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148 CHAPITRE 8.

LES DIAGNOSTICS DE LA CROISSANCE

pouvons l’observer dans la Figure 8.4.

Figure 8.4 –

Avant de tirer des conclusions à travers le framework GD, nous analysons aussi le cas
d’un autre pays ayant fait des réformes, le Salvador. Ce pays possède quelques similarités
avec le Brésil, comme par exemple des faibles taux d’épargne et d’investissement. En
revanche, ce pays ne possède pas de problèmes de financement. La dette étrangère y est
faible et le pays a une bonne notation financière de cette dette. En outre, les banques
domestiques ont plus de liquidités qu’elles ne peuvent prêter, et le coût d’intermédiation
financière y est faible. Comme nous pouvons bien le voir dans la Figure 8.5, le taux
d’intérêt y est le plus faible d’Amérique Latine.
Cela suggère que le problème de ce pays concerne les retours à l’investissement en
capital, qui finissent par bloquer la croissance économique. Les agents économiques ne
trouvent pas d’investissements productifs où placer leurs ressources disponibles ; cela n’est
donc pas un problème de financement.
En somme, la question à laquelle l’approche de Diagnostics de Croissance essaye de
répondre est de savoir, d’une part, pourquoi le Salvador a de faibles retours à l’investis-
sement, et, d’autre part, pourquoi le Brésil est contraint par les marchés étrangers et que
l’épargne domestique n’augmente pas.
Comme indique le schéma d’arborescence, le faible niveau d’investissement au Salvador
peut être la conséquence de plusieurs distorsions. D’abord, les retours sociaux ne peuvent
pas être appropriés au niveau privé, et cela pour plusieurs raisons : des taxes élevés, la
présence de déséquilibres macroéconomiques, une faible protection des droits de propriété
ou une incertitude économique très marquée. Regardons chacune de ces possibilités en
détail.
Économie du Développement

Felipe Starosta de Waldemar

Université Paris-Saclay————— Octobre 2020


2
Syllabus

Ce cours a pour objectif de faire maîtriser aux étudiants à la fin du semestre, d’une
part, les principaux faits stylisés du développement économique, et, d’autre part, les outils
les plus importants du domaine de l’économie du développement.

Ce cours est divisé en deux sections, et chacune de deux sections en deux parties.
Dans la première section, la première partie est consacrée à la présentation des définitions
du développement économique, certaines de ses dimensions (géographie, institutions et la
mondialisation), ainsi que aussi plusieurs faits stylisés.
La deuxième partie consiste à faire une revue de l’histoire des théories du développe-
ment économique. Un premier chapitre est consacré aux théories classiques, tandis que le
deuxième chapitre synthétise les théories développées depuis 30 ans.
La troisième section commence par une partie qui présente différentes politiques du
développement. D’abord, nous nous concentrons sur l’aide au développement et les Ob-
jectifs du Développement Durable. Ensuite, pour exemple, nous étudions une politique au
niveau micro-économique (évaluations aléatoires ou évaluations d’impact) et une politique
au niveau macro-économique (diagnostics de la croissance).
La dernière partie met en revue plusieurs thématiques du développement économique,
comme, entre d’autres, les inégalités et la pauvreté, l’éducation et la santé, et les migra-
tions.

Deux manuels servent de référence :


Marc Raffinot, “L’économie du Développement”, Dunod, 1ère édition, 2015.
Michael P. Todaro et Stephen C. Smith, “Economic Development”, The Pearson Series
in Economics, 12th edition, 2014.
Par ailleurs, des bibliographies sont indiquées tout au long du polycopié. Elles sont
importantes, le contenu du polycopié étant aussi basé sur celles-ci. Parmi ces indications,
je mettrai sur eCampus ces documents (en format PDF) complémentaires pour que vous
pussiez les télécharger. Leur lecture est recommandée dans l’objectif d’approfondir le
contenu présenté dans le polycopié.

3
4
Table des matières

I Conceptualisation du développement économique 9

1 Économie du développement et Développement économique 11


1.1 Les faits stylisés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.1.1 Inégalités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.1.2 Mesures du développement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
1.1.3 Comment les pays développés diffèrent des pays en développement . 20
1.2 D’autres facteurs du développement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
1.2.1 Conflits - Guerre Civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
1.2.2 Finance - Crédit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
1.2.3 Microfinance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
1.3 Les acteurs du développement économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
1.3.1 Institutions phares . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
1.3.2 Agences Régionales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
1.3.3 Agences spécialisées par thème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
1.3.4 ONG’s et centres académiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
1.4 Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

2 Facteurs clés du développement 43


2.1 Cadre de travail (framework) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
2.2 Géographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
2.2.1 Littérature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
2.2.2 L’importance de la géographie et le lien avec le développement . . . 48
2.3 Institutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
2.3.1 Mesures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
2.3.2 Corruption . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
2.4 Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58

3 Mondialisation, Croissance et Développement 61


3.1 Histoire de la Mondialisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

5
6 TABLE DES MATIÈRES

3.2 Commerce et Développement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66


3.2.1 Le lien entre les deux phénomènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
3.2.2 Quelques faits stylisés sur le commerce et le développement . . . . . 71
3.3 Commerce International et Croissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
3.4 Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

II Théories du développement 81

4 Théories Classiques du Développement 83


4.1 L’approche linéaire des étapes de la croissance . . . . . . . . . . . . . . . . 85
4.1.1 Nurske . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
4.1.2 Rostow . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
4.2 Les théories du changement structurel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
4.3 Les théories de la dépendance internationale . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
4.4 La théorie libérale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
4.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

5 Théories Contemporaines du Développement 95


5.1 Croissance endogène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
5.2 Défaillances de coordination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
5.3 Big Push (révisé et formalisé) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
5.4 Théorie du O-ring . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
5.5 Réflexions sur ces théories . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
5.6 Théories et Pratiques du Développement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
5.6.1 L’État comme moteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
5.6.2 Le PAS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
5.6.3 L’émergence des économies asiatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
5.6.4 Les nouvelles stratégies politiques de développement . . . . . . . . . 105

III Politiques du développement 107

6 Les OMD et l’aide au développement 109


6.1 Objectifs du Millénaire pour le Développement . . . . . . . . . . . . . . . . 110
6.1.1 Objectif 1 : Réduire l’extrême pauvreté et la faim . . . . . . . . . . 110
6.1.2 Objectif 2 : Assurer l’éducation primaire pour tous . . . . . . . . . 110
6.1.3 Objectif 3 : Promouvoir l’égalité et l’autonomisation des femmes . . 112
6.1.4 Objectif 4 : Réduire la mortalité infantile . . . . . . . . . . . . . . . 113
TABLE DES MATIÈRES 7

6.1.5 Objectif 5 : Améliorer la santé maternelle . . . . . . . . . . . . . . . 113


6.1.6 Objectif 6 : Combattre les maladies . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
6.1.7 Objectif 7 : Assurer un environnement humain durable . . . . . . . 116
6.1.8 Objectif 8 : Mettre en place un partenariat mondial pour le déve-
loppement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
6.2 Les Objectifs Durables du Développement - ODD . . . . . . . . . . . . . . 120
6.3 Aide au développement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
6.3.1 Faits stylisés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
6.3.2 Aide et croissance économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
6.3.3 Les autres effets de l’aide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
6.3.4 Aid for trade - l’aide au commerce . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
6.4 Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

7 Évaluations aléatoires 133


7.1 Pourquoi randomiser ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
7.2 Le modèle formalisé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
7.3 La portée de la méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
7.4 Questions pratiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
7.5 Limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
7.6 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
7.7 Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141

8 Les diagnostics de la croissance 143


8.1 Définitions : le cadre théorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
8.2 Le schéma d’arborescence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
8.3 Exemples . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
8.4 Limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
8.5 Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153

IV Thématiques du développement 155

9 Pauvreté et Inégalité 157


9.1 Mesures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
9.1.1 Mesures d’inégalités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
9.1.2 Mesures de pauvreté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
9.2 Pauvreté, inégalités & bien-être social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
9.3 La pauvreté absolue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
9.4 Les caractéristiques des groupes avec un taux de pauvreté élevé . . . . . . 167
8 TABLE DES MATIÈRES

9.5 Politiques pour la réduction de la pauvreté et des inégalités . . . . . . . . . 169


9.6 Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170

10 Éducation et santé - Capital Humain 171


10.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
10.2 L’éducation et la santé comme des investissements . . . . . . . . . . . . . . 172
10.3 Éducation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174
10.4 Santé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
10.5 Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186

11 Migrations internationales 187


11.1 Introduction et définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187
11.2 Faits stylisés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189
11.3 Les flux bilatéraux individuels de migrants . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193
11.4 Dimensions de l’étude des migrations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194
11.5 Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200
Première partie

Conceptualisation du développement
économique

9
Chapitre 1

Économie du développement et
Développement économique

Avant d’approfondir notre analyse, une première distinction doit être faite. Le déve-
loppement économique est le processus d’amélioration de la qualité des vies humaines.
Selon Todaro et Smith, le développement est un processus multidimensionnel qui englobe
des changements radicaux dans les structures sociales, des changements institutionnels
ainsi que l’accélération de la croissance économique, de la réduction des inégalités et de
l’éradication de la pauvreté. Différemment, l’économie du développement est le domaine
(ou branche) de la science économique qui étudie ce processus. L’économie du développe-
ment met en œuvre différents outils modernes de la science économique (microéconomie,
macroéconomie, économétrie), afin de comprendre et analyser ce processus à différents
niveaux (individus, ménages, villes, régions, pays).
Alors est-ce que l’économie du développement, en tant que discipline, est identique
partout ? Il n’existerait pas de particularité locale ? Une grande contribution a été faite
par McKenzie et Paffhausen (2017). Ils soulignent qu’il existe une très forte hétérogénéité
dans ce qui est considéré comme l’Economie du Développement. Depuis des décennies,
la discipline a évoluée d’un champ largement théorique concentré sur les transformations
économiques des PED vers un champ très divers où il n’y a plus un idée unique qui explique
les différences de développement entre les pays développés et les pays en développement.
Cette situation est accompagné de débats entre les approches micro vs. macro, ainsi que
tellement d’accent sur l’approche empirique que les chercheurs se posent la question s’ils
n’ont pas trop délaissé la théorie.
L’article de McKenzie et Paffhausen (2017) étudie les cours (les syllabus) de ce qui est
enseigné en économie du développement. Seulement quatre sujets sont enseignés dans la
moitié des cours : théories et modèles de croissance, pauvreté et inégalité, capital humain,
et institutions. Les auteurs identifient 4 groupes de cours : (1) des cours très macro-

11
12CHAPITRE 1. ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

économiques, qui couvrent la croissance, le commerce, et les politiques industrielles (en


Amérique Latine surtout) ; (2) des cours très micro-économiques, basé sur l’empirique,
l’expérience aléatoires et l’évaluation d’impact, et qui portent sur de sujets comme le
risque, la terre, et le marché du travail (USA) ; (3) des cours qui portent exclusivement
sur les sujets centraux (croissance, pauvreté et inégalité, institutions, capital humain),
dans toutes les régions du monde ; (4) et enfin des cours qui portent sur plusieurs sujets :
environnement, aide, migration (Europe, Afrique, Asie). Qu’est-ce qui explique ces dif-
férences ? Les cours du second groupe sont souvent localisés dans des pays développés,
avec de niveau d’éducation plus élevés et moins d’intervention étatique dans l’économie ;
ils sont plus actifs en recherche, utilisent Ray (1998) et Banerjee et Duflo (2011) comme
manuels. Le premier groupe n’a pas un manuel définie et sont localisés dans les PED,
tandis que quatrième groupe utilise Todaro et Smith (2014), celui que je vous conseille
dans le syllabus.
Une autre distinction est aussi cruciale : celle entre croissance économique et dévelop-
pement économique. Le premier correspond à la croissance du produit intérieur brut per
capita (PIB). Différemment, le développement économique s’intéresse à une gamme beau-
coup plus élargie d’indicateurs économiques, sociales et politiques pour mesurer le bien
être des populations. Toutefois, la croissance économique est généralement une condition
nécessaire pour le développement économique.
Dans ce chapitre, nous allons d’abord regarder quelques définitions importantes du
développement économique et nous allons étudier plusieurs faits stylisés sur le développe-
ment économique, notamment avec l’objectif de répondre à la question suivante : qu’est-ce
que permet de différencier les pays en développement des pays développés ? Enfin, nous
regarderons ensemble certains de principaux acteurs du développement économique dans
le monde.

1.1 Les faits stylisés

1.1.1 Inégalités

Un milliard de personnes dans le monde vit en-dessous du seuil de pauvreté, et environ


40% vit avec moins de 2$ par jour. Un des faits stylisés plus important sur l’économie
mondiale est le contraste important entre les conditions de vie des différentes populations
à travers le monde. Le rapport sur le développement mondial de 2006 de la Banque
Mondiale atteste qu’en 2000, l’espérance de vie d’un enfant né en Sierra Leone est de
37 ans et au Botswana de 39 ans, tandis qu’aux États-Unis l’espérance de vie est de 77
ans. Par ailleurs, comme nous voyons dans la Figure 1.1, le niveau d’espérance de vie
1.1. LES FAITS STYLISÉS 13

est fortement corrélé avec le revenu par habitant pour les pays les plus pauvres. Plus
important encore, l’amélioration de l’espérance de vie est drastique pour l’augmentation
du niveau de revenu pour les pays les moins riches, surtout à moins de 10000 $ de PIB
per capita.

Figure 1.1 – Espérance de vie et niveau de revenu. Source : World Development Report

La compréhension de comment certains pays sont riches et d’autres pauvres est peut
être l’enjeu principal des sciences sociales, car cela a des implications majeures sur le bien
être des populations. D’ailleurs, la croissance économique des pays continue d’avoir des
dynamiques hétérogènes entre eux, comme nous pouvons l’observer dans la Figure 1.2.
D’abord, en haut de la figure, nous voyons que les États-Unis et le Royaume-Uni ont connu
une croissance assez stable au long des dernières décennies. L’Espagne débute la période
en étant moins favorisée mais arrive à se rapprocher de ces deux pays. Nous observons la
très bonne performance économique de la Corée du Sud, de Singapour et du Botswana.
Pour le Brésil, nous voyons clairement un boom du milieu des années 60 jusqu’à la fin
des années 70 et puis la stagnation dans les années 80 et 90. Enfin, l’Inde et le Nigeria
commencent très pauvres, et depuis les années 80 on observe un processus de croissance
très marquée pour l’Inde et une stagnation pour le Nigeria. Ces trajectoires hétérogènes
de croissance illustrent bien que les performance économiques sont très disparates.
Un autre thème important du développement des pays correspond aux inégalités de
revenu, qui nous allons entrer plus en détail dans le chapitre 8. Tandis que certains cher-
cheurs mettent en avant l’existence de la courbe de Kuznets, d’autres trouvent de résultats
14CHAPITRE 1. ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Figure 1.2 – The evolution of income per capita in the United States, United Kingdom,
Spain, Singapore, Brazil, Guatemala, South Korea, Botswana, Nigeria and India, 1960-
2000. Source : Acemoglu (2008)

qui ne confirment pas cette hypothèse 1 . La courbe de Kuznets correspond à une courbe
en U-inversé : au début du sentier de développement, à mesure que les pays augmentent
leur revenu agrégé, l’inégalité de revenus augmente aussi, mais cela jusqu’à un point de
retournement, où l’augmentation du revenu est corrélé avec une diminution des inégali-
tés. Frazer (2006), dans un article récent, revisite ces débats. En utilisant des données en
Pooled OLS (en Moindre Carré Ordinaire “empilées”), il trouve (Figure 1.3) des résul-
tats empiriques pour cet courbe en u-inversé. Cependant, en utilisant d’autres techniques
d’estimation, il ne trouve pas de relation en u-inversé. Or, ce qui est très clair, au-delà de
la forme de cette relation, l’existence de différences inter-pays du niveau d’inégalités de
revenus est bel et bien présent.
Par ailleurs, d’autres types d’inégalités, en plus celle du revenu, ont aussi un rôle
important sur le développement économique. Dans la Figure 1.4, il est montré la forte
corrélation négative entre le risque d’expropriation aujourd’hui et le niveau de mortalité
des colons pendant le processus de colonisation. Plus la mortalité des colons étaient élevée,
moins importante était la protection contre le risque d’une expropriation par la part
d’autrui. Cette hétérogénéité dans les conditions de colonisation européenne a de fortes
influences sur le type d’institutions qui a été implantées dans les pays colonisés suite
à ce processus. Ensuite, la qualité de ces institutions formées pendant la colonisation a
1. Trois points sont très essentiels dans ce débat : (a) la comparabilité des données utilisés ; (b) la
forme fonctionnelle lors de l’estimation de la courbe ; (c) l’utilisation de données en coupe transversale
ou en données de panel.
1.1. LES FAITS STYLISÉS 15

Figure 1.3 – Source : Frazer (2006)

perduré dans le temps, et est observé jusqu’à aujourd’hui. Cet effet des institutions sur le
développement sera plus détaillé dans le Chapitre 2.
Dans le Rapport sur le Développement Humain (2013), il est dit que “les inégalités
freinent le rythme du développement humain, allant parfois jusqu’à l’empêcher totalement.
Cela est d’autant plus vrai en ce qui concerne les inégalités en matière d’éducation et de
santé, et moins pour les inégalités de revenu.”
Une autre dimension du développement est très importante à souligner : la pauvreté
(que nous allons aussi étudier plus en détail au chapitre 8). La Banque Mondiale même a
comme objectif principal l’élimination durable de la pauvreté extrême, celle de personnes
qui vivent avec moins de 1.25$ dollars par jour. En outre, l’élimination de la pauvreté
est le premier objectif du millénaire que nous allons étudier plus tard dans ce polycopié.
Néanmoins, les résultats de l’élimination de la pauvreté ne sont pas entièrement positifs.
Mosley (2013) montre qu’il existe une très forte hétérogénéité dans les contributions à la
réduction de la pauvreté des récents épisodes de forte croissance des certains pays Afri-
cains. Nous pouvons voir dans la Figure 1.5 que Mosley (2013) trouve que pour certains
pays, l’épisode récent de croissance économique soutenu est accompagné par une dimi-
nution du pourcentage de la population vivant en-dessous du seuil de pauvreté, tandis
que pour d’autres pays la croissance économique n’a pas aidé à la diminution. Encore une
fois, dans ce premier chapitre, il est intéressant de faire émerger différentes situations du
développement économique des pays pour que dans le reste du polycopié nous puissions
essayer de trouver des explications pour ces phénomènes.
16CHAPITRE 1. ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Figure 1.4 – Source : World Development Report (2006)

Figure 1.5 – Source : Mosley (2013)


1.1. LES FAITS STYLISÉS 17

Enfin, un dernier point important à souligner dans ce premier chapitre concerne la


convergence de revenus des pays. La convergence économique est un phénomène qui prédit
(par la théorie néoclassique de la croissance économique) que l’on devrait observer une
convergence des niveaux de revenus des pays au fil du temps : les pays à faible revenu
devraient connaître une croissance économique plus élevée que les pays avec un niveau
élevé de revenus. Néanmoins, cela n’est pas ce qu’on trouve dans les données. Comme nous
pouvons voir dans la Figure 1.6, il n’y a pas de convergence pour l’ensemble de l’économie.
En revanche, le même auteur trouve, comme nous pouvons le voir dans la Figure 1.7, qu’il
existe une forte convergence de la productivité de travail dans le secteur manufacturier.
Pourquoi donc n’y a-t-il pas de convergence pour l’ensemble de l’économie ? La réponse
de Rodrik (2013) repose sur la faible part de l’industrie dans les activités productives des
pays en développement. Cette conclusion mène aussi à la série d’articles que nous allons
étudier dans la partie du chapitre 4 qui porte sur la transformation structurelle.

Figure 1.6 – Source : Rodrik (2013))

1.1.2 Mesures du développement


Quels sont les principaux indicateurs de développement ? Nous avons déjà fait la dis-
tinction entre développement et croissance économique. Le développement économique
englobe d’autres dimensions, notamment la santé et l’éducation. Pour la santé, l’espé-
rance de vie, la prévalence de la sous-nutrition et la mortalité des enfants sont des mesures
utilisées pour évaluer le développement des pays. En ce qui concerne l’éducation, le taux
d’illettrisme et le pourcentage d’adultes avec un diplôme (primaire, secondaire, tertiaire)
18CHAPITRE 1. ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Figure 1.7 – Source : Rodrik (2013))

sont les principaux outils de mesures. La première mesure du développement est celle du
niveau de revenu, qui est normalement le Produit Intérieur Brut per capita. La différence
annuelle entre les niveaux du PIB per capita nous fournit le taux de croissance des pays.
Un autre indicateur important est l’Indicateur de Développement Humain (IDH), compilé
par le Programme des Nations Unis pour le développement 2 . L’IDH est un ranking de
pays selon des conditions de développement économiques et sociales. Il est la réunion de
trois composantes : la longévité, mesurée par l’espérance de vie à la naissance ; la connais-
sance, mesurée par la durée moyenne de la scolarisation ; et le revenu national brut par
habitant. Selon le Rapport de 2019 et comme nous le constatons dans la Figure 1.8, de
grandes différences sont visibles entre l’IDH de groupes et de régions et les composants
de l’IDH.
Selon le Rapport sur le Développement Humain (2013), qu’il s’agisse de sociétés ou
d’individus, la maximisation de la richesse n’est pas l’élément crucial, mais la façon dont
ils décident de convertir ces revenus en développement humain. Encore, une société peut
dépenser ses revenus dans l’éducation ou dans l’achat d’armes pour faire la guerre. Les
individus peuvent dépenser leurs revenus pour acheter des aliments de base ou des drogues.
Parmi les pays où le développement humain est très élevé, la Nouvelle-Zélande arrive en
tête de la liste et Serbie occupe la première place de la liste des pays à développement
humain élevé (données de 2018).
Il est vrai que les indicateurs de développement peuvent ne pas représenter entière-

2. http ://www.undp.org/content/undp/fr/home.html
1.1. LES FAITS STYLISÉS 19

Figure 1.8 – Source : Rapport sur le Développement Humain (2013)

ment le bien être des populations, et c’est surtout le cas du PIB. C’est dans ce sens là
que en 2008, il a été commandé à Stigliz, Sen et Fitoussi de “déterminer les limites du
PIB en tant qu’indicateur des performances économiques et du progrès social, de réexa-
miner les problèmes relatifs à sa mesure, d’identifier les informations complémentaires qui
pourraient être nécessaires pour aboutir à des indicateurs du progrès social plus perti-
nents, d’évaluer la faisabilité de nouveaux instruments de mesure et de débattre de la
présentation appropriée des informations statistiques.” Les auteurs finissent par arriver
à des recommandations, notamment sur la dimension environnementale. Ils soulignent,
principalement, que l’évaluation de la soutenabilité environnementale nécessite un trai-
tement spécial et un cadre bien défini et limité, afin d’intégrer les futures mesures de
développement.

Par ailleurs, un article récent se concentre sur le bien être auto-déclaré (Senik, 2013).
Selon l’auteur, “l’article se fonde sur les différences entre natifs et immigrés dans un
ensemble de pays européens et distingue l’influence respective des circonstances objectives
et des aspects psychologiques et culturels. Il apparaît que la dimension culturelle est
loin d’être négligeable. Dans certains pays, notamment la France, elle constitue la source
principale du niveau de bonheur (ou malheur) spécifique au pays. L’école joue un rôle
important dans la formation de ces attitudes mentales. On vérifie que les différences de
bien-être déclaré correspondent à des états émotionnels réels et ne se réduisent pas à un
phénomène purement nominal.” Comme recommandation de politique économique, afin
de maximiser le bien être national et pas juste le revenu per capita, l’auteur met en
avance l’importance d’une amélioration qualitative dans les écoles et dans d’autres lieux
de sociabilisation des enfants. Le lien direct entre politiques publiques de bien être et
l’éducation n’était pas encore souligné dans la littérature économique.
20CHAPITRE 1. ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

1.1.3 Comment les pays développés diffèrent des pays en déve-


loppement
Les pays développés diffèrent des pays en développement sur plusieurs dimensions.
Nous pouvons évoquer (liste non exhaustive) :
— Ils ont un PIB per capita plus élevé
— Ils sont plus urbanisés
— Ils possèdent des secteurs agricoles plus petits
— Ils ont un secteur de service plus important
— Leur taux de fertilité est plus faible
— Leur taux de mortalité infantile est inférieur
— Ils ont un niveau moyen d’éducation plus élevé
— Ils jouissent de plus de démocratie et de libertés
— Ils possèdent de gouvernements plus vertueux (efficacité, corruption)
— Leurs gouvernements sont plus grands (en termes de pourcentage du PIB)
Ainsi, dans la Figure 1.9, nous voyons que, au fur et à mesure, qu’un pays se développe,
la part de l’agriculture dans le total du PIB diminue. Un autre fait stylisé qui illustre ces
différences est visible dans la Figure 1.10 : plus un pays est développé, plus la part de sa
population totale qui vit dans le milieu urbain est élevée.

Figure 1.9 – Part de l’agriculture et PIB per capita


1.1. LES FAITS STYLISÉS 21

Figure 1.10 – Urbanisation et PIB per Capita : Source (WDI)

Comment ce lien entre ces deux variables, urbanisation et niveau de revenu, existe ?
L’urbanisation permet à ce que les travailleurs migrent des activités à faible niveau de
productivité dans des zones rurales à des activités à haut niveau de productivité dans les
villes. Le niveau de productivité augmente alors grâce à des modifications dans la com-
position rural/urbain du travail : il existe plus de terre par travailleur dans l’agriculture,
même s’il n’y a pas d’augmentation de la productivité urbaine.
Les pays en développement ont connu un processus d’urbanisation très fort dans les
derniers 60 ans. L’urbanisation des pays développés au 19ème siècle possède deux parti-
cularités : (a) la croissance de l’urbanisation est plus forte aujourd’hui dans les pays en
développement ; (b) tandis que la croissance du revenu est toujours le principal moteur de
l’urbanisation, le monde devient de plus en plus urbanisé à un niveau de revenu constant.
Nous pouvons alors étudier comment la population peut être le déterminant du revenu
per capita. Ce facteur peut agir via deux moyens différents :

1. La taille de la population
2. Le taux de croissance de la population

Pour étudier le lien entre population et revenu, il faut revenir d’abord aux théories
de Malthus (1798). Selon lui, plus la population est faible pour une quantité disponible
de terre, mieux les individus vivent. Lorsque le niveau de vie augmente, la population
croît également. Mais du fait de cette croissance de la population, la quantité de terre
22CHAPITRE 1. ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

disponible par personne baisse, et les individus deviennent alors pauvres. Cette pauvreté
limite par la suite le taux de croissance de la population. Un point d’équilibre entre niveau
de revenu et population constante peut toutefois être trouvé. Cette dynamique peut être
observée dans la Figure 1.11. Le point d’équilibre est celui qui passe par les courbes (Lss
et Yss )

Figure 1.11 – Source : Todaro & Smith 2014

Néanmoins, le modèle malthusien ne s’applique pas au monde contemporain ; la preuve


empirique vient du niveau de revenus. Le modèle malthusien prédit que les niveaux de
revenus restent stables au fil du temps, même avec le progrès technologique. Cela a été
vrai pendant des millénaires ; mais cela a changé lors des deux derniers siècles. En effet,
à partir du début des années 1800, le PIB per capita a crû de manière continue.
Cependant, nous observons une forte corrélation négative entre le taux de croissance
de la population et le niveau de revenu per capita, comme nous pouvons le voir dans
1.2. D’AUTRES FACTEURS DU DÉVELOPPEMENT 23

la Figure 1.1.3. La croissance de la population n’est pas la cause des faibles niveaux de
revenus. Mais une rapide croissance de la population peut avoir des effets négatifs sur les
pays en développement.

1.2 D’autres facteurs du développement

1.2.1 Conflits - Guerre Civile


Une des utilisations le plus courantes de l’aide au développement est pour la recons-
truction des pays touchés par de conflits armés - et principalement par des guerres civiles.
Depuis les années 1950 et les indépendances coloniales, les conflits civils ont remplacés
les guerres internationales comme principal fléau pour le développement des pays. On
parle même des conflits civils comme un “développement à l’envers”. Du fait des terribles
héritages des conflits pour le développement, les chercheurs essaient de comprendre les
raisons et les conséquences des conflits pour le développement des nations. Dans cette
section, nous allons d’abord nous concentrer sur les causes de conflits, pour ensuite parler
des conséquences. A la fin, nous allons entrer plus en détail sur un article sur conflit et
développement.
24CHAPITRE 1. ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Les guerres civiles sont définies comme les conflits qui ont plus de 1000 décès en
combat pendant une année civile, tandis que les conflits civils sont ceux qui connaissent au
moins 25 décès des combattants pendant des conflits. Domingues (2011) suit la littérature
économique qui étudient les causes et les conséquences des conflits armés, et nous suivons
son approche. Dans son propre travail, il montre qu’au Mozambique, les femmes qui ont
été exposées au conflits dans les premières années de leurs vies, ont un niveau de santé
plus faible que celles qui n’ont pas été exposées.

Par rapport aux causes de la guerre civile, plusieurs raisons peuvent être citées. La
corrélation plus robuste trouvée dans la littérature économique est celle entre guerres
civiles et faibles niveaux de revenu. Il a été trouvé que les pays avec des taux de croissance
plus faibles et aussi avec un taux de pauvreté plus élevé ont une probabilité plus grande
d’avoir des guerres civiles. Une autre cause du déclenchement d’un conflit civil est la
présence de ressources naturelles. Un pays avec une plus grande proportion d’exportations
de bien primaires par rapport au PIB a une plus grande probabilité d’avoir une guerre
civile. Un troisième facteur est celui de la fractionalisation ethnique. Ce point est toutefois
à l’origine d’une controverse dans la littérature. D’une part des chercheurs montrent qu’il
n’y a pas de lien entre un plus grand nombre d’ethnies ou de religions dans un pays et la
probabilité d’avoir un conflit, tandis que d’autres chercheurs montrent un effet non-linéaire
entre diversité ethnique et conflit. Les deux derniers facteurs ont été l’objet d’étude au
début de ce chapitre. La qualité des institutions ou le degré des droits politiques sont très
couramment identifiés comme des déterminants des conflits civils. Tandis que certains
montrent le lien entre un État faible et l’instabilité politique comme des conditions qui
favorisent le conflit, d’autres chercheurs trouvent que les droits politiques et civiques
réduisent la probabilité de conflits. Le dernier facteur est la géographie, facteur qui était
mis en avance comme influençant aussi n’importe quel type de conflit armé. Ici le débat est
ouvert, avec certains chercheurs qui ne trouvent pas d’effet d’indicateur de morphologie
géographique sur la probabilité d’avoir des guerres civiles, tandis que d’autres soulignent
le lien significatif entre avoir un terrain très accidenté et un taux de fréquence de guerres
civiles plus élevé.

En ce qui concerne les conséquences de guerres civiles, elles peuvent être divisées dans
deux domaines principaux : les conséquences économiques et les conséquences humaines.
Cela veut dire que les conflits laissent un héritage très lourd pour le capital physique et
humain pour les pays qui subissent un conflit armé. Par ailleurs, comme pour d’autres
champs de recherche en développement, le débat sur les conséquences existent toujours et
ne font pas l’objet d’un consensus parmi les chercheurs. Au niveau économique, la princi-
pale conséquence néfaste est la destruction du capital physique et des infrastructures. En
particulier, les actifs (patrimoines) des ménages sont sévèrement touchés, principalement
1.2. D’AUTRES FACTEURS DU DÉVELOPPEMENT 25

leur bétail et leur maison. La destruction du bétail et d’autres actifs fermiers des ménages
induit une autre conséquence négative : la disparation presque complète de l’épargne des
ménages, du fait que l’épargne est principalement matérialisée sous ces formes-là. Une
autre conséquence est le changement de l’allocation des ressources : l’activité économique
privilégié est celle qui fabrique les armes et d’autres activités liés au conflit civil. Il y a
donc un détournement de l’emploi de ressources des activités beaucoup plus productives.
Une dernière conséquence économique est celle qui, à travers les problèmes sociaux et
institutionnels dans le pays en conflit, font fuir les capitaux “mobiles” à l’étranger. Les
investisseurs nationaux comme internationaux cherchent des retours plus sécurisants pour
leurs capitaux. Enfin, il a été aussi avancé qu’il faut 21 ans pour que le niveau de PIB per
capita d’un pays soit celui qui aurait atteint s’il n’y avait pas eu de conflit.
Par rapport aux conséquences humaines, la raison la plus claire est le très grand nombre
de décès de combattants et civils pendant la durée du conflit, soit par résultat direct du
conflit ou par l’impossibilité de les soigner du fait d’un système de santé en difficulté
d’opération. L’autre conséquence est aussi que les survivants et les nouveaux-nés doivent
vivre dans un environnement très dangereux dans la période après-guerre. Par exemple,
pendant l’après guerre, la mortalité infantile est beaucoup plus élevée. Le principal effet sur
la santé est l’immense propagation des maladies infectieuses, comme le malaria. L’autre
maladie qui se répand beaucoup dans les pays en conflit est le SIDA. Enfin, les conflits
n’impactent pas seulement la santé de survivants, mais aussi leur niveau d’éducation. Il
a été montré que les dépenses publiques en éducation et le taux d’inscription dans le
système scolaire chutent énormément pendant les périodes de conflit.
Une autre conséquence humaine du conflit peut être trouvée dans la Figure 1.12.
Miguel et al. (2011) ont montré une relation positive et significative entre l’intensité du
conflit civil dans le pays d’origine d’un joueur de football et sa propension à être violent
sur le terrain, mesurée par le nombre de cartons jaunes et rouges qui le jouer reçoit. Pour
faire cette étude, les auteurs ont besoin de comparer le comportement des individus qui
ont des expositions différentes aux conflits civils dans un seul cadre institutionnel à savoir
avec les mêmes règles pour tout le monde et qui permet de fournir des données sur la
conduite violente de chacun. Pour cela, ils utilisent des données de six principales ligues
de football en Europe, où jouent des athlètes de 70 pays, qui viennent ou pas de pays qui
ont subi des guerres civiles pendant toute la période et aussi d’autres pays qui n’ont pas
connu de conflit armé.

1.2.2 Finance - Crédit


Dans cette section nous allons traiter de l’effet du secteur financier sur le développe-
ment. D’abord, nous allons approfondir l’analyse au niveau du développement du secteur
26CHAPITRE 1. ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Figure 1.12 – Source : Miguel et al. (2011)

financier comme un tout, et surtout au niveau macroéconomique. Ensuite, nous exposons


le lien entre le micro-crédit et le développement.
Le système financier a plusieurs rôles a jouer dans la croissance économique des pays.
Selon Todaro et Smith, six fonctions majeures du système financier sont très importantes
au niveau des entreprises comme pour l’économie comme un tout. La première fonction
est celle de fournir un système de paiement. Le système financier fournit une alternative
efficace au problème de porter de la monnaie pour payer afin de consommer les bien et
services dans notre quotidien. La deuxième est celle de faire un “matching” entre épar-
gnants et investisseurs. D’un côté il y a des agents économiques qui épargnent, pour leurs
retraites, par exemple. De l’autre côté d’autres agents, les entreprises, qui font des projets
d’investissements pour lesquels ils ne possèdent pas les capitaux nécessaires et qui ont
donc besoin d’un crédit. Il est très important alors que des banques ou d’autre institu-
tions financières fassent ce lien entre les deux types d’agents. La troisième fonction est
celle de créer et de distribuer l’information. Par exemple, les banques font des publica-
tions quotidiennes sur l’état des actions ou entreprises, et divulguent ces informations
publiquement. La quatrième fonction est celle d’allouer le crédit de manière efficace, afin
que les sociétés puissent investir dans les projets avec un taux de retour le plus élevé. La
cinquième fonction est celle qui consiste à donner des prix et d’échanger les risques entres
différentes sociétés. La dernière est d’augmenter la liquidité dans le système économique,
à travers la possibilité de vendre des actifs à n’importe quel moment à des banques, par
exemple.
En ce qui concerne l’effet du développement du système financier sur la croissance,
1.2. D’AUTRES FACTEURS DU DÉVELOPPEMENT 27

Levine (2005) fait une longue et large revue de littérature sur le sujet. Les premiers études
se sont concentrées au niveau de pays - cross country, avec une large palette des techniques
économétriques afin de capturer la relation entre le développement du système financier
(la variable explicative) et la croissance économique (variable expliquée). La plupart des
équations estimées avaient comme forme l’équation 1.1 :

Gi = —0 + —b F Di + Xi ” + ÷i (1.1)

où Gi est la croissance du PIB per capita (ou du stock de capital ou de la productivité)


pour un pays i donné, F D est un des indicateurs existants qui mesurent le développement
du système financier, et Xi un vecteur de variables de contrôle qui ont un effet sur la
croissance, comme le capital humain, le revenu par habitant, etc. Dans la plupart des
études sur le sujet, et surtout à partir des années 90, les chercheurs trouvaient un effet
positif et significatif des variables F D sur la croissance. Mais la difficulté à établir une
relation causale entre la variable explicative et la variable expliquée était loin d’être réglée.
Un problème économétrique était évident : le biais de simultanéité entre ces deux variables,
la possibilité qu’un développement du système financier anticipe une possible réalisation
économique positive, d’où le recours à de variables instrumentales. Plusieurs auteurs ont
utilisé comme instruments externes l’origine légale : le système de lois qui régit les règles
des contrats entre plusieurs parties. D’où le fait que la finance basé sur des contrats
légaux, des origines légales qui produisent des lois qui protègent les droits des investisseurs
externes et qui appliquent ces droits va avoir un meilleur rôle en termes de promotion du
système financier. En effet, en utilisant les origines légales comme instruments externes,
il a été trouvé que le système financier a un effet sur la croissance économique.
Un deuxième courant de la littérature s’est éloigné de la littérature macroéconomique
pour se concentrer sur la relation entre système financier et croissance au niveau des in-
dustries ou de firmes. Rajan et Zingales (1998) ont fait un étude très importante pour
cette littérature. Ces auteurs défendent l’hypothèse selon laquelle des intermédiaires et
marchés financiers aident à résoudre les frictions de marché du fait d’une différence entre
le prix du financement externe et interne. Des coûts plus faibles du financement externe
facilitent la croissance des firmes et la création de nouvelles entreprises. Par conséquent,
les industries qui sont plus dépendantes du financement externe devraient bénéficier plus
que proportionnellement du développement du système financier que les autres industries
qui ne sont pas si dépendantes du financement externe. Ils montrent qu’une augmenta-
tion du développement du système financier bénéficie plus que proportionnellement à la
croissance des industries qui sont naturellement plus dépendantes au financement externe.
En somme, tant au niveau macro comme au niveau micro, la littérature économique a
montré des résultats favorables à l’effet positif du développement du système financier
28CHAPITRE 1. ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

sur la croissance, même si les méthodes utilisées n’ont pas été toujours épargnées par les
critiques.

1.2.3 Microfinance
L’émergence de la microfinance comme une des solutions le plus importantes contre
la pauvreté ne date pas d’hier. Elle a débuté dans les années 1970 au Bangladesh, pour
ensuite se développer aussi en Amérique Latine et en Afrique. Une importante littéra-
ture économique a trouvé que la disponibilité du crédit est une contrainte majeure pour
le développement de microentreprises. Dans certains endroits éloignés dans les pays en
développement, même un prêt de 100 euros peut avoir un effet très important sur le dé-
veloppement d’un business. Mais le problème est que moins de 10% des pauvres dans
plusieurs pays en développement ont un prêt d’une banque. Afin de résoudre ce problème,
un type spécial de crédit a été développé. La Microfinance est l’offre de crédit et d’autres
services financiers qui sont disponibilisés pour les pauvres et les autres personnes moins
favorisées. Sans cette possibilité, cette partie de la population serait soit coupée du mar-
ché de crédit ou pourrait avoir un prêt que dans des conditions très défavorables. Les
institutions de microfinance (IMF) sont spécialisées dans le fournissement de ces services.
Trois facteurs importants expliquent pourquoi les petits entrepreneurs n’arrivent pas à
obtenir du crédit : (a) dans la plupart du temps les microentrepreneurs n’ont pas ou ont
un très petit collatéral ; (b) il est très difficile pour ceux qui prêtent de juger la qualité
des emprunteurs ; et (c) de petits prêts ont un coût plus élevé par chaque dollar prêté.
Il y a trois types principaux d’institutions de microfinance, parmi plusieurs d’autres
modèles de prêts aux moins défavorisés. Les ROSCAS (rotating savings and credit asso-
ciations) sont un système où un groupe de personnes se réunit pour faire des contributions
régulières à un fond commun, qui par la suite fait l’objet d’une somme forfaitaire à un
membre à chaque période. Ce mode de fonctionnement en groupe est très commun, et les
membres du groupe sont souvent de voisins, des membres de la famille ou des amis. Le
deuxième est celui similaire à la IMF Grammen, avec un modèle de solidarité à l’intérieur
d’un groupe. La dynamique de ce modèle se repose sur les pressions entre les membres
du groupe, du fait que les prêts sont accordés à des individus qui y appartiennent. Les
membres du groupe garantissent les paiement du prêt, et l’accès à des futurs prêts dé-
pendent du bon paiement de prêts précédents. Le dernier exemple est celui d’un village
banking model, dans lequel des associations d’épargne et de crédit sont dirigées par des
communautés. Ces associations sont établies par les travaux des ONG afin de fournir des
services financiers, construire des groupes d’entre-aide dans la communauté, et aider les
membres à accumuler de l’épargne. Ils ont d’habitude entre 25 et 50 membres de bas
revenus qui cherchent à améliorer leurs niveaux de vie à travers des opportunités d’auto-
1.3. LES ACTEURS DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 29

emploi, d’où le besoin de crédit. Les prêts sont soutenus par des collatérales morales : la
promesse que le groupe appuit chaque prêt accordé.
Dans un article récent, Banerjee et al. (2013) étudient l’effet de l’implantation d’une
branche d’une IMF à Hyderabad, en Inde. Néanmoins, ils ne trouvent aucun effet de la
présence d’une institution de microfinance sur des indicateurs de développement humain :
santé, éducation et “women’s empowerement”. Pour réaliser une étude qui pourraient effec-
tivement prendre en compte les effets de l’accès au crédit, les auteurs allouent de manière
randomisée (aléatoire) le microcrédit à certaines régions et ne le font pas à d’autres, et
ensuite ils font une comparaison entre les deux régions avec les variables clès de dévelop-
pement. La randomisation assure que, en moyenne, la seule différence entre les résidents
de deux régions est la plus grande facilité d’accès au crédit. Les études de randomisation
se font de plus en plus commun dans l’économie du développement, principalement pour
cette raison-là.

1.3 Les acteurs du développement économique


Dans cette dernière section, d’abord nous exposons les deux principales institutions, la
Banque Mondiale (WB, de World Bank - en anglais) et le Fonds Monétaire Internationale
(FMI). Ensuite, nous présentons les principales agences régionales comme, par exemple,
la Banque Interaméricaine du Développement et l’Agence Française au Développement.
Ensuite, nous étudions les travaux des principales agences pour le développement qui
sont spécialisées dans certaines thématiques, comme l’Organisation Mondiale de la Santé.
Enfin, nous faisons un survol de quelques organisations non-gouvernementales et de centres
académiques qui se sont spécialisés dans le développement économique et dans l’économie
du développement.

1.3.1 Institutions phares


Dans cette section nous suivons la présentation historique de Todaro et Smith sur la
WB et le FMI. Ce deux institutions ont été conçues juste avant la fin de la Deuxième
Guerre Mondiale, qui était elle-même la suite de la Grande Dépression qui avait fait un
ravage économique. Les marchés internationaux des capitaux et le commerce international
étaient à reconstruire. Ces deux institutions ont été conçues alors afin de favoriser la
reconstruction des échanges entre les pays, ainsi que de l’Europe.
Les rôles de chacune de ces deux institutions étaient assez différents, mais d’une cer-
taine manière complémentaires. Pendant la conférence de Bretton Woods (1944), il a
été admis qu’une de principales mesures de l’après-guerre serait la stabilisation des mar-
chés internationaux des capitaux, afin d’inciter le commerce international de biens et les
30CHAPITRE 1. ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

investissements directs à l’étranger. Ce rôle est revenu au FMI, qui devait assurer la sta-
bilisation du système financier international ainsi que le financement de court terme des
déficits de la balance de paiements. Le rôle complémentaire de la Banque Mondiale était
de financer la reconstruction et le développement (d’où son nom originale : Banque inter-
nationale pour la reconstruction et le développement). Alors que les politiques de ces deux
institutions ont beaucoup changé au fil du temps leur cadre de travail institutionnel reste
intact et continue à exercer une grande influence à travers le monde. La structure de ces
deux institutions sont très similaires. Chaque organisation est conjointement la propriété
de tous les gouvernements membres, et le pouvoir de vote de chaque membre dépend de
sa contribution annuelle, qui à son tour dépend de la taille de l’économie. En outre, les
deux sont des institutions de crédits (prêts), mais investissent aussi dans des projets et
fournissent de l’assistance technique.

Banque Mondiale

La Banque Mondiale a deux objectifs ambitieux : éliminer la pauvreté extrême et


promouvoir la prospérité pour tous. Pour le premier objectif, la cible de la BM est de
diminuer le nombre de personnes vivant avec moins de 1.9 dollars par jour à moins de 3%
en 2030. Le deuxième objectif consiste à favoriser une croissance économique durable pour
les 40% moins aisés dans chaque pays. A n’importe quel moment et dans n’importe quel
pays du monde, des personnes sont engagées dans des projets de développement destinés
à améliorer les conditions de vie et à diminuer la pauvreté. Le Groupe de la Banque
mondiale fournira jusqu’à 160 milliards de dollars d’ici fin juin 2021 pour aider les pays à
faire face aux effets sanitaires, sociaux et économiques de la COVID-19 tout en gardant
en ligne de mire leurs objectifs de développement à long terme.
La Banque Mondiale n’est pas en fait une seule organisation : le Groupe de la Banque
Mondiale est la réunion de 5 institutions : (1) La Banque internationale pour la recons-
truction et le développement (BIRD) a pour objectif de réduire la pauvreté dans les pays
à revenu intermédiaire et dans les pays les plus pauvres mais solvables par le biais de
prêts et de garanties, d’instruments de gestion des risques et de services d’analyse et de
conseil ; (2) L’Association internationale de développement (IDA) a pour mission d’aider
les pays les plus pauvres du monde. Crée en 1960, l’IDA accorde des dons et des cré-
dits sans intérêt pour financer des mesures visant à stimuler la croissance économique,
à atténuer les inégalités et à améliorer les conditions de vie des populations ; (3) L’IFC
est la plus importante institution mondiale d’aide au développement dont les activités
concernent exclusivement le secteur privé ; (4) L’Agence multilatérale de garantie des in-
vestissements (MIGA) offre aux investisseurs des garanties contre les pertes associées aux
risques non commerciaux dans les pays en développement. La MIGA a été créée en 1988
1.3. LES ACTEURS DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 31

afin de promouvoir les investissements directs à l’étranger dans les pays en développement,
afin d’inciter la croissance économique, la réduction de la pauvreté et l’amélioration du
niveau de vie des populations. La MIGA atteint son objectif en offrant des assurances (ga-
ranties) aux risques politiques à des investisseurs et prêteurs ; (5) Le Centre international
pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) offre des mécanismes
internationaux de conciliation et d’arbitrage des différends liés aux investissements.
La Banque Mondiale publie une large gamme de documents de différentes natures. Il
existe, par exemple, le World Bank Economic Reviw, périodique en Économie, qui publie
des articles scientifiques sur l’économie du développement. Il publie aussi le “World Bank
Policy Research Working Paper”, une série de documents de travail qui permet la divul-
gation de la recherche actuelle de la BM. Néanmoins, la publication phare de la BM est
le “World Bank Development Report”, publié chaque année et qui contient le résumé des
activités de la Banque Mondiale. En outre, la BM rend disponible gratuitement, à travers
son site internet, une base de données très riche sur les indicateurs de développement.

Fonds Monétaire International

L’objectif premier du FMI est de veiller à la stabilité du système monétaire interna-


tional, en d’autres termes, le système international de paiements et de change qui permet
aux pays (et à leurs citoyens) de procéder à des échanges entre eux. Ce système est es-
sentiel pour promouvoir une croissance économique durable, améliorer les niveaux de vie
et réduire la pauvreté. Le mandat du FMI a été clarifié et rénové récemment pour être
étendu à l’ensemble des questions macroéconomiques et financières ayant une incidence
sur la stabilité mondiale.
Afin de maintenir la stabilité et de prévenir les crises du système monétaire internatio-
nal, le FMI examine les politiques économiques des pays, ainsi que l’évolution économique
et financière à l’échelle nationale, régionale et mondiale, dans le cadre formel de sa mission
de surveillance. Dans ce cadre, le FMI prodigue des conseils à ses 188 États membres,
encourage des politiques visant à assurer leur stabilité économique, à réduire la vulné-
rabilité aux crises économiques et financières, et à améliorer les niveaux de vie. Le FMI
évalue régulièrement les perspectives économiques dans les “Perspectives de l’économie
mondiale”, les marchés financiers dans le “Rapport sur la stabilité financière dans le mon-
de” et l’évolution des finances publiques dans le “Fiscal Monitor” (Moniteur des finances
publiques).
Les ressources du FMI proviennent des États membres, principalement du versement
de quotes-parts, qui sont fonction du poids économique relatif de chaque pays. Les di-
rigeants des pays réunis au Sommet du G-20 en avril 2009 se sont engagés à tripler la
capacité de prêt du FMI, qui doit passer alors de 250 à 750 milliards de dollars. Pour
32CHAPITRE 1. ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

donner suite à cet engagement, les participants actuels et futurs aux nouveaux accords
d’emprunt (NAE) ont décidé d’en porter le montant à environ 570 milliards de dollars ; la
décision est entrée en vigueur le 11 mars 2011 une fois achevé le processus de ratification
des participants aux NAE. En achevant la 14e révision générale des quotes-parts en dé-
cembre 2010, les gouverneurs ont convenus de doubler les quotes-parts du FMI pour les
porter à 730 milliards de dollars environ et de procéder à un redéploiement majeur des
quotes-parts entre les États membres. Lorsque l’augmentation des quotes-parts prendra
effet, il y aura une diminution correspondante des ressources au titre des NAE. À la mi-
2012, les pays membres ont annoncé des contributions supplémentaires qui permettront
de porter les ressources du FMI à 456 milliards de dollars afin de consolider la stabilité
économique et financière mondiale. Historiquement, les dépenses annuelles de fonction-
nement du FMI sont financées principalement par les intérêts perçus sur l’encours des
crédits, mais les États membres ont décidés récemment d’adopter un nouveau mode de
financement qui repose sur diverses sources de revenus mieux adaptées aux différentes
activités du FMI. En 2016, les montants engagés dans le cadre des accords de prêt en
vigueur sont de l’ordre de 120 milliards de dollars.

1.3.2 Agences Régionales

Agences Transnationales

Une grande partie des Agences pour le développement ont pour champs une région
spécifique, comme la Banque Inter-américaine de Développement, ou sont un département
spécifique d’une institution plus grande, comme le Centre de Développement de l’OCDE
(Organisation de coopération et de développement économiques). Cette dernière est située
a Paris et est un département assez indépendant du reste de l’OCDE. Elle a été fondée en
1963 afin de rapprocher le monde développé (les pays qui faisaient partie de l’OCDE) des
pays en développement. Selon leurs propres mots, l’OCDE est un “lieu de partage et de
discussion, c’est un forum où se réunissent les pays pour échanger leurs expériences sur les
politiques de développement économique et social. Le Centre alimente le débat politique
sur le développement par des analyses d’experts. L’objectif est d’aider les décideurs à
concevoir des solutions politiques pour stimuler la croissance et améliorer les conditions
de vie dans tous les pays et surtout dans les pays en développement.” Par ailleurs, “Le
Centre travaille étroitement avec les autres Directions de l’OCDE, particulièrement celles
dont l’activité se concentre également sur le développement, notamment le Comité d’aide
au développement (CAD).”
Comment le Centre de Développement de l’OCDE communique ses travaux ? Selon
eux, “Les travaux du Centre de développement mettent en exergue les différentes options
1.3. LES ACTEURS DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 33

politiques ouvertes aux partenaires du développement. Les résultats sont diffusés et discu-
tés lors de réunions de dialogue sur les politiques. Ils sont également publiés dans une série
d’ouvrages de grande qualité dont la collection en propose une analyse approfondie. Des
résumés en présentent la synthèse à l’intention des décideurs. Des documents de travail
traitent parallèlement des aspects les plus techniques des recherches du Centre.” D’ailleurs,
le Centre de Développement publie presque annuellement le rapport “Perspectives Écono-
miques de l’Amérique Latine”, en plus d’organiser, sur Paris, un Forum Économique sur
ce continent. Le même duo (rapport + forum) est consacré aussi au continent Africain.
De manière similaire, le PNUD (Programme de Nations Unies pour le Développement)
fait partie des Nations Unies et a été créé en 1966. Le PNUD est le réseau mondial de
développement dont dispose le système des Nations Unies. Il prône le changement, et relie
les pays aux connaissances, expériences et ressources dont leurs populations ont besoin
pour améliorer leur vie. C’est le PNUD qui gère, avec d’autres institutions collaboratrices,
les Objectifs du Millénaire pour le Développement. En plus, le PNUD occupe une position
unique dans le secteur du développement international. Le Rapport mondial sur le déve-
loppement humain, élaboré chaque année à sa demande, stimule le débat sur les grandes
questions du développement depuis 1990. La version la plus récente a été utilisée comme
référence dans le premier chapitre. L’objectif du PNUD est d’aider les pays à élaborer
et à partager des solutions aux plus grands défis du développement, comme la gouver-
nance démocratique, la réduction de la pauvreté, la prévention des crises et leur sortie,
l’environnement et énergie et le VIH/sida.
Différemment, la Banque Inter-américaine du Développement est une organisation
internationale, basée à Washington D.C., États-Unis, entièrement consacrée au dévelop-
pement de l’Amérique Centrale, du Sud, du Nord et des Caraïbes. Elle est l’institution
qui prête le plus pour le financement des projets dans la région. La BID a été fondée
en 1959 et possède maintenant 48 membres, parmi lesquels les membres régionaux (26),
mais aussi des membres non-régionaux (22, surtout des pays développés). Que fait la
BID ? Selon eux, “En partenariat avec les pays, la BID lutte contre la pauvreté et favo-
rise l’équité sociale à travers des programmes qui sont adaptés aux situations locales. De
concert avec les pouvoirs publics et le secteur privé, elle s’emploie à réaliser une croissance
économique durable, à accroître la compétitivité, à moderniser les institutions publiques
et à promouvoir le libre-échange et l’intégration régionale.”
Les principaux domaines où travaille la BID : (1) Réduction de la pauvreté et des
inégalités sociales ; (2) Répondes aux besoins des pays les plus petits ou vulnérables ; (3)
Dynamisme du développement à travers le secteur privé ; (4) Veille au changement clima-
tique, promotion des énergies renouvelables et viabilité environnementale ; (5) Promotion
de la coopération et intégration régionale. Notez que nous pouvons voir dans ces domaines
34CHAPITRE 1. ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

les principaux facteurs du développement que nous avons déjà étudiés. Comment la BID
promeut le développement ? La BID accorde des prêts aux gouvernements nationaux,
provinciaux, étatiques et municipaux ainsi qu’à des institutions publiques autonomes.
Les organisations de la société civile et les entreprises du secteur privé sont également
admissibles au financement de la BID. La BID publie de rapports annuels sur plusieurs
thèmes, comme la situation macroéconomique de la région, par exemple. Elle publie aussi
des livres, et aussi des documents de travail. Ceux-ci s’intéressent à des thèmes très spéci-
fiques et sont normalement l’objet d’investigation scientifique par la part d’un ou plusieurs
chercheurs de la BID.
Une autre institution internationale importante est la la Banque africaine de déve-
loppement (BAD), une institution multilatérale de financement ayant pour objectif de
contribuer au développement économique durable et au progrès social des pays africains.
L’accord portant la création de la Banque africaine de développement a été signé par les
États membres, le 4 août 1963, à Khartoum, au Soudan. Il est entré en vigueur, le 10
septembre 1964. 53 pays africains en sont membres et elle est soutenue par 24 pays euro-
péens, sud et nord américains et asiatiques. Selon eux, le Groupe de la Banque Africaine
de développement finance des projets, des programmes et des études dans divers secteurs
tels que les infrastructures, l’agriculture, la santé, l’éducation, l’enseignement supérieur,
les équipements collectifs, l’environnement, le genre, les télécommunications, l’industrie
et le secteur privé. Encore une fois, la connexion entre les travaux réalisés par les banques
multilatérales et les facteurs clés du développement est claire.
Par ailleurs, la production et la dissémination du savoir sur le développement en
Afrique, l’environnement, le changement climatique et la parité homme-femme sont éga-
lement des volets transversaux pris en compte dans toutes ses opérations. Ainsi que la
BID, la BAD publie un série de documents de divers tailles et objectifs, en passant par des
revues d’études scientifiques, des rapports annuels, des publications sur une thématique
spécifique ainsi qu’une série d’indicateurs sur le genre, la pauvreté et l’environnement des
pays africains.
Dans la même ligne, une autre agence importante est la Banque Asiatique du Dévelop-
pement, créée en 1966 et qui a son siège à Manille, aux Philippines. Ses efforts sont dédiés
aux populations des pays de l’Asie et du Pacifique, où environ 1,7 milliards de personnes
sont pauvres et n’ont pas accès à des bien, services et opportunités basiques auxquels
chaque personne doit avoir accès. Les principaux outils de travail sont les prêts, les dons,
les discussions politiques et l’assistance technique. Y travaillent des économistes, des so-
ciologues, des ingénieurs, etc., afin de réduire et éliminer la pauvreté, et promouvoir la
croissance économique de manière durable. Enfin, d’autre dimensions de la Banque Asia-
tique du Développement (publications, etc.) sont similaires à ses équivalents américaines
1.3. LES ACTEURS DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 35

et africaines.

Agences Nationales

En plus des agences internationales multilatérales qui travaillent sur une région spé-
cifique, les pays développés ont eux aussi leurs propres structures au niveau national. En
France, nous avons l’Agence Française de Développement, “établissement public au cœur
du dispositif français de coopération qui agit depuis soixante-dix ans pour lutter contre
la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’Outre-mer. Au
moyen de subventions, de prêts, de fonds de garantie ou de contrats de désendettement et
de développement, elle finance des projets, des programmes et des études et accompagne
ses partenaires du Sud dans le renforcement de leurs capacités.” L’AFD a comme siège
Paris, mais elle est “présente sur quatre continents, et dispose d’un réseau de 70 agences
et bureaux de représentation. Elle finance et accompagne des projets dans plus de 90
pays afin d’améliorer les conditions de vie des populations, soutenir la croissance écono-
mique, protéger la planète et aider les pays fragiles ou en sortie de crise : scolarisation,
santé maternelle et infantile, appui aux agriculteurs et aux petites entreprises, infrastruc-
tures, adduction d’eau, préservation des forêts, lutte contre le changement climatique,
etc.” L’AFD, pour financer le développement, propose une gamme d’outils financiers, tels
que les prêts, les subventions, les garanties et les participations en fonds propres.
Une autre agence importante est l’USAID, l’Agence des États-Unis pour le développe-
ment international créée en 1961. Sa politique et sa stratégie ont changé au fil du temps.
Dans les années 60, elle était en pleine structuration, tandis que les années 70 ont été
dédiées aux politiques ciblées sur les besoins humains, comme la nutrition, la santé et
l’éducation. Pendant les années 80, l’objectif était de renforcer les marchés libres, avec la
stabilisation de monnaies nationales et des systèmes financiers, tandis que les années 90
ont été ceux de la démocratie et de la soutenabilité. Finalement, les années 2000 ont été
surtout ceux centrés sur les efforts de guerre et la reconstruction.
Enfin, nous pouvons parler du UKaid, l’aide publique au développement internationale
faite par le gouvernement britannique. Celle-ci est dirigé par le “Department for Interna-
tional Development”. De formes similaires d’aide eu développement existent, par exemple,
en Suède, en Australie ou au Japon.

1.3.3 Agences spécialisées par thème


Plusieurs agences internationales sont “spécialisées” dans un domaine (secteur) du
développement économique. Globalement, elles ont été créées pour centraliser un effort
international sur un sujet spécifique, afin de promouvoir les échanges entre les acteurs de
36CHAPITRE 1. ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

différents pays, mais aussi avec comme but la création d’une entité qui puisse répondre à
une échelle plus grande que celle de beaucoup de pays. Parmi ces agences, nous pouvons
citer l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’UNESCO, la FAO et l’OMC.
L’OMS, fondé le 7 avril 1948, s’occupe de plusieurs domaines de la santé, et elle fait
aussi partie du système élargi des Nations Unies. Quel est son rôle ? L’OMS “est chargée
de diriger l’action sanitaire mondiale, de définir les programmes de recherche en santé,
de fixer des normes et des critères, de présenter des options politiques fondées sur des
données probantes, de fournir un soutien technique aux pays et de suivre et d’apprécier
les tendances en matière de santé publique.” Les fonctions essentielles de l’OMS sont
de : (a) jouer le rôle de chef de file dans les domaines essentiels pour la santé et créer
des partenariats lorsqu’une action conjointe est nécessaire ; (b) fixer les priorités de la
recherche et inciter à acquérir, appliquer et diffuser des connaissances utiles ; (c) fixer
des normes et des critères, les encourager et suivre l’application ; (d) définir des politiques
conformes à l’éthique et fondées sur des données probantes ; (e) fournir un appui technique,
se faire l’agent du changement et renforcer durablement les capacités institutionnelles ; et
(f) surveiller la situation sanitaire et évaluer les tendances en matière de santé.
L’OMS publie des rapports divers, de sa publication phare, le “Rapport Annuel sur la
Santé dans le monde”, à une analyse approfondie sur un grand thème de santé publique,
à travers des questions précises, comme la sécurité routière. Par ailleurs, l’OMS possède
aussi des périodiques, qui visent à la publication d’articles scientifiques sur les domaines
de la santé.
Une autre organisation des Nations Unies est l’UNESCO (l’Organisation des Nations
unies pour l’éducation, la science et la culture), créée le 16 novembre 1945 et qui a son
siège à Paris. Le principe est que les accords politiques et économiques ne suffisent pas
pour garantir un paix durable, et celle-ci doit s’établir sur le fondement de la solidarité in-
tellectuelle et morale de l’humanité. Comment l’UNESCO essaie d’atteindre son objectif ?
(a) En se mobilisant pour que chaque enfant, fille ou garçon, ait accès à une éducation
de qualité, comme droit humain fondamental et condition du développement humain ;
(b) en favorisant le dialogue interculturel par la protection du patrimoine et la mise en
valeur de la diversité culturelle. L’UNESCO a notamment inventé la notion de Patrimoine
mondial pour protéger les sites de valeur exceptionnelle universelle ; (c) en développant
des projets de coopération scientifique - systèmes d’alerte précoce aux tsunamis, gestion
des eaux transfrontalières - qui renforcent les liens entre les nations et les sociétés ; et (d)
en veillant à la protection de la liberté d’expression, comme une condition essentielle de
la démocratie, du développement et de la dignité humaine.
Enfin, la troisième et dernière agence de Nations Unies est la FAO (l’Organisation des
Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), créée en 1945. Atteindre la sécurité ali-
1.3. LES ACTEURS DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 37

mentaire pour tous est au cœur des efforts de la FAO - veiller à ce que les êtres humains
aient un accès régulier à une nourriture de bonne qualité qui leur permet de mener une
vie saine et active. L’objectif de la FAO consiste à améliorer les niveaux de nutrition, la
productivité agricole et la qualité de vie des populations rurales et contribuer à l’essor de
l’économie mondiale. Plus précisément, ses objectifs sont : (a) éradiquer faim, insécurité
alimentaire et malnutrition ; (b) intensifier et améliorer durablement l’agriculture ; (c) ré-
duire la pauvreté rurale ; (d) garantir des systèmes agricoles et alimentaires plus efficaces ;
et (e) protéger les moyens d’existence face aux catastrophes.
La dernière institution à citer est l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), qui
a son siège à Genève, en Suisse. L’OMC en tant qu’organisation a été seulement for-
mellement créée en 1995, avec les négociations du Cycle de l’Uruguay. En fait, depuis la
Second Guerre Mondiale et jusqu’à ce moment-là, c’était le GATT qui gérait les négo-
ciations commerciales : en 1947, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce
(GATT : General Agreement on Tariffs and Trade) établissait les règles du système com-
mercial. Le but primordial du système est de faire en sorte que le commerce soit aussi
libre que possible - dès lors que cela n’a pas d’effets secondaires indésirables - car cela est
important pour le développement économique et le bien-être. Cela passe en partie par la
suppression des obstacles.
Les deux principes le plus importants des accords de l’OMC sont : (1) Clause de la
nation la plus favorisée (NPF) : égalité de traitement pour touts les pays. Les pays ne
peuvent pas, en principe, établir de discrimination entre leurs partenaires commerciaux.
Si vous accordez à quelqu’un une faveur spéciale (en abaissant, par exemple, le droit de
douane perçu sur un de ses produits), vous devez le faire pour tous les autres membres de
l’OMC ; (2) Traitement national : égalité de traitement pour les étrangers et les nationaux.
Les produits importés et les produits de fabrication locale doivent être traités de manière
égale, du moins une fois que le produit importé a été admis sur le marché.

1.3.4 ONG’s et centres académiques


Dans cette dernière section nous présentons quelques ONG’s et centres de recherches
sur le développement. Ces institutions font un travail remarquable soit dans le financement
de projets de développement, soit dans la recherche scientifique pour mieux comprendre
les plusieurs dimensions du développement économique. La liste ci-dessous n’est pas ex-
haustive, et d’autres institutions existent.
Le Center for Global Development (CGD), créée en 2001 et basé à Washington D.C.,
travaille pour la réduction de la pauvreté et de l’inégalité à travers la recherche et son
engagement avec la communauté politique pour créer un monde plus juste et sécurisant
pour tous. Elle est une institution souple, indépendante, sans prise de partie politique
38CHAPITRE 1. ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

et sans but lucratif. Le CGD combine la pointe de la recherche dans le domaine avec
des analyses politiques et communications innovatrices, dans plusieurs domaines tels que
l’efficacité de l’aide, l’éducation, la mondialisation, la santé et les migrations.
La Fondation Bill et Melinda Gates a été créée en 2000. Motivée par la conviction que
toutes les vies ont la même valeur, la fondation Bill & Melinda Gates œuvre pour que
chaque individu puisse mener une vie saine et productive. Dans les pays en développement,
il s’agit d’améliorer la santé des personnes et de leur donner une chance de sortir de la
faim et de l’extrême pauvreté. Leurs travaux se concentrent notamment sur la santé et
l’éducation.
Différemment, le Global Development Network (GDN) est une organisation publique
internationale qui crée de la recherche dans le domaine du développement. Fondée en
1999, elle a comme siège New Delhi, en Inde. Sa mission est d’habiliter des chercheurs
scientifiques dans les pays en développement, de relier les capacités de recherche, et de
mobiliser la recherche afin de donner des avis pratiques aux politiques publiques. Un de
groupes qui fait partie du GDN est l’European Development Research Network (EUDN),
qui réunit des membres de différentes institutions de recherche en développement, surtout
en économie du développement. Les objectifs de l’EUDN sont : (a) créer des échanges
d’idées entre d’une part des académiciens chercheurs qui travaillent sur des questions du
développement, et des politiciens de l’autre côté ; (b) renforcer le lien entre les acadé-
miciens et chercheurs qui travaillent sur l’économie du développement en Europe ; (c)
entraîner et former des jeunes chercheurs en économie du développement à travers des
workshops pour les doctorants, par exemple.
Le International Growth Centre (ICG) a comme objectif de promouvoir une croissance
économique durable dans les pays en développement en fournissant des avis basés sur la
recherche scientifiques sur des politiques économiques, à la demande du client. L’IGC est
dirigé par la London School of Economics et l’Université d’Oxford. Il possède des bu-
reaux dans 13 pays (Bangladesh, Ethiopie, Ghana, Inde, Liberia, Mozambique, Pakistan,
Rwanda, Sierre Leone, Sudan du Sud, Ouganda, Tanzanie et la Zambie), ainsi que 10
programmes de recherche dans différents domaines comme le commerce, l’agriculture, la
macroéconomie et le capital humain.
Le J-PAL (Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab), laboratoire d’action contre la
pauvreté, a été créé en 2003 au département d’économie du MIT (Massachusetts Insti-
tute of Technology). Depuis, il s’est développé en réseau mondial de professeurs utilisant
l’évaluation aléatoire pour répondre à des questions critiques concernant la lutte contre
la pauvreté. La mission de J-PAL est de réduire la pauvreté en faisant en sorte que les
politiques soient fondées sur des preuves scientifiques. Le J-PAL cherche à atteindre cet
objectif : (a) en conduisant des évaluations d’impact rigoureuses - les chercheurs de J-PAL
1.3. LES ACTEURS DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE 39

réalisent des évaluations aléatoires pour tester et améliorer l’efficacité des politiques et
des programmes visant à réduire la pauvreté ; (b) en influant sur les politiques - l’équipe
Politiques Publiques de J-PAL procède à des analyses coût/efficacité pour déterminer les
meilleures manières d’atteindre un objectif politique. Il diffuse ces études aux décideurs
et travaille avec des États, des ONG, des fondations et des organisations internationales
d’aide au développement pour promouvoir la généralisation des politiques et programmes
les plus efficaces, au niveau mondial ; (c) en assurant des formations - le J-PAL conseille
les personnes intéressées par l’évaluation rigoureuse de politiques et anime des formations
sur la façon de conduire une évaluation aléatoire. Les Programmes du J-PAL se déclinent
dans plusieurs domaines, comme l’agriculture, l’éducation, l’environnement et l’énergie,
la finance, la santé et le marché du travail.
Du côté académique, plusieurs institutions sont importantes. Le Centre for the Study
of African Economies (CSAE) est un centre de recherche en économie appartenant au
département d’économie de l’Université d’Oxford. Le CSAE conduit de la recherche éco-
nomique avec comme objet d’étude l’Afrique. Son objectif est d’améliorer les conditions
économiques et sociales dans les sociétés les moins favorisées. Les chercheurs du CSAE
utilisent des données uniques qui donnent des résultats intéressants sur des sujets particu-
liers. Les recommandations pour les politiques publiques qui en découlent concernent des
questions économiques et politiques comme sociales dans les pays en développement. Le
CSAE organise, tout les ans à Oxford (Angleterre) une grande conférence sur la recherche
en économie du développement, avec comme cadre principal des situations appliquées aux
pays africains. Aussi dans le département d’économie de l’Université d’Oxford se trouve
l’OxCarre (Oxford Centre for the Analysis of Resource Rich Economies), fondé en 2007
afin d’être un centre global d’excellence en matière de recherche en économie des pays
qui possèdent des richesses naturelles. Ce phénomène crée parfois de sévères problèmes
(la Maladie Hollandaise, par exemple) au développement économique des pays. Le Ox-
Carre mène une recherche originale afin d’améliorer la compréhension de la performance
des pays riches en ressources naturelles, et de faire des recommandations de politiques
économiques pour améliorer cette performance.
Un de grands pays donateurs de l’aide au développement, la Suède, a créé le Go-
thenburg Centre of Globalization and Development (GCGD) en 2009 à l’Université de
Goteborg. Le Centre conduit et promeut la recherche sur comment le processus de mon-
dialisation a un effet sur les pays en développement, et sur l’identification des politiques
publiques appropriées pour y répondre aux problèmes, tant au niveau domestique que in-
ternational. L’objectif ultime du GCGD est d”appuyer la recherche sur la mondialisation
et le développement, en produisant de la recherche dans ce deux domaines.
En France, un centre très connu est le DIAL (Développement, Institutions et Mondia-
40CHAPITRE 1. ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

lisation). Le DIAL regroupe le pôle Développement et Mondialisation du LEDa (Labo-


ratoire d’Economie de Dauphine) et des chercheurs de l’IRD (Département Sociétés). La
recherche menée au sein du DIAL couvre de nombreux domaines relatifs à l’économie du
développement et à l’économie internationale. La signification de l’acronyme DIAL (Dé-
veloppement, Institutions, mondialisation) traduit d’ailleurs cette orientation. Le champ
d’investigation des chercheurs de l’unité est donc relativement vaste puisqu’il embrasse
des aspects à la fois micro et macro-économiques, théoriques et appliqués, et des branches
de la science économique allant de l’économie du travail à l’économie politique, en passant
par l’économie de la santé, de l’éducation, des institutions, des inégalités, etc. Les terrains
sont africains (Mali, Sénégal, Madagascar, Ghana, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, pays du
Maghreb), mais aussi latino-américains (Pérou et Brésil en particulier) et asiatiques (Viet-
nam).
Un autre centre en France est le CERDI (Centre d’Etudes et Recherche en Déve-
loppement International). La recherche au CERDI est entièrement dédiée à l’étude des
processus de développement international. Les économies de référence, à revenu faible
ou intermédiaire, fonctionnent selon les principes généraux de l’économie de marché ou
tendent vers cette situation à la faveur de la transition. Depuis la création du labora-
toire, cette thématique a été constamment porteuse, largement renouvelée en raison de
la diversité des situations afférentes aux pays du champ d’étude. Elle a permis au labo-
ratoire de parvenir à un niveau de visibilité reconnu à la fois des sphères académiques de
la recherche et de la formation, des institutions nationales et internationales en charge
de l’aide au développement. L’économie du développement embrasse tous les questionne-
ments sous-jacents à la science économique moderne. Le CERDI est donc un laboratoire
“généraliste”, mais avec un souci d’application à des terrains correspondants à ceux des
pays en développement.

1.4 Références
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sity Press.
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Economic Growth, Elsevier.
1.4. RÉFÉRENCES 41

McKenzie, D., Paffhausen, A. L. (2017). “What Is Considered Development Econo-


mics ? Commonalities and Differences in University Courses around the Developing
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Rodrik, D. (2013) “Unconditional convergence in manufacturing”, The Quarterly
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Stiglitz, J., Sen, A. et Fitoussi, J.-P., (2009) Rapport de la Commission sur la mesure
des performances économiques et du progrès social.
World Bank (2006), World Development Report, World Bank, Washington D.C.
42CHAPITRE 1. ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT ET DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE
Chapitre 2

Facteurs clés du développement

Ce chapitre est consacré à l’analyse des plusieurs facteurs du développement éco-


nomique. Nous allons nous focaliser sur les principaux facteurs clés. Pour une meilleure
compréhension de chaque facteur, il est recommandé de lire les documents référencés dans
la bibliographie.
Nous étudions dans ce chapitre deux déterminants fondamentaux : la géographie et
les institutions. Ce choix est appuyé sur l’étude de Rodrik, Trebbi et Subramanian (2004)
et celle d’Acemoglu, Johnson et Robinson (2006). Dans ces deux études, il est souligné
l’importance des déterminants “fondamentaux” de la croissance économique, par rapport
aux déterminants “proches” (capital, travail et la technologie). Les déterminants “fonda-
mentaux” sont la géographie, les institutions et l’intégration (commerce) internationale.
Cette dernière est étudiée dans le chapitre suivant.

2.1 Cadre de travail (framework)

Avant d’étudier les déterminants fondamentaux du niveau de revenu des pays, présen-
tons le cadre de travail proposé par Rodrik, Trebbi et Subramanian (2004) :
Nous avons les déterminants “proches” :
— Le capital
— Le travail
— La technologie

Et les déterminants “fondamentaux” :


— La géographie
— Les institutions
— L’intégration (commerce internationale)

43
44 CHAPITRE 2. FACTEURS CLÉS DU DÉVELOPPEMENT

Trois théories peuvent nous aider à répondre à la question de qu’est ce qui détermine
le développement des pays :

1. La première, ancienne et bien connue, attribue un rôle prédominant à la géographie.


La géographie est le déterminant principal du climat et des dotations en ressources
naturelles et peut aussi jouer un rôle essentiel dans la morbidité, les frais de trans-
port et le degré de diffusion des nouvelles technologies en provenance de régions
plus avancées. Par conséquent, elle influe notablement sur la productivité agricole
et la qualité des ressources humaines.

2. Une deuxième théorie met l’accent sur les institutions, en particulier le rôle des
droits de propriété et l’état de droit. Ce qui importe, selon cette théorie, ce sont les
règles du jeu d’une société, telles qu’elles sont définies par les normes de conduite
explicites et implicites en vigueur, et leur capacité d’encourager un comportement
économique souhaitable.

3. Enfin, une troisième théorie insiste sur le rôle du commerce international comme
moteur de la croissance de la productivité et du revenu. Cette théorie de l’inté-
gration donne à la participation et aux obstacles à la participation à l’économie
mondiale un rôle prépondérant dans la promotion de la convergence économique
entre les régions pauvres et les régions riches. Bien entendu, le débat sur la mondia-
lisation concerne dans une large mesure les mérites de cette théorie de l’intégration.

L’ensemble de ces théories est résumé dans la Figure 2.1. Le niveau de revenu est déter-
miné par les dotations factorielles (en capital, travail et capital humain) et la productivité.
Ce sont les déterminants proches ou endogènes (endogeneous). Pour les déterminants fon-
damentaux, le niveau de revenu est déterminé par nos trois facteurs décrits ci-dessus
(geography, trade and institutions).
La Figure 2.2 nous montre en détail une équation de croissance économique avec
ces facteurs proches. Ce n’est pas l’objet de notre étude. Effectivement, l’analyse et la
compréhension de ces facteurs “proches” sont l’objet de cours de croissance économique.
Notre intérêt dans ce cours est d’apprivoiser de la partie “fondamental”.
Comment fonctionne la relation de la Figure 2.1 ? Elle est expliquée plus en détail
dans la Figure 2.3. Selon Rodrik, “la géographie est le seul de ces facteurs à être exogène,
c’est-à-dire qu’il n’est pas influencé par le revenu. Comme le montre le Figure 2.3, elle peut
influer directement sur le revenu (en déterminant, par exemple, la productivité agricole)
ou indirectement, via son impact sur le degré d’intégration des marchés ou la qualité
des institutions. Cependant, avec l’intégration commerciale et les institutions, la causalité
peut aller dans les deux sens. L’intégration peut accroître le revenu, mais il est aussi
possible que le commerce soit le résultat d’une plus grande productivité de l’économie.
2.1. CADRE DE TRAVAIL (FRAMEWORK) 45

Figure 2.1 – Rodrik (2003)

Figure 2.2 – Rodrik (2003)


46 CHAPITRE 2. FACTEURS CLÉS DU DÉVELOPPEMENT

Bien que de meilleures institutions et une meilleure protection des droits de propriété
accroissent les investissements et stimulent le progrès technologique, et donc les revenus,
de meilleures institutions peuvent être aussi le résultat du développement économique,
notamment parce que la demande de meilleures institutions augmente à mesure qu’un
pays et ses citoyens s’enrichissent.
Nous avons adopté une stratégie simple, et pourtant universelle, pour évaluer simul-
tanément les éléments de la Figure 2.3, tout en prenant en compte la structure complexe
de la causalité. En utilisant l’approche des variables instrumentales, nous avons estimé
une série de régressions liant les revenus à des mesures de la géographie, de l’intégration
et des institutions. En particulier, nous avons utilisé des instruments pour les deux fac-
teurs endogènes (institutions et intégration). Ces instruments nous permettent de saisir
la variation du déterminant qui est exogène.”

Figure 2.3 – Rodrik (2003)

2.2 Géographie

2.2.1 Littérature
Avant de réaliser un panorama général sur l’importance de la géographie et le lien de
ce déterminant avec le développement, étudions les principaux auteurs de ce domaine.
2.2. GÉOGRAPHIE 47

Le premier que nous pouvons citer est Jared Diamond, dans son livre Guns, Germs
and Steel. Il explique que les grandes différences des histoires de long terme entre les
peuples de différents continents ne sont pas vraiment du fait des différences intrinsèques
propres aux individus mais surtout des environnements différents auxquels ils ont dû faire
face. Selon Diamond, les plus importantes différences peuvent être classifiés dans quatre
groupes : (1) Le premier groupe est sur les différences existantes entre les continents sur
la disponibilité pour la domestication des plantes sauvages et des espèces animaux ; (2)
Le second comporte des différences qui affectent les taux de diffusion et de migration, très
changeante en fonction des pays ; (3) Le troisième correspond à la diffusion des facteurs
entre les continents, qui augmente le nombre des animaux domestiqués et la technologie
disponible ; (4) Enfin, le quatrième et dernier groupe consiste aux différences continentales
de superficies ou de la taille de la population totale. Tous ces facteurs, par différents
mécanismes, ont contribué à la différence de développement entre les peuples des différents
continents.
Le second auteur est David Landes, qui a analysé le lien entre l’environnement, le
climat et le développement dans son livre The Wealth and Poverty of Nations. Il met
en avance le rôle prépondérant du climat, car la planète fournit une gamme énorme
de températures (localisation, altitude, inclinaison du soleil), et les humains évitent les
extrêmes. Ces facteurs vont alors conditionner l’activité humaine et son développement.
En outre, il évoque le rôle de la chaleur et de la propagation des maladies, que nous allons
étudier ci-dessous.
Le troisième auteur, Jeffrey Sachs, dans son article de 2001 appelé Tropical Under-
development, souligne que les études inter-pays sur la croissance économique ont négligé
la géographie physique. Son article fait une revue des différents obstacles auxquels sont
confrontées les économies situées dans les zones tropicales. Nous pouvons bien voir dans la
Figure 2.5 que les pays situés dans les zones tropicales ont en moyenne un niveau de PIB
per capita moins élevé que ceux situés dans les zones tempérées. Il évoque cinq hypothèses
à propos du sous-développement tropical et le lien avec le développement : (1) Les tech-
nologies dans des domaines critiques (santé, agriculture, etc.) sont spécifiques à l’écologie
locale, et ne sont pas facilement diffusables à travers des zones écologiques différentes ; (2)
Les technologies des zones tempérées étaient beaucoup plus productives au démarrage de
l’époque moderne de la croissance économique ; (3) Les innovations technologiques sont
une activité avec des rendements croissants ; (4) Les dynamiques sociétales (urbanisation
et transition démographique) ont joué en faveur des zones tempérées ; (5) les facteurs géo-
politiques (domination des pays du Sud par les pays du Nord) amplifient les divergences
(surtout si elles sont liés à d’autres facteurs comme la technologie, etc.).
La vision des tropiques (forte corrélation entre latitude et revenu per capita) est une des
48 CHAPITRE 2. FACTEURS CLÉS DU DÉVELOPPEMENT

Figure 2.4 – Sachs (2001)

théories qui met l’accent sur l’effet négatif des caractéristiques “exogènes”. Depuis Mon-
tesquieu (1748), il existe une vision péjorative sur l’interprétation de la théorie climatique
du développement. C’est pour cela que certains économistes sont prudents à réutiliser ces
théories. Par ailleurs, plusieurs civilisations très développées (pour son époque) ont connu
des revers dans leur processus de développements (Reversal of Fortune : par Acemoglu,
Johnson et Robinson, 2002), comme par exemple l’empire Moghol, les Aztèques, les Incas,
etc. Alors, est-ce que le sort des pays en développement est-il réellement prédéterminé par
la géographie ?

2.2.2 L’importance de la géographie et le lien avec le dévelop-


pement
Comme évoqué par le World Development Report de 2009 de la Banque Mondiale,
“Place is the most important correlate of a person’s welfare. In the next few decades, a
person born in the United States will earn a hundred times more than a Zambian, and
live three decades longer.” En somme, pour ce rapport, le déterminant le plus important
du niveau de vie d’une personne dans le monde est l’endroit où elle vie. Selon le même
rapport, un enfant né loin de Lukasa, capitale de la Zambie, a une espérance de vie qui
est plus faible que la moitié d’un enfant né à New York. La conclusion est la même :
aujourd’hui, le meilleur prédicteur du niveau de revenu n’est pas qui vous connaissez ni
qui vous êtes, mais où vous vivez.
Trois attributs du développement économique sont liés directement à la dimension
géographique, et chacun devrait faire l’objet de politiques publiques. Le premier est l’in-
égalité géographique du développement. Il est impossible pour les gouvernements d’inciter
la production économique de manière égale à travers tout un territoire. Le deuxième est
2.2. GÉOGRAPHIE 49

plutôt positif : la convergence du niveau de vie à travers différentes régions géographiques


est compatible avec la concentration de la production dans des agglomérations. Le troi-
sième, l’intégration économique, est un mécanisme efficace et réaliste à une convergence
de niveaux de vie.
Quelles sont les niveaux où la géographie entre en relation avec le développement ?
D’abord, il y a une zone, comme les régions ou les états à l’intérieur d’un pays. Ensuite,
nous pouvons parler des entités nationales, les pays. Finalement, il y a des zones géogra-
phiques, comme les pays méditerranéens ou les pays de l’Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, le
rapport attribue trois dimensions du développement liées à la géographie : (a) la densité,
ou la quantité de main-d’œuvre qualifiée et infrastructures disponibles très proches ; (b)
la distance aux grands marchés consommateurs ; (c) et la division entre pays par rapport
aux différentes monnaies et aux traités de commerce international. Tandis que la densité
joue au niveau local, la distance est un facteur important au niveau international et la
division joue un rôle au niveau international. Au contraire de ce que certains essaient
d’avancer, la terre n’est pas plate 1 .
La prochaine réponse à trouver est de savoir si le déterminisme géographique est-il
insurmontable ? C’est-à-dire, détermine-t-il la capacité d’un pays à se développer ? Deux
types de géographie déterminent le développement économique : (a) la géographie phy-
sique ; et (b) l’économie géographique.
Pour la géographie physique, ce qui est important de souligner, ce sont les travaux
(Easterly et Levine, 2003) qui mettent en avance quatre type de ressources géographiques
qui ont un effet sur le développement économique : (1) la mortalité des colons ; (2) la
latitude ; (3) les ressources minérales et les cultures agricoles ; et (4) le fait d’être un
pays enclavé. Nous pouvons voir, sur la Figure 2.5, la grande hétérogénéité en termes de
conditions géographiques entre les différentes régions du monde.

Figure 2.5 – Géographie Physique. Source : Gallup, Sachs et Mellinger (1999)

1. Friedman, Thomas, (2006), La terre est plate, Saint-Simon. Voir la réponse de Edward Leamer sur :
http ://www.uclaforecast.com/reviews/leamer_flatworld_060221.pdf
50 CHAPITRE 2. FACTEURS CLÉS DU DÉVELOPPEMENT

Figure 2.6 – Economie Géographie. Source : WDR (2009)

Selon Gallup, Sachs et Mellinger (1999), la région la plus pauvre, l’Afrique Sub-
saharienne, a plusieurs caractéristiques géographiques qui déterminent son état de déve-
loppement économique. Elle possède une grande concentration de terres sous les tropiques
et sa population est concentrée à l’intérieur (et pas sur la côte) et plus d’un quart de sa
population vit dans des pays enclavés et se trouve éloigné des marchés européens. Selon
les mêmes auteurs, la géographie joue sur le développement à travers trois canaux : (A)
la dimension côtière et la proximité avec les marchés internationaux ; (B) le fardeau de
maladies ; et (C) le lien entre la productivité agricole et le climat.
Par rapport à l’aspect de l’économie géographique, ce domaine de la science écono-
mique a connu une grande avancée avec les travaux de Krugman et Venables. Ces auteurs
soulignent deux points importants. Le premier est le renforcement des avantages de “se-
conde nature” : la concentration de la population et la production dans un endroit incitent
à encore plus de concentration de la production au même endroit. Cela est lié au rôle po-
sitif du potentiel de marché. Une image intéressante est celle de la Figure 2.6, qui nous
montre la concentration grandissante de la population au Brésil, avec une migration très
élevée, surtout pour les jeunes travailleurs.
2.3. INSTITUTIONS 51

Le deuxième est l’effet non linéaire de la baisse du coût de transport. Cela consiste
au fait que normalement on s’attend que la diminution des coûts de transport favorise
les régions lointaines (arrière-pays). Néanmoins, selon Krugman et Venables (1995), cette
baisse des coûts de transport peut avoir un effet néfaste sur une région à haut niveau du
coût de transport au profit d’une région avec un niveau moyen des coût de transport. Cela
est dû au fait que les firmes peuvent choisir de se localiser dans une région “centrale” et
d’envoyer les biens aux consommateurs de la région périphérique avec les nouveaux coûts
de transport diminués. Les migrations sont aussi facilités à partir du développement des
infrastructures.

2.3 Institutions
Récemment, d’autres auteurs ont mis plus en avant l’effet des institutions sur la crois-
sance économique. Celui-ci serait encore plus fort que celui de la géographie (Rodrik, Su-
bramanian et Trebbi, 2002). Ces auteurs, à travers différentes méthodes économétriques,
montrent la “suprématie” des institutions par rapport à la géographie et l’intégration,
concernant leurs effets sur la croissance économique. Par ailleurs, Acemoglu, Johnson et
Robinson (2005) sont aussi très explicites sur cet effet : “This paper develops the empirical
and theoretical case that differences in economic institutions are the fundamental cause of
differences in economic development.” Tandis que les effets de la géographie donnent des
explications basées sur les forces de la nature, les institutions sont créées par l’homme.
Tout d’abord, il est important de définir ce que nous entendons par institutions. Ici,
nous suivons la littérature économique, et nous nous basons sur la définition de North
(1990) : “Institutions are the rules of the game in a society or, more formally, are the
humanly devised constraints that shape human interaction. In consequence they structure
incentives in human exchange, whether political, social, or economic.”
Acemoglu, Johnson et Robinson (2005) soulignent que les institutions sont importantes
pour la croissance économique car elles forment les incitations sur les principaux agents
économiques de la société. En particulier, les institutions influencent les investissements
en capital physique et humain et en technologie, en plus de celles sur l’organisation de la
production.
Dans la littérature économique, il y a eu un renouveau de l’analyse institutionnelle
depuis les années 90. Face aux résultats mitigés en termes de croissance des politiques
d’ajustement structurel, les institutions internationales ont mis l’accent à la fin des années
90 sur le rôle de la bonne gouvernance. Le rôle des institutions a été étudié par la Nouvelle
École institutionnelle (NEI) et repose sur la vision très large de North (1990) (cf. ci-
dessus). Cette ligne de pensée a finalement débouché sur la mise en avant du rôle de la
52 CHAPITRE 2. FACTEURS CLÉS DU DÉVELOPPEMENT

violence (et donc du politique) dans l’histoire des sociétés humaines. En pratique, la bonne
gouvernance, telle que promue par les organisations internationales, recouvre surtout le
respect des droits de propriété, l’absence de corruption, le respect des droits de l’homme
et la démocratie (tenue d’élections).
Ces définitions doivent être soulignées. Le respect des droits de propriété est essentiel
pour que l’accumulation du capital puisse se dérouler. Si la croissance est liée à l’investis-
sement, alors les individus hésitent à le faire s’ils ne sont pas sûrs de pouvoir bénéficier du
rendement attendu. Cependant, les droits de propriété sont coûteux à mettre en place et
à faire respecter. Nous pouvons souligner que l’absence de respect des droits de propriété
est une des causes de la faible croissance africaine. La corruption, étudiée plus en détail
ci-dessous, est définie comme l’accaparement privé de ressources ou d’actifs publics. Parmi
la corruption, nous pouvons distinguer la petite corruption (tracasseries administratives
qui est le fait des agents subalternes de l’État) et la grande corruption (dirigeants de
l’État). La corruption réduit les ressources publiques et gaspille les ressources humaines.
Mauro (1995) réalise la première analyse du lien empirique (négatif) entre corruption et
croissance économique. Enfin, concernant la démocratie, il existe une forte corrélation
entre démocratie et revenu par tête : il est tentant donc de voir en la démocratie un
moyen de promouvoir la croissance et le développement en dehors de la valeur en soi de la
démocratie. Aujourd’hui, la démocratie est présentée comme favorable au développement
et à la lutte contre la pauvreté : cependant, cela n’a pas toujours été le cas.

2.3.1 Mesures

Comment mesurons-nous les institutions ? Il existe une grande variété d’indicateurs,


compilés par des agences de notation de risque ou les agences de développement, par
exemple, qui essaient de fournir une mesure quantitative de plusieurs éléments des insti-
tutions. Dans le premier cas, nous pouvons citer les indicateurs du Political Risk Services
Group, comme l’indicateur ICRG. Celui-ci est utilisé par Acemoglu, Johnson et Robinson
(2001). L’indicateur ICRG est un ensemble de 22 indicateurs composé en trois subcaté-
gories : l’indicateur de risques politiques, l’indicateur de risque financier et l’indicateur de
risque économique. La compagnie PRS fait une moyenne de ces trois subcatégories pour
calculer l’ICRG (International Country Risk Guide).
Une autre série d’indicateurs sont développés par les agences de développement. Le
plus connu est celui de la Banque Mondiale (Kauffman, Kraay et Mastruzzi, 2010), mais
il est important aussi de souligner celui de Transparency International. Pour celui de la
Banque Mondiale, il existe six indicateurs principaux de la gouvernance, calculés pour
chaque pays et chaque année. Les six dimensions sont :
2.3. INSTITUTIONS 53

1. Voice and accountability (VA) : l’étendue de la libérte des citoyens d’un pays
de participer à l’élection de leur propre gouvernement, ainsi que celle d’expression,
d’association, et les médias indépendants
2. Political stability and absence of violence (PV) : les perceptions de la proba-
bilité (vraisemblance) que le gouvernement soit déstabilisé ou délogé par de moyens
inconstitutionnels ou violents, qui incluent la violence politique ou le terrorisme
3. Government effectiveness (GE) : la qualité de services publiques, la qualité du
service civil et le degré d’indépendance par rapport aux pressions politiques, la qua-
lité de la formulation et de l’implementation de politiques, ainsi que la crédibilité
du gouvernement
4. Regulatory quality (RQ) : la capacité du gouvernement à formuler et à mettre
en œuvre des politiques solides de régulations qui permettent et promeuvent le
développement du secteur privé
5. Rule of law (RL) : l’étendue de la confiance des agents dans les institutions et de
leur respect aux règles du jeu, particulièrement dans la qualité de l’application des
contrats, de la police et des cours de justice, ainsi que la probabilité de l’occurrence
des crimes et violence
6. Control of corruption (CC) : l’étendue dans laquelle le pouvoir publique est
excercé à des fins privés, en incluant à la fois d’insignifiantes et d’importantes
formes de corruption, ainsi que la capture de l’état par les élites et les intérêts
privés

Nous pouvons regarder le lien entre les différentes mesures des institutions et le déve-
loppement des pays. D’abord, dans la Figure 2.7, il sont mesurés par le degré de protection
contre l’expropriation (un score plus élevé signifie une plus grande protection), et par le
revenu par habitant. Nous voyons très clairement la relation entre cette mesure des insti-
tutions et le PIB par habitant. Ces deux variables sont fortement corrélées.
Ensuite, nous pouvons étudier, sur la Figure 2.8, la distribution géographique de la
qualité institutionnelle. L’indicateur utilisé est celui du Rule of Law, pour l’année 2019.
Les pays avec les meilleurs scores pour cet indicateur sont surtout ceux de l’OCDE : les
pays de l’Amérique du Nord, de l’Europe, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, par
exemple. Nous voyons bien l’autre extrême, les pays en rouge, qui se concentrent surtout
en Afrique et en Asie centrale.
Enfin, il faut parler de comment nous pouvons mesurer l’effet des institutions sur la
croissance. Le problème majeur est que les institutions sont endogènes : les institutions
sont en partie déterminées par la société ; par conséquent, la question de savoir pourquoi
certaines sociétés sont plus pauvres que d’autres est très proche de la compréhension de
54 CHAPITRE 2. FACTEURS CLÉS DU DÉVELOPPEMENT

Figure 2.7 – Source : Acemoglu, Johnson et Robinson (2005)

Figure 2.8 – Source : World Governance Indicators


2.3. INSTITUTIONS 55

pourquoi certaines sociétés ont de plus mauvaises institutions que d’autres. Alors, comme
peut-on bien capturer l’impact des institutions sur la croissance ? Pour cela, il faut utiliser,
ce qu’on appelle en économétrie, des instruments externes.
Prenez une équation qui détermine le niveau de revenu par habitant :

Yi = µ + –Ri + Xi “ + ‘i (2.1)
Õ

Dans l’équation 2.1, Y est le revenu per capita dans le pays i, Ri est la mesure des
institutions, Xi sont les autres déterminants du niveau de revenu et ‘i est le terme d’erreur
Õ

aléatoire. Le coefficient d’intérêt à estimer c’est –, l’effet des institutions sur le niveau de
vie. Mais il y a plusieurs problèmes quand on estime cette équation en Moindre Carrés
Ordinaires (MCO). Le coefficient – est surement biaisé. D’abord, les économies les plus
riches sont celles qui peuvent financer les meilleures institutions. De plus important que
la causalité inverse, il y a le problème des variables omises. Il peut avoir plusieurs déter-
minants du revenu par habitant qui sont corrélés avec les institutions. Enfin, les mesures
d’institutions sont faites ex post, et les analystes peuvent avoir eu un biais naturel en
mesurant les meilleures institutions dans les endroits le plus riches. Il est nécessaire alors
d’utiliser comme instrument pour les institutions une variable qui mesure les différentes
valeurs des institutions mais qui n’a pas d’effet direct sur la performance économique.
Les instruments le plus répandus sont ceux utilisés par Acemoglu, Johnson et Robinson
(2001), qui s’appuient sur la faisabilité (du aux germes - trop de maladies) d’implanter
des colonies par les colonisateurs. Leur argumentation est basée sur trois faits : (1) les
européens ont adoptés différents types de stratégie de colonisation : (a) des colonies de
peuplement ; et (b) des états extractifs quand ils n’avaient pas l’intention de s’y installer
et cherchaient à la place d’extraire le maximum de ressources de la colonie au plus vite
possible. (2) Le type de stratégie de colonisation a été influencé par la faisabilité de
l’implantation de la colonie (faible taux de mortalité) ; et (3) les institutions créées par
les colonisateurs européens ont perduré après l’indépendance et par conséquent ont une
influence sur les institutions d’aujourd’hui.
Pour cela, il faut faire une estimation en Double Moindre Carrés Ordinaires. D’abord,
dans le première étape, nous estimons la relation entre notre variable institutionnelle et
l’instrument exogène :

Ri = › + —Mi + Xi ” + ‹i (2.2)
Õ

Où Mi est la variable instrumentale, la restriction d’exclusion fait que Mi n’apparaît


pas dans 2.1. Il est crucial d’inclure les variables de contrôle Xi dans cette étape. Il faut
donc d’abord estimer 2.2 pour obtenir une valeur prédicte de R
„ . Enfin, nous pouvons
i
56 CHAPITRE 2. FACTEURS CLÉS DU DÉVELOPPEMENT

estimer l’équation 2.1, où on remplace R par le R


„ estimé dans la première étape. Par ce
i

fait, nous sommes en mesure d’estimer le vrai effet de R sur le revenu par habitant.

2.3.2 Corruption
Dans cette section, nous allons entrer plus en détail dans une mesure de la qualité des
institutions : le phénomène de la corruption. La corruption est largement définie comme
la mauvaise utilisation du pouvoir pour le gain privé. La forme la plus répandue de la
corruption est le pot-de-vin, c’est-à-dire, le paiement à quelqu’un pour un service qui
n’est pas normalement accessible ou le paiement pour faire avancer les choses de manière
plus vite que d’habitude. D’autres formes de corruption existent, comme l’extorsion ou
l’abus du pouvoir discrétionnaire. Ces questions-là sont très bien présentées chez Svensson
(2005).
Les indicateurs de corruption sont construits, surtout au niveau macroéconomique, à
partir des enquêtes des agences de notation de risque ou des agences de développement
avec des entrepreneurs de chaque pays. Des exemples ont été déjà données ci-dessus. Pour
entrer un peu plus dans le détail, dans la Figure 2.9, nous voyons bien que la corruption
est un bon indicateur des institutions, car cette image est très similaire à celle du Rule of
Law dans la Figure 2.8. Notez tout de même la forte présence de la corruption dans les
anciens pays de l’USSR et de l’Asie centrale.

Figure 2.9 – Source : World Governance Indicators

La littérature économique concernant l’effet de la corruption sur la croissance éco-


nomique a connu un grand boom après l’article de Mauro (1995). Son article a été la
première étude empirique inter-pays (cross-country) qui lie des indicateurs de corruption
à la croissance économique. L’auteur trouve que la corruption diminue l’investissement
2.3. INSTITUTIONS 57

privé, et donc la croissance économique. L’effet négatif de la corruption sur l’investis-


sement, et sur la croissance, est significatif, statistiquement et économiquement. Mauro
(1995) trouve que si le Bangladesh améliorait l’intégrité et l’efficacité de sa bureaucratie
jusqu’au niveau de l’Uruguay, le taux d’investissement augmenterait de 5 points de pour-
centage, et son taux annuel de croissance économique aurait une hausse d’un demi point
de pourcentage. Ces résultats ont donné suite à une autre question : qui paie les pots-de-
vin, et à quel prix ? Svensson (2003) trouve que les firmes qui paient le plus de pots-de-vin
sont celles où le contact direct avec les bureaucrates affecte le plus leurs opérations. Ces
contacts ne peuvent pas être évités quand par exemple les firmes ont besoin de services
liés aux activités d’exportation et d’importation. Et quel est le prix payé ? Cela est en très
grande partie déterminé par la capacité de la firme à payer (ses conditions financières,
mesurées par leur profit présent et espéré) et la capacité de la firme à refuser le paiement
(mesuré par l’estimation alternative du retour au capital).
Ensuite, la littérature s’est consacrée à l’étude de l’effet de la corruption au niveau
microéconomique. Plusieurs articles s’intéressent à l’effet de la corruption sur la perfor-
mance de firmes. L’article principal est celui de Fisman et Svensson (2007). Ces auteurs
font une étude de la croissance des firmes (mesurée par le nombre d’employeurs ou la
valeur de ventes de la firme) et une mesure de pots-de-vin pour un échantillon d’entre-
prises Ougandaises. Ils trouvent qu’une augmentation d’un point de pourcentage du taux
de pots-de-vin est associée à une réduction de trois points de pourcentage du taux de
croissance de la firme. Une autre fois, ce qui est aussi très important dans leur article est
la façon de capturer le vrai effet de la corruption sur la performance de la firme. De ma-
nière analogue au niveau macro-économique, il peut y avoir un biais d’endogénéité lors de
l’estimation de l’impact de la corruption sur la croissance de la firme. Le problème d’en-
dogéneité viendrait d’une erreur de mesure et aussi d’un biais de simultanéité. Le premier
consiste à des erreurs de mesure dans la variable de corruption, vu que c’est une informa-
tion secrète, tandis que le deuxième consiste à la probable détermination simultanée de
la croissance et de la corruption.
Afin de résoudre ce problème, Fisman et Svensson (2007) estiment aussi un modèle de
double moindres carrés ordinaires. Leur argument est que l’indicateur du pot-de-vin peut
être décomposé en deux termes, le premier spécifique à chaque secteur (industrie), et le
deuxième idiosyncratique à la firme :

bi,j = Bi,j + Bj (2.3)

Où i est l’indice pour la firme et j pour le secteur. Cette équation 2.3 correspond
à la première étape. La stratégie ici consiste à estimer la valeur de chaque firme par la
moyenne de pots-de-vin en utilisant la moyenne dans le cluster “localité-secteur” où la
58 CHAPITRE 2. FACTEURS CLÉS DU DÉVELOPPEMENT

firme se trouve. Cette moyenne serait alors exogène, et elle ne serait pas non plus corrélée
avec les possibles variables omises dans l’équation de croissance. Ensuite, ils prédisent la
valeur de b‰
i,j et utilisent pour estimer l’équation de croissance de la firme :

Yi = —0 + —b b‚i + Xi ” + ÷i (2.4)
Õ

Pour finir cette section, deux autres travaux s’intéressent à l’effet de la corruption sur
les performances économiques des firmes. Starosta de Waldemar (2012) utilise une base
de données de la Banque Mondiale pour un échantillon de firmes indiennes. Il montre
que dans des secteurs-états où le taux de pot-de-vin (corruption) est le plus élevé, la
probabilité d’introduire un nouveau produit (innovation) au sein de la firme est moins
importante. Quant à eux, De Rosa, Gooroochurn, et Gorg (2010) montrent l’effet négatif
de la corruption sur la productivité des firmes pour un échantillon de pays de l’Europe
Centrale, de l’Est et des pays de la Communauté des États Indépendants (CEI).

2.4 Références
Acemoglu, Daron, Simon Johnson, et James Robinson (2001), “The Colonial Ori-
gins of Comparative Development : An Empirical Investigation”, The American
Economic Review, vol. 91, No. 5, pp. 1369-1401.
Acemoglu, Daron, Simon Johnson, et James Robinson (2005), “Institutions as a fun-
damental cause of long-run growth”, Handbook of Economic Growth, chapitre 6,
edité par Philippe Aghion et Steven N. Durlauf, Elsevier.
Acemoglu, Daron, Simon Johnson, et James Robinson (2006), “Understanding Pros-
perity and Poverty : Geography, Institutions, and the Reversal of Fortune”, in
Understanding Poverty, edité par A.B. Banerjee, R. Benabou, et D. Mookherjee.
Oxford University Press.
De Rosa, D., Gooroochurn, N., Gorg, H., (2010), “Corruption and Productivity :
Firm-Level Evidence from the BEEPS Survey.” Policy Research Working Paper
Series 5348, World Bank.
Easterly, William, Levine, Ross, (2003), “Tropics, germs, and crops : how endowments
influence economic development”, Journal of Monetary Economics 50, 3-39.
Fisman, Raymond, Svensson, Jakob, (2007), “Are corruption and taxation really
harmful to growth ? Firm level evidence”, Journal of Development Economics 83,
pp. 63-75.
Gallup, J. L., Sachs, J. et Mellinger, Andrew D., (1999), “Geography and economic
development”, International regional science review 22, 2 : 179-232.
Kaufmann, D., A. Kraay, et M. Mastruzzi, (2010), “The Worldwide Governance In-
dicators : Methodology and Analytical Issues,” Policy Research Working Paper
Series 5430, The World Bank.
Krugman, Paul, Venables, Anthony J., (1995), “Globalization and the inequality of
Nations”, Quarterly Journal of Economics, vol. 110, No. 4, pp. 857-880.
2.4. RÉFÉRENCES 59

Mauro, P., (1995), “Corruption and Growth,” The Quarterly Journal of Economics,
110(3), 681-712.
North, Douglass, (1990), Institutions, Institutional Change, and Economic Perfor-
mance. Cambridge University Press, New York.
Rodrik, D., Subramanian, A., Trebbi, F., (2002), “Institutions Rule : The Primacy of
Institutions over Geography and Integration in Economic Development”, Journal
of Economic Growth, vol. 9, no.2, 131-165.
Sachs, J. (2001), “Tropical Underdevelopment”. NBER Working Paper 8119.
Starosta de Waldemar, F., (2012), “New products and corruption : evidence from
Indian firms”, The Developing Economies 50, no. 3, pp. 268-84.
Svensson, J., (2003), “Who Must Pay Bribes and How Much ? Evidence from a Cross
Section of Firms”, The Quarterly Journal of Economics, Vol. 118, No. 1, pp. 207-
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Svensson, J., (2005), “Eight Questions about Corruption”, Journal of Economic Pers-
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World Bank, (2009), “World Development Report”, World Bank, Washington D.C.
60 CHAPITRE 2. FACTEURS CLÉS DU DÉVELOPPEMENT
Chapitre 3

Mondialisation, Croissance et
Développement

Lors de ce dernier chapitre nous traitons d’un dernière thématique du développement :


le lien entre mondialisation (globalization, en anglais) et les processus de développement
et croissance économiques. Dans une première partie, nous faisons un rappel historique,
à partir du 19ème siècle, du phénomène de mondialisation. La deuxième partie est quant
à elle consacrée au lien entre commerce international (théorie) et développement. Enfin,
la dernière section essaye de répondre à une question très importante : le commerce a-t-il
un effet (positif) sur la croissance du PIB per capita ?

3.1 Histoire de la Mondialisation


Cette section est largement inspirée du livre “Globalization and History : the evolution
of a nineteenth-century Atlantic economy”, de O’Rourke et Williamson (1999). Afin de
comprendre la mondialisation aujourd’hui, ainsi que les théories économiques développées
dans les 19ème et 20ème siècles, il est essentiel de savoir comment était l’intégration
régionale à ce moment-là. La mondialisation n’est pas un phénomène nouveau ; et elle
n’est pas non plus irreversible. Qu’est-ce qui explique la première vague de mondialisation,
celle pendant la deuxième partie du 19ème siècle ? Pourquoi l’émergence d’un processus
de dé-mondialisation lors de la période 1914-1945 ? Et le nouveau processus d’intégration
mondiale après la Seconde Guerre Mondiale ?
Au début du 19ème siècle, après une série de guerres entre la France et l’Angleterre,
le processus de mondialisation était très loin des préoccupations des hommes politiques,
des entrepreneurs et des électeurs. En outre, les coûts des transports entre les régions
étaient très élevés, le mercantilisme et le protectionnisme étaient les politiques choisies,
et les migrations de longue distance étaient aussi très chères et inhabituelles. Tout ces

61
62 CHAPITRE 3. MONDIALISATION, CROISSANCE ET DÉVELOPPEMENT

ingrédients de conditions économiques faisaient un cocktail hostile à la mondialisation.


Ensuite, dans les premières décennies du 19ème siècle, quelques conditions se sont
matérialisées qui ont pu profiter au processus d’intégration mondiale. L’adoption de lois
de libre échange par le Royaume-Uni, la migration de masse du fait de la famine en
Irlande et l’installation de cables de télégraphes dans le Canal de l’Angleterre ont contribué
à la liaison entre les différents pays. Par ailleurs, ces décennies avaient déjà connu une
diminution des coûts de transport, la diminution de taxes au commerce international ainsi
qu’une certaine liberté de mouvement international des capitaux. Néanmoins, la première
vague de mondialisation dans l’économie atlantique date surtout de la deuxième moitié
du 19ème siècle. Pour O’Rourke et Williamson (1999), le terme “Économie Atlantique”
se réfère aux pays qui ont connu l’industrialisation en premier et qui sont maintenant
membres de l’OCDE : les nations de l’Europe de l’Ouest, de l’Europe du Sud, l’Amérique
du Nord, l’Australie et certaines de l’Asie.
Deux caractéristiques de l’économie mondiale à la fin du 20ème siècle existaient déjà à
la fin du 19ème siècle : (1) une rapide mondialisation, avec un mouvement sans précèdent
du capital et du travail à travers les frontières ; (2) une convergence des niveaux de vie, au
mois parmi les pays qui font partie de l’OCDE. Convergence économique, pour O’Rourke
et Williamson, est le processus par lequel les pays pauvres connaissent une croissance
plus élevée que les pays les plus riches. Ainsi, à cette époque-là, les pays les moins riches
avaient une croissance économique plus élevée que les plus riches.
La question principale est donc de savoir si mondialisation et convergence économiques
sont étroitement liées ? La réponse des auteurs est positive, et les premières évidences
empiriques soulignent l’existence d’une convergence économique entre groupe de pays.
Cette convergence internationale a surtout existé pour les salaires réels. Cette mesure
particulière du niveau de vie des personnes est utilisée pour capturer le vrai effet de
la mondialisation sur les marchés du travail. Cela est aussi justifié par une meilleure
disponibilité des données ; les données des salaires urbains, pour cette époque, sont d’une
meilleure “qualité” que les données de PIB per capita.
Ici nous nous concentrons sur la convergence économique de la deuxième moitié du
19ème siècle, montrée dans la Figure 3.1. Dans cette Figure, nous voyons les différents
échantillons N pour la variable C. Cette variable est une mesure de ‡-convergence, qui est
la variance du taux du salaire réel à travers les pays, divisée par le carré de leur moyenne.
Nous voyons, pour la série C(17) 1 , une très nette diminution de la dispersion du taux de
salaire jusqu’à 1900, quand cette diminution s’estampe. Cela revient à dire qu’il y a eu
une convergence économique entre ces 17 pays. Par ailleurs, ces mêmes auteurs montrent

1. Pour l’échantillon N(15), ce sont les dix-sept pays de C(17) sans les deux pays de l’Amérique du
Nord (États-Unis et Canada. Enfin, l’échantillon I(13) enlève aussi les pays ibériques.
3.1. HISTOIRE DE LA MONDIALISATION 63

le même résultat en utilisant une série de données sur le PIB per capita.

Figure 3.1 – Source : O’Rourke et Williamson (1999)

La dispersion du taux de salaire réel n’a pas diminué entre 1914 et 1934, restant
relativement stable. Mais la Grande Dépression n’est pas la seule raison de cet arrêt, il y a
eu aussi une forte diminution des migrations et des contrôles de mouvement internationaux
des capitaux. Après, pendant la période de 1935 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre, la
dispersion a fortement augmenté. Touts les gains entre 1870 et 1914 ont même disparus
pendant les années 30 et 40 : le niveau de dispersion est revenu à celui des années 1870,
comme nous pouvons voir dans la Figure 3.2.
Maintenant, nour nous tournons vers la question de savoir quelle forme a eu la mon-
dialisation de la première vague, celle de la deuxième moitié du 19ème siècle jusqu’à 1914.
Pendant le reste de cette section, nous allons d’abord nous concentrer sur les révolutions
dans les transports, et sur l’intégration du marché des commodities.
Pour O’Rourke et Williamson, il y a des similarités entre la première vague de mondia-
lisation (avant la Première Guerre Mondiale) et celle d’après la Seconde Guerre Mondiale.
Toutefois, il existe une grande différence : l’intégration du marché des commodities après
1860 est due entièrement à la diminution des coûts de transports, et non à une mise
en place de politiques commerciales plus libérales, au contraire de la deuxième vague
d’intégration qui a debuté en 1950.
Le Tableau de la Figure 3.3 nous donne un aperçu des évolutions de l’intégration des
64 CHAPITRE 3. MONDIALISATION, CROISSANCE ET DÉVELOPPEMENT

Figure 3.2 – Source : O’Rourke et Williamson (1999)

marchés déjà mentionnés auparavant. La moyenne du ratio des exportations a augmenté


entre 1870 et 1913, a diminué dans la période d’entre-guerres, pour ensuite augmenter
de nouveau à partir des années 1950. Mais le volume de commerce par rapport au PIB
est une mesure très simpliste de la mondialisation. La meilleure mesure afin de capturer
l’intégration mondiale du marché des commodities est le coût des transports entre mar-
chés, car la différence de prix entre deux commodities peut être expliqué soit par le coût
de transport, soit par les barrières (politiques) commerciales. Il y a plusieurs façons de
mesurer la différence de prix entre deux marchés, mais O’Rourke et Williamson (1999) se
concentrent sur l’écart de prix entre deux marchés, en faisant l’hypothèse que les produits
comparés sont soit identiques, soit très similaires entre un marché et l’autre.
La révolution dans les transports est une caractéristique de la première vague de mon-
dialisation, dans la deuxième moitié du 19ème siècle. Avant le développement des chemins
de fer, le transport était fait soit par les routes, soit sur l’eau (fleuve et mer), en sachant
que le transport sur l’eau était beaucoup moins coûteux. De grandes avancés ont été
faites en termes de navigation fluviale partout dans le monde, surtout aux Etats-Unis et
en Europe. L’utilisation de bateaux à la vapeur a été la plus grande contribution à la
technologie marchande. Mais l’autre grand développement de la technologie de transport
a été les chemins de fer. La ligne entre Liverpool et Manchester a été ouverte en 1830. Il
y a eu un boom phénoménal dans la quantité de kilomètres de chemins de fer construits
3.1. HISTOIRE DE LA MONDIALISATION 65

pendant la fin du 19ème siècle. Enfin, une dernière innovation technologique avec des im-
plications sur le commerce international a été la réfrigération dans le bateaux de transport
international.

Figure 3.3 – Source : O’Rourke et Williamson (1999)

Quel a été l’effet de ces innovations sur le coût de transport des biens entre deux mar-
chés ? L’indicateur qui mesure le frêt sur les routes américaines a chuté de 41% en termes
réels entre 1870 et 1910, tandis qu’un indicateur britanique montre une diminution d’en-
viron 70% en termes réels entre 1840 et 1910. La deuxième vague de mondialisation (après
la Seconde Guerre), est, quant à elle, surtout liée à la diminution des tarifs commerciaux.
Néanmoins, la première vague aussi a connu des avancés en termes de libéralisation des
échanges commerciaux, surtout entre les années après les Guerres napoléoniennes jus-
qu’aux années 1870 et 1880. Cette période de libéralisation coincide avec les travaux de
David Ricardo, et l’abandon des “Corn Laws” britanniques. L’exemple britannique a été
suivi par d’autres pays européens, même si de manière lente. Bien que les théories pro-
commerce de Ricardo soient très solides, la libéralisation s’est faite surtout dans les plus
petits pays, ceux qui pouvaient gagner le plus avec le commerce international.
La diminution des coûts de transport a eu lieu aussi à l’intérieur des pays. Le coût
de transport entre le Midwest et la Côte l’Est américaine a diminué encore plus que
ceux entre les deux côtés de l’Atlantique. Globalement, l’évolution de l’intégration du
marché mondial est allée ensemble avec une augmentation de l’intégration des marchés
66 CHAPITRE 3. MONDIALISATION, CROISSANCE ET DÉVELOPPEMENT

domestiques.
L’effet de la diminution des coûts de transports sur l’écart des prix entre deux marchés
peut être vu dans la Figure 3.4. Le prix du blé à Liverpool était 57.6% plus élevé qu’à
Chicago en 1870, 17.8% en 1895 et 15.6% en 1913. En outre, l’écart entre Liverpool-New
York et New York-Chiago a aussi diminué. La convergence de prix entre commodities s’est
produit aussi pour la viande, le charbon, le café, etc.

Figure 3.4 – Source : O’Rourke et Williamson (1999)

En somme, les évidences fournies par O’Rourke et Williamson (1999) montrent l’in-
croyable augmentation de l’intégration des marchés de commodities dans l’économie atlan-
tique pendant la deuxième moitié du 19ème siècle. La diminution des coûts de transport
a fait que les marchés domestiques et internationaux se sont rapprochées.

3.2 Commerce et Développement

3.2.1 Le lien entre les deux phénomènes


Todaro et Smith présentent le lien entre commerce international et développement, en
étudiant les théories de commerce international sous l’angle de 5 questions basiques de
très grande importance pour les pays en développement :

1. Comment le commerce international a un effet sur la croissance économique des


pays les moins avancés ?
3.2. COMMERCE ET DÉVELOPPEMENT 67

2. Comment le commerce modifie la distribution des revenus et des richesses à l’inté-


rieur d’un pays, et entre des pays ?
3. Sous quelles conditions le commerce peut aider les pays les moins avancés à at-
teindre leurs objectifs de développement ?
4. Les pays moins avancés peuvent-ils déterminer eux-mêmes de combien ils com-
mercent ?
5. Afin de se développer, doivent-ils adopter une stratégie d’économie plus ouverte ou
plus fermée ?

La réponse pour ces questions ne sera pas exactement identique pour tous les pays en
développement. Toute la logique économique des théories du commerce international se
repose sur le fait que les pays différent par rapport aux ressources qu’ils possèdent, à leurs
préférences et technologie, aux économies d’échelle, à leurs institutions économiques, et
leurs capacités à se développer.
Dans l’absolu, les pays en développement sont plus dépendants au commerce que les
pays développés. En outre, la part des exportations de biens primaires y est aussi beaucoup
plus élevée. Cela peut créer un problème, du fait que l’élasticité de la demande par rapport
au revenu est relativement faible : l’augmentation du pourcentage de la quantité importée
des biens primaires par les importateurs (les pays développés) va moins augmenter que
l’augmentation du pourcentage de leurs PNB. Le résultat net de cette faible élasticité de
la demande par rapport au revenu est que le prix relatif de bien primaires a une tendance
à diminuer au fil du temps. En plus, comme l’élasticité prix de la demande de biens
primaires (commodities) est aussi faible (inélastique), n’importe quel changement dans
les courbes de demande et de l’offre entraîne des fluctuations de prix très fortes. Ces deux
phenomènes de l’élasticité contribuent à l’instabilité de rendements des exportations, ce
qui conduit à de taux de croissance moins élevés et prévisibles.
Ce problème de la volatilité des prix des commodities exportés pour les pays en dé-
veloppement mène à une autre dimension importante des problèmes liés au commerce
de ces pays. La valeur totale des rendements des exportations ne dépend pas seulement
de la quantité totale exportée mais aussi du prix des biens. Si le prix des biens exportés
diminue, il faudra exporter plus (en volume) pour que les revenus d’exportations soient
constants. L’expression qui définit le rapport entre le prix des exportations (Px ) et le prix
des importations (Pm ) s’appelle comme :

T ermes de lÕ echange = Px /Pm (3.1)

Si le ratio dans l’équation 3.1 diminue, nous avons une détérioration des termes de
l’échange. Du fait des raisons évoquées ci-dessus, le prix relatif des commodities par rap-
68 CHAPITRE 3. MONDIALISATION, CROISSANCE ET DÉVELOPPEMENT

port aux bien manufacturés a diminué. En effet, nous observons une détérioration des
termes de l’échange des pays en développement. La principale théorie développée pour
expliquer cette tendance de détérioration des termes de l’échange des pays en dévelop-
pement à été mise en avance par l’hypothèse Prebisch-Singer, en hommage aux deux
économistes qui ont exploré les implications de cette théorie. Leur principal argument est
que cette baisse historique des termes de l’échange des pays en développement contribue-
rait à un transfert de revenus des pays pauvres aux pays riches, et la seule possibilité
de faire face à ce phénomène serait de développer le secteur manufacturier à travers une
stratégie de substitution aux importations.

Maintenant, nous regardons de plus près les réponses pour une question fondamentale :
pourquoi les personnes échangent entre eux ? Les deux théories classiques du commerce
international sont celle des avantages comparatifs et celle de différences des dotation dans
les facteurs de production. La théorie des avantages comparatifs relatifs (Ricardo) met
en avance que les pays ont intérêt à se spécialiser dans la production et l’exportation des
bien pour lesquelles ils ont un avantage comparatif. Cet avantage comparatif est basé sur
les différentes productivités (technologies) entre les pays. Un pays a alors un intérêt à se
spécialiser dans le bien qu’il produit à moindre coût (du fait d’une meilleure productivité
du travail, par exemple), et échanger à la quantité non consommée par d’autres biens pour
lesquels le pays n’a pas d’avantage comparatif. La théorie des différences de dotations
de facteurs est aussi connue comme le modèle Hecksher-Ohlin. Pour cette théorie, la
productivité est la même pour chaque bien dans chaque pays, donc l’avantage de se
spécialiser dans un bien ou dans un autre ne vient pas de ces différences. La raison pour
laquelle il y a du commerce est que les pays possèdent différentes dotations de facteurs,
qui sont utilisés en quantités relatives différentes dans la production et l’exportation des
biens. Les pays alors ont un avantage comparatif dans la production et l’exportation du
bien qui utilise le plus intensivement le facteur de production dont il est relativement le
mieux doté.

En somme, quels sont les principaux arguments de la théorie classique du commerce


international et le lien avec le développement ? (1) Le commerce est un facteur positif
important de la croissance économique, car il augmente les capacités de consommation,
augmente la production totale, et fournit un accès à des ressources rares ; (2) le com-
merce favorise à une égalité plus grande au niveau international et domestique à travers
l’égalisation du prix des facteurs, en augmentant le revenu des pays et en utilisant les
ressources de chaque pays de manière plus efficace ; (3) le commerce aide les pays à se
développer du fait qu’il récompense les secteurs pour lesquels le pays a un avantage com-
paratif, soit du fait d’une meilleure productivité ou soit d’une disponibilité relative des
facteurs plus grande ; (4) dans un commerce de libre échange, les prix internationaux et
3.2. COMMERCE ET DÉVELOPPEMENT 69

les coûts de production déterminent combien un pays doit échanger afin de maximiser
son bien être ; et (5) afin de promouvoir la croissance et le développement, une stratégie
politique d’économie ouverte aux échanges internationaux est nécessaire.
Toutefois, ces conclusions mises en avance par la théorie traditionnelle du commerce
internationale n’ont pas été épargnées par les critiques, surtout que les hypothèses sur
lesquelles les théories s’appuyent ne sont pas vérifiées dans la réalité. Il est alors intéressant
d’étudier la critique de ces conclusions surtout dans le contexte des pays en développement.
Une réflexion doit être menée sur six hypothèses du modèle :

1. Toutes les ressources productives sont fixes en quantité et qualité à travers les
pays, où ils sont employés dans leur totalité. Cette hypothèse de la nature statique
des échanges internationaux est centrale dans la théorie du commerce internatio-
nale. Néanmoins, le monde est caractérisé par des changements très rapides, et les
facteurs de production ne sont pas fixes ni en quantité ni en qualité.
2. La technologie de production est soit fixe, soit similaire et disponible par tous les
pays. Les goûts des consommateurs sont eux aussi constants et ne répondent pas
à l’influence des producteurs. Or, il existe des substituts à la technologie, et la
capacité à produire n’est pas similaire entre les différentes pays. Enfin, l’hypothèse
de similarité entre le goût des consommateurs n’est pas non plus très réaliste.
3. A l’intérieur des pays, les facteurs de production sont parfaitement mobiles entre
différents secteurs d’activité ; il existe une concurrence parfaite et il n’y pas de
risque ni d’incertitude. Dans la pratique, les réajustements des facteurs de pro-
duction sont difficiles et se font lentement. Plus important encore, des études ont
montré que beaucoup de marchés étaient des monopoles ou de oligopoles.
4. Les gouvernements nationaux ne jouent pas un rôle dans les relations économiques
internationales, le commerce est fait par des agents individuels. D’habitude, les
gouvernements jouent un rôle actif dans l’économie, avec l’utilisation de différents
outils, tels que ceux de politiques commerciales (tarifs, quotas, subventions), mais
aussi avec d’autres instruments de politiques industrielles.
5. Le commerce est égale pour chaque pays à n’importe quelle période. Surtout dans
les années 1970, les problèmes des déficits de la balance de paiements étaient un
des soucis les plus importants de nations, riches comme pauvres.
6. Les gains au commerce bénéficient à tous les résidents de chaque pays. Dans les
faits, à l’intérieur d’un pays, il y a certains agents économiques qui bénéficient du
commerce tandis que d’autres subissent les conséquences négatives.

A ce stade, nous pouvons faire déjà quelques conclusions sur le lien entre commerce et
développement, afin de répondre aux 5 question du début de cette sous-section. D’abord,
70 CHAPITRE 3. MONDIALISATION, CROISSANCE ET DÉVELOPPEMENT

le commerce peut favoriser positivement la croissance économique. Ensuite, il est pos-


sible de dire que les principaux bénéfices du commerce mondial ont été dirigés plus que
proportionnellement vers les pays riches, et à l’intérieur des nations les moins favorisés,
aux résidents étrangers et aux plus favorisés. La réponse à la troisième question se trouve
dans la capacité des pays en développement de prendre les avantages commerciaux des
pays développés, surtout en ce qui concerne l’élimination des barrières à l’exportation des
biens intensifs en travail. Pour la quatrième question, la réponse ne peut être que fondée
sur la spéculation, car l’option de définir la quantité d’échange commercial n’est pas très
réaliste. Enfin, la réponse pour la dernière question est qu’une combinaison entre une
stratégie d’ouverture commerciale et de coopération entre les pays les moins avancés est
la meilleure solution.

Du fait des plusieurs dimensions du commerce international, et des manières alterna-


tives de stimuler chacune d’entre elles, il existe donc des différentes stratégies de commerce
international afin de promouvoir le développement économique. D’abord, elles peuvent
être divisées en deux : (1) les politiques d’ouverture commercial et de développement
économique, et les politiques de développement autocentrés. Plus en détail, nous pou-
vons utiliser les quatre catégories mises en avant par Todaro et Smith : (a) politiques
d’ouverture commerciale primaires (appui à l’exportation de biens agricoles et matières-
premières) ; (b) politiques d’ouverture commerciale secondaires (appui à l’exportation de
biens manufacturés) ; (c) politiques autocentrées primaires (autosuffisance agricole) ; (d)
politiques autocentrées secondaires (autosuffisance de biens manufacturés à travers la sub-
stitution aux importations). Dans la plupart du temps, les politiques de développement
peuvent être classées dans ces catégories, même s’il existe différents outils de stratégies
alternatives qui peuvent être utilisées au même temps.

Pour faire un résumé des conclusions, il est intéressant de diviser les arguments entre
ceux qui préconisent l’effet positif du commerce sur le développement, et ceux qui préco-
nisent l’effet négatif du commerce sur le développement. Les arguments de ceux qui sont
pro-commerce sont : le commerce (1) favorise la compétition, améliore l’allocation des
ressources et favorise les économies d’échelle ; (2) crée des pressions pour l’augmentation
de l’efficacité, l’amélioration des produits et le changement technologique ; (3) accélère
la croissance économique, ce qui augmente les profits, l’épargne et l’investissement ; (4)
attire les investissements directs à l’étranger ainsi que l’expertise étrangère ; (5) attire les
devises étrangères qui peuvent être utilisées pour l’importation de biens essentiels tels que
la nourriture ; (6) élimine les grandes distorsions économiques du fait des interventions de
gouvernements ; (7) encourage une plus grande équité dans l’accès aux ressources rares ;
et (8) permet les pays les moins avancés de profiter au maximum des accords de l’OMC.
De l’autre côté, les arguments contre le commerce sont basés sur trois points importants :
3.2. COMMERCE ET DÉVELOPPEMENT 71

le commerce (1) limite la croissance économique, du fait de la faible demande pour les
biens primaires ; (2) la détérioration historique des termes de l’échange des nations ex-
portatrices de biens primaires ; et (3) l’émergence d’un nouveau protectionnisme, contre
l’exportation des biens manufacturés et des biens agricoles des pays moins avancés.
Enfin, depuis les années 1980, une autre école de réflexion qui traite du lien entre
commerce et développement a fait surface. Une stratégie couplant en même temps une
approche d’industrialisation et une ouverture commercial pro-commerce avec un rôle pro-
actif des gouvernements. Ceux-ci devraient influencer le type et la séquence d’exportations
qu’un pays essaye de produire, afin d’aller vers la production et l’exportation de biens plus
complexes et d’une haute valeur ajoutée. Certaines études présentées dans le Chapitre 7,
sur la transformation structurelle et développement, préconisent justement des stratégies
d’amélioration des exportations pour avoir des retombées positives sur la croissance et le
développement économiques.

3.2.2 Quelques faits stylisés sur le commerce et le développe-


ment

Dans cette sous-section, nous allons regarder quelques faits stylisés contemporains sur
le commerce et le développement. Les faits ici montrés sont tirés du “Rapport sur le
Commerce et le Développement, 2020”, rédigé par la Conférences des Nations Unies sur
le commerce et le développement.
Le premier point intéressant à évoquer est justement la volatilité des prix de matières-
premières que nous avons mentionné ci-dessus. Nous pouvons bien voir, dans la Figure
3.5, l’énorme volatilité des commodities dans la dernière décennie. Nous constatons une
augmentation constante au fil des années, mais aussi une extrême volatilité, surtout dans
les années 2007-2009. Plus récemment, les prix ont fortement chuté en 2016,ont repris
de la magnitude en 2018 mais avec la crise de la COVID-19 ils ont bien baissé en 2020.
Les prix continuent d’être très influencés par la forte présence d’investisseurs financiers
sur les marchés de produits de base, entraînant la multiplication par près de 40, entre
2001 et 2011, de la valeur des actifs des produits de base. Cette situation gère une forte
instabilité, en termes de revenu d’exportations, pour les pays exportateurs de ces produits.
D’autant plus que même si cette situation d’un supercycle d’augmentation des prix de
matières premières peut bénéficier les pays exportateurs, on ne sait pas si elle va durer.
La forte demande chinoise a été l’un des grands moteurs de cette ascension, et l’on craint
de plus en plus l’extinction du supercycle. Les importants investissements en capital fixe
réalisés en Chine se poursuivront-ils avec la même intensité en matières premières par
unité additionnelle produite ?
72 CHAPITRE 3. MONDIALISATION, CROISSANCE ET DÉVELOPPEMENT

Indépendamment de l’évolution future des prix des produits de base, le niveau élevé
et la volatilité des cours observés ces dernières années soulèvent un certain nombre de
questions liées aux inégalités de revenu et à sa répartition. Les mouvements de prix font
des gagnants et des perdants entre les pays et dans les pays. Toutefois, l’impact de ces
hausses sur les inégalités à l’intérieur de ces pays n’est pas clair : d’une part, la hausse
des prix améliore la marge d’action budgétaire dont les pays disposent pour appliquer des
politiques de redistribution ; d’autre part, il y a de fortes chances que seule une poignée de
propriétaires privés détenteurs des ressources naturelles soient les principaux bénéficiaires
de cette manne.

Figure 3.5 – Source : UNCTAD (2020)

Selon des estimations de la Banque mondiale, la flambée des prix internationaux des
produits alimentaires de 2007-2008 a maintenu ou poussé 105 millions de personnes sous le
seuil de pauvreté, tandis que le pic des années 2010-2011 a eu des conséquences identiques
pour 48,6 millions de personnes. Les effets de l’évolution des prix des produits de base sur
la croissance se sont souvent accompagnés d’effets négatifs en matière de répartition du
revenu. Même dans les pays en développement producteurs, où la hausse des prix a dopé
la croissance, les gains qui en sont résultés n’ont pas été assez largement répartis pour
3.3. COMMERCE INTERNATIONAL ET CROISSANCE 73

profiter à l’ensemble de la population.


Justement, l’autre point important sur le lien entre commerce et développement est
sur la répartition des revenus, afin de limiter les inégalités. Dès lors qu’il est admis que
le mécanisme du marché ne peut pas rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande de
travail par le biais d’inégalités croissantes, le rôle des pouvoirs publics pour stabiliser
l’ensemble de l’économie devient crucial pour la création d’emplois et la répartition des
revenus. A côté des politiques monétaires et budgétaires pour l’emploi et la croissance, une
politique judicieuse des revenus peut être importante pour parvenir à un degré socialement
acceptable d’inégalité des revenus. L’élaboration des règles pour déterminer l’évolution
des revenus collectifs dans une économie en phase de croissance faciliterait grandement
les politiques monétaires, financières et budgétaires.
Une autre question importante liée au développement des nations est la capacité du
travail de s’approprier d’une plus grande part du revenu national. Une fois que les écono-
mies auront rebondi de la crise de la Covid-19, à qui profitera la croissance ? Comme nous
pouvons constater dans la Figure 3.6, tirée du même rapport de 2020, la réponse est plutôt
décourageante. Depuis plusieurs décennies, pour la plupart des pays, soit développés ou
en développement, le travail accapare une part de moins en moins importante du revenu
national.

Figure 3.6 – Source : UNCTAD (2012)

3.3 Commerce International et Croissance


Dans cette section, nous allons explorer le lien entre commerce international et crois-
sance économique. En somme, les évidences dans la section précédente nous montrent qu’il
74 CHAPITRE 3. MONDIALISATION, CROISSANCE ET DÉVELOPPEMENT

peut y avoir tant des arguments pro-commerce que des arguments anti-commerce, en ma-
tière d’effet sur le développement. Et plus précisemment sur la croissance ? Les réponses
sont aussi ambiguës. Afin de trancher, il faut regarder la littérature empirique. D’abord,
nous analysons le lien entre libéralisation commerciale et ouverture au commerce, pour
ensuite étudier le lien directe entre ouverture et croissance.
Par rapport à la libéralisation commerciale, elle était une des stratégies le plus im-
portantes de développement du très celèbre “Washington Consensus”. Celui-ci était une
série de réformes pronées par les institutions internationales afin de mettre en place un
ajustement structurel de pays les moins avancés, avec comme objectif de favoriser la crois-
sance et le développement de ces pays. Comme nous pouvons le voir dans la Figure 3.7,
le point numéro 6, “trade liberalization”, avançait justement qu’une libéralisation com-
merciale avait comme conséquence un taux de croissance plus élevé. Cette libéralisation
s’appuye surtout sur la libéralisation des importations, du fait que l’accès aux entrants
intermédiaires importés à de prix compétitifs est considéré comme un élément important
pour favoriser les exportations.

Figure 3.7 – Source : Rodrik (2006)

Par conséquent, il est important alors de regarder le lien entre libéralisation commer-
ciale et le taux d’ouverture commerciale. Pour cela, il faut bien comprendre quels sont les
déterminants du taux d’ouverture. Rodrik (2003) montre qu’un déterminant majeur de
l’ouverture commercial est la géographie de pays, comme nous voyons de nouveau dans
la Figure 3.8.
Quels sont alors ces déterminants exogènes du taux d’ouverture ? D’abord, la géogra-
phie physique a un rôle important, comme la distance avec les partenaires commerciaux,
qui influence les coûts de transport. Mais il y a aussi le lien entre la taille d’un pays et le
commerce (lien négatif), et entre le niveau de revenu et commerce (lien négatif). Comme
3.3. COMMERCE INTERNATIONAL ET CROISSANCE 75

Figure 3.8 – Source : Rodrik (2003)

la géographie (la distance, l’enclavement) comporte des caractéristiques invariantes dans


le temps, un changement du niveau du taux d’ouverture devrait forcement correspondre à
un changement des politiques commerciales. Néanmoins, il y a aussi d’autres déterminants
exogènes du taux d’ouverture au-delà des politiques commerciales, tels que les infrastruc-
tures, la corruption, le dynamisme de la demande internationale pour un produit donné et
l’accès au marché étranger (tel que mesuré par l’économie géographique comme la somme,
pour tous les pays importateurs, de leur PIB divisé par la distance à ce pays-là).
Mais, fondamentalement, est-ce que les politiques commerciales ont un effet positif sur
le commerce ? Wacziarg (2001) trouve un effet causal des barrières commerciales sur le
taux d’ouverture. Nous pouvons voir ses résultats principaux dans le tableau de la Figure
3.9. Comme indiqué, le taux d’ouverture est mesuré comme la somme des importations
et des exportations par rapport au PIB. Dans ces régressions, l’auteur contrôle pour les
déterminants du taux d’ouverture provenant des équations de gravité, tel que la taille de la
superficie du pays, la population et la croissance du PIB per capita. Les trois variables de
politiques commerciales sont les taxes à l’importation sur le total des importations, le taux
de couverture de barrières non-tarifaires d’avant le cycle des négociations d’Uruguay, et
finalement l’indicateur de Sachs-Warner sur la libéralisation commerciale de pays. Comme
attendu, le taux d’ouverture est négativement affecté par les barrières tarifaires et non-
tarifaires, et positivement affecté par l’indicateur de libéralisation commerciales.
Ensuite, dans un autre papier, Wacziarg et Welch (2008) regardent l’effet direct de la
libéralisation commerciale sur la croissance économique. D’abord, a lieu toute une discus-
sion sur comment mesurer la libéralisation commerciale, ce qui a entraîné un grand débat
dans la littérature économique de ce sujet. Toutefois, en utilisant plusieurs indicateurs et
76 CHAPITRE 3. MONDIALISATION, CROISSANCE ET DÉVELOPPEMENT

Figure 3.9 – Source : Wacziarg (2001)

méthodes d’estimation, Wacziarg et Welch (2008) trouvent que pour la période 1950-1998,
les pays qui ont libéralisé leur régime de commerce international ont connu des moyennes
des taux de croissance annuels 1.5% plus élevées qu’avant. En outre, la libéralisation a
augmenté la moyenne du ratio commerce/PIB en 5%, et cela suggère que la libéralisation
de la politique commerciale a en effet augmenté le taux d’ouverture. Nous pouvons voir
cela dans la Figure 3.10. Dans la colonne 1, nous voyons la régression de la croissance
économique sur l’indicateur de libéralisation. Cette régression pour la période 1950-98
indique que la différence intra-pays dans la croissance économique entre un pays avec un
régime libéral et un pays avec un régime non-libéral est de 1.42 points de pourcentage Ce
coefficient est estimé avec un très fort dégrée de précision (la statistique-t est plus grand
que 5). Quand les auteurs sous-divisent cette période, ils trouvent que cet effet augmente
avec le temps et atteint son maximum dans les années 1990, comme nous pouvons le
constater avec les coefficients qui augmentent entre les colonnes 2 et 4.
Enfin, d’autres auteurs se sont intéressés au lien entre l’ouverture (openness) et la
croissance économique (growth), et le débat s’est fait sur trois dimensions. Harrison et
Rodriguez-Clare (2010) font une bonne revue de littérature sur le sujet, en se basant sur de
nombreuses études scientifiques. D’abord, la série d’études faites par plusieurs chercheurs
a nourri un débat sur l’existence d’effets positifs, un manque d’effet ou même d’effets
3.3. COMMERCE INTERNATIONAL ET CROISSANCE 77

Figure 3.10 – Source : Wacziarg et Welch (2008)

négatifs. Ensuite, des travaux ont discuté quelle variable utiliser pour mesurer l’ouverture,
soit le taux d’ouverture commerciale ou une mesure des politiques commerciales. Enfin,
la question est aussi de savoir quelles sont les variables de contrôle à utiliser quand on
regresse la croissance sur l’ouverture commerciale.
Un des articles les plus importants (et pionniers) de cette littérature est celui de
Frankel et Romer (1999). Un des grands apports de ces auteurs a été de trouver des
instruments externes pour le taux d’ouverture, au vu de l’endogéneité de la mesure des
taux d’ouverture par rapport à la croissance économique. Ils utilisent les contributions des
équations de gravité afin de dériver un instrument basé sur la proximité géographique.
Les modèles de gravité prédisent que les pays les plus proches vont faire plus de commerce
entre eux. Cela veut dire que la distance peut être utilisée comme un instrument pour le
commerce bilatéral. Du fait que la distance entre pays ne change pas dans le temps, les
auteurs estiment leurs résultats principaux (Figure 3.11) en coupe-transversale, ce qui est
une des principales limites de leur approche. Frankel et Romer trouvent un effet positif
de l’ouverture sur la croissance économique. Leur estimation principale implique qu’une
augmentation d’un point de pourcentage du taux d’ouverture a comme effet une hausse
de 0.9% du niveau de revenu per capita.
78 CHAPITRE 3. MONDIALISATION, CROISSANCE ET DÉVELOPPEMENT

Figure 3.11 – Source : Frankel and Romer (1999)

Dans leur propre étude empirique, Harrison et Rodriguez-Clare (2010) montrent une
association positive entre ouverture commerciale et croissance, quand on utilise le taux
d’ouverture comme variable pour mesurer l’ouverture commerciale. Nous pouvons voir ce
résultat dans le tableau de la Figure 3.12. La conclusion est que des changements dans
le taux d’ouverture sont associés à une croissance plus élevée. Néanmoins, quand ils uti-
lisent une mesure de revenu tarifaire, il n’y a plus d’effet de l’ouverture commerciale sur
la croissance. Dans le tableau de la Figure 3.13, nous pouvons bien constater ce manque
d’association entre les revenus tarifaires et la croissance économique. La corrélation po-
sitive entre le taux d’ouverture et croissance est très forte et elle est robuste quand les
auteurs ajoutent d’autres variables de contrôle. En revanche, la corrélation négative entre
les tarifs et la croissance est significative dans quelques spécifications, mais ce résultat
n’est pas du tout robuste.
Actuellement, la recherche sur le lien entre ouverture commerciale et croissance va
au-delà de l’effet direct du premier sur le deuxième. Ce qui est important est que l’ouver-
ture commerciale soit accompagnée par de politiques complémentaires. Une des raisons
pour lesquelles l’effet de l’ouverture commerciale n’est pas si robuste (stable), comme
nous venons de le voir, est que cet effet doit être implanté en même temps qu’une sé-
rie d’autres politiques qui permettent aux firmes d’êtres réellement compétitives sur le
3.3. COMMERCE INTERNATIONAL ET CROISSANCE 79

Figure 3.12 – Source : Harrison et Rodriguez-Clare (2010)

Figure 3.13 – Source : Harrison et Rodriguez-Clare (2010)

marché mondial. Pour cela, il faut estimer une équation du type :

Yi,t = – + —OP EN N ESSi,t + „Zi,t + ”Xi,t + ⁄(OP EN N ESS ◊ X)i,t + ÷i + ·t + ‘i,t (3.2)

où i est un pays et t est la période, Z sont les variables de contrôle, X est la variable
de politiques publiques complémentaires, ÷ est l’effet fixe individuel, · est l’effet temporel
et ‘ le terme d’erreur.
C’est exactement cet approche qui suivent Chang, Kaltani et Loayza (2009). Pour ces
auteurs, le fait qu’il n’y a pas d’effet direct de l’ouverture commerciale sur la croissance
est une évidence de la nécessité d’avoir d’autres conditions économiques pour que l’effet
soit robuste à travers tous les pays. Pour cela, l’effet de l’ouverture commerciale serait
non-linéaire : peut-on imaginer des politiques afin de maximiser les gains de l’ouverture,
et minimiser les pertes ? Pour ces auteurs, avec des marchés parfaits, il y a toujours un
effet positif. Avec des imperfections de marché, il y a des problèmes.
80 CHAPITRE 3. MONDIALISATION, CROISSANCE ET DÉVELOPPEMENT

Chang, Kaltani et Loayza (2009) utilisent des données de panel et une mesure de
taux d’ouverture corrigé pour la taille du pays. Ils regardent l’intéraction de l’ouverture
commerciale avec : (a) capital humain ; (b) développement du secteur financier ; (c) in-
frastructures ; (d) gouvernance ; (e) flexibilité du marché du travail ; et (f) flexibilité du
marché des produits. Ils trouvent que les politiques importantes sont le développement
des infrastructures, la flexibilité du marché du travail et des barrières à l’entrée à des
niveaux faibles. Étant donné les niveaux de ces variables de réforme, plusieurs pays au-
raient à perdre avec l’ouverture de leurs marchés intérieurs. Ouvrir au commerce n’est pas
suffisant en soi : il faut que certaines réformes clés soit aussi réalisées dans les pays. Quand
le “first-best” (toutes les réformes au même temps) n’est pas possible, les papiers dans la
ligne de Chang, Kaltani et Loayza (2009) suggèrent que prôner des réformes commerciales
dépend alors de la possibilité et le dégrée de faire d’autres réformes complémentaires. Il
faut donc rejeter un approche politique de “one size fits all” pour le commerce (ouverture
commerciale), et les réformes doivent être spécifiques à chaque contexte (pays). Néan-
moins, sachez que le résultat de ces variables d’interaction ne nous dit pas non plus si
l’effet de l’infrastructure (par exemple) est quant à lui magnifié par l’ouverture commer-
ciale.

3.4 Références
Chang, R., Kaltani, L., Loayza, N., (2009), “Openness can be good for growth : the
role of policy complementarities”, Journal of Development Economics, vol. 90, pp.
33-49.
Frankel, J., Romer, D., (1999), “Does Trade causes growth ?”, The American Econo-
mic Review, vol. 89, No. 3, pp. 379-399.
Harrison, A., Rodriguez-Clare, A., (2010), “Trade, Foreign Investment, and Industrial
Policy for Developing Countries”, in Handbook of Development Economics, vol. 5,
pp. 4039-4214.
O’Rourke, K., Williamson, J., (1999), Globalization and History : the evolution of a
nineteenth-century Atlantic economy, MIT Press, Cambrigdge, Massachusetts.
Rodrik, D., (2003), In Search of Prosperity : Analytic Narratives on Economic Growth,
Princeton University Press.
Rodrik, D., (2006), “Goodbye Washington Consensus, Hello Washington Confusion ?
A Review of the World Bank’s Economic Growth in the 1990s : Learning from a
Decade of Reform” Journal of Economic Literature vol. XLIV, pp. 973-987,
UNCTAD, (2020), Rapport sur le commerce et le développement, Nations Unis.
Wacziarg, R., (2001), “Measuring dynamic gains from trade”, World Bank Economic
Review, vol. 15. no. 3, pp. 393-429.
Wacziarg, R., Welch, K., (2008), “Trade Liberalization and Growth : New Evidence”,
World Bank Economic Review, vol. 22. no. 2, pp. 187-231.
Deuxième partie

Théories du développement

81
Chapitre 4

Théories Classiques du
Développement

Dans ce chapitre, nous allons passer en revue les principales théories de l’économie
du développement. En suivant la classification développée par Todaro et Smith, nous
allons présenter l’évolution des modèles qui se sont développés après la deuxième guerre
mondiale. Dans le chapitre suivant, nous nous pencherons sur certains modèles développés
ces 20 dernières années.
Pour mettre l’économie du développement dans l’ensemble de la science économique,
il faut se rappeler que l’économie politique classique donne la notion de développement le
sens d’une analyse globale de mécanismes de fonctionnement du marché en liaison avec les
classes sociales qui y participent. Elle comprend les problèmes de production, de réparti-
tion, et d’accumulation des richesses, donc de la distribution du pouvoir entre les groupes
sociaux. Il est question, pour les Classiques, du développement du capitalisme industriel,
qu’ils constatent à leur époque. Ce développement se produit par l’accumulation du capi-
tal, l’élargissement des marchés et la division internationale du travail. Pour Smith, Mill
et Ricardo (les Classiques), le développement est un phénomène naturel : production et
population s’accroissent progressivement tant dans les pays “civilisés” que dans les pays
“arriérés”.
Les premiers économistes du développement (Rosenstein-Rodan, Lewis, Nurske, Ros-
tow, Prebish, etc.) après la deuxième Guerre Mondiale se donnent pour objectif premier la
poursuite de la croissance à long terme dans les pays moins avancés dans une optique de
convergence à long terme des économies. Ils fondent leurs analyses sur un certain nombre
de points communs mais émettent des propositions critiques vis-à-vis de l’approche néo-
classique traditionnelle. Un grand nombre de ces pionniers rejette la théorie néo-classique
des avantages comparatifs comme instrument d’élaboration des politiques commerciales
des pays en développement : la plupart d’entre eux est extrêmement réservée sur la capa-

83
84 CHAPITRE 4. THÉORIES CLASSIQUES DU DÉVELOPPEMENT

cité du commerce international à constituer un moteur de la croissance dans les pays en


développement. L’industrialisation est considérée par la quasi-totalité comme la clé du dé-
veloppement : l’industrialisation ne peut être, par ailleurs, que le résultat de la poursuite
d’un schéma de production et d’exportation de matières premières en échange de biens
manufacturés. La mobilisation des ressources doit impliquer une large intervention de
l’État, compte tenu de l’imperfection des marchés dans ces pays. Au-delà de ces positions
communes, des divergences importantes séparent encore les tenants d’une approche stric-
tement néo-classique de ceux qui s’en éloignent sur les points fondamentaux qui viennent
d’être évoqués.
Les premières approches théoriques sont caractérisées par leur simplicité et le carac-
tère quasi uni-causal des explications et des propositions avancées. Les économistes du
développement travaillent à la fois sur les questions théoriques et sur les questions de po-
litique économique. Le développement doit se traduire par la hausse du revenu par tête et
la croissance doit voir alors ses fruits se répartir sur l’ensemble des individus. La formation
du capital apparaît à nombre de ces pionniers comme une condition de la croissance. La
croissance est considérée comme le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté, car elle
fournit des emplois, des revenus et permet les gens de franchir le seuil de pauvreté.
Justement, la littérature d’après-guerre sur le développement économique a été domi-
née par 4 grands courants de pensée concurrents : (1) L’approche linéaire des étapes de la
croissance ; (2) Les théories du changement structurel ; (3) Les théories de la dépendance
internationale ; (4) La théorie libérale.
Ces 4 grands courants de pensée ont inspiré de manière éclectique les théories contem-
poraines du développement. Avant d’entrer dans le détail de chacun de ces 4 courants,
nous pouvons les synthétiser :

1. La théorie linéaire des phases du développement :


Dans les années 1950 et 1960, le processus de développement est perçu comme
une série d’étapes successives de la croissance économique que devaient connaître
tous les pays. Le développement devient alors synonyme de croissance rapide de
la production agrégée. Une bonne combinaison de l’épargne, de l’investissement et
de l’aide étrangère devait permettre de placer les pays en développement (PED)
sur la même trajectoire de croissance que celle historiquement suivie par les pays
industrialisés (PI).
Les pionniers partagent une vision plutôt interventionniste de l’État, mettent l’ac-
cent sur le rôle déterminant de l’investissement en capital physique et adoptent
généralement une approche linéaire des phases de développement. Cette théorie a
été largement remplacée dans les années 70 par 2 écoles de pensée, idéologiquement
concurrentes : l’approche du changement structurel et la théorie de la dépendance.
4.1. L’APPROCHE LINÉAIRE DES ÉTAPES DE LA CROISSANCE 85

2. La théorie du changement structurel :


Cette approche insiste sur le les schémas de transformation structurelle et utilise
les outils de la théorie néoclassique (NCL) et de l’économétrie pour décrire le pro-
cessus interne de changement structurel de l’économie qu’un PED « typique » doit
traverser s’il veut accéder à une trajectoire de croissance rapide auto-entretenue.
3. La théorie de la dépendance internationale :
Plus radicale et politique, elle analyse le sous-développement en termes de relations
de pouvoir au niveau international et domestique, en termes de rigidités institu-
tionnelles et structurelles, qui se traduisent par la prolifération d’économie et de
société duales, à la fois à l’intérieur et entre les nations du monde. En somme, la
croissance économique en elle-même ne suffit pas à assurer le développement.
La théorie de la dépendance insiste sur les contraintes politiques et institutionnelles
qui pèsent sur le développement économique. L’accent est mis sur la nécessité de
mettre en place des politiques pour éradiquer la pauvreté et réduire les inégalités
de revenu. Elle poursuit des objectifs égalitaires. La croissance en tant que telle
n’a pas le statut que lui accordent les approches linéaires ou structuraliste.
4. L’approche néolibérale :
Cette approche se développe dès les années 6O, prend de l’ampleur dans les années
70 et devient dominante à partir des années 80. Elle insiste sur le rôle bénéfique de
l’ouverture et de la libéralisation des marchés, prône le retrait de l’État et la priva-
tisation des entreprises publiques inefficaces. Selon les tenants de cette approche,
les échecs de développement ne sont pas dus à des rapports d’exploitation externes
ou internes comme le soutiennent les théoriciens de la dépendance. Ils résultent
essentiellement d’une intervention excessive et inappropriée des gouvernements.
Il s’impose au cours des années 80 et 90, avec l’avènement de la contre révolution
NCL ou néolibérale.

L’approche éclectique contemporaine du développement s’est nourrie de toutes ces


perspectives que nous allons passer en revue pour mettre en lumière leurs forces et leurs
limites.

4.1 L’approche linéaire des étapes de la croissance


Ces modèles sont développés après la Seconde guerre mondiale, en même temps que le
Plan Marshall. Quand les économistes ont commencé à s’intéresser aux nations pauvres, ils
ne disposaient pas d’un appareil conceptuel directement applicable pour analyser le pro-
cessus de croissance dans des sociétés essentiellement agricoles dépourvues de structures
86 CHAPITRE 4. THÉORIES CLASSIQUES DU DÉVELOPPEMENT

économiques modernes. Mais ils avaient l’expérience récente du plan Marshall, qui a per-
mis aux pays européens, grâce à une aide financière et technique massive des États-Unis,
de se reconstruire et de se moderniser en quelques années.
La logique et la simplicité de leurs arguments, à savoir l’utilité des injections massives
de capitaux et l’expérience historique des pays industrialisés, ne pouvaient être réfutées
par les théoriciens et les décideurs des pays riches pour qui la réalité concrète des PED se
résumait souvent à de simples séries statistiques. En outre, toutes les nations industrielles
modernes n’avaient-elles pas d’abord été des sociétés agraires non développées ? Cette
expérience ne devait-elle pas inspirer les pays « en retard » d’Asie, d’Afrique et d’Amérique
Latine ?
Les premières approches du développement mettent l’accent sur le rôle central de
l’accumulation du capital (on parle de fondamentalisme du capital) : le développement
est assimilé à la croissance quantitative et le sous-développement est essentiellement vu
comme une sous-accumulation.
Le “sous-développement” est avant tout une sous-accumulation, qu’elle résulte d’un
équilibre suboptimal (cercles vicieux de Nurkse) ou d’une simple retard (étapes de la
croissance de Rostow).

4.1.1 Nurske
Nurske, dans son livre de 1953, “Problems of Capital Formation in Underdeveloped
Countries”, souligne que : “Il existe un faisceau circulaire de forces qui agissent et ré-
agissent les unes sur les autres de telle façon qu’elles maintiennent un pays pauvre dans
un état de pauvreté.”
Pour Nurske, la faiblesse du revenu est à l’origine de blocages qui entretiennent la
situation de sous-développement. Nous pouvons constater dans la Figure 4.1 les trois
canaux de transmission qui sont en liaison avec le régime d’accumulation :

1. Le premier canal est la faible capacité d’épargne qui résulte d’un bas niveau de
revenu, l’insuffisance de l’offre de capital alors conduit à une sous-accumulation
par manque de financement disponible.
2. Le second canal passe par la demande de capital, avec une demande solvable réduite
(peu de perspectives de débouchés pour les producteurs). L’étroitesse du marché
intérieur n’incite pas les entrepreneurs à développer des projets.
3. Enfin, le troisième canal souligne la sous-accumulation de capital humain, qui ne
rend pas possible l’augmentation de la productivité du travail.

Des critiques peuvent être formulées contre les écrits de Nurkse. Ce qu’il avance peut
être difficilement considérée comme une explication du sous-développement, car cela re-
4.1. L’APPROCHE LINÉAIRE DES ÉTAPES DE LA CROISSANCE 87

Figure 4.1 – Source : Wacziarg et Welch (2008)

vient à dire : ils sont sous-développés parce qu’ils sont pauvres, ou inversement. Il s’agit
plutôt d’une explication des difficultés du démarrage dans le contexte des pays les plus
pauvres. Par ailleurs, pour ces sociétés, l’absence d’épargne est discutable comme une de
sources du sous-développement.

4.1.2 Rostow
Basé sur les travaux de l’économiste américain Walt Whitman Rostow 1 , ce premier
courant étudie le développement des pays comme un processus de cinq étapes de croissance
économique :

1. Le stade des sociétés traditionnelles : ce sont les conditions économiques


en Europe au Moyen Âge, avec une agriculture de subsistance, des comporte-
ments d’épargne et d’investissement absents. D’autre part, la féodalité et la religion
bloquent tout changement.

2. Les préalables au décollage (take-off) : les individus s’émancipent, des entre-


preneurs apparaissent. Un arbitrage entre consommation présente et future devient
pertinent et la relation épargne-investissement se matérialise.

3. Le décollage : c’est une phase courte où le processus de croissance auto-entretenue


s’instaure, l’État de droit s’affirme, l’investissement s’élève fortement et le progrès
technique est exploité par la production.

1. Rostow, Walt Whitman, Les étapes de la croissance économique, 1960.


88 CHAPITRE 4. THÉORIES CLASSIQUES DU DÉVELOPPEMENT

4. La production de masse : dans cette une étape de modernisation avec des chan-
gements structurels, de nouvelles techniques de production et de nouveaux secteurs
se développent, le secteur secondaire s’affirme et de mouvements migratoires de la
campagne vers la ville émergent.
5. La maturité et la consommation de masse : dans cette dernière étape, l’indus-
trie de biens de consommation domine et le salariat obtient de meilleures conditions
de rémunération.

La principale condition nécessaire pour le développement économique, à savoir une


forte croissance économique, est une forte mobilisation de l’épargne, domestique comme
étrangère, afin d’augmenter l’investissement qui génère une accélération de la croissance
économique. Pour faire le lien entre investissement et croissance, Rostow s’appuie sur le
modèle de croissance développé par Harrod et Domar.
Le modèle de croissance Harrod-Domar (1939, 1946) est un modèle de croissance key-
nésien traditionnel. Il est expliqué que toute économie doit épargner (i.e. ne pas consom-
mer) une certaine proportion de son revenu national si elle veut remplacer son capital
usagé. Si une économie veut croître, de nouveaux investissement, i.e. une augmentation
du stock de capital, sont nécessaires. Sans épargne, il n’y a pas d’investissement, donc
pas de croissance possible. Ceci est le point de départ de l’ensemble des théories de la
croissance économique.
En effet, pour ces théories, pour qu’une économie se développe, il suffit d’augmenter
l’épargne nationale et l’investissement. Le principal obstacle au développement, selon les
tenants de cette théorie, est le niveau relativement faible de l’accumulation du capital
dans la plupart des pays pauvres dû à une insuffisance de l’épargne (d’où l’importance
d’un Plan Marshall pour les PED avec un volontarisme de l’État).
Néanmoins, cette condition est nécessaire mais pas suffisante. Le plan Marshall a
fonctionné en Europe car les pays recevant de l’aide avaient des institutions, une main
d’ œuvre qualifiée et des marchés financiers développés permettant de s’assurer que le
capital investi soit productif. Toutefois, dans beaucoup de PED, toutes les conditions ne
sont pas remplies. Absence de : (a) Compétences managériales ; (b) Travailleurs qualifiés ;
et (c) la capacité à développer des projets de développement.

4.2 Les théories du changement structurel


Les théories du changement structurel insistent sur le développement comme processus
de transformation des structures : passage d’une économie traditionnelle avec l’agriculture
de subsistance à une économie plus moderne, urbanisée et diversifiée industriellement.
Elles utilisent les outils de la théorie néoclassique des prix et de l’allocation des ressources
4.2. LES THÉORIES DU CHANGEMENT STRUCTUREL 89

et s’appuient sur l’économétrie pour décrire la manière dont se réalise ce processus de


transformation. Nous allons présenter en détail le modèle de Lewis et les schémas de
développement de Chenery.
Le modèle dual de Lewis est devenu la théorie générale du processus de développement
dans les pays du Tiers-Monde sur la période 1960-1970. Il possède une influence considé-
rable, qui perdure encore aujourd’hui. Dans ce modèle, on considère deux secteurs : (1)
Un secteur traditionnel (de subsistance, rural) à productivité marginale du travail nulle
(surabondance de travail), ce qui signifie qu’on peut réduire la main d’ œuvre sans réduire
l’output ; (2) Un secteur moderne (industriel). Le transfert de main d’ œuvre du secteur
traditionnel vers le secteur moderne est la source de la croissance économique.
Dans ce modèle, le développement de l’industrie dépend de l’accumulation du capital
et du taux d’investissement dans le secteur moderne. L’investissement est financé par les
profits du secteur (qui sont entièrement réinvestis). Le niveau de salaire dans le secteur
moderne est supposé constant et plus élevé que le taux de subsistance moyen fixe des
salaires dans le secteur traditionnel.
Quelles sont les implications de ce modèle ? L’accumulation du capital dans l’industrie
est la clef du développement économique. Le travail n’est pas une contrainte (car il existe
une offre infinie dans le secteur traditionnel). Si sont maintenus les salaires bas, cela
augmente les profits et favorise l’industrialisation. Ceci est cohérent avec une taxation de
l’agriculture (ou une politique négligeant ce secteur), sauf qu’une désincitation agricole
peut avoir des conséquences graves (famine), avec un risque de déstabilisation sociale et
d’instabilité politique.
Par ailleurs, quelles sont les limites de ce modèle ? D’abord, une série d’hypothèses
restent non validées : (a) Il n’y a pas de surplus de travail dans l’agriculture ; (b) il existe
une tendance à la hausse des salaires industriels ; (c) le non-réinvestissement des profits
et fuite des capitaux. En outre, l’industrialisation ne réduit pas le dualisme, le transfert
de travail n’est pas proportionnel à l’accumulation du capital et on observe du chômage
urbain. Enfin, l’accumulation du capital peut induire une économie de travailleurs : une
croissance de la production sans hausse de l’emploi (ni hausse de salaire).
Dans les travaux de Chenery (1979), l’analyse des schémas de développement souligne
le processus séquentiel par lequel les structures économique, industrielle et institution-
nelle d’une économie en développement se transforment dans le temps pour permettre
à de nouvelles industries de remplacer l’agriculture traditionnelle comme moteur de la
croissance économique.
L’augmentation de l’épargne et de l’investissement sont une condition nécessaire mais
pas suffisante au développement. En parallèle, il est nécessaire d’avoir des transformations
structurelles au sein de la société, comme la transformation des modes de production, le
90 CHAPITRE 4. THÉORIES CLASSIQUES DU DÉVELOPPEMENT

changement de la composition dans la demande de consommation et la modification de


facteurs socio-économiques (urbanisation, démographie). Pour le développement, il existe
alors une série de contraintes domestiques (les ressources naturelles et les contraintes
institutionnelles), mais aussi des contraintes externes (l’accès aux sources de financement
internationales).
En somme, les différences de développement entre PED s’expliquent largement par ces
contraintes. Contrairement aux premiers modèles linéaires, ces modèles reconnaissent que
les PED font partie d’un système international intégré qui peut promouvoir (mais aussi
freiner) leur développement.

4.3 Les théories de la dépendance internationale


Ces théories vont gagner en crédibilité dans les années 1970 à cause d’un désenchan-
tement vis à vis des modèles linéaires et structuralistes. En effet, à la fin de la décennie
1970, il y a quasi-unanimité pour constater l’échec des stratégies de développement menées
depuis les années 1950.
Les théories de la dépendance internationale ont inspiré les mouvements anti mondia-
lisation et alter mondialistes des années 1980 et 1990 et continuent à avoir de l’influence
aujourd’hui. Pour elles, les PED sont rongés par des rigidités économiques, institution-
nelles et politiques à la fois au niveau national et international. 3 grands courants existent :
(1) le modèle de dépendance néo colonial ; (2) le modèle de faux-paradigme ; (3) et les
thèses du développement dual.

1. Le modèle de dépendance néo colonial :


Ce courant explique l’existence et la pérennité du sous-développement par l’évo-
lution dans le temps d’un système international capitaliste caractérisé par des
relations inégales entre pays pauvres et pays riches. Le mode d’insertion des PED
dans l’économie mondiale a été indéniablement marqué par la colonisation, qui
a également influencé durablement leurs structures productives. Le système mis
en place est alors perpétué par l’élite. En effet, certains groupes dans les PED
(propriétaires terriens, entrepreneurs, militaires, fonctionnaires) qui ont des reve-
nus élevés, un certain statut social et un pouvoir politique, constituent une petite
élite dirigeante dont le principal intérêt, consciemment ou non, est la perpétuation
d’un système capitaliste inégal. Directement et indirectement, ils servent (ils sont
dominés par) des intérêts et sont récompensés (sont dépendants de) par certains
groupes de pouvoir internationaux, notamment les organisations multilatérales et
les institutions financières internationales, qui servent les intérêts des pays capi-
talistes riches. Basé sur une vision “Centre-périphérie”, ce courant insiste sur les
4.3. LES THÉORIES DE LA DÉPENDANCE INTERNATIONALE 91

facteurs externes plus que sur les contraintes internes et préconisent de rompre
avec le système capitaliste par des actions révolutionnaires ou une réforme radicale
du système. Les principaux auteurs sont Samir Amin, Paul Baran, Theotonio dos
Santos, André Gunder Franck, Osvaldo Sunkel, Immanuel Wallerstein.
2. Le modèle de faux-paradigme :
Ce courant explique le sous-développement comme le résultat de mauvaises préco-
nisations d’experts internationaux provenant des pays développés qui sous-estiment
l’importance du rôle des structures sociales traditionnelles (tribus, caste, classe...)
qui existent dans les PED. Les défaillances de marché rendent caducs les modèles
orthodoxes quand ils sont appliqués à la réalité des PED. Également, l’accent est
trop mis sur les mesures quantitatives en négligeant les facteurs institutionnels et
structurels qui déterminent l’applicabilité des modèles. Enfin, les auteurs de ce
courant contestent l’objectif de croissance du PIB.
3. Les thèses du développement dual :
Ces thèses découlent des théories de la dépendance en élargissent la notion de
dualisme développée par Lewis : il existe un dualisme entre les pays riches et
les pays pauvres et un dualisme au sein même des pays en développement où de
petites poches de richesse côtoient la plus grande pauvreté. Le concept de dualisme
correspond à l’existence et à la persistance de divergences importantes et même
croissantes d’une part entre les nations pauvres et les nations riches et d’autre
part entre les riches et les pauvres d’un même pays. Ce courant rompt avec l’idée
d’un rattrapage. Le sous-développement peut persister et les inégalités ont toutes
les chances de s’exacerber. Différentes conditions de vie peuvent coexister dans un
même espace, et cette coexistence n’est pas transitoire mais chronique. En outre,
non seulement les inégalités ne se réduisent pas mais ont une tendance inhérente
à s’accroître. Enfin, ce courant surligne qu’il n’y a pas d’effets d’entraînement du
haut vers le bas : pas de “trickle down effect”. Au contraire, le dualisme “développe
le sous-développement”.
Il existe, à l’intérieur de la thèse du développement dual, un courant structuraliste,
basé sur le développement des théories de Raul Prebisch, Hans Singer & Celso
Furtado (années 1950 et 1960), dans le contexte Latino-Américain (et de la CE-
PAL : Commission Économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes). Pour
ces auteurs, le sous-développement n’est pas une étape dans le processus de dé-
veloppement, mais une phase historique spécifique à certaines sociétés. En outre,
les structures économiques des pays en développement ont été façonnées par le
processus de leur intégration à l’économie internationale. Ces structures sont ca-
ractérisées par une hétérogénéité des conditions de production entre des secteurs
92 CHAPITRE 4. THÉORIES CLASSIQUES DU DÉVELOPPEMENT

intégrés au marché mondial (produisant bien primaires pour l’exportation) et des


secteurs où les techniques sont rudimentaires. L’intégration de ces économies au
marché mondial se manifeste aussi par le fait qu’elles sont aussi façonnées comme
marchés destinés à absorber les produits manufacturés des pays industrialisés. Se-
lon ces auteurs, la thèse de la Détérioration des Termes de l’Echange (DTE)
énonce que les pays qui exportent des produits primaires (comme la plupart des
pays en développement) sont condamnés à importer de moins en moins pour un
niveau donné d’exportations. Singer et Prebisch ont examiné des données sur une
longue période de temps : les termes de l’échange se sont dégradés pour les pays
exportateurs de matières premières entre 1876 et 1938 de près de 60% au profit
des pays exportateurs de produits manufacturés.
D’après Prebisch, ce processus de dégradation des termes de l’échange est dû aux
différences de spécialisation entre les "États du Nord", technologiques, et les "États
du Sud", dont l’économie est basée sur l’exploitation des ressources primaires. Pour
les « États du Sud » non encore industrialisés, les termes de l’échange se dégradent
donc progressivement, ce qui correspond à une réduction du pouvoir d’achat natio-
nal en matière de produits étrangers. En effet, pour une même quantité de matière
première produite et vendue aux "États du Nord", ils ne peuvent acheter au Nord
qu’une quantité de plus en plus réduite de produits manufacturés. Alors, leur com-
merce extérieur devient structurellement déficitaire.
La conséquence de la DTE est une inégalité des taux de croissance et de dévelop-
pement entre le Centre et la Périphérie, avec un biais dans le partage des gains de
l’échange et une différence croissante de revenus en faveur du Centre. La thèse de
la détérioration des termes de l’échange conduit à rejeter le principe des avantages
comparatifs : il faut tourner le dos à la logique des avantages comparatifs. Elle est
le fondement théorique de la stratégie de développement auto-centrée d’Industria-
lisation par Substitution des Importations (ISI) qui sera la plus largement suivie
dans le monde en développement sur la période 1950-1970.

4.4 La théorie libérale


Dans les années 80, avec l’arrivée de gouvernements conservateurs aux États-Unis,
Canada, Grand-Bretagne et en Allemagne de l’Ouest, les thèses des nouveaux classiques
prennent de l’importance et dominent les boards des 2 agences financières internationales
les plus puissantes : le FMI et la Banque Mondiale. Parallèlement, l’influence du BIT, du
PNUD et de la CNUCED, qui représentaient de manière plus équilibrée les points de vue
des pays en développement, s’affaiblit.
4.5. CONCLUSION 93

Ce courant critique l’intervention de l’État qui induit une mauvaise allocation des res-
sources du fait de distorsions de prix et contraintes réglementaires. La solution pour ces
nouveaux classisques est l’ajustement structurel. Les Plans d’Ajustement Structurels
(PAS) sont alors mis en place à partir des années 1980 dans la grande majorité des pays
en développement sous l’égide du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque
Mondiale. Ce corpus libéral est connu sous le nom de Consensus de Washington », expres-
sion popularisée par J. Williamson. Le mots d’ordre est le libre marché, la dérégulation et
la privatisation. Il fournit les fondations pour la création du Consensus de Washington,
appuyé sur des auteurs comme Bela Balassa, Jagdish Bhagwati, Anne Krueger.
Ce courant est basé selon le modèle d’équilibre général walrasien qui constitue le cadre
de référence ultime des économistes libéraux. Dans ce modèle, l’équilibre de marché est
optimal au sens de Pareto, l’intervention de l’État n’est ni nécessaire, ni souhaitable ;
au contraire elle est nocive car elle engendre une sous-optimalité, i.e. des gaspillages de
ressources. Cette théorie se fonde sur la croyance de la magie du système de marché, de
la main invisible des prix de marché pour guider l’allocation des ressources et stimuler le
développement économique.
Ce courant peut avoir 3 approches distinctes :
1. Libre marché : seuls les marchés sont efficients : il faut privatiser et ouvrir le
pays. Les imperfections des PED sont sans conséquence.
2. Public choice : Les gouvernements ne peuvent rien faire de bien. Leur intervention
résulte que dans une mauvaise allocation de ressources et d’une réduction générale
des libertés individuelles.
3. Market-friendly (années 90) : cette dernière approche reconnaît les imperfec-
tions de marché. Le rôle à jouer de l’État est de faciliter le fonctionnement des
marchés par des interventions non sélectives.
Enfin, la théorie libérale s’appuie sur le modèle de croissance néoclassique de Solow
pour affirmer la supériorité du libre-échange comme stratégie de développement. En effet,
dans le modèle de Solow, l’ouverture des marchés nationaux au commerce de biens et
de titres financiers permet d’accroître l’investissement domestique et étranger et donc
d’accroître le taux d’accumulation du capital. En termes de croissance, l’ouverture a les
mêmes effets qu’une augmentation du taux d’épargne domestique : elle permet d’accroître
le capital par tête et le revenu par tête.

4.5 Conclusion
Nous avons rapidement vu, dans ce chapitre, diverses analyses des causes du sous-
développement (contraintes internes vs contraintes externes). En bref, nous pouvons ob-
94 CHAPITRE 4. THÉORIES CLASSIQUES DU DÉVELOPPEMENT

server qu’il n’existe pas de paradigme unique et des théories irréconciliables.


Chapitre 5

Théories Contemporaines du
Développement

Dans ce chapitre, nous allons passer en revue quelques unes des principales théories
contemporaines de l’économie du développement, en faisant un rappel historique. A la
fin, nous allons étudier les pratiques du développement qui ont suivi les différentes théories
étudiés dans le chapitre précédent comme dans la section suivant de ce chapitre.
Alors, pourquoi des théories contemporaines ? Nous avons fini le chapitre précédent
par la constatation que plusieurs théories existent sans qu’on puisse dégager un consen-
sus. Par ailleurs, les résultats des théories, surtout lors de l’application de politiques du
développement, n’étaient pas satisfaisants.
En outre, nous constatons que le développement économique est possible (cf. Asie
de l’Est) mais qu’il est plus difficile qu’on ne le pensait (Afrique Sub-Saharienne). Les
nouvelles théories du développement mettent l’accent sur ces difficultés et les moyens
à mettre en œuvre pour les surmonter. Ces théories influencent déjà les politiques de
développement et les nouvelles approches (cf. growth diagnostics que nous allons étudier
dans le chapitre 7). Elles prennent en compte les enjeux de la coordination entre agents
(entreprises, salariés...), les externalités, la possibilité de rendements croissants et le rôle
de l’information et des connaissances. Enfin, ces nouvelles théories intègrent souvent les
apports de l’économie néo-institutionnelle.

5.1 Croissance endogène


Par rapport au modèle de croissance endogène, il faut se souvenir des limites de la
théorie néo-classique traditionnelle de la croissance (modèle de Solow) : il n’y a pas d’ex-
plication du progrès technique. Le modèle est incapable d’expliquer la croissance à long-
terme en l’absence de chocs extérieurs ou de changements technologiques non expliqués

95
96 CHAPITRE 5. THÉORIES CONTEMPORAINES DU DÉVELOPPEMENT

par le modèle. Le résidu de Solow est pourtant responsable d’environ 50% de la crois-
sance historique des pays industrialisés ! En outre, le modèle est incapable d’expliquer les
différences importantes des résidus de Solow entre pays ayant des technologies similaires.
L’essentiel de la croissance est imputé à un processus de progrès technique exogène et
indépendant de la trajectoire de l’économie.
Pourquoi le modèle de Solow n’a pas réussi à expliquer la croissance dans les PED ?
Selon la théorie néo-classique, les faibles ratio de capital par tête dans les PED promettent
des taux de rendement de l’investissement exceptionnellement élevés. La libéralisation
mise en œuvre dans les pays très endettés sous les institutions financières internationales
aurait donc dû se traduire dans ces pays par une augmentation de l’investissement, une
productivité croissante et une amélioration des conditions de vie. Or, après la libéralisation
du commerce de biens et capitaux, la croissance n’a pas augmenté (elle a même souvent
diminué), les flux d’IDE n’ont pas augmenté et les fuites de capitaux n’ont pas été enrayées.
Ce constat empirique a conduit au renouvellement de la théorie néo-classique (NCL) de
la croissance sur la base du concept de croissance endogène.
Les articles pionniers de la croissance endogène sont :
— Romer (1986) : croissance endogène avec capital physique
— Lucas (1988) : croissance endogène avec capital humain
— Barro (1990) : croissance endogène avec capital public
Par ailleurs, la croissance endogène est définie comme l’augmentation durable du PIB,
déterminée par le système gouvernant le processus de production plutôt que par des forces
extérieures au système.
Ces modèles s’appuient sur les outils de la théorie NCL mais reposent sur des hypo-
thèses différentes et ont donc des implications différentes. La différence essentielle est la
remise en cause de l’hypothèse standard de productivité marginale décroissante du ca-
pital et l’introduction de l’hypothèse de rendements d’échelle croissants au niveau de la
production agrégée, du fait de la présence d’externalités.
Dans cette section nous allons seulement faire la présentation (synthétique) de l’ar-
ticle de Romer, particulièrement important pour les PED car analysant les spillovers de
technologie dans le processus d’industrialisation.
Le modèle de Romer (1986) fait reposer la croissance endogène sur les retombées
technologiques (technological spillovers). Cela signifie que les gains de productivité d’une
firme ou d’une industrie améliorent également la productivité dans les autres firmes ou
industries. Il y a alors d’avantage de bénéfices des intrants pour compenser les rendements
décroissants.
Ce modèle est basé sur les externalités, qui sont le résultat des effets d’apprentissage
(learning by doing). En effet, l’accumulation du capital par une entreprise a un impact
5.2. DÉFAILLANCES DE COORDINATION 97

positif (externalité) sur la productivité des autres entreprises. La conséquence est que nous
observons des rendements constants au niveau de l’entreprise et des rendements croissants
au niveau macroéconomique. Contrairement au modèle de Solow, cette nouvelle théorie de
la croissance explique le progrès technique comme le résultat endogène des investissements
publics et privés en capital humain et dans les industries intensives en connaissances.
Bien sûr que cette théorie comporte de limites. Elle ne prend en compte qu’un seul
secteur de production, ce que n’explique pas la dynamique des changements structurels
à l’œuvre dans le développement. Il n’y a pas, non plus, d’imperfections des marchés des
biens ou des facteurs, donc une applicabilité limitée de ce modèle pour les PED. Enfin, le
modèle de Romer explique ni les différences de sous-utilisation des facteurs de production
(chômage), ni les problèmes d’incitation à l’investissement. Le modèle se concentre sur le
long-terme et est peu prédictive sur le court-terme.

5.2 Défaillances de coordination


Une autre série de modèles a été développé en se basant sur les défaillances de coordi-
nation. L’incapacité des agents à coordonner leurs choix et comportements aboutit à une
situation sous-optimale par rapport à une situation où la coordination est possible.
Même si les agents sont informés des gains de bien-être qu’ils peuvent obtenir en
choisissant l’équilibre coopératif, ils peuvent ne pas le faire soit parce qu’ils ont des pré-
férences différentes, soit parce que chacun a intérêt à ce que l’autre agisse le premier.
Prenons l’exemple des travailleurs qualifiés. Il existe une complémentarité entre les entre-
prises employant des travailleurs qualifiés et la disponibilité de travailleurs qualifiés. D’une
part, une entreprise ne s’implantera pas sur un marché où elle ne peut pas embaucher de
travailleurs qualifiés. D’autre part, les travailleurs n’investiront pas pour se qualifier s’il
n’y a pas de débouchés en termes d’emplois. Une situation de ce type peut débaucher sur
un équilibre sous-optimal.
Ces problèmes de coordination apportent une nouvelle justification à l’intervention de
l’État pour organiser les complémentarités et impulser de nouveaux marchés. Il existe
donc une justification pour une intervention massive de l’État dans les premières étapes
du développement (pour assurer d’atteindre l’équilibre coopératif). Puis, l’État peut se
reconcentrer sur ses missions fondamentales (santé / éducation) quand les agents n’ont
plus intérêt à revenir à l’équilibre antérieur. En conséquence, les complémentarités néces-
sitent une certaine agglomération mais il peut devenir contre-productif dès lors que cela
se transforme en congestion. Ce dernier phénomène n’est rien d’autre qu’une autre exter-
nalité (négative cette fois). Enfin, le sous-développement nourrit le sous-développement,
alors qu’une fois initié, le développement soutient le développement.
98 CHAPITRE 5. THÉORIES CONTEMPORAINES DU DÉVELOPPEMENT

Généralement, ces modèles peuvent être traduits graphiquement par une fonction en
forme de S, comme dans la Figure 5.1. La courbe est en S : car que le rendement de
l’investissement individuel dépend positivement du niveau moyen de l’investissement dans
l’économie.

Figure 5.1 – Courbe en S lors des modèles de défaillance de coordination

5.3 Big Push (révisé et formalisé)


Dans cette section nous allons passer en revue le modèle (révisé et formalisé) du Big
Push. Ce modèle résulte que les défaillances des marchés rendent nécessaires l’intervention
publique : donc un “big push”. L’argument a été initialement formulé par P. Rosenstein-
Rodan (1961), et démontré pour la première fois formellement par Murphy, Shleifer et
Vishny (1989) puis Krugman (1995).
Comment démarrer l’industrialisation dans une économie de subsistance ? D’abord,
l’implantation d’un industriel dépend de celle des autres (du fait de coûts fixes et des
débouchés qui dépendent de l’existence d’un salariat). Les coûts fixes sont supportés
d’autant plus facilement que le salariat est développé (présence d’autres industriels) et
que les coûts fixes sont faibles.
Donc, cette théorie pose la question de savoir pourquoi il est si difficile de lancer un
processus de croissance moderne ? Comme nous avons vu, les théories classiques utilisent
5.4. THÉORIE DU O-RING 99

des marchés compétitifs au sein desquels il est difficile d’expliquer ces difficultés (si le
capital humain, le transfert de technologie et les infrastructures sont fournis par l’État).
Mais les individus peuvent ne pas avoir d’incitations suffisantes pour adopter ces nouvelles
technologies. L’hypothèse de concurrence pure et parfaite ne tient pas avec les rendements
croissants. En outre, les imperfections de marché rendent le décollage plus difficile (exter-
nalités pécuniaires, définies comme des spillovers sur les coûts ou les revenus).
La conclusion de ces formalisations est qu’il n’est pas nécessaire que tous les secteurs
s’industrialisent pour créer une impulsion suffisante. Il faut qu’un nombre suffisant de
secteurs se modernisent afin de générer suffisamment de revenus (via des salaires plus
élevés et des profits positifs du secteur moderne) pour rendre l’industrialisation juste
profitable.

5.4 Théorie du O-ring


Le modèle du “O-Ring”, créé par Michael Kremer (1993) fournit des réponses assez
importantes aux problèmes de trappes à pauvreté 1 . Le principal argument est qu’une
condition majeure de la production des biens modernes (à haute valeur ajoutée) est la
mise en place de séries d’activités réalisées de manière correcte et ensemble. Le nom de
ce modèle fait référence à un composant de la navette spatiale Challenger. En 1986, la
panne de ce composant sans importance (et bon marché) a été à l’origine de l’explosion
de la navette.
Le modèle O-ring a comme principal atout la formalisation de la production, à savoir,
la prise en compte des complémentarités entre les entrants (inputs). Une des principales
caractéristiques de la fonction de production utilisée dans le modèle O-ring est le “posi-
tive assortative matching”. Cela signifie que les meilleurs travailleurs avec les meilleures
capacités (skills) travaillent ensemble, tandis que les travailleurs avec des capacités moins
élevées vont rester travailler entre eux. Par conséquence, ce type de “matching” conduit à
ce que les biens à très fortes capacités soient produits dans les économies qui disposent de
grandes capacités, et à ce que tout le monde veut travailler avec des collègues plus pro-
ductifs. Les principales implications de ce modèle sont : (a) une économie peut être prise
dans un piège de production de biens avec des faibles qualités ; (b) le modèle magnifie les
effets de goulot d’étranglement du fait de la complémentarité des entrants ; (c) les goulots
d’étranglement de la production locale réduisent les incitations à accumuler des “skills”
par les travailleurs du fait d’une diminution du rendement espéré de ces investissements.

1. Une trappe à pauvreté est un concept en économie du développement qui définit une situation
dans laquelle un agent économique (famille ou nation, par exemple) est enfermé dans un équilibre de
sous-développement et pauvreté. Cet équilibre crée un cercle vicieux qui a pour conséquence que les
générations futures soient aussi prises dans cette trappe (ou piège).
100 CHAPITRE 5. THÉORIES CONTEMPORAINES DU DÉVELOPPEMENT

5.5 Réflexions sur ces théories


Certains des modèles étudiés dans ce chapitre montrent que des décisions inefficaces
socialement peuvent être individuellement rationnelles. Dans certains cas, les firmes et les
agents économiques seront capables de se coordonner pour atteindre un meilleur équilibre
mais, dans de nombreux cas, l’intervention publique et l’aide internationale seront néces-
saire pour surmonter les cercles vicieux du sous-développement et amener à l’équilibre
haut.
Le propos de l’économie du développement est non seulement de comprendre le sous-
développement mais aussi de dessiner des politiques appropriées pour en sortir. L’analyse
montre que les défaillances de marché sont bien plus importantes que l’analyse tradi-
tionnelle ne le considérait, elles ne se limitent pas aux cas de monopole naturel et aux
externalités. Les défauts de coordination peuvent avoir des effets considérables et des
coûts bien plus élevés, ce qui rend l’action gouvernementale et ses bénéfices potentiels
plus importants.

5.6 Théories et Pratiques du Développement


Dans cette section, nous allons étudier des pratiques historiques du développement.
Effectivement, les théories (économiques) du développement ont influencé les pratiques
du développement (et vice-versa). Ainsi il est important d’avoir une vision historique de
ces politiques (pratiques).
Dans les années 60, le développement est assimilé à l’industrialisation. L’accent était
alors porté sur les politiques susceptibles d’accélérer la croissance du secteur industriel
à partir d’une économie primaire. Ces politiques prônaient une intervention poussée de
l’État, mais les avis différaient sur la stratégie d’industrialisation à adopter. A partir des
années 80, le développement est assimilé au bon fonctionnement du marché. La mise en
pratique assez standardisée des politiques baptisés par la suite de “Consensus de Washing-
ton” met en place un environnement incitatif tout à fait différent. Pendant ce temps, les
économies asiatiques connaissent un essor fulgurant, avec des stratégies de développement
(originales), faisant jouer au marché un rôle important, mais très encadré. La période qui
commence à la fin des années 80 porte sur la lutte contre la pauvreté puis la croissance
inclusive et durable.

5.6.1 L’État comme moteur


Dans cette optique, le cadre du développement est essentiellement impulsé par les
investissements publics dans des économies protégées. Les controverses ont concerné les
5.6. THÉORIES ET PRATIQUES DU DÉVELOPPEMENT 101

stratégies d’industrialisation : faut-il des secteurs moteurs ou doit-on développer tous les
secteurs en même temps ?

ISI

L’industrialisation par substitution d’importations (ISI) consiste à produire sur place


(dans un pays en développement) des produits auparavant importés. La simple observation
des produits importés fournit aux investisseurs potentiels une étude de marché gratuite.
L’ISI a constitué la base d’un remarquable dynamisme (surtout en Amérique Latine),
avant de se bloquer.
Le développement d’une industrialisation tournée vers le marché intérieur se heurte
à la faiblesse des marchés intérieurs et à la domination politique d’un petit groupe de
commerçants exportateurs-importateurs (partisans du libéralisme économique). Cette do-
mination est un frein très efficace à toute tentative de production locale, notamment dans
les petites économies.
En outre, des chocs peuvent modifier la profitabilité relative de l’importation et de la
production locale : par exemple, les dévaluations, l’augmentation de la protection ou le
rationnement des devises. Dans le cadre de l’ISI, ces modalités de protection permettent de
lancer des activités tournées vers le marché intérieur pour remplacer les importations, en
commençant par les productions faiblement capitalistiques. Dans l’après seconde Guerre
Mondiale, la CEPAL propose de faire de ce processus spontané une véritable stratégie
d’industrialisation. L’idée est d’ajouter, avec une implication de l’État via les entreprises
publiques, une “remontée des filières” vers les industries lourdes.
Quelles sont les critiques et les limites de l’ISI ? D’une part, elle a été critiquée pour ses
faibles performances externes et les protections qu’elle risque de perdurer, ainsi que pour
son impact sur le marché intérieur et sur la structure sociale qu’elle engendre. D’autre
part, il y a rarement un gain substantiel de devises car il existe une substitution des im-
portations par d’autres importations, avec la nécessité des intrants et biens d’équipements
importés. D’ailleurs, l’ISI peut conduire à un déficit de la balance de paiements parce que
les exportations de produits primaires croissent rarement assez vite pour contrebalancer
la croissance des importations.
D’autres critiques ont mis l’accent sur le fait que l’ISI peut s’analyser sur le plan de
l’économie politique comme une recherche de rente (rent-seeking). Beaucoup d’entreprises
tournées vers le marché intérieur ne font pas d’effort pour devenir compétitives au niveau
international ; elles se contentent de rechercher les rentes que procurent les taux de protec-
tion élevés. Sur le plan interne, l’ISI se développe pour satisfaire la demande de couches
qui disposent d’un pouvoir d’achat. L’ISI vise ainsi un marché étroit et n’arrive pas à
développer le marché de masse.
102 CHAPITRE 5. THÉORIES CONTEMPORAINES DU DÉVELOPPEMENT

L’ISI a été beaucoup critiqué par beaucoup d’économistes et de politiques, même si


certains groupes continuent de défendre ces types de stratégie.

Croissance équilibrée

Les défenseurs de la croissance équilibrée se posaient la question de comment briser


le cercle vicieux “faible niveau de vie, faible investissement et croissance lente” ? Pour
eux, le véritable problème est de qu’un investissement isolé ne fera pas de miracle. En
l’absence de coordination a priori des agents décentralisés, chaque entrepreneur n’investira
que si les autres investissent. Ainsi il est nécessaire de développer un mécanisme capable
de coordonner les anticipations des investisseurs décentralisés.
Pour ces auteurs, l’État peut jouer ce rôle, mais ne doit pas forcément investir lui-
même. Son rôle est de promouvoir les économies externes, en coordonnant les décisions de
manière à investir dans un grand nombre de secteurs à la fois. Ainsi, chaque production
nouvelle sera absorbée par la demande créée par les revenus distribués par les autres
investissement : la loi de Say fonctionnera si un grand nombre d’entreprises sont créées
simultanément et si la répartition sectorielle de l’investissement respecte le modèle de
consommation.
C’est ce que l’on nomme croissance équilibrée : tous les secteurs croissent ensemble
à des taux relativement proches. Le principal problème est que cela suppose un investis-
sement massif, dans un grand nombre de secteurs à la fois. Par ailleurs, ce type d’action
peut rejeter plus ou moins la spécialisation du pays selon ses avantages comparatifs, car
il développe tous les secteurs en même temps.
Ce type de stratégie a été connu comme La Grande Poussé (Big Push). Selon ses
pionniers (Nurske et Rosenstein-Rodan), “Pour avoir la moindre chance de réussir... il faut
consacrer un minimum de ressources à un programme de développement. Lancer un pays
dans une croissance auto-entretenue c’est un peu comme faire décoller un avion. Il faut
atteindre une vitesse critique au sol avant que l’appareil puisse décoller.” Ainsi, il ne suffit
pas que quelques usines soient installées, il faut que l’industrialisation se fasse sur plusieurs
fronts en même temps, pour que chaque nouvelle industrie profite du développement
simultané des autres.

Croissance déséquilibrée

A l’inverse, d’autres économistes ont mis l’accent sur l’importance d’accorder la priorité
à des secteurs moteurs (comme la Révolution Industrielle en Europe avec sidérurgie et
textile). Les premiers théoriciens sont A. Hirschman (1958) et François Perroux (1962).
Cette approche des économies “sous-développés” s’effectue en termes de désarticulation
de leur fonctionnement. Elle se base sur le fait que les filières de production dans les pays
5.6. THÉORIES ET PRATIQUES DU DÉVELOPPEMENT 103

en développement ne sont pratiquement pas reliées entre elles, ce qui fait que l’essentiel
de la demande d’intrants est satisfait par l’importation. Il faut par ailleurs tirer profit des
techniques modernes qui engendrent des économies d’échelle. Enfin, faute de production
d’intrants et de biens d’équipement, une croissance rapide risque de déboucher sur une
déficit massif de la balance commerciale.
Le concept de base dans cette approche est l’effet d’entraînement. On distingue des
effets d’entraînement amont et aval. Dans une filière de production (ensemble des activi-
tés qui concourent à l’élaboration d’un même bien ou service), les effets sont dits avals
lorsqu’ils concernent des activités qui se déroulent entre l’activité considérée et le produit
final, amont dans le cas opposé. Il s’agit de progresser par déséquilibres successifs, de
manière à créer une dynamique de production. La bonne politique sera donc celle qui
maximise ces effets d’entraînement, en concentrant l’investissement sur le plan sectoriel
ou géographique (pôle de développement). Les secteurs entraînants ne sont pas les mêmes
dans toutes les situations, géographiques et historiques. Pour les connaître, on peut étu-
dier le tableau ressources emplois ou la matrice de comptabilité nationale. Il suffirait alors
d’investir de manière appropriée dans le secteur qui maximise la croissance, en faisant un
“noircissement” progressif de la matrice d’échange industrielle, avec un jeu de multiplica-
teurs.
Mais ce type de politique a eu une mise en œuvre problématique : malgré des inves-
tissements considérables, les résultats ont été décevants, dans un contexte d’étatisation
rigide de la plupart de secteurs concernés par la stratégie et une concentration des in-
vestissements sur les industries lourdes. Ces stratégies exigent une programmation très
stricte pour que les étapes s’enchaînent correctement. Par exemple, l’accent mis sur la si-
dérurgie a eu pour conséquence un résultat faible en termes de créations d’emplois directs
et indirects. En effet, ce type de politique repose plus sur des considérations d’indépen-
dance politique que sur une approche économique. En sacrifiant certains secteurs, cette
stratégie aboutit parfois à une dépendance renouvelée (cas de l’Algérie qui est devenue
importatrice de produits alimentaires).

5.6.2 Le PAS
A partir des années 80, la vague libérale atteint les institutions internationales (créées
à Bretton Woods). Les pays en développement, frappés par les chocs pétroliers, sont
soumis à des programmes d’ajustement structurel (PAS), pour financer leurs déficits. Les
principes traits seront baptisés ultérieurement de “Consensus de Washington”. Prenant
le contre-pied des politiques menées jusque-là, souvent fondées sur une forte intervention
publique et protectionnisme, les institutions de Bretton Woods (Banque Mondial, FMI)
se sont lancées dans la promotion d’un modèle fondé sur le libre jeu des marchés et la
104 CHAPITRE 5. THÉORIES CONTEMPORAINES DU DÉVELOPPEMENT

libération des initiatives privées, à travers les Plans d’Ajustement Structurel. Les PAS
étaient fondés sur l’idée que le principal obstacle au développement était le mauvais
fonctionnement des marchés internes et la faible connexion des marchés internes au marché
international.
Les PAS avaient un diagnostic à deux niveaux. Le premier concernait les déséqui-
libres (de balance de paiements, budgétaires) qui exerçaient des effets défavorables sur le
fonctionnement de l’économie (effet d’éviction de l’investissement privé, par exemple). Le
second portait sur les distorsions : de nombreuses interventions publiques contrarient le
libre jeu de l’offre et de la demande (niveau élevé des droits de douane, fixation des prix
administrés à des niveaux arbitraires (taux de change, taux d’intérêt)). La propriété pu-
blique des entreprises du secteur marchand était également considérée comme une source
d’inefficacité.
Quelles ont été les principales mesures du PAS pour relancer la croissance et améliorer
la redistribution des revenus, avec un retour à la soutenabilité de la dette extérieure ? (1)
Une ouverture vers l’extérieur, avec la réduction des obstacles tarifaires et non tarifaires
aux échanges de marchandises, et la libéralisation du compte de capital ; (2) la libérali-
sation des prix, y compris les taux d’intérêt et le taux de change ; (3) la libéralisation du
marché du travail, de manière à laisser les salaires se fixer à partir du marché, et aussi
la réduction des obstacles aux licenciements et à l’embauche ; (4) les privatisations et
le recentrage de l’État sur ses fonctions régaliennes. Le financement des infrastructures
devraient alors se faire par les partenariats publics-privés ; (5) la réduction des dépenses
publiques et des efforts pour augmenter la pression fiscale (introduction de la TVA) tout
en réduisant les distorsions (simplification des droits de douane) ; (6) et enfin les politiques
monétaires restrictives et la libéralisation complète des marchés financiers.
Quels ont été les résultats de ces politiques en termes d’équilibre et de croissance
macroéconomiques ? On a observé des résultats positifs en termes de réduction de déficits
publics, de balance de paiements et de réduction de l’inflation, mais avec un coût social
élevé. Cependant, et peut être le plus important, l’impact en termes de croissance a été
négatif (on appelle la décennie perdue en Amérique Latine), sans retour à la solvabilité
extérieure. Sur la croissance, une baisse de la demande effective a été observé ainsi que des
échecs des diversification des exportations, avec même des épisodes de désindustrialisation
(Sénégal). En bref, beaucoup de pays l’ont mis en place, mais il reste toutefois difficile
de dresser un bilan objectif du fait des problèmes de comparaison entre pays, la politique
publique, etc.
Et l’effet des PAS sur la lutte contre la pauvreté ? On n’a pas observé d’impact négatif
sur la pauvreté mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu d’impact négatif sur certains
groupes sociaux. Par exemple, les dévaluations ont fait augmenter les prix agricoles, la
5.6. THÉORIES ET PRATIQUES DU DÉVELOPPEMENT 105

réduction de dépenses publiques (éducation, santé) a directement touché certaines popu-


lations les moins favorisées. La réaction des institutions de Bretton Woods aux critiques
des PAS a poussé la Banque Mondiale à mettre en place un programme pour la lutte
contre la pauvreté. Justement, au milieu des années 1990, la lutte contre pauvreté devient
leur priorité.

5.6.3 L’émergence des économies asiatiques


L’émergence économique des pays asiatiques n’avait été prévue par personne. Les po-
litiques suivies par ces pays ont mélangé habilement certains aspects orthodoxes avec des
aspects hétérodoxes. Quelles ont été ces politiques ? (1) D’abord, une vision de long terme
axée sur l’industrialisation, en commençant par le textile, l’électroménager, puis vers l’in-
dustrie lourde ; (2) une orientation vers le marché extérieur ; (3) un taux d’épargne et un
taux d’investissement élevés ; (4) le rôle important joué par l’État (coordination et promo-
tion des secteurs prioritaires) ; (5) une ouverture commerciale sélective et prudente ; (6)
la généralisation d’une formation de base de qualité et l’accumulation de capital humain ;
(7) une inégalité des revenus limitée ; (8) et enfin une flexibilité remarquable : la création
de nouvelles activités et le désengagement des activités intérieures.
Parmi les moyens utilisés pour implémenter ces politiques, nous pouvons citer notam-
ment une gestion du taux de change, des importantes subventions directes et indirectes. En
outre, il faut souligner que ces dynamiques se sont déroulées dans des contextes très peu
démocratiques et avec une forte corruption. Concernant les résultats, ont été observées :
des taux de croissance très élevés, malgré une baisse des termes de l’échange, une forte
augmentation de l’industrialisation et une diversification de la production, mais conjuguée
avec une dépendance vis-à-vis de la conjoncture internationale, des taux de salaires faibles,
mais avec un pouvoir d’achat croissant, le démarrage étant fait sans protection sociale,
même si une classe moyenne s’est développée. Ces succès ont eu pour conséquence de faire
ressurgir des questions de politiques économiques du développement : faudrait-il faire du
protectionnisme et surtout sur les industries naissantes ? Faut-il faire des politiques du
type ISI ? Faut-il faire une politique industrielle ?

5.6.4 Les nouvelles stratégies politiques de développement


A partir de 1999, la lutte contre la pauvreté est devenue la référence pour les institu-
tions de Bretton Woods, ce qui a été assez surprenant pour le FMI. En outre, ont été fixés
des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), qui nous allons étudier dans
le chapitre suivant. Ce “Nouveau consensus de Washington” est basé sur plusieurs points :
(1) La stabilité économique est un pré requis pour la croissance réductrice de la pauvreté ;
106 CHAPITRE 5. THÉORIES CONTEMPORAINES DU DÉVELOPPEMENT

(2) la libéralisation économique doit être progressive ; (3) il faut faire la promotion des
exportations (au lieu de la réduction de la protection) ; (4) il est important de faire un
recentrage des dépenses publiques sur celles qui contribuent à la lutte contre la pauvreté ;
(5) il faut assurer l’accès des pauvres aux actifs de base (terre, capital humain, crédit) ; (6)
il faut développer la protection contre les risques ; (7) l’aide publique au développement
(APD, sujet du prochain chapitre aussi) doit être plus ciblée sur la pauvreté et mieux
coordonnée ; (8) il faut attribuer un rôle important à l’État en tant que fournisseur des
services publics de qualité, en mettant en place les infrastructures de base et en favorisant
l’accumulation de capital humain.
L’objectif de ces politiques est d’emmener une croissance pro-pauvre. Ce qu’on appelle
la “croissance pro-pauvre” est spécifique, car une croissance rapide du revenu par tête
peut ne pas suffire à réduire la pauvreté. La croissance est dite pro-pauvre lorsque les plus
pauvres bénéficient plus que les autres des fruits de la croissance (donc avec réduction des
inégalités de revenus), et lorsque la croissance entraîne une réduction de l’incidence de la
pauvreté. Même si on reconnaît que la croissance réduit à terme la pauvreté, l’approche
de la croissance pro-pauvre se justifie donc par le fait que l’impact de la croissance sur
la réduction de la pauvreté pourrait être accru pour un taux de croissance donné. Cet
accroissement dépend probablement autant du type de croissance que des mesures prises
pour en distribuer les fruits. Enfin, d’autres politiques ont été menées ensemble avec la
stratégie croissance pro-pauvre, comme les politiques de bonne gouvernance, la promotion
des femmes, les transferts conditionnels (et aussi inconditionnels) et enfin la micro-finance.
Troisième partie

Politiques du développement

107
Chapitre 6

Les OMD et l’aide au développement

Dans ce chapitre, nous étudions les 8 Objectifs du Millénaire pour le Développement


(OMD), fixés de 2000 à 2015, ainsi que leur mise à jour, appelé Objectifs de Développement
Durable (ODD), en cours depuis septembre 2015. Ensuite, nous étudions l’aide publique
internationale au développement (APD).
L’ensemble des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) forment un
plan approuvé par toutes les grandes institutions mondiales de développement et par
tous les pays en 2000. Nous avons vu dans le chapitre précédent l’évolution historique des
politiques du développement qui a abouti à ce type de programme. Les OMD ont galvanisé
des efforts sans précédent pour répondre aux besoins des plus pauvres dans le monde. Ici,
nous allons présenter chaque objectif en se basant sur des statistiques du dernier rapport
des Nations Unis (2015). Les ODD seront étudiés basé sur le rapport des Nations Unis
(2018).
L’aide au développement est un des enjeux majeurs des politiques incitatrices au dé-
veloppement économique. L’aide est importante pour plusieurs raisons : (A) elle pourrait
augmenter la croissance économique ; (B) elle pourrait diminuer la pauvreté ; (C) elle
pourrait améliorer ou augmenter le commerce international ; (D) elle pourrait stabiliser
politiquement et économiquement les pays fragiles ; (E) elle pourrait même en finir avec
les conflits civils ; et (F) elle pourrait réduire avec les problèmes de santé publique.
Y-a-t-il alors un réel effet de l’aide au développement sur la croissance économique ?
Afin de répondre à cette question (et le débat qu’elle suscite), il faudra d’abord bien dé-
finir ce que sont l’aide et ses modes de fonctionnement. Au-delà des envois de fonds de
l’étranger par les migrants (appelés remmittances) et les investissements directs à l’étran-
ger, l’aide au développement constitue une des sources majeures de devises étrangères
pour les pays les moins avancés. Après la seconde Guerre Mondiale et jusqu’au début des
années 1990, l’aide au développement était la principale source de financement pour les
pays en développement. Cela est d’autant plus vrai pour les pays à faible revenu, qui ne

109
110 CHAPITRE 6. LES OMD ET L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT

réussissent pas à attirer des investissements privés.

6.1 Objectifs du Millénaire pour le Développement

6.1.1 Objectif 1 : Réduire l’extrême pauvreté et la faim


La première cible de cet objectif est de réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la
proportion de la population dont le revenu est inférieur à un dollar par jour. La cible OMD
a été atteinte, mais 1,2 milliards de personnes continuent de vivre dans l’extrême pauvreté.
La deuxième cible est celle d’assurer le plein-emploi et la possibilité pour chacun, y compris
les femmes et les jeunes, de trouver un travail décent et productif. Cela est difficile avec
la crise et le ralentissement de la croissance économique, qui se traduit par des pertes
continues d’emplois, les jeunes étant les principales victimes de la crise. Finalement, la
troisième cible de cet objectif est de réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion
de la population qui souffre de la faim. La réduction de la faim peut être aujourd’hui a
été contrainte par la crise économique récente.
Nous pouvons voir l’évolution de la réduction de la faim dans la Figure 6.1. Depuis
la crise économique de 2008, le nombre de personnes sous alimentés a diminué, mais
moins fortement que dans les années précédentes. Cela est également lié au pic des prix
alimentaires dans les années 2007 et 2008, mais aussi à quelques événements climatiques
majeurs qui ont touché fortement les individus les plus exposés.

6.1.2 Objectif 2 : Assurer l’éducation primaire pour tous


La seule cible de cet objectif est qu’entre 2000 et 2015, tous les enfants, garçons et
filles partout dans le monde, auraient les moyens de terminer un cycle complet d’études
primaires. Selon le rapport des Nations Unis (2015), les progrès ont été irréguliers depuis
1990. Entre 1990 et 2000, le taux de scolarisation dans les régions en voie de développement
est passé de 80% à seulement 83%. Après 2000, les améliorations se sont accélérées, et
le taux net ajusté de scolarisation dans l’enseignement primaire a atteint 90% en 2007.
Après cette date, les progrès se sont arrêtés. Le taux de scolarisation n’a pas augmenté de
manière significative, et les projections basées sur l’extrapolation des tendances entre 2007
et 2012 montrent que près d’un enfant sur dix en âge d’aller à l’école primaire n’est pas
scolarisé en 2015. On considère fréquemment un seuil minimal de 97% pour déterminer si
la scolarisation universelle a été atteinte. En se basant sur ce seuil, la scolarisation dans
l’enseignement primaire est maintenant universelle ou quasi universelle en Asie de l’Est
et en Afrique du Nord. La cible est presque atteinte dans toutes les autres régions, sauf
en Afrique subsaharienne.
6.1. OBJECTIFS DU MILLÉNAIRE POUR LE DÉVELOPPEMENT 111

Figure 6.1 –
112 CHAPITRE 6. LES OMD ET L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT

6.1.3 Objectif 3 : Promouvoir l’égalité et l’autonomisation des


femmes
La cible de ce troisième objectif était d’éliminer les disparités entre les sexes dans
l’enseignement primaire et secondaire jusqu’en 2005 si possible, et à tous les niveaux de
l’enseignement en 2015 au plus tard. Des progrès réguliers ont été faits vers l’égalité de
l’accès des filles et des garçons à l’enseignement, mais des actions plus ciblées sont requises
dans de nombreuses régions.
Un exemple régulier est l’augmentation de la participation des femmes au sein des
parlements de plusieurs pays du monde, comme montré dans la Figure 6.2. La conclusion
de ces données est qu’il y a eu une amélioration de l’égalité hommes et femmes, mais la
parité reste un objectif lointain.

Figure 6.2 –
6.1. OBJECTIFS DU MILLÉNAIRE POUR LE DÉVELOPPEMENT 113

6.1.4 Objectif 4 : Réduire la mortalité infantile

La cible de cet objectif était de réduire de deux tiers, entre 1990 et 2015, le taux de
mortalité des enfants de moins de 5 ans. Quels progrès ont été faits ? Des gains importants
ont été obtenus pour la survie des enfants, mais les efforts doivent être redoublés pour
atteindre la cible mondiale. Plus précisément, depuis 1990, le taux de mortalité des enfants
a diminué de 41% : 14 000 enfants de plus survivent chaque année. Il n’en demeure pas
moins que 6,9 millions d’enfants de moins de cinq ans sont morts en 2011, principalement
à cause de maladies évitables. Et c’est encore une fois en Afrique Subsaharienne que le
problème est le plus grave, où 1 enfant sur 9 meurt avant l’âge de cinq ans, soit 16 fois
plus que la moyenne dans les régions développées. Pourtant, depuis l’adoption des OMD
en 2000, le taux de réduction de la mortalité des moins de cinq ans s’est accéléré au
plan mondial et dans de nombreuses régions. L’Afrique subsaharienne, qui a le taux de
mortalité des enfants le plus élevé au monde, a doublé son taux moyen de réduction : le
taux de mortalité des moins de cinq ans y est passé de 179 décès pour 1 000 naissances
vivantes en 1990, à 86 décès en 2015. Pourtant, la région doit encore de toute urgence
accélérer cette progression.
Toujours selon le même rapport, “ Pour que cette progression soit durable, il faut des
stratégies qui ciblent les enfants les plus vulnérables des ménages les plus pauvres et ceux
des zones rurales, et qui soutiennent l’éducation et l’autonomisation des femmes. Il faut
aussi déployer des efforts continus pour contrôler et rendre compte des iniquités qui sont
souvent dissimulées par les moyennes mondiales ou nationales. La réduction de la mortalité
des enfants de moins de cinq ans nécessite une volonté politique, des stratégies judicieuses
et des ressources adéquates. Les OMD ont entraîné des progrès spectaculaires et sans
précédent de la réduction des décès d’enfants. Des traitements efficaces et abordables,
une amélioration des prestations et un engagement politique ont tous contribué à ces
progrès.”

6.1.5 Objectif 5 : Améliorer la santé maternelle

La première cible de l’objectif d’amélioration de la santé maternelle consistait à ré-


duire de trois quarts, entre 1990 et 2015, le taux de mortalité maternelle. C’est l’objectif le
moins atteint même si la survie maternelle s’est améliorée de manière significative depuis
l’adoption des OMD. Au niveau mondial, le taux de mortalité maternelle a diminué de
45% entre 1990 et 2013, passant de 380 à 210 décès maternels pour 100 000 naissances vi-
vantes. Cela est bien clair dans la Figure 6.3. Selon le rapport, “De nombreuses régions en
développement ont progressé régulièrement en matière d’amélioration de la santé mater-
nelle, y compris les régions présentant les taux de mortalité maternelle les plus élevés. Par
114 CHAPITRE 6. LES OMD ET L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT

exemple, en Asie du Sud, le taux de mortalité maternelle a diminué de 64% entre 1990 et
2013, et on a observé une réduction de 49% en Afrique subsaharienne. La deuxième cible
était l’objectif d’atteindre, à la fin 2015, l’accès universel aux soins de santé procréative.
Les soins prodigués durant la grossesse peuvent sauver des vies, mais seulement la moitié
des femmes dans les régions en développement reçoivent ces soins recommandés.

Figure 6.3 –

6.1.6 Objectif 6 : Combattre les maladies


Comme nous allons le voir dans les chapitres suivants, la santé est un des principaux
facteurs du développement économique, à travers son effet sur le Capital Humain. L’ob-
jectif 6 consiste à combattre les principales maladies qui touchent les populations des pays
en développement, comme le SIDA et la paludisme. La première cible était, entre 2000 et
6.1. OBJECTIFS DU MILLÉNAIRE POUR LE DÉVELOPPEMENT 115

2015, d’enrayer et d’inverser la propagation du VIH/sida. Le rapport nous explique que


l’incidence du VIH diminue régulièrement dans la plupart des régions ; mais 2,1 millions
de personnes sont nouvellement infectées chaque année. Toutefois, suite à l’accroissement
de la diffusion du traitement, il y a désormais moins de personnes qui meurent du sida et
plus de personnes qui vivent avec le VIH que jamais auparavant. Une cible de cet objectif
est liée justement au traitement du SIDA : assurer à tous ceux qui en ont besoin l’accès
aux traitements contre le VIH/SIDA.

L’autre cible importante de cet objectif porte sur les autres maladies. L’objectif était
d’avoir en 2015 maîtrisé le paludisme et les autres grandes maladies et d’avoir commencé
à inverser la tendance actuelle. Entre 2000 et 2015, le taux mondial d’incidence du palu-
disme aurait diminué de près de 37% et le taux mondial de mortalité paludéenne de 58%.
La cible mondiale des OMD contre le paludisme a donc été atteint. Selon le rapport, “Les
gains massifs obtenus au cours des 15 dernières années s’expliquent par le décuplement du
financement international contre le paludisme depuis 2000, ainsi que par un engagement
politique renforcé et la disponibilité d’outils nouveaux et plus efficaces. Cela a considéra-
blement accru l’accès à la prévention et au traitement du paludisme. Ces outils incluent
les moustiquaires imprégnées d’insecticide de longue durée, les pulvérisations d’insecticide
à effet rémanent à l’intérieur des habitations, les tests de diagnostic et les combinaisons
thérapeutiques à base d’artémisinine.” Le paludisme est très lié avec la pauvreté et le pa-
ludisme touche surtout des enfants. La question importante est de savoir comment traiter
cette maladie ? Dormir sous une moustiquaire imprégnée d’insecticide est la manière la
plus efficace d’empêcher la transmission du paludisme. Dans le domaine de la transmis-
sion, des progrès ont été faits, avec une augmentation du nombre de ménages possédant et
utilisant des moustiquaires. Néanmoins, de très fortes disparités entre les régions le plus
touchées sont évidentes, comme nous pouvons le voir dans la Figure 6.4.

Une autre maladie qui touche les populations sensibles est la tuberculose. En 2013
presque 9 millions de personnes dans le monde ont été diagnostiquées avec la tuberculose.
La tendance est à la diminution du nombre de cas (baisse de 1,5 % par an en moyenne)
et le traitement réussi de la tuberculose dépasse les cibles mondiales. Ce progrès contre la
tuberculose fait suite à 15 années d’efforts intensifs pour mettre en place la stratégie du
traitement de brève durée sous surveillance directe (DOTS), qui est toujours au cœur des
politiques d’effort de lutte contre la tuberculose organisées par l’Organisation Mondiale
de la Santé. Entre 2000 et 2013, on estime à 37 millions le nombre de vies sauvées grâce
aux interventions de prévention, de diagnostic et de traitement de la tuberculose.
116 CHAPITRE 6. LES OMD ET L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT

Figure 6.4 –

6.1.7 Objectif 7 : Assurer un environnement humain durable


Le septième objectif du millénaire pour le développement est celui qui a pour cible
d’assurer un environnement durable pour les populations. La première cible est très glo-
bale et correspond à intégrer les principes de développement durable dans les politiques
et programmes nationaux et à inverser la tendance à la déperdition des ressources envi-
ronnementales. Par exemple, les forêts sont une ressource très importante pour les moins
favorisés, mais le rythme de leur disparition est très forte. Par ailleurs, comme nous pou-
vons le voir dans la Figure 6.5, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont renoué
avec la hausse, confirmant une évolution inquiétante et appelant à des actions audacieuses.
La deuxième cible liée à l’environnement est de réduire la perte de la biodiversité et
d’atteindre une diminution significative du taux de perte des espèces en danger. Comme
nous le savons, des oiseaux, des mammifères et d’autres espèces sont en voie d’extinction.
Par ailleurs, la surexploitation des stocks de poissons conduit à une diminution des ren-
dements. Plus important encore, en 2011, 30% des stocks de poissons étaient surexploités
et en danger pour des raisons biologiques, à comparer aux 10% en 1974, comme nous
pouvons le constater sur la Figure 6.6.
La troisième cible consistait à réduire de moitié, jusqu’à 2015, le pourcentage de la
population qui n’a pas accès de façon durable à un approvisionnement en eau potable et à
des services d’assainissement de base. L’accès à l’eau potable des pauvres des zones rurales
6.1. OBJECTIFS DU MILLÉNAIRE POUR LE DÉVELOPPEMENT 117

Figure 6.5 –
118 CHAPITRE 6. LES OMD ET L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT

Figure 6.6 –
6.1. OBJECTIFS DU MILLÉNAIRE POUR LE DÉVELOPPEMENT 119

ainsi que la qualité et la salubrité de l’eau constituent toujours une sérieuse préoccupation
du fait des maladies que cela peut enclencher et de l’énorme coût en termes de temps
dépensés pour obtenir de l’eau. Ensuite, la dernière cible va au-delà de l’année 2015. Elle
est basée sur une amélioration sensible, d’ici à 2020, des conditions de vie d’au moins
100 millions d’habitants de logements insalubres. Bien que la cible OMD ait été atteinte,
l’urbanisation progresse plus vite que l’amélioration des conditions des bidonvilles.

6.1.8 Objectif 8 : Mettre en place un partenariat mondial pour


le développement

Le dernier objectif consiste à mettre en place un partenariat mondial pour le dévelop-


pement. Nous avons vu dans le premier chapitre quelles sont les principales institutions et
agences pour le développement, et comment elles essaient de travailler (individuellement
ou ensemble) pour le développement des nations. La première cible de cet objectif consiste
à poursuivre la mise en place d’un système commercial et financier ouvert, réglementé,
prévisible et non discriminatoire. Le climat commercial continue de s’améliorer pour les
pays en développement et les pays les moins avancés en termes de franchise de droits. Une
autre cible de cet objectif est de traiter globalement le problème de la dette des pays en
développement. Cela nécessite bien sur un effort de tous les pays concernés.

Par ailleurs, une autre cible importante de cet objectif vise spécifiquement un groupe
de pays. L’idée est de répondre aux besoins particuliers des pays les moins avancés (PMA),
à savoir les pays en développement sans littoral et les petits États insulaires en dévelop-
pement. Pourquoi ces pays ? Ces pays sont ceux qui sont confrontés à des situations très
compliquées, souvent des trappes à pauvreté. Ils sont touchés par plusieurs problèmes à
la fois, liés au développement que nous avons étudié dans ce chapitre comme dans le Cha-
pitre 2 : ils n’ont pas de “chance” avec la géographie, car ils n’ont pas un accès à la mer, ce
qui faciliterait les échanges commerciaux et donc ferait profiter les consommateurs (plus
de biens accessibles) et les producteurs (avantages comparatifs). Ils sont aussi touchés par
plusieurs maladies, comme le SIDA et le paludisme.

Enfin, la dernière cible porte sur l’introduction des nouvelles technologies dans les pays
en développement. Elle consiste, en coopération avec le secteur privé, à faire en sorte que
les avantages des nouvelles technologies, en particulier les technologies de l’information
et de la communication, soient accordées à tous. Par exemple, le très haut débit devient
de plus en plus disponible et abordable, mais reste quand même hors de portée dans de
nombreux pays en développement.
120 CHAPITRE 6. LES OMD ET L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT

6.2 Les Objectifs Durables du Développement - ODD


Avec la conclusion des OMD, les dirigeants du monde ont appelé à la mise en place d’un
programme ambitieux et de LT pour améliorer la vie des populations et protéger la planète
pour les générations futures. Les dirigeants mondiaux adoptent un nouveau programme
lors d’un sommet à New York du 25 au 27 septembre 2015. Ce programme de D pour
l’après-2015 aborde de nombreuses problématiques : (a) éliminer l’extrême pauvreté et la
faim ; (b) améliorer la santé et l’éducation ; (c) bâtir des villes plus durables ; (d) combattre
les changements climatiques ; (e) et enfin protéger les océans et les forêts.
Il se compose aussi des objectifs (17 : 6.7) et de cibles (169 !). L’objectif 1 est d’éliminer
la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde. Pour cela, nous comptons,
objectivement, d’ici à 2030, d’éliminer complètement l’extrême pauvreté dans le monde
entier (s’entend actuellement du fait de vivre avec moins de 1,90 dollar par jour). Ensuite,
d’ici à 2030, de réduire de moitié au moins la proportion d’hommes, de femmes et d’enfants
de tous âges qui souffrent d’une forme ou l’autre de pauvreté, telle que définie par chaque
pays. Les statistiques actuelles se trouvent sur la Figure 6.2

Figure 6.7 – Les 17 Objectifs de Développement Durable

L’objectif 2 consiste à : éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la


nutrition et promouvoir l’agriculture durable. Plus précisément, d’ici à 2030, éliminer la
faim et faire en sorte que chacun, en particulier les pauvres et les personnes en situation
vulnérable, y compris les nourrissons, ait accès toute l’année à une alimentation saine,
nutritive et suffisante. Quelques statistique sur les progrès déjà accomplis se trouvent sur
la Figure 6.2.
L’objectif 17 des ODD est de renforcer les moyens de mettre en œuvre le Partena-
riat mondial pour le développement durable et le revitaliser. Cela se compose surtout
d’améliorer, notamment grâce à l’aide internationale aux pays en développement, la mo-
bilisation de ressources nationales en vue de renforcer les capacités nationales de collecte
6.2. LES OBJECTIFS DURABLES DU DÉVELOPPEMENT - ODD 121
122 CHAPITRE 6. LES OMD ET L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT

de l’impôt et d’autres recettes. Ensuite, l’objectif 17 correspond à faire en sorte que les
pays développés honorent tous leurs engagements en matière d’aide publique au dévelop-
pement, notamment celui pris par nombre d’entre eux de consacrer 0,7 pour cent de leur
revenu national brut à l’aide aux pays en développement et entre 0,15 pour cent et 0,20
pour cent à l’aide aux pays les moins avancés.

6.3 Aide au développement


L’aide au développement consiste à l’envoi de fonds publiques par les organisations
multilatérales ou bilatérales (aide officielle, publique) ainsi qu’à l’aide privée (non-officielle)
faite par les organisations non-gouvernementales. Pour l’OCDE, l’aide est définie comme
“Official Development Assistance (ODA)” : flux (dons et prêts) vers les pays en déve-
loppement par des agences officielles. La base de données qui suit ces prêts est celle de
l’OCDE, qui s’appelle DAC 1 .
En outre, l’aide au développement est un des 8 Objectifs du Millénaire pour le déve-
loppement. Cela est surtout vrai pour le huitième objectif, à savoir la mise en place de
partenariats pour le développement. A l’intérieur de cet objectif nous trouvons plusieurs
cibles, dont : (A) poursuivre la mise en place d’un système commercial et financier ou-
vert, réglementé, prévisible et non discriminatoire ; (B) répondre aux besoins particuliers
des pays les moins avancés (PMA), des pays en développement sans littoral et des petits
États insulaires en développement ; (C) traiter globalement le problème de la dette des
pays en développement ; (D) en coopération avec l’industrie pharmaceutique, rendre les
médicaments essentiels disponibles et abordables dans les pays en développement ; (E)
en coopération avec le secteur privé, faire en sorte que les avantages des nouvelles tech-
nologies, en particulier des technologies de l’information et de la communication, soient
accordés à tous.
30 pays font partie de la DAC. L’aide y est comptabilisée depuis les année 1960, quand
la DAC a été créée au sein de l’OCDE. Les types d’aides sont les prêts, les dons, les sup-
pressions (ou décote) des dettes publiques, l’aide émergentielle et l’assistance technique.
Chaque transaction est, d’une part, administrée afin de promouvoir le développement
économique et le bien être des pays en développement est son objectif. D’autre part,
chaque transaction donne lieu à des concessions de la part du pays receveur et contient
des donations pour au moins 25 % de sa valeur.
L’aide liée désigne les dons ou prêts du secteur public pour lesquels les marchés sont
limités à des entreprises du pays donneur ou à un petit groupe de pays. L’aide liée em-
pêche donc souvent les pays bénéficiaires d’utiliser de façon optimale les fonds alloués pour
1. http ://www.oecd.org/dac/stats/idsonline.htm
6.3. AIDE AU DÉVELOPPEMENT 123

l’achat de services, de biens ou de travaux. Cela est une possibilité car le pays receveur
doit acheter une partie de services du pays donneur. Depuis sa création en 1961, le Comité
d’aide au développement de l’OCDE s’emploie à améliorer l’efficacité des efforts déployés
par ses membres en matière d’aide. Une question majeure a porté sur le point de savoir si
l’aide devait librement servir à acquérir des biens et des services auprès de tous les pays
(aide non liée) ou si elle devait être limitée à l’achat de biens et de services auprès du pays
donneur (aide liée). Les travaux du DAC ont abouti à l’adoption d’une Recommandation
sur le déliement de l’aide publique au développement aux pays les moins avancés (réunion
à haut niveau du DAC, avril 2001). Les objectifs de cette recommandation sont les sui-
vants : (a) délier dans toute la mesure du possible l’APD aux pays les moins avancés ;
(b) promouvoir et maintenir des apports d’APD suffisants, en particulier aux pays les
moins avancés ; (c)faire en sorte que l’effort de déliement de l’aide soit équilibré entre les
membres du DAC.

6.3.1 Faits stylisés


Regardons l’aide déboursée depuis les années 2000, dans la Figure 6.8. Le total en
2018 a été de 153 milliards de dollars, ce qui représente 0.29% du total du PNB de pays
membres du DAC. Cette valeur a augmenté de 83% en termes réels par rapport à 2000.
Dans la Figure 6.9, nous observons à droite que la valeur totale de l’aide fourni aux pays
en développement a beaucoup augmenté depuis les années 1960. Dans la partie gauche,
nous pouvons voir que même si la valeur absolue a augmenté, le rapport entre l’aide et le
Revenu National Brut des pays donneurs a diminué.

Figure 6.8 – Composants de l’aide total du Development Assistance Committee

Regardons maintenant les valeurs par pays, soit en terme de pourcentage du RNB
ou en valeur absolue totale. Nous pouvons voir dans la Figure 6.10 que très peu de
pays respectent l’engagement (préconisé par les Nations Unies) d’allouer au moins 0.7%
de leur RNB à l’aide au développement. Le total des pays membres de la DAC tourne
124 CHAPITRE 6. LES OMD ET L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT

Figure 6.9 – Combien d’aide ?

autour de 0.3%. Nous pouvons également voir que les plus gros donneurs en terme de
valeur absolue sont les grandes “puissances” internationales, engagées dans l’effort de
l’aide au développement, même si en termes de APD/RNB ces pays-là ne sont pas les
plus performants, car tournant autour de 0.3 et 0.4% du RNB.

Figure 6.10 – Aide par pays

Il existe encore plusieurs détails sur l’aide que nous pouvons étudier à partir de la
moyenne pour les années 2017 et 2018 (Figure 6.11). Nous constatons que l’Inde est le
plus grand pays receveur, suivi de l’Afghanistan et de l’Indonésie. Nous pouvons aussi
constater que les pays les moins avancés capturent un quart des fonds alloués, et que
d’autres pays à faible niveau de revenu reçoivent presque autant. En ce qui concerne
les régions d’accueil des fonds, la région qui reçoit le plus est l’Afrique Subsaharienne,
6.3. AIDE AU DÉVELOPPEMENT 125

suivie de très loin par le Sud et le Centre de l’Asie. Enfin, quand nous regardons par
secteur d’activité, les principaux secteurs sont l’éducation et la santé, suivies par les
infrastructures sociales et économiques.
Justement, la composition de l’aide entre les secteurs a significativement changé au
cours de dernières années. La Figure 6.12 nous montre que l’aide fournie à l’économie ou
à la production a beaucoup perdu d’espace, tandis que l’aide fournie aux secteurs sociaux
l’a dépassée (au cours de l’année 2001) et est devenue le principal composant sectoriel de
l’aide. Enfin, un dernier point intéressant concerne l’aide liée. En 2016, plus de 80% de
l’aide était non-liée, tandis qu’environ 20% était liée. Il semble que l’initiative de la DAC
a été globalement respectée.

Figure 6.11 – Aide en détail

Figure 6.12 – Aide par secteur


126 CHAPITRE 6. LES OMD ET L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT

6.3.2 Aide et croissance économique

Comment l’aide a un effet sur la croissance ? D’abord, l’aide peut mener à de l’investis-
sement, ce qui se traduit par un niveau de revenu plus élevé. À travers des dépenses dans
la santé et éducation, le financement du développement diminue la pauvreté. En somme,
l’aide vient renforcer toutes les dimensions du développement que nous présentons dans
ce chapitre. Ces théories ont été utilisées pour expliquer la conditionalité de l’aide au dé-
veloppement : l’aide est un contrat entre un pays donneur et un pays receveur, et les fonds
sont dépensés si le receveur choisit de mettre en œuvre des politiques économiques “cor-
rectes”. Pourquoi cette sélection de l’aide ? D’abord, il faut tenir en compte le problème
de fongibilité de l’aide : l’aide étrangère ou un prêt qui se focalise sur le financement de
projets peuvent avoir des conséquences inattendues. L’aide ciblée à des secteurs sociaux
ou économiques cruciaux peuvent être simplement devenir des substituts à des dépenses
du gouvernement receveur qu’il aurait de toute façon faites : les fonds sont alors utilisés
à d’autres objectifs. En outre, l’absence de l’effet de l’aide ex ante sur les réformes a aussi
soutenu l’argument en faveur de la conditionalité de l’aide.
Le débat sur la sélectivité de l’aide a perduré jusqu’à les années 1980 et 1990. Ensuite,
le débat au sujet de l’effet de l’aide sur la croissance économique a connu un grand
essor avec l’article de Burnside et Dollar (2000). Selon Amprou et Chauvet (2004), “En
analysant les conditions de l’efficacité de l’aide en termes de croissance, Burnside et Dollar
(2000) ont formalisé l’idée d’un principe de sélectivité des pays receveurs en fonction de
la qualité de leurs politiques économiques. L’analyse de Burnside et Dollar (2000) est au
cœur du débat sur l’efficacité de l’aide qui a animé la communauté internationale dans
les années 1990.”
Burnside et Dollar (2000) trouvent que l’aide a un effet positif sur la croissance dans
les pays en développement qui possèdent des politiques économiques (fiscales, monétaires
et commerciale) “correctes”. L”effet de l’aide est faible si de mauvaises politiques sont
réalisées. Les bonnes politiques sont celles qui sont importantes en elles-mêmes pour la
croissance. Mais la qualité des politiques a un très petit effet sur l’allocation de l’aide.
Les auteurs utilisent une nouvelle (pour l’époque) base de données de panel pour 56 pays
entre 1970 et 1993, et ils estiment l’équation suivante :

growthit = —0 Initial Income + —1 P OL + —2 Aid/GDP


+—3 P OL ◊ Aid/GDP + “ X + ‘

où POL est une variable agrégée de politique macroéconomique, X des variables de


contrôle. Leurs résultats suggèrent que l’aide serait encore plus efficace si elle était sys-
6.3. AIDE AU DÉVELOPPEMENT 127

tématiquement allouée conditionnellement aux bonnes politiques. Cependant, l’équation


estimée rencontre un problème d’endogénéité dans la relation entre aide et croissance. Ces
auteurs essaient de le résoudre en utilisant plusieurs instruments externes pour l’aide :
la population, l’importation d’armes et des variables muettes (dummies) pour certaines
régions. Nous pouvons observer les résultats principaux dans la Figure 6.13, notamment
les effets des variables des politiques économiques et de l’aide. Ce qui ressort avec un signe
positif et significatif sur la croissance est surtout le terme croisé (d’interaction) entre aide
et politiques économiques.

Figure 6.13 – Résultats de Burnside et Dollar (2000)

3 types de critiques ont été faites à l’encontre de leur étude. Selon Amprou et Chauvet
(2004) : “Une première catégorie des critiques, est exclusivement centrée sur leurs travaux
académiques et porte sur : (i) les arguments qu’ils avancent pour justifier l’hypothèse
d’une sélectivité des pays receveurs, (ii) l’indicateur des politiques économiques retenu
par ces auteurs, (iii) la robustesse de leurs résultats économétriques (section 1.4). La
deuxième catégorie de critiques consiste à proposer une conception élargie des conditions
macro-économiques de l’efficacité de l’aide.”
Par la suite, le débat sur ces résultats a été très agité dans le monde académique
128 CHAPITRE 6. LES OMD ET L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT

comme institutionnel (Banque Mondiale, etc.). D’une part, plusieurs papiers ont confirmé
le message que l’aide a un effet positif seulement dans un environnement avec de bonnes
politiques macroéconomiques. D’autre part, certains articles ont montré que l’interaction
entre aide et politique disparaît une fois qu’on introduit d’autres variables de contrôle.
Une limite importante de cette littérature est le problème de choisir une spécification
économétrique sans pouvoir s’appuyer sur la théorie économique.
Easterly, Levine et Roodman (2004) montrent que les résultats de Burnside et Dollar ne
sont pas robustes, tout en gardant la même spécification économétrique que ces derniers.
La base de données originale est agrandie au niveau de l’échantillon et de la période, et le
résultat de l’effet non-linéaire de l’aide disparaît. Le fait d’augmenter la base de données
original fait que de nouvelles doutes s’instaurent sur l’efficacité de l’aide et suggère que
les économistes et les décideurs de politiques publiques doivent être plus nuancés quant
au fait que l’aide au développement a un effet positif sur la croissance dans les pays avec
de bonnes politiques économiques. Easterly, Levine et Roodman (2004) concluent que
l’article de Burnside et Dollar (2000) est un papier très important dans la littérature mais
qui doit inciter à plus d recherche sur le sujet , car aucune réponse définitive peut être
faite.
Rajan et Subramanian (2008) utilisent des sous-périodes de 10 ans entre 1960-2000,
et modifient l’instrumentation proposée par Burnside et Dollar. Leur approche est la
suivante. Afin d’étudier la relation entre aide et croissance de la manière le plus transpa-
rente et compréhensible possible, ils recommencent la démarche empirique dès le début et
choisissent une spécification économétrique qui essaie de régler plusieurs problèmes d’es-
timation. Ils utilisent une stratégie d’instrumentation avec comme instruments : langue
commune, colonie contemporaine ou non, ancienne colonie (de quatre grands pays : France,
Espagne, Portugal et Royaume-Uni), la population, parmi d’autres variables.
Rajan et Subramanian (2008) ne trouvent pas d’effet systématique entre les flux d’aides
et la croissance économique. Une implication possible est que tout l’effort de faire des
régressions inter-pays peut être assailli par de “bruits” dans les données, ce qui peut faire
que même si une relation existe, elle pourrait ne pas sortir dans les estimations empiriques.
Par ailleurs, Rajan et Subramanian (2008) ne trouvent pas non plus que l’aide marche
mieux dans des endroits avec des politiques économiques “correctes”. Ils suggèrent que
pour, dans le futur, l’aide soit efficace, il faut repenser la manière dont l’aide est allouée.
Arndt, Jones et Tarp (2010) se situent aussi dans cette littérature : ils réexaminent
certaines hypothèses de départ. Leur objectif est de fournir une mise à jour de l’analyse
de la littérature sur la relation entre aide et croissance, ainsi que de faire face au principal
problème empirique : trouver un contrefactuel. Ils soulignent le fait que l’instrumentation
de Rajan et Subramanian (2008) est problématique car les mêmes instruments exogènes
6.3. AIDE AU DÉVELOPPEMENT 129

ont été utilisés dans la littérature comme de variables endogènes. Cela rend possible une
corrélation avec d’autres variables omises, et donc invaliderait la relation d’exclusion de
leur stratégie empirique sur laquelle l’inférence causale dépend.
Arndt, Jones et Tarp (2010) essayent de répondre à la question suivante : est-ce que
la littérature sur le lien entre aide et croissance a “bouclé la boucle” ? Leur réponse est
négative. Leurs résultats (comme nous pouvons le voir dans la Figure 6.14) montrent que
l’effet de l’aide sur la croissance économique est positif pour la période de 1960 à 2000. Ils
concluent que le pessimisme des auteurs précédents est injustifié et que les implications
pour les politiques économiques qui en découlent sont inappropriées et inutiles. Pour eux,
l’aide a été et restera un outil important pour augmenter le développement des pays les
moins avancés.

Figure 6.14 – Résultats de Arndt, Jones et Tarp (2010)

En somme, Arndt, Jones et Tarp (2010) trouvent que l’aide a un effet sur la croissance
économique, mais le débat de l’efficacité ou pas de l’aide continue toujours. Dans ce sens-
là, dans un article plus récent (Arndt, Jones et Tarp, 2015), les auteurs montrent toujours,
au niveau agrégé, l’effet positif de l’aide sur la croissance. Cependant, ils vont plus loin
et montrent aussi l’effet positif de l’aide sur l’amélioration d’autres indicateurs sociaux et
130 CHAPITRE 6. LES OMD ET L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT

la réduction de la pauvreté, par exemple.

6.3.3 Les autres effets de l’aide


Dans cette section nous allons étudier d’autres dimensions du débat économique
concernant l’aide publique au développement, toujours au niveau macroéconomique, mais
qui vont au-delà du débat sur l’effet de l’aide sur la croissance économique du pays rece-
veur. Trois points vont être évoqués : la volatilité de l’aide, le comportement budgétaire
des pays receveurs et la coordination de pays donneurs.
Un premier article est celui de Hudson (2015), qui étudie le problème de la volatilité de
l’aide sur les performances macroéconomiques de pays receveurs et aussi sur l’efficacité de
l’aide. Précédemment, nous avons une grande variabilité de l’aide en termes d’allocation
temporelle, sectorielle et aussi par rapport au pays donneur. Cela engendre une situation
de volatilité des montants de l’aide allouée. Tandis que précédemment nous avons égale-
ment vu l’effet positif de l’aide sur la croissance, il reste néanmoins un aspect négatif : la
volatilité de l’aide. L’argument est que des coupes dans le montant de l’aide allouée peut
forcer les gouvernements des pays receveurs de couper les investissements, capital humain
inclus, tandis que lors des années avec d’importants volumes d’aide cela peut augmenter
la consommation publique de manière disproportionnelle. Hudson (2015) en conclut que
la volatilité sectorielle de l’aide a autant d’importance que la volatilité agrégée de l’aide.
Le plus grand contributeur à la volatilité de l’aide agrégée est l’aide fournie pour payer
les dettes publiques. Les secteurs de l’aide les plus volatiles sont la dette, l’industrie, et
l’aide humanitaire, tandis que les moins volatiles sont l’éducation et la santé.
Un autre effet important de l’aide correspond au comportement budgétaire des pays
receveurs. Morissey (2015) fait une revue de la littérature sur le lien entre l’aide, les
dépenses publiques et l’effort budgétaire des pays receveurs. L’auteur met en avant trois
généralisations : (1) l’aide finance les dépenses publiques (du gouvernement) ; (2) l’étendue
de la fongibilité de l’aide est sur estimée et, même où l’aide est fongible, cela ne rend pas
l’aide moins efficace ; (3) il n’y a pas d’effet systématique de l’aide sur l’effort fiscal. La
conclusion principale de Morissey est la suivante : on doit ni faire l’hypothèse ni attendre
que l’aide entraînera une augmentation du même montant des dépenses publiques. Il
n’y a pas de raison particulière pour que $1 million en aide publique au développement
augmente les dépenses publiques du gouvernement receveur de $ 1 million. Un facteur
crucial pour expliquer ce comportement est que toute l’aide n’est pas dirigée vers le
gouvernement ; quand le gouvernement du pays receveur décide sa politique budgétaire, il
ne connaît pas tout le montant de l’aide disponible afin de financer la provision de biens
publiques. Par ailleurs, il existe la possibilité que l’aide allouée pour un pays donné ne soit
pas entièrement déboursée, ou encore que le pays donneur contrôle la dépense de l’aide,
6.4. RÉFÉRENCES 131

au détriment du gouvernement receveur.


Un troisième article sur l’effet de l’aide est celui de Bigsten et Tengstam (2015). L’ob-
jectif de leur article est de quantifier les effets d’une amélioration de la coordination des
pays donneurs sur l’efficacité de l’aide. Cette meilleure coordination entre les pays don-
neurs peut être obtenu en concentrant plus de sorte que chaque pays ait moins de parte-
naires, et en passant d’une approche par projet à une approche par programme possibles.
Les auteurs font des estimations empiriques afin de montrer les réductions dans les coûts
de transaction du fait d’une meilleure coordination. Enfin, les auteurs fournissent aussi
des estimations qui montrent combien, en termes de réduction de la pauvreté, pourrait
être engendré par une meilleur coordination entre les pays donneurs.

6.3.4 Aid for trade - l’aide au commerce


Dans cette dernière sous-section, nous analysons l’aide au commerce, réalisé par l’OMC
et l’OCDE (2013 : Aid for trade at a glance). L’aide au commerce joue un rôle important
afin de réduire les contraintes qui empêchent les firmes dans les pays en développement
de se connecter ou de se placer plus haut dans la chaîne de valeur de la production mon-
diale. Quand il existe des contraintes de capacités ou quand l’infrastructure nécessaire
pour promouvoir le commerce est absente, il peut être très difficile pour les pays en dé-
veloppement de transformer des opportunités de commerce international en flux réels de
commerce. L’initiative “Aid-for-Trade” a été créée afin de combattre ces problèmes. Jus-
qu’à maintenant, c’est un succès du fait qu’est de plus en plus reconnu dans les pays
partenaires et les pays donneurs le rôle positif que le commerce peut jouer dans la crois-
sance et le développement économiques.
Regardons quelques données à ce propos. Les pays donneurs ont fourni des ressources
additionnelles, comme nous pouvons le constater dans la Figure 6.15. L’aide au commerce
a plus que doublé depuis le point de comparaison 2 choisi. En outre, l’aide au commerce
est restée autour de 33% des aides totales au développement, ce qui a contribué à éviter
la diminution continue de l’aide fournie aux secteurs économiques, comme nous l’avons
évoqué ci-dessus.

6.4 Références
Amprou, J., Chauvet, L., (2004), “Efficacité et allocation de l’aide : revue des débats”,
Agence Française au Développement.
Arndt, C., Jones, S., Tarp, F., (2010), “Aid, Growth, and Development : Have We
Come Full Circle ?”, Journal of Globalization and Development : vol. 1 : Iss. 2,
Article 5.
2. Ce point de comparaison correspond à la moyenne d’aide au commerce fourni en 2006
Chapitre 7

Évaluations aléatoires

Dans ce chapitre, nous présentons une méthode très importante d’analyse des po-
litiques du développement : les évaluations aléatoires, aussi appelées randomisation ou
évaluation d’impact. Nous allons utiliser, au long de ce chapitre, ces différents termes
pour désigner la même méthode.
Les évaluations aléatoires (EA) prennent une place aujourd’hui très importante dans
l’analyse de l’impact des programmes sociaux et de développement. Ce type d’évaluation
repose sur l’assignation aléatoire d’un groupe recevant le programme (traitement) et d’un
groupe ne le recevant pas (contrôle). La comparaison de ces groupes après l’interven-
tion permet d’obtenir une mesure non biaisée de l’impact du programme social ou de
développement.
À partir de maintenant, nous allons utiliser la notation T pour le groupe traité (celui
qui reçoit le programme) et C pour le groupe de contrôle (celui qui ne reçoit pas le
programme). Cette notation sera utilisée dans la partie sur le modèle formalisé.
Avant de répondre à la question de pourquoi randomiser, il est intéressant de placer ce
type d’évaluation parmi les autres méthodes possibles. En effet, pour évaluer l’efficacité
d’un programme de développement, nous pouvons utiliser trois types d’évaluation :
1. L’évaluation des besoins des populations concernées revient à analyser si les besoins
des populations ciblées ont été effectivement pris en compte et si la population
bénéficiant du programme a été convenablement identifiée.
2. L’évaluation du processus cherche à mesurer l’efficacité d’un programme en véri-
fiant la nature du processus de sa mise en œuvre, si les services sont effectivement
délivrés, s’ils sont de qualité, si les bénéficiaires en sont satisfaits etc.
3. L’évaluation d’impact consiste à évaluer l’impact direct du programme sur les
bénéficiaires.
Dans un contexte où l’efficacité de l’aide et des politiques publiques est régulière-
ment remise en question, le développement des EA est né, en partie, du constat selon

133
132 CHAPITRE 6. LES OMD ET L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT

Figure 6.15 – OMC et OCDE (2017)

Arndt, C., Jones, S., Tarp, F., (2015), “Assessing Foreign Aid’s Long Run Contribu-
tion to Growth and Development”, World Development, Volume 69 : pp. 6-18.
Bigsten, A., Tengstam, S., (2015) “International Coordination and the Effectiveness
of Aid”, World Development, Volume 69 : pp. 75-85.
Burnside, C., Dollar, D., (2000), “Aid, polices, and growth”, American Economic
Review, vol. 90, no. 4, pp. 847-868.
Easterly, W., Levine, R., Roodman, D., (2004), “Aid, Policies, and Growth : Com-
ment”, American Economic Review, v. 94, no. 3, pp. 774-780.
Hudson, J. (2015), “Consequences of Aid Volatility for Macroeconomic Management
and Aid Effectiveness”, World Development, Volume 69 : pp. 62-74.
Morissey, O. (2015) “Aid and Government Fiscal Behavior : Assessing Recent Evi-
dence”, World Development, Volume 69 : pp. 98-105.
Nations Unis, (2015), “Objectifs du Millénaire pour le développement : Rapport de
2015”.
Nations Unis, (2018), “ Rapport sur les objectifs de développement durable”.
Rajan, R., Subramanian, A., (2008), “Aid and Growth : what does the cross-country
evidence really shows ?”, The Review of Economics and Statistics 90(4) : pp. 643-
665.
WTO et OECD, (2017), Aid for trade at a glance.
134 CHAPITRE 7. ÉVALUATIONS ALÉATOIRES

lequel il existe un nombre limité de preuves empiriques rigoureuses sur ce qui “fonctionne
(marche)” et “ne fonctionne pas (ne marche pas)” dans les programmes sociaux ou de
développement.
La randomisation fait maintenant partie de la pratique du développement et un très
grand nombre d’EA a été réalisée sur plusieurs thématiques, comme par exemple : (a)
l’effet des intrants éducatifs sur l’apprentissage ; (b) l’adoption de nouvelles technologies
dans l’agriculture ; (c) la corruption sur l’administration gérant le permis de conduire.

7.1 Pourquoi randomiser ?


Nous savons bien que l’objectif de la science économique est de fournir la meilleure
allocation des ressources rares. Nous cherchons alors à trouver des preuves empiriques
rigoureuses en ce qui concerne quels sont les programmes de développement qui fonc-
tionnent. Pour cet objectif, nous avons besoin de s’appuyer sur l’inférence causale sur des
questions comme :
— Quel est l’effet causal de l’éducation sur la natalité ?
— Quel est l’effet de la taille d’une classe sur l’apprentissage ?
Pour répondre à ce type de questions, il est absolument nécessaire de savoir ce qui se
passe dans le cas où il n’y a pas de programme, c’est-à-dire, le contre-factuel. Le contre-
factuel est défini comme relatif à ce qui aurait pu se produire :
— Quelles aurait été leurs performances s’ils n’avaient pas participé au programme ?
— Comment aurait été la performance de ceux qui n’ont pas participé ?
Il est impossible d’évaluer l’impact du programme sur la même unité d’analyse (indi-
vidu par exemple) en faisant le programme pour une période donnée t = 1 et en ne faisant
pas en t = 2. Il existe un problème temporel de faire sur un même individu, car d’autres
facteurs changent.
Nous ne pouvons donc pas estimer l’effet d’un programme sur un seul individu. En
revanche, nous pouvons obtenir l’effet moyen d’un programme, d’une politique ou d’une
variable sur un groupe d’individus en faisant une comparaison avec un groupe similaire
d’individus qui n’ont pas été exposés au programme. En somme, il est nécessaire, afin de
mettre en place cette comparaison, un groupe de comparaison.
Qu’est-ce exactement un groupe de comparaison ? Ce sont plusieurs individus qui, en
absence du programme, auraient des résultats similaires à ceux qui ont reçu le programme.
Mais trouver un groupe de comparaison n’est pas si simple que ça. Normalement, les
individus exposés au programme sont différents de ceux qui ne le sont pas, et cela pour
différentes raisons, telles que la richesse, la motivation, etc. En somme, n’importe quelle
différence entre les groupes pourrait être attribuée soit à l’effet du programme, soit à des
7.2. LE MODÈLE FORMALISÉ 135

différences ex ante (générant ainsi un problème de biais de sélection, que nous allons
définir plus tard).

7.2 Le modèle formalisé


Dans cette section nous allons présenter, de façon formalisée, le modèle statistique de
base des évaluations. Le modèle statistique de base des évaluations est le modèle causal
de Rubin (1974).
Supposons que nous sommes intéressés à mesurer l’effet des manuels scolaires sur
l’apprentissage des élèves. On définit YiT , le résultat moyen des enfants dans une école i si
l’école a des manuels, et YiC , le résultat moyen des enfants dans la même école i si l’école
ne reçoit pas des manuels.
Yi est le résultat qui est vraiment observé pour l’école i. Plus important, nous sommes
intéressés à la différence YiT ≠ YiC , défini comme l’effet d’avoir reçu des manuels à l’école
i.
Par souci de définition, nous vous rappelons que le résultat (“outcome”, en anglais)
est la note des élèves dans cette logique argumentaire. Par ailleurs, rappelez-vous que le
T correspond à ceux qui sont traités, et C pour le groupe de contrôle.
Il existe un écueil très important. Comme nous l’avons dit précédemment, nous n’allons
pas observer une école i avec et sans les manuels en même temps, et, donc nous ne pourrons
pas estimer l’effet individuel du traitement. Tandis que chaque école a deux résultats
potentiels, seulement un est observé pour chaque école.
Toutefois, nous pouvons espérer à capturer l’effet moyen attendu que les manuels ont
sur l’apprentissage dans les écoles dans une population :

E[YiT ≠ YiC ]

Imaginons que nous avons des données sur plusieurs écoles dans une région. Certaines
écoles possèdent des manuels scolaires, tandis que d’autres écoles ne possèdent pas de
manuels. Pour estimer la différence ci-dessus, un approche possible consiste à prendre la
moyenne de chaque groupe et examiner la différence entre les résultats moyens dans les
écoles qui ont les manuels scolaires et celles qui ne les ont pas.
Avec un échantillon très grand, cela revient alors à estimer :

D = E[YiT |lÕ école a de manuels] ≠ E[YiC |lÕ école nÕ a pas de manuels]


= E[YiT |T ] ≠ E[YiC |C] (7.1)
136 CHAPITRE 7. ÉVALUATIONS ALÉATOIRES

Si nous soustrayons et ajoutons E[YiC |T ], le résultat espéré pour un individu dans le


groupe de traitement, s’il n’est pas traité (ce n’est pas observable mais c’est logiquement
défini), serait :

D = E[YiT |T ] ≠ E[YiC |T ] ≠ E[YiC |C] + E[YiC |T ]


= E[YiT ≠ YiC |T ] + E[YiC |T ] ≠ E[YiC |C] (7.2)

Le premier terme E[YiT ≠ YiC |T ] est l’effet du traitement qui nous cherchons à isoler.
C’est la réponse à la question : en moyenne, dans les écoles traitées, quelle différence
amènent les manuels ?
Le deuxième terme E[YiC |T ] ≠ E[YiC |C] est le biais de sélection. Il capture la dif-
férence des résultats potentiels de non traitement entre les écoles traitées et les écoles
non traitées. Cela découle du fait que les écoles traitées pourraient avoir des moyennes
différentes de résultats aux tests, si elles n’avaient pas été traitées. Par exemple, cela est
possible dans le cas où les écoles qui reçoivent les manuels sont des écoles où les pa-
rents considèrent l’éducation comme une de leurs priorités et donc encouragent plus leurs
enfants à préparer leurs examens.
Justement, la randomisation résout le problème du biais de sélection, par exemple,
quand les individus ou groupes d’individus sont aléatoirement attribués aux groupes trai-
tés et de contrôle. La sélection aléatoire, assure, si l’échantillon est suffisamment grand,
que les caractéristiques observables mais aussi inobservables des individus sont similaires
dans les groupes de traitement et de contrôle : par exemple, le même nombre d’individus
riches et pauvres, le même niveau de scolarisation, le même degré de motivation ou en-
core le même niveau d’information. L’effet population ou le biais de sélectivité est, par
construction, égal à zéro. De ce fait, toutes différences identifiées entre les deux groupes
après le programme, peuvent être entièrement attribuées au programme.
On a donc un échantillon avec deux groupes :
— Le groupe traité (individus NT )
— Le groupe de contrôle (individus NC )
Le groupe traité est exposé au traitement (statut T) et le groupe de contrôle (statut
C) ne l’est pas. Le résultat Y est observé pour les deux groupes. Par exemple, sur un
échantillon de 100 écoles, 50 aléatoirement choisies ont reçu de manuels, et 50 n’en ont
pas reçu.
L’effet moyen du traitement peut être estimé comme la différence moyenne empirique
de Y entre les deux groupes :
7.3. LA PORTÉE DE LA MÉTHODE 137

D̂ = Ê[Yi |T ] ≠ Ê[Yi |C] (7.3)

Où Ê est la moyenne de l’échantillon. Comme le traitement a été aléatoirement at-


tribué, les individus attribués aux groupes de traitement et de contrôle diffèrent dans
leur espérance, uniquement par rapport à leur exposition au traitement. Et nous pouvons
estimer cela empiriquement.
Il existe, évidemment, d’autres méthodes pour éliminer le problème de biais de sélec-
tion. Par exemple, nous pouvons citer les méthodes de “regression discontinuity” et les
différences-en-différences.

7.3 La portée de la méthode


Globalement, à quoi peut servir les EI (EA) ? L’intérêt des EA se situe à plusieurs
niveaux afin de tester l’impact d’une intervention sur les bénéficiaires. Nous allons passer
en revue quatre différents niveaux.

1. Projets pilotes :
Le premier niveau d’application d’une EA peut être dans le cadre d’un projet pilote
visant à être généralisé si les résultats sont probants. Par exemple, le programme
Progresa au Mexique, où sont fournies des allocations aux ménages à condition
de l’assiduité des enfants à l’école et la participation du ménage à des sessions de
prévention de santé. Les résultats se sont avérés positifs, avec l’augmentation de la
participation à l’école et la réduction des maladies chez les enfants. Le projet a été
généralisé par la suite à l’ensemble du territoire national.
2. Évaluations d’interventions spécifiques :
Le second niveau bien sont les évaluations d’interventions spécifiques comme par
exemple, l’impact significatif sur l’assiduité scolaire des programmes de déparasi-
tage des vers intestinaux chez les enfants. Il a été prouvé que le déparasitage accroît
la participation scolaire de 7% et permet de réduire de 25% le taux d’absentéisme à
l’école. Ces résultats-là ont été trouvés par Miguel et Kremer (2004 ; 2007) au Ke-
nya, en collaboration avec l’ONG ICS Africa. Il y a aussi des interventions comme
celle de Banerjee et al. (2007), qui montrent un résultat positif des programmes de
rattrapage scolaire en Inde.
3. Modalités d’intervention :
Un troisième volet possible est de tester différentes modalités d’intervention pour
voir quelle est celle qui a le meilleur effet sur un résultat (outcome) possible. Par
exemple, Duflo et al. (2006) testent trois modes d’intervention dans la lutte contre
138 CHAPITRE 7. ÉVALUATIONS ALÉATOIRES

le SIDA : (a) Formation des professeurs ; (b) Encouragement des débats entre étu-
diants ; (c) réduction du coût de l’éducation. L’impact est estimé sur le nombre de
grossesses liées à un rapport sexuel non protégé, mais aussi sur la connaissance par
rapport au SIDA. L’intervention a duré deux ans et concernait un échantillons de
filles. Il y a eu des impacts positifs mais sur différentes variables d’output étudiées.
Après deux ans, les filles ayant suivi les cours de professeurs formés ont plus de
chance d’être mariées au moment de leur grossesse mais le programme a eu très
peu d’impacts sur la connaissance, le comportement ou simplement le nombre de
grossesses chez les adolescentes. Les débats sur la protection ont accru la connais-
sance vis-à-vis du VIH/SIDA, ainsi que la déclaration d’utilisation de préservatifs
mais n’ont pas eu d’impact sur l’activité sexuelle. Enfin, la réduction du coût de
l’éducation en offrant des uniformes scolaires a servi à diminuer les décrochages sco-
laires, les mariages et les grossesses chez les adolescentes. En termes de protection,
il semble que les débats sur l’utilisation des préservatifs soient les plus efficaces.
Dans un autre exemple, Olken (2007) teste différents moyens de réduire la cor-
ruption en Indonésie, soit à travers l’augmentation d’audits du gouvernement, soit
par deux méthodes de renforcement de la participation de la communauté dans
la gestion de suivi de projets. Les résultats montrent que première méthode est
plus effective sur le outcome (résultat) : différence entre le coût de la construction
effective et le coût apparaissant dans le budget des villages.
4. Question théorique spécifique : Un dernier niveau consiste à tester une ques-
tion théorique spécifique ayant des implications en termes de politique économique.
Par exemple, quelle est l’élasticité de la demande par rapport au prix ? Faut-il sub-
ventionner le prix de biens et services à la santé ? Tout en faisant payer une partie ?
Cela pourrait augmenter l’intensité de l’utilisation et de sélectionner ceux qui en
ont plus besoin. Un exemple est celui des moustiquaires au Kenya, où a été formé
un groupe qui paye et un groupe qui ne paye pas pour avoir la moustiquaire. Les
auteurs ont observé que la demande diminue lorsqu’on paye pour la moustiquaire,
mais l’intensité de l’utilisation de moustiquaires ne varie pas avec le prix. En outre,
ceux qui payent ne semblent pas non plus être ceux qui en ont le plus besoin. Ces ré-
sultats remettent en question, pour ce bien spécifique, la politique de participation
financière des ménages pauvres. Ils montrent aussi qu’une proportion importante
de la population vulnérable qui a besoin de moustiquaires risque de ne pas être
touchée par le programme. Finalement, en termes d’impact sur la santé, il est plus
efficace de fournir les moustiquaires gratuitement.
7.4. QUESTIONS PRATIQUES 139

7.4 Questions pratiques


Dans cette section, nous allons identifier quelques questions pratiques sur l’utilisation
des méthodes aléatoires (randomisation). Comme nous l’avons déjà vu, ce type de méthode
repose sur l’assignation aléatoire du programme. Il existe une diversité de dispositifs
expérimentaux permettant d’évaluer différents types de programmes. Nous distinguons
deux types de faisabilité ci-dessous.

Faisabilité opérationnelle

Il s’agit de la possibilité de mettre en œuvre un protocole expérimental. Par exemple,


il faut d’abord une forte collaboration entre les équipes, celle qui mène la recherche et
celle qui régit le côté opérationnel. Les évaluations portent sur le pilote d’une intervention,
avec une extension progressive du programme pour l’évaluer.
D’autres questions sont soulevées. Faut-il limiter l’accès des membres du groupe de
contrôle au programme ? N’est-ce pas un problème d’empêcher des individus de profiter
d’un programme de développement ? Un autre problème éthique consiste à réfléchir sur le
rôle de la conviction pour que le programme marche ou pas. Mais c’est surtout par rapport
à la randomisation qui les problèmes surgissent : quel est le niveau de désagrégation
utilisé ? Est-il correct de choisir de gens au hasard pour bénéficier (ou pas) du programme ?
En ce qui concerne le niveau de la randomisation, la sélection aléatoire des groupes peut
se faire à plusieurs niveaux. D’habitude, le niveau individuel est plus efficace, mais il peut
être aussi intéressant de faire par groupes d’individus (villages, écoles, communautés). Le
niveau de la randomisation dépend en général de l’intervention. En outre, randomiser au
niveau des classes scolaires (Miguel et Kremer, 2004) peut être plus important, notamment
pour étudier des externalités possibles lors du traitement.

Faisabilité statistique

C’est la capacité du dispositif à détecter les effets du programme. Il existe un fort


arbitrage entre puissance statistique et faisabilité opérationnelle. Cela vient du fait que
détecter des effets des programmes dépend de plusieurs paramètres, tels que : (a) la
proportion de personnes participant parmi la population effectivement assignée au pro-
gramme ; (b) le niveau de l’effet que l’évaluation cherche à détecter ; (c) le nombre d’unités
randomisées ; (d) la possibilité de détecter décroît avec la variance des variables d’output
d’intérêt.
Mais un autre problème statistique peut être surligné : que les groupes (T et C) n’aient
pas les mêmes caractéristiques et ceci d’autant plus dans le cas de petits échantillons. Une
des solutions est d’utiliser les variables observables et donc d’avoir des groupes plus équili-
140 CHAPITRE 7. ÉVALUATIONS ALÉATOIRES

brés. Une autre possibilité est d’avoir recours à la stratification, c’est-à-dire la division de
l’échantillon en plusieurs sous-échantillons. Il faut, dans ce cas-là, sélectionner un nombre
d’observations de T et de C et puis randomiser à l’intérieur de chaque sous groupe (mais il
faut avoir suffisamment d’observations pour faire cela). Enfin, nous pouvons avoir recours
à l’appariement par paire, qui consiste à trouver des paires d’unités (individus, villages,
etc.) qui sont constituées en fonction d’un nombre de caractéristiques observables et, au
sein de chaque paire, une unité est T et l’autre C.

7.5 Limites
Cette section essaie de mettre en lumière les deux grandes limites des EA.

Validité interne

Le premier type de limite est la validité interne de l’évaluation d’impact. Cela consiste à
vérifier si les effets sont bien les effets du programme, i.e., si les groupes sont comparables.
Il est possible que la comparabilité soit compromise si, par exemple, en raison de la
participation à une expérimentation, les individus modifient leur comportement (ils se
sentent observés). Cela consiste à avoir l’effet Hawthorne pour les traités, et l’effet John
Henry pour les non-traités (contrôle). L’effet Hawthorne ou expérience Hawthorne décrit
la situation dans laquelle les résultats d’une expérience ne sont pas dus aux facteurs
expérimentaux mais au fait que les sujets ont conscience de participer à une expérience
dans laquelle ils sont testés, ce qui se traduit généralement par une plus grande motivation.
L’effet John Henry est un biais expérimental introduit dans des expériences sociales par
un comportement réactif du groupe de contrôle. Dans une expérience sociale contrôlée, si
les individus du groupe de contrôle sont au courant de leur statut en tant que membres
de ce groupe et s’ils sont en mesure de comparer leur performance à celle du groupe de
traitement, alors les membres du groupe de contrôle peuvent travailler activement plus de
manière à surmonter le désavantage d’être dans le groupe témoin. Par ailleurs, il peut y
avoir des problèmes d’attrition, avec l’échec dans la collecte de données sur les variables
d’intérêt pour certains individus qui faisaient partie de l’échantillon original. Enfin, il y a
aussi la possibilité d’une adhésion partielle ou des effets d’externalité.

Validité externe

La validité externe est quant à elle liée au caractère généralisable des résultats de
l’étude dans d’autres contextes. Est-ce que l’interprétation des résultats obtenus est due à
un contexte particulier ? Pour répondre à cette question, la multiplication des évaluations
dans des contextes différents permet de tester un même programme avec des conditions
7.6. CONCLUSION 141

et des environnements distincts, comme la localisation géographique, l’équipe mise en


œuvre, etc. En outre, les effets d’équilibre général ne sont pas capturés.

7.6 Conclusion
Depuis environs 15 ans, il existe un engouement important dans le monde en ce qui
concerne l’application des évaluations d’impacts pour tester si une intervention a un effet.
Ce type d’étude fournit ensuite la justification rigoureuse pour les grands financements
de programmes sociaux ou de développement. Les questions ou thématiques sur lesquelles
sont appliquées ce type de évaluation sont très hétérogènes, allant de la santé et l’édu-
cation à la microfinance, par exemple. Néanmoins, il faut tenir compte des limites de ce
type d’évaluation et aussi du grand débat existant entre l’intervention au niveau micro-
économique ou au niveau macro-économique.

7.7 Références
Banerjee, A., Duflo, E., Cole, S., Linden, L. (2007),“Remedying education : Evidence
from two randomized experiments in India”, Quarterly Journal of Economics 122
(3), p. 1235-1264.
Duflo, E., Glennerster, R., Kremer, M., (2008), “Using Randomization in Develop-
ment Economics Research : A Toolkit,” Handbook of Development Economics,
Elsevier.
Duflo, E., Dupas, P., Kremer, M., Sinei, S., (2006), “Education and HIV/AIDS pre-
vention : evidence from a randomized evaluation in Western Kenya,” Policy Re-
search Working Paper Series 4024, The World Bank.
Miguel, E., Kremer, M., (2004), “Worms : Identifying impacts on education and
health in the presence of treatment externalities”, Econometrica, vol. 72, No. 1,
pp. 159-217.
Kremer, M., Miguel E. (2007), “The Illusion of Sustainability”, Quarterly Journal of
Economics Vol. 112-3, pp 1007-1065.
Parienté, W., (2008), “Analyse d’impact : l’apport des évaluations aléatoires”, STA-
TECO N¶ 103.
Olken, B., (2007), “Monitoring Corruption : Evidence from a Field Experiment in
Indonesia”, Journal of Political Economy, Vol 115-2, pp 200-249.
Rubin, D.B., (1974), “Estimating Causal Effects of Treatments in Randomized and
Non-randomized Studies”, Journal of Educational Psychology, Vol. 66, pp 688-701.
142 CHAPITRE 7. ÉVALUATIONS ALÉATOIRES
Chapitre 8

Les diagnostics de la croissance

Dans ce chapitre, nous nous éloignons du niveau micro-économique proposé par les
évaluations aléatoires et nous passons au niveau macro-économique des politiques du
développement. Le choix ici est de présenter un cadre de travail développé récemment
largement utilisé dans les agences de développement pour réaliser des diagnostics de la
croissance des pays en développement.
Au niveau macro-économique, les économistes étaient insatisfaits des outils qu’ils
avaient en main pour diagnostiquer les défis de croissance de chaque pays. La recherche
sur la croissance économique se concentrait sur les causes générales, et il n’y avait d’at-
tention particulière spécifique sur les obstacles potentiels qui peuvent exister dans des cas
particuliers.
Avant de donner la définition générale des diagnostics de la croissance, il faut considérer
trois préceptes initiaux : (a) l’importance de la croissance économique pour le dévelop-
pement des pays ; (b) l’objectif de ne pas créer une recette universelle pour tous les pays
(une “liste de courses” à la consensus de Washington, comme présenté dans la Figure
8.1) ; et (c) le besoin de fournir des priorités pour une stratégie de croissance.
Le Diagnostic de Croissance (GD dorénavant, pour Growth Diagnostics en anglais),
est un cadre de travail permettant de dégager une stratégie pour mettre en place des prio-
rités pour relancer la croissance économique des pays. Il a été développé par Hausmann,
Rodrik et Velasco (2005). Ces auteurs soulignent que les économistes, bien qu’ayant de
nombreuses connaissances sur le développement économique et sur l’économie du déve-
loppement, n’avaient pas réussi à mettre en place des politiques du développement qui
fonctionnent, jusqu’à maintenant.
Quel est le principe des GD ? C’est d’abord d’identifier les contraintes incontournables
à l’activité économique. Ensuite, c’est définir un groupe de politiques, ciblées sur ces
contraintes, qui peuvent les surmonter. Ce travail s’effectue à partir d’un schéma d’arbo-
rescence que nous présentons plus tard dans ce chapitre.

143
144 CHAPITRE 8. LES DIAGNOSTICS DE LA CROISSANCE

Figure 8.1 –

8.1 Définitions : le cadre théorique


Dans cette section, nous allons présenter le cadre théorique qui sert de socle pour le
développement du framework DG. Ensuite, dans la section suivante, nous allons détailler
le schéma d’arborescence qui en découle.
L’approche est fondée sur la théorie du « second best » et du « partial reform ». Le
diagnostic est que les pays en développement possèdent des performances économiques en-
deçà de ce qu’ils pourraient atteindre. Dans ce cadre, une économie qui sous-performe et
qui nécessite des réformes est dans une situation où les imperfections de marché touchent
tous les marchés et secteurs de l’économie. C’est le résultat soit de distorsions créées par
le gouvernement (taxes sur la production) ou inhérentes aux marchés (spillovers d’infor-
mation, externalités de capital humain).
Par rapport aux deux cadres théoriques évoqués ci-dessus, lorsque l’état de rende-
ment social maximum, ou optimum de premier rang, ne peut pas être obtenu, il faut
chercher un optimum de second rang (“second best” en anglais). Le point de départ est
que la distorsion d’une activité a aussi un effet sur les conditions de première ordre pour
d’autres activités. S’il serait impossible de supprimer une distorsion d’un marché spéci-
fique, d’introduire une seconde distorsion peut contrebalancer la première, et d’arriver à
un résultat plus efficient. Quant au “partial reform”, les politiques partielles s’appliquent
justement dans les cas du “optimum second rang”. Les gouvernements doivent faire de
réformes ciblées (politiques partielles) afin de corriger et de contrebalancer une première
distorsion.
Nous allons continuer l’analyse du cadre théorique du GD avec la présentation du
modèle de croissance qui est à la base de cette réflexion. C’est un modèle de croissance où
le taux de croissance de l’économie (défini comme le taux auquel les actifs sont accumulés)
est défini comme la différence entre le rendement espéré de l’accumulation de l’actif et
8.2. LE SCHÉMA D’ARBORESCENCE 145

le coût de ces actifs perçu par les agents privés qui accumulent ces actifs. Plus grand est
l’écart entre le rendement espéré de l’accumulation de l’actif et son coût d’acquisition,
plus grand est l’investissement. L’équation suivante nous donne les éléments de ce cadre
théorique :

ċt k̇t
g= = = ‡[r(1 ≠ · ) ≠ fl] (8.1)
ct kt
où g est le taux de croissance de l’économie, c et k sont respectivement les niveaux de
consommation et capital per capita, ‡ est l’élasticité inter-temporel de consommation, r
est le retour social espéré de l’investissement et dépend de :

r = r(a, x, ◊)

où a est un indicateur de la productivité globale des facteurs, x est la disponibilité des


facteurs de production complémentaires (comme l’infrastructure et le capital humain) et
◊ est un indicateur d’externalité (un grand ◊ indique une plus grande distorsion).
Enfin, nous définissons (1 ≠ · ) comme la proportion de r qui est appropriée par le
privé, où · est la distorsion entre l’évaluation privée et sociale des activités économiques
spécifiques. La distorsion est, comme dit précédemment, soit imposée par le gouverne-
ment (taxes) ou inhérente au fonctionnement des marchés (externalités de capital hu-
main, spillovers d’information, etc). Le dernier paramètre à définir est fl, qui est le coût
d’opportunité des fonds.
A partir de l’équation 8.1, nous pouvons conclure que plus grand est l’écart [r(1 ≠ · ) ≠
fl] :
— plus il y a d’incitation à accumuler ;
— plus grand est le taux de croissance.
Avant de passer au schéma d’arborescence de la section suivante, nous pouvons déjà
avoir un premier regard sur les contraintes potentielles : (A) soit le pays ne peut pas avoir
de croissance car le rendement privé espéré à l’accumulation d’actif est faible [r(1 ≠ · ) ;
(B) soit les coûts de financement sont élevés fl. Les deux scénarios impliquent : (A1) des
rendements aux investissements élevés mais très peu de ressources car fl est élevé ; (B1)
les rendements aux investissements sont très faibles. C’est exactement sur cette dernière
condition que le schéma d’arborescence démarre.

8.2 Le schéma d’arborescence


Le schéma d’arborescence du GD est présenté dans la Figure 8.2. L’équation principale
présentée ci-dessus est bien le point de départ de ce cadre de travail. Ensuite, l’approche
consiste à trouver dans chaque pays quel est le problème précis qui entrave la croissance
146 CHAPITRE 8. LES DIAGNOSTICS DE LA CROISSANCE

économique. Nous allons présenter trois exemples dans la section suivante, mais aupara-
vant nous allons présenter le schéma d’arborescence.

Figure 8.2 –

La première distinction, le faible rendement à l’activité économique, peut être divisée


en deux : (1) est-ce un problème de rendements sociaux faibles (r) ? ; ou (2) un soucis
de faible appropriation (1 ≠ fl) ?. Les raisons possibles sont plusieurs : un · élevé (du fait
de l’existence de taxes élevées, ou d’un risque d’expropriation élevé), un ◊ élevé (de très
large externalités, l’existence de spillovers ou de défaillances de coordination), un a faible
(une faible productivité ou une faible adoption de la technologie ou « self-discovery », peu
d’incitation publique), ou un x faible (capital humain insuffisant, infrastructure inadaptée,
etc). Nous constatons bien que ces derniers points correspondent aux derniers niveaux du
schéma d’arborescence du GD de son côté gauche.
Mais nous pouvons encore aller plus loin sur le schéma d’arborescence et réfléchir sur
ce qui cause quoi. Côté droit, qu’est-ce qui détermine le coût élevé du financement ? Est-
ce que c’est un manque d’épargne agrégée du fait que dans cette économie il existe une
faible épargne domestique et une absence d’accès à l’épargne étranger ? Dans ce cas, le
risque-pays est élevé et des mauvaises conditions sont offertes aux investissements directs
à l’étranger. Ou est-ce qu’il existe une pauvre intermédiation financière ? Cela peut être
le résultat de la non-agrégation du collatéral, avec l’augmentation du risque de crises
bancaires et du non-paiement des prêts et emprunts.
Enfin, il est clair que, pour cette approche, les raisons pour lesquelles les pays connaissent
8.3. EXEMPLES 147

des taux de croissance faibles peuvent être le résultat des distorsions économique les plus
hétérogènes. Ce qui est important alors est d’étudier en détail l’économie de chaque pays
afin de cibler (réformes partielles) les chantiers de réformes.

8.3 Exemples
Dans cette section, nous allons donc étudier l’expérience de plusieurs (trois) pays, en
les divisant dans deux groupes distinctes. Le Brésil et El Salvador ont fait de réformes,
tandis que la République Dominicaine ne les a pas menés. Ici, nous présentons l’article
original de Hausmann, Rodrik et Velasco (2005) qui analyse l’économie de ces pays rntre
1993 à 2003 (donc en somme la décennie avant la création de ce framework, comme indique
la date de leur article). Comme le montre la Figure 8.3, ces pays ont connu des taux de
croissance différents lors de cette période.

Figure 8.3 –

Commençons par le Brésil. Dans la période 1993-2003, ce pays a fait des réformes
économiques, mais a connu des taux de croissance faibles. À ce moment-là, le pays possé-
dait des taux faibles d’épargne et d’investissement ainsi qu’un niveau de capital humain
faible. En particulier, l’épargne domestique était à des niveaux bas, sont une contrainte
très importante. En plus, a été observé pour ce pays que quand il connaît des périodes
avec un accès facile et relativement moins cher aux capitaux étrangers, le pays connait
des taux de croissance élevés. En revanche, quand cet accès aux capitaux étrangers est
faible, le pays connaît un ralentissement de l’activité économique.
Il faut aussi surligner que ce pays connaissait un coût de financement très élevé à cet
époque, avec un taux d’emprunt élevé. Cependant, les rendements aux investissements
étant élevés, aussi bien pour le capital physique que pour le capital humain, comme nous
8.3. EXEMPLES 149

Figure 8.5 –

Il ne semble pas que le Salvador ait des taxes élevées. Le taux marginal d’imposition
du revenu est de 25%, tandis que la TVA est de 13%. Dans l’absolu, on pourrait même
argumenter que le problème est l’inverse : le gouvernement souffre de manque de ressources
afin d’offrir les biens publics.
En ce qui concerne la stabilité macro-économique, les règles du jeux sont transparentes
(politiques budgétaire-fiscale, politique monétaires, etc.). Le Salvador est placé 33 ème sur
80 pays dans un ranking d’environnement macroéconomique, indiquant sa bonne qualité.
Le pays possède plusieurs caractéristiques positives : un faible taux d’inflation, une spread
bancaire faible, un accès facile au crédit et un déficit fiscal modéré. En somme, cela ne
semble pas être un problème également.
Regardons maintenant les droits de propriété et le respect (application) de contrats :
est-ce une problème ? La réponse est négative, car le Salvador est placé 17 ème au monde
dans le ranking des libertés économiques. En outre, les pays connait un faible niveau de
corruption et d’évasion fiscale.
Quel est l’autre problème potentiel ? La présence de mauvaises infrastructures, un
marché du travail problématique et un taux de change réel désaligné. Néanmoins, ces
caractéristiques ne semblent pas freiner la croissance. Le réseau d’infrastructures est pri-
vatisé et en expansion. Les rigidités du marché du travail sont faibles dans ce pays et le
taux de change réel a été stable dans la décennie 1993-2003.
En éliminant au fur et à mesure les problèmes potentiels en suivant l’approche GD,
nous arrivons à cerner le problème de ce pays, pour la décennie 1993-2003. La véritable
150 CHAPITRE 8. LES DIAGNOSTICS DE LA CROISSANCE

contrainte est l’innovation et la demande pour l’investissement, ou plus particulièrement


la productivité et l’innovation. Le pays n’introduit pas de nouveaux produits ; il ne fait
pas de transformation structurelle, et par conséquent ne dépose pas non plus de brevets.
Vu que les secteurs classiques sont en crise (coton, café), le pays a besoin des nouvelles
idées (ou de nouveaux produits) pour faire tourner l’économie et créer de la croissance.
L’absence de nouvelles idées explique pourquoi le retour espéré à l’investissement est
faible, et pourquoi l’investissement et la croissance sont faibles.
Étudions maintenant le cas du Brésil. À l’envers du cas du Salvador, le pays a plus
d’idées que de fonds pour investir. Même si le Brésil possède des mauvaises conditions
de “doing business”, des taxes élevées et des mauvaises infrastructures, ce ne sont pas
les priorités de reformes. Ce qui est prioritaire c’est le fait que les rendements privés à
l’investissement sont élevés et que les investissements sont contraints par le manque de
fonds (de l’épargne à mobiliser).
La contrainte pour la croissance économique au Brésil se situe bien du côté droit
du schéma d’arborescence. En ce qui concerne l’épargne étranger, il existe (rappelons
nous que nous parlons des années 1990) une faible disponibilité pour le Brésil, avec des
“premiums” très élevés, car la dette de ce pays est déjà importante. En outre, le Brésil
est relativement fermé à l’étranger, avec une ouverture commerciale faible qui limite le
plafond de crédit étranger, car le pays ne se procure pas des devises étrangères nécessaires
pour rembourser ces prêts (donc un problème de balance de paiements). Le ratio (dette
étrangère / exportations ) est élevé. De toute façon, le pays a déjà épuisé toute sa capacité
d’emprunt à l’étranger.
Enfin, l’épargne domestique est à un faible niveau mais adapté. Une de conclusions
que mettent en avant Hausmann, Rodrik et Velasco (2005) à partir du GD est la forte
présence du secteur publique (34% du PIB), conjuguée à niveau élevé de taxes, avec un
résultat fiscal précaire et un fort niveau de dépenses et de transferts publiques. Pour ces
auteurs, le fardeau des transferts publiques et l’existence d’un stock de la dette publique
déjà très élevé ont pour conséquence qu’une partie du revenu national est taxé et diminue
l’épargne nationale.
Présentons maintenant le cas du troisième pays étudié dans l’article original du diag-
nostic de croissance (GD). La République Dominicaine est un pays avec une grande pro-
duction de sucre et d’or, mais qui possède des institutions politiques et bureaucratiques
précaires. Les crises des années 80 ont créé des déséquilibres macroéconomiques, notam-
ment la crise de la balance de paiements en 1991. Ces épisodes ont été suivis de quelques
réformes structurelles : l’unification du régime de taux de change et la libéralisation du
commerce.
Ces réformes ont eu pour conséquence de relancer la croissance jusqu’en 2002, début
8.4. LIMITES 151

d’une crise bancaire. Nous pouvons quand même souligner trois sources de cette crois-
sance : (a) le tourisme ; (b) les maquilas (zones de traitement d’exportation) ; et (c) les
remittances (transferts de fonds qui viennent de l’étranger). Ces trois sources dépend
beaucoup de l’environnement institutionnel, comme par exemple pour le tourisme de l’in-
vestissement et la sécurité, pour la maquila de régulations spécifiques. La République
Dominicaine est un exemple de chemin alternatif au développement institutionnel.
En ce qui concerne le diagnostic pour ce pays, les auteurs préconisent que l’objectif
serait de régler des problèmes institutionnels spécifiques à quelques (nouveaux) secteurs
afin d’augmenter leur taux de rendement et y promouvoir un boom d’investissement.
Ensuite, les secteurs enclavés connaîtraient une forte croissance et généreraient de l’em-
ploi et du revenu, et contribueraient directement et indirectement aux impôts et à la
demande intermédiaire. Des réformes dans les autres secteurs permettraient de relancer
la croissance.

Quelques conclusions générales

À partir de cette approche, les auteurs essaient de créer un nouveau cadre pour faire
un diagnostic des problèmes de performance économique dans les pays en développement.
Cela résulte du constat que les listes universelles des réformes à faire n’ont pas apporté
de solutions aux pays en développement. La méthode GD essaye justement de fournir un
cadre de travail global et cohérent mais adapté aux difficulté rencontrés par chaque pays.
Les exemples fournis montrent qui chaque cas (pays) nécessite une approche particulière.
La Banque Mondiale a appliqué cette approche dans beaucoup de pays, notamment
l’Arménie, la Bolivie, le Maroc et la Thaïlande (liste non exhaustive).

8.4 Limites
Comme aucune approche n’est parfaite, nous présentons ici une synthèse des critiques
à ce modèle, en soulignant les limites du framework proposé par Hausmann, Rodrik et
Velasco (2005). Nous divisons les critiques en deux : (a) celles déjà répondues par les
auteurs et (b) celles faites plus récemment par Habermann et Padrutt (2011).

Critiques déjà répondues par les auteurs

La première critique concerne le schéma d’arborescence. Certaines critiques ont avancé


que cette méthode n’était pas vraiment un schéma d’arborescence, car les branches pou-
vaient être coupées unes aux autres et qu’il n’était pas facile de classifier les problèmes
économiques de manière si séparée. Les auteurs ont répondu en avançant qu’il peut y
152 CHAPITRE 8. LES DIAGNOSTICS DE LA CROISSANCE

avoir des interactions, mais que l’arbre aide à organiser la réflexion sur les problèmes d’un
pays.
La limite suivante porte sur le fait que l’investissement ne se traduit pas toujours en
croissance. Parfois l’investissement est élevé mais cela traduit de fortes mauvaises alloca-
tions de ressources. Cependant, la réponse des auteurs est de que l’analyse de l’accumula-
tion d’actif est assez important en soi, au-delà de leur effet sur la croissance économique.
La troisième critique concerne toujours le rôle principal de l’investissement, en disant
que l’investissement n’est pas toujours productif. Les auteurs répondent en argumentant
que le niveau d’investissement est déterminé par leurs rendements, et, que justement le
côté gauche du schéma d’arborescence porte sur les déterminants de la productivité. En
somme, la productivité y est implicite.
La dernière critique est celle sur le fait qu’un pays ne possède pas une seule contrainte
à la croissance. Hausmann, Rodrik et Velasco (2005) répondent que cela est vrai, mais
que toutes les contraintes ne sont pas toutes aussi importantes.

Critiques de Habermann et Padrutt

La première critique de Habermann et Padrutt concerne la phrase suivant dans l’article


de Hausmann, Rodrik et Velasco (2005) : “Le développement économique fonctionne, au
contraire des politiques du développement”. Les auteurs se demandent si les réformes
antérieures n’ont pas été positives finalement ? Selon eux, beaucoup d’effort ont eu lieu
dans les années 1990 (avec le Consensus de Washington), les réformes ont été effectives,
mais leurs résultats en terme de croissance ne s’étaient pas encore manifestés au moment
du développement du GD. Par ailleurs, ils remarquent qu’une partie des problèmes est due
à des circonstances externes (baisse de la croissance dans les pays industrialisés). Plus fort
encore, Habermann et Padrutt soulignent que les pays qui ont connu de fortes épisodes
de croissance sont ceux qui ont suivi les recommandations du Consensus de Washington.
Par la suite, ces mêmes critiques mettent le doute sur le GD en affirmant que ce n’est
pas une approche scientifique mais un art. Cette critique part du fait que l’identification
de la contrainte la plus importante peut être perçue comme un choix arbitraire de la part
de l’économiste ou du décideur des politiques économiques. Néanmoins, ici nous pouvons
constater que justement l’ouverture du DG demande une plus forte précision et rigueur
pour analyser spécifiquement chaque cas.
Habermann et Padrutt s’interrogent aussi s’il est vraiment important de chercher de
s’adresser à la contrainte la plus importante ? Nous pourrions penser que réduire deux
contraintes par moitié pourrait être plus intéressant que seulement une en entier. Face à
cette critique les auteurs ont déjà répondu que toutes les contrainte ne se valent pas.
Enfin, la dernière critique est de que le GD est biaisé en faveur de l’investissement
8.5. RÉFÉRENCES 153

privé, et qu’il n’y aurait pas de vraie corrélation statistique entre l’investissement privé
et la croissance, comme nous montre la Figure 8.6 ci-dessous.

Figure 8.6 – Source : Habermann et Padrutt (2011)

8.5 Références
Habermann, Harald, Padrutt, Pablo, (2011), “Growth Diagnostics : Strengths and
Weaknesses of a Creative Analytical Framework to Identify Economic Growth
Constraints in Developing Countries”. Journal of Knowledge Management, Eco-
nomics and Information Technology, Issue 7, December 2011.
Hausmann, Ricardo, Rodrik, Dani, Velasco, Andrés, (2005), “Growth Diagnostics”,
Mimeo.
154 CHAPITRE 8. LES DIAGNOSTICS DE LA CROISSANCE
Quatrième partie

Thématiques du développement

155
Chapitre 9

Pauvreté et Inégalité

Dans ce chapitre, nous allons nous pencher sur deux points très importants sur l’éco-
nomie du développement et le développement des pays : la pauvreté et les inégalités. La
pauvreté reste un problème dans les pays en développement, où plus d’un milliard de
personnes vivent avec moins de 1,25$ par jour et 2 milliards vivent avec moins de 2$ par
jour ! Il est évident qu’il ne faut pas juste de la croissance économique, mais aussi une
meilleure distribution des revenus, pour que toute la population puisse en profiter, sans
que les plus démunis soient laissés de côté. En outre, il faut aussi réduire les inégalités de
revenu qui persistent et sont très remarquables dans les pays en développement. Le débat
sur les inégalités reste très présent dans les discussions politiques actuelles, soit à travers
les mouvements “nous sommes les 99 %” ou par exemple dans les travaux d’économistes
tels que Thomas Piketty.
Avant d’entrer dans le détail de l’analyse sur la pauvreté et les inégalités, nous allons
d’abord citer sept points importants sur les relations entre la croissance économique,
la distribution de revenus et la pauvreté que nous tenterons de répondre de manière
satisfaisante au long de ce chapitre :

1. Quelle est l’étendue de l’inégalité dans les pays en développement, et comment


est-elle liée à la pauvreté extrême ?

2. Qui sont les pauvres, et quelles sont leurs caractéristiques économiques ?

3. Qu’est-ce qui détermine les bénéficiaires de la croissance économique ?

4. Une forte croissance économique est-elle seulement possible avec une plus forte
inégalité des revenus ?

5. Les pauvres bénéficient-ils de la croissance ? Est-ce que cela dépend du type de


croissance que vit un pays en développement vit ?

6. Pourquoi l’inégalité extrême est-elle si mauvaise ?

157
158 CHAPITRE 9. PAUVRETÉ ET INÉGALITÉ

7. Quels types de politiques sont nécessaires pour réduire la profondeur et l’étendue


de la pauvreté absolue ?

9.1 Mesures
Dans cette section, nous allons présenter les principales mesures des inégalités et de
pauvreté.

9.1.1 Mesures d’inégalités


Pour mesurer les inégalités, il existe deux types principaux de mesures : (a) celles qui
concernent la distribution de revenu individuel (i.e., personnel ou de taille) ; et (b) celles
qui analysent la distribution fonctionnelle du revenu (ou la part d’un facteur).

Individuel

Les mesures de la distribution de revenu individuel sont celles les plus utilisées. Elles
concernent les individus (personnes ou ménages) et la totalité des revenus qu’ils perçoivent.
Cela implique que la manière (la fonction) dont il le perçoit n’est pas considérée (jus-
tement, cela est l’objectif des mesures fonctionnelles). En somme, ce qui est important
pour analyser la distribution de revenus pour ce type de mesure est de savoir combien
les individus reçoivent, peu importe leur localisation et la source. Par exemple, ce type
de mesure ne prends pas en compte si un individu est un économiste et l’autre un rentier
(loyers perçus), car ils ont le même revenu. Cela ne prend pas en compte également si un
individu travaille 11 heures par jour et l’autre que 7 heures.
Dans la distribution de revenu individuel ou de taille, les économistes et statisticiens
rangent tous les individus par niveau croissant de revenu et, ensuite, ils divisent la po-
pulation totale en différents groupes. La méthode standard est de diviser par quintiles
(cinquièmes) ou par déciles (dixièmes).
En observant les données présentées dans la Figure 9.1 (données hypothétiques) nous
observons la situation habituelle des pays en développement. Nous avons 20 individus
représentant l’ensemble de la population, triés de façon croissante. Dans la troisième
colonne, les quintiles sont calculés : (1) le premier quintile reçoit que 5% du revenu ; (2)
les individus 5 à 8 reçoivent 9% du revenu total ; donc les 40% (1+2) reçoivent seulement
14% du revenu, tandis que le top 20% perçoivent 51% ! Dans la colonne 4 nous voyons bien
que le premier décile reçoit 1,8%, tandis que le dernier décile reçoit 28,5%. Plus étonnant
encore est de calculer que les 5% les plus riches perçoivent 15 unités monétaires, plus que
le les 40% les plus pauvres (qui quant é eux reçoivent 14 unités = 5 + 9).
9.1. MESURES 159

Figure 9.1 –

Une mesure traditionnelle des inégalités peut être tirée de la colonne 3. C’est le ratio
des revenus du top 20% sur le bottom 40%, appelé le ratio de Kuznets. Dans notre
exemple, 51/14 = 3,64.
Passons maintenant à la présentation d’un des outils les plus importants dans l’analyse
de la distribution du revenu individuel : la courbe de Lorenz. Sur l’axe des abscisses nous
avons le nombre de personnes (en pourcentage cumulative) et, sur l’axe des ordonnées, la
part du revenu total reçu par chaque pourcentage de la population (aussi en pourcentage
cumulative). Il est très important de bien définir et comprendre les axes de ce graphique
pour la construction de cette courbe. Elle est représenté sur la Figure 9.2.
Sur la diagonale, à chaque point, le pourcentage de revenu perçu est égal à la taille de
la population. 50% de la population reçoivent 50% des revenus, soit une parfaite égalité.
En revanche, la courbe de Lorenz montre la vraie situation. Dans la Figure 9.2, les points
sur la courbe sont issus des données du tableau de la figure précédente (20% de gens
avec seulement 5% de revenus). Sur la Figure 9.3, nous avons deux types de courbe de
Lorenz hypothétiques parmi toutes celles possibles. Le graphique de gauche représente une
distribution plus égalitaire (la courbe de Lorenz est plus proche de la droite), tandis
que le graphique de droite représente une distribution plus inégalitaire (la courbe de
Lorenz est éloignée de la droite).
160 CHAPITRE 9. PAUVRETÉ ET INÉGALITÉ

Figure 9.2 –

Figure 9.3 –
9.1. MESURES 161

À travers la courbe de Lorenz, nous pouvons calculer le coefficient de GINI. Graphi-


quement, il est défini comme le ratio entre l’aire de la diagonale et la courbe de Lorenz
divisé par l’aire totale du triangle dans laquelle la courbe se situe (cf. Figure 9.4). Le
coefficient (indice) de GINI varie de 0 (distribution de revenu d’une égalité parfaite) à 1
(inégalité parfaite). Dans les pays en développement, nous observons une moyenne entre
0,5 et 0,7. Pour notre cas hypothétique (données du premier tableau), il est de 0,44.

Figure 9.4 –

Fonctionnel

Passons maintenant à la présentation de la distribution fonctionnelle du revenu. Les


mesures de ce type expliquent la part du revenu total national que chaque facteur de
production (terre, travail et capital) perçoit. En effet, elles ne s’intéressent pas aux indi-
vidus, mais plus précisément aux salaires, profits, etc. La distribution du revenu capturée
par ces mesures est déterminé par les prix de facteurs de production et les productivités
162 CHAPITRE 9. PAUVRETÉ ET INÉGALITÉ

marginales. En outre, il faut prendre en compte les forces en dehors du marché (lobbying,
etc.)

9.1.2 Mesures de pauvreté


Dans cette section, nous allons étudions les trois principales mesures (il en existe bien
d’autres) de la pauvreté absolue. La pauvreté absolue est définie comme la situation d’in-
capacité ou presque d’atteindre les conditions de subsistance en relation à la nourriture,
les habits et le logement. Les trois types sont donc la pauvreté à $ 1,25 par jour (le seuil
de pauvreté), l’écart de pauvreté totale (l’intensité de la pauvreté) et l’indice de pauvreté
multidimensionnelle (MPI), qui mesure la pauvreté au-delà du revenu.

Pauvreté à $ 1,25 par jour (seuil de pauvreté) : poverty headcount

Cette mesure reflète le nombre de personnes (H) qui vivent en dessous du seuil de
pauvreté. Dans l’objectif d’avoir un indicateur du nombre de personnes, il suffit de diviser
H/N , avec N le total de la population. Afin de comparer le même pays ou des pays
différents à travers le temps, il faut que le seuil soit fixe dans le temps. Néanmoins, les
perceptions changent. Ainsi, il est difficile de maintenir fixe un seuil de pauvreté dans le
temps, d’autant plus qu’il faut aussi adapter cette mesure à l’environnement local.

L’écart de pauvreté : total poverty gap (TPG)

Il est parfois limité de juste compter le nombre de personnes vivant en-dessous du seuil
de la pauvreté. Dans le cadre des politiques du développement, il est aussi intéressent de
mesurer le revenu total nécessaire pour sortir tout le monde qui vit en-dessous du seuil de
la pauvreté. Regardez la Figure 9.5 : même si dans les pays A et B, 50% de la population
vit en-dessous du seuil de la pauvreté, l’écart de pauvreté (TPG) est plus grand dans le
pays A que dans le pays B. Il sera donc plus difficile d’éliminer la pauvreté absolue dans
le pays A que dans le pays B.
Le TPG est calculé en additionnant la différence entre le seuil de pauvreté Yp et le
revenu de chaque individu Yi de la population :

H
ÿ
TPG = (Yp ≠ Yi ) (9.1)
i=1

Pour calculer cette mesure au niveau per capita, nous pouvons calculer l’écart de
pauvreté moyen comme :

TPG
AP G = (9.2)
N
9.2. PAUVRETÉ, INÉGALITÉS & BIEN-ÊTRE SOCIAL 163

Figure 9.5 –

L’indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM)

L’indicateur IPM complète les mesures monétaires de la pauvreté en prenant en consi-


dération les privations cumulées subies simultanément par des personnes. L’indice identifie
les privations dans les trois mêmes dimensions que l’IDH (santé, éducation et niveau de
vie). Au niveau d’un ménage, chacune des dimensions est prise en compte par des variables
spécifiques, comme pour la santé (si l’enfant est mort ou si quelqu’un est mal-nourri), pour
l’éducation (si quelqu’un n’a pas suivi 5 ans d’études, ou si un enfant est en dehors du
système scolaire) et le niveau de vie (manque électricité, manque d’eau potable, condi-
tions sanitaires, sol inadéquat, et s’il manque l’un des autres actifs - téléphone, radio,
télévision, vélo, scooter ou assimilé). L’indicateur IPM mesure alors le nombre de per-
sonnes qui vivent dans une pauvreté multidimensionnelle (privations à hauteur de 33%
des indicateurs pondérés), ainsi que le nombre de privations auxquelles sont confrontées
généralement les foyers pauvres. Dans les Figures 9.6 et 9.7, nous pouvons voir quelques
faits stylisés sur la mesure de la pauvreté à travers l’indicateur IPM, tirés du rapport de
l’IPM du PNUD pour 2019.

9.2 Pauvreté, inégalités & bien-être social


Il est clair que le problème de la pauvreté absolue est évident, et personne ne pourrait
avoir des arguments contre les efforts d’éradication de la pauvreté. Cependant, quel est
le problème d’une inégalité extrême du revenu ? Nous allons avancer trois raisons puis
détailler la Courbe de Kuznets.
La première raison pour s’opposer à une inégalité extrême du revenu est que celle-ci
mène à une inefficacité économique. Par exemple, si nous avons dans une nation moins
164 CHAPITRE 9. PAUVRETÉ ET INÉGALITÉ

Figure 9.6 –

Figure 9.7 –
9.2. PAUVRETÉ, INÉGALITÉS & BIEN-ÊTRE SOCIAL 165

d’individus qualifiés pour avoir un crédit (car ils ne sont pas assez riches ou ne possèdent
pas de collatéral), il y aura peu de crédit dans le système économique, ce qui entrainera
un niveau d’éducation moins élevé et une stagnation du niveau des affaires dans cette
économie. Le taux d’épargne diminuera aussi, et nous observerons un flux de capital vers
l’étranger, car les plus aisés dépenseront leur revenu dans des biens de luxes importés.
La deuxième raison est la possibilité d’un affaiblissement de la stabilité sociale et de
la solidarité. Une très forte inégalité de revenu amène aussi à plus de recherche de rente
(lobbying, corruption) et à des institutions plus difficiles à améliorer. En outre, dans ce
genre de cas, les politiques populistes sont populaires, ce qui se montrent problématiques
peu de temps après.
La troisième et dernière raison est tout simplement l’injustice. D’habitude, l’inégalité
est vue comme injuste.

Courbe de Kuznets

Dans cette sous-section, nous présentons l’hypothèse de Kuznets et la courbe qui en a


découlé. Pour Kuznets, dans les premiers stages de croissance économique, la distribution
des revenus se détériore ; aux derniers stages, elle s’améliore. Regardons, dans la Figure
9.8, le graphique qui reflète le lien entre le revenu per capita d’un pays et l’égalité de
la distribution de revenus. Selon Kuznets, la raison pour laquelle nous observons cette
dynamique est que, au fur et à mesure que le pays se développe, l’économie délaisse
le secteur traditionnel pour le secteur moderne. Cela implique que les rendements de
l’éducation se distancient : les individus qualifiés gagnent plus que les non-qualifiés, mais
cette différence s’estompe à un niveau plus élevé de développement économique.
Cependant, de nombreuses études de cas (case studies) montrent que la croissance peut
être conjointe avec une diminution des inégalités (Taïwan, Corée du sud, Costa Rica, Sri
Lanka). Plus précisément, en ce qui concerne la courbe en U-inversé de Kuznets, il n’y
a pas de preuve empirique pour l’ensemble de pays, peu importe la méthode statistique,
même si certains pays (surtout ceux de l’Amérique Latine) observent ce type de compor-
tement. En somme, la mesure des inégalités de revenu dans un pays est étudiée comme
une partie important et stable de son développement socio-économique.
166 CHAPITRE 9. PAUVRETÉ ET INÉGALITÉ

Figure 9.8 –

9.3 La pauvreté absolue


Passons maintenant aux mesures empiriques de la pauvreté absolue, surtout son éten-
due et sa magnitude. Le seuil de pauvreté absolue était de 1 $ par jour dans le mesure de
dollars américains de 1987, puis il est passé à 1,08 en U$ dollars de 1993, puis à 1.25 $
par jour en U.S dollars de 2008. Il est désormais maintenant en parité de pouvoir d’achat.
En 2010, la Banque Mondiale a estimé que le nombre de personnes vivant en-dessous du
seuil de pauvreté était de 1,4 milliards. Parmi ces 1,4 milliards, environ 300 à 400 millions
sont de pauvres chroniques, c’est-à-dire, ils ont été pauvres toute leur vie (cf. Figure 9.9).
Pendant la période 1981 à 2005, nous pouvons observer la fantastique réduction de la
pauvreté absolue dans l’Asie de l’Est (avec la croissance de la Chine) et dans le Pacifique,
tandis que la pauvreté a même augmenté en Afrique Sub-Saharienne.
Faisons maintenant une discussion rapide sur le lien entre l’accélération de la crois-
sance économique & la réduction de la pauvreté. Sont-ils des phénomènes antagonistes ou
complémentaires ? Nous pourrions dire que ce sont des phénomènes antagonistes, car les
personnes à faible niveau de revenu seront dépassés par les changements structurels, que
les dépenses publiques certes diminuent la pauvreté mais aussi la croissance. En revanche,
5 raisons nous permettent d’avancer que ces deux phénomènes sont complémentaires : (1)
la pauvreté mène à des situations avec moins de crédit, moins d’éducation, et un taux de
9.4. LES CARACTÉRISTIQUES DES GROUPES AVEC UN TAUX DE PAUVRETÉ ÉLEVÉ167

Figure 9.9 –

fertilité plus élevé (donc moins de croissance) ; (2) au contraire de l’expérience historique
des pays développés, les riches dans les pays en développement ne sont pas connus pour
faire de l’épargne et de l’investissement ; (3) la pauvreté est aussi liée à une mauvaise santé,
nutrition et éducation (donc baisse de la productivité) ; (4) l’augmentation du niveau de
revenu des pauvres augmente la demande pour les biens localement fabriqués comme la
nourriture et les habits : (5) la réduction de la pauvreté peut stimuler l’économie à travers
des incitations matérielles et psychologiques à participer au processus de développement.

9.4 Les caractéristiques des groupes avec un taux de


pauvreté élevé
Dans cette section nous allons voir quelques caractéristiques des groupes d’individus
à fort taux de pauvreté afin d’avoir une vision globale de la distribution de revenu et du
problème de pauvreté. La magnitude est une combinaison de faibles niveaux de revenu
per capita et de distribution très inégales de revenus. Avant de formuler des politiques et
programmes pour combattre la pauvreté, il faut connaître spécifiquement les groupes à fort
taux de pauvreté et leurs caractéristiques économiques. D’habitude (ou en moyenne), ces
groupes sont plus souvent localisés dans les zones rurales, sont engagés dans des activités
agricoles et plus habituellement, ce sont des femmes et des enfants, et d’origine indigène.
En effet, les données récoltés confirment ces “généralisations”.
En ce qui concerne la pauvreté rurale, deux tiers des plus démunis assurent leurs
moyens d’existence de l’agriculture de subsistance ou étant comme agriculteurs salariés
(et le plus souvent très mal-payés). Malgré ce constat, la plupart des dépenses des gou-
168 CHAPITRE 9. PAUVRETÉ ET INÉGALITÉ

vernements a été dirigée vers les zones urbaines. Comme indiqué dans les données de la
Figure 9.10, en Afrique et en Asie, 80% des groupes de pauvreté sont en zone rurale, et
50% en zone urbaine.

Figure 9.10 –

Concernant le lien entre le genre et la pauvreté, il faut savoir que les femmes composent
la plupart des pauvres dans le monde, et que les femmes et les enfants subissent le plus de
privations matérielles. Cela résulte du fait que les femmes ont moins d’accès à l’éducation,
à l’emploi dans le secteur formel, à la sécurité sociale et aux programmes publiques. Une
partie de l’explication vient du fait de la disparité de revenus entre femmes et hommes
pour des tâches similaires.
Enfin, nous pouvons souligner le lien entre minorités ethniques, populations indigènes,
et pauvreté. En Amérique Latine, le fait d’être un indigène augmente la probabilité
d’être sous-alimenté, illettré, en mauvaise santé et au chômage. Plus marquant encore,
au Mexique, 80% de la population indigène est pauvre, comparé aux seules 18% de non-
indigènes. Nous pouvons voir ces différences dans la Figure 9.11.
9.5. POLITIQUES POUR LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ ET DES INÉGALITÉS169

Figure 9.11 –

9.5 Politiques pour la réduction de la pauvreté et des


inégalités
Dans cette dernière section, nous allons discuter des politiques à adopter pour réduire
la pauvreté et les inégalités. Quels types de politiques et programmes les gouvernements
doivent adopter afin de diminuer la taille des inégalités et augmenter le revenu de ceux qui
vivent en-dessous du seuil de la pauvreté ? Il existe bien sur plusieurs domaines d’inter-
vention, avec 4 éléments principaux qui déterminent la distribution de revenu d’un pays
en développement.

La modification de la distribution fonctionnelle de revenus

Ce premier point consiste à modifier le prix des facteurs de production et donc d’agir
sur la distribution fonctionnelle des revenus, comme nous l’avons présenté plus tôt dans
ce chapitre. Les rendements du travail, terre et capital sont déterminés par le prix des
facteurs de production et leurs utilisations. Quel est l’effet positif ou négatif d’un salaire
minimum ? Il existe des arguments pour et d’autres contre ce type d’instrument. Un
objectif très important est que la correction des distorsions de prix devrait diminuer la
pauvreté et améliorer les inégalités. Cela d’autant plus si le gouvernement s’attaque aux
contraintes institutionnelles, en incitant les investissements, en diminuant les taxes aux
entreprises et les subventions, et en ne modifiant pas les taux de change surévalués.

Modifier la taille de la distribution

Un deuxième élément pour combattre la pauvreté et les inégalités est de s’attaquer au


faible niveau d’actifs détenus par les pauvres, afin de les augmenter. Les actifs sont la terre,
le capital (usines, bâtiments, etc.), le capital humain et les ressources financiers. A travers
des politiques de redistribution, comme la réforme agraire mais aussi le micro-crédit, les
actifs des individus peuvent augmenter. Cela part du constat que l’inégalité de revenu
dans la plupart des pays en développement est du fait de la très inégalitaire et concentré
170 CHAPITRE 9. PAUVRETÉ ET INÉGALITÉ

distribution de richesses (propriété des actifs). Les 20% plus riches sont propriétaires de
plus des 90% de ressources productives et financières, comme le capital physique, financier
et humain.

L’imposition progressive et les taxes sur la richesse

Un troisième volet est celui de l’instauration d’un impôt sur le revenu progressif, avec
une incidence sur les individus et les entreprises. Cela part de l’évidence que le système
dans les pays en développement est souvent régressif en pratique, car les individus le plus
défavorisés sont taxés à la source de leurs revenus ou de leurs dépenses (respectivement les
salaires et les dépenses de consommation via les taxes indirectes). Cependant, les riches
peuvent ne pas déclarer leurs gains, car leurs revenus viennent en partie des rendements
sur les capitaux physiques et financiers.

Les transferts directs et la provision de biens et services publiques

Un dernier élément pour combattre la pauvreté et les inégalités est bien la provision
de biens et services aux plus démunis, comme les projets de santé dans les zones rurales,
l’offre de déjeuner dans les cantines scolaires et le déploiement d’un réseau d’offre d’eau et
d’électricité pour les zones rurales. En outre, des politiques qui visent les subventions di-
rectes aux plus démunis, comme les transferts d’argent direct (Progresa ou Bolsa Familia)
sont très importants.

9.6 Références
PNUD. (2019). Rapport “Global Multidimensional Poverty Index 2019 : illuminating
inequalities”. Nations Unis, New York.
Chapitre 10

Éducation et santé - Capital Humain

10.1 Introduction

Dans cette section, nous allons explorer la relation entre capital humain et dévelop-
pement. Pour cela, nous allons d’abord faire une brève présentation de l’importance du
capital humain pour le développement, pour ensuite traiter deux de ses dimensions :
l’éducation et la santé.

Comme nous l’avons déjà mentionné, l’éducation et la santé sont des objectifs en soi
du développement économique. D’une part, l’éducation joue un rôle primordial dans la
capacité des pays à absorber des technologies modernes et donc à développer la possibilité
d’une croissance soutenable. Par ailleurs, la santé est une pré-condition pour des gains
de productivité. En somme, l’éducation et la santé sont des composants principaux d’une
stratégie de croissance et développement.

Ces deux dimensions du capital humain sont bien sur étroitement liées. Todaro et
Smith font une bonne synthèse des liens existants entre les investissements en santé et
ceux en éducation, qui sont définis comme des investissements dans chaque individu. Un
plus grand investissement en capital santé peut augmenter le retour à l’investissement en
éducation pour plusieurs raisons : (a) la santé est un facteur important de la présence à
l’école ; (b) les enfants en bonne santé réussissent mieux à l’école ; (c) des espérances de
vie plus longues augmentent le retour à l’investissement en éducation ; et (d) les individus
en meilleure santé sont capables d’utiliser leur éducation de manière plus productive à
tout moment au long de la vie. D’autre part, l’éducation peut augmenter l’investissement
en santé de plusieurs façons : (1) plusieurs programmes de santé font appel aux capacités
apprises à l’école ; (2) les professeurs enseignent les basiques de l’hygiène et du nettoyage ;
et (3) l’éducation est nécessaire à la formation et à la qualification du personnel de santé.

171
172 CHAPITRE 10. ÉDUCATION ET SANTÉ - CAPITAL HUMAIN

10.2 L’éducation et la santé comme des investisse-


ments
Ici nous présentons l’analyse économique qui traite de l’éducation et de la santé comme
des investissements, une analogie aux investissements en capital physique. A la suite
d’un investissement initial, des revenus futurs vont être générés du fait de l’expansion
de l’éducation et de la santé. En effet, un taux de rendement (taux de retour) peut
être calculé et comparé à d’autres investissement. Pour cela, il faut estimer la valeur
présente escomptée de l’augmentation des revenus conduite par ces investissements et
ensuite comparés avec leurs coûts directs et indirects. L’approche basique consiste donc à
mesurer la capacité indirecte que le capital humain a d’augmenter le bien-être à travers
l’augmentation du revenu.
Comment les revenus varient dans le cycle de vie en fonction du niveau d’éducation
de personnes ? Les niveaux plus élevés commencent à travailler plus tard, mais leurs
revenus augmentent plus fortement. Les gains futurs doivent être comparés avec leurs
coûts totaux pour être considérés comme un investissement. Les coûts de l’éducation
sont les frais d’inscription, les livres, les uniformes, et les coûts indirects, comme le coût
d’opportunité (revenu qu’il aurait gagné s’il ne serait pas allé à l’école). Nous pouvons
voir le cas empirique pour le Venezuela, dans la Figure 10.2.

Formellement, nous avons :

ÿ Et ≠ Nt
(10.1)
(1 + i)2
où E est le revenu avec l’éducation en plus, N est le revenu sans éducation en plus, t
10.2. L’ÉDUCATION ET LA SANTÉ COMME DES INVESTISSEMENTS 173

est l’année et i est le taux d’escompte (discount rate ou le calcul de la valeur présente : le
taux annuel pour lequel les valeurs futures sont diminuées afin qu’elles soient comparables
aux valeurs du présent). La somme est pour toutes les années t.

Regardons le graphique de la Figure 10.2. Les individus travaillent dès qu’ils arrêtent
l’école jusqu’à la retraite (66 ans dans cet exemple). Deux profils de revenus sont présentés :
(1) un individu avec un niveau d’école primaire qui travaille dès ses 13 ans ; (2) un autre
individu qui travaille à partir de ses 17 ans (après le lycée). Le coût indirect est ces 4 ans
en plus d’école, de non travail. Il faut aussi prendre en compte le coût direct (uniformes,
frais scolaires, livres, etc.). Les différences entre les deux s’appellent les bénéfices. Il faut
noter qu’un euro aujourd’hui vaut plus qu’un euro dans le futur, donc il faut faire le taux
d’escompte. En outre, le taux de retour va être plus élevé si le taux d’escompte est plus
petit.
174 CHAPITRE 10. ÉDUCATION ET SANTÉ - CAPITAL HUMAIN

Comme nous pouvons l’observer dans la Figure 10.2, en Afrique Sub-Saharienne le


retour privé de l’éducation primaire est de l’ordre de 40%. Mais beaucoup de familles ne
font pas cet investissement car ils ne peuvent pas emprunter de l’argent, même si nous
prenons en compte le faible revenu qu’un enfant gagne en travaillant. Nous pouvons aussi
souligner le taux de rendement social, calculé en incluant la quantité de subventions pu-
bliques comme part du coût direct de l’éducation, car cela est également un investissement
du point de vue publique. Mais ces rendements sociaux sont probablement sous-estimés
du fait des externalités, par exemple.

10.3 Éducation
Nous avons déjà mentionné le rôle de l’éducation pour le développement. Alors, dans
cette section, nous présentons quelles sont les problématiques liées à l’éducation et les
possibilités de résolution à travers les politiques publiques. D’abord, nous regardons diffé-
rents problèmes en matière d’éducation pour le développement. Ensuite, nous présentons
les résultats de plusieurs politiques menées au cours des dernières années.
Comment l’éducation impacte-t-elle le développement ? L’effet peut être tant au niveau
micro qu’au niveau macro, comme le synthétise bien Michaelowa (2000) dans la Figure
10.1. D’abord, au niveau micro, le lien entre éducation et augmentation des rendements
individuels est très bien documenté dans la littérature. Ensuite, des externalités positives,
comme par exemple celle sur les voisins existent. Au niveau macro, l’éducation joue sur
l’augmentation de la productivité, et également sur la hausse de la population active.

Figure 10.1 – Source : Michaelowa (2000)

L’effet microéconomique des individus est mesuré par le retour direct de l’éducation.
Cet effet-là est très couramment mesuré dans la littérature. L’approche la plus tradition-
nelle est basée sur une variante de l’équation de gain (profit) de Mincer. Le logarithme
10.3. ÉDUCATION 175

naturel des salaires (w) est régressé sur les années d’étude (S), un proxy pour l’expérience
sur le marché du travail (E), sa valeur au carré (E 2 ), et une série de variables de contrôle :

ln(w) = – + —1 S + —2 E + —3 (E 2 ) + —4 X + ‘ (10.2)

Selon Michaelowa (2000), les résultats de cette équation sont consistantes à travers les
pays et au fil du temps : il existe un effet positif très clair de l’éducation sur le revenu.
Pour certains pays de l’Afrique, une année additionnelle d’études est liée à des retours
privés entre 8 et 20%. Par ailleurs, dans le rapport de l’OCDE (2013), il est expliqué
qu’au Brésil, en Grèce et aux Etats-Unis, les personnes ayant une diplôme du niveau
collège gagnent 65% en moins que les personnes ayant fini le lycée.
Par ailleurs, le document “Education at a Glance 2013 : OECD indicators”, propose
une immense gamme d’indicateurs régulièrement mis à jour, comparables entre pays, qui
reflètent le consensus existant entre les des professionnels du domaine sur les manières de
mesurer l’état actuel de l’éducation à travers les pays de l’OCDE. La Figure 10.2 résume
ce document.

Figure 10.2 – Source : OECD (2013)

Mesures de l’éducation

Parmi toutes ces dimensions de l’éducation dans les pays, plusieurs difficultés sont
rencontrées. Une synthèse des caractéristiques de l’éducation dans les pays en développe-
ment est faite par Glewwe et Kremer (2006). Les auteurs mettent en avant que le système
éducationnel dans les pays en développement est différent de celui de pays développés, et
cela à plusieurs niveaux : (1) la quantité d’éducation offerte ; (2) la qualité de l’éducation
176 CHAPITRE 10. ÉDUCATION ET SANTÉ - CAPITAL HUMAIN

offerte ; (3) les questions générales, telles que le financement de l’éducation, l’organisation
des écoles, etc.
Par rapport à la quantité d’éducation offerte, même si les pays en développement ont
connu une nette amélioration en termes d’inscription scolaire ainsi que de nombre d’année
d’études moyen des adultes, il reste beaucoup de progrès à faire. En 2000, à peu près 850
millions d’adultes dans les pays en développement (1/4 des adultes) étaient illettrés. Le
principal indicateur de la quantité d’éducation est le taux d’inscription brut à l’école
primaire (et collège), défini comme le nombre d’enfants inscrits à l’école indépendamment
du niveau scolaire et leur âge, sur la population totale en âge d’aller à l’école. Nous
pouvons constater dans la Figure 10.3 que ce taux est de 100% pour les pays développés,
tandis qu’il reste autour de 80% en Afrique Sub-Saharienne 1 . Plus étonnant encore est
la différence du taux d’inscription dans le secondaire (équivalent du lycée) entre les pays.
Tandis que les pays à haut niveau de revenu connaissent des taux de 100%, cet taux est
de seulement 27% en Afrique Sub-Saharienne et 47% en Asie du Sud-Est. Plus alarmant
est le fait que l’amélioration de ces indicateurs (importante dans les années 1960 et 1970)
s’estompe dans les années 1980 et 1990 pour ces pays-là.

Figure 10.3 – Source : Glewwe et Kremer (2006)

D’autres mesures quantitatives sont aussi analysées chez Glewwe et Kremer (2006),
comme le nombre moyen d’années d’éducation des adultes de plus de 15 ans. Le pourcen-
tage de personnes lettrées de plus de 15 ans et aussi les inégalités de genre dans les taux
d’inscription bruts au primaire et secondaire. Maintenant, passons à l’aspect qualitatif.
A quoi correspond l’aspect qualitatif, et pourquoi est-il un problème dans les pays en

1. Pour comprendre pourquoi un pays peut avoir plus de 100%, regardez les détails techniques dans
le document de Glewwe et Kremer (2006).
10.3. ÉDUCATION 177

Figure 10.4 – Source : Glewwe et Kremer (2006)

développement ? La qualité y est mauvaise dans le sens où les enfants apprennent beau-
coup moins à l’école que laisserait supposer le curriculum. Par ailleurs, cette faible qualité
n’est pas entièrement une surprise car la rapide expansion du système éducationnel des
niveaux primaires et secondaire dans les pays en développement a contraint les ressources
financières et en capital humain de ces pays-là.
Afin de comparer les pays, il est mis en place des examens (comme le TIMSS, PISA
et le PIRLS) harmonisés qui essaient d’évaluer et de comparer les étudiants à l’échelle
international. Par exemple, dans le cas du TIMMS en mathématiques, les résultats de
la Corée du Sud (587) et des États-Unis (502), sont élevés, tandis qu’en Afrique du Sud
(275) et en Thaïlande (467) ils sont significativement moins élevés. Nous pouvons voir
aussi dans la Figure 10.5 les résultats en termes d’aptitude de lecture, par exemple. Les
étudiants du Maroc (350) ont eu plus difficulté lors de l’examen que les étudiants Français
(525). Même si l’application de cette méthodologie n’est pas réalisée pour les pays à faible
revenu, il existe des études (Bangladesh, Inde et Ghana, par exemple) qui montrent la
faiblesse de leur réussite scolaire.
Un troisième volet est celui du financement des écoles et de l’organisation du système
scolaire. Dans la Figure 10.6 nous observons que les dépenses en éducation en tant que
ratio du PIB total (ou per capita) est plus faible (par fois divisé par 2) entre les pays en
développement et les pays développés. Au sein de ces derniers, beaucoup plus de ressources
sont donc consacrées à l’éducation. Par ailleurs, il existe aussi de très grandes différences
dans les montants alloués par les pays par élève. La différence entre les pays à faible niveau
de revenu et ceux de l’OCDE peut atteindre 1 pour 10, même quand on utilise des dollars
en PPA comme comparateur. Enfin, un dernier aspect est le nombre d’enseignants par
178 CHAPITRE 10. ÉDUCATION ET SANTÉ - CAPITAL HUMAIN

élève. Il n’est pas surprenant de savoir que le ratio élève par enseignant est le plus élevé
en Afrique Sub-Saharienne et en Asie du Sud-est, où les autres indicateurs d’édcuation
sont aussi les moins performants. Un autre grand problème qui concerne les enseignants
est celui de leur préparation : le pourcentage d’enseignants qui ont été préparés dans les
pays en développement y est aussi plus faible.

Figure 10.5 – Source : Glewwe et Kremer (2006)

Absentéisme

Un autre problème grave dans les pays en développement dans le secteur de l’éducation
est l’absentéisme. Selon les données de Kremer et al. (2005), 25% des enseignants sont
absents dans une école primaire typique en Inde, et seulement 50% étaient en train de
réellement enseigner. Pour comparaison, ce chiffre est de 11% au Perou, 17% en Zambie et
27% en Ouganda. Le chiffre est fortement corrélé avec le niveau de revenu en Inde : plus
un état est pauvre, plus le taux d’absentéisme est élevé. Si on double le PIB per capita
d’un état, on s’attend à une baisse de l’absentéisme de l’ordre de 4,7%. Par ailleurs, le taux
d’absentéisme capturé dans leur étude est beaucoup plus élevé que les chiffres officiels.
Cela est surement expliqué par le caractère inattendu des visites lors des enquêtes de
l’équipe de chercheurs.
10.3. ÉDUCATION 179

Figure 10.6 – Source : Glewwe et Kremer (2006)

Kremer et al. (2005) mettent en avance que cet absentéisme est corrélé avec les in-
citations quotidiennes au travail : la probabilité qu’un enseignant soit absent est moins
forte si les écoles ont été inspectées récemment, si elles ont de meilleures infrastructures
(existence de toilettes pour les enseignants, de l’électricité, de salles de cours couvertes
et de sols sans boue) et si elles sont plus proches d’une route en bitume. En revanche,
ils ne trouvent pas de corrélation négative entre le niveau de salaires des enseignants et
l’absentéisme. Étonnamment, les auteurs trouvent même que les enseignants mieux payés
sont en moyenne plus absents. Une raison pour cela est qu’il est très difficile en Inde pour
un enseignant d’être licencié en raison de son absentéisme.
En outre, les résultats de Kremer et al. (2005) n’arrivent pas à dégager des recom-
mandations en matière de politiques publiques, même s’ils montrent que des inspections
récentes sont corrélées négativement avec l’absentéisme. Ils insèrent plusieurs variables qui
pourraient faire l’objet de politiques ciblées, sans trouver de résultat significatif, comme
par exemple : (a) les enseignants de la propre communauté ne sont pas moins absents ; (b)
la durée du poste de l’enseignant n’est pas non plus corrélée avec l’absentéisme ; (c) les
écoles avec ou sans une association parents-enseignants ont un taux d’absentéisme iden-
tique. Enfin, ils montrent qu’une augmentation de 10% de l’absentéisme des enseignants
est associée avec une baisse de 1,8% de la présence des étudiants, et avec une légère baisse
des résultats scolaires des étudiants. Même si l’effet n’est pas très grand, ces estimations
peuvent être sous-estimées.
L’absentéisme des enseignants pose des difficultés pour la mise en place des politiques
publiques en matière d’éducation. Il n’est pas nécessaire de faire une politique d’incitation
aux jeunes d’aller à l’école, si les enseignants n’y sont pas. Cela montre la pluridimensio-
180 CHAPITRE 10. ÉDUCATION ET SANTÉ - CAPITAL HUMAIN

nalité du problème du système éducatif dans les pays en développement.

Politiques publiques

Enfin, quelles sont les politiques publiques en matière d’éducation qui ont obtenu des
résultats satisfaisants ? Banerjee et Duflo (2006) essaient de donner quelques réponses
à la question de l’absentéisme. D’abord, les auteurs mettent en avance l’efficacité du
contrôle externe. Pour cela, plusieurs méthodes sont utilisées, comme les photographies
des professeurs en présence dans la salle de cours. Dans certains villages en Inde, cela s’est
avéré très efficace, provoquant une forte diminution de l’absentéisme. Différemment, un
autre programme se focalise sur la performance des étudiants, et non pas sur la fréquence
des enseignants sur place. Les enseignants sont ainsi incités indirectement à venir, du fait
qu’ils sont rétribués par la bonne performance de leurs élèves. D’autres méthodes sont
aussi utilisées pour régler le problème de l’absentéisme, comme les programmes de contrôle
de la part des consommateurs du service publique (ici, ceux qui bénéficient de l’offre
d’éducation), ou les interventions du côté de la demande (de nouveau, les consommateurs).
Une autre alternative aux politiques publiques pourrait être de meilleurs conditions
de travail. Kuecken et Valfort (2013) s’intéressent à si une plus grande offre de manuels
scolaires augmente la réussite scolaire pour un échantillon de pays Africains. Les auteurs
ne trouvent pas que l’accès à des manuels (propriété ou prêt) augmente la réussite dans les
établissement scolaires du primaire. L’effet est positif seulement pour une forme d’accès
aux manuels (prêt) et pour les étudiants qui viennent d’un milieu socioéconomique plus
élevé.
Mais il existe des résultats qui donnent quelques espoirs. Gertler et al. (2012) exa-
minent un programme publique bon marché au Méxique qui implique directement les
parents dans le management des écoles localisées dans des communautés rurales défavori-
sées. Le programme, connu comme AGE, finance les associations de parents et incite leur
participation en les impliquant dans le management des subventions aux écoles primaires.
Il existe des arguments pour et contre ce type d’initiatives : d’une part, la décision et la
prise en main locale des écoles favorisent l’adaptation des entrants et des politiques au
niveau local en s’accordant aux préférences, réalités et besoins des communautés ; d’autre
part, la décentralisation de la prise de décision peut ne pas avoir d’effet sur la qualité de
l’offre d’éducation si les parents n’ont pas les capacités nécessaires à se faire entendre ou
si l’élite locale capture les ressources disponibles. Gertler et al. (2012) trouvent que le pro-
gramme a réduit l’échec scolaire de 7,4% et que la répétition de l’année scolaire de 5,5%.
Néanmoins, l’effet du programme AGE a été significatif seulement dans les communautés
défavorisées, et n’a pas été significatif dans les communautés très défavorisées.
10.4. SANTÉ 181

10.4 Santé
Nous continuons l’étude des deux principales dimensions du capital humain, en nous
intéressant à la santé. Comme pour l’éducation, nous allons faire d’abord un tour des
problèmes de santé pour le développement, pour ensuite regarder certaines politiques
publiques d’amélioration des conditions de santé des populations.
Bloom, Canning et Sevilla (2004) montrent qu’une bonne santé a un effet positif et
significatif sur la croissance économique. Les auteurs font l’hypothèse d’une décomposition
de la croissance économique en deux sources : la croissance au niveau des entrants (inputs)
et la croissance de la productivité globale des facteurs (PGF). Les entrants sont le capital
physique, le travail et le capital humain. Cette variable de capital humain est composée
de trois éléments : le nombre moyens d’année d’études, l’expérience moyenne de la main
d’œuvre, et la santé (capturée par une variable de l’espérance de vie). Les auteurs utilisent
un panel de données pour plusieurs pays entre 1960 et 1990. Ils estiment donc l’équation
suivante :

yi,t = ai,t + –ki,t + —li,t + „1 si,t + „2 expi,t + „3 exp2i,t + „4 hi,t (10.3)

où la variable d’intérêt est l’espérance de vie comprise dans la terme h. Le test de leur
hypothèse est donc de savoir si l’espérance de vie, comprise en h, a un effet significatif sur
la croissance économique yi,t .
Bloom, Canning et Sevilla (2004) trouvent un effet positif de l’espérance de vie sur
la croissance économique, comme nous pouvons le voir dans la Figure 10.7. L’effet est
bien visible dans la troisième colonne, avec un signe positif et significatif à 0.05% du
coefficient. Cet effet est dû au fait que les travailleurs avec une meilleure santé physique
et mentale sont plus énergétiques et robustes. Ils sont plus productifs et gagnent des
salaires plus élevés, en plus d’une probabilité plus faible d’être absents au travail en raison
d’une maladie. Les maladies et les handicaps diminuent les salaires horaires de manière
significative, d’autant plus dans les pays en développement où une plus grande partie de la
population active effectue du travail manuel. Par ailleurs, une vaste littérature au niveau
microéconomique a aussi documenté cet effet.
Les problèmes de santé peuvent être de différentes natures, et ils touchent principa-
lement les pays en développement, surtout en ce qui concerne les maladies contagieuses.
Todaro et Smith font une liste des défis de santé rencontrés par les pays en développement.
Parmi eux, il y a la tuberculose, l’hépatite B, le choléra et la dengue. Nous pouvons aussi
mentionner les problèmes de sous-nutrition, le paludisme (malaria), les vers et l’épidémie
du SIDA, par exemple. Ici nous allons nous concentrer sur les trois derniers exemples.
En ce qui concerne le SIDA, selon l’UNAIDS, en 2019, 38.0 millions de personnes
182 CHAPITRE 10. ÉDUCATION ET SANTÉ - CAPITAL HUMAIN

Figure 10.7 – Source : Bloom, Canning et Sevilla (2004)

vivaient avec le VIH, dont 36.2 millions d’adultes et 1.8 millions d’enfants. Par ailleurs, 1.7
millions de personnes sont devenues nouvellement infectées par le VIH en 2019, et 690 000
personnes sont décédées de maladies liées au SIDA en 2019. La distribution géographique
du SIDA est observable dans la Figure 10.8, et dans la Figure 10.9 l’évolution de nouvelles
contaminations.
Parmi les pays de l’Afrique Sub-Saharienne, les pays avec les plus forts taux de per-
sonnes infectés sont l’Éthiopie, le Nigeria, l’Afrique du Sud, la Zambie et le Zimbabwe.
Leur taux s’est stabilisé, voir diminué. 1.3 millions (dans une fourchette de [1.1 million -
1.5 million]) de personnes sont décédées en 2009 de maladies liées au SIDA en Afrique Sub-
Saharienne. Cela représente 72% de l’ensemble des décès totaux(mondiaux). On estime le
nombre total de décès à 1.8 millions (entre [1.6 million - 2.0 millions]).
Par ailleurs, selon le rapport de l’UNAIDS, il y a eu des améliorations dans plusieurs
domaines du combat contre le SIDA lors des années 2000. Un premier point concerne la
réduction de l’incidence et l’effet du SIDA sur les enfants de moins de 15 dans le sud
de l’Afrique. Il y a eu 32% en moins d’enfants infectés en 2009 par rapport à 2004, 26%
en moins de décès d’enfants en 2009 par rapport à 2004. Un deuxième point est liée aux
décès résultant du SIDA. L’augmentation du nombre de personnes traitées a eu un effet
considérable en Afrique Sub-Saharienne. A la fin de l’année 2009, 37% des adultes éligibles
pour un traitement antirétroviral en recevaient, contre 2% en 2002.
Canning (2006) fait une synthèse du poids multidimensionnelle du SIDA : santé, social
et économique. La dimension de santé publique est tout à fait claire : implication du SIDA
10.4. SANTÉ 183

Figure 10.8 – Fréquence du SIDA par région. Source : Canning (2006)

Figure 10.9 – Fréquence du SIDA : Source : UNAIDS (2010)


184 CHAPITRE 10. ÉDUCATION ET SANTÉ - CAPITAL HUMAIN

dans la mort prématurée de plusieurs millions de personnes. Mais le SIDA a aussi des
effets très importants sur la société et l’économie. Comme nous l’avons évoqué ci-dessus,
le capital humain, tant l’éducation que la santé, ont un effet sur la croissance économique.
La santé peut augmenter l’assiduité à l’école et la productivité des travailleurs. Des taux
élevés d’infection du SIDA vont donc diminuer ces effets. Néanmoins, il y a peu d’évidence
empirique sur l’effet directe du SIDA sur la réduction du PIB per capita.
Comment peut-on traiter le SIDA ? Selon Canning (2006), deux approches existent.
Le premier consiste à traiter le SIDA avec des thérapies antirétrovirales, qui rendent pos-
sible le retardement du déclin du système immunitaire, des infections et des décès, en plus
d’augmenter l’espérance de vie de 4 ans en moyenne pour ceux qui sont déjà infectés. Le
traitement antirétroviral est complexe et nécessite une surveillance régulière de l’adhésion
au programme, de l’efficacité et des effets collatéraux, avec des changements significatifs
du traitement quand nécessaire. Cela nécessite un personnel de santé nombreux et com-
pétent - ce qui rend le traitement très cher. La deuxième approche consiste en de mesures
préventives afin de limiter la transmission du SIDA qui incluent : (a) campagnes dans le
médias ; (b) distribution de préservatifs ; (c) éducations des prostituées ; et (d) diagnostic
et traitement d’autres MST, par exemple.
La conclusion de Canning (2006) est que les pays développés, à niveau de revenu
moyen, et même certains pays à faible niveau de revenu peuvent financer à la fois des
efforts de prévention et des traitement antirétroviraux pour combattre le SIDA, contrai-
rement aux pays à très faible niveau de revenu que font face à des contraintes budgétaires
et des ressources très limitées. Dans ces pays, la question est de savoir jusqu’à quel point
la communauté international devrait financer les thérapies antirétrovirales. Si l’objectif
est de maximiser les bénéfices de santé produit, les gouvernements des pays en dévelop-
pement et les institutions internationales devraient d’abord concentrer leurs dépenses en
politiques de prévention de la transmission du SIDA, pour ensuite s’attaquer au traite-
ment. Le coût d’opportunité de mettre l’accent sur le traitement avant la prévention dans
un environnement de ressources limitées est mesuré à des millions de vies perdues.
Selon Miguel et Kremer (2004), une personne sur quatre dans le monde est infectée
avec un type de vers : l’ankylostome, l’ascaride, le trichuris trichiura et la schistosomiase.
Ils sont surtout présents chez les enfants en âge d’aller à l’école dans les pays en dévelop-
pement. Miguel et Kremer (2004), dans une étude au Kenya, trouvent que le traitement
par les vermifuges a substantiellement amélioré la santé et la participation à l’école des
enfants, mais aussi ceux des écoles voisines. Ils trouvent alors un fort effet d’externalités
avec les écoles voisines. Par ailleurs, l’effet de l’augmentation de la participation à l’école
des enfants (hausse estimée à un quart) montre que le traitement par les vermifuges est
une manière moins chère que d’autres pour inciter les familles à envoyer leurs enfants
10.4. SANTÉ 185

à l’école. Néanmoins, le traitement par les vermifuges n’a pas amélioré les résultats des
enfants à l’école.
Enfin, nous nous tournons vers le paludisme. Gallup et Sachs (2001) traitent du poids
économique du paludisme, et commencent par l’affirmation que la malaria et la pauvreté
sont très étroitement liées. Le risque de paludisme (malaria) a toujours été géographique-
ment concentré, comme nous pouvons le voir dans la Figure 10.10. La malaria est confiné
aux zones tropicales et subtropicales, et ce sont les mêmes régions où nous trouvons les
pays à faible niveau de revenu.

Figure 10.10 – Source : Gallup et Sachs (2001)

Mais le paludisme est-il une cause ou un effet du niveau de revenu ? Selon Gallup
et Sachs (2001), plusieurs maladies localisées dans les pays en développement sont la
conséquence de la pauvreté, engendrées par un traitement inapproprié des égouts, de la
mauvaise hygiène ou encore l’ingestion de l’eau non traité. En revanche, le paludisme ne
suit pas la même logique : la gravité et la difficulté de contrôler la maladie sont déterminées
principalement par le climat et l’environnement. Des attitudes personnelles, telles que
l’utilisation de moustiquaires, ou l’urbanisation, ont aussi un effet sur la prévalence du
paludisme, mais ce ne sont pas les principaux déterminants.
Ces auteurs vont donc estimer l’effet du taux de paludisme sur le croissance du PIB
per capita. Gallup et Sachs (2001) montrent que, en contrôlant pour des facteurs comme
la localisation sous les tropiques, l’héritage colonial et l’isolement géographique, les pays
avec un fort taux de malaria ont un niveau de revenu 66% moins élevé qu’un pays n’ayant
pas la malaria, peu importe si ces pays se trouvent ou pas en Afrique.
D’ailleurs, Thuilliez (2009) explore le lien entre la malaria et l’éducation, mesurée en
termes de performance à l’école primaire au niveau macroéconomique. L’auteur montre
à travers des régressions cross-country un résultat très fort entre ces deux variables. Les
186 CHAPITRE 10. ÉDUCATION ET SANTÉ - CAPITAL HUMAIN

variables expliquées sont différentes mesures de l’éducation, comme le taux de réussite


scolaire, tandis que la variable explicative d’intérêt est une mesure du taux de présence
de malaria. Les résultats de Thuilliez (2009) impliquent que la réussite des Objectifs du
Millénaire pour le développement dans le secteur de l’éducation nécessite plus que des
dépenses publiques dans l’éducation primaire.

10.5 Références
Banerjee, A., Duflo, E., (2006), “Addressing Absence.” Journal of Economic Perspec-
tives, 20(1) : 117-132.
Bloom, D., Canning, D., Sevilla, J., (2004), “The Effect of Health on Economic
Growth : A Production Function Approach”, World Development vol. 32 :1, pp.1-
13.
Canning, D., (2006), “The Economics of HIV/AIDS in Low-Income Countries : the
Case for Prevention.”, Journal of Economic Perspectives, vol 20 :3, pp. 121-142.
Gallup, J. L., Sachs, J. D., (2001), “The economic burden of malaria”, Am. J. Trop.
Med. Hyg, 64(1, 2)S, pp. 85 ?96.
Gertler, P., Patrino, H., Rubio-Codina, M., (2012), “Empowering parents to improve
education : Evidence from rural Mexico”, Journal of Development Economics, v.
99, pp. 68-79.
Glewwe, P., Kremer, M., (2006) “Schools, teachers, and education outcomes in deve-
loping countries”, Handbook of the Economics of Education, Elsevier.
Kremer, M., Chaudhury, N., Rogers, F., Muralidharan, K., Hammer, J., (2005), “Tea-
cher Absence in India : A Snapshot”, Journal of the European Economic Associa-
tion, Vol. 3, pp. 658-667.
Kuecken, M., Valfort, M.-A., (2013), “When do textbooks matter for achievement ?
Evidence from African primary schools”, Economic Letters, v. 119, pp. 311 ?315.
Michaelowa, K., (2000), “Returns to Education in Low Income Countries : Evidence
for Africa”, Mimeo.
Miguel, E., Kremer, M., (2004), “Worms : Identifying impacts on education and
health in the presence of treatment externalities”, Econometrica, vol. 72, No. 1,
pp. 159-217.
OECD, (2013), Education at a Glance 2013 : OECD Indicators, OECD Publishing.
http ://dx.doi.org/10.1787/eag-2013-en
Thuilliez, J., (2009), “Malaria and Primary Education : A Cross-country Analysis on
Repetition and Completion Rates”, Revue d’économie du Développement, vol. 23,
pp. 127-157.
UNAIDS, (2010), “UNAIDS Report on the Global Aids Epidemic”.
Chapitre 11

Migrations internationales

11.1 Introduction et définitions


Dans ce chapitre, nous allons étudier les migrations internationales. Nous allons explo-
rer plusieurs dimensions de ce phénomène, en se basant sur des faits stylisés pris dans les
rapports des institutions internationales, et sur des articles de recherche dans ce domaine.
Il est important de souligner que les migrations internationales sont une partie importante
de la globalisation. Qu’est ce que sont les migrations internationales ?
Les mouvements migratoires sont une partie centrale de l’histoire humaine.
Dans les sciences sociales, la migration est définie comme le passage d’une
frontière politique ou administrative pour une période de temps minimale.
Dans le cas des migrations internationales, cette frontière est la frontière d’un
État.
Pourquoi les migrations internationales sont-elles importantes ? D’abord, les migra-
tions internationales sont une réponse aux défis démographiques rencontrés par les pays
développés, car la proportion d’immigrants dans les pays développés a doublé depuis
les années 1970. Cela peut être constaté sur la Figure 11.1. Dans la Figure 11.2, nous
voyons d’abord que le stock d’immigrants par rapport à la population totale dans les
pays développés a beaucoup augmenté, pour ensuite apercevoir que ce stock n’a pas cessé
d’augmenter depuis les années 1960.
Une autre notion importante concerne les mesures de stock ou flux. Dans la plupart
du temps, nous étudions le stock d’immigrants dans le monde. Il est passé de 75 millions
en 1960 à 190 millions en 2005. Ainsi la mondialisation n’est pas seulement une histoire
de commerce international et des investissements directs à l’étranger ? La part des im-
migrants dans les pays développés a été multiplié par 3 depuis 1960. Faisons cependant
une comparaison avec le commerce international. Entre 1970 et 2005, le stock de migrants
dans le monde est passé de 82 millions à plus de 190 millions. Pendant la même période,

187
188 CHAPITRE 11. MIGRATIONS INTERNATIONALES

le volume des exportations mondiales a été multiplié par 7, tandis que les investissements
directs à l’étranger ont été multipliés par 100 entre 1970 et 2000 ! La conclusion est que
même si les migrations internationales ont attiré beaucoup d’attention lors de ces der-
nières décennies, l’expansion de la circulation internationale de personnes a été distanciée
par la circulation des biens et capitaux.

Figure 11.1 – Migrations internationales. Source : Nations Unis (2006)

Figure 11.2 – Migrations internationales. Source : Nations Unis (2006)

D’un point de vue économique, pourquoi cela est-il important ? La migration inter-
nationale peut générer des gains importants de bien être pour les migrants, leur pays
d’origine, et le pays dans lequel ils migrent. Nous allons voir qu’il existe des liens entre les
migrations internationales et le développement économique dans les pays en développe-
ment : ce lien est à double sens, c’est-à-dire, le développement a un effet sur les migrations
et les migrations sur le développement.
Nous pouvons faire une synthèse des effets des migrations sur les pays d’accueil et
11.2. FAITS STYLISÉS 189

d’origine. Dans les pays d’accueil, nous pouvons souligner que : (1) dans les pays avec des
salaires relativement flexibles (USA), on observe que l’augmentation du travail diminue
les salaires des travailleurs qui possèdent le même niveau d’éducation ; (2) où les salaires
sont moins flexibles (Union Européenne), le taux de chômage est plus élevé, même si
l’ampleur de cet effet est faible ; (3) dans la plupart des situations, l’effet global net sur
le revenu des “natifs” est très petit ; (4) la migration peut avoir un effet sur le budget
du pays hôte. Les migrants contribuent de façon positive au budget publique s’ils sont
employés, si on impose des taxes sur leurs revenus. Cela dépendra aussi s’ils sont éligibles
aux aides sociales étatiques ; (5) un dernier effet de la migration est le rôle des migrants
en tant qu’accélérateur du progrès technique d’une économie.
En ce qui concerne le pays d’origine, il peut aussi exister plusieurs effets : (A) les
effets négatifs comme le “brain drain” (la fuite de cerveaux) ; (B) les “remittances” (les
envois de fonds) de travailleurs à l’étranger sont normalement vus comme majoritairement
bénéfiques au pays d’origine ; (C) l’émigration peut avoir un effet direct sur les marchés
du travail dans le pays d’origine. Par exemple, retirer des forces de travail peut rendre
le marché du travail plus rigide, engendrer des salaires plus élevés ou moins de chômage
pour ceux qui n’ont pas émigré.
Quel est donc l’objet d’étude ? C’est l’investigation des effets des migrations interna-
tionales vers les pays développés sur le développement des pays en voie de développement,
d’où venaient la plupart de migrants. Jusqu’à peu, les chercheurs se demandaient si les
migrations avaient un effet positif ou négatif sur le développement. Aujourd’hui, les ques-
tions qui sont posées sont plus semblables à “Pourquoi dans certains cas les migrations
promeuvent le développement, et dans d’autres cas ne le promeuvent pas ?” et “Est-ce
qu’on peut mettre en place des politiques économiques afin d’influencer l’effet des migra-
tions dans les pays avec beaucoup d’émigrés ?”.
Le modèle économique de référence est celui de Harris et Todaro 1 , qui se sont concen-
trés sur l’analyse de la migration rurale-urbaine. Dans le cas de la migration internationale,
l’individu est motivé à migrer afin de capturer une différence espérée de revenu entre le
pays d’origine et le pays d’accueil. Il faut bien tenir en compte le coût de migrer : dans la
plupart du temps, les émigrés ne sont pas les plus dépourvus dans leur pays d’origine.

11.2 Faits stylisés


Maintenant nous entrons plus en détail dans certains faits stylisés. Selon un rapport
des Nations Unies (2013), il existe 232 millions de migrants internationaux en 2013 (ici

1. Dans leur article de 1970, Harris et Todaro ont développé un modèle théorique dans lequel la
migration est une réponse aux différences de gain espérées entre le monde rural et le monde urbain.
190 CHAPITRE 11. MIGRATIONS INTERNATIONALES

on parle bien de stock de migrants). De ceux-là, environ 59% habitent dans des pays
développés, tandis que les 41% autres habitent dans les pays en développement. Des 136
millions qui habitent dans les pays du Nord en 2013, 82 millions, ou 60%, sont originaires
des pays en développement, tandis que 40% sont nés aussi dans un pays Nord.
Dans la Figure 11.3, nous pouvons constater que le changement annuel du stock de
migrants (donc, le flux annuel) a plus que doublé entre les décennies 1990 et 2000. Cela
est surtout vrai pour les pays en développement. Dans la Figure 11.4 nous apercevons le
stock de migrants par région d’origine et de destination.

Figure 11.3 – Migrations. Source : Nations Unies (2013)

Figure 11.4 – Migrations. Source : Nations Unies (2013)

Par la suite, nous pouvons remarquer plusieurs régularités dans les figures suivantes.
Dans la Figure 11.5, nous voyons que les trois principales régions d’accueil sont l’Europe,
l’Amérique du Nord et le Nord de l’Afrique, ainsi que l’Asie de l’Ouest. Dans la Figure
11.6, nous établissons la liste des pays accueillant les plus grands stocks de migrants dans
le monde, liste dominée par les États-Unis, suivis de l’Allemagne et de l’Arabie Saoudite.
Par ailleurs, d’autres faits stylisés doivent être soulignés, comme le propose le rapport
de l’OCDE (2013). L’immigration a compté pour 40% du total de la croissance démogra-
phique dans la zone OCDE pour la période 2001-2011. L’immigration permanente vers
l’OCDE a augmenté de 2% en 2011, et la part d’immigrants asiatiques dans le flux d’immi-
grants vers les pays de l’OCDE continue d’augmenter. Elle est égale à 36% en 2013. Enfin,
11.2. FAITS STYLISÉS 191

Figure 11.5 – Migrations. Source : Nations Unies (2019)


192 CHAPITRE 11. MIGRATIONS INTERNATIONALES

Figure 11.6 – Migrations. Source : Nations Unies (2019)


11.3. LES FLUX BILATÉRAUX INDIVIDUELS DE MIGRANTS 193

en 2011 et 2012, sept pays de l’OCDE ont modifié leur système d’accueil afin d’attirer
vers leur marché du travail les étudiants ayant un diplôme du supérieur.

11.3 Les flux bilatéraux individuels de migrants


Alors, au-delà d’étudier le stock total ou les flux, ici nous nous intéressons aux dé-
terminants des flux bilatéraux (entre chaque paire de pays) de migrants. Mayda (2010)
fait une contribution très importante dans ce domaine-là : elle étudie les déterminants
des flux migratoires dans 14 pays de l’OCDE par pays d’origine entre 1980 et 1995. Elle
analyse l’effet de la migration sur le revenu moyen et la dispersion de revenu dans les
pays de destination et d’accueil. Elle examine aussi l’effet de variables importantes de
dimensions géographiques, culturelles et démographiques, ainsi que le rôle du changement
de politiques migratoires dans les pays d’accueil.
Plusieurs facteurs sont supposés influencer la quantité, l’origine et la destination des
travailleurs pour chaque année et donc contribuer aux évolutions observées dans les don-
nées. L’article de Mayda (2010) a trois contributions : (1) par rapport aux travaux pré-
cédents, il met un accent sur le côté demande de la migration internationale, i.e., les
politiques migratoires des pays destinataires ; (2) il est le premier article à utiliser la
base de données compilée par l’OCDE (1997) sur la migration internationale de ma-
nière systématique afin de faire une investigation approfondie sur les déterminants des
flux internationaux de migrants ; et (3) l’article fait une grande révision de la littérature
et plusieurs problèmes économétriques qui apparaissent lors des estimations empiriques,
comme les problèmes d’endogénéité et de causalité inverse. Quelles sont les raisons pour
les effets d’offre et de demande ? La décision du migrant de se déplacer, en suivant des
incitations économiques et non-économiques, va modeler le côté de l’offre des mouvements
migratoires. La politique migratoire du pays d’accueil représente le côté demande, c’est-à-
dire, la demande pour des immigrants dans le pays de destination. Mayda (2010) estime
l’équation suivante :

f lowijt
= — + —0 pwgdpit≠1 + —1 pwgdpjt≠1 + —2 distij
Pi,t
+ —3 borderij + —4 comlangij + —5 colonyij
+ —6 youngpopit≠1 + —7 pwgdpit≠1 ◊ immigpoljt
+ —8 pwgdpjt≠1 ◊ immigpoljt + ”i Ii
+ ”j Ij + ”t It + ‘ijt
(11.1)
194 CHAPITRE 11. MIGRATIONS INTERNATIONALES

Figure 11.7 – Résultats empiriques. Source : Mayda (2010)

Les résultats principaux sont exposés dans la Figure 11.7. D’une part, les facteurs
“pull”, qui attirent les migrants, comme le PIB par travailleur dans le pays de destination,
augmentent significativement la quantité de migrants. Cela veut dire que le taux d’émi-
gration pour une destination donnée est une fonction croissante du PIB par travailleur
de ce pays-là. D’autre part, les facteurs “push”, qui poussent les individus à migrer, tels
que le PIB par travailleur dans le pays d’origine, est rarement négatif comme la théorie
le prédit, et quand cet effet est négatif, il est plus faible que les effets “pull” et toujours
non significatif. En somme, l’analyse de Mayda (2010) montre des preuves asymétriques
en ce qui concerne les effets “pull” et “push” sur le taux d’émigration.

11.4 Dimensions de l’étude des migrations


Avant d’entrer en détail dans certaines dimensions de l’étude des migrations, il est
important déjà de souligner quelques régularités importantes. Un premier point concerne
les politiques économiques. La situation des immigrants sur le marché du travail s’est
détériorée en quatre ans, entre 2009 et 2013, en termes absolus et également par rapport
aux “natifs”. La crise économique a augmenté l’écart de performance sur le marché de
travail de migrants et natifs à travers les pays de l’OCDE. Ces résultats économiques
récents ont significativement affectés le progrès économique obtenus par les migrants dans
la dernière décennie. Cela montre la nécessité de politiques publiques dont l’objectif est
de ramener les migrants de nouveau vers le marché du travail et d’augmenter les chances
11.4. DIMENSIONS DE L’ÉTUDE DES MIGRATIONS 195

qu’ils décrochent un emploi approprié. L’importance et la quantité de fonds accordés


pour l’intégration des migrants varient significativement par pays. Tandis que certains
pays continuent à investir des ressources considérables dans l’intégration (comme les pays
Nordiques, la Suisse, l’Allemagne, l’Australie et le Canada), d’autres nations ont beaucoup
diminué les programmes publiques du fait de la récession économique et de l’austérité
budgétaire (comme l’Espagne et la Grèce).

Une autre dimension déjà évoquée ci-dessus est la question budgétaire (fiscalité pu-
blique). L’effet budgétaire de l’immigration ne peut pas être donné par un seul chiffre, du
fait que cette mesure dépend d’une série d’hypothèses, telles que le coût variable de cer-
tains biens/services publiques, le stock du capital publique et les taxes non individuels. Il
existe trois approches utilisées dans la littérature économique pour mesurer l’effet budgé-
taire de l’immigration : (1) l’approche comptable qui estime les contributions fiscales des
immigrants au trésor publique auxquelles sont retranchées les dépenses publiques liées aux
immigrants, pour une année donnée ; (2) les modèles dynamiques, qui analysent l’effet de
l’immigration sur le long terme, à travers la modélisation de l’effet de la migration addi-
tionnelle dans le résultat net du budget publique ; (3) des modèles macroéconomiques qui
évaluent l’effet global de l’immigration sur l’économie du pays et les implications que cela
soulève. En fonction des hypothèses faites et de la méthodologie utilisée, les estimations
de l’effet budgétaire de l’immigration varient, mais dans la plupart des pays, il est très
faible en termes de PIB, presque zéro en moyenne pour tous les pays de l’OCDE. L’emploi
est le plus important déterminant des contributions nettes des migrants, surtout dans les
pays avec un fort état-providence. En augmentant le taux d’emploi des immigrants afin
de rejoindre ceux de natifs, les gains budgétaires seraient très importants.

Un dernier effet macroéconomique à souligner est celui des envois de fonds (remit-
tances), qui est différent des effets micro-économiques, que nous allons étudier ci-dessous.
La grande quantité des envois de fonds par rapport à d’autres flux extérieurs et par rap-
port au PIB dans plusieurs pays suggère que les effets macroéconomiques de remittances
peuvent être très importants. Le flux total des envois de fonds est assez stable et peut
être contre-cyclique, il peut aussi améliorer la solvabilité d’un pays et donc augmenter
le financement extérieur. Enfin, de très grands afflux de remittances peuvent provoquer
une appréciation du taux de change et diminuer la compétitivité des exportations. Au
contraire de rentes pétrolières, les envois de fonds ne dégradent pas la qualité institution-
nelle. Enfin, l’effet des envois de fonds sur la croissance économique de long terme est peu
concluant (selon les études).
196 CHAPITRE 11. MIGRATIONS INTERNATIONALES

Remittances

Avant d’analyser en détail les envois de fonds, quelle est la définition précise des remit-
tances ? Ce sont les revenus reçus de l’étranger par les habitants, en conséquence surtout
de la migration internationale de travailleurs. Le flux formel des remittances des migrants
vers leurs proches dans leur pays d’origine a connu, lors de dernières décennies, une ac-
célération très forte et rapide de son taux de croissance. Les envois de fonds réduisent
la pauvreté et modifient la distribution des revenus. Les caractéristiques de la personne
recevant ces fonds déterminent l’ampleur et la direction de ces évolutions. Les évidences
empiriques sur le sujet, pour une variété de pays (Philippines, Égypte, Pakistan, Mexique
et l’Inde) sont toutefois mitigées. Dans la Figure 11.8, nous pouvons voir la liste de pays
qui reçoivent le plus d’envois de fonds, soit en termes absolus, soit par rapport à leur PIB
total.
Le texte de Rapoport et Docquier (2006) fait une revue de la littérature sur les études
empiriques et théoriques qui se focalisent sur les envois de fonds de migrants. Ce texte
divisé entre une section microéconomique et une section macroéconomique apporte des
réponses à de questions importantes, telles que savoir qui fait les transferts, pourquoi, et
quelles sont les conséquences de remittances pour les pays en développement. Globale-
ment, qu’est-ce qui détermine les remittances ?
Quatre explications aux remittances sont avancées : (1) l’altruisme : l’utilité d’une
personne est affectée par l’utilité d’un autre agent. Un transfert altruiste augmente avec
le revenu du migrant et le degrés d’altruisme, et diminue avec le revenu du receveur et
son propre degrés d’altruisme ; (2) l’échange : la façon la plus naturelle de réfléchir à
ces situations est de faire l’hypothèse que les envois de fonds achètent tout simplement
plusieurs types de services, comme l’entretien des actifs du migrant (la terre et le bétail,
par exemple), le fait de s’occuper des enfants ou des personnes âgées qui sont restés dans
le pays d’origine. Ces motivations-là reflètent normalement la migration temporaire ; (3)
l’héritage : au niveau d’une famille, la menace plus concrète afin de sécuriser les envois de
fonds est la possibilité de priver les migrants de leurs droits à l’héritage du moment de
leur retour. Dans ce cas, les remittances sont vus comme une stratégie d’investissement
du côté des migrants et un moyen de s’assurer que les remittances vont arriver du côté
des familles ; (4) les motivations stratégiques : il existe de la place pour des arrangements
coopératifs entre les migrants qualifiés et non-qualifiés : les premiers peuvent donner de
l’argent aux derniers afin qu’ils restent dans le pays d’origine, afin qu’ils ne posent pas
problème sur le marché de travail dans le pays de destination.
Par ailleurs, des arrangements familiaux peuvent aussi déterminer la décision de mi-
gration et d’envoi de fonds. D’abord, pour une question d’assurance : l’emploi urbain à
l’étranger n’a pas à priori de lien avec les risques liées aux les activités agricoles dans le
11.4. DIMENSIONS DE L’ÉTUDE DES MIGRATIONS 197

Figure 11.8 – Remittances


198 CHAPITRE 11. MIGRATIONS INTERNATIONALES

pays d’origine (mauvais récolte, mort du bétail, etc.). Par conséquent, les migrants assure-
raient les autres membres de la famille contre les chutes de revenus ruraux, et recevraient
de l’assistance en cas de chômage ou de retraite. Ensuite, l’envoi de fonds vus peut être vu
un investissement, où le même type de rationalité est appliquée. Dans ce cas, le contrat
implicite de la famille est d’augmenter leur revenu agrégé sans aucun lien avec une forme
d’assurance.
Enfin, comme nous avons déjà vu l’analyse macroéconomique de remittances, nous
n’entrons pas plus dans le détail. Il est tout de même important de souligner que la liste
des effets macroéconomiques des envois de fonds est longue : (a) migration, remittances
et inégalité ; (b) remittances et la formation de capital humain ; (c) remittances, retour au
pays d’accueil et entrepreneuriat ; (d) migration, productivité et développement rurale.

Brain drain ou le brain gain

Une autre dimension importante de la migration internationale est la fuite de cerveaux


(brain drain en anglais). Le fait est que les immigrants sont de plus en plus qualifiés :
tandis que la migration vers les pays de l’OCDE a augmenté autant que le commerce
pendant les dernières années, la migration des travailleurs qualifiés (brain drain) des pays
en développement vers les pays développés a progressé à un vitesse plus grande et peut
donc être vue comme une composante de la mondialisation. La littérature traditionnelle
sur le brain drain a qualifié de malédiction pour les pays en développement, et a réfléchi
à des politiques pour réduire cet exode ou les effets négatifs sur le pays d’origine.
Mais il faut considérer un autre effet : le brain gain provoqué par le brain drain. Le
brain gain est défini comme le gain de cerveaux du fait de la possibilité d’émigrer. Partant
du fait que le brain drain implique qu’une partie des travailleurs qualifiés vont émigrer et
gagner un revenu plus élevé à l’étranger, cette nouvelle littérature de brain drain conclut
que : (a) le brain drain accroît le retour espéré de l’éducation ; (b) les individus augmentent
l’investissement en éducation (capital humain) ; (c) cela peut entraîner un effet net positif
du brain gain, c’est-à-dire, un brain gain qui est plus élevé que le brain drain. Enfin, un
brain gain a pour conséquence une hausse du bien être et de la croissance.
Docquier et Rapoport (2012) font une revue de la littérature sur la recherche en
économie sur le brain drain. Ils commencent par évaluer la magnitude, l’intensité et les
déterminants du brain drain, en montrant que le brain drain est devenu une caractéristique
importante des migrations internationales et de la mondialisation. Enfin, ils montrent que
la littérature empirique récente trouve un effet de brain gain qui peut engendrer des
externalités positives de réseau. La définition du brain drain (ou immigrant qualifié),
est celle d’un individu né à l’étranger, âgé de 25 ans ou plus, qui possède un diplôme
académique ou professionnel au-delà du lycée, au moment où le recensement ou l’enquête
11.4. DIMENSIONS DE L’ÉTUDE DES MIGRATIONS 199

est réalisé.
Le taux de brain drain de 13 pays a plus que doublé, si on prendre en compte aussi
l’émigration à des pays non-OCDE : Namibie (8,7), Lesotho (6,0), Yemen (5,5), et d’autres
pays encore. Dans un autre article, Docquier, Lohest et Marfouk (2007) trouvent que
l’émigration des travailleurs qualifiés de pays en développement est moins sensible à des
variables géographiques comme la distance. Elle augmente avec le degré de fractionalisa-
tion religieuse dans le pays d’origine et diminue avec le niveau de développement aussi
dans le pays d’origine. On peut alors dégager quelques conclusions de ce débat : (a) dans
certains pays il y a un effet positif, et dans d’autres pays il n’y en a pas ; (b) les pays
le plus touchés sont les petits pays, ceux à faible niveau de revenu et proche des pays
développés ; (c) les régions les plus affectées sont l’Amérique Centrale et le Pacifique.

Diaspora

Une dernière dimension importante des migrations pour le monde économique sont les
diasporas. “Diaspora” correspond à toute dispersion d’un peuple ou population ethnique,
volontaire ou par force. La diaspora est mesurée comme la population de plus de 25
ans, née dans un pays i et qui habite dans un autre pays j. Au niveau économique,
la diaspora diminue les coûts de transaction et les barrières à l’information entre les
pays. Elle stimule aussi l’échange entre le pays d’origine et le pays de destination, et
plusieurs études ont montré l’effet sur : (1) les investissements directs à l’étranger ; (2)
le commerce international ; (3) les valeurs institutionnelles (démocratie) ; (4) les normes
sociales (fertilité et transition démographique). Afin d’identifier des effets causalité, la
littérature empirique utilise un approche par variables instrumentales.
Beine, Docquier et Ozden (2011), tout en contrôlant, pour plusieurs déterminants de
migrations, montrent que les diasporas augmentent les flux migratoires et diminuent le
niveau moyen d’éducation. Plus important encore, les diasporas expliquent une grande
majorité des évolutions des flux migratoires. Ils utilisent des estimations bilatéraux, en
utilisant les variations du stock de migrations comme variable expliquée (variable de
gauche), tout en contrôlant pour les variables bilatérales observées, et les dummies pour
le pays d’origine et le pays de destination. Deux problèmes économétriques font surface :
(i) le très grand nombre d’observations nulles ; (ii) la présence d’effets inobservés corrélés
à la fois avec la diaspora et les flux migratoires. Les principaux résultats des auteurs sont :
(a) les coûts de migrer, capturés par la distance bilatérale ou la proximité linguistique,
ont un effet significatif ; (b) les accords de Schengen favorisent la migration de travailleurs
qualifiés ; (c) l’effet des diasporas est très important, avec une effet positif et significatif
sur les flux migratoires.
200 CHAPITRE 11. MIGRATIONS INTERNATIONALES

11.5 Références
Beine, M., Docquier, F., Caglar Ozden, (2011), “Diaspora”, Journal of Development
Economics 95, pp. 30-41.
Docquier, F., Lohest, O., Marfouk, A., (2007), “Brain Drain in Developing Countries”,
World Bank Economic Review, 21 (2) : 193-218.
Docquier, F., Rapoport, H. (2012), “Globalization, Brain Drain and Development”,
Journal of Economic Literature, 50 :3, 681-730.
Mayda, A. M., (2010), “International migration : a panel data analysis of the deter-
minants of bilateral flows”, Journal of Population Economics 23 :1249-1274.
OCDE, (2013), International migration outlook 2013, OECD
Rapoport, H., Docquier, F., (2006), “The Economics of Migrants’ Remittances”, Cha-
pitre 17 of the Handbook of the Economics of Giving, Altruism and Reciprocity,
Volume 2
United Nations, (2013), International migration report, United Nations.
United Nations, (2019), International migration report, United Nations.
World Bank, (2006), Global Economic Prospects : Economic Implications of Remit-
tances and Migration, The World Bank.

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