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------------------------------------------------------------------La pauvreté et The Economist
I Introduction
La position libérale de The Economist est connue de tous. La présence régulière dans ses
colonnes d'articles traitant de la problématique de la pauvreté peut par contre
surprendre. Le lien entre la libéralisation des marchés et la pauvreté étant à l'heure
actuelle enjeu de débats, il est intéressant d'analyser comment The Economist se
positionne par rapport à la question.
L'objectif de ce travail est de signaler le chemin emprunté par The Economist pour
intégrer une réflexion sur la pauvreté et produire ainsi un discours répondant aux débats
en vigueur. Cette recherche montrera comment l'hebdomadaire réussit à travers ses
descriptions des pauvres et du fonctionnement des marchés à poursuivre sur la voie qui a
toujours été la sienne. Il apparaîtra qu'à travers le soutien de The Economist à la lutte
contre la pauvreté, c'est à la libéralisation des marchés qu'il nous convie. Ceci sera
illustré par la mise en évidence de certains intérêts en jeu et l'identification de la position
de l'hebdomadaire vis-à-vis de la Banque mondiale et de l'Organisation Mondiale du
Commerce.
Ce travail ne se propose donc pas d'étudier la relation entre la pauvreté dans le monde et
la mise en place des politiques libéralisant les marchés. C'est sur la place qu'occupe la
pauvreté dans le discours de The Economist qu'il va se pencher. Il mettra en évidence un
changement de la part de l'hebdomadaire: une propension plus importante que par le
passé à faire référence aux pays pauvres.
Tout au long de ce travail, je vais analyser la manière dont The Economist pose les
problèmes et leur donne une solution. Je vais ainsi montrer comment à travers le choix
des mots, l'hebdomadaire finit par ne pas considérer les critiques au model qu'il propose.
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a) La pauvreté
Qu'est-ce que la pauvreté? A peine formule-t-on la question que déjà on perçoit la
difficulté à donner une définition de cette pauvreté dont on veut parler. C'est peut-être
pour cette raison que le site de la Banque mondiale aborde la problématique par "Poverty
is hunger. Poverty is lack of shelter. Poverty is being sick and not being able to see a
doctor. Poverty is not having access to school and not knowing how to read. Poverty is
not having a job, is fear for the future, living one day at a time. Poverty is losing a child
to illness brought about by unclean water. Poverty is powerlessness, lack of
1
representation and freedom."
1. www.worldbank.org > Topics > Poverty > Poverty Analysis > Overview.
Entre toutes les citations de ce travail, celle-ci est la première parce qu'à travers cette histoire de mots, c'est de
maux dont il est question.
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d'informations de natures différentes. Dans certains cas ces informations semblent être
aisées à déterminer séparément: mortalité infantile, accès à l'eau potable, espérance de
vie, taux d'alphabétisation. Parfois par contre cela semble bien plus complexe. L'estime
de soi par exemple est un des éléments pris en compte par certains indices, le capital
social également. Ce capital représente l'intégration de l'individu dans des groupes ou
des réseaux sociaux (famille, amis, syndicats, relations sociales…). On constate qu'à
force d'augmenter le nombre des dimensions de la pauvreté, ses contours deviennent
flous et le maniement du terme "pauvreté" se complexifie.
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Dans l'ouvrage intitulé "Du bon usage des pauvres", Philippe Sassier découpe l'histoire de
la place donnée à la pauvreté dans la société en quatre périodes. Pour chaque période il
trace un lien entre les réflexions faites sur la pauvreté et des phénomènes prenant racine
ailleurs que dans la condition des pauvres.
La première de ces périodes s'étend du XVIe siècle à la première moitié du XVIIe. Durant
celle-ci la pauvreté est perçue comme un symptôme marginal. Elle est identifiée à un
désordre dans la société et est dominée par l'image de la mendicité. Philippe Sassier met
en évidence comment cette lecture peut être la projection du désordre qui sévissait à
l'époque au plus haut de l'Etat.
Au courant de la seconde période qui couvre le XVIIIe siècle, la pauvreté n'est plus
identifiée à une minorité d'individus inutiles et source de désordre. Elle englobe la grande
majorité, de surcroît disciplinée, de la population: celle vivant de la production agricole.
Cette image de majorité utile qui souffre d'injustice fait écho à la place que revendique la
bourgeoisie en cherchant à obtenir la reconnaissance de son utilité sociale.
A partir de la seconde moitié du XX siècle l'ensemble des pauvres est formé par deux
groupes distincts. Certains discours se penchent sur la pauvreté mondiale. Le pauvre
constitue alors la plus grande partie de l'humanité, il est de couleur et habite loin. Il
souffre de la faim alors que l'Occident vit dans l'abondance. Ces discours hésitent entre
une approche matérialistes basée sur des considérations d'intérêt et une vision plus
idéaliste dictée par un impératif moral. D'autres discours se centrent eux sur les mis à
l'écart de la "société d'abondance". Cette minorité vit en Occident et souffre d'exclusion.
Elle évoque pour Philippe Sassier la solitude des individus composants la société et qui
voient leurs liens sociaux se dissoudre peu à peu.
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1. compris comme doctrine selon laquelle les divers intérêts nationaux doivent être subordonnés à un intérêt
supranational (dans le cas de notre étude cela correspond par exemple à la lutte contre la pauvreté). L'autre
acceptation du terme internationalisme fait référence à l'identité de buts communs à certaines classes sociales
ou à certains groupements politiques de diverses nations. (Petit Larousse, 1972) Etant donné que le terme est
de The Economist, il fait probablement référence à la première acceptation…
2. http://printmediakit.economist.com.
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à tous les membres de l'équipe éditoriale de s'exprimer sur les différents sujets traités.
Cet anonymat se justifie parce que "les auteurs ne sont pas les maîtres mais les
serviteurs de quelque chose qui les dépasse."1 Les textes à travers lesquels ce "quelque
chose" fait sentir sa présence ont un style, The Economist qualifie ce style de clair et
direct. Il encourage à ce titre l'utilisation d'expressions familières.
A défaut de trouver "pauvreté" dans le dictionnaire, je suis parti à sa recherche dans les
articles publiés. Le site Internet de The Economist met à disposition le service qui a
rendu la rédaction de ce travail possible: un moteur de recherche offrant un accès à tous
les articles depuis 1997. C'est ainsi que j'ai pu commencer par comptabiliser le nombre
d'articles référencés par l'identifiant "poverty". J'obtiens le graphique suivant:
30
25
20
15
10
5
0
1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
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Nous constatons par contre à partir de 2001, un recul de la place occupée par la
pauvreté au sein des thèmes abordés par The Economist. Cette baisse n'est que
transitionnelle puisqu'il y a par la suite un nouveau regain d'intérêt.
140
120
100
80
60
40
20
0
1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
Abordons en premier lieu les questions quantitatives et portons notre attention sur le
nombre d'articles retournés par le moteur de recherche. Nous constatons que The
Economist fait référence aux "pays pauvres" bien plus souvent qu'il ne consacre des
articles à la "pauvreté".
Du point de vue qualitatif nous pouvons dire que, comme dans le cas précédant, la
tendance générale sur les 8 années est à l'expansion. Deux différences entre ces
graphiques sont intéressantes à souligner. La première vient de ce que la progression est
moins abrupte au début de la série de mesures. La seconde est que cette augmentation
est moins sujette à la volatilité. Ceci permet de supposer que la tendance va se prolonger
dans le temps pour donner une croissance soutenue. On peut donc dire que l'expression
"pays pauvres" a marqué durablement le vocabulaire de The Economist.
D'autres tests sont proposés en annexe. Ils permettent ainsi des comparaisons
supplémentaires.
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Parmi les secteurs économiques ayant le plus progressé ces dernières années se trouve
en tête celui des télécommunications. Les développements technologiques qui y ont vu le
jour ont révolutionné la dynamique des échanges internationaux. Au niveau boursier, ce
sont les actions de ce secteur qui ont connu la plus forte progression et ont ainsi créé le
plus de richesses. Comment ne pas être tenté de commencer l'étude des articles de The
Economist par l'identification des liens qu'il perçoit entre ce secteur et la lutte contre la
pauvreté.
a) Le choix de l'article
Choisissons parmi les articles traitant du marché des téléphones portables un de ceux qui
comportent le terme "pauvreté" dans leur titre. Le plus récent est paru cet été et
s'intitule "Mobile phones and development. Calling an end to poverty"1,2,3. Nous avons vu
dans le chapitre précédent que les articles se référant à la pauvreté sont bien plus
nombreux que ceux référencés par l'identifiant "poverty". Pour cette raison cela ne nous
surprend pas de constater que l'article que nous venons de mentionner ne soit pas
référencé par l'identifiant "poverty". La question qui se pose alors est: quel peut être
l'intérêt d'inclure le terme de pauvreté dans le titre d'un article si celui-ci ne traite pas de
la pauvreté?
Le sous titre de l'article annonce la couleur: "Mobile-phone firms have found a profitable
way to help the poor help themselves" Cette expression est tout à fait caractéristique
comme nous le verrons dans le chapitre V, du profile type du pauvre et de la voie que
doit emprunter la lutte contre la pauvreté. Mais n'allons pas trop vite. L'idée que les
pauvres puissent s'aider eux-mêmes est pleine d'optimisme et valorise leurs
potentialités.
b) La structure de l'article
L'article commence par mentionner la problématique du fossé numérique et indique que
ce sont les téléphones portables et non pas les ordinateurs personnels qui ont le plus de
1. Mobile phones and development, Calling an end to poverty, Jul 7th 2005, The Economist.
2. Les citations non référencées proviennent de l'article correspondant à la citation antérieure.
3. Les dates indiquées correspondent aux informations retournées par la base de donnée. Il y a souvent un
décalage entre ces dates et celle stipulée sur la version imprimée de l'article.
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potentiel en vue de la réduction de cet écart entre les pays. En soulignant le pouvoir
d'achat des 4 milliards d'individus les plus pauvres (on doit bien prendre non seulement
les plus pauvres parmi les pauvres mais également les pauvres "un peu moins pauvres",
sinon il paraît difficile de leur vendre des biens d'investissement) l'hebdomadaire1
encourage les entreprises à en tirer profit2.
Suit alors un paragraphe sur les merveilles du portable qui tout en étant devenu
indispensable dans "le monde riche" se montre encore plus utile dans "le monde en
développement". Il permet de combler la déficience de routes, de courrier postal ou de
téléphones fixes. The Economist propose à titre d'exemple l'image du pêcheur ou du
fermier qui peuvent grâce au téléphone portable obtenir les prix offerts sur les différents
marchés et ainsi tirer le meilleur profit du fruit de leur travail… je ne sais pas de quel
pêcheur ou agriculteur type parle The Economist mais il est certain que les lecteurs de
l'hebdomadaire se reconnaissent dans cette illustration du jeu de l'offre et de la
demande. De même le périodique souligne que les téléphones portables facilitent la mise
en relation entre une personne cherchant du travail et son futur employeur.
Mais alors, pourquoi la proportion de personnes disposant d'un tel appareil en Inde et en
Afrique sub-saharienne reste-elle faible et ne suit pas la tendance observée dans les pays
développés? La réponse se trouve bien sûr dans le prix trop élevé de ces appareils. Pour
que le nombre de bénéficiaires de cette "miraculous technology"3 double il faudrait
diviser son prix par deux. Tout lecteur de The Economist sait bien que le moyen de
diminuer le prix des biens et des services est de mettre un maximum d'acteurs en
compétition. C'est ici, en toile de fond, qu'apparaît pour la première fois la notion de
libéralisation.
La seconde partie de l'article porte son attention sur les entreprises fournissant ces
téléphones. Elle indique que les marchés dans les pays riches devenant saturés, les
fabricants ont réalisé que leurs possibilités de croissance résident dans les besoins des
pays en développement. C'est donc cette situation qui est à l'origine du développement
de portables bon marché.
1. The Economist répète souvent, c'est son métier, ce que d'autres personnes opinent ou ont découvert. Je ne
l'indiquerai pas à chaque fois afin d'alléger la lecture de ce texte en évitant les "The Economist souligne que tel
ou tel indique que…"
2. Aux oreilles de certains, l'expression "tirer profit" peut avoir une connotation négative dans ce contexte. Ceci
sera analysé dans le chapitre IV.
3. Mobile phones and development, Less is more, Jul 7th 2005, The Economist.
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La troisième et dernière partie de l'article est consacrée à l'Etat et à l'attitude qui lui
convient d'adopter afin de faciliter cette dynamique qui par elle-même va participer à la
lutte contre la pauvreté. Nous y reviendrons dans le chapitre VI.
c) Enthousiasme
Ce qui ressort avant tout de l'article présenté, c'est l'enthousiasme dont The Economist
fait preuve à l'égard des technologies de la communication. Ceci peut paraître surprenant
pour un journal qui se veut pragmatique et factuel1. Heureusement pour l'image de
marque de l'hebdomadaire, nous trouvons un autre article dans lequel il précise: "Even
when everyone on the planet has been connected to the Internet, there will still be wars,
and pollution, and inequality. […] human nature seems to remain stubbornly
unchanged; despite the claims of the techno-prophets, humanity cannot simply invent
away its failings"2 Et oui, The Economist n'est pas un "techno-profet". On remarque au
passage la référence à la notion de "nature humaine" (sans guillemets) et l'absence
(fortuite?) du terme "poverty" parmi les maux dont la technologie ne peut pas venir à
bout.
L'idée qui émerge après cette présentation est que nous sommes peut-être face à une
logique en deux temps. La rencontre entre l'offre et la demande des technologies du
1. Ceci est rappelé dans les qualités de mise pour un "Global Marketing Director". Il se doit d'éviter le "emotion
journalism". Cette information se trouve dans une annonce de recrutement parue le The Economist du 19 mars
2005.
2. What the Internet cannot do. Aug 17th 2000. The Economist.
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Au vu de ce qui précède, la dérégulation des marchés est présentée comme étant dans
l'intérêt des pauvres mais également dans l'intérêt de groupes de personnes
n'appartenant pas à cette catégorie. Tous les intérêts n'étant pas complémentaires, The
Economist indique ceux qui sont incompatibles avec la lutte contre la pauvreté.
a) Les non-pauvres
Il y a parmi les personnes entravant l'amélioration des conditions de vie des pauvres,
deux groupes aisément identifiables. Le premier est composé par certains membres des
classes dirigeantes des pays pauvres1. Par leur incompétence et/ou leur corruption ils
portent atteinte aux plus pauvres de leurs compatriotes. Le second groupe est formé
majoritairement de non-pauvres des régions riches2. Ces non-pauvres n'ont pas le droit
de réclamer les privilèges sociaux3 dont ils ont bénéficié jusqu'à présent car ils
constituent une entrave à l'émancipation des plus pauvres.
Au sein de ces régions riches justement, certains semblent ne pas se rendre compte de la
situation: "Hundreds of millions of people in the world are forced to endure lives of abject
poverty, poverty so acute that those fortunate enough to live in the United States, or
Europe or the rich industrialised parts of Asia can scarcely comprehend its meaning."4
Cette entrée en matière pose le décors: il y a des chanceux et des malheureux. La notion
de mérite n'apparaît pas encore à ce stade de la description du monde, mais déjà on
perçoit que la voix de certains ne comptera pas: la voix de ceux qui sont chanceux mais
ne le comprennent pas ou alors refusent de se défaire de leurs privilèges. C'est pour
cette raison, semble-t-il, qu'il y a dans le champ de la lutte contre la pauvreté, des
personnes qui font campagne mais dans le mauvais sens et brouillent ainsi les pistes:
"…distinguishing the real problems of the third world from those sweepingly claimed by
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Ce qui caractérise la majorité de ces contestataires, en plus d'être des non pauvres, c'est
de vouloir s'opposer aux processus de libéralisation chez eux et chez les autres… The
Economist persiste à les appeler des anti-mondialistes, alors que eux se reconnaissent
plutôt sous l'appellation d'alter-mondialistes. Si l'hebdomadaire voulait instrumentaliser
la lutte contre la pauvreté afin de neutraliser les plaintes de ces non-pauvres résidents
dans les pays de l'OCDE, il ne s'y prendrait pas autrement.
b) Non-pauvre et non-pauvre
Pour arriver à saisir comment le périodique effectue la sélection entre les non-pauvres
qui sont du bon côté et les autres, il est nécessaire de construire la grille de lecture du
monde qui semble correspondre à la vision de The Economist. Ce n'est qu'en la gardant à
l'esprit que la cohérence du tout paraîtra. Si quelque chose dans les déclarations du
périodique continue par la suite à nous choquer, cela voudra dire que la grille proposée
n'est pas adaptée aux besoins de cette étude.
Je tiens ici à avertir le lecteur. Il se peut que la construction ci-dessous lui semble
surprenante. Je vais en effet poser au niveau conceptuel ce qui semble être de l'ordre du
pratique. Je propose ainsi un arrangement des choses à un niveau qui n'est pas celui
généralement invoqué. Si ma façon de faire dérange trop le lecteur, il peut aisément
passer à la suite de cette étude. La question de la morale sera traitée d'une façon un peu
plus "classique" aux chapitres VIII et IX.
En prenant à titre d'exemple le cas étudié au chapitre précédent, nous pouvons dire que
nombreuses sont les compagnies cherchant à conquérir de nouveaux marchés dans les
pays pauvres. Dans la vision du monde de The Economist, elles ont le droit d'en tirer des
bénéfices (grands ou petits) alors que la situation de la population reste misérable. Là se
situe, en effet un élément essentiel de la position de l'hebdomadaire: l'important n'est
pas que chacun gagne une quantité semblable dans l'échange, l'important est que les
1. Survey: Capitalism and Democracy. Give freedom a chance. Jun 26th 2003, The Economist.
2. Deserving cases, getting too little help, Jul 27th 2005, The Economist Global Agenda.
3. The case for globalisation. Sep 21st 2000, The Economist.
4. Un "lout" est un butor.
5. Anti-globalisation. From anarchy to apathy. Apr 1st 2004, The Economist.
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Dans un premier temps, l'impression que produit l'expression "vertu des profits" ainsi
que la remarque sur la pureté de leur conception peut conduire à douter de la pertinence
de cette association de termes. Pourtant, si l'on évite de la rejeter prématurément, on
peut suivre ce concept à la trace au travers des articles traitant de la pauvreté et des
inégalités. On tombe ainsi sur la perle suivante: "[..] the fact that [the profit] is a market
outcome does not sanctify the result. It is a market driven by conflicts of interest,
swelled by covert deals and protected by successful lobbying […]"6 Cela sous-entend
qu'en l'absence des péchés cités, le profit aurait été pur. C'est donc bien la transparence
du marché qui assure, à travers l'efficacité des profits, la pureté du fruit récolté. Il
devient évident, avec ce postulat, que les inégalités issues du marché ne peuvent pas
constituer un problème en elles-mêmes.
1. Monitor. Beyond the digital divide. Mar 11th 2004, The Economist.
2. Cette manière de présenter la chose peut être complétée, à un niveau moins "évanescent", par les
considérations suivantes: si l'on pose l'existence d'une propriété aux choses (ici la propriété "efficacité") et si
pour mesurer cette propriété on ne reconnaît que son propre savoir faire, on arrive après un détour par les
méthodes de mesure, au même point que si l'on se réservait le droit de choisir au nom de tous une chose parmi
plusieurs.
3. Que ceux à qui cela fait penser à l'Immaculée Conception sachent qu'ils ne sont pas les seuls.
4. Monitor. Beyond the digital divide. Mar 11th 2004, The Economist.
5. Aid to Africa. The $25 billion question. Jun 30th 2005, The Economist.
6. Survey: Capitalism and Democracy. Pigs, pay and power. Jun 26th 2003, The Economist.
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L'essentiel à retenir de cette présentation de la notion d'efficacité est que les profits
obtenus en commerçant avec les pauvres ne se font pas aux dépends des pauvres. Il est
dans l'intérêt même des pauvres que d'autres gagnent de l'argent grâce à eux puisque
c'est ainsi que seront mises en place des solutions efficaces. Cette approche structure les
oppositions qui seront admises par la suite. L'opposition riche/pauvre n'a plus de sens et
une autre opposition vient la remplacer, celle de pauvre/non-pauvre. Logiquement cette
opposition devrait englober l'ensemble de la société. Néanmoins, il y a parmi les non-
pauvres, nous venons de le mettre en évidence, certains qui par l'intérêt qu'ils portent à
leur propre profit, permettent d'améliorer la situation des pauvres. On ne peut donc pas
les opposer aux pauvres et ce ne sont pas eux qui accaparent injustement des ressources
auxquelles les pauvres pourraient prétendre.
1. Par exemple: Intellectual property. Patently problematic. Sep 12th 2002. The Economist.
2. Que la position de l'hebdomadaire finisse par leur profiter, cela est une autre histoire. De toute façon, ces
entreprises réussissent plutôt bien à négocier le virage de la durabilité. L'orientation des campagnes
publicitaires permet de le confirmer.
3. Survey: Corporate Social Responsibility. The world according to CSR. Jan 20th 2005. The Economist.
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promouvant les bienfaits de la quête du profit. C'est le chemin qui est emprunté par
l'hebdomadaire à chaque numéro, c'est le chemin que je tente de déblayer.
Le développement durable offre dans notre cas, l'occasion d'illustrer comment The
Economist donne forme sans qu'il n'y paraisse aux choses et aux idées. Son traitement
du sommet mondial sur le développement durable ayant eu lieu en 2002 à Johannesburg
est révélateur. "Ask the host of next week's UN summit on sustainable development what
the gathered heads of state should be talking about, and you get a one-word answer:
poverty."1 The Economist pose clairement le débat, ou plutôt pose clairement ce sur quoi
devrait porter le débat.
Dans ce même article sont cités les thèmes particulièrement importants selon l'ONU "[…]
water, energy, health, farming and biodiversity" et immédiatement après The Economist
précise la position de la Banque mondiale "The World Bank argues that agriculture should
be kept as high as possible on the agenda, in order to attack the protectionist farming
policies of the rich." On voit bien que quelque soit le chemin emprunté pour parler du
développement, qu'il soit durable ou pas, on en revient toujours à la libéralisation avec
en plus cette fois un vocabulaire très agressif. Le traitement du sommet sur le
développement durable se défait donc de ce de quoi les participants voulaient traiter
pour se centrer sur ce de quoi devrait s'occuper le sommet. L'important semble-t-il est
de ne pas se laisser flouer par les "sustainability gurus"2.
Au vu de ce qui vient d'être mis en evidence, il est tout à fait compréhensible qu'au
début d'un article3 parmi d'autres, The Economist oppose la lutte contre la pauvreté au
concept de développement durable "The best way known to help the poor today [is]
economic growth" suivi de "The difficulty comes in trying to reconcile the “development”
with the “sustainable” bit: look more closely, and you will notice that there are no people
in the picture." Pourtant, personne ne s'attend à ce que l'hebdomadaire envoie
l'environnement au diable. Non. Il a une solution à proposer. The Economist parvient à
réconcilier développement et environnement pour autant que l'on réserve la gestion de
ce développement à des économistes qui s'y entendent en "trade-offs between
environment and development in the real world".
1. Africa expects... To talk about jobs, not birds. Aug 22nd 2002, The Economist.
2. World Development Report. Sustaining hope. Aug 22nd 2002, The Economist.
3. Survey: The Global Environment. The great race. Jul 4th 2002, The Economist.
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sociale dont est porteuse le concept de développement durable et dont il n'a nullement
été fait mention dans cet article disparaît et la lutte contre la pauvreté qui elle a été
mentionnée dès le début se voit proposer les solutions à mettre en place. Cette
opposition au développement durable imprègne en fait tout l'article et donne des
commentaires d'un goût douteux: "Grinding poverty, it turns out, is pretty sustainable."
Les personnes travaillant sur le terrain ou dans les bureaux sont conscientes du problème
de la légitimité. Qui sont les authentiques représentants des intérêts des exclus de la
société? The Economist a raison de relever le fait. Il ne propose pourtant pas de réflexion
sur le comment "trier" les uns et les autres. Tout au plus donne-t-il le conseil suivant en
guise de conclusion: "But increasingly, firms may conclude that if they are going to have
to live with NGOs, they need to know which ones will play fair. Wise firms should talk to
those—and leave the others to their tiger costumes."2 Il est surprenant de découvrir une
mention au "fair play" dont devraient faire preuve les organisations non
gouvernementales. Dans le discours de The Economist cela n'est pas une référence à des
concepts moraux, ce n'est que le résultat d'une approche pragmatique. En effet, au
début de ce même article se trouve une avance sur la conclusion. Elle offre l'avantage de
nous la servir plus clairement "Still, a growing number of executives are concluding that
it is better to get along with the lobbyists than to attack them." Les "lobbyst" sont les
ONG, et si l'on décide de s'entendre avec elles ce n'est que parce que l'on à songé à les
attaquer et que l'on a évalué les pertes et profits. Aucune référence à un principe
d'équité derrière cela et pas de jugement de valeur de la part du périodique sur cette
manière de procéder.
1. Aid to Africa. The $25 billion question. Jun 30th 2005, The Economist.
2. Non-governmental organisations and business. Living with the enemy. Aug 7th 2003, The Economist.
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La volonté de ne pas aider ceux qu'il ne faut pas aider se retrouve d'ailleurs également
lorsqu'il s'agit des pauvres de l'OCDE1. L'hebdomadaire souligne ainsi que l'aide mise en
place crée, ou risque de créer, une demande de la part de personnes pas "tout à fait"
pauvres. Si ses critiques sont pertinentes, il convient cependant de leur donner un
prolongement.
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Jusqu'à présent les pauvres ont été identifiés par rapport à ceux qui venaient leur
apporter quelque chose qui allait leur permettre de sortir de la pauvreté, de meilleurs
outils de communication par exemple. Leur pauvreté a été mentionnée lorsque sont
apparues des revendications de justice sociale. Laissons momentanément de côté ces
différents intervenant dans le champ de la lutte (lutte contre la pauvreté ou lutte pour la
justice sociale) pour nous centrer sur ces milliers de millions de pauvres.
The Economist propose avant tout des articles faisant référence à la troisième catégorie
de pauvres. La situation des pauvres de la première catégorie est également traitée2. Par
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contre le second groupe paraît avoir quant à lui non seulement disparu des statistiques
mais également de la problématique de la pauvreté1. J'entends par là qu'ils ne sont pas
considérés comme pauvres mais comme individus ayant vu leur situation s'améliorer par
rapport à celle de leur compatriotes considérés eux comme pauvres. Il est intéressant de
remarquer que lorsque leur cas émerge, l'expression pauvreté se voit complétée par
l'adjectif "extrême". Cette précision est considérée le reste du temps comme superflue.
Lorsqu'il est question de lutte contre la pauvreté, c'est de la lutte contre la pauvreté
extrême qu'il s'agit. C'est en tout cas les statistiques à son sujet qui sont mises en avant
pour savoir si la pauvreté diminue ou pas dans le monde.
b) Le réveil de l'entrepreneur
Parmi tous les pauvres il y en a un qui semble être, dans les articles de l'hebdomadaire,
le prototype même du pauvre. Comment peut-on réduire trois groupes à un seul profil?
Parce que les descriptions du pauvre que propose The Economist ne sont pas là pour
répondre aux questions telles que: Qui est-il? D'où vient-il? Comment vit-il? Quels
différences y a-t-il parmi les pauvres? Ces descriptions répondent à la question: Que faire
pour que le pauvre soit moins pauvre?
En règle général l'image du pauvre est associée à celle de l'entrave. Cela pourrait
ressembler à l'approche adoptée par Amartya Sen mais dans la pratique, les entraves
considérées n'offrent pas une telle diversité. Le point de départ est le postulat qu'en tout
pauvre sommeille un entrepreneur. Le pauvre est alors pauvre à cause des entraves que
lui imposent les politiques irrationnelles de son gouvernement. Ce sont ces obstacle qui
l'empêchent d'exprimer l'"entrepreneurship"2 qui est en lui. C'est à cause de ces
obstacles qu'il ne peut obtenir les biens et les services que la libéralisation des marchés
lui rendrait accessibles. On retrouve d'ailleurs ce profil dans l'article cité en début
d'analyse: "Phones let fishermen and farmers check prices in different markets before
selling produce, make it easier for people to find work, allow quick and easy transfers of
funds and boost entrepreneurship."
Il est question d'émancipation, d'une émancipation par rapport aux entraves imposées au
marché. L'émancipation du pauvre finit ainsi tout naturellement par se confondre avec
l'émancipation des marchés. L'analyse de Philippe Sassier est tout à fait pertinente dans
ce cas: le pauvre est le miroir dans lequel on reconnaît le profil des lecteurs de The
Economist. Il révèle ce que l'on pense faire défaut au monde. Le monde est en mal de
liberté d'entreprendre et d'esprit d'entreprise.
1. En réaction à cela, un intervenant extérieur au périodique a réagi. Ses commentaires ont été publiés. By
invitation: Martin Ravallion. Pessimistic on poverty? Apr 7th 2004. The Economist.
2. J'utilise ici ce terme en anglais car il n'est pas mentionné dans le dictionnaire consulté (Le Robert et Collins,
1987). Par la suite il sera traduit par "esprit d'entreprise".
21
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qu'empêcher un tel éveil. Le marché permet ainsi non seulement de stimuler cet esprit
d'entreprise mais en civilise les résultats. "On the contrary, the point of a liberal market
economy is that it civilises the quest for profit, turning it, willy-nilly, into an engine of
social progress."1 Le marché se voit crédité d'un "civilising role" que les régulations du
commerce international risquent d'entraver. L'idée du marché qui apporte la civilisation
n'est pas loin et donne une impression de déjà vu.
The Economist propose donc une description du monde où les intérêts des pauvres et
ceux des riches ne s'opposent pas. Dans cette perspective, le pauvre comme le riche2
peuvent souffrir des mêmes maux car les entraves s'appliquent autant à l'un qu'à l'autre.
L'hebdomadaire n'hésite pas à le spécifier plus clairement: "Yet pulling up the poor still
3
seems a nobler calling than pulling down the rich." On le voit bien, agir sur la situation
de l'un n'implique pas de modifier inversement celle de l'autre.
Il n'y a aucune raison de critiquer le périodique pour cette manière de faire. En tant que
média de communication il doit aussi fournir à ses lecteurs des informations aisément
accessibles ne demandant pas des heures de lecture. Pourtant à travers ces articles il
esquisse les contours de la pauvreté, voir les marque nettement. Par exemple, dans un
résumé4 sur le lien entre capitalisme et démocratie, l'hebdomadaire indique "Poverty is
being reduced, thanks to globalisation, as is inequality". Le procès de la mondialisation
vient d'être tranché sous nos yeux. Le jury remarque cependant que "neither is being
reduced rapidly enough, and the process is leaving plenty of people behind".
Parmi ces articles courts, l'un a attiré mon attention un peu plus que les autres.
1. Survey: Globalisation. Globalisation and its critics. Sep 27th 2001, The Economist.
2. Certains lecteurs verront à la place du riche les entreprises transnationales, pourtant les substitutions sont
multiples.
3. Economics focus. Of rich and poor. Apr 26th 2001, The Economist.
4. Survey: Capitalism and Democracy. Give freedom a chance. Jun 26th 2003, The Economist.
22
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En décembre 20011 et après avoir partagé le camp des pauvres en deux groupes l'un de
3 milliards (Chine, Inde et Mexique comptant pour beaucoup) et l'autre de 2 milliards
d'habitants, la situation paraît claire: "In short, the poor countries that are in the biggest
trouble are those that have globalised the least." La direction à suivre paraît évidente:
"The challenge for development-and the World Bank-is to reverse this marginalisation."
De quelle marginalisation est-il question? Du fait d'être dans de gros problèmes (dans un
rapport de 2 à 3 peut-on vraiment parler de marge?) ou alors de ne pas être
suffisamment globalisé et alors c'est la notion de normalité qui est questionnée?2
d) L'utilité du pauvre
Entre les libéralisations et la baisse de la pauvreté, le chemin n'est pas direct. Il prend le
détour de la croissance: "The best way known to help the poor today-economic growth"3.
Cette croissance est justement ce qui permet de considérer les pauvres comme étant
utiles. Le pauvre est utile aux autres car il peut se montrer utile à la croissance et que
cette croissance est au bénéfice de tous.
Par rapport aux moyens d'obtenir cette croissance, l'hebdomadaire rappelle la difficulté à
"globaliser" un pays même en promouvant fortement les libéralisations. C'est pour cela
que The Economist prend ses distances avec les statistiques qui viendraient susciter un
doute: "For every regression “proving” that trade promotes growth, it is too easy to
tweak a choice of variable here and a period of analysis there to “prove” that it does
not"4 mais plus loins "Look elsewhere, though, and there is no lack of additional
evidence, albeit of a more variegated and less easily summarised sort, that trade
promotes development." Rappelons simplement ici que dans la plupart des articles, le
premier étudié en est une illustration, "développement" et "lutte contre la pauvreté" sont
utilisés comme synonymes.
e) Le second pilier
La présentation du discours de The Economist serait incomplète si elle ne portait que sur
la promotion par l'hebdomadaire des libéralisations. Un second pilier soutient sa vision du
monde. Il s'agit des droits de propriété. Nous pouvons d'ailleurs tirer cet élément du
dictionnaire en ligne: "Smith recognised that the invisible hand was not infallible,
however, and that some government action might be needed, such as to impose antitrust
laws, enforce property rights, and to provide policing and national defence."
1. Globalisation and prosperity. Going global. Dec 6th 2001, The Economist.
2. Une des raisons permettant d'expliquer comment ceci a pu se produire est la suivante: l'hebdomadaire
insistait sur les taux de croissance des différents groupes et ne considérait plus les importances relatives de ces
groupes en terme de population.
3. Survey: The Global Environment. The great race. Jul 4th 2002, The Economist.
4. Survey: Globalisation. Grinding the poor. Sep 27th 2001, The Economist.
23
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C'est pour cette raison que lorsque l'hebdomadaire propose de fournir des titres de
propriété aux agriculteurs1 ou aux habitants des bidonvilles2 cela ne constitue en aucun
cas une révolution dans son discours. Le périodique y perçoit d'ailleurs une utilité
immédiate: ces pauvres peuvent s'en servir de collatéral pour lever des fonds et investir
les prêts obtenus. Nombreuses sont les ONG qui pour des raisons bien différentes, font
également la promotion de ces titres de propriété. Elles seraient étonnées d'apprendre
que des périodiques "tels que" The Economist ont adopté le même point de vue sur le
sujet.
1. World hunger. Stop blaming the weather. Jun 13th 2002, The Economist.
2. Development. What to do about slums. Oct 9th 2003, The Economist.
24
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VI La place de l'Etat
L'Etat a jusqu'à présent été mentionné via les entraves qu'il pose à la lutte contre la
pauvreté par sa régulation des marchés. Ceci donne une impression d'un marché contre
l'Etat ou d'un Etat contre le marché. Pourtant telle n'est pas la présentation que fait The
Economist. Si conflit il y a, le conflit n'est pas irréductible et peut être résolu à l'avantage
de tous.
a) Complémentarité
The Economist présente bien souvent la relation entre l'Etat et le marché comme une
relation de complémentarité. Il semble en effet dans l'intérêt de l'Etat de donner plus de
marge de manœuvre au secteur économique. Revenons sur la dernière partie de l'article1
présenté au début de ce travail. L'argumentation des paragraphes qui la composent est
synthétisée par l'expression “win-win-win”2. Si l'Etat baisse ses taxes sur les appareils,
sur les connections et sur les communications alors les consommateurs obtiendront un
accès meilleur marché à cette technologie. Les opérateurs et les producteurs pourront
vendre plus de mobiles et de temps de communication. En bout de ligne, le
gouvernement verra ses revenus non pas diminuer mais augmenter (c'est le principe de
la courbe de Laffer). La cerise sur le gâteau vient de ce que du même coup le fossé
numérique se comble: "Oh, and the “digital divide” vanishes, too." La logique est
cohérente…
Il serait faut de penser que ce que l'on attend de l'Etat, c'est qu'il ne fasse rien. Pour
l'instant on veut déjà qu'il change. Qu'il y mette du sien dans la lutte contre la pauvreté.
Qu'il fasse comme les entreprises privées qui, elles, mettent déjà la main à la pâte. "With
its new focus on low-cost handsets, the industry is doing its part to extend access to
communications technology. Now governments must do their part, too".
1. Mobile phones and development, Calling an end to poverty, Jul 7th 2005, The Economist.
2. Afin d'illustrer la forme (et non pas la logique) que prend le discours de The Economist, nous allons ici
présenter ce qui rend les éléments avancés par l'hebdomadaire si difficiles à saisir pour mettre en avant les
articulations de l'ensemble. En premier lieu, ce n'est pas l'hebdomadaire en son nom qui parle de "win-win-win
scenario". Il reprend les déclarations d'un représentant de la GSM Association. Il convient ici de réaliser que
lorsque le périodique n'est pas d'accord avec les déclarations d'une personne dont il décide de reporter les
propos, il n'hésite pas à le marquer très nettement (le traitement de "l'affaire Stiglitz" est à ce titre tout à fait
illustratif). L'attitude adoptée par The Economist correspond au proverbe "Qui ne dit non, consent". Comme si
cette précaution n'était pas suffisante, une seconde lui est associée: le win-win-win scénario "is possible". Ce
n'est que lorsque l'on travaille sur la structure du texte que ces éléments apparaissent, une lecture rapide ne
laisse aucune trace des précautions prises. L'essentiel du message passe et le reste s'efface.
25
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Ce "faire" que l'on attend de l'Etat est fort intéressant car il désigne la marge de
manœuvre dont dispose encore l'Etat, de ce degré de liberté dont il peut user selon les
objectifs qu'il se fixe.
A l'époque de Georg Simmel et selon lui, c'était le besoin de cohésion de la société qui
était à l'origine de la volonté de combattre la pauvreté. A travers cette lutte c'était la
stabilité de la structure de la société qui était recherchée. En comparant cette analyse
aux éléments avancés ci-dessus on constate une différence. A travers la lutte contre la
pauvreté, le discours de l'hebdomadaire ne tente pas de préserver une structure mais
d'assurer la poursuite d'une dynamique, celle de la libéralisation des marchés.
b) Antériorité et primauté
Derrière ce qui est décrit comme une complémentarité des intérêts de l'Etat et des
acteurs du marché, il y a cependant une asymétrie. The Economist reconnaît que les
marchés ne fonctionnent pas tous seuls dans le vide institutionnel, juridique et social. Il
accorde ainsi de l'importance à d'autres institutions que celle du marché. The Economist
désigne la place qu'il convient à ces institutions d'occuper. En d'autres termes, en les
invitant à table afin de collaborer dans la lutte contre la pauvreté, il leur indique la chaise
à occuper. La configuration du partage des taches peut être synthétisée par les notions
d'antériorité et de primauté.
The Economist pose l'antériorité de l'Etat, c'est à dire que l'Etat doit fonctionner pour que
la population puisse bénéficier des richesse produites par le marché. Les problèmes de
disfonctionnement de l'Etat mis en avant par l'hebdomadaire recueillent à la fois un large
consensus comme ils soulèvent certains doutes. Il sera difficile de trouver des partisans
26
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de la corruption, par contre lorsque ce sont des notions d'efficacité qui sont mises en
avant le thème est plus sensible. Comment mesurer cette efficacité? Le cas de
l'éducation est une bonne illustration. L'école doit-elle se contenter d'inculquer aux élèves
les notions de mathématiques et de langue qui seront les bases grâce auxquelles ils
pourront réussir leur entrée dans le marché du travail? Est-ce que l'on n'attend pas
également de l'école qu'elle soit une institution promouvant la cohésion sociale? Si l'on
confie cette mission à l'école, il devient beaucoup plus difficile de mettre en place des
critères de mesure. Quel sens aurait un coefficient de cohésion ou de respect de l'autre
au sein d'une classe. La notion d'efficacité dans le cas de l'Etat est porteuse de flou.
Tout en accordant à l'Etat son antériorité dans la séquentialisation des étapes menant à
une lutte efficace contre la pauvreté, The Economist réserve la primauté au marché.
Cette primauté lui est due sans qu'il ne la réclame explicitement en ces termes. En
dénonçant régulièrement l'irrationalité de la plupart des politiques de régulation, il pose,
via la notion de liberté des individus, la liberté du marché. Les modes de régulation
valorisés par l'hebdomadaire (les bourses de CO2 ainsi qu'aux titres de propriété
environnementale1 par exemple) sont porteurs de la logique du fonctionnement du
marché. Pour cette raison la régulation se veut technique et non politique. Il ne s'agit pas
ici de faire le procès de ces moyens d'action, ni de prétendre à une quelconque
équivalence dans leur "efficacité". Il s'agit de mettre en évidence que seuls sont valorisés
par The Economist les raisonnements techniques porteurs de la logique du marché.
En somme l'Etat est au service du marché. Il doit mettre en place des outils lui
permettant de mieux fonctionner. Il doit fournir des individus compétitifs et
l'environnement qui va avec. Cela est bien assez difficile pour ne pas qu'il se charge en
plus de ce que le privé sait mieux faire. "It is far from simple to create an environment in
which people can become more productive."2 The Economist pose cependant clairement
le fait qu'il ne promet rien à travers le marché "we should perhaps make it clear that we
don't think cutting tariffs will solve everything"3 mais qu'au vu de la facilité avec laquelle
cette solution peut être implémentée, on se doit d'y souscrire: "And unlike the other
things poor countries need—clean and competent government, law and order, and all the
other institutions that make capitalism work—open markets are easy to create. There is
no excuse for not having them."4
1. Science and technology, Environmental economics, Are you being served?, Apr 2005, The Economist.
2. Really poor countries. Nothing to sell. May 27th 2004, The Economist. Ce même article rappelle d'ailleurs que
"no one is suggesting that once a country has lowered trade barriers, it can relax and play golf" et donc que le
gouvernement a un cahier des charges. L'hebdomadaire ne prêche pas le laisser-faire.
3. Really poor countries. Nothing to sell. May 27th 2004, The Economist.
4. Trade. Why Doha matters. Jul 26th 2001, The Economist.
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les intérêts de certains groupes sociaux peuvent être soutenues: "the help of
“grassroots” non-governmental organisations […] can yield results in the short run. It is
also often the only option in countries riddled with corruption."1 Néanmoins, cette
reconnaissance de leur utilité ne dure pas puisque immédiatement après cette insertion,
le périodique insiste sur le fait que: "But it [the NGOs] can also cannibalise2 the state
institutions on which any country must ultimately depend. A state without responsibilities
will never be a responsible state."
Nous le voyons, The Economist n'est pas prêt d'inviter à la table des négociations des
groupes représentants des intérêts particuliers. Il faut d'ailleurs se demander s'il y a
encore une table des négociations. Ceci est sa vision d'un Etat équitable. Un tel Etat ne
doit pas favoriser les intérêts des uns puisque ce serait forcément aux dépends de ceux
des autres3. Il convient de se distancier d'un tel arbitraire et laisser aux "forces du
marché" le soin de gérer "efficacement" de tels choix.
L'analyse de Philippe Sassier associe la représentation des pauvres des pays riches à
l'évocation de la disparition des liens sociaux. The Economist prend beaucoup de soin à
ne pas laisser que des considérations sociales remettent en question le bien fondé d'un
marché libre. Comment est-ce que ces deux visions sont conciliables?
Dans un article4 mentionnant la faim subsistant dans divers Etats des Etats Unis,
l'hebdomadaire présente à sa façon la situation de ces exclus du mirage économique.
Ces individus "who lack the family and community ties" semblent effectivement avoir en
commun le manque de relations sociales qui auraient pu soit les soutenir avant de
tomber dans une telle misère soit les aider à en sortir. Il me semble qu'ici nous sommes
au cœur du problème. The Economist se penche sur un sujet qui se situe à la frontière
des considérations économiques qui sont son domaine d'expertise.
Supposons à présent
1) que le marché soit destructeur de liens sociaux et
2) que ces liens sociaux soient indispensables pour éviter de sombrer dans la pauvreté.
1. Aid to Africa. The $25 billion question. Jun 30th 2005, The Economist.
2. La présence dans le dictionnaire en ligne du verbe "to canibalise" indique que cette expression a une
signification très précise. Il s'agit de la mise sur le marché par une entreprise d'un bien ou d'un service qui est
directement en concurrence avec un autre bien ou un autre service de la même entreprise. Le dernier arrivé,
généralement plus perfectionné, mange le premier.
3. Ce point de vue paraissant bien dur aux yeux de certains n'est que l'équivalent de ce que l'hebdomadaire
opine des relations entre le monde politique et les intérêts des grandes firmes. En effet, son traitement des
problèmes de collusion entre politique et intérêts privés le porte à adopter sur certains points la même position
que beaucoup d'alter-mondialistes. The Economist désapprouve ainsi l'appui offert par les gouvernements aux
groupes nationaux dans l'obtention de contrats à l'étranger, que ce soit l'administration des Etats Unis ou celle
de tout autre pays. Survey: Capitalism and Democracy. Pro-market, not pro-business. Jun 26th 2003, The
Economist.
4. Oregon. A state going hungry. Jun 5th 2003. The Economist.
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A la lumière de ces éléments nous constatons que, toujours dans le même article, The
Economist se distancie de la première hypothèse en indiquant "Oregon has a weak social
structure, with many recent immigrants who lack the family and community ties to
weather hard times". Ceci laisse à penser que le problème viendrait en quelque sorte du
dehors et qu'avec le temps le tissus social pourrait se reconstruire1.
La place laissée libre par les actions sociales de l'Etat se voit alors occupée par la
philanthropie. "Philanthropic giving in America is forecast to soar over the coming
decades […] and there should be enough money for good causes to achieve extensive
social change."3 On le voit, les changements sociaux ne sont pas l'affaire de l'Etat. Son
1. Dans l'article "North Carolina. The human cost of cheaper towels." paru le 21 avril 2005, c'est au contraire
les bénéfices de la mobilité géographique qui sont mis en avant. Je ne demande pas un postulat blanc ou noir
en la matière. Je constate simplement que la (et non les) conséquence d'un phénomène mise en avant est
toujours celle qui sied à la logique du discours.
2. Le regard à présent entraîné remarque la présence, finalement obligatoire, du "to an extent".
3. Survey: The New Rich. Giving something back. Jun 14th 2001, The Economist.
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rôle est d'assurer un minimum d'ordre social. Il est en quelque sorte impossible de créer
délibérément des structures sociales, selon des plans et en vue de répondre à des
besoins. L'hebdomadaire se situe ainsi dans la voie tracée par Friedrich Hayek.
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Citons parmi les nombreuses annonces deux qui s'inscrivent particulièrement bien dans
la problématique de cette étude. La première est parue le 18 décembre 2004 et concerne
un poste de "National Professional Officer" auprès de l'United Nations Industrial
Development Organization (UNIDO) qui se donne pour objectif de "réduire la pauvreté à
travers le développement industriel". La seconde est parue le 16 juillet 2005 et annonce
un poste de recherche dans le cadre du "Regional Energy Programme for Poverty
Reduction" mis sur pied par l'United Nations Office for Project Services (UNOPS). Ces
annonces ne sont pas consultables par Internet, elles n'apparaissent que dans les
versions imprimées de l'hebdomadaire.
a) La Banque mondiale
Parmi les différentes organisations internationales promouvant la lutte contre la
pauvreté, celle qui apparaît le plus souvent dans le discours de The Economist est la
Banque mondiale. Elle est en quelque sorte le référent par rapport auquel l'hebdomadaire
se situe. Les organismes tels que le PNUD (Programme des Nations Unies pour le
Développement), la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le
Développement) ou le BIT (Bureau International du Travail) n'apparaissent que très
rarement dans le discours du périodique.
Une des surprenantes découvertes de ce travail a été de constater que les activités de la
Banque mondiale sont considérées comme étant très éloignées de la voie libérale promue
par The Economist. Pour cette raison lorsque l'hebdomadaire et la Banque mondiale sont
d'accord sur un principe, ce principe ne peut pas être faux puisqu'il obtient l'approbation
d'institutions aux différences si marquées! En voici un exemple: "Even the World Bank
admits that creating the right conditions for markets to flourish is the key to economic
development, and that until recently much of the money that it has supplied has been
badly used."1 De même, si la Banque mondiale n'occupait pas une position hétérodoxe
aux yeux de l'hebdomadaire, il ne lui viendrait pas à l'esprit de proposer à ses lecteurs
un article avec l'entête "Is the World Bank turning Marxist?"2
The Economist accuse la Banque mondiale d'être une énorme institution dépensant
beaucoup en frais de fonctionnement et courant après des objectifs irréalisables. Son
exaspération à l'égard des solutions mises en place par la Banque mondiale se traduit par
un vocabulaire peu respectueux parfois : "The World Bank thinks it has discovered a
great truth: if you give money to a recalcitrant junkie, he will waste it."3 Les pays
pauvres apprécieront la comparaison…
1. Economics focus. A voice for the poor. May 2nd 2002, The Economist.
2. World Development Report. Sustaining hope. Aug 22nd 2002, The Economist.
3. The World Bank. Reform school. Apr 5th 2001, The Economist.
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proposant ensuite des prêts à des taux préférentiels aux pays pauvres (c'est à dire
inférieur à ce qui correspond au risque encouru et indiqué par leur cotation), la Banque
crée des distorsions. Les créanciers prêtent plus de ce qui correspond à une gestion des
risques adéquate. Les pays pauvres sont incités à emprunter plus et des projets non
pertinents voient le jour. Pour The Economist le choix des investissement devrait être fait
par le secteur privé. Les projets jugés nécessaires et ne trouvant pas de financement
privé seraient alors réalisés grâce à des dons.
The Economist décrit le problème de la dette comme une absurdité à laquelle on est
arrivé pour les causes expliquées ci-dessus. Bien que n'étant pas contre le pardon de
certaines dettes, il s'attend à un effort structurel de la part des bénéficiaires. La question
du pardon d'une dette est bien trop sensible dans la vision du monde de l'hebdomadaire
pour ne pas le voir produire à nouveau une allégorie aux inspirations religieuses: "To
many churchgoers, the forgiveness of sin is a simple business: confess; be heartily sorry;
receive absolution; do penance. The many Christians who rallied to the Jubilee 2000
campaign hoped that the forgiveness of poor countries' past debts would be similarly
straightforward-easier, indeed: were the poor not innocent? Sovereign debts, they said,
should simply be wiped out."1
La Banque mondiale promeut actuellement une approche des réformes s'appuyant sur le
concept d'appropriation. Les populations locales participent à la mise en place des
nouvelles politiques. L'hebdomadaire utilise avec des guillemets ce concept ("to own").
Les raisons de ces guillemets n'ont pas été déterminées. Deux explications possibles
s'offrent à nous.
a) L'hebdomadaire se range du côté de Francine Mestrum et constate que cette notion
d'appropriation est de la poudre aux yeux, la marge de liberté laissée aux pays étant
fortement cadrée par des directions prédéfinies.
b) L'hebdomadaire perçoit l'attention que la Banque porte aux solidarités traditionnelles
(familiales ou communautaires). Francine Mestrum constate en effet que la Banque
1. The G7, aid and debt. They have willed the ends, but what about the means? Feb 10th 2005, The Economist
2. Development. Recasting the case for aid. Jan 20th 2005. The Economist
3. A propos des ajustement structurels: A plague of finance. Sep 27th 2001, The Economist.
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cherche à s'appuyer sur elles pour focaliser ses politiques sociales vers les plus démunis.
Compter sur ces liens que le marché détruit peut-être n'est pas une idée que
l'hebdomadaire puisse considérer.
b) L'OMC
La présentation de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) par The Economist fait
d'elle une organisation participant à la lutte contre la pauvreté et cela bien qu'elle ne
fournisse pas d'aide directe aux pays pauvres. La comparaison avec la Banque mondiale
est sans appel: "With a staff of 530 and a budget of $78m, about half what the World
Bank spends on travel, the WTO is the poor relation among international organisations.
But it is the centre of negotiations that could have a far bigger impact on global
prosperity than any decision made in more imposing buildings."1
Sans l'OMC et en cas de conflit économique, deux grande puissances ont les ressources
suffisantes pour se confronter l'une à l'autre alors qu'un "petit" pays face à un "grand"
est désavantagé. "That is why the governments of poor countries have been so eager in
recent years to join first the GATT and then the WTO. They understand that in trade
policy, unless attitudes change a lot, the alternative to the WTO is not “democracy
prevails” but “might is right”." A travers l'OMC, l'hebdomadaire réaffirme sa position et se
place définitivement du côté des plus pauvres. "Liberal trade is good because it raises the
incomes of consumers and workers at large, and especially because it improves the
prospects of the poorest countries". Être contre l'OMC c'est donc être contre les plus
pauvres.
1. World trade. Playing games with prosperity. Jul 26th 2001, The Economist.
2. Survey: Globalisation. Who elected the WTO? Sep 27th 2001, The Economist.
3. "Craven" veut dire poltron.
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L'hebdomadaire se positionne clairement face aux opposants de l'OMC: "unlike the Fund
and the Bank, the WTO brings what many critics regard as the most objectionable
aspects of globalisation home to the rich countries, where most of those critics live"1. On
retrouve dans cette façon de poser le décors, la configuration déjà identifiée: la plupart
des opposants aux processus d'intégration économique sont des non-pauvres. Ils se
préoccupent de leur sort personnel et non pas du sort des pauvres. Pourtant, bien
qu'étant créditée de tant de qualités, l'OMC n'est qu'un succédané de l'idéal de The
Economist: "unilateral, uncompensated trade liberalisation is the best way to serve the
public interest. If they [the governments] could do that-but only then-the WTO in its
present form would no longer be needed at all". La solution idéale envisagée par The
Economist est radicale. En tant que telle, elle ne semble pas pouvoir être appliquée pour
l'instant. Elle ne peut donc pas être battue en brèche par l'expérience. Nous constatons
de plus que l'hebdomadaire s'empare de la notion d'intérêt public.
Le périodique mène visiblement une campagne qui associe les négociations de l'OMC à la
lutte contre la pauvreté. En considérant les fondements idéologiques du périodique, on
constate que de toute façon sa position ne peut pas ne pas être favorable aux agendas
de l'OMC. Qu'en présentant ces objectifs, il insiste sur le sort des plus défavorisés voilà
une attitude qui peut donner une place plus importante au thème de la pauvreté dans
son discours. Ce phénomène est certainement, en partie, à l'origine de l'évolution
identifiée par les statistiques présentées.
Selon certaines opinions les pays riches auraient beaucoup plus à gagner dans ces
négociations que les pays pauvres. Nous avons vu que les inégalités dans la répartition
des gains ne sont pas un problème en tant que tel pour l'hebdomadaire. Cette remarque
soulève cependant la question des compensations. Quelle est la position de The
1. Survey: Globalisation. Who elected the WTO? Sep 27th 2001, The Economist.
2. Trade talks. Delivering on Doha's promise. Jan 6th 2005, The Economist.
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Economist à ce sujet? Portons notre attention sur les détails. "Yet discussions about how
to reduce barriers for industrial goods—which are far higher in poor countries than rich
ones—are at an impasse, thanks largely to the intransigence of big emerging economies,
such as India and Brazil. These countries are loth to make “concessions” on industrial
tariffs until they see more progress in farm trade." Pourquoi ces guillemets dans
l'utilisation du terme de concession? Qu'est-ce que l'hebdomadaire manifeste par là? De
quoi peut bien être porteur le terme de concession pour que l'hebdomadaire soit réticent
à l'utiliser?
Logiquement, l'idée qu'il puisse y avoir une perte qui doive être compensée, c'est
accepter que les gains issus de la libéralisation ne suffissent pas à compenser les pertes
qu'ils peuvent occasionner… comment dans ce cas pouvoir encore prôner la
libéralisation? De plus si cette perte n'était pas compensée par le marché libre, ce serait
alors au politique d'en évaluer l'ampleur et l'on a constaté que The Economist prône un
marché libéré de l'emprise du politique. Pour ces deux raisons (et peut-être d'autres qui
restent à trouver) l'hebdomadaire ne peut pas ne pas se méfier de ce dont le terme de
concession est porteur. On constate à nouveau que chaque détail des articles du
périodique est mûrement pesé… mais que c'est grâce à eux que la pensée de The
Economist peut nous être révélée.
c) La charité
The Economist ne se déclare pas partisan du laisser-faire. C'est ainsi qu'il pose que "It
would also be wrong to sit back and hope that globalisation, left to itself, will somehow
sweep them [the poor economies] up in due course. […] the challenge is still to engage
these regions in economic growth and technological progress, not to find some way of
protecting them from it."1. Rappelons ici puisqu'il est question de progrès technologique
que l'hebdomadaire ne se considère pas comme un "techno-profet"2. La place qu'occupe
la technologie dans le discours de The Economist mériterait néanmoins que l'on s'y
attarde3.
The Economist critique la gestion des dons par l'intermédiaire des organisations
internationales au moyen du langage imagé qui lui est si propre. Ses commentaires par
rapport au rapport Sachs sont les suivants: "Africa needs a “big push”, which is to say
big sums of foreign money. Only large amounts will do. This is development economics
as rocket science: mix the fuels in the right quantities, and Africa's earth-bound
economies will reach escape velocity."4 En toile de fond c'est à nouveau l'efficacité dans
l'allocation de ces dons qui est critiquée "the West has spent $450 billion on foreign aid
to Africa over the past 40 years. If that has not filled the gap, what will?". The Economist
ne demande pas pour autant une réduction de l'aide. Le débat ne se situe pas tant sur
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les sommes à employer que sur la manière de les employer "Which is not to say such
sums are wildly generous." Ce type de remarques interdit de se satisfaire d'une analyse
sommaire du discours de l'hebdomadaire. Il serait faux en effet de dire que The
Economist ne souhaite pas aider les pauvres et que son seul intérêt est la promotion des
libéralisations.
La philanthropie privée jouit du crédit que lui concède son efficacité reconnue. C'est à son
propos d'ailleurs que The Economist trace un parallèle entre les actions caritatives de Bill
Gates et les positions de Milton Friedman "Although it is easy to be cynical about the
motives of the rich when they turn charitable, it seems clear that Mr Gates really cares
where his money goes. As Milton Friedman long ago observed, the best purchases are
those made by people spending their own money. "1 Ces considérations sur l'efficacité de
l'aide amènent parfois l'hebdomadaire à user d'expressions pouvant choquer certaines
sensibilités. Ainsi en parlant des vaccinations: "[…] one of the foundation's precepts is, as
it were, to buy lives cheaply: that way more people can be saved."2 et pour ceux qui
penseraient que cela n'est qu'une maladresse exceptionnelle, on trouve un peu plus loin
"Another way of buying lives cheaply is to make sure the money is neither wasted nor
stolen."
La valorisation de la charité privée n'est pas une injonction au don personnel. Je n'ai pas
trouvé à ce sujet d'articles exhortant les lecteurs à donner pour leur prochain. Par contre,
l'hebdomadaire conseil à ceux qui voudraient s'en préoccuper d'exercer une pression sur
leur gouvernement et notamment sur l'affectation des dons: "to press governments to
double—no, treble—the sums they are giving to help fight the diseases that are plaguing
so much of Africa and undermining its social and political institutions. These are,
principally, AIDS, malaria and tuberculosis."3
Au niveau international, le champ de l'aide approuvé par The Economist se situe donc
dans le domaine de la santé et celui de l'aide d'urgence. On identifie ici un parallèle entre
aide privée et aide publique: aucune des deux n'est censée se charger de questions
structurelles. Le commerce international et les flux d'investissements doivent pouvoir
continuer à se développer selon les conditions que leur logique souhaite voir appliquées.
Voilà pourquoi la mention "International Monetary Fund worry that pushing too much aid
into these countries too fast might bid up their real exchange rates, undermining the
competitiveness of their export industries" ne doit pas nous apparaître comme un
argument de plus dans un débat allant dans de multiples directions. C'est l'argument qui
trace par lui-même la direction à suivre. La solution, c'est la compétition.
1. The Gates foundation. Missionary zeal. Jan 27th 2005, The Economist.
2. Global health. Foundation. Jan 27th 2005, The Economist.
3. Survey: Capitalism And Democracy. Give freedom a chance. Jun 26th 2003, The Economist.
37
------------------------------------------------------------------La pauvreté et The Economist
d) Le FMI
Le Fond Monétaire international occupe une place à part dans la vision du monde de The
Economist. Cela est compréhensible puisque le rôle du FMI est d'assurer la stabilité de
l'ensemble du système d'échange international. A travers ce que l'hebdomadaire peut en
dire ce n'est pas tant la question de la pauvreté qui est en jeu que la pertinence même
du marché comme solution universelle. C'est probablement pour cette raison que le
périodique accorde facilement le droit à l'erreur au Fond. Les erreurs qui sont pardonnées
au Fond sont, au fond, celles qui le sont également au marché. Lorsque The Economist
précise que: "The IMF sometimes makes mistakes, to be sure. It is in the nature of
things: the Fund practises battlefield medicine."1 c'est surtout pour éviter de prêter le
flanc à la critique. En effet l'hebdomadaire est parfois perçu comme un "free-market
fundamentalist"2. En reconnaissant qu'à travers le FMI le marché a parfois besoin d'être
stabilisé, il reconnaît que le marché a ses failles tout en refusant de remettre en question
le principe de son fonctionnement autonome. "The IMF's very existence affirms the idea
that markets sometimes get things wrong, and that action by public agencies is
necessary as a result"3. Mais voilà, c'est sur le type d'action à mettre en place que les
divergences apparaissent. Pourquoi lorsqu'il s'agit du Fond il n'est plus question de forces
et de lois mais de médecine et de combat? Qui sont les victimes de ce combat et qui sont
les rescapés secourus par le Fond?
1. Economics focus. The Fund bites back. Jul 4th 2002, The Economist.
2. Energy liberalisation. It's good for you. Feb 14th 2002, The Economist.
3. Economics focus. The Fund bites back. Jul 4th 2002, The Economist.
38
------------------------------------------------------------------La pauvreté et The Economist
Arrêtons-nous quelques instants sur ce point. C'est ici que l'interprétation autour des
notions de profits, d'efficacité, et de pureté du chapitre IV montre toute son utilité. En
effet si l'on se base sur cette interprétation, tout devient évident et il apparaît qu'il aurait
été impossible à The Economist d'adopter une autre position. Si les inégalités sont le
produit du marché, il est impossible de remettre en question ces inégalités. Les contester
reviendrait à douter de la "pureté" de la répartition des fruits du marché. En effet,
puisque la répartition (qui n'est pas redistribution) est déterminée par le marché lui-
même, la "pureté" de ce qui sort du marché s'étend à sa répartition.
Restons conscients que ce modèle n'est qu'une première approximation. Il butte sur
certains éléments tels que la vente d'armes ou de drogue. Si le marché les produit, ni les
armes ni la drogue ne sont considérés comme des produits parmi d'autres. Des raisons
de l'ordre de la sécurité et de la santé publique apparaissent. Ce que je cherche à
montrer à travers ces deux exemples, c'est que dans un premier temps tout ce qui sort
du marché est considéré comme bon et que ce n'est que dans un deuxième temps, suite
à des choix politiques, que certains produits du marché seront considérés comme étant à
bannir. Visiblement le cas des inégalités se situe-là. Ce ne pourra pas être le marché par
lui-même qui y verra un problème, ce ne pourra être qu'un choix politique.
39
------------------------------------------------------------------La pauvreté et The Economist
Ceci étant dit, nous pouvons passer à la suite, à savoir comment le sujet des inégalités
est traité au long des articles. On commence par constater que The Economist ne tente
pas de forcer les portes. Bien qu'il nous ait été possible, d'isoler un exemple où il expose
sa position clairement, dans la plupart des articles ce n'est pas le cas. Probablement que
cela est du au fait que le sujet est politiquement sensible, que les opinions parmi les
lecteurs du périodique sont moins homogènes que sur d'autres thèmes, celui de la
pauvreté par exemple.
On constate ci-dessus que ce qui est injuste ce n'est pas qu'il y ait des inégalités, mais
qu'elles n'aient pas été le produit d'un fonctionnement transparent du marché. Voilà
pourquoi: "The toll of global poverty is a scandal. But deploring economic “injustice” is
no answer."2 Ici les guillemets faisant référence à la question de l'injustice sont
fondamentaux. Non seulement le fait de déplorer (c'est-à-dire par exemple de critiquer le
système d'échange pour son mode de fonctionnement qui crée des inégalités) ne peut
pas être considéré comme une réponse au problème, mais appeler ce problème une
"injustice" n'est pas possible dans la grille de lecture que The Economist propose du
monde. La notion de justice ou d'injustice est un enjeu majeur. L'injustice ne peut pas
être économique, elle ne peut pas remettre en question le fonctionnement du marché. Le
non-juste est avant tout un marché non transparent.
a) La définition d'inégalité
Si le concept d'inégalité est si sensible, il convient de considérer la présentation que fait
The Economist de l'économie du bien être. Il s'agit du courrant au sein de la pensée
économique qui a cherché à déterminer des critères de justice applicables au mode de
répartition.
WELFARE ECONOMICS
Economics with a heart. The study of how different forms of economic activity and
different methods of allocating scarce resources affect the well being of different
individuals or countries. WELFARE ECONOMICS focuses on questions about EQUITY as
well as EFFICIENCY.
1. Survey: Capitalism And Democracy. Pro-market, not pro-business. Jun 26th 2003, The Economist.
2. Poverty and inequality. A question of justice? Mar 11th 2004, The Economist.
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EQUITY
The fairness of other aspects of how the gains from economic activity are distributed
through society have also been debated by economists, especially those interested in
WELFARE ECONOMICS. Some economists start with the presumption that the free-
market outcome is inherently inequitable, and that equity (sharing out the pie) must be
traded off against EFFICIENCY (maximising the size of the pie). Others argue that it is
inequitable1 to take money away from someone who has created economic value to
give to people who have been less skilled or industrious.
Le premier réflexe est de constater que l'équité fait référence à un autre ("other
aspects"), à ce qui n'est pas au centre des préoccupations, à un supplément. Le second
nous indique que nous arrivons à une impasse. Cette définition porte en elle le refus de
se laisser envahir par des courants de pensée autres qu'économiques. Il est en effet
question de "valeur économique". Une valeur économique ne peut provenir que du jeu de
l'offre et de la demande sur un marché libre et transparent. Il n'y a ici pas de porte
ouverte à toute autre forme de valeur, à une valeur qui serait non-économique. A partir
du moment où il n'existe que des valeurs économiques il devient évident, par
construction, que de procéder à des transferts de ces valeurs économiques ne peut être
qu'arbitraire. En effet, tout autre valeur n'ayant pas sa place dans le modèle, les critères
de transferts ne peuvent paraître, depuis l'intérieur du modèle, qu'arbitraires. Nous
n'obtiendrons rien de plus sur la notion de valeur à travers les définitions.
EFFICIENCY
Getting the most out of the resources used. For a particular sort of efficiency often
favoured by economists, see PARETO EFFICIENT.
PARETO EFFICIENCY
A situation in which nobody can be made better off without making somebody else worse
off. Named after Vilfredo Pareto (1843–1923), an Italian economist. If an economy’s
resources are being used inefficiently, it ought to be possible to make somebody better
off without anybody else becoming worse off. In reality, change often produces losers as
well as winners. Pareto efficiency does not help judge whether this sort of change is
economically good or bad.
1. Remarquons que la grille de lecture du chapitre IV permet de parvenir au même résultat en économisant
trois concepts: "economic value", "skillness" et "to be industrious". Remarquons également que les deux
derniers concepts pourraient très bien être le résultat de l'impossibilité de placer le concept de mérite dans un
espace aussi sensible qu'un dictionnaire en ligne.
41
------------------------------------------------------------------La pauvreté et The Economist
Nous allons donc devoir en rester là pour l'instant. Nous sommes arrivés à la question du
bien et du mal (good or bad) mais sans pouvoir sortir du champ économique
(economically good or bad)1.
b) Les statistiques
Même si pour The Economist les inégalités en soi ne sont pas un problème à la différence
de la pauvreté (extrême), l'hebdomadaire ne peut pas ne pas tenter de tirer profit des
statistiques qui pourraient certifier que la libéralisation des marchés et la mondialisation
qui s'ensuit conduisent à une diminution des inégalités. Il est dans son intérêt de mettre
en avant les statistiques qui lui conviennent. Au moment de débattre du pourquoi des
libéralisations ces statistiques sont en effet un argument pouvant permettre de faire
pencher la balance. L'intérêt pour la question n'est pas moral, il est d'ordre pragmatique.
Voici la synthèse de toute la présentation: les inégalités dans les pays augmentent, les
inégalités entre les pays augmentent mais l'inégalité totale diminue. Du point de vue
mathématique cela ne pose aucun problème, les propriétés de groupes ne s'additionnent
pas lorsque l'on réunit les groupes. On peut tout de même se demander ce que
représente alors cet indice d'inégalité mondiale… et si le principal atout de la globalisation
n'était pas d'offrir des cadres de calcul permettant d'obtenir statistiquement les résultats
qui nous intéressent. Comme nous l'avons dit cependant, ce n'est pas l'objectif de ce
travail que de traiter de la validité des statistiques présentées, mais plutôt de voir
comment ces statistiques sont présentées. Et cette statistique est suffisamment
intéressante aux yeux de l'hebdomadaire pour avoir droit à une double couverture.
1. Restons honnêtes vis-à-vis de The Economist, puisque le dictionnaire consulté s'appelle "Economics A-Z", il
n'y a pas de raison pour que l'hebdomadaire traite d'autre chose que de ce qui s'inscrit dans le champ
économique.
2. Economics focus. Catching up Aug 21st 2003, The Economist.
3. Global economic inequality. More or less equal? Mar 11th 2004, The Economist.
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------------------------------------------------------------------La pauvreté et The Economist
autres la succession des étapes menant à une lutte contre la pauvreté efficace:
libéralisation n'est pas globalisation1.
Parmi les multiples corrélations qui peuvent être étudiées est choisie celle qui offre un
intérêt par rapport à la promotion des libéralisations. "The real question—at least so far
as reducing global poverty is concerned—is not whether globalisation is a good thing, but
why some countries […] find it so difficult to participate." En posant ainsi la
problématique, ce ne sont plus les particularités des pays qui réussissent qui sont
considérées comme importantes. On se penche sur les difficultés que rencontrent les
pays qui n'obtiennent pas le même taux de réussite que les autres. Ces pays deviennent
alors porteurs d'un problème2. Il y a là, à mon avis, un parti pris.3 "[…] governments of
the poorest countries themselves bear much of the responsibility. Many of the world's
highest trade barriers are those imposed by poor-country governments on trade with
other poor countries"4. On le constate à nouveau, un des éléments caractérisant encore
et toujours les pays pauvres est l'entrave qu'ils posent au commerce.
Ces considérations sont émises par un périodique qui considère que les inégalités ne sont
pas un problème en soi. Ce même périodique insiste sur la valeur clarificatrice des
statistiques présentées. Elles sont sensées régler la question du problème de l'inégalité
qui, dans le fond, n'est pas un problème. En partant de ces constatations l'hebdomadaire
en arrive à réclamer plus de globalisation pour les pays pauvres, "the problem is not too
much globalisation, but too little". Tout se tient, sauf le premier argument. Que The
Economist considère que les inégalités ne sont pas un problème c'est son choix mais qu'il
brandisse les statistiques qui l'arrangent cela n'est pas cohérent. Pourquoi? Mais parce
qu'en réaction à des statistiques concluant à un accroissement des inégalités, voici la
réaction qu'il a eue: "First, one must be cautious about the data. Unfortunately, one must
always be cautious about the data. The information feeding into the new calculations
cited by Mr Wade is better, and certainly much more detailed, than the information used
in earlier studies. But […]"5.
1. Pour avoir une idée de la différence il suffit de penser en termes d'injonctions, au conseil "libéralisez-vous!"
suit l'indication "globalisez-vous!". Cette manière de voir souligne le désarroi que peuvent ressentir ceux qui ont
fourni l'effort correspondant à la première injonction et qui ne voyant pas leur situation s'améliorer ce
retrouvent face à une nouvelle injonction.
2. Ce point de vue sera repris au chapitre X, (section a), Exemple 6.
3. L'article mentionne également les barrières au commerce posées par les pays riches, ainsi que la nécessité
de l'accroissement de l'aide et d'une meilleure sélection des projets bénéficiaires. Il ne faut pas s'attendre dans
un article d'une telle importance (de par sa longueur relative aux autres) à une présentation toute blanche ou
toute noire qui stigmatiserait simplement les pays pauvres.
4. La suite de l'article est une critique de l'absence de stabilité et de sécurité (ce thème a été étudié sous
l'appellation "antériorité" au chapitre VI) dans ces pays ainsi que de la corruption qui y règne.
5. Economics focus. Of rich and poor. Apr 26th 2001. The Economist.
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IX La morale
L'analyse des texte de The Economist a jusqu'à présent donné beaucoup d'importance
aux intérêts qui utilisent la lutte contre la pauvreté à leurs propres fins. Ne considérer les
choses que de ce point de vue serait injuste à l'égard des personnes qui se reconnaissent
dans les prises de position de The Economist. Cela pourrait laisser sous-entendre que les
seules personnes cherchant authentiquement à soulager la souffrance des pauvres
seraient celles qui se positionnent contre les libéralisations. Acceptons que de toute
façon, la notion d'intérêt ne disparaîtra jamais totalement, ne serait-ce que parce que
"[..]global security and prosperity depend on an inclusive international economy. Letting
poor countries fall further behind is dangerous."1 Pourtant, la sécurité de tous n'a pas à
être dans le cœur de chacun la raison pour laquelle il se décide à aider les pauvres.
Nombreux sont probablement ceux qui considèrent que The Economist est un périodique
affichant un certain cynisme face aux pertes et profits de la globalisation. Considérer
comme allant de soi que certains perdent et d'autres gagnent ne veut pas pour autant
dire que l'on n'a pas de morale. Le discours de The Economist n'est pas amoral.
La morale est en effet présente dans ses articles: " Surely there is no more commanding
moral imperative for people in the West than to urge each other, and their
2
governments, to bring relief to the world's poorest." Cette morale s'accompagne de
sentiments: " People and their governments in the West should heed the call of
compassion, and respond with policies to help the world's poor…" Que ce soit la
compassion qui guide les actions voilà qui peut rendre ces actions peu rationnelles! Mais
au moment où la raison risque de se laisser dominer par le sentiment de compassion,
The Economist continue à faire la différence entre une priorité et une autre, entre le
prochain qui vit à côté de chez nous et celui qui est à des milliers de kilomètres. Il
propose pour cela de se baser sur le niveau de désespoir. C'est ainsi que la citation
précédente se voit complétée par "… and indeed to advance the opportunities of the
(much less desperately) poor in their own countries." C'est à se demander si ce
complément est là pour intégrer ou pour exclure ces pauvres si proches de nous. Bref, la
morale est sauve et la raison également.
1. The great aid debate. Apr 23rd 2003. The Economist Global Agend.
2. Poverty and inequality. A question of justice? Mar 11th 2004, The Economist.
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a) Le retour de la morale
Philippe Sassier pose que les projets de société afin de pouvoir prétendre à la légitimité
doivent se présenter comme étant au service des plus pauvres. Nous avons vu que cette
manière de procéder correspond au discours de The Economist. Pourtant en remontant
aux origines de l'autonomisation de la pensée économique on constate que "la question
sociale s'est posée explicitement au moment où le libéralisme a cherché à se défaire de
la base morale que ses fondateurs voulaient lui donner, pour ériger les lois économiques
en lois naturelles justifiant ainsi de nombreuses existences proches du minimum vital"1.
L'analyse des liens entre la question sociale et la morale devrait être approfondie, mais
dans un premier temps nous constatons qu'après s'être distanciés des questions morales,
les partisans du libéralisme réinvestissent ce champ. L'apparition de la lutte contre la
pauvreté en est l'illustration. On constate ainsi que ce ne sont pas les existences proches
du minimum vital qui sont aujourd'hui justifiées par le marché, ce sont les existences de
ces centaines de millions d'individus vivant au-dessous du niveau de pauvreté qui servent
à justifier le marché.
Considérons ce qui suit. "The evidence from Asia suggests that the main solutions to
African poverty lie in Africa itself, and particularly in its governmental institutions.
Whatever the magic of markets, they cannot work effectively without the rule of law, the
protection of property rights, stable and socially acceptable regulations, and stability of
public finances and the national currency."3 C'est à l'Etat qu'il incombe de mettre en
place les structures citées. "Rich-country liberals can do little directly to provide those"
On peut tout au plus aider ces pays à s'aider eux même (comme dans le cas des
téléphones portables). Comment faire alors pour aider? Quelles personnes soutenir? C'est
en posant ces questions qu'apparaissent à la fois les valeurs fondamentales de
l'hebdomadaire, mais en plus le type de mouvement social qu'il convient d'appuyer.
"[…]give local activists for democracy and market capitalism in Africa a better
chance of success." A travers le profil des personnes qu'il convient de soutenir ce sont les
valeurs de l'hebdomadaire qui apparaissent: démocratie et capitalisme de marché.
Attention il ne s'agit pourtant pas d'appuyer directement ces groupes sociaux, ces
45
------------------------------------------------------------------La pauvreté et The Economist
activistes locaux qui se battent pour la mise en place des structures correspondant à ces
valeurs. Il est question de favoriser les conditions adaptées qui leur permettront de
bénéficier d'un maximum de chances d'arriver à leurs fins. Pour cela deux voies sont
proposées dans l'article. Les deux sont techniques: soutenir les efforts de lutte contre le
SIDA, la malaria et la tuberculose et démanteler les protectionnismes du Nord. Les
conflits sociaux restent en dehors du champ d'action.
La mention timide et pratique aux activistes locaux est essentielle. Nous nous souvenons
de la métaphore botanique1 et constatons que le nom de ces groupes s'est délesté de ses
guillemets. The Economist est en effet très réticent à l'idée d'aider directement les
organisations locales2. L'hebdomadaire escompte donc promouvoir la démocratie et le
capitalisme de marché en soutenant indirectement les activistes locaux. Ceci se fait
sûrement "naturellement" à travers les retombées des solutions techniques proposées.
Ce procédé a l'immense avantage de libérer du choix: plus besoin de procéder à une
sélection parmi différent groupes afin d'identifier celui ou ceux qu'il convient d'aider et
donc pas besoin de proposer des critères d'évaluation de la légitimité des représentants
de ces groupes. On évite de commettre des erreurs.
c) Le sens de la morale
La présence de la lutte contre la pauvreté a l'avantage de donner non seulement une
âme à la globalisation, mais également un sens. Sans sa présence il serait plus difficile
de répondre à la question "pourquoi fait-on cela?". Le capitalisme, la liberté, le
développement, la modernisation, le progrès semblent moins concrets que la pauvreté et
sont difficiles à mesurer. La lutte contre la pauvreté a l'avantage de fournir une signal
d'arrivée et des indicateurs de progression: l'évolution est donnée par le nombre de
pauvres sur la planète.
46
------------------------------------------------------------------La pauvreté et The Economist
X Du doute au pari
Nous avons vu comment The Economist semble ne pas avoir de doute de que le libre
marché soit la clef de la lutte contre la pauvreté. Nous allons dans les pages qui suivent,
nous pencher sur la question du doute dans le discours de l'hebdomadaire. Qu'est-ce qui
nous permet de dire qu'il n'y a pas de place pour le doute?
a) Exemples logiques
Exemple 1
Le refus de se remettre en question est parfaitement illustré dans l'utilisation des termes
sceptique ou scepticisme. Une connotation apparaît par association au sein des phrases.
Il est de bon ton d'être sceptique dans certains cas et de mauvais ton dans d'autres.
Ainsi par rapport à l'aide de la banque mondiale on a droit à un très respectueux
"[William Easterly, a] leading authority on development, says he is sceptical"1 alors que
dans d'autres circonstances la connotation se voit inversée "a mere rabble2 of exuberant
irrationalists on the streets, and in the face of a mild public scepticism"3
Exemple 2
Les révolutions dans le domaine des technologies de l'information et de la communication
se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu. On parle de fossé numérique pour
désigner l'écart qui se creuse entre les pays qui négocient avantageusement ce virage
technologique et ceux qui restent en arrière. Pourtant The Economist emploie la notion
de fossé numérique avec des guillemets. Que comporte cette expression qui ne soit pas
du goût de l'hebdomadaire?
1. Development. Recasting the case for aid. Jan 20th 2005, The Economist.
2. "Rabble" peut être traduit par populace.
3. The case for globalisation. Sep 21st 2000, The Economist.
47
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The Economist en fait ne considère pas qu'il faille donner des moyens adaptés aux pays
pauvres pour leur permettre de suivre cette évolution. Le périodique préfère que ce soit
le marché par lui-même qui rende le transfert de technologie efficace. The Economist ne
peut pourtant pas nier la possibilité de que ce fossé numérique constitue dans le futur un
obstacle insurmontable et que cela condamne certains pays à la pauvreté à travers la
baisse des termes de l'échange.
Cette analyse peut être appliquée à diverses situations puisque par exemple un autre
article3 au sous-titre semblable" For the developing world, IT4 is more of an opportunity
than a threat " se termine par la même prise de position "Those economies that get left
behind should blame themselves, not technology."
Le potentiel d'exclusion qui pourrait être inhérent au fonctionnement du marché n'est pas
questionné. Voilà pourquoi The Economist s'encombre de guillemets pour utiliser
l'expression de "fossé numérique". Ne pas prendre de telles précautions reviendrait à
reconnaître qu'il y a un problème, un problème avec les dynamiques du marché qui
pourraient ne pas permettre à certains de s'émanciper de la pauvreté. Les guillemets
sont là pour indiquer qu'il n'y a pas de raison d'organiser un transfert de technologie, pas
de raison de se substituer au marché. Par leur présence ils signifient le refus de la remise
en question.
48
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Exemple 3
La place qu'occupe la formation des individus s'inscrit dans cette logique de rejet.
Lorsqu'une personne ne parvient pas à s'intégrer au marché du travail, qui ne doit bien
évidemment pas être régulé, c'est qu'elle n'a pas une formation adéquate. Nous nous
souvenons que dans un premier temps, c'est le rôle de L'Etat de fournir cette formation.
Par la suite il incombe à l'individu de continuer à se former. A lui de trouver les
ressources en temps, en énergie et en argent pour cela.
Exemple 4
Les contestations sociales en réaction aux conséquences des ajustements structurels ont
été très fortes en Amérique latine. Face à ces vagues de mécontentement la position de
The Economist ne vacille pas. Il reconnaît une erreur, mais cette erreur est de ne pas en
avoir fait assez1. "The “Washington consensus” is a damaged brand. But its chief mistake
was in not pushing Latin American reform far enough" La solution aux problèmes semble
claire, elle ressemble à une recette: si un peu ne suffit pas alors il convient d'en mettre
plus… Dans cet article on propose tout de même quelque chose de nouveau: un
consensus à la sauce latine en quelque sorte, un consensus avec un peu plus de
distribution car "Recent research suggests that inequality in developing countries itself
tends to reduce growth"
Exemple 5
Certaines régions n'observent pas en leur sein une diminution homogène de la pauvreté
"One needs to ask, where did poverty increase and why? Apparently, it increased
especially in Africa, in rural China and in rural India. It seems odd to regard such regions
as victims of globalisation. On the face of it, they are rather the opposite: victims of a
lack of globalisation."2 Il y a comme nous l'avons vu "libéralisation" et "globalisation",
ceci offre un jeu supplémentaire pour pouvoir justifier à posteriori du résultat de toute
libéralisation. Dans cette logique une libéralisation est bonne si elle mène à une
globalisation génératrice de croissance "pro-poor" (car il y a aussi des croissances
appauvrissantes). Si après avoir libéralisé, la globalisation escomptée n'est pas au
rendez-vous c'est que… et là les explications sont multiples: environnement peu
accueillant à l'égard des investissement, formation inadéquate de la main d'œuvre,
absence de voies de communication bon marché.
1. Latin America. Wanted: a new regional agenda for economic growth. Apr 24th 2003.
2. The Economist, 2001, p. 224.
3. Nous retrouvons ici la critique sur la notion de parti pris formulée au chapitre VIII (section b).
49
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"élèves brillants"? "India and China are showing how great the benefits of international
economic integration can be. Neither country is an exemplar of free-market capitalism—
far from it. But it is undeniable that both countries have consciously chosen to seize the
opportunities afforded by the global economy, through both trade and foreign
investment".
Schéma synthétique
Une manière de schématiser l'approche adoptée par The Economist dans l'analyse de la
relation entre pauvreté et libéralisation est la suivante: on applique à chaque niveau de
lecture la même formule.
b) Le pari de la modernité
Alain Caillé (1989, p.25) appel "pari de la modernité" la volonté de permettre
l'autonomisation du marché. Je reprendrai son expression. Elle me semble bien décrire ce
que j'ai essayé de montrer à travers les différents exemples. Considérer, sans en avoir la
preuve, que les destructions légitimées par la dynamique des libéralisations seront
compensées par ce qu'il y a à gagner ("But such failures are heavily outweighed by the
successes."1) me semble de l'ordre du pari. Je fais ici référence aux subtils mécanismes
de production et de reproduction de nos sociétés, des représentations symboliques qui
permettent aux individus de donner du sens à la vie. Je suis conscient que la tradition
n'est pas figée et que l'homme est le résultat de l'histoire qu'il crée. Pourtant il y a
suffisamment de matière pour s'arrêter un instant avant d'adopter la position de The
Economist.
1. Survey: Capitalism And Democracy. Liberty's great advance. Jun 26th 2003, The Economist.
50
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idéal. Le pari est indissociable de ce postulat. A la place du slogan "un autre monde est
possible" il propose "un autre marché est possible". Ce marché devenu autonome1
offrirait des possibilités d'intégration à chacun… selon ses mérites probablement? Et bien
oui, car "Voters everywhere may have come to prefer balanced budgets, moderate taxes,
privatisation and the rest on their merits"2 parce que dans le fond "These policies, for
the moment, are popular."3
Si le marché est une institution mise en place par la société et qu'en fonctionnant cette
institution n'a pas la possibilité d'intégrer tous les individus, cela pose un problème
moral: sur quoi se baser pour exclure certains membres de la société. La notion de
mérite montre alors tout l'intérêt qu'il y a à l'utiliser. Cela évite de devoir formuler
l'hypothèse de que le marché autonome n'ait simplement pas besoin pour fonctionner de
tous les êtres humains disponibles sur le marché du travail.
Dans la première partie de ce travail, les causes qui semblaient être à l'origine de la
promotion des libéralisations se situaient au niveau des intérêts privés. A présent il
apparaît que l'intérêt ne peut pas tout expliquer, il y a également quelque chose de
l'ordre de la conviction4 car le discours de The Economist est convaincant… tant que l'on
reste dans sa logique.
1. Le concept d'autonomie est pertinent à l'approche choisie dans ce travail. Dans un deuxième temps, une
autre approche montrerait que l'on assiste en fait à un transfert de régulation. Elle était auparavant nationale et
étatique. La nouvelle régulation se situe au niveau supranational. Comme l'indique The Economist "deregulation
[…] should not be equated with no regulation" (Energy liberalisation. It's good for you. Feb 14th 2002). Cette
remarque nous renvoie immédiatement au chapitre VII dans sa totalité et plus particulièrement à la dernière
remarque.
2. Survey: Globalisation. A crisis of legitimacy. Sep 27th 2001, The Economist.
3. La présence du "for the moment" est à relever.
4. …et, si l'on en juge par le vocabulaire religieux si prisé par l'hebdomadaire, de l'ordre de la croyance peut-
être. Le pouvoir des études quantitatives marque néanmoins la frontière.
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A travers la question des moyens à mettre en place pour lutter contre la pauvreté, c'est à
une lutte entre les savoirs que nous assistons. Martha Starr (2004) a étudié comment
The Economist dévalorise le savoir issu d'autres domaines. J'ai montré comment en
posant les problèmes le périodique se défait de ce qui se trouve à l'extérieur de son
champ d'expertise. L'hebdomadaire se réserve de plus l'usage cohérent de la raison1
"There is no clear, coherent case being presented for a retreat from liberalism. But
protectionism and other forms of government intervention do not necessarily require a
coherent case if they are to succeed"2. Ce n'est pourtant pas parce que le périodique nie
d'autres rationalités qu'il nie d'autres possibles. L'hebdomadaire indique simplement que
celui qu'il propose est le meilleur de tous. Il ne cherche pas à justifier les libéralisations
en les présentant comme irrépressibles. Une analyse qui sort du cadre de ce travail
montrerait d'ailleurs qu'elles ne découlent pas d'un déterminisme historique. "If
protectionism does prosper again in that way, it will be a shame for the rich world but a
tragedy for the poorer countries, for it would choke off their best hope of raising their
living standards and of defeating poverty. Could it happen? It is not the likeliest outcome,
which, as usual, is some sort of muddling along. But it is now a worryingly plausible one".
On le voit, ce ne sont pas les lois de l'économie qui rendent les libéralisations
obligatoires, ce sont les pauvres, dont le destin est en jeu, qui font qu'elles ne doivent
pas être stoppées
1. Comment savoir si son intérêt pour la science (cf. les statistiques dans les annexes) n'est pas en partie du à
une volonté d'asseoir l'autorité de son savoir?
2. Survey: Capitalism and Democracy. Radical birthday thoughts. Jun 26th 2003, The Economist.
3. Petite question: si ce sont les lois de l'économie qui ont fait que les prix du pétrole "prennent l'ascenseur"
(ceci est une "agent metaphor") comment se fait-il que le résultat des lois de l'économie, donc les lois de
l'économie elles-mêmes, permettent de défier les lois de l'économie?
52
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forces du marché" sont monnaie courante et des associations comme "the rise of market
forces in environmental matters"2 ne peuvent que brouiller les pistes. The Economist
reprend volontiers les métaphores adéquates lorsqu'elles sont émises par les personnes
dont l'hebdomadaire retransmet les propos. "Aid wonks use sponge metaphors: a country
can “absorb” only so much aid, even if the money flows as freely as water"3 On reconnaît
dans ce dernier exemple le style de l'hebdomadaire: dire les choses tout en précisant que
ce sont les autres qui les disent.
1. Bolivia. Mob rule, not people power. Jun 16th 2005, The Economist.
2. Survey: The Global Enironment. The great race. Jul 4th 2002, The Economist.
3. Aid to Africa. The $25 billion question. Jun 30th 2005, The Economist.
4. Psychology and stockmarkets. Mind your language. Jul 21st 2005, The Economist.
5. Academics and The Economist. Capitalist, sexist pigs. Dec 16th 2004, The Economist.
6. Charlemagne. The Norwegian option. Oct 7th 2004, The Economist.
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Nombreuses sont les personnes qui pensent que ce discours est sciemment construit
pour promouvoir les intérêts de certains groupes. L'hebdomadaire serait alors un
instrument de propagande et le discours le produit de la volonté de manipuler. La
position que j'ai défendue est que s'il se peut que certains professent ce en quoi ils ne
croient pas, nombreux sont ceux qui sont sincèrement persuadés de ce qu'ils avancent.
Le discours ne peut pas être interprété uniquement comme le produit de certains intérêts
égoïstes mais doit également être perçu comme ce qui alimente des volontés
bienveillantes. Ce travail n'est donc pas un rejet de l'économique mais un
questionnement du sens donné à l'économie. Ce sens se donne en usant de mots, ces
mots dont j'ai suivi la trace et grâce auxquels j'ai reconstruit une partie de la vision du
monde de The Economist.
1. The G8's African challenge, Jul 7th 2005, The Economist Global Agenda.
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XII Conclusion
L'image du pauvre dépeinte par The Economist est fortement corrélée au profil de ses
lecteurs. Le pauvre ressemble à un entrepreneur qui s'ignore. L'hebdomadaire propose
de le révéler à lui même grâce aux stimulations du marché et aux opportunités qu'offre
son intégration au marché mondial. Le pauvre s'émancipe ainsi des entraves imposées
par les politiques irrationnelles de l'Etat et parvient à utiliser les "forces du marché" dans
son propre intérêt. Il participe en même temps à la croissance qui bénéficie à tous. Les
gains issus des libéralisations se répartissent entre des pauvres et des non-pauvres. Les
profits réalisés par ces derniers sont valorisés car ils sont le résultat de l'efficacité des
solutions qu'ils mettent en place.
Les notions d'efficacité et de mérite sont centrales au discours de The Econmist. Elles
s'appuient sur une représentation de la nature humaine. Pour que les actions des
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individus coïncident avec l'intérêt général, un contrôle doit être exercé. Les acteurs du
marchés, lorsqu'ils sont en concurrence dans un marché transparent, exercent ce
contrôle les uns sur les autres. L'hebdomadaire propose ainsi à travers le marché une
solution universelle.
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Annexes
En vérifiant s'il était possible au niveau des statistiques de mettre en évidence un lien
entre la présentation des négociations à l'OMC et l'intérêt pour la pauvreté, j'ai découvert
le parallèle suivant:
80
70
60
50
40
30
20
10
0
1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
30
25
20
15
10
5
0
1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
La similitude entre ces deux courbes est frappante, surtout lorsque l'on se reporte aux
autres courbes présentées dans cet annexe. Ce type de résultats ne constitue pas une
démonstration par lui-même car différents phénomènes indépendants peuvent donner
lieu à des courbes semblables. Ce parallèle constitue par contre une heureuse
coïncidence.
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Voici pour commencer deux graphiques dont les valeurs de l'ordre de grandeur de celles
du graphique indiquant les occurrences de "poverty".
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30
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15
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0
1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
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1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
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30
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0
1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
En ce qui concerne les apparitions de termes dans le texte, voici à titre d'exemple:
180
160
140
120
100
80
60
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0
1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
180
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1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
J'ai constaté, et les graphiques ici exposés ne sont qu'une partie de ceux établis, que la
croissance de l'utilisation de l'expression "poor countries" se démarque très nettement
des différentes courbes qui peuvent être obtenues.
60
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600
500
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1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
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1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
Nous constatons à partir de 2001 une forte progression pour les deux pays anglo-saxons.
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Postface
Je voudrai terminer ce travail par une histoire. Elle m'est revenue lorsque j'ai décidé de
reprendre l'expression du "pari de la modernité" d'Alain Caillé. Je pense que le lecteur
saura y reconnaître qui est qui et quoi est quoi.
"C'est l'histoire d'un passionné de courses de chevaux. Etant déjà richissime il ne joue
pas pour l'argent mais pour le plaisir de gagner. Il décide de mettre tout en œuvre pour
réussir ses paris dans le futur et fait appel à un mathématicien spécialiste en statistiques.
Il lui dit:
-Je veux que tu me fournisses une formule qui lorsque j'y introduis les paramètres de
mes chevaux, me donne le numéro gagnant.
Le mathématicien se met à l'ouvrage, de théorème en théorème son parcours d'obstacle
le mène, quatre mois plus tard, à déclarer forfait.
Le passionné fait alors appel à un informaticien qui tout de suite obtient l'achat des
ordinateurs les plus puissants disponibles sur le marché. De simulation en simulation, sa
construction d'une réalité virtuelle débouche, six mois plus tard, sur une mise en
évidence de l'insuffisance de la puissance de ces mêmes ordinateurs.
Ne perdant pas espoir notre passionné fait appel à un physicien. La semaine suivante nos
quatre personnages sont réunis pour le voir recevoir les félicitations qu'il mérite et un
chèque célébrant son efficacité.
Les deux autres scientifiques n'en revenant pas lui demandent:
- Mais comment as-tu fait?
Et il répond:
- Le plus dur a été de poser le problème, ensuite ça a été tout seul.
Voulant en savoir plus ils le relancent:
- Et alors, ça marche?
En quittant la salle de cérémonie le physicien se retourne et les regarde sûr de lui:
- Bien sûr, mais seulement pour des chevaux sphériques dans le vide."
62
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