvrage, une des difficultés théoriques rencontrées est le
traitement de la notion d’expropriation indirecte comme un concept
univoque, alors que cette notion recouvre en réalité deux catégories
juridiques qu’il convient de distinguer. L’auteur présente alors ce

XVII
qu’elle considère comme une summa divisio au sein du concept d’ex­
propriation indirecte, à savoir la distinction entre ce qu’elle appelle
les mesures verticales et les mesures horizontales. Si les concepts de
« mesure horizontale » et de « mesure verticale » ne sont pas usuels et
ne sont donc pas immédiatement compréhensibles, ils le deviennent
rapidement à la lecture des développements présentés par Suzy
Nikièma. Ainsi l’auteur nous indique que « par mesure verticale, il
faut entendre une mesure étatique prise en direction d’un investis­
seur/investissement ou d’un groupe d’investisseurs/investissements
étrangers prédéfinis, et dont l’objectif premier est de modifier
immédiatement leur situation juridique en portant atteinte à l’exis­
tence de leurs droits ». En ce qui concerne la seconde catégorie, Suzy
Nikièma précise que les mesures horizontales sont « celles qui sont
édictées à l’intention de n’importe quel opérateur économique sur
le territoire et/ou visent le contexte économique général. La carac­
téristique fondamentale de la mesure horizontale est qu’elle ne vise
pas l’investisseur dans sa situation particulière ». Cette distinction
inédite recouvre en réalité les mesures ciblées (sur l’investissement
ou l’investisseur) et les mesures générales et constitue à mes yeux un
des apports majeurs de cet ouvrage.
L’utilisation de cette distinction a conduit l’auteur à des remarques
originales et fort pertinentes. Il en va ainsi de la suggestion de dis­
tinguer les conséquences des deux sortes de mesures, les mesures
verticales aboutissant à une expropriation de fait, les mesures hori­
zontales à une expropriation de valeur. Il en va ainsi également de
la nécessaire différenciation de leur mode opératoire, les mesures
verticales agissant directement sur l’investissement, les mesures
horizontales n’agissant qu’indirectement sur l’investissement par
la modification de l’environnement dans lequel il se déroule. Des
développements extrêmement intéressants sont également consa­
crés à la définition générale de ce qui constitue une expropriation
indirecte, c’est-à-dire à la recherche des critères de qualification de
l’expropriation indirecte, dont l’auteur exclut les critères de licéité
de l’expropriation. Enfin, Suzy Nikièma s’interroge sur la nécessaire
adaptation du processus de qualification d’expropriation indirecte
à une mesure horizontale, une telle adaptation étant indispensable
pour un maintien effectif du pouvoir normatif de l’Etat d’accueil
d’investissements étrangers.
Ce bref survol de quelques-uns des points forts de cet ouvrage suf­
fit à faire comprendre que Suzy Nikièma a ouvert, dans cette belle
et rigoureuse recherche, des pistes de réflexion extrêmement stimu­
lantes, que devraient emprunter les arbitres internationaux…

Brigitte Stern
Professeur émérite de droit international

XVIII
Abréviations

AFDI Annuaire français de droit international


AJIL American Journal of International Law
ALE Accord de Libre-Échange
ALENA Accord de Libre-Échange Nord-Américain
APPI Accord de Protection et de Promotion des
Investissements

BIRD Banque Internationale pour la Reconstruction et


le Développement
BYIL British Yearbook of International Law

CAFTA-DR Dominican Republic-Central America Free Trade


Agreement
CEDEAO Communauté Économique et de Développement
des États de l’Afrique de l’Ouest
CEDH Cour Européenne des Droits de l’Homme
CEE Communauté Économique Européenne
CEMAC Communauté Économique et Monétaire de
l’Afrique Centrale
CDI Commission de Droit International
CIJ Cour Internationale de Justice
CIJ Rec Recueil des Arrêts, avis consultatifs et
ordonnances
CIRDI Centre International pour le Règlement des
Différends relatifs aux Investissements
CPJI Cour permanente de Justice Internationale
CPJI, Série A Recueil des Arrêts
CNUCED Conférence des Nations Unies pour le Commerce
et le Développement
COMESA Common Market for Eastern and Southern Africa

DPCI Droit et Pratique du Commerce International

FMI Fonds Monétaire International

GATT General Agreement for Tariffs and Trade


GYIL German Yearbook of International Law

ICLQ The International and Comparative Law


Quarterly
ICSID Rep International Center for Settlement of Investment
Dispute Report

XIX
ICSID Rev.-FIJL ICSID Review – Foreign Investment Journal of
Law
IIA (Section) International Investment Agreements (Section)
IISD International Institute for Sustainable
Development
ILM International Legal Material
ILR International Law Reports
Iran-US CTR Iran – United States Claim Tribunal Report
ITN Investment Treaty News

JDI Journal de Droit International


JWTL Journal of World Trade Law

LGDJ Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence

NYIL Netherlands Yearbook of International Law

OCDE Organisation de Coopération et de


Développement Economiques
OMC  Organisation Mondiale du Commerce
ONU Organisation des Nations Unies

PUF Presses Universitaires de France

RBDI Revue Belge de Droit International


RCADI Recueil de Cours de l’Académie de Droit
international
Restatement
Third Restatement of the Law, The foreign Relations
Law of the United States
Rev. Arb. Revue de l’Arbitrage
RGDIP Revue Générale de Droit International Public
RSA Revue des Sentences Arbitrales des Nations Unies

SADC South African Development Community

TBI Traité Bilatéral d’Investissement


TDM Journal  Transnational Dispute Management Journal
Tribunal irano-
américain Tribunal des différends irano-américains

UE Union Européenne
UEMOA Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine

XX
Introduction

« La période des grandes nationalisations est sans doute pas­


sée, du moins pour le temps présent. De nombreuses déci­
sions prises par les autorités de l’État d’accueil, nationales ou
locales, constituent des obstacles à l’activité de l’investisseur
que celui-ci a vite fait de qualifier d’expropriation indirecte ».
Ph. Kahn1

Déterminer ce que signifie précisément une expropriation indi­


recte en droit international des investissements est un parcours
semé d’embûches qui s’apparente pratiquement aux supplices dits
« de Tantale »2. Alors que l’on croit avoir enfin saisi le sens exact de
ce terme, que ses contours commencent à se dessiner avec plus ou
moins de netteté, il suffit que surgissent un détail, une interrogation,
pour que ce dernier nous échappe de nouveau, à notre grand désar­
roi. C’est que l’expropriation indirecte fait partie de ces termes juri­
diques dont le sens parait clair au premier abord, mais dont la com­
plexité est vite révélée par son application à des situations concrètes.
L’expropriation indirecte, comme son nom l’indique, suppose
d’abord l’existence de l’expropriation directe. On ne saurait donc
prétendre définir la première sans avoir compris ce que signifie
la seconde. L’expropriation directe ou expropriation formelle est
définie, en droit international des investissements, comme l’acte
par lequel un État retire la propriété d’un investissement à une per­
sonne étrangère pour se l’approprier ou le rétrocéder à une tierce
personne désignée par lui3. L’expropriation directe est formalisée
dans un décret ou une loi d’expropriation. Elle est dirigée soit
contre un investisseur, personne physique ou morale, soit contre

1 Ph. KAHN, préface à l’ouvrage de S. MANCIAUX, Investissements étrangers et


arbitrage entre États et ressortissants d’autres États, trente années d’activités du
CIRDI, Paris, Litec, 2004, p. XII.
2 Dans la mythologie grecque, Tantale était un mortel, fils de Zeus et d’une
nymphe, qui fut condamné à un triple supplice pour avoir offert son propre
fils en repas aux dieux de l’Olympe. Il fut placé pour l’éternité au milieu d’un
fleuve et sous des arbres dont les fruits étaient à portée de main. Mais le cours
du fleuve s’asséchait quand il se penchait pour en boire l’eau, et le vent éloignait
les branches des arbres quand il tendait la main pour en attraper les fruits.
Enfin, un rocher en équilibre au-dessus de sa tête menaçait de tomber à tout
moment.
3 Pour des définitions récentes de l’expropriation directe, voir parmi tant
d’autres, les sentences arbitrales CIRDI suivantes : Sempra Energy International
c. Argentine (ARB/02/13), sentence CIRDI du 28 septembre 2007, § 280 ; Enron
Corporation and Ponderosa Assets, L.P. c. Argentine (ARB/01/3), sentence CIRDI du
22 mai 2007, § 243.

1
plusieurs investissements d’un même secteur économique. Dans ce
dernier cas, l’expropriation directe est également qualifiée de natio­
nalisation4. L’expropriation formelle est connue et règlementée de
longue date dans les droits nationaux. Mais en droit international,
elle a toujours été l’objet de controverses, aussi loin que l’on puisse
remonter dans sa genèse5. En effet, elle constitue à la fois l’atteinte
la plus flagrante à la propriété privée et la manifestation par excel­
lence d’un acte de souveraineté. De ce fait, cette notion cristallise
l’antagonisme entre la protection de l’intérêt privé et la sauvegarde
de l’intérêt public.
À côté de l’expropriation directe, les traités de protection des
investissements reconnaissent également de longue date6, que l’acte
d’un État qui porte un préjudice grave à un investissement étranger
doit être assimilé à une expropriation directe, même si l’investisseur
reste formellement détenteur de son titre de propriété. L’expropria­
tion indirecte peut résulter de n’importe quelle mesure prise par un
État dans le cadre de la règlementation des activités économiques
se déroulant sur son territoire, même lorsque cette dernière ne vise
pas directement un investissement. Elle n’entraîne pas le retrait du
titre de propriété de l’investissement. Cette forme d’expropriation
est également désignée par l’expression de « mesure équivalente à
une expropriation ».
Le régime juridique applicable à l’expropriation directe et indi­
recte, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles un État peut expro­
prier licitement un investisseur étranger, est aujourd’hui acquis dans
ses grandes lignes, après de nombreuses controverses qu’il n’est pas
possible de restituer ici7. Désormais, il est établi dans les traités de
protection des investissements que chaque État a le droit souverain
d’exproprier les investissements étrangers situés sur son territoire,

4 De nombreuses études exhaustives ont été faites sur la nationalisation en droit


international public. Voir par exemple, S. FRIEDMAN, L’expropriation en droit
international public, Université de Paris, Faculté de Droit, S.O.P-PRESS, Le Caire,
1950 (extrait de « l’Égypte contemporaine », Revue de la société FOUAD 1er
d’Économie Politique, de Statistique et de Législation, tome XLI, pp. 203-433) ;
G. WHITE, Nationalisation of foreign property, London, Stevens, 1961.
5 Pour une étude rétrospective depuis le droit romain, voir B. A. WORTLEY,
« Some early but Basic Theories of Expropriation », GYIL, vol. 20, 1977, pp. 236-
245.
6 Sur l’émergence du concept d’expropriation indirecte en droit international,
voir F. A. MANN, « Outline of A History of Expropriation », The Law Quaterly
Review, Vol. 75, 1959, pp. 188-219.
7 Au nombre des difficultés qui se sont posées, trois méritent d’être brièvement
notées : l’État a-t-il un droit souverain d’expropriation sur les investissements
étrangers installés sur son territoire ? Les nationalisations à grande échelle
obéissent-elles au même régime juridique que les expropriations individuelles,
notamment en ce qui concerne l’obligation d’indemniser ? Quelles sont les
conséquences juridiques qui découlent pour l’État et l’investisseur de la
survenance d’une expropriation ?

2
moyennant la réunion au minimum de trois conditions : un motif
d’intérêt public poursuivi par la mesure d’expropriation, le caractère
non discriminatoire de cette dernière et l’indemnisation de l’inves­
tisseur lésé. Parmi ces trois critères de licéité, auxquels deux autres
sont parfois ajoutés8, l’obligation d’indemnisation est celle qui a sus­
cité le plus de débats9, notamment aux forts moments des revendi­
cations des États du tiers-monde pour un nouvel ordre économique
international au milieu du XXe siècle. Il est aujourd’hui acquis que
toute expropriation d’investissements étrangers doit s’accompagner
d’une indemnisation.
Mais on ne saurait appliquer un régime juridique à une notion,
sans avoir défini au préalable les critères qui permettent d’identifier
ladite notion. Le juge et l’arbitre doivent d’abord identifier et quali­
fier un fait dans une notion juridique, avant de pouvoir lui appliquer
le régime juridique correspondant. Alors qu’aujourd’hui, la défini­
tion de l’expropriation directe ne suscite plus de débats importants,
celle de l’expropriation indirecte reste problématique. En effet, en
assimilant certains comportements étatiques à une expropriation,
le droit international des investissements s’est contenté d’appliquer
un régime juridique particulier (celle de l’expropriation directe) à
une notion juridique (celle de l’expropriation indirecte) sans défi­
nir cette dernière. Cette technique qui consiste à « réglementer sans
définir » a été qualifiée à juste titre de « fâcheuse »10, car elle sou­
lève naturellement des problèmes de qualification. L’expropriation
indirecte fait donc partie de ces catégories juridiques qui doivent

8 Deux autres conditions sont parfois mentionnées, mais elles ne font pas
l’unanimité : le respect des procédures légales et la non-violation d’un contrat
d’investissement. Il y a lieu, à notre avis, de ne pas considérer le respect des
procédures légales comme une condition autonome supplémentaire, mais une
condition sous-jacente aux trois autres. Quant à la non-violation d’un contrat
d’investissement, la prise en compte absolue de cette condition, qui est une
survivance des clauses de stabilisation dans les contrats d’investissement,
reviendrait à nier aux États leur droit souverain d’exproprier. Sur ces questions,
voir. M. PELLONPAA, M. FRITZMAURICE. « Taking of Property in the Practice
of the Iran-United Sates Claims Tribunal », NYBIL, vol. 19, 1988, p. 66 et s. ;
S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage…, op. cit., note 1, pp. 504-523 ;
R. DOLZER, Ch. SCHREUER, Principle of International Investment Law, Oxford
University press, 2008, p. 91.
9 Les controverses ont concerné, sur fond de dissensions politiques et
philosophiques, l’existence d’une obligation coutumière internationale
d’indemniser en cas d’expropriation, les standards de calcul de l’indemnisation,
le statut de l’indemnisation comme condition de licéité ou comme conséquence
de l’illicéité, etc. Aujourd’hui, c’est la formule de l’indemnisation « prompte,
complète et effective » (d’après la célèbre formule du secrétaire d’État américain
Cornell HULL dans sa note du 21 juillet 1938 en réponse aux nationalisations
mexicaines de 1917), qui est appliquée par la majorité des tribunaux arbitraux.
10 D. CARREAU, Droit international public, Paris, Pédone, Collection Études
Internationales, 2007, 9e éd., p. 88.

3
encore être « meublées »11, par les tribunaux arbitraux. La préoccu­
pation majeure est de déterminer précisément ses éléments constitu­
tifs. En d’autres termes, qu’est-ce qui permet à une mesure étatique
quelconque de constituer une expropriation indirecte, en d’autres
termes, d’être équivalente à une expropriation ?
Cette interrogation est l’une des questions majeures actuelles du
droit international des investissements. Elle avait d’ailleurs été pres­
sentie par certains auteurs dès les années 198012. Mais c’est avec cer­
taines sentences arbitrales rendues sur le fondement de l’Accord de
libre-échange nord-américain (ALENA) à la fin des années 1990,
que l’on a véritablement pris la mesure des difficultés posées par
la notion d’expropriation indirecte ; difficultés qui étaient restées
jusqu’alors virtuelles13. Désormais, l’important contentieux arbitral
sur la matière témoigne de l’actualité du sujet. L’allégation d’expro­
priation est systématiquement invoquée par les investisseurs qui
portent un litige d’investissement devant les tribunaux arbitraux
sous l’égide du Centre International de Règlement des Différends
relatif aux Investissements (CIRDI), pour ne citer que cette institu­
tion d’arbitrage.
La définition de l’expropriation indirecte semble pourtant relati­
vement aisée a priori. N’est-ce pas simplement une mesure étatique
dont les effets sont équivalents à une expropriation, c’est-à-dire
celle qui crée un préjudice grave à l’investissement protégé ? Cette
réponse, outre qu’elle n’apporte pas encore les précisions nécessaires
au processus de qualification, occulte des paramètres qui font toute
la complexité et l’intérêt du sujet. Ces paramètres sont principale­
ment de deux ordres.
Le premier paramètre tient au potentiel presque illimité du
champ d’application de l’expropriation indirecte. En effet, une
définition extensive de l’expropriation indirecte peut conduire à
qualifier comme telle, toutes les mesures édictées par les autorités
étatiques qui se répercutent négativement sur un investissement
privé étranger, sans égard pour toute autre considération14. Or, si
les États ne nationalisent presque15 plus, ils n’ont pas renoncé pour

11 D’après l’expression de F. HORCHANI, «  Le droit international des


investissements à l’heure de la mondialisation », JDI, 2004, p. 367.
12 Voir par exemple R. DOLZER, « Indirect expropriation of Alien Property »,
ICSID Review, Rev.-FILJ, 1986, p. 66.
13 Abstraction faite, pour l’instant, de la jurisprudence du tribunal des différends
irano-américain institué en 1981.
14 Exclusion faite cependant des mesures étatiques prises en réponse à des actes
illicites de l’investisseur.
15 Les nationalisations, de façon générale, ne sont plus d’actualité. L’heure est plu­
tôt, dans les pays industrialisés comme ceux en développement, à la privatisa­
tion des entreprises publiques. Le recours aux nationalisations est aujourd’hui
si improbable que certains observateurs avertis se sont même demandé « qui
aujourd’hui s’aviserait (…) de nationaliser les investissements des étrangers ? ».

4
autant à contrôler les investissements étrangers effectués à l’inté­
rieur de leurs frontières. Chaque État est ainsi amené à prendre des
mesures quotidiennes pour règlementer les activités économiques
qui se déroulent sur son territoire. Ainsi, un investisseur étranger
peut voir son investissement anéanti par une règlementation d’ordre
général qui ne le visait pas directement et n’a pas porté atteinte à son
titre de propriété. Dans une telle situation, l’investisseur prétendra
qu’il a été exproprié indirectement, du fait de la modification du
cadre légal ou économique dans lequel évoluait son activité. Si l’on
se limite à constater que ces mesures étatiques ont créé un préju­
dice grave à un investissement privé étranger protégé, elles pour­
ront alors être qualifiées d’expropriations indirectes. Dans ce cas,
le champ des mesures étatiques pouvant équivaloir à une expropria­
tion se confondrait quasiment avec celui du pouvoir normatif géné­
ral de l’État d’accueil de l’investissement.
Toutefois, les tribunaux arbitraux admettent que certaines règle­
mentations étatiques, même préjudiciables aux activités d’investis­
sement, ne sont pas des expropriations indirectes. Cette catégorie
couvre généralement les règlementations en vue de la protection de
l’intérêt général, qu’il s’agisse de l’ordre public, la moralité publique,
la santé publique, la sécurité nationale, les droits de l’homme, ou
la sauvegarde de l’environnement. Or, et tout l’intérêt est là, les
mesures d’expropriation indirecte et les mesures de réglementation
générale non expropriantes n’entraînent pas de conséquences simi­
laires pour l’État d’accueil et l’investisseur lésé. Les premières sont
indemnisables, tandis que les secondes ne le sont pas. Mais il n’est
pas dit, précisément dans quelles conditions une mesure de règle­
mentation publique sera indemnisable au titre d’une expropriation
indirecte ou ne le sera pas. En quelque sorte, il existe un principe
de distinction entre expropriation indirecte et règlementations non
indemnisables, qui se contente de poser que la frontière existe entre
les deux notions sans fournir les coordonnées géographiques pour
la localiser. En outre, il est difficile de déterminer si ce principe
pose un régime d’exclusion ou d’exception. Autrement dit, permet-il
d’isoler à titre principal une catégorie de règlementations publiques
ne pouvant jamais équivaloir à une expropriation malgré les préju­
dices graves qu’elles causent à l’investissement ? Ou s’agit-il simple­

Voir P. JUILLARD, « À propos du décès de l’AMI », AFDI, 1998, p. 595. Cepen­
dant, on note quelques exceptions récentes qui ne remettent pas en cause le
constat du recul général des nationalisations en droit international. Ainsi, des
nationalisations du secteur des hydrocarbures ont été effectuées depuis 2006
par les gouvernements boliviens et vénézuéliens, mais elles furent souvent
accompagnées de la conclusion de contrats de concessions au bénéfice des
anciens propriétaires. Excepté quelques compagnies pétrolières au Vénézuéla
qui ont récemment introduit des requêtes devant le CIRDI, ces nationalisations
n’ont pas conduit pour l’instant à un contentieux juridique important.

5
ment de définir quelques situations dans lesquelles une règlemen­
tation étatique peut échapper exceptionnellement à la qualification
d’expropriation indirecte ?
Le second paramètre tient au contexte général dans lequel s’ins­
crivent les discussions sur l’expropriation indirecte, à savoir la phy­
sionomie actuelle du droit international des investissements. Le droit
international des investissements peut se définir comme le droit qui
régit le traitement et la protection des investissements privés étran­
gers installés dans un État d’accueil, de la phase d’établissement de
l’investissement à son éventuel retrait ou anéantissement. Il met en
jeu trois entités juridiques distinctes : l’État d’accueil de l’investisse­
ment, l’État national de l’investisseur et enfin l’investissement. La
substance de ce droit est essentiellement prévue dans des traités bila­
téraux ou régionaux de protection des investissements,16 même si
les prescriptions de certaines clauses sont reconnues comme ayant
une valeur coutumière. Ces traités, bien qu’ils aient été conclus entre
deux États, prévoient des garanties au bénéfice des investisseurs et
de leurs investissements. Comme l’a bien résumé P. Juillard, un traité
de protection des investissements, « en tant qu’[il] crée des obliga­
tions entre (…) États (…), est régi par le droit international. Mais
précisément, l’objet et le but de ces instruments (…) ne sont pas de
créer des obligations entre les États contractants : ils sont de mettre
à la charge de chaque partie contractante un certain nombre d’obli­
gations dont les créanciers sont les ressortissants de l’autre partie
contractante »17. Les clauses de ces traités s’analysent donc comme
des stipulations pour autrui.
Prenant source dans l’obligation coutumière de protection des
étrangers et leurs biens qui est à la charge des États18, le droit inter­
national des investissements s’est développé en quelques décennies
pour constituer une branche spécifique et complexe du droit inter­
national19. Ce régime international de protection des investissements

16 Ces traités ont des dénominations diverses : Traités relatifs à l’encouragement


et la protection mutuelle des investissements, Accord relatif à la promotion et la
protection réciproque des investissements, Accord concernant l’encouragement
et la protection réciproque des investissements, Accord de commerce, de pro­
tection des investissements et de coopération technique, etc.
17 Définition de P. JUILLARD, « L’évolution des sources du droit des investisse­
ments », RCADI, tome 250, 1994, p. 110.
18 Dans la célèbre sentence arbitrale Ile de Palmas, l’arbitre unique avait exposé les
fondements juridiques de cette protection : « la souveraineté territoriale ne comporte
pas seulement le droit exclusif de l’exercice des activités étatiques, mais aussi le corollaire
de l’obligation de protéger sur le territoire étatique les droits des nationaux des autres
États ». Affaire Ile de Palmas, sentence du 4 avril 1928, RSA, vol. II, p. 839.
19 L’interprétation des règles du droit international des investissements, à l’image
d’autres branches spécialisées du droit international, est continuellement l’ob­
jet de controverses, au point que l’on a pu comparer ce droit à un récif de corail.
Voir J. W. SALACUSE, « The Energy Charter Treaty and Bilateral Investment

6
étrangers s’est développé en réponse au besoin du renforcement de
la sécurité juridique offerte par les droits nationaux, qui était jugée
précaire par les acteurs de l’économie mondiale. Dès la fin de la
décennie 1990, le droit international des investissements a subi une
évolution rapide et considérable du fait de la multiplication et de
la complexification de ses sources formelles d’une part, et du fait
de l’interprétation des obligations conventionnelles à la charge des
États hôtes d’investissements effectuée par les tribunaux arbitraux
d’autre part20. Parmi les plus significatifs de ces bouleversements,
nous pouvons relever l’accroissement exponentiel des traités bilaté­
raux de protection des investissements (TBI). On est ainsi passé de
385 TBI en 1980 à plus de 2572 à la fin du premier trimestre 200721.
Aujourd’hui, plus de 2700 traités de ce type ont été répertoriés22 dans
le monde23. Une évolution également remarquable a été la « bana­
lisation »24 de l’accès des investisseurs privés étrangers à l’arbitrage
international contre l’Etat d’accueil. Cette banalisation résulte de
l’insertion quasi systématique d’une clause d’arbitrage actionnable
unilatéralement par les investisseurs dans les traités bilatéraux et
régionaux de protection des investissements25. L’arbitrage entre État

Treaty Regimes », in T. W. WÄLDE (éd.), The Energy Charter Treaty, an East-West


Gateway for Investment and trade, Kluwer Law International, 1996, p. 322. Ces
controverses concernent aussi bien les règles de fond, les règles de procédures
que la libre circulation des investissements étrangers.
20 Pour un résumé de ces évolutions, voir Ph. KAHN, « Les investissements
internationaux, nouvelles donnes : un droit transnational de l’investissement »,
in Ph. KAHN, T. W. WÄLDE (dir.), Les aspects nouveaux du droit des investissements
internationaux, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2007, pp. 3-41.
21 Source  : UNCTAD, Development implications of international investment
agreements, IIA MONITOR No. 2 (2007), International investment agreements,
International investment agreements, p. 1 (http://www.unctad.org/en/Docs/
webiteiia20072_en.pdf).
22 Source : UNCTAD, Recent Developments in International Investment Agreements
(2008  –June 2009), IIA MONITOR No. 3 (2009), International Investment
Agreements, p. 1 (http://www.unctad.org/en/Docs/webdiaeia20098_en.pdf).
23 Aujourd’hui, seuls quelques États (Monaco, Andorre, le Liechtenstein, la Corée
du Nord) n’ont signé aucun TBI et un État n’a aucun TBI entré en vigueur (le
Brésil).
24 D’après l’expression de G. BURDEAU, « Nouvelles perspectives pour l’arbitrage
dans le contentieux économique intéressant les États », Revue de l’arbitrage, 1995,
pp. 3-37. Certains auteurs ont dénoncé cette saisine unilatérale reconnue par
les tribunaux arbitraux à l’investisseur car introduisant un déséquilibre au
détriment du consentement de l’État d’accueil. Voir par exemple, B. STERN, « Le
consentement a l’arbitrage CIRDI en matière d’investissement international : que
disent les travaux préparatoires ? » in Souveraineté étatique et marchés internationaux
à la fin du 20e siècle, à propos de 30 ans de recherche du CREDIMI, Mélanges en l’honneur
de Philippe KAHN, Paris, Litec, 2000, pp. 223- 244.
25 Il faut noter que cette banalisation de l’accès à l’arbitrage résulte principale­
ment de l’interprétation des tribunaux arbitraux. Ce fut le cas de l’acceptation
par ces derniers de leur compétence, non plus sur les bases classiques d’une

7
et investisseur privé étranger sur le fondement d’un traité bilatéral
d’investissement a ainsi été qualifié d’« arbitration without Privity »26,
ou encore « d’arbitrage transnational unilatéral »27. Plus généralement,
on note une extension des droits conférés aux investisseurs dans des
instruments internationaux ou internes comme les codes nationaux
d’investissements, qui résulte d’une concurrence accrue entre les
États pour l’attrait de l’investissement direct étranger (IDE). Toute
l’économie de la protection internationale des investissements est
donc tendue vers un seul objectif : garantir la meilleure protection
à l’investisseur étranger contre la toute-puissance et l’arbitraire de
l’État d’accueil. Pourtant, ce déséquilibre lié à l’origine à la qualité
étatique de l’une des parties à une relation contractuelle ne corres­
pond plus à la situation actuelle des échanges économiques dominés
par de puissantes entreprises multinationales. Le régime juridique
de protection internationale de l’investissement privé étranger a
souvent été qualifié de « déséquilibré »28 en faveur des investisseurs ou
de « surprotecteur »29 envers ces derniers.
L’association de ces deux paramètres, à savoir, les contours incer­
tains de la notion d’expropriation indirecte au sein du vaste champ
des règlementations publiques et le régime juridique très protec­
teur des investissements qui sert de toile de fond à l’étude de cette
notion, suscite la crainte de remise en cause de la souveraineté des
États d’accueil. En effet, on peut se demander si un État ne serait
pas amené à renoncer à prendre certaines mesures d’intérêt général

clause compromissoire ou d’un compromis d’arbitrage, mais sur la base d’une


loi nationale (Southern Pacific Properties (SPP) c. Égypte, ARB/84/3, sentence du
27 novembre 1995 sur la compétence), d’un traité bilatéral (American Manufac-
turing & Trading Inc. (AMT) c. Zaïre, ARB/93/1, sentence du 21 février 1997,
ILM, 1997, vol. 36, p. 1531 et s), et maintenant par le jeu de la clause de la nation
la plus favorisée (Emilio Mafezzini c. Espagne, ARB/97/7). En d’autres termes,
les clauses d’arbitrage insérées dans les lois nationales et les TBI constituent
des offres publiques d’arbitrage contenant le consentement anticipé de l’État
envers tous les investisseurs potentiels protégés par ces textes.
26 J. PAULSSON, « Arbitration without Privity », ICSID Review, Rev.-FILJ, 1995,
pp. 232-257.
27 W. BEN HAMIDA, « L’arbitrage État-Investisseur étranger : regards sur les
traités et projets récents », JDI, 2004, n° 2, pp. 419-441.
28 P. JUILLARD, Table ronde, « Le système actuel est-il déséquilibré en faveur de
l’investisseur privé étranger et au détriment de l’État d’accueil ? » in C. LEBEN
(éd.), Le contentieux arbitral transnational relatif à l’investissement  : nouveaux
développements, Actes de la journée d’étude organisée par l’Institut des Hautes
Etudes Internationales de l’Université Paris II, 3 mai 2004, Louvain-la-Neuve,
Artémis, 2006, pp. 190-191.
29 C.-A. MICHALET, « L’évolution de la législation sur les investissements directs
étrangers et la dynamique de la mondialisation », in Souveraineté étatique et
marchés internationaux à la fin du 20e siècle. A propos de 30 ans de recherches du
CREDIMI. Mélanges en l’honneur de Philippe KAHN, travaux du CREDIMI, vol. 20,
Paris Litec, 2000, p. 440 ; S. El BOUDOUHI, « Intérêt général et protection des
investissements », AFDI, vol. 51, 2005, p. 542.

8
lorsque leurs implications pécuniaires en matière d’indemnisation
risquent de ne pas être couvertes par les fonds publics. Comme ont
pu le noter R. Dolzer et M. Stevens, « for the host State, the definition
[of indirect expropriation] determines the scope of the State’s power to enact
legislation that regulates the rights and obligations of owners in instances
where compensation may fall due. It may be argued that the State is prevented
from taking any such measures where these cannot be covered by public finan-
cial resources »30. Lorsqu’un État décide de nationaliser licitement un
investissement, c’est seulement après avoir effectué une pesée des
intérêts en présence et prévu une ligne budgétaire pour cette opé­
ration. Comment en ira-t-il lorsque le préjudice causé à l’investis­
seur est par exemple fortuit ? Un État a-t-il la capacité et les moyens
d’anticiper et d’assumer les coûts financiers éventuels d’une indem­
nisation des investissements étrangers lésés pour la moindre de ses
règlementations au niveau national ou local ? Cette interrogation a
amené certains auteurs à craindre que les États ne développent un
« comportement extrêmement timoré lors de l’adoption de mesures
visant à mettre en œuvre les droits humains », les amenant « à subor­
donner les choix collectifs visant l’intérêt général au respect des
droits des investisseurs privés étrangers »31, ou encore qu’ils « will not
regulate to the extent that they should, or will modify or remove regulations
when threatened with investor claims »32. On peut donc légitimement se
demander si la protection accordée aux investisseurs étrangers par
le biais de l’expropriation indirecte ne va pas finalement empêcher
les gouvernements d’agir dans l’intérêt public. Cette menace doit
d’autant plus être prise au sérieux que, comme le déplorait P. Fou­
chard, « c’est l’État qui est maintenant en position d’infériorité dans
le contentieux économique transnational. Au nom de la liberté et de
la protection de l’investissement international, le balancier est passé
de l’autre côté »33.
Face à la nébuleuse définition de l’expropriation indirecte et les
craintes qu’elle suscite, les États d’accueil des investissements étran­
gers ne sont pas les seuls qui bénéficieraient d’une clarification de
la notion. L’investisseur étranger a également besoin de maîtriser
l’environnement économique dans lequel il prend le risque de s’éta­

30 R. DOLZER, M. STEVENS, Bilateral Investment Treaties, The Hague, Kluwer,


1995, p. 99.
31 R. BACHAND, M. GALLIE, S. ROUSSEAU, « Droit de l’investissement et droits
humains dans les Amériques », AFDI, 2003, respectivement p. 592 et pp. 601-
602.
32 N. Bernasconi-Osterwalder et al., Investment Treaties and Why They Matter to
Sustainable Development  : Questions and answers, International Institute for
Sustainable Development, 2011 (http://www.iisd.org/pdf/2011/investment_
treaties_why_they_matter_sd.pdf)
33 P. FOUCHARD, « L’arbitrage et la mondialisation de l’économie », in Philosophie
du droit et droit économique. Quel dialogue ? Mélange en l’honneur de Gérard FARJAT,
Paris, Frison-Roche, 1999, p. 393.

9
blir. Ce qui implique le sort qui lui sera réservé en cas de dommages
résultants des réglementations générales prises par les autorités
locales. Parvenir à une définition claire, univoque et mutuellement
acceptable de l’expropriation indirecte est par conséquent essentiel
à un climat favorable à des opérations d’investissement avantageuses
pour l’ensemble des parties prenantes. Les incertitudes sont grandes,
les enjeux sont d’une grande actualité, mais force est de constater
que, « no one has come up with a fully satisfactory means of drawing this
line [between Valid regulation and compensable taking] »34. En d’autres
termes, « the contours of the definition of an indirect expropriation are not
precisely drawn. An increasing number of arbitral cases and growing body of
literature on the subject have shed some light on the issue but the debate goes
on »35. En réalité, si le débat n’est pas aisé, c’est parce que la probléma­
tique sur laquelle repose le sujet est elle-même délicate.
La question fondamentale posée par cette étude peut être résu­
mée comme suit : dans quelle mesure un État peut-il affecter l’inté­
grité matérielle ou la valeur économique d’un investissement étran­
ger par une réglementation publique sans pour autant effectuer une
expropriation indirecte ? Autrement dit, dans quelles conditions
une quelconque mesure de règlementation publique préjudiciable
pourra-t-elle être qualifiée d’expropriation indirecte ? Délimiter les
contours de l’expropriation indirecte dans le droit international des
investissements revient donc à effectuer au sein des règlementations
de l’État d’accueil, une ligne de démarcation entre ce qui relève de
la réglementation publique indemnisable au titre de l’expropria­
tion indirecte, et ce qui relève de la règlementation publique non
indemnisable. L’enjeu principal de cette démarcation est de pouvoir
maintenir un espace de réglementation à l’intérieur duquel, chaque
mesure édictée par les autorités locales ou nationales ne conduirait
pas systématiquement au paiement d’une indemnisation si un préju­
dice, même important, en résultait pour l’investisseur étranger.
Apporter une réponse adéquate à cette problématique revient à
déterminer des critères de qualification de l’expropriation indirecte.
Pour cela, il est primordial de trouver des critères qui ménagent à la
fois le pouvoir normatif de l’État d’accueil, indispensable à la protec­
tion de l’intérêt général, sans pour autant réduire à néant la protec­
tion offerte aux investisseurs par le droit international des investisse­
ments. Les investigations devront tendre vers un résultat équilibré,
sinon juste, lorsqu’il s’agit d’arbitrer entre les prérogatives de l’État
souverain et la protection de l’investisseur étranger. Par conséquent,

34 Pour reprendre le constat du tribunal CIRDI dans l’affaire Marvin Feldman


c. Mexique (ARB/(AF)/99/1), sentence CIRDI du 16 décembre 2002, § 100.
Voir aussi l’affaire Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona S.A., et InterAgua
Servicios Integrales del Agua S.A. c. Argentine, ARB/03/17, sentence CIRDI du
30 juillet 2010, § 121.
35 R. DOLZER, Ch. H. SCHREUER, op. cit., note 8, pp. 91-92.

10
la solution devra être dénuée d’empreinte idéologique ou d’une
vision manichéenne des relations économiques internationales. Cela
dit, il importe de garder à l’esprit que l’État est d’abord le garant
de l’intérêt général même lorsqu’il se place dans la situation d’un
cocontractant privé, et qu’il dispose à cette fin de prérogatives qu’il
convient de protéger. L’ambition ici n’est pas de trouver une panacée
qui mettrait fin à toutes les difficultés, mais au moins d’aplanir celles
qui sont fondamentales.
Le problème de la distinction entre la règlementation non indem­
nisable et l’expropriation indirecte ressemble à une « hydre »36 menant
à de nombreuses ramifications juridiques et politiques. Il est donc
essentiel de délimiter le cadre de cette étude, afin de ne pas s’enliser
dans plusieurs questions transversales qui n’éclairent pas toujours le
sujet, bien au contraire. Une étude complète de l’expropriation indi­
recte devrait normalement porter sur trois branches distinctes. La
première concerne celle des intérêts économiques pouvant faire l’ob­
jet d’une expropriation indirecte. C’est la question de la définition
de l’investissement protégé. La seconde se rapporte aux éléments
constitutifs d’une expropriation indirecte, à savoir la définition de
l’expropriation indirecte. La troisième s’intéresse aux conditions
que doit remplir une mesure d’expropriation indirecte pour ne pas
engager la responsabilité internationale de l’État d’accueil. Il s’agit
des critères de licéité. La présente étude se limitera à la définition
de l’expropriation indirecte, c’est-à-dire au processus de qualifica­
tion. Cependant, cette séparation intellectuellement nécessaire ne
doit pas masquer l’existence de liens entre ces trois branches. De ce
fait, certaines questions relatives à la définition de l’investissement
protégé et aux critères de licéité interviendront dans l’analyse à titre
connexe. Il faudra préciser enfin qu’il ne s’agit pas ici de revenir
sur la définition de l’expropriation directe et de la nationalisation,
même s’il faudra expliciter les rapports juridiques qui existent entre
l’expropriation directe et l’expropriation indirecte.
Afin de rendre compte des résultats auxquels nous sommes par­
venus, cette étude sera subdivisée comme suit. La première partie
sera consacrée à l’examen approfondi du droit conventionnel et de
la jurisprudence arbitrale en matière de définition de l’expropria­
tion indirecte. Elle mettra en exergue le fait que les critères actuels
controversés de qualification de l’expropriation indirecte ont été
conçus pour une catégorie de règlementations étatiques préjudi­
ciables à l’investissement étranger : les mesures verticales. Il sera
proposé dans la seconde partie d’adapter les critères classiques de
qualification afin qu’ils puissent mieux enserrer la nouvelle catégo­
rie de règlementations étatiques dommageables, à savoir les mesures

36 D’après l’expression de B. H.  WESTON, «  “Constructive” taking under


international law : A modest Foray into the problem of “creeping expropriation” »,
Virginia Journal of International Law, vol. 16, 1976, n° 4, p. 120.

11
horizontales. Mais avant de faire cet exposé, il faut d’abord démon­
trer l’existence et l’intérêt d’une distinction fondamentale omise
jusqu’alors entre les mesures verticales et horizontales d’expropria­
tion indirecte. Ce sera l’objet du chapitre préliminaire.

12
Chapitre préliminaire

La distinction fondamentale omise entre


deux catégories d’expropriations indirectes

Une abondante littérature a été consacrée depuis quelques décen­


nies, à la difficile délimitation des contours de l’expropriation indi­
recte37. Mais alors qu’une part croissante des auteurs propose, afin
de contrecarrer les possibles dérives extensives de la notion, des
critères novateurs de qualification38, la majorité des auteurs défend
la pertinence continue des critères classiques39. Toutefois, dans
l’ensemble des propositions, une interrogation demeure absente de

37 Les premiers articles ayant traité spécifiquement de la question de l’expropria­


tion dite indirecte, rampante ou de facto remontent à la décennie 1960-1970. Pour
ne citer que les plus connus, voir G. CHRISTIE, « What constitutes a Taking of
Property under International Law ? », BYIL, 1962, pp. 307-338 ; B. H. WESTON,
op. cit., note 36, pp. 103-175. Pour une revue générale de la littérature spécia­
lisée publiée jusqu’en 1990, voir A. WESTBERG, B. P. MARCHAIS, « General
principles Governing Foreign Investment as Articulated in Recent internatio­
nal Tribunal Awards and Writing of Publicists », ICSID Rev.-FILJ, vol. 7, 1992,
pp. 453- 496.
38 Voir par exemple, S. ROBERT-CUENDET, Droit de l’investisseur étranger et
protection de l’environnement : Contribution à l’analyse de l’expropriation indirecte,
Leiden/Boston, Martinus Nijhoff, 2010 ; A. NEWCOMBE, « The Boundaries of
Regulatory Expropriation in International Law », in Ph. KAHN, T. W. WÄLDE
(dir.), Les aspects nouveaux du droit des investissements internationaux,
Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2007 , pp. 392-449 ; H. MANN,
J. A. SOLOWAY, « Clarifier la relation entre l’expropriation et la réglementation :
comment y parvenir ? », Rapport destiné au groupe spécial d’experts sur les
règles d’investissements et au ministère des affaires étrangères et du commerce
international, 2002 (http://www.dfait-maeci.gc.ca/tna-nac/regulation-fr.asp) ;
A. COSBEY, « The road to Hell ? Investor Protections in NAFTA’s Chapter 11 »,
in L. ZARSKY (éd.), International Investment for Sustainable Development,
London, Earthscan, 2005, pp. 150- 170.
39 Comme défenseurs de la doctrine classique, on peut citer des auteurs tels que
Ch. H. SCHREUER, « The concept of Expropriation under ECT and others
Investment Protection Treaties », in C. RIBEIRO (éd.), International Investment arbi-
tration and the Energy Charter Treaty, Huntington, JurisNet, LLC, 2006, pp. 108-159 ;
S. M. SCHWEBEL, « The United States 2004 Model Bilateral Investment Treaty :
An exercise in the Regressive Development of International Law », TDM Journal,
avril 2006, vol. 3, n° 2, (http://www.transnational-dispute-management.com/
article.asp?key=780) ; T. WÄLDE, A. KOLO, « Environmental Regulation invest­
ment protection and “regulatory taking” in International Law », ICLQ, vol. 50,
2001, pp. 811-848.

13
l’analyse ou apparaît seulement en filigrane dans quelques écrits40 :
pourquoi un processus de qualification institué et développé depuis
plusieurs siècles semble-t-il à un moment donné insatisfaisant ? Les
règles qui gouvernent cette matière sont-elles encore adaptées aux
réalités actuelles des rapports entre les États hôtes d’investissements
et les investisseurs étrangers ? S’il est vrai que toute règle de droit est
d’abord un phénomène reflétant une réalité sociale, alors il s’agit
assurément d’une question majeure au cœur de la définition de l’ex­
propriation indirecte.
Il est possible de constater dès à présent des différences signifi­
catives entre les formes passées et les formes contemporaines des
allégations d’expropriations indirectes. Cette évolution appelle
une systématisation allant au-delà de la simple énumération empi­
rique des cas qui se sont posés devant les tribunaux arbitraux. Ainsi,
alors qu’une première génération de mesures étatiques a dominé le
contentieux arbitral jusqu’au début des années 1990, une seconde
génération a pris le relais depuis et pose désormais des défis inédits
auxquels les critères classiques ont du mal à répondre. Ce chapitre
préliminaire permettra d’ébaucher une distinction généralement
occultée, entre deux types de mesures d’expropriation indirecte
(section 2). Cette distinction fondamentale sera le fil conducteur de
cette étude. Auparavant, il est essentiel de revenir sur la singularité
de la notion d’expropriation indirecte, singularité qui explique les
difficultés rencontrées lors du processus de qualification (section 1).

Section 1 – L’expropriation indirecte : une clause singulière


de protection internationale de l’investissement étranger

La clause d’expropriation indirecte, telle qu’elle est formulée


généralement dans les traités de protection des investissements41, est
singulière à un double titre. Elle se distingue d’abord au sein des
standards de protection prévus dans lesdits traités, comme l’unique
comportement étatique dont l’exercice, quoique préjudiciable, est
autorisé (§ 1). L’expropriation indirecte présente ensuite des parti­

40 Certains auteurs procèdent à une typologie des mesures d’expropriation indi­


recte sur la base de critères différents. Mais ces typologies ont en commun de
ne pas viser la recherche de critères de qualification adaptés à chaque catégorie
de mesure. Voir, par exemple, M. SORNARAJAH, The international Law of foreign
Investment, 3e éd., Cambridge, Cambridge University Press, 2010, p. 367 ; B. H.
WESTON, op. cit., note 36, pp. 103-175 ; Y. NOUVEL, « L’indemnisation d’une
expropriation indirecte », in Forum du droit international/International Law Forum,
Vol.5, 2003, n° 3, pp. 198-204 ; HEISKANEN, « The Contribution of the Iran-
United States Claims Tribunal to the Development of the Doctrine of Indirect
Expropriation », International Law Forum, Vol. 5, n° 3, août 2003, pp. 178-187.
41 Notons qu’il n’existe pas une clause conventionnelle spécifique d’expropriation
indirecte. Une seule et même clause prévoit les deux hypothèses de
l’expropriation directe et indirecte.

14
cularités remarquables par rapport à l’expropriation directe qui lui
confère une tendance naturelle à l’extension, voire à la dérive (§ 2).

§ 1 – Une clause originale au sein des


standards de protection de l’investissement étranger

Les traités de protection des investissements sont généralement


perçus comme un « répertoire d’obligations à la seule charge de
l’État »42. Toutefois, une clause particulière fait littéralement excep­
tion dans ce catalogue. L’expropriation, qu’elle soit directe ou indi­
recte, est un droit souverain étatique reconnu, mais si strictement
encadré que l’on en perçoit plus que les conditions d’exercice et les
obligations inhérentes (A). Plus important encore, et contrairement
aux standards de protection de l’investisseur, l’expropriation met en
jeu une indemnisation ayant un double rôle (B). Cette dualité de
fonction conduit à rendre l’hypothèse d’expropriations indirectes
licites improbable (C).

A. Un droit souverain dans un catalogue d’obligations étatiques

Afin de saisir la singularité de la clause d’expropriation indirecte


parmi les standards de protection prévus dans les traités de protec­
tion des investissements, trois principales clauses peuvent être isolées
aux fins de comparaison43. Il s’agit des clauses du traitement juste et
équitable, de l’interdiction de la discrimination tant en faveur des
nationaux (traitement national) que des autres investisseurs étran­
gers (clause de la nation la plus favorisée – CNPF), et de la pleine
protection et sécurité. Ces trois règles, indépendamment de leur
contenu, ont un point commun : ce sont des préceptes de conduite
et précisément des obligations de ne pas faire. En effet, à travers
ces trois prescriptions, les autorités nationales et locales sont tenues
d’avoir la conduite prescrite par ces clauses. De ce fait, la simple véri­
fication de l’existence d’un comportement contraire déclenche ipso
facto la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite :
pratiques injustes ou inéquitables, pratiques discriminatoires ou pra­
tiques portant atteintes à la sécurité de l’investissement.

42 En effet, dans ces traités, les investisseurs n’y ont que des droits et pas d’obliga­
tions. Voir par exemple l’analyse de F. HORSHANI dans Investment Treaty News,
mai 2009, « Do bilateral investment treaties lead to more foreign investment ? »,
par D. VIS-DUMBAR et S. H. NIKIEMA (http://www.iisd.org/itn/wp-content/
uploads/2009/05/ITN-May-2009.pdf).
43 Les autres clauses les plus communes sont : la définition de l’investissement
protégé, l’interdiction des prescriptions de résultat, le libre transfert de
capitaux, le respect des engagements contractuels ou clause parapluie,
l’arbitrage interétatique, l’arbitrage investisseur-État, etc. Quelques exceptions
apparaissent désormais dans les traités signés depuis la fin des années 1990.

15
Il en va autrement de la clause d’expropriation, la seule qui pose
avant tout une faculté, une liberté d’agir, un droit à une conduite
particulière. Tout État qui accueille des investissements privés étran­
gers sur son territoire dispose en vertu du droit international, d’un
droit souverain d’exproprier, que ce soit directement en retirant le
titre de propriété ou indirectement en détruisant l’intégrité maté­
rielle ou l’utilité économique de l’investissement. En rappel, ce droit
souverain ne fait plus aujourd’hui l’objet d’aucune contestation à tel
point qu’il a été affirmé que « the general principle that a State may law-
fully expropriate the property interests of a foreign non-State party located
within its borders is universally recognized »44. D’ailleurs, en cas de litige,
la plainte de l’investisseur étranger ne porte pas sur le droit de l’État
d’exproprier son investissement, mais bien sur l’existence et/ou le
montant de l’indemnisation due.
Cette particularité de la clause d’expropriation a une conséquence
importante. Du fait que l’acte d’exproprier, bien que préjudiciable à
l’investisseur étranger, soit d’abord un droit souverain, la distinction
classique entre règle primaire et règle secondaire de la responsabilité
des États se teinte d’une nuance essentielle. En matière de responsa­
bilité internationale des États, les règles primaires sont celles dont la
violation engage la responsabilité des États (obligations primaires)
et les règles secondaires sont celles qui régissent la responsabilité
des États pour la violation des règles primaires (obligations secon­
daires). En d’autres termes, la règle primaire définit « le contenu de
l’obligation qu’elle impose » et la règle secondaire établit « si cette
obligation a été violée et quelles doivent être les suites de cette viola­
tion »45. Dans la responsabilité internationale en cas d’expropriation,
l’obligation primaire ne réside pas dans l’acte d’exproprier qui est
un droit, mais dans les conditions exigées pour sa mise en œuvre
licite. Par conséquent, un État n’engage pas sa responsabilité inter­
nationale en expropriant46. Cela ne surviendra que lorsqu’il ne res­
pecte pas les conditions de son exercice. Ce sera le cas par exemple,
lorsque l’État expropriant aura manqué à son obligation primaire
d’indemniser. Dans ce cas, « il y a […] une obligation « primaire » de
compenser et, en cas de manquement à cette obligation, une obli­
gation « secondaire » de dédommager à titre de responsabilité »47.

44 A. WESTBERG, B. P. MARCHAIS, op. cit., note 37, p. 454.


45 Jusqu’à l’élection du Rapporteur spécial R. AGO, la distinction entre règles
primaires et règles secondaires n’était pas clairement faite. Sur cette distinction,
voir Annuaire de la Commission du droit international, 1970, vol. II, p. 327, § 66 (c).
46 C’est pourquoi aucun tribunal ne peut exiger d’un État qu’il retire une mesure
d’expropriation, même illicite. Il ne peut qu’octroyer une indemnisation pour
fait internationalement illicite.
47 K. ZEMANEK, « La responsabilité des États pour fait internationalement illicite
ainsi que pour faits internationalement licites », in Responsabilité internationale,
Cours et travaux de l’Institut des Hautes Études Internationales de Paris, Paris,
Pedone, 1987-1988, p. 21.

16
Cela dit, le fait que la clause d’expropriation reconnaisse un droit
souverain dont l’exercice est encadré pour qu’il ne porte pas pré­
judice aux tiers n’est pas exceptionnel en soi. Les droits nationaux
et le droit international reconnaissent des droits strictement enca­
drés. Mais dans ces cas, le préjudice résulte généralement de l’usage
excessif, déraisonnable, ou défectueux de la faculté octroyée. Or ici,
le préjudice est inhérent à la mise en œuvre dudit droit. De ce fait,
l’exercice du droit d’exproprier et le préjudice causé ne sont que
l’envers et l’avers d’une même pièce ; ils sont inextricables.
L’indemnisation, qui constitue une question centrale en cas d’ex­
propriation, peut donc remplir deux fonctions distinctes.

B. Une indemnisation de nature hybride

La conséquence juridique attachée à la responsabilité internatio­


nale pour fait illicite est de réparer le préjudice causé, soit en rétablis­
sant la situation juridique antérieure au fait illicite, soit en indemni­
sant la personne lésée si un retour à la normale n’est pas indiqué ou
matériellement possible. Avec l’expropriation, le retrait de la mesure
étatique en vue du rétablissement de la situation initiale n’est pas
envisageable, sauf à renier le droit souverain d’exproprier48.
En pratique, l’indemnisation intervient d’abord dans les éléments
constitutifs du fait générateur de la responsabilité de l’État, lorsque
l’État omet d’indemniser l’investisseur exproprié. Ce qui est ailleurs
la conséquence juridique de la commission d’un acte illicite consti­
tue ici la résultante de l’exercice normal d’un droit49. Ensuite, s’il y a
lieu, elle découlera de l’établissement d’une responsabilité interna­
tionale de l’État d’accueil comme moyen de réparation. Il s’agit là
d’un mécanisme assez singulier qui s’explique par le fait qu’un acte
préjudiciable par définition est affirmé comme un droit légitime. En
effet, dès lors que l’expropriation a été reconnue comme licite en soi,
le problème a été de rendre l’indemnisation systématique en dehors
du jeu normal de la responsabilité internationale pour fait illicite. Il
fallait donc que l’indemnisation ne dépende pas de la violation de
la règle, mais qu’elle se situe au niveau des conditions de sa mise en
œuvre.
Ce mécanisme singulier a conduit à des controverses importantes
sur la véritable nature de cette indemnisation. D’une part, s’agit-il
d’une condition de licéité ou d’une conséquence de l’illicéité ? La

48 On citera néanmoins au moins une affaire dans laquelle un tribunal CIRDI a


exceptionnellement proposé à l’État d’accueil de rétablir un certificat de zone
franche qui avait été annulé, à défaut d’indemniser l’investisseur lésé. Voir A.
Goetz c. Burundi (ARB/95/03), sentence CIRDI du 10 février 1999.
49 Pour une étude détaillée sur la réparation du dommage, voir J. ORTSCHEIDT,
La réparation du dommage dans l’arbitrage commercial international, Paris, Dalloz,
2001.

17
logique voudrait, comme certains commentateurs ont tenté de le
défendre en vain, que l’indemnisation soit une conséquence légale
de l’expropriation et non une condition de licéité50. Cette contro­
verse entre l’«  indemnisation-conséquence 
» et l’« 
indemnisation-condi-
tion »51, s’est terminée par le succès de la dernière théorie52. D’autre
part, une fois, admis qu’il s’agit d’une condition de licéité, comment
distinguer l’indemnisation pour expropriation licite de l’indemnisa­
tion pour expropriation illicite53 ?
En réalité, s’agissant de l’expropriation indirecte, ces controverses
prennent une nouvelle tournure, car l’hypothèse même d’une
mesure équivalente à une expropriation de nature licite est difficile
à concevoir.

C. L’improbable expropriation indirecte licite

Dans une expropriation directe, l’État assume le fait qu’il commet


un acte impliquant une indemnisation à travers l’adoption d’une
loi ou l’édiction d’un décret. En cas de refus d’indemnisation ou
d’indemnisation insuffisante, sa responsabilité pour un fait interna­
tionalement illicite peut logiquement être mise en cause. Par contre,
imaginer des hypothèses d’expropriations indirectes licites s’avère
un exercice difficile. Prenons deux exemples de mesures étatiques
qui pourraient être qualifiées d’expropriation indirecte en vertu
d’un traité de protection des investissements : la résiliation unilaté­
rale d’une autorisation d’investissement par l’administration et le
classement d’une forêt en zone protégée dont l’exploitation à des
fins économiques est désormais interdite.
Dans le premier exemple, l’administration sait évidemment que
sa décision n’est pas anodine. Ce type de mesure présente une forte
probabilité de détruire l’investissement qui était le support de l’auto­
risation. À partir de là, idéalement, l’État peut prendre les devants
et indemniser la victime, même si le montant est jugé insuffisant.
Dans une telle hypothèse, à supposer que le tribunal se prononce
sur la nature de l’indemnisation octroyée, il conclura à une expro­

50 Cette position, aujourd’hui écartée, a été défendue par des auteurs tels que B.
STERN, « 3 arbitrages, un même problème, 3 solutions », Rev. Arb. 1980, p. 35 ;
M. PELLONPAA, M. FRITZMAURICE, op. cit., note 8, pp. 69-70.
51 Expressions utilisées par S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage…,
op. cit., note 1, p. 524 et p. 538, pour désigner respectivement l’indemnisation
comme conséquence de l’acte d’exproprier et l’indemnisation comme condition
de licéité de l’acte d’exproprier.
52 Pour les défenseurs de cette doctrine, voir P. WEIL, « Problèmes relatifs aux
contrats passés entre un État et un particulier », RCADI, 1969, t. 128, p. 224 ;
J.-P. LAVIEC, Protection et promotion des investissements, étude de droit international
économique, Genève, IHEI, & Paris, PUF, p. 172.
53 Pour un exposé des doctrines qui se sont opposées sur cette question, voir S.
MANCIAUX, Investissement étranger et arbitrage…, op. cit., note 1, pp. 523-533.

18
priation indirecte licite. Le titre de propriété est intact, l’État ne s’est
pas approprié le bien. Il pouvait n’avoir même pas voulu léser l’inves­
tisseur, mais il pouvait objectivement prévoir que les conséquences
seraient désastreuses pour ce dernier. Théoriquement donc, ce type
de mesure, si elle s’avérait constituer une expropriation indirecte,
peut se prendre de manière licite. Dans l’affaire LESI c. Algérie 54, le
litige portait sur la résiliation unilatérale d’un contrat de construc­
tion d’un barrage entre l’Agence Nationale des Barrages et un inves­
tisseur italien. Étant donné que l’Algérie s’était engagée à verser
une indemnité (en conformité également avec son droit national),
le tribunal a considéré qu’une expropriation ne saurait résulter de
la simple absence d’accord sur le montant de l’indemnité offerte.
En définitive, le tribunal n’a pas trouvé que les conditions d’une
expropriation indirecte étaient réunies. Mais si la réponse avait été
positive, il aurait probablement conclu à une expropriation indirecte
licite, avant de recalculer le montant adéquat dû à l’investisseur.
Dans le second exemple, il y a peu de chance qu’un État puisse,
avant l’édiction de la mesure litigieuse, assumer qu’il s’agit d’une
mesure indemnisable. Soit parce qu’il n’est pas possible d’anticiper
les conséquences préjudiciables. Soit parce les autorités gouverne­
mentales estiment ne pas poser un acte d’expropriation, même indi­
recte. Supposons qu’un complexe touristique ait pour principale
activité l’organisation d’excursions sur un site préhistorique situé
dans la forêt, et que l’investisseur soit protégé par un TBI. Si une
procédure arbitrale est enclenchée, le tribunal compétent pourrait
qualifier la mesure d’expropriation indirecte. Il est probable qu’à
ce moment, à condition qu’elle ne soit pas considérée comme dis­
criminatoire et qu’elle vise un intérêt public, la mesure sera quand
même illicite, car non accompagnée d’indemnisation. Si on ajoute à
cela le fait que la majorité des TBI exigent une indemnisation « préa­
lable » à l’expropriation, il n’est plus possible d’envisager une expro­
priation indirecte licite dans ce cas de figure. On comprend mieux
alors pourquoi l’expropriation indirecte cristallise à ce point les
objections des États. Ils y voient finalement un droit dont ils peuvent
déclencher l’exercice accidentellement avec des coûts financiers impor­
tants à la clé.
La possibilité d’une expropriation indirecte licite est donc en
général peu probable. Ce n’est là qu’une illustration des particulari­
tés de cette clause, dont la plus importante réside sans conteste dans
ses rapports avec la notion d’expropriation elle-même.

54 LESI, S.p.A. et Astaldi, S.p.A. c. Algérie (ARB/05/3), sentence CIRDI du 12


novembre 2008.

19
§ 2 – La particularité au sein de l’expropriation lato sensu

L’expropriation indirecte n’est pas une notion juridique auto­


nome. Elle tire sa filiation juridique de l’expropriation directe (A).
Mais contrairement à cette dernière, il est moins aisé de définir l’ex­
propriation indirecte, en raison de sa nature fonctionnelle et de la
multiplicité de ses critères (B).

A. Une filiation juridique spécifique

L’expropriation directe comme référent de l’expropriation indirecte


Les rapports entre « expropriation » lato sensu, « expropriation
directe » et « expropriation indirecte » semblent de prime abord assez
simples. Le premier terme apparaît comme la notion générique qui
détermine le régime juridique commun applicable à ses deux sous
catégories. Les deux autres expressions apparaissent donc comme
deux subdivisions spécifiques renfermant les caractéristiques com­
munes à toute expropriation. Autrement dit, tout en obéissant à des
critères de définition propres, l’expropriation directe et l’expropria­
tion indirecte relèvent du même régime juridique, celui de l’expro­
priation lato sensu. Cette conclusion est confortée par l’usage très
répandu de l’expression « mesure équivalente à une expropriation »
comme synonyme de l’expropriation indirecte, et non de « mesure
équivalente à une expropriation directe ».
Aussi séduisante que puisse être une telle démonstration, elle doit
être nuancée dans la réalité. Le doute commence avec l’absence
d’une définition propre à l’expropriation lato sensu. On constate
rapidement en parcourant la littérature spécialisée que l’expropria­
tion est fréquemment définie comme l’expropriation directe55. Mais
surtout, elle est rarement définie elle-même. Aussi bien dans la juris­
prudence que la doctrine, les définitions proposées visent directe­
ment chaque forme d’expropriation. Ainsi, il a été affirmé que

« expropriation […] includes not only open, deliberate and acknowledged takings
of property, such as outright seizure or formal or obligatory transfer of title in favor
of the host State, but also covert or incidental interference with the use of property
which has the effect of depriving the owner, in whole or in significant part, of the
use or reasonably-to-be-expected economic benefit of property even if not necessarily
to the obvious benefit of the host State »56.

55 Voir par exemple, G. SACERDOTI, « Bilateral Treaties and Multilateral Instrument


of Investment Protection », Rec. Cours de La Haye, tome 269 (1997), p. 379, qui affirme
que « by expropriation is meant the coactive appropriation by the State of private property,
usually by means of individual administrative measure ». Voir aussi la définition présentée
par R. BACHAND, M. GALLIE, S. ROUSSEAU, op. cit., note 31, p. 575.
56 Metalclad Corporation c. United Mexican States (ARB (AF)/97/1), sentence du
30 août 2000, § 103.

20
Cette citation reflète à elle seule la non-définition de l’expropria­
tion lato sensu. Pour une bonne partie de la doctrine et des tribunaux,
notamment lors des grandes vagues de nationalisations, l’expro­
priation renvoyait simplement à l’expropriation directe et formelle.
Mais pouvait-il en être autrement quand l’on sait que l’expropria­
tion a d’abord et pendant longtemps été « directe » et « formelle » ?
L’« expropriation » lato sensu n’est donc qu’une enveloppe creuse qui
regroupe deux réalités. Cependant, expropriation directe et indi­
recte forment deux entités inextricablement liées et soumises à un
régime juridique commun. Les mêmes droits sont protégés contre
toutes les formes d’expropriations. Une fois qualifiée d’expropria­
tion, toute mesure, directe ou indirecte, devra remplir les mêmes
conditions de licéité. Mais tout en obéissant aux mêmes conditions
de mise en oeuvre, expropriation directe et indirecte ne résultent
pas de critères de définition identiques.
L’expropriation indirecte est rattachée et subordonnée à l’expro­
priation directe. Il faut comprendre par cette affirmation que c’est
le régime juridique de l’expropriation directe qui s’est étendu à
l’expropriation indirecte. C’est également la définition de l’expro­
priation directe qui a servi de socle à l’élaboration de la définition
de l’expropriation indirecte. Cette précision est importante pour
l’expropriation indirecte, car sa filiation juridique étant l’expropria­
tion directe, c’est corrélativement, en fonction de ce référent que
pourront être tracés ses contours.

L’expropriation indirecte comme « catégorie-reflet » de l’expropriation directe


Par catégorie-reflet, nous désignons une catégorie juridique qui se
présente et se définit comme l’image d’une autre catégorie ou notion
juridique. De ce fait, la catégorie-reflet se construit en référence à une
autre notion ou catégorie préexistante. Cette relation se traduit
concrètement par l’établissement d’un rapport d’équivalence entre
la seconde catégorie (la catégorie-reflet) et la première catégorie (le
référent). Sans ce rapport d’équivalence, la catégorie-reflet n’a aucune
consistance propre. Cette dernière ne fait que refléter sa catégorie
ou notion de référence. Ainsi définie, l’expropriation indirecte est
une catégorie-reflet de l’expropriation directe. On devrait alors parler
plus rigoureusement de mesure équivalente à une expropriation directe.
En vue de la démonstration, il est utile de recourir à une description
imagée. Imaginons un chemin. À l’une de ses extrémités s’étend une
masse informe et infinie de faits qui ne peuvent être classés comme
des expropriations directes, mais entretiennent avec ces dernières
des similitudes plus ou moins importantes. Appelons cette masse,
celle des faits-candidats. À l’autre extrémité du chemin se trouve une
aire réservée aux mesures d’expropriation indirecte ainsi qualifiées ;
lesquelles mesures doivent refléter au mieux l’image d’une expro­
priation directe. À mi-chemin, est placé le rapport d’équivalence qui
jouera le rôle d’un miroir reflétant l’expropriation directe. Il ne s’agit

21
pas de renvoyer une image fidèle en tout point, mais une image sem­
blable au référent. Si en réfléchissant sur le miroir, les faits-candidats
ressemblent à une expropriation directe par un ou plusieurs aspects
déterminés au préalable comme fondamentaux, les faits seront donc
accueillis dans l’aire dédiée aux expropriations indirectes. Ce miroir
est en réalité un critérium, un filtre. Il constitue l’examen de passage
obligé qui permettra de canaliser, puis d’élire les faits-candidats au
statut d’expropriation indirecte. La place de ce critérium est donc
primordiale pour une catégorie-reflet. Et tout l’enjeu de la définition
de l’expropriation indirecte réside dans le choix des critères qui
composeront le critérium.
Pour une catégorie-reflet, le critère fondamental s’appelle « équiva­
lence », il s’agit alors de comparer un fait à un critère et non d’appliquer
un fait à un critère. Toutefois, il n’est pas nécessaire que le critérium
soit composé de tous les éléments caractéristiques d’une expropria­
tion directe. En effet, pour qu’un fait-candidat puisse déjà prétendre
passer le test de l’équivalence, il faudrait qu’il ait un minimum de
rapport avec l’expropriation directe. De ce fait, pour certains cri­
tères, aucune recherche d’équivalence ne sera nécessaire, car ils
seront déjà vérifiés par le procédé classique de qualification. Ce sera
par exemple le cas pour un acte non imputable à l’État d’accueil.
En matière d’imputabilité, soit l’acte est imputable à l’État d’accueil,
soit il ne l’est pas. On ne saurait envisager un acte équivalant à une
imputabilité à l’État d’accueil. En revanche, il est possible d’envisa­
ger un acte équivalant au retrait d’un titre de propriété ou encore un
acte équivalant à l’appropriation d’un bien.
La catégorie-reflet, par l’infinité des hypothèses qu’elle suggère au
départ, est encline à attirer tous les faits qui gravitent autour de la
catégorie de référence. En effet, le risque serait de croire que tout ce
qui ressemble de près ou de loin à une expropriation directe, mais
ne remplit pas toutes les conditions étroites de cette dernière, pourra
tomber dans la catégorie de l’expropriation indirecte. Il faudra donc
veiller à ne pas modeler la définition de l’expropriation indirecte de
sorte que celle-ci ait un « effet d’attraction »57 sur tous les faits-candidats.
À notre avis, l’expropriation indirecte attirera à elle seulement les
cas qui remplissent les caractéristiques fondamentales d’une expro­
priation directe sans pour autant remplir ses conditions accessoires
ou secondaires. Par conséquent, elle ne doit pas servir à récupérer
simplement tous les faits qui sont difficiles à classer.

57 D’après l’expression de C. JARROSSON, La notion d’arbitrage, Paris, LGDJ, 1987,


p. 212.

22
B. Une catégorie fonctionnelle

Une fois déterminée la filiation juridique particulière entre l’ex­


propriation directe et l’expropriation indirecte, il convient de rele­
ver une autre particularité de cette dernière.
L’expropriation indirecte est une notion fonctionnelle par excel­
lence. Comme on le sait, les notions de ce type ne trouvent leur unité
que dans la fonction qui leur est assignée. On a pu dire qu’elles « ne
sont pas rigoureuses (…) et présentent l’inconvénient de n’être jamais ache-
vées, d’avoir un contenu qu’une définition ne peut épuiser à elle seule »58.
L’expropriation indirecte répond parfaitement à cette description.
Elle trouve son fondement et son unité dans le souci de protéger
effectivement l’investisseur contre les comportements préjudiciables
de l’État, au-delà des mesures formelles d’expropriation. L’expro­
priation indirecte ne se conçoit pas indépendamment de cette
utilité. L’appareil étatique dispose d’une multitude de procédés
pour porter préjudice à un investisseur, sans pour autant revêtir la
forme d’une expropriation directe. Le droit conventionnel a érigé
le concept d’expropriation indirecte pour faire face aux lacunes de
la protection offerte par le régime juridique de l’expropriation for­
melle et directe. Par conséquent, cette notion doit être relativement
modulable pour remplir sa fonction. Mais cela ne signifie pas qu’elle
a un champ d’application illimité. L’expropriation indirecte n’est
pas une catégorie fourre-tout qui attirerait à elle toutes les situations
présentant un doute de qualification. La protection octroyée à l’in­
vestissement est une protection effective, allant certes au-delà de la
protection formelle, mais elle n’a jamais été une protection absolue
contre tous les risques encourus dans un pays.
Il demeure que l’expropriation indirecte comprend a priori une
infinité d’hypothèses que ne peut encadrer une définition rigide.
Étant une notion fonctionnelle, l’expropriation indirecte est amenée
à évoluer au gré des nouvelles réalités qui l’influencent. Le critérium
du rapport d’équivalence s’est façonné et se façonnera continuel­
lement pour s’adapter aux réalités des formes diverses d’atteintes
indirectes à l’investissement. De ce fait, les critères de comparaison
élaborés pour enserrer ces hypothèses de mesures pourraient ne
plus être adaptés pour d’autres hypothèses. C’est ce que la section
suivante ambitionne de démontrer sans préjuger pour l’instant du
choix des critères adéquats pour chaque type de mesure.

58 C. JARROSSON, ibidem, p. 227.

23
Section 2 – La distinction entre
mesures verticales et mesures horizontales

La typologie des mesures d’expropriation indirecte proposée ci-


après provient d’un constat simple. Les mesures par lesquelles les
investisseurs étrangers étaient dépossédés, il y a environ un siècle,
de la valeur de leurs biens ou de leurs investissements ne sont plus
d’actualité. Il faut préciser immédiatement que cette affirmation
ne doit pas, et ne veut pas, dissimuler l’existence isolée de mesures
typiques d’une génération dans le courant de l’autre génération.
Mais l’exception ne fait que confirmer la règle. Une expropriation
indirecte peut survenir en effet par le biais de deux types de mesures
étatiques. Alors que dans un premier temps, les mesures étatiques
préjudiciables visaient directement l’investissement ou l’investisseur
dans une relation verticale délibérée (§ 1), les mesures étatiques de
la seconde génération sont désormais diffuses et atteignent l’inves­
tisseur par une trajectoire horizontale généralement fortuite (§ 2).
Cette distinction s’avère primordiale pour le processus de qualifica­
tion d’une expropriation indirecte.

§ 1 – Les mesures verticales de la première génération

Cette catégorie de mesures étatiques se distingue par une verti­


calité dans le processus d’atteinte à l’investissement. Après avoir
dégagé une approche théorique (A), la revue de la jurisprudence
pertinente ancienne permettra d’en confirmer l’existence et la spé­
cificité (B). Mais, comme on a pu l’affirmer, « il ne suffit pas que des
dissemblances importantes séparent deux catégories […] pour que
l’on puisse en conclure qu’elles sont régies par une méthode diffé­
rente »59. En réponse à cette préoccupation, il faudra montrer que les
mesures de la première génération ont en commun d’avoir cristallisé
un rapport de filiation juridique étroit avec l’expropriation directe,
rapport sur lequel repose la définition actuelle de l’expropriation
indirecte (C).

A. La mesure verticale : essai de définition

Intuitivement, la mesure verticale d’expropriation indirecte peut


être définie comme celle qui désigne nommément les investisseurs/
investissements auxquels elle s’applique et dont l’effet est de modifier
immédiatement la situation juridique de ses destinataires. Appré­
hendée de la sorte, la mesure verticale d’expropriation indirecte se
rapproche très nettement de la « décision » telle qu’elle est définie

59 P. MAYER, La distinction entre règles et décisions et le droit international privé,


Bibliothèque de droit international privé, Dalloz, Paris, 1973, p. 5.

24
en droit. La comparaison devient alors utile pour la définition de la
mesure verticale.
Les normes juridiques sont classées en deux catégories : les règles
ou les décisions. La règle est définie comme une norme générale et
abstraite. A contrario, la décision peut être définie comme la norme
juridique à laquelle manquent trois caractéristiques : la généralité
(dans le sens d’une norme impersonnelle), l’abstraction (les desti­
nataires de la norme sont envisagés de manière abstraite à travers
des critères déterminés) et l’hypothèse (quiconque remplit les condi­
tions abstraites tombe automatiquement sous l’empire de la norme).
La décision est donc une norme « concrète, catégorique et non per­
manente »60. L’effet juridique de la décision est instantané, car elle
prend fin une fois qu’elle s’est réalisée en la personne du ou de ses
destinataires. Mais comme l’a constaté un auteur averti, « l’opposi­
tion entre règles et décisions ne coïncide pas avec l’opposition entre
normes individuelles et normes générales »61. Ainsi, une décision
peut viser un large groupe d’individus qui sont pourtant identifiés
au moment de l’édiction de la norme. C’est le cas, par exemple,
d’une décision d’expulsion des locataires d’un immeuble. Il s’agit en
réalité d’une décision collective pouvant se décomposer en plusieurs
décisions individuelles. Dans la décision comme dans la mesure ver­
ticale, le ou les destinataires sont individuellement désignés dans le
texte. Dans le même ordre d’idées, il est intéressant de noter qu’une
abondante jurisprudence existe sur la distinction entre le règle­
ment (compris dans le sens d’une règle abstraite et générale) et la
décision dans le cadre de l’interprétation des articles 189 alinéas 2,
4 et 173 alinéa 2 du traité de Rome par la Cour des Communautés
Européennes (CCE). Les solutions dégagées sont intéressantes et se
rapprochent de ce qui vient d’être exposé. Il a ainsi été affirmé de
manière d’abord approximative, que la décision se caractérise par
« la limitation des destinataires », avant de poser plus rigoureusement
que les sujets concernés doivent être « désignés ou identifiables », en
dehors « de catégories de personnes envisagées de manière générale
et abstraites » et enfin, qu’une décision peut « s’analyser en un fais­
ceau de décisions individuelles » 62.

60 P. MAYER, ibidem, p. 51.


61 Ibid, p. 36.
62 Voir respectivement, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes et
autres c. Conseil de la Communauté économique européenne, 14 décembre 1962, Rec.,
t. VIII, pp. 901-921 ; Industria Molitoria Imolese et autres c. Conseil des Communautés
européennes, 13 mars 1968, Rec., t. XIV, pp. 171-182, Zuckerfabrik Watenstedt GmbH
c. Conseil des Communautés européennes, 11 juillet 1968, Rec., t. XIV, pp. 595-607 ;
NV International Fruit Company et autres c. Commission des Communautés européennes,
13 mars 1971, Rec., t. XVII, pp. 411-429. Cette jurisprudence porte sur la recev­
abilité des recours en annulation des personnes physiques et morales qui est
limitée aux « décisions » du Conseil ou de la Commission de la Communauté

25
Un exemple vraisemblable qui récapitule une série de mesures de
cette catégorie permet d’illustrer ce que recouvre concrètement la
mesure verticale. Un investisseur privé étranger installé dans un pays
exploite une usine de fabrication de boîtes de tomates. On suppose
qu’il est en concurrence sur le marché local avec deux investisseurs
nationaux et un autre investisseur étranger. Par la suite, les autorités
gouvernementales décident de lui retirer l’autorisation d’exploita­
tion, rendant l’activité désormais illégale. Face au refus d’obtempé­
rer, la police vient fermer les locaux et décide de la saisie des équipe­
ments. L’investisseur est ensuite expulsé du territoire national. On
laissera de côté pour l’instant la raison initiale du retrait de l’auto­
risation. Cet exemple correspond en tout point à l’hypothèse des
mesures verticales. En premier lieu, les mesures sont prises en direc­
tion d’un investissement particulier parmi quatre (cela pourrait
être aussi plusieurs investisseurs au sein d’un secteur économique
donné). En deuxième lieu, l’objectif de cette mesure était de modi­
fier la situation initiale de l’investisseur (ici l’arrêt de l’exploitation).
En troisième lieu, le résultat de l’application de la mesure est la des­
truction de l’investissement dans son intégrité. Ce dernier n’existe
plus pour l’investisseur dans les faits, même s’il détient encore for­
mellement son titre de propriété. Il en résulte que c’est la chose sur
laquelle porte le droit de propriété qui est détruite, laissant le droit
lui-même intact, mais sans objet. S’il s’agissait de droits purement
incorporels, comme des créances, on dirait que le droit est lui-même
détruit sans qu’il y ait eu transfert d’un patrimoine à un autre.
La verticalité de la mesure ne se constate donc pas seulement dans
le processus par lequel l’investissement est touché, mais aussi dans
le fait que l’investissement est détruit directement dans son exis­
tence corporelle ou incorporelle. De ce fait, on peut voir dans les
expropriations indirectes par mesures verticales, des expropriations
directes auxquelles fait uniquement défaut le caractère formel, c’est-
à-dire une loi ou un décret d’expropriation manifestant officielle­
ment la volonté étatique de priver l’investisseur de son investisse­
ment. Un État qui entreprend la saisie définitive d’un hôtel, mais
sans une loi ou un décret d’expropriation préalable, comme dans
l’affaire Wena Hôtels c. Égypte 63, fait-il autre chose que le retrait pur
et simple de la propriété sur un bien ? Dans cette affaire, le litige
provenait de l’occupation de deux hôtels gérés par l’investisseur par
décision d’une autorité gouvernementale. Cette occupation, suivie
de la nomination forcée d’administrateurs, à la suite d’un différend
sur les obligations contractuelles entre les deux parties, fut effectuée
avec l’aide de l’armée avant que la justice locale ne rétablisse l’inves­

Economique Européenne à l’exclusion des règlements. En raison de ce cadre


bien spécifique, on se limitera à ces brèves remarques.
63 Wena Hotels Limited c. Égypte (ARB/98/4), sentence CIRDI du 8 décembre 2000.

26
tisseur dans ses droits. Mais dans l’intervalle, les hôtels avaient subi
des dommages importants et irréversibles.
Les toutes premières mesures verticales se traduisaient générale­
ment par des actes physiques : saisie de biens, destruction ou ferme­
ture de locaux, expulsion d’investisseurs, etc. La nature physique des
préjudices s’expliquait au regard des formes d’investissements qui
existaient à l’époque. Les biens étrangers, puis les premiers inves­
tissements qui ont suivi étaient généralement des biens meubles ou
immeubles corporels. Et quand les droits rattachés à l’investissement
ont eu droit à une protection autonome, ils étaient encore indisso­
ciables d’éléments corporels. Aujourd’hui, un investissement pro­
tégé par un TBI peut se résumer à des éléments incorporels tels que
des avoirs dans une entreprise, des droits de créances, des droits de
propriété intellectuelle, etc. De nos jours, les mesures verticales sont
rarement constituées par des atteintes physiques en raison de ces
nouvelles formes d’investissements. Ce sont plutôt les annulations
de permis ou d’autorisations d’investissement, dont dépend vitale­
ment une activité économique protégée, qui abondent. Les atteintes
physiques ne sont donc pas une caractéristique fondamentale de la
mesure verticale.
En définitive, par mesure verticale, il faut entendre une mesure
étatique prise en direction d’un investisseur/investissement ou d’un
groupe d’investisseurs/investissements étrangers prédéfinis, et dont
l’objectif premier est de modifier immédiatement leur situation juri­
dique en portant atteinte à l’existence de leurs droits. Autrement
dit, les destinataires de la mesure verticale sont visés en tant que tels
(il n’y a donc pas de répercussions fortuites or accidentelles), et la
répercussion de la prescription est immédiate sur l’existence même
de l’investissement. En raison de ses caractéristiques, la mesure ver­
ticale pourrait également être désignée par les termes de « mesure
ciblée » ou « mesure à effet immédiat ». Toutefois, parce que le terme
de mesure verticale résume mieux les caractéristiques de ce type de
mesures, ce terme aura notre préférence dans la suite de ce travail.

B. Les mesures verticales dans le


contentieux international de l’expropriation indirecte

Cette revue historique couvrira une période allant du début du


XXe siècle à la fin des années 1990. Il faut préciser que l’analyse ne
concerne pas le raisonnement de fond sur la qualification finale de
la mesure en cause, mais le repérage et la catégorisation des faits-can-
didats au statut d’expropriation indirecte.

La période allant de 1900 à 1940


L’expropriation indirecte, ainsi dénommée, est un terme relative­
ment récent. Son apparition dans un texte d’envergure internatio­
nale ne date que de 1967 avec le projet de convention de l’OCDE

27
sur la protection des biens étrangers qui a servi de modèle à de nom­
breux traités bilatéraux signés par les États européens. Toutefois,
quelques affaires remontant au début du siècle précédent peuvent
être répertoriées comme ayant porté sur une allégation d’expro­
priation indirecte. Certes, il était davantage question de biens étran­
gers que d’investissement, et les arbitres ou les juges ne parlaient
pas encore d’expropriation indirecte. Mais rétrospectivement, ces
mesures peuvent être classées comme telles, et plus précisément
dans la catégorie des mesures verticales. Il s’agit principalement et
pour les plus connues, de la décision de la CPJI sur le fond dans
l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine du 30 août 192464
et de la sentence arbitrale ad hoc dans Lena Goldfields Ltd c. gouver-
nement soviétique du 3 septembre 193065. Les affaires Rialet c. Éthiopie
et Oscar Chinn qui leur sont contemporaines, relèvent en réalité des
rares mesures horizontales litigieuses de cette époque et seront exa­
minées ultérieurement.
Dans l’affaire des Concessions Mavrommatis, la Grèce avait saisi la
CPJI d’une demande contre la Grande-Bretagne, fondée sur le fait
que le gouvernement de la Palestine avait refusé de reconnaître plei­
nement la validité d’un certain nombre de contrats de concession
passés par M. Mavrommatis, ressortissant hellène, avec les autorités
ottomanes en Palestine avant que la Grande-Bretagne ne devienne
Mandataire de la Société des Nations pour ce territoire. Or, aux
termes du protocole XI du traité de Lausanne applicable, le manda­
taire devait, soit maintenir telles quelles les concessions accordées,
soit en renégocier les termes de commun accord avec les concession­
naires, soit enfin les racheter contre une indemnisation. Il s’agis­
sait donc ici d’une mesure verticale de la Grande-Bretagne, dirigée
contre M. Mavrommatis qui lui déniait l’existence de ses droits de
concession.
Le litige dans l’affaire Lena Goldfields portait sur une concession
minière par laquelle le gouvernement russe avait octroyé des droits
exclusifs à une compagnie britannique pour l’exploration et l’ex­
traction de minerais en 1925. La société prétendait que le contrat
de concession avait été détruit par des mesures administratives et
législatives prises à son encontre par le nouveau gouvernement
soviétique. Le tribunal arbitral ad hoc a relevé en effet que lesdites
mesures avaient conduit à une « total impossibility for Lena of either
performing the concession Agreement or enjoying its benefits », ou encore
« deprive the company of available cash resources, to destroy its credit, and

64 Affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine (Grèce/Royaume-Uni), 26 mars


1925, série A, n° 5 (fond).
65 Lena Goldfields Ltd. c. Gouvernement soviétique, sentence du 3 septembre 1930,
reproduite en partie dans A. NUSSBAUM, « The arbitration between the Lena
Goldfields, Ltd., and the Soviet Gouvernment », Cornell Law Quaterly, vol. 36,
1950-1951, pp. 42-53. La sentence a été rendue par défaut.

28
generally to paralyse its activities »66. Le gouvernement soviétique avait
pris les mesures suivantes : non-exécution de ses obligations contrac­
tuelles dues à Lena Goldfields en vertu de la concession, harcèlement
des employés accusés de servir une entreprise capitaliste et arresta­
tion des dirigeants pour espionnage, raids de dévastation des ins­
tallations de l’entreprise, saisie des procédés techniques et docu­
ments confidentiels. L’URSS avait vainement invoqué, pour dénier
la compétence du tribunal, que l’investisseur avait unilatéralement
mis fin au contrat en rappelant son personnel et en cessant toute
activité67. Elle fut néanmoins condamnée pour rupture abusive de
contrat et enrichissement sans cause. Il est probable qu’un tribunal
actuel aurait conclu à une expropriation indirecte de droits contrac­
tuels. Les mesures visaient directement l’investissement et ont rendu
immédiatement caduque l’existence du contrat de concession. Tou­
jours au sein des anciennes affaires traitant d’expropriations indi­
rectes verticales sans ainsi les nommer, les cas de ventes forcées ou
des renégociations de contrats sous la contrainte peuvent également
être mentionnés68.

La période allant de 1940 à nos jours


L’exemple fictif de l’usine de fabrication de boîtes de tomates, rap­
pelle sur plusieurs points l’affaire Biloune c. Ghana 69. Ici aussi, l’in­
vestisseur s’était plaint de mesures qui s’analysent en des mesures
verticales. A. Biloune, ressortissant syrien, avait investi dans le déve­
loppement d’un complexe hôtelier pour en reprendre l’exploitation
à Accra, au Ghana. Aux termes du contrat conclu avec les autori­
tés ghanéennes, l’investisseur procéda à l’essentiel des réparations
et travaux de construction quand le gouvernement émit un ordre
d’arrêt des travaux, invoquant l’absence d’un permis de construire70.
Quelques jours plus tard, une partie des constructions fut démolie.
Suite à cela, M. Biloune – qui ne put présenter d’informations pré­
cises et exhaustives de ses biens, exigées de lui dans un trop bref
délai – fut arrêté, placé en détention pendant 30 jours sans inculpa­
tion, puis expulsé du pays. Le gouvernement a ensuite émis un avis

66 Lena Goldfields, Ibidem, respectivement § 25 et § 21 (i).


67 Lena Goldfields, ibid., § 10.
68 Des cas ont été répertoriés par certains auteurs, mais ces sentences demeurent
rares et délicates à analyser. Voir R. HIGGINS, op. cit., note 41, p. 326. L’auteur
cite l’affaire Gower and Copeland devant la commission mixte des réclamations,
États-Unis-Vénézuéla, et deux affaires sur des biens juifs sous le régime nazi :
Bernstein c. Van Heyghen Frères Société Anonyme de 1947 et Bernstein c. Nederlandsche-
Amerikaansche Stoomvaart-Maatschappij de 1954. Voir également G. C. CHRISTIE,
op. cit., note 37, pp. 324-329 ; et B. H. WESTON, op. cit., note 36, pp. 137-141.
69 Biloune and Marine Drive Complex Ltd c. Ghana Investments Centre and the Government
of Ghana, sentence ad hoc du 27 octobre 1989, ILR, vol. 95, 1990.
70 Ce dernier avait pourtant reçu des assurances officielles que ce permis lui serait
délivré prochainement et qu’il pouvait commencer les travaux sans tarder.

29
indiquant que le site du projet était fermé au public à l’exception des
forces de sécurité.
Parmi les affaires portées devant le CIRDI, les exemples de mesures
verticales abondent, indépendamment du fait qu’elles aient été qua­
lifiées d’expropriations indirectes ou non : retrait d’une autorisation
d’opérer en tant qu’organisme financier dans A. Genin c. Estonie 71 ;
retrait d’un certificat d’entreprise franche dans A. Goetz c. Burundi 72 ;
résiliation unilatérale d’un contrat portant sur un investissement
dans Letco c. Liberia 73 ; Soabi c. Sénégal 74, ou Société d’investigation c. Bur-
kina Faso 75 ; refus de s’acquitter de tout ou partie de ses obligations
contractuelles dans Holidays Inns c. Maroc 76 ; Klöckner c. Cameroun77 ;
Fedax NV c. Venezuela 78 ; CSOB c. Slovaquie 79 ; et Salini Costruttori
c. Maroc 80. On remarque aussi que les toutes premières affaires por­
tées devant le CIRDI sur le fondement d’une clause compromissoire
ou un compromis d’arbitrage et concernant une expropriation indi­
recte procédaient toutes de mesures verticales. Ce fut le cas dans les
affaires Benvenuti c. Congo 81, Amco Asia c. Indonésie 82 et Letco c. Liberia
sus mentionnées. Dans les deux premières affaires, il y avait eu sai­
sie et occupation des biens de l’investisseur par des troupes armées
nationales ; saisie et occupation auxquelles s’est adjointe une nomi­
nation forcée de gérant dans l’affaire Amco Asia. Ce qui les classe
évidemment dans la catégorie des mesures verticales.

71 Alex Genin et autres c. Estonie (ARB/99/2), sentence CIRDI du 25 juin 2001.


72 Antoine Goetz et autres c. Burundi, op. cit., note 48.
73 Liberian Eastern Timber Corp. (Letco) c. Liberia (ARB/83/2), sentence CIRDI du
31 mars 1986.
74 Société Ouest-Africaine des bétons industriels c. Sénégal (ARB/82/1), sentence CIRDI
du 25 février 1988.
75 Société d’investigation, de recherche et d’exploitation minière c. Burkina Faso, sentence
CIRDI du 19 janvier 2000.
76 Holidays Inns SA et autres c. Maroc (ARB/72/1), sentence CIRDI du 23 septembre
1974, suivi du désistement des parties par un accord amiable notifié au tribunal
le 17 octobre 1978. C’est la toute première affaire d’arbitrage portée devant le
CIRDI.
77 Klöckner Indutrie-Anlagen GmbH et autres c. Cameroun et société camerounaise des
engrais (ARB/81/2), sentence CIRDI du 21 octobre 1983 annulée par le comité
ad hoc du 3 mai 1985. Nouvelle sentence rendue le 26 juin 1988 (non publiée).
78 Fedax NV c. Vénézuéla (ARB/96/3), sentence CIRDI du 9 mars 1998.
79 Ceskoslovenska Obchodni Banka AS (CSOB) c. Slovaquie (ARB/97/4), sentence
CIRDI du 1er décembre 2000.
80 Salini Costruttori SpA et Italstrade SpA c. Maroc (ARB/00/4), décision sur la
compétence CIRDI du 23 juillet 2001 suivie d’un désistement des Parties suite à
un règlement amiable notifié le 4 février 2004.
81 Bienvenuti & Bonfant c. République populaire du Congo (ARB/77/2), sentence
CIRDI du 8 août 1980, ICSID Report, vol. 1, 1993, pp. 330 et s.,
82 Amco Asia Corps, Pan Development Ltd and PT Amco Indonesia c.  République d’Indonésie
(ARB/81/1), sentence CIRDI du 20 novembre 1984 annulée partiellement par
le comité ad hoc du 16 mai 1986. Nouvelle sentence du 31 mai 1990, ICSID Rep.,
vol. 1, 1993, pp. 413 et s.

30
Parmi les affaires portées à la CIJ, des allégations d’expropriation
indirectes ont été avancées dans l’affaire de la Barcelona Traction 83,
mais n’ont pu être traitées, le tribunal ayant décliné sa compétence.
Les mesures en causes visaient directement une entreprise cana­
dienne contrôlée par des intérêts belges et remettaient en cause
l’existence même de la société : décision judiciaire de mise en faillite
sans notification de la procédure à la société, saisie des filiales, prise
de contrôle par la nomination de directeurs locaux, refondation et
vente des parts sociales à une société nationale. Ce sont donc des
mesures verticales, sans préjuger naturellement de leur qualification
en expropriation indirecte.
La période de la décolonisation et des revendications pour un
Nouvel Ordre Économique International (NOEI) n’est pas riche
en mesures verticales d’expropriation indirecte. Comme principale
explication, il convient de relever que les nationalisations formelles
avaient la préférence des gouvernements qui voulaient ainsi affir­
mer leur indépendance économique. Il est possible de répertorier
des mesures ayant lésé des investisseurs sans leur retirer le titre de
propriété, mais elles étaient suivies ou précédées de nationalisations
formelles et vues sous cet angle par les tribunaux qui ont eu à les
examiner. C’est ainsi que l’affaire AGIP c. Congo 84, relative à une
nationalisation par décret présidentiel suivie de mesures équiva­
lentes (occupation des locaux de la société par l’armée), est à écar­
ter. On n’est donc pas dans l’hypothèse d’une expropriation indi­
recte, et la nature verticale ou horizontale de la mesure principale
est indifférente85. Mentionnons néanmoins l’affaire Reynolds Jamaica
c. Jamaïque 86, dans laquelle la Jamaïque avait augmenté les taxes sur
l’extraction de la bauxite en multipliant par neuf la charge fiscale
des investisseurs impliqués dans cette activité.

Le contentieux du tribunal des différends irano-américain de 1981


Les sentences rendues par le Tribunal des différends irano-améri­
cains (ci-après Tribunal irano-américain) illustrent excellemment la

83 CIJ, Barcelona Traction Light and Power Company (Belgique/Espagne), 5 février


1970, Rec. 1970.
84 AGIP S.p.A. c. République populaire du Congo (ARB/77/1), sentence CIRDI du
30 novembre 1979, Revue Critique de Droit international Public, 1982, p. 92 et s.
85 Pour des exemples plus anciens de mesures interférant avec la jouissance de
biens étrangers et immédiatement suivies d’une expropriation directe formelle,
on peut citer les mesures cubaines et indonésiennes prises respectivement à
l’encontre d’intérêts américains en 1960 et allemands en 1957. Voir pour plus de
détails, G. C. CHRISTIE, op. cit., note 37, pp. 307-308. À cette période, l’auteur
devait encore justifier de l’intérêt pratique de son étude, tant les nationalisations
étaient au coeur des controverses doctrinales.
86 Reynolds Jamaïca Mines Ltd et Reynolds Metals Co. c. Jamaïque (ARB/77/4), sentence
CIRDI du 6 juillet 1975 sur la compétence, suivi du désistement du demandeur
notifié le 12 octobre 1977.

31
catégorie des mesures classiques verticales. Elles méritent d’être isolées
au sein de cette revue historique, car ce Tribunal a joué un rôle majeur
dans la cristallisation de la doctrine actuelle87. À quelques exceptions
près88, et en dehors des rares expropriations directes, le Tribunal
irano-américain a eu à examiner des allégations d’expropriations indi­
rectes par le biais de mesures verticales dirigées contre l’investisseur :
prise de contrôle de la société où l’investisseur détenait des parts sou­
vent majoritaires par la nomination d’administrateurs locaux (Affaires
Tippetts89 ; Starrett Housing 90 ; Sedco 91) ; suivi parfois d’une déclaration de
nullité d’un contrat qui était le support de l’investissement (Amoco 92 ;
Philips Petrolium 93) ; saisie physique de biens ou occupation de locaux
(William L. Pereira Associates94 ; Computer Sciences Corp 95 ; et Leonard and

87 Ce tribunal ayant à ce jour rendu plus de 300 sentences, il est impossible de


les passer toutes en revue, même de manière superficielle. Aussi, nous avons
opté de nous focaliser sur les premières sentences significatives dont les rai­
sonnements furent essentiellement appliqués dans les affaires ultérieures. Nous
gardons à l’esprit que la jurisprudence de ce tribunal devra être « use with caution
and only with a good road map », en raison du contexte politique de sa création
et de sa compétence ratione materiae élargie. Expression de M. R. JOELSON,
« The Contribution of the Iran-U.S. Claims Tribunal to the International
Law on Expropriation », in C. R. DRAHOZAL, C. S. GIBSON (éd.), The
Iran-US Claim Tribunal at 25 : The cases everyone Needs to know for Investor-State &
International Arbitration, Oxford University Press, 2007, p. 236. Sur la nature par­
ticulière de ce tribunal, voir D. CARON, « The Iran-U.S. Claims Tribunal and
Investment Arbitration : Understanding the Claims Settlement Declaration as
a Retrospective BIT », in The Iran-US Claim Tribunal at 25…, op. cit., note 87,
pp. 378-379 ; G. H. ALDRICH, The jurisprudence of the Iran-United States claim
Tribunal, Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 1-6.
88 Voir par exemple Emmanuel Too c. Greater Modeto Insurance Associates et États-Unis
d’Amérique, sentence du 29 décembre 1989. Des mesures horizontales furent
généralement invoquées toutes les fois où la plainte de l’investisseur ne se
fondait que sur les troubles inhérents à l’avènement de la révolution islamique ;
mesures que le tribunal n’a pas tenues imputables à l’État.
89 Tippetts, Abbett, McCarthy, Stratton (Tams) c. Tams-Affa consulting Engineers of Iran
c. Iran, and others, sentence du 29 juin 1984, Iran-US CTR, vol. 6, 1984-II, p. 219 et s.
90 Starrett Housing Corporation, Starrett Systems, Inc., Starrett Housing International,
Inc., c. Iran, Bank Oman, Bank Mellat, Bank Markazi, sentence du 19 décembre
1983, Iran-US CTR, vol. 16, 1987-III, p. 189 et s.
91 Sedco Inc c. National Iranian Oil Co., sentence du 28 octobre 1985, Iran-US CTR,
vol. 9, 1985-II, p. 259 et s.
92 Amoco International Finance Corp. c. Iran, sentence du 14 juillet 1987, Iran-US CTR,
vol. 15, 1987-II, p. 189 et s.
93 Philips Petroleum Co. of Iran c. Iran, sentence du 29 juin 1989, Iran-US CTR, vol. 29,
1989-I, p. 79 et s.
94 William Pereira Associates, Iran c. Iran, sentence du 19 mars 1984, Iran-US CTR,
vol. 5, p. 89 et s
95 Computer Sciences Corp. c. Iran, sentence du 16 avril 1986, Iran-US CTR, vol. 10,
p. 36 et s.

32
Mavis Daley 96) ; expulsion forcée de l’investisseur ayant directement
causé un préjudice à ses biens (Kenneth P. Yeager 97). Les litiges por­
taient aussi bien sur des biens tangibles que des droits.
Pour terminer avec cette revue historique des mesures verticales,
un récapitulatif peut être fait. Les atteintes physiques à l’investisse­
ment ou à l’investisseur ont souvent été les suivantes : saisie des locaux
et des biens, expulsion ou arrestation de l’investisseur, destruction
ou pillage des biens, harcèlement des employés, blocage de l’accès à
une usine, vente forcée de biens, etc. Les atteintes non physiques à
l’investissement ont souvent été les suivantes : annulation/retrait de
permis ou d’autorisation d’exploitation, révocation de contrat, aug­
mentation exponentielle individualisée de la charge fiscale de l’ex­
ploitation, vente forcée des parts sociales, prise de contrôle par la
nomination forcée d’administrateur, gel de comptes bancaires, etc98.
On peut remarquer aussi qu’une bonne partie des plaintes d’expro­
priation indirecte par mesures verticales portées devant les tribunaux
arbitraux sont antérieures à la fin des années 1990 ou ont pris source
dans des mesures survenues avant cette date. On serait donc tenté de
conclure que globalement, cette catégorie de mesures est aujourd’hui
désuète. Toutefois, le contentieux de l’expropriation indirecte montre
que cette conclusion n’est pas vérifiée en ce qui concerne les mesures
d’ordre contractuel et les annulations de permis99.
Toutes ces mesures étatiques ont en commun de refléter de très
près les caractéristiques d’une expropriation directe.

C. La filiation étroite avec l’expropriation directe

L’expropriation directe et formelle est toujours une mesure verti­


cale, y compris quand elle est collective (nationalisations à grande
échelle). De ce fait, la mesure d’expropriation indirecte se réalisant
par une mesure verticale a un lien particulièrement étroit avec son
référent. À la suite de la revue jurisprudentielle, il est aisé de dire
que les mesures verticales entraînent des « expropriations directes
non formelles », autrement dit, des expropriations de fait ou expropria-
tion de facto. Bien que ce ne soit pas le cas généralement, ces termes

96 Léonard & Mavis Daley c. Iran, sentence du 20 avril 1988, Iran-US CTR, vol. 18,
p. 232 et s.
97 Kenneth P. Yeager c. Iran, sentence du 2 novembre 1987, Iran-US CTR, vol 17, p. 92
et s.
98 Pour d’autres exemples de sentences, voir A. NEWCOMBE & L. PARADELL,
Law and Practice of Investment Treaties, Standards of Treatment, Austin/Boston/
Chicago/New York, Kluwer Law International, Wolters Kuwer, The Netherlands,
2009, pp. 327-328. Voir aussi M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, pp. 400-406.
99 Voir par exemple, Waste Management II, Inc.  c.  United Mexican States (ARB(AF)/00/3),
sentence CIRDI du 30 avril 2004. Dans cette affaire, l’investisseur se plaignait du
non-paiement persistant de factures par une municipalité mexicaine en violation
des termes du contrat de concession.

33
ne devraient être utilisés que pour ces formes d’expropriation indi­
rectes. Comme dans l’expropriation directe formelle, l’investisseur
ne dispose plus de son investissement, car il n’existe plus en pratique
à son endroit. Ces expropriations de fait, combinent généralement,
mais pas nécessairement, la dépossession de l’investissement et une
appropriation ou un bénéfice indirect pour l’État. Ce qui est rare­
ment le cas avec les mesures horizontales qui seront examinées. La
ressemblance avec l’expropriation directe est donc très forte.
Évoquant la période où les saisies de biens étaient fréquentes dans
le contentieux de l’expropriation indirecte, M. Sornarajah, affirme
que « the law was developped in the context of such Taking »100. Les mesures
verticales renvoient un reflet très proche, et parfois presque iden­
tique au référent lorsqu’il s’agit d’atteintes physiques. Elles s’appa­
rentent finalement à des quasi-expropriations directes. Cela signifie que
le critérium exige ici pour le passage vers l’aire des expropriations
indirectes que les faits-candidats présentent une ressemblance très
proche de l’expropriation directe. C’est ce que nous dénommons
une filiation étroite.
La filiation étroite a comme avantage de mettre en place un rap­
port d’équivalence simplifié. En prenant par exemple un critère du
référent comme le retrait du titre de propriété, on aura peu de dif­
ficultés à trouver dans la saisie définitive d’une usine, un résultat
comparable et donc équivalent à un retrait du titre de propriété. Les
problèmes de qualification sont donc amoindris. De même, l’arbitre
ou le juge n’aura aucune difficulté à écarter de son raisonnement, au
stade de la qualification, l’intérêt public que poursuivait la mesure.
Comme avec l’expropriation directe, l’examen de l’intérêt public
poursuivi par la mesure est un élément superflu, car il y a intention
manifeste et délibérée de porter atteinte à un investissement quelles
que soient les justifications légitimes qui la précèdent. Qui décide
d’exproprier dans l’intérêt public, doit indemniser en retour comme
le requièrent les clauses des TBI et le droit international coutumier.
Il en ressort qu’avec les mesures verticales, qui peuvent entraî­
ner une expropriation de facto ou quasi-expropriation directe, les consi­
dérations sur les raisons ou le contexte de l’édiction de la mesure
étatique sont inexistantes, car elles sont inutiles. Or, c’est dans ce
contexte des atteintes délibérées à l’investissement étranger aisé­
ment identifiables, que se sont forgés les critères de qualification de
l’expropriation indirecte. Si l’on s’accorde à dire que les mesures ver­
ticales classiques ont forgé le concept de l’expropriation indirecte et
par conséquent inspiré ses critères de qualification, qu’en est-il de
la nouvelle forme de mesures étatiques préjudiciables ? Le critérium
peut-il demeurer identique en tout point, lorsqu’on est en présence

100 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 367. Précisons néanmoins que l’auteur ne
distingue pas les formes indirectes d’expropriation entre elles. Il entreprend de
distinguer la nationalisation de l’expropriation directe individualisée.

34
d’une mesure édictée dans un but extérieur à l’investisseur, mais
finissant par lui créer un préjudice ?

§ 2 – Les mesures horizontales de la deuxième génération

Comme son nom l’indique, cette seconde catégorie de mesures


étatiques se distingue par leur répercussion sur l’investissement
dans une trajectoire horizontale. Ainsi, l’investisseur subit en réalité
les conséquences de l’édiction de la mesure sans en être la raison
d’être (A). C’est donc une infinité encore plus grande de mesures
que recouvre cette catégorie comme le montre la richesse du conten­
tieux arbitral récent en la matière (B). Mais le lien entre ces mesures
et l’expropriation directe est si distendu qu’il risque de devenir lâche
(C).

A. La mesure horizontale : essai de définition

Les mesures horizontales regroupent celles qui sont édictées à l’in­


tention de n’importe quel opérateur économique sur le territoire
et/ou visent le contexte économique général. La caractéristique fon­
damentale de la mesure horizontale est qu’elle ne vise pas l’investis­
seur dans sa situation particulière. Par conséquent, son but initial est
extérieur à l’investisseur lésé.
En partant de nouveau de la dualité entre les notions juridiques
de « règle » et « décision », il est possible de comparer la mesure hori­
zontale à la règle. La mesure horizontale a vocation à s’appliquer
indéfiniment à l’avenir, toutes les fois où son hypothèse sera vérifiée,
même si elle peut être retirée à tout moment. En comparaison, la
règle est « une norme abstraite, donc nécessairement générale [qui a]
une structure hypothétique [et pose] une relation permanente »101.
Elle a vocation à régir indéfiniment toutes les situations qui tombe­
ront à l’avenir dans son champ d’application. Ses destinataires sont
largement entendus et non individualisés. Ainsi définis, les deux
termes présentent des similitudes. Les caractéristiques de la règle se
retrouvent dans celles de la mesure horizontale. Mais l’analogie n’est
pas parfaite. Toute règle, au sens précité, n’est pas une mesure hori­
zontale et une mesure horizontale n’est pas forcément une règle. En
effet, une mesure horizontale peut résulter d’une décision, dans la
mesure où le destinataire, bien qu’étant individualisé, n’est pas l’in­
vestisseur lésé. Ce sera le cas toutes les fois où la modification de la
situation d’un investissement occasionnera un préjudice à un autre.
Pourtant il ne s’agira pas d’une mesure verticale, car le destinataire
initial n’est pas l’investisseur lésé qui se plaint des conséquences
néfastes de la mesure étatique. D’autre part, lorsqu’il n’y a qu’une

101 P. MAYER, La distinction…, op. cit., note 59, p. 48.

35
personne concernée par la mesure et bien que la mesure ait été libel­
lée en des termes abstraits, on peut se demander si cette personne
n’était pas visée en tant que telle sous le couvert d’une règle abs­
traite. Pour éviter toute confusion, il suffira de vérifier si la mesure
en question vise « un caractère sans se préoccuper des personnes qui
le présentent » (règle/mesure horizontale), ou « en revanche (…) vise
[une] personne à travers [son] caractère »102 (décision/mesure verti­
cale). Ainsi, s’il est possible d’employer le singulier dans le libellé de
la norme sans en dénaturer le sens, il faudra conclure à l’existence
d’une mesure horizontale.
Une précision importante s’impose dès à présent. Le but initial
de la mesure horizontale ne doit pas être confondu ni avec l’inten­
tion d’exproprier, ni avec les motivations de l’État, ni avec l’intérêt
public pris comme critère de licéité. Ces quatre éléments peuvent
néanmoins se chevaucher.
Le but initial de la mesure désigne ici la raison initiale de l’édic­
tion de la mesure potentiellement expropriante. Il peut s’agir par
exemple de faire face à un problème sanitaire, de réguler une pénu­
rie alimentaire, d’endiguer une crise économique ou financière,
de rétablir l’ordre ou la sécurité, etc. En fait, tous les divers intérêts
étatiques, dont la sauvegarde, permettent ou autorisent un gouver­
nement à user de la panoplie des mesures exorbitantes de droit com­
mun à sa disposition.
L’intention d’exproprier n’est qu’un but de mesure parmi tant d’autres.
C’est ainsi que dans une expropriation directe, mais aussi dans une
expropriation indirecte par mesure verticale, le but de la mesure se
résume à l’intention d’exproprier. Or, dans une mesure horizontale,
le but initial de la mesure est extérieur à celui d’exproprier l’inves­
tisseur. Il suffit, pour classer la mesure comme étant horizontale,
de constater prima facie l’existence d’un but extérieur à la situation
propre de l’investisseur, à charge pour ce dernier de démontrer une
mauvaise foi ou un détournement de la part des autorités étatiques.
Les motivations de l’État sont les considérations politiques, écono­
miques ou sociales qui ont guidé l’action des autorités étatiques.
Elles ne doivent pas être confondues avec le but initial de la mesure
malgré l’étroitesse de leurs liens. Ainsi, en cas de nationalisation, il
est possible pour un État de revendiquer la recherche de son indé­
pendance économique ou de sa souveraineté sur ses ressources natu­
relles. Il ne s’agit pas ici du but initial de la mesure, au sens strict
comme nous l’entendons, mais de la motivation guidant la mesure.
De même, dans le cas d’une mesure étatique prescrivant l’abattage
du bétail touché par une épidémie bovine, le but initial de la mesure
est d’endiguer une épidémie. Il ne concerne pas un investisseur pris
dans sa situation spécifique. La motivation ayant guidé cette mesure

102 Ibidem, p. 39.

36
horizontale est de protéger la santé de la population. Cette motiva­
tion, quelle que soit sa légitimité, n’intervient pas dans la distinction
entre mesures horizontale et verticale, car toutes les mesures éta­
tiques ont une motivation censée être légitime. La nuance est donc
primordiale.
L’intérêt public-condition de licéité, quant à lui, permet de vérifier la
présence d’un intérêt autre que l’intérêt privé d’un individu ou d’un
groupe. Il s’agit d’un critère qui se limite à assurer qu’il n’y a pas de
détournement manifeste et grossier des richesses privées étrangères
à des fins strictement personnelles des autorités gouvernementales,
en violation de l’état de droit.
Un exemple fictif permet également de donner une illustration
des mesures horizontales types. Le propriétaire d’une station de
vente d’essence voit la rue où il est installé, réaménagée en rue pié­
tonne par un arrêté municipal. Renseignements pris, les autorités
locales souhaitent ainsi désengorger le centre-ville qui est l’objet de
nombreux embouteillages et accidents, et faciliter l’accès des éco­
liers à une maternelle (but initial). Cela afin d’améliorer la qualité
de vie des populations riveraines et d’assurer la sécurité des usagers
de la voie (motivation). La mesure ne concerne pas l’activité du com­
merçant et ne lui est pas destinée. Pourtant, les répercussions sont
dramatiques pour ce dernier qui détient désormais le titre de pro­
priété d’un bien devenu économiquement inutile (disparition de la
clientèle, car les véhicules ne peuvent plus accéder à la station). On
suppose ici que la vente de l’essence était l’activité exclusive ou prin­
cipale de la station-service.
Du fait que l’investissement n’est pas visé directement, son exis­
tence ne sera pas non plus remise en cause directement du simple
fait de l’édiction de la mesure horizontale. Le préjudice s’effectuera
à travers une modification ou une altération des conditions géné­
rales initiales dans lesquelles évoluait l’activité économique. Il peut
s’agir des conditions financières, juridiques, environnementales ou
sociales. L’impact ne portera pas sur l’existence même de l’investis­
sement qui n’est pas visé, mais sur ses rendements, sa productivité.
C’est dans ces cas précis que devrait être utilisé le terme galvaudé
d’expropriation de valeur. Ainsi, l’investisseur est formellement et
matériellement propriétaire d’un investissement qui ne produit plus
ou n’a plus aucune valeur économique. Contrairement aux consé­
quences d’une mesure verticale, l’investissement existe dans son
intégrité, sauf qu’il n’y a plus d’intérêt économique à le posséder.
L’État d’accueil interfère ici dans les conditions d’exercice de l’acti­
vité, la rendant difficile, voire impossible selon les situations.
En substance, il faut retenir que la mesure horizontale est celle
dont le but initial ne concerne pas a priori l’investisseur privé étran­
ger lésé. Cela signifie que pour une raison particulière et étran­
gère à l’investisseur concerné, un État édicte une mesure dont les
répercussions atteignent néanmoins ce dernier. Celui-ci n’est en

37
quelque sorte qu’une victime collatérale de la mesure. Il subit sim­
plement les conséquences du fonctionnement quotidien des services
publics de l’État. La mesure horizontale ne pose alors qu’un cadre
dans lequel certains événements peuvent se réaliser et être préjudi­
ciables à l’investisseur. Mais elle ne modifie pas immédiatement la
situation de l’investisseur du fait de sa simple promulgation. Il est
également possible de désigner ce type de mesures par les termes de
« mesure non ciblée » ou « mesure à effet médiat ». Cependant, parce
que ces termes ne permettent pas de rendre compte respectivement
des hypothèses de mesures ciblées qui se répercutent sur un autre
investissement, ou des mesures-cadres qui nécessitent une mesure
d’application, nous retiendrons l’expression « mesure horizontale ».

B. Les mesures horizontales dans le


contentieux international de l’expropriation indirecte

Depuis l’accroissement exponentiel des TBI et l’accès unilaté­


ral à l’arbitrage transnational offert aux investisseurs, les plaintes
d’expropriations indirectes ont littéralement explosé. Dans le même
temps, les mesures incriminées par les investisseurs ont changé de
forme. Les mesures verticales, en particulier celles qui induisent des
atteintes physiques, sont devenues un « anathème »103 pour les États.
Ce sont les mesures horizontales aux répercussions collatérales qui
forment la majorité des contentieux de l’expropriation indirecte.

La période allant de 1900 à 1990


Parmi les plus anciennes sentences ayant traité de mesures hori­
zontales sans recourir au terme alors méconnu « d’expropriation
indirecte », la sentence arbitrale ad hoc dans l’affaire Société Rialet
c. Éthiopie 104, et la décision de la CPJI dans l’affaire Oscar Chinn105,
respectivement pour des monopoles de droit et de fait106, seront ana­
lysées.
Dans la première affaire, la Rialet, une société belge, exploitait
par voie de concession une entreprise étatique de production et de
vente d’alcool au bénéfice d’un monopole. L’Éthiopie, estimant par

103 Expression de R. DOLZER, « Indirect Expropriations : New Developments ? »,


Environmental Law Journal, vol.11, 2002, p. 65. L’auteur se référait cependant
aux expropriations directes et formelles en ce qui concerne les pays en
développement soucieux d’attirer les investisseurs directs étrangers.
104 Société Rialet c. gouvernement éthiopien, sentence du 15 janvier 1929, Recueil des
décisions des tribunaux arbitraux mixtes, vol. 8, pp. 742 et s.
105 CPJI, Affaire Osca Chinn (Royaume-Uni/Belgique), 12 décembre 1934, Rec.,
série A/B, n° 63.
106 Concernant d’autres affaires plus anciennes sur des monopoles de droit, voir
Affaire du monopole du soufre en Sicile (1836), Affaire du Monopole des assurances en
Italie (1911) et en Uruguay (1912). Affaires citées par J.-P. LAVIEC, op. cit., note
52.

38
la suite que la production d’alcool par la Rialet ne couvrait pas la
demande locale, prit des mesures pour réduire de moitié les droits
d’accise afin de permettre au public d’importer des alcools. La Rialet
estimait que cette mesure détruisait de fait son monopole et donc le
rendement de son activité. Elle mit fin unilatéralement au contrat de
concession, stoppa son exploitation et liquida ses stocks sans en avi­
ser la Régie gouvernementale. C’est donc pour faire face à une pénu­
rie que la mesure fut prise (but initial), afin de répondre aux besoins
des consommateurs (motivation). La mesure ne visait pas la situation
particulière de l’investisseur. Cette affaire peut être retenue comme
un exemple de mesure horizontale de la première heure.
Devant la CPJI dans l’affaire Oscar Chinn, le Royaume-Uni, pre­
nant fait et cause pour son national, invoquait un préjudice causé
aux activités de M. Chinn en violation du droit international cou­
tumier107. Ce dernier, propriétaire d’une entreprise de commerce
fluviale, estimait que les nouveaux tarifs imposés à l’Unatra, une
société concurrente contrôlée par la Belgique, avaient eu pour effet
de [le] ruiner en le contraignant à cesser ses activités. La Belgique,
pour faire face à une chute des prix des matières premières colo­
niales suite à la Première Guerre mondiale, avait imposé aux com­
pagnies de transports coloniales qu’il contrôlait (dont l’Unatra) de
baisser les coûts de transports desdites matières. Dans les faits, ces
réductions imposées de tarifs ont mis la société Unatra dans une
situation de monopole, car ses concurrents privés ne pouvaient pas
effectuer les mêmes réductions sans risquer la banqueroute. Certes,
un monopole de fait s’est établi par le biais de la mesure étatique et
des entreprises en ont été lésées, mais la mesure d’ordre général avait
pour but initial de maîtriser les coûts de transports des matières pre­
mières dont le rendement avait périclité. Elle ne visait pas M. Chinn.
L’affaire Oscar Chinn peut donc être classée comme un exemple de
mesure horizontale.
Les premières affaires à avoir traité nommément d’une expro­
priation indirecte (par le biais de mesures horizontales) sont les
Affaires des Armateurs norvégiens 108, devant un tribunal ad hoc et celle
des Intérêts allemands en Haute Silésie polonaise 109, devant Cour Perma­
mente d’Arbitrage (CPA). Dans les deux affaires, il était question de
mesures d’expropriation directe de biens ayant entraîné des expro­
priations indirectes de droits contractuels étroitement liés aux biens
saisis. Ces affaires illustrent donc l’hypothèse susmentionnée d’une
mesure horizontale qui se répercute sur un investisseur bien qu’elle

107 Cette affaire ne se fondait pas sur un TBI avec les clauses d’expropriations telles
que formulées actuellement.
108 Affaire des Armateurs norvégiens (Etas-Unis/Norvège), sentence du 13 octobre
1922, RSA, vol. I, p. 307 et s.
109 CPJI, Affaire des Intérêts Allemands en Haute Silésie polonaise (Allemagne/Pologne),
25 mai 1926, Série A, n° 7.

39
ait visé initialement un autre investisseur. Les premières mesures
horizontales étaient souvent de ce type.
Dans l’affaire des Armateurs norvégiens, la mesure litigieuse en cause
constituait à la fois une mesure verticale au regard de certains droits
de l’investisseur et une mesure horizontale au regard de ses autres
droits. Le litige portait sur des contrats de construction navale entre
des firmes américaines et des armateurs norvégiens. Suite à l’entrée
en guerre des États-Unis en 1917, les navires en constructions et le
matériel y afférant furent réquisitionnés pour l’effort de guerre. La
question devant le tribunal était de savoir si la réquisition se limi­
tait, comme le défendaient les États-Unis, aux navires partiellement
construits ou s’étendait aussi aux droits contractuels sous-jacents.
Il faut noter que les États-Unis n’avaient jamais émis l’intention de
remettre en cause l’existence de ces droits contractuels. Le tribu­
nal a octroyé une indemnité pour les navires saisis (mesure verticale
d’expropriation indirecte), mais aussi pour les droits contractuels
neutralisés par répercussion (mesure horizontale d’expropriation
indirecte). Cette sentence fut l’une des premières à avoir reconnu
au plan international que les droits contractuels pouvaient faire l’ob­
jet d’expropriation. Mais surtout, elle a reconnu une expropriation
indirecte d’un droit qui a été détruit sans avoir été directement visé.
Il s’agit ici d’une mesure horizontale si l’on se place sur le plan des
contrats de construction.
L’affaire de Certains intérêts allemands en Haute Silésie Polonaise a éga­
lement donné l’une des premières occasions à la CPA d’examiner une
prétention relative à une expropriation indirecte en tant que telle.
La Cour avait à connaître de la saisie d’une usine de fabrication de
nitrate détenue par une société allemande (l’Oberschlesische Stick­
stoffwerke), mais exploitée par une autre société allemande (la Baye­
rische Stickstoffwerke) sur la base d’un contrat de gestion. L’une des
questions posées à la Cour était de savoir si la saisie de l’Usine et des
machines était également une expropriation des droits contractuels
de la société qui exploitait l’usine, mais ne détenait pas le titre de
propriété. La réponse apportée fut positive sur le fondement d’une
étroite interaction des différents droits en présence110. Cet exemple
est plus patent, car il n’y avait pas identité entre l’investisseur visé par
la mesure verticale et par la mesure horizontale. Ici aussi, la mesure,
pour l’entreprise gestionnaire, était de nature horizontale, car elle
ne la visait pas directement.

La période allant de 1990 à nos jours


Récemment, c’est bien avec l’affaire Ethyl c. Canada, finalement
réglée à l’amiable entre les parties avant la survenance d’une sen­

110 La Cour a ainsi déclaré : « il est clair que les droits de la Bayerische à l’exploitation,
ainsi que la rémunération stipulée par le contrat pour la direction de l’exploitation […]
ont été directement lésés par la reprise de l’usine de Chorzow ». Ibidem, p. 44.

40
tence sur le fond111, que la problématique des mesures horizontales a
pris véritablement corps et est parvenue à la connaissance du grand
public.112 La publication de cette sentence, qui a coïncidé avec la vaste
campagne des Organisations Non Gouvernementales (ONG) contre
le projet de l’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI) initié par
l’OCDE, a eu un retentissement important et a probablement contri­
bué à l’échec du projet. La société Ethyl, entreprise américaine ayant
investi au Canada, avait attaqué devant un tribunal CIRDI, et sur le
fondement du chapitre 11 de l’ALENA, une loi canadienne interdi­
sant l’importation d’un additif à l’essence (le MMT). Or, la filiale
canadienne d’Ethyl importait ce produit chimique depuis les États-
Unis pour le mélanger à l’essence avant de le distribuer au Canada.
Pour cette dernière, le préjudice qui en résultait dans ses activités
équivalait à une expropriation. Le Canada avançait des risques envi­
ronnementaux et sanitaires comme but initial de l’interdiction. Sans
préjuger ici de la pertinence des justifications canadiennes, il suffit
de constater que la mesure en cause ne visait pas a priori l’investis­
seur. Il n’était pas le premier destinataire de cette loi. Il en était une
victime collatérale.
Les exemples récents de mesures horizontales sont à rechercher
dans les affaires dites « argentines » devant le CIRDI à la suite de la
crise financière nationale de 2001. Des faits similaires sont à l’origine
des affaires CMS c. Argentine 113, LG&E c. Argentine 114, Azurix c. Argen-
tine 115, Siemens c. Argentine 116, ou Sempra c. Argentine 117. À la suite de
l’effondrement de l’économie argentine, une loi d’urgence de jan­
vier 2002 avait abrogé la convertibilité paritaire entre le peso et le
dollar américain et avait converti les dettes publiques et privées des
banques en pesos, pour finalement ordonner la renégociation des
contrats de service public afin d’en adapter les termes au nouveau
système de change. En application de cette loi, deux suspensions
successives de l’ajustement semestriel des tarifs selon le cours du dol­
lar américain furent décidées, en violation de contrats de conces­
sion conclus entre le gouvernement et les investisseurs détenteurs
de licences d’exploitation. La loi d’urgence doit être évidemment
classée comme mesure horizontale. Les mesures de suspension des
ajustements tarifaires prévus dans les contrats de concessions sont

111 Ethyl Corporation c. Canada, sentence du 24 juin 1998, Journal of International


Arbitration, 1999, vol. 16, n° 3, pp. 149 et s.,
112 Voir aussi à propos d’une interdiction d’importation d’un additif à l’essence
en raison de risques sanitaires et environnementaux, l’affaire Methanex c. États-
Unis, sentence CNUDCI du 9 août 2005.
113 CMS Gas Transmission Company c. Argentine (ARB/01/8), sentence CIRDI du
12 mai 2005.
114 LG&E Energy Corp c. Argentine (ARB/02/1), sentence CIRDI du 3 octobre 2006.
115 Azurix Corp. c. Argentine (ARB/01/12), sentence CIRDI du 14 juillet 2006.
116 Siemens A.G. c. Argentine (ARB/02/8), sentence CIRDI du 6 février 2007.
117 Sempra Energy International c. Argentine, op. cit., note 3.

41
plus délicates. Par application du principe selon lequel la véritable
mesure horizontale entraîne dans son giron ses mesures indivi­
duelles d’application, il sera démontré que ces types de mesures sont
également des mesures horizontales.
Concernant toujours le CIRDI, un bon nombre des affaires
portées contre le Mexique sont aussi des mesures horizontales
qui concernent particulièrement des enjeux environnementaux.
Peuvent être utilement citées, les affaires M. R. Feldman c Mexique 118,
et Fireman c. Mexique 119. Dans cette dernière affaire, l’investisseur
se plaignait des répercussions des mesures étatiques prises pour
endiguer la crise financière mexicaine de 1999 qui lui auraient fait
perdre des avoirs dans un établissement financier national ; la santé
financière de la banque n’ayant pas permis à l’établissement de
survivre aux nouvelles conditions drastiques imposées pour sortir
de la crise. Il faudra néanmoins extraire de cette liste les affaires
Metalclad c. Mexique 120, et Tecmed c. Mexique 121, qui n’offrent pas des
exemples satisfaisants de mesures horizontales. Dans l’affaire Metal-
clad c. Mexique, le décret de classement de la forêt où l’investisseur
avait construit une usine de traitement de déchets dangereux, bien
que constituant une mesure horizontale, n’était que la dernière
d’une série de mesures préjudiciables à l’investisseur. Comme l’a
expliqué le tribunal dans cette affaire, l’expropriation indirecte était
déjà réalisée bien avant le décret municipal. Or, les premières séries
de mesures étaient des mesures verticales (refus de délivrance d’un
permis de construire notamment). Il serait possible de citer de nom­
breuses autres affaires mettant en cause des mesures horizontales.
C’est bien la preuve de l’actualité et de la vigueur de cette forme de
mesures. Un tel accroissement ne peut qu’interpeller les commen­
tateurs sur une possible adaptation des règles pour cette nouvelle
génération de mesures étatiques préjudiciables.

C. La filiation distendue avec l’expropriation directe

Il s’agira ici de déterminer la teneur des rapports entre les


mesures horizontales et le référent auquel elles doivent être équi­
valentes, à savoir l’expropriation directe. Les mesures horizontales
entretiennent un rapport de filiation distendu avec l’expropriation
directe. Cette filiation moins étroite s’explique par la place impor­
tante que prend le rapport d’équivalence dans le processus de qua­
lification. Dans un premier temps, les éléments caractéristiques de

118 Marvin Roy Feldman Karpa c. États-Unis, op. cit., note 34.
119 Fireman’s Fund Insurance Company c. Mexique (ARB(AF)/02/1), sentence CIRDI
du 17 juillet 2006.
120 Metalclad Corporation c. Mexique, op. cit., note 56.
121 Técnicas Medioambientales Tecmed, S.A. c. Mexique (ARB(AF)/00/2), sentence
CIRDI du 29 mai 2003.

42
l’expropriation directe qui échappent à la comparaison sont infimes.
En pratique, l’imputabilité à l’État est l’unique critère échappant au
rapport d’équivalence. Tous les autres éléments, selon l’importance
qui leur est accordée, doivent alors passer par l’examen du critérium.
Dans un second temps, une interrogation importante se profile
déjà : le fait que l’investisseur ne soit touché que comme victime col­
latérale n’a-t-il aucune incidence sur le processus de qualification ?
La mesure horizontale étatique a pour particularité qu’elle a ten­
dance à faire largement intervenir dans l’analyse des règles externes
aux clauses des TBI. Le but initial de la mesure, qui est extérieur à
l’investisseur, peut résulter par exemple de la mise en œuvre d’autres
traités internationaux. Or, le droit international des investissements
n’est pas un droit étanche ou un vase clos. Il fait partie intégrante de
l’ordre juridique international et les obligations qu’il prescrit doivent
pouvoir cohabiter en toute intelligence avec les autres obligations
internationales des États. Comme l’affirmait C. Leben à propos du
droit international des investissements, « rien dans ses caractéris­
tiques propres n’empêche de voire dans [ce dernier] un sous-système
au sein du système du droit international général de la responsabilité
des États »122. Du fait que les mesures horizontales sont avant tout des
réglementations publiques, qui de surcroît ne visent pas directement
l’investisseur, elles élèvent la réflexion à un autre niveau : celle « de
la responsabilité des États du fait de leurs activités normatives » géné­
rales123. Par conséquent, les défis posés par les mesures horizontales
sont bien plus complexes que ceux relatifs à la relation simplifiée
entre un gouvernement donné et un investisseur privé étranger avec
les mesures verticales.
Sans anticiper de l’admission ou non de tel ou tel critère dans le
processus de qualification de l’expropriation indirecte, on perçoit
néanmoins que la présence d’un but initial autre que celui de tou­
cher l’investissement lors de l’édiction de la mesure devra pouvoir
jouer un rôle. Pour le moment, il suffira de constater que la mesure
horizontale introduit fortement dans l’analyse, contrairement à la
mesure verticale, des considérations plus larges que celles qui se sont
focalisées sur l’investisseur et son préjudice. La mesure horizontale
est plus complexe, car elle soulève des questions multiples. Il lui fau­
dra donc une réponse à la hauteur de cette complexité.

* * *

122 C. LEBEN, « La responsabilité internationale de l’État sur le fondement des


traités de promotion et de protection des investissements », AFDI, 2004, p. 686.
123 C. LEBEN, « La liberté normative de l’État et la question de l’expropriation
indirecte », in C. LEBEN (dir.), Le contentieux arbitral transnational relatif à
l’investissement : Nouveaux développements, Louvain-la-Neuve, Artémis, 2006,
p. 165.

43
En conclusion de ce chapitre préliminaire, deux points essentiels
sont à retenir.
En premier lieu, l’expropriation indirecte est un droit souverain
étatique dont l’exercice est soumis à certaines conditions de licéité.
Par conséquent, elle implique une indemnisation dès sa mise en
œuvre, dont la dualité de fonction n’est pas toujours mise en exergue,
selon que l’on est au niveau des règles primaires ou des règles secon­
daires de la responsabilité internationale des États. L’expropriation
indirecte est également une catégorie-reflet de l’expropriation directe.
En effet, l’expropriation indirecte doit renvoyer aux éléments fon­
damentaux de l’expropriation directe qui est son référent. Cause ou
conséquence de cette particularité, l’expropriation indirecte est une
notion fonctionnelle qui ne peut être appréhendée et circonscrite
qu’en fonction de ses rapports juridiques avec son référent et dans
l’évolution continue des faits qu’elle doit embrasser.
En second lieu, sous le vocable d’expropriation indirecte, deux
réalités coexistent selon la modalité par laquelle l’investisseur est
atteint. Dans la première hypothèse, il est la raison d’être de l’édic­
tion de la mesure et voit son investissement immédiatement détruit
dans son intégrité. Ce type de mesure est verticale et conduit à ce qui
est finalement une quasi-expropriation directe ou une expropriation de
fait. Dans la seconde hypothèse, l’investisseur est la victime collaté­
rale d’une mesure prise dans un but initial qui lui est extérieur. Il
n’est pas le destinataire de cette mesure qui est horizontale. Ce type
de mesure conduit à ce qui devra être vu comme une expropriation
de valeur.
La première partie de cet ouvrage montrera que les critères actuels
de qualification de l’expropriation indirecte sont dédiés de manière
satisfaisante aux mesures verticales, alors qu’ils se révèlent insuffi­
sants en l’état pour les mesures horizontales.

44
TITRE 1

Le processus classique de qualification


de l’expropriation indirecte approprié
à la mesure verticale

Toute opération tendant à faire entrer un fait quelconque dans


une catégorie juridique suppose une définition préalable de ladite
catégorie. L’intérêt premier de la définition est d’apporter des cri­
tères de qualification qui permettront d’identifier les faits entrant
dans cette catégorie.
En ce qui concerne l’expropriation indirecte, les traités interna­
tionaux de protection des investissements ne fournissent générale­
ment pas de définition. Toutefois, ils indiquent systématiquement les
critères qui ne peuvent pas entrer dans le processus de qualifica­
tion (chapitre 1). Face à l’absence de définition conventionnelle, il
est donc revenu aux tribunaux de préciser les éléments constitutifs
d’une expropriation indirecte en se fondant sur une coutume inter­
nationale encore incertaine à plusieurs égards (chapitre 2). Cette
lacune assumée de définition conventionnelle comme les clarifi­
cations apportées par la jurisprudence résultent d’une focalisation
sur la mesure verticale d’expropriation indirecte. Par conséquent,
les éléments constitutifs sont globalement satisfaisants pour cette
catégorie de mesures étatiques, et permettent de faire largement la
distinction avec des notions qui sont voisines de l’expropriation indi­
recte. Tel n’est pas le cas avec les mesures horizontales. Cette inadap­
tation se constate essentiellement dans l’incapacité des critères de
qualification classiques à établir une démarcation satisfaisante entre
la mesure horizontale d’expropriation et une notion interférente, la
mesure dite « de police » (chapitre 3).

45
Chapitre 1

Le cadre conventionnel de la clause


d’expropriation indirecte :
l’absence assumée de définition

Les tribunaux ayant à connaître aujourd’hui d’une plainte d’ex­


propriation indirecte dans le cadre d’un arbitrage investisseur-État,
tirent généralement124 leur compétence d’un traité de protection
des investissements. Ce sont donc les dispositions contenues dans
ces textes internationaux qu’ils doivent interpréter et appliquer à
chaque cas d’espèce. Pour une question aussi centrale et controver­
sée que l’expropriation indirecte, on serait en droit d’attendre une
règlementation détaillée des critères de qualification. Mais ce n’est
pas le cas, car seules les conditions de licéité de l’expropriation sont
détaillées dans les traités. On procédera dans un premier temps à
une revue des clauses d’expropriations telles qu’elles sont rédigées
dans les textes les plus représentatifs pour avoir la confirmation
d’une absence de définition conventionnelle125. Néanmoins, repla­
cée dans son contexte historique, cette lacune apparaissait justifiée
(section 1), tout comme elle n’empêche pas d’en tirer quelques indi­
cations utiles pour le processus de qualification (section 2). Il faudra
ensuite examiner la terminologie variée qui s’est développée pour
combler cette lacune conventionnelle et qui est à l’origine de cer­
taines ambiguïtés (section 3).

Section 1 – L’indétermination des critères


de qualification de l’expropriation indirecte

Le premier Traité Bilatéral d’Investissement moderne, signé le


25 novembre 1959 entre l’Allemagne et la Pologne, fut le résultat
d’une longue série de traités d’amitiés, de commerce et de naviga­

124 Leur compétence peut résulter également d’un contrat d’investissement ou


d’une loi nationale sur les investissements qui prévoit l’arbitrage investisseur-
Etat en cas de litige.
125 Nous n’en avons encore jamais rencontré, mais il est humainement impos­
sible de vérifier cette assertion dans plus de 2700 TBI signés dans le monde.
Cependant, aucun ouvrage ou article utilisé dans le cadre de ce travail ne men­
tionne un seul contre-exemple. On peut donc raisonnablement tenir cette affir­
mation pour acquise.

47
tion.126 Les clauses d’expropriation des premiers TBI ne prévoyaient
pas encore textuellement l’hypothèse de l’expropriation indirecte127.
Depuis lors, malgré quelques nuances intéressantes, on constate une
grande similitude dans la rédaction des clauses d’expropriation indi­
recte dans les traités de protection des investissements (§ 1). Cepen­
dant, ces dernières années, quelques États recourent à des disposi­
tions plus détaillées, mais souvent encore insuffisantes (§ 2).

§ 1 – L’énoncé des clauses


conventionnelles d’expropriation indirecte

La caractéristique commune à tous les traités de protection des


investissements est bien l’absence d’informations sur ce que signi­
fie une expropriation, qu’elle soit directe ou indirecte. Mais une
revue sélective des textes est nécessaire pour dresser une typologie
des clauses d’expropriation indirecte (A). Par ailleurs, cette absence
de définition n’équivaut pas à un silence complet : une indication
permet d’exclure trois éléments des critères possibles de qualifica­
tion (B). Cette lacune n’est d’ailleurs pas fortuite. Elle se justifiait au
regard des mesures d’expropriation indirecte courantes au moment
de la conclusion de la majorité de ces traités, à savoir les mesures
verticales (C).

A. Les clauses d’expropriation indirecte

Au regard de la multitude de textes relatifs à la protection interna­


tionale de l’investissement étranger, il est intéressant de se focaliser
sur le nombre restreint de projets d’accords multilatéraux inaboutis
dont l’influence fut néanmoins notable.

Typologie des traités de protection des investissements


Il n’existe pas à ce jour de traité multilatéral de protection et de
promotion des investissements malgré quelques tentatives128, dont la

126 Ces textes internationaux, qui n’étaient pas conçus spécifiquement pour proté­
ger les investissements et ne disposaient pas d’un système de règlement de diffé­
rends directement actionnable par l’investisseur, furent peu à peu abandonnés.
127 L’article 3.2 du TBI Allemagne-Pologne se lit comme suit : « Nationals or companies
of either Party shall not be subjected to expropriation of their investments in the territory
of the other Party except for public benefit against compensation, which shall represent
the equivalent of the investments affected. (…) ». Voir aussi le TBI Allemagne-Niger,
1962, article 3.2 et plus récemment le TBI Liban-Malaisie, 2003, article 5. Les
dates mentionnées dans cette étude sont celles de la conclusion des TBI.
128 À défaut de parvenir à un accord multilatéral sur le droit substantiel, des efforts
furent orientés avec succès vers les procédures de règlement des différends relatifs
aux investissements (Convention du 18 mars 1965 conclue sous les auspices de la
Banque mondiale et instituant le CIRDI) et la reconnaissance et l’exécution des
sentences arbitrales dans les États (Convention sur la reconnaissance et l’exécu­

48
plus récente visait la conclusion d’un Accord Multilatéral sur l’In­
vestissement (AMI). Les traités de protection des investissements
conclus, et parfois en vigueur, sont de deux types.
Il s’agit en premier lieu des Traités Bilatéraux d’Investissements
(TBI) qui sont conclus, comme leur nom l’indique, entre deux États
pour la protection et la promotion réciproques des investissements.
Ils constituent la masse des traités de protection des investissements.
Selon les dernières sources officielles de la CNUCED, « quelques »
2701 TBI au moins existent aujourd’hui dans le monde129. Ce grand
nombre fait obstacle à un examen exhaustif, fût-il superficiel. On
notera néanmoins l’existence des modèles nationaux de traités bila­
téraux d’investissement qui ont produit ce que certains auteurs ont
appelé, des « réseaux d’accords »130. En général, la physionomie des TBI
de nombreux pays en développement se calque sur le modèle de TBI
du pays développé partenaire. Cela est particulièrement vrai pour
la clause d’expropriation. Il suffit, pour s’en convaincre, de remar­
quer que dans les TBI signés par les États-Unis, la clause d’expro­
priation est presque toujours à l’article 6 et est souvent identique à
leurs modèles d’accord respectifs de 1994, 2004 et 2012. L’effet de
mimétisme a fait le reste, y compris dans les TBI conclus entre les
pays du sud.
Il s’agit en second lieu, des Accords bilatéraux ou régionaux de
Libre-Échange (ALE) ou « Free Trade Agreement » (FTA), qui orga­
nisent la libéralisation des échanges entre les Parties contractantes.
Autrefois limités aux échanges de marchandises et de services, plu­
sieurs de ces accords prévoient désormais un chapitre plus ou moins
détaillé, et plus ou moins libéralisé, sur l’investissement étranger
direct131. Le contenu de ces chapitres s’apparente à celui d’un TBI.

tion des sentences arbitrales étrangères du 10 juin 1958). Ces conventions sont
exclues de cette revue.
129 Source : CNUCED, IIA Monitor n° 3 (2009), op. cit., note 22.
130 P. JUILLARD, « Le réseau français des conventions bilatérales d’investissement :
à la recherche d’un droit perdu », DPCI, 1987, p. 9.
131 On peut citer par exemple, les accords régionaux tels que l’Accord de libre-
échange Nord Américain (ALENA) du 17 décembre 1992 (article 1110) ; le traité
sur la Charte Européenne de l’Énergie du 17 décembre 1994 (article 13.1) ;
le Protocole de Colonia pour la promotion et la protection réciproque des
investissements au sein du MERCOSUR du 17 janvier 1994 (article 4.1) ; le traité
instituant le Marché Commun Est et Sud Africain (COMESA) du 5 novembre
1993 (article 159.4) ; le Protocole sur l’Énergie de la Communauté Economique
des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) du 31 janvier 2003 (article 13.1) ;
l’Accord de 2004 instituant une zone de libre-échange entre le CARICOM
et le Costa Rica (chapitre 10, article 10.6.1) ; l’Accord de libre-échange entre
l’Amérique Centrale, la République dominicaine et les États-Unis d’Amérique
(US-CAFTA-DR) du 5 août 2004 (article 10.7) ; et l’Accord d’investissement de
la zone commune d’investissement du COMESA (CCIA) (article 18.g).

49
Retour sur les projets d’accords multilatéraux sur l’investissement
Les clauses des projets non aboutis de conventions multilatérales
sur l’investissement, bien que ne faisant pas partie du droit posi­
tif, ont néanmoins largement influencé la rédaction des traités de
protection des investissements bilatéraux et régionaux actuels et
méritent donc d’être mentionnées. Contrairement aux TBI et ALE
comportant un chapitre sur l’investissement, le nombre limité des
projets permet une revue plus exhaustive.
Le premier texte remarquable qui prévoyait une clause détaillée
sur l’expropriation132 fut le projet de convention sur les investisse­
ments étrangers d’avril 1959, encore appelé Convention Abs-Shaw-
cross du nom de ses rédacteurs. L’article 3 du projet déclarait que :
« no Party shall take any measures against nationals of another Party to
deprive them directly or indirectly of their property except (…) »133. Les
formes indirectes d’expropriations sont mentionnées, mais l’article
n’est pas accompagné d’une définition. D’après le commentaire de
cet article, les rédacteurs avaient pour préoccupation majeure de
réaffirmer le droit d’exproprier, mais en l’assortissant de conditions
obligatoires134.
Deux ans plus tard, ce fut au tour de deux juristes américains de
proposer en 1961, à la demande du Secrétariat des Nations Unies,
un projet de convention sur la responsabilité internationale des États
pour les dommages causés aux étrangers ; plus connu comme le Pro­
jet de Harvard135. Après avoir posé les mêmes conditions de licéité
que le projet précédent, l’article 10.3 précisait que : « a taking of Pro-
perty include (…) also any such unreasonable interference with the use, enjoy-
ment and disposal of the Property as to justify an inference the owner thereof
will not be able to use, enjoy and dispose of the property within a reasonable
period of time after the inception of such interference ». On apprend avec
ce projet que la mesure expropriante est celle qui interfère avec les
droits de l’étranger, et que ces droits se résument aux trois attributs
de la propriété : les droits d’user, de jouir et de disposer de son bien.
Il n’est pas encore question d’investissements. Autre élément impor­
tant, le préjudice doit avoir duré au-delà d’une période raisonnable.
Ces précieuses informations, bien qu’encore insuffisantes, ne seront

132 La Charte de La Havane signé en 1948 pour la création d’une Organisation


Internationale du Commerce (OIC) est plus ancienne, mais son article 12 sur
l’expropriation est bien trop vague. La charte ne fut jamais adoptée.
133 Le texte du projet a été reproduit et commenté par ses rédacteurs dans,
H. Abs, Lord Shawcrow, « The proposed Convention to protect private foreing
investment », Journal of Public Law, 1960, vol. 9, pp. 115-124.
134 Ibidem, p. 121. On y remarque des références aux affaires des Armateurs
norvégiens ou de l’Usine de Chorzów, qui laissent supposer que ces exemples de
mesures privatives non formelles ont interpellé les auteurs à l’époque. Ces
affaires concernaient des mesures verticales d’expropriation indirecte.
135 Voir L. B. SOHN et R. R. BAXTER, « Responsibility of State to injuries to
Economics interests of Aliens », AJIL, 1961, vol. 55, n° 3, pp. 545-584.

50
pas reprises dans la majorité des traités de protection des investisse­
ments ultérieurs, mais les tribunaux n’hésiteront pas à s’en inspirer.
En 1967, l’Organisation pour la Coopération et le Développement
Economique (OCDE) fit une première tentative pour finaliser une
convention multilatérale sur la protection des investissements par ses
États membres. L’article 3 du Projet de convention sur la protection de la
propriété étrangère dans sa dernière version du 12 octobre136 prescrivait
que « no Party shall take any measures depriving, directly or indirectly, of his
property a national of another Party unless the following conditions are com-
plied with : (…) »137. Malgré son échec, le projet aura une répercussion
extraordinaire, car il va inspirer la rédaction de centaines de traités
bilatéraux conclus par les États membres européens de l’Organisa­
tion. À tel point qu’on a pu dire de l’échec de ce projet, qu’il « s’est
progressivement mué en triomphe, puisque c’est lui, en définitive,
qui constitue la source principale des instruments bilatéraux »138.
En 1992, la Banque Mondiale, forte d’un premier succès (adoption
de la Convention CIRDI du 18 mars 1965), s’aventura prudemment
sur le droit substantiel de la protection des investissements. C’est
ainsi qu’un document censé rendre compte de la pratique étatique
la plus répandue, et qui s’apparentait à une codification par la soft
law, fut élaboré et publié à l’intention des États : les lignes directrices de
la Banque mondiale sur le traitement des investissements privés étrangers 139.
L’article 4.1, évoque l’hypothèse de l’expropriation indirecte en ces
termes : « a State may not expropriate or otherwise take in whole or in part a
foreign private investment in its territory or take measures which have similar
effects, except (…) ».
Enfin, l’OCDE en dépit du premier échec, lança de nouvelles
négociations pour la conclusion d’un Accord Multilatéral sur l’Inves­
tissement (AMI) qui ne purent aboutir140. L’article 4.2.1 de la ver­
sion consolidée du texte du 24 avril 1998 n’apportait pas de véritable

136 Pour un commentaire favorable au projet, voir A. G. VAN HECKE, « Le projet
de Convention OCDE sur la protection des biens étrangers », RGDIP, 1964,
pp. 641-464.
137 Projet disponible sur (http://www.oecd.org/dataoecd/53/55/44853865.pdf).
138 P.  JUILLARD, « L’évolution… », op. cit., note 17, p. 105.
139 Guidelines for the treatment of Foreign Direct Investment, World Bank, New York,
1992, reproduit en traduction française officieuse dans « Les lignes directrices
de la Banque mondiale sur le traitement des investissements privés étrangers »,
AFDI, 1992, pp. 801-807.
140 Sur les causes de l’échec du projet de l’AMI, voir P. JUILLARD, « À propos… »,
op. cit., note 15, pp. 595-612 ; H. MANN, Private Rights, Publics Problems : A guide to
NAFTA’s Controversial Chapter on Investor Rights, 2001, (www.iisd.org/pdf/trade_
citizensguide.pdf) ; W. WÄLDE, « Multilateral Investment Agreement (MITs) in
the Year 2000 » in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 20e siècle.
À propos de 30 ans de recherches du CREDIMI. Mélange en l’honneur de Philippe
KAHN, Paris, Litec, 2000, p. 398 ; R. GEIGER, « Regulatory Expropriations in
International Law : Lessons from the Multilateral Agreement on Investment »,
NYU Environmental Law Journal, Vol. 11, 2002, pp. 94-109.

51
révolution par rapport aux projets précédents. Il énonçait qu’« une
partie contractante ne peut exproprier ou nationaliser directement
ou indirectement un investissement réalisé sur son territoire par
un investisseur d’une autre partie contractante, ni prendre une ou
plusieurs mesures d’effet équivalent (ci-après dénommées “expro­
priation”) sauf lorsque (…) »141. Comme les textes précédents, les
précisions sur le sens et encore moins les critères de qualification
demeuraient absentes.
À leur tour, les instruments bilatéraux et régionaux qui furent
signés ont reproduit les mêmes énoncés que ceux proposés dans les
projets multilatéraux. Ils n’ont donc pas apporté un meilleur éclai­
rage sur ce qu’il fallait entendre par les termes utilisés.
En définitive, force est de constater l’absence de définition dans
les textes relatifs à la protection internationale des investissements,
qu’ils soient en vigueur ou non, bilatéraux ou régionaux, dédiés aux
seuls investissements ou plus largement au libre-échange.

B. Trois formules types pour la clause d’expropriation indirecte

Parce qu’elles sont à la fois semblables par l’idée générale véhicu­


lée, et variées par leurs terminologies, il est nécessaire de procéder à
une typologie des formules utilisées dans les clauses d’expropriation
indirecte. Cela permettra de s’interroger sur d’éventuelles interpré­
tations divergentes selon les termes utilisés. Un regroupement peut
être fait autour de trois formules en fonction des hypothèses d’ex­
propriation prévues142.
La première formule, la plus courante, distingue :
– L’expropriation (directe) ou nationalisation, et
– L’expropriation indirecte ou les mesures équivalentes ou les
mesures aux effets similaires/équivalents.
Ces textes utilisent l’une ou l’autre de ces trois dernières expres­
sions pour désigner les expropriations non directes et non formelles.
Par exemple, l’article 13 de la Partie II du traité sur la Charte Euro­
péenne de l’Énergie du 17 décembre 1994, est ainsi rédigé : « les
investissements d’un investisseur d’une partie contractante réalisés
dans la zone d’une autre partie contractante ne sont pas nationali­
sés, expropriés ou soumis à une ou plusieurs mesures ayant des effets
équivalents à une nationalisation ou à une expropriation (…) ».

141 OCDE, l’Accord multilatéral sur l’investissement, projet de texte consolide,


24 avril 1998, (http://www1.oecd.org/daf/mai/pdf/ng/ng987r1f.pdf)
142 Pour une étude extensive des clauses d’expropriations existant dans les
TBI, voir les rapports de la CNUCED : Bilateral Investment Treaties 1959-1999,
United Nations, New York and Geneva, 2000, (http://www.unctad.org/en/
Docs/poiteiiad2.en.pdf) ; et Taking of Property, UNCTAD Series on issues in
international investment agreements, United Nations, New York and Geneva,
2000, (http://www.unctad.org/en/Docs/psiteiitd15.en.pdf).

52
Doivent être regroupés sous cette catégorie, les expressions suivantes
utilisées dans les TBI :
– « expropriation, nationalisation et toute mesure ayant un effet
équivalent à une expropriation ou nationalisation »143 ;
– « mesures qui privent l’investisseur directement ou indirecte­
ment de son investissement » ;144
– « expropriation ou nationalisation ou des mesures similaires »145 ;
– « expropriation, nationalisation ou mesure ayant un effet simi­
laire »146 ;
– « mesure privative ou toute autre mesure ayant un effet simi­
laire »147 ;
– « mesure de dépossession incluant toute mesure ayant un effet
similaire à une nationalisation »148.
La seconde formule distingue littéralement trois formes d’expro­
priations :
– L’expropriation (directe) ou nationalisation,
– L’expropriation indirecte, et
– Les mesures équivalentes ou aux effets similaires/équivalents.
Elle se rencontre généralement dans les accords signés par les
pays d’Amérique du Nord et d’Amérique latine, ainsi que la Suisse.
Mais surtout, c’est la formule utilisée dans plusieurs ALE entre pays
d’Amérique du Nord et du sud. Ainsi, l’article 1110 du chapitre 11 de
l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) du 17 décembre
1992 prévoit que « Aucune des Parties ne pourra, directement ou
indirectement, nationaliser ou exproprier un investissement (…), ni
prendre une mesure équivalant à la nationalisation ou à l’expropria­
tion d’un tel investissement (…) ». Relèvent donc de cette formule les
expressions suivantes rencontrées dans les TBI :
– « adopter directement ou indirectement des mesures d’expro­
priation ou nationalisation, ou toute autre mesure équivalente
ayant un effet similaire à une dépossession »149

143 TBI Allemagne-Pologne, 1989, article  4.2 ; TBI Australie-Vietnam, 1991,


article 7.1 ; TBI Guinée-Égypte, 1998, article 5.1 ; TBI Cameroun-Mali, 2001,
article 6.1 ; TBI Israël-Estonie, 1994, article 5.1 ; TBI Royaume-Uni-Turkménistan,
1995, article  5.1 ; TBI Canada-Trinidad et Tobago, 1995, article 8.1 ; TBI Gabon-
Belgique, 1998, article 3.1 ; Finlande-Maroc, 2001, article 4.1.
144 TBI Mali-Pays-Bas, 2003, article 6 ; TBI Panama-Pays-Bas, 2000, article 6 ;
TBI Chili-Égypte, 1999, article 6.1 ; TBI République Tchèque-Hongrie, 1992,
article 4.1.
145 TBI Chine-Roumanie, 1994, article 4.
146 TBI Japon-Chine, 1988, article 5.4 ; TBI Norvège-Indonésie, 1991, article 6.1 ;
TBI Bahreïn-Jordanie, 2000, article 5.1.
147 TBI Belgique-Burundi, 1989, article 4.1.
148 TBI Allemagne-Russie, 1989, article 4.1.
149 TBI Burkina Faso-Tchad, 2001, article 5.1 ; TBI France-Argentine, 1991, article 5.2 ;
TBI Gabon-Liban, 2001, article 4 ; TBI Australie-Roumanie, 1993, article 5.1.

53
– « ne prendra, directement ou indirectement, des mesures d’ex­
propriation, de nationalisation ou toute autre mesure ayant le
même caractère ou le même effet »150.
A priori, cette formule envisage trois formes distinctes d’expro­
priations.
La troisième formule, peu fréquente, prévoit également trois caté­
gories d’expropriations :
– L’expropriation (directe) ou nationalisation,
– Les mesures directes équivalant à une expropriation
– Les mesures indirectes équivalant à une expropriation.
Autrement dit, la mesure équivalant à une expropriation peut être
directe ou indirecte. L’exemple le plus éloquent est fourni par L’ar­
ticle 4.1. du TBI Finlande-Argentine de 1993 : « Investments by investors
of a Contracting Party in the territory of the other Contracting Party shall
not be expropriated, nationalized or subjected to any other measures, direct
or indirect, having an effect equivalent to expropriation or nationalization
(…) »  151. L’article 6.1 du modèle 2012 de TBI des États-Unis peut
aussi être rangé dans cette formule puisqu’elle parle d’expropriation
indirecte se réalisant « à travers » des mesures équivalentes152.
Il faut noter également l’existence de quelques rares clauses qui
offrent des exemples dans leurs libellés.153 Ainsi l’article 159.4 du
traité COMESA est rédigé comme suit :

« expropriation shall include any measures attributable to the government of a


Member State which have the effect of depriving an investor of his ownership or
control of, or a substantial benefit from his investment and shall be interpreted to
include all forms of expropriation such as nationalization and attachment as well
as creeping expropriation in the form of imposition of excessive and discriminatory
taxes, restrictions in the procurement of raw materials, administrative action or
omission where there is a legal obligation to act or measures that frustrate the exer-
cise of the investors rights to dividends, profits and proceeds of the right to dispose
of the investment. (…) ».

150 TBI Suisse-Mozambique, 2002, article 6.


151 Voir aussi TBI Finlande-Azerbaïdjan, 2003, article 6.1 ; TBI Finlande-Liban,
1997, article 5.1 ; TBI Finlande-Philippines, 1998, article 5.1.
152 L’article 6.1 de la version révisée de 2012 du modèle américain, est identique
aux versions de 1994 et 2004 : « Neither Party may expropriate or nationalize a cove-
red investment either directly or indirectly through measures equivalent to expropria-
tion or nationalization, (…) ». Voir aussi TBI Bénin-Belgique, 2001, article 4.1 ;
TBI Tchad-Liban, 2005, article. 4.2 ; TBI France-Guinée Équatoriale, 1982,
article 5.2.
153 Une clause de ce type existait dans le modèle de TBI des États-Unis de 1982
avant qu’elle ne soit révisée en 1994. L’article 3 citait comme exemple de
mesures équivalant à une expropriation : « the levying of taxations, the compulsory
sale of all or part of an investment, or the impairment or deprivation of its management,
control or economic value (…) ».

54
Cette liste d’exemples ne remplace pas une définition. Mais ces
clauses ont néanmoins le mérite de donner une idée de situations
concrètes pouvant être qualifiées d’expropriations indirectes.
En somme, la revue des traités relatifs à la protection internatio­
nale des investissements s’avère infructueuse, voire frustrante. Pour
reprendre le constat du tribunal dans l’affaire LG&E c. Argentine :
« generally, bilateral treaties do not define what constitutes an expropriation
– they just make an express reference to “expropriation” and add the language
“any other action that has equivalent effects.” […] and does not establish
which measures, actions or conduct would constitute acts “tantamount to
expropriation” »154. Pourtant, à la lecture de la clause d’expropriation
dans son intégralité, une indication primordiale se dégage. En effet,
à défaut définir l’expropriation indirecte, ou mesure équivalente,
ou mesure aux effets similaires, ces clauses sans exception, excluent
implicitement, les éléments qui ne pourront pas être pris en compte
dans la définition.

§ 2 – Les indications implicites


de la clause d’expropriation indirecte

Aux termes de l’article 1110 de l’Accord de Libre-échange nord-


américain (ALENA) du 17 décembre 1992, il est prévu que :
« Aucune des Parties ne pourra, directement ou indirectement,
nationaliser ou exproprier un investissement (…), ni prendre une
mesure équivalant à la nationalisation ou à l’expropriation d’un tel
investissement (…) sauf : a) pour une raison d’intérêt public ; b) sur
une base non discriminatoire ; c) en conformité avec l’application
régulière de la loi (…) ; et d) moyennant le versement d’une indem­
nité (…) ».
Une indication fondamentale ressort de la lecture de cette clause
typique d’expropriation (A). Par ailleurs, d’autres indications utiles
peuvent être relevées dans les clauses atypiques de certains traités de
protection des investissements (B).

A. L’indication commune :
l’exclusion des critères de licéité du processus de qualification

Si les clauses conventionnelles ne fixent pas ce qui caractérise


une expropriation indirecte, elles posent implicitement ce qui ne la
caractérise pas.
Les clauses d’expropriation, dans leur ensemble, prévoient que les
Parties ne prendront pas telle et telle mesure, « que si », « sauf si »,
« sous la condition que », trois conditions au moins soient réunies :

154 LG&E c. Argentine, op. cit., note 114, § 185. Voir également les sentences Tecmed
c. Mexique, op. cit., note 121, § 113 ; et R. S. Lauder c. République tchèque, sentence
CNUDCI du 3 septembre 2001, § 200.

55
la présence d’un intérêt public visé par la mesure, la non-discrimi­
nation dans l’édiction ou l’application de la mesure, et le versement
d’une indemnisation à l’investisseur lésé. Ces trois éléments per­
mettent d’évaluer si une expropriation est licite, et pas si une expro­
priation a eu lieu. Toutes les clauses posent donc un cadre licite dans
lequel pourra s’effectuer une expropriation directe ou indirecte.
Cela signifie que les tribunaux arbitraux doivent rechercher d’abord
l’existence d’une expropriation indirecte, et si la réponse est posi­
tive, vérifier ensuite qu’elle a été licitement édictée. Faire autrement,
ce serait, comme l’ont bien résumé les arbitres dans l’affaire Fireman
c. Mexique, «  putting the cart before the horse (…) »155.
En distinguant ainsi la mesure d’expropriation elle-même, de ses
conditions de licéité, une règle fondamentale est posée : les condi­
tions de licéité ne peuvent pas se retrouver dans les éléments consti­
tutifs de l’expropriation indirecte. De ce fait, ces trois critères de
licéité, que doit remplir toute expropriation en droit international,
sont exclus du processus de qualification de cette dernière. Les cri­
tères de définition sont donc à rechercher ailleurs.
Il s’agit là d’une limite très importante qui n’est pas toujours prise
en considération par les auteurs recherchant des solutions de subs­
titution aux critères de qualification actuels jugés insatisfaisants.
Parmi les trois critères exclus, l’indemnisation, en raison de son sta­
tut particulier, ne suscite pas d’amalgame et rares sont les auteurs et
praticiens qui tentent de la faire sortir des conditions de licéité vers
les éléments constitutifs. Il en va autrement des deux autres critères
qui entraînent parfois des confusions. Ainsi, certaines sentences ont
opéré un véritable renversement entre conditions de licéité et élé­
ments constitutifs, tandis qu’un plus grand nombre de sentences ont
alimenté la confusion entre les deux. Concernant le renversement
des conditions de licéité de l’expropriation indirecte en ses éléments
constitutifs, on peut citer, sans s’y arrêter pour l’instant, la sentence
Methanex c. États-Unis : « in the Tribunal’s view, Methanex is correct that
an intentionally discriminatory regulation against a foreign investor fulfils
a key requirement for establishing expropriation »156. Il est clairement posé
ici qu’une mesure peut équivaloir à une expropriation, parce qu’elle
est discriminatoire. Ce renversement s’inscrivait néanmoins dans un
raisonnement particulier. Les confusions ou déclarations équivoques
sont plus fréquentes dans les sentences et il faut alors suivre de très
près le raisonnement des tribunaux pour se convaincre qu’ils gardent
à l’esprit cette limite fondamentale. Le doute surgit par exemple à la
lecture de certains paragraphes de l’affaire Metalcald c. Mexique. Le
tribunal a considéré que les mesures mexicaines : « taken together with
the representations of the Mexican federal government, on which Metalclad

155 § 174.
156 Methanex c. États-Unis, op. cit., note 112, § 7 (part. 4, chp. D). Voir dans le même
sens, Marvin Roy Feldman Karpa c. Mexique, op. cit., note 34, § 98.

56
relied and the absences of a timely, orderly or substantive basis for the denial
by the Municipality of the local construction permit, amount to an indirect
expropriation »157. Le tribunal a inséré une condition de licéité dans
la qualification : le respect des procédures légales nationales. Est-ce
à dire que si ces conditions étaient réunies, le tribunal n’aurait pas
conclu à une expropriation ? Il semble bien que non, mais le tribunal
ouvre ici la voie à des confusions regrettables158.
Cependant, plusieurs sentences ont clairement tracé une ligne de
démarcation entre les deux sphères, à l’exemple de la sentence Pac-
kering c. Lituanie. Après avoir rappelé les conditions de licéité d’une
expropriation indirecte, les arbitres ont conclu alors que « therefore,
the Arbitral Tribunal will first determine if an indirect expropriation occur-
red. If the answer is positive, it will analyse if the expropriation is legiti-
mate »159. C’est en raison de cette même distinction que le tribunal,
dans l’affaire LESI c. Algérie, a pu affirmer que « (…) dès lors que
les Demanderesses n’ont pas établi l’existence d’une expropriation
directe ou indirecte (…), il n’y a pas lieu d’examiner si les conditions
de conformité de l’expropriation aux exigences de l’Accord bilatéral
envisagées (…) sont réunies »160. Dans la même ligne, la sentence Fire-
man c. Mexique a statué que : « in the present case, the question is whether
there was expropriation. It cannot be argued that because there is discrimina-
tion, there is expropriation »161.
L’intérêt de cette distinction entre les critères de licéité et les cri­
tères de qualification d’une expropriation indirecte réside aussi
dans la distinction entre cette dernière et des notions voisines. Les
frontières sont en effet parfois difficiles à tracer lorsque les élé­
ments qui sont des critères de licéité pour une notion (expropria­
tion indirecte) se révèlent être des critères de qualification pour
d’autres notions (mesure de police par exemple). Le risque est
alors de glisser directement d’une notion à une autre en opérant

157 Metalclad, op. cit., note 56, § 107.


158 Voir dans le même sens, la sentence Middle East Cement c. Égypte (ARB/99/6),
sentence du 12 avril 2002, § 139 : « (…) though, normally, a seizure and auction
ordered by the national courts do not qualify as a taking, they can be a “measure the effects
of which would be tantamount to expropriation” if they are not taken “under due process
of law” (Art. 4. a) of the BIT ».
159 Parkerings-Company AS c. Lituanie (ARB/05/8), sentence CIRDI du 11 septembre
2007, respectivement § 441 et 442. Voir aussi Compania de Aguas del Aconquija SA
et Vivendi Universal c. Argentine (ARB/97/3), sentence du 20 août 2007 (Vivendi
II), § 7.5.21 : « the Treaty directs the Tribunal first to consider whether the challenged
measures are expropriatory, and only then to ask whether they can comply with certain
conditions (…) »; Saipem c. Bangladesh (ARB/06/07), sentence du 30 juin 2009,
§ 125.
160 LESI c. Algérie, op. cit., note 54, § 137.
161 Fireman c. Mexique, op. cit., note 119, § 205. Néanmoins, après avoir clairement
posé la distinction, le tribunal semble réintroduire la confusion lorsqu’il
effectuera la distinction entre expropriation indirecte et mesure de police.

57
un simple renversement. L’indication implicite commune ayant été
déduite des clauses conventionnelles d’expropriation indirecte, il
reste à relever quelques indications atypiques.

B. Quelques indications atypiques

Certains TBI contiennent des variations rédactionnelles subtiles


qui peuvent, soit faciliter l’interprétation des tribunaux, soit au
contraire rendre leur tâche plus ardue.
Les clauses d’expropriation relevant de la première formule exa­
minée plus haut prévoient seulement deux formes d’expropriation :
directe et indirecte. Certaines d’entre elles utilisent l’expression
« mesures aux effets similaires » pour désigner l’expropriation indi­
recte. Il s’agit là d’une précision intéressante par rapport aux clauses
qui utilisent simplement le terme d’« expropriation indirecte » ou de
« mesures équivalentes ». Ces traités, relativement nombreux sans
que l’on puisse parler de généralité, posent expressément que le
paramètre qui permet de rattacher une mesure étatique quelconque
à la notion d’expropriation est son effet. Autrement dit, c’est par ses
répercussions qu’une mesure pourra être considérée comme équi­
valente à une expropriation. Encore faudra-t-il s’accorder sur la per­
sonne sur laquelle cet effet doit être évalué (l’État ou l’investisseur ?),
ainsi que les facteurs de comparaison.
S’agissant toujours des mesures indirectes, certaines clauses pré­
cisent que c’est l’effet et le caractère de la mesure qui sont visés. Ces
clauses se retrouvent essentiellement dans les TBI suisses qui pré­
voient « toute autre mesure ayant le même caractère ou le même effet »162, mais
d’autres pays y recourent également163. Quelques textes désignent
aussi les mesures ayant « la même nature ou le même effet »164. Que faut-il
comprendre par le caractère ou la nature de la mesure ? Quelques
rares et récents traités de protection des investissements précisent
que la « nature de la mesure » renvoie à la proportionnalité entre le
but de la mesure et son effet préjudiciable sur l’investisseur165. Mais il
est difficile d’avancer ici une réponse générale et définitive pour les

162 Voir TBI Suisse-Russie, 1990, article 6.1 ; TBI Suisse-Pologne, 1989, article 6.1 ;
TBI Suisse-Pérou, 1991, article 5.1.
163 TBI République Centrafricaine-Égypte, 2000, article 4.1 : « mesure de nationali-
sation, d’expropriation, ou toute mesure ayant le même effet ou le même caractère (…) ».
Voir aussi TBI Cameroun-Chine, 1997, article. 5.1 ; TBI Suède-Argentine, 1991,
article 4.1.
164 Voir par exemple TBI Liban-Suisse, 2000, article 4.1 : « Neither of the Contracting
Parties shall take, either directly or indirectly, measures of expropriation, nationalization or
any other measures having the same nature or the same effect against investments (…) ».
165 Voir l’annexe 2.c de l’Accord global sur l’Investissement de l’ASEAN de 2009
(ASEAN CIA). Le caractère de la mesure apparaît aussi dans les annexes
explicatives des récents TBI des États-Unis ou du Canada, mais dans une autre
perspective qui sera examinée ultérieurement.

58
TBI qui ne définissent pas ces termes. Quoi qu’il en soit, la nature ou
le caractère de la mesure ne peut se confondre avec l’intérêt public
visé. En effet, ces clauses, comme toutes les autres, excluent ce cri­
tère des éléments constitutifs.
Enfin, quelques articles parlent de mesures « restrictives » ou d’at­
teintes « privant totalement ou partiellement » l’investisseur de ses
droits. Le TBI Belgique-Burundi de 1989 prescrit par exemple à
l’article 4.1 que « chaque partie contractante s’engage à ne prendre
aucune mesure privative ou restrictive de propriété, ni aucune autre
mesure ayant un effet similaire à l’égard des investissements situés
sur son territoire (…) ». Une disposition comparable existe dans le
Protocole 3 du TBI Allemagne-Côte d’Ivoire de 1968 : « on entend
par expropriation le retrait ou la limitation de tout droit de pro­
priété »166 ; ainsi que dans le TBI Japon-Égypte de 1978 : « ne serons
pas soumis à expropriation, nationalisation, restriction (…) »167. On
remarque qu’il s’agit de traités signés pour la plupart avant 1990.
De tels articles laissent penser que le préjudice subi peut ne pas être
grave. Alors que d’autres TBI utilisent les termes « privation » ou
« dépossession » qui sont bien plus exigeants. Peut-on alors dire que
les traités utilisant des formules plus souples, autorisent à qualifier
d’expropriation indirecte de simples restrictions et limitations à la
jouissance d’un investissement ? Et cela, alors même qu’une expro­
priation directe (le référent) suppose une interférence extrême avec
le droit de propriété, c’est-à-dire son retrait pur et simple ? À notre
avis, il ne faut pas prendre ces clauses à la lettre. En effet, presque
toutes les mesures étatiques restreignent d’une manière ou d’une
autre les droits de propriété. Devoir prendre en compte toute restric­
tion semble irréaliste et non conforme à la pratique des États eux-
mêmes. Il est possible qu’un rapport de pouvoir déséquilibré entre
États signataires ne soit pas étranger à l’insertion de telles clauses,
ou que les parties n’aient pas perçu la portée des termes utilisés
dans l’euphorie générale qui entourait la signature des TBI dans les
années 1980 à 1990. La majorité des auteurs est d’ailleurs contre une
telle interprétation tautologique168.
Que déduire finalement de ces particularités ? S’agit-il d’une unité
dans la diversité ou de véritables concepts distincts ? Aucun article ne
donne de définition aux termes qu’il utilise, peut-on conclure alors
que d’un traité à un autre, les arbitres devront prévoir des critères de
qualification au cas par cas, selon la formule utilisée ? Poser une telle
question revient à s’interroger sur les rapports entre le contenu de

166 Voir aussi Allemagne-Zaïre, 1971 (Protocol 3).


167 Article 5.2
168 Voir J. PAULSSON, Z. DOUGLAS, « Indirect Expropriation in Investment Treaty
Arbitration », in N. HORN (éd.), Studies in Transnational Economic Law, Arbitrating
Foreign Investment Disputes, Vol. 19, Kluwer Law, 2004, p. 156 ; J.-P. LAVIEC ; op.
cit., note 52, p. 171.

59
ces clauses conventionnelles et la définition coutumière de l’expro­
priation indirecte. Selon que ces clauses seront considérées comme
reflétant ou non, au-delà des nuances rédactionnelles, une coutume
internationale, la réponse variera certainement.

§ 3 – Une absence de définition conventionnelle


sans incidence sur les mesures verticales

La définition de l’expropriation indirecte est-elle de nature cou­


tumière ? La réponse à cette question déterminera la portée des
variations textuelles (A). Quoi qu’il en soit, une ligne directrice
se dégage : les clauses des TBI visaient essentiellement les mesures
verticales d’expropriation indirecte pour lesquelles une définition
conventionnelle n’était pas nécessaire (B).

A. Une définition coutumière incertaine de l’expropriation indirecte

Les rapports entre les clauses conventionnelles et une coutume


internationale soulèvent deux questions en étroite relation. La pre­
mière est de savoir si les clauses d’expropriation ne font que refléter
une coutume internationale préexistante que les institutions inter­
nationales auraient vainement tenté de codifier dans des traités mul­
tilatéraux. Si la réponse est négative, il faudra alors se demander si
les plus de 2700 TBI existants, qui reprennent des clauses similaires,
voire identiques, ont conduit à une « pratique générale acceptée
comme étant le droit » conformément à l’article 38.1.b du statut de
la Cour International du Justice. L’enjeu de ces questions n’est pas
que théorique. En effet, les réponses apportées détermineront les
sources formelles vers lesquelles pourront se tourner les tribunaux
pour définir ces clauses vaguement rédigées.

Les controverses sur les règles coutumières


du droit international des investissements
Au début de l’explosion du nombre des TBI il y a plus de 30 ans,
les avis étaient partagés quant aux rapports entre ces traités et la
coutume internationale. La question principale était de savoir si les
TBI ont codifié ou ont fait émerger des règles coutumières de pro­
tection de l’investissement étranger. Pour réduire ces divergences à
l’essentiel169, il faut retenir que deux principales doctrines se sont
opposées sur le sujet.
D’une part, certaines théories ont défendu l’existence, soit d’une
coutume ayant été réactivée par les TBI, soit ayant pris corps avec

169 Pour une étude plus exhaustive de la question, P. JUILLARD, « L’évolution… »,


op. cit., note 17, p. 9 et s.

60
ces derniers. Ainsi, des auteurs comme G. White170 et F. Mann171
ont vu dans la multiplication des TBI, un renforcement des règles
coutumières. Dans le même ordre d’idées, C. Leben a estimé que
les TBI ont « réanimé » des règles coutumières préexistantes au plan
coutumier qui avaient été « répudiées par les pays en développement dans
les instances multilatérales » de l’ONU172. Parmi ces auteurs, certains
concèdent que si l’on n’était pas convaincu par l’existence d’une cou­
tume antérieure, on ne peut nier l’émergence de règles coutumières
issues des clauses conventionnelles, en raison de la multiplication des
traités conclus par des États issus de toutes les régions du monde173.
D’autre part, certaines théories ont nié l’existence d’une quel­
conque coutume internationale. Ainsi, M. Sornarajah rejette non
seulement la théorie de la codification d’une coutume préexistante,
mais aussi celle de l’émergence d’une coutume issue de la codifica­
tion. Il appelle donc à une interprétation au cas par cas des traités de
protection des investissements, comme des lex specialis, justifiée selon
lui par un contexte de confusion et de contestation des normes exis­
tantes174. Certains auteurs, comme P. M. Norton, vont jusqu’à qua­
lifier les thèses qui tentent de démontrer que les tribunaux ne font
qu’appliquer une pratique étatique cohérente combinée à une opinio
juris en matière d’expropriation, de « prestidigitation doctrinale »175.
Chacune de ces théories présente des arguments défendables et
contestables. Mais il faut convenir au moins avec certains auteurs
qui adoptent une position médiane que l’émergence d’une coutume
internationale avant les contestations des pays du sud et la conclu­
sion des TBI « reste entourée d’un certain brouillard »176. Ainsi,
avant la prolifération des TBI, les tribunaux d’investissement ayant
appliqué principalement le droit international depuis les premières

170 G. WHITE, « The New International Economic Order : Principles and Trends »,
in International economic law and developping States, an Introduction, International
Economic Law Series, H. FOX (éd.), vol. II, 1992, pp. 44-47. Et les auteurs cités
dans l’article.
171 F. MANN, « British Treaties for the promotion and protection of Investments »,
BYIL, 1981, vol. 52, pp. 249-250.
172 On pense en particulier à la Charte des droits et devoirs économiques des États.
C. LEBEN, « L’évolution du droit international des investissements », Table
ronde sur L’évolution du droit des investissements dans les décennies 80/90, Journal de
CEPMLP, vol. 7, n° 12, 2000 (http://www.jurispolis.com/dt/mat/dt_invts.htm).
173 C. LEBEN, « Retour sur la notion de contrat d’État et sur le droit applicable à
celui-ci », in Mélanges offert à H. THIERRY, Paris, Pedone, 1998, p. 248. Voir aussi
F. MANN, « British Treaties… », op. cit., note 171, pp. 249-250
174 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, pp. 233.
175 Traduction de l’auteure. Voir P. M. NORTON, « A law of the future or a law of
the past ? Modern Tribunals and the International Law of Expropriation », AJIL,
1991, vol. 85, n° 3, p. 504.
176 P.  JUILLARD, « L’évolution… », op. cit., note 17, p. 90. L’auteur estime que l’exis­
tence d’une telle coutume résulte d’une extrapolation instantanée qui, même si
elle était justifiée, est loin d’avoir été élucidée.

61
sentences CIRDI177, jusqu’à celles des arbitrages pétroliers178 et du
tribunal des différends irano-américains179, se fondaient sur l’exis­
tence d’une coutume internationale. Mais une coutume internatio­
nale dont la démonstration de l’existence se limitait à citer des précé­
dents arbitraux et les écrits des publicistes renommés180. Ce constat
est si remarquable qu’un auteur s’est demandé si « judicial and arbi-
tral precedents be deemed more authoratives sources of law than the officially
expressed views of a majority of States in the General Assembly ? »181. On ne
reviendra pas ici sur la controverse quant à la nature coutumière ou
non des différentes résolutions de l’Assemblée générale des Nations
Unies prises dans le cadre du Nouvel Ordre Économique Internatio­
nal (NOEI), sauf à relever la place spéciale de la résolution 1803 sur
la Souveraineté permanente sur les ressources naturelles182. Mais il
est certain qu’avant l’adoption de ces résolutions et surtout avant la
généralisation des TBI, la pratique des États en matière d’expropria­
tion était loin d’être cohérente. Des États exportateurs de capitaux
ont parfois remis en cause l’obligation d’indemniser, comme ils ont
défendu l’indemnisation complète à d’autres périodes183.
Il est donc plus adéquat aujourd’hui de conclure que les clauses
insérées dans les traités de protection des investissements ont été
rédigées dans un contexte où la preuve d’une coutume internatio­
nale préexistante était incertaine. Par contre, leur multiplication et
leur acceptation par la majorité des États dans le monde ont conduit
à cristalliser une coutume internationale qui reprenait en grande

177 Bienvenuti et Bonfant c. Congo, op. cit., note 81, p. 756.


178 Voir Arabie saoudite c. Arabian American Oil Co (Aramco), sentence du 23 août
1958, ILR, vol. 27, pp. 167-169 ; Sapphire International Petrolium Ltd. C. National
Iranian Oil, sentence du 15 mars 1963, ILR, vol. 35, p. 175 ; BP Exploration c. Lybie,
sentence du 10 octobre 1973, ILR, vol. 53, p. 332.
179 Phelps Dodge c. Iran, Iran-USTCR, 1986-I, vol. 10, p 121 et s.
180 Voir à l’appui, la revue des sentences arbitrales rendues entre 1922 et 1974
effectuée par P. M. NORTON, « A law of the future… », op. cit., note 175, pp. 475-
488 et pp. 497-499.
181 Ibidem, p. 475.
182 Seule cette résolution a été considérée comme représentative d’une coutume
internationale par plusieurs tribunaux en raison du nombre d’États qui l’ont
adoptée.
183 Ainsi, lors des négociations en vue de l’adoption du Protocole premier à la
Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés
fondamentales en 1952, la Grande-Bretagne s’était opposée à la mention du
principe d’indemnisation dans le texte, afin de pouvoir mener sans entraves ses
plans de nationalisations de l’époque. Sur les positions de la Grande Bretagne
depuis le début du XIXe siècle, voir SEIDL-HOHENVELDERN, « Semantics of
wealth deprivation and their legal significance », in D. C. DICKE (éd.), Foreign
investment in the present and a new international economic order, Fribourg, Univ. Press,
1987, p. 220. Voir aussi le cas du programme national canadien de l’énergie de
1989 pour lequel des indemnisations furent accordées, mais à titre gracieux,
selon les déclarations du gouvernement. Pour plus de détails, voir R. DOLZER,
« Indirect expropriation of Alien Property », op. cit., note 12, pp. 53-54

62
partie des règles anciennes ne faisant pas l’unanimité auparavant.
Ainsi, certaines clauses des TBI, comme l’obligation d’indemniser
en cas d’expropriation, reprenaient certainement des règles dont la
nature coutumière était revendiquée par les pays exportateurs de
capitaux. D’autres clauses créaient une lex specialis entre les Parties,
en important des règles internationales telles que la clause de la
nation la plus favorisée ou le traitement national. D’autres clauses
enfin, instituaient de nouvelles règles allant certainement au-delà
de ce qui était connu à l’époque. C’est le cas de la clause d’arbitrage
Investisseur-État accordant une saisine directe à l’investisseur pro­
tégé. Comme on le sait, « l’apport de ces traités réside moins dans
la portée de la protection qu’ils garantissent que dans les moyens
qu’ils mettent à la disposition de l’investisseur pour l’invoquer uti­
lement »184.
Cela dit, il faut noter que cette controverse a porté essentiellement
sur le statut de l’obligation d’indemnisation en cas d’expropriation,
ainsi que les standards de calcul de son montant. Qu’en est-il alors
de la définition de l’expropriation, et spécifiquement de l’expropria­
tion indirecte ?

À la recherche de la définition coutumière de l’expropriation indirecte


Comme l’existence d’une coutume internationale préexistante
aux TBI est sujette à caution, il ne reste plus donc qu’à rechercher
si une coutume a pris corps avec les clauses conventionnelles en ce
qui concerne la définition de l’expropriation indirecte. Or, les TBI
ne définissent pas l’expropriation, qu’elle soit directe ou indirecte.
Comment dans ces conditions, une coutume internationale aurait-
elle pu émerger de la codification ? Il est vraisemblable que les TBI
aient laissé le soin de trouver une définition à l’expropriation indi­
recte dans d’autres sources du droit international. La question ici
n’est donc pas de s’accorder ou pas sur le fait que les règles du droit
international coutumier « sentent l’apostériorisme »185. Il s’agit plutôt
de savoir vers quelle source se tourner pour trouver une réponse
concrète. Cette question cruciale a été perçue par quelques auteurs
qui ont alors proposé de délaisser les sources conventionnelles et
coutumières pour se tourner vers d’autres sources du droit interna­
tional.
L’une des sources de substitution proposée a été les principes géné­
raux du droit international, au sens de règles hypothétiques néces­
saires à la pérennisation du système international de protection des
investissements. Ils ne doivent pas être confondus avec les principes
généraux de droit dégagés des droits nationaux tels que définis par
l’article 38 du statut de la CIJ. Ainsi, P. Juillard préfère se tourner

184 P. RAMBAUD, « Des obligations de l’État vis-à-vis de l’investisseur étranger


(sentence Aalp c. Sri Lanka) », AFDI, 1992, p. 509
185 D’après l’expression de P. JUILLARD, « L’évolution… », op. cit., note 17, p. 37.

63
vers les « principes généraux de droit qui s’affirment indépendam­
ment de toute pratique étatique »186. Pour l’auteur, les TBI ne font
que refléter la teneur de tels principes qui trouvent leurs justifica­
tions en eux-mêmes (traitement juste et équitable) ou dans des impé­
ratifs économiques (traitement national). Pour ce qui est des clauses
dont le contenu est vague, comme le traitement juste et équitable,
P. Juillard estimait en 1994, qu’ils « ne prendront corps que progres­
sivement, grâce à l’œuvre prétorienne des tribunaux arbitraux »187.
Cette affirmation peut s’étendre à la définition de l’expropriation
indirecte.
Il a été également proposé de se tourner vers les principes généraux
de droit issus des ordres nationaux des principaux systèmes juri­
diques dans le monde, pour dégager les critères de qualification
d’une expropriation indirecte. Ainsi, pour R. Dolzer, il n’existe pas
de définition coutumière de l’expropriation indirecte et la pratique
arbitrale n’est pas concluante188. En se fondant sur le fait que l’ex­
propriation pour cause d’utilité publique est réglementée de longue
date dans plusieurs droits nationaux, R. Dolzer propose alors de s’en
inspirer pour extraire des principes généraux de droit. Ce dernier
a d’ailleurs commencé une exploration dans quelques droits natio­
naux comme les droits allemands, français, britanniques et améri­
cains pour en extraire quelques principes189. Tout en reconnaissant
les difficultés inhérentes à une telle entreprise, il estime néanmoins
qu’elle est nécessaire en l’absence d’une meilleure solution.
Une autre option proposée est celle qui consiste à reconnaître sim­
plement l’œuvre prétorienne des tribunaux comme le seul moyen dis­
ponible d’ériger des règles communément acceptables et impartiales
sur la définition de l’expropriation indirecte. Partant également du
constat de la pratique incohérente et insuffisante des États en ce
qui concerne le standard de l’indemnisation de l’expropriation,
P. M. Norton en a tiré un argument légitimant le recours aux pré­
cédents arbitraux. Selon lui, la jurisprudence, bien que constituant
une des sources formelles subsidiaires, aurait l’avantage d’être cohé­
rente, déterminable et impartiale (Integrity)190. L’auteur ajoute que
« althought each of the early precedents may have constitued « judicial legisla-
tion » at the time it was rendered, over time such precedents have a tendency
to coalesce into a source of legitimacy »191. Ces arguments s’appliquent
également à la définition de l’expropriation. Bien que ressemblant
à un aveu d’échec, cette position se rapproche le mieux de la réa­

186 Ibidem, p. 131.


187 Ibid.
188 Voir notamment R. DOLZER, « Indirect Expropriation of Alien Property », op.
cit., note 12, pp. 58-64.
189 Ibidem.
190 P. M. NORTON, « A law of the future… », op. cit., note 175, pp. 499-501.
191 Ibidem, p. 500.

64
lité, à défaut d’être celle qui aurait été idéale. Cette conclusion n’est
d’ailleurs pas extraordinaire. Comme l’avait relevé C. Leben dans un
autre contexte, à savoir l’internationalisation des contrats d’États,
« ce ne sera pas la première fois, ni en droit international, ni en droit
interne que le contenu d’un droit serait développé par l’activité des
tribunaux »192. Sans aller jusqu’à dire, comme P. M. Norton, que la
jurisprudence est devenue une pratique cohérente bénéficiant d’une
opinio juris, il faut reconnaître que les tribunaux d’arbitrage investis­
seur-État ne s’embarrassent plus d’interrogations sur la valeur coutu­
mière réelle des critères appliqués. Ils la considèrent comme acquise,
à l’instar du tribunal dans l’affaire Saluka c. République tchèque : « it
is clear that the notion of deprivation, as that word is used in the context
of Article 5 of the Treaty, is to be understood in the meaning it has acquired
in customary international law »193. De même, dans la sentence LG&E
c. Argentine, le tribunal a noté que : « generally, bilateral treaties do not
define what constitutes an expropriation (…). Therefore, the Tribunal shall
look to international law in determining the relevant criteria for evaluating
this claim »194. Il est fort probable que cette coutume internationale
résulte essentiellement d’une construction prétorienne des tribu­
naux qui se seront inspiré des principes dégagés de certains droits
nationaux. Il convient donc de garder cette réalité à l’esprit toutes les
fois où l’on se référera à la définition coutumière de l’expropriation
indirecte dans la suite de cette étude. Mais si la définition de l’expro­
priation indirecte résulte de l’œuvre prétorienne des tribunaux, elle
n’a pu s’élaborer que dans un contexte particulier et en fonction des
cas qui furent soumis aux arbitres.

B. Les mesures verticales


d’expropriation indirecte encadrées par une « coutume internationale »

Dans une note interprétative de l’article 3 du projet OCDE élaboré


en 1967, des exemples de mesures privatives furent cités pour illus­
trer le contenu de l’expropriation indirecte : fiscalité excessive ou
arbitraire, interdiction de partage des bénéfices, obligation d’octroi
de prêts, imposition d’administrateurs, interdiction de licenciement
des membres du personnel, refus d’accès aux matières premières,
annulations arbitraires de licences d’importations ou d’exporta­
tion195. Tous ces exemples correspondent à des mesures verticales
qui sont susceptibles de constituer des expropriations indirectes. De
même, au § 3.a du commentaire, le projet prend en compte l’inten­

192 C. LEBEN, « Retour sur… », op. cit., note 173, pp. 278-279.


193 Saluka Investments BV c. République tchèque, sentence CNUDCI du 17 mai 2006,
§ 261. Voir dans le même sens, Lauder c. République Tchèque, op. cit., note 154,
§ 200.
194 LG&E c. Argentine, op. cit., note 114, § 185.
195 Voir la note interprétative de l’article 3, paragraphe 3. b.

65
tion gouvernementale de porter préjudice à un bien étranger, ce qui
signifie que la mesure doit être dirigée en toute connaissance contre
ce dernier. Ainsi, après avoir affirmé que le retrait du titre de pro­
priété devait être « the avowed object of the measure », le commentaire
ajoute que « by using the phrase « to deprive…directly or indirectly… », in
the text of the Article, it is however intented to bring within its compass any
measures taken with the intent of wrongfull depriving the national concerned
(…), (e.g. prohibiting the national to sell his property or forcing him to do so
at a fraction of the fair market value) »196.
En réalité, une relecture de cette note s’impose. En la replaçant
dans son contexte, on comprend qu’il s’agissait pour les rédacteurs
de prendre en compte, au-delà des mesures d’expropriations forma­
lisées dans un texte, les mesures par lesquelles l’État pouvait porter
préjudice à l’investissement en connaissance de cause. Ce qui est le
propre de toute mesure dirigée contre un investisseur en particu­
lier, indépendamment des justifications qui précédent son édiction.
Or, c’est la caractéristique principale des mesures verticales. Ce sont
justement ces mesures verticales qui ont inspiré les premières codi­
fications d’expropriation indirecte et ce sont ces premières codifi­
cations dans les projets de traités multilatéraux qui furent reprises
dans les centaines de TBI ultérieurs. L’explosion du nombre de TBI
dans les années 1980 à 1990 coïncidait encore avec la prédominance
des mesures verticales. Appréhendée sous cet angle, la concision tant
décriée de la clause d’expropriation s’éclaire sous un jour nouveau
et prend du sens.
Il a été reproché aux rédacteurs des TBI un manque de précision
dans la formulation de la clause d’expropriation. Ainsi, pour R. Dol­
zer, « (…) the laconic wording of theses characterisations of indirect expor-
priation in investment treaties […] fall bellow the mark of acceptability »197.
On peut déplorer en effet le fait que cette concision fasse perdre
ici en clarté. Toutefois, elle était justifiable. Ce n’est pas seulement
la recherche d’un compromis lors de négociations difficiles, ni le
souci de laisser ouvertes certaines hypothèses ne pouvant pas être
envisagées à l’avance, qui guidaient les négociateurs. Il faut y ajouter,
peut-être sans que ces derniers en fussent pleinement conscients, le
fait que de telles précisions semblaient inutiles. Autrement, cette pra­
tique n’aurait pas connue un si long succès dans plus de 2700 traités
de protection des investissements. Sinon il n’y aurait pas eu aussi un
soudain besoin de précisions dans certains récents TBI. Tout cela
s’explique essentiellement par le fait que la concision convenait bien
aux expropriations directes comme aux mesures verticales d’expro­
priation indirecte. Les expropriations directes individuelles ou à

196 La mention de « l’intention de l’État » peut sembler surprenante, car cette


question ne faisait pas l’unanimité à cette époque, et a finalement été rejetée
par les tribunaux arbitraux.
197 R. DOLZER, « Indirect expropriation of alien Property », op. cit., note 12, p. 55.

66
large échelle n’ont jamais eu besoin de définition minutieuse. Il ne
peut en être autrement, étant donné que c’est l’État expropriant qui
déclare lui-même avoir procédé à un tel acte. Les définitions doctri­
nales, parfois divergentes, ne comportaient donc pas d’enjeu majeur.
Cela est si vrai qu’un tribunal n’a pas hésité à affirmer que : « reco-
gnizing direct expropriation is relatively easy : governmental authorities take
over a mine or a factory, depriving the invesstor of all meaningful benefits of
ownerschip and control »198. Si par la suite, les expropriations indirectes
furent ajoutées, les cas portés devant les tribunaux arbitraux étaient
presque toujours des mesures verticales. Or, en raison de la filiation
étroite entre les mesures verticales et l’expropriation directe, repérer
une expropriation indirecte de la première génération ne suscite que
peu, voire aucun problème de qualification. Il est relativement aisé
pour un arbitre de qualifier en expropriation indirecte une mesure
étatique visant directement un investisseur et détruisant son investis­
sement dans son intégrité. A l’époque donc, définir conventionnel­
lement l’expropriation indirecte (par mesure verticale) ne s’avérait
pas plus indispensable que définir l’expropriation directe. Bien au
contraire, ne pas la définir offrait l’avantage de la flexibilité pour
coller au plus près des diverses réalités199. L’absence de définition
n’était donc pas problématique, tant que les expropriations directes
et les expropriations indirectes par mesures verticales dominaient
le contentieux de l’expropriation. C’est pourquoi les États s’étaient
focalisés sur les conditions de licéité, et particulièrement la compen­
sation qui véritablement posait problème.
Certains auteurs ont avancé des explications différentes à cette
lacune des TBI. Ainsi, N. Horn souligne les conséquences de l’in­
termède des revendications pour un NOEI dans les années 1960
et 1970. Autrement dit, ce seraient les résolutions de l’Assemblée
générale des Nations Unies200 – auquel l’auteur dénie toute force juri­
dique – qui auraient créé les lacunes dans le droit conventionnel en
faisant prévaloir « political opinion on that legal issue »201. D’où l’absence
d’une définition claire des expropriations et mesures équivalentes
à une expropriation. Cette conclusion est bien hâtive et occulte cer­
taines réalités. En premier lieu, la controverse n’a pas conduit à un
bouleversement du régime juridique classique, car l’indemnisation
de l’investisseur exproprié demeure aujourd’hui une obligation

198 Feldman c. Mexique, op. cit., note 34, § 100.


199 Comme le note un auteur, l’absence de définition s’explique aussi par « the great
variety of possible measures, amounting to a de facto taking of foreign owned property
which defies a more specific description ». Voir Ch. H. SCHREUER, « The Concept ot
Expropriation… », op. cit., note 39, p. 114.
200 L’auteur se réfère notamment aux résolutions 1803 et 3281 de l’Assemblée
générale des Nations Unies.
201 N. HORN, « Arbitration and the Protection of Foreign Investment : Concepts
and Means », in N. HORN (éd.), Studies in Transnational Economic Law, Arbitrating
Foreign Investment Disputes, Vol. 19, Kluwer Law, 2004, p. 9.

67
légale, même en cas de nationalisation à grande échelle. La contro­
verse au mieux aurait engendré des définitions ambiguës, mais pas
une absence de définition dans les TBI. En toute logique, les États
du sud avaient plus intérêt à ce que leurs revendications soient ins­
crites dans le droit conventionnel, à défaut de pouvoir faire émerger
une nouvelle coutume internationale. En second lieu, le boum des
TBI est intervenu dans un climat de course effrénée pour l’attrait
de l’IDE, engendrant une surenchère dans la protection convention­
nelle. Dans ce contexte, si les clauses des TBI sont vagues, c’est bien
pour ouvrir largement la protection et non le contraire, comme le
souhaitaient les pays exportateurs de capitaux. Dans la mesure où
ces derniers se satisfaisaient des critères de qualification dégagés par
les tribunaux jusqu’alors, rien ne justifiait qu’ils s’aventurent dans
une définition rigide qui aurait été forcément restrictive.
La donne a changé aujourd’hui avec les mesures horizontales.
Certes, il n’est pas possible de trouver une définition rigide et
exhaustive à une notion fonctionnelle comme l’expropriation indi­
recte. L’absence de définition peut d’ailleurs constituer un atout per­
mettant d’adapter, sans les dénaturer, les critères de qualification
de l’expropriation indirecte aux mesures horizontales. Il revient aux
tribunaux de modeler ces critères sur la base des indications des TBI.
Comme ils ont eu à le faire pour les mesures verticales, ils devront le
faire pour les mesures horizontales. Mais s’agissant des mesures hori­
zontales, un minimum de précisions est nécessaire pour éviter que
les contours de l’expropriation indirecte ne soient plus repérables.
Pour preuve, une tendance naissante dans les récents traités de pro­
tection des investissements consiste à apporter des éléments censés
mieux guider le processus de qualification d’une expropriation indi­
recte ; en réalité celle qui se réalise par une mesure horizontale.

Section 2 – Les tentatives récentes de clarification


de l’expropriation indirecte dans les traités de protection
des investissements

La volonté d’expliciter le contenu d’une expropriation indirecte


n’est encore qu’une pratique récente et minoritaire dans les traités
de protection des investissements. Elle reste donc à confirmer. Avant
de procéder à l’analyse juridique des nouvelles clauses d’expropria­
tion indirecte, il s’avère utile de revenir sur le contexte général du
changement de perspective des États qui ont adopté cette approche
(§ 1). Cela permettra par la suite de mieux saisir la portée réelle de
ces clarifications qui, dans leur majorité, obscurcissent plus qu’elles
n’éclairent la problématique des nouvelles formes d’expropriation
indirecte (§ 2).

68
§ 1 – Le contexte des clarifications conventionnelles

L’étude du contexte général des récentes clarifications convention­


nelles confirme l’assertion selon laquelle le droit international des
investissements s’est construit et continuera à se développer « dans
un système à variables modulatoires au gré des philosophies domi­
nantes et du contexte politique et économique international »202.
Quatre paramètres au moins jouent un rôle de premier plan.

A. L’État « providence » dans le


contentieux international des investissements

L’« État providence » ayant remplacé l’« État gendarme », les gou­


vernements doivent désormais assurer non seulement la sécurité et
la paix sur le territoire national, mais aussi, et surtout, pourvoir à
un bien-être général. L’État est en quelque sorte « omniprésent : il
est producteur, fournisseur de services, protecteur des citoyens »203,
mais aussi régulateur. Il existe une pression politique forte qui
amène les gouvernants « to regulate foreign investment, in itself or as a
part of the general econonmy, so drastically that foreign investors my be incli-
ned to raise claims of indirect expropriations »204. Or, les mesures hori­
zontales d’expropriation indirecte qui ne visent pas initialement
l’investisseur en tant que tel proviennent généralement de ce type
de règlementations générales. Les besoins souvent contradictoires
des États qui veulent à la fois protéger leur pouvoir normatif tout
en offrant un climat favorable au secteur privé ont conduit à brouil­
ler les frontières entre la règlementation et l’expropriation. On peut
ainsi dire qu’auparavant, si l’État règlementait pour exproprier (loi
de nationalisation par exemple), aujourd’hui, l’État exproprie en
règlementant (loi sanitaire par exemple). Derrière cette petite sub­
tilité de langage réside un grand problème : celui de la fusion entre
État expropriant et État règlementant qui est propre aujourd’hui à
tous les États hôtes d’investissements. Comme les mesures indirectes
ou équivalentes n’ont pas été définies ou limitées dans les TBI, rien
n’empêche a priori de considérer toutes les règlementations éta­
tiques comme potentiellement expropriantes. L’accès facilité et uni­
latéral de l’investisseur à l’arbitrage international augmente alors les
risques de l’État d’accueil d’être attrait devant les tribunaux pour la
moindre de ses règlementations.

202 Ph. KAHN, « Les investissements internationaux, nouvelles donnes… », op. cit.,
note 20, p. 4.
203 C. LEVESQUE, « Les fondements de la distinction entre l’expropriation et la
réglementation en droit international », Revue générale de droit, Vol. 33, n° 1,
2003, p. 62.
204 R. DOLZER, F. BLOCH, « Indirect Expropriation : Conceptual Realignment ? »
Forum du droit international/International law forum, Vol. 5, 2003, n° 3, p. 155.

69
Dans le cadre de l’ALENA, quelques affaires retentissantes ont
attiré l’attention du grand public sur des clauses comme l’expropria­
tion indirecte. Cette clause a révélé un potentiel ignoré jusqu’alors
par les États membres de l’espace ALENA, de leur propre aveu205.
L’expropriation indirecte est apparue brutalement comme un outil
redoutable aux mains des investisseurs privés étrangers206. Ces litiges
expliquent pour une grande part, l’insertion de nombreuses excep­
tions dans les récents traités de protection des investissements de
certains États. Craignant, suite aux affaires arbitrales comme Ethyl
c. États-Unis, Methanex c. États-Unis, SD Myers c. Canada, Pop & Talbot
c. Canada, et Metalclad c. Mexique 207, de voir leur droit de règlemen­
ter sans contrepartie financière compromis par certains articles de
l’ALENA, les trois membres de l’ALENA tentent de limiter le champ
d’application de certaines clauses. Cette volonté s’est concrétisée par
exemple le 31 juillet 2001 dans la note d’interprétation sur certaines
dispositions du chapitre 11, comme le traitement juste et équitable,
élaborée par la Commission du libre-échange de l’ALENA 208. Quant
à l’expropriation indirecte, c’est sans surprise que l’on a pu constater
que « toutes les récentes controverses qu’a suscitées l’évolution de
la jurisprudence internationale trouvent leur écho dans le nouveau
modèle des États-Unis »209.

205 Ainsi, le premier ministre québécois en exercice lors de la négociation et de la


signature de l’ALENA, J. PARIZEAU déclarait en 1999 : « on n’a pas toujours fait
attention aux dispositions de l’ALENA concernant les investissements, obnubilés comme
nous l’étions tous par les flux commerciaux ». Propos rapportés par A. LEMAIRE, « Le
nouveau visage de l’arbitrage entre État et investisseur étranger : le chapitre 11
de l’ALENA », Revue de l’arbitrage, 2001, n° 1, p. 47.
206 Voir par exemple, un plaidoyer sur les risques que ferait peser le chapitre 11 de
l’ALENA sur la capacité des États à règlementer pour protéger l’intérêt public
et notamment l’environnement. H. MANN, K. VON MOLTKE, « Protecting
of Investor Rights and the Public Good : Assessing NAFTA’s Chapter 11 »,
Background paper to the 2002 ILSD tri-National Policy Workshops, 2002, en
ligne sur http://www.iisd,org/trade/ILSDWorkshop, pp. 8-18.
207 Pour une analyse du contexte politique de ces affaires, voir « Introduction to
Regulatory expropriations in International Law and Cases Summaries », New
York Environnemental Law Journal, Vol. 11, 2003 (http://www.law.nyu.edu/
journals/envtllaw/issues/vol11/1/foreword.pdf).
208 La note d’interprétation est disponible sur (www.international.gc.ca/trade-
agreements-accords-commerciaux/disp-diff/nafta-interpr.aspx?lang=fr). Voir
aussi ses récentes applications dans l’Annexe 10-B de l’USA-CAFTA-DR du
5 août 2004 et l’Annexe A du TBI États-Unis-Maroc.
209 P.  JUILLARD, «  Le nouveau modèle américain de traité bilatéral sur
l’encouragement et la protection réciproques des investissements (2004) »,
AFDI, 2004, p. 670.

70
B. L’émergence du concept de développement durable

Il a souvent été affirmé, au-delà du postulat que la libéralisation


des échanges et la protection de l’environnement peuvent être conci­
liées210, que généralement « le système économique est indifférent à
l’environnement »211. Malgré cela, des tentatives de conciliation de
ces deux intérêts divergents avaient été menées pour aboutir à la
création d’une idée novatrice : le développement durable. Le prin­
cipe du Développement Durable peut être défini comme « un déve­
loppement qui tient compte de l’environnement, de l’économie et du
social »212, ou comme « un développement qui permet de répondre
aux besoins du présent sans compromettre la capacité des généra­
tions futures de répondre aux leurs »213. Ce concept défini aupa­
ravant, mais consacré formellement sur le plan mondial dès 1992
avec la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement,
suppose un compromis entre le développement économique et la
préservation des ressources naturelles pour les générations futures.
Comment tendre à la fois vers la croissance économique, et le main­
tien d’écosystèmes sains et productifs ? Tel est l’enjeu qui s’illustre
avec acuité dans le droit international des investissements, dédié a
priori aux seuls intérêts économiques des États et des investisseurs. Il
est en effet désormais exigé du secteur économique qu’il ne contra­
rie pas les évolutions enregistrées dans d’autres domaines comme la
protection des droits humainsou de l’environnement, à défaut d’y
contribuer.
Nous pouvons affirmer aujourd’hui que les revendications au sein
du régime de protection internationale de l’investissement étranger
ont migré d’un forum de discussion à un autre et d’une préoccupa­
tion à une autre. Concernant le forum de discussion, on est passé de
l’Assemblée générale des Nations Unies avec le groupe des 77, à une
tribune transnationale érigée par la société civile et des spécialistes

210 Voir par exemple le paragraphe premier du préambule de l’Accord de


Marrakech instituant l’Organisation Mondiale du Commerce.
211 Expression de S. MALJEAN-DUBOIS et R. MEDHI, «  Environnement et
développement, les Nations Unies à la recherche d’un nouveau Paradigme », in
Les Nations Unies et la protection de l’environnement : la promotion d’un développement
durable. Septièmes rencontres internationales de l’institut d’études politique d’Aix-en-
Provence, Paris, A. Pedone, 1999, p. 15.
212 Définition proposée par l’Union Mondiale pour la Conservation de la Nature
en 1980.
213 Notre avenir à tous, Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le
développement de l’ONU, (Rapport Brundtland), avril 1987 (http://fr.wikisource.
org/wiki/Rapport_Brundtland). Sur le plan jurisprudentiel, la question a été
traitée dans plusieurs décisions. Voir CIJ, Projet GabCikovo-Nagymaros (Hongrie
c. Slovaquie), arrêt du 25 septembre 1997, Rec. 1997, p. 7, § 140 ; et CPA, Arbitrage
« Rhin de fer » (Belgique c. Pays-Bas), sentence du 24 mai 2005, PCA Award Series,
2007, § 59.

71
de la matière, qui se sont dressés en défenseurs des droits sociaux et
environnementaux. Un passage s’est donc opéré d’un forum inte­
rétatique vers un forum non-étatique. Concernant le changement
de préoccupation, ce n’est plus un nationalisme exacerbé aux forts
moments des revendications d’un NOEI qui guide les revendica­
tions, mais une communauté d’intérêts, une interdépendance face à
des défis mondiaux faisant fi des découpages nationaux. Mais dans
le fond, le problème reste le même : une méfiance envers l’activité
d’investissement mondialisé, ou du moins ceux qui l’entreprennent.
La crainte principale étant que les générations futures ne puissent
hériter d’une planète préservée et viable. Cependant, certains
auteurs se sont insurgés contre ce qu’ils considèrent comme une
« réincarnation » du mouvement nationaliste dans un mouvement
environnementaliste, au point d’y voir un « cheval de Troie »214 et de
la « Xénophobie »215 dans la lutte contre une mondialisation et un
libre-échange qu’ils appellent de tous leurs vœux. Ces affirmations
sont manifestement exagérées.
Le concept de Développement Durable explique en grande partie
les acceptions naissantes et inédites de l’expropriation indirecte. Les
tenants des nouvelles approches tentent en effet de faire intégrer
des modifications qui ménagent un espace de règlementation non
indemnisable plus large à l’État d’accueil d’investissements étran­
gers. C’est ainsi que les traités régionaux de libre-échange qui furent
conclus après 2000 ont tous un préambule prenant en compte, à
côté des buts strictement économiques, la poursuite d’un objectif
de développement durable216. Au niveau des TBI, ces préambules
demeurent rares, car la majorité fut signée à une période où le déve­
loppement durable n’était pas encore un enjeu de premier ordre.
Bien que ces préambules récents se contentent de poser simplement
que les clauses du traité doivent être compatibles avec le développe­
ment durable, ils peuvent être utiles dans l’interprétation des dis­
positions du corps des TBI qui sont vagues comme la définition de
l’expropriation indirecte.

214 D’après l’expression de T. WÄLDE ; A. KOLO, « Multilateral Investment Treaties


and Environmental Expropriation of Foreign Investment », University of Dundee,
(http://www.gasandoil.com/goc/speeches/wälde2.htm), p. 2 et 3.
215 D’après l’expression de T. WÄLDE, A. KOLO, « Environmental Regulation… »,
op. cit., note 39, p. 812.
216 Il est généralement affirmé dans ces préambules que les parties s’engagent à
protéger, améliorer, et faire respecter les droits fondamentaux des travailleurs,
à mettre en œuvre le traité d’investissement d’une manière compatible
avec la protection et la conservation de l’environnement, à promouvoir le
développement durable et à préserver leur flexibilité afin de protéger le bien-
être public. Voir par exemple les préambules du CAFTA-DR, de l’ALENA, du
COMESA ou de l’ALE bilatéral États-Unis-Chili (2003).

72
C. La relativisation de l’effet attractif
des traités de protection des investissements

Il ressort de plusieurs études et rapports officiels d’institutions


spécialisées qu’il est plus facile de faire le lien entre le flux des
investissements et la croissance économique que de faire le lien
entre la multiplication des TBI et la hausse du flux des investisse­
ments. Déjà, le rapport sur l’investissement dans le monde de la
CNUCED de 2003 était arrivé à la conclusion que « an aggregate sta-
tistical analysis does not reveal a significant independent impact of BITs in
determining FDI flows. At best, BITs plan a minor rôle in influencing glo-
bal FDI flow and explaining differences in their size among countries »217.
D’autres facteurs économiques et politiques sont nécessaires,
voire plus déterminants aux yeux de l’investisseur : l’existence de
matières premières à extraction peu coûteuse, la taille du marché
intérieur et son dynamisme, le tissu industriel national, l’existence
d’une main-d’œuvre qualifiée et peu onéreuse, la stabilité poli­
tique, les infrastructures de transports denses et performantes,
le faible coût des facteurs de production, la confiance aux insti­
tutions, la flexibilité des taux de change, les incitations fiscales,
etc. Le paradoxe veut que les pays en développement qui ont le plus
besoin des IDE soient ceux qui ont le plus de difficultés à respec­
ter les critères essentiels pour les investisseurs étrangers. Les pays
développés et émergents sont donc ceux qui attirent la majorité de
l’IDE dans le monde218. Par conséquent, les TBI sont considérés par
une partie des auteurs, comme n’apportant rien de significatif au
mieux et comme des obstacles au développement économique des
pays pauvres au pire219. Dans ce contexte, certains auteurs comme
F. Horchani se demandent avec perplexité

« quel intérêt tirent alors les pays, en particulier en développement,


pour conclure davantage [de TBI], dans la mesure où il n’est pas établi
que ces accords constituent un déterminant dans l’attractivité des IDE

217 CNUCED, World Investement Report, 2003, p. 89 (http://www.unctad.org/en/


Docs/wir2003light_en.pdf). Le titre d’une étude publiée sous les auspices
de la Banque Mondiale est évocateur : M. HALLWARD-DRIEMEIER, « Do
Bilateral Investment Treaties Attract FDI ? Only a Bit… And they could Bite »,
World Bank Policy Research Paper, WPS 3121, 2003(http://www-wds.worldbank.
org/servlet/WDSContentServer/WDSP/IB/2003/09/23/000094946_0309
1104060047/Rendered/PDF/multi0page.pdf). Un auteur affirme que « it is
difficult to measure reliably the true impact of treaty or a series of treaties on the conduct
of Business ». Voir T. WÄLDE « Multilateral investments agreements… », op. cit.,
note 140, p. 430.
218 Voir CNUCED, World Investment Report, 2011, p. xii-xvi, (http://www.unctad-
docs.org/UNCTAD-WIR2011-Full-en.pdf).
219 A. T. GUZMAN, « Why LDCs Sign Treaties that hurt them ? », Virginia Journal of
International Law, 1998, pp. 637-688.

73
et parce que, précisément ces accords facilitent le déclenchement des
procédures arbitrales par l’investisseur privé contre l’État de territorialité
de l’investissement ? »220.

Il faut rappeler que suite aux vagues de nationalisations qui avaient


contraint au départ les investisseurs étrangers, ainsi que la chute de
l’URSS autrefois pourvoyeur important de capitaux, les pays en déve­
loppement ont adopté une attitude plus pragmatique à l’égard du trai­
tement de l’investissement étranger. Il leur fallait offrir un climat pro­
tecteur aux investisseurs et faire reculer leurs appréhensions. Parmi
les politiques incitatives, la conclusion des TBI a été encouragée par
diverses institutions financières internationales (la Société Financière
Internationale par exemple) et nationales dans le cadre de l’octroi
des prêts aux investisseurs, voire exigée comme condition d’octroi des
garanties aux investissements réalisés dans certains pays par des orga­
nismes nationaux de garantie221. De leurs côtés, les investisseurs pré­
féraient l’existence d’un TBI, car ils permettaient à la fois d’offrir des
garanties importantes, mais surtout de placer directement ces garan­
ties dans l’ordre juridique international considéré comme plus fiable.
Enfin, dans la littérature juridique comme économique spécialisée,
on supposait que les TBI réduisent les risques et que cette réduction
promeuve le flux des investissements. Mais depuis la fin des années
1990, cette rhétorique a légèrement perdu de sa force. Comment est-
on passé de la course générale effrénée à la signature des TBI, à une
attitude plus prudente dans certains pays ?
Un grand nombre d’États du sud n’ont pas vu le flux d’investisse­
ments vers leurs territoires augmenter sensiblement malgré la mul­
tiplication de leurs TBI ; notamment ceux qui ne disposent pas de
matières premières importantes. De surcroît, des États ayant peu
ou pas de TBI en vigueur, ont connu une croissance régulière du
flux d’investissements vers leurs territoires. C’est le cas du Brésil qui,
bien que n’ayant aucun TBI en vigueur, demeure l’une des princi­
pales destinations de l’IDE au plan mondial222. Dès lors, des auteurs
n’ont pas manqué de reprocher aux États en développement qui se
livraient à une surenchère dans la conclusion des TBI et l’édiction de
nouveaux codes d’investissement, d’avoir procédé à un « mimétisme
juridique »223 sans rechercher de véritables politiques d’attraits adap­

220 F. HORCHANI, « Rapport introductif », in F. HORCHANI (éd.), Où va le droit


international des Investissements ? Désordre normatif et recherche d’équilibre, Paris,
Pedone, 2006, p. 7.
221 C’est le cas par exemple en Allemagne. Ce qui explique que cette dernière l’un
des pays ayant conclu le plus de TBI dans le monde.
222 Le Brésil n’a ratifié aucun des 15 TBI qu’il a signés.
223 A. BENCHENEB, « Sur l’évolution de la notion d’investissement », in Souveraineté
étatique et marchés internationaux à la fin du 20e siècle. A propos de 30 ans de recherches
du CREDIMI. Mélanges en l’honneur de Philippe KAHN, Paris Litec, 2000, p. 178.

74
tées à leurs réalités. À tout cela, s’ajoutent les répercussions des crises
financières et économiques successives qui ont montré les limites
d’un libéralisme débridé et le besoin d’une régulation plus forte des
activités d’investissements, y compris dans les pays développés.
À notre avis, les TBI réduisent le risque politique pour les investis­
seurs, mais ne l’éliminent pas. Par conséquent, la valeur ajoutée d’un
TBI n’existe que lorsque l’investisseur doit choisir entre deux terri­
toires où il prévoit les mêmes retours sur investissement en fonction
des facteurs économiques. Toute chose étant égale par ailleurs, il
choisira alors l’État qui lui offre, en plus de ses atouts économiques,
des garanties conventionnelles réduisant les risques politiques et ses
coûts d’assurances. Dès lors, un État aura beau signer des centaines
de TBI, il ne verra pas affluer plus d’investisseurs si son cadre éco­
nomique et politique présente trop d’aléas pour l’investisseur privé
étranger. De même, un État n’ayant pas signé de TBI, pourra quand
même attirer des investissements étrangers s’il satisfait aux détermi­
nants les plus importants aux yeux des investisseurs étrangers.
En raison de cette remise en cause de la nécessité de conclure des
TBI, certains États portent une attention accrue lors de la rédaction
des clauses « sensibles », comme l’expropriation, dans leurs nouveaux
traités de protection des investissements.

D. La mondialisation de l’économie
et les nouveaux rapports étatiques nord-sud

La mondialisation est un phénomène multidimensionnel d’actua­


lité qui fait l’objet de débats complexes. Il ne s’agit pas ici de s’enga­
ger sur les controverses de toutes sortes qui entourent ce phénomène,
mais simplement d’appréhender l’une de ses manifestations224 : le
flux des investissements privés étrangers dans le monde.

224 Par ailleurs, les évolutions du droit international des investissements ne se lim­
itent pas à ce rééquilibrage des flux d’investissements entre les pays du nord
et du sud. Il concerne aussi les rapports entre les pays développés. Face à une
concurrence internationale exacerbée pour l’attrait de l’IDE, la question de la
libéralisation des investissements se retrouve au cœur du droit international des
investissements. Deux conceptions différentes existent sur la libéralisation du
flux des investissements. La conception nord-américaine qui prône une libre
admission assortie néanmoins d’exceptions dans des secteurs sensibles. Et la
conception dite « européenne », partagée par les pays en développement, qui
laisse un pouvoir discrétionnaire aux États d’accueillir ou non les investisse­
ments de leur choix. Il n’est pas exclu néanmoins que la conception des pays
européens se rapproche à l’avenir de la conception américaine. Ainsi, la Com­
mission européenne qui détient désormais, avec l’entrée en vigueur du traité
de Lisbonne le 1er décembre 2009, la compétence de négocier des traités de
protection des investissements pour le compte de l’Union, pourrait s’engager
dans cette voie. A notre avis, il est plus logique d’envisager une libéralisation de
l’accès des investissements étrangers dans le cadre d’une zone de libre-échange
ou d’intégration économique entre des États ayant un niveau de développement

75
Depuis une décennie, les statistiques officielles de la CNUCED
montrent que le flux des capitaux ne se fait plus exclusivement du
nord vers le sud225. La distinction classique entre États exportateurs
de capitaux et importateurs de capitaux est plus floue. Mis à part le
groupe des Pays les Moins Avancés (PMA), il n’est plus possible de
désigner un État comme seulement exportateur ou importateur de
capitaux. En effet, des ressortissants de pays dits émergents inves­
tissent dans les pays riches comme dans les pays en développement.
C’est le cas de la Chine, de Singapour, de l’Afrique du Sud, de l’Inde
ou du Brésil.
Il faut se rappeler que la clause d’expropriation insérée dans les
TBI résulte d’un rapport de force entre deux tendances contraires.
La tendance en faveur de l’indemnisation systématique et d’une défi­
nition large de l’expropriation était principalement celle des États
exportateurs de capitaux. Or, aujourd’hui ces derniers sont désor­
mais des pays importateurs de capitaux qui peuvent être attraits
devant les tribunaux arbitraux en tant qu’États hôtes expropriants.
En outre, avec la conclusion des ALE régionaux et des traités bilaté­
raux entre pays développés et pays émergents, les règles de protection
de l’investissement peuvent être invoquées contre des pays dévelop­
pés. À titre d’exemple, les États-Unis ne s’étaient jamais trouvés en
situation de défendeur dans un arbitrage CIRDI avant 1999. L’inter­
prétation extensive des droits conférés par les TBI aux investisseurs
commence alors à causer des problèmes aux pays développés, qui
contestent désormais le contenu de certaines clauses. Ces derniers
font face aujourd’hui aux dérives extensives de règles qu’ils ont eux-
mêmes contribué à façonner dans le passé226. De ce fait, les anciens
pays exportateurs de capitaux, aujourd’hui également importateurs,
tentent désormais de trouver un certain équilibre, en lieu et place
d’une ancienne vision manichéenne entre les États hôtes spoliateurs
et les investisseurs lésés et démunis face à la toute-puissance étatique.
Tout comme M. Sornarajah, nous sommes intéressés de voir « whether
the arguments the developed countries use in their own defence will succed
when developing countries use them »227.
Pour terminer avec l’étude du contexte général des clarifications
conventionnelles, une dernière remarque s’impose. Normalement,

comparable. Au niveau bilatéral, et surtout pour les PMA en quête d’investisse­


ments de qualité, une libéralisation serait à la fois inéquitable et prématurée.
225 Voir par exemple, CNUCED, World Investment Report, 2008, pp. 42-46. (http://
www.unctad.org/en/docs/wir2009pt1_en.pdf).
226 Un auteur a noté qu’« après avoir imposé l’arbitrage dans différends relatifs aux
investissements aux autres pays hôtes en que pays exportateurs de capitaux,
les États-Unis semblent accepter plus difficilement de devoir subir le même
traitement lorsqu’ils sont eux-mêmes importateurs de capitaux ». A. PRUJINER,
« L’expropriation, l’ALENA et l’affaire Metalclad », International Law Forum,
Vol.5., n° 3, 2003, p. 214.
227 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 362.

76
un État a intérêt à recourir à des notions vagues et à des standards
qui pourront être interprétés dans un sens ou dans un autre selon le
cas d’espèce ; avec l’ambition bien sûr de pouvoir convaincre le tri­
bunal d’abonder dans le sens qui lui sera avantageux. Mais comme
les risques s’orientent à un moment donné vers une conception qui
leur est défavorable (en tant que pays d’accueil de l’investissement),
certains États prennent le parti d’apporter plus de précisions afin
de restreindre la portée de certaines clauses. Dans le même temps,
ils veulent se ménager une porte de sortie au cas où l’interprétation
actuellement décriée leur serait au contraire favorable (en tant que
pays d’origine de l’investissement). C’est donc mû par des intérêts
contradictoires qu’ils s’engagent dans la clarification de leurs clauses
conventionnelles d’expropriation indirecte. Comment imaginer une
disposition qui avantage un État à la fois comme pays d’origine d’un
investissement lésé dans un litige puis comme pays hôte portant
atteinte à un investissement dans un autre ? Il aurait été miracu­
leux qu’une telle attitude conduise à un résultat optimal, comme le
confirmera l’analyse du contenu des clarifications conventionnelles.

§ 2 – La substance des clarifications conventionnelles

Le début du XXIe siècle semble connaître un retour à une concep­


tion plus restrictive de la définition de l’expropriation indirecte.
Alors que durant ces deux décennies passées, la contestation portait
sur les conditions de licéité du droit d’exproprier, les actuelles limi­
tations visent en amont les critères de qualification d’une expropria­
tion indirecte. Trois procédés sont alors utilisés. En premier lieu,
certaines clauses réaffirment le droit de règlementer de l’État (A).
En second lieu, quelques clauses excluent certains types de règle­
mentations publiques, même dommageables aux investissements, de
la définition de l’expropriation indirecte (B). En troisième lieu, des
clauses sous forme d’annexes explicatives fournissent une liste de
facteurs devant guider l’interprétation des tribunaux lorsqu’ils exa­
minent une plainte d’expropriation indirecte (C).

A. La réaffirmation du droit de règlementer de l’État d’accueil

De récentes clauses insérées actuellement dans certains traités


de protection des investissements visent des préoccupations non
marchandes et rappellent que l’État a le droit de règlementer pour
protéger certains intérêts publics. Ces clauses, dont certaines sont
directement inspirées de l’article XX du GATT de 1994228, énoncent

228 Par exemple l’article 10 (1) du modèle de TBI canadien est rédigé comme suit :
« À condition qu’elles ne soient pas appliquées de manière à constituer une dis­
crimination arbitraire ou injustifiable entre investissements ou investisseurs ou
une restriction déguisée au commerce ou à l’investissement international, le

77
en général qu’aucune disposition dans le traité concerné n’interdit
à une Partie contractante de prendre des mesures aux fins de pro­
tection de certains intérêts publics tels que la protection de la santé
publique, de l’environnement, de la sécurité nationale, la garantie et
l’amélioration des droits sociaux des travailleurs, etc. Il s’agit d’une
clause générale qui s’applique à l’ensemble des clauses du traité
d’investissement. De ce fait, elle est a priori applicable à la clause
d’expropriation, sauf indication contraire229.
Une clause générale de ce type est apparue pour la première
fois, dans les accords de libre-échange régionaux signés au début
des années 1990230. C’est le cas de l’article 1114.1 du chapitre 11 de
l’ALENA du 17 décembre 1992, intitulé « mesures environnemen­
tales » : « Aucune disposition du présent chapitre ne pourra être
interprétée comme empêchant une Partie d’adopter, de maintenir
ou d’appliquer une mesure, par ailleurs conforme au présent cha­
pitre, qu’elle considère nécessaire pour que les activités d’investisse­
ment sur son territoire soient menées d’une manière conforme à la
protection de l’environnement ». À l’article 1114.2 du même accord,
on peut lire également que les Parties « reconnaissent qu’il n’est pas
approprié d’encourager l’investissement en adoucissant les mesures
nationales qui se rapportent à la santé, à la sécurité ou à l’environne­
ment. En conséquence, une Partie ne devrait pas renoncer ni déro­
ger, ou offrir de renoncer ou de déroger, à de telles mesures dans le
dessein d’encourager l’établissement, l’acquisition, l’expansion ou
le maintien sur son territoire d’un investissement effectué par un
investisseur ». Dans l’US-CAFTA-DR, il est reconnu en outre le droit
de chaque pays à fixer son niveau de protection de l’environnement
à l’article 17.1. Intitulé, « Level of Protection », il se lit comme suit :
« Recognizing the right of each Party to establish its own levels of domes-

présent accord n’a pas pour effet d’empêcher les Parties d’adopter ou d’exécuter
des mesures nécessaires : a) à la protection de la santé et de la vie des personnes
et des animaux et à la préservation des végétaux ; b) à l’exécution de lois et
règlements compatibles avec les dispositions du présent accord ; c) à la conserva­
tion des ressources naturelles épuisables, biologiques ou non biologiques ». Voir
aussi, article 15 du TBI Japon-Corée du Nord (2002), article 22 (1) du COMESA
CCIA (2007), et article 95 du TBI Japon-Suisse (2009).
229 C’est le cas du traité de la Charte européenne de l’énergie qui contient une
clause en faveur « de la protection de la vie ou de la santé des hommes, des
animaux ou des plantes » (article 24.2). Mais le paragraphe 1 de l’article
prend le soin d’exclure de son champ d’application, certains articles dont
l’expropriation.
230 Des clauses similaires se trouvent dans les traités régionaux comme le traité sur
la Charte Européenne de l’Énergie du 17 décembre 1994 (articles 18 et 19), le
Protocole sur l’Energie de la Communauté Économique des États de l’Afrique
de l’Ouest du 31 janvier 2003 (articles 19 et 24), l’Accord Européen de Libre-
Echange dans sa version consolidée de 2001 (article 27.2), et l’Accord de libre-
échange entre l’Amérique Centrale, la République dominicaine et les États-
Unis d’Amérique (US-CAFTA-DR) du 5 août 2004 (articles 16.2.2. et 17.2.2).

78
tic environmental protection and environmental development policies and
priorities, and to adopt or modify accordingly its environmental laws and
policies, each Party shall ensure that its laws and policies provide for and
encourage high levels of environmental protection, and shall strive to conti-
nue to improve those laws and policies ».
Quelques TBI récents contiennent aussi une clause réaffirmant le
droit de règlementer de l’État231. C’est le cas de l’article 12 du TBI
entre l’Ile Maurice et les Comores de 2001 : « Aucune disposition du
présent Accord ne pourra être interprétée comme empêchant une
Partie Contractante de prendre toute mesure nécessaire à la pro­
tection de ses intérêts essentiels en matière de sécurité, ou pour des
motifs de santé publique ou de prévention des maladies affectant les
animaux et les végétaux ». Il en est de même des récents TBI belges232
qui prévoient deux articles sur l’environnement et le droit du tra­
vail réaffirmant, entre autres, les engagements internationaux des
États signataires en matière de protection de l’environnement ou
des droits fondamentaux des travailleurs. Ainsi, aux termes de l’ar­
ticle 5.3 de ces TBI, « les Parties contractantes réaffirment les enga­
gements auxquels elles ont souscrit dans le cadre d’accords interna­
tionaux en matière d’environnement. Elles veilleront à ce que lesdits
engagements soient pleinement reconnus et appliqués dans leur
législation nationale »233.
Notons que les modèles de traités de protection des investisse­
ments de certains pays européens et américains contiennent des
clauses relatives à la protection de l’environnement, de la santé ou
des droits des travailleurs. C’est le cas des modèles adoptés par les
États-Unis (2012, article 12 et 13), le Canada (2004, article 11), la
Belgique (2002, article 5 et 6), la Finlande (2004, article 14), l’Au­
triche (2008, article 4(5)).

B. L’exclusion de certains types de règlementations étatiques

Les clauses créant directement et spécifiquement des exceptions à


l’expropriation indirecte sont rares dans les traités de protection des
investissements, contrairement aux clauses comme le libre transfert

231 Voir TBI Tchad-Liban, 2005, article 8 ; TBI Madagascar-Afrique du Sud, 2003,
article 3 ; TBI Suisse-Mexique, 1995, Protocol ad article 3 ; TBI Égypte-Canada,
1996, article 17 ; TBI île Maurice-Burundi, 2001, article 12 ; TBI île Maurice-
Cameroun, 2001, article 11 ; TBI île Maurice-Guinée, 2001, article 12 ; TBI île
Maurice-Bénin, 2001, article 11.
232 Il s’agit par exemple de l’Éthiopie en 2006, de l’île Maurice, du Pérou, de
Madagascar, du Nicaragua, de la République Démocratique du Congo en 2005,
du Guatemala en 2006, et de la Lybie en 2004. Toutefois, tous les TBI signés
n’ont pas encore été ratifiés par la Belgique.
233 Les TBI belges insèrent en outre deux dispositions définissant les termes
« 
législation environnementale  » (1.5) et «  législation du travail » (1.6) en
référence aux standards internationaux.

79
de capitaux, le traitement juste et équitable234, ou la pleine protec­
tion et sécurité235. Cela se comprend aisément. Les nationalisations
constituaient, au lendemain des indépendances de nombreux pays
du sud, la principale menace pour les investisseurs des pays occiden­
taux. Les pays exportateurs de capitaux n’étaient donc pas disposés
à transiger sur ce point, car ils étaient (à travers leurs ressortissants
investisseurs), quasiment toujours en position de demandeurs en cas
de litige pour une nationalisation.
Néanmoins, quelques textes récemment conclus excluent explici­
tement certains types de règlementations étatiques de la définition
de l’expropriation indirecte. Cela signifie que ces règlementations,
quels que soient leurs effets dommageables sur l’investissement, ne
pourront pas être qualifiées d’expropriations indirectes. Elles ne
seront donc pas indemnisables. Les premiers exemples de clauses
d’exclusions sont apparus dans les modèles de traité des États-Unis
(2012) et du Canada (2004). Ainsi, l’alinéa c de l’Annexe canadien
se lit comme suit : « Sauf dans de rares cas, par exemple lorsque la
mesure est si rigoureuse au regard de son objet qu’on ne pourra rai­
sonnablement penser qu’elle a été adoptée et appliquée de bonne
foi, ne constituent pas une expropriation indirecte les mesures non
discriminatoires d’une Partie qui sont conçues et appliquées dans
un but légitime de protection du bien public, par exemple à des fins
de santé, de sécurité et d’environnement »236. Cette clause indique
que, face à une mesure de règlementation générale visant un inté­
rêt public, l’arbitre ne devra pas conclure à une expropriation indi­
recte sauf si la mesure en question est discriminatoire. Elle impose
un renversement de la présomption en défaveur de l’expropriation
indirecte. Il ne s’agit que d’une présomption, car en de « rares cas »,
de telles mesures peuvent quand même être qualifiées d’expropria­
tions.
Un exemple d’exclusion plus récent se trouve à l’article 20(8) de
l’Accord d’investissement pour l’espace communautaire d’investisse­
ment du Common Market for East and South Africa (COMESA CCIA) de
2007 : « Conformément au droit des États de réglementer et les prin­
cipes du droit international coutumier sur les pouvoirs de police, les
mesures réglementaires prises de bonne foi par un État membre qui
sont conçues et appliquées pour protéger ou améliorer les objectifs
légitimes de bien-être public, tels que la santé publique, la sécurité
et l’environnement, ne constituent pas une expropriation indirecte

234 Voir par exemple, article 3.2 du TBI Chine-Madagascar de 2005.


235 Voir TBI Belgique-Madagascar, 2005, article 3.2 ; TBI République Démocratique
du Congo-Égypte, 1998, article 2.2 ; TBI île Maurice-Bénin, 2001, article 2.3.
236 Annexe B.13 (1) c du modèle canadien de 2004. L’Annexe B.4.c du modèle
américain de 2012 est rédigée en des termes similaires, mais ne fournit pas
d’exemple. Voir également l’article 5(4) du modèle de traité d’investissement
autrichien.

80
en vertu du présent article ». Il en est de même dans l’annexe 2,
paragraphe 4 de l’Accord global d’investissement de Association
of Southeast Asian Nations (ASEAN) de 2009 qui prévoie que : « Les
mesures non discriminatoires d’un État membre qui sont conçues et
appliquées pour protéger des objectifs légitimes de bien-être public,
tels que la santé publique, la sécurité et l’environnement, ne consti­
tuent pas une expropriation du type visé à l’alinéa 2b) [expropria­
tion indirecte] ».
Contrairement aux modèles canadiens et américains, ces deux
dispositions énoncent catégoriquement que les mesures étatiques
visant un objectif légitime, prises de bonne foi et sans discrimina­
tion ne peuvent constituer des expropriations indirectes. En d’autres
termes, face à une règlementation visant un intérêt public légitime,
l’arbitre ne devra pas conclure à une expropriation indirecte sauf si
la mesure en question est discriminatoire et a été édictée ou appli­
quée de mauvaise foi. Les objectifs légitimes sont principalement la
santé, la sécurité et l’environnement. L’article du COMESA CCIA
renvoie explicitement au droit international coutumier sur les pou­
voirs de police pour l’interprétation de cette clause.

C. L’intégration d’annexes explicatives

Les annexes explicatives sont insérées pour éclairer le contenu des


articles. Elles indiquent des facteurs que doivent prendre en compte
les arbitres chargés de décider si une expropriation indirecte est sur­
venue ou non à la suite d’une mesure étatique. L’insertion d’annexes
explicatives à la clause d’expropriation indirecte dans certains trai­
tés de protection des investissements date des années 2000. Une liste
est apparue pour la première fois dès 2004 dans les modèles de TBI
américains et canadiens. Ainsi l’annexe B.4.a du modèle américain
de 2012 et l’annexe B.13 (1) du modèle canadien de 2004 sont quasi­
ment identiques. Le modèle canadien se lit comme suit :

« Pour établir si une mesure ou [une série] de mesures d’une Partie


constitue une expropriation indirecte, il faudra un examen au cas par cas
et une enquête sur les faits où les facteurs suivants, entre autres, seront
pris en considération :
(i) les effets économiques de la mesure ou de [la série] de mesures, encore
que le fait que la mesure ou la [la série] de mesures de la Partie ait un effet
défavorable sur la valeur économique d’un investissement ne suffise pas à
lui seul à établir qu’il y a eu expropriation indirecte ;
ii) la mesure dans laquelle la mesure ou [la série] de mesures porte
atteinte aux anticipations définies et raisonnables fondées sur l’investis­
sement ;
iii) le caractère de la mesure ou de [la série] de mesures ».

81
Trois facteurs doivent donc être utilisés cumulativement. Mais ils
ne sont pas exhaustifs, comme le prouve l’utilisation de la locution
« entre autres » dans le texte. En premier lieu, l’investisseur doit
avoir subi une atteinte dommageable à son investissement. Il s’agit
de l’impact économique de la mesure. En second lieu, les anticipa­
tions raisonnables basées sur l’investissement constituent un élé­
ment d’appréciation de l’existence d’une expropriation indirecte.
En troisième lieu enfin, le caractère de la mesure doit aussi être pris
en compte.
L’annexe 2 de l’Accord global sur l’Investissement de l’ASEAN de
2009 (ASEAN CIA), établit également une liste de facteurs que les
tribunaux doivent prendre en compte :

« (a) les effets économiques de l’action gouvernementale, encore que le


fait que l’action ou la série d’actions d’un État Partie ait un effet défavo­
rable sur la valeur économique d’un investissement ne suffise pas à lui
seul à établir qu’il y a eu expropriation ;
(b) si l’action gouvernementale porte atteinte aux engagements écrits
contraignants préalables du gouvernement envers l’investisseur soit par
contrat, licence ou tout autre document légal ; et
(c) le caractère de l’action gouvernementale, y compris son but et si l’ac­
tion est disproportionnée par rapport au but d’intérêt public (…) »237.

Cet article présente des différences avec les modèles canadien et


américain, car il précise ce qu’il faut entendre par le caractère de la
mesure étatique.

§ 3 – La faible portée des clarifications conventionnelles

Sans remettre en cause les droits protégés des investisseurs, les cla­
rifications conventionnelles rappellent ceux des pays hôtes. Mais en
voulant insérer des dispositions qui pourront à la fois leur être profi­
tables lorsque leurs investisseurs seront victimes de mesures d’expro­
priation indirecte, et les exonérer lorsqu’ils seront au contraire les
auteurs de tels actes, la terminologie utilisée se révèle souvent redon­
dante (A) ou peu efficiente (B), quand elle n’est pas opaque (C).

A. Une affirmation redondante du droit de règlementer

Les clauses récentes qui réaffirment le droit de règlementer de


l’État d’accueil des investissements étrangers sont d’une portée très
limitée. Bien que la majorité soit intitulée « exceptions générales »,
elles ne contiennent qu’une reconnaissance du droit souverain de
règlementer de l’État dans l’intérêt public. Ce droit est déjà reconnu

237 Traduction de l’auteure.

82
en droit international coutumier. S’il est toujours positif de réaf­
firmer une règle coutumière dans un traité, encore faut-il qu’elle
puisse avoir un impact sur d’autres clauses insérées dans le traité.
En effet, ces clauses générales sont silencieuses quant à leur rapport
avec la clause d’expropriation qui n’interdit pas de prendre une
mesure d’expropriation indirecte (droit de règlementer), mais exige
une indemnisation en cas de préjudice. Or, les clauses réaffirmant le
droit de règlementer ne disent pas si l’État n’est plus tenu d’indem­
niser au cas où l’exercice de ce droit créerait un préjudice grave à
l’investisseur au point de constituer une expropriation indirecte.
Cela est renforcé par l’emploi de l’expression « par ailleurs conforme
au présent Accord » dans certains textes comme l’ALENA. En effet,
comme l’ont déjà dénoncé certains auteurs238, l’article 1114(1) a une
formulation tautologique qui conduit à vider la disposition de son
sens. En précisant que les Parties peuvent adopter une mesure néces­
saire à la protection de l’environnement, mais par ailleurs conforme
au traité, cet article ne met en place aucune exception. La conformité
au traité pourrait se traduire par une obligation d’indemnisation
lorsque la règlementation correspond à une expropriation indirecte.
Faut-il rappeler que toute expropriation doit justement viser un
intérêt public, et ne pas être discriminatoire ? Tout comme elle doit
aussi s’accompagner d’une indemnisation ? Cette exception géné­
rale ne fait que rappeler ce qui est déjà sous-entendu dans la clause
d’expropriation : le droit d’exproprier (rien n’empêche de prendre une
mesure), mais à la condition d’indemniser l’investisseur lésé, de ne
pas être discriminatoire et de poursuivre un intérêt public (par ail-
leurs conforme à cet accord). Dans la logique propre à l’expropriation,
qui distingue entre critères de licéité et critères de qualification,
cette réaffirmation du droit de règlementer se révèle donc caduque.
Comme l’a souligné un auteur, l’article 1114 de l’ALENA est bien en
deçà de l’article XX du GATT, dans la mesure où « it makes it unclear
whether article 1114 provides an exception to the compensation provisions
of article 1110 or wether it merely clarifies the situations in which a measure
may be maintened on payment of adequate compensation »239. La seconde
hypothèse est clairement celle qui a été visée.
Par ailleurs, les dispositions du type du second alinéa de l’ar­
ticle 1114(2) de l’ALENA n’ajoutent rien d’opérationnel puisqu’elles

238 Valérie DERMEDJAN, «  Le droit de l’ALENA et la protection de


l’environnement », in S. MALJEAN-DUBOIS (dir.), L’Outil économique en droit
international et européen de l’environnement, CERIC, 2002, p. 176. Voir aussi A.
LEMAIRE, op. cit., note 205, pp. 79-80 ; et T. WEILER, « A first look at the
Interim Merits Award in SD Myers, Inc. v. Canada : It is Possible to Balance
Legitimate Environmental Concerns with Investment Protection ? », Hasting
International & Comparative Law Review, vol. 24, 2001, p. 182.
239 S. BAUGHEN, « Investors rights and Environmental obligation : Reconciling
the Irreconcilable ? », Journal of Environmental Law, 2001, p. 211.

83
désapprouvent seulement l’abaissement des normes de protection
des droits sociaux ou de l’environnement pour attirer les investis­
seurs étrangers. De surcroit, en cas de désaccord sur ce point, les
Parties contractantes peuvent uniquement ouvrir des consultations
et aucune sanction n’est prévue. Dans la mesure où les TBI sont
conclus pour protéger des intérêts économiques, il ne faut donc pas
s’étonner que : « the treaty consistency’s natural desire [is] to be the chief
regulator of a subject matter, and to relegate competing constituencies (…) to
a secondary level of significance »240.
En définitive, la réaffirmation du droit de règlementer confère
dans le meilleur des cas une plus grande légitimité à certaines
mesures étatiques visant la protection des droits humains ou de l’en­
vironnement. Ces articles visent à assurer que la protection des inves­
tissements ne conduise pas à une « course vers le bas » en matière de
protection des valeurs non marchandes, sans cependant s’en don­
ner les moyens. Cela est regrettable, car il s’agit des clauses les plus
fréquemment utilisées dans les récents TBI qui se démarquent des
modèles classiques.

B. Des exclusions peu efficientes

Les clauses d’exclusions posent que c’est en raison de l’intérêt


public qu’elles visent, et de leur caractère non discriminatoire que
certaines mesures étatiques ne seront pas indemnisables au titre
de l’expropriation indirecte. Doit-on en conclure que les traités de
protection des investissements comportant de telles dispositions ont
remis en cause le principe de distinction entre les critères de licéité
et les critères de qualification mentionnés plus haut ? En d’autres
termes, les critères de licéité peuvent-ils intervenir dans le processus
de qualification de l’expropriation indirecte ?
En ce qui concerne les clauses similaires aux modèles de traités
canadiens et américains, il n’est pas possible de donner une réponse
positive à cette question. En lisant attentivement ces articles, on
constate que dans de « rares cas », les mesures exclues peuvent néan­
moins être qualifiées d’expropriations. D’ailleurs, un exemple de
situation exceptionnelle est donné dans le modèle canadien, à savoir
l’effet « trop rigoureux » de la mesure. Ces articles ne créent donc
qu’une présomption simple en faveur des règlementations légitimes
qui peut être écartée par les règles de l’expropriation indirecte. Ce
type de clause ne crée donc pas de véritable régime d’exception
d’ordre public.
Pour ce qui est des clauses du type de l’article 20(8) du COMESA
CCIA (article 20.8), l’exclusion semble plus efficace, même s’il faut
attendre de voir l’usage qu’en fera un tribunal arbitral pour être fixé.

240 T. WÄLDE, « Mutlilateral investment agreements… », op. cit., note 140, p. 426.

84
En évitant l’emploi de l’expression « sauf en de rares cas », ces clauses
créent une barrière hermétique et définitive entre l’expropriation
indirecte et certaines règlementations étatiques. Elles ne mettent pas
en place de rapport de « vases communicants » entre ces réglemen­
tations exclues et l’expropriation indirecte. Autrement dit, une fois
qualifiées comme telles, ces règlementations spécifiques ne peuvent
plus être qualifiées d’expropriations indirectes. Enfin, la référence
au droit international coutumier (dans le texte du COMESA) fixe
un cadre pour l’interprétation de la clause. Mais le repérage de cette
catégorie particulière de règlementations publiques peut se révéler
délicat.

C. Des précisions qui n’en sont pas

L’élaboration de facteurs d’appréciation destinés aux arbitres est


un élément positif pour une définition plus précise de l’expropria­
tion indirecte. Mais les critères de qualification de l’expropriation
indirecte prévus dans les récents traités sont encore insatisfaisants
pour deux raisons principales.
En premier lieu, il n’y a pas de définition des critères donnés.
Or, certains critères renferment des termes potentiellement ambi­
gus, au point qu’on a pu dire que chacun d’eux renferme sa propre
« énigme »241. Par exemple, le critère des anticipations définies et rai­
sonnables de l’investisseur, désignées également par « attentes légi­
times », est particulièrement problématique. En effet, les « attentes
légitimes » renvoient à une notion au contenu controversé qui peut
conduire à étendre la protection de la clause d’expropriation aux
simples intérêts économiques et non aux droits. Cependant l’Accord
d’investissement de l’ASEAN, échappe à cette critique, car elle uti­
lise les termes « engagements contraignants ». Cela signifie donc que
la frustration des attentes de l’investisseur qui ne résultent pas de
véritables engagements juridiques de l’État d’accueil n’est pas prise
en compte.
Par ailleurs, dans les modèles canadien et américain, le « carac­
tère » de la mesure n’est pas défini. Il s’agit pourtant d’un facteur
important et innovant dans l’examen de l’expropriation indirecte.
Ici aussi, le texte de l’ASEAN a l’avantage de préciser que le carac­
tère de la mesure est relatif à son objectif et à sa proportionnalité
avec l’intérêt public poursuivi.
En second lieu, il n’est pas donné aux arbitres un mode d’emploi
des trois critères non exhaustifs énumérés. Existe-t-il une hiérarchie
entre eux, comment faut-il les combiner les uns par rapport aux
autres ? Il s’agit de questions très importantes du fait que ces critères
mettent en confrontation directe des intérêts souvent diamétrale­

241 Telle est la conclusion à laquelle est parvenu A. NEWCOMBE, « 


The
Boundaries… », op. cit., note 38, p. 432 et s.

85
ment opposés. Par exemple, faut-il rechercher un équilibre entre
le préjudice économique, y compris celui portant sur de simples
attentes légitimes et le caractère de la mesure ? Dans ce cas, com­
ment concilier cet examen de proportionnalité avec l’affirmation
que l’État a le droit de prendre les règlementations de son choix,
et notamment de fixer librement le niveau de protection qu’il juge
adéquat pour l’environnement ou la santé ?
En somme, sans aller jusqu’à dire qu’elle « do not add anything new
to international expropriation law », il faut reconnaitre qu’elle « do not
« solve » hard cases »242. Ces indications soulèvent encore de nom­
breuses questions.
On notera enfin que les clarifications sont limitées à un nombre
restreint de TBI. Les traités conclus après 2000 ne se démarquent
pas, pour la grande majorité, de ceux qui furent conclus lors de la
décennie précédente. Ici encore, seul l’espace nord-américain innove
véritablement à travers ses modèles de traités bilatéraux d’investisse­
ment et les ALE qui sont très largement inspirés des dispositions de
l’ALENA. Mais les accords signés après l’adoption de ces modèles
ne sont pas encore nombreux243. Il est trop tôt aujourd’hui pour
généraliser ces clauses. Néanmoins, ces exceptions et précisions ont
un mérite : celui de montrer clairement que, s’agissant de certaines
règlementations publiques, une nouvelle réflexion s’impose désor­
mais.
Au terme de cette section, il convient de retenir que la proliféra­
tion des TBI a généré des clauses sur l’expropriation indirecte à la
fois variées et similaires. Ces clauses s’articulent autour d’un noyau
dur de principes communs : l’expropriation indirecte peut survenir
à travers des moyens multiples, et ses critères de licéité ne sont pas
ses critères de qualification. Il n’en demeure pas moins que l’expro­
priation indirecte n’a pas été définie. Cette lacune a ouvert la voie
au développement d’un vocabulaire hétérogène et équivoque, qu’il
faut clarifier.

Section 3 – Terminologie et typologie


de l’expropriation indirecte : sortir de l’ambiguïté

Toute personne s’intéressant à l’étude de l’expropriation indirecte


se heurte rapidement à une terminologie multiple qui ne facilite
pas toujours la compréhension du sujet. En effet, quoique plusieurs
termes soient utilisés indifféremment, les mots ne renvoient pas

242 Ibidem, p. 433.


243 On peut citer les TBI conclus par les États-Unis avec le Maroc (2004), l’Australie
(2004), l’Uruguay (2005), le Pérou (2006), ou Oman (2006) ; et par le Canada
avec le Pérou (2008) ou la Colombie (2008).

86
forcément à la même perception244. De ce fait, la terminologie de
l’expropriation indirecte « comporte un risque élevé d’imprécision, sinon
de confusion »245. Dans un premier temps, il est donc nécessaire de
saisir les nuances des principaux vocables utilisés, tout en mettant en
lumière les problèmes que cette diversité suscite pour la définition
de l’expropriation indirecte (§ 1). Une fois démêlé l’enchevêtrement
des « synonymes », il sera possible dans un second temps de proposer
une terminologie plus appropriée et une classification plus efficace.
(§ 2).

§ 1 – La terminologie ambiguë de l’expropriation indirecte

La diversité des termes utilisés dans le vaste réseau des TBI entraîne
logiquement une diversité d’interprétations, elle-même relayée par
la doctrine et la jurisprudence246. Que déduire en effet lorsqu’il est
affirmé que généralement, « the terms « expropriate » and « expropria-
tion » are used in their broadest sense […] including thoses referred to as
nationalizations, appropriations, sociabilizations, and confiscations »247 ?
En une phrase, quatre termes aux significations distinctes sont
assimilés. De même, dans la sentence Benvenuti & Bonfant c. Congo,
cinq termes différents sont utilisés en quelques paragraphes pour
désigner la même idée : saisie, dépossession, appropriation, confis­
cation, nationalisation et expropriation248. Trois groupes de termes
se dégagent du vocabulaire propre au droit de l’expropriation indi­
recte. Certains termes ne présentent pas en eux-mêmes une source
d’ambiguïté, sauf lorsqu’ils sont utilisés en dehors de leurs contextes
(A). Un deuxième groupe rassemble des termes qui charrient des
préjugés incompatibles avec une étude objective de l’expropriation
indirecte (B). Enfin, dans de rares cas, des exemples de mesures
expropriantes indirectes sont confondus avec la notion juridique qui
les gouverne (C).

A. Les termes partiels

Les mesures d’expropriation sont une réalité bien connue des


droits nationaux. C’est dans l’ordre juridique interne que la question

244 Un auteur relevait d’ailleurs que « these terms thus may carry differrent connotations
for differents experts who utilize them to designate different situations and to draw differ-
ent legal consequences from them ». Voir I. SEIDL-HOHENVLEDERN, « Semantics
of… », op. cit., note 183, p. 218.
245 J.-P. LAVIEC, op. cit., note 52, p. 165.
246 Comme le regrettait B. H. WESTON, « there is a problem that we lawyers, being also
ordinary people, use (…) symbols in both ways, frequently in the same breath and commonly
without indicated as to which connotation we have in mind ». B. H. WESTON, op. cit.,
note 36, p. 111.
247 A. WESTBERG, B. P. MARCHAIS, op. cit., note 37, p. 455.
248 Bienvenuti & Bonfant c. Congo, op. cit., note 81, § 4.56 à 4.65.

87
de l’expropriation (directe notamment) a été étudiée et règlemen­
tée en premier. Par conséquent, des termes propres à certains droits
nationaux furent transposés dans l’ordre juridique international et
insérés dans les premiers TBI. Deux termes qui reviennent fréquem­
ment seront examinés. Un terme d’usage francophone : dépossession
et un autre d’usage anglophone : Taking.

La Dépossession (« Deprivation »)
Le terme de « Dépossession » se rencontre dans plusieurs TBI
signés par la France249, mais aussi par d’autres États utilisant le fran­
çais comme langue faisant foi dans leurs traités250. Ils se rencontrent
plus rarement dans les textes rédigés en anglais251. À la lecture du
TBI Afrique du Sud-France de 1995 (art. 5.2), il ressort que ce terme
désigne l’expropriation lato sensu, c’est-à-dire les « mesures dont l’ef­
fet est de déposséder directement ou indirectement ».
La dépossession est définie en droit comme « la perte de la pos­
session […], soit par violence, soit par l’effet d’un titre juridique »
ou « la privation effective de la détention matérielle d’un bien »252.
Sur la base de cette définition, il est possible de vérifier si ce terme
peut véritablement désigner une expropriation indirecte. La dépos­
session met l’accent sur l’investisseur et la gravité du préjudice qu’il
a subi. Être dépossédé suppose être complètement dépouillé d’un
droit ou d’un bien. Il occulte le bénéfice retiré ou non par l’auteur
de la dépossession. Ce terme semble donc être plus apte à dési­
gner l’expropriation indirecte que l’expropriation directe, puisque
dans ce dernier cas l’appropriation du bien par l’État est toujours
présente. En supposant que seul le préjudice subi par l’investis­
seur importe pour la qualification d’une mesure en expropriation
indirecte, les obstacles s’évanouissent entre le rapprochement des
deux termes. Mais une telle conclusion serait bien hâtive. Si le pré­
judice est au cœur de la définition de l’expropriation indirecte, il
ne résume pas pour autant le contenu de cette catégorie. Ramener
l’expropriation indirecte à une simple dépossession laisserait pen­
ser que tout autre paramètre est superflu. Ce qui n’est pas le cas,

249 TBI France-RDC, 1972, article 3, « mesures d’expropriation, de nationalisation,


de dépossession directe ou indirecte » ; TBI Namibie-France, 1998, article  5.2, TBI
Zimbabwe-France, 2001, article 5.2, ou TBI France-Ouganda, 2002, article 5.2 :
« mesures dont l’effet est de déposséder directement ou indirectement ».
250 V aussi : TBI Belgique-RDC, 2005 ; art. 7.1 : « autre mesure dont l’effet est de
déposséder directement ou indirectement » ; TBI Madagascar-Suède, 1966 ; art.
8 ou TBI Hong Kong (Chine)-Royaume-Uni, 1998, article 5 : « ne pourrons pas
être privés de leurs biens (…) que ».
251 Voir par exemple, le TBI Tchèque-Pays-Bas, 1991, art. 5.1 (measures
depriving, directly or indirectly) ; et le TBI Allemagne-Russie, 1989, article 4.1
(Dispossession).
252 J. SALMON (dir.) Dictionnaire de Droit international Public, Bruylant, Bruxelles,
2001, p. 324.

88
quelle que soit l’importance accordée au préjudice subi. En effet,
toute dépossession ne conduit pas à une expropriation indirecte,
alors que toute expropriation indirecte suppose une dépossession.
Peut-on seulement envisager qu’un investisseur, reconnu coupable
d’un trafic d’objets illicite et dont les biens sont confisqués, puisse
être indemnisé pour expropriation indirecte ? Certainement non.
Pourtant, il a bien été dépossédé, de surcroît dans l’intérêt général,
et de manière non discriminatoire. De même, un investisseur dont
l’usine est détruite par une catastrophe naturelle ou encore vanda­
lisée par des individus non identifiés et dont les actes ne pourront
pas être imputés à l’État devra-t-il être considéré comme exproprié ?
La réponse est encore négative, alors que ce dernier est également
dépossédé. Ces deux exemples montrent que la dépossession est un
l’élément central de plusieurs notions juridiques parmi lesquelles
l’expropriation n’est qu’un exemple. C’est ainsi, B. H. Weston utilise
l’expression wealth deprivation,253 comme un terme générique cou­
vrant toutes les interférences de l’État avec la propriété privée : « it is
meant to describe the public (…) imposition of a wealth loss (…) at whatever
time, by whatever means, with whatever intensity, and for whatever claimed
purpose »254. L’auteur utilise ce terme uniquement pour décrire un
fait, en dehors de ses probables conséquences légales. Pour lui, la pri­
vation de richesses sera indemnisable dans la mesure où elle résulte
du « eminent power » de l’État d’exproprier, et ne le sera pas si elle
résulte au contraire de ses pouvoirs de police. Ici encore, la privation
de richesses ne peut être synonyme d’expropriation indirecte, car la
première n’emporte pas une conséquence légale préétablie. Il faut
donc se résoudre à ne pas utiliser la dépossession comme synonyme
de l’expropriation indirecte dans le droit international des investis­
sements. Malgré ce décalage entre les deux termes, certains auteurs,
comme D. Carreau et P. Juillard, semblent se résigner à utiliser le
terme de « dépossession » comme synonyme de l’expropriation indi­
recte, bien qu’il « implique que l’investisseur n’est jamais privé que
du seul droit de possession »255. La dépossession est un terme partiel
qui ne met l’accent que sur le préjudice de l’investisseur sans pouvoir
renvoyer à un régime juridique spécifique. Bien que nécessaire, il
n’est pas suffisant. À l’opposé de ce terme, un autre se focalise sur
l’auteur de la mesure, à savoir l’État.

253 Il faudra rapprocher du terme de dépossession, ceux de « privation de richesses »


et de « wealth deprivation » qui sont également utilisés par quelques auteurs. Voir
par exemple, I. SEIDL-HOHENVELDERN, « Semantics of… » op. cit., note 183,
pp. 218-238.
254 B. H. WESTON, op. cit., note 36, pp. 112-113.
255 D. CARREAU, T. FLORY, P. JUILLARD, Droit international économique, 3 éd.,
Paris, Dalloz, 2007, p. 522.

89
Le Taking (« Appropriation »)
Le terme « Taking » se veut également hyperonyme, mais il se
révèle partiel. En effet, il se réfère uniquement à l’action de l’État.
Cette expression est très utilisée dans la littérature anglophone et
n’a pas de véritable équivalent en français. L’appropriation semble
le terme le plus proche. Mais alors que l’appropriation n’est presque
jamais utilisée pour définir l’expropriation indirecte, le Taking est
généralement considéré comme le synonyme de ce dernier.
Le terme Taking, tel qu’il est utilisé en droit international des inves­
tissements, est compris comme intégrant la perte subie par le déten­
teur du bien. Il est donc généralement utilisé soit pour désigner l’ex­
propriation directe256, soit pour désigner l’expropriation indirecte257.
La définition du Taking dans le troisième amendement du Foreign
Relations Law of the United States est éclairante à cet égard : « a conduct
attributable to a State that is intended to, and does, effectively deprive an
alien of substantially all benefit of his interest in property even though the
State does not deprive him of his entire legal interest in the property ». C’est
ce qui ressort également de la lecture de plusieurs articles traitant
des expropriations directes et des nationalisations jusque dans les
années 1990258. G. Sacerdoti remarque par exemple que le terme
de Taking est souvent employé « to cover all types of expropriations and
nationalizations »259. L’usage de ce terme dans le sens d’expropriation
lato sensu a été critiqué par B. Weston à juste titre. En effet, le terme
Taking semble suggérer que la propriété est passée de l’investisseur
à l’État, ce qui n’est pas forcément le cas de toutes les expropria­
tions260. C’est pourquoi ce terme a parfois été délaissé comme syno­
nyme de l’expropriation indirecte, comme ce fut le cas dans l’affaire
Tippetts en ces termes : « the tribunal prefers the terms “deprivation” to the

256 Le Taking apparait en effet presque systématique toutes les fois où les tribunaux
effectuent la distinction entre expropriation directe (Taking) et expropriation
indirecte. Voir par exemple, Metalclad c. Mexique, op. cit, note 56, §  103 ; Biwater
c. Tanzanie (ARB/05/22), sentence CIRDI du 24 juillet 2008, §  452 ; LG&E
c. Argentine, op. cit., note 114, § 188.
257 On retrouve également le terme Taking comme synonyme de l’expropriation
indirecte. Tel est le cas dans certains écrits qui examinent exclusivement des
expropriations indirectes. Voir G. CHRISTIE, « What constitutes a Taking of
Property under International Law ? », op. cit., note 37 ; ou H. SEDDIGH, « What
level of Host State Interference Amounts to a Taking under International
Law ? », Journal of World Investment and Trade, 2001, vol. 2, n° 4, p. 631 et s.
258 Ainsi, A. PELLONPAA et F. FRITZMAURICE, op. cit., note 8, examinent aussi
bien les expropriations directes que les expropriations indirectes. Voir aussi
le Cours général à l’Académie de La Haye de R. HIGGINS, « The Taking of
Property by State », RCADI, t. 176, 1982 III, pp. 267-375. De même dans les
manuels portant sur le droit international des investissements, plusieurs auteurs
ont un chapitre intitulé « Taking » dans lequel sont examinées toutes les formes
d’expropriations. Voir M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 363 et s.
259 G. SACERDOTI, op. cit., note 55, p. 284.
260 B. H. WESTON, op. cit., note 36, p. 12.

90
term “taking”, although they are largely synonymous, because the latter may
be understood to imply that the government has acquired something of value,
which is not required (…) »261. 
Il faut noter brièvement pour l’instant l’existence des expressions
telles que « Regulatory Taking »262 ou « Regulatory Expropriation »263. Ces
termes désignent un type particulier de Taking qui se réalise par des
mesures de règlementations générales correspondant aux mesures
horizontales. Le sens et la portée des Regulatory Taking ne peuvent
être définis en dehors de la question des mesures de police, qui sera
examinée plus loin. Par ailleurs, cette expression n’a pas de parfait
équivalent en français, même si on peut la traduire avec prudence
par « expropriation règlementaire ». On rencontre parfois aussi le
terme d’Expropriatory Taking 264. Si le terme Taking désigne l’expro­
priation dans son sens large, cela signifie qu’il implique toujours une
indemnisation. Pourquoi alors parler de Expropriatory Taking ? Il se
peut qu’en utilisant cette expression, le tribunal dans l’affaire Gene-
ration Ukraine c. Ukraine entendît par Taking, une simple appropria­
tion. Si tel est le cas, l’adjonction du qualificatif « compensable » ou
« expropriant » prend alors un sens.
En somme, il n’est pas évident de distinguer ce à quoi ce terme ren­
voie. Est-ce l’appropriation par l’État comme le laisse entendre son
sens immédiat ? Est-ce plutôt l’appropriation et de la dépossession à
la fois ? Ou alors la dépossession, mais avec l’idée sous-jacente qu’elle
est imputable à l’État ? À moins qu’il ne s’agisse simplement d’une
commodité de langage comme l’a reconnu le tribunal arbitral dans
l’affaire Middle East Cement c. Égypte : « for convenience and shortness, in
conformity with the discussion of expropriation measures in international juris-
prudence and writings, the Tribunal will use the term “taking” in the context
of this examination »265. En raison de ces multiples interprétations, il est

261 Tippetts, op. cit., note 89, p. 225.


262 Voir T. WÄLDE, A. KOLO, op. cit., note 39 ; W. A. FISCHEL, Regulatory takings :
Law, Economics, and Politics, Cambridge Mass., Harvard University Press, 1995 ;
B. APPLETON, « Regulatory Takings : The International Law Perspective »,
NYU Environmental Law Journal, 2003, Vol. 11, pp. 35-48 ; V. BEEN, « Does an
international “Regulatory taking” doctrine make Sense ? », Environmental Law
Journal, Vol. 11, p. 49 et s.
263 Voir R. GEIGER, « Regulatory Expropriations in International Law,…», op.
cit., note 140 ; H. MOUNFIELD, « Regulatory Expropriations in Europe : The
Approach of the European Court of Human Rights », N.Y.U. Environmental Law
Journal, vol.11, n° 1, 2002, p. 136 et s ; K. A. BYRNE, « Regulatory Expropriation
and State Intent », Canadian YB of International Law, 2000, n° 38, p. 89.
264 Generation Ukraine c. Ukraine (ARB/00/9), sentence CIRDI du 16 septembre
2003, § 20.22 : « Creeping expropriation is a form of indirect expropriation with a
distinctive temporal quality in the sense that it encapsulates the situation whereby a series
of acts attributable to the State over a period of time culminate in the expropriatory taking
of such property ».
265 Middle East Cement c. Égypte, op. cit., note 158, § 105.

91
plus simple de renoncer à l’usage du terme « Taking » pour lui préfé­
rer celui d’expropriation indirecte.
En définitive, Dépossession et Taking ne sont que les deux versants
d’un même phénomène selon qu’il est observé du point de vue de
l’investisseur ou de l’État. Lorsqu’il s’agit du phénomène de l’expro­
priation indirecte, la dépossession renvoie au préjudice économique
subi par l’investisseur et le Taking à l’appropriation de l’investisse­
ment par l’État. C’est uniquement sous cet angle que l’usage de ces
termes peut être accueilli. Mais fondamentalement, l’inconvénient
de ces deux termes est de désigner chacun à la fois un fait et une
conséquence légale. Or les faits mis en lumière par chaque terme
(dépossession et appropriation) n’entraînent pas l’obligation d’in­
demniser du seul fait de leur survenance. Il faut encore qu’ils soient
qualifiés d’expropriations indirectes pour produire des effets de
droit spécifiques. Ces termes ne désignent donc pas adéquatement
l’expropriation indirecte. Il est alors plus indiqué de réserver l’usage
de ces termes « peu juridiscisés » au langage commun comme cela a
été préconisé266. Toutefois, pour les tribunaux et la doctrine majo­
ritaire, les termes expropriation, Taking, et dépossession, « althought
these different concets each focus on a distinct aspect of the measure, they must
be considered as interchangeable »267.
Si ces deux termes sont partiels dans leurs approches de l’expro­
priation indirecte, d’autres pêchent plutôt par leur partialité.

B. Les termes partiaux

Selon les circonstances particulières qui entourent une expropria­


tion indirecte, plusieurs épithètes peuvent lui être attribuées : spo­
liation, expropriation confiscatoire, expropriation rampante, etc. Le
point commun à ces termes est qu’ils n’illustrent justement que des
situations particulières. Le problème surgit lorsqu’ils sont élevés en
concepts autonomes et en synonymes de l’expropriation indirecte.
Or, une bonne partie de ces qualificatifs relève de parti pris. Les
expressions utilisées pour désigner des expropriations non formelles
et non directes peuvent être subdivisées en deux groupes selon le
préjugé qui les sous-tendent : soit l’auteur de la mesure masque ses
réelles intentions derrière des artifices : la mesure se révèle donc
sournoise ou déguisée ; soit l’auteur de la mesure fait du temps
un allié discret et imparable pour réaliser ses sombres desseins : la
mesure est alors graduée, elle rampe.

266 S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage…, op. cit., note 1, p. 455.


267 B. STERN, « In search of the frontiers of Indirect Expropriation », in A. ROVINE
(ed.), Contemporary Issues in International arbitration and Mediation, La Haye,
Kluwer, 2008, p. 30. Voir aussi R. S. Lauder c. République tchèque, op. cit., note 154,
§ 200.

92
Expropriation déguisée ou sournoise
L’expropriation déguisée ou sournoise est celle qui se dissimule
derrière des artifices. Elle ne se manifeste pas clairement, car une
intention malveillante guide les agissements de l’instigateur qui est
ici l’État, ses démembrements ou toutes les entités dont il répond
des actes. L’investisseur est en quelque sorte pris dans un piège.
Ainsi définie, l’expropriation déguisée ou sournoise est forcément
une expropriation indirecte, car elle ne se présente pas formelle­
ment dans une loi ou un décret d’expropriation. Dans les faits, ce
sera toujours une mesure horizontale d’expropriation indirecte,
celle qui, a priori, ne visait pas l’investisseur. En effet, parce que la
mesure verticale identifie son destinataire et le vise comme la raison
de son édiction, son but ne peut être dissimulé. Mais une expropria­
tion indirecte par mesure horizontale est-elle systématiquement ou
même généralement une mesure déguisée et sournoise ?
Certaines études pourraient faire croire que tel est le cas, mais
il n’en est rien. Ainsi, en invoquant les mesures qui, « sans porter
atteinte à la propriété proprement dite des biens, en restreignant
les possibilités d’utilisation telle que leur valeur en est considéra­
blement affectée », un auteur les nomme simplement comme des
« expropriation[s] déguisée[s] ou creeping expropriation »268. Le
contentieux de l’expropriation indirecte ne manque pas d’exemples
de mesures déguisées. Dans le cadre de l’ALENA, la mauvaise foi
du gouvernement canadien a ainsi été soulignée dans l’affaire SD
Myers c. Canada. Le tribunal a conclu que l’édiction du décret gou­
vernemental était plus motivée par le souci de protéger l’industrie
locale canadienne (Entreprise Chem-Security notamment), que par
celui de protéger l’environnement et la santé publique qui avait été
invoqué269. Il est vrai que les déclarations publiques de certaines
autorités canadiennes ne laissaient aucun doute à ce sujet : « it is still
the position of the government that the handling of PCBs should be done in
Canada by Canadians »270. Il en allait de même pour l’État mexicain
dans l’affaire Tecmed c Mexique 271. Dans cette affaire, une usine de
traitement de déchet s’était vu refuser le renouvellement du permis
d’exploitation. La raison avancée était celle d’un risque pour la santé
des populations riveraines et pour l’environnement, en raison du
non-respect de certaines normes environnementales. Cependant, les

268 A. G. VAN HECKE, op. cit., note 136, p. 655.


269 SD Myers, Inc, c. Canada, sentence CNUDCI du 13 novembre 2000, § 162, 168,
169, 172, 176, 178, et 192 notamment.
270 Propos de la ministre de l’Environnement, Ms. MATES. SD Myers c. Canada, op.
cit., note 269, § 116. Voir aussi T. WEILER, « A first look… », op. cit., note 238,
pp. 175-177.
271 Voir les faits similaires dans l’affaire Metalcald c. Mexique, op. cit., note 56, pour
les agissements d’une municipalité sur fond de dissensions internes entre l’État
fédéral et les États fédérés.

93
différents rapports et témoignages ont fini de convaincre le tribu­
nal que des enjeux électoraux proches avaient essentiellement guidé
les autorités locales272. Dans toutes ces affaires, l’intention véritable
avait été dissimulée derrière des préoccupations environnementales
certes légitimes, mais détournées. Malgré tout, les tribunaux se sont
gardés de porter un jugement sur l’opportunité des actions gouver­
nementales, ou de conclure qu’il y avait intention d’exproprier ou
pas.
Par contre, un État peut effectuer de bonne foi une expropriation
indirecte par mesure horizontale. Il peut ne pas avoir anticipé les
conséquences d’une règlementation édictée pour une raison étran­
gère à l’investisseur. Un but caché n’est pas toujours présent. Les
exemples sont presque inexistants dans le contentieux arbitral, mais
cela ne prouve pas que ces cas soient seulement théoriques. En fait,
dans plusieurs affaires où l’État était de bonne foi, d’autres para­
mètres ont empêché de qualifier les mesures étatiques comme étant
expropriantes273. C’est pourquoi il peut sembler, mais à tort, que la
mauvaise foi accompagne toute expropriation indirecte qualifiée.
Si l’expression « expropriations indirectes déguisées » était utilisée
uniquement pour illustrer des situations concrètes, rien n’aurait pu
leur être reproché. Malheureusement, ces exemples d’expropria­
tions sont souvent érigés en emblèmes des expropriations indirectes,
comme si elles pouvaient résumer à elles seules cette catégorie. Ce
qui est parfaitement erroné vu qu’elles ne concernent même pas les
expropriations indirectes par mesures verticales. Par ailleurs, ces
termes sont inutilement dépréciatifs à l’égard de l’État d’accueil.
Comme l’a justement remarqué R. Dolzer « creeping exporpriation sug-
gests a deliberate strategy on the part of the state, which may imply a negative
moral judgment »274.
Cela dit, comment un État peut-il déguiser sa volonté d’expro­
prier ? De plusieurs manières, dont la plus évidente est de procéder
par étapes successives. Il est en effet plus facile de dissimuler une
décision qui se met en place progressivement qu’une décision prise
brutalement. C’est à ce niveau que la mesure déguisée rencontre un
autre exemple d’expropriation indirecte, sans que les deux puissent
se recouper complètement : la mesure progressive.

Expropriation rampante ou larvée et expropriation progressive


L’expropriation progressive est parfois désignée comme rampante
ou larvée275. Les premiers articles portant spécialement sur les expro­

272 Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, § 127.


273 Voir par exemple les faits dans l’affaire LESI c. Algérie, op. cit, note 54, à propos
d’un contrat de construction de barrage.
274 R. DOLZER, « Indirect Expropriation of Alien Property », op. cit., note 12, p. 44.
275 S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage…, op. cit., note 1, p. 456,
§ 582.

94
priations indirectes avaient mis l’accent sur les mesures progressives.
C’est le cas de G. H. Weston qui avait proposé en 1976 une « modeste
incursion dans le problème des “expropriations rampantes” »276. En
réalité, une expropriation rampante ou larvée est progressive, mais
une expropriation progressive peut ne pas s’accompagner d’inten­
tion malveillante. En quelque sorte, l’expropriation rampante est
une expropriation à la fois déguisée et progressive. L’expression
« expropriation rampante » cible la mauvaise foi de l’État hôte. C’est
pourquoi certains auteurs ont estimé qu’il était « fairer to the host state
to designate such measures by the more neutral term of “constructive natio-
nalization” »277. Notre préférence va donc à l’expropriation progres­
sive qui a l’avantage de la neutralité par rapport à l’expropriation
rampante. Il faudra donc, chaque fois que l’on rencontre le terme
d’expropriation rampante, y rattacher le contenu de l’expropriation
progressive.
La définition de l’expropriation indirecte progressive est una­
nimement acquise, qu’elle soit présentée comme « a slow and incre-
mental encroachment on one or more of the ownership rights of a foreign
investor that diminishes the value of its investment »278 ou encore comme
« a series of separate government measures that, although not expropriatory
when considered as separate and distinct measures, are expropriatory when
considered cumulatively »279. Il a également été affirmé qu’une expro­
priation progressive « is a form of indirect expropriation with a distinctive
temporal quality in the sense that it encapsulates the situation whereby a series
of acts attributable to the State over a period of time culminate in the expro-
priatory taking of such property »280.
L’expropriation indirecte progressive s’oppose à l’expropriation
indirecte instantanée. Par instantanée, il faut comprendre ici l’expro­
priation indirecte qui survient par le biais, soit d’une mesure unique,
soit d’un groupe de mesures édictées au même moment, et qui
porte(nt) atteinte seule(s) et par elle(s)-même(s) à l’investissement.
Au contraire, avec l’expropriation indirecte progressive, l’investisse­
ment est détruit par accumulation d’une série de mesures étalées

276 B. H. WESTON, op. cit., note 36, p. 103. Traduction de l’auteure.


277 I. SEIDL-HOHENVELDERN, « Semantics of …», op. cit., note 183, p. 219.
278 CNUCED, Taking of Property, 2000, op. cit., note 142, pp. 11-12.
279 A. NEWCOMBE, L. PARADELL, op. cit., note 98, p. 325, note de bas de page 22.
280 Generation Ukraine c. Ukraine, op. cit., note 264, § 20.22. Plusieurs autres
sentences ont fait référence aux expropriations progressives. Voir entre autres,
les sentences Philips Petroleum, op. cit., note 93, p. 115 ; Bienvenuti & Bonfant
c. Congo, op. cit., note 81, pp. 356-357 ; Letco c. Liberia, op. cit., note 73, p. 367 ;
Tradex c. Albanie (ARB/94/2), sentence CIRDI du 29 avril 1999, §  191 ; Metalclad
c. Mexique, op. cit., note 56, § 107. D’autres sentences ont simplement admis
l’existence des expropriations progressives : Compañia del Desarrollo de Santa
Elena S.A. c. République du Costa Rica (ARB/96/1), sentence du 17 février 2000,
§  76 ; Feldman c. Mexique, op. cit., note 34, § 101 ; Tecmed c. Mexique, op. cit., note
121, § 114.

95
dans le temps. Aucune mesure ne suffit à elle seule à compromettre
ou détruire l’investissement.
Face à une série de mesures litigieuses isolées, les tribunaux
devront donc effectuer une inquisition en deux phases. En pre­
mier lieu, il faudra voir si les mesures prises isolément suffisent à
constituer une expropriation indirecte. En second lieu, et dans la
négative, il faudra s’assurer que ces mesures combinées ensemble
n’ont pas finalement entraîné une expropriation indirecte. L’affaire
Bienvenuti & Bonfant c. Congo offre une bonne illustration d’expro­
priation progressive, même si elle ne fut pas examinée comme telle.
PLASCO, une société de droit congolais de fabrication de bouteilles
d’eau minérale, était détenue à 60 % par l’État et 40 % par un inves­
tisseur italien. Très vite, après la mise en place de l’usine, une société
publique congolaise à laquelle PLASCO livrait ses bouteilles n’ho­
nora pas ses factures. C’est alors qu’en janvier 1975, l’État congolais
imposa par décret à PLASCO un prix de vente des bouteilles bien en
deçà de leurs coûts de production, ce qui mettait clairement l’usine
dans une situation économique insoutenable. D’autres mesures
suivirent : dissolution de la filiale de PLASCO chargée de la vente
des produits, non-application du statut fiscal privilégié qui avait été
accordé à l’entreprise pour la protéger de la concurrence locale et
étrangère. Finalement en janvier 1976, un mémorandum adminis­
tratif informa l’investisseur italien que la compagnie était désormais
une société d’État. Les locaux de la PLASCO furent alors occupés
par l’armée congolaise après la fuite du personnel281. Il est vrai que
le tribunal n’eut pas à se prononcer sur les mesures ayant précédé le
mémorandum, l’investisseur n’ayant pas formulé de demande en ce
sens. Mais il aurait été intéressant de savoir si les premières mesures
étaient déjà constitutives d’une expropriation indirecte progressive.
L’expropriation indirecte progressive pose une question majeure
qui est celle de la fixation du moment de l’expropriation. En effet, il
faudra distinguer, parmi une série de mesures successives, celle qui
achève ou cristallise le processus d’expropriation indirecte de celles
qui ont seulement rendu les conditions d’exploitations plus diffi­
ciles. Pour le tribunal dans l’affaire Siemens c. Argentine : « (…) the last
step in a creeping expropriation that tilts the balance is similar to the straw
that breaks the camel’s black »282. C’est un élément crucial pour le calcul
des indemnités. Mais il peut aussi jouer un rôle déterminant dans la
compétence du tribunal arbitral, lorsque la question de la nationa­
lité de l’investisseur se pose par exemple au moment de l’édiction de
certaines mesures ou lorsque le tribunal a une compétence limitée
dans le temps. Ainsi, même si les premières mesures ont eu lieu dans
la période de compétence, une mesure cristallisante qui survient au-
delà de cette date fera sortir l’affaire de la juridiction du tribunal.

281 Bienvenuti & Bonfant, op. cit., note, 81, § 2.17 à 2.23.
282 Siemens c. Argentine, op. cit., note 116, § 263.

96
Mais l’identification de l’acte déterminant peut s’avérer délicate.
Comme l’ont mis en lumière W. V. Reisman et R. D. Sloane : « because
of their gradual and cumulative nature, creeping expropriations also render
it problematic, perhaps even arbitrary, to identify a single interference […] as
“the moment of expropriation” »283.
Toutefois, il ne faudrait pas confondre la classification entre
mesure instantanée et mesure progressive lorsqu’une mesure d’ex­
propriation directe à lieu et qu’une série de mesures non formelles
lui succède. Dans ce cas, les dernières mesures ne font que confirmer
une expropriation déjà qualifiée. Inversement, la confusion ne devra
pas se faire entre une mesure d’expropriation indirecte, suivie d’une
nationalisation formelle. Dans ce cas, la date sera fixée au moment
de l’expropriation indirecte. Dans l’affaire Sedco devant le Tribu­
nal irano-américain, le gouvernement révolutionnaire iranien avait
nommé un superviseur temporaire dans une société en novembre
1979 avant de procéder à une nationalisation des parts sociales. Pour
déterminer la date de l’expropriation, le tribunal a considéré la
nomination du superviseur au motif qu’elle avait entraîné une perte
de contrôle de l’entreprise sans perspective raisonnable d’un retour
à la normale. La loi n’avait fait que confirmer un état de fait préexis­
tant284.
En conclusion, l’expropriation progressive n’est qu’un processus
de réalisation de l’expropriation indirecte285. Autrement dit, cette
expression « are meant to describe the very real idea of expropriation not so
much as an act per se (…), but as a process (…) »286. Par ailleurs, la notion
d’expropriation indirecte ne saurait être ramenée simplement à ces
cas de figure, et encore moins être confondue avec eux.

§ 2 – Les confusions entre


l’expropriation indirecte et les faits-candidats

A. Les confusions mineures



Un cas symptomatique des confusions qui brouillent le concept
d’expropriation indirecte consiste à présenter des exemples d’expro­
priation indirecte comme des catégories juridiques aux côtés de cette
dernière. En effet, il n’est pas rare de lire dans certains ouvrages

283 W. M. REISMAN, R. D. SLOANE, « Indirect expropriation and its valuation in


the BIT generation », BYIL, 2003, vol. 74, p. 123.
284 Sedco, op. cit., note 91, § 276.
285 À ce propos, B. STERN affirme que « creeping expropriation is always an indirect
expropriation, while the contrary is not necessarly true ». B. STERN, « In search of… »,
op. cit., note 267, p. 37. Voir aussi Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, § 114 ;
Feldman c. Mexique, op. cit., note 34, § 101.
286 L. Y. FORTIER, S. L. DRYMER, «  Indirect Expropriation in the Law of
International Investment : I know it when I see It, or Ceveat Investor », ICSID
Review-FILJ, 2004, vol. 19, p. 294.

97
et articles traitant de l’expropriation en général, une classification
entre les nationalisations, les nationalisations de facto, la nomina­
tion forcée d’administrateurs, la saisie physique de matériel et l’ex­
pulsion d’investisseurs personnes physiques, ou encore les ventes
forcées, etc287. Si dans cette liste, les deux premières catégories,
nationalisation et nationalisation de facto, sont compréhensibles
(elles désignent autrement l’expropriation directe et l’expropria­
tion indirecte), les quatre dernières catégories jettent un trouble. En
effet, ces actes ne sont rien d’autres que des formes d’actions par
lesquelles une expropriation indirecte peut se réaliser. Ce sont de
simples faits-candidats. Par exemple, désigner un administrateur local
peut, dans certaines conditions, faire perdre le contrôle total d’une
société par l’investisseur. De même, la saisie de ses biens compromet­
tra probablement l’activité de l’investisseur de manière très sérieuse.
Quant à l’expulsion pure et simple d’un investisseur étranger, on
imagine aisément les conséquences désastreuses sur ses activités éco­
nomiques. Il en est de même d’une vente forcée dont le prix d’achat
est bien en deçà de la valeur réelle du bien. Dans son ouvrage sur la
jurisprudence du tribunal irano-américain, G. H. Aldrich distingue
aussi entre la nomination forcée de gestionnaires et la nationalisa­
tion de facto 288. Or, ne peut-on pas voir la première mesure comme un
acte constituant justement une nationalisation de facto ? Faire sortir
ces actes de la catégorie d’expropriation indirecte est une confusion
qui égare le lecteur. Si une classification des exemples est utile à
titre pédagogique, il faudra toutefois les regrouper sous une même
catégorie juridique en précisant leur unité289. Dans tous les cas, il
est essentiel de ne pas confondre les divers actes par lesquels une
expropriation indirecte peut survenir et l’expropriation elle-même
qui en est le résultat.
Dans un registre similaire, il faut relever brièvement quelques
autres confusions mineures. La première, heureusement peu fré­
quente, consiste à confondre l’expropriation indirecte avec l’expro­
priation directe effectuée au profit d’un tiers par l’État hôte. Dans
ce cas de figure, l’État ne retire pas le bien pour son bénéfice direct,
mais octroie la propriété à une tierce personne physique ou morale
privée désignée par lui. Par exemple, une réforme agraire nationale
qui conduit à retirer les titres de propriété détenus par des investis­
seurs étrangers au profit de paysans nationaux est bien une expro­
priation directe290. La seconde consiste à confondre spoliation et
expropriation indirecte. Or, la spoliation ne désigne simplement
qu’une expropriation illicite (sans indemnisation), notamment du

287 G. H. ALDRICH, op. cit., note 87, pp. 175-196.


288 Ibidem.
289 C’est heureusement ce à quoi procède la majorité des auteurs. Voir par exemple
SORNARAJAH, op. cit., note 40, pp. 376-383 et pp. 400-406.
290 On parle également d’indigénisation.

98
point de vue de l’investisseur lésé. Il est donc inutile d’employer des
termes polémiques qui n’ajoutent rien à la définition.
Deux autres termes souvent utilisés comme synonymes de l’expro­
priation indirecte méritent des développements plus importants.

B. Les confusions majeures avec des notions juridiques voisines

La distinction entre l’expropriation indirecte et les moyens de sa


réalisation devient véritablement problématique lorsque le fait-can­
didat correspond par ailleurs, à une notion juridique distincte. Tel
est le cas de la Confiscation et de la Réquisition dont les définitions
se rapprochent de celle de l’expropriation indirecte. Toutefois, mal­
gré des liens notables, il n’y a pas d’identité entre elles.

La Confiscation
La confiscation, en droit international, est « l’acte par lequel un
État, par mesure licite de sanction d’un acte délictueux, prive une
personne juridique de son droit de propriété relatif à certains objets
ayant fait l’objet du délit »291. La confiscation sanctionne donc les
actes délictueux, par exemple par la saisie des biens d’un investisseur
étranger. La confiscation fait normalement suite à une procédure
judiciaire qui établit l’existence et la gravité du crime ou du délit
et qui l’impose comme sanction correspondante. Notons également
que la confiscation est souvent incluse dans le concept de « pouvoir
de police ». La confiscation cause un préjudice grave et permanent
au propriétaire de l’investissement, ce qui est aussi un élément
caractéristique de l’expropriation indirecte. Mieux encore, il s’agit
d’un acte de souveraineté par excellence, directement attribuable à
l’État hôte ; autre élément qui le rapproche des caractéristiques de
l’expropriation. La principale différence réside dans le fait qu’une
confiscation ne donne pas droit à indemnisation, contrairement à
l’expropriation indirecte.
De ce fait, la confiscation fut très longtemps utilisée comme syno­
nyme de l’expropriation illicite. C’est ainsi qu’il a pu être affirmé
qu’« une expropriation sans paiement d’une indemnité est géné­
ralement qualifiée de confiscation, au sens d’une expropriation
confiscatoire »292. Les tribunaux ont aussi recouru à ce terme293,
mais rarement ces dernières années. En général, l’usage du terme
de confiscation dans le domaine de l’expropriation renvoie sim­
plement à l’expropriation illicite, dans le sens qu’elle n’a pas été

291 J. SALMON (dir.), Dictionnaire…, op. cit., note 252, p. 232.


292 J.-P. LAVIEC, op. cit., note 52, p. 160. Voir aussi, M. SORNARAJAH, op. cit., note
40, p. 366.
293 BP c. Lybie, ILR, 1979, vol. 53, p. 329.

99
accompagnée d’indemnisation294. La réquisition prend une conno­
tation très proche de la spoliation.
Cependant, par définition, la confiscation licite n’implique pas
une indemnisation, contrairement à l’expropriation. Pour distin­
guer une mesure licite de confiscation d’une expropriation illicite,
L. Caflisch considère que « l’élément décisif (…) est donc le suivant :
dans le premier cas, la mesure est prise à la suite d’un acte reconnu
ou présumé comme délictueux et est dirigée contre son auteur ;
dans le second cas, la mesure revêt le caractère d’une expropria­
tion, directe ou indirecte, mais est prise sans qu’une indemnité soit
payée »295. B. A. Wortley a également mis en lumière cette distinc­
tion : « Legitimate expropriation of […] property implies fair compensation.
Confiscation does not. »296. En d’autres termes, la confiscation vise à
punir un investisseur délinquant tandis que l’expropriation consiste
à porter atteinte à la propriété privée dans le but de réaliser un inté­
rêt général et implique une indemnisation en retour. L’expropria­
tion et la confiscation licite ne poursuivant pas les mêmes fins, l’une
donnera droit à une indemnisation et l’autre pas.
Certes, rien n’empêche qu’une confiscation soit qualifiée dans le
même temps d’expropriation indirecte. Mais dans ce cas, la confis­
cation devra être prise comme n’importe quel fait-candidat de l’État
hôte, au même titre qu’un acte extériorisé imputable à l’État. Ce ne
sera donc plus la confiscation au sens juridique du terme qui sera
concerné, mais un simple mot pour désigner une réalité spécifique
d’ordre interne. Cette approche n’est recevable évidemment qu’en
droit international, vu que pour ce dernier, les règlementations de
droit interne ne sont que de simples faits.

La Réquisition
Le terme de réquisition peut prendre plusieurs acceptions selon le
domaine dans lequel il est utilisé. En ce qui nous concerne, la forme
de réquisition qui entretient des liens étroits avec l’expropriation
indirecte, est celle qui se définit comme l’acte unilatéral par lequel
une autorité publique, en temps de paix ou de guerre, « exige de
ses ressortissants ou de personnes résidant sur son territoire que les
biens meubles ou immeubles, des prestations en nature ou des ser­
vices personnels soient mis à sa disposition »297, en vue de la satisfac­

294 Chez certains auteurs, la réquisition était même un terme interchangeable avec
l’expropriation directe ou la nationalisation. S. PETREN, « La confiscation des
biens étrangers et les réclamations internationales auxquelles elle peut donner
lieu », RCADI, 1963 II, p. 492 et s. Dans la même ligne, on rencontre parfois
aussi le terme de « confiscation indemnisable ».
295 Note de la Direction de droit international public du département fédéral du
21 janvier 1997, chronique Caflisch, R. S. D. I. E, 1998, pp. 651-652.
296 B. A. WORTLEY, op. cit., note 5, p. 242.
297 J. SALMON (dir.), Dictionnaire…, op cit., note 252, pp. 986-987.

100
tion de besoins publics. Les investissements étrangers, comme tous
les biens situés sur le territoire d’un État, peuvent faire l’objet de
telles réquisitions. La mise en œuvre d’une réquisition doit répondre
à certaines conditions. La réquisition des biens est d’abord limitée
dans le temps, et ne devra pas aller au-delà de ce qui est nécessaire
pour atteindre le but poursuivi. Les biens réquisitionnés, s’il ne s’agit
pas de biens fongibles et dans la mesure du possible, doivent revenir
à leurs propriétaires dès que la nécessité ne l’exige plus. Ensuite, la
réquisition doit répondre à une nécessité, voire parfois à un péril,
lorsqu’elle intervient en temps de guerre ou de catastrophe natu­
relle. Enfin, la réquisition implique une indemnisation. Réquisition
et expropriation sont donc deux notions proches, mais elles ne se
confondent pas. Dans une réquisition, le bien ou le service est mis à
disposition, le temps nécessaire à la satisfaction des besoins publics.
La réquisition suppose en principe le retour de la jouissance au pro­
priétaire, une fois le besoin satisfait. Ce qui n’est pas le cas dans une
expropriation indirecte. Le dommage subi y est irréversible.
Cependant, la réquisition est souvent définie comme une expro­
priation effectuée en temps de guerre. Ainsi, A. Newcomb et L. Para­
dell notent que « expropriations of Property during wartime or national
emergency are often called requisitions »298. De ce fait, la réquisition ne
serait qu’un procédé particulier d’expropriation indirecte, à la
même enseigne que les expropriations déguisées, rampantes, etc. À
l’appui de ce rapprochement, c’est l’exemple classique de l’affaire
des Armateurs norvégiens qui est souvent cité en exemple. Pourtant,
cette affaire montre en effet qu’une réquisition peut conduire à une
expropriation indirecte, mais ne dit pas qu’une réquisition est égale
à une expropriation. Dans ce différend, les États-Unis avaient saisi
des navires construits par une entreprise privée nationale. Mais du
fait de cette réquisition, l’entreprise n’avait pas pu honorer la livrai­
son des navires aux armateurs norvégiens qui en avaient passé la
commande. D’une réquisition d’un bien, il en a résulté une expro­
priation indirecte des droits qui y étaient reliés.
Un rapprochement possible entre les deux notions est celui où cer­
taines conditions de réalisation d’une réquisition de biens étrangers
ne sont pas respectées. L’investisseur peut alors se considérer comme
simplement exproprié de la valeur de ses biens, sans avoir reçu d’in­
demnités en retour. Il en ira ainsi lorsque l’autorité publique refuse
de remettre le bien réquisitionné à la disposition de l’investisseur
alors que la nécessité ne l’exige plus. Ou encore, lorsque l’État lui
remet un bien gravement détérioré ou qui n’a plus aucune valeur
économique, sans dédommagement. Dans ce cas de figure égale­
ment, la réquisition peut se transformer en expropriation indirecte,

298 A. NEWCOMBE, L. PARADELL, op. cit., note 98, p. 324.

101
parce que la première est menée de telle sorte qu’elle répond finale­
ment aux caractéristiques de la seconde.
En définitive, la confiscation et la réquisition sont deux notions dis­
tinctes qui obéissent à leur propre régime juridique. Mais cela n’ex­
clut pas qu’elles puissent par ailleurs constituer de simples faits-can­
didats pour l’expropriation indirecte dans certaines circonstances.
Autrement dit, la réquisition et la confiscation ne se confondent pas
avec l’expropriation, même si les premières peuvent servir de ter­
reau pour la survenance de la seconde. Par conséquent, ces notions
ne devront pas être simplement assimilées dans le contentieux de
l’expropriation indirecte.
Il ressort de la revue des « fausses » synonymies que si les termes étu­
diés ont le mérite de décrire des situations factuelles, elles peuvent
néanmoins introduire des éléments étrangers à la nature juridique
de l’expropriation indirecte. De ce fait, certains sont simplement à
proscrire et d’autres pourront être remplacés par des termes plus
neutres. Mais ces confusions, qui sont souvent présentées comme
de simples glissements sémantiques, indiquent en réalité une diver­
gence de fond qu’il convient d’examiner.

§ 3 – La typologie adéquate


aux mesures d’expropriation indirecte

Plusieurs TBI utilisent cumulativement dans une même clause les


termes d’expropriation indirecte et mesure équivalente à une expro­
priation. Peut-on en déduire qu’il existe deux catégories distinctes
d’expropriations non directes qui obéiraient à des critères de défi­
nition différents ? Cette question pertinente a donné des réponses
divergentes (A). En réalité, ces deux vocables peuvent être rappro­
chés de notre distinction binaire. Ils recouvrent les mesures verti­
cales et les mesures horizontales, mais au sein d’une unité concep­
tuelle (B).

A. Expropriation indirecte ou mesure équivalente à une expropriation ?

La revue des clauses d’expropriation dans les traités de protection


des investissements a fait ressortir plusieurs formules types de la
clause d’expropriation, parmi lesquelles, l’une consiste à distinguer
textuellement d’une part l’expropriation ou la nationalisation réali­
sée indirectement, et d’autre part la mesure équivalant à la nationa­
lisation ou à l’expropriation. En se limitant à une lecture littérale,
il peut sembler que ces traités opèrent une différenciation de fond
entre expropriation indirecte et mesure équivalente à une expro­
priation. Par conséquent, les deux termes ne relèveraient pas de
mêmes éléments constitutifs, même s’ils obéissent aux mêmes condi­
tions de licéité. Un tribunal qui aurait par conséquent à statuer sur le
fondement d’un TBI insérant une telle clause devrait effectuer une

102
recherche en trois temps pour la même mesure litigieuse : est-ce une
expropriation directe ou une nationalisation ? Sinon, est-ce ensuite
une expropriation ou nationalisation indirecte ? Et si non encore,
est-ce une mesure équivalente à une expropriation ou nationalisa­
tion ?
Certains auteurs sont arrivés à cette conclusion, tout en affirmant
que la mesure équivalente est plus large que la mesure indirecte. Ce
qui suppose qu’il est plus facile de réunir les conditions de la mesure
équivalente à une expropriation que de réunir les conditions de l’ex­
propriation indirecte. Ainsi, il a été affirmé que « tantamount clause
extends the concept of indirect expropriation (…) »299. De même, dans
l’affaire Pope & Talbot, l’investisseur prétendait que l’article 1110 de
l’ALENA devait être lu comme « creating a lex specialis going beyond
customary international law », tout comme l’expression « “measure tan-
tamount to expropriation” (…) comprehends a measure beyond an outright
taking or creeping expropriation »300.
Plusieurs sentences arbitrales statuant sur le fondement de
l’ALENA ont rejeté, à juste titre, cette distinction artificielle. Une
des premières répudiations fut faite dans l’affaire Feldman c. Mexique
en ces termes : « article 1110 deals not only with direct takings, but indirect
expropriation and measures “tantamount to expropriation,” […] The Tribu-
nal deems the scope of both expressions to be functionally equivalent »301. Mal­
gré l’ambiguïté des deux dernières formules, les tribunaux arrivent
à simplifier l’interprétation de ces clauses. Dans l’affaire Generation
Ukraine c. Ukraine, les arbitres faisant appel à une clause ambigüe302,
ont conclu simplement que : « the formulation in the first sentence of Article
III (1) is somewhat circular (…) »303, et qu’il n’y a qu’une seule catégorie
d’expropriation indirecte. De même, les arbitres dans l’affaire Waste
Management II c. Mexique, ont rappelé que l’accumulation des termes
dans les TBI est faite de toute évidence en vue « to add to the meaning
of the prohibition, over and above the reference to indirect expropriation »304.
Il ne s’agit donc pas d’une distinction de fond. D’autres tribunaux
sont également parvenus aux mêmes conclusions305. En définitive,
les termes variés comme « indirecte », « équivalent », « similaire »,
« ayant le même effet », sont considérés comme renvoyant à une
même notion, celle de l’expropriation indirecte306.

299 W. M. REISMAN & R. D. SLOANE, op. cit., note 283, pp. 118-119.
300 Pope & Talbot Inc. c. Canada, sentence CNUDCI du 26 juin 2000, § 84.
301 Feldman c. Mexique, op. cit., note 34, § 100.
302 TBI Ukraine-États-Unis, 1994, article 3.1.
303 Generation Ukraine c. Ukraine, op. cit., note 264, § 20.20.
304 Waste Management II c. Mexique, op. cit., note 99, § 144.
305 S. R. Lauder c. République tchèque, op. cit., note 154, § 200 ; Tecmed c. Argentine, op.
cit., note 121, § 114 ; Petrobart Limited c. Republique du Kyrgystant, Arbitrage de
la Chambre de Commerce international de Stockholm, n° 126/2003 (E.C.T.),
sentence du 25 mars 2005, p. 77.
306 Pope & Talbot, op. cit., note 300, § 104.

103
Dans le même ordre d’idée, plusieurs auteurs ont critiqué la dis­
tinction entre les deux termes comme à la fois superficielle et inu­
tile307.
L’isolement de cette position, essentiellement doctrinale, confirme
qu’elle est critiquable à plus d’un titre. En effet, elle repose sur des
éléments contextuels sans fondement juridique. Par exemple, cer­
tains arguments utilisés par les défenseurs de la distinction entre
mesure équivalente et mesure indirecte sont tirés de la jurisprudence
du tribunal irano-américain. Ils occultent alors le fait que ce tribu­
nal spécial avait une compétence matérielle élargie allant au-delà
des expropriations indirectes pour embrasser « other measures affecting
property rights »308. En réalité, la diversité des formules rédactionnelles
traduit simplement les exigences d’une notion fonctionnelle devant
embrasser une diversité de situations factuelles. On trouve autant
de traités qui utilisent l’un ou l’autre terme, ou les deux à la fois, ou
encore d’autres expressions. Pour autant, on ne peut pas conclure
que chaque clause doit être interprétée de manière originale par
rapport à la définition « coutumière » de l’expropriation indirecte. Il
faut garder aussi à l’esprit que les TBI, comme de nombreux textes
internationaux, ne s’illustrent pas toujours par leur clarté.
Cela dit, une différenciation demeure pertinente par ailleurs. À y
regarder de plus près, on peut considérer l’expropriation indirecte
comme une expropriation qui intervient par une mesure verticale,
et la mesure équivalant à une expropriation, comme celle qui inter­
vient par une mesure horizontale.

B. L’analogie avec la distinction entre mesures verticales et horizontales

Le rapprochement entre mesure verticale et expropriation indi­


recte d’une part, et mesure horizontale et mesure équivalente
d’autre part, est défendable malgré les risques de confusion que cela
peut créer dans une terminologie déjà suffisamment hétéroclite.
Ce rapprochement a d’ailleurs été effectué dans certaines sen­
tences, même s’il ne ressort pas à première vue. Dans l’affaire Waste
Management II c. Mexique, le tribunal a distingué entre les mesures
d’expropriation indirecte qui touchent spécifiquement un des attri­
buts de la propriété, des mesures équivalentes qui portent atteinte

307 On peut citer entre autres, G. SACERDOTI, op. cit., note 55, pp. 385-386 ;
S. MANCIAUX, « Les mesures équivalentes à une expropriation dans l’arbitrage
international relatif aux investissements », in F. HORCHANI (dir.), Où va le droit
international des Investissements ? Désordre normatif et recherche d’équilibre, pp.  75-76 ;
C. LEBEN, « La liberté normative… », op. cit., note 123, p, 169.
308 Voir Declaration of the government of the democratic and popular republic of algeria
concerning the settlement of claims by the government of the united states of america and
the government of the islamic republic of iran, (Déclarations d’Alger) du 19 janvier
1981, article 2. (http://www.parstimes.com/history/algiers_accords.pdf).

104
à l’investissement dans sa globalité309. G. Sacerdoti avait également
distingué les mesures qui « effectively neutralize the benefit of the porperty »
(qu’il nomme expropriation de facto) et les mesures qui « imply an inter-
ference with the exercise of such rights equivalent of that a measure of expro-
priation » (qu’il nomme expropriation indirecte)310. La différence
résiderait donc dans la neutralisation des droits pour la première,
et dans l’interférence avec l’exercice des droits pour la seconde. Ces
tentatives de catégorisation renvoient approximativement aux deux
catégories de mesures horizontales et verticales. Certes, les termes
ne sont pas les mêmes, mais les idées sous-jacentes sont similaires. En
effet, on peut considérer que l’expropriation indirecte renvoie plus
précisément aux mesures qui entravent spécifiquement les droits rat­
tachés à un investissement et détruisent physiquement ce dernier.
De telles mesures correspondent aux mesures verticales. Quant à la
mesure équivalente, elle engloberait les mesures dont l’effet préju­
diciable est diffus et touche la valeur de l’investissement dans son
ensemble sans avoir visé spécifiquement un droit qui y est rattaché.
De telles mesures correspondent aux mesures horizontales. La dis­
tinction opérée ne remet donc pas en cause l’unité conceptuelle de
l’expropriation indirecte.
Cela dit, l’analogie entre expropriation indirecte et mesure verti­
cale d’une part, et mesure équivalant à une expropriation et mesure
horizontale d’autre part, n’est pas parfaite. Le problème réside dans
l’insertion du terme « équivalence » pour l’un des termes et pas pour
l’autre. Cela laisse supposer que le rapport d’équivalence ne joue
pas un rôle pour les mesures verticales. Or, nous l’avons vu, l’équiva­
lence est un passage obligé pour toutes les expropriations indirectes.
Néanmoins, il est généralement moins complexe à vérifier lorsqu’il
s’agit d’une mesure verticale. On conviendra donc que l’expropria­
tion indirecte et la mesure équivalente renvoient au même concept,
mais par le biais de deux canaux différents de réalisation. Toutefois,
comme l’usage de ces termes dans la doctrine et la jurisprudence
ne renvoie pas à l’idée que nous nous en faisons ici, les mesures
verticales et horizontales servent mieux à décrire la subdivision qui
est faite en fonction du processus de réalisation de l’expropriation
indirecte. Dans cet ouvrage, la mesure équivalente sera considérée
comme le seul et véritable synonyme de l’expropriation indirecte.
L’expression « mesure équivalant à une expropriation » présente
l’avantage en effet d’être neutre, globale et communément utili­
sée. Cette dernière s’abstient de mettre exclusivement en lumière
un aspect des éléments constitutifs de l’expropriation indirecte au
détriment d’un autre. Il s’agit également d’une expression objective
qui ne renferme aucune connotation en défaveur de l’État ou de
l’investisseur.

309 Waste Management II c. Mexique, op. cit., note 99, § 143.


310 S. SACERDOTI, op. cit., note 55, pp. 382-383.

105
En résumé, cette section a donné l’occasion de faire un inventaire
des termes utilisés pour désigner l’expropriation indirecte. Deux
typologies qui peuvent avoir un impact significatif ont été dégagées.
La distinction entre mesure instantanée et mesure progressive a une
utilité pratique en amont de la qualification, notamment au moment
du calcul de l’indemnité due. Mais elle demeure secondaire par rap­
port à la distinction qui permettra de façonner en aval l’application
des critères de qualification : la mesure verticale et la mesure hori­
zontale.
Au terme de ce chapitre, sans aller jusqu’à dire que « the current
versions of investments treaties do not in any way illuminate the issue of indi-
rect expropriations »311, il faut reconnaitre que leurs indications sont
insuffisantes. Cette lacune a permis le développement d’une termi­
nologie diverse qui peut désorienter toute tentative d’analyse appro­
fondie. Le fait est que la multiplication de ces synonymes apporte
peu, quand elle ne complique pas l’identification d’une mesure
d’expropriation indirecte. Pour autant, catégoriser les mesures d’ex­
propriation indirecte demeure nécessaire pour coller au plus près de
réalités bien spécifiques. Cette catégorisation ne vise pas à créer des
définitions différentes, mais à adapter l’application des critères de
qualifications à chaque catégorie : mesure verticale et mesure hori­
zontale.
Mais s’il ne fallait retenir qu’un terme comme véritable synonyme
de l’expropriation indirecte, ce serait sans conteste la « mesure équi­
valente à une expropriation », car cette expression est explicite. En
effet, elle permet d’avoir immédiatement une idée générale sur
les éléments caractéristiques d’une expropriation indirecte : une
mesure, une expropriation et un rapport d’équivalence entre les
deux. Ayant déjà établi que le terme « expropriation » renvoie à celui
d’« expropriation directe », il reste à examiner le contenu qui a été
donné aux termes « mesure » et « équivalence » dans la jurisprudence
arbitrale.

311 R. DOLZER, « Indirect expropriation of Alien Property », op. cit., note 12, p. 56.

106
Chapitre 2

La relative précision des éléments constitutifs


d’une expropriation indirecte
dans la jurisprudence arbitrale :
un héritage des mesures verticales

Dans quelles conditions un fait quelconque sera-t-il qualifié d’ex­


propriation indirecte, entraînant une obligation pour l’État d’ac­
cueil d’indemniser l’investisseur lésé ? Autrement dit, quels sont
concrètement les éléments constitutifs d’une expropriation indi­
recte ? On se focalisera ici sur les solutions qui dominent actuelle­
ment dans les sentences arbitrales, sans pour autant oublier les diver­
gences remarquables. Cette option doit tenir compte d’une réalité
inhérente à l’arbitrage international en matière d’investissements, à
savoir l’inexistence d’un système hiérarchisé de contrôle et d’harmo­
nisation des sentences rendues. Cela entraîne un manque de prévisi­
bilité et de cohérence dans les décisions rendues sur l’expropriation
indirecte.312 À cette première difficulté, il faut ajouter le fait que les
tribunaux d’arbitrage Investisseur-Etat sont constitués sur le fonde­
ment de textes parfois différents. Ainsi, il faudra garder constam­
ment à l’esprit que les raisonnements du Tribunal irano-américain
ne reposaient pas toujours sur des règles et principes identiques à
ceux que les TBI véhiculent actuellement313, même si nul ne peut
ignorer leurs apports significatifs. Pour toutes ces raisons, un soin
particulier devra être donné au contexte de certaines sentences étu­
diées314.

312 Voir le constat analogue de R. DOLZER, «  Indirect expropriation : New


developments ? », op. cit., note 103, p. 68. Cette affirmation s’est vérifiée par
exemple dans deux sentences contradictoires rendues dans les affaires CME
c. République Tchèque, sentence CNUDCI du 13 septembre 2001, et R. S. Lauder
c.République Tchèque, op. cit., note 154, par deux tribunaux arbitraux statuant sur
les mêmes faits.
313 Constat relevé par M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, pp. 368-369. Voir aussi.
K. A. BYRNE, op. cit., note 262, pp. 98-99. Dans la sentence Pope & Talbot, op.
cit., note 300, § 104, le tribunal qui a rejeté l’application des précédents de ce
tribunal à cause de son mandat qui allait au-delà de l’expropriation.
314 À titre d’exemple, en raison de sa large compétence, le tribunal irano-améric­
ain a pu octroyer des indemnités à des investisseurs pour des mesures étatiques
affectant la propriété, après avoir conclu cependant qu’elles n’étaient pas équiv­
alentes à une expropriation en droit international. Ce fut le cas par exemple

107
En partant de l’expression « mesure équivalente à une expropria­
tion », deux conditions cumulatives seront examinées : une mesure
et son imputabilité à l’État d’accueil d’une part (section 1), et une
équivalence entre cette mesure et l’expropriation directe d’autre
part (section 2). Cette analyse montrera que, globalement, le droit
positif du contentieux de l’expropriation indirecte est un héritage
des mesures verticales.

Section 1 – Une mesure imputable à l’État…

Pour qu’il ait expropriation, il faut d’abord isoler une « mesure »


qui est également imputable à l’État d’accueil de l’investissement
étranger protégé. C’est ce qui est dénommé ici la mesure éligible. Sous
cette affirmation toute simple se dissimulent des enjeux importants
pour le processus de qualification. Si, pour les mesures verticales la
vérification de ces deux conditions est généralement aisée à effec­
tuer, il peut en aller différemment pour une mesure horizontale.
Nonobstant cela, les règles demeurent les mêmes pour toute expro­
priation indirecte. La mesure éligible est largement définie (§ 1) et
les règles d’imputation à l’État ne se départissent pas des règles clas­
siques du droit international public (§ 2).

§ 1 – Les mesures éligibles

La majorité des traités de protection des investissements parlent


de « mesures » expropriantes, ou équivalentes, ou ayant un effet
similaire. Et même les textes qui n’utilisent pas expressément ce
vocable le supposent implicitement. Mais que recouvre juridique­
ment ce terme ? Une mesure est définie en droit comme un « moyen
tendant à obtenir un résultat déterminé »315. Ce mot, souvent qualifié de
générique, renvoie donc à une multitude d’actions. Telle est aussi
la conception généralement adoptée par les tribunaux arbitraux
(A). Toutefois, les mesures contractuelles devront être définies de
manière plus restreinte (B) et les omissions devront être exclues des
mesures éligibles (C).

dans les affaires Foremost Tehran Inc. c. Iran, 11 avril 1986, Iran-US CTR, vol. 10,
p. 228 et s. ; Eastman Kodak Co. C. Iran, 11 novembre 1987, Iran-US CTR, vol 17,
p. 153 et s. ; Seismograph Service Corp. c. NIOC, 31 mars 1989, Iran-US CTR, vol. 22,
p. 3 et s. ; ou United Painting C. Inc. c. Iran, 20 décembre 1989, Iran-US CTR, vol.
23, p. 351 et s.
315 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, Puf, 2007, 8e éd., p. 587.

108
A. Un large éventail de mesures éligibles

Dans l’ensemble du contentieux de l’expropriation indirecte, la


« mesure » est assimilée à l’acte juridique au sens large, sans pour
autant couvrir les simples déclarations et actes non suivis d’effet.

L’assimilation de la « mesure » à tout acte juridique


La « mesure » n’est pas définie par TBI et ALE. Cette lacune n’est
pas étrangère au fait que l’expropriation indirecte elle-même n’est
pas définie. Ce qui laisse une grande marge d’interprétation aux
tribunaux. Toutefois, quelques traités donnent une liste non exhaus­
tive de ce que recouvre toute « mesure » au sens de l’Accord. Par
exemple, l’article 201.1 de l’ALENA désigne par mesure : « toute
législation, règlementation, procédure, prescription ou pratique ».
Cet article ne définit pas spécifiquement la mesure d’expropriation,
mais l’englobe, car il est applicable à toutes les clauses du traité.
Dans son « Énoncé des mesures de mise en œuvre de l’ALENA »
de janvier 1994316, le Canada a interprété cet article 201.1 comme
« une définition non limitative des moyens par lesquels les gou­
vernements imposent des règles sur leurs territoires respectifs ». 317
Ainsi, un tribunal a admis qu’un projet de loi non encore adopté
était une « mesure adoptée et maintenue au sens de l’article 1101 » de
l’ALENA 318. Cette sentence affirme également en termes plus géné­
raux, que « clearly something other than a « law », even something in the
nature of « practice » which may not even amount to a legal structure, may
qualify [as such a] measure »319. La mesure est donc définie de manière
large dans le cadre de l’ALENA 320.
Une interprétation aussi large peut-elle être étendue aux autres
traités de protection des investissements qui ne disent rien sur le
contenu de la « mesure » ? Il faudrait se garder d’une généralisation
commode. D’abord, parce que l’ALENA est un accord global sur
le libre-échange, dont l’essentiel des dispositions se rapporte aux
échanges commerciaux de marchandises et de services. Par consé­
quent, ces définitions s’adressent avant tout au commerce interna­
tional avant de s’appliquer par analogie aux investissements dont la

316 Le texte est disponible sur : http://www.naftaclaims.com/Papers/Canadian%20


Stmt%20of%20Implementation.pdf. Italiques ajoutés.
317 L’article 2.1 de l’US-CAFTA-DR définit la « mesure » dans les mêmes termes que
l’ALENA.
318 Ethyl Corporation c. Canada, op. cit., note 111, § 69.
319 Ethyl c. Canada, ibidem, § 66.
320 Toutefois, les procédures de promulgation particulières à une monarchie
démocratique comme le Canada semblent avoir facilité une telle conclusion. En
effet, le tribunal a pris en compte le fait que la loi avait déjà été adoptée par le
Sénat canadien cinq jours avant la requête d’arbitrage de l’investisseur, et que
l’assentiment royal requis avant la promulgation n’était qu’une simple formalité
toujours accordée à la demande du gouvernement.

109
libéralisation reste marginale dans le monde. Il n’est donc pas cer­
tain que ces exemples de mesures soient véritablement adaptés aux
mesures d’expropriation indirecte. Ensuite, il ne s’agit que d’une
liste d’exemples, et non d’une véritable définition. Cette liste a le
mérite de montrer que le terme recouvre un grand nombre d’ac­
tions, mais ne signifie pas nécessairement un champ d’application
illimité.
Malgré ces réserves, les dispositions de l’ALENA ont vraisemblable­
ment inspiré, dans une large mesure, plusieurs sentences arbitrales
instituées sur le fondement des TBI. Généralement, les tribunaux
statuant sur la base des traités de protection des investissements ont
une acception large de la mesure éligible321. Ainsi, le tribunal dans
l’affaire Consortium RFCC c. Maroc, appliquant le TBI Italie-Maroc de
1990 a constaté que : « les tribunaux arbitraux ont fait une interpré­
tation extensive du terme « mesure », considérant qu’une pratique,
un acte peuvent être qualifiés de mesure. ». Il s’est alors référé direc­
tement au fait que dans la sentence Ethyl Corp. c. Canada, « le tribu­
nal décida que la seule annonce de l’adoption future de la loi avait
causé un dommage à la société Ethyl »322. Dans l’affaire Santa Elena
c. Costa Rica, les arbitres ont considéré que : « as is well known, there is
a wide spectrum of measures that a state may take in asserting control over
property, (…) »323. Dans l’affaire Sempra c. Argentine, le tribunal avait
« no doubt about the fact that such expropriation can arise from many kinds
of measures »324.
En pratique, la mesure peut porter indifféremment sur une loi325,
un décret gouvernemental326, un règlement ministériel327, un arrêté
municipal328, ou une décision de justice329. Dans ces exemples,
la mesure prend clairement la nature d’un acte juridique, définit

321 Voir aussi, Canfor Corp c. États-Unis, sentence du 6 juin 2006, § 148-150 ; Loewen
group c. États-Unis, sentence CNUDCI du 26 juin 2003, § 39-74 ; Pope & Talbot
c. Canada, op. cit., note 300, § 103 ; R. S. Lauder c République tchèque, op. cit., note
154, §  200 ; Fireman c. Mexique, op. cit., note 119, § 96-99 ; Metalclad Corp. c. États-
Unis du Mexique, op. cit., note 56, § 105-107 ; Antoine Goetz c. Burundi, op. cit., note
48, § 121-133.
322 Consortium R.F.C.C. c. Royaume du Maroc (ARB/00/6), sentence CIRDI du
22 décembre 2003, § 64.
323 Ibidem, § 76.
324 Santa Elena c. Costa Rica, op. cit., note 280, § 283.
325 Ce fut le cas notamment dans les affaires Sempra c. Argentine, op. cit., note 3 ; CMS
c. Argentine, op. cit., note 113 ; Metalclad c. Mexique, op. cit., note 56.
326 Pour ne citer qu’un exemple, voir l’affaire Middle East Cement c. Égypte, op. cit.,
note 158.
327 Voir par exemple l’affaire M. R. Feldman Karpa c. Mexique, op. cit., note 34.
328 On peut citer les affaires Metalclad c. Mexique, op. cit., note 56, et Azurix
c. Argentine, op. cit., note 115.
329 C’est l’exemple de l’affaire Loewen Group. c. États-Unis, op. cit., note 321, § 39-74.
Voir aussi les précédents judiciaires cités par le tribunal à l’appui de son
raisonnement.

110
comme « une opération juridique consistant à une manifestation de
la volonté ayant pour objet ou pour effet de produire une consé­
quence juridique »330. La question se pose de savoir si les simples
déclarations d’autorités gouvernementales sont également des
« mesures » éligibles.

Le rejet des simples déclarations et mesures non suivies d’application


Une simple déclaration officielle, non suivie d’aucune mise en
application ou dépourvue d’un effet légal, est difficile à concevoir
comme mesure éligible.
Quelques sentences ont ainsi écarté la prise en compte de cer­
taines déclarations émanant d’autorités gouvernementales comme
des mesures éligibles. Ainsi, dans l’affaire R. Lauder c. République
tchèque, le tribunal a refusé de considérer une lettre d’explication sur
la situation d’une société de radiotélévision provenant du Conseil
médiatique tchèque et adressée au parlement national, comme
étant une « mesure ». Dans cette affaire, le Conseil médiatique sus­
pectait en effet un transfert de facto d’une licence d’exploitation de
radiotélévision accordée à un investisseur national, à un investisseur
étranger par le biais d’une sous-traitance. Or, la loi nationale sur
les médias réservait l’octroi de telles licences aux seuls investisseurs
nationaux. La lettre fut qualifiée par le tribunal de « general opinion
of a regulatory body » parce qu’elle « was not aimed at having, and could
not have, any legal effect »331. Le tribunal dans l’affaire Waste Manage-
ment II c. Mexique a rejeté les déclarations d’autorités officielles non
suivies d’actions comme étant des mesures éligibles en ces termes :
« individual statements of this kind made by local political figures in the heat
of public debate may or may not be wise or appropriate, but they are not tan-
tamount to expropriation unless they are acted on in such a way as to negate
the rights concerned without any remedy. In fact no action was taken of the
kind threatened at the time or later »332.
On peut donc considérer, malgré le nombre restreint de cas qui se
sont posés devant les tribunaux, que les déclarations publiques d’une
autorité officielle ne sont pas des mesures éligibles, tant qu’elles ne
sont pas suivies d’actions concrètes, en l’occurrence d’actes juri­
diques.
En résumé, les tribunaux arbitraux entendent généralement par
mesure, un acte ou une conduite quelconque ayant pour objet ou
effet de produire des effets juridiques. Mais les simples déclara­
tions dépourvues d’application sont exclues. Ce large éventail de
mesures éligibles est, dans le principe, adéquat. En premier lieu, il
est conforme à l’esprit des traités de protection des investissements
qui, en ne définissant pas la mesure d’expropriation, visent une

330 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2009, p. 17.


331 R. S. Lauder c. République tchèque, op. cit., note 154, § 282 et § 283.
332 Ibidem, § 161.

111
certaine flexibilité. Il est impossible de prévoir et encore moins de
limiter a priori les hypothèses des situations pouvant conduire à une
expropriation indirecte. En second lieu, ce large éventail de mesure
est conforme à la définition coutumière du terme « mesure » en droit
international public. Dans l’affaire Compétence en matière de pêcheries,
la CIJ a considéré que la mesure, « dans son sens ordinaire (…), vise
de façon très large un acte, une démarche ou une façon d’agir, sans
limites particulières quant à leur contenu matériel ou au type de but
qu’ils poursuivent »333.
Mais dans ce large spectre des mesures éligibles, les mesures contrac­
tuelles obéissent à un traitement spécifique.

B. La spécificité de la mesure contractuelle

La question soulevée ici concerne la possibilité pour une mesure


édictée dans le cadre d’une relation contractuelle d’être éligible au
statut d’expropriation indirecte. Cette préoccupation doit être dis­
tinguée de celle qui concerne la légalité ou l’illégalité d’une mesure
d’expropriation indirecte prise en violation d’un engagement
contractuel ; c’est-à-dire la question de l’intangibilité des contrats
entre État et Investisseur privé. Bien que fondamental, ce point ne
concerne pas le processus de qualification, mais le droit d’expro­
prier. Et même si la question n’a jamais reçu une réponse unanime
et définitive334, elle n’est plus aujourd’hui d’actualité, du moins sous
sa forme initiale335. Dans le principe, toutes les mesures prises par
un État dans le cadre de ses relations contractuelles ne peuvent être
assimilées à une mesure éligible. La présence d’une clause parapluie
dans le TBI ne devrait pas remettre en cause ce principe.

333 CIJ, Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), Arrêt du 4 décembre


1998, Rec. 1998, § 66.
334 Le principe de l’intangibilité des contrats implique que toute expropriation
effectuée en violation d’un engagement contractuel est illégale, c’est-à-dire
interdite. La jurisprudence et la doctrine sont divisées sur la question. Voir par
exemple les sentences Texaco/Calasiatic c. Lybie du 19 janvier 1977, reproduit dans
JDI, 1977, pp. 150 et s., § 71 ; et AGIP c. Congo, op. cit., note 84, § 85. Aujourd’hui,
en ce qui concerne le droit d’exproprier, la thèse de l’intangibilité est désuète.
En effet, chaque État a le droit d’exproprier même en violation d’un engagement
contractuel. Il lui sera seulement imposé d’indemniser l’investisseur en retour.
Le principe de l’intangibilité des contrats a une survivance dans les clauses de
nombreux TBI qui font du respect des engagements contractuels spécifiques,
une condition de licéité de l’expropriation indirecte.
335 On peut voir dans la distinction entre treaty claims et contract claims, un avatar du
problème des clauses de stabilisation dans les contrats d’États.

112
La distinction entre les actes « jure imperii » et « jure gestioni »
•  Le contenu de la règle
Il est reconnu de longue date par les tribunaux que les droits
contractuels pouvaient faire l’objet d’une expropriation indirecte336.
De même, les traités de protection des investissements définissent
généralement les droits contractuels comme étant des investisse­
ments en soi. Aujourd’hui, cette règle est reconnue dans les sen­
tences337 et la doctrine338, comme faisant partie intégrante du droit
international « coutumier » de l’expropriation.
Les allégations d’expropriations indirectes portées devant les
tribunaux concernent souvent des mesures contractuelles. L’inves­
tisseur reproche alors à son cocontractant étatique ou à la tierce
personne morale dont les actes lui sont imputables, d’avoir violé ses
obligations contractuelles et d’avoir effectué par la même occasion
une expropriation indirecte illicite, car dénué de compensation. La
violation invoquée peut aller du simple non-respect des obligations
contractuelles à la répudiation unilatérale pure et simple du contrat,
en passant par l’altération ou la modification des droits contractuels
de l’investisseur. Dès lors, la relation entre les obligations contrac­
tuelles de l’État et l’expropriation indirecte se pose en ces termes :
toute violation d’un contrat d’investissement peut-elle être une
mesure éligible au statut d’expropriation indirecte ?
La majorité des tribunaux ont conclu qu’une simple violation
contractuelle ne suffit pas en elle-même à équivaloir à une expro­
priation. Par simple violation contractuelle, il faut comprendre
l’ensemble des aléas inhérents à toute relation contractuelle entre
cocontractants privés ordinaires. Aussi, tant que l’État contractant
demeure et agit comme un simple acteur privé, il ne saurait y avoir
de « mesure » au sens d’une expropriation indirecte. C’est seulement
lorsqu’il sort de ce cadre pour user de ses prérogatives de puissance
publique qu’il peut poser une mesure éligible. La simple violation
contractuelle s’oppose alors aux violations relevant des pouvoirs sou­
verains de l’État d’accueil. Ainsi, le tribunal dans l’affaire Consortium
RFCC c. Maroc a noté qu’« un État cocontractant n’« interfère » pas,
mais « exécute » un contrat »339. Un autre tribunal a rappelé que, « it

336 Commission Mixte des réclamations États-Unis-Venezuela, Affaire Rudolf,


décision sur le fond, RIAA, 1959, vol. 9, p. 250.
337 PourPour ne citer que quelques exemples, voir Armateurs norvégiens, op. cit.,
note 108, Amoco, op. cit., note 92, § 108, Starrett, op. cit., note 90, p. 156 ; Philips
Petrolieum, op. cit., note 93, § 76 ; Spp Egypt c. Egypte (ARB/84/3), sentence du
20 mai 1992, § 164, Pope & Talbot c. Canada, op. cit., note 300, § 97-98, SD Myers
c. Canada, op. cit., note 269, § 281, Methanex c. États-Unis, op. cit., note 112, Part.
IV. Chp. D, § 17, Azurix c. Argentine, op. cit., note 115, § 314 pour le CIRDI. Biloune
c. Ghana, op. cit., note 69, p. 209, CME c. République Tchèque, op. cit., note 312,
§ 591.
338 R. HIGGINS, op. cit., note 258, p. 271.
339 Consortium RFCC c. Maroc, op. cit., note 322, § 65.

113
is one thing to expropriate a right under a contract and another to fail to com-
ply with the contract. Non-compliance by a government with contractual obli-
gations is not the same thing, as, or equivalent or tantamount to, an expro-
priation »340. Dans le même sens, après avoir constaté que la plainte de
l’investisseur reposait uniquement sur une violation contractuelle, le
tribunal dans l’affaire R. Azinian c. Mexique a déclaré que : « NAFTA
does not, however, allow investors to seek international arbitration for mere
contractual breaches »341.
Afin de distinguer l’État agissant comme simple cocontractant et
l’État agissant en sa qualité de souveraine, les tribunaux appliquent
la théorie de l’acte de gestion (jure gestioni) et de l’acte de souverai­
neté (jure imperii). Ce critère de distinction reconnu de longue date
n’est pas propre à l’expropriation indirecte342. C’est ce qu’a rappelé
le tribunal dans l’affaire Sempra c. Argentine lorsqu’il affirmait que la
distinction « between acts iure imperii and iure gestionis has its origins in
the area of immunity of the State under international law and it differentiates
between acts of a commercial nature and those which pertain to the powers
of a State acting as such (…) »343. Par conséquent, face à une violation
contractuelle, les tribunaux regardent si la mesure litigieuse est à la
portée d’un simple cocontractant. S’il s’agit au contraire d’un acte
de puissance publique comme une loi, un règlement ou une décision
annulant ou modifiant unilatéralement les obligations des parties,
il faudra y voir une mesure éligible. Ce principe de distinction est
largement appliqué par les tribunaux arbitraux en matière d’expro­
priation indirecte, indépendamment de la classification finale de la
mesure contractuelle344. C’est ainsi que dans l’affaire Jalapa Railroad,
un tribunal arbitral déclarait déjà en 1948 qu’un décret présidentiel
mettant fin à un contrat conclut avec un investisseur « was clearly not
an ordinary breach of contract. Here the Governement of Veracruz stepped

340 Waste Management II, op. cit., note 99, § 175.


341 Robert Azinian et autres c. États-Unis du Mexique (ARB(AF)/97/2), sentence du
1er novembre 1999, § 87.
342 Par exemple, en matière de contrats d’État, P. WEIL distingue entre l’aléa
économique lié à la conjoncture et l’aléa de souveraineté qui découle
directement des pouvoirs dont peut user l’État cocontractant en sa qualité
d’État souverain. P. WEIL, « Les clauses de stabilisation ou d’intangibilité
insérées dans les accords de développement économique », in La communauté
internationale, Mélange offert à Charles Rousseau, Paris, Pedone, 1974, pp. 21-22.
343 Sempra c. Argentine, op. cit., note 3, § 247. Voir aussi Azurix c. Argentine, op. cit.,
note 115, § 315.
344 Voir les affaires CIRDI : Packerings c. Lituanie (ARB/05/8), sentence CIRDI
du 11 septembre 2007, § 444 ; Azurix c. Argentine, op. cit, note 115, §  53 ; Sempra
c. Argentine, op. cit., note 3, § 281 ; Vivendi II c. Argentine, (ARB/97/3), sentence
CIRDI du 20 août 2007, § 7.5 ; LESI c. Algérie, op. cit., note 54, § 131 ; Suez InterAgua
c. Argentine, op. cit., note 34, § 142-144 ; Encana c. Equateur, sentence CNUDCI du
3 février 2006, § 193. Voir aussi la sentence du tribunal irano-américain dans
l’affaire Philips Petroleum, op. cit., note 93, § 75.

114
out of the rôle of contracting Party (…) »345. Par contre, dans les affaires
Consortium RFCC c. Maroc (refus de réception définitive d’une auto­
route pour défaut allégué de construction) et Waste Management II
(non-paiement de factures par la municipalité), les tribunaux ont
reconnu qu’il s’agissait de simples mesures contractuelles. Il convient
de préciser que les dettes contractuelles demeurent de simples viola­
tions contractuelles tant que l’État débiteur n’use pas de ses préroga­
tives de puissance publique pour annuler ou réduire arbitrairement
le montant de cette dette, ou que l’investisseur peut faire entendre
sa cause devant une juridiction impartiale346.
Quelques rares tribunaux se sont opposés à cette interprétation.
Dans l’affaire Noble Ventures c. Roumanie, un tribunal CIRDI a rejeté
ce critère de distinction au motif qu’il serait applicable aux seules
questions des immunités des États devant les tribunaux étrangers
locaux347. Cependant, le principe de distinction entre acte de sou­
veraineté et acte de gestion est à la fois nécessaire et raisonnable,
même s’il n’est pas explicitement prévu par les TBI348.

•  Les justifications de la règle


Ce principe de distinction est d’abord nécessaire parce que c’est
l’État en tant que puissance souveraine qui engage sa responsabilité
internationale. Le simple fait pour un État de contester par exemple
l’existence ou l’étendue d’un droit, en dehors de l’usage d’une pré­
rogative de puissance publique, ne peut ipso facto s’analyser en une
mesure éligible. Pour rappel, l’expropriation indirecte est un droit
souverain étatique, dont l’exercice illicite engage la responsabilité
de l’État d’accueil. Or seul l’État, puissance souveraine, peut exer­
cer le droit d’exproprier, que ce soit directement ou indirectement.
Comme le déclarait la première sentence rendue sur l’affaire Waste
Management II c. Mexique sur le fondement de l’ALENA : « any private
party can fail to perform its contracts, whereas nationalization and expro-
priation are inherently governmental acts, as is envisaged by the use of the

345 Jalapa Railroad and Power Co (États-Unis c. Mexique), American-Mexican Claims


Commission, 1948, reproduit in M. Whiteman Digest of International Law, 1976,
vol. 8, pp. 908-909.
346 Voir en ce sens, Encana c. Equateur, op. cit., note 344, § 194 ; SGS c. Philippines
(ARB/02/6), sentence CIRDI du 29 juin 2004, § 161
347 Noble Ventures Inc. c. Roumanie (ARB/01/11), sentence CIRDI du 12 décembre
2005, § 82. Il semble néanmoins que cette affirmation se rapportait moins à
l’expropriation indirecte qu’aux effets des clauses parapluies.
348 On peut noter cependant, bien qu’ils n’aient pas de valeur contraignante, les
lignes directrices de la Banque Mondiale pour le traitement des investissements
privés étrangers, op. cit., note 139. Le principe IV, section 11, prévoit que les
conditions d’une expropriation « will apply with respect to the conditions under which
a State may unilaterally terminate, amend or otherwise disclaim liability under a contract
with a foreign investor for other than commercial reasons, i.e. where the State acts as a
sovereign and not as a contracting party ».

115
term “measure” in Article 1110(1) »349. En d’autres termes, « it is not a
matter of being disappointed in the performance of the State in the execution of
a contract but rather of interference in the contract execution through govern-
mental action »350. L’attitude mesurée des tribunaux qui refusent de
faire de toute violation contractuelle, ipso facto une mesure éligible
d’expropriation indirecte est donc justifiée et permet de se confor­
mer à une réalité de premier plan : « l’État récepteur d’investissements
(…) n’est pas l’État contractant. En sa personne, les deux qualités coexistent,
mais ne se fondent pas l’une à l’autre »351.
Ce principe est ensuite raisonnable, car le fait d’écarter les actes
de gestion du champ de l’expropriation indirecte ne signifie pas la
répudiation de toute protection pour l’investisseur étranger. Il est
vrai que la validité du contrat relève parfois du droit national de
l’État hôte. Ce qui signifie que si en fonction du droit national, le
contrat a été invalidé ou annulé par la voie judiciaire, l’investisseur
ne détiendra plus de droit qu’il pourra prétendre avoir été expro­
prié. Mais il lui appartient de faire valoir ses droits contractuels
devant le forum de règlement prévu par le contrat, qu’il s’agisse des
tribunaux nationaux ou d’un tribunal arbitral statuant uniquement
sur le fondement du contrat. Et si cette option lui est interdite, en
droit ou en fait, il lui est toujours possible d’invoquer devant un tri­
bunal statuant sur le fondement d’un TBI, l’argument selon lequel
la décision judiciaire annulant ses droits contractuels constitue un
déni de justice, ou encore que les termes de la loi qui fut appliquée
pour anéantir ses droits contractuels équivalent à une expropriation
indirecte. Dans ce dernier cas, c’est la décision de justice ou la loi
elle-même qui constituera la mesure éligible. On préserve ainsi la sou­
veraineté de l’État sans laisser l’investisseur complètement démuni
face à l’éventuel arbitraire de son cocontractant étatique. C’est ce qui
ressort de l’affaire R. Azinian c. Mexique, où un contrat de concession
avait été invalidé par les juridictions mexicaines. Dans ce litige, le tri­
bunal a considéré que « there is no complaint against a determination by a
competent court that a contract governed by Mexican law was invalid under
Mexican law, there is by definition no contract to be expropriated »352. Mais
dans le cas d’espèce, l’annulation avait été prononcée pour cause des
fausses déclarations et des documents falsifiés produits par l’investis­
seur pour remporter l’appel d’offres.
En définitive, on retiendra que la protection accordée à l’investis­
sement dans le cadre de l’expropriation indirecte n’a pas pour objec­
tif « to eliminate the normal commercial risks of a foreign investor »353.

349 § 174.
350 Siemens c. Argentine, op. cit., note 116, § 253.
351 J.-M. JACQUET, op. cit., note 355, p. 1130.
352 R. Azinian c. Mexique, op. cit., note 341, § 100.
353 Waste Management II c. Mexique, op. cit., note 99, § 177.

116
L’impact de la clause parapluie
sur la définition de la mesure contractuelle éligible
Les mesures éligibles prises dans le cadre des relations contractuelles
soulèvent une question fondamentale qui a longtemps suscité de
fortes controverses : les contrats d’États. Il ne s’agit pas ici de retra­
cer le débat relatif à l’internationalisation des contrats d’État, débat
qui a produit des écrits remarquables, tant en quantité qu’en qua­
lité354. Mais si cette étude ne porte pas sur cette question complexe et
renouvelée, elle ne peut néanmoins l’occulter entièrement.

•  Les enjeux posés par la clause parapluie


Il est nécessaire de comprendre d’abord en quoi la controverse
sur les contrats d’État s’invite dans la controverse sur la définition
de l’expropriation indirecte355. Il se trouve que la problématique des
contrats d’État renaît sous une nouvelle forme. Il s’agit de la relation
entre ces contrats et une clause insérée dans les traités de protection
des investissements qui impose le respect des engagements contrac­
tuels. Cette clause est généralement désignée par le terme de « clause
parapluie », mais aussi « clause de couverture », ou « clause à effet
miroir »356. On estime qu’environ un quart des TBI contiennent une
clause parapluie. La clause parapluie peut être rédigée de manière
très large comme suit : « chaque Partie contractante respectera toute
obligation qu’elle a assumée à l’égard d’investissements réalisés sur
son territoire par des investisseurs de l’autre Partie contractante »357.
Mais elle peut être plus restreinte comme dans l’exemple suivant :
« each Contracting Party shall observe any contractual obligation it may have
entered into towards as investor of the other Contracting Party with regard to
investments approved by it in its territory »358. La question se pose alors
de savoir si les obligations autres que contractuelles, c’est-à-dire les
engagements unilatéraux comme les codes nationaux d’investisse­
ment ou les permis d’exploitations, sont couvertes.
Schématiquement, par le jeu de cette clause359, toute violation du
contrat devient ipso facto une violation du traité. Le domaine d’appli­
cation et les effets de la clause parapluie sont encore largement dis­

354 Pour ne citer que quelques auteurs, voir P. WEIL, « Problèmes relatifs… »,
op. cit., note 52, pp. 101-240 ; C. LEBEN, « Retour sur la notion… », op. cit., note
173, pp. 247-280, et notamment les nombreuses références citées par ce dernier.
355 Le renouveau des contrats d’État dans le contexte de l’arbitrage mixte
d’investissement a été mis en lumière par J.-M- JACQUET, « Voiçi venu le temps
des traités ! (Quelques réflexions sur sur l’évolution du droit des contrats
d’État) », in La promotion de la Justice, des Droits de l’Homme et du Règlement des
conflits par le droit international, Liber Amicorum Lucius Caflisch, M. G. KOHEN
(dir.), IUHEI, Martinus Nijfoff, Leiden, 2007, p. 1127 et s.
356 En anglais : « umbrella clause », « mirror effect clause », ou « elevator clause ».
357 TBI Afrique du Sud-Belgique, 2002, article 7.2.
358 TBI Autriche-République de Corée, 1991, article 7.2
359 La question est bien plus complexe.

117
cutés dans la doctrine et la jurisprudence360. L’une des questions les
plus controversées est celle de la possibilité et de la pertinence d’une
distinction entre les réclamations fondées sur le contrat (treaty claims)
et les réclamations fondées sur le traité (contract claims) lorsqu’un
litige est porté devant un tribunal arbitral d’investissement sur le
fondement d’un TBI mais en invoquant la violation d’un contrat qui
prévoit déjà son propre forum de règlement de litige361. Certains
auteurs avaient déjà prédit que les clauses relatives au respect des
engagements contractuels insérés dans les TBI allaient « keep interna-
tional lawyers busy with interpretatives argument for a long time »362. Cette
prédiction se vérifie aujourd’hui dans le contentieux arbitral des
investissements363.
En ce qui concerne spécifiquement les rapports entre la clause
parapluie et la définition de l’expropriation indirecte, la question
principale est de savoir si la présence d’une clause parapluie conduit
à transformer toute violation contractuelle en une mesure éligible,
malgré l’affirmation contraire du principe. Autrement dit, la règle
selon laquelle une simple violation contractuelle commise sans
l’usage de prérogatives de puissance publique n’est pas une mesure
éligible, est-elle évincée par la présence d’une clause de respect des
engagements contractuels dans le traité applicable au différend ?

360 Voir pour une étude sur ce sujet, E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI,
vol. 2  : 2004-2010, Paris, Pedone, 2010, pp. 205-215 et 274-284  ; W. BEN
HAMIDA, « La clause relative au respect des engagements dans les traités
d’investissements », in LEBEN C. (dir.), Le contentieux arbitral transnational
relatif à l’investissement : Nouveaux développements, pp. 419-441.
361 La distinction entre « contract claims » et « treaty claims » a été discutée dans
plusieurs sentences arbitrales parmis lesquelles, Noble Venture c. Roumanie, op. cit.,
note 347, §  46-62 ; Lauder c. République Tchèque, op. cit., note 154, § 161-163, Vivendi
I c. Argentine (ARB/97/03), décision sur la demande d’annulation du 3 juillet
2002, §  113 : CMS c. Argentine, sentence du 17 juillet 2003 sur la compétence,
§  80 ; Azurix c. Argentine (ARB/01/12), sentence CIRDI du 8 décembre 2003 sur
la compétence, § 89 ; SGS c. Pakistan (ARB/01/13), sentence CIRDI du 6 août
2003, § 162. Pour une étude de cette question, voir Y. SHANI, « Contract Claims
vs. Treaty Claims : Mapping Conflicts between ICSID Decisions on Multisourced
Investment Claims », AJIL, 2005, vol. 99, n° 4, pp. 835-851.
362 T. WÄLDE, G. NDI, «  Stabilizing international investments commitments  :
international law versus contract interpretation », TJIL, 1996, p. 247 ; cité par W.
BEN HAMIDA, « La clause relative… », op. cit., note 360, p. 53.
363 Il suffit de relever les discussions qui ont suivi les sentences arbitrales
rendues en 2003 et 2004 dans les affaires SGS c. Pakistan, op. cit., note 361,
et SGS c. Philippines, op. cit., note 346. Les deux tribunaux ont effectué des
interprétations divergentes de la clause parapluie. V. les commentaires de E.
GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, Paris, Pedone, 2004, respectivement
pp. 832-834 et pp. 903-905.

118
•  L’absence d’incidence sur la définition
de la mesure contractuelle éligible
Pour une partie de la jurisprudence364 et de la doctrine, la clause
parapluie a pour effet de transformer toute violation du contrat en
une violation du traité. Ainsi, P. Weil, considère que « l’intervention
du traité de couverture transforme les obligations contractuelles
en obligations internationales et assure ainsi (…) l’intangibilité du
contrat sous peine de violer le traité. Toute inexécution du contrat
(…) engage dès lors la responsabilité de ce dernier »365. Par consé­
quent, le fait que la violation contractuelle découle ou non d’un acte
de souveraineté serait sans importance. Il s’agirait donc d’une lex spe-
cialis dérogeant à la règle coutumière selon laquelle un État n’engage
sa responsabilité internationale en violant ses obligations contrac­
tuelles envers une personne étrangère privée, que si cette violation
est également un fait illicite en droit international.
Mais un tribunal au moins est allé dans un sens contraire en consi­
dérant que la clause parapluie, « would have to be considerably more speci-
fically worded before it can reasonably be read in the extraordinarily expansive
manner submitted by the Claimant »366. Cette interprétation fut large­
ment critiquée dans la doctrine comme privant la clause parapluie
de tout effet utile et comme violant les principes élémentaires d’in­
terprétation des clauses conventionnelles clairement rédigées. La
position de la sentence SGS c. Pakistan, qui était de reconnaître dans
le principe un effet élévateur à la clause parapluie tout en exigeant
pour ce faire des conditions particulièrement élevées, est restée un
moment isolée. Néanmoins, deux sentences arbitrales CIRDI sont
récemment allées plus loin. En effet, dans les sentences Pan America
c. Argentine 367 et El paso c. Argentine 368 deux tribunaux arbitraux ont
dénié, par principe, tout effet de transmutation à la clause parapluie.
À notre avis, la clause parapluie n’a pas d’incidence sur la défini­
tion de la mesure contractuelle éligible, quels que soient les effets
juridiques qui lui sont reconnus. En effet, à supposer que la clause
parapluie ait pour effet d’élever les violations contractuelles en vio­
lations du traité, le tribunal arbitral statuant sur le fondement du
traité, ne peut ipso facto considérer une mesure contractuelle comme
éligible au statut d’expropriation indirecte. Deux arguments militent
pour cette conclusion.
En premier lieu, l’effet qui est attribué par la doctrine majoritaire
à la clause parapluie n’est pas de transformer la violation contrac­

364 Voir par exemple SGS c. Philippines, op. cit., note 346, § 128.
365 P. WEIL, « Problèmes relatifs… », op. cit., note 52, p. 124.
366 SGS c. Pakistan, op. cit., note 361, § 171.
367 El Paso Energy International Company c. Argentine (ARB/03/15), sentence CIRDI
du 27 avril 2006 sur la cmpétence, § 86.
368 Pan American c. Argentine (ARB/03/13), sentence CIRDI du 27 juillet 2006 sur la
compétence, § 115.

119
tuelle en une violation de n’importe quelle obligation prévue dans
le traité, mais seulement de la clause parapluie. Concrètement, cela
signifie qu’en face d’une violation contractuelle avérée, un tribunal
arbitral conclura directement à la violation de la clause parapluie
du traité. L’indemnisation qui sera octroyée à ce titre relèvera uni­
quement de la violation de cette obligation. Elle ne devra pas être
confondue avec celle qui peut être octroyée sur le constat que la vio­
lation contractuelle correspond également et de manière autonome
à une violation d’une autre obligation du TBI telle que le traitement
juste et équitable ou l’expropriation. Comme on le sait, une même
mesure étatique peut constituer simultanément une violation d’un
contrat et d’un traité international ; tout comme une violation d’un
contrat n’est pas forcément une violation d’un traité. Par conséquent,
chaque mesure contractuelle, indépendamment de l’existence d’une
clause parapluie dans le traité applicable, devra être examinée sur la
base des critères de qualification de chaque clause substantielle du
traité. Ce n’est donc pas parce qu’une violation contractuelle engage
la responsabilité d’un État en vertu de la clause parapluie, si toute­
fois un tel effet est reconnu à cette dernière, que la même violation
engagera nécessairement sa responsabilité en vertu de la clause d’ex­
propriation indirecte.
En second lieu, reconnaître que la clause parapluie a pour effet
d’effacer, en ce qui concerne la mesure contractuelle d’expropria­
tion indirecte, la distinction entre acte jure gestionii et jure imperii,
revient à supposer qu’en l’absence d’une clause parapluie, aucune
violation contractuelle ne peut équivaloir à une expropriation. Or,
une mesure contractuelle est une « mesure éligible » dans la mesure
où elle relève des prérogatives de puissance publique de l’État
contractant. On peut donc affirmer avec C. Dominicé que « la règle
de respect [des engagements] ne constitue pas un rempart absolu,
car elle s’efface devant la règle relative à l’expropriation »369.
En somme, la mesure contractuelle peut éventuellement violer le
traité par le biais de la clause parapluie et dans ce cas, sa simple exis­
tence suffit à engager la responsabilité internationale de l’État. Mais
en ce qui concerne l’examen du grief d’expropriation indirecte, la
simple existence d’une violation contractuelle ne peut suffire à en
faire une mesure éligible au statut d’expropriation indirecte. Quoi
qu’il en soit, comme n’importe quelle « mesure », une violation
contractuelle acceptée comme éligible n’équivaut pas encore à une
expropriation indirecte. Il faudra encore qu’elle remplisse les autres
critères de qualification.

369 C. DOMINICE, «  la clause CIRDI dans les traités bilatéraux suisses de


protection des investissements » in Im Dienst an der Gemeinschaft, Festschrift für
Dietrich Schindler, Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 1989, p. 465.

120
C. Un enjeu inhérent aux mesures horizontales : les omissions

Le large éventail des mesures éligibles intègre-t-il les omissions de


l’État d’accueil qui peuvent créer un préjudice à l’investisseur étran­
ger, au sens général d’abstention ou d’inaction ? La jurisprudence
se positionne majoritairement pour une réponse affirmative, tandis
que de rares sentences ont rejeté l’admission des omissions. En réa­
lité, il n’y a pas de réelle controverse, car celle-ci repose sur une défi­
nition erronée de l’omission. Par conséquent, il faudra simplement
conclure que les véritables omissions ne sont jamais des mesures éli­
gibles.

L’admission majoritaire des omissions comme « mesures » éligibles


Dans la mesure où les mesures horizontales ne visent pas néces­
sairement l’investisseur en particulier, elles pourraient se résumer
en une simple omission de l’État. Un grand nombre de sentences
arbitrales a reconnu qu’une omission pouvait être constitutive d’une
expropriation indirecte. C’est ainsi que le tribunal dans l’affaire
CME c. République Tchèque a affirmé que « it makes no difference whether
the deprivation was caused by actions or by inactions »370. Dans la sentence
Generation Ukraine c. Ukraine, les arbitres ont recherché si « a govern-
mental action or inaction crossed the line that defines acts amounting to an
indirect expropriation »371. En fait, l’admission des omissions comme
mesures éligibles semble si évidente et unanimement acquise que les
tribunaux ne se donnent même plus la peine de la rappeler et encore
moins de la justifier. On peut citer néanmoins la sentence Euroko
c. Pologne rendue par un tribunal ad hoc. Ce dernier a rejeté l’argu­
ment avancé par la Pologne selon lequel les omissions étaient exclues
du TBI Pologne-Royaume-Uni, aux termes de l’article 5 tel que les
deux États l’avaient négocié. Pour arriver à cette conclusion, le tri­
bunal a cité aussi bien des précédents arbitraux (CME c. République
Tchèque), que les commentaires de l’article 15.1 du projet de la CDI
sur la responsabilité des États372. Ce renvoi aux règles générales de
la responsabilité en droit international se retrouve également dans
la doctrine. Ainsi, pour A. Newcombe et L. Paradell, « although expro-
priation normally arises due to a positive act of a state, rather than an omis-
sion, such as a failure to pay debt or to provide full security and protection,
in principle an omission is conduct attributable to the state and can be an
expropriatory measure »373. Ils ajoutent plus loin que « a basic condition

370 CME c. République Tchèque, op. cit., note 312, § 605.


371 Generation Ukraine c. Ukraine, op. cit., note 264, § 20.29.
372 Euroko c. Pologne, sentence du 19 août 2005, § 185-189.
373 A NEWCOMBE, L. PARADELL, op. cit., note 98, pp. 337-338. Voir dans le
même sens, A. REINISCH, « Expropriation », in P. MUCHLINSKI, F. ORTINO,
Ch H. SCHREUER (éd.), The Oxford handbook of international investment law,
Oxford University press, 2008 p. 446.

121
for State responsibility is that conduct consisting of an action or omission is
attributable to the State under international law »374.
Cette position, bien que séduisante, ignore une limite importante
due aux caractéristiques de la notion d’expropriation. Il est vrai que
l’article 15.1 du projet de la CDI peut être invoqué de prime abord
pour défendre l’admission des omissions. Cet article prévoit que « la
violation d’une obligation internationale par l’État à raison d’une
série d’actions ou d’omissions, définie dans son ensemble comme
illicite à lieu quand se produit l’action ou l’omission qui, conjuguée
aux autres actions ou omissions, suffit à constituer le fait illicite »375.
Sur le fondement de cette règle coutumière, plusieurs auteurs esti­
ment que le rejet des omissions comme mesures potentiellement
expropriantes est contraire au droit international376. Cependant,
l’article 15.1 s’adresse aux faits illicites, c’est-à-dire à des compor­
tements constituant une violation d’une obligation internationale.
Autrement dit, cet article est applicable à des mesures de violation
d’obligations primaires. Or, la mesure d’expropriation indirecte
est un droit souverain, pas une obligation. L’acte d’exproprier n’est
pas un acte pouvant engager la responsabilité de l’État du fait de sa
seule survenance. C’est seulement lorsqu’il ne respecte pas les condi­
tions de licéité requises, que l’État d’accueil auteur de la mesure doit
rendre compte de ses agissements. Le fait générateur de responsabi­
lité n’est donc pas consommé dès l’édiction de la mesure elle-même.
Bien entendu, l’article 15.1 peut trouver application en matière de
responsabilité internationale en cas d’expropriation indirecte, mais
seulement à la phase de vérification des conditions de licéité et une
fois qu’une mesure a déjà été qualifiée d’expropriation. En pratique,
cela signifie que l’État d’accueil peut violer l’une des trois obliga­
tions de licéité par le biais d’une omission. Par exemple, il peut violer
son obligation de non-discrimination par une omission (s’abstenir
de prendre un acte juridique prescrivant un traitement identique
pour les investisseurs nationaux et étrangers qui sont dans une situa­
tion similaire). Mais il est difficile de concevoir l’exercice d’un droit,
d’une faculté d’accomplir un acte ou pas, par le biais d’une omission
(ne pas adopter un acte juridique que l’on a le droit de prendre ou
pas).
L’article 15.1 de la CDI n’est donc pas applicable aux éléments
constitutifs du fait licite qu’est le droit d’exproprier, directement ou
indirectement.

374 M. PELLONPAA, M. FRITZMAURICE, op. cit., note 8, p. 74.


375 CDI, Responsabilité de l’État pour le fait internationalement illicite, A/RES/56/83/ –
12 décembre 2001.
376 Voir par exemple B. KUNOY qui analyse le raisonnement du tribunal
dans l’affaire Olguin c. Paraguay. B. KUNOY, «  Developments in Indirect
Expropriation Case Law in ICSID transnational arbitration », Journal of World
Investment and Trade, Vol. 6, n° 3, juin 2005, p. 482.

122
Le rejet des omissions comme « mesures » éligibles
Au moins une sentence arbitrale a explicitement adopté la position
contraire à la doctrine dominante et a exclu les omissions du champ
des mesures éligibles. Dans l’affaire Eudoro A. Olguin c. Paraguay,
l’investisseur affirmait en substance que « the Republic of Paraguay
and its agencies were negligent in supervising the activities of La Mercan-
til, and this negligence led to the suspension of operations of that financial
institution »377. La Mercantil, un établissement bancaire dans lequel
l’investisseur détenait des parts sociales, avait fait faillite suite à une
crise financière nationale au Paraguay. Le tribunal a rejeté le fait
que les omissions, même importantes, de l’État paraguayen dans la
supervision générale du marché financier et bancaire puissent enga­
ger la responsabilité de l’État pour expropriation indirecte illicite en
ces termes : « expropriation therefore requires a teleologically driven action
for it to occur ; omissions, however egregious they may be, are not sufficient
for it to take place »378. En effet, comme l’a noté le tribunal379, ni le
droit national paraguayen, ni le droit international n’imposent à la
charge d’un État de surveiller étroitement des organismes financiers
dans lesquels il détient des intérêts afin qu’ils ne tombent pas en
faillite, même si une telle attitude est souhaitable. Il fut également
question d’une omission dans l’affaire MTD Equitiy c. Chili 380, même
si le tribunal a éludé la question. En effet, l’investisseur invoquait
l’absence d’un plan de modification d’une zone agricole en zone à
bâtir devant lui permettre de réaliser son projet immobilier. Préten­
dant avoir reçu des assurances en ce sens des autorités gouvernemen­
tales, l’investisseur qualifiait la non-édiction du nouveau plan, de
mesure d’expropriation indirecte. Le tribunal n’a pas suivi l’inves­
tisseur, notamment parce que ce défaut d’action relevait plus d’un
traitement injuste et inéquitable. Mais on peut aussi y voir, comme l’a
relevé S. Manciaux, la conséquence de l’absence d’une mesure dans
le sens d’un acte extériorisé381. Ce dernier regrette notamment le fait
que dans cette affaire, l’investisseur ait « englob[é] dans une même
hypothèse le défaut et le refus de délivrance du titre nécessaire »382.
Pour cet auteur, un défaut d’action, qu’il qualifie d’abstention, ne
peut jamais être une mesure éligible. À l’appui de sa démonstration,
il cite les actes de pillage et de destruction dans l’affaire AMT c. Zaïre.
C’est une explication défendable, mais il semble plus opportun d’en­
visager cette dernière affaire sous l’angle du défaut d’imputabilité
des mesures litigieuses à l’État zaïrois. En effet, les actes invoqués

377 Eudoro A. Olguin c. Paraguay (ARB/98/5), sentence CIRDI du 26 juillet 2001,


pp. 143 et s., § 64.b.
378 Ibidem, § 84.
379 Ibid, § 74.
380 MTD Equitiy c. Chili (ARB/01/7), sentence CIRDI du 25 mai 2004.
381 S. MANCIAUX, « Les mesures équivalentes … » op. cit., note 307, pp. 78-79.
382 Ibidem, p. 78.

123
dans ce litige étaient extériorisés (pillage et destructions de locaux),
mais du fait qu’ils furent perpétrés par de simples individus, il fallait
pouvoir les imputer à l’État hôte ; constatation à laquelle n’est pas
parvenu le tribunal.
Bien qu’elle soit minoritaire, la thèse du rejet des omissions est en
parfaite adéquation avec le phénomène de l’expropriation indirecte
qui requiert une manifestation de volonté extériorisée. L’expropria­
tion indirecte se caractérise par une interférence avec les droits de
l’investisseur. Et qui dit interférence, dit aussi une volonté agissante.
On conçoit mal un État interférant avec des droits protégés en se
contentant de ne rien faire. Certes, ce dernier peut causer un pré­
judice à un investisseur par le biais de son inaction, mais cela relève
d’autres standards de protection prévus dans les TBI tels que celui
d’apporter une pleine protection et sécurité à l’investisseur contre
les préjudices portés à ses biens. Dans de telles situations, comme
le notait d’ailleurs M. Sornarajah, « the omission to act could have
consequence that is akin to taking. […] »383. Mais, en réalité, « the matter
will be dealt with as a failure to provide the requisite treatment rather than
as a taking of property »384. De surcroît, il est assez difficile d’imaginer,
surtout pour une expropriation indirecte résultant d’une mesure
générale dont l’effet préjudiciable peut être fortuit ou accidentel,
qu’une omission puisse engager la responsabilité de l’État.
Toutefois, les deux positions ne sont pas irréconciliables. En réa­
lité, il s’agit moins d’une divergence de fond que d’un malentendu
sur l’objet même de la controverse. Les deux thèses désignent en
effet la même chose, mais utilisent des termes différents.

La réconciliation des thèses par une définition rigoureuse de l’« omission »


Il est impossible de discuter de la pertinence de l’admission des
omissions comme mesures éligibles d’expropriation indirecte, tant
que l’on n’a pas convenu de la signification de ce terme à la simpli­
cité trompeuse.

•  La distinction entre actes négatifs et omissions


Dans un article publié en 1906, D. Anzilloti scindait l’élément
matériel de l’acte internationalement illicite en deux hypothèses :
« un acte positif : une action au sens précis du mot, ou un acte néga­
tif : une omission »385, avant de définir l’omission comme « ne pas
faire ce qui est ordonné ». Ainsi comprise, la violation de l’obliga­
tion de prudence et de diligence, par exemple, peut être qualifiée
d’omission parce que l’État a refusé d’interdire, d’empêcher ou de

383 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 404.


384 Ibidem.
385 D. ANZILOTTI, «  La responsabilité internationale des États à raison des
dommages soufferts par des étrangers », RGDIP, 1906, p. 14.

124
réprimer des faits comme il lui incombe au regard d’une règle cou­
tumière internationale.
Pourtant, selon les circonstances, un acte négatif n’est pas toujours
identique à une omission. L’acte négatif suppose une volonté externe
de ne pas faire ce qui est ordonné, mais l’omission peut se résumer
à une inaction pure et simple quant à ce qui est prescrit ou pas. Il
faut rappeler que la réalisation d’un fait internationalement illicite
suppose au préalable qu’une obligation primaire ait été violée. Dans
le cas de la violation de l’obligation de diligence par un État, il y
a manquement ou refus exprès de se conformer à une obligation
internationale : rendre légalement illicite, prévenir, et poursuivre
des agissements préjudiciables envers les étrangers et leurs biens sur
son territoire.
Cette assimilation d’une omission à un acte négatif n’est pas trans­
posable au processus de qualification d’une expropriation indirecte
qui concerne un acte licite à priori. À ce niveau, une démarcation
s’impose entre l’omission proprement dite et l’acte négatif. Pour ce
faire, certains termes doivent d’abord être clairement définis.
L’acte négatif est un acte extériorisé qui peut s’exprimer par un
refus ou le rejet d’une demande quelconque de l’investisseur386.
Ainsi, quel que soit le support utilisé pour l’édiction d’une mesure,
celle-ci s’exprimera par deux voies possibles : la mesure sera soit un
acte positif, soit un acte négatif. Par acte positif, il faut entendre ici
un acte d’octroi d’une prérogative quelconque et par acte négatif, un
acte de refus d’une prérogative quelconque. L’acte positif est l’acte
par lequel l’État accorde, prescrit ou autorise. L’acte négatif est celui
au contraire par lequel il interdit, refuse, annule ou restreint. Que la
mesure soit positive ou négative, elle est ici traduite par un acte juri­
dique, donc une conduite, une manifestation de volonté extériorisée
destinée à produire des effets de droit.
L’omission au sens strict est une simple abstention, une inaction,
en l’absence d’une requête spécifique de l’investisseur se prévalant
d’un droit ou d’une obligation d’agir à la charge de l’État. Mais sou­
vent, le refus d’accorder une autorisation est vu comme une omis­
sion, alors qu’il s’agit d’un acte négatif.

•  Les actes négatifs et les omissions


dans le contentieux de l’expropriation indirecte
Une analyse approfondie de la jurisprudence majoritaire montre
que les tribunaux désignent à la fois les véritables inactions et absten­
tions de l’État et ses actes négatifs par le terme « omissions ».

386 Comme l’explique S. MANCIAUX, « le refus de délivrance s’exprime dans une
décision communiquée au demandeur, et peut donc constituer une mesure, alors que
l’abstention ne se manifeste, par définition, par aucun acte ou action susceptible d’être
qualifiée de mesure ». S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage…, op. cit.,
note 1, p. 78.

125
Ainsi, dans l’affaire Biloune c. Ghana, le tribunal est arrivé à la
conclusion qu’une série d’actes et d’omissions du gouvernement
ghanéen avait menée à une expropriation progressive387. Or, aucune
véritable omission de l’État ne peut être isolée dans le raisonnement
du tribunal sur l’expropriation indirecte. En l’espèce, le gouverne­
ment avait refusé d’octroyer un permis de construire, puis ordonné
l’arrêt des travaux en cours, une partie des constructions fut démolie
avant que M. Biloune ne soit arrêté puis expulsé du territoire. Ce
sont donc des actes positifs et négatifs qui furent, en toute logique,
examinés sous l’angle de l’expropriation indirecte par le Tribunal388.
De même, dans la sentence CME c. République Tchèque, les précédents
cités par le tribunal pour confirmer sa prise en compte des omis­
sions se révèlent être des exemples de refus de poser un acte389. Ce
fut également le cas dans plusieurs affaires où l’investisseur invo­
quait une incurie de l’État, et reprochait à ce dernier de n’avoir pas
pris les mesures nécessaires pour contrecarrer les comportements
de l’une de ses collectivités locales ou d’individus ayant mis l’inves­
tissement dans une situation périlleuse. Mais l’examen des faits
montre des actes extériorisés posés directement par l’État ou l’un
de ses organes. Ainsi, dans l’affaire Wena Hotels c. Égypte, un orga­
nisme public procéda à la saisie et à l’occupation des hôtels gérés par
l’investisseur avec l’aide de l’armée, avant de nommer des gérants
locaux dans l’entreprise concernée. Il s’agissait bien d’actes positifs
émanant d’un organe qui furent ensuite imputés à l’État. On arrive à
la même conclusion en examinant de près les exemples que certains
auteurs citent à l’appui de leur démonstration en faveur de l’accueil
des omissions390. Ainsi, pour A. Newcombe et L. Paradell, « if an inves-
tor were to build a chemical production facility in accordance with host State
law and the host state refused to issue the applicable operational, business or
work permits or other regulatory approvals in order to allow the plant to ope-
rate, that could be considered expropriatory »391. Cet exemple correspond
encore à un refus, donc à un acte extériorisé. Ces auteurs, comme
ces tribunaux, envisageaient en réalité des actes négatifs lorsqu’ils
désignaient des omissions.
La contradiction n’était donc qu’apparente. Les « fausses » omis­
sions furent accueillies, car il s’agissait d’actes extériorisés, mais

387 Biloune c. Ghana, op. cit., note 69, p. 210.


388 La même analyse peut être faite de l’affaire Benvenuti & Bonfant c. Congo
(ARB/77/2), sentence CIRDI du 8 août 1980, ICSID Report, vol. 1, 1993, pp. 330
et s. Dans cette affaire, les mesures relevaient d’actes positifs et négatifs, mais
pas d’omissions, même si le tribunal a pris en compte les omissions dans ses
conclusions.
389 CME c. République Tchèque, op. cit., note 312, § 605. Le tribunal a cité comme
références jurisprudentielles les sentences Biloune c. Ghana, op. cit., note 69, et
International Technical Products Corp. c. Iran (1985), 9 Iran-US CTR, p 239.
390 Voir également A. REINISCH, op. cit., note 373, pp. 426-427.
391 A. NEWCOMBE, L. PARADELL, op. cit., note 98, pp. 337-338.

126
négatifs. Au contraire, les véritables omissions, c’est-à-dire les inac­
tions de l’État en l’absence d’une obligation de faire, sont générale­
ment rejetées. En effet, les rares véritables omissions ne furent pas
accueillies comme mesures éligibles dans les affaires CIRDI, comme
le montre la sentence E. A. Olguin c. Paraguay précitée.

L’indispensable rejet des véritables omissions comme mesures éligibles


La confusion d’ordre sémantique entre omissions et actes négatifs
peut inutilement parasiter le processus de qualification de l’expro­
priation indirecte. Deux aspects peuvent être relevés à ce propos.
En premier lieu, selon que l’on examine un acte extériorisé négatif
ou une véritable omission, le raisonnement n’est pas le même. S’il
s’agit d’un acte négatif, on sera en face d’une mesure éligible comme
une autre ; mesure dont il faudra vérifier d’abord l’imputabilité à
l’État d’accueil avant de lui appliquer les critères de qualification
d’une expropriation indirecte. Mais pour une omission, un bascule­
ment est possible vers la violation des standards de traitement de l’in­
vestisseur tels que le traitement juste et équitable ou l’obligation de
prudence et de diligence. Dans ce dernier cas, les tribunaux peuvent
examiner une responsabilité résiduelle de l’État du fait de son inac­
tion face aux comportements de ses ressortissants. Par conséquent,
ce n’est pas une responsabilité pour expropriation indirecte illicite
qui sera en jeu, mais bien la violation des standards de traitement
dus à l’investisseur. Par exemple, dans l’affaire AALP c. Sri Lanka,
la responsabilité de l’État fut finalement examinée à la lumière de
la pleine protection et sécurité prévue par le TBI qui, parce qu’elle
traduit l’obligation générale de prudence et de diligence de l’État en
droit coutumier, inclut les omissions. Une expropriation en tant que
telle ne fut donc pas invoquée, et à juste titre392.
Il n’est pas rare pourtant que l’expropriation indirecte et l’obli­
gation de diligence à la charge des États soient superposées dans le
raisonnement de certains tribunaux. Ainsi, la première chambre du
tribunal irano-américain, affirmait-elle dans l’affaire Mohsen Asghari
Nazari, que « in International Law of State Responsibility and in the case
law of international tribunals, the principle that the liability of a State can
arise through an act or omission, especially when the State has the duty to

392 Voir dans le même sens, les faits dans les affaires, American Machine Tools (AMT)
c. Zaïre, op. cit, note 25 ; et Tradex Hellas c. Albanie (ARB/94/2), sentence CIRDI
du 29 avril 1999. Dans la première affaire, les manquements de l’État à son
obligation de diligence furent examinés à la lumière des obligations imposées
par le TBI, mais à l’exclusion de l’expropriation. Dans la seconde affaire, le
tribunal n’a pas eu à examiner l’obligation de la pleine protection et sécurité,
qui était exclue du consentement de l’Albanie dans la clause d’arbitrage de
la loi de 1993 applicable au litige. Certes, le tribunal a considéré l’existence
de mesures éligibles d’expropriation avant de les considérer comme non
imputables à l’État, mais une telle inquisition n’était pas nécessaire.

127
act but failed to do so, has long since been recognized »393. Le tribunal pré­
cisait ensuite qu’il fallait au préalable la preuve d’une obligation
d’agir dans le cas d’espèce, pour que les omissions et inactions de
l’État puissent engager sa responsabilité. Ce raisonnement est adé­
quat, sauf qu’il n’avait pas de place dans la phase de recherche d’une
expropriation indirecte. La violation de l’obligation de diligence
n’est pas l’expropriation indirecte. Dans le cas d’espèce, le plai­
gnant, actionnaire minoritaire, reprochait à l’Iran de n’avoir pas pris
les mesures nécessaires au sein du conseil d’administration d’une
société dans laquelle l’État était devenu actionnaire majoritaire,
pour sauver ladite société de la banqueroute. Le tribunal a conclu
que la situation d’actionnaire majoritaire ne créait pas une obliga­
tion d’interférer dans le conseil d’administration. À supposer que
cette obligation soit en effet inexistante394, cette conclusion aurait dû
amener le tribunal à considérer qu’il n’y avait tout simplement pas de
mesure éligible d’expropriation indirecte. Ce n’était donc pas parce
qu’une obligation d’ingérence n’existait pas que l’omission n’était
pas expropriante. C’est plutôt parce qu’il n’y avait pas de mesure
étatique, au sens d’acte extériorisé négatif, que toute investigation
devenait superflue. Les éléments d’un traitement injuste et inéqui­
table semblaient au contraire réunis dans ce différend395.
En second lieu, l’admission ou le rejet des omissions est une ques­
tion cruciale lorsque des mesures d’ordre général ne visant même
pas directement l’investisseur sont en jeu. En effet, une mesure
ciblée ne peut jamais consister en une omission. Cibler un investis­
seur suppose automatiquement une manifestation extériorisée de
volonté, qu’elle se solde par un refus de poser un acte ou par l’accom­
plissement d’un acte particulier. Par contre, de véritables omissions
peuvent être considérées à tort comme des mesures d’ordre général
ayant des effets équivalent à une expropriation. Les conditions géné­

393 Mohsen Asghari Nazari c. Iran, sentence du 24 aout 1994, Iran-US CTR, vol 30,
p. 123 et s., § 125.
394 Dans son opinion dissidente, le juge HOLTZMANN a trouvé qu’en tant
qu’actionnaire majoritaire, l’État était tenu d’agir pour administrer l’entreprise
de manière prudente afin de sauvegarder les intérêts de l’ensemble des
actionnaires. Mohsen Asghari Nazari c. Iran, op. cit., opinion dissidente du Juge
HOLTZMANN, § 130.
395 Dans les faits, l’État iranien avait le contrôle d’une société (ISIRAN) qui devait
une importante créance à la société où l’investisseur détenait des parts sociales
(SKBM). Suite à la révolution, ISIRAN a renoncé aux services de SKBM mais
sans procéder au paiement de sa dette antérieure. Dans le même temps, la
société SKBM, dans laquelle l’État était devenu actionnaire majoritaire, n’a pris
aucune mesure pour recouvrer sa dette qui constituait à l’époque la principale
richesse de la société. ISIRAN étant détenu à 100 % par l’Iran et SKBM à 57 %
seulement, on peut imaginer que l’État ait choisi de garder une somme dans la
première société plutôt que de la transférer dans la seconde où elle aurait dû
être partagée avec les autres actionnaires.

128
rales favorables à l’investisseur peuvent être altérées, soit parce que
l’État a pris une mesure préjudiciable ou à refuser de prendre une
mesure spécifique qui aurait avantagé l’investisseur, soit en raison
de perturbations internes du marché alors que l’État n’est pas inter­
venu comme l’investisseur l’aurait souhaité. Mais alors que dans le
premier cas, une mesure a été édictée, dans le second cas, aucun acte
extériorisé ne peut être invoqué comme ayant entraîné une expro­
priation indirecte.
En définitive, seuls les actes positifs et négatifs sont des mesures
éligibles. Il faudra écarter les véritables omissions du champ des
mesures éligibles. Cela dit, toute « mesure » litigieuse doit être impu­
table à l’État d’accueil.

§ 2 – L’imputabilité de la mesure éligible à l’État d’accueil

L’imputabilité est définie comme le procédé de « rattachement de


la conduite d’un sujet interne à un sujet international, aux fins de
détermination de la responsabilité »396. Pour être imputable à un État,
un fait doit avoir suffisamment de liens avec ce dernier, et notam­
ment avec les activités relevant des prérogatives qu’il détient en vertu
de sa souveraineté. En ce sens, l’imputabilité « n’est donc pas autre
chose que la conséquence du rapport de causalité qui existe entre
un fait contraire au droit et l’activité de l’État dont ce fait émane »397.
Cela implique que « l’expropriation indirecte ne peut exister et être
reprochée à l’État qu’à partir du moment où les agissements qui ont
conduit à la perte ou à la diminution de valeur de l’investissement
peuvent lui être rattachés d’une manière ou d’une autre »398. Les tri­
bunaux d’arbitrage Investisseur-Etat ont recours aux critères de rat­
tachement coutumiers tels qu’ils ressortent des travaux de la CDI sur
la responsabilité des États pour fait internationalement illicite (A),
et les appliquent directement sans tenir compte de la spécificité de
l’expropriation qui est un acte souverain licite a priori (B).

A. Le recours au droit international coutumier de la responsabilité

En matière d’expropriation indirecte, les tribunaux se réfèrent sim­


plement aux règles coutumières du droit international. Le projet de
la CDI sur la responsabilité internationale des États pour fait illicite
(ci-après le Projet de la CDI), est considéré comme reflétant le droit
coutumier en la matière. C’est ainsi que le tribunal dans l’affaire Azu-
rix c. Argentine rappelait que « the Draft Articles, […], are the best evidence of
such acceptance and as such have been often referred to by international arbitral

396 J. COMBACAU, S. SUR, Droit international Public, Paris, Montchrestien, 2008, 8e


éd., p. 539.
397 D. ANZILOTTI, op. cit., note 385, p. 291.
398 E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, op. cit., note 563, p. 522.

129
tribunals in investor-State arbitration (…) »399. Aux termes des articles 4
à 11 du projet de la CDI, il existe trois catégories de moyens d’imputer
une mesure à l’État d’accueil de l’investissement400.

Les critères de rattachement structurels et fonctionnels


Le premier moyen d’imputation regroupe les critères de rattache­
ment structurels/organiques et fonctionnels. Ces critères permettent
donc d’imputer directement à l’État, les actes des organes et des enti­
tés ayant un rapport organique et/ou fonctionnel (prérogatives de
puissance publique) avec l’appareil étatique (article 4 et 5 CDI). Ce
sont d’une part les actes législatifs, règlementaires ou juridictionnels,
mais aussi les actes des collectivités territoriales, des subdivisions, et
des entités décentralisées (critère structurel). Ce sont d’autre part,
les actes des entités habilitées à exercer des prérogatives de puis­
sance publique pour des missions de services publics sans relever de
la structure étatique (critère fonctionnel). Tel est le cas des socié­
tés dans lesquelles l’État détient des parts sociales lorsqu’elles ont
des activités jure imperii. Comme l’a bien résumé le tribunal dans
l’affaire LESI c. Algérie : « [d’]après le droit international, le compor­
tement d’une entité est considéré comme un fait de l’État s’il émane
d’un organe qui exerce des fonctions législative, exécutive, judiciaire
ou autres. De plus, le comportement d’une entité qui n’est pas un
organe de l’État jouissant des fonctions mentionnées à l’article 4
peut néanmoins être considéré comme le fait d’un État si cette entité
est habilitée à exercer des prérogatives de puissance publique et si
elle a agi en l’espèce en cette qualité »401.
L’imputation des actes d’organes et entités à l’État par le biais des
critères structurel et fonctionnel ne pose généralement pas de pro­
blèmes. Dans d’autres différends, où l’armée était impliquée au titre
de ses missions de service public, il fut généralement aisé d’attribuer
ses agissements à l’État comme dans les affaires AALP c.  Sri Lanka (pil­
lage, destruction d’une usine sur instruction du gouvernement)402,
ou Wena Hotels c. Egypte (occupation et détérioration de deux hôtels
pour appliquer une décision de mise en demeure).
Pour engager la responsabilité de l’État, l’organe ou l’individu en
question doit également avoir agi dans le cadre de ses fonctions, de
ses compétences officielles ou de sa mission de service public. Ainsi,
dans l’affaire Amco Asia c. Indonésie, le tribunal a estimé que les actes
litigieux de l’armée nationale (qui est pourtant un organe de l’État)
n’étaient pas directement imputables à l’État, car l’armée avait agi

399 Azurix c. Argentine, op. cit., note 115, § 50.


400 L’article 3 du projet de convention de l’OCDE de 1961 reprend essentiellement
les mêmes principes dans le contexte particulier des dommages causés aux
étrangers et à leurs biens.
401 Amco Asia c. Indonésie, op. cit., note 82, § 104.
402 Le tribunal ne se fondait pas sur un TBI, mais sur une loi nationale.

130
dans un intérêt privé propre à travers la gestion d’un fonds auto­
nome de retraite. Il est toutefois imputé à l’État les actes ultra vires
de ses agents, organes et démembrements qui sortent des limites de
leurs compétences ou abusent des pouvoirs qui leur sont conférés,
lorsqu’ils ont été posés dans le cadre de leurs fonctions et non de
leur vie privée (article 7 CDI)403. En application du principe fonda­
mental du défaut de pertinence de l’organisation interne de l’État
au regard du droit international (article 4.1 CDI), « l’État assume donc
tous les actes qui émanent ou semblent émaner de lui »404. Ce qui inclut
aussi les actes des fonctionnaires de fait. Les mesures horizontales
sont généralement issues des plus hautes instances étatiques (gouver­
nement ou parlement), tandis que la plupart des mesures verticales
sont souvent le fait des organes et subdivisions étatiques ou des socié­
tés publiques qui sont directement en relation avec les investisseurs
privés étrangers405.

Le critère de rattachement par le biais du contrôle


Le second moyen d’imputation concerne les actes des personnes
privées physiques ou morales qui n’ont pas de lien structurel ou fonc­
tionnel avec l’État, mais agissent « en fait sur les instructions ou les direc-
tives ou sous le contrôle de l’État » (article 8). C’est le critère du contrôle.
Il s’applique aux actes des mouvements insurrectionnels pour autant
qu’ils parviennent au pouvoir, et des agissements des individus ou
groupes d’individus sur instruction de l’État ou endossés par lui a
posteriori. Sur cette question, une divergence existe quant au niveau
de contrôle requis. Faut-il un contrôle strict et étroit comme l’a exigé
la CIJ dans l’affaire Nicaragua c. États-Unis de 1986406 ? Ou faut-il sim­

403 Cette règle fut appliquée dans l’affaire Noble Ventures c. Roumanie, op. cit., note
347, § 81, en ces termes : « Even if one were to regard some of the acts of SOF or APAPS
as being ultra vires, the result would be the same. This is because of the generally recognized
rule recorded in Art. 7 2001 ILC Draft (…) ». 
404 B. STERN, « La responsabilité internationale des États : perspectives récentes »,
in Cursos Euromediterraneen Bancaja de Derecho Internacional, Pamploma, Vol. 7,
2003, p. 671.
405 Pour ce qui est des organes de l’État, on peut citer Middle Est Cement c. Egypte,
op. cit., note 158, (décret ministériel) ; A. Goetz c. Burundi, op. cit., note 48,
(révocation de certificat de zone franche signé par le ministre compétent) ;
Wena hôtel c. Egypte, op. cit., note 63, (retrait de licence et résiliation de contrat
par une agence sous tutelle du ministère du Tourisme). Pour ce qui est des
collectivités territoriales ou des institutions autonomes, on peut citer les affaires
Metalclad c. Mexique, op. cit., note 56, (ordre d’arrêt des travaux et refus de
délivrer le permis de construire par la municipalité de Guadalacazar, puis arrêté
écologique par l’État fédéré de San Lui Potosi) ; Tecmed c. Mexique, op. cit., note
121, (annulation d’un permis d’exploitation par l’Institut national d’écologie) ;
LESI c. Algérie, op. cit., note 54, (résiliation d’un contrat de construction par
l’Agence Nationale des Barrages).
406 Dans cette affaire, malgré les preuves d’un soutien des États-Unis aux Contras
(opposants nicaraguayens au régime sandiniste), par des financements et une

131
plement un contrôle global plus souple comme dans l’affaire Tadic,
du 15 juillet 1999 devant le Tribunal international pénal pour l’ex-
Yougoslavie dans le second jugement rendu par la chambre d’ap­
pel407 ? La question est intéressante et complexe à plus d’un titre,
même si l’analyse des sentences arbitrales d’investissement ne per­
met pas de déterminer clairement la position des tribunaux. Cela
peut s’expliquer en partie par l’existence d’une clause dans les TBI
qui prévoit une indemnisation autonome pour les pertes subies lors
de conflits armés et de troubles internes. Cette clause dénommée,
« compensations pour pertes » ne nécessite pas l’imputabilité des
actes dommageables à l’État, mais exige simplement que l’indemni­
sation de l’investisseur protégé par le TBI soit alignée sur le traite­
ment accordé aux nationaux et/ou aux autres étrangers ayant subi
également des pertes dans le même contexte sur le territoire.
Toutefois, certains tribunaux ont eu à appliquer le critère du
contrôle dans le contentieux de l’expropriation indirecte. Dans
l’affaire Alfred L. W. Short devant le Tribunal irano-américain, les
arbitres ont refusé d’attribuer les actions d’individus ayant expulsé
le plaignant hors de l’Iran, à l’État. Pour le tribunal, les individus
en question étaient de simples partisans spontanés de la révolution
ayant fait preuve de zèle en dehors d’instructions spécifiques : « the
acts of supporters of a revolution cannot be attributed to the government fol-
lowing the success of the revolution just as the acts of supporters of an existing
government are not attributable to the government »408. Dans l’affaire Sche-
ring devant le même tribunal irano-américain, la question s’est posée
à propos des agissements du Conseil des travailleurs au sein d’une
entreprise. Bien que ce conseil ait été mis en place sur décision du
gouvernement, le tribunal a trouvé qu’il n’avait pas agi sous instruc­
tions et ne faisait que défendre les intérêts privés de ses membres409.
Par contre, lorsque des milices privées reçurent l’aval ou le soutien des

assistance technique à leurs opérations sur le terrain, la Cour a refusé d’at­


tribuer leurs actions aux États-Unis sur le fondement que le contrôle n’était
pas suffisamment étroit. Voir CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua
et contre celui-ci (Nicaragua/États-Unis), décision sur le fond du 27 juin 1986,
Rec. 1986, § 93-122.
407 Dans l’affaire Tadic, pour décider si le conflit avait un caractère international, il
fallait d’abord pouvoir attribuer les actions des entités armées se réclamant de la
Serbie à la Yougoslavie (Serbie-Monténégro). Pour ce faire, le tribunal a retenu
le critère du « contrôle global ». Tadic, TPIY, arrêt du 15 juillet 1999, § 68-162.
408 Alfred L. W. Short, 4 juillet 1987, Iran-US CTR, 1987, vol. 16, pp. 84-85, § 33-34.
Le tribunal cite l’article 15, § 3 et 4 du projet de la CDI et l’affaire du personnel
diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran.
409 Schering Corporation c. Iran, 13 avril 1984, Iran-US CTR, 1984, vol 5, pp. 370-
371. Le plaignant reprochait au conseil des travailleurs d’avoir empêché son
entreprise de vendre des produits pharmaceutiques et de recouvrir certaines
dettes qui lui étaient dues. Pour lui, le syndicat avait agi sur encouragement
du ministre iranien du Travail et du Commerce, mais le tribunal ne fut pas
convaincu par les preuves apportées en ce sens.

132
nouvelles autorités ou furent officiellement intégrées dans les struc­
tures administratives de l’État, leurs actions postérieures devinrent
alors imputables à l’État. Ce fut le cas dans l’affaire Kenneth P. Yeager,
dans laquelle les actes d’un comité révolutionnaire local dénommé
Komitheh furent attribués à l’État au motif que « soon after the victory
(…) the Komitehs, contrary to other groups, obtained a firm position within
the State structure (…) by decree under the name of Revolutionary guard »410.
Dans d’autres affaires devant les tribunaux CIRDI, les actes d’indi­
vidus non identifiés ne purent être imputés à l’État (AMT c. Zaïre ou
Tradex Hellas c. Albanie).
Les actes posés par des personnes privées physiques ou morales
sans lien structurel avec l’État peuvent difficilement correspondre à
des mesures générales qui touchent indifféremment tous les opéra­
teurs économiques. C’est pourquoi les mesures verticales sont typi­
quement celles qui sont imputées à l’État par ce biais411.

Le critère résiduel de rattachement


Le troisième et dernier moyen de rattachement concerne les actes
des ressortissants agissant en dehors de tout lien quelconque avec
l’État d’accueil, mais dont ce dernier doit répondre à raison de son
obligation de prudence et de diligence. Cela signifie que l’État d’ac­
cueil de l’investissement devra répondre des agissements d’individus
ou d’entités dont les actes ne peuvent pas lui être imputés sur la base
des critères structurels, fonctionnels et du contrôle, parce qu’il n’a
pas fait preuve de diligence pour les prévenir, les faire cesser ou les
réprimer. En réalité, il ne s’agit pas véritablement de lui imputer les
faits d’un agent, d’un organe, ou d’une entité quelconque. Il s’agit
plutôt d’une violation directe par l’État de son obligation de garan­
tir une présence paisible aux ressortissants des autres États sur son
territoire en prohibant, poursuivant et réprimant les auteurs d’agis­
sements qui leur sont préjudiciables. Cette obligation de diligence
est une règle coutumière classique de droit international, corollaire
de la souveraineté territoriale, comme l’a exprimée la sentence arbi­
trale Ile de Palmas en 1928412. Elle est parfois qualifiée de « responsabi-
lité résiduelle »413.
Certains tribunaux ont eu recours à ce critère de rattachement,
alors même qu’il était inutile en l’espèce. Dans l’affaire Nykomb

410 Kenneth P. Yeager c. Iran, op. cit., note 97, § 39-40.


411 Pour une application plus récente des critères structurels, fonctionnels et du
contrôle, voir l’affaire EDF (service) Limited c. Roumanie (ARB/05/13), sentence
CIRDI du 30 septembre 2009. Cette affaire est par ailleurs intéressante en
raison des allégations de corruptions alléguées pour une fois par un investisseur
et non par l’État d’accueil.
412 Sentence Ile de Palmas, op. cit., note 18, p. 839.
413 B. STERN, « La responsabilité internationale des États… », op. cit., note 404,
p. 688.

133
c. Lettonie, un tribunal ad hoc, statuant sur le fondement de la Charte
européenne de l’énergie, a procédé à la recherche de cette respon­
sabilité résiduelle. C’est ainsi qu’en examinant les violations contrac­
tuelles de la société, le tribunal est arrivé à la conclusion que : « the
breach of Windau’s contractual rights was allowed to continue, and in that
sense was caused, by the government’s failure to act in order to correct the
situation »414. Pourtant, le tribunal avait également constaté que les
actes de la société étaient déjà directement imputables à l’État dans
la mesure où celle-ci « cannot be considered to be, or to have been, an inde-
pendent commercial enterprise, but clearly a constituent part of the Republic’s
organization of the electricity market and a vehicle to implement the Repu-
blic’s decisions concerning the price setting for electric power »415. Le critère
fonctionnel était donc satisfait. Le même amalgame semble ressortir
de la sentence Wena Hôtel, lorsque le tribunal y affirma que « (…) whe-
ther or not it authorized or participated in the actual seizures of hotels, Egypt
deprived Wean of its “Fundamental rights of ownership” by allowing EHC
forcibly to seize the hotels, to possess them illegally for nearly a year, and to
return the hotels stripped of much of their furniture and fixtures. (…)»416. Ici
encore, une telle déclaration n’était pas nécessaire, car les actes en
cause étaient directement imputables à l’État.
Corrélativement aux arguments pour l’exclusion des omissions, la
violation de l’obligation de due diligence ne relève pas de l’expro­
priation indirecte.

B. L’application inadaptée d’un moyen


d’imputabilité à la mesure d’expropriation indirecte

Les problèmes de rattachement d’un acte à l’État ne résident


assurément pas dans les actes de ses organes et subdivisions. Dans
ces situations, l’attribution de leurs mesures à l’État d’accueil est si
évidente que les tribunaux arbitraux n’y consacrent généralement
pas de développements. Nul ne s’étonnera donc que dans l’affaire
Oscar Chinn devant la CPJI, la Cour ait simplement constaté que « tel
qu’il se présente, l’acte du ministre est un acte gouvernemental (…) »417. En
général, l’État défendeur dans le litige ne soulève pas d’objections
sur ces éléments. Les difficultés surgissent quand une société,
ayant des liens avec l’État, sans être formellement intégrée dans la
structure étatique, est impliquée dans le différend. C’est souvent le
cas des litiges ayant pris naissance dans une relation contractuelle
avec une société commerciale. Lorsque le rattachement avec l’État
n’est pas possible, sur la base du critère structurel, fonctionnel, ou

414 Nykomb Synergetics Technology Holding AB, Stockholm c. Lettonie, Chambre de


Commerce de Stockholm, sentence du 16 décembre 2003, p. 30, § 5.
415 Ibidem, p. 31, § 3-4.
416 Wena Hôtel c. Egypte, op. cit., note 63, § 99.
417 Oscar Chinn, op. cit., note 105, p. 77.

134
du contrôle, les tribunaux ne devraient-ils pas recourir au critère
de rattachement résiduel ?
Dans l’analyse de l’expropriation directe comme indirecte, le
recours à la responsabilité pour violation de l’obligation de dili­
gence n’est pas indiqué. En effet, subséquemment à l’exclusion des
omissions du champ de la mesure éligible, la violation de l’obligation
de prudence et de diligence ne relève pas de l’expropriation, mais
d’autres obligations prévues dans les TBI. En d’autres termes, l’État
d’accueil ne peut pas exproprier, même indirectement un investis­
seur étranger, en omettant de se conformer à une autre de ses obliga­
tions internationales. Il ne peut exercer un droit (celui d’exproprier)
du fait qu’il a omis de se conformer une de ses obligations (obligation
de due diligence). En réalité, lorsqu’un tribunal en vient à devoir
considérer le critère résiduel de rattachement d’un acte, cela signifie
probablement qu’il a pris en compte une véritable omission de l’État
d’accueil comme « mesure éligible ». Il est donc logique qu’une fois
au stade de l’évaluation de l’imputabilité de cette « fausse » mesure éli-
gible, les critères structurels, fonctionnels et du contrôle soient insuf­
fisants. Il n’est simplement pas possible de rattacher une « mesure »
quelconque à l’État d’accueil par le biais du critère résiduel de ratta­
chement lorsqu’il est question d’expropriation indirecte.
Finalement, les analyses sur les mesures contractuelles, les omis­
sions et la responsabilité résiduelle de l’État d’accueil se rejoignent,
se justifient et se renforcent mutuellement. D’abord, la mesure
contractuelle ordinaire n’est pas une mesure éligible parce qu’elle ne
relève pas de prérogatives de puissance publique, qui sont le propre
de l’État souverain. Ensuite, les omissions ne sont pas des mesures
éligibles, car aucun acte extériorisé n’est imputable à l’État. Enfin,
une mesure éligible quelconque ne sera pas imputable à l’État tant
qu’elle ne relève pas d’une manifestation des prérogatives de puis­
sance publique. C’est pourquoi il suffit de rejeter dès le départ les
mesures contractuelles ordinaires et les omissions, car on en revien­
dra au même point lorsqu’il sera question de les imputer à l’État418.
Une fois que le tribunal du contentieux de l’expropriation indi­
recte a constaté l’existence d’une mesure éligible au statut d’expro­
priation indirecte, c’est-à-dire un acte extériorisé imputable à l’État
d’accueil, il lui reste à déterminer si cette « mesure » est « équivalente
à une expropriation ».

418 Ce qui n’empêche pas un tribunal d’examiner ensuite les omissions de l’État
lorsqu’il recherchera la violation d’un standard de traitement prévu par le TBI
tel que l’obligation de pleine protection et sécurité.

135
Section 2 – … équivalente à une expropriation

Le rapport d’équivalence entre une mesure imputable à l’État


d’accueil et les caractéristiques d’une expropriation directe consti­
tue l’élément le plus complexe du processus de qualification. Il
convient donc de disséquer soigneusement chaque mot afin de saisir
le sens et la portée véritables de cette équivalence. Pour serrer de
près le mot « équivalence » deux questions devront être posées. La
première porte sur la définition juridique du terme « équivalence ».
Le chapitre préliminaire a permis de répondre à cette question.
L’expropriation indirecte, en tant que catégorie-reflet, doit refléter au
plus près le ou les éléments considérés comme fondamentaux d’une
expropriation directe. Cela signifie que la mesure éligible doit res­
sembler à une expropriation directe par un ou plusieurs de ses élé­
ments caractéristiques, mais il ne lui est pas exigé de réunir toutes
les conditions de l’expropriation directe419. La seconde question,
plus pratique, est celle qui a intéressé les tribunaux. Par quelle(s)
caractéristique(s) de l’expropriation directe, une mesure étatique
quelconque pourra-t-elle être considérée comme lui étant équiva­
lente ? La réponse est quasiment unanime sur ce point : c’est par ses
effets que la mesure éligible fera le saut qualitatif vers la catégorie
d’expropriation indirecte (§ 1). Dans le même temps, ce critère de
l’effet est exclusif, de sorte qu’il écarte la prise en compte de tout
autre élément de comparaison (§ 2).

§ 1 – L’effet de la mesure s’apprécie sur l’investissement

Dire que l’effet de la mesure constitue le rapport d’équivalence ne


nous dit pas encore sur quelle personne devra s’apprécier cet effet.
Les tribunaux, à quelques exceptions près, désignent l’investisseur
ou son investissement (B), selon deux procédés (C). Mais au préa­
lable, il convient d’expliquer brièvement le choix de l’effet comme
rapport d’équivalence (A).

A. L’effet de la mesure comme « rapport » de l’équivalence

Plusieurs inconnues se dissimulent derrière l’affirmation selon


laquelle la mesure éligible doit équivaloir à une expropriation. En
effet, le terme d’équivalence ne fait que « postposer la difficulté,
car il faudra rechercher par rapport à quoi l’équivalence [doit] être

419 Pour Y. NOUVEL, « Les mesures équivalant à une expropriation dans la


pratique récente des tribunaux arbitraux », RGDIP, 2002, p. 90, « la relation
d’équivalence […] n’est pas une relation d’identité », car par équivalence « on
cherche à subsumer un acte sous une catégorie dans laquelle il ne figurait pas
d’emblée ».

136
[appréciée] »420. En d’autres termes, « l’établissement d’une équiva­
lence entre deux choses […], ne peut se faire qu’en indiquant sous
quel rapport, elles sont comparables »421.
Concrètement, dans une relation d’équivalence, trois acteurs
majeurs doivent être isolés. D’abord, le sujet de l’équivalence, qui
correspond à ce qui doit être comparé : il s’agit donc ici de la mesure
éligible telle qu’elle a été définie dans le chapitre précédent. Ce
sujet est donc le « fait-candidat ». Ensuite, l’objet de l’équivalence,
qui correspond à ce à quoi le sujet de l’équivalence ambitionne de
ressembler : c’est bien entendu l’expropriation, et plus précisément
l’expropriation directe. L’objet de l’équivalence représente la fina­
lité de l’exercice, ce qui est visé par la comparaison. Enfin, le rapport
d’équivalence qui correspond à l’aspect par lequel le fait-candidat
doit ressembler à l’objet de l’équivalence afin de pouvoir lui être assi­
milé. Il doit s’agir d’un élément qui caractérise l’objet de l’équiva­
lence lui-même, qui en constitue l’essence. La définition de l’expro­
priation indirecte gravite autour des trois questions suivantes. Qui se
veut équivalent ? A quoi veut-il être équivalent ? Comment pourra-t-il
être équivalent ? Les deux premiers éléments ayant déjà été identifiés
(mesure éligible et expropriation directe), il reste à déterminer le
troisième élément.
Le rapport d’équivalence porte sur l’effet produit par l’édiction
de la mesure. Deux facteurs militent pour que le rapport d’équi­
valence soit celui de l’effet : les références explicites ou implicites
dans les traités de protection des investissements, et la finalité de la
clause d’expropriation. S’agissant des traités de protection des inves­
tissements, la revue des TBI et ALE a montré que les clauses d’ex­
propriation indiquent, soit explicitement, soit implicitement, que
c’est l’effet qui est le rapport d’équivalence. Il suffit de rappeler ici
l’exemple d’une clause qui désigne « toute autre mesure dont l’effet
est de déposséder, directement ou indirectement ». Concernant la
finalité de la clause d’expropriation, elle s’inscrit dans le cadre plus
général de la finalité des traités de protection des investissements :
la protection des investisseurs étrangers et de leurs investissements.
La raison d’être de l’expropriation indirecte est de protéger les
investisseurs et leurs investissements au-delà des atteintes formelles.
L’arbitre et le juge sont amenés, « à regarder la substance au-delà de
forme » comme le rappelait la CEDH dans l’affaire Sporrong & Lön-
nroth c. Suède 422. En effet, on ne saurait rechercher une protection

420 J. SALMON, « Les notions à contenu variable en droit international public », in


PERELMAN C., VANDER ELST R. (éd.), Notions (Les) à contenu variable en droit,
Bruxelles, Bruylant, 1984, p. 264.
421 S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage…, op. cit., note 1, p. 461.
422 Sporrong & Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, CEDH, série A, n° 52, § 63. La
cour a affirmé également qu’« en l’absence d’une expropriation formelle, c’est-
à-dire d’un transfert de propriété, la Cour s’estime tenue de regarder au-delà

137
effective, en se focalisant sur la forme de la mesure sans scruter de
près ses effets préjudiciables.
Les tribunaux arbitraux retiennent majoritairement le critère
de l’effet de la mesure. On peut donc conclure que lorsqu’on écrit
« mesure équivalant à une expropriation », il faut simplement y lire
« mesure ayant le même résultat qu’une expropriation ». Cela dit,
une question surgit immédiatement à l’esprit : du point de vue de
quel acteur la mesure devra-t-elle produire un résultat comparable à
une expropriation ? L’État, l’investisseur, ou les deux à la fois ?

B. Le critère de l’effet préjudiciable sur l’investissement

L’expropriation directe est le référent de l’expropriation indirecte.


Or, qui dit expropriation directe, dit à la fois enrichissement pour
l’un et dépossession pour l’autre. Il y a alors transfert de richesse
d’un patrimoine (celui de l’investisseur) à un autre (celui de l’État
ou d’un national désigné par lui). Bien que la comparaison se fasse
avec l’expropriation directe, qui entraîne donc un accroissement du
patrimoine du bénéficiaire, seul le dommage subi par l’investisseur
est considéré comme rapport d’équivalence pour l’expropriation
indirecte.
Généralement posée comme une évidence, en raison du besoin
de protéger effectivement l’investisseur, cette focalisation sur un
seul des acteurs du phénomène de l’expropriation indirecte, soulève
pourtant quelques interrogations. Il peut sembler injuste de ne pas
regarder s’il y a eu enrichissement ou non de l’État, suite à la des­
truction d’un investissement. Pour répondre à cette préoccupation,
Y. Nouvel423 considère que prendre en compte les deux éléments à la
fois (enrichissement et appropriation) revient à établir un rapport
d’identité et non plus un rapport d’équivalence. Cet argument, bien
que séduisant, n’est pas convaincant.
L’équivalence en soi, n’impose aucunement un nombre maximum
de critères à considérer. L’appropriation par l’État et le préjudice
subi par l’investisseur sont tous les deux des éléments possibles de
comparaison. Ce qui importe est la manière dont la mesure res­
semble aux éléments de comparaison sélectionnés. Dire par exemple
que la mesure doit équivaloir à une dépossession de l’investisseur ne
signifie pas qu’il doit se voir retirer son titre de propriété. C’est dire
plutôt que la mesure doit produire sur l’investisseur un résultat équi­
valant, de son point de vue, à un retrait pur et simple de son titre de
propriété. Pourquoi alors ne pas envisager aussi une appropriation

des apparences et d’analyser, les réalités de la situation litigieuse (…). La Con­


vention visant à protéger des droits “concrets et effectifs” (…), il importe de
rechercher si ladite situation n’équivalait pas à une expropriation de fait (…) ».
423 Y. NOUVEL, « Les mesures équivalant… », op. cit., note 419, p. 90. Voir aussi,
B. KUNOY, op. cit., note 376, pp. 472-473

138
équivalente à celle d’une expropriation directe ? C’est-à-dire, regar­
der si la mesure a produit sur l’État un résultat équivalant à la situa­
tion où il aurait retiré purement et simplement le titre de propriété
pour son compte. Certains auteurs défendent cette thèse424. D’autres
envisagent simplement cette possibilité à titre de lege ferenda 425. Mais
cette position reste très marginale devant les tribunaux426.
Plusieurs tribunaux ont clairement rejeté le critère de l’effet pro­
duit par la mesure sur l’État. Dans l’affaire Tippetts, le tribunal irano-
américain a clairement posé qu’il « prefers the term “deprivation” to the
term “Taking” although they are largely synonymous, because the latter may
be understood to imply that the government has acquired something of value,
which is not required »427. Dans la sentence Metalclad c. Mexique, un
tribunal CIRDI a déclaré également que « expropriation under Nafta
includes (…) also covert or incidental interference with the use of property
which has the effect of depriving the owner, even if not necessary to the obvious
benefit of the host State »428. En outre, il suffit d’examiner les tentatives
de définitions de l’expropriation indirecte dans les sentences arbi­
trales, pour se convaincre que nulle référence n’est faite à l’enrichis­
sement de l’État. Seul le préjudice subi par l’investisseur est mis en
lumière lorsqu’il est rappelé qu’en droit international « measures taken
by a state can interfere with property rights to such an extent that these rights
are rendered so useless that they must be deemed to have expropriated »429 ; ou
encore qu’en cas d’expropriation indirecte, « measures are taken by a
State the effect of which is to deprive the investor of the use and benefit of his
investment »430. Dans le même sens, il a été affirmé que « l’effet de la
mesure étatique équivaut à une expropriation à partir du moment
où elle restreint l’usage que le bénéficiaire entendait faire de ce droit
et/ou diminue le bénéfice qu’il devait générer (…) »431. En général,
les tribunaux ne discutent même plus cet élément et les États Parties
aux différends l’invoquent rarement comme moyen de défense.
C’est donc le préjudice subi par l’investisseur du fait de la mesure
étatique qui constitue le rapport d’équivalence permettant de qua­

424 C’est le cas de A. NEWCOMBE, op. cit., note 38, dont le raisonnement sera
analysé ultérieurement.
425 S. MANCIAUX, « Les mesures équivalentes… », op. cit., note 307, p. 90.
426 Le critère de l’enrichissement sans cause a déjà été accueillie favorablement
devant le tribunal irano-américain. Cependant, en l’espèce, le raisonnement
se situait en dehors de la question de l’expropriation. Le tribunal envisageait
simplement le cas d’une indemnisation accordée au titre de l’enrichissement
sans cause, indépendamment de l’expropriation indirecte. Voir Sea-Land c. Iran,
22 juin 1984, Iran-US CTR, vol. 6, pp. 168-170.
427 Tippetts, op. cit., note 89, pp. 225-226.
428 Metalclad c. Mexique, op. cit., note 56, § 103.
429 Tippetts, op. cit., note 89, p. 154.
430 Middle East Cement c. Egypte, op. cit., note 158, § 107.
431 LESI c. Algérie, op. cit., note 54, § 131.

139
lifier une mesure éligible en expropriation indirecte devant les tri­
bunaux.

C. Deux conceptions possibles de l’effet préjudiciable sur l’investissement

Il existe deux manières de prendre en compte le critère de l’effet.


La première consiste à prendre l’effet préjudiciable comme critère
unique excluant tout autre élément d’appréciation. Cette version du
critère de l’effet préjudiciable a été appliquée dans de nombreuses
sentences arbitrales. On a ainsi pu l’intituler comme la « ligne Tip­
petts-Biloune-Metalclad »432, du nom de trois principales affaires sou­
vent citées à l’appui de cette approche. La sentence Tippetts illustre
au mieux cette conception de l’effet. Les arbitres y ont en effet rejeté
de manière explicite tous les autres critères envisageables, que ce soit
l’appropriation, ou l’intention d’exproprier, avant de conclure à la
seule pertinence du préjudice subi par l’investisseur433. Quant au tri­
bunal dans l’affaire Biloune c. Ghana, il a pris uniquement en compte
« the effect of causing the irreparable cessation of work of the project »434, en
raison de l’ordre d’arrêt des travaux, de la démolition, de l’arresta­
tion puis de l’expulsion de M. Biloune hors du territoire national.
Enfin, la sentence Metaclad c. Mexique a défendu la doctrine du seul
effet sans aucune équivoque : « the Tribunal need not decide or consider
the motivation or intent of the adoption of the Ecological Decree. (…) [T]he
Tribunal considers that the implementation of the Ecological Decree would,
in and of itself, constitutes an act tantamount to expropriation »435. Cette
sentence a fait l’objet de vives critiques et a été partiellement annulée
par la Cour suprême de la Colombie-Britannique qui a estimé que
la sentence « gave an extremely broad definition of expropriation for the
purposes of article 1110 »436. Mais le dispositif de la sentence qualifiant
la mesure étatique d’expropriation indirecte ne fut pas annulé par
le juge canadien. Cette première conception de l’effet est majoritaire
dans la jurisprudence.
Mais il existe aussi une seconde version plus complexe qui, tout en
privilégiant le critère de l’effet de la mesure, ne rejette pas cepen­
dant d’autres paramètres. Le critère de l’effet est alors déterminant,
mais non exclusif. Cette doctrine ne remet pas en cause l’impor­
tance du préjudice sur l’investisseur, mais tente par divers moyens
de le placer dans un cadre plus large incluant d’autres facteurs.
Toutefois, le préjudice reste un critère cardinal parce que les autres
critères ne peuvent à eux seuls, pris isolément ou ensemble, détermi­

432 Expression de R. DOLZER, F. BLOCH, op. cit., note 204, p. 161.


433 Tippetts, op. cit., note 89, pp. 225-226.
434 Biloune c. Ghana, op. cit., note 69, p. 209.
435 Metalclad c. Mexique, op. cit., note 56, § 111.
436 United Mexican States c. Metalclad Corp., 89 BCLR 3d, p. 386 (www.dfait-maeci.
gc.ca).

140
ner la qualification d’expropriation indirecte. Le raisonnement part
toujours du préjudice, avant d’introduire des éléments à même de le
contrebalancer. Cette approche a été qualifiée comme étant la ligne
jurisprudentielle « Chinn-Sea-Land-SD Myers »437. Elle est cependant
moins homogène qu’elle n’y parait. L’affaire Oscar Chinn prend en
compte les risques liés à tout investissement ainsi que le droit de
règlementer de l’État. La sentence Sea-Land privilégie par contre
l’intention délibérée de nuire à l’investissement comme paramètre
supplémentaire. Quant à la sentence SD Myers c. Canada, elle illustre
au-delà des apparences, la doctrine majoritaire, mais avec une exi­
gence particulièrement élevée de la gravité et du caractère irréver­
sible du préjudice subi. Il faut ajouter que cette seconde conception
du préjudice intervient toujours dans les litiges qui reposent sur des
mesures horizontales dont l’impact est indirect sur l’investissement.
Parce que la prise en compte à titre exclusif de l’effet est celle qui
prédomine, il est nécessaire d’examiner plus en détail ce critère
dans le contentieux de l’expropriation indirecte.

§ 2 – Un processus de qualification


focalisé sur le préjudice de l’investisseur

La majorité des tribunaux font de l’effet préjudiciable de la mesure


éligible sur l’investisseur le critère unique pour évaluer le rapport
d’équivalence. Plusieurs justifications peuvent être apportées à cette
exclusivité (A). Face aux critiques parfois formulées sur la sacralisa­
tion de ce critère, il a été avancé que ce dernier repose sur une exi­
gence élevée de la gravité du préjudice subi, de sorte que seule une
minorité de mesures étatiques peuvent y correspondre. Cependant,
la pratique révèle une règle qui, tout en se proclamant rigoureuse, se
révèle parfois flexible (B). Par ailleurs, le critère de l’effet, tel qu’il
est appliqué, convient uniquement aux mesures verticales. En effet,
les facteurs de vérification de la gravité du préjudice n’ont pas été
conçus pour les mesures horizontales (C).

A. La doctrine du seul effet

On doit la célèbre expression de la « sole effect doctrine » à R. Dol­


zer qui l’a décrite pour la première fois dans un article en 1981438.
Ainsi, cette doctrine fait de l’effet dommageable de la mesure gou­
vernementale sur l’investisseur « a major factor, or even the sole factor, in

437 Expression de R. DOLZER, F. BLOCH, op. cit., note 204, p. 161.


438 R. DOLZER, « Indirect expropriation, New Developments ? », op. cit., note 103.
Cette doctrine a aussi été qualifiée « d’orthodoxe » par A. NEWCOMBE, « The
Boundaries… », op. cit., note 38, pp. 396-397.

141
determining whether or not a Taking has occurred »439. Cela signifie que les
tribunaux répudient tout critère de qualification axé sur la mesure
éligible ou son auteur qu’il s’agisse de l’intention d’exproprier ou du
but d’intérêt public poursuivi par la mesure.

L’intention d’exproprier
•  Les enjeux posés par le critère de l’intention d’exproprier
Le critère de l’intention d’exproprier provient directement des
éléments constitutifs de l’expropriation directe, qui est le référent
de l’expropriation indirecte. En effet, toute expropriation directe
suppose une volonté d’exproprier l’investisseur, volonté qui se mani­
feste formellement par une décision règlementaire ou législative.
De ce fait, l’intention d’exproprier pourrait en théorie faire partie
intégrante du rapport d’équivalence au même titre que l’effet de la
mesure. Il ne suffirait pas que l’investisseur ait subi un préjudice, il
faudrait aussi que l’État ait voulu ce résultat afin de s’approprier le
bien. Il est vrai que pour les mesures verticales d’expropriation indi­
recte, l’intention d’exproprier est toujours sous-jacente en raison de
la filiation directe avec l’expropriation directe. Du fait qu’elles visent
directement un investissement, les mesures verticales dénotent
l’intention de s’approprier l’investissement ou tout au moins de
lui porter atteinte. Au contraire, une telle intention est rarement
mise en évidence, du moins à première vue, dans une mesure hori­
zontale dont le but initial est extérieur à l’investissement. La ques­
tion qui doit être posée est la suivante : les mesures étatiques aux
conséquences préjudiciables fortuites doivent-elles être analysées de
manière identique à celles qui dénotent une volonté manifeste de
léser l’investisseur ?
Cette question est d’un enjeu primordial, car de la réponse appor­
tée dépendra l’étendue des mesures éligibles pouvant être qualifiées
d’expropriation indirecte. Si l’on considère que l’expropriation indi­
recte concerne uniquement les pertes dues à la volonté manifeste
des autorités étatiques d’atteindre un tel résultat, alors les actions
de bonne foi seraient à écarter. Dans ce cas, l’expropriation indi­
recte trouverait uniquement sa raison d’être dans le souci d’éviter
que l’État d’accueil puisse contourner son obligation d’indemniser
au titre de l’expropriation directe. Ainsi, ce seraient l’arbitraire et
la mauvaise foi de la puissance publique, retranchée derrière des
mesures déguisées, qui seraient visés. La définition de l’expropria­
tion indirecte serait alors relativement étroite. L’examen de la termi­
nologie de l’expropriation indirecte a montré que les exemples de
mesures équivalentes visées par les premières études sur le sujet rele­
vaient de cette conception. Mais si l’on considère que l’expropriation
indirecte vise la protection systématique de l’investisseur contre les

439 R. DOLZER, « Indirect expropriation, New Developments ? », op. cit., note 103,
p. 78.

142
préjudices causés par les agissements de l’État d’accueil, l’intention
d’exproprier n’aura aucune place dans le processus de qualification.
Toutes les mesures qui mettraient l’investisseur dans une situation
comparable à celle où l’État lui aurait retiré son titre de propriété
seraient favorablement accueillies, peu importe la bonne ou mau­
vaise foi de ce dernier. Dans ce cas, les contours de l’expropriation
indirecte seraient plus étendus.
La seconde option a eu la préférence des tribunaux arbitraux.

•  Le rejet du critère de l’intention d’exproprier


Plusieurs tribunaux ont eu à écarter le critère de l’intention d’ex­
proprier.440 Ainsi, dans l’affaire Tecmed c Mexique, un tribunal CIRDI,
citant lui-même l’affaire Tipetts, déclarait que : « the government’s inten-
tion is less important than the effects of the measures on the owner of the assets
[…] ; and the form of the deprivation measure is less important than its actual
effects (…) »441. Un autre tribunal CIRDI, se fondant sur une interpré­
tation littérale de la clause d’expropriation du TBI États-Unis-Argen­
tine, dans l’affaire Siemens c. Argentine a conclu que « the treaty refers to
measures that have the effect of an expropriation ; it does not refer to the intent
of the State to expropriate »442. Dans la sentence rendue pour l’affaire
Philips Petrolium, la troisième chambre du Tribunal irano-américain
commençait la recherche d’une mesure d’expropriation indirecte
en ces termes : « although a government’s liability to compensate for expro-
priation of alien property does not depend on proof that the expropriation was
intentional (…)»443. Devant le même tribunal, dans l’affaire Starrett
Housing, l’effet préjudiciable de la mesure avait suffi à conclure à une
expropriation indirecte, « even though the State does not purport to have
expropriate them (…) »444. Dans l’affaire Biloune c. Ghana également, le
tribunal a refusé de prendre en compte l’absence alléguée par l’État
hôte, d’une intention d’exproprier l’investisseur en ces termes : « the
motivations for the actions and omissions of Ghanaian governmental autho-
rities are not clear. But the tribunal need not establish those motivations to
come to a conclusion in the case »445.
Le rejet de l’intention d’exproprier fut encore plus évident dans
l’affaire Generation Ukraine c. Ukraine. Le tribunal y avait reconnu
l’absence d’une « express intention of depriving the claimant of the legal
basis of [his] right to proceed to construction »446. Mais ce constat ne l’a pas
empêché d’analyser la nature expropriante des mesures en cause,

440 Voir aussi les affaires Tippetts, op. cit., note 89, pp. 225-226 ; Metalclad c. Mexique,
op. cit., note 56, §  111 ; Pope & Talbot c. Canada, op. cit., note 300, § 181.
441 Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, § 116.
442 Siemens c. Argentine, op. cit., note 116, § 270.
443 Philips Petrolium, op. cit., note 93, § 98.
444 Starrett Housing, op. cit., note 90, p. 122.
445 Biloune c. Ghana, op. cit., note 69, p. 209.
446 Generation Ukraine c. Ukraine, op. cit., note 264, § 20.28.

143
conformément à l’article 3 du TBI États-Unis-Ukraine. Si une telle
qualification fut finalement rejetée par le tribunal, ce fut bien après
une évaluation du préjudice subi par l’investisseur et non des inten­
tions de l’État d’accueil. La même conclusion ressort de la sentence
Vivendi II c. Argentine : « while intent will weigh in favor of showing a mea-
sure to be expropriatory, it is not a requirement, because the effect of the mea-
sure on the investor, not the state’s intent, is the critical factor »447.
Dans la doctrine, le rejet de l’intention d’exproprier comme cri­
tère de qualification est presque unanime. Ainsi, pour G. C. Chris­
tie, « even though a State may not purport to interfere with rights to property,
it may, by its actions, render those rights so useless that it will be deemed to
have expropriated them »448. R. Higgins, analysant les décisions de la
CPJI/CIJ dans les affaires des Armateurs Norvégiens et de l’usine de
Chorzow, est arrivé également à la conclusion que « these two cases cer-
tainly indicate that expropriation of a given Property may in fact – regardless
of State Intention – involve a Taking (…) »449.  Enfin, on a pu affirmer
que l’insertion d’autres critères aux côtés de l’effet, et notamment
celui de l’intention de l’État, conduirait à rendre la notion d’expro­
priation indirecte illusoire et la priverait de son objectif450.
Le rejet de ce critère est défendable. Accueillir l’intention d’ex­
proprier comme critère revient à affirmer qu’il s’agit d’un élément
fondamental de l’expropriation directe. Or, ce critère n’est pas un
élément fondamental dans la qualification d’une expropriation
directe, même s’il est, de fait, toujours présent. Mais la véritable
limite est d’ordre pratique. Comment un tribunal arbitral, de sur­
croit d’arbitrage d’investissement, peut-il connaître et apprécier les
réelles intentions d’un État ou tout au moins des autorités gouverne­
mentales ? Il est par ailleurs difficile d’exiger de l’investisseur qu’il
prouve une intention délibérée de l’État de lui nuire. S’aventurer
dans une telle inquisition serait aussi laborieux qu’inutile.
Toutefois, l’intention d’exproprier n’est pas complètement inutile
dans le processus de qualification. En effet, un tribunal qui consta­
terait une intention manifeste de porter préjudice à l’investisseur
orientera plus aisément son raisonnement vers une qualification posi­
tive451. Par conséquent, si l’intention d’exproprier n’est pas un critère
d’appréciation de premier ordre, elle peut venir renforcer ou facili­
ter la qualification d’une expropriation indirecte. C’est d’ailleurs la
conclusion à laquelle est parvenu un rapport de la CNUCED : « in
fact, intent is relevant only in highly exceptional cases, where it is possible to

447 Vivendi. c. Argentine, op. cit., note 159, § 7.5.20.


448 G. C. CHRISTIE, op. cit., note 37, p. 311.
449 R. HIGGINS, op. cit., note 258, p. 323.
450 B. KUNOY, op. cit., note 376, p. 472.
451 C’est la conclusion à laquelle est parvenu G. C. CHRISTIE après l’examen de
plusieurs différends anciens portés devant les tribunaux ou réglés par la voie
diplomatique. G. C. CHRISITE, op. cit., note 37, p. 312 et s.

144
show that a Government had abused its powers, by acting for a purpose other
than the one it had invoked »452. Dans le passé, il semble que l’intention
d’exproprier ait constitué un critère complémentaire dans les situa­
tions délicates mettant en cause des mesures fiscales, monétaires ou
douanières. Des auteurs comme A. Bindschedler ou J.-P. Laviec ont
avancé prudemment que dans la pratique diplomatique, le fait de
prétexter des motifs pénaux ou fiscaux non justifiés pour porter pré­
judice à des investisseurs étrangers faisait pencher la balance vers
la qualification d’expropriation453. Quoi qu’il en soit, si l’intention
d’exproprier peut éventuellement être un indice pour confirmer
l’existence d’une expropriation indirecte, il ne peut jamais faire
échec à la qualification lorsque les critères fondamentaux ont été
constatés.

•  L’admission marginale du critère de l’intention d’exproprier


Malgré la position très majoritaire du rejet du critère de l’inten­
tion d’exproprier, quelques sentences arbitrales étant allées dans le
sens contraire méritent d’être mentionnées. Dans une sentence ren­
due quelques jours avant l’affaire Tippetts précitée, le Tribunal irano-
américain dans l’affaire Sea-Land avait statué que :

« a finding of expropriation would require, at the very least, that the tribunal be
satisfied that there was deliberate governmental interference with the conduct of
Sea-Land’s operation, the effect of which was to deprive Sea-Land of the use and
benefit of its investment. Nothing has been demonstrated here which might have
amounted to an intentional course of conduct directed against Sea-Land »454.

En replaçant toutefois cette phrase dans le contexte propre à cette


affaire, on comprend que ce critère fut requis parce que le tribunal
avait à examiner des omissions et inactions étatiques invoquées par
l’investisseur (il s’agissait principalement de perturbations générales
dues à l’avènement de la révolution iranienne). En effet, après avoir
accueilli favorablement les omissions dans son examen des mesures
étatiques éligibles, le tribunal a dû ensuite limiter leur portée en
ajoutant un critère supplémentaire : l’intention de nuire derrière
ces inactions455. Il est donc probable que face à de véritables « actes »
extériorisés imputables à l’État, la ligne suivie dans l’affaire Tippetts

452 CNUCED, Taking of Property, op. cit., note 142, p. 43.


453 R. L. BINDSCHEDLER, « La protection de la propriété privée en droit
international public », RCADI, t. 90, 1956-II, p. 211 ; J.-P. LAVIEC, op. cit., note
52, p. 169.
454 Sea-Land, op. cit., note 426, p. 166. Il est à noter que, curieusement, la chambre
a cité à l’appui de cette position dans une note de bas de page, l’article de
R. HIGGINS, op. cit., note 258. L’auteure citée y rejette pourtant le critère de
l’intention d’exproprier.
455 Ibidem.

145
aurait été appliquée, c’est-à-dire que l’intention d’exproprier n’au­
rait eu aucun rôle à jouer. C’est l’occasion de remarquer que cette
incohérence aurait pu être aisément évitée, si le tribunal avait sim­
plement refusé de prendre en compte les omissions. Cette affaire
montre une fois de plus les difficultés posées par les omissions. Elle
renforce donc la position favorable à l’exclusion des omissions du
champ des mesures éligibles. Notons que la sentence Sea-land fut
l’objet d’une opinion dissidente456, et que cette partie de son dispo­
sitif ne connut pas de suite notable dans la jurisprudence de ce tri­
bunal.
Il a fallu attendre une sentence rendue par un tribunal sur le fon­
dement de la Charte européenne de l’énergie (ECT) en 2003, pour
retrouver cette ligne marginale. Dans l’affaire Petrobart c. Kirghizis-
tan 457, le tribunal a déclaré qu’il n’y avait pas eu d’expropriation
indirecte malgré le préjudice grave subi par l’investisseur. La société
Petrobart s’était plainte de plusieurs mesures étatiques qui auraient
conduit à une expropriation progressive de son investissement458.
En rejetant les allégations d’expropriation indirecte, le tribunal a
pris en compte l’intention d’exproprier en ces termes : « Nor does it
appear that the measures taken by the Kyrgyz Government and state authori-
ties, although they had negative effects for Petrobart, were directed specifically
against Petrobart’s investment or had the aim of transferring economic values
from Petrobart to the Kyrgyz Republic »459. Le fait que l’État n’ait pas eu
pour intention d’exproprier l’investisseur a donc constitué un élé­
ment d’appréciation pour le tribunal.

456 Dans son opinion dissidente, le juge HOLTZMANN, a considéré que « the critical
question is the objective effect of a government’s acts, not its subjective intention ». Sea-
Land c. Iran, op. cit., note 426, p. 207.
457 Petrobart c. Kirghizistan, op. cit., note 305.
458 Petrobart avait conclu un contrat avec une société publique (KGM) pour la
production et la livraison d’une quantité convenue de gaz à condensation à
un prix fixé à l’avance et de commun accord. Mais rapidement, plusieurs
factures ne furent pas honorées par KGM, et bien que Petrobart ait obtenu un
jugement d’un tribunal local en sa faveur, l’administration obtint la suspension
de l’exécution du jugement, avant que la société publique ne soit mise en faillite.
Les actifs de KGM furent transférés à une nouvelle entreprise, mais en laissant
les dettes à la charge de la première avant de la déclarer en faillite. Le tribunal,
malgré le transfert des seuls actifs, a estimé que l’investisseur détenait encore
ses droits dans la procédure de faillite. Cette conclusion est douteuse au regard
du fait que tous les biens de la société ayant été transférés au préalable, la mise
en faillite de KGM ne laissait aucune possibilité à ses créanciers de recouvrer
leurs créances.
459 Petrobart c. Kirghizistan, op. cit., note 305, p. 77.

146
Parmi les auteurs, rares sont ceux qui ont récemment défendu
explicitement le critère de l’intention d’exproprier460. K. A. Byrne461
a proposé dans un article récent de débarrasser l’intention d’expro­
prier de sa nature subjective, pour en faire un critère de qualification
opérationnel. Partant de l’analyse du contentieux de l’expropriation
devant les tribunaux nationaux dans l’espace du Commonwealth462,
l’auteure a conclu que c’est l’intention d’exproprier qui permet de
reconnaitre toute expropriation directe (intention explicite) ou
indirecte (intention implicite)463. Il est vrai, comme elle le note,
que certaines affaires souvent citées par la doctrine majoritaire
n’écartent pas le critère de l’intention de l’État comme étant absolu­
ment inutile. Par exemple, dans l’affaire Tippetts, il est indiqué que
l’intention de l’État est moins importante que l’effet de la mesure ;
ce qui laisse supposer que le premier peut avoir un rôle secondaire
à jouer. Elle se fonde également sur l’absence de preuve quant à la
nature coutumière du rejet du critère de l’intention d’exproprier464 ;
rappelant ainsi l’incertitude entourant la définition « coutumière »
de l’expropriation indirecte. Malgré ces arguments défendables, le
raisonnement dans son ensemble n’est pas convaincant. D’abord,
parce que l’intention d’exproprier, malgré les efforts de rationali­
sation de l’auteure, est encore entourée d’une grande subjectivité
et impose une incursion dans les motivations de l’État465. Ensuite, et
surtout, K. A. Byrne semble faire de la gravité même du préjudice,
un indice d’évaluation de l’intention d’exproprier. Autrement dit,
plus le dommage subi est grand, plus il faut y voir une volonté éta­
tique d’atteindre un tel résultat. Or, faire dépendre le contenu de la
motivation d’une mesure au résultat qu’elle produit revient simple­
ment à ôter tout intérêt à la recherche de cette motivation.
En conclusion, pour la majorité des tribunaux arbitraux, la quali­
fication d’une expropriation indirecte n’est pas tributaire de l’exis­
tence d’une volonté de contourner la règle de l’expropriation directe.
Cette dernière est focalisée sur le préjudice subi par l’investisseur. Si
donc, l’intention d’exproprier est présente dans une expropriation

460 C. McLACHLAN, L. SHORE et M. WEINIGER, International Investment Arbitra-


tion : Substantive Principles, Oxford University Press, 2007, § 8.73. Ils défendent
la prise en compte de l’intention d’exproprier et citent à l’appui la sentence E.
Olguin c. Paraguay qui avait exigé « a teleogically driven action » pour qu’il ait expro­
priation. En réalité, le tribunal visait le rejet des omissions et non la prise en
compte de l’intention d’exproprier.
461 K. A. BYRNE, op. cit., note 262, pp. 89-120.
462 Ibidem, pp. 113-118.
463 Ibid, p. 96.
464 K. A. BYRNE, op. cit., note 262, pp. 93-95.
465 Comme le constate une étude de la CNUCED sur l’expropriation, « intent is
not, (…) a useful or workable test, the motivation behind governmental action being by
definition complex and difficult to determine with precision ». CNUCED, Taking of
Property, op. cit., note 142, p. 43.

147
directe, il ne s’agit pas pour autant d’un critère essentiel du rapport
d’équivalence, pour les mesures verticales, et encore moins pour les
mesures horizontales d’expropriation indirecte. Toutefois, la pré­
sence d’une intention d’exproprier ou de nuire peut constituer une
preuve facilitant l’appréciation des faits par le tribunal. Cela dit, il ne
faudrait pas confondre l’intention d’exproprier avec l’intérêt public
poursuivi par la mesure. Si généralement, un État décide d’expro­
prier parce qu’il poursuit un intérêt public, le contraire n’est pas for­
cément vérifié. Un État peut poursuivre un intérêt public en édictant
une mesure, sans avoir cherché à exproprier ou même à nuire à des
intérêts privés. Quoi qu’il en soit, les tribunaux réservent le même
sort aux deux éléments. L’intérêt public poursuivi par la mesure est
également inopérant.

L’intérêt public poursuivi par la mesure éligible


Le rejet de ce critère repose d’une part sur le statut et le rôle
de l’arbitre dans le contentieux de l’investissement international,
mais surtout sur une interprétation exacte, quoique partielle, de la
place de l’intérêt public dans la définition de l’expropriation indi­
recte.

•  La problématique du contrôle de l’intérêt public par un arbitre


Le contrôle de l’existence ou de la pertinence d’un intérêt public
invoqué par un État hôte d’investissement pour justifier une mesure
préjudiciable soulève deux principales difficultés pour les arbitres.
En premier lieu, les arbitres sont souvent accusés de détenir des
pouvoirs exorbitants leur permettant de remettre en cause les régle­
mentations légitimes et démocratiques des États. Ces accusations
sont accentuées par le fait que le consentement des États d’accueil
d’investissements à l’arbitrage investisseur-État semble leur avoir
échappé parce que les clauses d’arbitrage insérées dans les traités
de protection des investissements et les codes nationaux d’investis­
sement équivalent désormais à des offres publiques d’arbitrage. En
outre, comme plusieurs clauses dans les TBI sont vaguement rédi­
gées, les États signataires laissent aux arbitres une marge d’inter­
prétation élargie du contenu de certaines obligations. Le rôle de
l’arbitre a ainsi fait l’objet de nombreuses critiques dans le cadre
de la procédure d’arbitrage d’investissement466. Ces critiques vont
de la confidentialité des procédures arbitrales, à l’acceptation d’ami-

466 Pour une étude détaillée de ces critiques, voir N. BOHREN, «  Investor-
State arbitration : overview of criticisms directed at the ICSID », in Aktuelle
Entwicklungen des europäischen und internationalen Wirtschaftsrechts. –
Neuwied [etc.] : H. Luchterhand ; Basel ; Genf [etc.] : Helbing & Lichtenhahn,
2006, 8, pp. 1-57. Voir aussi, N. Bernasconi-Osterwalder et al., Investment Treaties
and Why They Matter to Sustainable Development : Questions and answers, op. cit., note
32, pp. 44-42.

148
cus curiae, en passant par l’impartialité des arbitres467. Toutefois, de
notables évolutions sont en cours sur la transparence des procédures
au niveau du CIRDI ou du règlement CNUDCI468.
En second lieu, les arbitres ne sont pas habilités en droit interna­
tional à juger du bien-fondé de ce qui constitue un « intérêt public »
pour un État. Le droit international accorde en effet un pouvoir dis­
crétionnaire aux États sur ce point. Ainsi, même le juge communau­
taire qui semble avoir plus de pouvoir qu’un arbitre statuant sur le
fondement d’un TBI pour s’immiscer dans l’appréciation de l’inté­
rêt public d’un État, exprime une grande déférence : « because of their
knowledge of their society and its needs, the national authorities are in prin-
ciple better placed than the international judge to appreciate waht is “in the
public interest (…)” »469.
Par ailleurs, les dispositions mêmes des TBI qui fondent géné­
ralement la compétence des tribunaux constituent déjà un frein
à un jugement de valeur sur l’intérêt public d’un État signataire.
Dans la célèbre sentence Texaco/Calasiatic c. Lybie, l’arbitre unique
R.-J. Dupuy a estimé « devoir considérer le gouvernement libyen
comme ayant agi selon l’appréciation qu’il fait souverainement des
intérêts du pays »470. C’est en ce sens également qu’un auteur s’est
demandé si « soumettre la mesure à cet examen n’est […] pas empié­
ter sur la souveraineté en bornant la faculté discrétionnaire d’ap­
précier la nécessité et l’urgence de son exercice, dont seul l’État est
titulaire ? »471. Plus récemment, dans la sentence Tecmed c. Mexique,
les arbitres avaient expliqué leurs abstentions par le fait que la pers­
pective dans laquelle se situait un tribunal arbitral constitué sur le
fondement de l’ALENA était différente de celle d’un juge interne :
« its [the tribunal] function is to examine whether the resolution violates
the agreement in light to its provisions and of international law »472. Par
conséquent, peu importe que la mesure en cause poursuive un but
conforme et légitime au regard du droit interne de l’État hôte, elle
doit avant tout être conforme au traité de protection des investisse­

467 N. BOHREN, op. cit., note 466, pp. 26-32, et pp. 33-37.


468 Pour un rapide aperçu de ces questions, voir N. Bernasconi-Osterwalder,
L. Johnson « Les négociations concernant les clauses sur la transparence à la
CNUDCI atteignent une étape décisive », Investment Treaty News, vol. 2, n° 3, avril
2012, p. 15 (http://www.iisd.org/pdf/2012/iisd_itn_april_2012_fr.pdf).
469 James and Others c.Royaume-Uni, décision du 21 février 1986, CEDH, série A, no 98,
§ 31. Toutefois, dans le contexte de la CEDH, un contrôle de proportionnalité est
opéré sur le fondement de l’article 1 protocole additionnel 1 de la Convention
Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).
470 Texaco/Calasiastic c. Libye, op. cit., § 74. Voir cependant dans le sens contraire
l’affaire BP c. Lybie, 10 octobre 1973, Rev. Arb., 1980, p. 117 et s. Le juge unique
G. LAGERGREN a estimé pour sa part devoir vérifier l’utilité publique d’une
mesure de nationalisation libyenne.
471 Y. NOUVEL, « Les mesures équivalant… », op. cit., note 419, p. 96. Notes omises.
472 Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, § 120.

149
ments. Un autre tribunal a également considéré que les TBI « cannot
prevent a country from pursuing its own economic choices. (…) ICSID tribu-
nals cannot pass judgment on whether such policies are right or wrong. Judg-
ment can only be made in respect of whether the rights of investors have been
violated »473. Ce faisant, le tribunal a conclu que les mesures générales
prises par l’Argentine n’entraient pas, en principe, dans sa compé­
tence. Néanmoins, il a retenu sa compétence en ce qui concerne les
mesures contractuelles spécifiques prises à l’égard des investisseurs
sur le fondement des mesures d’ordre général474.
L’arbitre ne veut pas s’immiscer dans le contrôle de l’intérêt public
de l’État et prend acte de l’intérêt public invoqué par l’État, sauf cas
de détournement grossier et manifeste. Mais il écarte l’intérêt public
du processus de qualification de l’expropriation indirecte. Autre­
ment dit, l’État définit librement ses objectifs et ses intérêts publics,
mais ce choix n’engage pas l’arbitre dans l’appréciation des mesures
prises pour les atteindre. Il est vrai que chaque État pourrait tou­
jours justifier tous ses actes par un intérêt public, tandis que l’arbitre
ne peut pas juger de l’opportunité de tel ou tel intérêt public. Le
tribunal dans l’affaire Vivendi II c. Argentine, avait ainsi résumé cette
crainte : « if public purpose automatically immunizes the measure from being
found to be expropriatory, then there would never be a compensable taking for
a public purpose »475.
Cependant, s’inspirant de la jurisprudence de la CEDH, un tri­
bunal CIRDI a procédé à un contrôle de l’intérêt public, par une
voie qui permet en effet d’encadrer les prétentions de l’État, sans
pour autant remettre directement en cause sa souveraineté. Dans la
sentence Tecmed c Mexique, le tribunal a regardé de plus près l’intérêt
public invoqué par l’État mexicain pour ne pas renouveler un permis
de construire. Il était évident que dans le litige, des considérations
politiques avaient guidé le comportement des autorités locales. Mais
en procédant à cet examen, le tribunal s’est limité à un contrôle de
proportionnalité tout en réaffirmant la déférence due à l’État dans
ce domaine476.
Toutefois, la déférence de l’arbitre envers l’État ne peut justifier à
elle seule l’exclusivité du critère de l’effet. Un autre argument pèse
d’un poids considérable.

•  Le rejet de l’intérêt public comme critère de définition


Il est souvent reproché à l’intérêt public d’être un critère super­
flu, dont l’usage dans les éléments constitutifs contredirait le régime
juridique de l’expropriation, directe comme indirecte. Il faut rap­
peler que l’utilité publique de la mesure est une condition de licéité

473 CMS c. Argentine, op. cit, note 361, § 29.


474 Ibidem, § 33.
475 Videndi II c. Argentine (ARB/97/3), op. cit., note 159, § 7.5.21.
476 Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, § 122.

150
dans les traités de protection des investissements. Elle n’exonère pas
l’État d’accueil d’indemniser l’investisseur lésé. Par conséquent, ce
n’est pas parce qu’une mesure étatique poursuit un intérêt public
que celle-ci ne sera pas qualifiée d’expropriation indirecte donnant
droit à indemnisation. Au contraire, c’est parce que c’est une expro­
priation indirecte, qu’elle doit viser un intérêt public et être accom­
pagnée d’une indemnisation pour être licite. En plus, dans tous les
cas d’expropriations avérées, licites ou illicites, une indemnisation
est due.
Dans la sentence Phelps Dodge c. Iran, les arbitres ont signifié que
bien qu’ils comprennent les enjeux financiers, économiques et
sociaux ayant inspiré la mesure, « those reasons and concerns cannot
relieve the respondent of the obligation to compensate Phelps Dodge for its
losses »477. En l’espèce, l’Iran invoquait des mesures de sauvegarde
prises pour éviter la fermeture d’une usine et pour assurer aux tra­
vailleurs locaux le paiement de leurs salaires ainsi que le recouvre­
ment des dettes de l’entreprise dues à l’État iranien, après que les
dirigeants américains aient fui le territoire à la suite de la révolution.
C’est également le rejet de l’intérêt public comme critère de défi­
nition qui a conduit à l’affirmation controversée dans la sentence
Metalclad c. Mexique, selon laquelle : « the Tribunal need not decide or
consider the motivation or intent of the adoption of the Ecological Decree »478.
Pour certains auteurs, la protection contre l’investisseur serait illu­
soire, si la légitimité de la mesure en cause devait exclure une telle
qualification479.
En conclusion, le but d’intérêt public poursuivi par la mesure appa­
raît doublement inopérant dans la jurisprudence, du fait des prin­
cipes encadrant la compétence des arbitres, mais aussi du régime
juridique de l’expropriation. Pourtant, nous sommes d’avis que l’in­
térêt public peut et doit jouer un rôle. En effet, ce n’est pas parce que
l’intérêt public ne peut être pris en soi comme critère de définition
de l’expropriation indirecte, qu’il faut renoncer à toute considéra­
tion sur les raisons ayant amené les autorités à prendre la mesure liti­
gieuse. En effet, dans le cadre de la distinction fondamentale propo­
sée entre mesures verticales et mesures horizontales, le rejet complet
et définitif de l’intérêt public est problématique. En cas de mesure
verticale, le but de l’édiction de la mesure est de porter atteinte à
l’intégrité de l’investissement, quel que soit l’intérêt public avancé
comme justification. Le but d’intérêt public se greffe à l’objectif d’at­
teindre l’investissement. Cela signifie que la réalisation de l’intérêt
public passe nécessairement et directement par le préjudice causé à
l’investisseur. Concrètement, et pour paraphraser G. Fouilloux, on
peut dire : « ce n’est pas la nature des terrains qui entraîne l’expropriation,

477 Phelps Dodge, op. cit., note 179, p. 130.


478 § 111.
479 Y. NOUVEL, « Les mesures équivalant… », op. cit., note 419, p. 96.

151
mais l’intérêt public qu’il y a d’agrandir un jardin ou une ville, de construire
un canal ou une voie de communication (…)»480. Par contre, dans une
mesure horizontale, l’intérêt public poursuivi par la mesure est exté­
rieur à l’investisseur. Ce but existe de manière autonome, sans lien
direct avec l’existence de l’investissement. Par conséquent, il est nor­
mal que les considérations d’intérêt public ayant guidé l’édiction de
la mesure n’ajoutent rien à l’analyse lorsque la mesure litigieuse est
verticale. Mais elles pourront constituer un paramètre de premier
plan lorsque la mesure litigieuse est horizontale.
Dans la pratique arbitrale cependant, seul le préjudice subi
par l’investisseur constitue le critère d’appréciation de l’équivalence,
quel que soit le type de mesure étatique en cause.

B. L’exigence d’un préjudice « substantiel » :


une règle exclusive, mais flexible

Comment les tribunaux des litiges investisseur-État analysent-ils le


critère de l’effet préjudiciable de l’investisseur, quand on sait qu’un
préjudice peut être plus ou moins complet, ou plus ou moins partiel,
ponctuel, à durée limitée ou indéterminée481 ? Le critère de l’effet
préjudiciable est défini en des termes exigeants. Mais des entorses à
la règle sont toutefois admises.

Un critère exclusif supposé rigoureux


Pour reprendre les propos du tribunal dans l’affaire Telenor c. Hon-
grie, l’élément à prendre en compte pour qualifier une mesure impu­
table à l’État d’expropriation indirecte se résume à « (…) the intensity
and duration of the economic deprivation suffered by the investor (…) »482.
En d’autres termes, les tribunaux arbitraux exigent concrètement
que l’investissement ait subi un préjudice substantiel et irréversible,
du fait de la mesure éligible.

•  L’exigence de principe d’un préjudice substantiel


Un large consensus existe sur la nécessité d’un degré élevé d’inter­
férence de l’État avec les droits de l’investisseur pour que l’on puisse
parler d’expropriation indirecte. Il est alors exigé que l’investisse­
ment ait subi un dommage substantiel, grave, ou sévère. Autrement
dit, la détention des droits relatifs à l’investissement doit avoir perdu
tout intérêt économique pour l’investisseur.

480 G. FOUILLOUX, La nationalisation et le droit international public, Paris, LGDJ,


1962, p. 152. Cette remarque s’adressait à l’expropriation directe. Mais elle est
valable pour les mesures verticales d’expropriation indirecte en raison de la
filiation juridique étroite entre les deux.
481 D’après l’expression de J.-P. LAVIEC, op. cit., note 52, p. 165.
482 Telenor c. Hongrie, 13 septembre 2006, § 64.

152
Le niveau de gravité du préjudice ressort clairement des expres­
sions utilisées dans les sentences arbitrales, telles que : rights rendered
so useless that they must be deemed to have been expropriated 483; a company
with assets, but without business484 ; a lasting removal of the ability of an
owner to make use if its economic rights485 ; radically deprived of the eco-
nomic use and enjoyment of its investments, as it the rights related thereto
(…) has ceased to exist 486 ; effectively neutralize the benefit of the property487 ;
Investor no longer be in control of its business operation, or that the value
of the business have been virtually annihilated 488 ; a substantially complete
deprivation of the economic use and enjoyment of the rights to the property,
or of identifiable distinct part thereof (i.e. it approaches total impairment) 489;
Expropriation require a strong interference 490 ; devastating effect on the eco-
nomic viability of the concession 491 ; « although the right in question lost some
of its substance, it did not disappear »492; the affected property must be impai-
red to such extend that it must be seen as taken 493 ; expropriation requires a
substantial deprivation 494 ; substantial deprivation of the entire investment
or substantial part of the investment 495 ; give rise to a substantial decrease of
the value of the investment 496 ; covert or incidental interference with the use of
property which has the effect of depriving the owner, in whole or in significant
part of the use 497 ; la disparition (…) sinon d’un titre de propriété, du
moins de la jouissance de ladite propriété ou de l’accès à celle-ci498.
De cet aperçu, les termes comme « radical », « complet », « neutrali­
sation », « anéantissement », « dévastation », « inutilité », « destruction
totale », « disparition », ne laissent pas de place à l’ambiguïté : il ne
doit rien subsister ou presque de la valeur économique de l’investisse­
ment. Mais on trouve aussi des termes comme, « excessif », « significa­
tif », ou « fort », qui renvoient également à une certaine intensité, tout
en laissant subsister quelques interrogations. Faut-il évaluer la perte
en valeur absolue par le biais d’un pourcentage de la part détruite
dans la valeur totale du bien ? Et jusqu’à quel degré ? La moitié, les

483 Starrett Housing, op. cit., note 90, p. 154.


484 CME c. République Tchèque, op. cit., note 312, § 591.
485 SD Myers c. Canada, op. cit., note 269, § 282-283.
486 Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, § 115.
487 CME c. Repubique Tchèque, op. cit., note 312, § 604.
488 Sempra c. Argentine, op. cit., note 3, § 285.
489 Fireman c. Mexique, op. cit., note 119, § 176.
490 PSEG Global et al. c. Turique (ARB/2 mai), sentence CIRDI du 19 janvier 2007,
§ 279.
491 Vivendi II c. Argentine, op. cit., note 159, § 7.5.26.
492 Ibidem, § 64.
493 GAMI Investment Inc, c. Mexico, sentence CNUDCI du 15 novembre 2004, § 126.
494 Pope & Talbot c. Canada, op. cit., note 300, § 102.
495 Eastern Sugar c. République Tchèque, sentence CNUDCI du 27 mars 2007, § 210.
496 Packerings c. Lituanie, op. cit., note 344, § 455.
497 Metalclad c. Mexique, op. cit., note 56, § 103.
498 Consortium RFCC c. Maroc, op. cit., note 322, § 68.

153
3/4 ou 90 % ? Ou faut-il plutôt procéder à une comparaison avec un
étalon de mesure extérieur qui désignerait le seuil d’une atteinte
inacceptable ? Dans ce cas, où poser cet étalon de mesure ? Ces pré­
occupations semblent ne pouvoir trouver de réponse que dans une
appréciation au cas par cas. Ainsi, il reviendra à l’arbitre d’apprécier
pour chaque situation si le préjudice est « substantiel » ou non, au
regard des facteurs qui lui semblent pertinents.
Par exemple, Dans Pope & Talbot, le tribunal a refusé de prendre
en compte une simple perte de bénéfice comme un préjudice de
degré élevé. Il a constaté en effet que l’investisseur continuait à
exporter des produits en quantité suffisante et à tirer de substantiels
profits de ces ventes499. De même dans l’affaire Feldman c. Mexique,
où le tribunal n’a pas conclu à un préjudice substantiel en se fon­
dant sur le constat que l’investisseur demeurait « free to pursue other
continuing lines of export trading, (…), although he is effectively precluded
from exporting cigarettes »500. Dans la même ligne, le tribunal dans l’af­
faire Nykomb c. Lettonie a considéré que la retenue d’une partie de la
somme due en paiement à un investisseur n’avait pas complètement
anéanti l’activité car « the payment of 0.75 rather than 2.00 of the tariff
does not result in the investment becoming worthless. The Claimant itself
admits that the pay-back time is only lengthened »501.
Comme conséquence de l’exigence d’un préjudice substantiel,
les tribunaux rejettent les dommages de moindre gravité. Ainsi, les
requêtes frivoles et abusives sont à écarter. Les restrictions mineures,
les simples désagréments administratifs et autres interférences moins
importantes ne peuvent constituer une expropriation indirecte. De
même, une activité rendue seulement plus difficile, mais pas impos­
sible ne sera pas prise en compte comme une expropriation indi­
recte. Comme le rappelait la sentence LG&E c. Argentine « interference
with the investment’s ability to carry on its business is not satisfied where
the investment continues to operate, even if profits are diminished »502. Cela
est justifié par le fait que le risque fait partie intégrante de l’inves­
tissement. L’investisseur est en effet soumis aux aléas économiques,
car « aucune entreprise […] ne peut échapper aux éventualités et
aux risques qui sont le résultat des conditions économiques géné­
rales »503. Tout opérateur économique peut s’attendre à des périodes
fastes et néfastes dans l’évolution de ses activités. Lorsque les diffi­

499 Pope & Talbot c. Canada, op. cit., note 300, § 102. Voir aussi Sea-Land, op. cit., note
426, p. 167. Dans cette affaire, le tribunal irano-américain a refusé de considérer
comme une interférence grave, un refus d’autorisation de conversion de la
monnaie locale en dollar américain d’une somme déposée dans une banque
iranienne.
500 Feldman c. Mexique, op. cit., note 34, § 152.
501 Nykomb c. Lettonie, op. cit., note 413, § 4.3.1, p. 33.
502 LG&E c. Argentine, op. cit., note 114, § 191.
503 Oscar Chinn, op. cit., note 105, p. 73.

154
cultés résultent des règlementations étatiques, mais qu’elles ne sont
pas insurmontables pour un opérateur économique avisé, l’investis­
seur devra trouver les moyens de les anticiper ou d’y faire face. Ainsi,
un tribunal a considéré que « the very reality of conduct tantamount to
expropriation is doubtful in the absence of a reasonable – not necessarily
exhaustive – effort by the investor to obtain correction »504.
Mais une fois que sa gravité est avérée, le préjudice doit être égale­
ment définitif.

•  L’exigence de principe d’une atteinte permanente


La situation économique de l’investisseur doit avoir été compro­
mise sur une longue durée. La jurisprudence a ainsi eu à exiger une
atteinte « non éphémère »505, ou une « deprivation […] enduring »506.
Pour le tribunal dans l’affaire LG&E c. Argentine, « the expropriation
must be permanent, that is to say, it cannot have a temporary nature »507.
Mais quelle doit être la durée exacte du préjudice causé par une
mesure d’expropriation indirecte ?
Les tribunaux ne fixent pas de délai uniforme. Ainsi, alors qu’une
année de prise de contrôle d’un hôtel par un État fut considérée
comme une expropriation dans l’affaire Wena Hôtel c. Égypte, bien
que le propriétaire ait récupéré finalement son investissement 508,
seulement quatre mois d’interdiction d’importation à la suite d’une
révocation de licence furent jugés suffisants pour qualifier une
mesure d’expropriation dans Middle East Cement c. Égypte 509. Dans
la première affaire, le tribunal a justifié son raisonnement en ces
termes : « allowing an entity to control seize and illegally possess the hotels
for nearly a year is more than an ephemeral interference »510. Au contraire,
huit mois d’une interdiction d’exporter ne furent pas jugés suf­
fisants pour conclure à une expropriation indirecte dans l’affaire
SD Myers c. Canada. Le tribunal y a estimé en effet que la fermeture
temporaire des frontières à l’importation d’un produit exploité par
l’investisseur n’avait fait que « différer une opportunité »511. Cette simple
difficulté temporaire ne pouvait donc équivaloir à une expropria­

504 Generation Ukraine c. Ukraine, op. cit., note 264, § 20.30.


505 Tippetts, op. cit., note 89, p. 225.
506 LG&E c. Argentine, op. cit., note 114, § 190.
507 Ibidem, § 193.
508 Wena Hôtel c. Argentine, op. cit., note 63, § 99. Cependant l’investisseur est rentré
en possession d’un hôtel gravement endommagé. Le tribunal dans la décision
sur l’interprétation a expliqué en ces termes la conclusion de la sentence
originale : « (…) there was no doubt in the tribunal’s mind that the deprivation of Wena’s
fundamental rights of ownership was so profound that the expropriation was indeed a
total and permanent one ». Décision sur l’interprétation du 31 octobre 2005, § 120.
509 Il faut noter les parties au différend ne discutaient pas l’existence d’une
expropriation, mais surtout le montant de l’indemnisation due.
510 Wena Hôtel c. Argentine, op. cit., note 63, § 99.
511 SD Myers c. Canada, op. cit., note 269, § 287. Traduction de l’auteure.

155
tion. Le facteur temporel fut aussi un élément d’appréciation, parmi
d’autres, dans l’affaire Oscar Chinn devant la CPJI. La cour n’a pas
considéré comme étant une dépossession, les effets d’un décret
ministériel octroyant une sorte d’avance sur trésorerie à une entre­
prise publique concurrente de l’investisseur, bien qu’elle fût renou­
velable512. En outre, un tribunal peut requalifier une mesure présen­
tée comme temporaire par l’État d’accueil, en mesure permanente
dès lors que les circonstances montrent clairement qu’elle ne sera
pas retirée dans à l’avenir513.
Cette flexibilité dans l’appréciation de la durée d’application de
la mesure préjudiciable a conduit le tribunal dans l’affaire RFCC
c. Maroc a statué que « s’il n’est pas nécessaire que cette disparition
(…) soit permanente, une mesure temporaire doit alors avoir des
conséquences substantielles équivalentes à une perte définitive. La
récupération du titre de propriété ou de l’accès à celui-ci ne replace
pas le propriétaire dans sa situation initiale (…) »514. En définitive,
ce n’est pas la durée de la mesure en soi qui importe, mais la durée
de ses effets handicapants sur l’investissement, autrement dit son
caractère irréversible. Cela signifie que la durée d’application de
la mesure doit être suffisamment longue pour que, même si celle-
ci est retirée par la suite, l’investisseur ne puisse plus raisonnable­
ment continuer son activité. Seule une approche au cas par cas peut
déterminer le caractère irréversible ou non d’une dépossession subs­
tantielle. La flexibilité dans l’appréciation de la durée nécessaire à
l’avènement d’un préjudice substantiel est parfaitement justifiée. En
effet, chaque situation est unique. Ainsi une annulation de permis
d’exploitation produira immédiatement un dommage considérable
et irréversible. Alors qu’une prise de contrôle temporaire d’une
société étrangère par la nomination forcée d’un administrateur
national peut faire partie d’une longue stratégie pour prendre pos­
session de l’investissement.
Dans le contentieux du tribunal irano-américain, les nominations
forcées d’administrateurs par le gouvernement iranien dans des entre­
prises contrôlées par des Américains et présentées comme provisoires
furent qualifiées d’expropriations indirectes. Toutefois, il faut préci­
ser que les nominations temporaires d’administrateurs ne sont pas en
soi des expropriations indirectes tant qu’elles ne s’accompagnent pas
d’une négation des droits de participation aux décisions et à la gestion

512 Oscar Chinn, op. cit., note 105, p. 86.


513 Par exemple, dans l’affaire Phelp Dodge, le tribunal avait constaté que « while
the law describes the managers as “trustees” and the administration of the factory as
“provisional”, (…) such deprivation has lasted for five years (…), and that it is likely
to continue indefinitely seems clear to the tribunal ». Phelps Dodge, op. cit., note 179,
§ 21-22.
514 Consortium RFCC c. Maroc, op. cit., note 322, § 68. Voir aussi Tecmed c. Mexique, op.
cit., note 121, § 116 ; LG&E, op. cit., note 114, § 193.

156
de l’entreprise. En effet, ce n’est pas la nomination en elle-même qui
cause le préjudice, mais bien les agissements ultérieurs des représen­
tants étatiques dans la gestion de l’entreprise. Il faut que cette gestion
ait conduit à priver l’investisseur du contrôle effectif de son entre­
prise515. L’affaire Tippetts, à propos d’un projet de construction d’un
aéroport, constitue à ce titre un exemple intéressant516. Bien qu’au
départ la nomination d’un administrateur fut effectuée avec l’accord
de l’investisseur, ce dernier constata rapidement que le nouveau gérant
assumait des pouvoirs de direction sur la société et pouvait engager
l’entreprise sans se référer ou obtenir l’accord de la partie américaine
(contrairement à l’accord de partenariat). Finalement, le gérant cessa
toute communication et n’impliqua plus le partenaire américain dans
la direction de l’entreprise et l’évolution du projet de construction. Le
tribunal a alors considéré au regard des faits, que « while assumption of
control over the property by a government does not automatically and immedia-
tely justify a conclusion that the property has been taken by the government (…),
such a conclusion is warranted whenever events demonstrate that the owner was
deprived of the fundamental rights of ownership and it appears that its depriva-
tion is not merely ephemeral »517. Bien avant la jurisprudence du tribunal
irano-américain, l’examen d’affaires portées devant des commissions
mixtes de réclamations ou des juridictions internes avait permis à un
auteur de parvenir à la même conclusion. Ainsi, pour B. H. Weston,
les affaires où le plaignant invoquait la mise sous « administration éta­
tique » de son entreprise n’étaient pas en soi des expropriations indi­
rectes518. Il fallait pour cela que certaines conditions soient réunies et
notamment que la désignation des gérants locaux temporaires ait eu
pour seul but de liquider l’entreprise, ou que l’investisseur se soit vu
refuser la reprise de la gestion de son entreprise alors que la situation
n’exigeait plus la mainmise de l’État519. En somme, dans les cas de
nominations forcés de gérants locaux, y compris pour des raisons légi­
times de sauvegarde d’intérêts sociaux et financiers (emplois, dettes),
la gestion ne devra ni perdurer au-delà du temps nécessaire, ni priver
l’investisseur de ses droits de participation dans les processus de déci­
sions et de perception des dividendes éventuels520. Notons enfin, avec

515 C’est le cas lorsque ce dernier ne reçoit plus aucun dividende de l’entreprise (y
compris ceux qui avaient été engrangés avant la prise de contrôle par l’État),
qu’il n’a aucune information sur les affaires courantes de l’entreprise, et ne
dispose d’aucune opportunité pour participer aux rencontres du comité de
direction ou des actionnaires.
516 Voir aussi, Starrett Housing, op. cit., note 90, p. 156.
517 Tippetts, op. cit., note 89, p. 225. Voir aussi l’affaire Foremost, op. cit., note 314,
dans laquelle la compensation ne fut pas accordée sur le fondement d’une
expropriation, mais d’une « mesure affectant la propriété ».
518 B. H. WESTON, op. cit., note 36, pp. 153-170.
519 Ibidem, pp. 163-165.
520 Pour des affaires où la nomination d’administrateur temporaire ne fut pas qua­
lifiée d’expropriation, voir Eastman Kodac, op. cit., Iran-US CTR, vol. 37, 2003,

157
le tribunal irano-américain dans Sea-Land, que la date de l’expropria­
tion survenue par le biais d’une prise contrôle, devra être fixée dès le
moment où il a été prouvé que suite à la nomination d’un administra­
teur « temporaire », il n’y avait plus d’espoir raisonnable d’une reprise
du contrôle par l’investisseur étranger521.
L’affirmation du principe de l’atteinte substantielle et irréversible
ne suffit pas véritablement à faire le tour de la question. Les défini­
tions mentionnées sont de l’ordre des généralités et des déclarations
de principes. Elles sont donc appropriées aux situations évidentes.
Mais entre l’anéantissement et le simple désagrément administratif,
il existe une zone grise qui rend l’interprétation plus délicate. Pour
y faire face, certains tribunaux ont cru devoir apporter une certaine
flexibilité au principe de l’atteinte substantielle et irréversible.

Un critère flexible : l’admission de préjudice partiel


Une partie de la doctrine et de la jurisprudence admettent expli­
citement ou implicitement qu’une atteinte partielle peut être une
dépossession, autrement dit une atteinte substantielle. Ainsi, le tri­
bunal dans l’affaire SD Myers c. Canada relevait qu’il serait « appro-
priate to view a deprivation as amounting to an expropriation, even if it
were partial or temporary »522. Certes le tribunal exige l’existence des
circonstances exceptionnelles ; circonstances qu’il n’a pas considé­
rées comme réalisées en l’espèce. Mais l’hypothèse était admise.
L’expropriation partielle a été envisagée et appliquée, cette fois avec
succès523, dans l’affaire Waste Management II c. Mexique. Le tribunal,
après avoir évalué l’effet des mesures municipales sur l’investisse­
ment comme une entité globale, estima devoir ensuite vérifier « whe-
ther (even if there was no wholesale expropriation of the enterprise as such) the
facts establish a partial expropriation »524.
L’admission d’atteintes partielles conduisant à des « expropria­
tions partielles » est critiquable. Il ne faut pas perdre de vue qu’un
rapport d’équivalence lie l’expropriation indirecte et l’expropria­
tion directe ; et que l’effet dommageable de la mesure sur l’inves­
tissement est ce rapport. Cela signifie donc que l’effet de la mesure
sur l’investisseur doit équivaloir à l’effet économique que produirait
sur lui la perte de son titre de propriété. Or, comment atteindre un

p. 153 et s., et Motorolla Inc. c. Iran National Airline Corp., 28 juin 1988, Iran-US
CTR, vol. 19, p. 73 et s. Pour un commentaire critique de ces décisions, voir
G. H. ALDRICH, op. cit., note 87, pp. 182-184.
521 Sea-Land, op. cit., note 426, pp. 278-279.
522 SD Myers c. Canada, op. cit., note 269, § 283.
523 Nous ne partageons pas l’analyse du tribunal lorsqu’il a conclu à une
expropriation partielle des sommes dues à l’investisseur par la municipalité
mexicaine aux termes d’un contrat, alors que l’activité de l’entreprise n’était
pas compromise dans son ensemble. Voir Waste Management II c. Mexique, op. cit.,
note 99, § 163.
524 Ibidem, § 141.

158
tel niveau de préjudice si l’investissement n’est pas anéanti ou ne
présente plus aucune valeur économique ? Comment un préjudice
partiel peut-il rendre la détention de l’ensemble des droits inutiles ?
Certes, l’atteinte d’un seul élément du droit de propriété peut, selon
le type d’investissement en cause, rendre impossible toute activité
future. Mais il s’agira alors d’une atteinte totale faisant suite au pré­
judice causé à une composante de l’investissement. D’ailleurs, dans
l’affaire SD Myers c. Canada, le tribunal après avoir admis l’hypothèse
d’une dépossession partielle, s’est pourtant refusé à voir dans une
simple baisse de profits n’ayant pas entraîné la faillite de l’entreprise,
une expropriation indirecte, même partielle525.
À notre avis, admettre des atteintes partielles revient à admettre
des atteintes non substantielles, dans le sens d’une « détention des
droits devenue inutile ». Mais l’hypothèse n’est pas clairement écar­
tée par tous les tribunaux.

§ 3 – L’incertitude des facteurs de vérification


de la gravité du préjudice causé à l’investissement

Bien que cette distinction ne soit pas généralement opérée, l’exi­


gence d’un préjudice substantiel est une étape qui ne se confond
pas avec celle de la vérification de la gravité de l’atteinte à l’investis­
sement. Une chose est de réclamer qu’un degré élevé de gravité soit
atteint, une autre est de trouver les facteurs pour vérifier qu’il a été
atteint. Il ne s’agit pas d’un critère autonome, mais du moyen d’ap­
plication d’un critère, à savoir celui du préjudice substantiel. Et à ce
niveau, une grande incertitude entoure le processus de qualification
de l’expropriation indirecte. Les tribunaux utilisent en effet des fac­
teurs issus du contexte des mesures verticales (A), qui sont de ce
fait inadaptés aux mesures horizontales (B). Mais paradoxalement,
l’usage de critères inappropriés se révèle souvent profitable à l’État
d’accueil, car elle peut difficilement conduire à la constatation d’un
préjudice grave lorsqu’une mesure horizontale est en cause (C).

A. Les facteurs de vérification issus de la sentence Pope & Talbot c. Canada

Il faut noter à titre liminaire que l’examen des sentences arbitrales


ne laisse pas facilement appréhender les facteurs de vérification
du préjudice utilisés par les tribunaux. À la diversité des raisonne­
ments, s’ajoute souvent l’indigence des démonstrations526. La variété
des argumentations s’explique aisément par la singularité des litiges
portés devant les tribunaux. Chaque cas est spécifique et même le
recours à des règles de droit identiques ne peut faire échec à des

525 SD Myers c. Canada, op. cit., note 269, § 101.


526 Voir par exemple la sentence CMS c. Argentine, op. cit., note 113, § 163-164, dans
laquelle le tribunal évacue la question en deux paragraphes.

159
applications particulières tenant compte des faits, des prétentions
des parties ou de la manière dont les plaidoiries sont menées et les
preuves présentées devant le tribunal. Quant au fait que parfois les
arbitres retiennent ou rejettent des allégations d’expropriations indi­
rectes quasiment sans démonstration, l’explication pourrait résider
dans ce que certaines affaires ne présentent pas de réelles ambiguï­
tés. En effet, lorsqu’une activité est devenue simplement impossible à
réaliser, il est facile d’y voir une expropriation indirecte.
Malgré ces limites, une ligne générale peut être dégagée. Ainsi,
certains facteurs de vérifications de la gravité du préjudice subi par
l’investisseur reviennent régulièrement dans les observations des tri­
bunaux. Il s’agit de ce qui est dénommé ici le test Pope & Talbot, du
nom de la principale sentence qui l’a formalisé. Le tribunal arbitral
dans cette affaire, pour évaluer à quel point l’investissement avait
été compromis, a pris en compte plusieurs éléments en ces termes :

« the Investor remains in control of the Investment, it directs the day-to-day opera-
tions of the Investment, and no officers or employees of the Investment have been
detained by virtue of the Regime. Canada does not supervise the work of the officers
or employees of the Investment, does not take any of the proceeds of company sales
(apart from taxation), does not interfere with management or shareholders’ acti-
vities, does not prevent the Investment from paying dividends to its shareholders,
does not interfere with the appointment of directors or management and does not
take any other actions ousting the Investor from full ownership and control of the
Investment »527.

Il ressort de ce paragraphe que l’investisseur, pour prétendre avoir


subi une expropriation indirecte, doit avoir perdu ses pouvoirs de
contrôle sur son investissement et l’accès aux bénéfices. S’il a encore
le libre choix des stratégies économiques de l’entreprise, la gestion
quotidienne des opérations, l’accès aux bénéfices générés par son
entreprise, la liberté d’aller et venir pour lui et son personnel, sa
requête sera alors rejetée. Depuis lors, plusieurs tribunaux se sont
référés à ce paragraphe de la sentence Pope & Talbot. Ce fut le cas
des tribunaux dans l’affaire CMS c. Argentine 528, LG&E c. Argentine 529,
Sempra c. Argentine 530, Suez InterAgua c. Argentine 531, PSEG c. Turquie 532,
ou encore Marvin Feldman c. Mexico 533 qui ont repris les mêmes fac­
teurs d’appréciation du préjudice substantiel. D’autres sentences,

527 Pope & Talbot c. Canada, op. cit., note 300, § 100.
528 CMS c. Argentine, op. cit., note 113, § 263.
529 LG&E c. Argentine, op. cit., note 114, § 188 .
530 Sempra c. Argentine. op. cit., note 3, § 284.
531 Suez InterAgua c. Argentine, op. cit., note 34, § 129.
532 PSEG Global Inc. and Konya Ilgin Elektrik Üretim ve Ticaret Limited Sirketi c. Turquie
(ARB/02/5), sentence CIRDI du 19 janvier 2007, § 278.
533 Marvin Feldman c. Mexico, op. cit., note 34, § 152.

160
comme la première affaire rendue dans le cadre de la Charte euro­
péenne de l’énergie, reprennent les mêmes facteurs, mais sans citer
de références : « in the present case, there is no possession taking of Windau
or its assets, no interference with the shareholder’s rights or with the manage-
ment’s control over and running of the enterprise (…) »534. En clair, pour
la plupart des tribunaux, la liste de facteurs élaborés dans Pope &
Talbot c. Canada est « representative of the legal standard required to make a
finding of indirect expropriation »535.
En examinant de près ces facteurs de vérification, on est frappé par
la ressemblance avec des faits déjà portés auparavant devant d’autres
tribunaux arbitraux, et notamment le tribunal irano-américain insti­
tué en 1981536. Dans les affaires comme Starrett Housing, Tippetts, Sedco,
ou Phelps Dodge, l’investisseur se plaignait justement d’avoir perdu la
conduite quotidienne de son entreprise à cause de la désignation for­
cée d’un administrateur local, ou d’avoir perdu l’accès à ses dividendes
ou son droit de vote en tant qu’actionnaire au sein d’une société pas­
sée sous le contrôle de l’État iranien, ou encore d’avoir été contraint
physiquement à quitter l’Iran. Or, tous ces éléments se retrouvent dans
les observations du tribunal dans la sentence Pope & Talbot c. Canada.
À partir de là, on peut donc raisonnablement établir que la ligne ins­
tituée par la sentence Pope & Talbot est directement inspirée des faits
portés devant le tribunal irano-américain. Si l’on s’accorde sur ce
point, la première conséquence est que ces facteurs de vérifications
furent conçus pour les formes de dommages causés par des mesures
verticales. En effet, le contentieux du tribunal irano-américain consti­
tue l’une des meilleures illustrations de mesures verticales d’expro­
priation indirecte. Et même en ouvrant la perspective au-delà de ce
tribunal, les situations qui coïncident avec cette liste de facteurs de
vérification sont bien des mesures verticales.
En règle générale, les tribunaux constatent brièvement que ces fac­
teurs sont présents ou pas. Il est vrai qu’un exposé détaillé est quasi­
ment inutile dans le cas des mesures verticales. Il suffit de constater
que l’investissement n’existe plus matériellement pour son déten­
teur. Seuls les cas de prise de contrôle par le biais de la nomination
d’administrateurs requièrent une investigation plus importante,
dans la mesure où le tribunal irano-américain a exigé la preuve que
la gestion de l’administrateur ait effectivement privé l’investisseur de

534 Nykomb c. Lettonie, op. cit., note 413, § 4.3.1, p. 33. Voir dans le même sens la
sentence Azurix c. Argentine, op. cit., note 115, § 322, dans laquelle le tribunal
a conclu que « Azurix did not lose the attributes of ownership, at all times continued
to control ABA and its ownership of 90 % of the shares was unaffected. No doubt the
management of ABA was affected by the Province’s actions, but not sufficiently for the
Tribunal to find that Azurix’s investment was expropriated ».
535 Enron Corporation and Ponderosa Assets, L. P. c. Argentina, op. cit., note 3, § 245.
536 On pense aussi aux sentences rendues par des tribunaux ad hoc comme Biloune
c. Ghana, op. cit., note 69, ou Lena Goldfiels c. URSS, op. cit., note 65.

161
ses droits au sein de l’entreprise. Mais, pour ce qui est de la grande
majorité des mesures verticales, qu’il s’agisse d’un retrait ou d’une
annulation de permis d’exploitation indispensable à l’activité d’in­
vestissement, d’une saisie ou destruction des locaux et du matériel,
ou de l’expulsion pure et simple de l’investisseur hors du territoire
national, l’appréciation de la gravité du préjudice relève quasiment
du bon sens. Ces facteurs de vérifications ayant été conçus pour les
mesures verticales, ils leur sont donc parfaitement adaptés. Il en va
autrement des mesures horizontales.

B. La transposition inadaptée aux mesures horizontales

Si, pour les mesures qui touchent les droits de l’investisseur dans
leur intégrité sans retirer formellement le titre de propriété, le test
Pope & Talbot est approprié, il faudrait un autre test pour les mesures
horizontales qui ne touchent pas l’investissement dans son existence
même, mais dans sa capacité à être viable et à générer des béné­
fices. En effet, le mode de destruction des investissements n’est pas le
même selon que l’on est face à une mesure verticale ou à une mesure
horizontale.
La mesure horizontale type ne touche pas directement une préro­
gative juridique rattachée à un droit ou un bien corporel. Avec une
mesure horizontale qui modifie seulement l’environnement dans
lequel évolue un investissement, l’investisseur, très souvent, garde le
contrôle et la direction de son investissement. Il peut encore l’alié­
ner et il a libre accès aux bénéfices générés par ses activités. Sur ce
dernier point, précisons que l’incapacité de jouir des bénéfices de
son investissement ne se confond pas avec l’incapacité d’un inves­
tissement à produire des bénéfices. Les mesures verticales corres­
pondent souvent à la première hypothèse (exemple d’un bailleur
d’immeubles qui n’a plus accès aux loyers perçus pour cause d’impôt
exorbitant), alors que les mesures horizontales correspondent géné­
ralement à la seconde hypothèse (exemple d’une usine qui n’a plus
accès à une matière première désormais interdite à la vente sur le
territoire national, et cesse alors toute production). Dans le premier
cas, le bénéfice existe, mais il est hors de portée de l’investisseur.
Dans le second cas, l’investisseur a virtuellement accès à un béné­
fice qu’il n’est plus en mesure de produire. Quelques rares sentences
semblent cependant avoir perçu la différence. Ainsi, dans l’affaire
Waste Management II c. Mexique, le tribunal a reconnu que : « the reason
Waste Management withdrew from Acapulco was not because (…) because its
activity as a whole had been blocked, (…) but because (…) the operation was
persistently uneconomic »537.

537 Waste Management II c. Mexique, op. cit., note 99, § 157.

162
Parce que le dommage ne survient pas selon les mêmes modali­
tés, les facteurs de vérification ne peuvent donc pas être les mêmes.
Ce que l’investisseur invoque dans une expropriation par mesure
horizontale, c’est le fait qu’il ne lui est plus possible de tirer une
quelconque valeur économique de son activité dans un nouvel envi­
ronnement économique ou juridique, bien qu’il détienne le titre de
propriété, et bien qu’il garde le contrôle de son investissement. Dans
ces conditions, exiger de l’investisseur qu’il prouve un préjudice de
l’ordre de celui qui survient par une mesure verticale revient à lui
fermer l’accès à l’indemnisation, faute de preuves du préjudice.

C. Le paradoxe ou l’efficacité de l’usage de critères inappropriés

Paradoxalement, le fait d’appliquer des critères qui ne corres­


pondent pas aux mesures horizontales permet de ne pas qualifier la
plupart des plaintes d’expropriation indirecte par voie de mesures
horizontales. En témoigne le nombre relativement faible de sentences
où une expropriation a été reconnue, comparativement au nombre
de demandes formulées538. Nombreux sont les commentateurs atten­
tifs à l’évolution de la jurisprudence des tribunaux d’investissement
qui sont rassurés par ces faibles statistiques. Ces derniers expliquent
ces résultats par une prudence et un raisonnement mesuré des tri­
bunaux dans l’application des critères de qualification539. On a pu
dire aussi que c’est l’application particulièrement sévère du critère de
l’effet qui explique ces faibles statistiques. Nous sommes d’avis que ces
statistiques sont rassurantes et qu’il faut s’en féliciter. Mais elles sus­
citent aussi des inquiétudes. Il nous semble que ce n’est pas seulement
une prudence des arbitres qui en est la cause, mais aussi, et dans une
grande proportion540, l’application de facteurs inappropriés.
Cette application inadaptée explique mieux le faible taux d’ex­
propriation indirecte qualifiée dans la jurisprudence. Or, si la pru­
dence est nécessaire, elle doit s’appuyer idéalement sur des facteurs
appropriés qui sont interprétés avec circonspection. Autrement,

538 Alors que des centaines de plaintes pour expropriations indirectes ont été
portées devant les tribunaux arbitraux depuis le tribunal irano-américain, le
nombre de sentences favorables à l’investisseur se compte sur le les doigts de
la main. Dans un ouvrage récent, A NEWCOMBE & L. PARADELL, op. cit.,
note 98, pp. 346-347, ont relevé 7 qualifications positives dans l’ensemble des
sentences rendues sur le fondement de traités de protection des investissements
publiés.
539 Pour M. FRIEDMAN et autres, « International Arbirtration », International Law
Journal, 2007, vol. 41, pp. 280-281, « one could argue that the failed expropriation
claims in (…) arbitrations demonstrate investor-state arbitral tribunal’s wariness of
indicating state responsibility under that traditional international law delict ».
540 Toutefois, le traitement juste et équitable semble devenir un standard de
protection refuge en lieu et place de l’expropriation indirecte. Les investisseurs
invoquent avec plus de succès la violation de cette clause.

163
le moment pourrait venir où les arbitres appliqueront les facteurs
de vérification qu’ils jugeront mieux appropriés aux mesures hori­
zontales, alors même que leurs critères de qualification demeurent
encore larges ou au moins entourés d’une grande incertitude. Le
nombre de requêtes d’expropriation indirectes accueillies favorable­
ment par les tribunaux pourrait alors augmenter sensiblement.
À ce propos, un certain malaise peut être relevé dans les sentences
arbitrales, y compris parmi celles qui ont le plus clairement opté
pour le critère du seul effet. Dans l’affaire SD Myers c. Canada, le tri­
bunal a évoqué furtivement dans son interprétation de l’article 1110
ALENA (expropriation), un autre critère à savoir le but de la mesure.
Il a en effet accepté que « in legal theory, rights other than property rights
may be “expropriated” and that international law makes it appropriate for
tribunals to examine the purpose and effect of governmental measures »541.
Bien qu’ayant cité le but de la mesure, aucune conséquence pratique
n’a été tirée de cette affirmation dans la suite de la sentence. Pour­
quoi alors, les arbitres ont-ils néanmoins ressenti le besoin de rele­
ver ce critère souvent rejeté dans le processus de qualification de
l’expropriation indirecte ? Doit-on juste y voir un terme qui se serait
glissé par inadvertance dans le texte ? Il est plus probable, comme le
laisse d’ailleurs supposer un membre du tribunal dans son opinion
concurrente542, que les arbitres aient voulu d’une certaine manière
se prémunir contre les critiques que susciterait la prise en compte
exclusive de l’effet préjudiciable, dans l’une des premières affaires
ALENA sur une mesure environnementale.
Par ailleurs, on peut se demander si ces facteurs de vérification du
préjudice n’ont pas été largement reçus dans la jurisprudence en rai­
son de ce résultat finalement commode. Bien évidemment, non pas
parce que les arbitres chercheraient ainsi à atteindre un résultat par­
ticulier. Mais parce que l’application de critères inappropriés permet
au final de masquer les lacunes de la doctrine du seul effet pour la
catégorie de mesures horizontales. Il est vrai que cette doctrine offre
des avantages certains. Elle a la capacité de couvrir toutes les formes
possibles de dépossessions, y compris celles qui se dissimulent der­
rière l’arbitraire ou les manœuvres déguisées de l’État. Cependant,
à trop vouloir enserrer la réalité, elle risque d’attirer dans le champ
de l’expropriation indirecte, des situations qui n’en relèvent pas,
même si elles s’y apparentent. La doctrine du seul effet, lorsqu’elle
est rigide et automatique dans son application, peut transformer
l’expropriation indirecte en une clause « attrape tout ».

541 SD Myers c. Canada, op. cit., note 269, § 281.


542 Pour le juge B. SCHWARTZ, avec l’application du critère du seul effet, dans
certains cas « a finding of expropriation might contribute to public misunderstanding
and anxiety about both this decision and the wider implications of the investment chapter
of NAFTA. » Le tribunal a-t-il voulu devancer une incompréhension du large
public ? La question est ouverte.

164
Chapitre 3

Une notion interférente pour la qualification


des mesures horizontales : la mesure « de police »

L’expropriation indirecte renvoie à une multitude de situations.


De ce simple fait, elle partage des frontières avec un grand nombre
de notions juridiques voisines. Il en résulte souvent des confusions
rendant le processus de qualification complexe. Parmi les notions
voisines543, la « mesure de police » symbolise, à elle seule, les limites
de la doctrine du seul effet dans le processus de qualification des
mesures horizontales d’expropriation indirecte.
La mesure de police fait partie de ces notions dont on saisit ins­
tinctivement le sens, mais qui se révèlent plus complexes lorsqu’il
s’agit de les appliquer à un cas concret. À titre liminaire, on peut
retenir que la mesure de police est une mesure de règlementation
générale prise par un État en vertu de ses pouvoirs de police ; pou­
voirs de police qui lui sont reconnus à la fois par le droit interne
et le droit international pour sauvegarder l’intérêt général et assu­
rer le bon fonctionnement de la société544. La mesure de police est
également désignée par l’expression « mesure de règlementation

543 On peut citer l’obligation de traitement juste et équitable (TJE) dont la


définition de plus en plus extensive tend à en faire une notion « attrape-tout ».
Sur ce point, voir L. REED, D. BRAY, « Fair and Equitable Treatment : Fairly and
Equitably Applied in lieu of Unlawful Indirect Expropriation ? », in Contemporary
Issues in International arbitration and Mediation, p. 15, qui se demandent, et à juste
titre, si les tribunaux n’utilisent pas désormais le TJE comme un « second cousin
for finding of indirect expropriation ». Sur la notion de TJE, voir Ch. H. SCHREUER,
« Fair and Equitable Treatment in Arbitral Practice », Journal of World Investment
and Trade, 2005, vol. 6, p. 357 et s ; R. DOLZER, « Fair and Equitable Treatment :
A Key Standard in Investment Treaties », International Law Journal, 2005, vol.
39, p. 1 et s ; E. SNODGRASS ; « Protecting Investor’s Legitimate Expectations :
Recognizing and Delimiting General Principle », ICSID Review-FILJ, 2006,
vol. 21, p. 1 et s. ; P. MUCHLINSKI, « “Ceveat Investor” ? The Relevance of
the conduct of Investor under the Fair and Equitable Treatement Standard »,
ICLQ, 2006, vol. 55, p. 527 et s. ; T. WESTCOTT, « Recent Practice on Fair and
Equitable Treatment », Journal of World Investment and Trade, 2007, vol. 8, p. 409
et s.
544 Il faut dès à présent distinguer les mesures de police, au sens de « lois de police »,
utilisées en droit international privé. Les deux phénomènes peuvent cependant
se chevaucher. Une loi de police parce qu’elle vise un intérêt public particulier,
peut être considérée dans le cadre du contentieux de l’expropriation comme
une mesure de police.

165
publique ». Cette notion est en réalité au cœur de la problématique
de cette étude. Une mise en parallèle cursive de la portée juridique
des deux termes laisse déjà entrevoir une profonde incompatibilité.
En droit international coutumier, une mesure d’ordre général non
discriminatoire et prise dans un but d’intérêt public légitime est une
mesure de police qui n’ouvre pas droit à indemnisation malgré son
éventuel impact négatif sur la propriété privée. Dans les traités de
protection des investissements, une mesure étatique qui lèse grave­
ment un investissement est une expropriation indirecte devant être
effectuée dans un but d’intérêt public, de manière non discrimina­
toire et s’accompagner d’une indemnisation.
Après avoir tenté de saisir ce que recouvre précisément la notion de
« mesure de police », et devoir se contenter d’une définition générale
(section 1), il sera possible de comprendre les enjeux d’une absence
de délimitation adéquate par rapport à l’expropriation indirecte
(section 2). Enfin, l’analyse du principe de distinction entre les deux
notions, aussi largement préconisé qu’il n’est pas appliqué, révélera
les limites de cette solution (section 3).

Section 1 – La notion de mesure de police

La notion de mesure de police ne se laisse pas aisément appré­


hender. Elle est, comparativement à l’expropriation indirecte, plus
difficile à délimiter. Mais pouvait-il en aller autrement, quand on sait
l’origine de cette notion importée en droit international des investis­
sements (§ 1) et sa nature fonctionnelle (§ 2)?

§ 1 – Retour sur la notion de mesure de police en droit interne

Avant de rechercher la définition de la mesure de police en droit


international des investissements, il est nécessaire d’en connaître les
origines. Cette notion se rencontre dans plusieurs droits nationaux.
Mais, l’influence directe et notable de la jurisprudence américaine
justifie que l’on se focalise sur ce dernier (A). Sa transposition en
droit international des investissements ne s’est pas faite sans diffi­
culté (B).

A. Une notion importée du droit constitutionnel américain

L’influence de la conception américaine


Il est généralement admis dans les droits internes que « l’État n’est
pas responsable de son action normative en général, que ce soit par voie légis-
lative ou règlementaire, si elle est menée de bonne foi, même si elle cause un
préjudice aux intérêts privés »545. Dans le droit constitutionnel américain,

545 C. LEBEN, « La liberté normative… », op. cit., note 123, p. 177.

166
la mesure de police édictée sur la base des pouvoirs de police (Police
Power) de l’État a connu des développements importants en relation
avec la notion d’expropriation indirecte. On y parle précisément de
« mesures prises en vertu des pouvoirs de police ».
L’influence de la jurisprudence américaine en matière d’expro­
priation sur le plan international fut reconnue de longue date, et a
été dénoncée par plusieurs auteurs. Ainsi, on a pu se demander si la
transposition des « principes développés en interprétation de la consti­
tution américaine » ne conduirait pas à « importer en droit internatio­
nal l’idéologie américaine »546. T. Weiler considère que « while the inter-
national of expropriation may bear something in common with U.S. Taking
jurisprudence, it is not the same thing »547. D’autres estiment simplement
que la doctrine des pouvoirs de police ne peut être transposée dans
le droit international des investissements en raison du statut particu­
lier du droit de propriété américain, de l’incertitude qui caractérise
la jurisprudence fédérale, ainsi que du confinement de cette doctrine
aux seuls droits réels de propriété et non à l’investissement internatio­
nal548. Ces critiques soulèvent des points pertinents. Peut-on se baser
sur le droit américain en matière de pouvoirs de police, et unique­
ment ce droit, alors qu’il s’agit ici d’une étude en droit international
des investissements ? En plus du risque d’être illégitime, cette juris­
prudence élaborée dans un contexte interne particulier, est-elle trans­
posable en droit international ? Il faut reconnaître, avec deux auteurs
que : « arguments for compensations requirements that are dubious in the US
domestic context become altogether untenable when translated into the interna-
tional sphere. We should therefore proceed with great caution in opening the
door to regulatory expropriations claims »549.
Malgré ces réserves, le fait est que la notion de mesure de police en
droit international des investissements doit beaucoup à la doctrine
des Police power du droit américain, et qu’il est impossible de l’igno­
rer. Bien avant que l’on ne parle formellement de mondialisation,
« american investors were exporting capital and American concepts about the
protection of private property abroad »550. Et cela, bien que la conception

546 C. LEVESQUE, op. cit., note 203, p. 52. L’auteur propose que la jurisprudence
américaine soit prise comme un « élément de preuve dans un ensemble plus vaste ».
547 T. WEILER, « A first Look… », op. cit., note 238, p. 186.
548 Voir K. A. BYRNE, op. cit., note 262, p. 103 ; M. SORNARAJAH, op. cit., note 40,
pp. 370-371 et pp. 383-384. Dans le même sens, V. BEEN, op. cit., note 262, p. 50,
considère que « importing a regulatory taking doctrin into NAFTA’s investor protection
provisions allows international arbitrators, who have even less legitimacy, to second-guess
domestic legislative judgments ».
549 V. BEEN, J. C. BAUVAIS, « The global Fith Amendment : NAFTA’s Investment
protections and Misguided Quest for an International “Regulatory Taking”
Doctrine », NYU Env. Law Rev., 2003, vol. 78,
550 B. APPLETON, op. cit., note 262, p. 36. M. SORNARAJAH, op. cit., note 40,
p. 386, rappelle que : « Hegemonic Powers have always sought to transfer their domestic
law into the international sphere. They have had a measure of success in their efforts ».

167
américaine de la propriété et de sa protection551 ne soit pas universel­
lement partagée par toutes les législations du monde.

La définition de la mesure de police par la Cour suprême américaine


La protection en cas d’expropriation (Taking) est prévue dans le
5e et 14e amendement de la constitution américaine. Elle est plus ou
moins équivalente à la protection actuelle offerte par les TBI aux
investisseurs privés étrangers. Ainsi, le droit américain autorise l’ex­
propriation des biens privés des nationaux lorsque l’utilité publique
l’exige et contre une indemnisation pleine et effective. Ce pouvoir
d’exproprier dans l’intérêt public en contrepartie d’une indemnisa­
tion, relève du domaine de souveraineté (Eminent Domain) de l’État.
Dans le même temps, la jurisprudence américaine en interprétant la
constitution américaine, a reconnu un autre pouvoir à l’État, celui
des Police Power. En vertu de ce pouvoir, l’État peut dans certaines
conditions, porter préjudice aux biens privés des nationaux, toujours
dans l’intérêt général, mais cette fois sans devoir verser d’indem­
nité552. Ce principe est donc une œuvre doctrinale et prétorienne.
La Cour Suprême américaine a élaboré une définition de la
mesure de police qui se résume globalement, à l’objectif qu’elle
poursuit. Ainsi, elle a observé que ces mesures visent à protéger la
santé publique, la sécurité et le bien-être général553. Pour en résumer
le contenu, un auteur américain remarque, références jurispruden­
tielles à l’appui, que « where the government is engaged in zoning, nuisance
abatement, conservation, business regulation, or a host of other functions,
courts will usually decide that the economic loss suffered by the private citizen
was a mere incident of the lawful exercise of the « police power » and thus is
not compensable »554. Mais comment isoler les mesures de police non
compensables des autres mesures indemnisables ? Concrètement,
deux doctrines se sont succédé dans la définition de la mesure de
police.
La première consistait à prendre en compte le rôle de l’État (selon
que ce dernier s’approprie le bien ou interdit simplement son usage
sans en tirer une contrepartie financière), et la qualité de l’activité
d’investissement (selon qu’il s’agit d’un usage inoffensif ou nocif).
La jurisprudence de la Cour suprême a épousé cette doctrine dans la
décision Mugler c. Kansas en 1887 : « legislation [which] does not disturb

551 Pour une vue générale de la conception américaine du droit de propriété, voir
M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, pp. 383-385.
552 Pour une étude détaillée du droit américain sur cette question, voir J. L. SAX,
« Taking and the Police power », The Yale Law Journal, 1964, vol. 74, n° 1,
pp. 36-76.
553 Voir par exemple, Rith Energy, Inc. c. United States, 270 F.3d 1347, 1352 (Federal
Circuit, 2001). Cité par E. SHENKMANN, « Could Principles of fifth Amendment
Taking Jurisprudence be Helpful in analyzing Regulatory Expropriation Claims
under International Law ? » NYU Environmental Law Journal, 2003, Vol. 11, p. 187.
554 J. L. SAX, op. cit., note 552, p. 36.

168
the owner in the control or use of his property for lawful purposes, nor restrict
his right to dispose to it, but only a declaration by the State that its use by any
one, for certain forbidden purposes, is prejudicial to the public interests »555.
La qualification reposait alors sur un critère qualitatif. La mesure
de police était donc celle qui était prise pour mettre fin à un usage
nocif dans l’intérêt général de la société, et par lequel l’État ne retire
ni le titre de propriété, ni ne l’utilise à ses fins propres. Cette doc­
trine pêchait par son trop grand formalisme. Par exemple, il suffit
que l’État rende d’abord une activité illicite par sa règlementation
avant de développer ensuite ses propres activités, au lieu de simple­
ment exproprier le propriétaire en lui versant une indemnisation.
De même, une activité qui était licite lors de sa mise en œuvre peut
devenir illicite, sans qu’elle soit à la source de la nuisance qu’elle
constitue désormais au regard de la loi. Ce serait le cas d’une usine
qui, après lotissement de la zone environnante en zone résidentielle,
constitue désormais une nuisance sonore pour les riverains.
La seconde doctrine, développée au début du XXe siècle met l’ac­
cent sur un critère quantitatif, c’est-à-dire la gravité du préjudice
subi. Cette thèse est née du constat que l’État ne se contentait plus
de réglementer les activités nocives ou illicites. Il fixait de plus en
plus des objectifs de développement à atteindre qui ne pouvaient se
réaliser que par des mesures actives portant atteinte à des propriétés
privées dont l’usage demeure pourtant inoffensif ou conforme à la
loi. L’interventionnisme effréné de l’État a alors sonné le glas de la
première doctrine. Ainsi, dans la décision Hudson Country Water Co.
c. McCarter, la Cour suprême a considéré que si la propriété affectée
par la mesure était « wholly useless, the right of property would prevail other
the other public interest, and the police power would fail »556. Selon cette
théorie, seuls les « petty larceny of the police power »557 échappent à l’obli­
gation d’indemnisation. La mesure de police est donc selon cette
doctrine, la mesure de règlementation publique dont l’incidence est
sans extrême gravité sur l’usage de la propriété privée. La Cour a
eu l’occasion de reconnaitre néanmoins que dans certaines circons­
tances exceptionnelles, même une destruction totale de la propriété
pouvait ne pas donner droit à indemnisation, sans cependant établir
précisément ces circonstances.

L’incertitude des éléments constitutifs


Dès le départ, le concept des pouvoirs de police fut entouré d’une
grande incertitude qui semble n’avoir pas encore été complètement
dissipée aujourd’hui. L’accueil du concept par les tribunaux améri­

555 Mugler c. Kansas, 123 U.S. 623 (1887). Cité par J. L. SAX, Ibidem, p. 38.
556 209 U.S. 349, 355 (1908). Cité par J. L. SAX, Ibid, note 552, p. 41.
557 Expression du Juge HOLMES, in Holmes-Laski Letters, Howed éd., 1953, p. 457.
Cité par J. L. SAX, Idid, p. 55.

169
cains n’a pas été uniforme558. Ces derniers, au lendemain de la créa­
tion du jeune État fédéral américain, semblaient plus favorables à
une large définition des mesures de police et cela pouvait s’expliquer
par le besoin de construire un État alors pauvre en infrastructures,
mais disposant de moyens financiers limités. Puis, avec le dévelop­
pement économique et industriel des États-Unis, la tendance a été
de renforcer la protection constitutionnelle d’un droit de propriété
absolu, tolérant difficilement la notion de mesure de police. C’est
justement à cette époque que les États-Unis, dont les capitaux privés
s’exportaient, ont défendu avec vigueur et constance l’indemnisation
systématique des intérêts privés lésés à l’étranger559. C’est pourquoi
certains auteurs reprochent aux États-Unis d’avoir importé sélective­
ment dans la sphère internationale une partie de leur droit interne
relatif à la protection de la propriété privée, c’est-à-dire la théorie de
l’expropriation indirecte indemnisable, sans l’autre versant qui est
celui de la mesure de police non indemnisable560.
En définitive, la Cour suprême américaine a continuellement
appliqué de manière incohérente, la définition qualitative ou quan­
titative de la mesure de police, sans développer d’approche claire561.
Ainsi, le critère quantitatif (gravité du préjudice) semble faire
l’unanimité aujourd’hui dans la jurisprudence américaine, même si
le mode d’évaluation du préjudice excessif demeure incertain. Cette
acception de la mesure de police est en adéquation avec le terme de
Regulatory Takings. Ces derniers sont simplement des expropriations
indirectes qui surviennent par le biais de règlementations générales
ayant toutes les caractéristiques d’une mesure de police. Par Regu-
latory Taking, il faut donc comprendre une expropriation indirecte
résultant d’une forme particulière de règlementation. Toutefois, la
jurisprudence américaine n’a pas complètement évacué le critère
qualitatif (nature de la mesure) qui permet à des mesures d’être non
indemnisables malgré la gravité du dommage causé à la propriété.
Mais le repérage de ce type de mesures demeure encore incohérent
dans la pratique des tribunaux. Comme le notait L. J. Sax, la Cour
suprême reconnait elle-même que « “no rigid rules” or “set formula” are
available to determine where regulation ends and taking begins »562. Si le
concept de mesure de police ne bénéficie pas d’une définition uni­
voque dans le droit constitutionnel américain, il connaît les mêmes
incertitudes dans le droit international des investissements.

558 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, pp. 883-385.


559 Pour un résumé des positions américaines dans leurs relations extérieures de
1818 jusque dans le courant des années 1950, voir R. L. BINDSCHEDLER, op.
cit., note 453, pp. 201-204.
560 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 387.
561 J. L. SAX, op. cit., note 552, p. 46.
562 L. J. SAX, op. cit., note 552, p. 37. Citations omises.

170
B. Le processus de transposition
en droit international des investissements

La transposition de la doctrine américaine en droit internatio­


nal des investissements s’est effectuée par le biais d’un instrument
dépourvu de force juridique, mais ayant eu une influence notable.
L’élaboration en 1987 du Restatement of the Law Third, The foreign
Relations Law of the United States 563 (ci-après Restatement Third) par la
société américaine de droit international. Cette œuvre doctrinale564,
qui a connu deux reformulations successives, répondait à une ambi­
tion a priori légitime des juristes américains : faire le point sur les
règles du droit international qui lient les États-Unis d’une part, et
d’autre part les règles du droit interne qui ont une incidence sur les
relations extérieures des États-Unis565. Il est vrai que ce document,
œuvre de publicistes qualifiés, peut servir comme moyen auxiliaire
de détermination du droit. Cependant, comme l’a souligné P. Juil­
lard, « il serait vain de se dissimuler que malgré son très grand souci
de neutralité et d’objectivité, le Restatement repose sur certains sou­
bassements idéologiques, qui sont ceux de la doctrine dominante
aux États-Unis, et qui affleurent par endroits »566.
Le Restatement Third prévoit un paragraphe 712 intitulé « State Res-
ponsability for Economic Injury to Nationals of Others States ». Ce dernier
énonce globalement des règles sur l’expropriation qui sont similaires
à celles prévues par les TBI. L’article est suivi par un commentaire
dont le point g dénommé « Expropriation or Regulation » commence
par poser que l’article 712 s’applique également aux formes indi­
rectes de l’expropriation. Il introduit ensuite la notion de mesures
de police en ces termes :

« a State is not responsible for the loss of property or for the other economic disadvan-
tage resulting from the bona fide general taxation, regulation, forfeiture for crime,
or other action of the kind that is commonly accepted as within the police power of
State, if it is not discriminatory (…) and is not designed to cause the alien to aban-
don the property to the state or sell it at a distress price »567.

563 American Law Institute, Restatement of the Law, (Third), The foreign Relations Law
of the United State, American Law Institute Publishers, St. Paul, Minesota, 1987,
vol. 2.
564 Le document est le résultat des travaux privés d’experts réunis au sein d’une
société savante, l’American Law Institute, et ne fait pas œuvre de codification.
La première version fut publiée en 1965.
565 Voir les commentaires de P. JUILLARD, « Chronique de droit international
économique, Investissements », AFDI, 1988, pp. 582-588.
566 Ibidem, p. 583.
567 Restatement Third, op. cit., note 563, p. 200. Notons que ce paragraphe englobe
également la confiscation pour crime. En réalité, cette dernière n’a pas besoin
de l’exception de la mesure de police pour être écartée de la définition de
l’expropriation indirecte.

171
Cette reconnaissance des pouvoirs de police dans le droit inter­
national de l’expropriation est suivie par un aveu révélateur des
auteurs du Restatment Third : « As Under United States constitutional law,
the line between « taking » and regulation is sometimes uncertain »568. En
outre, leurs notes précisent que « in general, the line in international
law is similar to that drawn in United States jurisprudence for purposes of the
fifth and fourteenth Amendments to the constitution in determining whether
there has been a taking requiring compensation »569. Ainsi, en prenant en
compte les mesures de polices dans la problématique des mesures
d’expropriation indirecte, c’est bien la doctrine américaine, elle-
même incertaine, qui est importée.
Malgré ce constat, nombreux sont les tribunaux arbitraux inter­
nationaux qui citent directement le Restatement Third à l’appui de
leurs raisonnements570. Ce commentaire g est également cité pour
démontrer la pertinence de la notion de « mesure de police » ou de
la « réglementation publique non compensable » dans le contentieux
de l’expropriation indirecte571. Tous s’accordent pour reconnaître sa
difficile délimitation, mais nul ne remet véritablement en cause son
existence.
Le commentaire g du § 712 du Restatement Third soulève pourtant
plus de questions qu’il n’apporte de réponses. En effet, que faut-il
entendre par mesure prise de bonne foi et sans discrimination ? Mais
surtout, quelles sont les mesures qui sont communément acceptées
comme relevant des pouvoirs de police de l’État au regard du droit
international ? À ces interrogations, les réponses du droit internatio­
nal des investissements ne sont pas plus précises que celles du droit
américain.

§ 2 – Le contenu de la notion de mesure de


police en droit international des investissements

Deux questions doivent être posées pour pouvoir qualifier une


mesure étatique en mesure de police. Dans un premier temps, la
mesure poursuit-elle un des intérêts publics pour lesquels un État
peut recourir à ses pouvoirs de police ? Un faisceau d’indices permet
de dégager une liste non exhaustive d’intérêts publics dits légitimes
(A). Dans un second temps, cette mesure a-t-elle été édictée selon un
processus adéquat ? A ce niveau, certaines règles encadrent les moda­
lités d’édiction de la mesure de police (B). Au regard des réponses
qui sont apportées, il faut conclure que la mesure de police ne peut

568 Commentaire g. Restatement Third, Ibidem, p. 201.


569 Reporter’ s Notes, n° 6. Restatement Third, op. cit., note 563, p. 211.
570 Voir par exemple, Pope & Talbot, op. cit., note 300, § 99, note de bas de page 72 ;
Feldman c. Mexico, op. cit., note 34, §  99 ; Suez InterAgua c. Argentine, op. cit., note
34, § 128.
571 Voir par exemple la sentence Sedco, op. cit., note 91, p. 275.

172
être définie au-delà de ce qui est possible avec une notion fonction­
nelle (C).

A. Les intérêts publics légitimant l’édiction d’une mesure de police

Dire que la mesure de police doit viser un intérêt public semble


relever de la tautologie. En effet, l’ensemble des mesures édictées
par un État est plus ou moins directement relié ou est censé être
relié à la poursuite de l’intérêt général. Il faut donc isoler la mesure
de police de ce vaste ensemble que constituent les règlementations
publiques d’un État. Cela suppose logiquement que certains intérêts
publics soient considérés comme spécifiques ou supérieurs au point
que les mesures prises pour les réaliser bénéficient d’un régime juri­
dique propre. Cet exercice est nécessaire, mais difficile.

Une liste non exhaustive d’intérêts publics légitimes


La liste des intérêts publics qui peuvent justifier l’usage des pou­
voirs de police par un État a connu une certaine évolution. Au
départ, quatre principales catégories revenaient régulièrement dans
les sentences arbitrales et la doctrine : les mesures d’ordre public ou
de moralité publique ; les mesures de protection de la vie et la santé
humaine ; les mesures fiscales et monétaires, et enfin les mesures
d’ordre pénal572.
Ainsi, l’article 10.5 du projet de Harvard distingue une catégorie
de mesures étatiques à laquelle s’applique un régime juridique diffé­
rent de celui de l’expropriation indirecte :

« an uncompensated taking of property of an alien or a deprivation of the use or


enjoyment of property of an alien which results from the execution of the tax laws ;
from a general change in the value of currency ; from the action of the competent
authorities of the State in the maintenance of public order, health, or morality ; or
from the valid exercise of belligerent rights ; or is otherwise incidental to the normal
operation of the laws of the State 573 shall not be considered wrongful »574.

De même, Le commentaire g du § 712 du Restatement Third parle de


« bona fide general taxation, regulation, forfeiture for crime ».
Avec la naissance et le développement du concept de développe­
ment durable au plan international, deux autres catégories peuvent
être désormais ajoutées à cette liste : la protection des droits de

572 Voir, G. C. CHRISTIE, op. cit., note 37, pp. 331-332 ; J.-P. LAVIEC, op cit., note 52,
p. 165 ; B. A. WORTLEY, op. cit., note 5, pp. 45-50 ; SEIDL- HOHENVELDERN,
« Semantics… », op. cit., note 183, p. 229 ; M. SORNARAJAH, op. cit., note 40,
p. 374.
573 Il s’agit, selon les rédacteurs, des décisions de justice imposant des pénalités
dans le cadre des procédures criminelles. On peut y ranger les confiscations.
574 L. B. SOHN, R. R. BAXTER, op. cit., note 135, p. 554.

173
l’homme, y compris les droits sociaux fondamentaux des travail­
leurs, et la protection de l’environnement. Plusieurs TBI récents
reconnaissent ainsi que chaque État a le droit de règlementer pour
protéger la santé publique, l’environnement et les droits sociaux des
travailleurs. En cela, le contenu de la mesure de police ne fait que
refléter les évolutions du droit international.
Ces indicateurs d’intérêts publics légitimant le recours aux pou­
voirs de police par un État demeurent cependant vagues et peuvent
recouvrir une multitude de situations. Afin d’apporter un minimum
de cohérence, quelques auteurs575 ont proposé de se limiter aux inté­
rêts publics correspondant aux standards minimaux internationaux.
De ce fait, en matière de droits de l’homme, une mesure étatique
qui saisirait les locaux d’une agence de presse pour atteinte à l’ordre
public ou à la moralité publique ne serait pas une mesure de police,
car il s’agirait en même temps d’une violation de la liberté d’expres­
sion. Il a ainsi été proposé, aux cas où il n’existerait pas de standards
communément acceptés sur le plan international, de se reporter
aux pratiques communes des États, telles que les règles sur la libre
concurrence. Mais la liberté d’expression n’est ni un droit absolu, ni
un droit règlementé de manière uniforme dans les différents États
en raison des réalités sociales, religieuses et politiques.
Une autre solution consiste à proposer comme critère, les pratiques
qui sont à la fois acceptables pour les pays exportateurs et les pays
importateurs de capitaux576. Ainsi, pour A. S. Weiner, il faut écar­
ter les pratiques qui ne concernent qu’un groupe d’États. Comme
exemple d’intérêts publics non communément acceptés, il cite ceux
qui furent considérés comme légitimes par une partie du monde
lors des revendications pour un NOEI, à savoir les mesures visant la
redistribution collective de la propriété. Comme exemple d’un inté­
rêt public communément accepté, l’auteur cite les principes de l’Or­
ganisation Internationale du Travail auxquels a adhéré la presque
totalité des États dans le monde. Selon lui, la protection de l’environ­
nement est aussi une valeur acceptée à la fois par les pays développés
et en développement. Il considère aussi que les mesures concernant
la lutte contre les trusts, ou visant la protection des consommateurs
et l’aménagement du territoire sont des mesures de police.

Une absence de définition de l’intérêt public légitime


Les explications doctrinales apportées en renfort de la liste exem­
plaire des intérêts publics légitimant le recours aux pouvoirs de

575 Voir A. NEWCOMBE, L. PARADELL, op. cit., note 98, pp. 360-361 ; A. REINISCH,
op. cit., note 373, p. 434.
576 A. S. WEINER, «  Indirect Expropriations : The Need for a Taxonomy of
« Legitimate » Regulatory Purposes », International law forum, Vol. 5, n° 3, 2003,
p. 167. Cette distinction n’est plus pertinente aujourd’hui pour un grand nombre
d’États et il vaut mieux parler de pays en développement et pays développés.

174
police de l’État ne sont pas encore suffisantes. À supposer qu’un
intérêt public soit considéré comme communément accepté par l’en­
semble ou une majorité représentative des États, et même qu’il soit
directement prévu dans un instrument conventionnel contraignant,
cela ne garantit pas une interprétation uniforme de cet intérêt dans
chaque État. En effet, ces intérêts peuvent être diversement compris
d’un pays à un autre, d’une culture à une autre, d’un niveau de déve­
loppement à un autre, etc.
Ainsi, la moralité publique et l’ordre public peuvent intégrer selon
les États, des mesures faisant face à des activités criminelles comme
le trafic de drogue, la contrebande, mais aussi la pornographie, la
consommation d’alcool, la prostitution, etc. Comme le notait un
auteur, « in a world of divergent moral and political philosophies, how are
judgments to be made about the scope of « legitimate » police powers with res-
pect of morality »577.
La protection des droits de l’Homme, malgré sa nature coutumière
et son assise historique, n’est pas à l’abri d’interprétations diver­
gentes. En matière de protection de l’environnement, il peut exister
des problèmes d’application en raison de la terminologie flexible de
certaines des prescriptions conventionnelles. Peut-on traiter identi­
quement une mesure qui impose à une entreprise polluante de sup­
porter les coûts générés par le traitement des résidus dangereux, et
une mesure qui crée une zone écologique en mettant fin à toute
exploitation économique dans le périmètre ? À cela s’ajoutent les
incertitudes liées aux données scientifiques et au principe de pré­
caution qui entraîne la réflexion sur des terrains peu familiers aux
juristes. En matière de protection de la vie et de la santé humaine,
il semble plus aisé d’invoquer les pouvoirs de police. Tel serait le cas
d’une épidémie bovine qui peut imposer l’abattage massif de bêtes
dans les exploitations agricoles. L’affaire dite des melons offre un
exemple pertinent 578. En 1894, le Brésil avait fait détruire la produc­
tion de melons en raison d’une crise de choléra dans le pays. Les pro­
ducteurs américains n’ayant pas eu gain de cause devant les autorités
brésiliennes pour leur demande d’indemnisation, ils se sont retour­
nés vers les États-Unis pour demander la protection diplomatique.
L’État américain a alors renoncé à engager des démarches au motif
que les circonstances justifiaient une non-indemnisation. Toutefois,
en dehors de ces différends qui ne furent pas réglés par la voie arbi­
trale, la pratique offre peu d’exemples significatifs.
Les mesures fiscales semblent constituer une catégorie communé­
ment acceptée. En effet, la règle qui inclut les mesures fiscales dans
la catégorie de mesures de police est très largement reconnue dans
la doctrine. Par exemple, F. A. Mann affirme que « (…) there is a vital
difference between taxation and the Taking of property, a difference which

577 A. NEWCOMBE, « The Boundaries… », op. cit., note 38, p. 424.


578 J. B. MOORE, International Law Digest, Vol. VI, Section 1003.

175
is one of both definition and substance (…) » même s’il ajoute immédia­
tement que « the question of definition (…) has not yet been satisfactorily
answered »579. Le droit international coutumier autorise clairement
une charge fiscale, même lourde sur les investissements, au titre
des pouvoirs de police de l’État. Le pouvoir de lever des impôts est
l’un des plus anciens et des plus fondamentaux droits souverains de
l’État. Cela explique sans doute sa large prise en compte dans la liste
des mesures de police. Les questions monétaires semblent avoir aussi
une place privilégiée. Plusieurs agences nationales ou internatio­
nales d’assurance des investissements privés à l’étranger excluent de
leur protection les pertes résultant de la dévaluation ou de la dépré­
ciation de la monnaie. La plus significative est l’Agence Multilatérale
de Garantie des Investissements (AMGI), instituée sous l’égide de la
Banque Mondiale, qui garantit des investissements effectués dans les
pays en développement contre les risques non commerciaux580. Ainsi,
l’article 11.b du traité instituant l’AMGI de 1985 exclut des risques
admissibles à la garantie, ceux liés à la dévaluation et la dépréciation
de la monnaie581. Toutefois, il ne s’agit que d’un mécanisme de garan­
tie, et ses impératifs ne répondent pas nécessairement à ceux d’un
TBI. Quoi qu’il en soit, la règlementation de la monnaie demeure un
domaine emblématique de la souveraineté étatique.
En définitive, il faut retenir qu’une liste unanime, définitive et pré­
cise n’existe pas, même si pour certains auteurs, « there appears to be
an emerging consensus that certains types of state measures are considered
legitimate »582. À notre avis, il faudra se contenter ici d’une liste non
exhaustive d’intérêts publics parmi lesquels sont incluses les ques­
tions d’ordre public, d’ordre sanitaire, d’ordre fiscal, d’ordre moné­
taire, de protection de l’environnement et des droits sociaux des tra­
vailleurs. Mais il ne suffit pas qu’une règlementation vise un intérêt
public légitime pour qu’elle soit une mesure de police. Elle doit être
édictée selon un processus exempt de tout vice.

B. Le processus d’édiction de la mesure de police

En 1961, l’article 10.5 du projet de Harvard avait créé une caté­


gorie spécifique de mesures étatiques bénéficiant d’un régime spé­
cial. Mais ces mesures devaient répondre à certaines conditions : la
mesure ne devait pas être discriminatoire au regard du droit interne,
ne devait pas remettre en cause de manière déraisonnable les prin­

579 F. A. MANN, « Outline of… », op. cit., note 6, p. 212.


580 Les risques couverts sont ceux qui concernent les transferts de devises, les
expropriations et les mesures similaires, les violations contractuelles, les guerres
et les troubles civils.
581 Article 11.b de la Convention AMGI, (http://www.miga.org/documents/miga_
convention_november_2010.pdf)
582 A. REINISCH, op. cit., note 373, p. 434.

176
cipes de justice reconnus par les principaux systèmes juridiques, ne
devait pas constituer un abus de pouvoir visant à priver l’investisseur
de son bien, et ne devait pas contrevenir aux articles 6 à 8 du projet
[déni de justice]583. Le commentaire des rédacteurs précisait ensuite
que « the judicial, fiscal, and police powers of the State not be used to cloak
an uncompensated seizure of an alien’s property. This sub-paragraph would
preclude taxes raised to confiscatory levels from being used as means of secu-
ring the property of an alien without paying him for it »584. La mesure de
police doit donc être prise sans discrimination et sans intention mal­
veillante. L’AMGI prévoit aussi une catégorie de mesures qui n’est
pas couverte par la garantie de l’Agence à l’article 11 (b). Ici encore,
ces mesures monétaires doivent être d’application générale, être non
discriminatoires et être prises dans l’intérêt général.
Trois critères reviennent donc souvent lorsqu’il est question du
processus d’édiction des mesures de police : la bonne foi, la non-
discrimination et l’exercice normal. Des auteurs ont aussi proposé
comme référence, « the society’s current standard of reasonably acceptable
behavior »585. Mais ces mots étant eux-mêmes des standards, on n’est
pas plus avancé. Dans les faits, il est encore plus difficile de définir la
procédure licite d’édiction de la mesure de police que d’énumérer
les intérêts publics légitimes. Néanmoins, l’idée générale véhiculée
est que la mesure de police doit être édictée et mise en œuvre « rai­
sonnablement ». Le concept du raisonnable résume bien les qualités
auxquelles doit répondre l’édiction des mesures de police. Il exclut
l’arbitraire, l’excessif, la mauvaise foi, la discrimination. Autrement
dit, l’État en édictant la mesure de police doit, autant que possible,
éviter de causer des dommages aux biens privés. Il doit agir avec la
plus grande impartialité et objectivité pour atteindre l’intérêt public
poursuivi. Les dommages qui en résulteront doivent être, en quelque
sorte, inévitables pour réaliser l’intérêt général.

C. La mesure de police : une notion fonctionnelle

La notion fonctionnelle est une notion large qui recouvre diffé­


rentes catégories dont l’unité réside uniquement dans leur utilité.
De ce fait, le rôle de la jurisprudence est essentiel pour déterminer
les cas où cette notion est applicable. La mesure de police est une
notion fonctionnelle. Elle se résume finalement à sa fonction : la

583 Le texte original se lit comme suit : « (a) it is not a clear and discriminatory violation
of the law of the State concerned ; (b) it is not the result of a violation of any provision
of Articles 6 to 8 of this Convention ; (c) it is not an unreasonable departure from the
principles of justice recognized by the principal legal systems of the world ; and (d) it is not
an abuse of the powers specified in this paragraph for the purpose of depriving an alien of
his property ». L. B. SOHN, R. R. BAXTER, op. cit., note 135, p. 562.
584 Ibidem.
585 T. WÄLDE, A. KOLO, op. cit., note 39, p. 827.

177
réalisation d’un intérêt public particulier. La mesure de police peut
prendre la forme de règlements, de lois ou de décisions de justice.
Elle peut concerner divers intérêts, dont la protection de la santé,
de l’environnement, de la sécurité, ou des droits humains. Elle
peut découler d’une obligation internationale ou non. Elle peut
enfin s’adresser à des personnes morales ou physiques, des activités
diverses, etc. Le seul point commun réside, excepté le fait qu’il doit
s’agir d’une mesure étatique directement imputable à l’État, dans
l’existence d’un but d’intérêt public. La mesure de police est, en sim­
plifiant, l’ensemble des mesures « essential to the efficient functioning of
the State »586. Ni la doctrine, ni la jurisprudence ne s’aventurent à la
définir plus précisément.
Mais il ne suffit pas de dire que la mesure de police poursuit la
réalisation de l’intérêt général. Toutes les mesures d’un État pour­
suivent virtuellement cet objectif. La mesure de police se situe à un
niveau encore plus élevé. Elle est indispensable à la pérennité et au
fonctionnement de l’État. La spécification du but d’intérêt public
poursuivi est primordiale, si on ne veut pas voir la notion de mesure
de police se diluer complètement au point de n’être plus identifiable.
Sans cette qualité supérieure octroyée à la mesure de police, il est
pratiquement impossible de l’isoler des autres mesures de règlemen­
tation publique qui peuvent relever d’autres notions juridiques, dont
l’expropriation. Il ne suffit donc pas de produire une liste d’inté­
rêts publics communément acceptés, il faudrait d’abord établir une
grille de sélection basée sur la prééminence de certains intérêts. Il
sera alors possible de dire, au fur et à mesure, pourquoi et comment
un tel intérêt public sera inclus dans la liste, et tel autre pas. Mal­
heureusement, ceux qui invoquent souvent la mesure de police ne
tiennent pas compte de cette nécessité. Rares sont les auteurs en effet
qui militent pour une taxinomie de la mesure de police sur la base
de la particularisation des buts d’intérêts publics poursuivis587.
La nature fonctionnelle de la mesure de police s’illustre également
dans la définition générale de la notion. En effet, c’est par ses consé­
quences juridiques qu’elle est appréhendée : « le pouvoir de police
de l’État […] est celui de règlementer, ou de limiter des droits indivi­
duels dans l’intérêt public ; pour sérieuses que soient les limitations
imposées, elles ne confèrent pas de droit à indemnisation »588. L’ab­
sence de définition précise ne semble pas préoccuper les nombreux
commentateurs qui s’intéressent aux mesures de police en droit
international des investissements. Ce qui importe en réalité, ce sont
les conséquences juridiques qu’elles ont sur le plan de la responsabi­

586 D’après l’expression de M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 374.


587 Voir cependant A. S. WEINER, op. cit., note 576, pp. 166-167, qui estime que « a
key factor in assessing regulatory measure is the specific public welfare purpose served by
the challenged regulation ».
588 J.-P. LAVIEC, op. cit., note 52, p. 165.

178
lité de l’État. Les mesures de police intéressent et interpellent avant
tout l’opinion publique parce qu’elles ne créent pas d’obligation sys­
tématique d’indemnisation malgré leurs éventuels dommages subs­
tantiels sur l’investissement privé.
Cependant, l’expropriation licite s’exerce aussi dans l’intérêt
public. Par conséquent, si la mesure de police doit se résumer à la
mesure visant un intérêt général, « l’expropriation n’est plus possible,
faute d’espace conceptuel »589. Il apparaît déjà en filigrane que la notion
de mesure de police sera d’un maniement difficile dans le conten­
tieux international des investissements, car l’interférence qu’elle
cause avec la définition de l’expropriation indirecte est particuliè­
rement sérieuse.

Section 2 – La teneur de l’interférence


avec la définition de l’expropriation indirecte

La mesure de police cause une interférence dans la définition de


l’expropriation indirecte, car ces deux notions couvrent virtuelle­
ment les mêmes catégories de mesures. Les ressemblances sont d’ail­
leurs si importantes que l’on peut douter de la possibilité, voire de
l’intérêt à effectuer la distinction. Pourtant, cette démarcation est
essentielle, car si les éléments caractéristiques des deux notions sont
très proches (§ 1), leurs conséquences juridiques sont diamétrale­
ment opposées (§ 2).

§ 1 – Des caractéristiques proches


de celles de l’expropriation indirecte

La mesure de police, tout comme la mesure équivalente à une


expropriation est une mesure imputable à l’État d’accueil (A), visant
un intérêt public (B), et causant un préjudice à l’investisseur étran­
ger protégé (C).

A. Une source identique : la mesure imputable à l’État d’accueil

Les mesures de police et les mesures d’expropriation indirecte


prennent naissance à la même source : l’innombrable série de lois
et règlements édictée continuellement par chaque État pour réguler
les activités économiques qui se déroulent sur son territoire590. De ce
fait, l’ensemble des mesures éligibles au statut d’expropriation indi­
recte est aussi éligible au statut de mesures de police. En d’autres
termes, les faits-candidats sont identiques dans les deux situations.

589 C. LEVESQUE, op. cit., note 203, p. 72.


590 Pour rappel, la responsabilité pour violation de l’obligation de diligence était
différente de la responsabilité pour expropriation indirecte.

179
En pratique, l’identité est plus étroite entre la mesure de police et
la mesure horizontale d’expropriation. Cette dernière en effet est
une réglementation d’ordre général qui ne vise pas l’investisseur. La
mesure de police est normalement aussi une mesure générale. Mais
la catégorie des mesures horizontales n’épuise pas celle des mesures
de police. Une décision individuelle peut théoriquement être une
mesure de police.
Par conséquent, à ce stade et sans autres considérations, une
mesure étatique peut tomber indifféremment dans l’une ou l’autre
catégorie.

B. Un même but : l’intérêt public

La mesure de police et la mesure d’expropriation indirecte, pour


autant que cette dernière soit licite, visent un intérêt public. Cet élé­
ment commun aux deux notions est la source principale de l’interfé­
rence. Deux remarques peuvent être faites sur ce point.
Dans un premier temps, l’intérêt public n’intervient pas au même
niveau dans l’analyse des deux notions. Tandis qu’il est un critère de
qualification pour la mesure de police, il est un critère de licéité pour
la mesure d’expropriation indirecte. Mais cette différence ne fait pas
obstacle à l’interférence, bien au contraire. En effet, le fait que la
mesure de police soit d’intérêt public n’interdit pas théoriquement
sa qualification en expropriation indirecte. Cela est même souhai­
table pour que la responsabilité de l’État ne soit pas engagée au titre
d’une expropriation illicite. De ce fait, si donc une mesure éligible
au statut d’expropriation indirecte se trouve être une mesure de
police, ce serait théoriquement un point positif pour l’État (l’expro­
priation est licite, car elle visait un intérêt public légitime) comme
pour l’investisseur (le préjudice est indemnisable).
Dans un second temps, il n’y a pas de différenciation possible entre
les intérêts publics poursuivis par les deux mesures. D’un côté, on
peut imaginer que selon le type d’intérêt public invoqué, la mesure
soit qualifiée ou non de mesure de police. Mais d’un autre côté, la
licéité de l’expropriation indirecte est indifférente au type d’inté­
rêt public en cause, qu’elle laisse d’ailleurs à l’appréciation souve­
raine de l’État. Si un intérêt public est jugé comme légitime pour
la mesure de police, cette qualité n’a pas d’incidence directe sur la
qualification de l’expropriation indirecte. De surcroît, la notion de
pouvoirs de police ne bénéficie pas elle-même d’une liste précise
et exhaustive des intérêts publics légitimes. Et quand bien même il
serait possible d’y parvenir, cela ne sera pas d’un concours suffisant.
Exceptionnel ou pas, un intérêt public a la même valeur au regard
du régime juridique de l’expropriation.
L’intérêt public poursuivi par la mesure ne permet donc pas non
plus de distinguer entre une mesure de police et une mesure d’ex­

180
propriation indirecte. Comme le notait R. Higgins, « property is taken,
or regulated, to promote the general welfare on an ad hoc basis »591.

C. Un impact similaire : le préjudice substantiel sur l’investissement

La mesure d’expropriation indirecte est celle qui cause un préju­


dice économique substantiel et irréversible à l’investisseur. Il s’agit
d’une condition fondamentale pour la qualification. Par contre,
l’impact préjudiciable n’est pas fondamental pour la mesure de
police. En effet, cette dernière peut selon les cas, causer un préju­
dice grave comme elle peut avoir un impact économique minime,
voire nul, sur les investissements. Elle ne se définit donc pas par le
préjudice causé.
Toutefois, la mesure de police ne présente d’intérêt dans le conten­
tieux de l’expropriation que lorsqu’elle cause des dommages graves
aux investissements étrangers. Nul ne se préoccupera du fait qu’une
mesure de police prise dans l’intérêt général ne cause pas de tort à
autrui. On ne peut que s’en féliciter. Mais c’est lorsqu’elle est suscep­
tible de causer des dommages importants que la mesure de police
interfère avec la définition de l’expropriation indirecte. En outre, en
raison de l’interventionnisme croissant des États dans la sphère éco­
nomique, les mesures de police dommageables se sont multipliées à
une puissance exponentielle.
Si donc une mesure de règlementation imputable à l’État et visant
un intérêt public cause un préjudice important à un investisseur
privé étranger, elle pourra aussi bien être qualifiée d’expropriation
indirecte que de mesure de police. En se basant donc uniquement
sur les répercussions handicapantes pour l’investisseur, il n’est tou­
jours pas possible de distinguer la mesure de police de la mesure
d’expropriation indirecte.
Malgré l’étroitesse des rapports entre mesure de police et mesure
d’expropriation indirecte, une fusion entre les deux notions n’est
pourtant pas possible. Car selon que la mesure sera de police ou
d’expropriation indirecte, le doit international a prévu des consé­
quences juridiques différentes.

§ 2 – Des conséquences juridiques diamétralement


opposées : une non-indemnisation de principe face
à une indemnisation obligatoire

Une expropriation indirecte licite et a fortiori illicite implique le


paiement d’une indemnisation à l’investisseur lésé. Dans une expro­
priation indirecte licite, l’indemnisation est une condition de
licéité intervenant directement dans la mise en œuvre de ce droit.

591 R. HIGGINS, op. cit., note 258, p. 276.

181
Lorsqu’elle est octroyée dans le cadre d’une expropriation indi­
recte illicite, elle vient s’ajouter comme la réparation requise pour
un fait illicite. Dans ce dernier cas, l’État devra donc payer à la fois
pour l’acte même d’exproprier et pour le fait illicite qui accompagne
cet acte592.
Au contraire, la mesure de police ne donne pas droit à une indem­
nisation. Cette absence d’indemnisation est directement rappe­
lée dans la définition qui est généralement donnée à la mesure de
police. Alors que toute l’économie des TBI vise à mettre l’investis­
seur à l’abri des actions étatiques préjudiciables, et à lui garantir le
cas échéant une compensation correspondant au dommage subi, la
mesure de police pose absolument le contraire. Elle permet à un
État de prendre certaines mesures dommageables à l’investisseur
sans être tenu de l’indemniser en retour.
La portée de la règle selon laquelle la mesure de police ne donne
pas droit à une indemnisation n’est pas toujours nettement comprise.
En effet, il est possible d’envisager qu’un État fasse un usage dérai­
sonnable de la mesure de police et la transforme alors en un fait
internationalement illicite. Ce qui ouvrirait un droit à réparation ou
à indemnisation. Tel sera le cas si la mesure de police se révèle être
finalement discriminatoire ou édictée pour des raisons autres que la
réalisation d’un intérêt public. C’est ainsi que certains auteurs esti­
ment que la mesure de police se transforme dans ces conditions en
expropriation indirecte ou Regulatory Taking et doit s’accompagner
d’une indemnisation593. Il s’agit d’un amalgame regrettable. Les cri­
tères de bonne foi, de non-discrimination et du but d’intérêt public
ne sont pas des conditions de licéité pour la mesure de police. Il
s’agit des critères dont dépend la qualification elle-même. De ce fait,
une mesure qui ne remplit pas ces critères ne sera tout simplement
pas une mesure de police, mais correspondra à une autre notion, qui
sera peut-être l’expropriation indirecte. Par conséquent, dès lors que
la qualification en mesure de police est acquise, aucune obligation
d’indemnisation ne saurait être encore invoquée.
En résumé, si l’intérêt public et la non-discrimination inter­
viennent dans la qualification d’une mesure de police, ils en sont
exclus au contraire dans celle d’une expropriation indirecte. Pour
la même mesure éligible, il suffit donc de renverser les critères de
licéité en éléments constitutifs et vice versa pour glisser d’une notion
à une autre. Le risque de confusion est donc très élevé.
En conclusion, la mesure de police et la mesure équivalant à une
expropriation sont deux notions étroitement liées. De ce fait, il
existe un risque important qu’elles se chevauchent ou que l’une se

592 Même si en pratique, cette distinction n’est pas toujours effectuée par les
tribunaux. Le calcul de l’indemnisation dépendra généralement du caractère
rentable ou non de l’investissement.
593 Voir par exemple, V. HEISKANEN, op. cit., note 40, p. 173 et p. 185.

182
fonde simplement dans l’autre. Pour éviter cette possible confusion,
comment établir une ligne de démarcation ? Idéalement la mesure
de police, une fois qualifiée comme telle, doit pouvoir rester hermé­
tique à toute qualification ultérieure en expropriation indirecte. À
ce propos, un auteur a constaté que dans son acception originale, les
pouvoirs de police étaient « as a per se exemption from any duty to com-
pensate »594. Il convient d’évaluer maintenant à quel point les mesures
de police sont véritablement des « règlementations intouchables »595 dans
l’arbitrage investisseur-Etat sur le fondement des TBI.

Section 3 – Le principe inopérant de distinction entre


mesure de police et mesure d’expropriation indirecte

L’intérêt et la légitimité d’un principe de distinction entre l’expro­


priation indirecte et la mesure de police sont reconnus depuis long­
temps. Encore fallait-il formuler la règle de manière à la rendre effi­
cace. Bien qu’il soit souvent affirmé comme un leitmotiv, ce principe
de distinction demeure largement inopérant dans le contentieux de
l’expropriation indirecte (§ 1). Mais il a au moins le mérite de mettre
en lumière l’incapacité de la doctrine du seul effet à encadrer les
mesures horizontales pouvant être qualifiées d’expropriations indi­
rectes (§ 2).

§ 1 – L’énoncé explicite du principe de distinction

Le principe de distinction, diversement formulé, se dégage aussi


bien des textes internationaux relatifs à l’investissement (A), que de
la jurisprudence et de la doctrine (B).

A. Affirmation du principe de distinction dans les instruments


relatifs à l’investissement : de l’exclusion à la présomption

Les textes internationaux relatifs à l’investissement qui prévoient


un principe de distinction entre expropriation et mesure de police
se subdivisent en deux groupes. Le premier groupe rassemble des
textes qui n’ont pas, à quelques exceptions près, de valeur contrai­
gnante dans un arbitrage investisseur-Etat. Ils posent un principe de
distinction rigide. Le second groupe réunit les traités bilatéraux ou
régionaux d’investissements conclus récemment qui prévoient aussi
un principe de distinction plus souple.

594 C.  YANNACA-SMALL, «  Indirect expropriation and the Right of the


Government to regulate Criteria to articulate the difference », in C. RIBEIRO
(éd.), International Investment arbitration and the Energy Charter Treaty, Huntington,
JurisNet, LLC, 2006, p. 161.
595 Expression de A. COSBEY, op. cit., note 38, p. 156.

183
Le recours à l’exclusion dans les textes non contraignants
Le recours à l’exclusion est utilisé dans au moins trois instruments
internationaux non contraignants, auxquels il faut ajouter comme
exception notable un récent traité régional de protection des inves­
tissements.
Le plus ancien texte non contraignant est le projet de convention
sur la responsabilité internationale des États pour les dommages
causés aux étrangers, élaboré en 1961. Le projet de Harvard prévoit
un article 10.5 qui se lit comme suit :

« an uncompensated Taking of property of an alien or a deprivation of the use or


enjoyment of property of an alien which results from the execution of the tax laws ;
from a general change in the value of currency ; from the action of the competent
authorities of the State in the maintenance of public order, health, or morality ; or
from the valid exercise of belligerent rights ; or is otherwise incidental to the normal
operation of the laws of the State shall not be considered wrongful »596.

Sous certaines conditions, ces mesures de police, comme les quali­


fient ainsi les rédacteurs du projet dans leurs commentaires, ne sont
donc pas illicites bien qu’elles ne soient pas accompagnées d’une
indemnisation.
Le second texte est le commentaire g du § 712 du Restatement Third
analysé précédemment. Il pose également un principe de distinction
similaire en plusieurs points à celui du projet de Harvard précité.
Le troisième texte, à savoir l’AMGI, exclut des circonstances cou­
vertes par l’assurance au titre d’une expropriation, sauf autorisation
spécifique : « (…) non-discriminatory measures of general application which
governments normally take for the purpose of regulating economic activity in
their territories »597. Dans tous les cas, les mesures de dévaluation de
la monnaie ne sont jamais garanties par l’Agence.598 On peut noter
également, à titre subsidiaire, le contrat d’assurance type de l’Over­
seas Private Investment Corporation (OPIC), bien qu’il s’agisse d’un
organisme public national. Un exemple de ce contrat a été examiné
dans la sentence Revere Cooper c. OPIC 599, à l’occasion d’un arbitrage
institué sous l’égide de l’American Arbitration Association (AAA).
Pour rappel, les objectifs de ces agences d’assurance ne sont pas
simplement d’appliquer les règles du droit international, mais aussi
de minimiser les coûts de l’assurance octroyée. Il est donc normal
qu’une compagnie d’assurance puisse exclure certains préjudices
pour des questions de rentabilité. Néanmoins, ces clauses méritaient
d’être signalées, car elles font référence au droit international.

596 L. B. SOHN, R. R. BAXTER, op. cit., note 135, p. 554.


597 Convention AMGI, article 11 (a) ii.
598 Ibidem, article 11 (b).
599 Revere Coopper & Bras Inc. c. OPIC, AAA, sentence du 24 août 1978, ILM, 1978,
vol. 17, p. 1321 et s.

184
Dans la recherche du principe de distinction, il est parfois fait
mention du projet de Convention de l’OCDE de 1967 sur la protec­
tion des biens privés étrangers600. Or, rien de tel ne ressort de ce
projet. En effet, le commentaire de l’article 3, § 3.b se lit comme suit :

« L’article 3 reconnaît implicitement le droit souverain d’un État, dans le


cadre du droit international, de se saisir des biens sis sur son territoire,
même s’ils appartiennent à des étrangers, en vue d’atteindre ses objec­
tifs politiques, sociaux ou économiques. Lui refuser ce droit serait tenter
d’entraver les pouvoirs qui lui appartiennent du fait même de son indé­
pendance et de son autonomie, et sont reconnus également par le droit
international, de régir son existence politique et sociale »601.

Mais il ne s’agit que d’une reconnaissance du pouvoir d’exproprier


(Eminent Domain), et non du pouvoir de police non indemnisable.
Pour preuve, le commentaire précise que « ce droit, pour être com­
patible avec l’obligation qu’a l’État de respecter et de protéger les
biens des étrangers ne peut être mis en œuvre que sous réserve des
conditions fixées pour son exercice et, essentiellement, à la condition
de verser à l’étranger une indemnité en cas de saisie de ses biens ».
Le projet de l’OCDE ne contient donc pas une reconnaissance du
principe de distinction.
Cependant, une disposition rigide est apparue dans au moins
un traité de protection des investissements récent. C’est le cas de
l’article 20.8 de l’Accord d’investissement pour l’espace communau­
taire du COMESA (Investment Agreement for the COMESA Com­
mon Investment Area (COMESA CCIA)) de 2007 qui pose claire­
ment que : « Consistent with the right of states to regulate and the customary
international law principles on police powers, bona fide regulatory measures
taken by a Member State that are designed and applied to protect or enhance
legitimate public welfare objectives, such as public health, safety and the envi-
ronment, shall not constitute an indirect expropriation under this Article ».

Le recours à la présomption dans


les traités de protection des investissements récents
En ce qui concerne les traités signés et/ou entrés en vigueur, les
récents TBI ou ALE signés par les États-Unis ou le Canada prévoient
dans une annexe que les mesures de règlementations générales ne

600 Ce fut le cas par exemple dans la sentence Saluka c. République tchèque, op. cit.,
note 193, § 256. V aussi C. YANNACA-SMALL, « L’“expropriation indirecte” et
le “droit de règlementer” dans le droit international de l’investissement », Document
de travail sur l’investissement international, n° 2004/4, Publications OCDE,
septembre 2005, p. 8.
601 Projet de convention de l’OCDE sur la protection des biens privés étrangers,
1967, op. cit., note 37.

185
doivent pas être qualifiées comme étant des expropriations indi­
rectes, malgré un préjudice éventuel causé à l’investisseur.
En rappel, l’annexe B. 13 (1) du modèle de TBI canadien prévoit
que, « sauf dans de rares cas (…) les mesures non discriminatoires
d’une Partie qui sont conçues et appliquées dans un but légitime de
protection du bien public, par exemple à des fins de santé, de sécu­
rité et d’environnement, ne constituent pas une expropriation indi­
recte ». L’annexe B. 4. c du modèle américain, repris à l’identique
dans plusieurs ALE602, prévoit aussi que : « except in rare circumstances,
non-discriminatory regulatory actions by a Party that are designed and
applied to protect legitimate public welfare objectives, such as public health,
safety, and the environment, do not constitute indirect expropriations ».
Ce type de clauses tend à se généraliser, notamment dans les ALE
signés dans l’espace Nord et Sud-américain. Elles stipulent que cer­
taines mesures étatiques, qui correspondent aux mesures de police
telles que définies ici, ne sont pas en principe des expropriations
indirectes. Il s’agit d’une directive très importante à l’adresse des
arbitres, qui est de surcroit pleinement contraignante pour ces
derniers. Contrairement aux articles des projets d’accords dont la
valeur coutumière reste encore à démontrer, le principe de distinc­
tion dispose, grâce à ces clauses, d’une force obligatoire appréciable.
Néanmoins, ces clauses conventionnelles autorisent des entorses au
principe de distinction. En effet, le libellé des articles commence
toujours par l’expression « sauf dans de rares circonstances ». Il s’agit
donc d’une présomption en faveur des mesures de police non indem­
nisables et non d’une règle péremptoire.
En substance, le principe de distinction est posé par le biais de
deux formules différentes dans les textes relatifs à l’investissement.
La première formule, celle de l’exclusion, est généralement prévue
dans des instruments qui ne lient pas directement les États. Elle pose
que les mesures de police ne sont pas des expropriations indirectes
et qu’à ce titre, elles ne sont pas assorties d’une obligation d’indem­
nisation. Toutefois, quelques rares traités conclus récemment ont
opté pour cette formule rigide. La seconde formule se retrouve dans
les TBI et les ALE signés par certains États. Elle pose plus modes­
tement une présomption en faveur des mesures de police. En effet,
sauf exception, les mesures de police ne sont pas des expropriations
indirectes. Il peut donc arriver que des mesures de police reconnues
en tant que telles puissent migrer, sous certaines conditions, vers la
catégorie d’expropriation indirecte.
On notera, en guise de conclusion, que le principe de distinction
est rarement prévu dans les plus de 2700 traités de protection des
investissements. Seuls quelques textes parmi les plus récents insèrent
ce principe. Dans la mesure où la majorité des textes contraignants

602 Cet article est repris à l’identique à l’article 10.b du CAFTA-DR.

186
ne prévoient que la formule de la présomption, est-ce la seule qui
s’impose aux arbitres ? La première formule est-elle de nature cou­
tumière, de sorte que les arbitres statuant sur des TBI ne contenant
pas une telle clause puissent l’appliquer ? L’examen des sentences
arbitrales comme de la doctrine permettra de confirmer l’existence
d’un principe de distinction ayant une valeur coutumière, mais dont
l’interprétation est disparate.

B. Affirmation du principe de distinction


dans la jurisprudence et la doctrine : la disparité des approches

La prédominance de l’exclusion
dans la jurisprudence et la doctrine anciennes
Les premières affaires ayant explicitement traité d’une mesure de
police ont été portées devant le Tribunal irano-américain. On pour­
rait, rétrospectivement, y ajouter la décision de la CPJI dans l’affaire
Oscar Chinn 603. Parmi les sentences rendues par le tribunal irano-
américain, deux affaires méritent une attention particulière. Mais
au préalable, il faut exclure ici toutes les affaires où furent invoqués
les effets directs de la révolution islamique, à savoir les détériora­
tions des biens, le harcèlement ou l’insécurité résultant directement
des troubles et des agissements de la population. En réalité, ces pré­
judices furent rejetés sur le constat de l’absence d’une mesure éta­
tique, au sens d’un acte extériorisé imputable à l’Iran.
La première sentence à avoir examiné le principe de distinction
entre la mesure de police et l’expropriation indirecte est l’affaire E.
Too v. Greater Modesto Insurance Associates. Cette affaire fait d’ailleurs
partie des rares premiers cas où la plainte était dirigée par un inves­
tisseur iranien contre les États-Unis. Le requérant réclamait une com­
pensation pour la saisie de sa boutique d’alimentation générale en
Californie par un service des impôts. En réalité, la saisie faisait suite
au non-paiement par l’investisseur de ses taxes s’élevant à plus de
70 000 $ U.S. Le tribunal affirma que : « a State is not responsible for loss
of Property or for other economic disadvantage resulting from bona fide general
taxation or any other action that is commonly accepted as within the police

603 En effet, une mesure économique générale prise par l’État belge et non
dirigée contre l’investisseur avait été rejetée par le tribunal comme étant une
expropriation. La Cour a pris en compte le fait que M. Chinn en lançant son
activité savait qu’il serait en concurrence directe avec une entreprise contrôlée
par l’État belge et remplissant un service public. De plus, la mesure était limitée
dans le temps et la solvabilité de l’entreprise de M. Chinn était déjà problématique
avant l’édiction de la mesure. Mais la Cour a aussi considéré que le préjudice subi
par M. Chinn était dû aux conditions économiques générales et non à la mesure
belge. Elle n’est pas alors allée plus loin dans la recherche d’une expropriation
indirecte. De ce fait, nous pouvons conclure que la Cour a simplement rejeté la
mesure gouvernementale comme étant une mesure éligible parce qu’elle était
d’application générale et répondait aux nécessités du service public.

187
power of States, provided it is not discriminatory and is not designed to cause
the alien to abandon the property to the State or to sell it at a distress price (…)
»604. Il s’agissait donc ici, selon les arbitres, d’une mesure de police
fiscale605. En réalité, les faits en cause ne relevaient pas vraiment de
la mesure de police telle qu’appréhendée ici, mais d’une confiscation
pour délit. L’investisseur, qui avait une dette fiscale en souffrance,
s’était mis dans une situation illégale et s’exposait donc à des sanctions
légales. Toutefois, la déclaration du tribunal reste valable, et pose clai­
rement un principe de distinction. La seconde affaire intéressante du
Tribunal irano-américain est la sentence Sedco. Ce litige, qui opposait
un investisseur américain à la compagnie nationale iranienne d’hy­
drocarbures, concernait une prise de contrôle d’une société suivie
d’une nationalisation des parts sociales. Bien qu’il n’ait pas eu direc­
tement à traiter d’une mesure de police proprement dite, le tribunal
a saisi l’occasion pour poser le principe de distinction : « it is also an
accepted principle of international law that the State is not liable for economic
injury which is a consequence of bona fide « regulation » within the accepted
police power of State »606. Pour arriver à cette conclusion, le tribunal s’est
fondé sur le commentaire g du § 712 du Third Restatment américain.
Dans le cas d’espèce, les arbitres n’ont pas considéré que la mesure
en cause, la loi iranienne pour la protection et le développement de
l’industrie iranienne, était une mesure de police. Ils sont parvenus à la
conclusion qu’elle avait eu pour conséquence « an outright transfer of title
rather than incidental economic injury »607, c’est-à-dire une expropriation
directe. Il est vrai que la définition de la mesure de police n’interfère
pas avec celle de l’expropriation directe.
Ces deux affaires posent un principe de distinction exclusif, à
l’image de celui qui était prévu dans les premiers projets de textes
relatifs aux investissements. Plus importants encore, les Accords
d’Alger fondant la compétence du Tribunal irano-américain ne pré­
voyaient pas textuellement un principe de distinction. Les arbitres se
sont donc basés sur une règle coutumière.
Dans la doctrine, la reconnaissance du principe de distinction est
aussi ancienne qu’elle est largement partagée608. En fait, il n’est pas
d’auteur ayant traité plus ou moins spécifiquement de l’expropria­

604 E. Too c. GMIA, op. cit., note 88, p. 378.


605 M. Too estimait que la mesure lui avait été appliquée de manière discriminatoire,
en raison de sa nationalité ; ce qui normalement ne permet pas de conclure
à une mesure de police. Mais le tribunal n’a pas été convaincu de l’existence
d’une telle discrimination, ni d’une intention de contraindre l’investisseur à
abandonner son activité ou à la brader.
606 Sedco, op. cit., note 91, p. 275.
607 Ibidem.
608 Outre les auteurs cités dans le texte, voir G. C. CHRISTIE, op. cit., note 37,
pp. 331-332 ; B. WESTON, op. cit., note 36, p. 121 ; J.-P. LAVIEC, op. cit., note
52, p. 165 ; M. PELLONPAA, M. FRITMAURICE, op. cit., note 8, p. 91 ; A. NEW­
COMBE, « The Boundaries… », op. cit., note 38, pp. 417-432.

188
tion indirecte qui n’ait affirmé que toutes les mesures étatiques pré­
judiciables ne sont pas des expropriations indirectes en droit inter­
national coutumier. Certains auteurs sont même remontés au droit
romain pour trouver les origines de ce principe de distinction. On a
ainsi pu relever qu’à cette période, « frequently exceptions were admitted
partly in the case of general statutes affecting all individuals, particularly
in cases of emergency »609. Encore aujourd’hui, nombreux sont ceux
qui considèrent que la propriété privée peut être détruite par des
mesures de police sans avoir à être indemnisée. Ainsi, I. Brownlie
considère que, « States measures, prima facie a lawful exercice of powers
of governments, may affect foreign interests considerably without amounting
to expropriation. Thus foreign assets and their use may be subject to taxa-
tion, trade restrictions involving licences and quotas, or measures of devalua-
tion. While special facts may alter cases, in principles such measures are not
unlawful and do not constitute expropriation »610. Pour R. L. Bindsched­
ler également, « il est admis (…) que le principe de la protection de
la propriété privée n’interdit pas la levée d’impôts sur le patrimoine,
ni les amendes, ni les limitations de la propriété pour des motifs
de police, non plus que la confiscation d’objets dont l’ordre public
exige la destruction »611. Mais ce dernier reconnait aussi que « ces
mesures peuvent constituer cependant en réalité des confiscations,
c’est-à-dire qu’elles ont pour but véritable d’opérer un transfert de
propriété ; l’argument fiscal ou pénal ou l’invocation de règlement
de police n’est alors qu’un prétexte »612.
Il faudra attendre la généralisation des mesures horizontales pour
voir se multiplier les références aux pouvoirs de police dans les sen­
tences arbitrales. Celles qui ont récemment reconnu l’existence du
principe de distinction ont été rendues également sans référence à
une clause conventionnelle613.  

La jurisprudence récente entre exclusion et présomption


La plus importante des sentences arbitrales à avoir reconnu un
principe de distinction entre mesure de police et mesure d’expro­
priation indirecte est sans conteste celle qui fut rendue dans l’affaire

609 O. VON GIERKE, Political Theories of the Middle Ages, 1900. Cité par B. A. WORTLEY,
op. cit., note 5, p. 239.
610 I. BROWNLIE, Principles of Public International Law, Oxford University Press, 7e éd.
2008, p. 532. L’auteur cite la sentence Oscar Chinn à l’appui de sa démonstration.
611 R. L. BINDSCHEDLER, op. cit., note 453, p. 211. Voir aussi les auteurs cités
dans le texte par l’auteur : A. VERDROSS, L. OPPENHEIM, H. LAUTERPACH,
P. GUGGENHEIM.
612 Ibidem, p. 212.
613 Ainsi, le tribunal dans la sentence Saluka c. République Tchèque, op. cit., note 193,
§ 254, a reconnu que « article 5 of the Treaty in the present case is drafted very broadly
and does not contain any exception for the exercise of regulatory power ». Cependant, ce
silence n’a pas empêché le tribunal de reconnaître l’existence du principe de
distinction.

189
Methanex c. États-Unis sur le fondement de l’ALENA. Le litige portait
sur une mesure interdisant l’utilisation d’un additif à l’essence soup­
çonné d’être cancérigène. Dans cette affaire, le tribunal a rejeté la
qualification d’expropriation sur le motif qu’il s’agissait d’une règle­
mentation générale visant un intérêt public qui fut prise de bonne
foi et sans discrimination :

« as a matter of general international law, a non-discriminatory regulation for a


public purpose, which is enacted in accordance with due process and, which affects,
inter alias, a foreign investor or investment is not deemed expropriatory and com-
pensable unless specific commitments had been given by the regulating government
to the then putative foreign investor contemplating investment that the government
would refrain from such regulation »614.

Cette sentence a posé le principe de distinction sans introduire


d’entorse.
Dans la sentence Saluka c République Tchèque, cette fois sur la base
du TBI Allemagne-République Tchèque, le tribunal a également
affirmé le principe de distinction. Il a commencé par poser que « it
is now established in international law that States are not liable to pay com-
pensation to a foreign investor when, in the normal exercise of their regulatory
powers, they adopt in a non-discriminatory manner bona fide regulations that
are aimed at the general welfare »615. Le tribunal a utilisé comme preuve
de cette règle coutumière l’article 3 du projet d’Harvard de 1961 et
la note du projet de l’OCDE de 1967, ainsi que des précédents arbi­
traux dont la sentence Methanex c. États-Unis et E. Too c. États-Unis 616.
Il a alors conclu que « the principle that a State does not commit an expro-
priation (…) when it adopts general regulations that are “commonly accepted
as within the police power of States” forms part of customary international
law today »617. Il s’agit ici encore d’une reconnaissance d’un principe
de distinction rigide.
Plusieurs autres sentences arbitrales ont reconnu explicitement
l’existence du principe de distinction. Le tribunal dans la sentence
CME c. République Tchèque, a ainsi considéré que : « of course, depriva-
tion of property and/or rights must be distinguished from ordinary measures
of the State and its agencies in proper execution of the law. Regulatory mea-
sures are common in all types of legal and economic systems in order to avoid
use of private property contrary to the general welfare of the (host) State »618.
De nouveau, dans le cadre de l’ALENA, la sentence Tecmed c. Mexique
a statué sous forme d’obiter dictum, que « the principle that the State’s

614 Methanex c. États-Unis, op. cit., note 112, Part IV, Chapter D, § 7.
615 Saluka c. République Tchèque, op. cit., note 193, § 255.
616 Ibidem, § 257, § 259 et § 262. Le tribunal cite d’autres sentences mais elles ne
sont pas toutes pertinentes.
617 Ibid, § 262.
618 CME c. République Tchèque, op. cit., note 312, § 603.

190
exercise of its sovereign powers within the framework of its police power may
cause economic damage to those subject to its powers as administrator wit-
hout entitling them to any compensation whatsoever is undisputable »619. De
même, dans Feldman c. Mexique, le tribunal a reconnu le principe de
distinction en ces termes :

« Governments must be free to act in the broader public interest through protection
of the environment, new or modified tax regimes, the granting or withdrawal of
government subsidies, reductions or increases in tariff levels, imposition of zoning
restrictions and the like. Reasonable governmental regulation of this type cannot be
achieved if any business that is adversely affected may seek compensation, and it is
safe to say that customary international law recognizes this »620.

Si de telles mesures ne donnent pas droit à indemnisation, malgré


le préjudice causé, il ne peut donc s’agir d’expropriations indirectes.
Nous pouvons citer également la sentence Azurix c. Argentine qui a
affirmé que « in the exercise of their public policy function, governments
take all sorts of measures that may affect the economic value of investments
without such measures giving rise to a need to compensate »621. Enfin, dans
la sentence Suez InterAgua c. Argentine, le tribunal a statué que : « in
evaluating a claim of expropriation it is important to recognize a State’s legi-
timate right to regulate and to exercise its police power in the interests of public
welfare and not to confuse measures of that nature with expropriation »622.
De manière implicite cette fois, certaines sentences ont également
reconnu l’existence d’un principe de distinction. Dans la sentence
Waste Management II c. Mexique, le tribunal a statué que « [the] loss
of benefits or expectations is not a sufficient criterion for an expropriation,
even if it is a necessary one »623. Après avoir reconnu que pour certaines
mesures étatiques le préjudice n’est pas suffisant comme critère
d’appréciation, le tribunal a ouvert la porte à des considérations sur
la qualité de la mesure, qui sont justement les éléments constitutifs
d’une mesure de police tels que la non-discrimination, la bonne foi,
ou l’intérêt public poursuivi. Plus récemment, dans la sentence Suez-
Led Consortia c. Argentine, un tribunal a reconnu la pertinence des
mesures de police dans le processus de qualification de l’expropria­
tion indirecte, mais sans préciser le rôle qui leur est dévolu : « States
have a legitimate right to exercise their police powers to protect the public
interest and (…) the doctrine of police powers, (…) has been particularly
pertinent in cases of expropriation where tribunals have had to balance an
investor’s property rights with the legitimate and reasonable need for the State

619 Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, § 119.


620 Feldman c. Mexique, op. cit., note 34, § 103.
621 Azurix c. Argentine, op. cit., note 115, § 310.
622 Suez InterAgua c. Argentine, op. cit., note 34, § 128.
623 Waste Management II c. Mexique, op. cit., note 99, § 159.

191
to regulate »624. Cependant, le renvoi aux mesures de police n’avait
pas d’implication dans cette affaire, car le tribunal n’a pas conclu
à l’existence d’une expropriation indirecte. On peut donc suppo­
ser que les arbitres auraient pu prendre en compte une mesure de
police au titre d’une exception, si une expropriation indirecte avait
été qualifiée.
D’autres sentences sont encore plus en retrait et rejoignent fina­
lement la formule de la présomption. Tel fut le cas de la sentence
SD Myers c. Canada : « the general body of precedent usually does not treat
regulatory action as amounting to expropriation. Regulatory conduct by
public authorities is unlikely to be the subject of legitimate complaint under
Article 1110 of the NAFTA, although the Tribunal does not rule out that
possibility »625. Dans Pope & Talbot c. Canada, le tribunal après avoir
affirmé qu’une règlementation générale non discriminatoire prise
de bonne foi et visant le l’intérêt général pouvait être une expropria­
tion, apporte ensuite un bémol dans une note de bas de page : « this is
not to say that every regulatory restraint can be likened to expropriation »626.
Ces sentences arbitrales sont à ranger dans la catégorie de celles qui
ont opté pour une simple présomption en faveur des mesures de
police non indemnisables.
Le principe de distinction est donc généralement reconnu dans
la jurisprudence, même s’il n’est pas toujours affirmé avec vigueur.
Toutefois, l’examen détaillé de certains passages des sentences
arbitrales, a priori favorables au principe de distinction, laisse sub­
sister un doute quant à sa portée réelle. Ainsi, dans la sentence SD
Myers c. Canada, le tribunal estimait déjà qu’il ne pouvait pas exclure
la possibilité qu’une mesure de police soit néanmoins une expro­
priation indirecte627. Dans la sentence Pope & Talbot c. Canada éga­
lement, le tribunal, en rejetant la défense du Canada concernant
l’existence d’une exception générale en faveur des mesures de police
non indemnisables, a noté que « regulations can indeed be exercised in
a way that would constitute creeping expropriation ». Il a alors procédé
à une mise en garde contre une solution contraire : « blanket excep-
tion for regulatory measures would create a gaping loophole in internatio-
nal protections against expropriation »628 . Dans la même ligne, certains
auteurs ont reconnu le principe de distinction tout en émettant des
réserves629. En réalité, si un principe de distinction est aisé à affir­
mer, les choses se compliquent lorsqu’il faut en tirer des implica­
tions concrètes. Il est vrai que comme le déplorait le tribunal dans

624 Suez-Led Consortia c. Argentine, op. cit., note 34, § 147.


625 SD Myers c. Canada, op. cit., note 269, § 281.
626 Pope & Talbot c. Canada § 99, op. cit., note 300, note de bas de page 72 de la
sentence.
627 SD Myers c. Canada, op. cit., note 269, § 281.
628 Pope & Talbot c. Canada, op. cit., note 300, § 99.
629 Voir R. HIGGINS, op. cit., note 258, p. 276.

192
la sentence Saluka c. République tchèque, lui-même favorable à un tel
principe, « international law has yet to identify in a comprehensive and
definitive fashion precisely what regulations are considered “permissible” and
“commonly accepted” as falling within the police or regulatory power of States
and, thus, noncompensable »630. Le véritable problème ne réside pas,
à notre avis, dans la définition encore incertaine de la mesure de
police, mais dans la réalité même du principe de distinction. Une
chose est de reconnaître que l’État a le droit de règlementer pour
le bien-être général. Une autre est de déclarer qu’il n’est pas obligé
d’indemniser les préjudices qui en résulteraient. En effet, dans la
confrontation entre le régime juridique de la mesure de police et
celui de l’expropriation indirecte, la mesure de police cède du ter­
rain dans une grande proportion.

§ 2 – Un principe de distinction inopérant devant les tribunaux

Si dans son énoncé, le principe de distinction entre mesure d’ex­


propriation indirecte et mesure dite « de police » semble limpide,
il en va autrement dès qu’il s’agit de l’appliquer à un cas d’espèce.
En vertu du principe de distinction, la délimitation des pouvoirs de
police devrait nécessairement réduire le champ d’application de
l’expropriation indirecte. Mais il n’en est rien, car la définition de la
mesure de police, qu’elle soit restrictive ou large, n’a pas de véritable
incidence sur celle de l’expropriation indirecte. En effet, ce principe
de distinction est inefficace en pratique (A). Il ne pouvait en aller
autrement, car d’un principe de distinction on est passé à une règle
inversée, assortie d’une exception virtuelle (B).

A. Un principe de distinction inappliqué par les tribunaux

Le principe de distinction, quelle que soit la formule envisagée


(exclusion ou présomption en faveur des mesures de police), n’est pas
appliqué par la majorité des tribunaux arbitraux. La jurisprudence
adopte globalement deux attitudes face au principe de distinction.
Soit elle le rejette simplement parce qu’il est inutile dans le proces­
sus de qualification de l’expropriation indirecte, soit elle l’accueille
favorablement tout en admettant des entorses importantes à la règle.

Le rejet explicite du principe de distinction


Plusieurs sentences ont explicitement rejeté le principe de dis­
tinction, même s’ils reconnaissent par ailleurs l’existence des pou­
voirs de police. Pour une bonne partie des tribunaux, l’existence du
concept de police ne fait aucun doute en droit international coutu­
mier. Cependant, les pouvoirs de police d’un État n’annulent pas

630 Saluka c. Republique Tchèque, op. cit., note 193, § 264.

193
son obligation d’indemniser lorsqu’il effectue une expropriation
indirecte par le biais d’une mesure de police. Cela signifie que les
deux notions ne sont pas exclusives. Une expropriation indirecte
peut résulter d’une mesure de police qui n’est donc qu’une mesure
éligible comme une autre. Par conséquent, reconnaitre l’existence
de la mesure de police n’a aucun impact dans la problématique de
l’expropriation. Aucun principe de distinction n’est alors possible.
Devant le tribunal irano-américain, les arbitres ont eu plusieurs
fois l’occasion de se prononcer sur ce point. Dans la sentence Phelps
Dodges, il était question d’une prise de contrôle d’un investisse­
ment par une entité étatique iranienne afin d’éviter la fermeture
de l’usine en difficulté, d’assurer le paiement des salaires dus aux
employées et de sauvegarder les dettes dues au gouvernement631. Le
tribunal a alors conclu qu’il comprenait « the financial, economic and
social concerns that inspired the law pursuant to which it acted, but those rea-
sons and concerns cannot relieve the Respondent of the obligation to compen-
sate Phelps Dodge for its loss »632. Les arbitres semblent avoir interprété
les mesures iraniennes comme étant des mesures de police, mais cela
ne fit pas obstacle à une investigation supplémentaire pour déter­
miner s’il s’agissait d’une expropriation indirecte. Dans le cadre de
l’affaire Santa Elena c. Costa Rica, un tribunal arbitral a statué que
« expropriatory environmental measures – no matter how laudable and bene-
ficial to society as a whole – are, in this respect, similar to any other expropria-
tory measures that a state may take in order to implement its policies : where
property is expropriated, even for environmental purposes, whether domestic
or international, the state’s obligation to pay compensation remains. ».633 Il
s’agissait ici d’une expropriation directe et les parties au litige ne
contestaient que le montant de l’indemnisation. Le tribunal a saisi
néanmoins l’occasion de rédiger ce fameux obiter dictum sur la qua­
lification de l’expropriation en général, et des mesures indirectes
en particulier. Le fait que la mesure en cause fut un décret de clas­
sement d’une propriété de l’investisseur en forêt protégée afin de
sauvegarder des espèces menacées, pouvait faire pencher la balance
vers les pouvoirs de police. Le Costa Rica avait d’ailleurs invoqué
ses pouvoirs de police et le but environnemental de la mesure pour
faire diminuer le montant de l’indemnisation. En réfutant l’utilité
de ce critère dès la qualification, le tribunal fermait également la
porte à toute considération de ce type au moment du calcul des
indemnités. Dans des termes similaires, la sentence Tecmed c. Mexique
a aussi rejeté la pertinence du principe de distinction au stade de la
qualification de l’expropriation indirecte, alors même que le tribu­
nal avait considéré ledit principe comme étant « indiscutable ». En

631 Précisons néanmoins que certaines dettes avaient été contractées durant la
gestion des administrateurs nommés par l’État.
632 Phelps Dodge, op. cit., note 179, § 22.
633 Santa Elena c. Costa Rica, op. cit., note 280, § 72.

194
réalité, après avoir reconnu l’existence des mesures de police non
indemnisables, le tribunal a considéré que sa fonction « is to examine
whether the Resolution violates the Agreement in light of its provisions and of
international law. (…) That the actions of the Respondent are legitimate or
lawful or in compliance with the law from the standpoint of the Respondent’s
domestic laws does not mean that they conform to the Agreement or to inter-
national law »634. Or, au niveau du droit international et dans le traité
de protection des investissements, le tribunal a estimé n’avoir pas
trouvé un quelconque principe

« stating that regulatory administrative actions are per se excluded from the scope
of the Agreement, even if they are beneficial to society as a whole – such as environ-
mental protection –, particularly if the negative economic impact of such actions on
the financial position of the investor is sufficient to neutralize in full the value, or
economic or commercial use of its investment without receiving any compensation
whatsoever »635.

Le tribunal procédera finalement à un contrôle de proportionna­


lité entre le but poursuivi par la mesure étatique et le préjudice subi
par l’investisseur. Mais seulement après avoir établi que « regulatory
actions and measures will not be initially excluded from the definition of
expropriatory acts »636.
Dans son analyse de l’affaire SD Myers c. Canada, T. Weiler affir­
mait que dans la recherche d’une expropriation indirecte, « it does
not matter if the […] Government claims to be exercising its sovereign autho-
rity to regulate (sometimes referred to as the “police power”) »637. S. M. Schwe­
bel pour sa part, rejette clairement l’idée même d’une simple pré­
somption en faveur des mesures de police. En effet, il se demande
si l’annexe B du récent réseau d’accords américains qui prévoit de
« rares circonstances » dans lesquelles certaines règlementations
publiques préjudiciables peuvent néanmoins être expropriantes,
relève du droit international coutumier638. Pour ce dernier, en toutes
circonstances, la mesure de police sera expropriante, dès qu’elle lèse
substantiellement un investisseur. C’est donc la réalité d’une excep­
tion pouvant isoler certaines mesures de police de la qualification
d’expropriation indirecte qui est remise en cause par ces auteurs.
On est bien loin d’un principe de distinction, vu que la simple pré­
somption en faveur des mesures de police n’est même pas admise.

634 Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, § 120.


635 Ibidem, § 121.
636 Ibid, § 122.
637 T. WEILER, « A first Look… », op. cit., note 238, p. 187. Mais l’auteur semble
défendre une indemnisation pondérée dans le cas des activités nocives à
l’environnement.
638 S. M. SCHWEBEL, op. cit., note 39, p. 4.

195
Le rejet implicite du principe de distinction
La deuxième attitude des tribunaux face au principe de distinc­
tion est celle qui consiste à en altérer le contenu. Elle se rencontre
dans les sentences où le tribunal avait préalablement reconnu l’exis­
tence et la nécessité du principe de distinction. Cependant, ces
mêmes tribunaux admettent aussi que certaines mesures de police
peuvent être indemnisables au titre d’une expropriation indirecte.
Tel fut le cas par exemple de la sentence Azurix c. Argentine. Après
avoir affirmé la nature coutumière de la règle des mesures de police
non indemnisables, le tribunal reconnait ensuite que la démarcation
entre de telles mesures et les règlementations indemnisables est dif­
ficile à établir. Mais surtout, il ajoute que « no one can seriously question
that in some circumstances government regulatory activity can be a violation
of Article 1110 [expropriation] »639. Le tribunal dans l’affaire Saluka
c République Tchèque a également évoqué l’hypothèse de la mesure
de police expropriante. Après avoir posé très clairement le prin­
cipe de distinction, il a estimé être en face de la question de savoir :
« when, how and at what point an otherwise valid regulation becomes, in fact
and effect, an unlawful expropriation (…) »640. Ne s’agit-il pas ici d’une
reconnaissance implicite que de telles mesures peuvent être de facto
des mesures d’expropriations illicites ? Autrement, le tribunal aurait
dû se contenter de rechercher si la mesure en cause était une mesure
de police ou une mesure d’expropriation.
Dans le même ordre d’idées, plusieurs auteurs résument la pro­
blématique de l’interférence causée par les mesures de police, à la
question de déterminer les critères et les conditions dans lesquelles
de telles mesures peuvent se transformer en une expropriation. Face
à une règlementation quelconque, ce qui importe serait moins de
savoir s’il s’agit d’une véritable mesure de police, que de saisir « when
regulation “goes too far” »641. En d’autres termes, « even what appears
prima facie legitimate regulation has certain limits, beyond it becomes a
taking »642. La même idée est également défendue par L. Y. Fortier et
S. L. Drymer643.
Il est vrai que le contenu de ce principe de distinction suscite des
inquiétudes légitimes. Ces inquiétudes relèvent de la détermination
des critères de distinction et particulièrement du rôle de l’intérêt
public poursuivi par la mesure. Dans un cours à l’Académie de
La Haye, R. Higgins s’interrogeait déjà sur la viabilité d’une ligne de

639 Azurix c. Argentine, op. cit., note 115, § 110.


640 Saluka c. République Tchèque, op. cit., note 193, § 264.
641 L. Y. FORTIER, S. L. DRYMER, op. cit., note 286, p. 298. Notons l’analogie avec
la doctrine constitutionnelle américaine. Le juge américain HOLMES affirmait
en 1922 que si « if a regulation goes too far, it will be recognized as a Taking ». Cité par
E. SHENKMANN, op. cit., note 553, p. 174.
642 M. PELLONPAA, M. FRITZMAURICE, op. cit., note 8, p. 94.
643 L. Y. FORTIER, S. L. DRYMER, op. cit., note 286, p. 295.

196
démarcation entre la mesure de police et l’expropriation indirecte :
« is this question viable ? […] Under international law standards, a regula-
tion that amount (by virtue of its scope and effect) to a taking, would need
to be « for a public purpose » […]. And just compensation would be due »644.
En effet, la définition de la mesure de police impose à l’arbitre de
s’immiscer dans un contrôle de l’intérêt public invoqué. Ainsi, par­
tant du fait que les tribunaux doivent une déférence, sauf détourne­
ment manifeste, à l’intérêt public avancé par l’État pour prendre la
mesure d’expropriation, G. C. Christie déclarait que « a State’s decla-
ration that a particular interference with an alien’s enjoyment of his property
is justified by the so called « police power » does not perclude an international
tribunal from making an independant determination of this issue »645. C’est
donc le fait que l’intérêt public soit au centre des critères de démar­
cation, que le principe de distinction est difficile d’application ; ce
dernier étant en même temps un critère de licéité de l’expropriation
indirecte. On peut donc dire que le rejet provient moins du principe
de distinction lui-même que de l’absence d’un critère de distinction
efficace. Comme le notait un auteur, non sans ironie, « great legal
minds have struggled – most would say, unsuccessfully – to identify a simple
theory or rule that explains when a regulation “goes far” »646.
En définitive, si en 1962, G. C. Christie estimait au début de
l’émergence de la problématique des expropriations indirectes,
qu’une compensation ne devrait pas être accordée si « the State (…)
actions (…) has a purpose in mind which is recognized in international law
as justifying even severe (…) restrictions on the use of property »647; en 2001,
T. Wälde et A. Kolo rétorquaient que « in the extreme case of complete
and indefinite destruction of the economic value of property by otherwise fully
legitimate regulation (…) compensation is also owned »648. Les mesures
de police ne sont donc pas finalement exclues du champ d’applica­
tion de l’expropriation indirecte comme on pouvait s’y attendre en
lisant le principe de distinction. Mais comment une telle altération
du principe peut-elle s’expliquer ? En réalité, l’articulation même du
principe de distinction ne permet pas d’en faire un instrument opé­
rationnel.

B. Un principe de distinction inapplicable

Afin de comprendre pourquoi le principe de distinction ne peut


être appliqué en général devant les tribunaux, il convient de l’exami­

644 R. HIGGINS, op. cit., note 258, p. 331. Cette interrogation est partagée par
plusieurs arbitres ayant statué dans les tribunaux d’arbitrages. Voir par exemple
Azurix c. Argentine, op. cit., note 115, § 310.
645 G. C. CHRISTIE, op. cit., note 37, p. 338.
646 E. SHENKMANN, op. cit., note 553, p. 174.
647 G. C. CHRISTIE, op. cit., note 37, pp. 331-332.
648 T. WÄLDE, A. KOLO, op. cit., note 39, p. 846.

197
ner. Deux éléments émergent de ce principe. D’une part, il s’est mué
en présomption renversée en faveur de l’expropriation indirecte.
D’autre part, il ne dispose pas d’un critère efficace pour déterminer
les situations dans lesquelles une mesure de police préjudiciable ne
donnera jamais droit à indemnisation.

La présomption renversée
Avant de pouvoir démontrer la mutation du principe de distinc­
tion au stade de son application par les tribunaux arbitraux, il faut
d’abord expliquer le résultat originel auquel il aurait dû conduire.
Un principe de distinction a pour vocation de tracer une ligne de
démarcation nette entre deux notions.
En prenant la forme rigide du principe de distinction (l’exclu­
sion), la logique est la suivante : la mesure de police et la mesure d’ex­
propriation indirecte sont deux notions qui ne se rencontrent pas,
même si elles peuvent cohabiter l’une à côté de l’autre. Cela signifie
qu’une fois que la mesure étatique est qualifiée de mesure de police,
il n’est plus possible d’y rechercher une expropriation indirecte. Et
vice versa. Une fois qualifiée dans une notion, la règlementation ne
peut plus alors relever de l’autre notion. C’est à cette condition que
le principe de distinction devient exclusif et efficace. La mesure de
police apparait alors comme « a carve out from the applicable rules. Such
acts were simply not covered by the concept of expropriation »649.
En prenant la forme souple du principe de distinction (la présomp­
tion), les deux notions sont toujours séparées, mais elles prennent
la physionomie de vases communicants. Il est donc possible dans
certaines circonstances qu’une mesure qualifiée dans une première
catégorie puisse néanmoins migrer vers l’autre catégorie. Il est à
noter que dans les faits, la migration se fait toujours dans un sens,
c’est-à-dire de la mesure de police vers l’expropriation indirecte650.
Quoi qu’il en soit, les TBI et ALE récents posent une présomption
en faveur des mesures de police et non en faveur de l’expropriation
indirecte. La mesure de police préjudiciable ne devient une mesure
équivalant à une expropriation indirecte que « dans de rares circons­
tances », c’est-à-dire exceptionnellement. Si donc, certaines mesures
de police peuvent devenir des expropriations indirectes, ces traités
ont le mérite de poser que la qualification se fera autant que possible
en faveur de la mesure de police. D’un principe de distinction, on
passe donc à une règle et son exception. Mais au moins, la mesure
de police est la règle et la mesure équivalente à une expropriation
est l’exception.

649 H. MANN, K. VON MOLTKE, op. cit., note 206, p. 16.


650 Mais on pourrait aussi imaginer qu’après avoir qualifié une mesure d’expropria­
tion indirecte, on doive vérifier qu’il ne s’agit pas également d’une mesure de
police.

198
Pourtant, dans la pratique jurisprudentielle examinée précédem­
ment, la mesure de police se révèle être une mesure éligible au
même titre que toute mesure imputable à l’État, sauf exception éven­
tuelle. Cela signifie que la mesure de police préjudiciable n’échappe
à la qualification d’expropriation indirecte que très rarement. Par
conséquent, la catégorie de mesure de police n’est pas exclue de la
définition de l’expropriation indirecte et ne bénéficie pas d’une pré­
somption particulière. L’usage du terme Regulatory Taking, malgré
certaines divergences651 dans la littérature anglophone, illustre cette
présomption renversée en faveur de l’expropriation indirecte. Cette
expression renvoie simplement à une expropriation survenant par le
biais d’une règlementation générale. La distinction ne se fait pas en
réalité entre la mesure de police et l’expropriation indirecte, mais
entre les mesures de police non indemnisables et indemnisables. Si
une ligne de démarcation existe, ce sera donc entre les « Regula­
tory powers » et les « Regulatory Taking »652. Certains auteurs se sont
insurgés contre ce renversement de la présomption en estimant que
« the starting point must always be that regulatory interference is presump-
tively non-compensable. The per se rule in the Santa Elena award has no
place in the law (…) »653.  Telle devrait en effet être l’interprétation
du principe pour lui donner sens et effectivité. Mais tel n’est pas la
réalité constatée dans les sentences arbitrales et une bonne partie de
la doctrine, du moins celles qui reconnaissent ce principe de distinc­
tion et tentent de lui trouver un champ d’application.
Malgré cet affadissement du principe de distinction, il est encore
possible de réserver une place spéciale aux mesures de police. Cela
suppose qu’un critère de distinction soit établi pour permettre d’iso­
ler des mesures de polices préjudiciables non indemnisables, même
à titre exceptionnel. Cependant, le critère utilisé par la majorité des
tribunaux ne permet pas la moindre démarcation.

L’exception virtuelle inopérante


•  Le critère de distinction réduit à l’intensité du préjudice
En dehors des rejets purs et simples du principe de distinction
dans la doctrine, une part importante des sentences rendues sur
l’expropriation indirecte reconnaissent l’existence de ce principe,
voire sa pertinence dans le contentieux de l’expropriation. Dans le

651 Pour certains auteurs, les Regulatory Taking sont au contraire des règlementations
non indemnisables. L’expression devient alors synonyme de mesure de police.
C’est la position adoptée par exemple par M. SORNARAJAH, op. cit., note 40,
p. 374 ; ou H. MANN, K. VON MOLTKE, op. cit., note 206, p. 16.
652 C’est cette ligne de démarcation que recherchent précisément certains auteurs
comme T. WÄLDE, « Multilateral investment agreements… », op. cit., note 140,
p. 402.
653 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 396. L’auteur se réfère au § 72 de la
sentence Santa Elena c. Costa Rica, op. cit., note 280.

199
même temps, comme la règle n’est pas rigide, il est admis que dans
certaines circonstances, des mesures de police, bien que valides et
ainsi qualifiées, puissent néanmoins devenir des expropriations.
Cela dit, quelles sont ces circonstances exceptionnelles qui peuvent
faire migrer des mesures de police vers la catégorie des mesures d’ex­
propriation indirecte ? Un premier indice apparaît dans l’annexe
B.13 (1) du dernier modèle canadien de TBI, même si la présomp­
tion y est en faveur de la mesure de police. Contrairement à son
équivalent américain, ce modèle offre l’exemple d’une circonstance
exceptionnelle dans laquelle la mesure de police sera néanmoins
une expropriation indirecte : « lorsque la mesure est si rigoureuse au
regard de son objet qu’on ne pourra raisonnablement penser qu’elle a été adop-
tée et appliquée de bonne foi ». En d’autres termes, la mesure de police
change de nature juridique lorsque son impact économique est trop
lourd pour l’investisseur. De surcroît, il est surprenant de constater
que l’intensité du préjudice apparaît ici comme un indice ou une
preuve de la mauvaise foi de l’État réglementant.
Plusieurs tribunaux avaient déjà opté pour ce même critère bien
avant l’adoption de ce texte. Ainsi, certains tribunaux ont statué
qu’une mesure de police allant trop loin, au point de devenir une
expropriation indirecte, est une mesure qui cause un préjudice subs­
tantiel à l’investisseur. Dans la sentence SD Myers c. Canada, le tri­
bunal a établi qu’une distinction devait être faite entre les mesures
de règlementations non discriminatoires et légitimes ne donnant
pas droit à compensation et les expropriations indirectes. Concrète­
ment, on a pu affirmer que « expropriation tend to involve the deprivation
of ownership rights ; regulation a lesser interference »654. Les arbitres ont
considéré que le critère du préjudice substantiel était suffisant pour
éliminer la plupart des demandes frivoles des investisseurs et ména­
ger le pouvoir normatif de l’État655. Dans la sentence Pope & Talbot
c. Canada, le tribunal arbitral, en référence à la doctrine américaine
du Taking et particulièrement au Restatement Third, avait aussi établi
que le degré d’interférence permettait de tracer la ligne de démar­
cation656. Dans cette affaire, le tribunal a eu le mérite de rejeter
clairement le principe de distinction. Il avait estimé que les mesures
de règlementation n’étaient pas exclues de la définition de l’expro­
priation indirecte657. Si elles sont donc gravement préjudiciables, il
doit y avoir indemnisation. Dans le même sens, le tribunal arbitral
dans l’affaire Tecmecd c. Mexique a affirmé que « the measure adopted

654 SD Myers c. Canada, op. cit., note 269, § 282.


655 Ibidem, § 282.
656 Pope & Talbot c. Canada, op. cit., note 300, § 99, note de bas de page 72 : « the
Restatement recognizes that the distinction between taking and regulation is not always clear
but may rest on the degree of interference with the property interest, see Restatement 1 § 712,
comment (g) and note 6 ».
657 Ibidem, voir § 96 et § 99.

200
by a State, whether regulatory or not, are an indirect de facto expropriation
if they are irreversible and permanent and if (…) any form of exploitation
(…) has disappeared »658. La sentence SD Myers c. Canada a abouti au
même résultat, mais en empruntant la voie inverse. Le tribunal a
commencé par reconnaitre l’existence du principe de distinction,
avant de poser que seul le degré d’interférence permettait de faire
cette distinction. Par conséquent, il a abouti à la règle de la gravité
du préjudice qui aurait été directement appliquée par un tribunal
rejetant le principe de distinction.
Dans la doctrine, un auteur, constatant la difficulté à dégager un
test clair et définitif par lequel « legitimate regulatory measure becomes an
illegal compensable Taking », avait conclu que « it is a question of degree »659.
Pour une large part de la doctrine, l’intensité de l’interférence est
donc l’élément crucial pour qualifier à la fois une expropriation
indirecte et la distinguer des règlementations non compensables660.
S’il s’agit de simples restrictions, ce sera une mesure de police non
indemnisable. S’il s’agit d’une dépossession au sens propre du terme,
ce sera une expropriation indirecte.

•  L’inutilité d’un critère de distinction fondé sur le seul préjudice


L’intérêt d’une distinction entre la mesure de police et la mesure
d’expropriation indirecte réside dans le fait de pouvoir sortir du
régime de l’expropriation indirecte, des mesures qui remplissent a
priori ses éléments constitutifs, c’est-à-dire des mesures qui lèsent de
manière substantielle un investisseur de sorte que ce dernier puisse
s’attendre à être indemnisé en retour. Si la mesure de police inter­
fère avec la notion d’expropriation indirecte, c’est justement parce
que la première peut satisfaire au critère de qualification principale
de la seconde : le préjudice substantiel. Autrement, le problème ne
se poserait même pas. En fait, ces deux notions sont justement diffi­
ciles à distinguer à cause de ce point commun : elles portent grave­
ment préjudice à l’investissement. Comme n’importe quelle mesure
étatique prise pour n’importe quelle raison, un investisseur n’a pas
droit à une indemnisation pour expropriation indirecte si son préju­
dice n’est pas substantiel.
Alors qu’il est affirmé que toutes les mesures étatiques ne sau­
raient donner droit à indemnisation, il est posé dans le même temps
qu’une atteinte substantielle à l’investissement soit susceptible de

658 Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, § 116.


659 P. DUMBERRY, « Expropriation under NAFTA Chapter 11, Investment Dispute
Settlement Mechanism : some Comments on the Latest Case Law », International
Arbitration Law Review, Issue 3, Vol. 4, June 2001, p. 96. L’auteur affirme par
ailleurs qu’il est généralement admis que « no compensation is required for
regulations that are a legitimate exercise of the so-called government police power ».
660 Voir Ch. H. SCHREUER, « The concept of Expropriation… », op. cit., note 39,
p. 145 ; et les auteurs cités à l’appui.

201
constituer une expropriation indirecte indépendamment du but
ou de la nature de la mesure. Or, toute mesure de règlementation
publique peut être dommageable à l’investissement. C’est même le
propre d’une réglementation, visant notamment la protection de
l’environnement, de la santé ou de l’ordre public, de faire peser des
charges plus ou moins élevées sur les personnes privées, dont l’opé­
rateur économique étranger. La seule dépossession ne peut dans ces
conditions, suffire à distinguer ce qui est compensable de ce qui ne
l’est pas en matière de règlementation dite légitime.
Un principe de distinction a de l’intérêt si une règle évidente
est respectée : le critère de distinction doit être extérieur au cri­
tère commun aux deux notions. En effet, ce qui rend deux notions
voisines, la caractéristique qu’elles partagent, ne saurait constituer
dans le même temps le critère de leur différenciation. En d’autres
termes, si l’effet préjudiciable sur l’investissement est le critère par
excellence qui permet à une mesure étatique quelconque d’intégrer
la catégorie d’expropriation indirecte ; il faudra un autre critère
pour tenir cette mesure étatique gravement préjudiciable hors de
cette catégorie.
En définitive, la position dominante est de faire de l’expropriation
indirecte une notion qui attire à « elle toutes les hypothèses qui semblent
de prime abord lui revenir au même titre »661 que la mesure de police.
Le principe de distinction, en l’état, ne suffit donc pas à ébranler
sérieusement la large définition de la mesure d’expropriation indi­
recte qui bénéficie d’un « favoritisme de principe »662. Que faut-il alors
retenir de la notion de mesure de police ? Est-ce finalement une
simple formule incantatoire sans aucune valeur opératoire ? Devra-t-
on se contenter d’évacuer complètement cette question épineuse de
la problématique des mesures équivalentes à une expropriation ? Ce
serait en effet une solution commode, vu le difficile maniement de
cette notion. Pourtant, si la mesure de police n’est peut-être pas la
solution, elle offre cependant des enseignements utiles qui peuvent
servir à mieux tracer les contours de l’expropriation indirecte.

§ 3 – Le mérite de l’interférence avec la définition


de l’expropriation indirecte : l’insuffisance de la doctrine
du seul effet pour les mesures horizontales

L’absence d’effectivité du principe de distinction est une consé­


quence logique du critère de qualification de l’expropriation indi­
recte qui est focalisé sur le préjudice. Pour qualifier une expropria­
tion indirecte, les tribunaux se contentent d’évaluer la gravité du
préjudice que la mesure étatique éligible a causé à l’investisseur. Or,
sur la base de ce seul critère qui se veut à la fois critère de la qualifica­

661 Ibidem, p. 229.


662 Ibid.

202
tion et critère de la démarcation, « la notion de « mesures équivalentes »
ne s’arrêt[e] pas où commencent les mesures prises dans l’intérêt prééminent de
l’État d’accueil »663. Or, cette conclusion n’a jamais vraiment été intel­
lectuellement acceptable.
La notion de mesure de police était censée constituer un rem­
part contre la propension de l’expropriation indirecte à accueillir
toutes les mesures étatiques préjudiciables à l’investisseur. En effet,
le principe que toute mesure dommageable à l’investisseur, même
important, n’est pas automatiquement une expropriation indirecte
est généralement reconnu. Mais il n’est pas donné à ce principe les
moyens de son efficacité. Ce rempart s’est donc révélé peu solide. Si
elle n’apporte pas de solution satisfaisante, la mesure de police a le
mérite de souligner un fait : la doctrine du seul effet n’est pas satis­
faisante lorsque des mesures de règlementations générales visant
certains intérêts publics. Le problème de départ est donc toujours
présent. Le processus actuel de qualification des mesures d’expro­
priation est trop large et permet d’englober l’ensemble des mesures
qu’un État prend quotidiennement pour veiller à l’intérêt général.
En réalité, le critère du seul effet est un critère par défaut qui semble
être utilisé faute de mieux. Malgré ses lacunes, il apparaît aux yeux
des arbitres comme le critère le plus rigoureux et du moindre mal.
Il serait idéal que les conditions requises pour qualifier une
mesure d’expropriation indirecte permettent dans le même temps
d’exclure les mesures de police. Mais les éléments caractéristiques
dégagés par la jurisprudence demeurent insuffisants pour départa­
ger les mesures de police et les mesures équivalant à une expropria­
tion. C’est la place même de l’expropriation indirecte par rapport
au droit de règlementer de l’État d’accueil dans l’intérêt public qui
est ainsi mise en lumière. Or, ce problème est également celui de la
mesure horizontale éligible au statut d’expropriation indirecte.
Dans la manière dont elle pose le problème de l’interaction entre
l’intérêt privé de l’investisseur et l’intérêt public de l’État réglemen­
tant, la mesure horizontale présente cependant un avantage sur
la mesure de police. Il ne s’agit pas vraiment d’une différence de
nature, mais d’une différence de perspective. La mesure de police se
distingue avant tout par le fait qu’elle vise un intérêt public, supposé
prééminent. La mesure horizontale se distingue parce qu’elle ne vise
pas directement l’investisseur, peu importe en définitive la teneur
de l’objectif initial. Il est certain que dans les faits, une mesure qui
ne vise pas a priori un investisseur sera une mesure qui vise l’inté­
rêt public. À ce titre, la mesure horizontale pose simplement le pro­
blème autrement et ne se focalise pas sur l’existence et la nature
d’un intérêt public difficile à manier. Son identification sera donc
plus aisée à effectuer. En outre, par définition, la mesure horizontale

663 Y. NOUVEL « Les mesures équivalant… », op. cit., note 419, p. 95.

203
est neutre. Elle ne porte pas en elle-même sa qualification. Aucun
enjeu de distinction ne se pose. Mais la mesure horizontale doit être
soumise à une grille d’analyse plus complexe et adaptée aux enjeux
qu’elle pose. Avant de la qualifier en expropriation indirecte, des
paramètres allant au-delà du seul préjudice économique devront
être pris en compte.
En résumé, il apparait clairement que la recherche d’une ligne
de démarcation par la voie des mesures de police est vraisemblable­
ment vaine. Il est évident que le raisonnement qui gouverne la clause
d’expropriation est hermétique à l’admission des mesures de police,
du moins tel que ces dernières sont appréhendées aujourd’hui. La
notion de mesures de police n’est qu’un révélateur d’un problème,
non sa solution. Toutefois, une ligne de démarcation demeure néces­
saire et doit être tracée. Et dans cette nouvelle recherche, les intérêts
et les idées véhiculées par le concept de « mesure de police » pour­
ront alors, sous une autre forme ou par un autre biais, intégrer le
régime juridique de l’expropriation indirecte.

* * *

Une conclusion sous forme de trois constats peut être faite sur
les contours de l’expropriation indirecte tels qu’ils se dessinent
aujourd’hui dans le contentieux international des investissements.
Le premier constat se rapporte à la clause conventionnelle d’ex­
propriation. La mesure équivalant à une expropriation n’est pas, à
dessein, définie dans les traités de protection des investissements
étrangers. Le seul apport de ces traités réside finalement dans le fait
qu’ils défendent aux tribunaux de recourir à certains éléments pour
qualifier l’expropriation indirecte, à savoir ses critères de licéité.
Mais ces indications implicites demeurent insuffisantes pour établir
clairement les critères de définition. Les arbitres se sont donc tour­
nés vers une coutume internationale qui, en plus d’être incertaine,
ne contenait que des éléments de réponses partielles. En effet, seules
les mesures verticales d’expropriation avaient été examinées et enca­
drées jusqu’alors dans les sentences arbitrales.
Le deuxième constat concerne le critère de qualification dégagé
de la « coutume internationale » par les arbitres. L’effet préjudiciable
substantiel de la mesure sur l’investisseur est le critère fondamental
de qualification. Il est considéré comme se suffisant à lui-même et
excluant la prise en compte de toutes autres considérations. Cette
position est justifiée, mais uniquement dans le cadre des mesures
verticales. Pour les mesures horizontales, il est intellectuellement
impossible de ne pas prendre en compte le fait qu’elles n’ont pas été
prises à l’adresse de l’investisseur, et qu’elles visaient un autre objec­
tif qui se trouve souvent être un intérêt public prééminent. Malgré

204
l’inadaptation de ce critère pour la qualification des mesures hori­
zontales, les tribunaux ne continuent pas moins à l’appliquer dans
leur grande majorité, comme un critère par défaut.
Le troisième constat concerne la mesure de police. Face à la néces­
sité de mieux encadrer les mesures horizontales d’expropriation
indirecte, dont l’expansion inquiète aussi bien les États, la société
civile, que certains tribunaux, la notion de mesure de police a sem­
blé être la panacée. On a voulu se référer à un principe de distinc­
tion qui permettrait d’isoler certaines mesures de règlementation de
l’État afin qu’elles ne soient pas indemnisables. Mais le contenu de la
mesure de police est trop imprécis, et les critères de distinctions pro­
posés trop similaires aux critères de licéité de l’expropriation, pour
que cette solution soit viable. En substance, c’est la mesure de police
qui veut sortir du régime de l’expropriation indirecte qui, elle, s’ac­
commode volontiers de la première. Comment sortir alors de ce que
l’on a pu qualifier de « conceptual labyrinth that separates the so-called
police power from the so called [power of eminent domain] »664 ? La solution
pourrait reposer, non pas sur une distinction entre mesure de police
et mesure d’expropriation indirecte, mais dans une approche adap­
tée à chaque forme d’expropriation indirecte : la mesure verticale
et la mesure horizontale. C’est sur la recherche des éléments consti­
tutifs adaptés aux mesures horizontales, dans le respect du pouvoir
normatif de l’État et du régime juridique de l’expropriation, que va
porter la seconde partie de cette étude.

664 B. H. WESTON, op. cit., note 36, p. 103.

205
TITRE 2

L’adaptation du processus de qualification à la


mesure horizontale aux fins du maintien effectif
du pouvoir normatif de l’État d’accueil

La première partie de ce travail avait pour objectif de repérer les


contours de l’expropriation indirecte dans le droit international
positif des investissements, tel qu’il est délimité par les tribunaux
arbitraux. Il s’est avéré que les frontières avaient été tracées avec une
netteté et une cohérence satisfaisantes, lorsque des mesures verti­
cales étaient en jeu. Les contours de l’expropriation indirecte surve­
nant par le biais d’une mesure horizontale sont, quant à eux, plus ou
moins esquissés. Or, ces mesures sont celles qui peuvent engendrer
les dérives les plus sérieuses au détriment du pouvoir normatif de
l’État d’accueil. Il est donc nécessaire de rechercher maintenant des
règles de qualification adaptées aux mesures horizontales d’expro­
priation indirecte.
La détermination de ces éléments caractéristiques devra toujours
s’inscrire dans le strict respect du régime juridique de l’expropriation
tel qu’il est énoncé dans les traités de protection des investissements.
La principale contrainte de ce cadre juridique tient à la place dévo­
lue à l’intérêt public qui est cantonné au rôle de condition de licéité.
Toutefois, les intérêts de l’État hôte d’investissement doivent pouvoir
trouver une place dans l’analyse lors du processus de qualification.
Ces deux impératifs, respect du cadre conventionnel posé par
les traités de protection des investissements et prise en compte des
intérêts légitimes de l’État hôte, semblent a priori irréconciliables.
Cependant, l’équilibre peut être trouvé pour peu que l’on renonce à
extirper directement l’intérêt public des conditions de licéité vers les
éléments constitutifs de l’expropriation indirecte (chapitre 2). C’est
plutôt à un glissement subtil et mesuré qu’il faudra procéder. Il sera
alors plus aisé d’intégrer des considérations ménageant le pouvoir
normatif de l’État hôte, au sein même des éléments constitutifs déjà
acquis de l’expropriation indirecte. C’est ce qui sera dénommé le
critère de l’effet redéployé (chapitre 3). Mais au préalable, pourquoi
accorder un statut particulier aux mesures horizontales ? Il faut en
effet commencer par justifier le besoin de règles remaniées pour
cette catégorie de mesures, et être en mesure de l’isoler au sein de
la grande variété des faits-candidats au statut d’expropriation indi­
recte (chapitre 1).

207
Chapitre 1

La spécificité juridique
d’une mesure horizontale éligible
au statut d’expropriation indirecte

Avant de justifier l’application de critères de qualification adaptés


aux mesures horizontales, il est nécessaire de mettre à disposition
du praticien les moyens de les identifier (section 1). C’est seulement
alors que l’on percevra mieux les nouveaux enjeux soulevés par cette
catégorie de mesure qui impose la recherche d’une grille d’analyse
adéquate (section 2).

Section 1 – L’identification des mesures horizontales


éligibles au statut d’expropriation indirecte

L’expropriation directe est par définition un acte souverain éta­


tique qui se présente comme étant une expropriation dès son édic­
tion. En raison de la filiation juridique étroite avec cette dernière,
l’expropriation indirecte par mesure verticale se laisse aisément
identifier. Tel serait le cas de l’annulation d’une licence d’exploi­
tation. Par contre, une expropriation indirecte par mesure hori­
zontale, très souvent, ne se présente pas comme telle a priori. Un
soin particulier doit alors être porté à tout le processus de qualifi­
cation, et cela passe d’abord par l’identification du type de mesure
en cause. Il faut préciser, dès à présent, que cette première identi­
fication n’est pas synonyme de qualification en expropriation indi­
recte. L’arbitre procède d’abord simplement à une classification de
la mesure éligible qui lui est présentée. La taxinomie de la mesure,
selon qu’elle sera considérée comme verticale ou horizontale, com­
mandera alors l’application d’une variante adaptée du critère de
de l’effet préjudiciable.
Pour identifier une mesure éligible de type horizontal, l’arbitre
du contentieux de l’expropriation indirecte aura à sa disposition
deux critères cumulatifs. Dans un premier temps, l’investisseur ou
son investissement ne devront pas être la raison d’être de l’édiction
de mesure, mais en subir simplement les effets collatéraux (§ 1).
Par conséquent, et dans un second temps, l’investissement ne sera
pas atteint dans son intégrité, mais verra seulement son environne­
ment général se modifier (§ 2).

209
§ 1 – Une mesure ne visant pas initialement l’investisseur

Une mesure horizontale doit atteindre l’investisseur de manière


collatérale. Cela signifie que l’investissement n’est pas visé en soi et
qu’il ne subit pas directement l’effet de l’édiction de la mesure. Il
ne s’agit pas ici de revenir sur la notion de mesure horizontale. Le
chapitre préliminaire a permis de la conceptualiser et de vérifier son
existence dans la jurisprudence arbitrale. Il faut maintenant préci­
ser concrètement, au regard de quels critères, une mesure prise par
les autorités gouvernementales pourra correspondre à une mesure
horizontale. L’effet collatéral d’une mesure horizontale peut surve­
nir par deux canaux différents. Soit l’effet résulte de l’application
d’une mesure d’ordre général (A), soit il résulte d’une mesure spé­
cifique visant l’investisseur, mais qui dépend si étroitement d’une
première mesure d’ordre général qu’elle devra y être assimilée (B).

A. Les mesures horizontales par nature

La mesure horizontale est par définition une règle au sens d’une


« norme générale et abstraite ». Cela signifie qu’elle est prise à l’in­
tention de toutes les personnes ou toutes les situations qui corres­
pondraient à l’hypothèse posée. Doivent être rangées dans cette
catégorie, les lois et règlements qui, en des termes généraux, pres­
crivent, interdisent ou autorisent. Ces mesures étatiques sont rela­
tivement aisées à identifier : une dévaluation de la monnaie, une
hausse des impôts, l’interdiction de l’usage ou de la commerciali­
sation d’une substance nocive sur le territoire national, la prescrip­
tion de nouvelles obligations plus contraignantes dans un secteur
d’activité, le classement d’une forêt en zone protégée, l’édiction de
nouvelles normes sanitaires plus élevées, une réévaluation du salaire
minimum obligatoire, etc. Faut-il le préciser ? Ces mesures d’ordre
général ne sont pas prises dans le cadre d’une relation contractuelle,
même si elles peuvent l’affecter. L’effet collatéral sur l’investisseur
résulte directement de l’édiction de la mesure d’ordre général.
Mais une mesure d’ordre général peut aussi concerner un seul
individu, lorsque ce dernier est, de fait, le seul à remplir les critères
abstraitement posés a priori. Par exemple, une norme sur le mono­
pole pourrait ne s’appliquer qu’à une seule entreprise en situation
de monopole à un moment donné dans un secteur spécifique. De
même, une mesure qui interdit l’usage d’un produit chimique peut
n’avoir d’incidence que sur un investisseur qui, seul, utilise ce pro­
duit sur le territoire ou en fait l’usage qui est désormais prohibé.
Ici, la mesure est d’ordre général même si un seul investisseur est
concerné. Elle est destinée à régir toutes les situations qui rentre­
raient dans son hypothèse d’application. L’essentiel étant que la

210
mesure vise « un caractère sans se préoccuper des personnes qui le pré-
sentent »665.
La mesure d’ordre général est donc celle qui n’a pas été édictée
à l’intention d’un investisseur ou un groupe d’investisseurs en par­
ticulier. Le préjudice subi par l’investisseur, sauf dissimulation, n’a
pas été prémédité. Cela ne signifie pas que les décideurs politiques
n’aient pas prévu de possibles retombées négatives pour les opéra­
tions économiques évoluant sur le territoire, mais l’impact sur tel ou
tel investisseur n’était pas la raison d’être de la prise de la mesure.
Le but initial est extérieur à l’investisseur. Les mesures horizontales
de ce genre sont par excellence, celles par lesquelles l’État peut expro-
prier en règlementant 666. La mesure d’ordre général est une mesure
horizontale par nature. Elle est plus facile à identifier que les mesures
qui sont horizontales par assimilation.

B. Les mesures horizontales par assimilation

Assimilation d’une mesure spécifique à une mesure-cadre horizontale


Les répercussions d’une mesure horizontale peuvent se produire dès
sa promulgation. Cela signifie que sa mise en œuvre automatique et
immédiate crée une situation défavorable aux opérations de l’investis­
seur. Tel serait le cas d’une loi interdisant l’importation d’une matière
première qui entre dans la composition d’un produit fabriqué par un
investisseur. Cette interdiction peut avoir pour but initial de résoudre
un problème sanitaire, mais elle mettra l’investisseur en plus ou moins
grande difficulté par sa simple application. Mais, il peut aussi arriver
que les dommages collatéraux surviennent à la suite d’une mesure
d’application de la première ; la seconde mesure étant adressée spé­
cifiquement à l’investissement. La première mesure pourra être une
loi-cadre désignant un objectif à atteindre sans préciser explicitement
les moyens de sa mise en œuvre. Il faudra ensuite des mesures parti­
culières pour atteindre l’objectif premier. L’effet collatéral sur l’inves­
tisseur survient alors par le biais d’une mesure spécifique prise en
application d’une mesure d’ordre général.
Les mesures spécifiques posent un problème d’identification,
car elles peuvent être confondues avec les mesures verticales. Qu’il
s’agisse d’une mesure verticale ou de la mise en œuvre d’une
mesure-cadre, l’investisseur ou le groupe d’investisseurs déterminé,
est identifié a priori aux fins d’une modification de leur situation
juridique initiale. Or, une mesure qui vise spécifiquement un inves­
tissement est normalement une mesure verticale. Doit-on considérer
les mesures d’application comme des mesures verticales ou doit-on
les assimiler à la première mesure-cadre horizontale ?

665 P. Mayer, op. cit., note 59, p. 39.


666 Contrairement aux mesures verticales par lesquelles un État peut règlementer
pour exproprier.

211
La seule réponse viable est d’assimiler la mesure d’application spé­
cifique à la mesure-cadre horizontale. Mais comment justifier qu’une
mesure spécifique soit néanmoins de nature horizontale ? Prenons
l’exemple d’une loi ou d’une convention internationale interdi­
sant désormais le monopole dans certains secteurs économiques. Il
appartiendra à l’État signataire de prendre une mesure modifiant
un contrat préalable qui instituait un monopole de fait ou de droit
au bénéfice d’un investisseur privé. À ce niveau, c’est bien la nature
horizontale de la première mesure qui primera et déteindra sur la
seconde mesure. Le but initial est la disparition des monopoles voulue
par la mesure-cadre. Il se trouve que l’investisseur répond à la situa­
tion donnée, mais en raison de l’existence d’un contrat, il est néces­
saire que l’État prenne une mesure supplémentaire pour rendre la
première mesure effective tout en organisant ses conditions de mise
en œuvre. Si donc, certaines mesures horizontales sont « autosuffi­
santes », d’autres nécessitent une mesure d’application concrète. Dans
ce dernier cas, il faudra assimiler toutes les mesures secondaires à la
première mesure-cadre.
On peut nous rétorquer que la solution de l’assimilation est artifi­
cielle. Ce serait le cas d’un décret gouvernemental qui déciderait l’an­
nulation de tous les contrats de concessions dans un secteur d’activité
donné, suivi par une décision d’annulation à l’encontre de chaque
investisseur concerné (exemple des faits à l’origine de l’affaire Philips
Petrolium devant le tribunal irano-américain). Mais dans ce cas, en réa­
lité, la première et la seconde mesure demeurent des mesures verti­
cales. En effet, la première mesure, à savoir le décret annulant tous
les contrats, n’est qu’une mesure verticale collective. Le but initial était
de mettre fin à des concessions identifiées a priori, car elles avaient
été accordées à des investisseurs en particulier. Mais surtout, la pre­
mière mesure modifie immédiatement leur situation initiale, à savoir
la résiliation de contrats de concessions identifiables a priori. Ce serait
également le cas d’un règlement décidant de l’expulsion des locataires
d’un immeuble pour cause d’insalubrité. Il s’agira alors d’une mesure
verticale collective, car les destinataires peuvent être identifiés a priori
et sont visés en tant que tels. Ces situations doivent donc distinguer
de véritables mesures horizontales suivies d’une mesure d’application.

Illustrations de mesures spécifiques horizontales par assimilation


Les mesures prises pour endiguer la crise financière argentine de
2001 offrent un excellent et récent terrain d’expérimentation pour
l’identification des mesures horizontales. Afin d’attirer et rassurer les
investisseurs privés étrangers, l’Argentine avait accordé des garanties
prévues dans ses lois et dans des contrats d’investissements. Ces garan­
ties étaient de trois ordres principalement et devaient permettre de
maintenir la valeur monétaire réelle des tarifs des prestations offertes
par les entreprises étrangères dans un État où la monnaie nationale
avait connu de grandes dépréciations par le passé. D’abord, les tarifs

212
de fourniture en gaz, en électricité ou en eau potable, étaient calculés
en dollars avant d’être convertis et collectés en pesos auprès des usa­
gers. Ensuite, les prix devaient être ajustés deux fois par an en fonc­
tion de l’Indice des Prix à la Production (IPP) des États-Unis. Enfin,
tous les cinq ans, les tarifs devaient faire l’objet d’un ajustement géné­
ral. Suite à la crise de 2001, une loi d’urgence fut adoptée le 6 janvier
2002 pour mettre fin à la convertibilité paritaire du peso argentin en
dollars américains. Dans la même ligne, elle mettait fin au calcul des
tarifs en dollars américains et à l’ajustement semestriel en fonction
de l’IPP des États-Unis (article 8). La loi prévoyait également que les
contrats seraient renégociés afin de les rendre conformes à ses nou­
velles prescriptions. Les tarifs, désormais gelés, devaient être calculés
directement en pesos argentins. Les mesures prises pour modifier les
contrats et rendre effectif le gel des tarifs pourraient être considérées
comme des mesures verticales collectives.
Mais il faut analyser de près le contexte dans lequel la mesure fut
prise afin de se rendre compte qu’elle n’est que l’application d’une
autre mesure de nature horizontale : la loi d’urgence mettant fin à la
convertibilité du peso argentin en dollars américains à un taux pari­
taire d’un contre un. Quand le gouvernement argentin décroche la
monnaie nationale du dollar américain pour la laisser aux forces du
marché, et procède ainsi à la « pesification » de l’économique, on est
bien en présence d’une mesure horizontale d’ordre général. Quand
il décide à la suite de cette mesure de mettre fin au calcul des tarifs
en dollars et à l’ajustement des tarifs sur l’IPP américain, il ne fait
que prendre des mesures d’application de la mesure d’ordre général
à l’adresse des investisseurs concernés. De ce fait, ces mesures, bien
que désignant leurs destinataires, sont des mesures horizontales par
assimilation. Dans la mesure où l’interdiction de cet ajustement n’est
qu’une étape nécessaire de mise en œuvre d’une mesure d’ordre
général, il ne saurait être question d’une mesure verticale.
En effet, comment peut-on reconvertir une économie nationale
dans la monnaie nationale, et maintenir dans le même temps la pos­
sibilité de calculer des prix de consommation de certaines denrées
essentielles dans une monnaie étrangère avant de convertir le prix
dans la monnaie locale, et en se basant sur l’indice des prix à la pro­
duction d’un autre État ? Il faut savoir qu’à cause de la dévaluation
brusque du peso après l’abandon de la parité, les salaires des Argen­
tins furent considérablement dépréciés par rapport au dollar. Il était
devenu impossible pour les usagers de continuer à payer les services,
comme le demandaient les entreprises, soit en dollars, soit en pesos à
un montant augmenté de 200 % pour combler la dépréciation de la
monnaie667. Il s’agit donc ici d’une relation de continuité entre plu­

667 D’un autre côté, on peut comprendre la position des entreprises qui avaient
contracté des prêts ou continuaient à honorer certaines dépenses facturées à
l’étranger dans des devises étrangères fortes et stables.

213
sieurs mesures liées directement à une situation économique d’un
pays, et non à la situation d’un investisseur ou d’un groupe d’inves­
tisseurs. Il en irait autrement, si pour une raison ou pour une autre,
les autorités avaient décidé de mettre fin directement, unilatérale­
ment ou par voie de renégociation, à l’ajustement des tarifs prévus
dans les contrats avec des investisseurs étrangers. Dans ce cas, dès le
départ, la mesure serait autonome et prise à l’encontre d’un inves­
tisseur ou un groupe d’investisseurs. Les autorités seraient alors en
train de modifier directement la situation initiale de ces derniers,
peu importe les justifications à leur choix. Dans ces conditions, les
mesures seraient alors de nature verticale.
Dans le cadre de cette crise financière et économique, un tribunal
CIRDI n’a pas retenu sa compétence pour connaitre des mesures
générales prises par l’Argentine, mais uniquement pour les mesures
spécifiques prises à l’encontre des investisseurs668. Mais n’était-il pas
artificiel ici de déconnecter ainsi les mesures spécifiques que l’on
pourrait prendre pour verticales, des mesures générales qui étaient
horizontales ? En d’autres termes, les mesures spécifiques, même
si elles rentrent dans la compétence d’un tribunal, ne peuvent être
complètement isolées du contexte général dans lequel elles furent
édictées.
Un autre exemple, hypothétique cette fois, peut être utilement
donné. Supposons un État qui s’engage dans un processus d’inté­
gration dans une Union monétaire et économique régionale comme
l’Union européenne. Pour ce faire, l’État candidat doit prendre des
engagements et procéder à des modifications de sa législation afin
de se mettre en conformité avec les lois communautaires de l’Or­
ganisation régionale qu’il souhaite intégrer. Ce processus peut se
dérouler sur plusieurs années et suivre différentes étapes établies
par un cahier des charges. On le sait, dans toute intégration régio­
nale de ce type, les capitaux (et donc les investissements) circulent
sans entraves et les politiques économiques sont harmonisées. De ce
fait, la libre concurrence devient une question primordiale. Si le pays
candidat sort par exemple d’une économie planifiée où l’État était le
seul opérateur économique, ou si des monopoles avaient été octroyés
dans certains secteurs à des entreprises privées ou publiques, il est
évident que certains avantages devront être supprimés. L’État adop­
tera alors probablement une nouvelle loi libéralisant certains sec­
teurs économiques. Cette loi constitue une mesure d’ordre général
dont le but initial est la mise en conformité de la législation natio­
nale avec une obligation internationale de l’État. Afin de mettre en
œuvre cette loi, l’État concerné pourra décider de renégocier les
garanties et privilèges octroyés aux investisseurs privés étrangers
dans leurs contrats. Les décisions prises dans le cadre de ces négocia­

668 CMS c. Argentine, op. cit., note 361, § 33.

214
tions seront des mesures spécifiques d’application. Dans un tel cas, il
serait aberrant de prendre en considération les seules mesures d’ap­
plication et d’ignorer le but initial de la première mesure d’ordre
général.
Avec ces exemples, on comprend mieux les risques liés à une clas­
sification erronée de la mesure éligible en cause. Il faut donc garder
à l’esprit que la mesure d’application d’une mesure d’ordre général
ne dispose pas d’une autonomie propre. Elle n’existe que dans le
cadre des conditions et limites posées de la mesure-cadre. Elle est en
quelque sorte le bras armé de cette dernière. Ce n’est donc pas en
elle qu’il faut rechercher le but initial extérieur à l’investisseur. Ce
but initial se trouve dans la mesure préalable qui conditionne son
existence. Une fois encore, on rappellera qu’une mesure horizon­
tale, comme n’importe que la mesure éligible, peut se révéler être ou
pas une expropriation indirecte.
Un second élément caractérisant toute mesure horizontale, et qui
n’est qu’un corollaire du précédent est la nature de ses effets sur
l’investissement.

§ 2 – Une mesure sans répercussion


sur l’intégrité de l’investissement

Contrairement à la mesure verticale, la mesure horizontale ne pro­


duit pas d’effets, ni sur l’intégrité matérielle de l’investissement, ni
sur la libre gestion ou direction de l’entreprise par son propriétaire.
Ce qui est altéré par la mesure horizontale est l’environnement géné­
ral préalable dans lequel évoluait l’activité d’investissement. Autre­
ment dit, la mesure horizontale éligible ne perturbe pas la posses­
sion, elle réduit la valeur ou les profits de l’investissement.
Lorsqu’un investisseur subit les effets collatéraux d’une mesure
horizontale, notamment par nature, il n’y a pas d’atteintes à l’inté­
grité de son activité d’investissement. Cela signifie qu’il n’y a pas eu
de destruction de locaux, ni harcèlement ou expulsion du proprié­
taire ou de ses employés, ni saisie des biens ou des avoirs, ni pillage.
Toutes choses qui étaient fréquentes dans les premières formes d’ex­
propriations indirectes par mesures verticales669. L’investissement
est donc matériellement toujours possible. De même, l’investisseur
est toujours en mesure de prendre les décisions quotidiennes pour
la gestion et la direction de son activité. Il ne se voit pas imposer
de gestionnaires nationaux, il participe aux décisions du comité de
direction et dispose librement de ses droits de vote. Son activité peut
donc être rentable et les pouvoirs de direction sur l’investissement

669 Les mesures verticales contemporaines sont généralement des annulations de


permis ou d’autorisations d’investissement et des résiliations unilatérales de
contrats.

215
sont également préservés. Dans une mesure verticale, l’interférence
peut consister en une prise de contrôle de l’investissement par l’État.
Sur la base du critère du préjudice causé à l’existence matérielle
d’un investissement, ou du préjudice causé par la prise de contrôle
de ce dernier, une mesure horizontale ne pourra jamais remplir la
condition du préjudice substantiel requis pour l’expropriation indi­
recte. Or, la modification des conditions générales dans lesquelles
évoluait l’investissement peut compromettre profondément et dura­
blement une opération économique. Lorsque les conditions géné­
rales évoluent dans un sens défavorable, une activité d’investissement
peut se retrouver dans une situation économique délicate, difficile,
voire impossible. De ce fait, évaluer la nature du préjudice ne saurait
consister à regarder si des locaux ont été saisis ou si l’investisseur
gère au quotidien son entreprise. Une mesure étatique qui interdit
dorénavant l’exploitation d’une essence de bois protégée ne vise pas
initialement l’investisseur dans sa situation juridique propre. Mais
si ce dernier avait justement pour activité la coupe et la commer­
cialisation de cette essence de bois, il est certain que son investisse­
ment perdra toute utilité économique. Bien que son entreprise ait
toujours une existence en droit (contrairement à une expropriation
directe) et en fait (contrairement à une expropriation indirecte par
mesure verticale), il ne pourra plus en tirer un quelconque bénéfice.
Sans préjuger de l’évaluation par le tribunal de la gravité du pré­
judice subi, une telle mesure horizontale est bien éligible au statut
d’expropriation indirecte, dans la mesure où elle peut conduire à
une expropriation de valeur.
En définitive, la mesure horizontale se distingue par deux élé­
ments essentiels :
– Elle ne vise pas initialement l’investisseur, mais poursuit un but
initial qui lui est extérieur. La nature de ce but initial est sans
pertinence, au moment de l’identification de la mesure.
– Ses effets sur l’investissement, contrairement à une mesure ver­
ticale, ne portent que sur les conditions économiques générales
dans lesquelles évoluait l’activité. L’investissement continue
d’exister dans son intégrité matérielle et demeure à la disposi­
tion de l’investisseur.
Concrètement, l’arbitre pourra se poser successivement ces deux
questions : la situation juridique de l’investissement était-elle la
raison initiale de l’adoption de la mesure ; que celle-ci soit d’ordre
général ou le concerne spécifiquement à la suite d’une première
mesure-cadre ? Dans la négative, l’impact de la mesure a-t-il porté
sur l’existence matérielle ou les pouvoirs de direction et de contrôle
de l’activité d’investissement ? Si la réponse est toujours négative, il
devra conclure à une mesure horizontale. Il est évident que par défi­
nition, la mesure horizontale est plus large que la mesure verticale.
Il est donc possible, afin d’en simplifier l’identification, de vérifier
la présence d’une mesure horizontale, par le biais de l’inexistence

216
d’une mesure verticale. Ainsi, tout ce qui n’est pas une mesure verti­
cale est une mesure horizontale. Autrement dit, le doute profite à la
mesure horizontale et à ses éventuelles mesures spécifiques d’appli­
cation. Dès lors que les mesures horizontales éligibles ont pu être iso­
lées, il faut maintenant convaincre de la pertinence et de la nécessité
d’une distinction entre mesures verticales et mesures horizontales,
aux fins de l’application de critères de qualifications adaptés.

Section 2 – Réalités et enjeux


d’une atteinte au pouvoir normatif de l’État d’accueil

Il a été mentionné dans le chapitre préliminaire que les mesures


horizontales, en créant une relation distendue avec leur référent
(l’expropriation directe), soulèvent des interrogations complexes.
Cette section devra permettre de saisir de près la nature des enjeux
soulevés par ce type de mesures étatiques. En premier lieu, les
mesures horizontales posent frontalement la question de l’éten­
due du pouvoir normatif de l’État d’accueil, puisqu’elles sont elles-
mêmes une manifestation de ce pouvoir. Mais c’est moins la souverai­
neté formelle que le pouvoir normatif effectif de l’État qui peut être
remis en cause toutes les fois où une mesure horizontale est qualifiée
d’expropriation indirecte (§ 1). En second lieu, les mesures horizon­
tales posent une problématique d’ordre systémique : la licéité de la
clause d’expropriation en droit international général. En effet, le
régime juridique de l’expropriation indirecte peut être directement
mis en rapport avec d’autres obligations internationales de l’État
lorsque certaines mesures horizontales sont en cause (§ 2).

§ 1 – Le pouvoir normatif en question :


entre respect formel et remise en cause effective

Le droit d’exproprier est un droit souverain internationalement


reconnu à tout État qui accueille des investissements privés étran­
gers sur son territoire. Dans le principe donc, même si l’exercice
de ce droit est strictement règlementé, la souveraineté étatique est
parfaitement respectée. Il semble donc surprenant de parler d’une
remise en cause du pouvoir normatif de l’État hôte. Mais comme
l’a constaté un auteur, « le droit des investissements internationaux
de ce début du siècle traduit une préoccupation majeure : la pro­
tection de l’investisseur et la marginalisation des intérêts des pays
d’accueil de l’investissement, y compris lorsque ces derniers sont
des pays développés »670. En réalité, s’il n’est pas formellement inter­
dit de règlementer, même dans le but assumé d’exproprier un inves­
tissement (A), l’État peut être concrètement empêché d’exercer son

670 F. HORCHANI, « Le droit international des investissements… », op. cit., note 11,
p. 367

217
pouvoir normatif lorsque la dépossession de l’investissement n’était
pas la raison de son intervention (B).

A. Le respect formel du pouvoir normatif : il n’est pas interdit d’exproprier

Les investisseurs privés étrangers qui s’installent dans un État,


bénéficient aujourd’hui d’un vaste réseau de traités de protection
des investissements qui leur garantit des droits comme le traitement
juste et équitable, la pleine protection et sécurité, l’interdiction de la
discrimination, ou l’obligation d’indemnisation en cas d’expropria­
tion. Dans le même temps, les États sont souvent amenés à prendre
des règlementations générales qui portent préjudice aux intérêts éco­
nomiques des investisseurs établis sur leur territoire, et peuvent ainsi
engager leur responsabilité internationale. À partir de là, certains
auteurs671 estiment que les TBI offrent le moyen aux investisseurs
étrangers de défier la légitimité de mesures gouvernementales dans
des domaines sensibles comme la protection de la santé publique ou
de l’environnement. Des arguments et des constats ont été avancés
contre ces critiques.

Les arguments déniant la remise en cause du pouvoir normatif


La crainte d’une remise en cause de la souveraineté étatique en
matière de règlementation générale, peut être balayée du revers de
la main, en avançant comme premier argument que chaque État
s’est engagé souverainement à garantir certains droits aux investis­
seurs privés étrangers sur son territoire. Celui-ci ne saurait donc se
plaindre par la suite de ce qu’il a librement consenti. C’est en ce sens
que le tribunal dans l’affaire ADC c. Hongrie a considéré que chaque
État en s’engageant dans un TBI, a librement posé des limites à son
droit de règlementer pour le bien-être général sans devoir indemni­
ser un investisseur lésé :

« while a sovereign State possesses the inherent right to regulate its domestic affairs,
the exercise of such right is not unlimited and must have its boundaries. (…) the
rule of law, which includes treaty obligations, provides such boundaries. Therefore,
when a State enters into a bilateral investment treaty like the one in this case, it
becomes bound by it and the investment-protection obligations it undertook therein
must be honored rather than be ignored by a later argument of the State’s right to
regulate »672.

La sentence rendue dans l’affaire AES c. Argentine est allée dans


le même sens, déclarant que chaque État souverain « had a right to
adopts its economic policies, but this does not mean that the foreign investor
under a system of guarantee and protection could be deprived of their respec-

671 Voir par exemple, H. MANN, K. VON MOLTKE, op. cit., note 206, pp. 23-36.
672 ADC Corp. c. Hongrie (ARB/03/16), sentence CIRDI du 2 octobre 2006, § 423.

218
tive rights under the instruments providing them with theses guarantee and
protection »673.
Un deuxième argument est de rappeler qu’aucun traité de protec­
tion des investissements ne donne le pouvoir à un tribunal d’impo­
ser dans le dispositif d’une sentence, le retrait ou la modification
d’une mesure d’expropriation, même indirecte et illégale. Ainsi, en
matière d’expropriation, il n’est pas interdit à l’État hôte de procéder
à un tel acte. Il lui est seulement exigé d’indemniser l’investisseur en
retour. Et comme la règlementation d’ordre général est considérée
comme potentiellement expropriante au même titre que n’importe
quelle mesure étatique, cela revient à dire qu’il n’est pas interdit de
règlementer, mais d’indemniser en cas de préjudice.
Chaque État est donc théoriquement libre de prendre les mesures
qu’il estime nécessaires pour la régulation des activités économiques
se déroulant sur son territoire, dans la limite de ses obligations inter­
nationales souverainement consenties. En vertu du régime juridique
de l’expropriation (directe et indirecte), il doit alors assumer les
conséquences préjudiciables de ses lois et règlements sur les inves­
tisseurs privés étrangers. Il appartient donc à chaque État de mettre
en œuvre des politiques à la fois soucieuses de l’intérêt général et
conformes aux droits des investisseurs. Théoriquement, le pouvoir
normatif de l’État est parfaitement préservé.

Le constat déniant la remise en cause du pouvoir normatif


Un argument issu de la pratique arbitrale récente des tribunaux
sert à relativiser la remise en cause du pouvoir normatif des États
hôtes d’investissements. En effet, certains auteurs ont conclu, après
l’examen du contentieux arbitral de l’expropriation indirecte, qu’il
serait exagéré de dire que la clause d’expropriation indirecte freine
les initiatives gouvernementales, ou fait naître une indemnisation
systématique pour toute réduction de valeur d’un investissement
par une quelconque mesure étatique. Il est vrai que dans le conten­
tieux arbitral d’investissement sur le fondement de l’ALENA, où ces
accusations furent les plus virulentes, peu de requêtes pour expro­
priations indirectes furent positivement accueillies. Et dans quelques
exemples contraires, comme les affaires SD Myers c. Canada, Metal-
clad c. Mexique ou Tecmed c. Mexique, la mauvaise foi de l’État d’ac­
cueil était souvent caractérisée. De surcroît, les deux dernières
affaires concernaient d’abord des mesures verticales d’expropriation
(retraits de permis), suivies dans un cas d’une mesure horizontale
(décret écologique).
En ce sens, C. Leben estime que « les arbitres usent, pour l’instant,
avec beaucoup de modération »674 de leur pouvoir de remettre en

673 AES c. Argentine (ARB/02/17), sentence CIRDI du 26 avril 2005 sur la juridiction,
§ 57.
674 C. LEBEN, « La liberté normative… », op. cit., note 123, p. 179.

219
cause « la liberté normative de l’État ». Mais l’auteur admet égale­
ment que dans certains cas limités et flagrants, les mêmes arbitres
pourraient « s’engager dans une voie conduisant à une censure de
l’activité normative générale des États »675. En réalité, les arbitres
ont généralement toujours pris soin de ne pas émettre de jugement
de valeur ou d’opportunité sur les mesures étatiques dont ils ont à
connaître, même lorsqu’ils procèdent à un contrôle de proportion­
nalité. Comme l’a souligné la sentence Tecmed c. Mexique, le rôle des
tribunaux arbitraux se limite à vérifier la conformité de ces mesures
avec les engagements que l’État a pris dans le cadre d’un TBI676. Cela
est d’autant plus vrai que l’acte d’exproprier est aussi l’expression
d’une liberté normative.
En conclusion, sur le plan théorique, et au regard des sentences
arbitrales rendues jusqu’à présent ces deux dernières décennies dans
le cadre du CIRDI notamment, il n’y aurait pas de dilution de la sou­
veraineté étatique. Mais, on ne peut s’arrêter ni à une simple analyse
théorique, ni aux statistiques des requêtes d’expropriation indirecte
rejetées par les tribunaux arbitraux, pour ignorer le potentiel exten­
sif de la définition de l’expropriation indirecte. Surtout lorsqu’on sait
que plusieurs sentences arbitrales ne sont pas rendues publiques et
que certains États préfèrent retirer certaines règlementations sur la
simple menace d’un arbitrage par les investisseurs lésés.677 En outre,
comme le constate un auteur, « la capacité de l’État d’élaborer des règles
visant à réguler les activités socio-économiques s’analyse traditionnellement
comme l’un des principaux attributs de la souveraineté »678. Or, les limita­
tions à la souveraineté étatique ne se présument pas679. La question
fondamentale est donc de savoir si, en concluant des TBI, les États
hôtes d’investissement ont voulu par là un complet « désarmement (…)
dans la conduite de leurs politiques économiques »680.

675 Ibidem, p. 183.


676 § 120.
677 C’est l’exemple de l’Uruguay qui était prêt à modifier sa nouvelle règlementation
imposant des mises en gardes sanitaires par des images sur 80 % de la surface des
paquets de cigarettes, lorsque Phillip Morris a brandi la menace d’un arbitrage.
La marque de cigarette allègue, entre autres, que la règlementation constitue
une expropriation indirecte de sa marque déposée. L’État a finalement pris le
risque d’aller à l’arbitrage à la suite de la campagne de plusieurs ONG et la
prise en charge des frais d’arbitrage par la fondation du Milliardaire américain
Bloomberg. L’affaire est pendante devant le CIRDI. Philip Morris Brand Sàrl et
al. c. Uruguay (ARB/10/7). Sur les enjeux de cette affaire, voir Investment Treaty
News, version française, vol. 1, n° 4, juillet 2011, pp. 3-5, (http://www.iisd.org/
pdf/2011/iisd_itn_july_2011_fr.pdf).
678 A. LEMAIRE, op. cit., note 205, p. 70.
679 Voir Affaire du Lotus (France c. Turquie), 7 septembre 1927, CPJI, Série A, n° 10,
p. 18.
680 D’après l’expression de Ph. KAHN, «  les investissements internationaux,
nouvelles donnes… », op. cit., note 20, p. 8.

220
La remise en cause réelle du pouvoir normatif : il est risqué de règlementer
•  La problématique des ressources financières publiques requises
pour l’exercice du droit d’exproprier
La question des capacités financières des États dans l’analyse du
droit de l’expropriation ne date pas d’aujourd’hui. Ainsi, l’argu­
ment avait déjà été défendu contre la formule de Hull qui exigeait
pour toute expropriation une indemnisation « prompte, adéquate, et
effective », c’est-à-dire une indemnisation intégrale. Il avait été repro­
ché à cette règle de faire fi des capacités de paiement de chaque État,
et donc de constituer un frein à son droit de choisir librement son
système économique et mener ses réformes économiques en vertu
de sa souveraineté. Ces discussions anciennes sont brièvement rele­
vées ici pour mieux les écarter. Notre propos n’est pas de discuter
du montant de l’indemnisation due en cas d’expropriation indirecte
par mesure horizontale. La capacité de paiement de l’État doit être
envisagée dès la phase de qualification.
Le fossé est en effet grand entre la reconnaissance du pouvoir nor­
matif de l’État et la réalité de ses capacités financières. L’impossibi­
lité pour un État de financer par ses ressources publiques les consé­
quences préjudiciables de ses projets de réglementations d’intérêt
public, ne conduit-elle pas à lui interdire de modifier ou d’adapter
sa législation lorsque le besoin se fait sentir ? R. Dolzer et M. Stevens
estimaient déjà que, « it may be argued that the State is prevented from
taking any such measures where these cannot be covered by public financial
resources »681. La sentence Marvin Feldman c. Mexique, a aussi mis en
exergue ce problème crucial :

« Governments must be free to act in the broader public interest through protection
of the environment, new or modified tax regimes, the granting or withdrawal of
government subsidies, reductions or increases in tariff levels, imposition of zoning
restrictions and the like. Reasonable governmental regulation of this type cannot
be achieved if any business that is adversely affected may seek compensation »682.

Ce constat est particulièrement vrai pour un pays en développe­


ment dont les ressources financières publiques sont limitées. En
outre, le paradoxe est tel que, plus un État se trouve à un stade de
développement embryonnaire ou traverse des difficultés écono­
miques importantes, et plus le besoin d’une règlementation inten­
sive, d’une succession d’ajustement et de réorientations des poli­
tiques économiques et financières est accru. Or, c’est justement
pendant ces périodes de turbulences que l’État est le moins à même
de faire face à d’éventuelles conséquences pécuniaires résultant

681 R. DOLZER, M. STEVENS, op. cit., note 30, p. 99.


682 § 103. D’autres sentences ont mis en lumière ce problème. Voir Pope & Talbot
c. Canada, op. cit., note 300, § 99, SD Myers c. Canada, op. cit., note 269, § 281,
CME c. République Tchèque, op. cit., note 312, § 603.

221
de son interventionnisme débridé. La menace réelle d’être attrait
devant les tribunaux peut alors devenir une arme redoutable aux
mains des investisseurs683. En outre, il faut se rappeler que dans doc­
trine américaine du Taking, les tribunaux nationaux américains ont
d’abord été favorables à une définition très restrictive des règlemen­
tations générales expropriantes lorsque les États-Unis étaient encore
un jeune État fédéral engagé dans de vastes projets de développe­
ment de ses infrastructures. Puis la tendance s’est inversée avec le
développement économique et l’expansion capitaliste de l’État. Par­
tant de ce constat, M. Sornarajah estime, à juste titre, que « if it is
necessary that guidance must be sought from US law, then the preference of
the developing States would be to select an earlier stage of the development
of US law at the time when the United States was also undergoing a stage of
development. During these early stages, it is evident that the United States
did recognize a wider category of regulatory taking which was not compen-
sated »684. Encore aujourd’hui, dans un État où la protection de la
propriété privée contre l’expropriation est directement garantie par
la Constitution fédérale, la Cour suprême a considéré, s’agissant des
restrictions imposées à l’usage des terres par exemple, que « treating
them all as per se takings would transform government regulation into a
luxury few government could effort »685.
La crise argentine a illustré récemment le problème des capacités
financières d’un État traversant des difficultés économiques. Pour
faire face à une crise économique d’une sévérité sans précédent pour
le pays et qui a culminé en 2001, le gouvernement argentin avait pris
des mesures qui remettaient en cause les garanties octroyées à des
investisseurs privés étrangers dans divers contrats de concessions686.
Ces derniers ont alors introduit pas moins de 40 requêtes d’arbitrage
auprès du CIRDI contre des mesures gouvernementales et locales.
On notera de surcroît que la plupart des litiges concernent des inves­
tissements effectués dans des services publics sensibles comme la

683 Ainsi la compagnie R.J. Reynolds Tobacco avait ainsi brandi la menace du
chapitre 11 de l’ALENA avec succès au Canada pour obtenir le recul des autorités
gouvernementales qui voulaient interdire l’utilisation des appellations « légères »
et « douces » sur les paquets de cigarettes, au motif qu’elles masqueraient les
effets nocifs du produit. L’entreprise soutenait qu’une réglementation de ce
genre constituerait une expropriation de leurs actifs intangibles (marque de
commerce et clientèle). Voir V. BEEN, J. C. BAUVAIS, op. cit., note 549, pp. 133-
134.
684 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 387.
685 Tahoe-Sierra Preservation Council Inc. c. Tahoe Regional Planning Agency, 535 U.S.
302, 122 S. Ct. 1465, 1479 (2002).
686 Pour un résumé succinct de la crise, voir E. KENTIN, « Economic crisis and
Investment Arbitration : The Argentine Cases », in Ph. KAHN, T. WÄLDE,
Les aspects nouveaux du droit des investissements internationaux, Leiden/Boston,
Martinus Nijhoff Publischers, 2007, pp. 631-634.

222
fourniture en eau ou en électricité687. Cet État qui était sérieusement
menacé par une faillite de toute l’économie nationale se retrouve
en situation de devoir payer des millions de dollars aux investisseurs
qui l’ont attrait devant les tribunaux. On laissera aux économistes
le soin d’évaluer la justesse et l’efficacité des mesures prises par le
gouvernement pour endiguer la crise. On se limitera à constater que
la majorité de ces mesures était de type horizontal par nature ou
par assimilation, et qu’elles furent prises justement à une période de
crise économique et financière.

La problématique de l’indemnisation
systématique des mesures horizontales préjudiciables
La question des capacités financières de l’État règlementant soulève
également des questions philosophiques délicates. Qui doit payer les
coûts de la réalisation de l’intérêt public ? La société en totalité ou le
détenteur du bien sacrifié ? Mais ces questions dépassent largement
le cadre de ce travail. On se limitera ici à évaluer certains arguments
para juridiques qui ont été avancés pour justifier le bien-fondé de
l’indemnisation, toutes les fois où l’État cause un préjudice à autrui
dans le cadre de ses règlementations générales quotidiennes. On
verra si ces arguments, probablement satisfaisants dans le cadre des
mesures verticales, sont concevables pour les mesures horizontales.
Trois justifications sont généralement avancées688. La théorie de l’in­
ternalisation des coûts, la théorie de l’indemnisation-assurance, la
théorie de l’équité et de la justice.

•  La théorie de l’internalisation des coûts


Selon la première théorie, l’obligation généralisée d’indemni­
sation permet de s’assurer que l’État prendra les mesures les plus
efficaces tout en étant les moins dommageables. Dans la mesure où
leurs règlementations peuvent entraîner des coûts financiers impor­
tants pour couvrir les éventuels préjudices aux investisseurs privés
étrangers, les gouvernements s’assureront toujours que leurs projets
sont vraiment nécessaires et ils chercheront à optimiser au mieux les
résultats tout en réduisant les dommages collatéraux. Cet argument
part de la prémisse que les décideurs politiques, tout comme les diri­
geants d’une entreprise privée, ne produisent pas de résultats opti­
maux tant qu’il leur est possible de faire supporter les coûts de leurs
défaillances à d’autres acteurs. Selon cette théorie donc, l’obligation

687 Les requêtes peuvent être divisées en fonction du secteur d’activité en cause :
production et distribution de l’électricité (9), transport et distribution du gaz
(9), fourniture en eau (6), télécommunication (2), autres (9).
688 Pour un exposé de ces théories, voir V. BEEN, op. cit., note 262, pp. 49-63 ;
F.  I. MICHELMAN, « Property, Utility, and Fairness : Comments on the Ethycal
Foundations of « just Compensation » Law », Harvard Law Review, 1967, vol. 80,
pp. 1165-1258.

223
d’indemniser n’est pas seulement une protection pour l’investisseur,
elle rend aussi service aux États d’accueil.
Mais ce raisonnement pêche par un point important. Comme l’a
remarqué V. BEEN, cette théorie part du principe que « governments
actors are the equivalent of rational, profit-maximizing firms. That is a big
leap »689. En effet, les gouvernants n’ont pas été élus, et les fonction­
naires embauchés, pour maximiser les profits financiers d’un État.
Leur rôle est plutôt d’arbitrer les différents intérêts qui animent la
société et de trancher dans le sens le plus favorable à la majorité.
Or, l’intérêt général n’est que rarement l’intérêt optimal. Par consé­
quent, le fait qu’une possible indemnisation pende à leurs choix de
règlementations passe au second plan face à la nécessité de remédier
à une catastrophe, prévenir un péril avéré ou réaliser un objectif de
développement économique ou social. La seule contrainte financière
pour les décideurs politiques est celle de la mise en œuvre même de
la mesure et pas celle des coûts pour l’indemnisation éventuelle des
dommages qu’elle occasionnera à certains opérateurs économiques.
Il faut le rappeler, cette analyse ne concerne que les mesures hori­
zontales et non des mesures contractuelles spécifiques.
Par ailleurs, est-il possible pour un État de prévoir et même de
budgétiser le montant des indemnisations au titre d’une hypothé­
tique expropriation indirecte survenant à la suite d’une mesure hori­
zontale ? Et quand bien même y parviendrait-il, devrait-on s’attendre
à ce que chaque gouvernement, avant l’édiction de chaque mesure
horizontale, puisse par exemple augmenter les impôts à l’échelle
nationale ou locale sur les bénéficiaires de la mesure litigieuse en
prévision d’une future indemnisation ? L’envisage-t-on surtout dans
un pays en développement ? Cette théorie, biaisée par des prémisses
erronées, est surtout irréaliste.

•  La théorie de l’indemnisation-assurance
Selon la seconde théorie, l’obligation d’indemnisation n’est rien
d’autre qu’une sorte d’assurance risque contre les réglementations
d’ordre général préjudiciables. Par conséquent, les gouvernements
doivent remédier aux préjudices causés par leurs réglementations.
Sans cette assurance d’indemnisation, l’investisseur ne serait pas
dans les conditions requises pour faire le meilleur usage de son
investissement. Cette théorie est la moins défendable. En premier
lieu, parce que les investisseurs disposent déjà de mécanismes de
garanties de couverture des risques non commerciaux, y compris les
expropriations indirectes issues de certaines règlementations géné­
rales690. Mais surtout, et c’est le plus important, l’investisseur ne paie
aucune prime d’assurance à l’État. L’indemnisation que ce dernier

689 V. BEEN, op. cit., note 262, p. 51.


690 Il est vrai que l’AMGI couvre les expropriations indirectes, mais exclu les pré­
judices causés par les règlementations d’ordre général non discriminatoires

224
lui verserait en cas d’expropriation indirecte ne peut s’analyser en
une assurance pour risque. Comme l’ont rappelé à maintes reprises
les sentences arbitrales, les TBI ne sont pas des polices d’assurance.
Par ailleurs, il appartient à l’investisseur d’anticiper les nouvelles
règlementations préjudiciables, en prenant une assurance, ou en
diversifiant les risques.
Enfin, l’application de cette théorie peut conduire à un résultat
contraire à celui qui était visé. Les entreprises qui seraient assu­
rées d’être indemnisées par l’État d’accueil pour n’importe quelle
règlementation générale préjudiciable, ne seraient-elles pas moins
enclines à anticiper les nouvelles règles, en investissant par exemple
dans la recherche de nouvelles technologies ou de produits ? C’est
particulièrement le cas des activités utilisant des substances dange­
reuses. Si cette théorie est peut-être rationnelle d’un point de vue
économique, elle n’est pas défendable d’un point de vue juridique.

•  La théorie de l’équité et de la justice


D’après la troisième théorie, il serait injuste qu’une minorité soit
tenue de supporter à elle seule les coûts de la réalisation de l’intérêt
général691. Cet argument interpelle en effet le sens profond de la jus­
tice et de l’équité. L’équité voudrait que les coûts soient supportés par
le plus grand nombre, par toute la communauté qui bénéficiera des
retombées de la mesure étatique. Il est également affirmé que l’in­
vestisseur privé étranger ne bénéficie pas normalement de la répar­
tition des richesses dans le pays où il est installé. En outre, il ne lui
est pas possible de décider de l’orientation des politiques nationales
par le biais du droit de vote. Ce dernier ne fait donc que subir des
réglementations alors que dans le même temps, il ne profite pas de
leurs retombées positives. Ainsi, Bindschedler estimait qu’il « serait
inéquitable en ce que les étrangers – qui ne jouissent pourtant pas
des droits politiques et des bienfaits du régime – devraient contri­
buer, dans la même mesure que les nationaux, à édifier celui-ci »692.
Cette théorie n’est pas convaincante pour trois raisons principales.
En premier lieu, il est exagéré d’affirmer que l’investisseur privé
étranger ne jouit d’aucun bienfait du régime de l’État dans lequel il
est implanté. Au-delà des droits politiques qui lui sont généralement
refusés, ce sont les conditions économiques et sociales favorables
d’un État qui permettent à un investisseur d’y mener des activités
prospères. En s’y installant, il trouve des richesses, des infrastruc­
tures, une organisation sociale et politique, un système économique
et financier qui lui ont semblé favorables. Il faudra y ajouter parfois

en matière économique. Toutefois, d’autres mesures horizontales peuvent être


couvertes.
691 Pour une discussion sur cette théorie, voir F. I. MICHELMAN, op. cit., note 688,
pp. 1218-1224.
692 R. BINDSCHEDLER, op. cit., note 453, p. 209.

225
des avantages fiscaux importants qui lui sont accordés, notamment
dans les pays en développement, et qui compensent largement le
déséquilibre de départ.
En second lieu, les obligations de traitement national et de trai­
tement juste et équitable prévues dans les traités de protection des
investissements offrent une meilleure protection et permettent de
remédier au désavantage de départ de l’étranger qui ne jouit pas de
droits politiques. En effet, si l’investisseur ne peut pas contribuer au
choix des dirigeants qui défendront ses intérêts, les traités de pro­
tection des investissements lui garantissent que les dirigeants élus
par les nationaux ne pourraient pas règlementer spécialement en sa
défaveur pour protéger les ressortissants de l’État. Par exemple, une
nouvelle loi adoptée dans le but de favoriser les opérateurs nationaux
dans un secteur concurrentiel où opèrent des investisseurs étrangers
pourra constituer une discrimination illicite, sans forcément consti­
tuer une expropriation indirecte.
En dernier lieu, la justice et l’équité sont des concepts particuliè­
rement délicats à manier. Ce qui est juste et équitable ne peut être
défini en dehors de paramètres aussi multiples que complexes. Or,
il faut le rappeler, les tribunaux arbitraux d’investissements « have
neither the structural protection nor the institutional credibility necessary wit-
hin a democracy to review the balance legislatures have struck between the
interests of investors and those of broader society »693.
En définitive, aucun de ces arguments ne suffit à justifier le bien-
fondé d’une indemnisation large et systématique des mesures hori­
zontales qui causent un préjudice grave à l’investissement étranger.
L’État doit pouvoir adopter dans l’intérêt général certaines mesures
susceptibles de porter atteinte aux intérêts des particuliers étrangers
ou nationaux, sans être entravé par la perspective d’actions en dom­
mages et intérêts. Il est essentiel de garder à l’esprit qu’un État, pour
reprendre les propos de G. Burdeau, « n’est pas seulement le parte­
naire de l’investisseur, comme dans l’hypothèse où il y a un contrat
et par conséquent des parties avec des obligations réciproques.
L’État a une certaine responsabilité vis-à-vis de l’investisseur, mais
il a aussi des responsabilités plus vastes »694. Les mesures horizon­
tales, prises en dehors des relations contractuelles, relèvent de ces
obligations plus vastes de l’État. Il serait donc aberrant que chaque
pays doive s’assurer quotidiennement de l’incidence de la moindre
loi, règlement ou décret du plus petit de ses démembrements, et le
cas échéant indemniser un ou plusieurs investisseurs. Cette situation

693 V. BEEN, op. cit., note 262, p. 62.


694 G. BURDEAU, Table ronde, « Le système actuel est-il déséquilibré en faveur de
l’investisseur privé étranger et au détriment de l’État d’accueil ? », in C. LEBEN
(dir.), Le contentieux arbitral transnational relatif à l’investissement : Nouveaux
développements, Louvain-la-Neuve, Artémis, 2006, p. 189.

226
est encore moins acceptable lorsque la mesure étatique a été prise
conformément à une obligation internationale de l’État.

§ 2 – La licéité systémique de la clause


d’expropriation indirecte en droit international

Le droit international, en tant que système juridique, a pour


vocation de présenter une certaine cohérence dans les règles qui
le compose. Le droit international des investissements n’est qu’une
branche du droit international. À ce titre, les droits et les obligations
qu’il sécrète au bénéfice et à la charge de ses sujets ne devraient
pas en principe remettre en cause d’autres droits et obligations des
mêmes sujets au titre d’autres branches du droit international. Dans
la pratique, la compatibilité optimale n’est pas automatique. Il est
donc souvent nécessaire de rendre compatibles certaines obligations
internationales à la charge des États. Le risque d’incompatibilité
est accru entre les obligations au titre de l’expropriation indirecte
survenue par le biais d’une mesure horizontale et certaines obliga­
tions internationales de l’État d’accueil. Pour espérer résoudre de
manière satisfaisante ce problème, il faut accepter que l’investisseur
étranger ne puisse être placé ni au-dessus des lois nationales (A),
ni au-dessus des règles internationales (B), simplement grâce de la
protection que lui accorde un TBI.

A. L’investisseur étranger n’est pas


en situation de « Robinsonnade » 695 sur le territoire national

Des critiques très virulentes ont régulièrement été formulées


contre le principe qui veut qu’un État indemnise les investisseurs
étrangers incidemment lésés par les règlementations qu’il édicte
en vue de la protection du bien-être et de la sécurité de sa popula­
tion. M. Sornarajah, très critique envers la doctrine du seul effet, va
jusqu’à dire que nier à l’État un espace de règlementation non assor­
tie d’une obligation d’indemnisation en cas de préjudice, revient « to
create a regime akin to the regime created by the capitulation treaties of bygone
time »696 ; traités qui imposaient que la loi nationale de l’investisseur
lui soit appliquée sur le territoire de l’État hôte. Sans aller aussi loin,
il faut reconnaitre que l’investissement ne peut être complètement
déconnecté de l’idée de risque, ou de l’environnement normatif qui
le reçoit.

695 D’après l’expression de Y. NOUVEL, « L’indemnisation… », op. cit., note 40,


p. 201.
696 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 389.

227
Le risque inhérent à toute opération d’investissement
Tout investissement, par définition, inclut des risques. Risques
commerciaux naturellement liés à la gestion de l’entreprise et aux
conditions générales du marché, mais aussi risques non commer­
ciaux liés à la stabilité politique, économique et sociale de l’État
d’accueil. On distingue ainsi entre l’« aléa économique », relatif
aux risques commerciaux et l’« aléa législatif » relatif aux risques de
modifications législatives et règlementaires697.
Comme l’a exprimé le tribunal irano-américain dans l’affaire Star-
ret Housing : « investors in all […] countries, have to assume a risk that
the country might experience strikes, lock-outs, disturbances, changes of the
economics and political system and even revolution. That any of these risks
materialized does not necessarily mean that property rights affected by such
events can be deemed to have been taken »698. L’investisseur en s’instal­
lant donc dans un pays donné est censé être averti de ses conditions
économiques, politiques et sociales. Il est normal qu’il s’entoure de
certaines garanties contractuelles ou conventionnelles, mais il ne
saurait être à l’abri de toute mésaventure. Ainsi, le tribunal dans
l’affaire Fireman c. Mexique a considéré que

« not all government regulatory activity that makes it difficult or impossible for
an investor to carry out a particular business, change in the law or change in the
application of existing laws that makes it uneconomical to continue a particular
business, is an expropriation under Article 1110. Governments, in their exercise
of regulatory power, frequently change their laws and regulations in response to
changing economic circumstances or changing political, economic or social consi-
derations »699.

La nature des risques encourus par l’investissement privé étran­


ger peut être placée dans une perspective historique. Jusqu’à la fin
des deux guerres mondiales, la politique de l’« État gendarme » était
la mieux partagée dans la société internationale. L’investisseur qui
s’installait dans un pays pouvait donc, à juste titre, s’attendre à ce
que les autorités gouvernementales n’interfèrent aucunement avec
ses entreprises, tant qu’elles n’étaient pas illicites. Pourtant, même
dans ce contexte, la CIJ a reconnu certains pouvoirs à l’État dans
l’affaire Oscar Shinn en ces termes :

« Aucune entreprise […] dont le succès est lié au cours changeant des prix
et des tarifs ne peut échapper aux éventualités et aux risques qui sont
le résultat des conditions économiques générales. Certaines entreprises

697 Sur la distinction entre l’aléa économique et l’aléa législatif, voir P. MAYER, « La
neutralisation du pouvoir normatif de l’État en matière de contrat d’États », JDI,
1986, pp. 5-6.
698 Starrett Housing, op. cit., note 90, p. 156.
699 Fireman c. Mexique, op. cit., note 119, § 112.

228
peuvent faire de grands profits dans une époque de prospérité générale
ou bien en profitant d’un traité de commerce ou d’une modification des
droits de douane ; mais elles sont aussi exposées à se ruiner et à s’éteindre
à cause d’une situation différente »700.

À fortiori, un investisseur qui investit actuellement dans un pays


où règne l’« État providence » doit s’attendre à ce que des mesures de
régulation économique puissent entraver ou ralentir le succès de ses
activités. Cela se vérifie dans les pays en transition vers une économie
de marché, les pays en développement, ceux ayant une situation éco­
nomique et politique instable, ou encore les pays dont les décideurs
politiques sont sensibles à certaines préoccupations sociales et envi­
ronnementales. Dans tous les cas, et même dans un pays stable, tout
investisseur doit assumer le risque que « regulation laws being applied
against him, and that he should bear the risk of such adverse changes as any
citizen of the state would »701. Par conséquent, tout comme il est normal
que les investisseurs étrangers bénéficient d’un système lorsqu’il est
performant, parfois même plus que les nationaux702, il est aussi nor­
mal qu’ils assument les inconvénients lorsque ce système connaît des
défaillances. L’investissement ne peut donc être « mis à l’abri de l’ap­
plication des mesures destinées à règlementer son activité, comme
celle de n’importe quel opérateur économique »703.

L’investissement soumis à la règlementation


nationale comme toute opération économique
Il faut se demander si l’investisseur privé étranger est protégé fina­
lement par la clause d’expropriation en raison de son statut d’opé­
rateur économique ou de son statut d’étranger. On conviendra que
c’est son statut d’étranger sur le territoire national qui justifie la
protection spéciale accordée par les TBI. Dans cet ordre d’idées, les
mesures qui toucheraient l’investisseur au même titre que n’importe
quel opérateur économique national ou étranger sur le territoire ne
devraient pas donner droit à la protection renforcée des TBI. Seules
les mesures le visant individuellement et sur la base de son statut
d’étranger seraient recevables. Une telle approche apparaît justifiée
et souhaitable. Elle ne correspond pas cependant à l’approche majo­
ritaire. Dans la doctrine, rares sont les auteurs à avoir émis l’idée que
la clause d’expropriation, tout comme les standards de traitement
prévus dans les traités de protection des investissements, protège
d’abord l’investisseur privé étranger en tant que personne physique

700 Oscar Chinn, op. cit., note 105, p. 88.


701 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 389.
702 C’est le cas lorsqu’il existe un contrat d’investissement particulièrement
avantageux pour l’investisseur avec un État, souvent en développement, qui
espère ainsi attirer et retenir les capitaux étrangers.
703 S. ROBERT-CUENDET, op. cit., note 38, p. 97.

229
ou morale étrangère soumise à la toute-puissance de l’État d’accueil,
et non en tant qu’opérateur économique quelconque.
Quoi qu’il en soit, l’expropriation indirecte n’est pas une catégo­
rie fourre-tout dans laquelle il faudra jeter toutes les situations qui
ne rempliraient pas totalement les critères de qualification d’une
expropriation directe, tout en ayant au moins un point commun avec
cette dernière. Il faut ajouter que l’expropriation indirecte n’est ni
une garantie de profits maximums, ni une garantie contre tous les
aléas qui peuvent survenir dans la vie d’une entreprise. Cette clause
a pour justification profonde de corriger les défaillances dans la pro­
tection des biens étrangers qu’offre l’expropriation directe et for­
melle. Autrement dit, au-delà de la forme, il faut regarder concrè­
tement la situation de l’investisseur privé étranger pour lui assurer
une protection effective. Certes, le régime de l’expropriation directe
comme indirecte tourne autour du préjudice subi par l’investisseur.
Mais conclure, à partir de cette réalité, qu’aucune autre considéra­
tion ne doit être prise en compte dans l’analyse est un pas qui ne
saurait être franchi. Les droits de l’investisseur ne sont pas infinis. Si
la protection doit être effective, elle ne peut être absolue.
À ce propos, il faut relever que le droit international des inves­
tissements est un droit déséquilibré qui n’appréhende les rapports
entre l’État et les investisseurs qu’en termes de responsabilité inter­
nationale du premier. Or une telle conception de la responsabilité à
la charge d’un seul partenaire ne peut permettre de répondre aux
besoins de développement, notamment lorsque l’investisseur est éco­
nomiquement aussi puissant, sinon plus puissant que l’État d’accueil.
Par conséquent, « la légitimité du concept traditionnel de la respon­
sabilité sera mise à rude épreuve aussi longtemps qu’il ne fournira
qu’une base à la protection de l’investissement étranger contre les
intérêts souvent légitimes de pays d’accueil. Un système qui n’aborde
un problème que du côté d’un seul partenaire ne peut être considéré
comme un système international juste »704.
On conclura sur ce point avec ces propos empruntés à M. Sornara­
jah : « it should not be the function of international law to insulate the foreign
investor from the regulatory regime of the host state’s law »705. La fonction
du droit international des investissements est en effet de protéger
l’investisseur contre les comportements internationalement illicites
de l’État hôte à son égard, mais ce droit ne peut rendre l’activité
d’investissement imperméable à toute règlementation locale qui lui
est incidemment désavantageuse.

704 M. K.  BEKHECHI, «  Droit international et investissement international  :


quelques réflexions sur les développements récents », in Le droit international au
service de la paix, de la justice et du développement. Mélanges Michel VIRALLY, Paris,
Pedone, 1991, p. 118.
705 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 389.

230
B. L’État comme vecteur des règles
internationales sur le territoire national

La difficile interaction entre la protection des intérêts de l’État


et la protection de l’investissement privé étranger garantie dans un
traité ne date pas d’aujourd’hui. Mais la question est particulière­
ment cruciale depuis la fin des deux guerres mondiales. Outre le fait
que l’État intervient de plus en plus dans les activités économiques,
il voit également s’étendre ses obligations internationales au regard
de l’expansion de certaines branches du droit international. Ainsi,
le droit international de l’environnement, ou le droit international
du travail impose des obligations toujours plus vastes et plus contrai­
gnantes aux États à travers de nouvelles conventions. De ce fait, clas­
ser une forêt, réglementer le transport transfrontalier de déchets
dangereux ou renforcer les charges sociales des entreprises au béné­
fice des travailleurs peuvent relever directement d’obligations inter­
nationales. Or, dans le même temps, ces mesures peuvent compro­
mettre les bénéfices d’un investissement étranger. En clair, l’État se
retrouve entre deux forces a priori antinomiques. D’un côté, un traité
d’investissement qui l’oblige à traiter l’investisseur de manière à ne
pas compromettre ses activités, et à protéger ce dernier des atteintes
en droit ou en fait à sa propriété. De l’autre, un traité qui l’oblige à
prendre certaines mesures prédéfinies ou non, pour atteindre un
objectif donné. Le véritable problème tient en l’absence structurelle
de hiérarchie entre ces deux catégories de conventions qui, tout en se
multipliant, appréhendent des faits identiques avec des logiques dif­
férentes. Comment dans ces conditions, décider de l’obligation qui
primera, lorsque la contradiction apparaît ? En somme, c’est la ques­
tion de la licéité systémique en droit international d’une règlementa­
tion étatique qui se pose, au-delà même de la violation ou non d’un
traité d’investissement particulier. Afin d’apporter des éléments de
réponses, il faut convenir d’abord du fait que le droit international
des investissements ne peut être isolé des autres branches du système
juridique international. Il sera éclairant par la suite de voir comment
le problème d’incompatibilité s’est posé, se pose ou pourrait se poser
dans la réalité avec la définition de l’expropriation indirecte.

Le droit international des investissements :


un sous-système du droit international
Devant un tribunal arbitral institué sur le fondement d’un TBI, c’est
bien la responsabilité internationale de l’État hôte qui est en cause.
Or, si l’on s’accorde pour situer les relations qui naissent entre l’État et
l’investisseur en cas de litige sur le fondement d’un TBI dans l’ordre
juridique international, cela implique de prendre en compte le droit
international dans sa globalité. Cette réalité de premier ordre doit
influer sur l’interprétation de la règle de droit par le tribunal arbi­
tral. Ainsi, le juge ou l’arbitre devra se tourner naturellement vers

231
la coutume internationale, le droit conventionnel ou les principes
généraux pertinents pour le domaine spécifique. En outre, les pré­
ambules de certains traités de protection des investissements récents
intègrent au côté de l’objectif de la croissance économique mutuelle,
la réalisation du développement durable comme la promotion des
droits humainsou la protection de l’environnement.
Dans une analyse de la responsabilité internationale des États sur
le fondement des traités de protection des investissements, C. Leben
est arrivé à la conclusion que « rien dans ses caractéristiques propres
n’empêche de voir dans [cette dernière] un sous-système au sein
du système du droit international général de la responsabilité des
États »706. De même, dans son cours professé à l’Académie de La Haye
sur l’expropriation, R. Higgins, avait insisté sur le fait que, « questions
relating to property in international law need to be looked at as a coherent
whole. Questions of permanent sovereignty over natural resources, compensa-
tion, public interest, concessions, regulatory controls, human rights, are all
intertwined. If we isolate them we exclude relevant factors from our conside-
ration »707.
Une conséquence de premier ordre ressort de ces affirmations. Les
mécanismes et les obligations qui permettent d’engager la responsa­
bilité de l’État sur le fondement d’un TBI ne peuvent contrecarrer
les règles cardinales du droit international général de la responsabi­
lité des États. Cela signifie qu’un État ne pourra pas agir de manière
licite au regard du droit international général ou d’une branche de
ce dernier, et être par ailleurs en situation d’illicéité au regard d’un
traité d’investissement. C’est pourquoi un État peut invoquer par
exemple comme moyen de défense devant un tribunal arbitral, une
circonstance excluant l’illicéité telle que l’état de nécessité qui relève
du droit international coutumier. De ce fait, l’investisseur étranger
installé sur un territoire étranger est soumis aux obligations interna­
tionales qui pénètrent la sphère nationale et qui peuvent l’affecter
d’une manière ou d’une autre. Il est difficile de concevoir qu’un État
qui règlemente certaines activités compromettant des intérêts inter­
nationalement protégés commette à la fois un acte illicite sur le fon­
dement d’un TBI et un acte licite au regard du droit international.
En réalité, si l’État est tenu d’interdire certains comportements sous
peine d’engager sa responsabilité internationale, en toute logique,
lesdits comportements sont devenus eux-mêmes illicites. Et dans
un tel cas, l’État ne saurait engager sa responsabilité internationale
sur le fondement d’une règle du droit international, en mettant en
œuvre une autre règle du même système juridique.
La réponse de nombreux tribunaux a souvent été de rejeter cet
argument, même lorsqu’une obligation internationale était en cause.
Dans l’affaire Oscar Chinn, où la Cour avait refusé de qualifier une

706 C. LEBEN, « La responsabilité de l’État… », op. cit., note 122, p. 686.
707 R. HIGGINS, op. cit., note 258, p. 375.

232
mesure belge ayant simplement modifié les conditions économiques
générales comme un acte internationalement illicite, les juges ont
néanmoins rappelé que le droit de règlementer s’exerce sans préju­
dice des autres engagements internationaux de l’État :
« Le gouvernement Belge était seul juge de cet état critique et des remèdes à y
apporter, sous la réserve naturellement de ne pas se départir de ses obligations
internationales. […] Quelque légitime et libre que soit l’action gouvernemen-
tale (…), il est clair que cela ne permet pas à un État tiers de se départir à ce
propos de ses engagements internationaux »708.
En des termes encore plus explicites, le tribunal dans l’affaire
Santa Elena c. Costa Rica a déclaré que : « the international source of the
obligation to protect the environment makes no difference. (…) where pro-
perty is expropriated, even for environmental purposes, whether domestic or
international, the state’s obligation to pay compensation remains »709. Dans
le même sens, une sentence, en rejetant l’argument de l’Argentine
selon lequel le droit d’accès à l’eau pouvait l’autoriser implicitement
à violer ses obligations au regard d’un TBI, a conclu que l’État est
« subject to both international obligation, i.e. human rights and treaty obliga-
tion, and must respect both of them ».710
Ces affirmations suscitent des inquiétudes légitimes, en dehors
même de la question des capacités financières des États. Pourquoi
un État devrait-il quand même payer pour la mise en œuvre du droit
international, lorsqu’il respecte une obligation que lui impose une
convention internationale, de surcroît lorsque le traité ne laisse pas
le choix des moyens aux États signataires (même si une telle situation
se vérifie rarement) ? Qu’en sera-t-il également si l’obligation inter­
nationale qui entre en interaction avec les droits de l’investisseur
interdit directement l’activité de ce dernier ? Autrement dit, quand
le traité international prend l’investisseur pour destinataire et rend
l’activité désormais illicite au regard du droit international ? Lorsque
les règles internationales pénètrent le droit national d’un État et
s’imposent aux personnes physiques ou morales, n’est-ce pas normal
que les investisseurs étrangers subissent les nouvelles charges dans
les mêmes conditions que les nationaux ? Pourquoi une société quel­
conque ne pourrait-elle pas subir l’application d’une norme inter­
nationale dans un pays d’accueil qu’en contrepartie d’une indem­
nisation (en tant que société étrangère protégée par un TBI), alors
qu’il en irait autrement dans son État de nationalité si elle s’y était
implantée (en tant que société nationale non couverte par un TBI) ?
On le voit, les questions des rapports entre la définition de l’expro­
priation et le droit international dans son ensemble sont nombreuses
et complexes. Si une incompatibilité stricto sensu ne se pose pas dans

708 Oscar Chinn, op. cit., note 105, p. 79 et p. 86.


709 § 71-72.
710 Voir Suez-Led Consortia c. Argentine, op. cit., note 34, § 240. Le tribunal a estimé
qu’une incompatibilité ne se posait pas dans le cas d’espèce.

233
le principe (il n’est pas interdit de règlementer, mais d’indemniser),
une interférence peut se produire entre des obligations relevant de
deux catégories de normes.
La réalisation d’une obligation dans une matière comme les droits
humains ou la protection de l’environnement peut entrer en conflit
avec le respect d’une obligation en matière d’investissement, et vice
versa. On peut relever par exemple, en matière de protection des
droits de l’homme711, le développement des obligations positives qui
permettent d’engager la responsabilité internationale de l’État, non
pas seulement du fait de son ingérence « active » dans un droit, mais
aussi de sa « passivité » lorsqu’il ne prend pas les mesures nécessaires
pour assurer la jouissance dudit droit ou en empêcher la remise en
cause par des tiers. Ces obligations prescrivent donc des actions pré­
ventives et proactives aux États. Ainsi, le Comité des droits écono­
miques, sociaux et culturels a établi une liste d’obligations positives à
la charge des États en matière du droit d’accès à l’eau potable, parmi
lesquelles, l’obligation de « veiller à ce que les tiers qui gèrent ou
contrôlent les services (…) ne compromettent pas l’accès physique,
à un coût abordable et sans discrimination, à une eau salubre et de
qualité acceptable, en quantité suffisante »712. Il ne s’agit encore que
d’un projet, même si on ne peut nier toute valeur juridique à son
contenu. Mais dans l’hypothèse où ces normes deviendraient juridi­
quement contraignantes, qu’adviendra-t-il si un État décide d’impo­
ser des prix de vente accessibles aux consommateurs d’un service de
première nécessité dont la gestion a été privatisée713 ?

711 Pour une étude des rapports entre la protection des investissements et les droits
de l’Homme, voir L. LIBERTI, « Investissements et droits de l’Homme », in Ph.
KAHN, T. WÄLDE, Les Aspects nouveaux du droit des investissements internationaux,
Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2007, pp. 791-852 ; R. BACHAND,
M. GALLIE, S. ROUSSEAU, op. cit., note 31, pp. 575-610.
712 Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels, Le droit à l’eau,
Observation générale n° 15 du 26 novembre 2002, § 27 ; Nations Unies, doc. E/C
12/2002/11, XXIXe session, (http://www.aidh.org/alimentation/eau/images/
Droit-eau-2002.pdf).
713 C’est le cas notamment d’une affaire qui fut portée devant le CIRDI contre
la Bolivie. Le litige portait sur la révocation d’un contrat de concession
d’exploitation exclusive des ressources et du système de livraison et de traitement
de l’eau potable dans la municipalité de Cochabamba. Suite à la privatisation,
les tarifs avaient augmenté considérablement (43 %) et devenaient hors de
portée des populations pauvres. Des manifestations populaires violentes contre
ces installations contraignirent l’investisseur à quitter le territoire à cause de
l’insécurité, malgré l’intervention de la police bolivienne. Le gouvernement
révoqua finalement le contrat de concession et le céda à une coalition d’ONG
locales ; révocation que l’investisseur qualifia d’expropriation indirecte. Le
tribunal CIRDI constitué ne s’étant pas déclaré compétent, le litige ne fut pas
tranché au fond. Voir Agua del Tunare c. Bolivie (ARB/02/03), sentence CIRDI
du 25 octobre 2005 sur la compétence.

234
Aujourd’hui, des intérêts divers font l’objet d’une protection de
plus en plus élevée et des obligations internationales contraignantes
en résultent continuellement pour les États. Il ne sera peut-être plus
possible, dans un avenir proche, de s’interroger sur le caractère
licite ou illicite de certaines activités économiques encore tolérées
par le droit international. Et cela peut advenir plus vite qu’on le croit
vu l’évolution rapide de plusieurs branches du droit international
comme la protection de l’environnement ou de la santé humaine.
C’est pourquoi il est important dès à présent de réfléchir à la solution
de ces problèmes dont certains commencent déjà à prendre forme.

•  Les hypothèses d’incompatibilités


Les exemples d’enchevêtrement entre la clause d’expropriation
indirecte et une obligation internationale de l’État sont rares dans
la jurisprudence arbitrale, mais il est certain qu’ils vont se multiplier.
L’analyse de quelques affaires qui sont en cours devant les tribunaux,
ont déjà été tranchées, ou sont seulement hypothétiques, permet
d’appréhender les formes incompatibilités qui peuvent survenir.

•  Les affaires Phillip Morris c. le Venezuela et l’Australie :


incompatibilité probable avec le droit international de la santé
En 1994, R.J. Reynolds Tobacco Company avait menacé, avec suc­
cès, de formuler une réclamation au titre du chapitre sur l’investis­
sement de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) dans
le cadre de sa campagne de pression réussie contre le projet de loi
canadien pour un « emballage simple », qui aurait exigé que toutes
les cigarettes soient vendues dans un emballage standard ne por­
tant ni logos, ni marques. Cette tactique n’a pas fonctionné récem­
ment pour l’entreprise Philip Morris. Cette dernière a dû mettre sa
menace à exécution contre deux États. La société a présenté une
réclamation investisseur-État devant le CIRDI le 19 février 2010 qui
conteste les restrictions imposées par l’Uruguay sur l’emballage
des cigarettes. Philip Morris avance que la récente règlementation
relative au tabac imposée par l’Uruguay viole plusieurs dispositions
du traité bilatéral d’investissement (TBI) Suisse-Uruguay714. La
société conteste notamment trois dispositions de la règlementation
uruguayenne relative au tabac : (1) une exigence de « présentation
simple » interdisant la commercialisation de plus d’un produit du
tabac sous chaque marque ; (2) une exigence d’inclure des « picto­
grammes » comportant des photos des conséquences sanitaires du
tabagisme (telles que le cancer des poumons) sur les emballages de
produits du tabac ; et (3) l’obligation de recouvrir 80 % des deux

714 Demande d’arbitrage du 19 février 2010, FTR Holdings S.A. (Suisse) c. La
République orientale d’Uruguay, CIRDI, (ARB/10/7) (http://www.smoke-free.
ca/eng_home/2010/PMIvsUruguay/PMI-Uruguay %20complaint0001.pdf).

235
côtés des emballages de cigarettes d’avertissements sanitaires715. Phi­
lip Morris avance en outre que l’exigence de présentation unique
constitue une expropriation des marques commerciales de Philip
Morris en interdisant leur utilisation sur les paquets de cigarettes716.
Elle a également introduit une requête d’arbitrage le 21 novembre
2011 contre l’Australie devant le CIRDI, en prétendant que la législa­
tion australienne sur les emballages de cigarettes viole le traité d’in­
vestissement bilatéral Hong-Kong-Australie. Au titre de la loi austra­
lienne, qui doit entrer en vigueur en décembre 2012, les emballages
sont dépouillés de logos et d’éléments de marque, même si le nom
de la marque de tabac peut demeurer sur le produit. L’Australie est
le premier pays au monde à mettre en œuvre une restriction si rigide
sur les marques figurant sur les produits du tabac, comparativement
à la loi uruguayenne.
Ces deux différends, encore en cours, pourraient amener les deux
tribunaux à se prononcer sur la compatibilité entre le droit interna­
tional de la santé et le droit international des investissements. Les
deux lois contestées correspondent à des mesures horizontales. De
surcroît, elles ont été préconisées dans le cadre de l’initiative pour
un monde sans tabac menée par l’Organisation Internationale de la
Santé (OIS). En effet, plus de vingt pays ont signé à ce jour la Conven­
tion-Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac du 21 mai 2003.717 Elles
constituent des mises en œuvre courageuses de la convention-Cadre
de l’OMS, même si cette dernière est rédigée sous forme de recom­
mandations. Si les deux premiers pays qui ont eu l’audace de prendre
les mesures recommandées sont finalement obligés d’indemniser
des investisseurs lésés au titre de la protection contre l’expropriation
dans leurs TBI, il est certain que d’autres États hésiteront à suivre
leur voie. Cela compromettrait certainement les efforts entrepris par
les États dans le cadre de la lutte contre la consommation du tabac,
particulièrement chez les plus jeunes.

•  Les affaires SPP c. Égypte et SD Myers c. Canada :


incompatibilité manquée avec la protection de l’environnement
Dans l’affaire SPP c. Égypte (procédure CIRDI)718, il était question
d’un décret égyptien ayant mis fin aux travaux de l’investisseur
en vue de la création d’un complexe touristique sur le plateau des
pyramides de Guizèh. Ce décret fut d’abord motivé par l’opposition
locale qui dénonçait les effets environnementaux du projet sur les

715 Ibidem, §. 3 à 5.
716 Ibid., §. 82-83.
717 Convention-Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac du 21 mai 2003, (http://
whqlibdoc.who.int/publications/2003/9242591017.pdf). En septembre 2011,
170 Etats avaient signé la convention et 120 pays ont déjà pris des lois pour
renfocer la lutte contre le tabac sur leur territoire.
718 SPP c. Egypte, op. cit., note 337.

236
sites archéologiques. Le classement par l’UNESCO du site en Patri­
moine mondial de l’humanité n’est intervenu que plus tard et sur
la demande de l’État. L’Égypte ne pouvait donc pas utilement invo­
quer une obligation internationale de protéger le site au moment
de l’édiction de la mesure. Le tribunal, même s’il a tenu compte de
ce paramètre dans le calcul des indemnités719, a refusé de le consi­
dérer dès le processus de qualification de l’expropriation indirecte.
Certes, la Convention du patrimoine mondiale de l’UNESCO pré­
voit que la préservation du patrimoine s’effectue « sans préjudice des
droits réels prévus par la législation nationale »720. Ce qui signifie
clairement que les éventuels investisseurs lésés pourront être indem­
nisés. En serait-il allé autrement si la Convention ne prévoyait pas
une telle clause ? Il semble que non. Et de fait, le tribunal a considéré
que « clearly, as a matter of international law, the Respondent was entitled
to cancel a tourist development project situated on its own territory for the
purpose of protecting antiquities. (…) The decision to cancel the project consti-
tuted a lawful exercise of the right of eminent domain. (…). The obligation
to pay fair compensation in the event of expropriation applies equally where
antiquities are involved »721. La conclusion du tribunal arbitral CIRDI
fut donc que : « the UNESCO Convention by itself does not justify the mea-
sures taken by the Respondent to cancel the project, nor does it exclude the
Claimants’ right to compensation »722.
L’affaire SD Myers c. Canada aurait pu donner une meilleure occa­
sion à un tribunal de se pencher sur le problème. Mais les dispo­
sitions des différents accords n’ont pas rendu l’analyse absolument
nécessaire, même si le tribunal aurait pu saisir l’occasion de prendre
position sur la question. Les faits en cause illustrent excellemment
les enchevêtrements possibles entre les différentes obligations d’un
État au titre d’un traité d’investissement et un traité de protection de
l’environnement. Le Canada, État d’accueil, avait signé la Conven­
tion de Bâle sur le mouvement transfrontalier des déchets dange­
reux. Aux termes de ce traité, il s’était engagé à ne pas autoriser
les exportations de déchets dangereux vers un État non Partie à la
convention, sauf accord spécifique. Le but de la Convention de Bâle
n’est pas en soi d’interdire l’exportation des déchets dangereux,
mais de rationaliser les risques inhérents à l’activité en imposant des
règles de sécurité aux Parties contractantes. Dans le même temps,
le Canada avait signé un accord spécifique avec les États-Unis, État
non Partie à la Convention de Bâle, pour autoriser l’exportation de

719 Le tribunal a notamment conclu à l’inexistence de gains futurs compensables,


car ces derniers n’étaient plus licitement réalisables après le classement du site.
720 Article 6 de la Convention concernant la protection du patrimoine mondiale,
culturel et naturel de l’UNESCO du 16 novembre 1972 (http://whc.unesco.org/
archive/convention-fr.pdf).
721 SPP c. Egypte, op. cit., note 337, § 158-159.
722 Ibidem, § 154.

237
déchets dangereux vers ce pays. Ce qui était autorisé par la Conven­
tion, à la condition que le traité bilatéral énonce des prescriptions
« non moins écologiquement rationnelles » que celles qu’elle pres­
crivait. S.D. Myers, entreprise américaine de recyclage des déchets
de biphényles polychlorés (BPC), s’était établie au Canada dans la
province de l’Ohio, à quelques kilomètres de la frontière américaine.
Son activité était de recycler et de traiter les déchets de BPC produits
au Canada en procédant à leur transfert sur le territoire américain
où sont situées ses infrastructures de recyclage. Suite à l’interdiction
canadienne du 26 février 1996 d’exporter les déchets dangereux
issus du PCB (reconnue comme particulièrement nocifs pour la
santé humaine et l’environnement) vers les États-Unis, l’investisseur
s’est estimé victime d’un préjudice équivalent à une expropriation.
Ce dernier avait vu ses activités paralysées pendant 16 mois avant que
la frontière ne fût ouverte de nouveau.
Le tribunal s’est contenté de relever que le Canada avait le droit de
fixer son niveau de protection, mais qu’il lui appartenait de prendre
les mesures appropriées et les moins dommageables pour mettre en
œuvre la Convention de Bâle ou ses propres objectifs nationaux723.
Par conséquent, la liberté de choisir les moyens de mettre en oeuvre
une obligation internationale ne dispense pas de l’obligation de res­
pecter les engagements souscrits dans un traité d’investissement. Le
tribunal l’a exprimé en ces termes :

« even if the Basel Convention were to have been ratified by the NAFTA Parties, it
should not be presumed that Canada would have been able to use it to justify the
breach of a specific NAFTA provision because where a party has a choice among
equally effective and reasonably available alternatives for complying with a Basel
Convention obligation, it is obliged to choose the alternative that is least incon-
sistent with the NAFTA. »724.

Il n’y avait donc pas, selon le tribunal, d’incompatibilité absolue


entre les deux conventions. En aurait-il été autrement ici également
si la convention de Bâle prescrivait des obligations concrètes et si la
clause 104.c de l’ALENA était applicable ? En effet, l’article 104.c pré­
voit que les dispositions d’un traité environnemental priment sur les
dispositions de l’ALENA, à la condition que les deux États concernés
aient ratifié la convention au moment du litige, ce qui n’était pas le
cas à l’époque pour la convention de Bâle. Ici encore, il est possible
de sortir l’argument du droit de réglementer en contrepartie d’une
indemnisation. En effet, les traités n’imposent jamais explicitement
aux États Parties de laisser les investisseurs lésés par les obligations

723 Le tribunal a conclu que l’interdiction totale d’exportation vers les États-
Unis n’était pas la solution la plus efficace et la moins dommageable au vu des
objectifs affichés.
724 SD Myers c. Canada, op. cit., note 269, § 215.

238
qu’ils prescrivent sans aucune indemnisation. Ce qui nous renvoie
encore au problème récurrent des capacités financières de l’État qui
sont nécessaires à la réalisation de ses obligations internationales.
Les exemples parfaits et épurés d’incompatibilité entre les obliga­
tions résultant de l’expropriation indirecte et une autre obligation
internationale à la charge de l’État d’accueil sont rares. Cependant,
l’incompatibilité n’est pas une simple hypothèse d’école comme
nous le montrent un litige historique et un litige hypothétique.

•  L’affaire de l’Entreprize :
incompatibilité historique avec la protection des droits humains
Il faut parfois remonter loin dans le passé pour entrevoir de ce que
l’avenir peut nous réserver. Dans la sentence arbitrale de l’Enterprise
de 1855725, les faits suivants étaient à l’origine du différend entre les
États-Unis et la Grande-Bretagne. Un navire négrier battant pavillon
américain avait fait une escale forcée en état de détresse dans le port
de Hamilton dans les Bermudes, un archipel de la couronne britan­
nique. Profitant du fait que l’esclavage était aboli depuis 6 mois envi­
ron dans ces territoires, les esclaves furent libérés par les autorités
locales. Le gouvernement américain, prenant fait et cause pour son
national, porta plainte contre la Grande-Bretagne pour violation du
droit international. Le premier exigeait en effet une indemnisation
du préjudice subi en raison de la perte de la « cargaison d’esclaves »,
comme cela avait déjà été le cas dans des affaires similaires avant
l’abolition de l’esclavage dans certaines colonies britanniques. La
Grande-Bretagne, elle, invoquait le fait que la libération d’esclaves
n’était pas contraire au droit international et qu’elle n’avait fait
qu’appliquer sa législation nationale sur un navire se situant sur son
territoire. Elle considérait que « slavery was not a relation which the Bri-
tish Government, by the comity of nations, was bound to respect »726.
Devant le juge-arbitre, les États-Unis ont obtenu gain de cause sur
la base, entre autres arguments727, qu’au moment des faits le droit
international ne contenait aucune règle coutumière interdisant le
commerce des esclaves. Ayant donc causé un préjudice aux nationaux
d’un État tiers, sans pouvoir invoquer une obligation internationale
qui lui imposait de prendre la mesure en cause, la Grande-Bretagne
fut considérée comme ayant manqué à ses obligations internatio­
nales de protection des biens des étrangers situés sur son territoire.

725 Affaire Enterprize (1855), Commission d’arbitrage États-Unis-Grande-Bretagne


de la convention du 8 février 1853, in Moore International Arbitration Digest, vol. 4,
pp. 4349-4373.
726 Ibidem, p. 4349.
727 Le droit international régissant la haute mer et l’étendue de la juridiction
exclusive des États sur les navires battant leur pavillon lorsque ces derniers
accostent par nécessité sur un territoire étranger furent invoqués. Mais l’arbitre
ne s’est pas prononcé sur ces questions.

239
Tout en reconnaissant que « slavery is contrary to the principles of justice
and humanity », le juge-arbitre a conclu que « at the time of the transac-
tion on which the claim is founded, slavery existed by law in several countries
and was not wholly abolished into the British Dominions. It could not, then,
be contrary to the law of nations »728. En faisant abstraction du caractère
absolument choquant de cette affaire, une question surgit. Si l’on
suit le raisonnement du juge-arbitre, la Grande-Bretagne n’aurait
donc pas eu à indemniser les négriers si l’esclavage était interdit sur
le plan du droit international au moment du litige. Par contre, une
stricte application de la doctrine du « seul effet », en supposant que
l’activité commerciale fut alors une activité d’investissement, aurait
conduit à l’indemnisation du préjudice substantiel subi.
Dans un autre contexte, mais relevant finalement de la même
philosophie, on peut citer certaines sanctions du Conseil de sécu­
rité qui furent prises pour assurer le respect des droits humains en
Afrique du Sud et en Namibie729 ; ainsi que l’étude de M. CASSESE,
Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’Homme, sur
la situation des droits de l’Homme au Chili730. Ces deux exemples,
dans lesquels des entreprises transnationales ont été officiellement
accusées de violation de droits de l’homme, montrent qu’il n’est pas
possible de se cloisonner au droit substantiel prévu par les TBI. Dans
le cas du Chili, le rapport avait montré en effet que le gouvernement
de Pinochet avait modifié la législation nationale, puis s’était retiré
du Pacte andin (dans lequel des règlementations plus rigoureuses
permettaient de sauvegarder la souveraineté nationale), afin de
permettre aux entreprises étrangères de violer les droits fondamen­
taux des travailleurs chiliens et maximiser leurs profits. Il est vrai
qu’ici, ce n’était pas l’État qui revendiquait lui-même l’obligation
de prendre des mesures de protection de l’intérêt public. Mais on
peut imaginer qu’à la suite d’un changement de régime, un nouveau
gouvernement veuille mettre fin à de telles pratiques. Dans ce cas,
l’État pourrait-il voir sa responsabilité engagée au regard d’un traité
bilatéral d’investissement ?

•  Les contre-mesures commerciales :


incompatibilité hypothétique avec le droit de l’OMC
Un autre exemple, purement hypothétique cette fois, peut aussi
être invoqué. Au regard du droit de l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC), un État peut être autorisé à prendre des contre-

728 Affaire de l’Enterprize, op. cit., note 725, p. 4373.


729 Voir la résolution 7 (XXXIII) de la Commission des droits de l’Homme du
4 mars 1977, qui condamnait catégoriquement les activités des entreprises en
Namibie, complices de l’apartheid, comme des violations de droits de l’Homme.
730 Le mandat donné à la sous-commission pour entreprendre cette étude résulte
de la résolution 9 (XXXIII) du 9 mars 1977 de la Commission des Droits de
l’Homme.

240
mesures contre un autre État membre. L’objectif à la base de ces
contre-mesures n’est pas comme en droit international général de la
responsabilité, de contraindre l’État à cesser une violation du droit.
Elles permettent plutôt de rétablir un équilibre entre les avantages
comparatifs de deux membres de l’OMC. Par exemple, un État A
prend des mesures commerciales violant le droit de l’OMC. L’État B,
s’estimant lésé, enclenche une procédure de règlement du différend
et obtient gain de cause. La sentence impose à l’État A de retirer la
mesure dans un délai donné. Si ce dernier ne se met pas en confor­
mité avec la décision du panel ou de l’Organe d’appel, l’État B peut,
conformément à l’article 22 du Mémorandum d’accord de règle­
ment des différends de l’OMC, exiger une compensation ou prendre
une contre-mesure temporaire pour rétablir l’équilibre brisé par la
mesure prohibée. Si la contre-mesure respecte les conditions posées
par le droit de l’OMC, l’État B ne viole pas ses obligations par rap­
port à ce traité. Si la contre-mesure choisie est une restriction à l’im­
portation d’un produit de l’État A, elle peut causer un impact préju­
diciable sur une entreprise utilisant ledit produit comme intrant. On
peut même aller plus loin, en imaginant que l’entreprise en question
soit le national de l’État A. L’État B pourrait-il, au titre d’un TBI,
être reconnu responsable pour expropriation indirecte illicite, si la
mesure a causé un préjudice substantiel à l’investisseur de l’État A ?
En définitive, les mesures horizontales sont susceptibles de faire
entrer en interaction des obligations diverses que l’État d’accueil
assume dans l’ordre juridique international. Il est donc nécessaire
de prendre en compte l’ensemble de ces éléments lorsqu’il faut
décider si de telles mesures sont éligibles au statut d’expropriation.
Cela ne signifie pas que les arbitres doivent appliquer à titre prin­
cipal les obligations issues d’autres traités internationaux relevant
d’autres matières qui ne fondent pas leur compétence. Mais dans la
mesure où personne ne discute plus sérieusement l’application du
droit international dans le contentieux État-investisseur, les arbitres
devront lire les dispositions des TBI à la lumière des normes d’autres
branches du droit international qui trouvent application dans le
litige. Il s’agit donc d’une démarche interprétative, rendue néces­
saire par un système juridique international au sein duquel il ne peut
y avoir de régimes autosuffisants et imperméables. C’est à cette seule
condition que l’affirmation selon laquelle le droit international des
investissements est un « sous-système dans le droit international et
non à côté de lui »731 prendra un sens. Le processus de qualification
des mesures horizontales éligibles ne doit ni procéder d’un raison­
nement cloisonné, ni faire abstraction complète des intérêts de l’État
d’accueil.

731 C. LEBEN, « La responsabilité de l’État… », op. cit., note 122, p. 694.

241
En vue de parvenir à un processus de qualification ménageant
le pouvoir normatif de l’État d’accueil d’investissement lorsque la
mesure litigieuse est d’ordre général, des solutions de substitution
à la doctrine du « seul effet » ont été proposées ; propositions qu’il
convient d’examiner maintenant.

242
Chapitre 2

L’intégration des considérations d’intérêt public


dans les éléments constitutifs
de l’expropriation indirecte

Plusieurs solutions ont été proposées afin de mieux délimiter les


frontières de l’expropriation indirecte ; en réalité, celles qui sur­
viennent par des mesures horizontales. L’objectif commun était
alors de faire échec à l’indemnisation systématique de tout préjudice
substantiel subi par l’investisseur. Quel que soit l’accueil qui leur
fut réservé dans la doctrine ou la jurisprudence, ces propositions
reposent sur une méprise sérieuse : celle de ne pas être compatible
avec le cadre juridique de l’expropriation, directe ou indirecte. En
effet, plusieurs de ces solutions de substitution à la doctrine du seul
effet visent à attirer directement dans les éléments constitutifs de l’ex­
propriation indirecte, ses propres critères de licéité. Toutefois, elles
ne manquent pas de pertinence, car elles apportent des réponses
certes morcelées, mais fort utiles à la recherche d’une option plus
efficace (section 1). En vue de parvenir à une solution qui soit à la
fois légale et opérationnelle, il est impératif de ne pas s’écarter du
cadre juridique de l’expropriation, tout en prenant en compte les
intérêts de l’État d’accueil aux côtés de ceux des investisseurs. Pour
ce faire, un cadre méthodologique doit être élaboré (section 2).

Section 1 – Les solutions proposées en remplacement


de la doctrine du seul effet : impasses et enseignements

Les solutions proposées en remplacement de la doctrine du seul


effet peuvent être subdivisées en trois groupes selon la phase où elles
font intervenir l’intérêt public de l’État hôte dans l’analyse de l’ex­
propriation indirecte. Le premier groupe rassemble les approches
postqualification. Ces approches ne s’intéressent pas au processus de
qualification, mais à l’analyse des conditions de licéité (§ 1). Les
approches intraqualification procèdent à un rééquilibrage entre les
intérêts de l’État et de l’investisseur, au moment du processus de
qualification (§ 2). Enfin, une troisième voie consiste à sortir sim­
plement certaines mesures étatiques, horizontales pour la plupart,
du régime de l’expropriation indirecte, considéré comme inadapté,
pour les soumettre à une autre grille d’analyse. C’est l’approche
extraqualification (§ 3).

243
§ 1 – Les approches postqualification

Les approches postqualification sont celles qui proposent une


solution en aval du processus de qualification de l’expropriation
indirecte. Elles tentent de résoudre le problème pendant l’évalua­
tion des conditions de licéité et particulièrement lors du calcul du
montant de l’indemnisation. Ces solutions ont pour dénominateur
commun de vouloir créer des exceptions à l’indemnisation, que cette
dernière soit seulement réduite ou simplement effacée. Il ne s’agit
donc pas de limiter les frontières de l’expropriation indirecte, mais
d’exclure, dans certaines circonstances, les conséquences juridiques
de la qualification. Ces circonstances gravitent autour d’un intérêt
public particulier que poursuit la mesure d’expropriation indirecte.
Plusieurs variantes existent au sein des approches postqualification.
Après avoir analysé leur contenu (A), les limites de ces approches
seront ensuite exposées (B).

A. L’indemnisation réduite en fonction du but de la mesure

Une fois déterminés les principes gouvernant les approches post­


qualification, il sera nécessaire d’examiner distinctement une pro­
position particulière reposant sur une distinction proche de celle
qui est opérée entre mesure verticale et mesure horizontale.

Contenu et pertinence des approches postqualification


Il semble d’emblée justifié, devant la difficulté de réduire le champ
des mesures d’expropriation indirecte, de proposer que certaines
d’entre elles ne puissent pas donner droit à une indemnisation
complète en raison de certaines considérations propres à la mesure
préjudiciable. Ces considérations concernent généralement l’intérêt
public poursuivi par la mesure. Un parallèle peut être fait ici avec la
mesure de police. Alors que dans ce dernier cas, le but de la mesure
devait permettre d’éviter la qualification en expropriation indirecte
avec toutes les implications qui en découleraient, les approches pos­
tqualification prennent en compte le but de la mesure étatique au
moment du calcul des indemnités732.
Dans l’approche postqualification, l’idée principale est que l’in­
vestisseur ne peut pas avoir droit à une indemnisation complète de

732 Les débats passés sur le quantum de l’indemnisation en cas de nationalisation


peuvent être rapprochés de cette proposition. Sans revenir sur les différentes
controverses en la matière, il faut rappeler que la référence à une « juste » ou
une « adéquate » indemnisation dans les textes internationaux avait parfois été
interprétée comme autorisant une indemnisation incomplète dans certaines
situations. L’indemnisation réduite devait ainsi permettre de sauvegarder la
souveraineté économique des États pauvres. Cette préoccupation est plus ou
moins remplacée aujourd’hui par la poursuite du développement durable.

244
la valeur marchande de son bien, en raison de l’intérêt spécifique
ou prééminent ayant rendu nécessaire la dévalorisation de l’inves­
tissement. Le montant de l’indemnisation est en quelque sorte pon­
déré par le préjudice qui aurait été causé si l’investissement avait été
maintenu tel quel. Autrement dit, l’effet expropriant de la mesure
étatique est perçu comme un mal nécessaire pour atteindre un inté­
rêt général transcendant celui des intérêts particuliers, y compris des
étrangers. La justification principale avancée à cette pondération du
montant de l’indemnisation est qu’elle permet de rendre la régle­
mentation d’intérêt général financièrement soutenable pour l’État,
tout en ne décourageant pas complètement l’initiative privée.
Toutefois, cette approche laisse intactes les autres conditions de
licéité de l’expropriation indirecte. Cela signifie que la mesure, pour
être licite, devra viser un intérêt public et ne pas être discrimina­
toire. Par contre, elle n’a plus besoin d’être accompagnée d’une
indemnisation. Au contraire, c’est parce qu’elle est licite (avec deux
conditions au lieu de trois) qu’elle ne sera pas indemnisable. En fait,
l’indemnisation est extirpée des conditions de licéité.
Trois propositions de ce type peuvent être brièvement mention­
nées.
Ainsi, il a été proposé d’utiliser les effets négatifs qui auraient été
créés par le maintien de l’activité pour pondérer le montant de l’in­
demnisation due. C’est ce que défend T. Weiler par exemple, lorsqu’il
affirme que « if the economic activity undertaken by an investment leads
to externalities that are so damaging to the environment that a government
must take regulatory steps that substantially interfere with that investment,
the appropriate level of compensation for such interference should take into
account the negative value of those externalities »733. Par conséquent,
l’impact négatif de l’activité sur l’environnement doit constituer un
critère de calcul de la valeur marchande réelle de l’investissement.
La notion économique d’externalisation des coûts est en effet un
critère intéressant pour évaluer l’impact économique d’une activité.
En matière environnementale notamment, elle peut avoir son utilité.
D’autres auteurs se sont fondés sur l’existence d’obligations impé­
ratives, parmi lesquelles, les droits humainsoccupent le premier
plan. Pour L. Liberti par exemple, « c’est le caractère erga omnes de
l’obligation qui l’emporte sur la protection des investissements »734.
De ce fait, l’obligation d’indemnisation se trouve neutralisée « en
raison du caractère impératif et erga omnes de l’obligation inter­
nationale en exécution de laquelle l’État a adopté une mesure de
dépossession substantielle qui porte atteinte à la protection des
investissements, pourvu qu’elle ne porte atteinte à la proportionna­
lité »735. Faire autrement, reviendrait selon l’auteure, à rendre d’un

733 T. WEILER, « A first look… », op. cit., note 238, p. 187.
734 L. LIBERTI, op. cit., note 711, p. 831.
735 Ibidem, pp. 830-831.

245
côté licite ce qui est devenu illicite de l’autre. En effet, des mesures
étatiques pourront toujours être considérées comme équivalentes à
une expropriation, « même si elles ont été prises en exécution d’une
obligation internationale positive, toujours en raison de l’effet subs­
tantiel de la dépossession qu’elles produisent »736. Cette proposition
part très justement d’une vision systémique du droit international
et rejette le cloisonnement des disciplines. Le problème de la licéité
systémique de la clause d’expropriation trouve ici une réponse inté­
ressante. Elle permet aussi d’écarter les éventuelles contradictions
lorsque l’État règlementant a activement participé à la violation de
l’obligation impérative par l’investisseur ; soit par complicité, soit
en ayant autorisé ou encouragé de tels agissements par le passé. Le
caractère impératif de l’obligation qui fonde la mesure étatique rend
en effet inopérant de telles considérations. Mais comme déjà souli­
gné, aucune obligation internationale, même impérative et positive,
n’impose à un État de ne pas indemniser les investisseurs lésés par
les mesures qu’elle prescrit ou autorise. C’est probablement ce qui
amène L. Liberti à chercher la solution dans le standard de l’indem­
nisation et non dans le processus de qualification. Ainsi, l’équilibre
entre l’existence d’une obligation impérative et positive et la protec­
tion de l’investissement peut se matérialiser par une « détermination
de l’indemnisation qui pourrait être détachée du standard de la full
compensation »737. En d’autres termes, une indemnisation partielle
devient satisfaisante, lorsque la mesure répond à une obligation
impérative de droit international.
On pourrait multiplier les exemples d’arguments ayant été avancés
pour justifier une indemnisation réduite738 en cas d’expropriation
indirecte survenant à la suite de certaines règlementations. Cepen­
dant, une variante retiendra spécialement l’attention ici, parce
qu’elle fait écho à la distinction binaire entre la mesure verticale et
la mesure horizontale. L’objectif n’est pas le même, mais les bases du
raisonnement sont proches.

L’exemple de l’indemnisation limitée au


« damnun emergens » en fonction du contexte économique modifié
Dans un bref article paru en 2003739, Y. Nouvel a exposé l’idée que
l’indemnisation d’une expropriation indirecte peut être déterminée

736 Ibid, p. 833.


737 Ibid.
738 Par exemple, en partant du fait que les expropriations par voie de
règlementations « are nearly always partial takings, in the sense that the regulation does
not reduce the fair market value of the property to zero, but leaves some positive increment
in value, although less than the value of the property without regulation », un auteur
propose un standard de compensation utilisé dans la doctrine américaine du
Taking pour calculer l’indemnisation partielle. T. W. MERRILL, « Incomplete
Compensation for Taking », NUY Environmental Law Journal, 2003, vol. 11, p. 121.
739 Y. NOUVEL, « L’indemnisation… », op. cit., note 40, pp. 198-204.

246
différemment selon que la mesure en cause a modifié la seule situa­
tion de l’investisseur ou le contexte économique dans lequel il se
trouve740. En d’autres termes, le montant de l’indemnisation d’une
expropriation indirecte peut être déterminé en fonction de l’échelle
de grandeur sur laquelle se répercutent les effets de la mesure liti­
gieuse.
L’auteur part d’un constat empirique. Il estime que, schématique­
ment, « en matière d’indemnisation, le critère relatif à la rentabilité
des avoirs expropriés s’est peu à peu substitué à celui de la licéité
de l’expropriation. (…) Dans l’évaluation du quantum de l’indem­
nisation, l’avoir rentable a pris la place de l’expropriation illicite et
l’avoir non rentable a pris la place de l’expropriation licite »741. Il faut
reconnaître que l’octroi des indemnisations est fonction aujourd’hui
essentiellement de la rentabilité démontrée de l’investissement
(octroi de damnun emergens et lucrum cessans), ou au contraire de son
incapacité à produire des gains futurs certains en raison de sa pré­
carité financière ou de l’absence d’une exploitation suffisamment
longue (octroi de damnun emergens). Fort de ce constat, l’auteur pro­
pose alors de s’en inspirer pour ériger une indemnisation prenant en
compte la nature de la mesure expropriante. En effet, pour détermi­
ner ce qu’aurait été la rentabilité d’un investissement dans le futur,
les arbitres doivent utiliser un faisceau d’indices parmi lesquels le
contexte économique général occupe une place primordiale. C’est
pourquoi Y. Nouvel estime que « l’interrogation centrale consiste
alors à déterminer si la mesure litigieuse, en dehors de l’effet qu’elle a
exercé sur le patrimoine de l’investisseur, comprend un effet de plus
vaste ampleur qui modifie les conditions économiques générales »742.
Concrètement, si la mesure en cause modifie la seule situation de
l’investisseur, les standards classiques du calcul de l’indemnisation
trouvent à s’appliquer. Si par contre, la mesure modifie le contexte
économique dans lequel l’investisseur se trouve, l’indemnisation ne
devra porter que sur les pertes subies, à l’exclusion des gains futurs
devenus impossibles. En effet, personne n’achèterait au prix fort une
activité qui ne peut plus générer de profits futurs dans les nouvelles
conditions économiques induites par la mesure litigieuse. L’investis­
sement n’étant plus rentable en raison de la modification du contexte
général, sa valeur marchande s’en trouve réduite. Y. Nouvel estime
de ce fait qu’« écarter ces effets durables reviendrait à indemniser
l’investisseur sur la base de profits qui n’étaient plus économique­

740 D’autres auteurs semblent avoir pressenti l’argument, sans l’avoir néanmoins
développé. Voir par exemple, G. ALDRICH, op. cit., note 87, p. 247 : « it seems
important to distinguish sharply between policies of general application to all business,
which may affect determination of value, and policies aimed at specific investors or
industries […], which should not ».
741 Y. NOUVEL, « L’indemnisation… », op. cit., note 40, p. 199.
742 Ibidem, p. 203.

247
ment réalisables »743. La mesure qui ne modifie que la situation de
l’investisseur est qualifiée de « mesure individuelle », et celle modi­
fiant l’environnement économique général de « mesure d’organisa­
tion sociale »744. Il n’est donc pas ici question du but poursuivi par la
mesure. Seul le caractère général ou individuel de la répercussion de
la mesure est déterminant.
Cette distinction se rapproche sensiblement de celle proposée
dans cette étude, mais elles ne peuvent être confondues. La mesure
« individuelle » se caractérise par le fait qu’elle ne modifie que la
situation de l’investisseur. Dans les faits, ces mesures peuvent cor­
respondre à des mesures verticales qui visent directement l’inves­
tisseur. Mais alors que Y. Nouvel se focalise sur la modification de
la situation de l’investisseur, la mesure verticale se définit d’abord
par le fait qu’elle vise directement l’investisseur, pris comme raison
d’être de la mesure. Par conséquent, une mesure « individuelle »
peut modifier la seule situation de l’investisseur sans l’avoir visé en
tant que tel, alors que les deux éléments sont indissociables pour
la mesure verticale. C’est parce que la mesure verticale vise directe­
ment l’investisseur qu’il en ressent individuellement les effets. Quant
à la mesure « d’organisation sociale », elle modifie un secteur écono­
mique ou toute l’économie nationale. La mesure horizontale modi­
fie aussi l’environnement économique de l’investissement. Cepen­
dant, contrairement à la mesure d’organisation sociale, la mesure
horizontale peut ne modifier que la seule situation de l’investisseur.
En effet, bien qu’elle ne le vise pas directement, il peut être le seul
à en ressentir les répercussions. L’investisseur est alors directement
et principalement concerné par la mesure horizontale, parce qu’il
est le seul à répondre à l’hypothèse posée par la règle. En somme, la
mesure « individuelle » de Y. Nouvel recouvre en partie la mesure ver­
ticale et la mesure « d’organisation sociale » n’épuise pas la catégorie
de mesure horizontale.
En plus de cette différence au niveau de leur champ d’application
respectif, la distinction de Y. Nouvel ne procède pas de la même
logique que la distinction binaire. L’auteur examine des mesures qui
ont déjà été qualifiées d’expropriations indirectes. Il isole ensuite
celles qui modifient les conditions économiques générales au-delà
de la seule situation de l’investissement. Et c’est cette caractéristique
de la mesure expropriante qui doit se répercuter sur le quantum
de l’indemnisation. Cette distinction vise donc une indemnisation
réduite pour certaines expropriations indirectes, alors que la dis­
tinction entre mesure verticale et mesure horizontale veut conduire
à l’application d’éléments constitutifs aménagés dès la phase de la
qualification.

743 Ibid.
744 Il s’inspire pour ce faire, de la distinction opérée par P. MAYER entre règlement
et décision. Voir P. MAYER, La distinction…, op. cit., note 59.

248
Cette solution de substitution postqualification ne manque pas de
pertinence. Tout investissement incluant par définition un risque, il
ne peut être isolé totalement du contexte économique général dans
lequel il s’est établi. Il est donc logique de prendre en compte les
réalités de cet environnement pour évaluer la valeur de l’investisse­
ment. Certaines sentences rendues par le tribunal irano-américain
ont d’ailleurs reconnu le rôle du contexte général modifié dans le
calcul des indemnisations745. Toutefois, la majorité des TBI imposent
explicitement que la valeur marchande de l’investissement soit cal­
culée à la date précédant l’édiction de mesures d’expropriation746.
En pratique, cette proposition, comme toutes les approches postqua­
lification, soulève un problème important de compatibilité avec les
termes de la clause conventionnelle d’expropriation.

B. Les limites : l’obstacle dirimant de la


distinction entre critères de licéité et éléments constitutifs

Les approches postqualification véhiculent des considérations


de justice sociale auxquelles, on ne peut qu’être sensible. Mais cer­
tains auteurs n’ont pas manqué d’en relever les limites747. Plusieurs
sentences ont clairement rejeté la possibilité d’une indemnisation
réduite. Dans l’affaire Santa Elena c. Costa Rica, le litige ne portait que
sur le montant de l’indemnisation d’une expropriation directe. Le
tribunal a clairement statué que la nature environnementale du but
poursuivi par la mesure expropriante n’avait aucune incidence sur le
processus de qualification748. Mais il a rejeté également l’argument
du Costa Rica qui voulait qu’une indemnité réduite soit octroyée en
raison de la cause environnementale poursuivie par sa mesure de
classement d’une forêt en zone écologique protégée.
À notre avis, une limite importante handicape les solutions post-
qualifications dans leur ensemble. Créer une catégorie d’expropria­
tion indirecte ne donnant pas droit à une indemnisation complète,
comme l’exige la majorité des TBI, revient à créer une notion en
dehors de celle de l’expropriation. Les clauses d’expropriation, sans
exception, exigent que toute expropriation soit accompagnée d’une
indemnisation. Mais surtout, quel que soit le standard de l’indem­
nisation prescrite, qu’elle soit « pleine », ou seulement « juste et équi­

745 Voir sur cette question, G. A. ALDRICH, op. cit. note 87, pp. 242-247.
746 Voir par exemple, l’article 1110.2 de l’ALENA qui prescrit que, « l’indemnité
devra équivaloir à la juste valeur marchande de l’investissement exproprié,
immédiatement avant que l’expropriation n’ait lieu (« date d’expropriation »),
et elle ne tiendra compte d’aucun changement de valeur résultant du fait que
l’expropriation envisagée était déjà connue ».
747 V B. H. WESTON, op. cit., note 36, p. 116 ; R. HIGGINS, op. cit., note 258, p. 277.
748 Santa Elena c. Costa Rica, op. cit., note 280, § 72. Voir aussi Azurix c. Argentine, op.
cit., note 115, § 311.

249
table »749, la clause d’expropriation ne fait pas de distinction selon
qu’il s’agit d’une expropriation directe ou indirecte. Comme l’ont
rappelé certains auteurs, « for purpose of state responsibility and the obli-
gation to make adequate reparation, international law does not distinguish
indirect from direct expropriation »750. En cela, créer des critères d’in­
demnisation différents selon la catégorie d’expropriation ou selon
le type de mesure d’expropriation indirecte en cause, contrevient à
l’esprit et à la lettre des clauses des TBI.
En réalité, il n’y a qu’une alternative pour un tribunal arbitral sta­
tuant sur le fondement d’un TBI. Soit il s’agit d’une expropriation
indirecte et cela implique une indemnisation conforme à la pres­
cription du TBI. Soit il ne s’agit pas d’une expropriation indirecte,
auquel cas il n’y a pas lieu d’indemniser. Au regard du régime juri­
dique propre à toute expropriation, il n’est pas possible à un arbitre,
statuant particulièrement sur le fondement d’un TBI, de décider
qu’il y a expropriation, mais que néanmoins une indemnisation en
deçà de la valeur du bien exproprié doit être octroyée. Certes, dans le
calcul des indemnités, la prise en compte de la situation économique
de l’investissement influera certainement sur le quantum. Mais cette
prise en compte ne revient pas à supprimer ou à réduire ce quantum
en raison même du but de la mesure expropriante (intérêt public
légitime, application d’une norme impérative ou positive), ou de la
nature de cette dernière (mesure modifiant le contexte économique
général ou la situation spécifique de l’investisseur).
Outre cette limite générale, certaines variantes de l’approche
posent des problèmes particuliers. Pour ce qui est l’approche de
Y. Nouvel, on peut se demander comment la mesure qui modifie le
contexte économique général peut être la même que celle qui justi­
fie une indemnité réduite. En d’autres termes, pourquoi ce qui a été
la cause de la dévalorisation de l’investissement permet-il ensuite la
réduction de l’indemnisation due ? Certes, le contexte économique
général est amené à évoluer dans chaque État du fait de décisions
internes ou de facteurs exogènes ou imprévisibles. S’il est possible
de défendre cette thèse lorsque les causes de la modification du
contexte général sont essentiellement exogènes, qu’en est-il lorsque
cette modification résulte d’une mesure interne planifiée ? En effet,
si cette dernière n’avait pas été édictée, la situation serait restée favo­
rable aux gains futurs de l’investisseur. La question du double rôle
de la mesure n’a pas été ignorée par l’auteur lui-même, qui estime
néanmoins que « les circonstances ne peuvent être écartées au motif
qu’elles sont produites par la mesure ayant causé l’expropriation

749 Aujourd’hui, les tribunaux font rarement la distinction entre ces termes lorsqu’il
faut calculer concrètement le montant de l’indemnisation. Ils appliquent le
standard de la formule de Hull (indemnisation pleine, prompte et effective).
750 W. M. REISMAN, R. D. SLOANE, op. cit., note 283, p. 121.

250
indirecte »751. Il rappelle à ce propos que « l’investissement ne s’im­
plante pas dans un milieu “mono statique”. Ce milieu varie selon la
volonté de l’État »752. Enfin, « la mesure n’est pas envisagée en tant
qu’elle a pour conséquence la dépossession, mais en tant qu’elle
entraîne un changement des “conditions économiques générales”.
On raisonne sur une autre grandeur »753. Concernant le recours au
caractère impératif du but poursuivi par la mesure étatique, défendu
par exemple par L. Liberti, il faut noter que cette proposition laisse
de côté les mesures qui peuvent être légitimes sans relever d’une
obligation internationale impérative et/ou positive. C’est le cas par
exemple de l’accès à l’eau potable, à l’alimentation, ou à la santé
dont la mise en œuvre ne relève pas toujours d’obligations positives.
En somme, ces approches tentent de faire en sorte que « le montant
de la compensation [fasse] une place à l’objet de la mesure »754. Elles
se heurtent alors au libellé des clauses d’expropriations dans les TBI.
Mais si l’approche postqualification va à contre-courant d’un débat
plus focalisé aujourd’hui sur la définition de l’expropriation indi­
recte que sur le standard de l’indemnisation, elle a le mérite de mon­
trer que l’intérêt public peut être appréhendé de multiples façons
dans le contentieux international de l’expropriation indirecte.

§ 2 – Les approches intraqualification

Contrairement aux propositions qui se situent en aval de la qua­


lification, un autre groupe de solutions se situent à l’intérieur du
processus de qualification. Le but est d’apporter à côté du critère de
l’effet, un ou plusieurs critères supplémentaires censés introduire
un meilleur équilibre entre les intérêts privés des investisseurs et
l’intérêt public des États. Deux propositions seront examinées dis­
tinctement. Si elles ont en commun d’aller au-delà du seul préjudice
substantiel, elles n’usent pas cependant du même critère pour réin­
troduire l’intérêt public de l’État hôte dans l’équation. Le premier
critère proposé en complément est celui de l’appropriation du bien
par l’État (A) et le second, celui de la proportionnalité entre le préju­
dice subi par l’investisseur et l’intérêt public poursuivi par l’État (B).

A. La réintroduction du critère de l’appropriation étatique

L’étude du contenu de cette approche permettra d’en évaluer la


portée.

751 Y. NOUVEL, « L’indemnisation… », op. cit., note 40, p. 203.


752 Ibidem, p. 202.
753 Ibid.
754 Ibid, p. 203.

251
Contenu et pertinence de l’approche
Le préjudice substantiel subi par l’investisseur est unanimement
reçu aujourd’hui comme une condition sine qua non pour la qualifi­
cation de toute expropriation, directe ou indirecte. Cette exigence se
justifie pleinement au regard de la finalité des traités de protection
des investissements. Cependant, on constate que dans une expro­
priation directe ou une nationalisation, l’appropriation du bien par
l’État est systématiquement présente. Cela signifie que le retrait ou
la destruction de l’investissement correspond à un enrichissement
de l’État. Il y a donc transfert de richesses d’un patrimoine à un
autre. Toute expropriation directe combine donc un préjudice et
une appropriation. Cependant, cet enrichissement n’accompagne
pas toujours une mesure préjudiciable à l’investissement. L’État
peut ne pas retirer un avantage de la destruction d’un bien, surtout
lorsqu’une mesure horizontale est en cause. Parfois même, l’État
peut subir une perte du fait de sa règlementation. L’interdiction
d’importer une substance jugée dangereuse, auparavant exploitée
par plusieurs sociétés locales ou étrangères, peut s’analyser en une
réduction des recettes fiscales à l’importation.
Dans les TBI, l’appropriation par l’État n’est pas une condition
formelle de l’expropriation. Ce silence empêche-t-il cependant de
prendre en compte l’appropriation par l’État du bien comme cri­
tère de qualification ? Si cet élément est toujours présent dans une
expropriation directe, pourquoi ne devrait-il pas l’être dans une
expropriation indirecte ? Autrement dit, la question est de savoir si le
critère de l’appropriation par l’État n’est pas aussi un élément essen­
tiel du référent de l’expropriation indirecte, et à ce titre un critère à
intégrer dans le rapport d’équivalence.
À l’appui de cette thèse, quelques rares sentences arbitrales ont
explicitement reconnu le critère de l’appropriation telle que Lau-
der c. République Tchèque, et A. Olguin c. Paraguay. Dans la première
affaire, le tribunal ad hoc a considéré que la mesure litigieuse, même
gravement préjudiciable, n’est pas équivalente à une expropriation
« since it did not benefit the Czech Republic or any person or entity related
thereto, and was not taken for any public purpose. It only benefited CET
21, an independent private entity owned by private individuals »755. Il res­
sort implicitement de ceci que l’État doit avoir retiré un bénéfice
du préjudice causé à l’investisseur. Rappelons néanmoins qu’un
autre tribunal ad hoc ayant statué sur les mêmes faits a procédé à
une analyse contraire756. Dans une affaire contre le Paraguay, un
tribunal a également statué que pour qu’il ait expropriation indi­
recte, la mesure ayant entraîné la dépossession de l’investisseur doit

755 R. S. Lauder c. République tchèque, op. cit., note 154, § 203.


756 Dans la sentence CME c. République Tchèque, op. cit., note 312, § 606, le premier
tribunal a décidé qu’une dépossession substantielle était une expropriation
indirecte, « even if not necessarily to the obvious benefit of the host State ».

252
avoir été édictée : « in such a way that whoever performs thoses actions will
acquire, directly or indirectly, control, or at least, the fruits of the expropriated
property »757. Dans l’affaire Petrobart c. Kyrgystan, un tribunal arbitral
semble avoir pris en considération le critère de l’appropriation. Il a
rejeté la qualification d’expropriation indirecte sur le fondement,
entre autres, qu’il n’apparaissait pas que « the measures taken by the
Kyrgyz Government and state authorities, although they had negative effects
for Petrobart, were directed specifically against Petrobart’s investment or had
the aim of transferring economic values from Petrobart to the Kyrgyz Repu-
blic. (…).»758.
Quelques auteurs ont également manifesté une position favorable
à une définition de l’expropriation indirecte prenant en compte
l’enrichissement de l’État. Par exemple, F. Mann estimait en 1981,
que l’expression « mesures équivalentes » insérée dans les TBI britan­
niques devait être interprétée comme renvoyant à « any act depriving
the investor of his property or proprietary rights and enriching the State, even
if no property is transferred to it »759. On doit cependant la plus récente
et la plus complète défense de cette proposition à A. Newcombe760.
En partant du fait que « case of regulatory expropriation involves conflic-
ting policies and interests which are not easily, if at all, reconcilable »761,
A. Newcombe est arrivé à la conclusion que la doctrine du seul effet,
qu’il nomme « orthodoxe », n’est pas satisfaisante pour faire la dis­
tinction avec les mesures de police. L’auteur assume le fait que les
mesures de police ne sont pas normalement indemnisables, mais
qu’elles peuvent le devenir. Il suggère alors de recourir au critère
de l’appropriation comme instrument d’analyse en complément
de celui de l’effet préjudiciable. Ce critère, à son avis, est toujours
présent dans toute expropriation et fonde le régime juridique de
cette règle en droit international ; c’est-à-dire veiller à ce qu’un État
ne s’approprie pas un bien privé sans compensation. Citant l’un des
Rapporteurs de la CDI sur le projet de responsabilité internationale
des États, G. Amador, il considère que la véritable « raison d’être »
de l’obligation d’indemnisation repose sur l’enrichissement sans
cause762. Cet enrichissement de l’État est évidemment présent dans
les expropriations directes, mais aussi indirectes. Pour conforter sa
théorie, A. Newcombe commence par une relecture de la jurispru­
dence pertinente afin de démontrer que dans l’ensemble des affaires
où le critère de l’effet a été utilisé exclusivement pour qualifier une
expropriation indirecte, dans les faits, il y avait aussi une appropria­
tion de l’État : « even though the orthodox approach is widely cited and

757 A. Olguin c. Paraguay, op. cit., note 377, § 84.


758 Petrobart c. Kyrgystan, op. cit., note 305, p. 77.
759 F. MANN, « British treaties… », op. cit., note 171, p. 247.
760 A. NEWCOMBE, « The Boundaries… », op. cit., note 38, pp. 392-449.
761 Ibidem, p. 391.
762 Ibid. p. 339.

253
applied, in the vast majority of cases in which there has been a finding of
expropriation, the investor has suffered a deprivation and there has been a
corresponding acquisition of use or control of the investment by the State »763.
Dans les rares cas où une expropriation indirecte a été reconnue
sans qu’il ait eu une appropriation consécutive, c’est l’interférence
arbitraire et injustifiable de l’État qui aurait été l’élément fondamen­
tal764. Les sentences peuvent alors être classées, selon l’auteur, en
trois catégories : appropriation par l’État765, interférence arbitraire
et injustifiable après admission de l’investissement766, ou les deux767.
Il ressort ainsi de cette relecture qu’un retrait ou une annulation de
permis ou d’autorisation s’analyse en une appropriation d’un droit
antérieurement conféré à l’investisseur : « by abrogating a concession,
the State is essentially reacquiring rights that it can use or grant to ano-
ther party in the future »768. De surcroît, comme dans l’affaire Metalcald
c. Mexique, le retrait du permis s’accompagne parfois de la création
au bénéfice de l’État d’une zone protégée. A. Newcombe en déduit
alors que pour distinguer les « Regulatory Taking » des mesures de
polices non indemnisables, il suffit de regarder si la mesure a permis
à l’État d’acquérir ou de faire usage de la propriété à des fins d’uti­
lité publique. Ce n’est donc pas le fait que la mesure de police vise un
intérêt public qui est fondamental, mais le fait qu’elle s’accompagne
ou non d’une appropriation du bien lésé par l’État pour réaliser cet
intérêt public. Sur ce point, l’approche de A. Newcombe évite les
pièges de la difficile définition de la mesure de police légitime sur la
base des intérêts publics poursuivis.
La réintégration de l’appropriation à côté de l’effet préjudiciable
présente plusieurs attraits remarquables. Son principal mérite est de
matérialiser le principe primordial qui est que les TBI ne peuvent
accorder une protection maximale aux investisseurs. Comme l’af­
firme A. Newcombe, « the purpose of international expropriation law is
not to find an optimal balance between Regulatory authority and protection
of foreign investment »769. L’idée que l’État doive débourser des fonds

763 Ibid, p. 403. L’auteur cite à l’appui des affaires des Armateurs norvégiens et
Certains intérêts allemands en haute Silésie polonaise, les affaires du tribunal irano-
américain dans lesquelles les prises de contrôle des entreprises étrangères
furent reconnues comme expropriantes ; et enfin les affaires ayant porté sur des
ventes forcées ou des mesures fiscales confiscatoires.
764 L’auteur cite pour exemples les affaires ayant concerné des interdictions totales
de vente ou d’accès à une usine, des harcèlements d’employés, des interdictions
d’exporter des équipements. L’exemple le plus significatif étant l’affaire Biloune
c. Ghana.
765 Exemples donnés : Sedelmayer c. Russie ; Wena Hôtel c. Egypte.
766 Exemples donnés  : Metalclad c. Mexique  ; CME c. République Tchèque  ; Tecmed
c. Mexique.
767 Exemples donnés : Middle East Cement c. Egypt.
768 Ibid, p. 411.
769 A. NEWCOMBE, « The Boundaries… », op. cit., note 38, p. 449.

254
publics à cause de l’incidence d’une mesure d’application générale,
qui ne visait même pas l’investisseur au départ, dont il ne retire
aucun bénéfice financier et dont l’application entraîne parfois même
des coûts pour ce dernier, est difficilement acceptable. En outre,
cette solution n’induit pas nécessairement une dilution du contenu
de l’expropriation indirecte, comme on a pu le laisser entendre.
Pour certains auteurs, introduire les deux éléments (dépossession
et appropriation) dans la définition de l’expropriation indirecte
reviendrait à établir un rapport d’identité et non d’équivalence avec
l’expropriation directe. Ce qui réduirait également le champ des
mesures étatiques couvertes et affaiblirait donc la protection accor­
dée à l’investisseur. Mais il a déjà été démontré que l’usage de plu­
sieurs critères est possible dans un rapport d’équivalence. D’ailleurs,
il existe des expropriations indirectes qui présentent la double carac­
téristique de la dépossession et de l’appropriation. Par exemple, une
fiscalité abusive qualifiée d’expropriation indirecte entraîne aussi
bien la destruction de l’investissement que l’enrichissement des
caisses publiques de l’État770. Pourtant, il ne s’agit pas d’une expro­
priation directe. Bien que séduisante, le critère de l’appropriation se
heurte aussi au régime juridique de la clause d’expropriation.

Limites de l’approche :
un critère extérieur au référent de l’expropriation indirecte
La première limite du critère de l’appropriation est d’ordre pra­
tique. Tout comme le préjudice subi par l’investisseur doit équiva­
loir aux effets d’un retrait pur et simple de son titre de propriété,
l’appropriation par l’État devrait être aussi équivalente par ses effets
à un transfert pur et simple de l’investissement dans le patrimoine
de l’État. Mais alors, comment mesure-t-on un enrichissement ou
un bénéfice équivalent ? Qu’est-ce qu’une appropriation indirecte
d’un investissement ? S’il faut considérer les avantages résultant de
l’édiction même de la mesure, il faudra conclure toujours à une
appropriation et donc à une expropriation indirecte. Toute mesure
de règlementation publique est motivée par un objectif bénéfique
tel que, veiller à la santé des consommateurs, améliorer les droits
sociaux de travailleurs, protéger une espèce en voie de disparition,
réduire la pollution, etc. L’appropriation se confond alors avec
la motivation de l’auteur de la mesure. Si par contre, l’appropria­
tion indirecte s’évalue en numéraires, comment vérifier alors que
la faillite d’un investissement a été financièrement bénéfique à un
État ? En outre, le critère de l’appropriation flirte étroitement avec
le critère de l’intention de l’État qui, on le sait, est délicat à évaluer.
L’investisseur risque donc de ne jamais être en position de pouvoir

770 S. MANCIAUX, « Les mesures équivalentes… », op. cit., note 307, p. 83.

255
prouver un bénéfice économique indirect retiré par l’État du préju­
dice qui lui a été causé.
La seconde et principale limite de cette thèse résulte de sa confron­
tation avec la pratique arbitrale. Le critère de l’appropriation a été
vigoureusement rejeté par la majorité des tribunaux arbitraux. Dans
l’affaire Tippetts, le tribunal irano américain avait statué qu’il « prefers
the term “deprivation” to the term “Taking” although they are largely syno-
nymous, because the latter may be understood to imply that the government
has acquired something of value, which is not required »771. Depuis lors,
cette position a été confirmée, explicitement ou implicitement, dans
un nombre impressionnant de sentences arbitrales772. En fait, cette
solution est considérée comme si évidente que les tribunaux ne se
donnent même plus la peine de s’y attarder. D’ailleurs, même s’agis­
sant des nationalisations, la théorie de l’enrichissement sans cause
fut continuellement rejetée comme le fondement de l’obligation d’in­
demniser. Pour certains auteurs, « en cas de nationalisation ou d’ex­
propriation, la dépossession opérée au détriment d’une personne
privée coïncide avec une appropriation au profit d’une personne
publique ; celle-ci entraîne cela. En revanche, la mesure d’effet équi­
valant à une expropriation rompt l’enchaînement »773. Le critère de
l’appropriation n’est donc pas aujourd’hui une solution viable dans
le contentieux arbitral de l’expropriation indirecte, à moins que les
TBI ne l’insèrent explicitement dans la clause d’expropriation. En
effet, la revue des clauses conventionnelles a montré que les TBI,
soit ne précisent pas le rapport d’équivalence, soit renvoient à l’effet
de la mesure, mais n’indiquent pas la personne sur laquelle il doit
s’apprécier. Ce silence a laissé aux tribunaux le soin d’interpréter la
clause en faveur du seul effet subit par l’investisseur. Il est vrai que
cette interprétation paraît adéquate en ce qui concerne les mesures
verticales. La donne est différente avec les mesures horizontales.
S’il n’est pas réaliste aujourd’hui, en raison de la rédaction des
clauses conventionnelles, de regarder ce que l’État a gagné du fait
de la destruction ou la dévalorisation d’un investissement, une autre
approche se propose de rétablir l’équilibre par un autre biais. Celui
du critère de la proportionnalité entre la charge imposée à l’investis­
seur et l’intérêt public poursuivi par la mesure étatique.

B. Le contrôle de l’équilibre des intérêts


en présence par le principe de proportionnalité

Contenu et pertinence de l’approche


Le principe de proportionnalité se définit comme celui de l’équi­
libre entre deux intérêts contradictoires, en l’occurrence l’intérêt

771 Tippetts, op. cit., note 89, p. 225.


772 Voir les nombreuses affaires citées à l’appui de la doctrine du seul effet.
773 Y. NOUVEL, « Les mesures équivalant… », op. cit., note 419, pp. 88-89.

256
public et l’intérêt privé. C’est une règle qui veut assurer que la réa­
lisation de l’intérêt général impose un sacrifice « proportionné »
aux intérêts particuliers. S’il est relativement peu familier en droit
international des investissements, focalisé sur la protection des
investisseurs, le principe de proportionnalité a déjà fait l’objet de
développements importants dans d’autres forums de règlements de
différends774. La transposition de ce principe dans le contentieux
de l’expropriation indirecte fut d’abord prônée par la doctrine775,
avant de trouver un écho favorable dans quelques affaires arbitrales
récentes. Le principe de proportionnalité a d’abord été utilisé
dans l’examen d’autres obligations, notamment celle de la non-dis­
crimination, à l’exemple des sentences Pope & Talbot 776, ou Loewen
group c. États-Unis 777. Mais c’est véritablement avec l’affaire Tecmed
c. Mexique, qu’il a acquis ses lettres de noblesse dans le contentieux
de l’expropriation indirecte.
Dans l’affaire Tecmed c. Mexique, le tribunal CIRDI a commencé par
rejeter le principe que les mesures de police soient exclues a priori
de la définition de l’expropriation indirecte778. Bien que l’article 5
du TBI Espagne-Mexique ne soit pas rédigé en des termes similaires
à ceux des TBI suisses, le tribunal a procédé à une lecture novatrice
pour conclure qu’il devait regarder à la fois les effets substantiels de
la mesure sur l’investisseur et les caractéristiques de la mesure éta­
tique : « the Arbitral Tribunal deems it appropriate to examine, (…) whether
the Resolution, due to its characteristics and considering not only its effects,
is an expropriatory decision »779. Afin d’évaluer les caractéristiques de la
mesure, le tribunal a considéré que le critère de la proportionnalité
était le moyen indiqué, en justifiant son choix en ces termes :

« The Arbitral Tribunal will consider, in order to determine if they are to be charac-
terized as expropriatory, whether such actions or measures are proportional to the
public interest presumably protected thereby and to the protection legally granted to
investments, taking into account that the significance of such impact has a key role
upon deciding the proportionality. (…) There must be a reasonable relationship of
proportionality between the charge or weight imposed to the foreign investor and the
aim sought to be realized by any expropriatory measure »780.

774 Tel est le cas de la Cour Européenne des Droits de l’Homme dont quelques
décisions seront examinées ci-après.
775 T. WÄLDE, A KOLO, op. cit., note 39, pp. 827-835. Ces derniers se fondaient déjà
sur la jurisprudence de la CEDH qu’ils citent de manière extensive.
776 Pope & Talbot, op. cit., note 300, § 43-72.
777 Loewen group c. États-Unis, op. cit., note 321, § 104-118.
778 Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, § 121-122.
779 Ibidem, § 118.
780 Ibidem, § 122.

257
Mais comment vérifie-t-on alors la proportionnalité entre le but
poursuivi par une mesure et le préjudice causé aux investissements
étrangers ? Dans l’affaire Tecmed c. Mexique, trois facteurs ont été pris
en compte pour évaluer la proportionnalité entre la mesure de régle­
mentation visant un intérêt public et la charge que ladite mesure fait
peser sur l’investisseur.
En premier lieu, il faut d’abord un préjudice substantiel. C’est une
condition préalable dont l’absence rend inutile toute investigation
supplémentaire. De l’avis du tribunal, « this determination is important
because it is one of the main elements to distinguish, from the point of view of
an international tribunal, between a regulatory measure, which is an ordi-
nary expression of the exercise of the state’s police power that entails a decrease
in assets or rights, and a de facto expropriation that deprives those assets and
rights of any real substance »781. Pour ce faire, les arbitres appliquèrent
les critères posés par la doctrine majoritaire du seul effet782. Par
conséquent, tel qu’il fut appliqué dans la sentence Tecmed, le prin­
cipe de proportionnalité ne vise pas à se substituer à celui du seul
effet. Il s’agit d’un critère complémentaire. Cela signifie que dans la
mesure où l’usage du critère de l’effet n’est pas concluant, le test de
proportionnalité devient superflu.
En second lieu, il faut vérifier l’existence prima facie d’un intérêt
public. Ce second critère est laissé à l’appréciation souveraine de
l’État, exception faite d’un détournement de pouvoir manifeste et
grossier. Cependant, les arbitres ont estimé nécessaire de vérifier si
l’intérêt public invoqué par l’État était bien celui qui fut à l’origine
de la mesure. Non pas pour juger de l’opportunité de cette mesure,
mais afin d’appliquer le test de proportionnalité au véritable intérêt
public qui était visé. En l’espèce, ils ont conclu que la mesure ne
visait pas un but environnemental, contrairement aux affirmations
de l’État mexicain. En effet, seules quelques infractions mineures
aux normes de protection de l’environnement avaient été relevées
et des amendes avaient été recommandées par l’institution locale
compétente. Par contre, le refus de renouvellement du permis était
une réponse à des manifestations des populations riveraines hostiles
aux activités de l’investisseur à proximité de leur zone d’habitation :
« to sum up, the reasons that prevailed in INE’s decision to deny the renewal
of the Permit were reasons related to the social or political circumstances and
the pressure exerted on municipal and state authorities »783. C’est donc par
rapport à la sévérité des troubles civils que le tribunal a évalué la
proportionnalité de la mesure mexicaine.
En troisième lieu enfin, il fallait que la réponse des autorités mexi­
caines soit nécessaire pour réaliser l’intérêt public poursuivi, à savoir
mettre fin aux protestations des populations riveraines. C’est à cette

781 Ibid, § 115.


782 Ibid, § 116.
783 Ibid, § 132.

258
condition que le préjudice causé à l’investisseur sera proportionné.
Par conséquent, le tribunal a examiné « the extent to which such political
circumstances (…) are the basis of the Resolution, in order to assess whether
the Resolution is proportional to such circumstances and to others circums-
tances, and to the neutralization of the economic and commercial value of the
Claimant’s investment caused by the Resolution »784. Il a constaté que les
contestations populaires n’avaient pas atteint le niveau d’une crise
sociale785. La situation ne justifiait donc pas une solution aussi radi­
cale. De l’avis du tribunal, le problème était la situation de l’usine
de traitement de déchet et la solution devait donc se trouver dans la
délocalisation de l’usine sur un autre site acceptable par toutes les
parties prenantes. Cette solution avait d’ailleurs été envisagée par les
autorités locales, avec le soutien financier de l’investisseur, avant le
début des manifestations locales. Il est donc ressorti de l’analyse du
tribunal que la décision de ne pas renouveler le permis d’exploita­
tion n’était pas nécessaire pour atteindre le but poursuivi, et qu’elle
avait mis à la charge de l’investisseur un poids excessif 786.
Depuis la sentence Tecmed c, Mexique, le principe de proportion­
nalité a été reconnu comme applicable au contentieux de l’expro­
priation dans d’autres affaires portées devant le CIRDI, avec toute­
fois de légères variantes. Il s’agit notamment des sentences Azurix
c. Argentine et LG&E c. Argentine. Dans la première affaire, le tribu­
nal a estimé que le but poursuivi par la mesure était un élément
essentiel, mais insuffisant pour qualifier une expropriation indi­
recte, en plus de l’effet substantiel : « the public purpose criterion as an
additional criterion to the effect of the measures under consideration needs
to be complemented »787. Toutefois, le but de la mesure ne devient un
critère maniable qu’avec le secours du principe de proportionna­
lité. Il s’agit donc ici d’un moyen de rationalisation du critère du
but légitime, pris comme critère secondaire et non comme moyen
d’analyse de la « caractéristique » de la mesure elle-même. Dans
la sentence LG&E, une autre variante de l’usage du principe de
proportionnalité a été mise en lumière : « in order to establish whether
State measures constitute expropriation (…), the Tribunal must balance two
competing interests : the degree of the measure’s interference with the right
of ownership and the power of the State to adopt its policies »788. Contrai­
rement à la sentence Tecmed c. Mexique, qui l’utilise pour évaluer la
« caractéristique » de la mesure étatique, la proportionnalité est un
critère de distinction entre expropriation et mesure de police dans
la sentence LG&E c. Argentine. En effet, le principe de distinction
entre mesure de police et mesure équivalente à une expropriation,

784 Ibid, § 128.


785 Ibid, § 144.
786 Ibid, § 151.
787 Azurix c. Argentine, op. cit., note 115, § 311.
788 LG&E c. Argentine, op. cit., note 114, § 189.

259
a été accueilli favorablement dans cette sentence : « it is important
not to confound the State’s right to adopt policies with its power to take an
expropriatory measure »789. Le critère de proportionnalité apparaît
ici comme le moyen de mise en oeuvre du principe de distinction :
« with respect to the power of the state to adopt its policies, it can generally be
said that the State has the right to adopt measures having a social or general
welfare purpose. In such a case, the measure must be accepted without any
imposition of liability, except in cases where the State’s action is obviously
disproportionate to the need being addressed »790. Bien que le tribunal cite
la sentence Tecmed c. Mexique qui a rejeté le principe de distinction,
il se situe donc dans une perspective quelque peu différente. Cepen­
dant, dans ces deux affaires, les tribunaux n’ont pas eu l’occasion de
mettre en pratique leurs affirmations de principe. En effet, le critère
préalable du préjudice substantiel n’était pas rempli.
Les arbitres, dans la sentence Tecmed c. Mexique, se sont référés
explicitement à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits
de l’Homme (CEDH) concernant l’interprétation de l’article 1 du
Protocole à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et
des libertés fondamentales de 1952 (le Protocole 1). Il convient donc
d’exposer brièvement la teneur de cette jurisprudence, avant de pro­
céder ultérieurement à une analyse plus détaillée aux fins de compa­
raison avec les sentences CIRDI. On sait qu’en raison de divergences
importantes, la protection du droit de propriété n’a pas été prévue
directement dans la Convention de 1950, mais à l’article 1 du Proto­
cole 1 dont le libellé trahit la recherche d’un compromis :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut
être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions
prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États
de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des
biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou
d’autres contributions ou des amendes ».

Cet article a été largement commenté et a donné lieu à une impor­


tante jurisprudence au niveau de la CEDH791. Bien que le protocole

789 § 194.
790 § 195.
791 Pour un exposé détaillé sur l’élaboration de cet article et notamment des dif­
férentes versions du projet d’article, Voir R. HIGGINS, op. cit., note 258, pp. 357-
375. Voir aussi B. STERN, « Le droit de propriété, l’expropriation et la national­
isation dans la convention européenne des droits de l’homme », Droit et pratique
du Commerce International, 1991, vol. 17, p. 394-425 ; H. RUIZ FABRI, « The
approach taken by the European Court of Human Rights to the Assessment
of Compensation for « Regulatory Expropriation » of the Property of Foreign
Investors », New York University Environmental Law Journal, 2003, Vol. 11, pp. 148-
173 ; H. MOUNTFIELD, « Regulatory Expropriations in Europe : The Approach

260
n’use pas du terme « expropriation », il est unanimement considéré
qu’il s’y réfère dans la seconde phrase du premier alinéa à travers
le terme de « privation » de la propriété. La notion de privation a
été interprétée comme incluant à la fois l’expropriation directe et
l’expropriation indirecte. En cas de requête pour expropriation, la
CEDH estime qu’elle se doit de regarder au-delà « des apparences »,
afin que la protection accordée par la Convention soit réelle et
effective792. La CEDH applique depuis longtemps le principe de
proportionnalité dans le cadre de l’article 1 P.1. En substance, les
éléments qu’elle prend en compte pour évaluer la proportionnalité
d’une mesure d’un État membre peuvent être résumés comme suit :
le caractère discriminatoire ou non de la mesure, la disponibilité
d’autres mesures moins dommageables pour atteindre le but d’uti­
lité publique, et le poids excessif mis à la charge de l’investisseur au
bénéfice de l’intérêt général. Le critère de proportionnalité appli­
qué par la CEDH ne nécessite pas de jugement de valeur ou d’oppor­
tunité sur l’intérêt public poursuivi. Il s’agit plutôt de s’assurer que
l’État a choisi, parmi les actions à sa portée, celle qui présente le
meilleur équilibre entre le moyen et le but de poursuivi.
Cependant, la transposition de ce critère d’un contexte très ins­
titutionnalisé à un autre qui l’est beaucoup moins, ne peut-elle pas
poser de problèmes ? Il faut en effet s’assurer que ce critère est appli­
cable dans le contexte du droit international des investissements en
général et de l’expropriation en particulier.

Limites de l’approche :
le cadre juridique spécifique du droit international des investissements
Les limites à la transposition du principe de proportionnalité dans
le droit international des investissements sont de deux ordres. La
transposition est fondée sur une approche partielle de la jurispru­
dence pertinente de la CEDH, et se révèle inadaptée aux spécificités
actuelles du contentieux investisseur-État sur le fondement des trai­
tés de protection des investissements.

•  Une transposition partielle de la jurisprudence de la CEDH


En premier lieu, la transposition du principe de proportionnalité
dans le contentieux de l’expropriation indirecte repose sur une inter­
prétation partielle de la jurisprudence de la CEDH sur l’article 1 du
Protocole 1. En effet, la structure de l’article permet d’isoler, selon la
décision Sporrong and Lonnröth, trois règles distinctes :

« La première, d’ordre général, énonce le principe du respect de la pro­


priété ; elle s’exprime dans la première phrase du premier alinéa. La deu­

of the European Court of Human Rights », N.Y.U. Environmental Law Journal,


vol.11, n° 1, 2002, pp. 136-147 ; et les références citées par l’auteur.
792 Sporrong and Lonnröth c. Suède, op. cit., note 422, p. 24.

261
xième vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ;
elle figure dans la seconde phrase du même alinéa. Quant à la troisième,
elle reconnaît aux États le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des
biens conformément à l’intérêt général et en mettant en vigueur les lois
qu’ils jugent nécessaires à cette fin ; elle ressort du deuxième alinéa »793.

La relation entre ces trois règles a fait l’objet de certaines diver­


gences (selon qu’il s’agit de règles autonomes ou interdépen­
dantes794), mais la décomposition de l’article en trois règles est elle-
même communément acceptée.
L’article 1 du Protocole 1, contrairement à la majorité des TBI, dis­
tingue donc entre la privation de propriété (expropriations directe
et indirecte) et le contrôle et la restriction de l’usage de la propriété,
même si la distinction n’est pas toujours évidente dans la pratique.
Il faut donc veiller dans l’analyse des décisions de la CEDH, à tou­
jours préciser sur quel plan se situent les juges. L’affaire Sporrong and
Lönnroth c. Suède permet d’illustrer les deux niveaux d’analyse de la
CEDH, même si elle ne peut résumer à elle seule la position de la
Cour européenne. Elle est particulièrement pertinente, car les tribu­
naux CIRDI, et particulièrement la sentence Tecmed c. Mexique, s’y sont
principalement référés. Les faits à l’origine de cette affaire sont bien
connus. Les requérants (la succession Sporrong et Mme Lönnroth)
étaient propriétaires d’immeubles dans deux zones pour lesquelles
la municipalité de Stockholm avait obtenu des permis d’exproprier
de la part de l’État, respectivement en 1956 et 1961. Dès juin 1954 et
septembre 1971, les bâtiments des deux propriétaires furent frappés
d’une interdiction de construire. Au total, la durée des permis d’ex­
proprier, renouvelés à plusieurs reprises, fut respectivement de 23
ans et 8 ans. Dans le même temps, les requérants furent empêchés de
faire des travaux pendant 25 et 12 ans. Finalement les expropriations
ne furent jamais effectuées, car le projet d’urbanisme dans sa forme
finale ne nécessitait plus l’expropriation des zones concernées. Les
requérants saisirent alors la CEDH le 15 août 1975 pour se plaindre
d’une violation de leurs droits de propriété, tels qu’ils sont garantis
par l’article 1 du Protocole no 1. Sans prétendre avoir été formelle­
ment et définitivement privés de leurs biens, ils alléguaient que les
permis d’exproprier et les interdictions corrélatives avaient imposé
à la libre jouissance et à la disposition de leurs immeubles des limi­

793 Ibidem, § 61.


794 Comparer les affaires Sporrong & Lonnröth c. Suède, op. cit., note 422, et James
et autres c. Royaume-Uni (21 février 1986, CEDH). Dans la première affaire, la
Cour a estimé qu’elle devait s’assurer de l’applicabilité des deux dernières règles
avant de se prononcer sur l’observation de la première (§ 61). Dans la seconde
affaire, la Cour a estimé que la deuxième et la troisième règle avaient trait à
des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété et qu’elles devaient
s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première règle (§ 37).

262
tations excessives : impossibilité de vendre à la valeur marchande,
de contracter des hypothèques, d’effectuer des travaux importants,
etc. Leurs droits de propriété se seraient ainsi trouvés vidés de leur
substance pendant la durée de validité des mesures municipales.
La Cour européenne, en examinant s’il y avait eu expropriation
indirecte, a d’abord évalué le degré de la dépossession en ces termes :
« S’ils laissaient juridiquement intact le droit des intéressés à disposer
et user de leurs biens, les permis d’exproprier n’en réduisaient pas
moins dans une large mesure la possibilité pratique de l’exercer. (…)
Le droit de propriété des requérants devenait ainsi précaire et révo­
cable. De leur côté, les interdictions de construire limitaient sans
conteste le droit des requérants à user de leurs biens »795. Néanmoins,
la Cour a conclu que le préjudice subi n’atteignait pas l’ampleur
d’une dépossession : « bien qu’il ait perdu de sa substance le droit
en cause n’a pas disparu. Les effets des mesures en question ne sont
pas tels qu’on puisse les assimiler à une privation de propriété »796.
Il apparaît donc que la Cour n’a pas usé de la proportionnalité dans
cette partie de la décision, et cela ne fut pas remis en cause par les
nombreuses opinions dissidentes des juges de la Cour797. C’est seu­
lement ensuite que la CEDH effectue une recherche de proportion­
nalité entre intérêt public et intérêt privé, sous l’angle du second ali­
néa ; alinéa dont le libellé traduit la recherche d’un équilibre général
voulu par la Convention de 1950. Contrairement donc à ce qui est
parfois affirmé798, le principe de proportionnalité n’a pas trouvé
à s’appliquer dans la qualification de l’expropriation indirecte799.
Seul le second alinéa est soumis au contrôle de proportionnalité. La
CEDH a rarement qualifié des expropriations indirectes, alors que
les restrictions à l’usage de la propriété ont plus souvent été recon­

795 Ibid, § 60.


796 Ibid, § 63.
797 Cette interprétation de l’Article P.1-1 a fait l’objet d’opinions dissidentes de 9
juges sur les 19 qui ont siégé dans cette affaire. Mais le désaccord portait plutôt
sur l’application qui fut faite de l’alinéa 2 par la majorité (restriction à l’usage de
la propriété), que sur l’interprétation même de la première phrase de l’alinéa 1
(privation de propriété).
798 H. MOUNTFIELD, op. cit., note 791, p. 141.
799 Voir la décision de la CEDH dans l’affaire Fredin c. Suède en 1991 (CEDH, série
A, vol. 192, 1991, pp. 15-18). La Cour a considéré que le retrait, aux fins de
conservation de la nature, d’un permis d’extraction de gravier sur les propriétés
qui en bénéficiaient depuis plus de 10 ans n’était pas une expropriation, mais
un contrôle de l’usage des terres. Les plaignants avaient gardé en effet leurs
droits de propriété et pouvaient en faire un autre usage en dehors de celui
qui était désormais prohibé. C’est seulement après avoir rejeté la qualification
d’expropriation que la Cour a conclu que la révocation du permis tombait sous
le coup de l’alinéa 2 de l’article 1 du Protocole 1. Il procéda alors à un contrôle
de proportionnalité entre le but poursuivi par la mesure étatique et la charge
imposée aux plaignants. En l’espèce, la réglementation fut considérée comme
proportionnée à l’objectif poursuivi et au préjudice subi.

263
nues comme compensables du fait qu’elles étaient disproportionnées
par rapport à l’intérêt public poursuivi.
Au-delà de cette interprétation partielle, recourir au principe de
proportionnalité de la CEDH relève d’un paradoxe. Le Protocole
1 règlemente l’expropriation directe ou indirecte et la restriction à
l’usage de la propriété. Au regard de la jurisprudence de la CEDH,
les règlementations générales sur l’usage de la propriété, qui rap­
pellent largement par leurs caractéristiques les mesures de police,
tombent sous le coup du second alinéa. Elles ne peuvent donc pas
être des expropriations aux termes de la seconde phrase du premier
paragraphe. Par conséquent, si l’on veut utiliser le critère de la pro­
portionnalité, il faut se positionner hors du régime de l’expropria­
tion indirecte. Or, la réglementation de l’usage des investissements
n’est pas prévue dans les traités de protection des investissements. En
effet, dans la perspective du droit international des investissements,
une réglementation générale, même dite de police, est une mesure
expropriante comme une autre et ne bénéficie pas d’un traitement
spécial800. Une transposition de la jurisprudence de la CEDH ne
serait possible que si les réglementations générales de ce type étaient
clairement exclues du régime de l’expropriation indirecte par les
TBI, de sorte à pouvoir soumettre ces dernières à un contrôle de pro­
portionnalité. C’est probablement en raison de ces contradictions
qu’un auteur a affirmé que le raisonnement de la sentence Tecmed
c. Mexique procède d’un « amalgam of the US regulatory Takings test and
the ECtHR jurisprudence on Protocol n° 1 of the Protection of Human Rights
and Fundamental Freedoms »801. Il est vrai que l’on retrouve des réfé­
rences aux critères des récents TBI américains, inspirés eux-mêmes
de la doctrine américaine du Taking, lorsque le tribunal a recherché
le caractère raisonnable des mesures mexicaines au regard de « their
goals, the deprivation of economic rights and the legitimate expectations of
who suffered such deprivation »802.

•  Une transposition inadaptée au


contentieux de l’expropriation indirecte
Une autre limite du critère de la proportionnalité provient de son
importation d’un organe de règlement des différends issu d’un sys­
tème juridique spécifique. En effet, l’Union européenne constitue
la forme actuelle la plus avancée d’un processus d’intégration régio­
nal. Son corpus juridique n’est donc pas de ce fait facilement trans­
posable au droit international des investissements, qui repose sur un
réseau aussi dense que complexe de traités bilatéraux d’investisse­

800 Position partagée par le tribunal dans la sentence Tecmed c. Mexique, op. cit.,
note 121, lorsqu’il a rejeté le principe de distinction entre mesure de police et
mesures équivalente à une expropriation.
801 A. NEWCOMBE, « The Boundaries… », op. cit., note 38, p. 410.
802 Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, § 122.

264
ment (souvent comparé à un bol de spaghetti) et un système peu har­
monisé de règlement de différends. Comme l’observait C. Leben, la
prise en compte d’éléments très subjectifs comme la proportionna­
lité peuvent être acceptés lorsqu’il s’agit « d’institutions judiciaires
internes ou de juridictions internationales telles que la Cour euro­
péenne des droits de l’Homme, mais […] peuvent étonner lorsqu’il
s’agit de tribunaux arbitraux composés de personnes privées et sans
aucun mécanisme d’appel ou de cassation »803. On se doit de recon­
naitre avec un auteur que « domestic courts, in deciding issues of Taking,
balance the social benefits behind the taking against the public objectives
that are furthered. An arbitral tribunal is incapable of such exercise »804. En
outre, les TBI eux-mêmes ne recherchent pas un équilibre entre les
droits en présence. Au contraire, le déséquilibre congénital qu’ils
véhiculent a souvent été dénoncé. L’article 1 alinéa 2 du protocole
1 est donc plus sensible au pouvoir normatif de l’État que la clause
type d’expropriation dans les TBI. La sentence Sporrong & Lonnröth,
citant des précédents de la Cour, l’avait reconnu en ces termes : « aux
fins de cette disposition [alinéa 2], la Cour doit rechercher si un juste
équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de
la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fonda­
mentaux de l’individu. (…). Inhérent à l’ensemble de la Convention,
le souci d’assurer un tel équilibre se reflète aussi dans la structure
de l’article  1 »805. Le fait que les demandes puissent être introduites
par des personnes physiques et morales contre leur État national,
contrairement à ce qui est permis dans le contentieux international
des investissements, n’est peut-être pas étranger à ce souci d’équi­
libre.
En définitive, aussi intéressante que soit cette approche, elle devra
encore prouver son bien-fondé et trouver ses marques. L’état actuel
du droit international des investissements, malgré les notables évo­
lutions, ne se prête pas encore facilement à une telle transposition.
L’avenir pourra peut-être changer positivement la donne, si les futurs
TBI commencent à tendre vers un rapport équilibré entre les droits
des investisseurs étrangers et les droits de l’État d’accueil.

§ 3 – L’approche extraqualification

L’expropriation indirecte implique une indemnisation indépen­


damment d’une mise en œuvre de la responsabilité internationale
de l’État d’accueil. Elle relève donc à ce titre des règles primaires.
Afin de pouvoir intégrer des considérations, telles que la bonne foi
de l’État ou le caractère déraisonnable de la mesure qui puisse faire

803 C. LEBEN, « La liberté normative de l’État… », op. cit., note 123, p. 179. Voir
aussi R. DOLZER, Ch. H. SCHREUER, op. cit., note 8, p. 99.
804 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, pp. 389-390.
805 Sporrong & Lonnröth, op. cit., note 422, § 69.

265
échec à une obligation d’indemniser, une récente doctrine propose
de se placer purement et simplement hors du régime de l’expro­
priation. Cette approche ne concerne que les mesures mettant en
cause des enjeux environnementaux, mais elle pourrait intéresser
l’ensemble des mesures horizontales (A). Bien qu’elle soit particuliè­
rement séduisante et pratique, un obstacle important remet en cause
son applicabilité devant l’arbitre du contentieux de l’investissement
étranger (B).

A. Le recours à l’application d’un régime juridique distinct

Cette approche, essentiellement doctrinale, peut néanmoins trou­


ver un appui dans une jurisprudence minoritaire.

La doctrine extraqualification
L’approche « extraqualification » se situe résolument à l’extérieur
du processus de qualification. Il existe bien un processus de quali­
fication, mais il est étranger à celui de l’expropriation. L’approche
extraqualification consiste à sortir certaines mesures étatiques, qui
correspondent largement à la catégorie des mesures horizontales, du
régime de l’expropriation pour les soumettre aux règles classiques
de la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite.
Cette approche a été défendue récemment par S. Robert-Cuendet806.
Sans pouvoir rendre compte ici de la richesse de l’analyse, le raison­
nement peut être résumé dans ses grandes lignes.
L’auteure part du constat très réaliste, sinon pessimiste, que le
régime juridique de l’expropriation indirecte ne permet pas la prise
en compte d’autres considérations en dehors du préjudice subi par
l’investissement. À son avis, la corrélation automatique entre l’exis­
tence d’un préjudice grave et l’obligation d’indemniser est un obs­
tacle infranchissable, tant que l’on demeure dans la logique propre à
l’expropriation. L’auteure remarque à propos de la doctrine du seul
effet, que son caractère déterminant a « tendance à éluder l’utilité
des autres critères invoqués, et ce même lorsque les arbitres tentent
de diversifier leur analyse »807. Elle démontre alors que le critère de
l’effet préjudiciable exclusif est incapable de prendre en compte
les préoccupations environnementales et d’assurer le respect de la
liberté normative de l’État en ce domaine : « la qualification d’expro­
priation a ceci d’irrémédiable qu’elle entraine automatiquement,
quelles que soient les règles qui la commandent, le versement d’une
indemnisation »808. S. Robert-Cuendet explique, très justement, que
le problème réside avant tout dans une protection élevée accordée à
l’investissement par le biais d’une clause dont la logique se situe en

806 S. ROBERT-CUENDET, op. cit., note 38.


807 Ibidem, pp. 178-179.
808 Ibid, p. 23.

266
dehors de la responsabilité internationale de l’État. L’indemnisation
étant une condition de licéité, un contentieux de la responsabilité de
l’État ne fait que se greffer à la règle lorsque l’expropriation est illi­
cite. L’analyse se focalise sur les mesures environnementales et non
le concept de « mesure de police ». L’auteure critique le concept de
mesure de police parce qu’il est vague, qu’il ressort d’une logique
de responsabilité internationale que l’expropriation ne connaît pas,
et qu’il est appliqué à titre d’exception. De fait, ce concept n’est pas
en mesure de faire échec à la doctrine du seul effet. Or, pour S.
Robert-Cuendet, l’investisseur étranger devrait être protégé contre
les mesures qui le visent en tant qu’étranger, et non pas simplement
comme n’importe quel opérateur économique sur le territoire.
Pour sortir de cette impasse, elle propose de sortir du régime de
l’expropriation indirecte pour se positionner directement dans celui
de la responsabilité internationale de l’État. Ainsi, les mesures de
règlementation visant la protection de l’environnement devront être
jugées sur la base de leur caractère raisonnable ou déraisonnable,
en sus du préjudice substantiel. Le principe serait que ces mesures
ne donnent pas lieu à indemnisation malgré le préjudice causé, sauf
si elles sont déraisonnables. L’auteure, pour ce faire, élabore ensuite
des critères pour apprécier le caractère déraisonnable d’une mesure
de protection de l’environnement, en s’inspirant des critères utilisés
dans l’appréciation du traitement injuste et inéquitable. L’ouvrage
finit par une proposition d’indemnisation en cas de règlementation
déraisonnable basée sur la réparation du « déraisonnable », et non
sur le préjudice économique subi par l’investissement.
Il est possible d’interpréter cette approche comme une nouvelle
tentative d’opérer une distinction entre les mesures de police et les
mesures d’expropriation indirecte. Cependant, tel n’est pas l’objec­
tif de S. Robert-Cuendet. Pour reprendre ses propos, l’objectif est
de « passer d’une logique d’exception au régime de l’expropriation
(…) à une logique d’exclusion du régime de l’expropriation »809. Au
lieu de chercher à faire entrer certaines mesures étatiques, environ­
nementales notamment, dans la notion de mesure de police pour
les soustraire à l’obligation d’indemnisation, il suffit d’examiner ces
mesures sous un autre angle. Ce qui permet de les rendre indemni­
sables en raison de leur caractère déraisonnable, et non en raison de
leurs effets préjudiciables.

Le raisonnement analogue dans la sentence Methanex c. États-Unis


Dans la jurisprudence, une affaire au moins peut être citée comme
ayant appliqué cette approche, mais sans l’avoir assumée comme telle.
Dans l’affaire Methanex c. États-Unis, le litige portait sur une règlemen­
tation d’ordre général. Par un décret entré en vigueur le 2 septembre

809 Ibid, p. 255.

267
2000, l’État californien prévoyait qu’à partir du 31 décembre 2002,
plus personne ne pourrait offrir à la vente ou fournir de l’essence
qui aurait été produite avec du MTBE, un additif suspecté être can­
cérigène et non dégradable dans l’environnement. L’investisseur
canadien était un fabricant de méthanol, l’un des composants du
MTBE. Bien que le décret n’ait pas remis en cause la fabrication et la
commercialisation du méthanol, l’investisseur s’est estimé lésé, car
il écoulait l’essentiel de sa production chez les fabricants de MTBE.
En outre, il accusait l’État californien de discrimination déguisée en
faveur de ses concurrents locaux fabriquant de l’éthanol, un autre
additif à l’essence qui n’était pas prohibé.
Avant d’examiner si les États-Unis avaient violé une obligation de
l’ALENA, le tribunal a commencé par rechercher l’existence d’une
« mesure related to investment » au sens de l’article 1101 de l’Accord.810
En l’espèce, la réglementation ne visait pas directement l’activité
de la société Methanex, ni même la production et le commerce du
méthanol, mais constituait une mesure d’application générale rela­
tive au MTBE. En recherchant l’existence d’une expropriation indi­
recte, le tribunal a affirmé qu’une mesure ne peut ouvrir droit à
indemnisation que si elle ne vise pas un intérêt public, est discrimi­
natoire et arbitraire :

« (…) as a matter of general international law, a non-discriminatory regulation


for a public purpose, which is enacted in accordance with due process and, which
affects, inter alios, a foreign investor or investment is not deemed expropriatory
and compensable unless specific commitments had been given by the regulating
government to the then putative foreign investor contemplating investment that
the government would refrain from such regulation. (…) The California ban was
made for a public purpose, was non-discriminatory and was accomplished with
due process. (…) From the standpoint of international law, the California ban was
a lawful regulation and not an expropriation »811.

810 Le tribunal a procédé à une interprétation novatrice. Il a estimé qu’il ne


pouvait pas sur cette base conclure à l’existence d’une « mesure » au sens de
l’ALENA. Mais par un curieux renversement, les arbitres décidèrent néanmoins
d’examiner au fond la violation du traitement national, du traitement juste et
équitable et de l’expropriation, avant de pouvoir affirmer définitivement si une
mesure au sens de l’article 1101.1 avait été édictée. Ainsi, s’ils constataient une
violation de ces trois obligations, alors il s’agirait bien d’une mesure en relation
avec un investissement. Methanex c. Etats-Unis, op. cit., note 112, Partie IV, chap.
B, § 1.
811 Partie IV, chp. D, § 7 et § 15. Les engagements spécifiques contraires font
référence ici aux clauses de stabilisations insérées dans de nombreux contrats
d’investissement. Pour le tribunal, de telles clauses peuvent donc rendre
caduque son raisonnement en faveur des règlementations générales non
indemnisables.

268
Les conditions qui furent exigées par le tribunal pour engager la
responsabilité de l’État coïncident exactement avec les conditions de
licéité de l’expropriation. Ainsi, une mesure règlementaire générale
(que le tribunal ne considère pas comme une mesure relative à un
investissement) qui remplirait dans les faits les conditions de licéité
d’une expropriation indirecte, ne pourrait pas être qualifiée comme
telle. Ce renversement, assez surprenant, peut être compris de la
sorte : face à une mesure générale visant un intérêt public, le tribu­
nal se place, sans le dire, hors du régime de l’expropriation indi­
recte. Cela lui permet alors, comme pour une mesure dommageable
quelconque, d’apprécier si elle est arbitraire et discriminatoire. Et
c’est seulement à cette condition qu’elle engagera la responsabilité
de l’État et pourra entraîner une indemnisation. Si le raisonnement
était parti de l’expropriation, l’indemnisation aurait été automatique
sur le simple constat d’un préjudice substantiel, indépendamment
du fait que l’État ait agi de manière raisonnable ou pas. C’est donc
l’intérêt général visé par la mesure qui a permis de sortir la mesure
du régime de l’expropriation. Et c’est son caractère arbitraire et dis­
criminatoire qui aurait pu la rendre néanmoins indemnisable.
Le principal mérite de l’approche extraqualification est de se
placer, en l’assumant, hors du régime de l’expropriation. Elle uti­
lise des critères qui se retrouvent à divers degrés dans les autres
approches, mais elle ne prétend pas attirer les conditions de licéité
de l’expropriation vers ses éléments de qualification. À ce titre, c’est
une approche cohérente. En outre, cette proposition permet de
renverser la présomption en faveur des mesures de règlementations
générales environnementales. Ce renversement va à l’encontre de la
position qui veut que les mesures de police soient qualifiées d’expro­
priations indirectes toutes les fois où elles entraineront un préjudice
grave, sauf exception ; exception qui est au mieux virtuelle sinon
introuvable. En d’autres termes, cette approche permet de poser
un régime d’autorisation en faveur du droit de règlementer dans
l’intérêt général, et non un régime d’exception tolérant à peine les
règlementations préjudiciables non accompagnées d’indemnisation.
Posée ainsi, l’approche extraqualification semble ne présenter que
des avantages. Néanmoins, elle n’est pas exempte de limites sérieuses
qui la rendent difficilement applicable.

B. Limites de l’approche :
l’arbitre saisi du contentieux de l’expropriation indirecte

Une première remarque sous forme de bémol peut être faite quant
à la portée de l’approche postqualification. La protection de l’envi­
ronnement mérite-t-elle un traitement spécial par rapport à d’autres
intérêts publics ? Pour l’auteur, « l’exception environnementale » se
prête le mieux à une telle approche. Cette exception ne réside pas
fondamentalement dans une supériorité des valeurs protégées, mais

269
plutôt dans la possibilité d’identifier et d’isoler plus facilement les
mesures environnementales pour les soumettre à un régime diffé­
rent. Toutefois, cela suppose déjà que l’existence de cette spécificité
environnementale soit reconnue. Il est vrai que plusieurs TBI récents
intègrent des exceptions en faveur de la protection de l’environne­
ment, mais on peut en dire de même de la protection de la vie et de
la santé, ou des droits fondamentaux des travailleurs. Le fait donc
que cette doctrine soit conçue essentiellement comme un exemple
de mesures horizontales pourrait en réduire la portée. Il est impor­
tant, à notre avis, de veiller à ne pas créer une définition de l’expro­
priation indirecte qui n’aurait pour utilité que de pouvoir sortir les
mesures environnementales de son champ d’application. L’environ­
nement n’est pas le seul intérêt public pouvant être invoqué. Il faut
le reconnaître cependant, l’auteur propose que sa doctrine puisse
être transposée à d’autres mesures portant sur des intérêts publics
internationalement reconnus afin d’en élargir la portée.
La véritable limite de cette doctrine est d’ordre pratique et réduit
considérablement son applicabilité. Cette limite tient à la compétence
des tribunaux du contentieux de l’investissement international sur
le fondement d’un TBI. Lorsqu’une affaire est portée devant un tri­
bunal arbitral, les parties déterminent leurs plaintes sur la base des
violations des clauses conventionnelles. Si un investisseur reproche à
un État de l’avoir exproprié de son bien, le tribunal doit répondre à
une question précise : la mesure litigieuse est-elle une expropriation
ou ne l’est-elle pas ? Il ne lui est pas demandé si une mesure environ­
nementale a été appliquée de manière déraisonnable. Le tribunal ne
peut pas occulter les demandes formulées par une partie. La mesure
de protection de l’environnement ou des droits humains n’est pas
présentée devant lui sur le fondement de cette caractéristique, mais
bien parce qu’elle est une mesure imputable à l’État et qu’elle est
prétendument expropriante. Si son caractère environnemental
devait intervenir dans le débat, ce ne serait que lors de la phase de
qualification d’une expropriation ou de l’évaluation de sa nature
licite. Cette contrainte est d’autant plus forte que la dissociation du
consentement des parties à la procédure d’arbitrage fait dépendre la
physionomie du litige des termes fixés par l’investisseur dans sa requête. La
saisine unilatérale par l’investisseur est aujourd’hui banalisée812. Il
est donc matériellement impossible à l’État d’introduire une requête
d’arbitrage de sa seule initiative, à supposer qu’il souhaite le faire.
En outre, la possibilité d’une demande reconventionnelle par l’État
d’accueil est limitée en raison de la pauvreté des obligations inter­
nationales mises directement à la charge des investisseurs dans les
TBI. Par conséquent, l’investisseur a généralement la maîtrise de la
requête et il modèlera de ce fait les points de droit devant être exa­

812 G. BURDEAU, « Nouvelles perspectives… », op. cit., note 24, pp. 10-27.

270
minés par le tribunal. Ce dernier est bien sûr libre de faire interve­
nir toutes les sources du droit international qui lui sembleront per­
tinentes. Mais le raisonnement devra toujours partir du cadre posé
par le traité bilatéral d’investissement qui fonde sa compétence.
L’option proposée par l’approche extraqualification, demeure tou­
tefois utilisable, à condition que le traité de protection des investis­
sements exclue explicitement certaines catégories de règlementation
du champ d’application de l’expropriation, et/ou prescrive de les
analyser sous l’angle exclusif de leur caractère déraisonnable. Dans
ce cas, le traité limiterait les mesures environnementales pouvant
entraîner une obligation d’indemniser à celles qui sont excessives et
arbitraires.
Aux termes de cette section, il ressort que les solutions propo­
sées en remplacement de la doctrine du seul effet présentent des
limites importantes que ne peut ignorer un tribunal arbitral devant
connaître d’une allégation d’expropriation indirecte sur le fonde­
ment d’une clause type d’un TBI. Il pourra toujours être opposé à
ces approches plusieurs obstacles qui ont été résumés en ces termes
par C. Schreuer, partisan de la doctrine du seul effet : « an expropria-
tion may take place under perfectly legitimate circumstances. Arbitrariness,
bad faith, lack of proportionality and other improprieties are not constitutive
elements of expropriation. Their absence does not mean that an expropriation
could not have taken place »813. On ne peut donc s’étonner de ce que les
quelques sentences ayant fait preuve jusqu’ici d’innovation n’aient
pas encore pu lancer une tendance assez importante pour ébranler
sérieusement la jurisprudence dominante. Comme le notait un autre
auteur, à la suite d’une revue des sentences rendues jusqu’en mars
2009, après les sentences Methanex c. États-Unis et Saluka c. République
tchèque, « not a single tribunal has recently cited or referred to the reasoning
of the tribunals in either of these cases. Rather they have continued to apply
the traditional approach »814. Le besoin d’adapter l’approche tradition­
nelle demeure pourtant une réalité.
L’analyse de ces différentes approches permet de tirer quelques
enseignements qui seront utiles pour la recherche d’une meilleure
option à celle de la doctrine du seul effet. Il est certain d’abord que
les contours de l’expropriation indirecte ne peuvent être délimités
que lors du processus de qualification et non à la phase de l’évalua­
tion de ses conditions de licéité. Ensuite, l’intérêt public à la source
de l’édiction de la mesure horizontale ne peut être complètement
évacué du processus de qualification. D’une manière ou d’une autre,
il faut le prendre en considération. Enfin, la prise en compte de cet
intérêt public de l’État d’accueil ne peut se faire en ignorant com­
plètement la distinction entre critères de qualification et critères de

813 Ch. H. SCHREUER, « The concept of Expropriation… », op. cit., note 39, p. 111.
814 C. KNAHR, « Indirect Expropriation in Recent Investment Arbitration », TDM
1, 2009, (www.transnational-dispute-management.com/article.asp?key=1353).

271
licéité. Au contraire, il ne faut jamais la perdre de vue, afin de mieux
la contourner. À cette fin, il est nécessaire d’élaborer une méthodo­
logie de travail.

Section 2 – Méthodologie pour une intégration


des considérations d’intérêt public dans les critères
de qualification

Comment prendre en compte les considérations d’utilité publique


de l’État d’accueil de l’investissement sans évoquer l’intérêt public
– condition de licéité ? En gardant à l’esprit les contraintes du cadre
juridique de l’expropriation indirecte, une seule possibilité existe :
intégrer ces considérations étatiques au sein même du critère de
l’effet. Pour ce faire, une méthodologie rationnelle doit être élabo­
rée en prenant appui sur le critère de l’effet préjudiciable. Ce cri­
tère étant déjà bien acquis dans la doctrine et la jurisprudence, il
est plus efficace de l’adapter que d’en créer un nouveau. Pourquoi
supplanter le critère de l’effet préjudiciable quand il suffit d’en faire
un allié ? En raison de sa structure, l’appréciation de l’effet préjudi­
ciable d’une mesure ne se fait pas d’un seul trait, contrairement à
ce que plusieurs tribunaux laissent supposer (§ 1). En pratique, trois
étapes successives composent l’évaluation de la gravité du préjudice
sur l’investissement, et chacune d’elle est plus ou moins perméable à
des considérations d’intérêt public (§ 2).

§ 1 – La pratique inappropriée


du « je le reconnais quand je le vois »815

En analysant attentivement la manière dont les tribunaux


appliquent le critère du préjudice substantiel dans les litiges qui leur
sont soumis, il est surprenant de constater l’absence fréquente de
démonstrations détaillées. Souvent, après avoir rappelé les critères
de qualification, puis reconnu l’existence d’une mesure éligible et
son imputabilité à l’État, les tribunaux se contentent de conclure
dans une formule lapidaire que l’investisseur a été dépossédé subs­
tantiellement ou pas de son investissement. La diversité des termes
utilisés ne vient qu’intensifier le brouillard entourant les argumen­
tations. De surcroît, l’étude de la doctrine du seul effet a déjà donné
l’occasion de montrer que les facteurs de vérification ne sont pas
adaptés aux mesures horizontales.
Mais ce premier constat permet d’en faire un autre. C’est en raison
de l’absence d’une véritable méthode d’évaluation du préjudice subi
qu’il est possible d’arriver à cette diversité de résultats, même quand
les faits sont similaires ou identiques. En principe, le critère du seul

815 D’après le titre d’un article de L. Y. FORTIER, L. S. DRYMER, op. cit. note 286,
p. 293.

272
effet, encensé comme rationnel et objectif, devrait laisser peu de
place à des raccourcis et à des interprétations divergentes. Mais il
n’en va pas toujours ainsi dans la pratique. Force est de constater
avec R. Dolzer, que « a review of the justifications given in individual cases
(…) reveals a certain resistance to explaining the reasoning which has led to
the result ; broad formulae and statement may appear in place of the more
specific elaborations on the substance and contours of the taking doctrine
that one might expect »816. En comparaison d’autres questions telles que
l’existence d’une mesure imputable à l’État d’accueil, l’existence
d’un investissement protégé, ou encore le calcul de la valeur mar­
chande ou comptable de l’investissement, l’évaluation de l’impact
du préjudice est le parent pauvre dans le dispositif des sentences
rendues sur le contentieux de l’expropriation indirecte ; alors même
qu’il est l’élément déterminant.
L’incertitude qui entoure la méthode d’évaluation du préjudice
subi par l’investisseur n’est cependant pas perçue comme une
lacune. Au contraire, la grande majorité des tribunaux et des auteurs
la revendique et l’assume complètement. La meilleure illustration
jurisprudentielle de cette attitude se trouve probablement dans la
sentence finale rendue dans l’affaire Generation Ukraine. Le tribunal
a considéré qu’en matière de définition de l’expropriation indirecte,
« there is no checklist, no mechanical test to achieve this purpose. (…) The
outcome is a judgment, i.e., the product of discernment, and not the printout
of a computer program »817. La pratique conventionnelle récente de cer­
tains États tend d’ailleurs à codifier cette pratique et à l’imposer aux
arbitres818. G. C. Christie fait partie des nombreux auteurs qui ont
défendu l’approche du cas par cas en estimant que c’était la meil­
leure méthode et la seule possible pour évaluer l’existence d’une
expropriation indirecte819. Pour celui-ci, « the common law method of
case by case development is pre-eminently the best method, in fact probably the
only method, of legal development »820. Cette pratique peut être dénom­
mée comme celle du « I Know it when I See it », pour reprendre le
titre d’un article défendant cette approche pragmatique, censée dis­
suader les investisseurs de porter des demandes frivoles devant des
arbitres vigilants821. Ainsi donc, pour l’ensemble de ces auteurs, seule
l’observation empirique de chaque situation permet une évaluation
judicieuse. Il suffit donc de s’en remettre au bon sens des praticiens.

816 R. DOLZER, « Indirect expropriation : New developments ? », op. cit., note 103,
p. 76.
817 Generation Ukraine, op. cit., note 264, § 20.29.
818 C’est le cas des récents traités de protection des investissements américains et
canadiens.
819 C’est le cas également de M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, p. 368 ; et
J. PAULSSON, Z. DOUGLAS, op. cit., note 168, p. 146.
820 G. C. CHRISTIE, op. cit., note 37, p.  338. Voir aussi, M. PELLONPAA,
M. FRITMAURICE, op. cit., note 8, p. 85.
821 L. Y. FORTIER, L. S. DRYMER, op. cit., note 286, p. 293.

273
Pourtant, s’en remettre au seul bon sens et à la vigilance des
arbitres ne peut garantir une justice efficace et cohérente. Cela sup­
pose en effet que tous les arbitres ont une même ligne d’interpréta­
tion, basée sur une culture juridique similaire, et une même accep­
tion de certaines notions juridiques comme le droit de propriété et la
protection qui lui est accordée. Ce qui est loin d’être vérifié. Comme
le notait R. Dolzer, la pauvreté de certaines démonstrations et les
résultats surprenants qui en résultent parfois ne s’expliquent pas
uniquement par la culture du consensus entre les arbitres statuant
dans un tribunal. Il arrive aussi de constater un manque d’expertise
et de connaissance des conseils des parties au litige, voire de cer­
tains arbitres qui, très compétents par ailleurs (droit commercial par
exemple), sont peu familiarisés avec le contentieux de l’investisse­
ment international sur le fondement des TBI822. Dans le même sens,
même les défenseurs d’une approche au cas par cas « quasiment
intuitif » reconnaissent que la qualification de l’expropriation indi­
recte tient aux circonstances de chaque affaire, mais parfois aussi
aux « culural elements that define shared expectations »823.
En réalité, une systématisation de la méthode d’évaluation du pré­
judice n’est ni impossible, ni incongrue. D’abord, parce que l’objectif
n’est pas de trouver une formule magique universelle. Ensuite, et
surtout, parce qu’une méthode systématisée n’interdit pas une appli­
cation au cas par cas. Au contraire, les deux solutions vont de pair et
se renforcent mutuellement. Il existe en effet une différence entre
d’une part, appliquer directement un critère formulé sous forme
de principe général au gré des affaires qui surviennent et d’autre
part, élaborer sur la base de ce principe une méthode rationnelle et
structurée qui pourra s’adapter ensuite à chaque cas d’espèce. Est-il
suffisant pour les tribunaux et les parties à un litige de savoir que le
préjudice doit être « substantiel » et « irréversible » ? N’est-il pas plus
éclairant de savoir, en plus, que la gravité du préjudice doit s’appré­
cier sur telle prérogative rattachée à la propriété et non sur telle
autre par exemple ? Une méthode structurante ne peut être qu’un
avantage. C’est pourquoi, il convient de ne pas suivre l’affirma­
tion selon laquelle, « just as the quest for the alchemic formula no longer
attracts research funding, the search for the chimerical perfect rule on indirect
expropriation need not preoccupy counsel and arbitrators »824. Et même si
l’on concède la nécessité d’une application au cas par cas, il n’en
demeure pas moins que « international lawyers should explore in a more

822 R. DOLZER, « Indirect expropriation : New developments ? », op. cit., note 103,
p. 76
823 G. C. CHRISTIE, op. cit., note 38, p. 338.
824 J. PAULSSON, Z. DOUGLAS, op. cit., note 168, pp. 146-147.

274
systemic way »825. Il ne faut pas céder à une certaine fatalité au risque
d’adopter l’attitude qui consisterait à « throw up our hands in a fit of
despair and resign ourselves to an ad hoc approach, hopping that somehow
we will chance upon justice in the individual case »826.
La pratique empirique défendue par les auteurs et les tribunaux
est loin de clarifier les contours de l’expropriation indirecte. De sur­
croît, elle constitue un frein à une incursion dans les étapes néces­
saires à l’évaluation de la gravité du préjudice.

§ 2 – Les trois éléments du critère de l’effet préjudiciable

Le préjudice substantiel se décompose dans la jurisprudence arbi­


trale en deux éléments dépendants : le préjudice doit être à la fois
grave et irréversible. L’interprétation qui est faite du caractère irré­
versible du préjudice par les tribunaux est largement satisfaisante. Il
n’en va pas toujours de même avec l’exigence de la gravité. L’évalua­
tion de la gravité doit prendre en compte trois éléments qui corres­
pondent à trois questions fondamentales. Quelle a été l’étendue du
préjudice (A) ? Le préjudice a-t-il porté sur une prérogative juridique
protégée (B) ? L’activité d’investissement compromise était-elle licite
(C) ?

A. L’étendue du préjudice

L’étendue du préjudice se rapporte à l’identification des compo­


santes de l’investissement qui ont été touchées. Cet élément semble
aller de soi lorsque l’investissement en cause est constitué d’une
seule activité homogène. Cependant, une mesure étatique, particu­
lièrement lorsqu’elle est horizontale, peut avoir une répercussion sur
une ou plusieurs parties de l’investissement lorsque ce dernier a une
structure juridique et économique complexe. Cette première étape
est celle qui se prête le moins à l’intégration de considérations d’in­
térêt public. En effet, l’étendue du préjudice est un fait, une réalité
autonome, qui ne dépend que peu ou pas des intérêts de l’auteur
de la mesure. Elle dépendra surtout de la structure légale et opé­
rationnelle de l’investissement. Néanmoins, si cette étape n’est pas
appliquée avec rigueur, elle peut conduire à accueillir favorablement
des requêtes non fondées. De ce fait, la clarification de la question
de l’étendue du préjudice requise s’impose.

825 A.  NEWCOMBE, « The Boundaries… », op. cit., note 38, p. 397. Voir dans le
même sens, A. REINISCH op. cit., note 373, p. 426, pour qui, « a scholarly analysis
should not dispense with identifying those elements and factors are crucial for a finding of
an indirect expropriation ».
826 B. H. WESTON, op. cit., note 36, p. 120. L’auteur rejette aussi cette fatalité et
propose des solutions différentes.

275
Toutefois, il ne suffit pas de dire que la mesure a eu un impact
préjudiciable sur l’ensemble de l’investissement ou qu’elle est seule­
ment restreinte à l’une de ses composantes. Il faut aussi que les com­
posantes touchées aient été gravement lésées. Cela signifie que la
mesure étatique doit avoir remis en cause une prérogative juridique
fondamentale de l’investissement protégée par le droit de l’expro­
priation.

B. La gravité du préjudice

Déterminer la gravité du préjudice revient à déterminer s’il s’agit


de simples désagréments ou d’un profond bouleversement dans la
poursuite de l’investissement. La plupart des sentences se contentent
de répondre formellement à cette question. Lorsqu’il est affirmé
qu’un investissement est compromis, en réalité, il faut entendre par
là qu’une prérogative juridique détenue par l’investisseur et proté­
gée par le régime juridique de l’expropriation indirecte a été anéan­
tie. Autrement dit, l’investissement n’a plus de raison d’être, car une
prérogative fondamentale attachée à sa détention a été lésée. C’est
donc le noyau patrimonial de l’investissement qui a disparu. Il s’agit
d’une question majeure qui donne de la substance à l’évaluation de
l’étendue du préjudice. En effet, percevoir, comprendre, ou sentir
intuitivement qu’un investissement est irrémédiablement compromis
ou traverse seulement des difficultés mineures n’est pas suffisant. Il
faut pouvoir exprimer juridiquement comment on est parvenu à ce
résultat.
Cela implique que l’on détermine la ou les prérogatives juridiques
qui sont protégées dans le cadre du droit de l’expropriation. C’est-à-
dire, celle(s) dont la remise en cause suffit à rendre la détention de
l’ensemble de l’investissement et des autres prérogatives juridiques
restées intactes, inutile. Cette seconde composante du critère de
l’effet permet de s’assurer que c’est le cœur de l’investissement qui
a été atteint ; et que par conséquent le préjudice est substantiel. En
ce sens, le choix de la prérogative juridique protégée est une étape
complémentaire et intimement liée à l’évaluation de l’étendue du
préjudice. Si les tribunaux apprécient en effet la gravité du préju­
dice sur une prérogative qui n’est pas essentielle à la détention d’un
investissement, alors le résultat final sera biaisé. Il ne suffit pas de
constater une remise en cause complète d’un élément, il faut que cet
élément conditionne l’existence de l’investissement, de sorte qu’il
n’y ait plus aucun intérêt à le détenir. Le choix de la bonne préroga­
tive protégée permettra donc de limiter également une bonne partie
des dérives conceptuelles. Cette deuxième composante se prête peu,
à son tour, à l’intégration de considérations d’intérêt public, mais
elle est cruciale pour les mesures horizontales. En effet, il est primor­
dial de trouver les facteurs de vérification de la gravité du préjudice
adaptés à ce type de mesures étatiques.

276
Cependant, l’analyse ne doit pas s’arrêter là. Il faut encore véri­
fier que l’activité porteuse de l’investissement est elle-même licite et
digne de protection.

C. La licéité de l’activité d’investissement objet du préjudice

Cette troisième et dernière composante du critère de l’effet préju­


diciable est la plus importante au regard des enjeux soulevés pour
les mesures horizontales. Ici réside véritablement la nouveauté ; celle
qui va le mieux absorber les considérations d’intérêt public de l’État
d’accueil de l’investissement. Il faut rappeler qu’un investissement
ayant servi à la commission d’un acte frauduleux ne peut être expro­
prié puisqu’il s’agit en réalité d’une confiscation pénale. Ce n’est pas
en ce sens que la licéité de l’activité d’investissement est comprise ici.
On ne s’intéresse pas à un comportement délictuel qui aurait déclen­
ché une réponse judiciaire. Il ne s’agit pas non plus de la conformité
de l’investissement aux lois nationales au moment de l’entrée sur
le territoire. Dans cette hypothèse, c’est l’investissement lui-même
qui perd la protection du TBI. En effet, les traités de protection des
investissements n’octroient leur protection qu’aux investissements
qui ont été légalement effectués et admis sur le territoire national827.
Par contre, un investissement peut porter sur une activité « illicite »
dans un sens plus large qui sera défini ultérieurement. En général,
l’illicéité d’une activité d’investissement s’apprécie au regard de sa
conformité à une prescription légale nationale. Or, s’agissant de
l’expropriation indirecte, il convient d’aller plus loin vers une défi­
nition dynamique en conformité avec les obligations internationales
des États d’accueil. Cette dernière étape de l’effet préjudiciable don­
nera l’occasion de façonner un droit de l’expropriation indirecte en
phase avec l’ordre juridique international. C’est donc la question de
la licéité systémique de cette clause qui trouvera par ce biais une
réponse appropriée.
À la fin de ce chapitre, il est utile de récapituler toutes les étapes du
processus de qualification auquel devrait se soumettre un tribunal
arbitral. Cinq questions doivent être posées.
– Y a-t-il eu une « mesure » dans le sens d’un acte extériorisé ?
– Celle-ci est-elle imputable à l’État ?
– L’effet irréversible de cette mesure a-t-elle été préjudiciable sur
l’investissement dans sa globalité ?
– Le préjudice a-t-il été grave au point de détruire une prérogative
fondamentale rattachée à la détention d’un investissement ?

827 Voir par exemple les clauses suivantes : TBI Burkina-Tchad, 2001, article 1.1
(« ces investissements doivent être effectués selon les lois et règlements en vigueur dans
le pays hôte ») ; TBI Cameroun-Chine, 1997, article 1.1 (« le terme investissement
désigne des avoirs de toute nature investis (…) conformément à la législation de chacune
des Parties contractantes (…) »).

277
– Le préjudiciable a-t-il conduit à l’anéantissement d’une activité
économique licite ?
Alors que les deux premières questions (l’existence d’une mesure
et son imputabilité à l’État) sont examinées de manière satisfaisante
par les tribunaux, il n’en va pas de même pour les trois dernières.
Ces questions, qu’il convient d’examiner maintenant, constituent en
réalité un ensemble cohérent pouvant être qualifié comme le critère
de l’effet redéployé.

278
Chapitre 3

Le critère de l’effet redéployé

Le moment est venu de proposer concrètement un processus de


qualification adapté aux mesures horizontales éligibles au statut
d’expropriation indirecte qui ménage le pouvoir normatif effectif de
l’État hôte d’investissements. Les approches proposées jusque-là ont
été étudiées pour en retenir les enseignements. De ce fait, une prise
en compte subtile et incontournable des intérêts de l’État hôte devra
être effectuée. À cette fin, une méthode de leurs intégrations dans
le critère unanimement reçu de l’effet préjudiciable a été élaborée.
Désormais, chacune des trois composantes du critère de l’effet pré­
judiciable devra être revisitée, non seulement avec plus de rigueur,
mais aussi et surtout pour y introduire des considérations propres
aux intérêts de l’État hôte. C’est le critère de l’effet redéployé. Ce
critère se définit comme celui qui exige un préjudice véritablement
substantiel, parce que l’investissement a été atteint dans sa globalité
(section 1), qu’il en est résulté la remise en cause du droit d’user
de l’investissement (section 2), investissement constituant le support
d’une activité licite au regard d’un ordre public international des
investissements (section 3).

Section 1 – L’étendue du préjudice :


l’investissement envisagé dans sa globalité

Pour toute mesure étatique éligible au statut d’expropriation indi­


recte, la jurisprudence exige officiellement un effet préjudiciable
substantiel sur l’investissement protégé. Or, pour être substantiel, le
préjudice doit être total, c’est-à-dire qu’il doit concerner l’investisse­
ment dans son ensemble. Mais cette implication est souvent ignorée
quand elle n’est pas rejetée par certains tribunaux. En effet, l’hypo­
thèse d’atteintes partielles n’est pas formellement écartée. Ainsi, il
a été affirmé qu’une expropriation indirecte peut survenir lorsque
« the investor is deprived (…) of parts of the value of his investment »828. Cette
flexibilité dans l’appréciation du caractère substantiel du préjudice a
rarement une incidence notable sur la qualification des mesures ver­
ticales, en raison du fait que les conséquences dommageables de ces
dernières sur l’investisseur sont généralement évidentes et proches

828 Middle East Cement c. Egypte, op. cit., note 158, § 107.

279
d’une dépossession formelle. Par contre, l’évaluation du préjudice
doit être particulièrement rigoureuse pour les mesures horizontales.
Pour cette catégorie de mesures, dont le rapport de filiation juri­
dique avec l’expropriation directe est particulièrement distendu et
donc moins évident à établir, il est primordial de réduire au maxi­
mum la brèche ouverte par les atteintes partielles. Les références
à la privation partielle de la valeur de l’investissement recouvrent
des réalités différentes à l’origine de certaines confusions. Afin de
rendre le critère du préjudice substantiel plus rigoureux, il convient
de comprendre ce que peut recouvrir un préjudice partiel à l’inves­
tissement (§ 1), pour mieux l’écarter ensuite du processus de quali­
fication au profit du préjudice global (§ 2).

§ 1 – L’impossible admission


d’atteintes partielles à l’investissement

Deux principales hypothèses de préjudices partiels peuvent être


distinguées en relation avec la structure de l’investissement. D’une
part, le préjudice peut s’avérer partiel en raison de la présence de
plusieurs instruments juridiques distincts dans la constitution de
l’investissement (B). D’autre part, le préjudice peut être partiel du
fait de la diversification d’activités plus ou moins reliées au sein d’un
même investissement (C). Toutefois, pour comprendre les enjeux
soulevés par les atteintes partielles, il faut revenir brièvement sur la
notion d’investissement en droit international des investissements
(A).

A. Introduction à la notion d’investissement


en droit international des investissements

La définition de la notion d’investissement en droit internatio­


nal est une question complexe dont tous les paramètres ne peuvent
pas être examinés ici. Pour les besoins de cette étude, il suffira
dans un premier temps de dégager les critères généralement admis
aujourd’hui pour qualifier une opération économique comme étant
un investissement protégé par un TBI. Dans un second temps, il fau­
dra clarifier les rapports juridiques entre les notions de propriété,
de bien et investissement ; rapports qui sous-tendent le rejet des
atteintes non substantielles.

La définition de l’investissement dans l’arbitrage Investisseur-État


Tout comme la notion d’expropriation, celle d’investissement ne
bénéficie quasiment pas de définition conventionnelle829. En effet,

829 Exceptionnellement, quelques TBI anciens ont fait un effort de conceptualisa­


tion. Tel est le cas de l’article 1 du TBI Suisse-Zaïre du 10 mars 1972 qui définit
le mot « investissement » comme un apport en espèce ou en nature « en vue soit de

280
certains instruments internationaux tels que la Convention CIRDI
ont renoncé par commodité à toute définition, tandis que d’autres,
notamment les TBI, se sont contentés d’une énumération non
exhaustive. L’absence de définition juridique précise et univoque de
la notion d’investissement soulève logiquement des interrogations
quant à ses contours830.
Les premiers investissements étrangers prenaient généralement la
forme de constitution de société ou de prises de participations dans
une société existante. Ce sont les formes dites traditionnelles ou
habillées de l’investissement (Equity Investment). L’investissement
traditionnel peut prendre deux formes principales : l’investissement
direct et l’investissement de portefeuille. Les investissements directs
étrangers peuvent être définis comme des investissements par les­
quels des entreprises utilisent des capitaux en vue de créer ou d’ac­
quérir une entreprise à l’étranger et leur permettant d’exercer un
contrôle ou une influence significative et durable sur la gestion de
l’entreprise étrangère. Les investissements de portefeuille sont consi­
dérés comme des prises de participations minoritaires dans une
entreprise existante à l’étranger. Les investissements de portefeuille
sont souvent de nature spéculative et volatile et n’octroient pas de
pouvoir de décision dans l’entreprise831. Mais avec le développement
technologique et les besoins des pays en développement, certains
types de contrats ont intégré la notion d’investissement du fait que
leurs objectifs et leurs impacts économiques se rapprochent de ceux
des formes traditionnelles de l’investissement. Ces contrats consti­
tuent les formes nouvelles ou déshabillées de l’investissement (non-
Equity investment). Il s’agit des contrats de licence, de construction,
de concession, d’entreprise conjointe clé en main, de coopération
industrielle, de partage de production, de services, de transfert de
technologie, des contrats BOT (Build Operate and Transfert)832,

constituer une capacité de production nouvelle de biens ou services, soit de rationaliser des
méthodes de production ou d’en améliorer la qualité ». Notons également des tentatives
plus récentes de définition. L’article 10.27 de l’ALE signé entre les États-Unis et
le Chili exige explicitement l’existence de trois éléments caractéristiques : l’ap­
port en capital, l’anticipation du gain et le fait que l’investisseur supporte un
risque.
830 Quelques traités, comme l’AMGI, prévoient aussi une définition plus ou moins
synthétique de la notion, mais à des fins de politiques financières qui leur sont
propres. Ce qui rend la transposition de leurs approches malaisée dans un autre
cadre.
831 Certains TBI excluent explicitement de leur protection les investissements de
portefeuille. Voir par exemple ALE entre l’ALEE et le Mexique, 2000, article 25 :
« aux fins de la présente section, les investissements réalisés conformément aux
lois et règlements des Parties désignent l’investissement direct, (…) ».
832 Il s’agit d’un contrat global par lequel une entreprise finance et construit une
infrastructure, puis gère et perçoit les revenus pendant une période limitée,
avant de transférer la propriété à l’État.

281
etc. Les formes d’investissements ont donc grandement évolué ces
dernières décennies833, au point qu’il devient difficile de fixer des
limites entre ce qui demeure un contrat commercial et ce qui peut
être assimilé à un contrat d’investissement834. On a pu craindre que
l’extension aux formes nouvelles « banalise trop la notion juridique
d’investissement qui risque d’être diluée dans celle, très générale, de
droit économique, à telle enseigne que tout devient investissement et
que, désormais, la question qui mérite d’être posée est : qu’est-ce qui
n’est pas investissement ? »835.
Face à l’absence de définition juridique de la notion d’investisse­
ment dans les TBI, les tribunaux ont suivi des approches divergentes.
Une partie des sentences arbitrales adopte une interprétation litté­
rale des clauses. Cela signifie que tout bien ou avoir énuméré dans
la liste d’un TBI, voire au-delà (la liste étant souvent indicative),
constitue un investissement protégé. Cette interprétation se foca­
lise sur une interprétation subjective de la notion d’investissement,
c’est-à-dire celle à laquelle les États ont formellement consenti dans
leurs traités de protection des investissements. Une autre partie des
sentences arbitrales a estimé qu’il revenait aux tribunaux de déga­
ger une définition objective de la notion d’investissement. Cette
approche part de l’idée que la liste des biens et avoir cités dans les
TBI ne désigne que des éléments pouvant constituer des investisse­
ments s’ils répondent à certaines caractéristiques. Ainsi, un investis­
sement se caractérise globalement par un apport en numéraire ou
en nature dans une opération économique, sur une durée significa­

833 Voir C. OMAN, Les nouvelles formes d’investissements dans les industries des pays
en développement, Paris, Etudes du centre de développement de l’OCDE, 1989,
pp. 190-195 ; G. R. DELAUME, « Le Centre International pour le Règlement des
Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) », JDI, 1982, pp.  800-801 ; Ph.
KAHN, « L’extension de la notion d’investissement », in J. BOURRINET (dir.),
Les investissements français dans le monde, Paris, Economica, 1984, pp. 111-117.
834 P. JUILLARD, «  Contrats d’État et investissements  », in H. CASSAN (dir.),
Contrats internationaux et pays en développement, Paris, Economica, 1989, p. 172,
distingue les contrats commerciaux des contrats d’investissement par le fait
que l’investisseur se voit « attribuer des « droits durables » sur l’investissement
qui fait l’objet du contrat », et par le fait que ce dernier participe aux risques
(bénéfices et pertes) de l’activité. Sur la base de ces considérations, certaines
opérations furent justement rejetées comme étant des investissements par
certaines sentences arbitrales. Ce fut le cas des frais engagés dans la phase
préparatoire pour la conclusion d’un contrat BOT sur une centrale électrique
qui ne fut jamais finalisé (Mihaly International Corp. c. Sri Lanka (ARB/00/2),
sentence CIRDI du 15 mars 2002) ; la fourniture de garantie pour l’appel
d’offre d’un contrat de fourniture d’équipements et d’installations clé en main
sur un site minier après que l’État n’ait pas libéré la garantie suite à un litige sur
la qualité des prestations (Joy Mining Machinery c. Egypte (ARB/03/11), sentence
CIRDI du 6 août 2004).
835 F. HORCHANI, « Le droit international des investissements… », op. cit., note 11,
p. 381. Voir dans le même sens, P. JUILLARD, op. cit, note 834, p. 174.

282
tive, et prévoyant une participation aux risques de l’exploitation. En
plus de ces trois critères (apport, durée et risque), il est parfois exigé
que l’activité participe au développement économique de l’État d’ac­
cueil, mais ce dernier critère peut être considéré comme présumé
par l’existence des trois autres. C’est le test dit « Salini »836.
Certains auteurs, tout en défendant la nature extensible de la
notion d’investissement, rendue nécessaire par l’évolution de l’éco­
nomie et des techniques, déplorent que d’une notion conceptuelle,
l’investissement soit devenu une notion fonctionnelle ; de sorte que
de nombreuses opérations économiques n’ayant aucune similitude
avec les caractéristiques requises soient reconnues comme des inves­
tissements837. De l’avis de Ph. Kahn, des prêts destinés à financer de
grands projets d’investissements et dont le remboursement dépend
dans une large mesure des ressources issues de l’exploitation, ainsi
que des contrats de service ou de transfert de technologie peuvent
intégrer la notion d’investissement par extension. Mais il est exces­
sif d’y faire entrer de simples effets de commerce838, des crédits à
court terme ou des facilités de paiement839, et des contrats de service
dépourvus d’un apport significatif 840.
En réalité, le risque de dilution de la notion d’investissement ne
réside pas dans l’extension des opérations économiques pouvant
être qualifiées d’investissements, mais dans la confusion entre la
notion juridique de bien et d’investissement. Il importe donc de
définir précisément les rapports juridiques entre bien, propriété et
investissement.

Les rapports juridiques entre bien, propriété et investissement


Les TBI ne donnent pas de liste d’investissements protégés comme
le suggèrent leurs libellés, mais bien une énumération générique de
biens (mobiliers ou immobiliers) et de droits (contrats, créances,
parts sociales, hypothèques, droits de propriétés intellectuelles, etc.),
pouvant constituer des investissements. L’existence de cette liste a
conduit à une assimilation regrettable entre les biens et les droits
ayant une valeur économique d’une part, et l’investissement d’autre
part. En effet, la liste non exhaustive incluse dans les TBI, « vise à
assimiler, sous le vocable investissement et en vue de les protéger,
l’ensemble des droits et avoirs patrimoniaux de ressortissants étran­
gers (…). Or la possession par un particulier à des fins d’utilisation

836 Salini Costruttori SpA c. Maroc, op cit., note 81, § 52 et s.


837 Ph. KAHN, « Investissements internationaux, nouvelles donnes… », op. cit., note
20, pp. 19-21.
838 Comme dans l’affaire Fedax c. Vénézuéla (ARB/96/3), sentence CIRDI du
11 juillet 1997 sur la compétence.
839 Comme dans l’affaire CSOB c. Slovaquie (ARB/97/4), sentences CIRDI du 24 mai
1999 sur la compétence.
840 Comme dans l’affaire SGS c. Pakistan, op. cit., note 361.

283
familiales d’un bien meuble ou immeuble à l’étranger n’est pas un
investissement »841. Il importe de distinguer le bien ou le droit de
l’investissement.
Le bien est un terme générique qui désigne toute chose susceptible
d’appropriation. Le droit, dans sa conception subjective, est une pré­
rogative juridiquement protégée qui permet à son titulaire de faire,
d’exiger ou d’interdire quelque chose dans son propre intérêt. Ainsi
définis, un bien et un droit peuvent avoir une valeur économique
et donc constituer l’apport dans un investissement. L’investissement
étant une notion dynamique qui « ne peut se concevoir que dans la
durée et dans le mouvement »842, il s’oppose de ce fait au bien qui est
une notion statique. Cela signifie que « l’investissement transcende
le bien qui n’est protégé que dans la mesure où il se rapporte à un
investissement »843.
Il existe également un rapport entre propriété et investissement.
Il est reconnu de longue date que le droit de propriété peut por­
ter indifféremment sur des choses tangibles (biens meubles et
immeubles) et des choses intangibles (propriété artistique, intel­
lectuelle, industrielle, etc.). La propriété, qu’elle soit corporelle ou
incorporelle fonde juridiquement l’acte d’investir. C’est parce qu’il
dispose de la propriété sur une chose corporelle ou incorporelle que
la personne physique ou morale étrangère peut en faire un investis­
sement. Il s’agit donc d’un élément central dans la constitution d’un
investissement. En droit interne, la propriété, forme la plus achevée
de droit réel, signifie qu’un sujet détient le droit d’user, de jouir, et
de disposer d’une chose de manière exclusive, sous réserve des res­
trictions imposées par la loi. Cette subdivision classique a été recon­
nue dans les sentences arbitrales. Ainsi, dans l’affaire Liamco c. Libye,
à propos d’une nationalisation, l’arbitre unique S. Mahmassani,
rappelait que la conception classique de la propriété comportait le
droit d’user, de jouir et de disposer de l’objet de la propriété844. Il est
évident que si la notion d’investissement repose sur celle de bien,
elle ne peut occulter le droit de propriété. Comme l’avait déjà noté
C. Lévesque, « le recours à la notion d’investissement (…) n’élimine
pas le besoin de définir la propriété »845. Mais, comme le regrettait
R. Higgins, la jurisprudence internationale, les résolutions et les

841 S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage…, op. cit., note 1, p. 55.


Voir dans le même sens, P. JUILLARD, « Chronique de droit international
économique : Investissements », AFDI, 1984, p. 776 ; C. OMAN, op. cit., note 833,
p. 182. Cette assimilation prend probablement origine dans les Conventions
d’établissements et les Traités d’amitiés de commerce et de navigations,
prédécesseurs des TBI actuels, qui protégeaient les étrangers et tous leurs avoirs
patrimoniaux.
842 P. JUILLARD, « L’évolution… », op. cit., note 17, p. 24.
843 C. OMAN, op. cit., note 833, p. 182.
844 Liamco c. Lybie, sentence du 19 janvier 1977, ILM, 1981, vol. 20, p. 89.
845 C. LEVESQUE, op cit., note 203, p. 75.

284
projets d’accords internationaux, ainsi que la doctrine, ont prêté
peu d’attention à la définition même de la « propriété » dans l’ordre
international. Cette lacune s’explique probablement par la diversité
des conceptions nationales du droit de propriété. Toutefois, « how can
we know if an individual has lost property rights unless we really understand
what property is ? »846. Pour preuve, alors que dans les affaires Oscar
Chinn devant la CPJI et Sea-Land c. Iran devant le Tribunal irano-
américain, rendues respectivement en 1934 et 1984, la clientèle et la
perspective de profits ont été exclues comme des droits de propriété,
l’accès à un marché a été considéré comme un droit protégé dans le
cadre d’un investissement dans l’affaire Pope & Talbot 847.
Il peut sembler difficile de recourir aux trois prérogatives de la pro­
priété avec les formes actuelles des investissements qui sont de plus
en plus complexes et échappent parfois à toute matérialité. Pour­
tant, il suffit de garder à l’esprit que tout investissement procède de
la détention d’un bien ou d’un droit ayant une valeur économique.
Par conséquent, quel que soit l’investissement en cause, il est tou­
jours possible d’y percevoir ces trois prérogatives en revenant au bien
ou au droit qui est l’instrument ou le véhicule de l’investissement.
L’investisseur dirige, administre, et gère le bien ou le droit objet de
l’investissement : il en use. L’investisseur a accès aux retombées éco­
nomiques de l’usage sous forme d’investissement qu’il fait de son
bien ou de son droit et en profite librement : il en jouit. L’investis­
seur peut aliéner le bien ou le droit objet de son investissement, en
le vendant ou le cédant gracieusement : il en abuse. Présenté ainsi,
chaque type d’investissement, de l’usine de fabrication de textiles848
à l’investissement de portefeuille dans une banque, en passant par
le contrat de concession minière, peut se voir appliquer ces trois pré­
rogatives. Cette approche triptyque du droit de propriété se retrouve
d’ailleurs dans la définition de l’expropriation indirecte élaborée
par le projet de Harvard de 1961, à l’article 10.3 : « a taking of Property
include not only an outright taking of property but also any such unreaso-
nable interference with the use, enjoyment and disposal of the Property as
to justify an interference the owner thereof will not be able to use, enjoy and
dispose of the property within a reasonable period of time after the inception
of such interference ». Aujourd’hui encore, et contrairement à ce qui est
parfois affirmé, la notion de propriété n’est ni désuète, ni complè­
tement inadaptée aux nouvelles réalités du droit international des
investissements849. Elle en fait partie intégrante.

846 R. HIGGINS, op. cit., note 258, pp. 268-269.


847 Pope & Talbot, op. cit., note 300, § 96.
848 Sur un exemple d’application des trois attributs de la propriété sur un
investissement constitué sous forme d’usine, voir R. HIGGINS, op. cit., note 258,
p. 270.
849 Voir par exemple, P. VELLAS, « Droit de propriété, investissements étrangers et
nouvel ordre économique international » JDI, 1979, p. 25.

285
En somme, l’investisseur, en vertu de la propriété qu’il détient sur
une chose corporelle ou incorporelle, bénéficie de la prérogative
soit de l’utiliser dans l’immédiat, soit de l’immobiliser sous forme
d’épargne, soit enfin de l’investir afin d’en tirer une plus-value éco­
nomique. Dans ce dernier cas, le bien ou le droit se transforme en
un investissement protégé sur lequel l’investisseur détient les préro­
gatives de la propriété (usage, jouissance, aliénation).
À la suite de ce rapide survol de la notion d’investissement en droit
international des investissements, il est possible désormais d’envisa­
ger comment un investissement peut subir un préjudice partiel. Pour
les besoins de la présentation, une distinction est faite entre l’in­
vestissement composé d’une pluralité d’instruments juridiques et
l’investissement composé d’une diversité d’opérations économiques.

B. Le préjudice partiel à raison de la structure légale de l’investissement

Alors que certains contrats peuvent être qualifiés d’investisse­


ments en raison de leur unité, chaque élément de l’ensemble est par­
fois pris isolément lorsqu’il s’agit d’évaluer le préjudice subi.

L’investissement défini comme un ensemble unifié


Un investissement peut être construit sur la base d’un seul instru­
ment juridique. Tel sera le cas d’un contrat de concession sur une
mine. Mais plus souvent, il arrive au regard de l’importance de l’ac­
tivité et des besoins de l’État d’accueil que la relation contractuelle
entre les parties soit formalisée dans plusieurs actes juridiques. Ce
type d’ensemble contractuel complexe a d’ailleurs été à la base de la
première sentence arbitrale rendue sous l’égide du CIRDI850. Ainsi,
un investissement peut combiner à la fois un contrat de prêt ou de
garantie, un contrat de construction ou de modernisation d’équipe­
ments, un contrat de concession ou de gestion ; et un contrat de trans­
fert de technologie851. On a pu distinguer alors entre les chaînes de
contrats dans lesquels la conclusion du premier contrat conditionne la
conclusion du second, et les ensembles contractuels dans lesquels un
contrat fait référence à un autre dans son dispositif en y attachant cer­
taines conséquences852. L’exemple le plus emblématique de ce type de
contrat est celui du contrat Built, Operate and Transfert, dit contrat BOT.

850 Voir l’affaire Holiday Inns c. Maroc, op. cit, note 76, combinant essentiellement
un contrat de financement, un contrat construction et un contrat de gestion
d’hôtels.
851 Voir par exemple, les affaires, Bienvenuti & Bonfant c. Congo, op. cit. note 81 ; Amco
Asia c. Indonésie, op. cit. note 83 ; Soabi c. Sénégal (ARB/82/1), sentence du 1er août
1984 sur la compétence ; SPP c. Egypte, op. cit., note 337 ; ou Waste Management II
c. Mexique, op. cit., note 99.
852 Voir S. MANCIAUX, Investissements privés étrangers et arbitrage…, op. cit., note 1,
p. 90.

286
Il a été défendu dans la doctrine que lorsque diverses activités éco­
nomiques reposent sur plusieurs accords entre une personne privée
étrangère et un État, l’existence de caractéristiques unitaires entre
ces accords permet de qualifier l’ensemble comme étant un investis­
sement au sens juridique du terme853. À cet effet, les différents actes
juridiques visés par un investissement doivent avoir un but commun
et être complémentaires. Pour prendre l’exemple d’un contrat BOT
sur une autoroute, l’investisseur ne finance et n’effectue la construc­
tion qu’en raison du fait qu’il en aura la gestion sur une période
suffisamment longue pour avoir un retour sur investissement. De
son côté, l’État ne concède la concession que parce qu’il obtient un
financement privé pour une infrastructure coûteuse et qu’il a prévu
de reprendre la gestion de l’autoroute à la fin de la concession. En
raison de cette unité et de cette cohérence, il faut donc considérer
l’ensemble des éléments dans leur globalité pour procéder à la quali­
fication d’investissement. Cela signifie que c’est l’ensemble contrac­
tuel qui doit remplir les conditions de l’apport, de la durée, et du
risque. Il ne peut être exigé de chaque composante qu’elle constitue
elle-même un investissement854. Par exemple, un simple prêt en soi
ne remplit que rarement les critères d’un investissement. Si la « qua­
lification d’investissement s’attache à l’opération dans son ensemble
et non à ses composantes »855 ; pourquoi alors réintroduire le « dépe­
çage » de l’investissement au stade de l’évaluation de l’effet préjudi­
ciable d’une mesure étatique ?

Le démembrement de l’investissement au stade de l’évaluation du préjudice


Du fait de l’existence d’une pluralité d’instruments dans un inves­
tissement, la question se pose de savoir si chaque instrument peut
être pris séparément comme un élément autonome ayant subi un
préjudice au titre d’une expropriation. En effet, à cause de leur
structure légale, ces investissements peuvent être l’objet d’un préju­
dice partiel. Dans ces conditions, répondre par l’affirmative signifie­
rait que le préjudice grave d’une seule composante suffit à constituer
l’expropriation de l’investissement dans sa globalité. Ou alors que

853 Ibidem, pp. 92-102.


854 C’est ce qui a été mis en lumière dans la sentence CSOB c. Slovaquie, op. cit., note
839, § 72 : « an investment is frequently a rather complex operation, composed of various
interrelated transactions, each element of which, standing alone, might not in all cases
qualify as an investment ». En l’espèce, la qualification d’un montage financier
complexe d’un prêt en investissement reste discutable. La présence du critère
du risque ne semble pas avoir été remplie, à notre avis, vu que l’investisseur était
assuré de la somme qui lui sera remboursée et des échéances de versements. Il
n’y avait pas de rémunération en fonction de la rentabilité du projet. Il n’y avait
qu’un risque d’inexécution du contrat qui s’est réalisé ; risque qui est propre à
n’importe quelle relation contractuelle.
855 S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage…, op. cit., note 1, p. 95.

287
chaque sous-contrat étant alors un investissement, il suffira qu’une
mesure étatique lui porte préjudice pour obtenir une indemnisation.
Cette approche a été adoptée par certains tribunaux arbitraux,
même si le raisonnement n’est pas toujours explicite. Un exemple
d’investissement à plusieurs composantes s’est posé devant les arbitres
dans l’affaire Middle East Cement c. Egypte, l’une des rares sentences à
avoir explicitement subdivisé un investissement en droits spécifiques
autonomes aux fins de la recherche d’une expropriation. Dans les faits,
le tribunal a successivement considéré l’atteinte à un droit (la révoca­
tion de la licence d’exportation), puis l’atteinte à un bien tangible (la
saisie d’un bateau), alors même qu’il s’agissait d’éléments constituant
un investissement global d’importation, de stockage et de distribution
de ciment sur le territoire égyptien. Le tribunal a finalement constaté
une expropriation indirecte, dans le sens d’un préjudice substantiel
pour chaque élément individualisé de l’investissement. Il est vrai que
cette subdivision a été facilitée par la nature même des mesures incri­
minées. En effet, chaque droit ou bien a été la cible d’une mesure
distincte de la part de l’État, en l’occurrence des mesures verticales.
Qu’en aurait-il été si le litige avait concerné une mesure horizontale
n’ayant visé aucun droit contractuel spécifique ?
Le litige dans l’affaire Waste Management II c. Mexique 856 a donné
l’occasion à un tribunal d’apprécier l’existence d’une expropriation
indirecte sur l’investissement dans son ensemble, mais aussi sur les
droits contractuels de l’investisseur. Dans le cas d’espèce, alors même
que chaque droit ne faisait pas l’objet d’un contrat individualisé, les
arbitres ont statué que : « even if the enterprise of Acaverde was not subjected
to conduct in breach of Article 1110 when considered as a whole, it is arguable
that the persistent refusal or inability of the City to pay sums due under the
Concession Agreement involved an expropriation, or at least measures tanta-
mount to an expropriation, of the sums due »857. Le différend portait sur un
contrat de concession de collecte et de traitement de déchets urbains
dans la ville d’Acapulco au Mexique ; contrat qui avait été conclu entre
un investisseur privé étranger et la municipalité. Plusieurs contrats pré­
voyaient, en plus de la concession, la mise à disposition gratuite d’un
terrain constructible pour l’usine de traitement par la municipalité
et un monopole dans la collecte des déchets sur un périmètre donné.
Dans les faits, la collecte des déchets par le secteur informel a continué
à avoir la préférence des usagers avec la bienveillance des autorités
locales. Par ailleurs, la municipalité a mis un terrain autre que celui
qui était prévu, à la disposition de l’investisseur. De même, elle n’a pas
payé les factures qui lui avaient été présentées par l’investisseur en
vertu du contrat de concession. La mise à disposition gratuite d’un ter­
rain avantageux et l’octroi du monopole peuvent être considérés indi­

856 Pour une description détaillée du contrat de concession, voir § 52 et s. de la


sentence.
857 § 163.

288
viduellement comme des droits ayant une valeur économique, mais
pas comme des investissements en soi. C’est l’ensemble des contrats
qui répond à la définition objective de l’investissement. Or, le non-
respect du monopole a-t-il les mêmes conséquences préjudiciables sur
l’ensemble de l’investissement que le non-paiement des factures par la
municipalité ? La recherche d’une expropriation des sommes dues à
l’investisseur en vertu de son contrat de concession était à la fois inu­
tile et inappropriée. Il aurait suffi que le tribunal apprécie les effets de
la mesure litigieuse sur l’ensemble de l’investissement.
La prise en compte individuelle de chacune des composantes
légales de l’investissement au stade de l’évaluation du préjudice a
été également défendue par certains auteurs comme M. Radin avec
la théorie du « conceptual severance »858. L’auteur y explique que toute
partie d’un investissement qui peut être « hypothetically or conceptually
« servers » from the whole bundle of rights », peut alors être considérée
comme un investissement à part entière dans la mesure où elle est
visée par une réglementation qui la limite. Ainsi, la gravité du préju­
dice ne devrait pas s’apprécier sur l’investissement dans son ensemble,
mais sur chaque droit pouvant être isolé. De telles propositions per­
mettraient de conduire à une expropriation indirecte lorsqu’une quel­
conque composante de l’investissement est compromise. Par exemple,
un propriétaire d’une exploitation agricole de 100 ha peut prétendre
avoir été indirectement exproprié de 20 ha dès lors qu’une mesure
étatique rend l’exploitation de cette surface impossible. Si l’hypothèse
de l’expropriation de 20 ha est intellectuellement concevable lorsqu’il
s’agit d’une appropriation directe et formelle par l’État ou même
d’une expropriation indirecte par mesure verticale, l’idée devient
aberrante pour une mesure horizontale n’ayant pas visé l’exploitation
et ayant laissé la possession matérielle de ces 20 ha intacts. Ce serait
l’hypothèse d’une règlementation générale interdisant la culture
d’une espèce végétale particulière sur les parcelles touchées par une
érosion importante ; interdiction qui ne concernerait qu’une partie
d’une exploitation agricole donnée. Avec cette théorie, l’impact de la
mesure ne s’évaluera donc pas sur la valeur économique ou la rentabi­
lité de l’exploitation dans son ensemble, mais sur cette seule portion,
alors même que le propriétaire pourrait en faire un autre usage, ou
continue de faire un usage rentable du reste de l’exploitation.

C. Le préjudice partiel à raison


de la structure opérationnelle de l’investissement

Dans certaines formes d’investissements, il n’existe qu’une seule et


unique activité. Ces investissements peuvent être qualifiés d’homo­

858 M. J. RADIN, «  The liberal conception of property  : crosscurrents in the


jurisprudence of Takings », in M.J. RADIN (éd.), Reinterpreting Property, Chicago,
University of Chicago Press, 1993, pp. 127-128.

289
gènes, car aucune activité ne peut être isolée de manière distincte
comme ayant une valeur économique propre en dehors de l’en­
semble. Tel sera l’exemple d’un contrat de gestion d’un hôtel. Parler
de préjudice partiel dans ce cas est en pratique impossible. L’arbitre
pourra seulement évaluer la gravité du préjudice, à savoir s’il rend la
poursuite de l’activité impossible. Moins que l’étendue du préjudice,
c’est de sa profondeur qu’il aura à discuter.
Par contre, certains investissements, les plus nombreux aujourd’hui,
peuvent être décomposés en éléments autonomes plus ou moins cohé­
rents, et plus ou moins interdépendants. La diversification des activi­
tés d’une entreprise est en effet préconisée sur le plan économique
pour réduire les risques. L’investissement prend ici la forme d’un
agrégat d’opérations dont la rentabilité de l’ensemble dépend plus ou
moins étroitement de la rentabilité de chacune. Il s’agit en quelque
sorte d’une architecture qui peut s’écrouler en fonction de l’agence­
ment des pièces de la construction entre elles, et de l’importance de la
pièce qui a été détruite. Chaque composante peut faire ou non l’objet
d’un contrat avec l’État. C’est par exemple le cas d’une entreprise qui
cumule l’exportation, la production, et la distribution d’un produit
comme dans les affaires SD Myers c. Canada ou Benvenuti c. Bonfant.
Si une mesure étatique compromet une composante économique
de l’investissement, le préjudice peut être grave sur cette compo­
sante. L’est-il pour autant pour l’investissement en entier ? Il peut
arriver que toutes les composantes n’aient pas la même importance
au sein de l’investissement. C’est-à-dire qu’elles ne sont pas toutes
primordiales pour la continuité de l’investissement dans sa globalité.
Un exemple fictif permet de mieux cerner le problème. Un gouver­
nement, suite à une étude sur le rôle important des panneaux publi­
citaires sur les autoroutes dans la survenue des accidents, décide
d’interdire les publicités sur les tronçons nationaux. Un investisseur
qui détient un contrat de concession sur une autoroute s’estime lésé
par cette mesure horizontale. En effet, il tire des revenus importants
des droits d’affichages sur les panneaux implantés sur cette auto­
route. Supposons que les recettes publicitaires constituent 20 % de
son chiffre d’affaires ; le reste étant constitué par les droits de péages
ainsi que d’autres avantages qu’il détient en vertu de son contrat
de concession. Dans un tel cas, il est peu probable que l’investisse­
ment dans sa globalité s’écroule du fait de cette interdiction. Mais
si chaque source de revenus est considérée de manière autonome
comme un investissement autonome, il peut y avoir expropriation
de la valeur de l’activité de location des panneaux d’affichages sur
l’autoroute.
De l’avis de certains auteurs, cette décomposition de l’investisse­
ment en activités opérationnelles est la bienvenue aussi bien pour
l’État que pour l’investisseur. Par exemple, S. Manciaux, qui s’op­
pose par ailleurs à la décomposition légale de l’investissement au

290
stade de sa qualification, estime que le rejet des atteintes partielles
de ce type serait déplorable. L’auteur considère en effet que

« refuser de prendre en compte l’hypothèse de l’atteinte partielle aurait des consé-


quences désastreuses. Cela ne pourrait qu’inciter les investisseurs à aggraver la
situation résultant d’une mesure portant atteinte à leur investissement afin de
pouvoir bénéficier de la protection qui ne serait accordée qu’aux expropriations
plénières, alors même que la poursuite de l’exploitation de l’investissement serait
possible pour l’investisseur et souhaitable pour l’État »859.

Cette logique, dénoncée comme « perverse » ne peut justifier


l’admission des atteintes partielles. En effet, si la poursuite de l’ac­
tivité demeure possible, pourquoi l’État devrait-il indemniser une
activité encore rentable ? Appartient-il au droit de se conformer aux
manœuvres de certains investisseurs dont la préoccupation, certes
légitime à leur niveau, est de maximiser des profits ? Ou bien est-ce
aux investisseurs de se conformer autant que possible au cadre légal
posé par le droit ? En réalité, il n’est pas nécessaire d’accueillir les
atteintes partielles pour écarter cette logique perverse.
En résumé, l’atteinte partielle peut être rendue possible par la
structure légale et/ou opérationnelle des investissements. Mais quel
doit être l’attitude de l’arbitre face à un préjudice, même grave, qui
n’aurait porté que sur une ou plusieurs composantes légales ou opé­
rationnelles d’un investissement ? Est-il envisageable de considérer
chaque composante comme pouvant être expropriée ? En d’autres
termes, l’investissement est-il une réalité cohérente à la fois écono­
mique et juridique, ou faut-il y voir seulement un agrégat de droits
et d’activités pouvant être divisé en sous-investissements autonomes
susceptibles d’être expropriés ?

§ 2 – L’exigence d’un préjudice global

Si le principe du préjudice global sur l’investissement doit être


affirmé (A), sont application doit tenir compte cependant de la
structure de l’investissement (B).

A. Le principe de l’impact
préjudiciable sur l’investissement dans sa globalité

Le critère de l’effet préjudiciable est reçu dans la jurisprudence


majoritaire comme l’unique rapport d’équivalence. Mais cette exclu­
sivité, pour être acceptable, doit être compensée par une application
rigoureuse. Il ne s’agit pas ici de revenir sur le degré de gravité du
préjudice qui a été fixé, dans le principe, à un niveau très élevé par

859 S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage…, op. cit., note 1, p. 477.

291
les tribunaux. Par contre, il convient d’examiner dans une vision
plus globale l’étendue du préjudice. La gravité du préjudice se limite
à évaluer les effets handicapants d’une mesure étatique, tandis que
l’étendue du préjudice permet de s’assurer que c’est l’ensemble de
l’investissement qui a été compromis. En effet, un préjudice peut
être grave, mais être handicapant sur une portion de l’investisse­
ment ; tandis qu’un préjudice peut concerner toutes les composantes
de l’investissement, sans pour autant être suffisamment grave pour
compromettre ce dernier. Il s’agit donc de deux éléments qui doivent
être vérifiés cumulativement.
L’admission du préjudice partiel comme élément constitutif d’une
expropriation indirecte est critiquable à plusieurs points de vue.
Dans l’expropriation directe, qui est la catégorie de référence du
rapport d’équivalence, l’investissement est formellement retiré à
son propriétaire. Par équivalence, dans une expropriation indirecte,
l’investisseur doit se retrouver dans une situation similaire à celle où
il ne détiendrait plus son droit de propriété. L’expropriation directe
comme indirecte est nécessairement le résultat d’une dépossession,
au sens premier du terme ; c’est-à-dire une perte totale d’un bien.
Comment une telle situation peut-elle exister, si l’investissement n’est
pas complètement détruit (mesure verticale type) ou rendu écono­
miquement inutile (mesure horizontale type) ? En outre, admettre
l’existence d’expropriation partielle au sens d’une atteinte partielle
est contraire à l’encadrement efficace des mesures horizontales dont
les effets sont déjà collatéraux. En effet, il est difficile de concevoir
en quoi une atteinte partielle peut équivaloir à une dépossession for­
melle, c’est-à-dire à un retrait pur et simple du titre de propriété. Si
l’investisseur détient encore une partie de ses droits lui rapportant
encore des revenus, il ne peut être objectivement affirmé qu’il a été
dépossédé indirectement de son investissement ou que ce dernier
est anéanti. Pour être excessive, une atteinte doit être totale au sens
que l’investisseur n’a plus aucun intérêt, même réduit, à détenir son
investissement. Cette analyse ne trouve pas application en cas d’une
expropriation directe.860
Toutefois, la rigueur de cette conclusion ne doit pas conduire à
une rigidité aveugle qui occulterait certaines réalités. En effet, un
préjudice bien que global peut avoir eu pour point de départ un pré­
judice à une seule composante de l’investissement.

B. L’admission du préjudice global via


une composante essentielle de l’investissement

Lorsque les composantes économiques ou les instruments juri­


diques à la base d’un investissement sont fortement interdépen­

860 Par exemple, un Etat qui décide de nationaliser 55 % des parts sociales d’une
entreprise étrangère est bien une expropriation directe de ces parts sociales.

292
dants, il est possible que la remise en cause d’un seul élément soit
dramatique pour l’ensemble. En fonction donc de la structure légale
ou opérationnelle de l’investissement, l’anéantissement de certains
éléments d’un investissement peut être irréversible pour l’ensemble.
Le préjudice porté à une composante plutôt qu’à une autre n’aura
donc pas toujours les mêmes conséquences. Les investissements dont
les différentes composantes sont très intégrées sont par conséquent
particulièrement sensibles à toute atteinte partielle. C’est sur ces der­
niers que le préjudice partiel peut conduire à la dévalorisation totale
de l’investissement.
Lorsque le préjudice résultant de la mesure étatique, verticale
comme horizontale, concerne d’abord une seule composante, l’ar­
bitre se doit de regarder le résultat sur l’ensemble de l’investisse­
ment. En ce sens, dans l’affaire Waste Management II c. Mexique exa­
minée précédemment, la distinction opérée entre l’expropriation de
l’investissement comme un tout et l’expropriation de droits contrac­
tuels est regrettable, même si aucune expropriation indirecte ne
fut qualifiée en raison de l’inexistence d’une mesure éligible. Les
droits contractuels de l’investisseur sont en effet indissociables de
son investissement. En rappel, des biens ou des droits ne constituent
pas en eux-mêmes des investissements au sens juridique du terme.
Ils doivent être utilisés de manière dynamique en vue de la produc­
tion d’autres biens, conformément aux trois critères objectifs déga­
gés par les tribunaux : apport, durée et risque. Par conséquent, c’est
seulement dans le cadre d’un investissement qu’ils sont protégés par
les TBI et qu’ils peuvent donc faire l’objet d’une expropriation. Il
ne suffit pas que l’investissement regroupe diverses activités. Il faut
aussi qu’elles soient complètement dépendantes les unes des autres,
de sorte que la destruction d’une seule composante de l’investisse­
ment rende la détention de l’ensemble inutile. Dans ce cas, le pré­
judice, initialement partiel, aura entraîné une privation totale de
l’investissement.
Quelques sentences peuvent être citées à l’appui de cette approche
en deux temps des atteintes partielles. La sentence Feldman c. Mexique
montre l’exemple le plus explicite. L’investisseur invoquait une
expropriation indirecte de son investissement par le biais du retrait
d’un régime fiscal favorable par l’État mexicain. Le tribunal n’a pas
suivi le raisonnement de M. Feldman, principalement parce que ce
dernier continuait à effectuer des activités auxiliaires rentables861.
En effet, ce qui avait été compromis dans son activité était l’achat et
l’exportation de cigarettes mexicaines. On peut donc considérer que
cette activité avait été substantiellement compromise. Or, il expor­
tait aussi d’autres produits tels que des boissons alcoolisées et du
matériel photographique. Ces activités n’avaient pas été lésées par

861 Feldman c. Mexique, op. cit., note 34, § 152.

293
la modification du régime fiscal sur les exportations de cigarettes,
et l’investisseur continuait d’en tirer de beaux profits. En quelque
sorte, si l’investisseur se voit interdire l’usage de son bien dans un
domaine donné, il se peut encore qu’il puisse en faire usage dans
d’autres domaines. L’interdiction de l’une de ces activités ne peut
suffire à conclure que son investissement est devenu économique­
ment inutile. Il en va différemment d’autres situations comme celle
qui s’est posée dans l’affaire Metalclad c. Mexique. Dans cette affaire,
le refus de délivrance d’un permis d’exploitation, puis l’édiction
d’un arrêté écologique n’avaient laissé aucune autre perspective
d’exploitation et de profit à une usine de traitement de déchets
dangereux construite et équipée pour cette activité spécifique. Éga­
lement dans la sentence SD Myers c. Canada 862, même si le tribunal
ne l’a pas formulé ainsi, il est possible de dire que le préjudice a
d’abord été partiel (sur la capacité d’exportation), mais s’est avéré
totale parce qu’il s’agissait d’une activité au cœur de l’investissement
qui en déterminait l’existence. Toutefois, si la condition de l’étendue
était remplie dans cette affaire, celle de la gravité n’a pas été vérifiée
étant donné que l’investissement pouvait continuer à exporter une
quantité réduite de ses produits et que la fermeture n’a été que tem­
poraire et sans effets irréversibles.
En résumé, bien que partant d’une atteinte qui est partielle, la
dépossession devra toujours être totale à l’arrivée. Il n’existe pas
de contradiction entre requérir une dépossession totale et considé­
rer des effets qui se manifestent en premier lieu sur une partie de
l’investissement. Il n’y a en définitive qu’une différence chronolo­
gique, mais pas une différence de nature. C’est pourquoi le préju­
dice d’une seule composante de l’investissement ne pourra conduire
à une expropriation que parce qu’il en a résulté un préjudice total.
Par conséquent, un investisseur ne devrait jamais pouvoir subdiviser
les droits et les biens qu’il détient dans le cadre d’un investissement
en plusieurs lots protégés afin de se focaliser sur le préjudice causé
à l’un d’entre eux par une mesure étatique. Si l’activité compromise
constitue l’intégralité de l’investissement, il y aura préjudice subs­
tantiel dès lors que l’atteinte est grave. Par contre, si elle ne consti­
tue qu’une composante de l’investissement, il faudra s’assurer que
l’atteinte est à la fois grave et totale.
Une dernière remarque doit être faite avant de terminer avec l’ana­
lyse des atteintes partielles dans le processus qualification de l’ex­
propriation indirecte. Les considérations d’intérêts publics de l’État
hôte n’ont pas fait l’objet de développements importants ici. En effet,
ce premier paramètre du critère de l’effet redéployé se prête peu à
de telles considérations. Cela s’explique essentiellement par le fait
que, bien qu’il soit souvent occulté par les tribunaux, ce paramètre

862 SD Myers c. Canada, op. cit., note 269, § 183.

294
fait déjà partie de la conception classique du critère du seul effet ;
conception qui, en l’état, est justement inapte à prendre en compte
d’autres considérations en dehors des intérêts de l’investisseur. La
prise en compte du préjudice global n’en demeure pas moins fonda­
mentale. En effet, la répudiation des atteintes partielles sans effets
privatifs sur l’ensemble de l’investissement permet déjà d’écarter un
grand nombre de requêtes inappropriées. Comme les mesures hori­
zontales ne visent pas directement l’investissement, leurs préjudices
ne se font que très rarement sentir directement sur toutes les com­
posantes de l’investissement. Aussi, est-il important de s’assurer que
le préjudice est véritablement total lorsqu’une seule composante a
subi les répercussions collatérales de la mesure étatique horizontale.
Quoi qu’il en soit, aussi bien pour les mesures verticales que les
mesures horizontales, l’application rigoureuse de l’exigence d’un
préjudice substantiel est un atout pour la clarté du processus de qua­
lification. Pour les mêmes raisons, la rigueur devra être de mise dans
l’appréciation de la gravité du préjudice.

Section 2 – La gravité du préjudice : le droit d’user


de l’investissement comme seule prérogative protégée

Une fois que l’étendue du préjudice a été établie et qu’elle


concerne l’investissement dans son ensemble, il faut encore savoir si
le préjudice a atteint la gravité requise. Sur ce point, les tribunaux se
contentent généralement de poser que le préjudice doit être exces­
sif, extrême ou sérieux. Ils usent ensuite de facteurs de vérifications
adaptés aux seules mesures verticales pour apprécier le préjudice
induit par toute mesure étatique. En réalité, pour évaluer la gravité
du préjudice causé par une mesure horizontale, il faut se pencher
sur les prérogatives juridiques rattachées à la propriété d’un inves­
tissement afin de déterminer si le noyau patrimonial a été complè­
tement détruit. En effet, toutes les prérogatives détenues par l’inves­
tisseur ne sont pas primordiales. Certaines peuvent disparaître sans
que l’investissement lui-même disparaisse. Donc, selon la préroga­
tive qui sera anéantie par la mesure horizontale, les conséquences
seront bien différentes pour la qualification.
Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de réduire au préalable
le champ d’investigation des prérogatives fondamentales proté­
gées, pour se limiter à celles qui découlent du droit de propriété. En
d’autres termes, il faut marquer un coup d’arrêt à l’ingérence des
« attentes légitimes » de l’investisseur dans le processus de qualifica­
tion de l’expropriation indirecte (§ 1). C’est seulement alors que la
prérogative fondamentale qui cristallise l’intérêt de détenir l’inves­
tissement et dont la destruction est fatale à la poursuite de l’activité,
se révélera être le droit d’user (§ 2).

295
§ 1 – L’exclusion des attentes légitimes sur l’investissement

Certains TBI récents font référence aux attentes légitimes ou rai­


sonnables (legitimate expectations) sur l’investissement comme
paramètre devant guider l’arbitre dans la qualification d’une expro­
priation indirecte863. Dans la pratique, plusieurs tribunaux ont
recours à ce paramètre pour évaluer la gravité du préjudice subi (A).
Toutefois, l’intrusion de ces attentes légitimes dans le contentieux
de l’expropriation indirecte est à déplorer. Ces attentes, dites légi­
times ou raisonnables, même si elles peuvent trouver application
dans l’examen de certains standards de traitement, ne relèvent pas
du régime de l’expropriation (B).

A. La patrimonialisation des attentes légitimes


dans le contentieux de l’expropriation indirecte

La prise en compte des attentes légitimes de l’investisseur comme


un élément protégé par les dispositions des TBI s’est développée
dans le contentieux du traitement juste et équitable avant de trouver
un écho favorable dans celui de l’expropriation indirecte. C’est donc
dans l’évaluation d’un standard de traitement de l’investissement
privé étranger que le concept a relativement été clarifié. Néanmoins,
la définition précise des attentes légitimes demeure problématique,
particulièrement lorsqu’elles entrent en jeu dans le processus de
qualification d’une expropriation indirecte.

Du contentieux du traitement juste et


équitable à celui de l’expropriation indirecte
Dans plusieurs affaires récentes, les attentes légitimes de l’investis­
seur ont été discutées dans le cadre du traitement juste et équitable,
standard dans lequel elles sont devenues une composante impor­
tante pour les tribunaux. Parce que la définition des attentes légi­
times de l’investisseur s’est développée d’abord dans le cadre de ce
standard, il convient de partir de ce contexte, avant d’en saisir le sens
spécifique dans le contentieux de l’expropriation indirecte.

•  La définition des attentes légitimes


La définition qui fut donnée aux attentes légitimes d’un investis­
seur dans la sentence Thunderbird c. Mexique résume bien l’interpré­
tation adoptée par plusieurs tribunaux. En se fondant sur le principe
de la bonne foi en droit international, le tribunal a établi que « the
concept of “legitimate expectations” relates, within the context of the NAFTA
framework, to a situation where a Contracting Party’s conduct creates reaso-
nable and justifiable expectations on the part of an investor (or investment)

863 C’est le cas notamment des derniers TBI ou ALE signés par les États-Unis ou le
Canada.

296
to act in reliance on said conduct, such that a failure by the NAFTA Party
to honor those expectations could cause the investor (or investment) to suffer
damages »864. Concrètement, l’anéantissement des attentes légitimes
peut résulter d’un « complete lack of transparency and candor in adminis-
trative process », comme ce fut affirmé dans l’affaire Waste Management
II c. Mexique 865, ou encore, même si l’hypothèse ne fut pas vérifiée
dans le cas d’espèce, d’une « arbitrary repudiation of a preexisting licen-
sing regime upon which a foreign investor has demonstrably relied », dans
GAMI Investment c. Mexique 866.
La violation d’attentes légitimes ou raisonnables fut reconnue
dans plusieurs sentences867, et rejetée dans d’autres868. Mais indépen­
damment de la conclusion finale, le fait est que la notion d’attentes
légitimes est généralement considérée comme un paramètre impor­
tant pour l’évaluation du traitement juste et équitable. Dans l’affaire
MTD c. Chili par exemple, l’État avait approuvé un projet immobilier
en laissant ainsi croire à l’investisseur que son projet était conforme
aux prescriptions de la règlementation nationale. Le gouvernement
avait ensuite refusé de délivrer les permis nécessaires au motif que
le projet contrevenait à la loi d’urbanisme. Partant du constat que
« approval of a project in a location would give prima facie to an investor the
expectation that the project is feasible in that location from a regulatory point
of view »869, le tribunal a conclu que « approval of an investment (…) for
a project that is against the urban policy of the Government is a breach of the
obligation to treat an investor fairly and equitably »870. Dans la sentence
Tecmed c. Mexique, le tribunal a défini le traitement juste et équitable
prévu dans les TBI comme exigeant de l’État d’accueil un traitement
« that does not affect the basis expectations that were taken into account by
the foreign investor to make the investment »871. Le refus de renouvelle­
ment d’un permis de construire sur lequel l’investisseur avait, selon
le tribunal, une attente légitime et raisonnable fut qualifié de traite­
ment injuste et inéquitable. En somme, pour les tribunaux, chaque
investisseur attend légitimement de l’État d’accueil qu’il agisse de
manière cohérente, transparente et sans ambigüité afin de pouvoir
connaître et anticiper les règlementations qui régissent son acti­
vité. De même, l’investisseur s’attend à ce que l’État n’agisse pas de
manière arbitraire par rapport aux droits qui lui ont été conférés

864 Thunderbird Gaming c. Mexique, sentence CNUDCI du 26 janvier 2006, § 147.


Voir aussi les exemples d’attentes non légitimes donnés par le tribunal au § 155.
865 Waste Management c. Mexique, op. cit., note 99, § 98.
866 Thunderbird Gaming Investment c. Mexique, op. cit., note 864, § 91.
867 Voir par exemple, Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, ; MTD Equity c. Chili, op. cit.
note 380.
868 Tel fut le cas dans Waste Management II c. Mexique, op. cit. note 99 ; Thunderbird
Gaming c. Mexique, op. cit., note 864.
869 MTD c. Mexique, op. cit., note 380, § 163.
870 Ibidem, § 166.
871 Ibid, § 154.

297
préalablement. Il faut noter toutefois que cette approche du traite­
ment juste et équitable va au-delà de la conception traditionnelle
élaborée dans la fameuse sentence arbitrale Neers rendue en 1926
par une commission mixte d’arbitrage entre les États-Unis et le
Mexique. À cette époque, pour qu’un traitement accordé par un État
soit considéré comme injuste et inéquitable, il devait correspondre
à « an outrage, to bad faith, to wilful neglect of duty, or to an insufficiency
of governmental action so far short of international standard that every rea-
sonnable and impartial man would readily recognize its insufficiency »872.
Le niveau exigé pour violer ce standard était donc plus élevé. Mais
l’interprétation récente des tribunaux abaisse de plus en plus ce
niveau de sorte qu’un plus grand nombre de comportements éta­
tiques peuvent violer ce standard. Le contenu du traitement juste et
équitable est en ce sens également controversé.
Quoi qu’il en soit, le succès grandissant du concept d’attentes légi­
times est tel que ce dernier pourrait devenir un concept autonome et
distinct du traitement juste et équitable. Telle est la thèse défendue
récemment par quelques auteurs. Dans son opinion dissidente ren­
due dans l’affaire Thunderbird Gaming c. Mexique, T. Wälde, a estimé
que le principe des attentes légitimes tend à devenir « a self-standing
subcategory and independent basis for a claim under the « fair and equitable
standard » as under Art. 1105 of the NAFTA »873. Dans le même sens,
mais sur un autre fondement juridique, E. Snodgrass défend la posi­
tion selon laquelle le respect des attentes légitimes ou raisonnables
de l’investisseur est une obligation autonome pouvant servir de
fondement à une requête d’arbitrage. Pour sa part, cette obligation
relève d’un principe général de droit international874. Ainsi, pour
un nombre croissant d’auteurs, la protection des attentes légitimes
serait devenue une règle à la fois comprise dans l’obligation de trai­
tement juste et équitable et distincte de cette dernière. Cette émanci­
pation est critiquable. Comme le notait à juste titre A. Newcombe, la
notion des attentes légitimes ou raisonnables de l’investisseur « is not
a self-referentiel concept. The difficulty with the concept of legitimate expec-
tations is its circularity »875. L’émancipation du concept est également
encouragée par les investisseurs qui n’hésitent pas à l’invoquer dans
le cadre d’autres clauses des TBI telles que celle du respect des enga­
gements contractuels (la clause parapluie couvrirait ainsi les attentes

872 L. F. H. Neer and Pauline Neer (U.S.A.) v. United Mexican States, General Claim
Commission (United States-Mexico), Recueil des Sentences Arbitrales, 1926, vol. 4,
pp.61-62.
873 Thunderbird Gaming c. Mexique, op. cit., note 864, opinion dissidente de T.
WÄLDE, § 37.
874 E. SNODGRASS, op. cit., note 543, p. 2.
875 A. NEWCOMBE, « The Boundaries… », op. cit., note 38, p. 441.

298
légitimes)876, ou dans le cadre de la définition de l’investissement (les
attentes légitimes seraient des investissements protégés de manière
autonome)877. Heureusement, ces dérives ne semblent pas avoir eu
jusqu’à présent un écho favorable devant les tribunaux. Mais il en va
autrement de l’immixtion des attentes légitimes dans le contentieux
de l’expropriation indirecte.

•  La transposition dans le cadre de l’expropriation indirecte


Les attentes légitimes de l’investisseur jouent un rôle de plus en
plus important dans l’analyse de l’expropriation indirecte devant
certains tribunaux. Plusieurs sentences arbitrales récentes, essentiel­
lement celles rendues sur le fondement de l’ALENA, introduisent
presque systématiquement les atteintes légitimes ou raisonnables
fondées sur l’investissement comme relevant de la protection offerte
par la clause d’expropriation, au même titre que l’investissement lui-
même. Déjà, dans l’affaire Metalclad c. Mexique, le tribunal avait inclus
dans sa définition de l’expropriation indirecte, les « reasonnably-to-
be-expected economic benefit » de l’investissement878. Dans cette affaire,
l’investisseur s’était fondé sur les assurances de l’État mexicain qu’il
détenait les permis nécessaires et qu’il pouvait démarrer les travaux
de construction d’une usine de traitement de déchets dangereux.
Finalement, un permis supplémentaire municipal fut exigé par la
ville où se construisait l’usine sans jamais être délivré, et les tra­
vaux furent stoppés par un décret écologique. Dans l’affaire Tecmed
c. Mexique, les attentes légitimes ont guidé également la recherche du
rapport de proportionnalité entre le but d’intérêt public poursuivi
par la mesure et la dépossession subie par l’investisseur. En effet, le
tribunal a estimé qu’il devait déterminer « whether such measures are
reasonable with the respect to their goals, the deprivation of economics rights
and the legitimate expectations of who suffered such deprivation »879. Les
attentes légitimes de la société exploitant l’usine de traitement de
déchets dangereux se résumaient à ce que son permis d’exploitation
soit renouvelé et qu’il puisse continuer ses activités jusqu’à la reloca­
tion de l’usine dans un nouveau site choisi de commun accord avec
les autorités mexicaines880. Ledit permis fut en définitive annulé sur
la base de considérations environnementales.

876 Voir les arguments avancés par l’investisseur dans l’affaire MTD Equity c. Mexique,
op. cit., note 380. Ce dernier estimait en effet que la frustration de ses attentes
légitimes dans le cadre d’un contrat d’investissement, indépendamment d’une
violation de ses droits contractuels, constituait une violation du traité par l’effet
de la clause parapluie. Le tribunal n’a pas trouvé de violation contractuelle,
mais il n’a pas rejeté clairement l’idée que les attentes légitimes de l’investisseur
puissent faire partie des engagements de l’État.
877 Negel c. République tchèque, sentence finale de 2003, SCC case 49/2002.
878 Metalclad c. Mexique, op. cit., note 56, § 103.
879 Tecmed c. Mexique, op. cit., note 121, § 122.
880 Ibidem, § 141, § 150 et § 160.

299
La patrimonialisation des attentes légitimes aux fins de les rendre
susceptibles d’expropriation en soi est également défendue par
une part grandissante de la doctrine. On fait parfois remonter à
F. I. Michelman881, l’usage du terme « Investment-backed expecta­
tion » tel qu’il est utilisé dans le contentieux arbitral de l’expropria­
tion. Depuis, certains auteurs882 ont défendu la pertinence du concept
dans ce cadre. C’est ainsi qu’il a été affirmé que « the disappointment of
legitimate investor’s expectations by host states may play a crucial factor not
only with regard to the fair and equitable treatment standard, but also in the
determination of whether an expropriation has taken place »883. De même,
pour J. Paulsson et Z. Douglas, « the prohibition against indirect expro-
priation should be protect legitimate expectations of the investor based on spe-
cific undertakings or representations by the host State upon which the investor
has reasonably relied »884. Dans le même sens, R. Dolzer et S. Schreuer
estiment que « legitimate expectations play a key role in the interpretation
of the fair and equitable treatment standard. But they have also found entry
into the law governing indirect expropriations »885. Certains auteurs vont
plus loin et proposent d’utiliser ce concept comme solution en rem­
placement de la doctrine du seul effet. Il a ainsi été défendu que
« the « legitimate expectations » criterion is of capital importance if indirect
expropriation is not judged on the basis of sole effect doctrine »886. Ici, la pro­
tection des attentes légitimes deviendrait alors un garde-fou pour
s’assurer que l’investisseur pouvait légitimement s’attendre à ce que
son investissement ne subisse pas certains préjudices.
La patrimonialisation des attentes légitimes semble donc gagner
l’approbation d’un grand nombre de spécialistes. Cependant, une
question fondamentale se pose. Si l’on peut s’accorder sur le l’uti­
lité de ce principe dans l’arbitrage investisseur-État, encore faut-il
s’assurer que n’importe quel espoir ou anticipation sur un investis­
sement ne pourra pas s’ériger en attente légitime protégée. Afin de
répondre aux critiques faites à cette notion aux contours incertains
et proches des perceptions subjectives que l’investisseur peut se faire
de sa situation, des critères ont été proposés pour sa rationalisation.

881 F. I. MICHELMAN, op. cit., note 688, p. 90.


882 Voir également T. WÄLDE, A. KOLO, op. cit., note 39, pp. 819-827.
883 A. REINISCH, op. cit., note 373, p. 448. L’auteur cite à l’appui de son affirmation
plusieurs sentences : Kuwait c. Aminoil, sentence finale du 24 mars 1982, ILM,
1982, vol. 21, p. 1034 et s. ; INA corp c. Iran, Iran-US CTR, 1985, vol. 8, p. 385 et s.
884 J. PAULSSON, Z. DOUGLAS, op. cit., note 168, p. 157.
885 R. DOLZER, Ch. H. SCHREUER, op. cit., note 8, p. 104.
886 C.  YANNACA-SMALL, « Indirect expropriation… », op. cit., note 594, p. 164.
Voir aussi E. SNODGRASS, op. cit., note 543, p. 54. L’auteur voit dans la notion
des attentes légitimes, la solution au problème « endémique » de la définition des
pouvoirs de police non indemnisables.

300
Les tentatives de rationalisation
dans le contentieux de l’expropriation indirecte
Le tribunal dans l’affaire Sempra c. Argentine, qui a accueilli favora­
blement les attentes légitimes dans son analyse, s’est voulu rassurant
en affirmant que ce critère, même important, ne devait pas rendre
le test du traitement juste et équitable moins rigoureux887. Afin de
distinguer ce qui est raisonnable et légitime, les thèses favorables à la
patrimonialisation des attentes légitimes posent quelques jalons qui
sont censés limiter une trop grande extension du concept. Ainsi, la
protection des attentes légitimes n’équivaut pas à l’intangibilité des
lois de l’État hôte. En même temps, aucune attente légitime ne peut
prendre naissance dans un contexte économique général instable
qui ne s’y prête guère. Enfin, toute attente légitime doit résulter de
ce qui a été promis ou accordé spécifiquement à un investisseur qui
s’en est prévalu de bonne foi.

•  La distinction entre attentes légitimes


et intangibilité du cadre légal de l’État hôte
Il est légitime de se demander si la protection des « attentes légi­
times », surtout lorsqu’elle se fonde sur l’existence d’un cadre légal
particulier, n’est pas une manière détournée de réintroduire en
dehors de toute relation contractuelle, l’effet controversé des clauses
de stabilisation ou de gel de la législation nationale. En effet, le cadre
légal existant dans un État au moment de l’entrée de l’investissement
peut constituer lui-même, une importante source d’espérances pour
l’investisseur. Le tribunal dans l’affaire CMS c. Argentine, a tenté
d’écarter cette suspicion, en considérant qu’il n’était pas question
de savoir si « the legal framework might need to be frozen (…), but neither is
it question of whether the framework can be dispensed with altogether when
specific commitments to the contrary have been made »888. Dans le même
sens, le tribunal dans l’affaire MTD c. Chili a rappelé que « an investor
does not have a right to a modification of the laws of the host country »889,
ou encore qu’« un cadre légal est par définition sujet à modification
pour s’adapter aux nouvelles circonstances jour après jour (…) »890.

887 Sempra c. Argentine, op. cit., note 3, § 288.


888 CMS c. Argentine, op. cit., note 113, § 277.
889 MTD c. Chili, op. cit., note 380, § 214. Dans cette affaire, l’investisseur
prétendait qu’il revenait à l’État de modifier sa réglementation afin de rendre
juridiquement conforme son investissement qui avait été admis en violation
de la règlementation en cours. Même si l’attitude du Chili, qui avait admis un
investissement en violation de ses propres lois, a été jugée injuste et inéquitable,
le tribunal a clairement rappelé que le Chili ne pouvait être obligé envers un
investisseur de modifier ou de maintenir une loi.
890 AES Summit Generation c. Hungrie (ARB/07/22), sentence CIRDI du 23 septem­
bre 2010. Dans cette affaire, l’État avait réintroduit une fourchette des prix
pour la vente de l’éléctricité, après avoir privatisé le service de fourniture en
électricité et s’être engagé à ne plus réglementer le prix de vente. En effet, les

301
Mais l’une des objections les plus fermes a été faite par le tribunal
dans l’affaire Saluka c. République tchèque :

« No investor may reasonably expect that the circumstances prevailing at the time
the investment is made remain totally unchanged. In order to determine whether
frustration of the foreign investor’s expectations was justified and reasonable, the
host State’s legitimate right subsequently to regulate domestic matters in the public
interest must be taken into consideration as well. » 891.

Ainsi, les attentes légitimes ne signifient pas l’intangibilité des lois


d’un État, car aucun investisseur ne peut légitimement s’attendre à
ce qu’une loi ne change jamais. Les attentes légitimes ne procèdent
donc pas de la même logique qu’une clause de stabilisation. Toute­
fois, il est possible d’envisager des attentes légitimes se greffant sur
une clause de stabilisation.

•  L’exigence d’un contexte


favorable à l’émergence des attentes légitimes
Les attentes légitimes et raisonnables ne peuvent prendre corps
dans un secteur d’activité hautement réglementé ou présentant un
risque élevé de modifications fréquentes. Par exemple, dans l’affaire
Methanex c. États-Unis, le tribunal a rejeté la légitimité des attentes
de l’investisseur parce que ce dernier avait investi en connaissance
de cause dans un domaine hautement sensible et soumis à une sur­
veillance étroite dans l’État de Californie. Le tribunal n’avait pas
manqué de souligner que l’édiction de nouvelles règlementations
environnementales était hautement prévisible. En outre, il a estimé
que l’investisseur « did not enter the United State market because of special
representations made to it »892. Par conséquent, il pouvait prévoir que
la règlementation de l’État devienne plus restrictive. Dans l’affaire
Feldman c. Mexique, des attentes légitimes étaient également au cœur
du litige. M. Feldman avait bénéficié, comme d’autres exportateurs,
d’une politique d’abaissement des taxes dans le secteur des ciga­
rettes. Mais le Mexique a fini par mettre fin à ce régime favorable.
Cependant, le Tribunal a refusé d’y voir une violation du TBI en se
fondant, entre autres, sur le fait que l’investisseur n’avait jamais eu
d’assurances quelconques de la part du Mexique que le régime per­
durerait et ne serait pas modifié. Il s’était donc implanté à ses risques
et périls et n’avait aucun droit, dans ces conditions, à un statu quo
du régime initial893. Le tribunal dans la sentence Generation Ukraine

prix avaient augementé au point de créer des manifestations de consomma­


teurs, alors que le gouvernement considérait que l’investisseur faisait des profits
« excessifs ».
891 Saluka c. République Tchèque, op. cit., note 193, § 305.
892 Methanex c. Etats-Unis, op. cit., note 112, Partie IV, chapitre D, § 10.
893 Feldman c. Mexique, op. cit., note 34, § 111.

302
c. Ukraine a également exigé l’existence d’un environnement stable
et favorable à l’investissement pour l’émergence d’attentes légitimes
et raisonnables. L’investisseur était ici informé de la fragilité du sys­
tème financier et bancaire de l’Ukraine, qui était alors en pleine
transition vers une économie de marché. Le tribunal ayant d’abord
examiné « the vicissitude of the economy of the state (…) in determining the
investor’s legitimate expectations »894, il a conclu que le requérant avait
pris le risque d’investir dans un environnement très instable dans
lequel des frustrations et des retards dans les formalités administra­
tives étaient courants.
En dehors des sentences arbitrales, des auteurs tels que R. Dolzer
proposent de prendre en compte trois paramètres pour évaluer la
légitimité d’une attente pouvant être expropriée : la situation légale
initiale dans laquelle l’investisseur a choisi d’investir ; les perspec­
tives de profits attendus de l’investissement, et le contexte temporel
en ce sens que ce qui est légitime à un moment peut ne plus l’être
à un autre en raison de nouvelles conditions économiques et de la
modification des priorités sociales895. Tous ces paramètres sont fonc­
tion en définitive du contexte économique et juridique dans lequel
s’implante l’investisseur.
En somme, un investisseur qui investit dans un « traditionally foreign
investment-friendly State »896 serait plus en droit d’avoir des attentes
légitimes que celui qui s’installe dans un environnement risqué, hos­
tile ou incertain. Toutefois, même dans un contexte très favorable,
il faut également que l’investisseur puisse se prévaloir d’assurances
spécifiques préalables de l’État hôte.

•  L’existence d’un engagement


spécifique envers un investisseur de bonne foi
Les attentes de l’investisseur, pour être légitimes et raisonnables,
doivent être de bonne foi et reposer sur une conduite adoptée spé­
cifiquement à son égard. Tels sont les deux principaux éléments
récemment proposés897 pour mieux délimiter les attentes légitimes.
E. Snodgrass, après examen du droit public interne de certains

894 Generation Ukraine c. Ukraine, op. cit., note 264, § 20. 37.
895 R. DOLZER, « Indirect expropriation : News developments », op. cit., note 103,
pp. 78-79. Voir dans le même sens, L. Y. FORTIER, L. S. DRYMER, op. cit., note
286, p. 306.
896 Expression de L. Y. FORTIER, L. S. DRYMER, Ibidem.
897 L’auteur avance également un autre critère qui n’est pas propre à la définition
des attentes légitimes de l’investisseur. La raison ayant amené le gouvernement
à anéantir les attentes de l’investisseur doit être plus important que le préjudice
subi par l’investisseur. Dans le cas où l’intérêt poursuivit par l’État à plus de
poids que celui de l’investisseur à voir les assurances exécutées, les attentes de
ce dernier ne seraient plus légitimes, et ne seraient donc plus protégées. Voir
E. SNODGRASS, op. cit., note 543, p. 48.

303
droits nationaux représentatifs898, est arrivé à extraire, au titre d’un
principe général de droit international, quelques critères de qua­
lification. Pour elle, « any individual who, as a result of governmental
conduct, holds certain expectations concerning future governmental activity,
can require those expectations to be fulfilled unless there are compelling rea-
sons for not doing so »899.
Concrètement, la conduite gouvernementale à la source des
attentes légitimes doit d’abord être identifiable, être ensuite spéci­
fique et enfin exempte d’ambiguïté. Toutefois, elle ne doit pas néces­
sairement revêtir une forme particulière. La conduite peut donc
prendre la forme de déclarations orales, des promesses, d’informa­
tions générales dans des documents administratifs, ou même d’actes
implicites. Par conséquent, la simple existence d’une règlementation
générale préexistante ne peut suffire à faire naître des attentes légi­
times, car elle ne crée pas spécifiquement de bénéfice à l’adresse de
l’investisseur. Seuls les actes individuels sont concernés900. En outre,
l’attente doit être raisonnable, à la fois objectivement et subjective­
ment, en référence à la perception qu’une personne diligente et pru­
dente peut se faire de sa situation901. Enfin, l’investisseur doit avoir
agi de bonne foi ; ce qui exclut les avantages ou les garanties obtenus
par la fraude, la contrainte ou la corruption. Tel serait le cas égale­
ment d’une personne qui sait qu’elle ne répond pas aux conditions
de l’octroi d’un avantage qui lui a été néanmoins accordé, ou s’il
est clairement prévu que l’avantage peut être retiré discrétionnaire­
ment.
C’est probablement dans l’optique de ces deux critères qu’il faut
lire les conclusions du tribunal dans l’affaire Maffezini c. Espagne.
En effet, les arbitres ont refusé de prendre en compte les erreurs
statistiques fournies par un organisme public espagnol à l’investis­
seur argentin qui s’était fondé sur ces données pour élaborer son
plan d’affaires et implanter son activité dans ce pays. Le tribunal a
en effet décidé que le rapport, malgré ces erreurs et le manque de
rigueur, ne pouvait engager la responsabilité de l’État. C’est de cette
analyse que provient la citation selon laquelle « bilateral investment
treaties are not insurances policies against bad business judgments »902. Mais
il est possible d’analyser aussi cette sentence comme une sanction
de la mauvaise foi de l’investisseur qui était tenu à un minimum de
prudence et de professionnalisme afin de vérifier les données du
rapport. En outre, le rapport n’avait pas été spécifiquement élaboré

898 Ibidem, pp. 25-30. L’auteur a effectué ses recherches dans la common law, le
droit civil, socialiste, islamique et japonais, à travers quelques droits nationaux
représentatifs.
899 Ibid, p. 31, citations omises.
900 Ibid., pp. 32-36.
901 Ibid, p. 41.
902 Ibid.

304
à son intention. Il était seulement mis à la disposition des investis­
seurs potentiels afin de les inciter à investir dans le pays.
Au regard de ces éléments, et dans la mesure où ils sont appliqués
avec cohérence, on peut espérer que les tribunaux utiliseront avec
parcimonie le concept d’attentes légitimes dans le contentieux de
l’investissement international. Toutefois, ces critères ne sont pas tous
reconnus et appliqués par l’ensemble des tribunaux. Cela dit, les
attentes légitimes de l’investisseur, telles qu’elles sont définies dans
la doctrine et la jurisprudence, sont-elles véritablement appropriées
au cadre juridique de l’expropriation indirecte ? La définition pré­
cise de ce concept ne convient-elle pas et ne sert-elle pas uniquement
l’appréciation du standard de traitement juste et équitable ?

B. L’inapplicabilité des attentes légitimes


dans le régime de l’expropriation indirecte

Comme l’a bien résumé le tribunal dans l’affaire Azurix c. Mexique,


« the expectations (…) are not necessarily based on a contract but on assu-
rances explicit or implicit, or on representations, made by the State which the
investor took into account in making the investment »903. Il ressort dans
un premier temps de cette affirmation, une assimilation entre les
engagements étatiques contraignants, (contractuels ou unilatéraux)
et les attentes légitimes. Dans ce cas, la prise en compte de cette
catégorie d’attentes légitimes s’avère alors inutile dans le processus
de qualification de l’expropriation indirecte. Dans un second temps,
les attentes légitimes qui ne prennent pas appui sur un engagement
contraignant de l’État sont inaptes à toute patrimonialisation et sont
contraires au cadre juridique de l’expropriation.

L’inutilité des attentes légitimes


se greffant sur un engagement étatique contraignant
Les attentes légitimes, quel que soit le cadre de leur analyse, sont
souvent mises en rapport avec un engagement contraignant de l’État
d’accueil. Il peut s’agir d’un engagement contractuel ou unilatéral.
Si certains proposent que l’engagement soit spécifique et qu’il crée
un avantage au bénéfice direct de l’investisseur, il ne demeure pas
moins que l’engagement est d’abord juridiquement contraignant.
Ainsi, pour conclure à l’existence d’un traitement injuste et iné­
quitable, le tribunal ad hoc dans l’affaire Euroko c. Pologne a considéré
que les organes de la Pologne impliqués dans un processus de pri­
vatisation d’une société d’État (PZU) avaient consciemment violé
les attentes basiques de l’investisseur qui « were enshrined in the SPA,
and particularly, the first Addendum »904. En l’espèce, la Pologne devait,
conformément à l’agenda prévu par le contrat, céder le reste de ses

903 Azurix c. Mexique, op. cit., note 115, § 318.


904 Euroko B. V. c, Pologne, sentence partielle du 19 août 2005, § 232.

305
actions à l’investisseur qui deviendrait alors l’actionnaire majoritaire.
Mais l’appel d’offres ne fut jamais lancé. De ce fait, il s’agissait en l’es­
pèce d’un engagement contraignant. De même, dans l’affaire Encana
c. Équateur, le tribunal arbitral a considéré que : « [in] absence of a specific
commitment from the host State, the foreign investor has not neither the right
nor any legitimate expectations that the tax regime will not change, perhaps to
its disadvantage during the period of the investment »905. Cela signifie que
l’attente légitime ne peut résulter que d’un engagement contraignant.
On retrouve également cette approche chez certains auteurs. Pour T.
Wälde et A. Kolo, par exemple, « contractual commitment by a government
formalizes a legitimate expectation with the foreign investor. (…) A breach of
the commitment by the government undermines that legitimate expectation »906.
Les attentes se dégagent donc directement de l’engagement contrac­
tuel, en même temps qu’elles se confondent avec lui.
En pratique, cette catégorie d’attentes raisonnables et légitimes
recouvre simplement les droits conférés à l’investisseur à la suite de
véritables engagements. Le fait que ces derniers ne soient pas tou­
jours formalisés n’enlève rien à leur caractère juridiquement contrai­
gnant. Qu’il s’agisse d’un contrat d’investissement ou de l’octroi
d’un permis, l’État est tenu de respecter ce à quoi il s’est souverai­
nement obligé ; sous réserve que les termes du contrat ou les condi­
tions d’octroi du permis ne prévoient pas d’exceptions. L’investisseur
détient alors un droit à l’encontre de l’État ; droit qui, s’il est en rela­
tion avec un investissement, bénéficie de la protection du TBI appli­
cable. Par conséquent, la violation d’une obligation contractuelle,
dans la mesure où elle procède des pouvoirs exorbitants de l’État
d’accueil, ou encore le retrait d’un permis sans justifications légales
sont des mesures éligibles pouvant créer un préjudice équivalent à
une expropriation. Le fait que l’investisseur s’attende à ce que l’État
respecte son engagement n’est d’ailleurs pas propre aux contrats
d’investissements, ni même aux contrats commerciaux. Toute partie
à un contrat ne s’attend-elle pas légitimement à ce que son cocon­
tractant honore ses engagements ? Dans le cas contraire, il lui suffit
alors d’invoquer la violation d’une obligation contractuelle.
Dans ces conditions, pourquoi considérer qu’un investisseur a une
attente légitime au respect d’une garantie, quand il suffit d’établir
qu’il a le droit au respect de cette garantie ? Qu’apporte le recours
aux attentes légitimes de l’investisseur fondées sur l’existence d’un
engagement contraignant ? Il n’est pas aisé de trouver une réponse
certaine. Une première explication plausible serait que cette dichoto­

905 EnCana Corporation c. Equateur, op. cit., note 344, § 173. Cependant, le tribunal
a précisé en note de bas de page 120 de la sentence que : « even if there were such
a commitment (e.g. to a tax freeze or tax holiday), this would not convert a breach of
contract or the denial of a legitimate expectations into an expropriation. Such conduct
might violate other provisions of a BIT (…) ».
906 T. WÄLDE, A. KOLO, op. cit., note 39, p. 844.

306
mie permet d’étendre la protection des TBI au-delà des biens et des
droits impliqués dans un investissement, pour couvrir de manière
plus large les simples anticipations de rentabilité. Tout investisseur
s’attend, au regard d’un ensemble de facteurs (y compris les engage­
ments de l’État d’accueil), à ce que son investissement soit rentable,
à telle ou telle échelle et selon telle ou telle échéance. Dans cette
optique, l’attente légitime ne repose pas sur un droit spécifique, mais
sur la réalisation de profits. Il suffirait alors que cette prévision de
rentabilité soit compromise pour que l’investisseur puisse prétendre
à une indemnisation en extrapolant sur certains de ces droits. Une
telle solution, si elle était vérifiée, devrait être rejetée fermement par
les tribunaux. Cependant, au regard des derniers TBI et ALE signés
par les pays membres de l’ALENA qui prévoient une annexe expli­
cative sur la définition de l’expropriation, le recours aux attentes
légitimes pourrait s’expliquer aussi par la recherche d’un meilleur
encadrement de la clause d’expropriation. En quelque sorte, il est
demandé à l’arbitre de vérifier que l’attente dont se prévaut l’inves­
tisseur est légitime et mérite véritablement la protection du traité.
L’idée serait alors que certaines prétentions pourront alors être reje­
tées parce qu’elles ne sont pas raisonnables. Mais cette hypothèse
n’est pas vraiment convaincante. Dans la mesure où un droit protégé
existe, le fait que des attentes déraisonnables se soient greffées sur ce
dernier n’enlève ni n’ajoute pas grand-chose à la protection qui est
lui est due en vertu de la clause d’expropriation.
En définitive, faire dépendre les attentes légitimes d’un enga­
gement contraignant n’apporte rien de significatif au processus
de qualification de l’expropriation indirecte. Qu’en sera-t-il si les
attentes légitimes peuvent être déconnectées de tout engagement
contraignant pour se rattacher à de simples promesses générales et
assurances de l’État ? En effet, il est parfois affirmé que les attentes
légitimes englobent au-delà des engagements contractuels, « underta-
kings of a more general kind »907.

L’incompatibilité des attentes légitimes


déconnectées d’un engagement étatique contraignant
On a pu affirmer que « l’intérêt de protéger les attentes légitimes
réside dans la possibilité de sanctionner un comportement étatique
arbitraire, injustifiable, qui serait pourtant en apparence conforme
au droit »908. Si ce plaidoyer peut être défendu au niveau du traite­
ment juste et équitable, il ne l’est pas avec l’expropriation qui ressort
d’une autre logique. Un État peut certes prendre des mesures incita­
tives envers les investisseurs potentiels : élaboration de brochures, site
internet attrayant, campagne de séductions par des fonctionnaires à

907 R. DOLZER, Ch. H. SCHREUER, op. cit., note 8, p. 105.


908 C. CREPET-DAIGREMONT, « les normes de traitement et de protection »,
Gazette du Palais, novembre-décembre 2006, p. 3796.

307
l’étranger, etc. Ces incitations politico-économiques ne sont pas des
engagements contractuels, mais elles peuvent avoir été fondamen­
tales dans le choix final de l’investisseur. La frustration complète de
ces promesses s’apparente dans ce cas à une tromperie des autorités
gouvernementales. C’est pourquoi de tels comportements peuvent
éventuellement trouver leur place dans l’évaluation du traitement
juste et équitable.
Mais la prise en compte de ces derniers dans le processus de quali­
fication d’une expropriation indirecte serait une violation des règles
gouvernant cette notion. En effet, la patrimonialisation des attentes
légitimes de l’investisseur dans le contexte de l’expropriation fait fi
des fondements mêmes de l’expropriation en général, et de l’expro­
priation indirecte en particulier. Protéger l’investisseur au mieux et
de manière effective, tel est le rôle de la clause d’expropriation. Il n’a
jamais été question de garantir à un investisseur qu’il ne souffrira
d’aucune déception ou frustration quant aux agissements des autori­
tés locales, et les tribunaux l’ont toujours rappelé. Les droits protégés,
même s’ils sont très largement ouverts dans les TBI, ne recouvrent
jamais les espoirs et les simples possibilités de gains futurs. Même
dans la jurisprudence sur les Regulatory Taking aux États-Unis, il a
été considéré que « a mere unilateral expectation or an abstract need is not
a property interest entitled to protection »909. Pour conforter cette réalité
de premier plan, on peut appliquer un test intéressant aux attentes
légitimes considérées en tant que telles, en dehors d’un engagement
juridiquement contraignant. Dans l’affaire Amoco, le tribunal irano-
américain, à la suite de la CPA dans l’affaire des Armateurs norvégiens,
avait reconnu que la clause d’expropriation ne se limitait pas à la
protection des biens corporels, mais couvrait aussi les droits détenus
par un investisseur ; extension qui est depuis longtemps un principe
largement acquis en droit international des investissements. Le tribu­
nal a alors résumé dans une formule, les caractéristiques des droits
pouvant faire l’objet d’une expropriation : « any right which can be the
object of a commercial transaction, i.e., freely sold and bought, and thus has a
monetary value »910. Les attentes légitimes répondent-elles à ces carac­
téristiques ? La réponse est certainement négative, car il est évident
que les anticipations raisonnables d’un investisseur ne peuvent pas
faire l’objet d’une transaction économique et être transférées d’un
patrimoine à un autre. De même, comment pourrait-on évaluer la
valeur monétaire d’une attente légitime, lorsqu’il faudra calculer le
montant des indemnisations ? Bien qu’elles puissent représenter un
intérêt économique important pour un investissement, les attentes
légitimes et raisonnables ne sont pas des droits patrimoniaux. Leurs
frustrations, au mieux, pourraient faire l’objet de dommages-inté­

909 Citation de la décision Webb’ s Fabulous Pharmacies, Inc. c. Beckwith, 449 U.S. 155,
161 (1980). Cité par E. SHENKMANN, op. cit., note 553, p. 183.
910 Amoco c. Iran, op. cit., note 92, § 108.

308
rêts dans le cadre d’un traitement injuste et inéquitable. Suggérer
le contraire « would be to confuse the circumstances in which claims will lie
under the expropriation and fair and equitable provisions of modern invest-
ment treaties »911.
Plus que toute autre clause dans les TBI, l’expropriation porte sur
des droits concrets et exigibles. Si les attentes légitimes ne désignent
pas autre chose que des engagements formels spécifiques, il s’agit
alors de véritables droits et ce terme devra être préféré pour sa clarté
et sa précision. S’il s’agit d’espérances basées sur des « representa-
tions made by the State which the investor took into account in making the
investment »912, elles ne peuvent fonder une expropriation indirecte,
fussent-elles légitimes.
Les attentes légitimes et raisonnables de l’investisseur devant être
exclues des droits patrimoniaux sur l’investissement protégé par la
clause d’expropriation, il reste maintenant à déterminer la préroga­
tive juridique fondamentale qui doit avoir été gravement détruite
pour l’ensemble de l’investissement. En d’autres termes, du droit
d’user, de jouir et d’abuser de son investissement, lequel doit néces­
sairement avoir disparu pour que la détention matérielle de l’inves­
tissement n’ait plus aucune utilité économique ?

§ 2 – L’évaluation de la gravité du préjudice

Une fois les attentes légitimes de l’investisseur écartées du champ


d’investigation, il reste alors à examiner de près les trois attributs
rattachés à la propriété. Il faut noter que cette question a reçu une
attention marginale jusqu’à présent dans la doctrine et la jurispru­
dence913. Or, s’il est une formule qui revient fréquemment dans les
sentences arbitrales, toutes périodes et tous fondements conven­
tionnels compris, c’est bien la référence à la perte de l’usage et/
ou de la jouissance de l’investissement. Les mesures étatiques de
toutes sortes portent fréquemment, voire systématiquement, préju­
dice au droit de jouir et de disposer de son investissement. Mais ce
constat n’est que le résultat de contingences factuelles dépourvues
elles-mêmes d’une conséquence juridique particulière (A). Pour
les mesures horizontales, seul le préjudice au droit d’user constitue

911 S. FIETTA, « Expropriation and the “Fair and Equitable” Standard. The
Developing Role of Investor’s “Expectation” in internationals Investment
Arbitration », Journal of International Arbitration, vol. 33, 2006, n° 5, p. 399.
L’auteur admet néanmoins l’utilisation, à titre subsidiaire, des attentes légi­
times dans l’examen de l’expropriation indirecte.
912 Azurix c. Argentine, op. cit., note 115, § 318.
913 Ainsi, R. HIGGINS déclarait en 1982, être frappée par « the almost total absence
of any analysis of conceptual aspects of property » dans les discussions concernant
l’expropriation. R. HIGGINS, op. cit., note 258, p. 268. Notons également un
article plus récent qui déplore cette lacune et procède à une analyse instructive
sur la question. C. LEVESQUE, op. cit., note 203, pp. 77-84.

309
un paramètre fondamental (B). Cependant, en raison des formes
actuelles d’investissements, le droit d’user d’un investissement ne
peut être défini aussi étroitement que le droit d’user d’un bien (C).

A. L’insuffisance des atteintes aux seuls droits


de jouir et de disposer de son investissement

Plusieurs sentences arbitrales rendues dans le cadre de litiges d’in­


vestissements font référence aux prérogatives juridiques rattachées
au droit de propriété, et particulièrement les droits de jouir et d’user
de son investissement. Ainsi peut-on lire que l’expropriation résulte
de la perte de « la valeur économique, l’usage, ou à la jouissance
de l’investissement »914, mais aussi « the use and benefit of (…) invest-
ment »915, ou encore « the use of that property or with the enjoyment of its
benefits »916. Parfois, seul le droit de jouir de son investissement est
mentionné, comme dans l’affaire Packerings c. Lituanie : « the negative
effect of government measures on the investor’s property rights, which does
(…) involve (…) a deprivation of the enjoyment of the property »917. Pour­
tant, ni le droit de jouir, ni le droit de disposer de son investissement,
considérés isolément ou ensemble, ne peuvent suffire à produire une
dépossession équivalente à une expropriation. En effet, l’altération
portée à ces prérogatives juridiques dépend simplement du type de
la mesure étatique en cause. La présence des atteintes aux droits de
jouir ou de disposer de son investissement dans une majorité des
litiges s’explique par le fait que la mesure étatique en cause est de
nature verticale. Dans un cours professé à l’Académie de La Haye
en 1997, G. Sacerdoti s’interrogeait justement en ces termes sur la
nature des prérogatives pouvant être lésées par une expropriation de
facto : « the question relates to what constitutes a property right, whether pos-
session only or also use and free alienation »918. Reprenant une définition
de la CEDH, l’auteur a estimé qu’il fallait à la fois la perte du « right to
use, let or sell […] property »919 dans l’analyse des expropriations de facto,
qu’il distingue de l’expropriation indirecte. Or, cette distinction de
G. Sacerdoti peut être rapprochée par analogie de celle opérée ici
entre les mesures verticales (expropriation de facto) et horizontales
d’expropriation (expropriation indirecte). Par conséquent, la prise
en compte des trois attributs de la propriété n’est pertinente que

914 Telenor, c. Hongrie, sentence du 13 septembre 2006, § 64.


915 Middle East Cement c. Egypte, op. cit., note 158, § 107.
916 Tippetts, op. cit., note 59, p. 225.
917 Packerings c. Lituanie, op. cit., note 344, § 437.
918 G. SACERDOTI, op. cit., note 55, p. 382.
919 Mellacher and others, 15 décembre 1989, CEDH, série A, N° 169, § 44. Cité
par G. SACERDOTI, Ibidem, p. 382. D’autres auteurs exigent également la
perte du droit d’user et de disposer de son investissement. Voir par exemple,
R. HIGGINS, op. cit., note 258, p. 271.

310
pour les mesures verticales pouvant conduire à des expropriations
de facto. G. Sacerdoti arrive d’ailleurs à ce constat après avoir analysé
plusieurs différends ayant porté sur des expropriations de facto qui
avaient anéanti les trois prérogatives juridiques rattachées à la pro­
priété.
La destruction complète des attributs de la propriété s’explique
aisément par la filiation directe entre les mesures verticales d’expro­
priation indirecte et les mesures d’expropriation directe. En effet, la
répercussion de la mesure verticale, qui concerne l’intégrité même
de l’investissement, se rapproche de la répercussion d’une expro­
priation directe. Une mesure d’expropriation directe et formelle
détruit nécessairement tous les attributs rattachés à la propriété.
L’investisseur ne peut plus, ni jouir, ni user, ni disposer de son bien
investi, puisqu’il n’en est plus le propriétaire. Le résultat sera souvent
similaire avec une mesure verticale. Qu’il s’agisse de la destruction
physique des locaux d’une usine, ou de l’annulation d’un contrat
d’investissement ou d’une autorisation d’exploitation, l’investisseur
perdra, dans les faits, l’ensemble des prérogatives qu’il détenait sur
son investissement. Dans un cas comme dans l’autre, l’investisse­
ment est détruit dans son intégrité. La différence tient seulement
au fait que pour l’une (expropriation formelle et directe), l’inves­
tisseur ne détient plus le titre de propriété, tandis que pour l’autre
(expropriation indirecte par mesure verticale), il détient virtuelle­
ment sur le papier un investissement qui n’existe plus matériellement
à son endroit. Par conséquent, l’investisseur qui est victime de ces
deux sortes de dépossessions ne détient plus aucune de ses préroga­
tives juridiques sur son investissement. Cependant, même pour les
mesures verticales, cette coïncidence ne signifie pas que chacun des
trois attributs de la propriété doit être anéanti. A fortiori, dans le cas
des mesures horizontales, il peut suffire que l’une des trois préroga­
tives soit atteinte pour que les deux autres soient également lésées.

B. La présence incontournable d’une atteinte


au droit d’user dans toute expropriation indirecte

Une mesure horizontale peut toucher un seul attribut de la pro­


priété sur un investissement, mais rendre économiquement inutile
la détention de ce dernier. Lorsqu’une mesure horizontale est en
cause, il faut donc déterminer la prérogative dont la seule destruc­
tion produit ce résultat. Ainsi, il suffit que le droit d’user soit atteint
pour que l’investisseur finisse par perdre aussi son droit de jouir des
bénéfices de son investissement ou de disposer de ce dernier. Mais
l’inverse n’est pas vérifié. Cette corrélation matérielle est confirmée
par le fait que les tribunaux, sous diverses dénominations, exigent et
vérifient au moins toujours la destruction du droit d’user.

311
La dépendance entre la perte du droit d’user
et celle des droits de jouir ou de disposer
Une relation de cause à effet existe entre la perte du droit d’user
de son investissement et celle des droits d’en jouir ou d’en disposer.
Il suffit en effet que le droit d’usage soit atteint pour que les deux
autres prérogatives disparaissent. Lorsque seuls les droits de jouir ou
d’abuser de l’investissement sont anéantis, cela n’entraine pas systé­
matiquement une destruction du droit d’user. C’est le cas des inves­
tissements fondés sur des biens corporels tels qu’immeubles, exploi­
tations agricoles ou minières. Deux affaires qui avaient été portées
devant la Commission américaine de règlement des réclamations
étrangères permettront d’illustrer cette réalité.
Dans l’affaire Jeno Hartman 920, le requérant américain était pro­
priétaire d’un terrain qu’il avait mis en valeur en construisant des
résidences équipées et une boulangerie fonctionnelle. Mais ces
installations furent gérées par des personnes tierces qui retiraient
tous les bénéfices pour le compte de l’État hongrois, à l’exclusion de
l’investisseur. La Hongrie invoquait le fait qu’elle n’avait pas retiré
le titre de propriété du requérant. Il ne s’agissait donc pas d’une
expropriation directe. Mais ce dernier ne pouvait plus retirer de
bénéfices de son investissement. Le tribunal a conclu à une expro­
priation indirecte, en sanctionnant ainsi la privation sans indem­
nisation de la jouissance des fruits de l’investissement. En réalité,
l’investisseur avait perdu son droit d’user. Il ne pouvait plus utiliser
et gérer son investissement à sa guise, et de ce fait jouir des bénéfices
qui découlaient de la gestion. Dans une autre affaire portée devant
la même Commission contre la Tchécoslovaquie, il avait été imposé
à un propriétaire d’immeubles locatifs de verser la totalité des loyers
perçus sur un compte spécial où le gouvernement prélevait 45 à 50 %
d’impôts et retenait au moins 30 % comme dépôt pour les éven­
tuels frais d’entretiens des immeubles921. Au total, 80 % des béné­
fices générés par l’activité allaient directement dans les caisses de
l’État. Dans cette affaire également, il est possible de conclure que
l’investisseur avait été privé de la jouissance des fruits de son acti­
vité. En outre, les propriétaires ne pouvaient louer leurs immeubles
qu’aux personnes sélectionnées par le gouvernement. Dans les faits,
les immeubles étaient passés sous administration gouvernementale,
et l’investisseur était devenu de facto un simple collecteur de loyers
au bénéfice de l’État : « even though he remains the record owner he is to
all intents and purposes practically a managing and collecting agent for the
government »922. L’investisseur avait perdu le contrôle de la gestion de
ses immeubles. Cette affaire illustre encore l’existence sous-jacente

920 United States Foreign Claims Settlement, Decision (1958), M. WHITEMAN, Digest of
International Law, vol. 8, p. 1011 et s.
921 Affaire citée par G. C. CHRISTIE, op. cit., note 37, p. 315.
922 Ibidem, p. 315.

312
d’une perte de contrôle de l’investissement qui est la composante
essentielle du droit d’user. G. C. Christie, qui a eu à examiner les
sentences anciennes rendues par cette Commission, était arrivé à la
conclusion que « the right which seems (…) to be least subject to successful
interference, is the right of the owner to manage his enterprize »923.
Les tribunaux ne peuvent donc pas se limiter au constat de la perte
de l’accès aux bénéfices ou de la possibilité d’aliéner un investissement,
pour estimer qu’il est gravement compromis. Or, il suffit de constater
la privation du droit d’user, pour constater la perte subséquente des
droits de jouir et de disposer. Par les effets collatéraux d’une mesure
horizontale, une activité d’investissement peut subir une réduction
drastique de ses bénéfices en raison de la modification de son envi­
ronnement juridique et/ou économique. Mais l’investisseur détient
encore la capacité de prendre les décisions, de faire les choix néces­
saires pour trouver des solutions, maintenir son entreprise à flot, ou
l’adapter aux nouvelles circonstances. C’est seulement lorsque cette
emprise sur le destin de l’investissement est détruite qu’il peut être
affirmé que l’investissement a complètement été détruit.
L’examen de certaines sentences arbitrales pertinentes permet de
renforcer la conclusion selon laquelle, seule la perte du droit d’user
importe ou devrait importer.

Le rôle significatif du droit d’user


dans le contentieux de l’expropriation indirecte
Dans le projet dit de Harvard sur la responsabilité des États en
raison des dommages causés aux étrangers, l’article 10.3 (a) a été
intitulé « Taking of the use of property »924, même si on n’y parlait
pas encore formellement d’investissements. En outre, les exemples
d’expropriations de facto proposés par les deux auteurs étaient essen­
tiellement des situations où le propriétaire d’un bien était dépossédé
de sa capacité de contrôle et de direction.
Dans la jurisprudence arbitrale, les sentences qui évaluent la gravité
du préjudice à travers les attributs de la propriété se limitent souvent
à mentionner le droit d’user. Il en fut ainsi dans les sentences Santa
Elena c. Costa Rica 925, Metalclad c. Mexique 926, Starret Housing c. Iran 927.
La sentence Biwater c. Tanzanie illustre parfaitement l’importance
qui est donnée au critère du droit d’user, car plusieurs termes simi­
laires sont utilisés pour désigner la même idée : « the effective loss of
management, use or control, or a significant depreciation of the value of the
assets of a foreign investor »928. Dans la même ligne, un rapport officiel

923 Ibid, p. 333.


924 Projet de Harvard, op. cit.
925 Santa Elena c. Costa Rica, op. cit., note 280, § 76.
926 Metalclad c. Mexique, op. cit., note 56, § 103.
927 Starrett Housing, op. cit., note 90, p. 154.
928 Biwater c. Tanzanie, op. cit., note 256, § 452.

313
de la CNUCED a défini le préjudice grave comme : « an effective loss
of management, use or control, or a significant depreciation of the value, of
the assets of a foreign investor »929. On le sait, les termes de « gestion »,
« usage » et « contrôle », recouvrent les différentes facettes du droit
d’user d’un investissement. De même, la perte de contrôle de l’inves­
tissement a été l’élément primordial dans plusieurs affaires rendues
par le tribunal irano-américain. Il ressort de l’analyse des affaires
Sedco, Starrett Housing, Tippetts, et Phelps Dodge, que la nomination
d’administrateurs gouvernementaux ayant privé l’actionnaire de son
droit de participation aux décisions de l’entreprise a conduit à la
qualification d’expropriation indirecte. En général, les différentes
chambres du tribunal ont qualifié une expropriation indirecte dans
tous les cas où l’investisseur avait été empêché d’administrer et/ou
de participer au processus décisionnel au sein de l’entreprise dans
laquelle il détenait des parts sociales. Des mesures verticales étaient
en cause dans ces affaires, mais la question de la gravité du préjudice
intéresse toutes les mesures d’expropriations indirectes.
L’importance du droit d’user ressort également des facteurs d’ap­
préciation du préjudice empruntés à la sentence Pope & Talbot et
utilisés par la majorité des tribunaux pour toutes les mesures éta­
tiques (verticales comme horizontales). Si nous écartons les effets
préjudiciables qui ne peuvent résulter que d’une mesure verticale930,
les autres critères permettent tous de vérifier l’intégrité du droit
d’user : « The investor is in control of the investment, government does not
manage the day-to-day operations of the company, the investor has full (…)
ownership and control of the investment ». Les références au « contrôle »
et à la « direction » reviennent donc souvent. Il ne s’agit pas d’une
coïncidence, mais bien de la preuve que la capacité que détient l’in­
vestisseur à diriger souverainement son investissement est au cœur
du faisceau des facteurs de vérification de la gravité du préjudice.
En définitive, le seul et véritable attribut qui est toujours lésé est
bien le droit d’user de l’investissement. Il ne faut pas seulement
admettre avec J.-P. Laviec que « le droit sans doute le plus fondamental
de l’investisseur étranger concerne son pouvoir de direction dans une entre-
prise, et participer aux décisions »931. Il faut reconnaître qu’il s’agit de
la seule prérogative protégée dans le cadre de l’expropriation indi­
recte survenant par une mesure horizontale. Toutefois, un investisse­
ment ne se résume pas aux biens ou aux droits qui le composent. Ce
qui caractérise ces derniers et les distingue de n’importe quel autre
élément d’un patrimoine, est l’usage spécifique qui en est fait : la
production sur le long terme d’autres biens. Exiger donc que l’inves­
tisseur ait perdu la direction et le contrôle de son investissement ne

929 CNUCED, Taking of Property, op. cit., note 142, p. 2.


930 Il s’agit notamment de vérifier que l’investisseur « has full (…) ownership, no
officers or employees of the investment had been detained », etc.
931 J-P. LAVIEC, op. cit., note 52, p. 167.

314
nous renseigne pas véritablement sur le contenu de cette préroga­
tive. Il faut aller plus loin pour définir un droit d’user compatible
avec les caractéristiques de l’investissement.

C. Le droit d’user d’un investissement aujourd’hui :


la viabilité productive

Il a été relevé précédemment que les facteurs de préjudices de la


ligne Pope & Talbot n’avaient pas été transposés de manière appro­
priée aux mesures horizontales. Il a également été démontré que
seul le droit d’user de son investissement est l’élément fondamental
protégé. Par conséquent, l’appréciation du droit d’user de son inves­
tissement doit être adaptée aux réalités des effets préjudiciables pro­
duits par les mesures horizontales. Comme l’ont rappelé T. Wälde et
A. Kolo, « the key function of property is less the tangibility of « things », but
rather the capability of a combination of rights in a commercial and corporate
setting and under a regulatory regime to earn a commercial rate of return »932.
Dans ces conditions, dire que le droit d’user est la seule prérogative
protégée ne saurait se résumer à regarder si l’investisseur a gardé
le contrôle de son investissement ou s’il le gère au jour le jour. En
effet, à la suite d’une mesure horizontale, ce dernier peut garder
le contrôle effectif d’une activité qui n’a plus aucune viabilité pro­
ductive, ou aucune « valeur économique » pour reprendre l’expres­
sion la plus usitée. C’est le propre des mesures horizontales d’altérer
les conditions générales favorables aux activités d’un investissement
sans pour autant remettre en cause directement un droit. Par consé­
quent, c’est l’existence même de l’investissement qui doit être remis
en cause, sa capacité à être rentable, donc sa viabilité productive.
Mais que faut-il entendre précisément par la viabilité productive ?
La viabilité productive d’un investissement n’est que la traduction
spécifique du droit d’user d’un investissement. Concrètement, c’est
le droit d’user d’un investissement de sorte à pouvoir en tirer une
plus-value économique. En d’autres termes, la viabilité productive
d’un investissement est sa capacité à être rentable à l’avenir, notam­
ment lorsqu’une mesure horizontale est venue bouleverser les condi­
tions initiales dans lesquelles se déroulait l’activité économique.
Mais une distinction importante doit être faite entre la perte de la
valeur comptable ou marchande d’un investissement et la perte de
sa capacité à être rentable à l’avenir. C’est à cette dernière perte que
fait référence la viabilité productive et en définitive le droit d’user
de l’investissement. Dans le cadre de l’expropriation indirecte, c’est
la capacité à produire des bénéfices qui est protégée ; capacité qui
fonde l’intérêt de réaliser et de conserver un investissement.

932 T. WÄLDE, A. KOLO, op. cit., note 40, p. 835.

315
Toutefois, la simple altération des bénéfices économiques retirés
ou seulement escomptés par une mesure horizontale ne peut équi­
valoir à une dépossession de l’investissement. C’est un fait reconnu
qu’une simple diminution de bénéfice ne peut être constitutive d’une
expropriation indirecte. Quelle que soit la doctrine appliquée, ce
point est acquis. Mais une autre question est de savoir si la disparition
totale des bénéfices équivaut aussi à une dépossession. Il est majori­
tairement considéré que la disparition totale des bénéfices est une
expropriation de valeur. Cependant, une nuance importante doit
être apportée ici. À notre avis, ce n’est pas parce qu’une entreprise
a perdu tous ses bénéfices à un moment donné de son existence que
cette dernière ne représente plus aucun intérêt économique. Toute
activité qui se déroule sur le long terme, connaît des périodes fastes
et néfastes, et traverse parfois des étapes difficiles avant de pouvoir se
relever lorsque la conjoncture redevient favorable ou que les stratégies
sont améliorées. Il faut donc aller au-delà et voir si l’entreprise a gardé
sa viabilité productive. Autrement dit, est-elle en mesure de produire à
l’avenir des bénéfices en faisant des efforts raisonnables pour sortir de
sa crise ? Est-ce une faillite définitive ou remédiable au regard des nou­
velles conditions économiques posées par la nouvelle règlementation ?
L’affirmation selon laquelle « bilateral investment treaties are not insu-
rances policies against bad business judgements »933 n’aura de sens que si
l’on s’en tient à la viabilité productive de l’investissement. Il n’appar­
tient pas à l’État d’accueil de compenser financièrement le manque
d’anticipation, de stratégies prévisionnelles, de capacité d’adaptation
de l’entreprise qui s’est installée dans un environnement amené forcé­
ment à évoluer dans un sens favorable ou défavorable. Paraphrasant
la sentence R. Azinian c. Mexique 934, le tribunal dans l’affaire Feldman
c. Mexique a rappelé cette réalité en ces termes :

« not all government regulatory activity that makes it difficult or impossible for an
investor to carry out a particular business, change in the law or change in the applica-
tion of existing laws that makes it uneconomical to continue a particular business, is
an expropriation (…). Governments, in their exercise of regulatory power, frequently
change their laws and regulations in response to changing economic circumstances or
changing political, economic or social considerations. Those changes may well make
certain activities less profitable or even uneconomic to continue »935.

Alors qu’il est affirmé comme un leitmotiv que l’atteinte substan­


tielle est celle qui prive l’investisseur de l’usage et/ou des bénéfices de
son investissement, en réalité, c’est l’impossibilité d’exploiter l’inves­
tissement aux fins d’en tirer un revenu qui doit être prise en compte.

933 Maffezini c. Espagne, § 64.


934 R. Azinian c. Mexique, op. cit., note 341, § 83.
935 Feldman c. Mexique, op. cit., note 34, § 112.

316
En somme, évaluer l’intensité du préjudice en fonction de la préro­
gative juridique fondamentale lésée revient pour l’arbitre à regarder
si « the property in question, after introduction of the measure concerned, can
no longer be put to reasonable economic use »936. Prendre en compte exclu­
sivement le droit d’user de son investissement, à travers sa configu­
ration moderne, permettra d’exclure la majorité des plaintes qui
contestent des mesures horizontales. Soit en effet, l’investisseur est
seulement empêché d’utiliser une partie de son investissement sans
que son droit d’user soit remis en cause sur l’ensemble de l’investis­
sement. Soit l’investisseur subit une perte importante de bénéfices
sur l’ensemble de l’investissement sans que la viabilité productive de
ce dernier soit réduite à néant.
Ainsi, en cas d’expropriation indirecte par mesure horizontale,
affectant de surcroît une forme particulièrement complexe d’inves­
tissement, il faut retenir que le cadre classique des trois attributs
de la propriété demeure d’une importance capitale. Mais il peut se
révéler étroit au regard de la dynamique de l’investissement qui va
au-delà de la simple existence d’un bien ou d’un droit. Il faut alors
élargir la perspective du droit d’user qui a été retenu comme la pré­
rogative juridique fondamentale protégée dans le cadre de l’expro­
priation indirecte. D’un droit d’user, compris au sens du pouvoir de
contrôle et de direction, il y a lieu de passer à la viabilité productive
de l’investissement. En limitant donc la recherche au droit d’user de
l’investissement, on évite les dérives des indemnisations de la perte
de simples bénéfices. Mais en prenant en compte la viabilité pro­
ductive, on évite l’écueil d’une définition trop formelle et donc peu
réaliste aujourd’hui. On aurait tort cependant de considérer que la
zone grise est entièrement effacée.
Il restera encore des mesures horizontales qui, tout en détruisant
complètement la viabilité productive de l’investissement dans sa glo­
balité, ne devront pas encore être qualifiées d’expropriations indi­
rectes.

Section 3 – L’objet du préjudice : la licéité de l’activité


d’investissement au regard d’un ordre public international
des investissements

La troisième et dernière composante du critère de l’effet redéployé


va enfin donner l’occasion de la prise en compte la plus importante
des considérations d’intérêts publics de l’État d’accueil d’investisse­
ment dans le processus de qualification de l’expropriation indirecte.
L’investissement, au sens juridique du terme, sert de véhicule légal à
une activité économique ; activité qui peut avoir une structure com­
plexe. L’idée est alors de regarder, au-delà de l’enveloppe juridique,

936 R. DOLZER, « Indirect expropriation of Alien Property », op. cit., note 12, p. 62.

317
le contenu matériel de l’investissement. Ce contenu matériel peut
en effet ne pas ou ne plus mériter la protection offerte par la clause
d’expropriation. L’activité d’investissement doit en effet être de
nature licite ; licéité qui va au-delà de la simple légitimité morale.
Mais en fonction de quelles règles et de quelles valeurs doit être
appréciée la licéité d’une activité d’investissement ? La réponse à
cette question doit être particulièrement réfléchie, afin de ne pas
réduire à néant la protection offerte aux investissements, sous cou­
vert de la sauvegarde des intérêts de l’État d’accueil. La conclusion
d’un TBI par un État implique en effet une restriction à son pouvoir
normatif, même si l’étendue de ces restrictions demeure controver­
sée. Il faut donc trouver un système de référence, dont le rôle et la
place dans l’ordre juridique international permettent sans ambi­
guïté de l’imposer à l’investissement étranger protégé par un TBI.
Seules les règles relevant d’un ordre public disposent de l’impérati­
vité nécessaire pour peser de tout leur poids sur la licéité ou l’illicéité
d’une activité d’investissement.
Cette déduction, bien que logique, n’est cependant pas suffisante.
Il importe d’abord de montrer que la vérification de la licéité de l’ac­
tivité d’investissement est nécessaire dans les litiges naissant d’une
mesure horizontale étatique (§ 2). Il faudra ensuite choisir un ordre
public applicable pour le contrôle de licéité. En gardant à l’esprit
les précédents développements sur la licéité systémique de la clause
d’expropriation, et au regard de certaines difficultés posées par les
mesures horizontales, la seule référence possible est celle d’un ordre
public international des investissements (§ 2). Enfin, sachant qu’il
est toujours plus facile d’invoquer l’ordre public que d’en fixer le
contenu, il serait vain de vouloir définir précisément et limitative­
ment les règles d’ordre public applicable. Il convient plutôt de pro­
poser aux tribunaux des critères pour identifier ces règles en fonc­
tion des évolutions du droit international (§ 3).

§ 1 – La nécessité du recours à la licéité de l’activité


de l’investissement pour les mesures horizontales

Plusieurs raisons peuvent expliquer le recours au contrôle de la


licéité de l’activité d’investissement, en sus de l’évaluation de l’éten­
due et de la gravité du préjudice. Une première série de réponses
se rapporte directement au besoin d’une compatibilité entre la pro­
tection offerte par la clause d’expropriation et les autres obligations
internationales de l’État d’accueil.
Mais deux autres éléments rendent indispensable, dans certaines
circonstances, ce troisième paramètre du critère de l’effet redéployé.
En premier lieu, la fonction sociale reconnue à la propriété privée,
même dans les droits nationaux les plus protecteurs, impose que
cette dernière ne constitue pas une violation de l’ordre public appli­
cable. Or, l’examen des rapports entre le droit de propriété et l’inves­

318
tissement nous a montré l’étroitesse des liens qui les unissent. De
ce fait, l’activité d’investissement ne doit pas, à son tour, constituer
une violation de l’ordre public applicable (A). En second lieu, l’arbi­
trage investisseur-État met en rapport une personne publique et une
personne privée. Les questions qui sont soulevées dans ces litiges,
notamment lorsque des mesures horizontales sont en jeux, dépassent
le seul cadre des intérêts strictement privés des investisseurs. Dans
le même temps, on remarque un recul, voir un affaiblissement du
rôle de l’État dans les relations internationales économiques qui
transcendent ses frontières. Que ce recul soit salué ou décrié, nul
ne saurait se satisfaire d’un système juridique qui fonctionne sans
un minimum de contrôle. Dans ce contexte, l’arbitre pourrait être
amené à jouer le rôle de garant d’un ordre public à déterminer (B).

A. L’approche fonctionnelle de l’investissement privé étranger

Comment justifier le fait que la contrariété à un ordre public per­


mette d’exclure la qualification d’expropriation indirecte, même
lorsque le préjudice est véritablement substantiel ? Pour répondre à
cette question, il faut convenir que l’investissement étranger joue un
rôle important dans la société. Dans la mesure où l’institution de la
propriété répond à un besoin social ; ce besoin doit s’étendre à l’in­
vestissement sur lequel il porte. Il revient alors à l’arbitre de devenir
le garant de ce que l’investissement ne s’écarte pas diamétralement
de cette fonction sociale inhérente.

Les limitations au droit de propriété dans les ordres juridiques internes


La conception juridique du droit de propriété a fait l’objet de
profondes controverses philosophique et juridique. On peut relever
brièvement les débats qui ont eu lieu entre les courants naturalistes
et volontaristes de la propriété, entre la doctrine du « droit-fonction »
de L. Duguit dans laquelle la propriété n’existe qu’à travers sa fonc­
tion sociale, et la doctrine, défendue par G. Ripert, du droit indivi­
duel souverain octroyé et protégé préalablement à la fonction qu’il
est sensé remplir. Au-delà de ces diverses approches, et sans pouvoir
entrer ici dans ces controverses937, on se contentera de relever que
la propriété privée n’est pas un droit absolu illimité dans l’ensemble
des législations nationales. En effet, « s’il doit être protégé, le droit
de propriété implique des limitations que commandent ses finali­
tés morales, son efficacité économique et les exigences de l’intérêt
général »938.
Ainsi, le droit de propriété ne peut être utilisé à des fins illicites
interdites par l’ordre juridique étatique qui définit son contenu,

937 Pour un résumé des principales théories et les références qui les accompagnent,
voir J. GHESTIN (dir.), Traité de droit civil, les biens, LGDJ, 2e éd., 2010, pp. 82-88.
938 Ibidem, p. 88.

319
l’étendue et les conditions de sa protection. Ce qui est interdit peut
varier d’un droit national à un autre, mais le principe de l’usage
licite de la propriété ne peut être discuté. Si le droit de propriété est
légitime, son exercice ne peut être abusif. En ce sens, la propriété
répond à une finalité sociale, peu importe qu’elle soit exclusive ou
collective, absolue ou relative939. Cette analyse fonctionnelle de la
protection accordée à la propriété permet de transcender les divers
courants de pensée sur le droit de propriété. Comme le notait F.
A. Mann, « never and nowhere was there any support for the proposition
that property could not in any circumstances be taken, that it was sacrosanct,
inviolable »940.
Par ailleurs, les limitations à la propriété privée gravitent autour
d’un noyau dur qui est propre à tous les ordres juridiques internes :
les règles d’ordre public. Bien entendu, le contenu de l’ordre public
peut varier énormément d’un pays à l’autre. Mais généralement, on
peut retenir que « property cannot be used in a way that results in serious
harms to public order and morals, human health or the environment »941. Il
convient cependant de se demander si cette conception de la pro­
priété dans les droits internes est transposable à l’investissement
dans l’ordre juridique international.

L’extension de ces limitations l’investissement étranger


Les restrictions inhérentes à la propriété dans l’ordre juridique
interne sont-elles valables pour l’investissement dans l’ordre juri­
dique international ?
En convenant que, « l’investissement transcende le bien qui n’est
protégé que dans la mesure où il se rapporte à un investissement »942,
les restrictions au droit de propriété doivent de ce fait être étendues
à l’investissement étranger. En premier lieu, parce que l’investisse­
ment suppose un droit de propriété sur un bien ou un droit ayant
une valeur économique, utilisé dans le cadre de cet investissement.
Ce n’est donc pas parce qu’un bien est utilisé comme investissement
que les limitations qui le grèvent seront différentes ou effacées.
En second lieu, plus qu’un simple droit de propriété sur un bien
quelconque, l’activité d’investissement peut créer des dommages
importants. Étant par excellence un instrument dynamique de
production de richesses, les risques de contrevenir à l’ordre public
sont beaucoup plus importants que ceux posés par un bien statique

939 Voir pour plus de détails, R. HIGGINS, op. cit., note 258, pp. 268-278.
940 F.  A.  MANN, « Outline of… », op. cit., note 6, p. 189 et les nombreuses
références dans le texte. L’auteur cite par exemple, R. Von IHERING pour qui,
« expropriation was not something abnormal, something inconsistent with the “ieds” of
property, but constituted « the solution of the task to reconcile the interests of society with
those of the owner (…) ». 
941 A. NEWCOMBE, « The Boundaries… », op. cit., note 38, p. 419.
942 A. BENCHENEB, op. cit., note 223, p. 182.

320
consommé immédiatement ou immobilisé au titre de l’épargne.
Enfin, si l’on ajoute à cela l’impact positif qu’est sensé avoir l’inves­
tissement étranger sur le développement économique de l’État où
il s’implante, impact qui fut longtemps posé comme une évidence
avant d’être relativisé, il est alors permis d’exiger de cette activité
un respect minimum de l’ordre public, garant d’un intérêt général à
l’origine de son admission dans un État.
Cette fonction sociale de l’investissement est d’ailleurs implici­
tement reconnue dans les préambules des TBI qui fixent les buts
et les objectifs des parties signataires. Ainsi, c’est généralement le
développement économique des États contractants qui est principa­
lement visé, mais le développement durable apparait désormais dans
les récents traités. Trois composantes du développement durable
reviennent fréquemment dans les textes de la dernière génération :
la protection de la vie et de la santé humaine, la protection de l’envi­
ronnement humain, la protection des droits fondamentaux des tra­
vailleurs943. Certes, ces traités ne disent pas toujours directement que
les investissements doivent promouvoir ces valeurs. Mais les activités
d’investissement ne doivent pas au moins constituer un frein à la pro­
tection de ces valeurs. Par conséquent, l’activité ne doit pas compro­
mettre les avancées enregistrées dans certains domaines, à défaut de
favoriser leurs survenances. Il s’agit bien d’une fonction sociale très
large qui leur est dévolue.
Si donc l’investisseur est en principe libre d’user, de jouir et de
disposer de son investissement, ces prérogatives sont limitées par la
non-contrariété à l’ordre public. Supposons un investisseur X, pro­
priétaire d’une usine dans un État A. L’investisseur A peut décider
d’utiliser son bien pour fabriquer des biscuits, puis réadapter les
machines pour fabriquer d’autres friandises. Mais il ne pourra pas y
produire des biscuits avariés ou modifier ses installations pour pro­
duire une substance illicite. Il ne pourra pas non plus employer des
personnes mineures, ou octroyer des salaires à un montant inférieur
au minimum salarial fixé dans cette branche d’activité dans l’État
A. Voilà pour ce qui est des restrictions à son droit d’user. L’investis­
seur X dispose de la libre jouissance des bénéfices produits par son
usine. Il perçoit les dividendes et peut les consommer, les épargner
ou les réinvestir. Pourtant, à ce niveau encore, il devra quand même
reverser une partie de ses dividendes à titre d’impôts à l’État A. Dans
le même temps, il pourra lui être imposé un prix maximum ou une
fourchette de prix de vente de ses produits en raison de la protection
des consommateurs ou de l’accès aux denrées de première néces­
sité. Voilà pour ce qui peut être des restrictions à la jouissance de
son investissement. Enfin, l’investisseur X décide librement s’il veut
vendre, céder à titre gracieux, ou confier la gestion de son usine à

943 Voir les préambules de certains TBI américains conclus après 2000.

321
une personne tierce. De nouveau, ce droit pourra être limité par
l’État A en raison des règles sur la concurrence et notamment l’inter­
diction des positions dominantes ou des monopoles de fait sur le
marché. Voilà pour ce qui peut être des restrictions au droit de dis­
poser de son investissement. C’est seulement en demeurant dans les
limites fixées par l’ordre public interne que l’investisseur peut user,
jouir et disposer librement de son activité économique.
En somme, il n’y a aucune raison à ce que l’investissement effectué
au niveau international échappe à l’obligation de respect de l’ordre
public, sachant qu’en définitive l’investissement finit par prendre
assise sur un territoire national. Autrement, l’octroi d’une indem­
nisation reviendrait dans certaines circonstances à récompenser un
délinquant ou à rejeter l’existence d’intérêts publics prépondérants
dans l’usage de la propriété.
Dans la mesure où un ordre public doit s’imposer à la licéité de
l’activité d’investissement étranger, les tribunaux des litiges investis­
seur-État pourraient devenir les garants de son respect.

B. L’arbitre comme garant de la licéité


de l’activité de l’investissement étranger

On peut partir ici de cette remarque de P. Fouchard qui s’inter­


rogeait sur un nouveau rôle de l’arbitrage dans les relations écono­
miques :

« L’hypothèse (…) est la suivante : puisque la mondialisation de l’économie a


entraîné celle de l’arbitrage, celui-ci en retour, pourrait-il en devenir une instance
régulatrice, juridictionnelle ou amiable, qui en règlerait les conflits, et même en
élaborerait certaines normes ? Pourrait-il, et dans quelle mesure, se substituer aux
pouvoirs étatiques en recul et favoriser l’ébauche, dans ce monde où les marchés
dont devenus souverains, d’un nouvel ordre international, d’une nouvelle justice
dans les relations économiques internationales »944 .

Dans le cadre plus étroit de l’arbitrage mixte d’investissement, cet


appel révèle toute sa pertinence.
L’arbitrage entre une personne publique et une personne privée
offre en effet le meilleur terrain d’expérimentation de ce nouveau
rôle des arbitres. Dans l’arbitrage commercial entre deux personnes
privées en relation avec des intérêts strictement privés, les arbitres
arrivent parfois à appliquer l’ordre public du droit étatique dési­
gné par la règle de conflit, et quelques fois même un ordre public

944 P. FOUCHARD, « l’arbitrage et la mondialisation de l’économie », op. cit., note


33, p. 388.

322
transnational945. A fortiori, avec l’implication d’un État dans le diffé­
rend, qui est garant de l’intérêt général sur son territoire, la prise en
compte d’un ordre public devient indispensable. Mais plus que l’im­
plication d’un État, c’est souvent la teneur de l’activité économique
qui attire inexorablement dans le giron de l’arbitrage international
d’investissement, les enjeux d’ordre public. C’est le cas par exemple
des privatisations de la gestion de certains services publics fonda­
mentaux comme la distribution de l’eau ou de l’énergie. Comme
l’avait constaté le tribunal dans l’affaire Methanex c. États-Unis, « the
substantive issues extend far beyond those raised by the usual transnational
arbitration between commercial parties »946. Cette affirmation fut textuel­
lement reprise dans la sentence Biwater c. Tanzanie, à propos d’un
contrat de fourniture d’eau potable947.
Certes, les tribunaux arbitraux du contentieux de l’investissement
international, qu’ils soient constitués de manière ad hoc ou sous
l’égide d’un centre d’arbitrage institutionnalisé comme le CIRDI,
doivent généralement appliquer les clauses d’un traité d’investisse­
ment et/ou d’un contrat d’investissement. De ce fait, ils ne sont pas
les garants d’un ordre juridique parfaitement intégré et homogène
comme le juge étatique devant connaître d’un différend internatio­
nalisé. Toutefois, et contrairement à un tribunal arbitral en matière
commerciale, il n’est pas possible de dire que l’arbitre du contentieux
de l’investissement n’est pas le garant de l’ordre public et qu’aucun
système juridique ne s’impose à lui. Comme certains l’ont défendu,
« en tant que juridiction internationale, un tribunal arbitral (…) se
doit en effet de faire respecter l’ordre public international, c’est-à-
dire les principes correspondant aux exigences fondamentales uni­
verselles considérées comme essentielles par la communauté inter­
nationale pour régir les relations de ses membres »948.
En théorie, rien n’empêche donc l’arbitre de s’assurer, au-delà de
l’existence d’un investissement aux termes d’un TBI, que l’activité
exercée ne contredit pas un ordre public imposable à tout investis­
sement étranger.
En conclusion, plusieurs arguments peuvent être avancés pour justi­
fier le recours à la licéité de l’activité d’investissement par rapport à un
ordre public déterminé. Mais encore faudra-t-il s’entendre sur l’ordre

945 Pour un plaidoyer en faveur d’un ordre public transnational qui s’imposerait à
l’arbitre du contentieux du commerce international, voir J.-F. LAVIVE, « Ordre
public transnational (ou réellement international) et arbitrage international »,
Revue de l’arbitrage, 1986, Issue 3, pp. 329-374.
946 Methanex c. États-Unis, Décision sur l’intervention d’amicus curiae du 15 January
2001, § 49. Cet argument a été utilisé par le tribunal pour accepter l’intervention
de deux ONG dans la procédure.
947 Biwater c. Tanzanie, op. cit., note 256, § 356-369.
948 S. MANCIAUX, Investissements étrangers et arbitrage…, op. cit., note 1, p. 287.
Voir dans le même sens, E. GAILLARD, « CIRDI, chronique des sentences
arbitrales », JDI, 1994, p. 254.

323
public dont il est question. Avant de pouvoir établir les règles qui le
composent, il faut d’abord identifier l’ordre juridique dont il relève.

§ 2 – Le choix de l’ordre public applicable :


l’ordre public international des investissements

L’idée de recourir à un ordre public quel qu’il soit, paraît sédui­


sante de prime abord, mais elle suscite une objection fondamentale.
Si l’on doit considérer la licéité des activités d’investissement au
regard d’un ordre public particulier, comment s’assurer que l’État
d’accueil ne prenne pas prétexte d’une mesure horizontale pour
façonner l’ordre public relevant, de sorte à faire perdre la protection
des TBI à certains investissements ? Bien que l’intention de l’État
ne soit pas un paramètre important dans le processus de qualifica­
tion de l’expropriation, la question est pertinente. Une réponse en
deux temps peut-être apportée. D’abord, le rôle de l’arbitre dans
un contentieux, dont le caractère international ne fait plus l’objet
d’objections949, ne peut se résumer à vérifier la contrariété de l’acti­
vité d’investissement avec l’ordre public interne de l’État. La mesure
horizontale étatique doit en effet, au-delà d’un ordre public natio­
nal, être le vecteur d’un ordre public international (A). Ensuite, éle­
ver l’analyse au niveau de l’ordre juridique international permet de
résoudre une difficulté à laquelle certains auteurs ont été confron­
tés. Celle du double rôle que peut jouer simultanément une mesure
horizontale ; c’est-à-dire lorsque la mesure étatique qui rend l’acti­
vité d’investissement illicite est celle-là même qui cause un préjudice
collatéral à l’investissement (B).

A. La non-pertinence de l’ordre public interne de l’État d’accueil

La licéité de l’activité d’investissement ne doit pas se confondre


avec la légalité de son admission sur le territoire national. De même,
la licéité dont il est question ici n’est pas celle qui relève de l’ordre
public interne de l’État. Autrement, il serait impossible de distin­
guer l’activité d’investissement devenu illicite de celle devenue sim­
plement indésirable.

La distinction entre la licéité de l’activité


et la légalité de l’admission de l’investissement
Comme déjà souligné, les traités de protection des investissements
prévoient généralement que leur protection ne s’étend qu’aux inves­
tissements qui auront été légalement admis sur le territoire d’un État
contractant, conformément à ses lois et règlements. Cependant, cette
condition préalable ne relève pas de la problématique discutée ici.

949 Voir sur cette question, P. JUILLARD, « L’évolution… », op. cit., note 17, pp. 108-
110.

324
La recherche d’une expropriation indirecte sur un investissement
suppose que ce dernier a déjà été reconnu comme bénéficiant de la
protection du TBI applicable. La question de la qualification d’une
opération économique en un investissement protégé au regard du
traité pertinent doit avoir été réglée avant la recherche d’une viola­
tion d’une obligation conventionnelle. En ce sens, aucune violation
subséquente du traitement national, du traitement juste et équitable,
ou de l’expropriation, ne pourra être imputée à l’État. Il n’y a plus en
effet d’investissement juridiquement protégé sur lequel un tribunal
peut vérifier la conformité des actes des autorités locales avec les
obligations mises à la charge de l’État d’accueil dans un TBI. Une
fois parvenu à l’application du critère de l’effet redéployé, ce n’est
donc plus de la légalité de l’investissement qu’il est question.
Par contre, la licéité de l’activité d’investissement concerne la
qualification de la clause d’expropriation. Elle s’inscrit uniquement
dans le cadre de cette qualification, même si on ne peut rejeter défi­
nitivement l’idée qu’elle puisse être étendue à d’autres obligations
conventionnelles, comme la non-discrimination950. Quoi qu’il en
soit, le terrain de l’expropriation est celui qui se prête le mieux à
l’évaluation de cette licéité.
Toutefois, lorsqu’au cours de sa vie un investissement n’est plus
conforme à une règlementation nationale, la question qui se pose
devient celle de sa conformité à l’ordre public. L’ordre public appli­
cable n’est cependant pas celui de l’État d’accueil de l’investissement,
même s’il est particulièrement intéressé à régir l’investissement.

L’indifférence de la licéité au regard de l’ordre public interne de l’État d’accueil


L’ordre public interne de l’État hôte d’investissement ne peut ser­
vir de repère pour l’appréciation de la licéité d’une activité d’inves­
tissement. La principale explication réside à la fois dans les fonde­
ments à l’existence des TBI, et dans le contenu des obligations mises
à la charge des États par ces traités.
En premier lieu, la conclusion et la prolifération des TBI avaient
pour objectif principal d’élever la protection des garanties offertes
par les États hôtes d’investissement dans leurs codes nationaux ou
les contrats d’investissements au niveau de l’ordre juridique interna­
tional pour en assurer une plus grande stabilité. Les lois changent
au gré des politiques gouvernementales et l’investisseur n’a aucune
garantie quant à la stabilité du cadre juridique qui règlemente son
activité, excepté lorsqu’il existe une clause de stabilisation dans le

950 En effet, une activité devenue illicite peut néanmoins être l’objet d’une discri­
mination par rapport à d’autres activités également illicites, et donc engager
la responsabilité de l’État au regard d’un TBI. Par exemple, l’investisseur peut
se plaindre éventuellement de ce que d’autres investisseurs étrangers ou natio­
naux dans une situation similaire à la sienne ont bénéficié exceptionnellement
d’exonérations ou de l’indulgence de la part des autorités locales.

325
contrat d’investissement. Dans ce contexte, soumettre la licéité de
l’activité d’investissement à l’ordre public de l’État hôte constituerait
assurément un retour en arrière.
En second lieu, les TBI mettent à la charge des États signataires des
obligations internationales réciproques, même si les « créanciers » de
ces obligations sont les ressortissants de l’autre État signataire951. Ce
qui signifie que ces derniers ne peuvent pas alléguer de leurs droits
internes pour justifier une violation à leurs obligations internatio­
nales. On le sait, en droit international, la conformité du compor­
tement d’un État avec son droit interne est sans pertinence pour la
constitution d’un fait internationalement illicite. De ce fait, l’ordre
public interne est appréhendé comme un simple fait par les arbitres
du contentieux international des investissements, au même titre que
la mesure horizontale éligible. L’arbitre détient seulement le pou­
voir de vérifier la conformité des comportements de l’État défen­
deur avec les obligations qu’il a souscrites dans un TBI ou un contrat
d’investissement internationalisé.
Un lien peut être fait ici avec la notion de mesure de police. L’une
des principales difficultés à déterminer les mesures étatiques pou­
vant être qualifiées comme des mesures de police résultait de la
grande variabilité de la perception de l’intérêt public légitime. Le
même grief s’applique à la prise en compte de l’ordre public interne.
En ce qui concerne les questions de bonnes mœurs par exemple,
un arbitre peut-il se limiter à ce qui est invoqué par un État pour
qualifier l’activité d’investissement comme désormais illicite ? Une
réponse positive ne serait pas satisfaisante eu égard aux risques
importants de divergences d’interprétations et de dérives.
La conformité de l’activité d’investissement à l’ordre public interne
est certes indifférente, mais elle peut constituer un indice pour l’ar­
bitre. Le fait qu’une activité d’investissement soit également illicite
par rapport à l’ordre public interne de l’État d’accueil, en plus de
l’ordre public applicable, ne peut que simplifier la tâche des arbitres
et faciliter leurs conclusions.
La répudiation de l’ordre public de l’État hôte est rendue néces­
saire par une autre difficulté. Comment distinguer l’activité d’in­
vestissement devenu illicite de celle qui serait devenue simplement
indésirable ?

La distinction entre activité illicite et activité indésirable


Il est nécessaire de distinguer l’activité devenue illicite au sens
propre du terme, de l’activité devenue seulement indésirable dans
un État en fonction des politiques gouvernementales dans tel ou tel
domaine. Tandis que l’activité illicite perd la protection de la clause
d’expropriation, l’activité indésirable conserve un droit à indemni­

951 Exception faite des clauses en rapport avec le règlement interétatique des diffé­
rends sur l’interprétation du traité.

326
sation dès lors qu’un préjudice substantiel est constaté. Or, comment
différencier ce qui est véritablement illicite de ce qui est seulement
indésirable en demeurant dans le seul cadre du droit interne de
l’État hôte ?
Pour montrer l’incapacité de l’ordre public interne à résoudre ce
dilemme, quelques cas fictifs peuvent servir ici d’illustration. Par
exemple, un investisseur ouvre une chaîne de casino dans un État où
la règlementation autorise les jeux de hasard952. Un second investis­
seur met en place dans le même État une chaîne de cabarets. Un troi­
sième investisseur installe une usine de production de liqueurs. Ces
trois investissements ont bénéficié lors de leur admission, des auto­
risations nécessaires accompagnées par l’enthousiasme des autori­
tés locales en raison des retombées fiscales escomptées. Quelques
années plus tard, du fait soit d’un changement de gouvernement,
soit d’un retour à une certaine ferveur religieuse, ou soit encore de
l’explosion du nombre de personnes ayant une dépendance aux
jeux du hasard ou à l’alcool avec son cortège de drames humains, les
autorités locales décident d’interdire ces trois types d’activités sur le
territoire, ou imposent des conditions d’exercice telles qu’il devient
économiquement impossible aux investisseurs de maintenir leurs
activités. Ces dernières sont-elles devenues illicites ou indésirables ?
Si l’on se contente d’observer qu’il existe désormais une loi inter­
disant ces activités et que cette loi est d’ordre public, alors ces activi­
tés seraient devenues illicites. Mais si l’on considère l’environnement
sociopolitique à l’origine de cette règlementation, il est possible d’y
voir une simple désapprobation morale ou culturelle, reposant sur
des dangers réels ou supposés. Aucune de ces deux approches n’est
vraiment satisfaisante. La seule option envisageable est de voir si l’in­
terdiction des jeux du hasard, des cabarets ou de la vente d’alcool
trouve un écho dans un ordre juridique supérieur au droit national,
à savoir le droit international. Si le droit international ne protège, ni
n’interdit ces activités, elles ne peuvent alors devenir internationale­
ment illicites du seul fait d’une réglementation interne. En ce sens,
l’illicéité ne peut dépendre exclusivement de la « désirabilité sociale »
d’une activité économique dans l’État où il s’est déjà implanté. Cette
désirabilité ne peut concerner que les investissements qui souhaite­
raient s’implanter à l’avenir. Par conséquent, l’État qui décide souve­
rainement de règlementer ou d’interdire des activités économiques
qui ne coïncident plus avec ses objectifs de développement devra
assumer les conséquences pécuniaires de ce choix.
Il en ira autrement si l’activité en question fait l’objet d’une pro­
tection ou d’une interdiction dans l’ordre juridique international.

952 L’affaire Thunderbird Gaming c. Mexique, op. cit., note 864, peut dans une certaine
mesure, être rapprochée de cet exemple. Cependant, dans ce cas, les jeux du
hasard étaient à peine tolérés sur le territoire national lors de l’admission de
l’investissement et les interdictions complètes n’étaient pas exceptionnelles.

327
Un cas fictif peut également servir la démonstration. Une usine de
traitement de peaux animales à l’usage de la maroquinerie utilise
des produits déversés sans traitement dans un lac à proximité duquel
elle s’est implantée. L’usine lors de son admission disposait des auto­
risations valables et était soumise à des contrôles réguliers des auto­
rités sanitaires. On peut imaginer également qu’elle ait bénéficié
d’une complaisance d’un régime corrompu ou peu sensibilisé aux
risques sanitaires pour la population. Avec les développements de
la science, ou l’avènement d’un nouveau gouvernement, un produit
chimique utilisé dans le traitement des peaux et déversé dans le lac
est classé comme dangereux pour la santé humaine et la survie des
espèces végétales cultivées dans les environs. L’État interdit alors
l’utilisation de tels produits. L’usine n’a peut-être ni le temps, ni les
moyens financiers, ni la technologie pour s’adapter rapidement à
cette nouvelle règlementation. Les activités périclitent et c’est la fail­
lite. S’agit-il d’une activité devenue illicite ou seulement indésirable ?
Dans la mesure où la protection de la santé humaine relève direc­
tement d’un traité international ou d’une coutume internationale
qui s’impose à l’État d’accueil, ou lorsque l’utilisation du produit
dangereux est réglementée par un Accord international, l’activité est
désormais illicite. Elle ne bénéficie donc plus de la protection offerte
par la clause d’expropriation. Cette analyse est également applicable
dans l’hypothèse où une entreprise exploite une essence de bois
devenue au cours du temps une espèce en voie de disparition et pro­
tégée à ce titre par un traité international. On pense également à la
situation d’une filiale de droit national d’une entreprise étrangère
qui emploie des mineurs dans un État auparavant peu regardant sur
ces infractions. La conclusion sera similaire au cas précédent si l’État
en question décide désormais de faire respecter sa législation natio­
nale et ses obligations internationales sur le travail des enfants. Bien
entendu, le processus par lequel l’État impose la nouvelle règlemen­
tation peut constituer une violation d’autres normes de traitement
dans le TBI tel que la non-discrimination ou le traitement juste et
équitable. Mais dans ce cas, c’est le processus qui est en cause, non le
fondement de la nouvelle règlementation.
Le choix du droit international comme le système juridique duquel
l’ordre public applicable doit émerger ne constitue pas seulement
la garantie d’une meilleure impartialité entre les intérêts privés et
publics concurrents. Ce choix offre également la seule voie possible
à la résolution d’un problème récurrent, propre à la mesure hori­
zontale type.

328
B. La résolution de la contradiction
du double rôle de la mesure horizontale

Avant de proposer une solution au problème posé par le double


rôle de la mesure horizontale, il convient de revenir brièvement sur
les données de la question.

La mesure horizontale préjudiciable


à l’origine de l’illicéité de l’activité d’investissement
Par « double rôle » d’une mesure horizontale, il faut comprendre
que la mesure étatique à l’origine de la modification de l’environ­
nement juridique de l’investissement est celle-là même qui lui cause
un préjudice collatéral. Une activité parfaitement licite au moment
de son implantation peut ensuite être interdite, créant de ce fait la
destruction totale de sa valeur économique. Cette question a déjà
été soulevée dans l’analyse des solutions proposées en remplacement
du critère du seul effet, notamment celle proposée par Y. Nouvel.
Pour ce qui est spécifiquement de l’ordre public international, le
double rôle de la mesure horizontale se matérialise lorsqu’elle fixe
une règle d’ordre public étatique, et qu’elle produit des effets col­
latéraux négatifs sur l’investissement. En d’autres termes, la même
mesure déterminera une nouvelle règle à respecter, sachant que c’est
l’application de cette nouvelle règle qui portera indirectement pré­
judice à l’investissement. On le perçoit clairement, seule une mesure
horizontale peut créer cette situation.
Ce double rôle joué par une mesure horizontale pose en effet une
question épineuse. Ne permet-elle pas à l’État de devenir juge et par­
tie ? Il suffirait en effet à l’État qui désire mettre fin à une activité
sans avoir à l’indemniser, de la rendre au préalable illicite par une
réglementation générale. Et du fait des nouvelles conditions géné­
rales créées par cette règlementation, l’activité perdra sa viabilité
productive et sera anéantie. Il s’agit d’un problème particulièrement
délicat quand on sait que toutes les mesures horizontales jouent ce
double rôle, virtuellement au moins, du simple fait de leur caractère
général.
Il n’est pas possible d’ignorer l’objection que soulève le double rôle
des mesures horizontales. Mais cette objection, pour sérieuse qu’elle
soit, n’est pas insurmontable. Selon que la mesure étatique concerne
une règle d’ordre public international ou national, le problème
pourra ou non être résolu.

Le dépassement de la contradiction
par le secours de l’ordre juridique international
La première solution au problème serait que l’activité de l’investis­
seur soit directement interdite dans l’ordre juridique international,
c’est-à-dire que ce dernier soit le destinataire direct d’obligations
internationales. Pour certains auteurs, il s’agirait même de la seule

329
voie possible pour apprécier la licéité d’une activité d’investissement.
Comme l’a remarqué L. Liberti,

« la mesure de dépossession substantielle prise en application d’une obligation inter-


nationale pesant sur l’État n’a (…) jamais pour effet juridique de rendre l’activité
d’investissement illicite. La licéité de la conduite de l’investisseur est susceptible
d’être mise en cause uniquement si l’on accepte (…) de reconnaître l’existence d’obli-
gations internationales dont les investisseurs seraient les destinataires »953.

Il est vrai que des entreprises peuvent commettre ou être com­


plices de violations de droits de l’homme, et notamment de crimes
internationaux contre l’humanité. Cependant, les obligations inter­
nationales mises directement à la charge des entreprises, bien que
fortement souhaitables, peinent à émerger. Ainsi, comme l’avait bien
résumé P. Juillard en 1994, « les instruments qui protègent les inves­
tisseurs contre les mesures que pourraient prendre les pays [d’ac­
cueil], sont plus nombreux que les instruments qui protègent les pays
[d’accueil] contre les comportements ou les agissements des inves­
tisseurs »954. Cette remarque est encore valable aujourd’hui, car les
seules contraintes des multinationales sont celles que ces dernières
veulent bien s’imposer dans leurs codes de conduites955. En outre,
le respect de ces codes dépourvus d’une valeur juridique contrai­
gnante dépend souvent, dans le meilleur des cas, de la vigilance de
la société civile. L’objectif n’est donc pas ici de faire la démonstra­
tion de l’existence d’obligations internationales mises directement
à la charge de l’investisseur. En attendant l’avènement et la multi­
plication de telles obligations, il faudra se contenter de l’existence
d’un ordre public international qui autorise les États d’accueil de
l’investissement à prendre des mesures pouvant être préjudiciables
aux investissements privés étrangers.
Un autre moyen de soumettre les activités d’investissement à un
contrôle de licéité est possible. En rappel, l’investissement étranger
implanté sur un territoire n’est pas imperméable aux obligations
internationales qui pénètrent la législation nationale. Rien ne fait
sérieusement obstacle à ce qu’une activité d’investissement soit illi­
cite du fait de l’effet indirect d’une obligation internationale mise
à la charge de l’État d’accueil. Au lieu de rechercher d’hypothé­
tiques obligations immédiates des investisseurs privés étrangers dans
l’ordre juridique international, il suffit de déterminer l’existence

953 L. LIBERTI, op. cit., note 711, pp. 833-844.


954 P.  JUILLARD, « L’évolution… », op. cit., note 17, p. 75.
955 En 2000, l’OCDE avait répertorié 246 codes de conduites privées dans les firmes
internationales. Pour une revue critique des codes de conduites élaborés par
les sociétés elles-mêmes, voir R. BACHAND, A. VEILLEUX, « Droits et devoirs
des investisseurs : existe-t-il un espace juridique transnational ? », GRIC, Vol. 1,
n° 13, décembre 2001, pp. 16-22.

330
d’une obligation à la charge de l’État hôte dont le contenu ou l’im­
pact concerne leurs activités. Un État ne pourra peut-être pas ame­
ner un investisseur devant un tribunal arbitral pour la commission
d’un fait internationalement illicite au regard des obligations du
second. Mais au moins, cet État ne pourra pas être tenu responsable
devant le même tribunal pour avoir pris les mesures requises afin de
se mettre en conformité avec ses propres obligations internationales.
Cela dit, comment déterminer concrètement les obligations éta­
tiques internationales concernées qui relèvent d’un ordre public
international ? La tâche est certainement malaisée. Mais la difficulté
à énumérer les règles d’ordre public international « ne doit pas pour
autant obliger le juriste à se résigner à une neutralité axiologique »956.

§ 3 – L’identification des normes


de l’ordre public international des investissements

« La notion “d’ordre public” est une de ces notions “claires obs­
cures” en droit dont la part de lumière et d’ombre dépend largement
du contexte dans lequel elle est appelée à agir »957. En partant de ce
constat de premier ordre, il importe de situer le contexte dans lequel
s’inscrit l’ordre public international auquel l’activité d’investissement
ne doit pas contrevenir. Ce contexte est certainement le droit interna­
tional des investissements (A). Ainsi situé, il devient possible dans une
démarche prospective, de déterminer les règles qui relèvent de l’ordre
public propre au droit international des investissements (B).

A. L’ordre public international applicable


au droit international des investissements

L’ordre public international des investissements qui trouve appli­


cation dans le processus de qualification de l’expropriation indi­
recte est d’abord « international », par opposition à un ordre public
transnational. Ensuite, en matière d’investissement, l’ordre public
international a été utilisé jusque-là en rapport avec des questions de
compétences. Mais l’objectif ici est de lui faire jouer directement un
rôle dans l’appréciation d’une question de fond.

Un ordre public véritablement international


D’emblée, il est essentiel de préciser que l’ordre public internatio­
nal des investissements qui sera esquissé ci-après ne se confond pas

956 B. OPPETIT, « Droit du commerce international et valeurs non marchandes »,


Etudes du droit international en l’honneur de Pierre Lalive, Bâle/Francfort Sur-le-
Main, éd. Helbing & Lichtenhahn, 1993, p. 309.
957 G. ABI-SAAB, « Avant-Propos », in H. ARFAZADEH, Ordre public et arbitrage
international à l’épreuve de la mondialisation, Bruylant, LGDJ, Schulthess, 2006,
p. XI.

331
l’ordre public transnational au sens du droit international privé, tel
qu’il fut défendu par des auteurs émérites.958 L’existence, le contenu
et la portée d’un ordre public transnational en droit international
privé et particulièrement dans l’arbitrage commercial ont suffisam­
ment été commentés, pour appeler ici encore de longs développe­
ments. Ainsi, dans le cadre de l’arbitrage commercial, P. Lalive a
défendu l’existence d’un ordre public transnational (ou véritable­
ment international) qui aurait deux fonctions : « soit négative (évic­
tion de la loi ou des règles normalement applicables), soit positive
(application impérative ou « prioritaire » de certaines normes ou de
certains principes supérieurs et fondamentaux pour le droit du com­
merce international) »959. On se contentera de relever que le recours
à un ordre public de ce type n’a pas de portée fondamentale pour le
sujet de cette étude.
En effet, il est évident que la première conséquence, dite de l’évic­
tion, ne concerne pas le contentieux de l’expropriation indirecte
devant un tribunal arbitral statuant sur le fondement d’un traité de
protection des investissements. L’arbitre n’a pas besoin de cet ordre
public transnational pour écarter l’application d’un droit interne,
qu’il fût celui de l’État hôte ou de l’État ressortissant de l’investis­
seur, car il n’est intéressé que par la conformité d’un comportement
étatique à une obligation internationale. De même, on imagine diffi­
cilement un investisseur, ou même un État, demandant à un tribunal
d’invalider le traité international d’investissement applicable dans
un litige d’investissement pour contrariété à l’ordre public interna­
tional.
Quant à la seconde fonction, celle de la primauté de certaines
règles, il existe certainement des règles impératives transnationales
qui s’imposent à l’arbitre du contentieux de l’investissement interna­
tional. Mais elles sont dénuées de conséquences pratiques dans notre
contexte. En premier lieu, parce qu’il est peu probable, contraire­
ment à une simple relation contractuelle privée, qu’un contrat d’État
sur un investissement soit complètement immoral ou contraire aux
bonnes mœurs (réserve faite des accusations de corruption qui
relèvent plus souvent des circonstances de la conclusion du contrat
que de son objet et qui sont d’ailleurs rarement prouvées devant les

958 Au premier rang desquels se trouve P. LALIVE, dont deux articles sont
particulièrement incontournables sur le sujet : « Ordre public transnational (ou
réellement international) et arbitrage international », Revue de l’arbitrage, 1986,
Issue 3, pp. 329-374 ; « L’ordre public transnational et l’arbitre international »,
in Nouveaux instruments du droit international privé, Liber Fausto POCAR, Milan,
Giuffré Editor, 2009, 599-611. Voir aussi I. FADLALLAH, « L’ordre public dans
les sentences arbitrales », RCADI, 1994, vol. 249, pp. 377-430 ; A. COURT DE
FONTMICHEL, l’arbitrage, le juge et les pratiques illicites du commerce international,
LGDJ, Paris, 2004, pp. 99-139.
959 P. LALIVE, « Ordre public transnational (ou réellement international)… »,
ibidem, p. 331.

332
tribunaux)960. Envisager que des litiges soient portés devant un tri­
bunal CIRDI pour un contrat d’investissement dont l’objet porterait
sur la contrebande, les exportations fictives, ou la vente d’armes de
guerre961 relèverait pratiquement de la fiction. En second lieu, et ce
fut déjà souligné, la question de la licéité de l’activité d’investisse­
ment ne concerne pas la légalité de l’admission de l’investissement.
Il est peu probable qu’un État admette un investissement sur son
territoire ou signe un contrat dont l’objet est illicite, à moins que
des informations ne lui aient été frauduleusement cachées. Et même
dans l’hypothèse où un investissement ne serait pas admis en confor­
mité avec les lois et règlements de l’État hôte, la question de l’expro­
priation indirecte ne se poserait même pas. Cet investissement ne
serait pas en effet couvert par la protection du TBI.
C’est donc un ordre public prenant directement assise sur le droit
international qui importe ici962. Par conséquent, il n’est pas indis­
pensable de s’atteler à la tâche laborieuse de déduire des règles
impératives de la convergence d’un grand nombre d’ordres publics
étatiques. Les sources formelles de l’ordre public international des
investissements sont résolument internationales, qu’il s’agisse d’obli­
gations conventionnelles ou coutumières impératives. Ainsi ratta­
ché aux obligations internationales de l’État hôte, l’ordre public
international des investissements pourra éviter le reproche qui est
souvent fait à l’existence d’un ordre public transnational en droit
international privé ; à savoir que ce dernier n’est qu’un révélateur
d’une éthique des affaires internationales ne constituant pas un sys­
tème de règles de droit positif. Par exemple, il ne sera pas possible
de réduire l’ordre public international des investissements à des
« règles morales [qui] n’organisent pas elles-mêmes la conséquence
juridique qui découle de leur violation »963 et dont la seule utilité est
de rendre « opératoires et adéquats des concepts de droit interne »964.
Mais il ne suffit pas que l’ordre public applicable se situe dans
l’ordre juridique international. Il faut qu’il s’enracine dans une

960 Voir par exemple les affaires Azurix c. Argentine, op. cit., note 115, ou EDF (service)
Limited c. Roumanie, op. cit, note 411. On peut citer néanmoins une affaire
récente portée devant le CIRDI sur le fondement d’un contrat d’investissement
dans laquelle l’allégation de corruption a été retenue par le tribunal : World Duty
Free Company Limited c. Kenya, (ARB/00/7), sentence CIRDI du 4 octobre 2006.
961 D’après une liste de contrats reconnus comme contrevenant à l’ordre public
transnational par les arbitres du contentieux du commerce international établie
par A. COURT DE FONTMICHEL, op. cit., note 958, pp. 103-130.
962 L’ordre public transnational dans l’arbitrage commercial est souvent distingué
de l’ordre public international étatique de droit international privé. Ce dernier
est constitué des règles d’ordre public d’un État ayant vocation à régir toutes les
situations ayant un lien suffisant avec son ordre juridique interne. Aucune des
deux notions ne sera examinée ici.
963 A. COURT DE FONTMICHEL, op. cit., note 959, p. 129.
964 Ibidem, p. 139.

333
banche particulière du droit international qui pourra lui donner de
la substance et un minimum de cohésion. Cette branche sera logi­
quement celle où se situe la problématique de l’expropriation indi­
recte, à savoir le droit international des investissements. Il importe
en effet que l’ordre public international applicable soit adapté aux
besoins et aux réalités des opérations d’investissements. Aussi bien
les investisseurs étrangers que les États d’accueil ont pour intérêt
commun de créer un cadre favorable à des relations mutuellement
fructueuses. En ce sens, l’ordre public international des investisse­
ments ne peut se résumer à embrasser simplement toutes les règles
reconnues comme impératives par le droit international.

Un ordre public international des


investissements applicable au fond du litige
L’ordre public international propre au droit international des
investissements n’a pas encore fait l’objet, semble-t-il, d’une appli­
cation dans une sentence arbitrale sur la violation d’une obligation
conventionnelle. Non pas que la notion d’ordre public internatio­
nal soit elle-même inconnue de l’arbitrage investisseur-État. Au
contraire, elle intervient souvent dans les procédures d’annulation
des sentences arbitrales devant le juge étatique du lieu de situation
du tribunal. Pour les sentences rendues par les tribunaux ad hoc,
les questions de la reconnaissance et de l’application de la sentence
arbitrale peuvent conduire à l’examen du respect de l’ordre public
international de l’État où a siégé le tribunal arbitral. L’ordre public
international de cet État est en effet un motif d’annulation des sen­
tences arbitrales étrangères pour les Etats ayant ratifié la convention
de New York de 1958965. Les articles 52.1 de la Convention CIRDI et
50.1 (ii) du règlement d’arbitrage CIRDI ne se réfèrent pas explici­
tement au motif de la contrariété de l’ordre public966. Comme on

965 Voir Convention sur la reconnaissance et l’exécution de sentences arbitrales


étrangères (« Convention de New York ») de 1958. Elle fait obligation à ses
quelques 150 États parties de reconnaître et de faire appliquer les sentences
arbitrales rendues à l’étranger. L’article 5 dispose que les États ne peuvent s’y
refuser que pour sept motifs limités : (1) il n’y pas eu de consentement à l’arbitral
valable ; (2) l’arbitrage n’a pas fait l’objet d’un préavis en bonne et due forme
ou d’une procédure régulière ; (3) la sentence n’est pas conforme aux termes
de la soumission à arbitrage ; (4) le tribunal n’a pas été correctement constitué ;
(5) la sentence a été suspendue ou annulée au lieu de l’arbitrage ; (6) l’objet du
différend ne peut être soumis à arbitrage ; et (7) l’exécution de la sentence serait
contraire à l’ordre public de l’État dans lequel elle a été demandée.
966 Aux termes de l’article 52.1 de la Convention CIRDI, le tribunal ou, plus
précisément, le « comité d’annulation » ne peut annuler une sentence que
pour cinq motifs : « a) vice dans la constitution du Tribunal ; b) excès de
pouvoir manifeste du Tribunal ; c) corruption d’un membre du Tribunal ; d)
inobservation grave d’une règle fondamentale de procédure ; e) défaut de
motifs ».

334
le sait, les sentences arbitrales CIRDI sont exécutoires dans les pays
membres de la Convention et ne peuvent faire l’objet d’une annula­
tion que par un autre tribunal arbitral CIRDI.
En ce qui concerne la résolution du litige lui-même, les arbitres
ont parfois recouru à l’ordre public international pour déterminer le
droit applicable lorsque l’interaction entre le droit interne et le droit
international n’était pas encore clairement établie par les tribunaux,
et lorsque l’interprétation de l’article 42 (1) de la convention CIRDI
faisait encore l’objet de controverses967. Le rôle de l’ordre public
international était alors de permettre l’éviction de règles nationales
applicables qui lui seraient contraires. Par conséquent, le contenu
de cet ordre public international se confondait pratiquement avec
les obligations incluses aujourd’hui dans les TBI : standard minimal
de traitement des étrangers ; traitement national ; indemnisation en
cas d’expropriation, pour ne citer que ces exemples968. L’ordre public
international intervenait alors pour assurer la protection des intérêts
de l’investisseur et non pas celui de l’État d’accueil.
L’avènement d’un revirement en faveur des intérêts de l’État hôte,
ou plutôt du dédoublement du rôle de l’ordre public international
en matière d’investissement est désormais nécessaire. Il ne fait que
répondre à l’évolution du rôle joué par les États d’accueil d’inves­
tissements dans les relations économiques internationales. D’une
souveraineté étatique exacerbée au lendemain de l’accession des
territoires colonisés à l’indépendance, on est passé à un assouplis­
sement plus ou moins consenti du contrôle étatique sur les investis­
seurs étrangers.
Il arrive aussi, comme dans l’arbitrage commercial, que l’ordre
public international mène à l’invalidation du contrat d’investisse­
ment invoqué par les parties au litige et les droits qui en découlaient.
Tel fut le cas dans l’affaire World Duty Free c. Kenya. Le contrat d’in­
vestissement pour la construction et l’exploitation de commerces
dans la zone franche d’un aéroport national avait été conclu grâce
à la corruption des plus hautes autorités de l’État. La remise d’une
somme de 2 millions de dollars américains en espèces au précédent
président de la République n’était d’ailleurs pas contestée devant le

967 L’article 42 (1) est rédigé comme suit : « Le Tribunal statue sur le différend
conformément aux règles de droit adoptées par les parties. Faute d’accord entre
les parties, le Tribunal applique le droit de l’État contractant partie au différend
– y compris les règles relatives au conflit de lois – ainsi que les principes de droit
international en la matière ». La question était essentiellement de savoir si le droit
applicable en cas de silence des parties était le droit interne de l’État hôte ou
le droit international, ou le premier complété par le second en cas de lacune
ou de contrariété. Sur ces discussions, voir Ch. H. SCHREUER et al., The ICSID
Convention, A Commentary, Cambridge University Presse, 2009, 2e éd., pp. 545-639.
968 Avec la multiplication des TBI, le recours à l’ordre public international assurant
un minimum de protection à la propriété privée face à l’arbitraire et la toute-
puissance de l’État a perdu largement de son intérêt pratique.

335
tribunal, même si les parties divergeaient sur la qualification juri­
dique de ce geste969. Ayant qualifié ce don d’acte de corruption au
regard des preuves présentées devant lui, le tribunal a invalidé le
contrat contrevenant à l’ordre public international. Cet ordre public
a été défini par le tribunal comme un « international consensus as to
universal standards and accepted norms of conduct that must be applied
in all fora »970. Mais l’ordre public international n’a pas été appliqué
dans le processus de qualification d’un comportement étatique en
violation d’une clause contractuelle. C’est l’admissibilité en amont
de la requête qui était concernée. En effet, le tribunal a conclu que :
« claimant is not legally entitled to maintain any of its pleaded claims in
these proceedings as a matter of “ordre public international” and public policy
under the contract’s applicable law »971. La perspective du tribunal dans
cette affaire ne correspondait donc pas à celle présentée ici.
En dehors de ces questions, l’ordre public international n’est pas
directement utilisé au fond du litige afin de moduler l’interprétation
d’une obligation conventionnelle, et encore moins celle de l’expro­
priation indirecte. La multiplication des mesures d’expropriations
indirectes par mesures horizontales et les enjeux qu’elles posent
devraient faire évoluer cette situation. Afin d’assurer une interac­
tion harmonieuse entre le droit international des investissements
et les obligations issues d’autres matières du droit international, les
règles d’ordre public international des investissements doivent pou­
voir concilier les différentes obligations étatiques qui intéressent une
même activité d’investissement.

B. Les trois critères cumulatifs d’identification


des normes de l’ordre public international des investissements

Trois critères doivent être remplis par toute obligation à la charge


d’un État qui se veut d’ordre public dans le droit international des
investissements. L’obligation doit avoir, au moins potentiellement, un
rapport conflictuel avec la protection accordée à un investissement.
Elle doit constituer ensuite une norme impérative de droit interna­
tional et enfin être visée, au moins implicitement, par les traités de
protection des investissements. Ces trois critères sont cumulatifs.

Une norme qui interagit avec la protection de l’investissement


Les obligations internationales qui peuvent interagirent avec le
droit international des investissements sont nombreuses. Il suf­
fit, pour s’en convaincre, de faire la revue de la jurisprudence du
CIRDI. Ainsi, la protection des droits humainsà travers l’accès à

969 Pour le Kenya, il s’agissait d’un acte de corruption et pour l’investisseur d’un
don à l’État kenyan pour le financement de projets de développement.
970 World Duty Free c. Kenya, op. cit., note 960, § 139.
971 Ibidem, § 188. En français et en italique dans le texte.

336
l’eau potable (Biwater c. Tanzanie), la protection de l’environnement
(Metalclad c. Mexique, SD Myers c. Canada, Pope & Talbot c. Canada ;
Tecmed c. Mexique), et la protection de la santé humaine (Methanex
c. États-Unis ; P Morris c. Venezuela ; P. Morris c. Australie (deux affaires
en cours) sont des questions qui sont soulevées par les parties dans
un litige d’investissement devant les tribunaux CIRDI. Il faut noter
que la protection de l’environnement est l’argument le plus fré­
quemment soulevé actuellement. Cela n’a rien de surprenant quand
on sait que l’environnement peut avoir une valeur économique et
que son exploitation est source d’importantes richesses. Au-delà de
sa valeur pour la survie de l’espèce humaine, l’environnement est
aussi un objet de convoitise au centre de gros enjeux financiers. Il
est donc normal qu’il soit à la source de tensions importantes entre
des intérêts strictement financiers et des valeurs non marchandes.
Les hypothèses des obligations qui peuvent entrer en contradiction
avec la protection offerte aux investisseurs par la clause d’expropria­
tion étant presque illimitées, il n’est pas possible de toutes les recen­
ser. Sur ce point, les développements précédents en rapport avec la
licéité systémique de la clause d’expropriation suffisent à dresser des
exemples pertinents. Précisons que le dispositif de l’obligation doit
autoriser, encourager ou prescrire un comportement étatique pou­
vant porter préjudice aux intérêts économiques d’un investisseur ;
qu’il s’agisse de règlementer, limiter, interdire ou au contraire impo­
ser certains comportements sur le territoire national.
Dans la mesure où l’impérativité d’une obligation internationale
en droit international n’est pas fonction de sa source formelle, cer­
taines de ces obligations pourront provenir de conventions inter­
nationales. D’autres relèveront simultanément ou exclusivement du
droit international coutumier.

Une norme reconnue comme impérative en droit international


Il n’est pas possible de parler d’un ordre public international, fût-
il propre aux investissements, sans mentionner le jus cogens. L’exis­
tence de règles de jus cogens dans l’ordre juridique international
est officiellement reconnue aujourd’hui au niveau conventionnel
(article 53 de la convention de Vienne 1969 sur le droit des traités
ou article 40 du projet adopté en 2001 de la CDI sur la responsabilité
internationale des États), et dans la jurisprudence internationale,
notamment celle de la CIJ972. Cette consécration ne résout pas pour

972 La CIJ a fait allusion à l’existence de ce qu’elle a nommé des normes impéra­
tives, erga omnes, ou intransgressibles dans plusieurs de ses décisions. Voir par
exemple Affaire relative au Sud-Ouest Africain de 1950 (Rec. p. 332) ; Affaire de la
Barcelona Traction, op. cit., note 83 ; Avis consultatif sur la Namibie de 1971 (§ 126-
131) ; Affaire des Essais Nucléaires français dans le Pacifique de 1974 (Rec. p. 269) ;
Avis consultatif sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires du 8 juillet
1996 (§ 79) ; Avis consultatif dans l’affaire du mur du 9 juillet 2004 (§ 156-157).

337
autant le problème de la précision des contours de cette notion. On
s’accorde à reconnaître qu’il s’agit de règles impératives auxquelles
les sujets du droit international ne peuvent pas déroger. Les règles
impératives sont définies, conformément à l’article 53 de la Conven­
tion de Vienne comme des normes « acceptées et reconnues par la
communauté internationale des États dans son ensemble ». Mais la
détermination des règles de jus cogens demeure une question diffi­
cile en raison de plusieurs paramètres inhérents à la définition de la
notion elle-même973. Toutefois, un noyau de règles fait l’objet d’un
consensus quant à leur indérogeabilité dans la jurisprudence des ins­
titutions internationales de règlement des différends : actes d’agres­
sions, génocide, atteintes aux droits fondamentaux de la personne
telles que l’esclavage, la torture, ou la discrimination raciale, une
partie des règles du droit humanitaire, et le droit à l’autodétermi­
nation.
L’application de la clause d’expropriation indirecte peut soulever
parfois la question de sa licéité systémique. Et parce que la clause
d’expropriation indirecte doit pouvoir s’insérer harmonieusement
dans l’ordre juridique international, elle ne saurait protéger une
activité d’investissement elle-même contraire aux règles impératives
de cet ordre juridique. L’obligation relevant de l’ordre public des
investissements doit donc être au préalable impérative en droit inter­
national. Comme le remarquait P. Sands, « in the context of globaliza-
tion in the early part of the twenty-first century, we are required to ask whether
international law is a set of self-contained regimes or a more holistic and
complete system that accommodates different social values and melds them
into an integrated whole »974. Seule une conception holistique du droit
international permet d’en assurer la cohérence. Cett cohérence est
une condition fondamentale si l’on souhaite trouver « clear guidelines
on the question of which classes or categories of regulatory purposes are accep-
ted by both developed and developing states as requiring property owners to
bear the resulting economic costs »975.
Mais il ne suffit pas que l’obligation soit impérative en droit inter­
national, il faut qu’elle bénéficie d’une reconnaissance, au moins
implicite, dans les traités de protection des investissements.

Il a fallu attendre 2006 pour que la Cour emboîte le pas d’autres juridictions
internationales et régionales, et fasse expressément référence au terme de « jus
cogens » dans l’affaire des activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête)
RDC c. Rwanda du 3 février 2006 (§ 64). 
973 Sur ces questions, voir P.-M. DUPUY, « L’unité de l’ordre public international »,
RCADI, vol. 27, 2002, pp. 269-313.
974 P. SANDS, « Searching for Balance : Concluding Remarks », NYU Environmental
Law Journal, 2003, Vol. 11, p. 202.
975 A. S. WEINER, op. cit., note 576, p. 175.

338
Une norme mentionnée dans les traités de protection des investissements
La reconnaissance ou la référence, même indirecte, à des obliga­
tions internationales impératives dans les TBI permet de conférer
un rôle plus large à l’ordre public international des investissements.
Cette reconnaissance permet de légitimer l’immixtion de l’ordre
public international des investissements directement dans le proces­
sus de qualification de l’expropriation indirecte lorsqu’une mesure
horizontale est en cause. Elle confère toute sa légitimité à la prise
en compte d’autres considérations aux côtés des seuls intérêts éco­
nomiques des investisseurs. Comme le souligne M. Sornarajah, « the
increasing recognition of such regulatory right will undermine the aim of
investment protection and require the recognition that a state has the right to
intervene in an investment that poses a danger to the environment or involves
an abuse of human rights »976.
On a souvent reproché aux traités de protection des investisse­
ments d’être uniquement focalisés sur les intérêts économiques des
investisseurs, à l’exclusion des intérêts de la communauté internatio­
nale ou même de l’État hôte. Il est vrai que dans ces traités, les inves­
tisseurs n’y ont que des droits et aucune obligation. Mais une petite
évolution s’effectue par le biais des préambules plus élaborés des TBI
et ALE récents et l’exclusion de certains types de règlementations
étatiques de la définition de l’expropriation indirecte. Trois groupes
d’obligations peuvent déjà être identifiés car ils sont insérés dans cer­
tains traités récents qui tentent de les concilier avec la protection de
l’investissement privé étranger : la protection de la vie et de la santé
humaines, le respect des droits fondamentaux des travailleurs, et la
protection de l’environnement. Ces trois intérêts protégés reconnus
dans les préambules des TBI ou dans les clauses d’exceptions ren­
voient finalement aux droits fondamentaux des droits de l’Homme.
Cela tient sans doute, comme le dit P.-M. Dupuy, à « la propagation
de la logique des droits de l’homme dans l’ensemble du corps nor­
matif du droit international »977.
Il faut rappeler que le contenu de ces préambules et la rédaction
de ces clauses ne permettent pas de les utiliser efficacement pour
contrer directement la doctrine du seul effet. Il ne s’agit pas de dis­
positions contraignantes pouvant faire l’objet de sanctions. Et c’est
en raison de cette difficulté que la recherche des arguments pour
exporter le critère de l’intérêt public des conditions de licéité vers les
critères de qualification s’est révélée vaine.
Toutefois, même rédigées sous forme de recommandations, les
valeurs protégées qui sont mentionnées dans les préambules ou dans
les clauses des traités de protection des investissements reflètent des
obligations internationales qui, si elles sont reconnues comme impé­
ratives, doivent s’imposer aux activités d’investissements. Une fois

976 M. SORNARAJAH, op. cit., note 40, pp. 77-78.


977 P.-M. DUPUY, op. cit., note 973, p. 300.

339
que l’on se situe au sein du critère de l’effet redéployé, ces obligations
impératives sont appelées à jouer un rôle novateur important. En
d’autres termes, ces préambules et ces clauses serviront à guider la
recherche des règles internationales impératives reconnues comme
applicables dans le contentieux international des investissements. À
ce propos, certains traités récents précisent les sources convention­
nelles où il faut aller chercher les obligations pertinentes. À l’image
de l’article 5 des récents TBI belges, quelques textes précisent que
les droits fondamentaux des travailleurs ne pouvant pas être com­
promis en faveur de la protection accordée aux investissements, sont
ceux prévus dans la déclaration de l’Organisation Internationale
du Travail sur les droits fondamentaux des travailleurs. S’agissant
de l’ALENA, la protection de l’environnement est mise en relation
avec quatre accords environnementaux dont la convention de Bâle,
même si certaines conditions encadrent l’intervention de ces accords
dans le contentieux978.
On notera également qu’une simple référence à un traité ou
une norme particulière dans un traité d’investissement ne signi­
fie pas ipso facto que les obligations qui en ressortent sont d’ordre
public. Comme on le sait, si toute norme juridique est obligatoire,
elle n’est pas nécessairement impérative au sens de la non-dérogea-
bilité. Il faut donc que la norme internationale appelée à interagir
avec la protection de l’investissement privé international et invoquée
par les TBI et ALE soit reconnue dans le même temps comme une
norme impérative de droit international.
En définitive, l’esquisse des obligations impératives de protec­
tion des droits humains effectuée dans cette section n’épuise pas
le contenu de l’ordre public international des investissements appli­
cable lors du processus de qualification d’une expropriation indi­
recte. Il ne peut en aller autrement, car la notion d’ordre public
international renvoie à un « contenant » et non à un « contenu »
précis. Il appartient aux tribunaux arbitraux qui seront amenés à se
pencher sur cette question de définir au fur et à mesure, sur la base
des critères proposés, la physionomie de l’ordre public spécifique
au droit international des investissements et directement applicable
au sein du processus de qualification d’une expropriation indirecte.
En somme, reconnaître la nécessité d’évaluer la licéité de l’activité
d’investissement ayant subi un préjudice substantiel par le biais d’une
mesure horizontale étatique, permet de réconcilier le besoin de pro­
téger l’investissement privé étranger tout en s’assurant du respect
de certains intérêts fondamentaux de la communauté internationale
dans un système juridique qui se veut cohérent. N’est-ce pas normal
de pouvoir demander à l’investisseur étranger, qui est avant tout un
opérateur économique implanté sur un territoire national donné,

978 Les deux États concernés par le litige, État hôte et État de nationalité de l’inves­
tissement, doivent avoir ratifié ces traités.

340
de veiller à ce que ses activités ne soient pas contraires aux valeurs
les plus fondamentales et universelles de nos sociétés humaines ?
En quelque sorte, il ne s’agit là que d’un échange de bons procédés
entre l’État qui assure la protection de l’investissement et l’investis­
sement qui contribue au développement économique de l’État hôte.

Le processus d’application du critère de l’effet préjudiciable


Avant de conclure sur ce dernier chapitre, une remarque d’ordre
méthodologique doit être faite afin de lever une éventuelle ambi­
guïté. Dans quel ordre l’arbitre devra-t-il examiner chacun des trois
paramètres du critère de l’effet redéployé ? L’ordre de présenta­
tion utilisé dans cette étude semble préférable, même s’il n’est pas
impératif. Ainsi, les trois paramètres du critère de l’effet redéployé
peuvent être examinés dans l’ordre suivant :
– Le préjudice a-t-il concerné l’investissement dans sa globalité ?
– Le préjudice a-t-il remis en cause la viabilité productive de l’in­
vestissement ?
– Le préjudice a-t-il porté sur une activité économique licite au
regard de l’ordre public international des investissements ?
En raison de l’importance de chacun de ces trois paramètres et
de l’application cumulative qui est requise, il est en théorie possible
de commencer indifféremment par l’un ou l’autre. Cependant, un
argument d’ordre pratique milite pour que l’ordre de réflexion soit
celui-là. Il convient de vérifier d’abord les deux paramètres de l’éten­
due et de la gravité du préjudice, car ils correspondent à des variantes
des éléments classiques du processus de qualification de l’expropria­
tion indirecte. Il ne s’agit en définitive que d’une relecture des cri­
tères qui sont déjà utilisés, implicitement ou explicitement, par les
tribunaux arbitraux. De surcroît, une bonne majorité des mesures
horizontales ne pourront pas franchir ces deux premières barrières ;
ce qui évitera donc de s’engager inutilement sur le terrain délicat
de la licéité de l’activité d’investissement. C’est seulement lorsque
les deux premiers paramètres ne peuvent suffire à écarter la qua­
lification d’expropriation indirecte qu’il faudra aller jusqu’à cette
ultime vérification ; vérification qui est rendue nécessaire par les
problèmes d’ordre systémique posés par certaines mesures horizon­
tales d’expropriation et dont nous parions sur la multiplication dans
le contentieux arbitral d’investissement à l’avenir. Les très attendues
sentences arbitrales dans les affaires opposant P. Morris à l’Uruguay
et à l’Australie seront intéressantes à cet égard.

* * *

341
Au terme de cette seconde partie, il faut concéder que plusieurs
de nos propositions relèvent pour une grande part de la prospec­
tion ; prospection rendue nécessaire par la complexité et la difficulté
du sujet. L’évaluation de la licéité de l’activité d’investissement peut
cependant passer du statut de lege feranda à celui de lege lata, sans que
les tribunaux aient besoin de faire preuve d’une extrême audace.
Certes, l’approche est novatrice mais elle repose sur des notions qui
disposent déjà d’une solide assise dans les droits internes et dans cer­
taines branches du droit international. C’est le cas des attributs de la
propriété ou la notion de l’ordre public. En pratique, ni les réalités
économiques des investissements internationaux, ni la théorie géné­
rale du droit international des investissements ne font sérieusement
obstacle à l’insertion de ces paramètres dans l’évaluation de l’effet
préjudiciable de la mesure par les tribunaux.
Il a été démontré que l’État hôte d’investissement ne se dépouille
pas complètement de son pouvoir normatif du simple fait qu’il s’est
engagé à protéger des investisseurs ressortissants d’un autre État
dans un traité de protection des investissements. Non seulement il
ne peut renoncer à règlementer directement les activités d’investis­
sement, mais surtout il ne saurait abandonner son pouvoir normatif
général sur les activités économiques se déroulant dans les limites
de son territoire. Si l’on doit convenir que les TBI et ALE imposent
une ligne de conduite aux États signataires envers les investisseurs
étrangers qu’ils reçoivent, on conçoit beaucoup plus difficilement
que ces traités puissent contraindre l’État à abandonner l’idée de
modifier et adapter ses lois et règlements pouvant concerner de près
ou de loin les activités économiques d’un investisseur. Dans le même
ordre d’idée, le fait que l’État soit autorisé par le droit international,
moyennant indemnisation, à porter préjudice, même incidemment,
à un investissement privé étranger ne doit pas masquer la réalité
de ses capacités financières. Aucun pays ne peut assumer le fait de
devoir payer toutes les fois qu’il légifère au détriment de certaines
personnes privées. De surcroît, comment justifier qu’un État doive
payer pour un comportement qui lui est recommandé, sinon pres­
crit, par d’autres normes internationales ?
Puisque l’attraction directe des conditions de licéité d’une expro­
priation vers les éléments constitutifs de cette dernière n’est pas
défendable, ni en théorie, ni en pratique, il ne reste alors qu’à
contourner l’obstacle, au lieu de vouloir le franchir en ligne droite.
Le critère de l’effet redéployé est l’une des voies de contournement
possible, car il respecte à la fois les principes fondamentaux de pro­
tection résultant du droit de l’expropriation, tout en ménageant de
manière raisonnable un espace règlementaire non indemnisable à
l’État d’accueil.

342
Conclusion

Cette étude est partie de l’hypothèse qu’un processus de qualifi­


cation d’une expropriation indirecte pouvait être développé dans le
respect du pouvoir normatif de l’État hôte d’investissement et sans
que la protection effective accordée à l’investisseur soit remise en
cause. La clé de l’encadrement adéquat des contours de l’expropria­
tion indirecte devrait se trouver dans une distinction cruciale entre
deux catégories de mesures étatiques préjudiciables à l’investisse­
ment : la mesure verticale et la mesure horizontale.
À l’issue des réflexions, cette intuition de départ s’est révélée être
un précieux fil conducteur. En effet, la distinction entre les mesures
verticales d’expropriation indirecte qui lèsent l’investissement visé
comme tel dans son intégrité, tout en laissant le titre de propriété
intacte, et les mesures horizontales d’expropriation indirecte dont
les répercussions collatérales ne font que modifier le contexte éco­
nomique général de l’investissement, ont permis d’identifier le véri­
table obstacle au repérage d’une ligne de démarcation entre expro­
priation indirecte et réglementation non indemnisable.
Le critère classique de qualification d’une expropriation indi­
recte utilisé dans la jurisprudence arbitrale majoritaire et dénommé
comme la doctrine du seul effet, a été conçu pour la génération des
mesures verticales. Désormais, avec la multiplication des mesures
horizontales, ce critère se révèle insatisfaisant, car il peut induire
une limitation excessive du pouvoir normatif de l’État d’accueil
d’investissements. Or, si l’État doit offrir à l’investisseur étranger des
garanties élémentaires de sécurité et de rentabilité, ces privilèges
ne peuvent pas être élevés au point de devenir inadmissibles pour
sa souveraineté. Cela revient à dire que si certaines règlementations
publiques ne peuvent être exclues a priori du champ d’application de
l’expropriation indirecte, néanmoins elles ne peuvent être soumises
à son régime juridique que par le biais d’un processus de qualifica­
tion particulièrement rigoureux, et intégrant les intérêts de l’État
règlementant. Le processus de qualification d’une mesure horizon­
tale doit alors être libéré, en partie, de l’héritage des expropriations
directes et des premières formes d’expropriations indirectes.
Que doit-on comprendre alors aujourd’hui par « expropriation
indirecte » ? En premier lieu, que toute expropriation indirecte se
caractérise par un préjudice grave causé à un investissement et équi­
valant à celui d’une expropriation directe. En deuxième lieu, qu’il
n’existe pas une, mais deux formes d’expropriations indirectes recou­
vrant chacune une multitude d’hypothèses présentant des caractéris­
tiques communes : les mesures verticales et les mesures horizontales.
En troisième lieu, que le processus de qualification doit être adapté à
chaque forme d’expropriation indirecte, tout en demeurant dans le

343
cadre légal posé par la clause d’expropriation dans les traités de pro­
tection des investissements. Une fois que cette réalité est comprise, il
devient possible de trouver une solution idoine.
Concrètement, lorsqu’une mesure verticale est en cause, l’applica­
tion plus rigoureuse de la doctrine du seul effet suffit globalement à
écarter les mesures non expropriantes de l’État.
Lorsqu’il s’agit d’une mesure horizontale, expression du fonction­
nement normal des services publics, le critère de l’effet redéployé est
alors préférable. Ce critère signifie qu’une mesure horizontale étatique ne
peut équivaloir à une expropriation directe que si un préjudice total et sérieux
a été porté à la viabilité productive d’une activité licite d’investissement. L’ap­
plication du critère de l’effet redéployé implique que ne peuvent pas
être accueillis au sein du processus de qualification, ni les préjudices
sur une portion de l’investissement, ni les préjudices aux seuls droits
de jouir des fruits de son investissement ou de l’aliéner, et encore
moins les préjudices causés à des activités contraires aux valeurs car­
dinales protégées par le droit international. En d’autres termes, l’éva­
luation de la gravité de l’effet préjudiciable de la mesure horizontale
doit se déployer sur l’ensemble des activités constituant l’investisse­
ment (étendue du préjudice), sur le cœur patrimonial qui fonde l’in­
térêt à détenir l’investissement (profondeur du préjudice), et sur la
conformité de l’activité d’investissement au regard d’un ordre public
international des investissements (licéité de l’activité substantielle­
ment lésée). Cet ordre public international des investissements est
constitué par les obligations internationales impératives à la charge
de l’État hôte qui interfèrent avec la protection de l’investissement
étranger, et qui sont reconnues au moins implicitement comme pri­
mordiales par les traités de protection des investissements.
Le critère de l’effet redéployé offre une solution de rechange
admissible à la doctrine du seul effet, car il n’impose pas de procé­
der à une attraction directe des critères de licéité dans les éléments
constitutifs de l’expropriation indirecte, en violation de l’esprit et
la lettre des clauses conventionnelles. Il introduit d’abord une plus
grande rigueur dans l’application d’un paramètre déjà acquis dans
la jurisprudence qu’est le caractère substantiel du préjudice à travers
le double examen de son étendue et de sa profondeur. Il intègre
ensuite une flexibilité, rendue nécessaire par certaines réalités et
certains impératifs économiques, permettant de regarder au-delà
du strict droit d’user de son investissement pour englober la viabilité
productive de ce dernier. Enfin, il permet d’aménager un espace
raisonnable de réglementation à l’État en faveur de l’intérêt général,
lorsque la valeur protégée au détriment de l’investissement relève
d’une obligation impérative du droit international. Il s’agit donc
d’un critère de qualification à multiples facettes mêlant des éléments
classiques et novateurs afin de prendre en compte les intérêts de l’in­
vestisseur et ceux de l’État d’accueil dont l’antagonisme se cristallise
avec l’édiction d’une mesure horizontale. Par conséquent, le critère

344
de l’effet redéployé n’est finalement qu’une version de celui de l’effet
préjudiciable classique.
Il est donc possible de prendre appui sur ce qui est déjà acquis,
sans avoir recours à de nouveaux concepts. Les notions juridiques
sont certes amenées à évoluer avec la réalité, mais il vaut mieux les
adapter que d’en inventer de nouvelles. L’expropriation indirecte,
catégorie fonctionnelle et catégorie-reflet d’une autre notion juri­
dique, à savoir l’expropriation directe, se prête parfaitement à un tel
exercice.
Toutefois, il appartient aux États signataires des traités de protec­
tion des investissements qui souhaitent tirer leçons des arbitrages
investisseurs-États des deux dernières décennies, de fixer par la voie
conventionnelle, des limites plus précises aux expropriations indi­
rectes survenant par le biais d’une règlementation d’ordre géné­
ral. Qu’ils optent de définir l’expropriation indirecte ou de créer
des exceptions, les nouvelles clauses devront être plus explicites et
efficaces qu’elles ne le sont dans les récents TBI et ALE. En effet,
tant que certaines qualités conférées à la mesure horizontale par le
droit interne de l’État d’accueil, en fonction par exemple de l’inté­
rêt public particulier qu’elle vise, ne seront pas reçues directement
dans les traités de protection des investissements, l’exclusion pure
et simple de certaines règlementations générales, notamment celles
dites de police, ne sera pas défendable devant les tribunaux arbi­
traux. L’idéal serait que les traités, dans leur ensemble, soient rené­
gociés pour clarifier les contours de l’expropriation indirecte. Mais
cette solution est aujourd’hui peu probable, car la possibilité d’un
accord multilatéral semble s’être évanouie, du moins dans un avenir
proche. En attendant donc l’émergence souhaitable d’une nouvelle
génération de clauses conventionnelles, le critère de l’effet redéployé
constitue une option viable d’encadrement des mesures horizontales
éligibles au statut d’expropriation indirecte.
Il serait illusoire de rechercher une solution miracle qui résoudrait
tous les enjeux posés par les mesures horizontales d’expropriation
indirecte. Telle n’était d’ailleurs pas la prétention de cet ouvrage.
Son apport premier a été de proposer une nouvelle grille de lec­
ture du phénomène de l’expropriation indirecte à travers la caté­
gorisation entre la mesure verticale et la mesure horizontale. Cette
distinction binaire constitue véritablement la clé pour délimiter
les contours de l’expropriation indirecte en droit international des
investissements. Elle pourra donc constituer le point de départ pour
des recherches ultérieures pouvant aller ou pas dans le même sens
que nos propositions finales. Si cette relecture a conduit ici à « redé­
ployer » un critère classique de qualification, d’autres conséquences
pourraient en être tirées. En définitive, il revient aux tribunaux arbi­
traux, aux conseils des parties et aux spécialistes de la matière de se
saisir de cette grille d’analyse afin de la rendre opérationnelle dans
les litiges portant sur l’investissement étranger.

345
Annexes

Exemples de clauses récentes d’expropriation

Model de traité bilatéral d’investissement de la SADEC/


Southern African Development Community (SADEC)
Model Bilateral Investment Treaty, 2012

Article 6
(Traduction de l’auteure)

Expropriation
6.1. Un État Partie ne peut, directement ou indirectement, nationa­
liser ou exproprier les investissements sur son territoire, si ce
n’est :
(a) dans l’intérêt public ;
(b) en conformité avec l’application régulière de la loi ;
(c) moyennant le versement d’une indemnisation juste et adé­
quate dans un délai de temps raisonnable.
6.2. Option 1 : L’évaluation de l’indemnisation juste et adéquate
doit être fondée sur un juste équilibre entre l’intérêt public et
l’intérêt des personnes lésées, en tenant compte de toutes les
circonstances pertinentes et en tenant compte de l’utilisation
actuelle et passée de la propriété, de l’histoire de son acquisi­
tion, de la juste valeur marchande de la propriété, du but de
l’expropriation, de l’étendue des profits antérieurs réalisés par
l’investisseur étranger grâce à l’investissement, et la durée de
l’investissement.
6.2. Option 2 : L’indemnisation juste et adéquate doit normalement
être évaluée par rapport à la juste valeur marchande de l’inves­
tissement exproprié immédiatement avant que l’expropriation
n’ait lieu (« date d’expropriation ») et ne tiendra compte d’aucun
changement de valeur résultant du fait que l’expropriation envi­
sagée était déjà connue. Toutefois, le cas échéant, l’évaluation
d’une indemnisation équitable et adéquate devra être fondée
sur un juste équilibre entre l’intérêt public et l’intérêt des per­
sonnes lésées, en tenant compte de toutes les circonstances per­
tinentes et en tenant compte de l’utilisation actuelle et passée
de la propriété, de l’histoire de son acquisition, de la juste valeur
marchande de l’investissement, du but de l’expropriation, de
l’étendue des profits antérieurs réalisés par l’investisseur étran­
ger grâce à l’investissement, et la durée de l’investissement.

347
6.2. Option 3 : L’indemnisation juste et adéquate devra être évaluée
par rapport à la juste valeur marchande valeur de l’investisse­
ment exproprié immédiatement avant que l’expropriation n’ait
lieu (« date d’expropriation ») et ne tiendra compte d’aucun
changement de valeur résultant du fait que l’expropriation envi­
sagée était déjà connue.
6.3. Tout paiement doit être effectué dans une monnaie librement
convertible. Le paiement doit inclure un intérêt simple [taux
LIBOR] [taux commerciale actuelle de l’État hôte] à partir de
la date d’expropriation jusqu’à la date du paiement effectif. Au
moment du paiement, l’indemnité sera librement transférable.
6.4. Les sentences qui constituent un fardeau significatif sur un État
hôte peuvent être payées annuellement sur une période de trois
ans ou toute autre période convenue par les parties à l’arbitrage,
sous réserve de l’intérêt au taux fixé par accord entre les parties
à l’arbitrage ou à défaut d’un tel accord, par un tribunal.
6.5. Le présent article ne s’applique pas à la concession de licences
obligatoires portant sur des droits de propriété intellectuelle,
ou à la révocation, la limitation ou la création de droits de pro­
priété intellectuelle, pour autant qu’une telle concession, révo­
cation, limitation ou création soit conforme aux accords inter­
nationaux applicables en matière de propriété intellectuelle.
6.6. Une mesure [non discriminatoire] d’application générale ne
sera pas considérée comme une expropriation d’un titre de
créance ou d’un prêt couvert par le présent Accord au seul motif
que la mesure impose au débiteur des coûts qui le forcent à faire
défaut au remboursement de la dette.
6.7. Une mesure [non discriminatoire] d’un État Partie qui est
conçue et appliquée pour protéger ou renforcer les objectifs
légitimes de bien-être public, comme la santé publique, la sécu­
rité et l’environnement, ne constitue pas une expropriation
indirecte en vertu du présent Accord.
6.8. L’investisseur concerné par l’expropriation a le droit, conformé­
ment au droit de la Partie qui procède à l’expropriation, à une
révision de son dossier par une autorité judiciaire ou autre auto­
rité indépendante de l’État Partie, ainsi qu’à une évaluation de
son investissement conformément aux principes énoncés dans
le présent article.

348
Accord global d’investissement de l’Association des Nations
de l’Asie du Sud Est/ASEAN Comprehensive Investment
Agreement, 2009

Article 14
(Traduction de l’auteure. Les notes proviennent de l’Accord)

Expropriation et Indemnisation 979


1. Aucune Partie ne peut nationaliser ou exproprier un investisse­
ment visé, directement ou au moyen de mesures ayant un effet
équivalant à celui d’une nationalisation ou d’une expropriation
(« expropriation »)980, si ce n’est :
(a) dans l’intérêt public
(b) sur une base non discriminatoire
(c) moyennant le versement d’une indemnité, prompte adé­
quate et effective, et
(d) en conformité avec l’application régulière de la loi.
2. L’indemnité visée au sous-paragraphe 1(c) doit :
(a) être payée sans délai981
(b) être équivalant à la juste valeur marchande de l’investisse­
ment exproprié immédiatement avant ou au moment où l’ex­
propriation a été publiquement annoncée, ou lorsque l’expro­
priation est intervenue, selon le cas qui est applicable ;
(c) ne tenir compte d’aucun changement de valeur résultant du
fait que l’expropriation envisagée était connue plus tôt, et
(d) sera pleinement réalisable et librement transférable confor­
mément à l’article 13 (Transferts) entre les territoires des États
membres.
3. En cas de retard, l’indemnité comprendra un intérêt approprié
en conformité avec les lois et règlements de l’État membre qui
effectue l’expropriation. L’indemnisation, y compris les intérêts
courus, sera versée soit dans la monnaie dans laquelle l’investis­
sement a été effectué à l’origine ou, à la demande de l’investis­
seur, dans une monnaie librement utilisable.
4. Si un investisseur demande le paiement dans une monnaie libre­
ment utilisable, l’indemnité visée à l’alinéa 1 (c), y compris les
intérêts courus, sont convertibles dans la monnaie de paiement
au taux de change du marché en vigueur à la date du paiement.

979 Cet article doit être lu avec l’annexe 2 (Expropriation et Compensation).


980 Pour éviter tout doute, toute mesure d’expropriation relative à la terre s’effectue
telle que définie dans les lois et règlements nationaux respectifs des États
membres, y compris leurs modifications de ces derniers, et s’effectue pour
les fins et moyennant le paiement d’une indemnité conformément aux lois et
règlements précités.
981 États membres comprennent qu’il peut exister des procédures légales et
administratives qui doivent être observées avant que le paiement ne soit effectué.

349
5. Le présent article ne s’applique pas à la concession de licences
obligatoires accordées relativement aux droits de propriété
intellectuelle, conformément à l’Accord sur les ADPIC.

Annexe 2
(Traduction de l’auteure)

Expropriation et indemnisation
1. Une action ou une série d’actions liée à un membre Etat ne peut
pas constituer une expropriation à moins qu’elle interfère avec
un droit de propriété corporelle ou incorporelle ou un intérêt
dans un investissement couvert.
2. L’article 14 (1) traite de deux situations :
(a) la première situation est celle où un investissement est natio­
nalisé ou autrement exproprié directement par le transfert for­
mel de titre ou la confiscation pure et simple ; et
(b) la deuxième situation est celle où une action ou une série
des actions liées à un État membre a un effet équivalent à l’ex­
propriation directe sans transfert formel de titre ou confisca­
tion pure et simple.
3. La question de savoir si une action ou une série d’actions d’un
État membre, dans une situation déterminée, constitue une
expropriation du type visé à l’alinéa 2 (b), nécessite une analyse
au cas par cas, une enquête sur les faits qui prend en compte,
entre autres facteurs :
(a) les effets économiques de l’action gouvernementale, encore que
le fait que l’action ou la série d’actions d’un État Partie ait un
effet défavorable sur la valeur économique d’un investissement
ne suffise pas à lui seul à établir qu’il y a eu expropriation ;
(b) si l’action gouvernementale porte atteinte aux engagements
écrits contraignants préalables du gouvernement envers l’inves­
tisseur soit par contrat, licence ou tout autre document légal ; et
(c) le caractère de l’action gouvernementale, y compris son but et si
l’action est disproportionnée par rapport au but d’intérêt public
visé à l’article 14 (1).
4. Les mesures non discriminatoires d’un État membre qui sont
conçues et appliquées pour protéger des objectifs légitimes de
bien-être public, tels que la santé publique, la sécurité et l’envi­
ronnement, ne constituent pas une expropriation du type visé à
l’alinéa 2b)

350
Accord d’investissement pour le Marché Commun du COMESA/
Investment Agreement for The Common Market for Eastern and
Southern Africa (COMESA) Common Investment Area, 2007

Article 20
(Traduction de l’auteure)

Expropriation
1. Les États membres ne peuvent nationaliser ou exproprier
des investissements sur leur territoire, ou adopter toute autre
mesure équivalant à l’expropriation des investissements, si ce
n’est :
(a) dans l’intérêt public ;
(b) sur une base non discriminatoire ;
(c) en conformité avec l’application régulière de la loi ; et
(d) moyennant le versement d’une indemnité prompte et adé­
quate.
2. La compensation appropriée doit normalement être équiva­
lente à la juste valeur marchande de l’investissement expro­
prié immédiatement avant que l’expropriation n’ait lieu (« date
d’expropriation »), et ne tiendra compte d’aucun changement
de valeur résultant du fait que l’expropriation envisagée était
déjà connue. L’indemnisation peut être ajustée pour refléter
le comportement aggravant par un investisseur du COMESA
ou lorsqu’un tel comportement ne cherche pas à minimiser les
dommages.
3. Si le paiement est effectué dans une devise de l’État hôte ou
l’État d’origine, l’indemnité comprendra des intérêts à un taux
commercial raisonnable pour cette devise à la date d’expropria­
tion jusqu’à la date du paiement effectif.
4. Si un État membre choisit de payer dans une monnaie autre
que la monnaie d’un État hôte ou d’origine, le montant payé à
la date du paiement, s’il est converti dans la monnaie d’un État
hôte ou d’origine au taux de change du marché en vigueur à
cette date, ne doit pas être inférieure au montant de l’indem­
nité qui serait due à la date de l’expropriation si elle avait été
convertie dans la monnaie d’un État d’accueil ou d’origine au
taux de change du marché en vigueur à cette date, ainsi que
les intérêts courus à un taux commercial raisonnable au regard
de la monnaie de cet État hôte ou d’origine à partir de la date
d’expropriation jusqu’à la date du paiement.
5. Au moment du paiement, l’indemnité sera librement transfé­
rable. Les sentences qui constituent un fardeau significatif sur
un État hôte peuvent être payées annuellement sur une période
de trois ans ou toute autre période convenue par les parties,

351
sous réserve de l’intérêt au taux fixé par accord entre les parties
à l’arbitrage ou à défaut d’un tel accord, par un tribunal.
6. Le présent article ne s’applique pas à la concession de licences
obligatoires portant sur des droits de propriété intellectuelle,
ou à la révocation, la limitation ou la création de droits de pro­
priété intellectuelle, pour autant qu’une telle concession, révo­
cation, limitation ou création soit conforme aux accords inter­
nationaux applicables en matière de propriété intellectuelle.
7. Une mesure d’application générale ne sera pas considérée
comme une expropriation d’un titre de créance ou d’un prêt
couvert par le présent Accord au seul motif que la mesure
impose au débiteur des coûts qui le forcent à faire défaut au
remboursement de la dette.
8. « Conformément au droit des États de réglementer et les prin­
cipes du droit international coutumier sur les pouvoirs de
police, les mesures réglementaires prises de bonne foi par un
État membre qui sont conçues et appliquées pour protéger ou
améliorer les objectifs légitimes de bien-être public, tels que la
santé publique, la sécurité et l’environnement, ne constituent
pas une expropriation indirecte en vertu du présent article ».
9. L’investisseur concerné par l’expropriation a le droit, confor­
mément au droit de la Partie qui procède à l’expropriation, à
une révision de son dossier par une autorité judiciaire ou autre
autorité indépendante de l’État Partie, ainsi qu’à une évalua­
tion de son investissement conformément aux principes énon­
cés aux paragraphes (1) à (8) du présent article. L’État membre
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367
Index thématique

A B
Accords de Libre-échange, 53 Bien
Accord Multilatéral sur Définition, 284
l’Investissement, 41, 51 Rapport Bien, propriété et
Acte investissement, 284-286
Extériorisé, 124-129, 135, 187 But de la mesure, 35-38
Positif, 124-125 But d’intérêt public, 37
Négatif, 124-129 But initial de la mesure, 36
De Gestion (v. Distinction) But légitime (v. aussi mesure de
De souveraineté/Puissance publique police) 79-80
(v. Distinction)
Aliéner (droit d’), 162, 285, 313 C
Application au cas par cas, 272-275 Caractère de la mesure, 58-59
Approches Caractère irréversible (v. préjudice
Postqualification irréversible)
Contenu, 244-249 Catégorie-reflet (définition), 21-22
Limites, 249-251 Catégorisation binaire (v. distinction
Intraqualification, 251-265 mesure verticale et horizontale)
Extraqualification Clause conventionnelle
Contenu, 265-269 d’expropriation
Limites, 269-272 Formule type, 52-55
Appropriation par l’Etat (critère de) Exemples, 48-52
Contenu, 252-255 Clause parapluie/de respect des
Limites, 255-256 engagements
Rejet par les tribunaux, 138-139 Enjeux, 117-119
Appropriation – Notion (Voir Taking) Rapport avec l’expropriation
Annexes explicatives dans les traités indirecte, 119-120
de protection des investissements Clarifications conventionnelles
Contenu, 81-82 Contexte, 69-77
Portée, 85-86 Portée, 82-86
Arbitres (fonction), 148-150 Substance, 77-82
Attentes légitimes/raisonnables Clause de stabilisation, 301-302
Définition dans le cadre du Contrat BOT, 286, 287
traitement juste et équitable, Contrat d’investissement, 112-115
296-299 Critères de licéité de l’expropriation
Critères de rationalisation, 300-305 indirecte, 2-3, 55-58, 83, 249-251
Patrimonialisation dans le cadre Critère de définition de
de l’expropriation indirecte, l’expropriation indirecte, 20-21
299-300 Critère de l’effet redéployé
Inapplicabilité dans le cadre de (Méthodologie), 275-279
l’expropriation indirecte, 305-
309 D
Atteinte partiel (v. Préjudice partiel) Damnun emergens, 246-247
Attraction de l’investissement étranger Distinction
Facteurs d’attraction, 73 Acte négatif et acte positif, 124-125
Relativisation du rôle des TBI, 73-75 Acte négatif et omissions, 124-127
Attributs de la propriété (v. propriété) Acte de gestion et acte de puissance
publique, 114-116
But initial, intérêt public et
motivation de la mesure, 36-38

369
Critères de licéité et critères de G
qualification/définition, 55-58 Globalité du préjudice (v. Préjudice
Mesure de police et expropriation global)
indirecte, 179-181 Gravité du préjudice (v. Préjudice
Mesure verticale et mesure grave)
horizontale, 24-45 Gains escomptés (v. Damnum emergens)
Dépossession, 88-89
Développement durable, 71-73, 321 H
Doctrine du seul effet (v. effet Horizontale (v. mesure horizontale)
préjudiciable)
Droit de règlementer I
Réaffirmation, 77-79 Imputabilité, 129-134
Portée, 82-84 Indemnisation
Droit souverain d’exproprier, 2, 16, Réduite, 244-249
218-227 Distinction expropriation licite et
illicite, 33-34
E Indication implicite dans les TBI,
Effet préjudiciable 55-60
Doctrine, 140-152 Intention d’exproprier
Contenu, 152-159 Définition, 36, 93-95
Effet redéployé (v. Critère de l’Effet Enjeux, 142-143
redéployé) Rejet par les tribunaux, 143-145
Equivalence (rapport d’), 136-138 Admission marginale, 145-148
Exception des mesures de police (v. Investissement (Définition), 280-283
mesure de police) Intérêt public
Exclusivité de l’effet préjudice, 152-158 But d’intérêt public (v. But d’intérêt
Exclusion de certaines public)
règlementations, 79-81 Critère de licéité (v. critère de
Expropriation lato sensu (Absence de licéité)
définition), 20 Enjeux, 148-149
Expropriation directe Rapport avec mesure de police,
Définition, 1-2 173-176
Référent, 20-21 Rejet comme critère de
Régime juridique, 2-3 qualification, 150-152
Expropriation indirecte
Définition coutumière, 60-65 J
Filiation juridique (v. Filiation Jurisprudence (incohérence), 107
juridique) Jouir (droit de), 310-311
Catégorie fonctionnelle, 23-24
Expropriation indirecte (terminologie) L
Termes partiels, 87-92 Légitimité (v. Intérêt public)
Termes partiaux, 92-94 Licéité (v. critères de licéité)
Confusions mineures, 97-99 Lucrum Cessans, 247
Confusions majeures, 99-102
M
F Mesure
Facteurs de vérification du préjudice Notion, 109-112
(v. Préjudice) Imputabilité à l’Etat (v.
Fait-candidat (définition), 21-22 imputabilité)
Filiation juridique Mesures de police
Notion, 20-22 Définition, 172-177
Mesures horizontales, 42-44 Nature fonctionnelle, 177-179
Mesures verticales, 33-35 Principe de distinction,
Exclusion, 184-105
Présomption, 185-186

370
Renversement de la présomption, R
198-199 Relativisation de l’attrait de
Mesures équivalant à une l’investissement (v. Attraction de
expropriation l’investissement)
Distinction avec l’expropriation
indirecte, 102-104 S
Analogie avec distinction binaire, Solutions de substitution à la doctrine
104-106 du seul effet (v. Approches)
Mesures verticales
Définition, 24-27 T
Exemples, 27-33 Taking, 90-92
Filiation juridique, 33-35 Termes partiaux (v. expropriation
Mesures horizontales indirecte-terminologie)
Définition, 35-38 Termes partiels (v. expropriation
Exemples, 38-42 indirecte-terminologie)
Filiation juridique, 42-43 Traités de protection des
Mondialisation (impact sur la investissements (typologie), 48-49
conclusion des TBI), 75-77
Motivation (de la mesure), 36 U
User (droit d’), 311-317
N
Nature de la mesure (v. Caractère de la V
mesure) Viabilité productive, 315-317

O
Ordre public interne (Indifférence de
l’), 325-326
Ordre public international (Notion),
331-334
Ordre public international des
investissements
Applicabilité à l’expropriation
indirecte, 334-336
Critères, 336-340

P
Préjudice (facteurs de vérification),
159-164
Préjudice irréversible/permanent,
155-158
Principe de distinction (v. distinction)
Préjudice Global, 291-295
Préjudice partiel
Admission, 158-159
Hypothèses de préjudice partiel,
286-291
Préjudice Substantiel, 152-155
Proportionnalité (principe de)
Contenu, 256-261
Limites, 261-265
Propriété
Attributs, 310-311, 317
Rapport propriété, bien et
investissement, 283-286

371
Dans la même collection

Clément Therme, Les relations entre Téhéran et Moscou depuis 1979, 2012, 320 p.
Anouck Carsignol, L’Inde et sa diaspora. Influences et intérêts croisés à l’île Maurice et
au Canada, 2011, 328 p.
Bruno Arcidiacono, Cinq types de paix. Une histoire des plans de paix de pacification
perpétuelle (XVII e-XX e siècles), 2011, 486 p.
Anne-Sophie BENTZ, Les réfugiés tibétains en Inde. Nationalisme et exil, 2010, 264 p.
Ousmane DIALLO, Le consentement des parties à l’arbitrage international, 2010, 296 p.
Claire La Hovary, Les droits fondamentaux au travail : Origines, statut et impact en droit
international, 2009, 340 p.
Thierry KELLNER, L’Occident de la Chine : Pékin et la nouvelle Asie centrale (1991-2001),
2008, 622 p.
Construire l’Europe : mélanges en hommage à Pierre du Bois, sous la direction d’André
LIEBICH et Basil GERMOND, 2008, 300 p.
Pierre du BOIS, Histoire de l’Europe monétaire 1945-2005 : Euro qui comme Ulysse…, 2008,
252 p.
Benedikt SCHOENBORN, La mésentente apprivoisée : De Gaulle et les Allemands, 1963-1969,
2007, 432 p. – Prix Duroselle 2007.
Moustapha LÔ DIATTA, Les Unions monétaires en droit international, 2007, 380 p.
Mohammad-Reza DJALILI et Thierry KELLNER, Géopolitique de la nouvelle Asie centrale,
4e édition revue, 2006, 588 p.
Santiago VILLALPANDO, L’émergence de la communauté internationale dans la responsabi-
lité des Etats, 2005, 528 p.
D. L. TEHINDRAZANARIVELO, Les sanctions des Nations unies et leurs effets secondaires,
2005, 530 p.
François VOEFFRAY, L’actio popularis ou la défense de l’intérêt collectif devant les juridictions
internationales, 2004, 406 p.
Marianne DUCASSE-ROGIER, A la recherche de la Bosnie-Herzégovine : la mise en œuvre de
l’accord de paix de Dayton, 2003, 545 p.
Anne-Marie LA ROSA, Juridictions pénales internationales : la procédure et la preuve, 2003,
508 p.
Robert KOLB, Théorie du ius cogens international, 2001, 402 p.
Robert KOLB, La bonne foi en droit international public, 2000, 758 p.
Drazen PETROVIC, L’effet direct des accords internationaux de la Communauté européenne,
2000, 306 p.
Tradition et modernisation des économies rurales : Asie-Afrique-Amérique latine, mélanges en
l’honneur de Gilbert Etienne, sous la direction de Claude AUROI et Jean-Luc MAURER,
1998, 392 p.
Anne-Marie LA ROSA, Dictionnaire de droit international pénal : termes choisis, 1998, 120 p.
Christian DOMINICÉ, L’ordre juridique international entre tradition et innovation, 1997, 536 p.
Marcelo KOHEN, Possession contestée et souveraineté territoriale, 1997, 580 p.
Mutoy MUBIALA, L’évolution du droit des cours d’eau internationaux à la lumière de l’expé-
rience africaine, 1995, 176 p.
Paul REUTER, Introduction au droit des traités, 3e édition, 1995, 260 p.
Yves BEIGBEDER, L’Organisation mondiale de la Santé, 1995, 208 p.
Bertha SANTOSCOY, La Commission interaméricaine des droits de l’homme et le développement
de sa compétence par le système des pétitions individuelles, 1995, 211 p.
Nicolas LEVRAT, Le droit applicable aux accords de coopération transfrontalière entre collectivi-
tés publiques infra-étatiques, 1994, 456 p.
Moyen-Orient  : migrations, démocratisation, médiations, sous la direction de
Riccardo BOCCO et Mohammad-Reza DJALILI, 1994, 408 p.
L’Europe centrale et ses minorités : vers une solution européenne ?, sous la direction d’André
LIEBICH et André RESZLER, 1993, 208 p.
Fatsah OUGUERGOUZ, La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, 1993, 480 p.
Armand ROTH, La prohibition de l’appropriation et les régimes d’accès aux espaces extra-
terrestres, 1992, 302 p.
Agnès DORMENVAL, Procédures onusiennes de mise en œuvre des droits de l’homme : limites
ou défauts ?, 1991, 280 p.
Miklos MOLNAR, La démocratie se lève à l’Est, 2e édition, 1991, 387 p.
Michel VIRALLY, Le droit international en devenir, 1990, 502 p.
Mohammad-Reza DJALILI, Diplomatie islamique : stratégie internationale du khomey-
nisme, 1989, 240 p.
Achevé d’imprimer
sur papier offset sans bois 80 gr
en octobre 2012
sur les Presses de Musumeci S.p.A.
Quart (Vallée d’Aoste) - Italie
L’expropriation indirecte
en droit international des investissements

Le droit international des investisse- encore des zones d’ombres. La question


ments suscite un intérêt croissant en rai- cruciale examinée dans ce livre est celle
son de la multiplication des traités de de la détermination des conditions dans
protection des investissements étrangers lesquelles une mesure étatique quel-
et des possibilités nouvelles offertes aux conque peut être qualifiée d’expropriation
investisseurs de saisir directement des indirecte et ouvrir par conséquent droit
tribunaux arbitraux internationaux. L’ex- à une indemnisation. Suzy H. Nikièma
propriation indirecte dont un investis- offre ainsi une nouvelle grille d’analyse
seur étranger serait victime est un sujet et propose des critères de définition à la
controversé et d’actualité, car elle s’inscrit fois juridiquement applicables et per-
dans un contexte de confrontation entre méables aux préoccupations des États et
l’intérêt privé de l’investisseur étranger des investisseurs.
et l’intérêt public de l’État d’accueil de Cet ouvrage a le mérite de proposer des
l’investissement. solutions originales, tout en s’appuyant
Contrairement à l’expropriation directe sur une analyse détaillée et complète des
dont le classicisme est éprouvé, la défini- traités, des sentences arbitrales et de la
tion de l’expropriation indirecte comporte doctrine.

Collection INTERNATIONAL | Droit

Suzy H. Nikièma est originaire du Burkina Faso et titu-


laire d’un doctorat en droit international de l’Institut de
hautes études internationales et du développement (IHEID)
de Genève. Elle travaille actuellement comme conseil-
lère juridique au Programme investissement et développe-
ment durable de l’Institut international du développement
durable et enseigne le droit international économique dans
des universités au Burkina Faso. Elle est l’auteure de plu-
sieurs publications dans le domaine du droit international
des investissements.

Prix 28 €
ISBN 978-2-940503-01-8

Image de couverture :
9 782940 503018
EPphoto/Shutterstock

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