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Croissance Économique

et Développement Humain

Recueil des Contributions


Najib AKESBI
Nizar BARAKA
Saad BELGHAZI
Ahmed BENRIDA
Jamal BOUOIYOUR
Rachid DOUKALI
Rjaa MEJJAT ALAMI
Mohamed Said SAADI
M’hamed SAGOU

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Présentation

Noureddine EL AOUFI

Les contributions que contient le présent document ont été élaborées dans le cadre du rapport « 50 ans
de développement humain au Maroc et perspectives pour 2025 » et portent sur la thématique « croissance
économique et développement humain » dont on peut trouver par ailleurs le document de synthèse
(Noureddine EL AOUFI, Ahmed HERZENNI, Mohammed BENSAID).

Les différents textes ont été préparés et rédigés sous la responsabilité de leurs auteurs et le lecteur ne
manquera pas de constater la diversité des approches, des analyses et des appréciations traduisant le choix
éditorial strictement scientifique qui a présidé à l’organisation de l’ensemble des travaux du Cinquantenaire
de l’indépendance du Maroc.

Toutefois l’unité, la complémentarité et la cohérence de l’analyse ont été largement préservées compte
tenu de la méthodologie commune mise au point par le collectif des chercheurs du groupe de travail
« croissance économique et développement humain ».

Dans ses grandes lignes cette méthodologie prend appui sur un certain nombre de principes relatifs à la
fois à la fiabilité des données et des faits utilisés, à la cohérence temporelle des trajectoires adoptées, à la
pertinence du cadre conceptuel mobilisé, à la qualité de l’argumentation, etc., le tout visant à garantir, en
dernier ressort, l’objectivité des démarches et l’homogénéité des contenus analytiques.

L’objectif du rapport étant de tenter une rétrospective des politiques économiques mises en œuvre
depuis l’indépendance et de mettre en perspective historique les relations entre croissance économique
et développement humain, la structure analytique a privilégié une double déclinaison thématique et
transversale.

La composante transversale concerne, outre la prise en compte du développement humain comme


indicateurs d’évaluation des politiques économique et des trajectoires de la croissance depuis l’indépendance,
notamment les dimensions insertion internationale et genre.
La structure thématique s’articule autour des axes suivants : politiques économiques, politiques sectorielles
(agriculture, industrie, services), régimes de croissance et emploi, secteur privé, secteur informel, émigration
et diaspora marocaine à l’étranger.

Ainsi, dans un premier temps sont passées en revue les politiques économiques (budgétaire, monétaire,
financière, etc.), puis sectorielles (stratégies agricoles, politiques industrielles). En second lieu l’analyse en
termes de régime et de sources de croissance est appréhendée dans ses composantes sectorielles et dans
ses relations avec l’emploi, la productivité, la compétitivité, etc. Une troisième déclinaison porte sur le rôle
du secteur privé et sur les configurations stratégiques des entreprises privées. Ensuite, certains indicateurs
sont examinés pour appréhender l’impact social des enchaînements macroéconomiques (chômage, précarité,
etc.) et les effets pervers liés aux débordements du « secteur » informel. Enfin des liaisons pertinentes sont
établies entre l’évolution du phénomène migratoire et les exigences du développement humain.
Si la composante rétrospective et bilan occupe une place prépondérante dans l’ensemble des textes du
rapport, il importe de souligner que, l’objectif ultime de l’exercice étant de tirer des enseignements pour
l’avenir, des perspectives plus au moins précises ont été suggérées et sont susceptibles de constituer une
base pour l’élaboration, à l’horizon 2025, d’une stratégie souhaitable pour le Maroc, une stratégie combinant
croissance économique et développement humain.

L’ouvrage est ordonné selon le plan suivant :

-- Les politiques macroéconomique (M’hamed SAGOU)


-- Evolution et perspectives de l’agriculture (Najib AKESBI)
-- Evolution des performances du secteur agricole (Rachid DOUKKALI)
-- Politiques sectorielles et développement humain (Saad BELGHAZI)
-- Croissance économique et emploi (Nizar BARAKA et Ahmed BENRIDA)
-- Secteur privé et développement humain (Mohamed Said SAADI)
-- Le secteur informel ( Rajaa MEJJATI ALAMI)
-- Migration, diaspora et développement humain (Jamal BOUOIYOUR)
Contribution 3 6 26/01/06, 12:48:03
Sommaire
Les politiques macro-économiques
Les politiques budgétaires et monétaires du Maroc depuis
cinquante ans et perspectives pour les vingt prochaines
années
M’hamed SAGOU
Résumé ...................................................................................................................... 17

Liste des tableaux et graphiques ........................................................................... 19


I. Éléments d’introduction, définitions, problématique et devenir
des politiques macro-économiques marocaines ........................................... 21
1. Définitions des politiques économiques
et macro-économiques ................................................................................... 21
2. Les politiques économiques............................................................................ 21
3. Les politiques macro-économiques .............................................................. 22
4. Problématique. .................................................................................................. 22
5. Le devenir des politiques macro-économiques marocaines .................... 23
II. Les politiques budgétaires au maroc depuis cinquante ans ....................... 24
1. Introduction : Définitions et méthode ........................................................... 24
2.Evolution des grandes masses budgétaires au Maroc
depuis 50 ans ................................................................................................... 24
3. Analyse conjoncturelle des politiques budgétaires marocaines
depuis 1955 ....................................................................................................... 40
III. Les politiques monétaires marocaines depuis l’indépendance ................. 44
1. Éléments d’introduction et de méthode ........................................................ 44
2. Les objectifs des politiques monétaires marocaines depuis
l’indépendance ................................................................................................. 45
3. Les instruments des politiques monétaires marocaines depuis
1955 .................................................................................................................... 47
IV. Politique macro-économique, croissance et développement
économique et social au Maroc depuis un demi-siècle :
Essai de synthèse .............................................................................................. 62
1. Brève revue internationale des politiques macro-économiques,
de la croissance, et du développement ....................................................... 62

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2. Politiques macro-économiques, croissance et développement
économique et social au Maroc durant les cinquante dernières
années .................................................................................................................... 66
V. Les politiques macro-économiques marocaines à l’horizon
des 20 prochaines années ................................................................................. 74
1. Enseignements à tirer de cinquante ans des politiques
macro-économiques mises en œuvre au Maroc ....................................... 74
2. Politiques macro-économiques dans un contexte de croissance
de 3 à 4% d’ici 2030 .......................................................................................... 76
3. Scénarios de politiques macroéconomiques dans un contexte
de croissance supérieure à 3/4% du PIB .................................................... 78

Références bibliographiques.................................................................................. 80

Liste bibliographie .................................................................................................... 82

Évolution et perspectives de
l’agriculture marocaine
Najib AKESEBI

I ntroduction ...........................................................................................................89
1. La première décennie de l’indépendance (1955 – 1965)
(À la recherche d’une nouvelle politique agricole)......................................90
2. La politique des barrages et ses inflexions (1966 – 1985)............................94
3. La politique d’ajustement structurel dans le secteur
agricole (1985 – 1993) ......................................................................................109
4. Le temps des stratégies (1993 – 2004) .........................................................116
5. L’agriculture marocaine aujourd’hui : Contraintes
et possibilités....................................................................................................146
6. En guise de conclusion : Risques et périls d’une
libéralisation irréfléchie .................................................................................179

Évolution des performances du secteur


agricole : résultats d’une expérince
Rachid DOUKALI

Introduction ............................................................................................................201

1. Évolution des performances du secteur agricole .....................................201

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2. Comparaison internationale............................................................................ 220

Conclusion .............................................................................................................. 232

Politiques sectorielles et développe-


ment humain
Saad BELGHAZI

Introduction .............................................................................................................237

I. Changement structurel : mécanismes et faits ..................................................239


1. Cadrage conceptuel de la relation entre croissance et emploi .................239
2.Changement structurel, marché et allocation inter sectorielle
des capitaux et de l’emploi..............................................................................245
II. Les évolutions de la politique industrielle ........................................................253
1. Aperçu historique sur la politique industrielle du Maroc :
du volontarisme industrialisant à l’ajustement structurel
et à la mise à niveau ........................................................................................253
2. Les instruments de la politique industrielle :
la fonction d’incitation ......................................................................................256
3. Les instruments de la politique industrielle :
la fonction d’intervention .................................................................................260
4. La situation du secteur industriel à la veille de l’ajustement ...................266
III. La Politique industrielle : de l’ajustement structurel ...................................266
1. Le modèle implicite sous-jacent à la libéralisation
de la politique industrielle ..............................................................................267
2. Renforcer la flexibilité des structures .........................................................268
4. Évolution de la politique de protection ........................................................270
5. Les silences du programme d’ajustement dans le secteur
industriel et commercial ................................................................................275
IV. Accords commerciaux et mise à niveau .......................................................277
1. Réforme commerciale, accords commerciaux et mise
à niveau .............................................................................................................277
2. La logique de la politique de mise à niveau ................................................277
3. Les instruments de la mise à niveau ............................................................278
V. Marché du travail, taux de change et opportunités
d’investissement .................................................................................................280
1. Transition démographique, taux d’activité et pression sur
le marché du travail ........................................................................................280
2. Niveau et caractéristiques du chômage .....................................................283
3. Les structures de l’emploi et des salaires ..................................................284
4. Les structures des revenus ...........................................................................287

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La croissance économique et l’emploi
Nizar BARAKA & Ahmed BENRIDA

Introduction ..............................................................................................................301
I. 50 ans de croissance économique ....................................................................302
1. Une croissance économique en deça de son potentiel.............................302
2. Une croissance économique tirée principalment par
le facteur travail ...............................................................................................315
3. Rôle mitigé de la politique économique et du cadre
institutionnel dans le processus de croissance de
l’économie marocaine ....................................................................................321
II. L’évolution de l’offre et de la demande de travail...........................................328
1. L’offre de travail.................................................................................................328
2. L’évolution de la demande de taravail...........................................................332
3. L’évolution des déséquilicre du marché du travail......................................338

Bibliographie sélective ...........................................................................................348


Annexes.....................................................................................................................351

Secteur privé et développement


humain au Maroc 1956-2002
Mohamed SAÏD SAÂDI

Résumé analytique ............................................................................................. 383


Introduction ......................................................................................................... 386

1. Le pari non tenu de la promotion par l’état d’une classe


d’entrepreneurs shumpéteriens (1960-1982) ............................................ 387
2. Le secteur privé à la recherche d’un second souffle :
réformes économiques et dynamisme entrepreneurial
(1983-2005) ........................................................................................................ 395
Conclusion de la deuxième partie .................................................................... 409
Quelque perspectives en guise de conclusion ............................................... 410
Bibliographie ........................................................................................................ 414

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Le secteur informel au Maroc
Rajaa MEJJAT ALAMI

Introduction ...........................................................................................................421
Objectifs et méthodologie ...................................................................................421
Limites méthodologiques.....................................................................................422

1. Définitions et caractéristiques .......................................................................422


2. Contexte et causes de consolidation des activités du
secteur informel ...............................................................................................425
3. Fonctionnement du secteur informel. potentialités
et containtes ......................................................................................................429
4. Dynamique de l’emploi informel. Vulnérabilité et précarité......................434
5. L’informel et l’État : la gouvernance globale ...............................................442
6. Quelles perspectives et politiques en direction de l’informel ..................447

Conclusion .............................................................................................................451
Bibliographie .........................................................................................................451

Migration, diaspora et développe-


ment humain
Jamal BOUOIYOUR

Introduction ..........................................................................................................457

1. Contexte institutionnel ....................................................................................459


2. Flux migratoires : essai de quantification ....................................................467
3. Transferts des RME et développement ........................................................476
4. Diaspora et développement ...........................................................................493
5. Migration et développement, quelles interactions ? .................................504

Conclusion .............................................................................................................507

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3.1.3. 1983-1992 : Un nouveau cycle budgétaire sous contrôle ;
l’ajustement structurel .................................................................... 42
3.1.4. 1993-2004 : Un cycle budgétaire et de croissance
économique contrarié ..................................................................... 43
III. les politiques monétaires marocaines depuis l’indépendance ................ 44
1. Éléments d’introduction et de méthode ...................................................... 44
1.1. Politiques monétaires et politiques économiques .............................. 44
1.2. Les deux approches principales des politiques monétaires ............. 45
2. Les objectifs des politiques monétaires marocaines depuis
l’indépendance ............................................................................................... 45
3. Les instruments des politiques monétaires marocaines depuis
1955 .................................................................................................................. 48
3.1. L’évolution des principaux instruments de régulation du
crédit jusqu’en 1972 .................................................................................. 49
3.1.1. 1959-1966 : Le plafond de réescompte et le coefficient
de trésorerie se révèlent inefficaces comme instruments
de limitation des crédits bancaires ............................................. 49
3.1.2. 1966-1972: Introduction de nouveaux instruments de
la politique monétaire .................................................................... 50
3.1.3. 1973-1982: Suppression puis retour à l’encadrement
du crédit comme instrument principal de contrôle
monétaire ......................................................................................... 51
3.1.4. 1983-2003 : De l’encadrement du crédit à la mise en
place d’instruments indirects de contrôle monétaire .............. 55
IV. Politique macro-économique, croissance et développement
économique et social au Maroc depuis un demi-siècle :
Essai de synthèse ............................................................................................ 62
1. Brève revue internationale des politiques macro-économiques,
de la croissance, et du développement ..................................................... 62
1.1. Politiques macro-économiques de certains pays industriels
occidentaux ............................................................................................... 63
1.2. Quelques données sur la conjoncture macro-économique
en Amérique latine et en Asie ................................................................ 64
1.3. Politiques macro-économiques de quelques pays à revenu
intermédiaire : La Tunisie et la Turquie ................................................. 65
1.3.1. Politiques macro-économiques, conjoncture
et croissance économique en Turquie ........................................ 65
1.3.2. Politiques macro-économiques, conjoncture
et croissance économique en Tunisie ........................................ 65
1.4. Conclusion ................................................................................................. 65
2. Politiques macro-économiques, croissance et développement
économique et social au Maroc durant les cinquante dernières
années ............................................................................................................. 66

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Résumé

Ce document présente une analyse, sur la base de données statistiques, de la nature des politiques bud-
gétaire et monétaire suivies par les autorités publiques marocaines. Il indique aussi le rôle de ces politiques
dans la croissance et le développement du pays. Cette analyse est faite sur une période de cinquante ans et
retrace l’évolution aussi bien des dépenses et des recettes publiques et du solde budgétaire que des objec-
tifs et des instruments de la politique monétaire.
Cette étude révèle que depuis l’indépendance, les dépenses et les recettes ont eu une progression régu-
lière jusqu’en 1973. Date à laquelle, il y a eu une forte augmentation des dépenses publiques, notamment de
l’investissement, dans le cadre du plan d’équipement intensif 73-77. Les recettes étant insuffisantes pour
couvrir ces dépenses, les autorités publiques ont eu massivement recours aux emprunts extérieurs durant
cette période. Après des années de vaines tentatives de stabilisation des dépenses publiques durant la pé-
riode 78-82 et face aux déséquilibres macro-économiques fondamentaux, le Maroc a été contraint de s’enga-
ger dans un programme d’ajustement structurel (PAS), qui a permis de réduire fortement ces dépenses
notamment de l’investissement. Ce programme a permis aussi d’augmenter les recettes publiques (réforme
fiscale, financement du FMI...). Au début des années 90 et jusqu’à nos jours, les dépenses de fonctionne-
ment sont restées prépondérantes et en ascension continue, suivies des charges de la dette ; alors que les
dépenses d’investissement n’ont pas évolué significativement depuis 1993. Cette période a connu une pro-
gression irrégulière des recettes non fiscales grâce aux privatisations et une baisse de la dette extérieure au
profit des emprunts intérieurs. Quant aux recettes fiscales, constituées en grande partie des impôts indi-
rects, elles augmentent relativement et restent toujours prépondérantes dans la composition des recettes
publiques.
En ce qui concerne le solde budgétaire, il a été déficitaire au lendemain de l’indépendance, mais ce déficit
s’est relativement résorbé à partir de 1965 jusqu’en 1973 grâce à une contraction des dépenses. La période
73-77 qui a connu une importante augmentation des dépenses publiques a enregistré une forte dégradation
du déficit budgétaire. Le solde est resté structurellement déficitaire malgré une politique d’assainissement
prônée par les autorités publiques entre 1978 et 1980. L’ajustement structurel a pu améliorer progressive-
ment le solde budgétaire et même à le faire revenir à des niveaux soutenables au début des années 1990.
Depuis, le déficit est resté relativement « maîtrisé » grâce aux recettes exceptionnelles de privatisation.
Quant au financement de ce déficit, il a été assuré d’abord par des ressources internes jusqu’en 1974, date à
laquelle l’emprunt extérieur a été le principal mode de son financement. À la fin des années 80, avec le PAS,
les sources de financement interne ont de nouveau été utilisées pour la couverture des déficits du trésor.
De son côté, la politique monétaire a connu de profonds bouleversements. Son objectif principal a été et
reste encore la maîtrise des prix via un contrôle étroit de la masse monétaire par rapport à l’économie. Ainsi,
jusqu’aux années 80, les objectifs de la politique monétaire ont été poursuivis par des mesures directes à
caractère réglementaire et contraignant. Les autorités monétaires ont eu souvent recours à l’encadrement
du crédit. Le réescompte constituait le principal mode de refinancement auprès de la banque centrale et les
taux d’intérêts étaient administrés.
En revanche, depuis la deuxième moitié des années 80, il y a eu un abandon progressif des procédés de
contrôle monétaire direct en faveur d’une régulation par les taux d’intérêt. Cet abandon s’est fait dans le

17
cadre d’un processus de libéralisation financière qui a commencé dans les années 90 (suppression de l’enca-
drement du crédit, libéralisation des taux d’intérêt, etc...).
Durant la longue période étudiée, les politiques macro-économiques marocaines, sur les plans budgétaires
et monétaires ont évolué avec la conjoncture économique et sociale à l’intérieur du pays, et tenté de réagir,
si nécessaire, à certains chocs extérieurs. En effet, contrairement aux pays industriels occidentaux dont les
politiques macro-économiques ont été typiquement keynésiennes jusque dans les années 1970, au Maroc,
la seule véritable expérience d’une relance budgétaire et monétaire de ce genre l’a été entre 1973 et 1977, et
pour des raisons de contraintes économiques et sociales internes (sécheresse, pression démographique,
etc...) et internationales (prix du pétrole, hausse des taux d’intérêts, etc...).
Certains pays dont l’expérience a été relativement similaire (Tunisie, Turquie), ont connu les mêmes crises
que le Maroc durant les années 1980, mais ils les ont relativement mieux résolues, parce qu’ils ont disposé
de ressources notamment externes (Turquie) ou par un endettement sans rééchelonnement (Tunisie), et
dans tous les cas par une relative souplesse de leur macro-économie (taux de change).
Toujours est-il que les politiques macro-économiques marocaines, durant les cinquante dernières années,
ont été accompagnées par une croissance dont le taux moyen a décliné en longue période, passant d’environ
5 % durant les années 1960 à 1970 à 3 % durant les années 1993-2002. Durant cette même période, la crois-
sance agricole a, quant à elle, évolué de façon plus irrégulière.
Par ailleurs, sur le plan social, le taux de chômage urbain continue à croître en longue période. Les
dépenses sociales en matière d’éducation et de santé sont restées relativement constantes en pourcentage
du PIB, malgré le triplement de la population depuis l’indépendance.
Il semble donc que les politiques macroéconomiques, suivies depuis cinquante ans, ont certes été d’une
certaine efficacité sur le plan de la maîtrise des équilibres fondamentaux, mais, en même temps, n’auraient
pas été suffisamment souples pour mieux s’adapter aux chocs, et surtout, « lisser » davantage la progres-
sion de la croissance afin d’améliorer le niveau économique et social de la population.
Pour les vingt prochaines années, certaines études de prospective économique internationale, ont prévu
pour l’ensemble de la région Méditerranée et Moyen Orient (hors pays pétroliers), un taux de croissance
moyen entre 3 et 4 % d’ici à 2030. Face à une telle hypothèse qui tient compte de l’ouverture économique
régionale en cours, les politiques macroéconomiques marocaines devraient rompre avec la tendance actuelle
d’une croissance moyenne de 3 %. Le potentiel économique marocain, dont il faudra estimer les capacités,
devra permettre à notre pays, non seulement de s’installer dans la croissance moyenne de 3 à 4 %, mais
chercher, si possible, à la dépasser. Pour cela, les politiques macroéconomiques des vingt prochaines
années devraient évoluer graduellement et progressivement d’un mode de régulation administratif, vers un
mode de régulation économique. Cette régulation, plus axée sur les capacités économiques réelles du pays
et sur des objectifs de croissance potentielle, sera de nature, non seulement à préserver les fondamentaux
macroéconomiques de notre économie, mais à en assurer la souplesse et l’adaptabilité.

18
Liste des tableaux, des graphiques et des encadrés

Tableaux

1. Évolution des recettes fiscales et non fiscales entre 1974 et 198


2. Évolution des recettes fiscales et des recettes non fiscales durant la période 1983-1992.
3. Évolution des principales recettes fiscales de l’État.
4. Élasticité globale des recettes fiscales par rapport au PIB.
5. Évolution des déficits budgétaires au Maroc (1960-1972).
6. Évolution des déficits budgétaires au Maroc (1973-1982).
7. Évolution des dépenses et des recettes ordinaires.
8. Évolution des déficits budgétaires au Maroc 1993-2003.
9. L’objectif quantitatif M2 (progression annuelle).
10. Évolution de la réserve monétaire et des dépôts à vue dans les banques privées.
11. Taux d’intérêt réels mesurés sur la base des taux d’inflation de décembre à décembre.
12. Évolution du portefeuille de refinancement de Bank Al-Maghrib.
13. Taux de croissance annuel moyen par période du PIB en volume.
14. Croissance mondiale en 4 zones.
15. Scénarios de politiques macroéconomiques, de croissance et de développement économique et social
à l’horizon des 20 prochaines années.

Graphiques

1. Évolution des dépenses de fonctionnement et des dépenses d’investissement entre 1970-1983.


2. Évolution des dépenses de fonctionnement et des dépenses d’investissement entre 1983-2003.
3. Évolution des prévisions des dépenses de la dette publique.
4. Évolution des dépenses de la dette publique (intérêts seulement).
5. Évolution des prévisions des recettes budgétaires.
6. Évolution des prévisions de recettes d’emprunts.
7. Évolution des recettes non fiscales depuis 1993.
8. Évolution de la structure des plus importantes recettes fiscales.
9. Encours de la dette extérieure en % du PIB.
10. Évolution du déficit budgétaire (en % du PIB) entre 1983 et 1992.
11. Évolution des crédits à l’économie financés sur ressources monétaires 1960-1972.
12. Évolution de la masse monétaire en % du PIB.
13. Total des dépôts des banques en % du PIB.

19
14. PNB par habitant en Asie du Sud-Est.
15. Évolution du taux de croissance annuel du PIB et de la valeur ajoutée Agricole.
16. Dépenses publiques pour l’éducation et la santé en % du PIB.
17. Compte courant de la balance des paiements en % du PIB.
18. Taux de change effectif réel (base 1995 = 100).
19. Évolution du taux de croissance du PIB et de la valeur ajoutée agricole en moyenne et par périodes.
20. Turquie : Le PIB par habitant à l’horizon 2015.

Encadrés

1. Réforme des statistiques monétaires nationales : Les agrégats monétaires.


2. Le niveau des taux d’intérêt au Maroc durant les années 1980.
3. Le système bancaire et financier marocain durant les années 1980.
4. Les caractéristiques du financement de l’économie marocaine.
5. La microfinance : un dispositif complémentaire des mesures de modernisation des mécanismes de
financement.

20
I. Éléments d’introduction, définitions,
problématique et devenir des politiques
macro-économiques marocaines

1. Définitions des politiques économiques et macro-économiques

L’étude rétrospective des politiques macro-économiques et du devenir de ces politiques au Maroc est à
inscrire dans le cadre de la politique économique menée dans ce pays depuis l’indépendance et pour les pro-
chaines années.
Aussi, avant d’entamer l’analyse des politiques macro-économiques, notamment dans les domaines bud-
gétaires et monétaires, nous allons tout d’abord explorer brièvement ce que l’on entend par politique écono-
mique.

2. Les politiques économiques

Aux sources même des définitions de la politique économique, citons J. Tinbergen : « La politique écono-
mique consiste dans la manipulation délibérée d’un certain nombre de moyens mis en ouvre pour atteindre
certaines fins » 1. Cette définition synthétique et opérationnelle pose la distinction entre les objectifs et les
moyens au cœur de la problématique des politiques économiques 2.
Constitue un objectif, toute variable économique à laquelle les pouvoirs publics assignent une valeur sou-
haitable (taux de croissance, taux de chômage, etc...) et les instruments, sont des variables que les gouver-
nements sont en mesure d’influencer pour atteindre tel ou tel objectif (taux d’imposition, variation des
dépenses publiques, etc...).
Une autre approche de la politique économique s’intéresse davantage à sa cohérence. S’oppose à cet
effet, la politique économique vue sous l’angle sectoriel, et la politique économique vue sous la forme d’une
logique d’ensemble 3. Les politiques économiques sectorielles mettent en ouvre l’intervention de l’État dans
les divers secteurs de l’activité économique, avec une spécificité propre à chaque secteur ; alors que la poli-
tique économique d’ensemble s’intéresse davantage aux relations existant entre les instruments et les
objectifs 4. Sans doute, dans la mise en œuvre de la politique économique, les deux approches se complètent
dans la mesure où les interventions sectorielles doivent être cohérentes avec les politiques touchant la glo-
balité d’une économie nationale.
Au total, et dans un premier temps, on peut déjà avancer que les politiques économiques sectorielles
seraient de nature micro-économique voire de nature meso-économique. Alors que les politiques écono-
miques globales, dont les origines décisionnelles et les effets ont une conséquence économique nationale,
seraient plutôt macro-économiques.

21
Enfin, une autre approche de la politique économique et qui est probablement la plus complexe, est celle
qui s’intéresse au processus de décision. Il s’agit en fait de répondre à la question suivante : Qui fait la poli-
tique économique ? 5.
Qu’il s’agisse des politiques sectorielles ou des politiques globales, de la définition des objectifs ou de l’uti-
lisation des moyens, la question est de s’interroger sur le processus de décision menant à des choix effec-
tués et à leur mise en œuvre.
Quel que soit le niveau de développement d’une économie, les acteurs décidant d’une politique écono-
mique et poursuivant sa mise en œuvre, ne sont pas toujours évidents à repérer. Il y a évidemment l’État, le
gouvernement, l’administration, le parlement, les collectivités locales, les syndicats, etc..., mais ces dif-
férentes entités sont à leur tour soumises à des influences conjoncturelles à caractère économique, politique
et/ou sociale, et quelquefois voire souvent, contradictoires, avec des rapports de force et d’influence
variables.
Toujours est-il qu’à ce niveau, et malgré ce foisonnement d’acteurs intervenant, directement ou indirecte-
ment, dans le processus de décision de la politique économique, la maîtrise et la cohérence doivent en reve-
nir au gouvernement, qui est seul en mesure de faire la synthèse, de composer, de pondérer 6.
Les définitions précédentes de la politique économique révèlent l’étendu et la complexité du phénomène,
tant sur le plan analytique que sur celui, plus opérationnel, de leur mise en œuvre. C’est pour cela qu’il a paru
nécessaire de cerner un seul aspect de la politique économique, à savoir celui de la politique macro-
économique marocaine dans les domaines budgétaire et monétaire.

3. Les politiques macro-économiques

En effet, les politiques sectorielles, étant étudiées par ailleurs dans ce programme, nous allons centrer
notre analyse rétrospective, historique et analytique, sur les politiques macro-économiques au niveau bud-
gétaire et monétaire. En effet, d’un point de vue purement théorique, et bien qu’ayant figuré dans les ana-
lyses historiques, et de pensée économique, la macro-économie est apparue comme terrain d’analyse
proprement dit avec les politiques économiques keynésiennes 7. Partant des conséquences économiques et
sociales de la grande crise de 1929, et de certaines insuffisances de la théorie dans l’explication de cette
crise, notamment quant à la recherche d’équilibre des marchés (marché de l’emploi, marché de capitaux,
etc...), J.M. Keynes a préconisé l’intervention de l’État en vue d’aboutir à ces équilibres. Cette intervention de
l’État, sur les plans budgétaire et monétaire est qualifiée de macroéconomique parce qu’elle ne concerne pas
un agent économique considéré individuellement, mais l’économie nationale dans son ensemble composé
d’agents structurés, et homogènes par leurs comportements respectifs.

4. Problématique

La rétrospective des politiques macro-économiques marocaines depuis l’indépendance que nous nous pro-
posons de mener dans ce chapitre, bien qu’elle apparaisse à priori historique, devrait aussi, selon les termes
de références de ce programme de recherche, avoir un contenu et une orientation analytiques. En effet,
l’exploitation statistique des données sur une aussi longue période devrait nous permettre de cerner, si pos-
sible, la nature des politiques budgétaires et monétaires qui ont été menées.
En d’autres termes, par rapport aux définitions standards des politiques économiques, la question sera de

22
savoir quelles auront été les contextes, les réactions, et les adaptations des autorités économiques maro-
caines dans les domaines budgétaires, et monétaires durant les cinquante dernières années, et ce, face aux
diverses conjonctures et à la nécessité du développement économique et social de la société marocaine.
Par ailleurs, quels rapports pourrait-on repérer durant cette longue période, entre ces politiques macro-
économiques et l’état de développement de l’économie et de la société marocaines. Plus précisément,
étions-nous durant cette période dans un contexte de politique keynésienne de recherche des équilibres sur
le marché, notamment de l’emploi et des capitaux, ou bien avions-nous plutôt des préoccupations
d’urgences à satisfaire par des politiques de rationnement et d’encadrement, dans les différents domaines
économiques et sociaux.
L’économie marocaine, durant toute cette période était caractérisée par le sous-développement. Les diffé-
rents marchés marocains étant très peu développés, on peut penser que les politiques macro-économiques
menées s’étaient donc plutôt adaptées à ce contexte, et ne devraient pas être tout à fait jugées sur les stan-
dards des économies industrielles occidentales de l’après seconde guerre mondiale. C’est à notre avis, par
rapport à cette situation spécifique que notre approche devrait se situer : Prendre en considération les struc-
tures sociales et l’état de développement économique de notre pays durant les cinquante dernières années
et les considérer relativement en retard sur les économies de marché occidentales auxquelles s’appliquent à
priori les schémas théoriques standards. Mais en même temps nous analyserons les politiques macro-
économiques qui ont été menées tout au long de cette période, à l’aune de leurs résultats. Et ceci du point
de vue du niveau de développement atteint par la population marocaine.

5. Le devenir des politiques macro-économiques marocaines

L’analyse rétrospective, historique et analytique, des politiques macro-économiques marocaines durant les
cinquante dernières années va considérablement nous aider à « explorer » les possibilités du devenir de ces
politiques durant les vingt prochaines années. En effet, bien qu’excluant tout raisonnement analogique, à
savoir que les comportements et les processus de décisions du passé vont se reproduire dans l’avenir dans
le domaine des politiques macro-économiques et dans un sens comme dans l’autre, il n’en reste pas moins
que nous aurons à étudier, à l’aune du passé, nos capacités d’adaptation face aux défis économiques et
financiers dont nous observons le développement. Par ailleurs, il est également à exclure toute linéarité,
dans le temps, de la politique économique ; les cinquante dernières années étant évidemment traversées par
les événements conjoncturels d’importance, tant sur le plan interne qu’au niveau international, et nous ver-
rons qu’elles ont été les réactions des autorités économiques marocaines dans le domaine des politiques
macro-économiques.
Mais face à l’accélération récente des évènements économiques notamment sur le plan de l’ouverture
progressive, mais accélérée de notre économie au reste du monde, nos politiques macro-économiques dans
les domaines budgétaires et monétaires auront sans doute à se transformer beaucoup plus rapidement
qu’elles ne l’ont été durant la longue période des cinquante dernières années.
La nouvelle période qui s’ouvre pour notre économie depuis la fin du XXe siècle, et surtout le début du
e
XXI siècle, verra cette économie s’exposer à une double pression : pression interne pour plus de développe-
ment économique, industriel, social, éducationnel, et sur le plan externe en raison de l’ouverture de notre
économie aussi bien vers l’Union Européenne, que vers le monde arabe, le bassin méditerranéen et les
États-Unis d’Amérique.
Au total, les politiques économiques marocaines devront évoluer, beaucoup plus rapidement que par le
passé, pour s’adapter au nouveau contexte radicalement différent de celui des cinquante dernières années.

23
Et la différence proviendra en grande partie de leur mode de régulation qui a longtemps été essentiellement
administratif, interne et national. Ce mode devra désormais évoluer vers une régulation État-marché, natio-
nale mais fortement imbriquée avec l’économie régionale et internationale. C’est plus qu’une évolution des
méthodes que celles des mentalités.

II. Les politiques budgétaires au maroc


depuis cinquante ans

1. Introduction : définitions et méthodes

Parmi les politiques macro-économiques à la disposition de l’État pour conduire et orienter sa politique
économique, la politique budgétaire est incontestablement la plus importante. Cette politique est menée au
moyen du budget de l’État central. Le budget a un rôle essentiel dans la politique macroéconomique tant par
sa masse (en % du PIB notamment), que par sa structure (structure des dépenses et des recettes), par ses
flux (orientation des dépenses et collecte des recettes), et enfin, par son solde.
Les variations marginales de ces différentes composantes ont autant sinon plus de signification écono-
mique, et sociale, que leurs masses respectives. Mais, il faut aussi noter l’autre caractéristique budgétaire, à
savoir sa relative « rigidité ». Une grande partie des dépenses et des recettes de l’État est pour l’essentiel
renouvelée, et c’est à la marge « quelque fois étroite » que se situe le degré de manœuvre de l’État.

2. Évolution des grandes masses budgétaires au maroc depuis 50


ans

Depuis l’indépendance, les finances publiques marocaines ont connu une importante évolution et des
mutations profondes et irréversibles. Elles sont passées par plusieurs phases qui ont fortement marquées la
politique budgétaire de l’État et ont relativement modifié leurs objectifs et leurs priorités.
En effet, on peut distinguer quatre phases dans l’évolution des grandes masses budgétaires marocaines :
La période 1955-1973 qui peut être elle-même subdivisée en deux sous-périodes : 1955-1965 et 1966-1973,
la période 1973-1982 qui comprend-elle aussi deux sous- périodes ; une période d’expansion budgétaire
(1973-1977) et une période d’accumulation des déséquilibres financiers (1978-1982), la période d’austérité
budgétaire et d’ajustement structurel 1983-1992, et enfin la période de l’après ajustement des équilibres
budgétaires 1993-2004.
Sur la base d’une analyse descriptive, on va voir ci-après l’évolution des dépenses et des recettes
publiques qui constituent les principaux instruments de la politique budgétaire.

24
2.1. La structure des dépenses budgétaires

2.1.1. Une périodisation des dépenses budgétaires durant


les cinquante dernières années
Les dépenses budgétaires sont constituées principalement par trois sortes de dépenses : Les dépenses
de fonctionnement qui comprennent entre autres les dépenses du personnel et du matériel ainsi que les sub-
ventions des prix, les dépenses d’investissement ou d’équipement et les dépenses de la dette publique (y
compris l’amortissement et les intérêts).

A. 1955-1973 : Augmentation progressive des dépenses avec une prédominance des


dépenses de fonctionnement
Jusqu’en 1973, ces trois dépenses évoluaient de manière régulière et lente avec un avantage apparent aux
dépenses de fonctionnement suivies des dépenses d’investissement et enfin celles de la dette publique qui
étaient très raisonnables.
On remarquera ainsi une certaine rigidité budgétaire, dès cette première période des cinquante dernières
années. Cette rigidité est d’une façon générale, spécifique aux budgets des États 8. En effet, nous verrons
que d’une année à l’autre, la structure budgétaire de départ adoptée par les gouvernements successifs évo-
luera lentement, au moins autant que la conjoncture le permet. Cette structure budgétaire est également
bien significative d’un état et d’une structure économique, sociale et politique du pays 9.
Nous verrons ainsi que l’ordre de grandeur amorcé durant la période 1955-1973 et concernant les diffé-
rents postes de dépenses budgétaires, évoluera lentement, mais structurellement avec cette tendance à
une augmentation en premier lieu du budget de fonctionnement et de façon alternative des dépenses
d’investissement puis de la dette publique.

B. 1973-1977 : Plan quinquennal 73-77 ; explosion des dépenses d’investissement


À partir de 1973, les dépenses d’investissement commencent à augmenter de manière vertigineuse
dépassant ainsi les dépenses de fonctionnement en 1976-1977 (entre 1975 et 1977 le taux de croissance
des dépenses d’investissement était de l’ordre de 131 % alors que celui des dépenses de fonctionnement
n’était que de 44 % ! !) (cf.graphique 1). Ceci est dû essentiellement à l’exécution du plan quinquennal 73-77
qui a été marqué par le lancement d’un programme d’équipement intensif. Cette accélération des dépenses
d’investissement concernait surtout les grands travaux d’infrastructures (Barrages, routes, constructions sco-
laires et universitaires, etc...). Les dépenses de fonctionnement ont également sérieusement augmenté
(26 % de hausse des salaires dans la fonction publique), ainsi que les subventions alimentaires (huile, sucre,
beurre) 10.

25
Graphique 1 : Évolution des dépenses de fonctionnement et des dépenses d’investissement
entre 1970-1983 (en millions de Dh)

Source : Rapports de BAM

C. 1978-1982 : Effort de stabilisation des dépenses


À partir de 1977, on commence à prendre conscience des déséquilibres engendrés par les dépenses
publiques. Aussi, dès 1978, on entame une politique d’austérité et d’assainissement de la situation financière
de l’État. Cette politique a permis de baisser le montant des dépenses d’investissement de 40 % en 78, mais
celles-ci sont restées quand même à un niveau élevé à cause notamment de la rigidité qui caractérise cer-
tains investissements. À cet égard, il faut préciser que la rigidité budgétaire qui s’impose aux budgets d’équi-
pement est extrêmement lourde de conséquences 11.
Mais, ce qui a marqué cette période, outre que les dépenses d’investissement ont dépassé les dépenses
de fonctionnement, c’est que ces dernières ont aussi continué leur ascension de manière régulière et pro-
gressive. Nous avons là, une double rigidité qui a marqué pour longtemps notre économie, et dont les consé-
quences se font encore sentir aujourd’hui dans les déséquilibres fondamentaux qui caractérisent les finances
publiques marocaines.
En fait, les dispositions prises et les engagements visant à réduire les dépenses de fonctionnement se
sont heurtés à un seuil plancher. Ainsi, les indispensables revalorisations des traitements de la fonction
publique, les subventions des prix à la consommation, les impératifs de développement de l’emploi et le
souci d’équilibre social exercent une pression en fil continu, et ceci témoigne des difficultés à comprimer les
dépenses publiques et permet d’observer combien la marge de manouvre du ministère des finances est limi-
tée surtout quand vient le problème de la gestion de la dette publique.
En effet, depuis 1976, les dépenses de la dette ont enregistré une remarquable ascension qui est due
essentiellement à la réalisation du plan ambitieux 73-77. Ce plan a nécessité la mobilisation de ressources
importantes dépassant largement les ressources ordinaires, ce qui a logiquement débouché sur un endette-

26
ment profond de notre économie. D’ailleurs la dette du gouvernement central par rapport au PIB a plus que
doublé entre 1974 et 1981 passant ainsi de 22,4 % à 53,38 %.
C’est la période ultérieure (1983-1992), c’est à dire celle du Programme d’Ajustement Structurel (PAS) qui
montrera clairement que durant la période de 1973-1983, la politique budgétaire marocaine, très volontariste,
a rencontré plusieurs obstacles internes et externes dans sa mise en œuvre 12.

D. 1983-1992 : Réduction drastique des dépenses d’investissement et augmentation des


dépenses de la dette.
Cette période fut caractérisée par une continuité dans la croissance des dépenses de fonctionnement. Étant
à 16,4 milliards de Dh en 1983, elles se retrouvent à plus de 36 milliards en 1992 (cf. graphique 2). En effet, des
chapitres entiers de dépenses ont augmenté de manière accélérée comme les dépenses de compensation et
celles des appointements et salaires 13. L’État s’est retrouvé avec un personnel pléthorique. De 1988 à 1992,
on prévoyait des créations d’emplois autour de 15.000 par an contre 40.000 à 50.000 avant 1983.
Ce mouvement de hausse s’explique essentiellement par le caractère incompressible de ces dépenses.
Cependant en pourcentage, les dépenses de fonctionnement ont enregistré une légère baisse, mais se
maintiennent quand même à un niveau élevé. Représentant 16,5 % du PIB en 1983, ces dépenses n’en
constituent plus que 14,5 % en 1992.

Graphique 2 : Évolution des dépenses de fonctionnement et des dépenses d’investissement


entre 1984-2003 (en millions de DH)

Source : Rapports de BAM

Du côté de la dette publique, les résultats sont impressionnants ; les montants versés au titre du service
de la dette (amortissements et intérêts) ont augmenté deux fois plus vite que les dépenses de fonctionne-
ment entre 1983 et 1992. Quant aux versements réalisés au bénéfice exclusif de l’amortissement de la
dette, ils ont connu une progression assez exponentielle durant la période 1983-1989 rattrapant ainsi rapide-
ment la courbe tracée par les dépenses en intérêts de la dette.

27
De même, les dépenses d’investissement, après avoir enregistré une forte chute passant de 12,5 milliards
de Dh à 7,3 milliards entre 1982 et 1984 soit de 13,4 % par rapport au PIB à 6,5 %, ont connu une croissance
plus ou moins régulière qui se situe autour de 7 et 6 % du PIB.
Par ailleurs, une analyse sectorielle montre que si la part de certaines dépenses est restée à peu près
stable, tel le cas de la défense nationale, celle du secteur économique (agriculture, industrie, transports,
commerce) a décru de plus de moitié, passant de 1983 à 1988 de 21,8 % à 13,7 % des dépenses totales.
Autre fait marquant ; la forte réduction des dépenses à caractère social, relatives à la fonction (travail, urba-
nisme, habitat) qui ne représentent plus que 0,4 % du budget de l’État en 1987 contre 2,2 % en 1983. En ce
qui concerne la part relative des dépenses de santé, elle atteint à peine 3 à 4 %, ce qui reste très faible étant
donné les besoins croissant d’une population à faible revenu.

E. 1992-2003 : le repli de l’investissement public et l’incompressibilité des dépenses de


fonctionnement et des dépenses de la dette
Cette période est marquée par un accroissement important des dépenses de fonctionnement. Cette crois-
sance s’est faite au détriment des dépenses d’investissement qui ont été maintenue autour de 20 milliards
depuis 1993. Rapportées au PIB, les dépenses d’investissement sont passées de 7,8 % en 1993 à 4,8 % en
2003 alors que les dépenses de fonctionnement qui étaient à 15,1 % en 1992 ont atteint 18,2 % en 2003.
Une masse salariale excessive (43,6 % des dépenses totales et 12 % du PIB durant la période 1996-2003)
explique en grande partie cette structure des dépenses. En fait, cette masse salariale, qui représente la moi-
tié des dépenses ordinaires, a plus que doublé entre 1990 et 2003. De plus, le système de subventions des
prix au consommateur (énergie et produits alimentaires de base) absorbe 6 % des dépenses totales.
En revanche, les dépenses de la dette, après une croissance régulière, ont connu un léger recul depuis
2003 en raison de la baisse des taux d’intérêts et de la conversion de la dette extérieure en financements.
(cf.graphique 3).

Graphique 3 : Évolution des prévisions des dépenses de la dette publique (en millions de Dh)

Source : Différentes lois de finance

28
En effet, des efforts appréciables ont été accomplis en matière de réduction de l’endettement public
extérieur. Ramené au PIB, le service de la dette externe (intérêts seulement) est passé de 3,1 % en 1990 à
2,9 % en 1995 et à 0,7 % en 2003. Cette diminution est le résultat conjugué de la baisse continue du stock
de la dette et du taux d’intérêt sur le marché international, ainsi que de la politique de gestion active de la
dette. En revanche, le service de la dette publique intérieure (intérêts seulement) par rapport au PIB a
presque doublé entre les périodes 1980-1989 et 1996-2003, passant de 1,7 % à 3,2 %. Il a même dépassé
celui de la dette extérieure à partir de 1995 en raison de la croissance soutenue du stock de la dette inté-
rieure (cf. graphique 4).

Graphique 4 : Évolution des dépenses de la dette publique (intérêts seulement) (en millions de DH)

Source : Rapports de BAM

2.1.2. Dépenses budgétaires et politiques conjoncturelles au Maroc

A. 1956-1965 : L’après indépendance ; la reconstruction de l’économie et de


l’Administration
Au lendemain de l’indépendance, le Maroc avait besoin de restructurer son économie pour faire face aux
impératifs de croissance. Ainsi il a mis en place des plans d’équipement et d’industrialisation (le plan biennal
1958-1959 et le plan quinquennal 1960-1964).Ces plans se sont traduits par une augmentation des dépenses
publiques notamment celles de fonctionnement.
En effet, l’État a commencé à recruter fortement pour investir l’appareil administratif laissé vacant par le
départ des français, et pour occuper les postes créés dans l’euphorie de l’indépendance afin de répondre aux
attentes sociales.

29
B. 1966-1973 : Une croissance de longue période
Suite aux déséquilibres enregistrés durant la période précédente, les pouvoirs publics ont mis en place des
plans de stabilisation : le plan triennal 1965-1967, et le plan quinquennal 1968-1972. L’exécution de ces plans
a permis de réduire le taux de croissance des dépenses publiques et notamment celles de l’investissement.
Ainsi les dépenses de cette période étaient caractérisées par une progression lente et régulière mais aussi
par une croissance soutenue.
Il faut dire que la période 1965-1970 correspondait à l’Etat d’exception, qui attribuait les pleins pouvoirs au
roi et que par conséquent les plans étaient institués par décret royal.

C. 1973-1982 : Politique d’investissement dans un contexte de retournement défavorable


de la conjoncture nationale et mondiale
La conjoncture macro-économique marocaine a démarré la décennie 1970-1980 de façon contrastée : on a
assisté à une politique budgétaire volontariste à partir de 1973 dans un contexte économique interne et
externe extrêmement instable. En effet, la première partie de cette période (1973-1975) a profité pleinement
d’un budget de l’État qui semble avoir bénéficié d’un sursis (sortie d’une phase d’équilibre de 1965 à 1972),
et lancement d’un plan ambitieux (1973-1977) appuyé sur l’augmentation (triplement) des prix des phos-
phates.
À cet égard les dépenses publiques et surtout les dépenses d’investissement vont connaître une progres-
sion phénoménale suite à plusieurs facteurs. La politique d’expansion de l’investissement (plan 73-77) n’a
pas été l’unique cause de cette explosion, il y a eu surtout, le choc pétrolier de 1973, les dépenses militaires
(conflit du Sahara) et l’accélération du taux de croissance de la consommation (qui a été de 41,7 % entre
1974 et 1977). Cette croissance est due à une hausse de 26 % des salaires des fonctionnaires, mesure large-
ment suivie par le secteur privé. En outre, La croissance démographique et donc des besoins de la popula-
tion ont participé considérablement à l’augmentation de ces dépenses.
À partir de la deuxième partie (1975-1980), la situation budgétaire marocaine est entrée dans une phase de
graves déséquilibres dus aussi bien à des facteurs internes qu’externes. Parmi les facteurs internes, il est à
noter que c’est à partir de 1975 que les subventions alimentaires ont pris de l’ampleur (huile, sucre,
beurre) 14.Par ailleurs, le cours élevé des phosphates n’a pas duré, et la chute est amorcée à partir de 1976.
Le triplement de ces prix entre 1973 et 1974 avait poussé à l’ambitieux plan de 1973-1977, où d’impor-
tants programmes d’investissement ont été lancés (barrages, routes, constructions scolaires, etc...) et
l’accroissement considérable des recrutements dans les administrations (51416 emplois ont été créés en
1976 contre 7758 en 1973), et l’accroissement des traitements et salaires (+26 %) 15. Au retournement de
conjoncture après 1975, il a été difficile de revenir sur l’ensemble des programmes d’investissement ainsi
que sur les subventions alimentaires et la hausse des salaires. L’ensemble de ces facteurs internes a donc
commencé à peser sur le budget de l’État à partir de 1976-1977.
Entre temps, les facteurs externes ont commencé à produire leurs effets négatifs : Les différents pro-
grammes de dépense aussi bien dans l’investissement que dans le fonctionnement ont dû être financés par
l’endettement extérieur, avec corrélativement une hausse des taux d’intérêt 16. La hausse des taux d’intérêt,
et des matières premières faisant l’objet de subventions (huile, sucre, farine), ont immédiatement pesé sur
les budgets. À cela, se sont ajoutés les effets dépressifs de la sécheresse. Aussi, les effets de la conjoncture
interne et externe ont considérablement contrarié, sinon « anéanti » les ambitions économiques du plan
1973-1977, et aggravé de façon structurelle la situation budgétaire du Maroc à partir de la fin de la décennie
1970-1980.

30
D. 1978-1982 : Plan de stabilisation
Face aux déséquilibres engendrés par le plan d’équipement intensif 73-77 et aggravés par une mauvaise
conjoncture nationale et mondiale, les autorités publiques ont été obligées de recourir au plan de stabilisation
78-80. Ce programme était essentiellement récessionniste (baisse des dépenses) et a permis de ramener le
taux de croissance des dépenses courantes à 13 % au lieu de 16 % durant la période précédente.
Toutefois, ce programme n’a pas pu être maintenu au delà de 1979 à cause de certains facteurs intérieurs
mais surtout extérieurs dont notamment une mauvaise pluviométrie (en 1981, le Maroc a connu une des plus
graves sécheresse de son histoire), la hausse des prix du pétrole et les troubles sociaux de juin 1981 à Casa-
blanca. Et c’est ce qui nous a amené à la crise des années 1981-1983, et à la nécessité d’un programme
d’ajustement structurel avec la Banque Mondiale (BM) et le Fond Monétaire International (FMI).
La double période (1955-1973, 1973-1983) a été donc marquée par une politique conjoncturelle contras-
tée : volontariste durant la seconde période à savoir le lancement des budgets d’investissements exception-
nels à partir de 1973, alors que de 1955 à 1973, la structure de nos dépenses budgétaires était plutôt
raisonnable et collait relativement à la conjoncture.

E. 1983-1992 : Politique budgétaire et politique d’ajustement structurel


Cette période correspond au plan d’ajustement structurel dont les principaux éléments consistaient en un
blocage des salaires des fonctionnaires, une croissance ralentie des effectifs de la fonction publique, la
réduction des subventions aux produits alimentaires et des dépenses d’investissement.
Mais l’action gouvernementale a buté inévitablement sur le mur des charges courantes, puisque la rigueur
budgétaire n’a pas empêché les dépenses de fonctionnement d’approcher la barre des 40 milliards de DH en
1992, alors que ces mêmes charges atteignaient environ 17 milliards en 1983. Les impératifs de la gestion
de la dette limitaient par ailleurs la marge de manœuvre au niveau de l’arbitrage des dépenses. Seule subsis-
tait donc l’investissement qui a fait l’objet de véritables coupes rudes observables, si on se réfère à l’évolu-
tion de la part de l’investissement dans le total des dépenses budgétaires, cette part a été ramenée autour
de 15 % en 1992 alors qu’elle culminait à 45 % en 1982 (cf. graphique 2).
La politique d’investissement aura donc fait les frais de l’ajustement structurel et de la rigueur budgétaire
adoptée après.

F. 1992-2003 : Sortie du plan d’ajustement structurel ; vers une politique budgétaire


autonome ?
Cette période est caractérisée par la fin du programme d’ajustement structurel, et par une politique bud-
gétaire décidée et mise en ouvre de façon autonome par des gouvernements successifs. Néanmoins, cette
politique qui devait faire face à l’incompressibilité des dépenses de fonctionnement et des dépenses de la
dette, a dû limiter le niveau des dépenses d’investissement. Ces dernières n’ont jamais dépassé la barre des
22 milliards de DH depuis 1993, alors que les dépenses de la dette et celles du fonctionnement n’ont cessé
d’augmenter en atteignant respectivement 42 et 77 milliards de DH en 2003.
En effet, les dépenses courantes sont prépondérantes dans la composition de l’ensemble des dépenses
(soit 75 % en 2000), laissant ainsi peu de place pour les investissements publics qui ne représentent que
17 % des dépenses totales, soit un peu moins de 6 % du PIB en 2000.

31
2.2. Les recettes budgétaires

2.2.1. Évolution globale des recettes budgétaires entre 1956 et 2003

Pour financer ses dépenses, l’État se base sur ses ressources qui sont de trois sortes : Les recettes fis-
cales constituées des impôts directs et indirects, droits de douane et des droits d’enregistrement et de
timbre, les recettes non fiscales constituées essentiellement des recettes de monopole et des domaines
ainsi que des recettes de privatisation et enfin les recettes d’emprunts (intérieurs et extérieurs).

A. 1955-1973 : Croissance régulière des recettes fiscales


Depuis l’indépendance, les recettes fiscales progressaient de manière régulière sauf en 72. Alors que les
recettes non fiscales et les recettes d’emprunts, qui étaient assez proches pendant cette période, connais-
saient une croissance plus ou moins régulière mais dont le montant reste en dessous de celui des recettes
fiscales (cf. graphique 5).

Graphique 5 : Évolution des prévisions des recettes budgétaires (en millions de DH)

Source : Les différentes lois de finances

B. 1973-1982 : Explosion des dépenses ; recours aux emprunts extérieurs


Depuis 1973, les recettes fiscales et non fiscales progressaient de manière importante (cf. tableau 1) mais
cette augmentation restait insuffisante pour financer les dépenses colossales entamées cette année là sur-
tout après la baisse du cours des phosphates en 75. En conséquence, le Maroc a été obligé d’emprunter
lourdement à l’extérieur. Il s’agissait d’une période d’accès facile au financement international notamment à
partir du milieu des années 70 « période de l’argent facile et des pétrodollars ».

32
Tableau no 1 : Évolution des recettes fiscales et non fiscales entre 1974 et 1982 (en millions de DH)

1974 1976 1978 1980 1981 1982


Recettes fiscales 4874 6719 10233 13585 15039 18141
Recettes non fiscales
2279 1603 1500 1607 2800 2339

Source : Rapports de BAM

C. 1983-1992 : Accroissement progressif des recettes fiscales et non fiscales


Pendant la période du PAS, les recettes d’emprunts ont continué leur augmentation grâce aux emprunts
contractuels accordés par le Fond monétaire international et la banque mondiale. De même, les recettes non
fiscales, qui étaient moins importantes que les recettes d’emprunts, ont enregistré une progression régulière
jusqu’en 1988. Mais après une légère baisse en 1989, elles se sont stabilisées autour de 10 milliards de dh.

Tableau no 2 : Évolution des recettes fiscales et des recettes non fiscales


durant la période 1983-1992 (en millions de DH)

1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992
Recettes fiscales 19097 21173 23379 27395 30700 37795 40903 48106 50200 57868
Recettes non fiscales 1997 2296 3367 5086 6453 10050 8512 10243 9893 10027

Source : Rapports de BAM

Comme le montre le tableau 2, les recettes fiscales restent largement dominantes et continuent toujours
leur ascension de manière de plus en plus importante surtout depuis 1987. En fait, le système fiscal a connu
dès la moitié des années 80, une importante réforme dont les effets commencent à se sentir à partir de
1987.

D. 1992-2003 : Recettes fiscales en progression continue et recettes exceptionnelles de


privatisation
Les lois de finances depuis 1992, ont été caractérisées par une forte baisse des recettes d’emprunts, à
l’exception de la période entre 1994-1995 où ces recettes ont enregistré une légère augmentation (cf. gra-
phique 6). Cependant à partir de 1998, les recettes d’emprunts ont commencé à s’accroître fortement pour
se stabiliser autour des 36 milliards de DH depuis 2001. Cette augmentation provient surtout de la montée
des emprunts intérieurs puisque le Maroc procédait, à cette période, à la reconversion de la dette extérieure
en investissements.

33
Graphique no 6 : Évolution des prévisions de recettes d’emprunts (en millions de Dh)

Source : Les différentes lois de finances

Quant aux recettes non fiscales, elles variaient autour de 10 milliards de DH jusqu’en 1996, exception faite
de l’année 1995 où elles ont enregistré une forte baisse (cf. graphique 7). Mais depuis, elles connaissent une
croissance en forme de dents de scie. Cette croissance est due essentiellement aux recettes de privatisa-
tion. À titre d’exemple, les recettes non fiscales ont connu, en 1999, avec un montant de plus de 19,1 mil-
liards de DH un quasi-doublement grâce aux rentrées de l’ordre de 10,8 milliards de DH au titre de la
concession de l’exploitation de la 2e licence GSM, au lieu des 4 milliards inscrits dans la loi de finances 17.

Graphique 7 : Évolution des recettes non fiscales depuis 1993 (en milliards de DH)

Source : Rapports de BAM.

34
En revanche, les recettes fiscales connaissent une augmentation progressive et régulière atteignant près
de 91,2 milliards de dh en 2003. Ainsi, la pression fiscale (la part des recettes fiscales dans le PIB nominal) a
été consolidée se situant à 22,1 % durant la période 1992-2003 contre 19,4 % durant la période 1980-1989.
Cependant, cette moyenne cache une tendance baissière. En effet, cet indicateur s’est limité à 21,8 % en
2003 contre 23,1 % lors de l’exercice budgétaire 1998-1999.

2.2.2. Structure et évolution des recettes fiscales

A. Structure des recettes fiscales


Les recettes fiscales sont constituées par les impôts directs qui comprennent entre autres l’IGR (impôt
général sur le revenu) et l’IS (impôt sur les sociétés), les impôts indirects composés essentiellement des
taxes intérieures de consommation, les droits de douanes et enfin les droits d’enregistrement et de timbres.
On va retracer ci après, l’évolution des principales recettes fiscales à savoir les impôts directs et indirects et
les droits de douanes.

a) 1955-1972 : Prédominance des impôts indirects et des droits de douanes


Au lendemain de l’indépendance, les impôts indirects et les droits de douanes ont été les plus prédomi-
nants dans la composition des recettes fiscales au détriment des impôts directs. Depuis, ces dernières ont
fortement augmenté mais sont restées quand même en dessous des impôts indirects. Ceci est dû essen-
tiellement à la politique d’austérité financière poursuivie par les autorités publiques suite à la crise budgétaire
de 1964. Cette politique était accompagnée par de nombreux relèvement des taux de quelques impôts
directs et surtout des droits et taxes à la consommation. Ainsi, les impôts directs ont été de 730 millions de
dh en 1970 et 799 millions de dh en 1972 alors que les impôts indirects se sont élevés à 1532 millions de dh
en 1970 et 1628 millions de dh en 1972. En revanche, les droits de douanes ont eu une progression plus ou
moins régulière avec 513 millions de dh en 1969 et 599 millions de dh en 1970 et 562 millions de dh en 1972.

b) 1973-1982 : Croissance progressive des impôts directs et indirects avec prédominance


des impôts indirects
À partir de 1973, les trois recettes fiscales commencent à augmenter significativement. Toutefois, les
droits de douanes se sont accrus plus rapidement que les autres impôts (cf. tableau 3), renforçant ainsi leur
part dans l’ensemble des recettes fiscales au détriment des impôts indirects. La part des droits de douanes
est passée de 17 % à 27 % entre 1974 et 1982 tandis que la part des impôts indirects a enregistré, durant la
même période, un net recul passant ainsi de 50 % à 41 %, la part des impôts directs a, quant à elle, régressé
légèrement passant de 25 % à 23 %. En fait, plusieurs régimes économiques en douane ont été promulgués
en 1973, ce qui explique fortement cette augmentation des droits de douanes.

35
Tableau no 3 : Évolution des principales recettes fiscales de l’État (en millions de DH)

1974 1976 1978 1980 1981 1982


Les impôts indirectes 2.137 3.016 4.168 5.487 5.784 7.376
Les impôts directes 1.230 1.563 2.625 3.231 3.650 4.120
Les droits de douanes 1.217 1.648 2.568 3.530 4.208 4.943

Source : Rapports de Bank Al Maghrib.

c) 1983-1992 : Élargissement relatif de l’assiette fiscale, et remontée des impôts directs suite
à la réforme fiscale
Cette période est marquée par l’institution, à partir de 1986, d’une réforme du système d’imposition qui
s’est traduite par un élargissement de l’assiette fiscale. Cette réforme, amorcée par la promulgation de la loi-
cadre en 1984 et concrétisée par l’entrée en vigueur de la TVA en 1986, l’impôt sur les sociétés (IS) en 1987
et l’impôt général sur le revenu (IGR) en 1988, a affecté inégalement les différentes composantes des
recettes fiscales dont la structure s’est sensiblement modifiée.
Ainsi qu’on peut le remarquer sur le graphique 8 (ci-dessous), les impôts directs ont connu une croissance
importante depuis 1986, et leur part dans les recettes fiscales s’est relevée en passant de 24,1 % en 1983 à
31,6 % en 1992.

Graphique 8 : Évolution de la structure des plus importantes recettes fiscales (en millions de DH)

Source : Rapports de Bank Al Maghrib

36
Au contraire, les impôts indirects ont vu leur part se réduire dans l’ensemble des recettes fiscales. Depuis
1985, le ralentissement est net ; de 44,2 % à 40,6 % en 1992. En effet, malgré l’augmentation des impôts
indirects observée depuis la réforme, celle-ci reste en dessous de la croissance enregistrée par les impôts
directs.
En ce qui concerne les droits de douane, leur évolution a été assez irrégulière. Après une chute de 23,3 %
des recettes fiscales en 1983 à 17,7 % en 1987, leur part va connaître une progression sensible une année
plus tard. Cette progression va continuer jusqu’en 1994.

d) 1993-2003 : Baisse des droits de douane et renforcement de la part des impôts directs dans les
recettes fiscales
Le début de cette période marque un renversement de tendance par rapport à la période précédente.
L’écart qui commençait à se résorber entre les deux impôts directs et indirects, s’est accentué entre 1993-
1998 mais depuis il a commencé à se réduire lentement (cf.graphique 8). En fait, après une forte croissance
en 1993, due essentiellement à un net accroissement des recettes de la TVA, les impôts indirects
connaissent une progression régulière.
À l’inverse, les impôts directs ont connu une véritable baisse en 1993 et 1994 provoquée principalement
par la baisse du taux d’imposition de l’IS. Mais depuis, elles augmentent plus ou moins régulièrement. C’est
ainsi que la part des impôts directs dans les recettes fiscales s’est sensiblement élevée passant de 26,6 %
en 1993 à 36,5 % en 2003. Quant aux impôts indirects, leur part qui était de 47,3 % en 1993 a baissé à
43,2 % en 1998 pour revenir à 46 % en 2003.
De son côté, la part des droits de douane dans les recettes fiscales a régressé de façon continue, passant
de 21,6 % en 1990 à 15,8 % en 1999/2000 et à 11,7 % en 2003. En effet, les recettes douanières ont enre-
gistré une baisse dès 1995, qui s’est amplifiée en 1998 en raison de la mise en œuvre de l’accord d’associa-
tion avec l’Union Européenne. Cet accord a eu pour conséquence une baisse de la pression fiscale sur les
importations, comme en témoigne la baisse continue du taux apparent des droits de douanes (16 % en 1996,
12 % en 2001, 11 % en 2002 et 9 % en 2003). La perte des recettes douanières est estimée à 0,5 % du PIB
au titre de l’exercice 2003 contre 0,4 et 0,3 point respectivement pour les exercices 2002 et 2001.
Ainsi, depuis l’indépendance et jusqu’à nos jours, les impôts indirects restent toujours prépondérants, bien
qu’en diminution relative, dans la composition des recettes fiscales marocaines, contrairement aux pays
développés où, c’est souvent l’impôt direct qui est le plus représentatif de la recette fiscale.
Au Maroc, cette évolution s’est avérée relativement lente, à cause notamment de l’importance de l’écono-
mie informelle dans la structure du PIB, des difficultés que posent les recoupements fiscaux et de la consti-
tution d’une base fiscale systématique, maîtrisée et relative. Ces handicaps empêchent l’accroissement des
ressources fiscales directes basées sur le revenu et à contrario poussent l’État à maintenir fortement sa fis-
calité indirecte.

37
B. Élasticité des recettes fiscales
Les recettes fiscales représentent la part la plus importante des ressources de l’État et leur évolution est
généralement proportionnelle à la croissance économique du pays. Ainsi, la hausse ou la baisse des « ren-
trées fiscales » devrait logiquement suivre celles du PIB. Ce qui ne correspond pas toujours à la réalité maro-
caine. En effet, en terme d’élasticité du système fiscal, on peut présenter l’analyse suivante :

Tableau no 4 : Élasticité globale des recettes fiscales par rapport au PIB

1973-1977 1978-1982 1983-1992 1993-2003


Élasticité globale 1,32 1,06 1,24 1,02

Source : Élasticité calculée à partir des données des rapports de la BAM*

* Les résultats proviennent du test économétrique de l’équation représentant la régression des recettes fiscales par rapport au PIB, par la méthode des moindres carrées ordinaires (MCO). Ces résultats
ont été satisfaisants du point de vue statistique

L’élasticité des recettes fiscales, hormis la période 78-82, est en train de baisser avec le temps, ainsi :
– Entre 1973-1977 : elle a été relativement élevée grâce notamment à l’euphorie qu’a connue l’économie
marocaine pendant cette période et qui s’est traduite par des recettes fiscales substantielles.
– Entre 1978-1982 : elle a fortement baissé à cause du plan de stabilisation 78-80. En effet, cet ajustement
a eu comme conséquence la réduction de l’assiette fiscale notamment via la maîtrise des dépenses
publiques. C’est ainsi que le gel des salaires tend à réduire une source importante d’imposition des reve-
nus et des dépenses, et que la baisse des dépenses d’investissement, qui influence négativement le
PIB, tend à réduire les recettes fiscales potentielles.
– Entre 1983-1992 : elle a augmenté par rapport à la période précédente, mais reste quand même en des-
sous de 1,32 enregistrée durant la période 73-77 malgré la mise en place du programme d’ajustement
structurel. En effet, les dépenses de fonctionnement se sont révélées incompressibles et la fiscalité
s’est renforcée par l’entrée de nouveaux impôts : L’IS, IGR et TVA. Ainsi, la mise en place de la TVA en
1984 a permis d’améliorer la sensibilité des recettes à la consommation des ménages et la mise en
œuvre de l’IGR en 1988 a permis d’améliorer la sensibilité des recettes au revenu national brut dispo-
nible.
– entre 1993-2003 : La baisse de l’élasticité est due cette fois, essentiellement au maintien de la rigueur
budgétaire. En effet, la maîtrise des dépenses publiques en général et des dépenses d’investissement
en particulier agit à la baisse sur le PIB et réduit donc, les recettes fiscales.

Cette faible élasticité du système fiscal marocain, n’est pas tout à fait étrangère à la structure de ce sys-
tème lui-même. En effet, celui-ci exonère délibérément certains secteurs qui se trouvent être les plus forte-
ment générateurs de surplus (Certaines activités agricoles à caractère industriel, codes d’investissements
industriels et de service comme c’est le cas du tourisme).
Au vue de la description de l’évolution des recettes budgétaires précédentes, on peut dire que celles-ci se
caractérisent par une certaine instabilité, surtout en ce qui concerne les recettes fiscales. Cette instabilité
provient des particularités du système qui n’ont pas toujours été rectifiées, à savoir la faiblesse des impôts
directs, la fiscalisation inégale suivant les secteurs 18, et enfin l’importance de l’évasion et de la fraude.

38
C. Les grandes évolutions marquant le système fiscal marocain
a) 1956-1984 : Absence de réforme fiscale importante durant cette période
Durant les premières années de son indépendance, le Maroc s’était contenté de reconduire le système fis-
cal hérité du protectorat, tout en prenant soin de relever les tarifs de différents impôts existants pour
accroître ses ressources et faire face aux nouvelles charges engendrées par le recouvrement de la souverai-
neté et l’édification du nouvel État post-colonial.
En 1962, est engagée une première réforme fiscale qui révèle rapidement ses limites. En effet, seul
l’impôt agricole a été modifié. pour le reste, on s’est contenté de quelques aménagements des caractéris-
tiques de certains impôts.
Au début des années 70, de nouvelles orientations ont été définies afin d’accentuer l’insertion de l’écono-
mie marocaine dans l’économie mondiale, notamment à travers la promotion des industries exportatrices.
Six codes d’investissement sectoriels et divers régimes économiques en douane ont été promulgués en
1973. Depuis lors, l’abondance des ressources d’origine externe a permis de faire l’économie d’une réforme
fiscale dont les responsables reconnaissaient pourtant la nécessité depuis longtemps. On a relevé, certes,
quelques mesures limitées (création de la contribution complémentaire et une taxe sur le revenu des valeurs
mobilières en 1972) mais dans l’ensemble, la structure du système n’a guère changé.

b) 1984-2003 : Réforme fiscale radicale suivie d’un renforcement du poids de l’impôt


Il aurait fallu le choc de la crise de la dette des années 80 et des politiques d’ajustement structurel qu’il a
imposées, pour amener l’État à s’engager dans un processus de réforme fiscale. En effet, le modèle de
réforme fiscale « recommandé » dans ce contexte est fondé sur l’idée qu’une simplification et rationalisation
du système fiscal, une restructuration de l’assiette accompagnée de l’abaissement de la pression fiscale,
devraient stimuler la croissance et générer un surcroît de recettes. Concrètement, cette réforme a abouti à
un abaissement considérable des taux supérieurs des droits de douane à l’importation, la quasi-disparition
des droits à l’exportation, la substitution de la TVA à la taxe sur les produits et services (1984), de l’impôt sur
les sociétés à l’impôt sur les bénéfices professionnels (1986), l’institution de l’impôt général sur le revenu
(1988). Une réforme de la fiscalité locale a également été réalisée et mise en œuvre depuis 1990.
Cette série de réformes a notamment visé la réduction du niveau des taux d’imposition et l’élargissement
de l’assiette fiscale. Ainsi le nombre des taux de la taxe sur la valeur ajoutée est passé de 11 en 1986 à 4
actuellement (7, 10, 14, 20 %). L’impôt sur les sociétés a baissé de 45 % en 1987, à 40 % en 1988, à 38 %
en 1993 et à 35 % en 1996. La tranche exonérée de l’impôt général sur le revenu est passée de 12000 dh en
1992 à 18000 dh en 1994 puis 20000dh en 1999 et le taux plafond est passé de 52 % en 1990 à 46 % en
1994 et 44 % en 1996.
Les autres taux ont baissé d’un point. Ces réformes et incitations fiscales ont permis l’amélioration des
structures fiscales, comme l’illustre l’augmentation de la part des impôts directs dans le total des recettes
hors privatisation qui s’est élevée à 28,1 % en 1998/1999 contre 23,3 % en 1987, au dépend des impôts indi-
rects (y compris les droits de douanes) dont la part a baissé de 62,3 % en 1987 à 52,9 % en 1998/1999.
Malgré les allégements fiscaux intervenus ces dernières années, la pression fiscale a été consolidée, se
situant à 22,1 % durant la période 1996-2003 contre 19,4 % durant la période 1980-1989.

39
3. Analyse conjoncturelle des politiques budgétaires marocaines
depuis 1955.

Quelle que soit l’importance de l’évolution de la composition des dépenses et des recettes, c’est par la
variation des soldes budgétaires que la politique budgétaire peut influencer en profondeur les éléments de
l’équilibre général.

3.1. Les cycles budgétaires au Maroc

L’étude des déficits budgétaires qu’a connus l’économie marocaine depuis 1956, nous paraît indispen-
sable pour cerner l’ampleur de la contribution de l’État au développement économique et social du pays.
Pour cela, on peut distinguer, comme on l’a vu précédemment, quatre cycles budgétaires : 1956-1973 ; 1973-
1982 ; 1983-1992 ; 1993-2003.
À cet effet, le concept de « cycle budgétaire » que nous utilisons ici, désigne une période plus ou moins
longue, de10 ans en moyenne, et durant laquelle l’État, au sens du gouvernement, ne semble pas réagir à
telle ou telle tendance forte et structurelle des finances publiques. Lorsque par exemple, les déficits structu-
rels continuent à marquer les budgets durant plusieurs années de suite, il s’agira d’un cycle budgétaire. Le
cycle se termine en général par une crise des finances publiques et donc par une dépression. On peut alors
assister à deux types de mesures anti-crise : Soit l’État subit le cycle budgétaire déficitaire, et prend des
mesures à posteriori, et c’est ce qui arrive en général dans les finances publiques marocaines. Soit l’État voit
venir la crise de ses finances, et anticipe la crise, auquel cas le cycle se termine plutôt.

3.1.1. 1956-1973 : Un cycle budgétaire relativement sous contrôle


Deux périodes peuvent être distinguées dans ce cycle : La première (1956-1964) et la deuxième (1965-
1973). La première période allant de 1956 à 1964 correspond aux premières années après l’indépendance,
où le besoin de relancer l’économie s’est fait sentir au détriment du déficit budgétaire qui était en moyenne
de l’ordre de 8,6 % du PIB entre 1960 et 1964. En effet, la reconstruction de l’économie s’est accompagnée
d’un accroissement des dépenses qui n’était pas suivie d’une augmentation suffisante des recettes.
La deuxième période, entre 1965 et 1973, où les déficits budgétaires représentaient en moyenne 3,4 % du
PIB, a été au contraire marquée par une politique budgétaire plutôt prudente. En effet, la préoccupation
majeure des autorités publiques pendant cette période, était de limiter l’accroissement des dépenses
publiques et partant, le niveau du déficit.

Tableau no 5 : Évolution des déficits budgétaires au Maroc (1960-1972)

Années 1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972
Déficit/PIB (en %) 7,5 8,7 8,5 9,5 9 4,8 2,7 4,3 3 4,3 2,9 2,8 3,6

Source : Ministère du plan

40
3.1.2. 1973-1982 : Un cycle budgétaire d’expansion-récession ; la crise des finances
publiques marocaines
On peut distinguer 2 sous-phases à l’intérieur de cette période : 1973-1977 et 1978-1982.

A. 1973-1977 : Le cycle budgétaire d’expansion


La première phase a été caractérisée par une forte progression des recettes et des dépenses publiques
due, entre autres, au triplement des prix des phosphates. Ce qui a marqué une véritable rupture de la ten-
dance du passé en matière budgétaire. Ainsi, la prudence et l’orthodoxie budgétaires ont cédé la place à
l’activisme budgétaire, ce qui a conduit à des déficits importants.

Tableau no 6 : Évolution des déficits budgétaires au Maroc (1973-1982)

Années 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982
Déficit/PIB (en %) 1,9 3,8 8,7 16,1 14,6 9,9 9,2 10,1 14,0 12,0

Source : Ministère du plan.

En effet, au terme de cette sous-phase, les déficits budgétaires sont entrés dans un processus cumulatif
et d’auto entretien. Ils sont même devenus une donnée structurelle des finances publiques marocaines.
Ainsi, le déficit budgétaire qui ne représentait que 1,9 % en 1973 atteignait 14,6 % en 1977.

B. 1978-1982 : La plus grave dépression économique et financière des cinquante


dernières années
Cette période peut aussi être divisée en deux sous-périodes : une correspondant au plan de stabilisation
78-80 et l’autre à une situation de cessation de paiement du pays en 1981 et 1982.

a) 1978-1980 : Le plan de stabilisation


Malgré l’assainissement budgétaire prôné par le plan de stabilisation 78-80, les déficits budgétaires persistaient
durant la deuxième sous-période surtout en 1981 où il représentait 14 % du PIB. En effet, la baisse des dépenses
d’équipement et les divers aménagements fiscaux n’ont pas permis d’améliorer la situation financière de l’ État.
Celle-ci s’est même dégradée à partir de 1980 avec l’apparition des soldes budgétaires ordinaires négatifs.

Tableau no 7 : Évolution des dépenses et des recettes ordinaires

1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982
Recettes
ordinaires 4142 7028 8490 8322 10784 11693 13802 15092 17787 20480

Dépenses
ordinaires 3797 6670 7567 8038 9400 11049 13000 16167 20063 21830

Solde
ordinaire 345 358 923 284 1384 644 802 – 1075 – 2276 – 1350

Source : Rapports de Bank Al Maghrib

41
b) 1981-1982 : Une période de quasi-cessation de paiement du pays

Pour financer ses dépenses et couvrir ses déficits, l’État a eu massivement recours à l’endettement exté-
rieur. Ainsi, l’encours de la dette extérieure qui n’était que de 12,9 % du PIB en 1974 s’élevait à 43,8 % en
1982 (cf. graphique 9).
Cependant, compte tenu des chocs externes à la fin des années 70 (2e choc pétrolier, hausse des taux
d’intérêts), et vu l’ampleur des déficits jumeaux et la montée des revendications sociales qui se sont matéria-
lisées au début des années 80, cet endettement excessif et ces déficits sans précédents ont débouché sur
une situation de cessation de paiement. Ce qui a rendu le rééchelonnement de la dette extérieure incontour-
nable et l’ajustement indispensable.

Graphique 9 : Encours de la dette extérieure en % du PIB 19

Source : IFS.

3.1.3. 1983-1992 : Un nouveau cycle budgétaire sous contrôle; l’ajustement structurel


La période 83-92 apparaît comme une période d’assainissement des finances publiques et du retour aux
déficits budgétaires soutenables. En effet, la part de ceux-ci dans le PIB va s’établir en moyenne à 5,9 %.
Cette période correspond au programme d’ajustement structurel mis en place en juillet 83. Son but était,
entre autres, de réduire le montant considérable du déficit à travers le ralentissement de la progression des
dépenses publiques et l’accroissement des recettes par un aménagement et un renforcement de la fiscalité.
La politique de redressement des finances publiques, poursuivie tout au long de cette période, a eu des
résultats financiers positifs indéniables. Ainsi, le déficit budgétaire qui représentait 9,2 % du PIB en 83 a
baissé progressivement pour se retrouver à 2,2 % du PIB en 1992.

42
Graphique 10 : Évolution du déficit budgétaire (en % du PIB) entre 1983 et 1992

Source : Calcul basé sur les données publiées par Bank-Al-Maghrib et par la Direction de la Statistique.

La structure du financement des déficits budgétaires s’est aussi profondément modifiée. Au lieu des
emprunts étrangers, ce sont les sources de financement interne qui ont largement dominé cette structure
depuis la mise en application du PAS, en contribuant en moyenne à la couverture de 45,5 % des déficits bud-
gétaires entre 1983-1992.
Cependant malgré les efforts positifs accomplis, le redressement budgétaire demeure fragile et les
marges de manœuvre se rétrécissent de plus en plus.

3.1.4. 1993-2004 : Un cycle budgétaire et de croissance économique contrarié

La période 1993-2004 apparaît comme une période de déficits relativement maîtrisés, mais cette maîtrise
reste fragile. En effet, privé des gains de rééchelonnement, l’État s’est basé depuis 1993 sur les recettes de
privatisation pour ramener ses déficits budgétaires à des niveaux soutenables. Ainsi, grâce à ces recettes
exceptionnelles, le déficit budgétaire a reculé, s’établissant à 3,1 % du PIB en moyenne sur la période 1996-
2003 contre 3,3 % entre 1990 et 1995.
À titre d’exemple, le déficit qui était de l’ordre de 8,4 % en 2001 s’est retrouvé, grâce aux recettes de ces-
sion de 35 % du capital de Maroc Telecom à 2,6 %.

Tableau no 8 : Évolution des déficits budgétaires au Maroc 1993-2003

Années 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
Déficit/PIB (en %)
2,3 3,3 5,2 3,0 1,4 3,8 0,9 5,8 2,6 4,3 3,7

Source : Calcul basé sur les données publiées par Bank-Al-Maghrib et par la Direction de la Statistique.

43
En outre, au delà du caractère en partie conjoncturel du déficit, il y a d’autres facteurs de tension bud-
gétaire, parmi lesquels la perspective d’une diminution de recettes de l’ordre de 2 % du PIB à moyen terme,
du fait de la mise en œuvre de l’accord d’association avec l’UE. La pression continue de la masse salariale,
qui dépasse déjà 12 % du PIB, et la mise en œuvre éventuelle de la responsabilité financière de l’État au titre
des passifs implicites logés dans les comptes du système bancaire ou dans ceux des caisses de retraite du
secteur public, auxquels il faut désormais ajouter les dépenses de compensation sur les prix de l’énergie et
les conséquences budgétaires des accords sociaux relatifs aux revalorisations des salaires.
Dans ces conditions, les budgets des années 2003 et suivantes sont structurellement déficitaires, mais
conjoncturellement soutenus par les recettes de privatisation.

III. Les politiques monétaires marocaines


depuis l’indépendance

1. Éléments d’introduction et de méthode

À côté de la politique budgétaire, la politique monétaire est l’un des piliers de la politique économique 20 et
plus précisément de la politique macro-économique. En effet, utiliser la monnaie comme instrument de poli-
tique économique, cela revient à cerner l’influence qu’elle peut avoir sur la production, les échanges, et le
comportement des différents agents économiques 21.

1.1. Politiques monétaires et politiques économiques

Or, la détermination de l’influence de la monnaie sur l’économie réelle a été, et reste encore parmi les prin-
cipaux débats de la théorie économique. Loin de nous, l’objectif de reproduire ce débat dans ce chapitre.
Toutefois, et très brièvement, les économistes fondateurs de la théorie classique ont bien distingué « soi-
gneusement le monde de l’économie réelle et celui de la monnaie » 22. Mais, l’évolution des cycles et surtout
des crises économiques, notamment au cours du XXe siècle, ont remis en cause cette séparation par l’intro-
duction des théories keynésiennes et monétaristes, qui ont mis en évidence l’existence d’une demande de
monnaie de différents agents économiques 23. Par conséquent, « la politique monétaire peut influencer le
comportement des agents économiques en faisant évoluer les facteurs qui déterminent la demande et en
déterminent l’offre, et de ce point de vue, la politique économique » 24.
S’il est maintenant admis que la politique monétaire joue un rôle dans la politique économique dans les
économies développées, voire aussi en développement, il reste à s’interroger sur sa mise en œuvre et sur-
tout son efficacité. En effet, avant d’exposer les premiers résultats de nos observations sur la politique
monétaire suivie au Maroc depuis son indépendance, il nous paraît nécessaire de rappeler très brièvement
les deux grandes approches de la politique monétaire qui ont marqué les principaux pays industriels durant
les cinquante dernières années.

44
1.2. Les deux approches principales des politiques monétaires

En effet, au lendemain de la seconde guerre mondiale, et depuis les années 1960 jusqu’aux années 1980,
la politique monétaire d’inspiration keynésienne a été l’instrument par excellence pour influencer la conjonc-
ture économique : « En fonction des nécessités conjoncturelles, la croissance était tour à tour ralentie ou
accélérée par des injections ou des contractions de liquidités au travers d’une politique d’open market qui
permettait de relever ou d’abaisser le taux d’intérêt. La préoccupation essentielle des pouvoirs publics était
d’améliorer la régulation conjoncturelle par rapport à une tendance de croissance de long terme. La politique
monétaire était mise au service de cet objectif 25. »
Comme on le constate, la variable centrale utilisée dans cette approche, pour relancer ou au contraire
ralentir la croissance, est le taux d’intérêt. Il est ainsi supposé que la relance de l’investissement et donc de
la croissance, ou bien au contraire son ralentissement, dépendent avant tout du taux d’intérêt.
Ce modèle a ainsi fonctionné dans les grands pays industrialisés jusque dans les années 1970, date à la
quelle les premiers signes inflationnistes, plus au moins à caractère structurel, ont commencé à apparaître.
Parallèlement à cette montée inflationniste se développait un courant théorique monétariste très critique vis
à vis de cette approche monétaire keynésienne.
En effet, et très brièvement, il est reproché à l’approche keynésienne de centrer sa politique monétaire sur
le taux d’intérêt dont les effets sont très difficiles à prévoir quand ils ne sont pas contrariés par des compor-
tements des agents économiques 26. Il est donc inefficace de chercher, selon les monétaristes, à utiliser la
politique monétaire à des fins conjoncturelles 27.
D’où la deuxième grande approche de la politique monétaire, dite monétariste. Cette politique consiste à
assurer une croissance affichée et continue de la masse monétaire définie en fonction du revenu permanent
de longue période 28.
Cette approche, à priori simple et très libérale, pose toutefois plusieurs problèmes en pratique, dont
notamment l’hypothèse d’un comportement logique des agents économiques puisqu’ils ne sont plus sous
influence conjoncturelle et connaissent d’avance l’évolution de la masse monétaire, et l’autre difficulté est la
détermination du revenu permanent, base de calcul de l’accroissement en longue période de la masse moné-
taire.
Les autorités monétaires et financières des états industrialisés ont fait évoluer leurs politiques monétaires
respectives entre ces deux approches en fonction de leurs structures économiques, monétaire, financière,
mais aussi de la conjoncture de leur économie.
Tout en tenant compte des caractères propres de l’économie marocaine durant les cinquante dernières
années, c’est aussi par rapport à ces deux approches principales que nous examinerons la politique moné-
taire mise en œuvre au Maroc durant cette période.

2. Les objectifs des politiques monétaires marocaines depuis


l’indépendance

Tout au long des grandes phases de la conjoncture économique marocaine durant les cinquante dernières
années, les objectifs de la politique monétaire marocaine ont été de façon permanente d’assurer la stabilité
des prix ; et par de là, la valeur de la monnaie nationale, le dirham.
En effet, tout au long des principales périodes référées, et à l’exception de la période 1973-1976, à savoir
1955-1965 ; 1966-1973 ; 1976-1983 ; 1983-1992 ; 1993-2003, nous avons remarqué que les objectifs de la

45
politique monétaire étaient le contrôle étroit et le suivi de la masse monétaire par rapport à l’économie. Il y a
eu certes des adaptations, des expansions, et des restructurations, de cette masse monétaire mais rarement
de politique monétaire volontariste sauf entre 1973 et 1976.
En revanche, parmi les objectifs des politiques monétaires dans les pays industriels occidentaux durant
cette période, et notamment celle comprise entre 1950 et 1970, les politiques monétaires avaient, parallèle-
ment aux politiques budgétaires, des objectifs tantôt de relance économique, tantôt de stabilisation.

Ainsi, depuis l’indépendance, les objectifs des politiques monétaires marocaines étaient de ralentir l’expan-
sion des moyens de paiement si les autorités monétaires les jugeaient trop rapide, apporter une contribution
mesurée mais suffisante, aux lourdes dépenses d’équipement prises en charge par l’État et enfin d’assurer
le financement des activités fondamentales afin de ne pas mettre en difficulté les secteurs essentiels de
notre économie comme celui de l’agriculture. Par contre, entre 1973 et 1976, l’objectif de la politique moné-
taire était plutôt orienté vers le soutien de la croissance en relâchant la pression sur le système bancaire,
principale source d’approvisionnement en liquidités.
Pendant la période 1978-1990 caractérisée par une forte inflation et des déséquilibres extérieurs et inté-
rieurs, la priorité absolue fut accordée à la lutte contre l’inflation et le déséquilibre extérieur par la mise en
place d’un contrôle sévère de la croissance des agrégats monétaires, tout en privilégiant le financement des
secteurs prioritaires et en renforçant les mesures de nature à promouvoir l’épargne.
Avec le rétablissement des équilibres fondamentaux au début des années 90, la politique monétaire a
continué d’œuvrer pour la maîtrise de l’inflation ainsi que pour l’amélioration des conditions de financement
de l’économie, en vue de favoriser la croissance.

Tableau no 9 : L’objectif quantitatif M2 (progression annuelle en %)

1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994


Objectif 16 10 13 11 10 7 6 8,2 8 à 10
Réalisation 15,9 9,7 14,7 11,8 18,5 16,8 9,3 8,7 10,2

Source : Rapports de BAM

Ainsi on peut voir à travers ce tableau que la masse monétaire a augmenté beaucoup plus rapidement que
son objectif depuis 1990 mais à partir de 1993, elle ne s’en est guère éloignée.
Mais suite à la libéralisation financière entamée en 1993, on assiste à une prolifération d’actifs ayant des
caractéristiques similaires à celle de la monnaie d’où le recours en 1997, à une redéfinition des agrégats
monétaires (cf. encadré1). En effet, les autorités monétaires ont élargi la masse monétaire à l’agrégat qui
représente le mieux le stock d’actifs à savoir l’agrégat M3 et l’ensemble des agrégats de placements
liquides.
À côté de son objectif principal de maîtrise des prix, la politique monétaire avaient donc, d’autres objectifs
qui ne sont pas de moindre importance mais qui varient d’une période à l’autre selon les impératifs de la
conjoncture.

46
Encadré no 1
Réforme des statistiques monétaires nationales
Les agrégats monétaires

Les nouvelles statistiques monétaires, publiées mensuellement depuis le mois de janvier 1998, sont constituées de
trois agrégats de monnaie et trois agrégats de placements liquides désignés respectivement par les caractères M et PL
assortis de chiffres allant de 1 à 3 qui permettent de les classer selon un ordre de liquidité décroissante.
Les agrégats de monnaie (M) regroupent, à la fois, les avoirs qui présentent toutes les caractéristiques de la mon-
naie quel que soit leur émetteur, (système bancaire, Trésor, Service des chèques postaux) et les actifs aisément substi-
tuables à la monnaie émis par les banques et la Caisse d’épargne nationale. Ils sont présentés sous forme d’ensembles
qui se cumulent en fonction de leur degré de liquidité. L’agrégat de monnaie le plus large, désigné par M3, correspond
à la nouvelle définition de la masse monétaire.
L’agrégat M1 recense les moyens de paiement proprement dits, directement utilisables dans le règlement des tran-
sactions. Il comprend les billets et monnaies en circulation et les comptes créditeurs à vue ouverts auprès des éta-
blissements bancaires, du Trésor et du Service des chèques postaux.
L’agrégat M2 englobe, outre M1, les avoirs à vue qui ne peuvent être mobilisés par émission de chèques (avoirs en
comptes sur carnets auprès des banques et sur livrets chez la Caisse d’épargne nationale).
Enfin, l’agrégat M3 est composé de l’ensemble M2 auquel s’ajoutent les placements, auprès des banques, ayant une
échéance fixe mais pouvant donner lieu, sans risque de perte en capital, à la création d’instruments de paiement. Il
s’agit des comptes à terme et des bons à échéance fixe ainsi que des certificats de dépôt.
Les agrégats de placements liquides (PL), pour leur part, tout en reflétant une volonté d’épargne des agents écono-
miques non financiers résidents, constituent une réserve de pouvoir d’achat rapidement mobilisable.
Ainsi, l’agrégat PL1 comprend tous les actifs constitués auprès d’entités autres que les banques (État, sociétés de
financement et entreprises non financières) et pouvant être aisément transformés en instruments monétaires. Il est
composé à la fois des bons du Trésor à 6 mois émis dans le public et des titres de créances négociables (TCN) détenus
par les particuliers et les entreprises non financières autres que ceux émis par les banques déjà inclus dans M3. Les
TCN recouvrent les bons du Trésor acquis dans le cadre des emprunts nationaux, de la privatisation et des adjudica-
tions, ainsi que les billets de trésorerie et les bons émis par les sociétés de financement.
Les agrégats PL2 et PL3 rassemblent, quant à eux, les titres émis depuis 1995, respectivement par les OPCVM obli-
gations et les OPCVM actions et diversifiés, acquis par les particuliers et les entreprises non financières. Ces actifs,
tout en reflétant une volonté d’épargne à plus longue échéance, revêtent un caractère liquide du fait de la possibilité
pour l’investisseur de bénéficier du rachat, par l’émetteur, des titres en sa possession. La différenciation qui est faite
entre les deux ensembles se justifie par le risque de perte en capital, plus élevé sur les placements en titres de socié-
tés inclus dans PL3 que dans PL2.

Évolution de la structure de la masse monétaire


(M3)* en pourcentage

47
Évolution de la structure
des contreparties de la masse monétaire (M3)
en pourcentage

(*) La masse monétaire (M3) se compose de :


M1 : qui recense les billets et monnaies en circulation ainsi que les dépôts à vue.
M2 – M1 : formé des comptes sur carnets auprès des banques ainsi que des comptes sur livrets auprès de la CEN.
M3 – M2 : constitué des comptes et bons à échéance fixe et des certificats de dépôt.

3. Les instruments des politiques monétaires marocaines depuis 1955

Après avoir analysé les principaux objectifs des politiques monétaires marocaines, il convient maintenant
de s’interroger sur les interventions des pouvoirs publics dans le domaine monétaire, autrement dit sur les
moyens mis à la disposition des autorités monétaires pour atteindre leurs objectifs en matière de contrôle de
la création monétaire et des taux d’intérêt.
Réescompte, refinancement, réserves monétaires, encadrement du crédit.....autant d’instruments qui ne
se ressemblent pas toujours et dont l’efficacité dépend beaucoup des caractéristiques propres à chaque sys-
tème financier.
En décrivant l’évolution de ces instruments au Maroc, on va essayer de montrer comment la régle-
mentation a peu à peu cédé la place à des mécanismes de marché et comment une politique par les prix a
succédé à une politique par les quantités.
La politique monétaire cherche à réguler la quantité de monnaie en circulation de façon à satisfaire des
objectifs parfois contradictoires de croissance, de production et d’emploi mais aussi de stabilité des prix.
Pour cela l’institut d’émission doit agir sur les contreparties de la masse monétaire qui sont : les créances sur
le trésor, les avoirs extérieurs et les crédits à l’économie. L’action sur les créances sur le trésor et les avoirs
extérieurs ne peut être que limitée tant ces deux sources de création monétaire échappent largement à son
contrôle et sont plutôt un sous produit de la politique budgétaire et de celle des taux de change. C’est donc
sur la distribution des crédits bancaires que porte essentiellement la politique monétaire.
Ainsi, si le crédit est le principal facteur explicatif de la création monétaire et s’il oblige les banques à se
refinancer, les instruments de la politique monétaire s’attacheront à le limiter, soit directement par voie de
réglementation, soit indirectement en jouant sur les conditions de refinancement bancaire.

48
3.1. Évolution des principaux instruments de régulation du crédit jusqu’en 1972

Au lendemain de l’indépendance, l’institut d’émission utilisait le système des fiches pour agir sur la liqui-
dité bancaire, il s’agissait d’attribuer à chaque établissement bancaire des quotas d’admission au réescompte
par nature d’opérations (fiche papier commercial...). Cependant ce système s’avérait rapidement inefficace et
fut remplacé en 1959 par le système de plafonds de réescompte.

3.1.1. 1959-1966 : Le plafond de réescompte et le coefficient de trésorerie se


révèlent inefficaces comme instruments de limitation des crédits bancaires

A. Le plafond de réescompte
Depuis juillet 1959, la nécessité de mettre en place de nouveaux instruments s’est imposée surtout avec
l’acquisition de la banque du Maroc du statut d’établissement public autonome, succédant ainsi à la banque
d’état du Maroc crée en 1907, et l’institution d’une nouvelle monnaie nationale « le dirham ».
Ainsi fut institué, en juillet 1959, le système de plafonds de réescompte qui consistait à fixer pour chaque éta-
blissement bancaire pris individuellement, un plafond unique d’escompte déterminé en fonction des dépôts collec-
tés, au-delà duquel les taux pratiqués deviendront dissuasifs (taux d’enfer ou de super enfer). Cependant cette
technique ne s’appliquait pas aux effets relatifs à certains secteurs que les pouvoirs publics jugeaient prioritaires.
L’efficacité de ce système est restée limitée puisqu’elle n’a pas eu d’effet direct sur le volume des
concours bancaires. En effet, le volume des recours à l’institut d’émission passait de 75 millions de Dh en
1960 à 152 millions de Dh en 1962 alors que les crédits octroyés par les banques privées et les banques
populaires passaient de 1077 millions de Dh en 1960 à 1464 millions de Dh en 1962 (cf.graphique11). Ceci
est dû essentiellement à l’importance des trésoreries bancaires alimentées en grande partie par leurs mai-
sons-mères installées à l’étranger.

Graphique 11 : Évolution des crédits à l’économie financés sur ressources monétaires 1960-1972

Source : Rapports de la Banque Du Maroc

49
B. Le coefficient de trésorerie
En octobre 1963, les autorités monétaires ont décidé, pour mieux contrôler la liquidité bancaire et en fai-
sant participer le système bancaire au financement du trésor, de renforcer l’ancien système par l’institution
d’un nouvel instrument : le coefficient de trésorerie. Il s’agit de bloquer dans l’actif des établissements de
crédit 45 % de leurs exigibilités à vue et à terme (avoirs en caisse ou en compte à la Banque Du Maroc, bons
du trésor et effets réescomptables hors plafond).
Cette technique n’a pas pu amener les établissements de crédit à modérer leurs possibilités d’octroi de nouveaux
crédits puisque ceux-ci ont pu satisfaire à la fois aux obligations du coefficient de trésorerie et répondre favorable-
ment à une forte demande de crédit tout en utilisant qu’une faible fraction de leurs possibilités de réescompte.

3.1.2. 1966-1972 : L’introduction de nouveaux instruments de la politique monétaire


Des modifications radicales ont été apportées en 1966, aux différents instruments pour les rendre plus
performant dans leur action sur la liquidité bancaire. C’est ainsi que les autorités monétaires ont décidé en
février 1966 d’élargir le champ d’application du système de réescompte en incluant tous les concours mobili-
sables auprès de BDM (y compris les avances sur bons de trésor détenues par le système bancaire en excé-
dant du plancher d’effets publics et les effets représentatifs des crédits à moyen terme à l’intérieur d’un
plafond unique pour chaque établissement bancaire) et de supprimer les possibilités antérieurs de mobilisa-
tion hors plafond sauf pour un nombre restreint de secteurs jugés prioritaires. En ce qui concerne le coeffi-
cient de trésorerie, il fut pratiquement abandonné au profit de deux nouveaux instruments : la réserve
monétaire et le plancher d’effets publics.

A. Réserve monétaire et plancher d’effets publics


La réserve monétaire, institué le 11 février 1966, consistait à conserver dans un compte rémunéré à l’insti-
tut d’émission 100 % de l’excédent des dépôts à vue et à terme, ce taux a été ramené, en novembre de la
même année, à 25 % de l’accroissement des dépôts à vue uniquement.
Quant au plancher des effets publics, il consistait en premier lieu, en février 1966, à imposer aux banques com-
merciales la conservation en permanence du portefeuille d’effets publics tel qu’il se présentait à cette date,
ensuite il s’agissait de conserver seulement 25 % de leurs dépôts à vue et à terme à l’achat de bons du trésor.
Cependant ces techniques de contrôle indirect fondées sur le maniement des réserves obligatoires et le plan-
cher d’effets publics se révèlent inefficace à elles seules pour limiter la distribution des crédits surtout dans un
contexte de surliquidité bancaire. En effet, l’accroissement de la masse monétaire en 1968 représentait 666 mil-
lions de dh soit 15,2 % et à concurrence des trois-quarts de ce montant, les émissions nouvelles trouvaient leur
origine dans le développement des crédits à l’économie. Les moyens de financement nécessaires à la commer-
cialisation d’une récolte céréalière très abondante permettaient, il est vrai, d’expliquer pour une large part cette
évolution, mais il apparaissait aussi que d’autres secteurs avaient bénéficié de facilités trop larges.
Tableau no 10 : Évolution de la réserve monétaire et des dépôts à vue dans les banques privées
(en millions de dirhams) *

1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972


Réserve 8 14 35 74 103 150 152
monétaire
Dépôts à vue 1741 1973 2290 2437 2648 3042 3544
dans les banques
* non compris les banques populaires.

Source : Rapports de la Banque du Maroc

50
B. L’encadrement du crédit
Dès le début de 1969, il était devenu nécessaire d’intervenir plus directement en contraignant la distribu-
tion des crédits par les banques à travers l’encadrement du crédit. C’est une procédure administrative qui
consistait à imposer aux banques pour une période déterminée et par rapport à une date de référence, une
limite d’accroissement de leurs concours. En cas de dépassement, les banques sont sanctionnées. L’activité
économique risquant d’être pénalisée, les autorités monétaires ont admis des procédures dérogatoires ;
l’encadrement a été différencié selon la nature des établissements et des prêts accordés, ce qui a permis à la
fois de limiter la progression de la masse monétaire et de favoriser certains secteurs prioritaires tels que les
concours céréaliers et le papier commercial sur l’étranger. Ainsi le taux de progression de la masse moné-
taire en moyenne annuelle était de l’ordre de 15,2 % en 1969, 8,3 % en 1970 et même à 7,8 % en 1971.
Rapportée au PIB, la masse monétaire s’est stabilisée autour de 33 % entre 1969 et 1971 (cf. graphique 12).

Graphique 12 : Évolution de la masse monétaire en % du PIB

Source : Calcul basé sur les données publiés par Bank-Al-Maghrib et par la Direction de la Statistique.

En même temps, les autorités monétaires ont continué à utiliser les instruments indirects en introduisant
des modifications selon les nécessités de la conjoncture. Ainsi le taux de la réserve monétaire et ses modali-
tés d’évaluation ont été modifiés deux fois pour se maintenir en 1971 à 4 % de l’ensemble des exigibilités
des banques alors que le plancher d’effets publics a été relevé de 25 à 30 % en 1972.
Compte tenu du ralentissement de la croissance économique, les autorités monétaires ont jugé néces-
saire, pour relancer l’activité, de relever l’encadrement du crédit en 1972 et de suivre une politique expan-
sionniste.

3.1.3. 1973-1982 : Suppression puis retour à l’encadrement du crédit comme


instrument principal de contrôle monétaire
Durant cette période, la politique monétaire s’est développée en deux phases :
La première en 1973-1977 est marquée par une politique monétaire expansionniste basée sur le désen-
cadrement du crédit et la réforme des taux d’intérêt (1974). La deuxième phase en 1978-1982 est marquée
par le retour à l’orthodoxie monétaire basée sur l’encadrement du crédit.

51
A. 1973-1977 : Suppression de l’encadrement du crédit et prédominance des instruments
de contrôle indirect
Cette période correspond au plan quinquennal d’équipement intensif 73-77 marquée par le désir des auto-
rités publiques de relancer l’économie par la demande et d’accroître les investissements. La politique de
relance devait ainsi s’accompagner d’une politique monétaire résolument expansionniste utilisant les tech-
niques de contrôle indirect fondées sur le maniement de la réserve monétaire et la modulation des plafonds
de réescompte et d’une consolidation de l’épargne en vue d’assurer la croissance des crédits d’investisse-
ment. Dans ce sens une réforme des taux d’intérêt a été instituée.

a) Réforme des taux d’intérêt


Les autorités monétaires ont procédé en 1974 et 1975 à une réforme des taux d’intérêt aussi bien crédi-
teurs que débiteurs. Sur le plan des intérêts créditeurs, cette réforme s’est traduite par un relèvement des
taux et par l’établissement de nouvelles possibilités de placement à la suite de la création par les banques de
compte à terme et bons de caisse de 1 mois à 3 mois (1,5 %) et des comptes sur carnet réservés aux per-
sonnes physiques (3 %). Alors qu’au niveau des taux débiteurs, la réforme consistait à simplifier les taux, hié-
rarchiser leur structure et à les majorer de 1 à 2 points selon la durée des crédits afin de décourager la
demande d’investissements marginaux et d’inciter les entreprises à recourir davantage à l’autofinancement.
Notons toutefois que certains secteurs ont bénéficié de taux inférieurs aux taux pratiqués tant au niveau de
la distribution de crédit qu’au niveau de refinancement, c’est le cas notamment des créances nées sur
l’étranger.
Dans les faits, cette politique n’a pas atteint les objectifs escomptés puisque le relèvement des taux crédi-
teurs même s’il a permis une augmentation importante des dépôts à terme (52,5 % entre 1973 et 1975)
(cf.graphique13), n’a pas conduit les banques à réserver une part plus importante de leurs crédits au finance-
ment de l’investissement.

Graphique 13 : Total des dépôts des banques en % du PIB

Source : Calcul basé sur les données publiés par Bank-Al-Maghrib et par la Direction de la Statistique

De son côté, le relèvement des taux débiteurs n’a pas réussi à freiner l’endettement des entreprises vu
qu’en termes réels ceux-ci sont restés négatifs (cf. tableau 11.)

52
Tableau no 11 : Taux d’intérêt réels mesurés sur la base des taux d’inflation
de décembre à décembre (en %)

Taux d’inflation* Taux d’intérêt Taux d’intérêt


créditeur réel** débiteur réel***
1974 144,4 – 11,4 – 7,9****
1975 6,1 – 2,6 1,9
1976 13,4 – 9,9 – 5,4
1977 9 -5,5 –1
1978 13,7 – 9,2 – 5,7
1979 9 – 4,5 –1
1980 9,7 – 3,7 0,3
1981 13,2 – 7,2 – 3,2
1982 6,7 – 0,2 4,3
1983 12,5 –6 – 0,5
* Indice du coût de la vie (210 articles) croissance de décembre à décembre.
** Sur les dépôts à terme de 3 à 6 mois (en fin d’année).
*** Sur les crédits à moyen terme mobilisables (tous crédits) (en fin d’année).
**** Le taux débiteur pour le calcul est le taux d’intérêt maximum.

Source : Banque du Maroc.

Le résultat de ces différentes mesures est que la masse monétaire a enregistré une forte augmentation
qui a entraîné une forte poussée des prix (cf. tableau 11). La politique de relance s’est aussi traduite par des
déficits aussi bien budgétaire que commercial ce qui a contraint les autorités monétaires en 1976 à réinstau-
rer la politique d’encadrement du crédit et à compléter leurs moyens d’action par l’institution d’un coefficient
maximum de division des risques bancaires tout en attribuant des financements privilégiés à certains sec-
teurs prioritaires comme celui de l’exportation.

B. 1977-1982 : Retour à l’encadrement du crédit et aux mesures réglementaires


Les déséquilibres économiques et financiers qui ont caractérisé la dernière phase du plan 73-77 ont obligé
les pouvoirs publics à adopter une politique de stabilisation dans le cadre du plan triennal 78-80. Les mesures
prises se sont traduites sur le plan monétaire par la réinstitution de l’encadrement du crédit et par une
deuxième réforme des taux d’intérêt.
En effet, les pouvoirs publics étaient incapables d’établir les équilibres fondamentaux aux moyens d’instru-
ments classiques : plafond de réescompte, réserves monétaires et plancher d’effets publics d’où le recours
forcé à la politique d’encadrement du crédit de manière à ramener la croissance de la masse monétaire à un
taux proche de celui du PIB en terme réel. Ainsi le taux de progression, en moyenne annuelle, de la masse
monétaire est passé de 20,4 % en 1977, 12,4 % en 1980 et à 11,7 % en 1981 (cf.graphique12).
Tout en maintenant leur contrôle sur les crédits, les autorités monétaires ont allégé leur action sur la liquidité
bancaire : le taux de la réserve monétaire a baissé à 0,5 % au lieu de 4 % en contrepartie de l’obligation faite
aux banques de nourrir dans les mêmes proportions un portefeuille de bons du trésor à un an rémunéré à 2 %.
En ce qui concerne les taux d’intérêt (cf. encadré2), on a procédé à une réforme des taux créditeurs et
débiteurs afin de consolider l’assainissement de l’économie et assurer les ressources stables nécessaires à
un financement sain des besoins d’investissement. C’est ainsi que les taux créditeurs ont été deux fois révi-

53
sés à la hausse en décembre 1978 et en octobre 1980 alors que les taux débiteurs n’ont connu leur refonte à
la hausse qu’en 1980.

Malgré ces tentatives, la réforme a encore une fois échouée puisque :


– Les dépôts à terme ont plutôt servi à financer les crédits à court terme.
– La réforme a permis aux banques d’améliorer leurs situations au détriment de la réalisation des objectifs
du plan au niveau de l’investissement car le différentiel entre les deux taux restait important.

La situation monétaire s’est détériorée au début des années 80 à cause de la persistance des déséqui-
libres des comptes extérieurs et des finances publiques d’où le recours forcé des autorités monétaires au
programme d’ajustement structurel.

Encadré no 2
Le niveau des taux d’intérêt au Maroc durant les années 1980

Étant donné le régime d’administration des taux d’intérêt, le niveau de ces taux exprime directement une réaction
des autorités face à l’évolution de l’environnement domestique et international, et seulement indirectement, et selon le
comportement des autorités monétaires, l’incidence éventuelle des variables macro-économiques (inflation, croissance
économique, contrainte extérieure, etc).
L’inflation domestique explique en grande partie les ajustements à la hausse de la grille des taux depuis 1974. Il y a
toutefois des difficultés à mesurer le taux d’intérêt réel. Ce taux correspond à la différence entre le taux d’intérêt nomi-
nal, et le taux d’inflation anticipée en moyenne durant la durée du prêt. Un calcul rigoureux des taux réels exigerait donc
de recourir à des modèles de formation des anticipations inflationnistes et de disposer de schémas de formation des
anticipations d’inflation distincts selon le terme de l’opération financière (il n’y a aucune raison pour que les anti-
cipations d’inflation à court terme et à long terme soient identiques. Ces conditions, à peine remplies pour les grands
pays de l’OCDE, ne sont pas satisfaites pour le Maroc).
Deux mesures approximatives ont été établies :
– Une basée sur la différence entre le taux d’intérêt nominal à la fin de chaque année et le taux d’augmentation des
prix pendant les 12 mois précédents.
– L’autre basée sur la différence entre le taux d’intérêt à la fin de chaque année et le taux d’inflation mesuré sur la
base de la moyenne de l’indice des prix de cette année et de l’année suivante. Cette méthode incorpore simultané-
ment un élément d’inflation passée, et un autre d’inflation future et il est donc probable qu’elle corresponde à une
meilleure approximation d’un calcul basé sur les anticipations d’inflation.
Le calcul des taux d’intérêt réels comme des taux d’intérêt nominaux déflatés de l’inflation effective montre l’inci-
dence limitée de l’inflation sur le niveau des taux nominaux.
Trois facteurs ont permis au Maroc de maintenir des taux d’intérêt négatifs en termes réels et relativement bas en
comparaison des taux d’intérêt internationaux :
– Le contrôle des changes
– L’encadrement du crédit
– Les ristournes de taux d’intérêt.
1o) sans le contrôle des changes, le différentiel négatif d’intérêt entre le Maroc et le reste du monde n’aurait pu se
maintenir que s’il était exactement compensé par une anticipation de variations du change, en l’occurrence une
anticipation à l’appréciation du dirham. De 1978 à 1982, le taux d’intérêt de l’Eurodollar à 3 mois à Londres a aug-
menté de plus de 50 % alors que le taux d’intérêt sur le marché monétaire au Maroc n’a cru durant la même pé-
riode que de 19 %.
Le maintien du différentiel d’intérêt comporte des inconvénients sérieux :
– Il encourage le développement de marchés parallèles de change; il incite les agents intérieurs soit à sortir en

54
fraude soit à ne pas rapatrier leurs capitaux (exemple des exportateurs incités à ne pas rapatrier le produit de leurs
ventes).
– Il gonfle la demande intérieure de crédit, certaines firmes multinationales implantées au Maroc ayant tendance
à s’endetter dans ce pays plutôt qu’ailleurs.
2o) L’encadrement du crédit, lorsqu’il provoque un rationnement partiel de la demande sur le marché du crédit, per-
met de dissocier les mouvements des quantités des variations de taux d’intérêt : les plafonds fixés à l’ouverture
de nouveaux crédits deviennent alors la contrepartie indispensable d’une politique de bas taux d’intérêt, qui par
elle-même a pour effet de gonfler la demande de crédits. Un des avantages de la politique d’encadrement du cré-
dit est donc d’avoir permis le maintien de taux d’intérêt bas et peu volatils.
3o) la politique de ristournes de taux d’intérêt permet d’abaisser le coût du crédit à l’intérieur de l’économie, et de
déconnecter les taux d’intérêt marocains des taux internationaux. Les ristournes d’intérêt représentent un poids
lourd pour le Trésor, la Banque du Maroc, les déposants et les utilisateurs de crédits non sélectifs.
M. SAGOU

3.1.4. 1983-2003 : De l’encadrement du crédit à la mise en place d’instruments


indirects de contrôle monétaire
Pour rétablir les équilibres fondamentaux et créer les conditions d’une économie du marché, le Maroc a
mis en place en 1983 un programme d’ajustement structurel qui a entraîné une série de réformes sur les
plans monétaire et financier. Deux périodes peuvent être envisagées :
– La première 1983-1990 est marquée par la mise en place d’une politique restrictive.
– La deuxième 1991-2003 est caractérisée par de profondes mutations.

A. 1983-1990 : Politique monétaire et ajustement structurel


La mise en place du programme d’ajustement structurel (PAS) a conduit les autorités monétaires à conti-
nuer à appliquer de façon systématique jusqu’en 1991, la politique d’encadrement du crédit comme principal
moyen de contrôle de la distribution du crédit. Quant au réglage de la liquidité bancaire, il est assuré de plus
en plus sur le marché monétaire et de moins en moins par des instruments classiques constitués des
diverses possibilités de recours auprès de l’institut d’émission sous forme de plafonds de réescompte et
d’avances spéciales. En effet, la technique de l’escompte, instrument privilégié durant les années 72-77, a
perdu de son importance et le volume de recours des banques à la banque centrale a sensiblement chuté
d’année en année au profit d’une intervention interbancaire.
Représentant 36,7 % du total des moyens de refinancement dont disposaient les établissements ban-
caires en 1980, le réescompte sous-plafond n’en constituait que 19 % en 1983 et 9,2 % en 1984 et atteignait
même 7,5 % en 1987. Et cela en raison du renforcement de la part des facilités consenties hors plafond et
surtout de l’expansion des interventions de la banque centrale sur le marché monétaire.

Tableau no 12 : Évolution du portefeuille de refinancement de Bank Al-Maghrib (en %)

1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991
Effets escomptés
– sous-plafond 19,1 19 9,2 10 8 7,5 – – – –
– taux préférentiels 53,4 56,5 88,2 62,6 48 37,5 35,7 32,5 35,6 43,5
Effets achetés sur le 27,5 24,5 2,6 27,4 44 55 64,3 67,5 64,4 56,5
marché monétaire

Source : Préparé à partir des rapports de BAM 29

55
Ainsi jusqu’en 1984, les interventions de la Banque du Maroc, devenue en 1987 Bank Al-Maghrib, sur le
marché monétaire étaient limitées et ne concernaient que les effets publics traduisant le recours indirect du
trésor par l’intermédiaire des banques pour couvrir ses besoins. Mais depuis 1985 comme le montre le
tableau 12, le recours des banques aux facilités à taux variable s’est sensiblement élargi.
Il faut souligner en dernier lieu que la politique restrictive poursuivie dans le cadre du programme d’ajuste-
ment structurel, n’a pas remis en cause le principe de la sélectivité en faveur des secteurs clés de la crois-
sance.

B. 1991-2003 : Fin de l’ajustement structurel et début de la libéralisation financière


La mise en place du PAS a eu des effets positifs et a permis le rétablissement partiel des équilibres fonda-
mentaux. Toutefois le système de financement de l’économie nationale, largement administré jusqu’en
1990, ne répondait pas aux nouveaux défis (cf. encadré 3).
Pour faire face à ces défis et développer une certaine logique du marché, le système financier a subi des
réformes radicales qui se sont traduites au niveau monétaire par une libéralisation progressive des instru-
ments de la politique monétaire.

Encadré no 3
Le système bancaire et financier marocain
durant les années 1980

Le crédit intérieur aux agents non financiers est distribué par :


– BANK AL MAGHRIB
– 15 Banques de dépôts
– Cinq OFS : BNDE-CIH-CNCA-CDG-CMM
– Le trésor, la CEN, la CNSS, la CCG et les compagnies d’assurance.
La distribution des crédits est fortement influencée par les politiques sélectives de crédit mises en application par le
Gouvernement et la banque centrale. Les politiques s’appuient sur plusieurs instruments :
– exemption de l’encadrement : Les crédits à l’exportation, à MT réescomptables et aux récoltes de céréales ne sont
pas soumis à l’encadrement; mais cela limite l’expansion d’autres types de crédits :
– réescompte hors plafond
– coefficient d’emploi dans certains types de crédits imposés aux banques
– taux préférentiels de réescompte pour certains types de crédits
– crédits consortiaux
– crédits des OFS
– subventions accordées par l’État (ristournes d’intérêt).

La concurrence et la spécialisation dans le secteur bancaire sont très limitées pour plusieurs raisons;
– la concentration est très élevée dans le groupe des banques de dépôts. Deux banques représentent à, elles seules
en 1982, 44 % du chiffre d’affaires. La part des sept principales banques était de 87 %.
– tous les intérêts débiteurs et créditeurs et toutes les commissions sont fixées par les autorités (pas de concur-
rence par les prix, mais seulement par la qualité des services et le marketing).
– l’ouverture de nouveaux guichets bancaires dépend de l’autorisation préalable des autorités.
– la réglementation sur l’encadrement du crédit fixe pour toutes les banques un pourcentage uniforme d’aug-
mentation de leur crédits.
– presque la moitié des ressources mobilisées par les banques doit être placée dans les emplois établis par la régle-
mentation bancaire ou indiqués par les autorités :

56
R 30 % sont placés dans des titres du trésor
R 3.5 % dans la réserve monétaire et bons CNCA
R 9 % dans les crédits réescomptables à MLT ou dans les bons BNDE et CIH.
R environ 5 % dans les crédits consortiaux à court terme organisés par le ministère des finances pour financer les
achats de céréales et les sociétés pétrolières. En conséquence, les banques n’ont de liberté de choix et de
concurrence que pour seulement environ la moitié de leurs emplois.
R Concurrence modérée entre les OFS, dans la mobilisation des ressources et dans l’octroi des crédits. La concur-
rence entre les OFS et les banques de dépôts est presque inexistante pour la mobilisation des fonds et très faible
dans la distribution.
– Les conséquences sont :
R pas d’agressivité dans la mobilisation des dépôts
R refus des dépôts à terme et à vue de faible montant
R tendance à être trop exigeantes et trop restrictives en ce qui concerne les garanties exigées pour l’octroi de cré-
dits.

La marge d’intermédiation du système bancaire semble être légèrement supérieure à la moyenne de celle de plu-
sieurs pays de petite et moyenne dimension de l’OCDE. La proportion des bénéfices à tendance à être bien plus éle-
vée.
La rentabilité nettement plus élevée des banques commerciales par rapport à la moyenne d’autres pays contribue à
la hausse des coûts d’intermédiation. Ces coûts sont en général plus réduits chez les OFS comparés à ceux des
banques commerciales.
M. SAGOU

a) Libéralisation financière et politique monétaire

En janvier 1991, l’encadrement du crédit a été supprimé en raison de sa lourdeur, de sa complexité et de


son caractère administré au profit d’une action indirecte sur la liquidité bancaire et les taux d’intérêt. En effet,
pour freiner rapidement et efficacement le développement des crédits suite à la suppression de l’encadre-
ment, les autorités monétaires se sont basées sur deux instruments essentiels : le maniement de la réserve
monétaire et la modulation du volume et du coût de refinancement sur le marché monétaire.

C’est ainsi que depuis le 1er juin 1995, BAM a modifié les modalités de ses refinancements et mis en place
un nouveau dispositif d’interventions sur le marché monétaire. Longtemps constituées sous forme
d’avances à échéance diverses, les interventions de BAM tendent désormais à se réaliser au moyen de pen-
sions d’effets publics ou privés ou même d’achat ou de vente de titres contre monnaie centrale. Ces inter-
ventions sont au nombre de quatre :
– Les interventions sur appel d’offres qui se réalisent à l’initiative de la banque centrale.
– Les pensions à 5 jours à l’initiative des banques.
– Les pensions à 2 heures à l’initiative des banques et à celle de BAM.
– Les opérations de BAM.

L’évolution générale vers des méthodes de contrôle indirect du crédit s’est accompagné de la mise en place
d’une série de réformes destinées à créer de meilleures conditions de financement de l’économie. Ces
réformes ont concerné principalement : La libéralisation des taux d’intérêt, la suppression quasi-complète
des emplois obligatoires, la réforme des marchés monétaire et financier.
En effet, pour restituer aux banques commerciales le pouvoir de gérer leurs actifs selon les règles du mar-

57
ché, les autorités monétaires marocaines ont pris des mesures en vue d’assouplir progressivement les
emplois obligatoires bancaires jusqu’à leur disparition. C’est ainsi que fut supprimé entre autres le plancher
d’effets publics en 1998 et le coefficient d’emplois obligatoires en crédits à moyen terme réescomptable, en
crédits au logement et en créances nées à l’étranger en avril 1994. En conséquence, les emplois obligatoires
des banques ont baissé de 53 % à 3 % à la fin des années 90.
En ce qui concerne les taux d’intérêts, la libéralisation a concerné aussi bien les taux créditeurs que les
taux débiteurs. Pour ce qui est des taux créditeurs, leur libéralisation a été achevée en 1992 à l’exception des
taux servis sur les comptes sur carnets qui demeurent réglementés par souci de protéger la petite épargne
et les dépôts à vue qui ne sont pas toujours rémunérés. Alors que la libéralisation complète des taux débi-
teurs a été retardée jusqu’en janvier 1996 afin d’éviter une flambée des taux que le désencadrement aurait
pu provoquer.
La réforme du marché monétaire s’est effectuée, quant à elle, à travers la dynamisation du marché des
adjudications des bons du trésor d’une part, et la création d’un nouveau compartiment, en l’occurrence le
marché des titres de créances négociables (TCN) d’autre part.

b) Sur-liquidité bancaire et politique monétaire

Le marché monétaire a été caractérisé, depuis 1999, par un excès de liquidité bancaire. Cette situation
s’est répercutée sur le fonctionnement du marché monétaire et sur la conduite de la politique monétaire par
Bank Al-Maghrib (cf. encadrés 4 et 5).
La sur-liquidité bancaire provient principalement de l’accroissement des avoirs extérieurs nets de la
banque centrale suite notamment à la cession de 35 % du capital de Maroc Telecom. Ces excédents de liqui-
dités ont été au demeurant amplifiés par la poursuite de l’évolution favorable des recettes touristiques et des
transferts des marocains résidant à l’étranger. Aujourd’hui avec la cession de 14,9 % du capital de Maroc
Telecom en 2004, la question de sur-liquidité bancaire reste toujours d’actualité.

Dans ce contexte de sur-liquidité, qui tend à être structurel, les autorités monétaires ont été amenées à
réaménager les procédures d’intervention de BAM en 1999. Ainsi, les reprises de liquidités sont devenues le
principal mode d’intervention de BAM sur le marché monétaire. Bank Al-Maghrib a aussi opéré un relève-
ment du ratio de la réserve monétaire en décembre 2002 et en septembre 2003 et a procédé à un nouveau
réaménagement avec l’institution, début octobre 2003, des opérations de swaps de change et, à la fin de
l’année, des opérations de reprises de liquidités. À la suite de ses réaménagements, les instruments de la
politique monétaire peuvent être classés en trois catégories :
– Les avances à 7 jours sur appel d’offre qui constituent le principal mécanisme de refinancement des
banques et dont le taux de rémunération représente le taux directeur de la banque centrale.
– Les facilités permanentes de dépôts à 24 heures et d’avances à 5 jours, dont les taux respectifs consti-
tuent les limites inférieures et supérieures de la fourchette à l’intérieur de laquelle le taux interbancaire
doit normalement fluctuer.
– Les mécanismes de réglage fin de la liquidité qui visent à maintenir le taux interbancaire à un niveau
proche du taux directeur de BAM.

le nouveau cadre de la politique monétaire permet ainsi à la banque centrale d’adapter ses interventions,
ainsi que le choix de ses instruments, pour réguler la liquidité quelle que soit la situation du marché par
conséquent de mieux influencer le taux interbancaire.

58
Encadré no 4
Les caractéristiques du financement de l’économie marocaine

Une analyse du financement de l’économie marocaine laisse apparaître un paradoxe. :


i. d’un côté, l’économie marocaine reste encore sous endettée, puisque le ratio « crédits à l’économie sur PIB »
demeure inférieur à 60 % (on notera cependant que des progrès notables ont été réalisés, dans la mesure où ce
ratio atteignait à peine 30 % au début de la décennie 90). (80 % en France par exemple et plus de 112 % aux États-
Unis, certaines années*)
ii. d’un autre côté, les entreprises qui figurent dans le portefeuille des banques sont sous capitalisées. Selon un rap-
port de la Banque Mondiale (1994), elles ont 83 % de fonds empruntés pour 17 % de fonds propres.
Le paradoxe peut-être perçu différemment, quand on observe que les banques sont en sur – liquidité quasi-continue.
Le sous endettement de l’économie, que l’on pourrait en partie expliquer par le sur endettement des entreprises « ban-
cables », révèle qu’une grande partie des entreprises marocaines y compris celles du secteur formel, n’a pas accès au
capital, pourtant disponible. La situation est encore plus drastique, pour les unités non structurées (voir l’encadré no 5
consacré à la micro-finance et la pauvreté).
Les raisons de ce paradoxe nous semblent tenir, pour ce qui est des unités de production structurées, à l’insuffi-
sante circulation de l’information sur le marché du crédit (Stiglitz J. & Weiss W., 1981 et pour le cas du Maroc,
Mourji. F et Joumady.O, 1997)
De ce fait, si dans les pays où les marchés monétaires et financiers sont relativement développés, l’asymétrie de
l’information conduit à une distribution inefficace du crédit, dans les pays comme le Maroc, la situation nous semble
pire : le manque de circulation de l’information agit en amont, dans le sens où il conduit à une rétention du capital, qui
se traduit par une faiblesse des crédits aux entreprises et explique donc le faible taux de financement de l’économie.
La mise en place d’une centrale de bilans figure parmi les solutions qui pourraient contribuer à atténuer les méfaits
de l’actuelle forte asymétrie de l’information. On notera qu’après les tentatives des années 80, une option est prise
actuellement dans ce sens par Bank Al Maghrib, avec l’appui de la Société Financière Internationale.
On notera aussi qu’avant les réformes entreprises durant la seconde partie des années 1980, la « répression finan-
cière » explicitée dans la littérature économique (Levine Ross, 1986) avait pour cause au Maroc, la forte réglementation
du marché financier (encadrement du crédit avec des disparités sectorielles, fixation administrative des taux d’intérêt,
système de planchers d’effets publics). Elle s’est traduite pendant plusieurs années par des taux d’intérêt négatifs.
Les liens entre développement de la sphère financière et la croissance économique sont admis par tous (Mourji,
1996). Or, on observe qu’au niveau global, le taux de bancarisation au Maroc (18 %) est en deçà des normes pouvant
permettre une contribution de la sphère financière à la promotion d’activités productives. Le nombre de comptes ban-
caires ne dépassait pas 4,5 millions en 1999. On observe également de fortes disparités entre les régions (l’axe Casa-
blanca – Rabat concentre la majeure partie des guichets bancaires; dans les autres régions, seules les grandes villes
sont relativement bien pourvues), en conséquence le gap est encore plus frappant entre le milieu urbain et le milieu
rural, où l’on doit faire plusieurs kilomètres avant de trouver un guichet bancaire.
Comme dans d’autres pays, au Maroc, la persistance et l’exacerbation des poches de pauvreté ont conduit à l’émer-
gence de la microfinance, comme instrument de financement d’activités génératrices de revenus pour les pauvres (voir
l’encadré no 5).
Bibliographie :
Jeffree er Russel (1976) : « imperfect information, incertainty, and credit rationing » Quarterly Journal of Economics,
40, 79-89
Levine Ross (1986) : « Financial Development and Economic Growth, View and Agenda ». Policy Research Working
Paper, World Bank, Washington DC.
Mourji (1996) : « Réformes des marches des capitaux et croissance économique : cas du Maroc et de quelques pays
en développement ». Aupelf-Uref – réseau Analyse Économique et Développement – Hanoï 5 et 6 décembre 1996.
Mourji F. et Joumady, O., 1997, Réformes du marché des capitaux et efficience de la distribution des crédits : utilisa-
tion d’un panel d’entreprises manufacturières marocaine, 14éme journées de la micro-économie appliquée, Marrackech
29-30 mai

59
Stiglitz Joseph E. and Andrew Weiss (1981) : « Credit Rationing in Market with imperfect information ». The Ameri-
can Economic review, Vol 171, no 3, p. 393-410.
F. MOURJI

* On explique dans la littérature économique (Stiglitz et Weiss, 1981), que l’asymétrie de l’information conduit à des processus de « sélection adverse ». Il s’agit de situations dans lesquelles certaines caracté-
ristiques de l’emprunteur ne sont pas parfaitement connues par le prêteur, et pourtant elles affectent les chances de remboursement du crédit. L’information privée détenue par les emprunteurs concerne
soit leurs caractéristiques propres (Jeffee et Russel, 1976), soit celles de leurs projets d’investissement. Les banques sont conduites à rationner le crédit, et aussi à différencier les contrats de prêts. Par
exemple, elles vont élever les taux d’intérêt, face à des entreprises dont elles évaluent mal le risque (faute d’informations suffisantes). En conséquence, comme les entrepreneurs arbitrent entre le rende-
ment des projets et le risque qu’ils comportent, ce sont les entreprises qui prennent des risques élevés qui seront disposées à payer des taux d’intérêt élevés. Ainsi, en voulant se prémunir, en plus d’un
rationnement des prêts, les banques finissent par attirer et accorder des crédits aux projets risqués.

60
Encadré no 5
La microfinance : un dispositif complémentaire des mesures de
modernisation des mécanismes de financement

Les réformes économiques entreprises dans les pays en développement n’ont souvent pas conduit à la résolution de
tous les équilibres fondamentaux. Elles se sont souvent traduites par une réduction des déficits publics et des déficits
extérieurs, et par une atténuation des rythmes d’inflation (voir Sagou et Mourji, 1988 pour le cas du Maroc). Comme elles
n’ont pas pu mettre les pays sur des sentiers de croissance suffisante face notamment à la pression démographique,
elles n’ont pas pu empêcher le développement du chômage, et partant des inégalités et de la pauvreté. L’auto-emploi,
s’avère alors souvent une solution pour sortir de la précarité, pour d’importantes couches de la population. Or les activités
génératrices de revenus requièrent des financements, au même titre que les industries de grandes dimensions.
Simplement, les coûts élevés des prêts de faibles montants (coûts de transactions notamment) expliquent l’incapa-
cité des banques à les satisfaire. Les micro-entrepreneurs sont conduits à recourir au secteur informel de financement
(crédit fournisseur, prêteurs à gage...), souvent trop coûteux et aussi aléatoires.
La microfinance est apparue comme une industrie dont l’objet est de fournir des services financiers aux populations
exclues du secteur bancaire. Ainsi elle a vocation d’agir comme un palliatif aux insuffisances des réformes macro-
économiques et financières.
Au Maroc, depuis la seconde partie des années 90, l’activité du microcrédit a connu un rapide essor. On compte
actuellement plus de 400 000 clients actifs (le nombre des prêts cumulés déboursés se compte en millions) servis par
12 Associations de Micro-Crédits (AMC). Deux parmi elles concentrent près de 60 % du marché et la suivante quelque
15 à 20 %. Certaines AMC ont un caractère national et d’autres régionales; elles sont régies par une loi spécifique
datant d’Avril 1989 (La nouvelle loi bancaire prévoit cependant que leur supervision passe du Ministère des Finances à
Bank Al Maghrib).
Les niches servies par les AMC sont relativement distinctes. On retiendra cependant que le segment bas (celui des
plus pauvres) n’est servi par aucune, et que le segment élevé commence seulement à être investigué, à travers des
prêts individuels et non plus seulement les prêts aux groupes solidaires qui constituaient l’essentiel de la clientèle.
La population cible du micro-crédit pourrait être estimée à 1,5 millions. Outre permettre à des couches importantes
de la population* de financer leurs activités (artisanales, de commerce et autres), la micro-finance pourrait conduire cer-
taines micro-entreprises à se développer, et sortir du secteur informel.
L’essentiel des clients des AMC se trouve dans le milieu urbain (anciennes médinas) et péri-urbain (bidonvilles).
Parmi les défis qu’elles se sont lancés, les AMC visent à développer le crédit en milieu rural où se trouve le plus grand
nombre de pauvres.
Les études d’impact de ces services financiers sur les populations ciblées (Mourji 2002), révèlent que les ménages
dont un membre bénéficie de micro-crédits, performent mieux en matière d’effort éducatif des enfants, en matière
d’accès aux soins, et pour les plus pauvres, même le régime alimentaire s’améliore. Ces effets sur le capital humain
(éducation et santé) viennent s’ajouter aux gains réalisés au niveau des activités économiques (stabilisation et / ou pro-
gression des revenus des microentreprises). C’est dire que la microfinance constitue un atout supplémentaire pour
favoriser le développement.
Comme dans les autres pays où la micro-finance joue un rôle (y compris dans les régions à chômage élevé des pays
industrialisés), au Maroc, le secteur est amené à se développer. Les progrès à réaliser concernent la diversification des
produits (micro-assurance, micro-épargne...). La coopération bilatérale (certaines agences de développement) et multi-
latérale (les CGAP : Consultative Group to Asist the Poorest – regroupant plusieurs bailleurs de fonds et domicilié à la
banque mondiale) appuie le renforcement du cadre réglementaire, et l’application des « bonnes pratiques ».
On notera enfin que le sommet de la Francophonie (26 et 27 Novembre 2004 à Ouagadougou) comporte une résolu-
tion adoptée par les Chefs d’État et de Gouvernement des pays ayant le français en partage, et qui les engagent à
appuyer la promotion de la microfinance, comme moyen contribuant à la réduction de la pauvreté.
Bibliographie :

61
Sagou. M et Mourji. F (1986) « l’expérience du Maroc en matière d’ajustement structurel » in « les politiques pour la
croissance dans les pays en développement » Fonds Monétaire International, Washington DC.
Mourji (2002) « Le financement semi formel du secteur informel au Maroc : le micro-crédit, une alternative à
l’impasse? ». Cahiers du GRATICE – Paris XII – 2002 no 22

F. MOURJI

* En 1999, la population vivant en dessous du seuil de pauvreté représente 19 % de la population marocaine (13 % en 1991); une bonne partie des clients du micro-crédit appartiennent à des ménages de ce
cinquième de la population.

IV. Politiques macroéconomiques,


croissance et développement économique et social
du maroc depuis un demi-siècle : essai de synthèse

Nous venons de présenter une rétrospective des politiques budgétaires et monétaires marocaines depuis
cinquante ans. Le découpage « historique » de cette politique nous a permis d’observer des cycles conjonc-
turels relativement significatifs. Durant tous ces cycles, l’économie marocaine a évolué dans un contexte
conjoncturel interne et international.
Les différentes régions du monde ont évolué durant cette période dans une conjoncture de croissance et
de développement. Les soubassements théoriques et analytiques de cette croissance ont fait également
l’objet d’importantes analyses.
Tout en gardant à l’économie marocaine durant cette période, sa position relative d’une économie en voie
de développement, avec sa spécificité et son ancrage particulier à l’international, examinons brièvement
l’évolution des politiques macro-économiques dans les principales économies mondiales. Nous chercherons
ensuite à situer les politiques macroéconomiques suivies par le Maroc sur les plans budgétaires et moné-
taires, par rapport à cette grille de lecture des conjonctures mondiales.

1. Brève revue internationale des politiques macro-économiques,


de la croissance, et du développement

Nous allons exposer brièvement les politiques macro-économiques des principaux pays industriels occi-
dentaux, certains pays d’Amérique latine et d’Asie. Nous exposerons aussi les expériences macro-écono-
miques de quelques pays à économie intermédiaire comme la Tunisie et la Turquie.

62
1.1. Politiques macro-économiques de certains pays industriels
occidentaux

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les économies industrielles, occidentales sont entrées dans
une longue période de croissance (trente glorieuses). Favorisées par la nécessité de la reconstruction et par
une politique macro-économique keynésienne, ces économies ont pratiquement toutes largement fait appel
à des instruments budgétaires et monétaires pour tantôt relancer la demande et la croissance, tantôt freiner
leur expansion pour des raisons de « surchauffe » de la conjoncture.
C’est ainsi qu’aux État-Unis, la politique suivie entre 1960 et 1971 « reposait essentiellement sur l’idée que
le déficit budgétaire doit être établi au montant requis pour élever le produit national brut jusqu’au niveau ou
le plein emploi se trouve réalisé » 30. La politique monétaire, quant à elle, étant limitée par ses effets négatifs
sur la balance des paiements, servait de régulateur à la relance budgétaire sur laquelle reposait l’essentiel de
la lutte contre la récession.
En Grande Bretagne, la politique du « stop go » a été poussée à la caricature 31.

Tableau no 13 : Taux de croissance annuel moyen par période du PIB en volume (en %)

1953-55 Go +4
1 1956-58 Stop + 0,9
1959-61 Go + 4,2
2 1962 Stop + 1,0
1963-64 Go + 4,9
3 1964-66 Stop + 2,0
4 1967-71 (faible croissance linéaire) + 2,5
1972-73 Go + 4,2
5 1974-77 Stop + 0,2

Source : Problèmes économiques no 1.620, avril 1979.

Avec cette expérience, nous sommes probablement en présence de l’application la plus poussée de la
politique budgétaire keynésienne, mais aussi de ses limites, notamment quant à ses conséquences sur
l’équilibre extérieur (commerce extérieur et balance des paiements).
En France et en Allemagne, on a également assisté à ces politiques de relance keynésienne. C’est ainsi
qu’en France, la variation du rythme des dépenses a fréquemment été utilisée depuis plus de quarante ans,
empiriquement, et depuis une vingtaine d’année dans des conditions plus méditées et plus scientifiques,
comme moyen de politique conjoncturelle 32.
Quant à l’Allemagne (R.F.A. à l’époque), sa loi de stabilisation et de croissance énonçait bien que « si la
demande se développe au-delà des possibilités de production de l’économie, le gouvernement pourra auto-
riser le Ministre des Finances à subordonner à sa propre autorisation l’utilisation des crédits... En cas de flé-
chissement de l’activité économique.. le gouvernement pourra décider de dépenses complémentaires » 33.
Au total, depuis la seconde guerre mondiale jusque dans les années 1970/1980, les gouvernements des
pays industriels occidentaux ont largement utilisé les politiques macro-économiques, notamment keyné-
siennes pour assurer à leurs économies une croissance stable. Les résultats de cette longue croissance ont
été largement utilisés par ces pays via des systèmes de répartition pour accroître le niveau de vie et le déve-
loppement économique et social de leur population.

63
1.2. Quelques données sur la conjoncture macroéconomique en
Amérique Latine et en Asie

L’Amérique Latine a été durant la première phase des cinquante dernières années, à savoir jusqu’en 1975,
un grand laboratoire des politiques macroéconomiques, de croissance, et de développement. D’inspiration
keynésienne, ces politiques ont permis d’importants progrès :
« entre 1950 et 1975, le produit national de l’Amérique Latine a quadruplé. Durant ces mêmes 25 ans, la
population latino-américaine a à peu près doublé, passant de 160 à 312 millions d’habitants. Le quadruple-
ment du produit national parallèlement au doublement de la population a ainsi permis un doublement du
revenu par tête en Amérique Latine au cours de ces 25 ans » 34.
Nous verrons plus loin que cette politique économique en Amérique Latine, à l’instar de celle des écono-
mies des pays occidentaux, et de façon plus brutale encore, connaîtra des difficultés d’adaptation à partir de
la fin des années 1970, avec la montée des crises 35.
L’Asie du Sud-Est, quant à elle, a connu une croissance très forte de son PNB entre 1970 et 1980. On
relève par exemple des taux de croissance annuels moyens de 7,3 % au Japon, 11,2 % en Corée, 10,4 % à
Singapour, 9 % à Taïwan, 8,2 % à Hong Kong (à comparer à 2,7 % pour les États-Unis et 3,4 % pour l’OCDE-
Europe). Dans la plupart de ces pays, cette forte croissance s’est accompagnée d’une croissance de l’indus-
trie encore plus rapide et d’une participation accrue au commerce mondial.
En effet, les pays de l’Asie du Sud-Est ont mis en place une stratégie d’ « industrialisation par exportation »
étant donné qu’ils disposaient d’une main d’ouvre peu coûteuse et d’une technologie de pointe. Le rôle des
pouvoirs publics dans la mise en œuvre de cette stratégie a été particulièrement décisif, notamment par la
création d’entreprises d’État et par la mise en place d’organismes spécialisés.

Graphique 14

Source : Banque de Paris et des Pays-Bas, Conjoncture no 10, novembre 1978.

64
1.3. Politiques macro-économiques de quelques pays à revenu
intermédiaire : la Tunisie et la Turquie

1.3.1. Politiques macroéconomiques, conjoncture, et croissance économique en Turquie


À l’instar du Maroc, la Turquie a abordé la période des années 1970 avec un taux de croissance élevé, un
faible taux d’inflation et une balance extérieure courante excédentaire 36. Mais cette expansion a été inter-
rompue par la première crise pétrolière de 1973 et a ainsi conduit le pays à une grave crise des paiements en
1977. En effet, la demande excédentaire, entretenue par une politique budgétaire et monétaire expansion-
niste, a provoqué un affaiblissement considérable de la balance des paiements et une intensification des
pressions inflationnistes. Après deux années de vaines tentatives de redressements, la Turquie s’est enga-
gée en 1980 dans un programme de réformes en profondeur.
Ainsi « jusqu’à la fin de 1982, la Turquie a allié une politique d’austérité budgétaire et monétaire à la libéralisa-
tion des prix des produits de base et des taux des dépôts à terme » 37. Mais au-delà de ces premières années
d’ajustement, la Turquie n’a pas pu maintenir ce niveau souhaité d’austérité en matière de politique financière.
Ces mesures de stabilisation ont pu porter leurs fruits grâce notamment à un niveau d’exportation élevé. En fait,
le secteur d’exportation a profité des politiques du développement des exportations mais a aussi bénéficié de
l’existence d’une base industrielle solide héritée des années de politique d’industrialisation par substitution aux
importations. Grâce à ces mesures de stabilisation mais aussi grâce à un apport suffisant de capitaux étrangers,
la Turquie a réussi à parvenir à un taux de croissance économique soutenable dans un climat social et politique
stable (le PNB réel qui était de l’ordre de -0,4 % en 1979 est passé à 4,6 % en 1982 et 5,9 % en 1984).

1.3.2. Politiques macroéconomiques, conjoncture, et croissance économique en Tunisie


Jusqu’aux années 80, le modèle tunisien ressemblait fortement à celui du Maroc. En effet, bénéficiant
d’une montée des prix du pétrole, la Tunisie s’est aussi lancée dans une politique expansionniste au début
des années 1970. Le taux de croissance du PIB fut élevé durant la période 1970-1979 (7,4 %). Cette expan-
sion fut entravée par la détérioration des termes de l’échange des années 1980, lié à la baisse des prix du
pétrole et à la baisse de la demande extérieure et a ainsi précipitée la Tunisie dans une crise économique 38.
Après avoir expérimenté son propre programme d’assainissement de l’économie 39, la Tunisie a eu recours
au PAS en 1986. Ce programme s’est traduit par une politique budgétaire restrictive qui s’est basée sur des
réformes fiscales radicales mais aussi sur une maîtrise des dépenses publiques avec une priorité accordée
aux secteurs sociaux tels que l’éducation et la santé. Cette politique budgétaire a permis de baisser le déficit
budgétaire de 5 % en 1986 à 3 % en 1996. La mise en œuvre d’une politique monétaire caractérisée par une
rigueur et une prudence accrue a permis de maîtriser l’inflation (9 % en 1986 à 5 % en 1996).
Il faut dire que, contrairement au Maroc, la Tunisie a pu éviter les rééchelonnements de la dette extérieure
grâce à des prêts multilatéraux et bilatéraux substantiels. Mieux encore, la Tunisie se finance aisément sur
les marchés internationaux et à des conditions très favorables.
Ainsi, la mise en place d’une politique budgétaire et monétaire restrictive renforcée par une aide financière
extérieure a permis de maintenir un niveau élevé de croissance économique du PIB. Le taux de croissance
du PIB a été de 3,6 % et de 4,9 % respectivement durant les périodes 1980-1989 et 1990-1999.

1.4. Conclusion

Pour l’ensemble des pays occidentaux, ainsi que le reste du monde, les années 1970 ont constitué un
tournant dans la conduite des politiques macro-économiques. Après des années de croissance euphorique,

65
une certaine réalité économique a fait son retour : Il y eut d’abord le décrochage du dollar sur l’or (fin de la
convertibilité du dollar) en 1971, la crise de l’énergie (1973), l’inflation et la stagnation économique (stag-
flation), etc... ces différentes crises et ruptures économiques ont fait leur apparition dans le paysage conjonc-
turel de l’économie occidentale et mondiale.
D’autres faits économiques sont venus se superposer à cette conjoncture économique dépressive, et qui
en sont à la fois cause et effet. Il s’agit notamment d’un système monétaire international débridé avec un
dollar flottant, donnant naissance à un système financier international de plus en plus régulé par le marché au
lieu de l’être par les instances officielles internationales, d’un développement sans précédent de la multi-
nationalisation de la production et des échanges intra et inter-industriels dans le monde, accentuant ainsi
l’antagonisme entre les grandes firmes internationales et les États d’une part, et entre ceux-ci d’autre part, et
ce notamment dans les domaines de la conception et du suivi des politiques macro-économiques. À cette
internationalisation poussée de la production industrielle (phénomène des firmes multinationales), a succédé
à partir des années 1970 une internationalisation financière. C’est la naissance de la mondialisation et de la
globalisation industrielle et financière dont nous vivons aujourd’hui le redéploiement.
Cette période qui a débuté au début de la décennie 1970, a vu monter l’influence des politiques monéta-
ristes et le recul relatif des politiques budgétaires, typiquement keynésiennes. Nous assisterons alors à des
politiques gradualistes, pragmatiques, et à des « polycy-mix ». C’est la fin des « certitudes » théoriques en
matière de politiques macro-économiques, et c’est le débat sur la nouvelle crise du XXe siècle 40.

2. Politiques macro-économiques, croissance et développement


économique et social du maroc durant les cinquante dernières années

L’économie marocaine fait partie de l’économie régionale méditerranéenne. Elle est pour l’essentiel
ancrée à l’Union européenne par ses échanges extérieurs. Ces échanges restent en revanche très modestes
avec les pays du Maghreb et du reste du monde arabe. Ces échanges sont peu significatifs avec le continent
américain et avec l’Afrique.
La conjoncture économique marocaine est donc pour une grande partie déterminée à l’intérieur du pays par
des facteurs tels que le climat et ses conséquences sur l’agriculture, le dynamisme de son système productif, et
sa politique macro-économique. À l’extérieur, cette conjoncture est déterminée par le comportement de l’écono-
mie européenne, et certains prix internationaux comme ceux de l’énergie, et les taux d’intérêt.
Dans cette position régionale, et face à cette conjoncture interne et externe, nous allons examiner mainte-
nant certains aspects de la politique macro-économique face à la croissance économique, et au développe-
ment économique et social de la population.

2.1. Sur le plan de la croissance économique

Le graphique no 15, nous donne des taux de croissance du PIB au prix constant depuis 1961. Nous y obser-
vons un phénomène déjà connu et qui caractérise notre croissance, à savoir son allure relative en dents de
scie. Ce phénomène est encore plus évident quant on observe les taux de croissance de la production agri-
cole durant cette longue période. Il y a là une corrélation évidente entre l’évolution de la croissance avec celle
de la production agricole.

66
Examinons maintenant cette double évolution du PIB et de la croissance agricole en longue période. En
effet, de 1961 à 2003 nous disposons des taux de croissance du PIB pour chaque année, soit 43 ans. La
croissance moyenne du PIB marocain durant cette période a été de 4,26 %.

Graphique 14 : Évolution du taux de croissance annuel du PIB et de la valeur ajoutée agricole

Source : Banque Mondiale

Durant cette longue période, 33 années ont connu une croissance économique positive, et 10 années une
croissance économique négative. Sur les 33 années de croissance positive, 22 ont connu une croissance supé-
rieure à 5 % et 6 une croissance inférieure à 3 %. Et sur les 22 années de croissance supérieure à 5 %, 7 années
ont connu une croissance égale ou supérieure à 10 %. La croissance agricole, quant à elle, a été observée de
1966 à 2001, sur 36 ans. Durant cette période, la production agricole a été positive 19 ans et négative 17 ans.
Au vu de ces observations, on constate le caractère extrêmement cyclique de la croissance agricole : Une
fois sur deux en moyenne, la production agricole est déficitaire. Quant à la croissance du PIB, son caractère
moins fluctuant est dû, comme on le sait, aux activités non agricoles contenues dans le produit national : Ce
qui nous montre que la croissance du PIB est en moyenne positive 3 fois sur 4. Mais, lorsqu’on observe la
croissance moyenne du PIB sur 43 ans, et qui est de 4,26 %, on constatera alors que les activités non agri-
coles sont encore peu développées pour soutenir une croissance élevée et durable du PIB, d’où l’importance
des politiques macro-économiques.

2.2. Sur le plan du développement social

Durant cette longue période de 43 ans, la population marocaine a été multipliée par deux entre 1961 et
1981 et par trois entre 1961 et 2003. Le taux de chômage urbain qui était autour de 10 % de la population en
âge de travailler (15 ans et plus) entre 1976 et 1983, est passé autour de 15 % entre 1984 et 1993, et autour
de 20 % entre 1994 et 2003.

67
Graphique 15 : Taux de chômage urbain en % (15 ans et plus) *

* Les données ne sont pas disponibles pour les années 1983 et 1994.

Source : Ministère du plan et l’Organisation Internationale du Travail (OIT).

Les dépenses de santé entre 1975 et 1995 ont oscillé autour de 1 % du PIB. Quant aux dépenses de l’édu-
cation après avoir varié entre 5 et 6,5 % du PIB entre 1975 et 1982, elles ont baissé durant la période d’ajus-
tement structurel jusqu’en dessous de 5 % du PIB en 1989, pour de nouveau osciller entre 5 et 6 % jusqu’en
2002 (cf. graphique 17). Au total, les dépenses sociales concernant la santé et l’éducation ont été pendant
plus de quarante ans d’une grande stabilité en pourcentage du PIB, malgré un doublement (1981) puis un tri-
plement (2003) de la population marocaine depuis l’indépendance. Et le taux de chômage, notamment
urbain, a augmenté par pallier durant les trois dernières décennies (10,15 et 20 %) correspondant respective-
ment aux périodes 1976-1983, 1983-1994 et 1994-2003.

68
Graphique 16 : Dépenses publiques pour l’éducation et la santé en % du PIB *

* Les données ne sont pas disponibles pour la période 1996-2000.

Source : Ministère du plan.

Notre analyse des politiques budgétaires et monétaires nous a amenée à une périodisation de ces poli-
tiques. De l’indépendance jusqu’en 1981, on était dans un contexte de politique macro-économique relative-
ment autonome c’est à dire dont la définition et la mise en œuvre dépendaient uniquement des
gouvernements. La grande crise des années 1980 nous a amenés à suivre un programme d’ajustement
structurel (PAS) à partir de 1981, avec l’objectif de retrouver un sentier de croissance saine et durable. Ce
sera par rapport à cette année centrale (1981) que nous allons étudier les croissances économiques et les
politiques macro-économiques marocaines.

2.3. 1961-1981 : La croissance et le développement du Maroc dans un


contexte de politiques macro-économiques autonomes.

Entre 1961 et 1981 (21 ans), la croissance du PIB a été positive 18 fois et négative 3 fois. Elle a été en
moyenne de 4,85 %. Elle a été supérieure ou égale à 10 % quatre fois et inférieure à 3 % 4 fois. Quant à la
croissance agricole entre 1966 et 1981, elle a été en moyenne de 1,72 % sur les 16 ans. On remarquera de
nouveau le caractère extrêmement cyclique de la croissance agricole, et le comportement relativement
moins fluctuant du PIB en raison de l’activité non agricole.
D’un point de vue macro-économique, la période 1960-1981 a été marquée conjoncturellement par deux
grandes sous périodes ; 1961-1972, et 1973-1981. La croissance du PIB durant la première sous-période a
été en moyenne de 4,92 % (positive 10 ans et négative 2 ans), la croissance agricole a été quant à elle de
6,31 % en moyenne entre 1966 et 1972.
D’un point de vue macro-économique, les politiques budgétaires et monétaires durant cette période ont
été relativement sous contrôle, sauf entre 1960 et 1965 où l’accroissement des dépenses pour des besoins

69
de reconstruction notamment politiques et administratives, ont poussé à certains déficits avec leurs consé-
quences monétaires, mais rapidement maîtrisés à partir des années 1966 et 1967.
Durant la sous période 1973-1981, on assiste à un retournement complet de la conjoncture nationale et
internationale. La croissance du PIB était en moyenne de 4,76 % soit à peu près la même que durant la pé-
riode précédente. Mais si on observe la croissance agricole qui a été en moyenne de -1,86 %, on constate
alors le rôle joué par la relance budgétaire et par le plan quinquennal 1973-1977 pour maintenir la stabilité de
la croissance. Entre 1973-1981, la croissance du PIB a été positive 9 fois, et négative 1 fois, et celle de l’agri-
culture positive 4 fois et négative 5 fois (-9,3 ; -6,3 ; -12,3 ; -1,7 ; et -28,6 % en 1981).
C’est aussi à l’issue de cette période que la population marocaine a connu de forts taux de croissance (dou-
blement en 26 ans : 1955-1981 41 alors qu’elle s’est accrue de 50 % en 20 ans (1982-2003). La croissance
économique marocaine a été durant cette période essentiellement d’ordre keynésien, mais elle est venue à
une période où la conjoncture nationale et surtout mondiale a été sérieusement contra-cyclique.
Les prévisions économiques de cette période ont été au-delà des capacités du potentiel de production du
pays notamment pour parer aux insuffisances des ressources internes et externes nécessaires et pour faire
face aux crises qui allaient survenir avec la mise en œuvre de ces relances budgétaires et monétaires. Dans
les pays occidentaux où ces relances ont été pratiquées jusque dans les années 1970, ce fut toujours en rela-
tion avec le potentiel de production du pays mesuré par la main d’œuvre disponible, les capacités de finance-
ment du capital nécessaire à la croissance, et surtout un potentiel à l’exportation afin de prévenir tout
fléchissement de la balance des paiements qui apparaît quasi parallèlement avec la relance budgétaire (cf.
graphique 18).

Graphique 17 : Compte courant de la balance des paiements en % du PIB

Source : Banque Mondiale

Manifestement ce ne fut pas le cas au Maroc durant cette période. Les encouragements à l’exportation
sont arrivés assez tard, et l’appareil industriel était insuffisant pour soutenir l’emploi. Et ce fut l’administration
qui en a été la structure d’accueil avec les conséquences aggravantes au niveau budgétaire. La croissance
économique a donc été certes stabilisée en moyenne période mais elle a été surtout dévastatrice d’un point

70
de vue macro-économique. Et c’est une nouvelle phase qui s’ouvre à la macro-économie marocaine à partir
de 1981.

2.4. 1982-2002 : La croissance économique marocaine décroît en longue


période malgré les politiques macro-économiques

Durant cette période de 22 ans, la croissance moyenne a été de 3,62 % contre 4,85 % entre 1961 et 1981.
Cette croissance a été positive 15 fois et négative 7 fois alors qu’elle a été positive 18 fois et négative 3 fois
entre 1961 et 1981. On constate ainsi que durant les cinquante dernières années, la croissance économique
marocaine a baissé en niveau (3,62 % au lieu de 4,85 %), et s’est accrue en volatilité. S’agit-il des effets de la
sécheresse ou des difficultés conjoncturelles, ou encore de politiques macro-économiques inadéquates ?.
La croissance agricole a été de 7,90 % en moyenne durant cette période, contre une moyenne de 1,72 %
entre 1961 et 1981. Cette croissance a été positive 11 fois et négative 6 fois. Alors qu’entre 1961 et 1981,
cette même croissance a été positive 8 fois et négative 8 fois sur une période de 16 ans. On constate ainsi
que de 1981 à 2003, la production agricole a été plus élevée en niveau, et plus régulière en longue période.
Par conséquent, la baisse du taux moyen de croissance du PIB durant cette période ne serait pas due unique-
ment à la production agricole qui s’est accrue en niveau et en régularité, mais bien à d’autres facteurs.
Étudions les deux sous périodes 1981-1992 et 1993-2003 :
On sait que la première sous période correspond à l’ajustement structurel. Cette sous période a connu une
croissance moyenne du PIB de 4,19 % contre 4,76 % la période précédente. Cette croissance a été positive
8 fois et négative 3 fois contre respectivement 9 fois et 1 fois (1973-1982). La croissance agricole, quant à
elle, a été en moyenne de 6,88 % contre -1,86 % entre 1973 et 1981. Cette croissance a été positive 7 fois
et négative 3 fois.
Sur le plan de l’emploi, le taux de chômage urbain est passé de 10 à 15 %, les dépenses de l’éducation ont
baissé pour repasser sous le taux de 5 % du PIB, et les dépenses de santé sont repassées aussi en dessous
de 1 % du PIB.
Les politiques macro-économiques, sur les plans budgétaires et monétaires, ont été durant cette période
d’une grande prudence. On a vu que les dépenses d’investissement étaient réduites tout au long de la pé-
riode, l’emploi dans l’administration n’a plus été un instrument de résorption du chômage, contrairement à la
décennie 1970-1980, et la politique monétaire était également sous contrôle. Le déficit de la balance des
paiements s’est amélioré passant de -7,5 % en 1981 à -1,5 % en 1992, et le taux de change effectif réel,
surévalué au début des années 1980, est revenu en dessous de la base 100 (1995) durant les années 1990.

71
Graphique 18 : Taux de change effectif réel (base 1995 =100)

Source : Banque Mondiale

La politique macro-économique menée durant cette période semble donc avoir assaini les fondamentaux
de l’économie marocaine. En revanche, si la croissance du PIB a gagné en régularité (positive 8 fois et néga-
tive 3 fois) elle a baissé en niveau (4,19 % contre 4,76 entre 1973 et 1981), et ce malgré une croissance agri-
cole nettement plus élevée en niveau (6,88 %). Cette faiblesse de la croissance du PIB, malgré
l’assainissement macro-économique en cours à l’époque pourrait être expliquée par deux phénomènes 42.
L’un serait dû à la prudence des politiques budgétaires et monétaires qui ont rompu avec l’expansionnisme
d’avant 1980, et l’autre à la faiblesse de l’appareil productif hors agriculture qui n’a pas été suffisamment
réactif aux corrections macro-économiques pour investir et produire pour le marché local et l’exportation. Les
raisons de cette absence de réactivité sont à approfondir.
Examinons maintenant la deuxième sous période 1993-2002, correspondant à l’après ajustement structu-
rel. Cette période a connu une croissance moyenne du PIB de 3 % contre 4,19 % durant la période 1982-
1992 et 4,76 % durant 1973-1982, et enfin 4,92 % entre 1961 et 1972. La croissance moyenne du PIB maro-
cain décroît depuis plus de quarante ans. Durant cette sous période 1992-2002, la croissance a été positive 6
fois et négative 4 fois contre respectivement 8 fois et 3 fois entre 1981 et 1992 43. Aussi, non seulement
cette croissance décroît sur une longue période, mais son caractère « dents de scie » s’accentue dans le
temps.

72
Graphique 19 : Évolution du taux de croissance du PIB
et de la valeur ajoutée agricole en moyenne et par périodes

Source : Calculé à partir des données de la Banque Mondiale.

La croissance agricole a, quant à elle, crû en moyenne de 9,14 % durant cette sous période contre 6,88 %
entre 1981 et 1992 et -1,86 % entre 1973 et 1981. La croissance agricole a été positive 4 ans et négative 5
ans, avec des fluctuations extrêmement importantes.
Si on écarte le caractère typiquement cyclique de la production agricole, le taux de croissance moyen du
secteur agricole est trois fois plus élevé que celui du PIB global. Mais ce taux moyen élevé du secteur agri-
cole durant cette période ne semble pas avoir joué un rôle entraînant pour la croissance économique qui en
représente en moyenne le tiers. Pourquoi ?.
On peut supposer, mais cela reste à démontrer, que le caractère fluctuant de la production agricole lui
enlève toute efficacité économique pour être un facteur entraînant de la croissance en raison même de cette
discontinuité. Par ailleurs, l’articulation du système économique marocain entre ville et campagne, ne produi-
rait pas suffisamment de synergie industrielle, à l’exemple de la croissance agricole dans les pays européens
qui a été à l’origine de l’accumulation du capital et donc de la croissance. Enfin, on peut supposer aussi que
les politiques macro-économiques d’accompagnement, et les réformes associées n’ont pas été suffisam-
ment efficaces pour amorcer une croissance économique élevée et stable.
Sur le plan social, le niveau du chômage urbain poursuit inexorablement sa montée pour osciller autour de
20 % (au lieu de 15 et 10 % durant les deux dernières décennies). Quant aux dépenses de l’éducation, elles
reviennent à leur fourchette des années 1970-1980, entre 5 et 6 % du PIB. Les dépenses de santé sont de
même et dépassent légèrement 1 % du PIB.
Toujours est-il que durant cette dernière période de notre analyse (1992-2002), les politiques macro-
économiques, sur les plans budgétaires et monétaires ont été conduites sans contraintes de l’ajustement
structurel et donc en toute autonomie et en toute liberté de régulation.

73
V. Les politiques macro-économiques marocaines
à l’horizon des vingt prochaines années

L’analyse historique constitue une pièce majeure de la prospective par le regard rétrospectif qu’elle permet
sur le passé et l’observation du présent 44. « La prévision, si elle est une extrapolation savante ne peut anti-
ciper les ruptures qu’une réflexion prospective va mettre en place » 45. « Le champ de la prospective corres-
pond généralement à trois niveaux d’investigation : le système spécifique de l’étude (politiques
macro-économiques, croissance et développement économique et social), le contexte intermédiaire
(contexte marocain) ; et l’environnement global (intégration économique régionale) » 46. Telles sont les élé-
ments qui nous paraissent de nature à contribuer à notre démarche quant à nos interrogations sur les poli-
tiques macro-économiques du Maroc pour les vingt prochaines années.
Aussi, nous récapitulerons en premier lieu les principaux enseignements historiques à tirer des cinquante
dernières années de politiques macro-économiques marocaines. Nous exposerons en second lieu les scéna-
rios des politiques macroéconomiques dans le contexte d’une prospective de croissance économique régio-
nale et internationale. Nous examinerons enfin le scénario d’une politique macro-économique nécessaire à
une croissance économique en vue de faire face aux défis économiques et sociaux d’une part, et pour
accompagner les ouvertures économiques marocaines d’autre part.

1. Enseignements à tirer de cinquante ans de politiques


macro-économiques mises en œuvre au maroc

D’un point de vue de la rétrospective historique, les enseignements saillants à tirer de cette longue pé-
riode, le seront sur les plans budgétaires et monétaires ; de la croissance économique ; et sur celui du déve-
loppement économique et social.

1.1. Enseignements sur les plans des politiques budgétaires et monétaires

En longue période, les politiques budgétaires et monétaires marocaines ont prouvé leurs capacités de ges-
tion administrative et organisationnelle. Mais, c’est probablement ce succès qui comporte en soi un défaut.
C’est que durant cette longue période, si la politique budgétaire a surtout excellé par sa régulation administra-
tive et réglementaire, en revanche, elle n’a pas été en mesure d’évoluer vers une régulation, de nature à « lis-
ser » la croissance économique. Les limites de la dépense budgétaire sont peu, voire pas, reliées au produit
intérieur et aux capacités de l’économie nationale, en raison justement de ce type de régulation.
Du coup, la dépense budgétaire est tendanciellement tirée vers des limites dépassant les capacités en res-
sources de l’économie nationale. Le pays vit donc, tendanciellement, au-dessus de ses moyens. Il est ainsi
rare, de raisonner accroissement du budget ou de ses composantes par rapport à l’accroissement du PIB. Il
s’agit là de la culture budgétaire dominante durant les cinquante dernières années du côté dépenses.
Au niveau des recettes budgétaires, elles subiront, en l’amplifiant, ce type de régulation de la dépense.
Structurellement, ces recettes ont été marquées, en longue période, par une instabilité chronique. Cette ins-

74
tabilité peut avoir des origines aussi bien dans la recette elle-même (conjoncture, etc..) que dans la dépense
proprement dite. De ce point de vue, la problématique de la recette budgétaire, et notamment son instabilité,
se trouve aussi bien en son sein (réforme du système fiscal, recettes douanières, recettes de monopole,
etc...) qu’au niveau de la dépense budgétaire régulée de façon administrative et réglementaire sans réfé-
rence suffisante au dynamisme de l’économie nationale.
Quant aux politiques monétaires du Maroc durant les cinquante dernières années elles ont été marquées
globalement par une certaine orthodoxie. Comparativement à la Turquie par exemple, qui a connu des taux
d’inflation à deux chiffres depuis les années 1980, la politique monétaire marocaine a rarement servi d’instru-
ment de relance économique conjoncturelle, à l’exception des années 1973-1977. L’évolution du taux de
change a donc été maitrisée durant cette longue période, voire même avec une certaine tendance à son
appréciation.
Au total, les politiques budgétaires et monétaires marocaines durant les cinquante dernières années, ont
donc évolué dans un cadre de régulation administrative et réglementaire (politique budgétaire), et dans une
situation plus proche de la politique monétariste que de la politique keynésienne (politique monétaire). Dans
une telle situation de politiques macroéconomiques, (budgétaire et monétaire), la croissance économique ne
peut évoluer que dans un sentier étroit.

1.2. Au niveau de la croissance économique

Nous avons observé la baisse en longue période du taux moyen de croissance économique au Maroc
depuis plus de quarante ans. Le taux de croissance agricole, plus volatile, a, quant à lui, bien que de façon
irrégulière, repris depuis la grande période de sécheresse des années 1980.
Au total, la croissance économique décroît en longue période avec un caractère « dents de scie » de plus
en plus accentué. Par conséquent, les politiques macro-économiques mises en œuvre dans un contexte de
régulation administrative et réglementaire n’ont pas été suffisantes pour amorcer un taux de croissance
moyen élevé et durable.

1.3. Au niveau du développement économique et social

Depuis l’indépendance, les principaux indicateurs sociaux 47 se sont aggravés. Le taux de chômage urbain a
augmenté en pourcentage de la population en âge de travailler (15 ans et plus) en passant de 10, puis 15,
puis 20 %. Quant aux dépenses sociales (éducation et santé), elles n’ont pratiquement pas évolué en pour-
centage du PIB durant cette longue période alors que la population a doublé en 1981, et triplé en 2003, par
rapport aux années 1960.
Au total, les performances historiques et macro-économiques du Maroc, durant les cinquante dernières
années, au vu des politiques macro-économiques suivies, de la croissance, et des résultats sociaux atteints,
reflètent bien un type de régulation économique et sociale donnée.
Ce type de régulation à caractère administratif et réglementaire, s’il a fonctionné durant cette longue pé-
riode, semble bien avoir atteint ses limites. Ce type de régulation sera de plus en plus difficile à poursuivre
dans l’avenir au regard des défis économiques et sociaux auxquels le Maroc aura à faire face dans les vingt
prochaines années.

75
2. Politiques macro-économiques dans un contexte de croissance
de 3 a 4 % d’ici 2030

Les enseignements historiques sur les politiques macroéconomiques marocaines durant les cinquante
dernières années sont des facteurs de nature à prospecter les futurs des politiques macroéconomiques
marocaines. Cette prospective sera à établir en observant les donnés internes et externes. Nous avons déjà
décrit les donnés internes en termes de politiques macroéconomiques, de croissance, et d’indicateurs
sociaux. Quelles sont les donnés externes en matière de prospective de croissance auxquelles les politiques
macroéconomiques marocaines auront à s’adapter dans les années à venir ? Pourrait-on s’y adapter, et
quelles seront alors les conséquences sur notre état économique et social ?...
L’étude prospective du Centre d’Études Prospectives et d’Information Internationales (CEPII) 48 prévoit une
croissance mondiale moyenne de 3,2 % durant la décennie 2000-2010. Cette croissance sera en baisse au
cours des deux décennies suivantes : 3 % durant 2010-2020, et 2,7 % durant 2020-2030. En moyenne, la
croissance prévue est de 3 % sur les trente années 2000-2030, soit 0,25 % de moins que la moyenne
constatée entre 1970 et 2000 (cf. tableau14).

Tableau no 14 : Croissance mondiale en 4 zones


Scénario de référence Croissance du PIB Moyenne de croissance
1970-80 80-90 90-00 00-10 10-20 20-30 1970-2000 2000-2030
Afrique du Nord OPEP 4,08 0,32 1,35 2,02 2,12 1,94 1,90 2,0
Autres Afrique du Nord 5,81 3,79 2,92 3,42 3,64 3,57 4,16 3,5
Moyen-Orient non pétrolier 5,64 2,31 4,94 4,32 4,17 4,10 4,29 4,2
Golfe 7,0 – 1,10 2,57 2,12 2,26 2,12 2,77 2,2
Monde 3,83 3,03 2,01 3,24 3,0 2,73 3,26 2,99

Source : 1970-2000 : CEPII base CHELEM-PIB PPA.

Trois grandes régions ont été distinguées. Les régions riches 49, les régions à revenus intermédiaires 50, et
enfin, les régions pauvres 51. Le Maroc est situé dans l’ensemble des pays à revenus intermédiaires. Par ail-
leurs l’étude isole des pays producteurs de pétrole dont la croissance dépend d’un seul produit et dont il est
démontré qu’ils sont moins performants en termes de croissance 52.
La croissance est le résultat de projections de variables exogènes telle que la croissance de la population
active, l’investissement en capital humain, (éducation, formation, etc...), et l’investissement en capital phy-
sique.
Dans la région de pays à revenus intermédiaires où le Maroc est intégré, l’hypothèse a été faite de l’évolu-
tion maximale du taux d’investissement et l’on suppose par ailleurs, que ces pays profiteront dès la présente
décennie d’une meilleure insertion internationale. « Pour la Turquie, l’Europe du Sud-Est, et les pays non
pétroliers d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, le décollage serait favorisé par l’intensification des liens
avec l’Union Européenne » 53.
L’évolution du PIB est ainsi déterminée dans un contexte de « croissance économique soutenue, une
croissance démographique sur le déclin et un progrès technique au même rythme que sur les 30 dernières
années passées » 54.
Ainsi, en ce qui concerne les pays d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, les États producteurs de pétrole
voient leur PIB augmenter d’environ 2 % par an durant les 30 prochaines années ; rythme qui diffère peu de
leur performance moyenne sur la période de 1970-2000. Par contre, et comme auparavant, les pays non

76
pétroliers de la zone croissent plus vite et gardent un taux de croissance élevé, entre 3,5 et 4 % jusqu’en
2030 55 (cf. tableau14).
Face à une telle prospective de la croissance économique d’ici à 2030, les politiques macroéconomiques
marocaines auront un premier défi à relever. Il s’agira d’abord de rompre avec la baisse inexorable de la crois-
sance économique marocaine depuis près de cinquante ans. En effet, cette croissance est passée d’environ
5 % durant les années 60-80, puis 4 % durant les années 80-90, pour être à 3 % les années 93-2002. À ce
rythme, la croissance de l’économie marocaine va encore baisser ou rester stationnaire les années à venir, et
ce ne sera pas à cause de l’agriculture.
Le taux de croissance prévu par le CEPII d’ici à 2030 pour les pays non pétroliers de la région est une
moyenne. Les pays à politiques macroéconomiques plus adaptées, et qui sauront mieux s’intégrer à l’écono-
mie régionale et mondiale, feront en moyenne plus que 3 à 4 %, et les autres stagneront ou feront moins.
La croissance démographique du Maroc s’étant ralentie, les facteurs de croissance sur lesquels on pourra
encore s’appuyer sont encore certes notre population jeune, mais peu formée, et donc en besoin d’inves-
tissement humain. Les autres facteurs seront l’investissement physique et le progrès technique. Ces deux
derniers facteurs, ne sont en général prometteurs de croissance que s’ils sont combinés à un capital humain
éduqué et formé.
Aussi, le scénario de croissance économique de 3 à 4 % d’ici à 2030 dans les pays d’Afrique du Nord non
producteurs de pétrole doit paraître pour le Maroc non seulement un objectif à atteindre, mais surtout à
dépasser.
En effet, si nos politiques macro-économiques n’évoluent pas et se contentent de se maintenir à ce scéna-
rio de 3 ou 4 % de croissance, alors la situation économique et sociale de la population marocaine restera sur
la tendance actuelle, à savoir l’aggravation des résultats économiques et sociaux. On remarquera par
exemple que la Turquie a prévu, parmi ses différents scénarios de croissance d’ici à 2015, un taux de crois-
sance à 3 %. Cette croissance maintiendra tout juste stationnaire son PIB par habitant (cf. graphique 21) 56.

Graphique 20 :

Source : OCDE – Les Échos, 22 et 23 octobre 2004.

77
Aussi, le scénario de croissance économique au Maroc pour les 20 prochaines années ainsi que les poli-
tiques macroéconomiques d’accompagnement, devraient avoir pour objectif un taux de croissance au-delà
des 3 à 4 % prévus par l’étude prospective du CEPII.

3. Scénarios de politiques macro-économiques dans un contexte


de croissance supérieure a 3-4 % du PIB

Les politiques macro-économiques marocaines devront non seulement s’adapter vigoureusement au scé-
nario de croissance économique de 3 à 4 % dans la région Sud Méditerranéenne – Moyen Orient, mais
devraient dépasser cet objectif. En effet, dans un tel contexte de croissance, où l’économie marocaine est
déjà installée durant la décennie 1993-2003, les politiques macro-économiques mises en œuvre semblent
avoir atteint leurs limites. Plus grave encore, si nous conservons cette croissance en longue période, c’est la
régression qui menacera tendanciellement notre économie.
Aussi, face aux menaces de cette régression qui semblent déjà à l’œuvre dans le domaine social où les
contraintes sont évidentes, les politiques macroéconomiques marocaines devront saisir les « ruptures » en
cours et visant l’ouverture de notre économie dans les domaines aussi divers que le commerce, l’industrie, la
finance, et les services. Il sera vital pour nos futurs politiques macroéconomiques de saisir ces ouvertures et
s’y adapter, non comme des contraintes ou des barrières au développement, mais bien comme des opportu-
nités à transformer, pour atteindre des objectifs de croissance supérieure à la moyenne des 3 à 4 % prévue
pour notre région.

3.1. Un contexte de contraintes économiques et sociales nationales

Le décalage historique que nous avons constaté tout au long des cinquante dernières années entre l’évolu-
tion des politiques macro-économiques d’une part, la croissance moyenne de notre économie d’autre part, et
enfin, les performances sociales auxquelles nous avons abouti montrent que la convergence de ces trois
ensembles, est loin d’être atteinte, voire même entamée.
Bien au contraire, les indicateurs sociaux de l’économie marocaine en s’aggravant dans le temps,
semblent déconnectés de la croissance, et des politiques macroéconomiques mises en œuvre. En termes de
prévisions économiques, une extrapolation de cette longue tendance aura des résultats encore plus alar-
mants. Par contre, il faudra souhaiter d’un point de vue de la prospective, des ruptures de nature à faire
converger davantage les politiques macroéconomiques, la croissance, et le développement économique et
social. Et ces ruptures devraient être à la fois la cause et effet d’une croissance économique supérieure à la
fourchette de 3 à 4 % du PIB durant les vingt prochaines années.

3.2. Politiques macro-économiques et taux de croissance supérieur à


3-4 % en économie ouverte

Sur le plan micro-économique et sectoriel, les accords de libre échange qui ont été signés avec l’Union
européenne auront des répercussions fondamentales au sein des entreprises et des secteurs économiques

78
marocains. Il sera paradoxal, voire anachronique, et surtout économiquement contre productif que l’écono-
mie marocaine se prépare à s’ouvrir au plus grand marché du monde (U.E.), dont les macroéconomies sont à
forte régulation fordiste et post-fordiste avec, au Maroc, des politiques macroéconomiques régulées pour
l’essentiel de façon encore administrative.
Et de ce point de vue, il faut bien souligner que l’ouverture économique vers l’horizon européen ne sera
pas une panacée à notre croissance économique. « Si l’ouverture est favorable au développement, elle est
loin d’en être une condition suffisante. Différents travaux se sont attachés à montrer pourquoi les relations
entre ouverture commerciale et croissance sont plus complexes que ne le voudraient les apôtres de l’ouver-
ture. La libéralisation commerciale est vouée à l’échec si les mécanismes de marché ne fonctionnent pas de
manière satisfaisante. La capacité des gouvernements à mettre en œuvre les réformes macro-et micro-
économiques qui doivent accompagner l’ouverture (réformes fiscales, amélioration de l’accès des entre-
prises au financement, réforme juridique...) est tout aussi essentielle que l’ouverture elle-même. En outre,
l’ouverture se traduisant par une plus grande exposition aux chocs, elle réclame des ajustements macro-
économiques qui peuvent être entravés par la faiblesse des institutions chargées de la gestion des conflits
d’intérêt » 57.
En effet, à l’horizon des 20 prochaines années, l’économie marocaine disposera d’autant plus d’atouts et
de potentiel relativement peu exploités, que de l’autre côté de la Méditerranée, l’Union Européenne établit
des scénarios de croissance et de développement qui mettent en exergue l’intérêt primordial, voire vital,
pour ce continent, de créer une vaste zone de développement intégrée comprenant les pays du Sud de la
Méditerranée 58.
En effet, comme on l’a remarqué à propos des politiques macroéconomiques, sur les plans budgétaire et
monétaire, l’ouverture économique du Maroc, notamment sur l’Europe, aura des répercussions tout au long
des vingt prochaines années sur les méthodes de conception et de mise en œuvre de nos futures politiques
macroéconomiques. À cet égard, en se situant de part et d’autre de l’hypothèse centrale d’une croissance
économique entre 3 et 4 % durant les 20 prochaines années, nos politiques macroéconomiques devront évo-
luer de façon graduelle et progressive, d’une régulation administrative vers une régulation économique (cf.
tableau 15). Les régulations budgétaires, administratives et réglementaires, devront céder à des types de
régulations macroéconomiques sur la base du produit national, de la répartition rigoureuse des fruits de la
croissance, de la productivité, d’une relative flexibilité monétaire, de négociations collectives, et non plus
catégorielles en matière de salaires et de revenus, etc...

79
Tableau no 15 : Scénarios de politiques macroéconomiques, de croissance et de développement
économique et social à l’horizon des 20 prochaines années

SCÉNARIOS POUR LES 20 PROCHAINES ANNÉES DE


CROISSANCE ÉCONOMIQUE MAROCAINE

Scénarios pour les politiques Tendance actuelle : croissance Hypothèse centrale de croissance Croissance moyenne supé-
macro-économiques moyenne autour de 3 % moyenne : 3 à 4 % pour l’ensemble de rieure à 3-4 %
la région Sud Méditerranée et Moyen
Orient (hors pays pétroliers)
Politiques macro-écono- Régulation administrative Régulation mixte : administrative et Régulation économique
miques Objectif : Croissance réelle économique
Objectif : Croissance réelle à potentielle Objectif : Croissance poten-
tielle
Politique Budgétaire Régulation administrative Régulation administrative Régulation économique

Politique Monétaire Régulation administrative Régulation économique Régulation économique


(y compris le taux de change) (flexibilité) (flexibilité)

Développement social Aggravation Médiocre Amélioration

Sur le plan de l’ouverture financière, notre ouverture commerciale sur l’Europe, déjà très importante, nous
poussera encore davantage à une situation satellitaire avec l’avènement de l’Euro. De ce point de vue, la
monnaie unique européenne peut être pour l’économie marocaine autant un atout qu’une difficulté. L’Euro
sera un handicap si nos capacités d’adaptation sont insuffisantes notamment sur les plans monétaire et du
commerce extérieur (taux de change). En revanche, L’Euro sera un atout si cette capacité d’adaptation de
notre politique macroéconomique, budgétaire et monétaire, s’affirme vigoureusement et rapidement afin
d’intégrer efficacement le premier marché du monde 59.

Références bibliographiques

(1) in, P. Coulbois, la politique conjoncturelle, éd. Cujas, Paris, 1971, p. 35.
(2) in, P. Coulbois, la politique conjoncturelle, éd. Cujas, Paris, 1971, p. 35.
(3) C.de. Boissieu, principes de politique économique, éd Economica, Paris 1980, p. 9.
(4) C.de. Boissieu, op. cit.
(5) J. Saint Geours, la politique économique des principaux pays industriels de l’occident, Ed.
Sirey, 2e édition, Paris, 1973, p. 28.
(6) J. Saint Geours, op. cit, p. 28.
(7) P.A. MUET, Introduction à la macro-économie, Éditions de l’École Polytechnique, Juin 2004, Paris, p. 8.
(8) J. Saint Geours, la politique économique des principaux pays industriels de l’occident, Ed. Sirey, 2e édi-
tion, Paris, 1973, p. 166.
(9) J. St Geours, p. 166, op. cit.
(10) M.Sagou, F.Mourji, in politiques économiques pour la croissance dans les pays en voie de développe-
ment, Ed. Wallada, Casablanca, 1989, p. 106.

80
(11) J. St Geours, p. 166, op. cit. Outre cet aspect spécifique aux structures budgétaires, mais aussi aux
comportements des gouvernements en matière de politique budgétaire et de politique écono-
mique en général, cette rigidité exprime aussi des situations acquises, et donc des reconductions
automatiques des grandes masses budgétaires. On a pu calculer durant les années 1960, près de
90 % du budget de dépense devrait être chaque année reconduit.
(12) Cf. supra.
(13) Cf. Infra.
(14) Sagou et Mourji, op. cit.
(15) Id, op. cit.
(16) Id, op. cit.
(17) Rapport annuel de Bank Al-Maghrib, exercice 2000, p. 72.
(18) V.TANZI, Départ. Finances publiques, FMI, Washington.
(19) Les données ne sont pas disponibles pour les années 1986 et 1987.
(20) D. LEBEGUE, le trésor et la politique financière, Paris, Tome I,, 1986, p. 128.
(21) M. Pébereau, la politique économique de la France, édition Armand Colin, Paris, 1985, p. 154.
(22) M. Pébereau, op. cit, p. 155.
(23) Id., op. cit, p. 155.
(24) Id., op. cit, p. 155.
(25) Id., op. cit, p. 161.
(26) Id., op. cit, p. 160.
(27) Id., op. cit, p. 160.
(28) Id., op. cit, p. 160.
(29) M. Bouzidi, monnaie et politique monétaire : analyse générale et application au Maroc,1996, p. 199.
(30) J.Saint-Geours, op. cit, p. 478.
(31) P.J. Potier, les leçons de 25 ans de politiques de « stop-go » au Royaume Unis, in Problèmes écono-
miques, no 1620, 25 avril 1979, p. 26.
(32) Jean Saint-Geours, op. cit, p. 177.
(33) Jean Saint-Geours, op. cit, p. 177.
(34) Le choix d’une politique économique en Amérique Latine, Friedman ou Keynes, in Problèmes écono-
miques, no 1804, 30.12.82, p. 14.
(35) Cf. supra.
(36) Georges Kopits, ajustement et croissance, l’expérience de la Turquie ; in politique économique pour la
croissance dans les pays en voie de développement, op. cit, p. 146.
(37) Id, op. cit, p. 192 C’est ainsi que le déficit budgétaire est passé de 5,3 % du PIB en 1980 à 2,1 % en
1982. Ce taux a été de 4,2 % en 1984, puis 2,2 % en 1985.
(38) La trajectoire économique des pays du Maghreb, Conjoncture BNP-Paribas, no 10, Novembre 2002.
(39) Cette tentative fut entravée par des soulèvements sociaux consécutifs au projet de suppression des
subventions aux produits de base.
(40) Y. ULLMO, existe-t-il une crise de la macro-économie ? Problèmes économiques (PE), 13.05.81, p. 3 ;
J.J.ROSA, la deuxième crise du XXe siècle, in PE, 15.06.83, p. 20, etc.
(41) Les taux de croissance démographique ont atteint 2,6 % durant les années 1970 et le début des années
1980 (Il a même atteint 2,9 % en 1982).
(42) On ne pourrait pas s’étendre davantage sur ce sujet dans le cadre de ce document.
(43) Entre 1973 et 1981, la croissance a été positive 9 fois et négative 1 fois.
(44) Nathalie BASSALER, dossier perspectives, sept. 2004, p. 3.

81
(45) Id. p. 5.
(46) Id p. 5.
(47) Dont les statistiques sont très peu disponibles durant cette période.
(48) Nina KOUSNETZOFF, Croissance économique mondiale, un scénario de référence à l’horizon 2030,
Dec.2001. CEPII. Paris.
(49) Europe de l’Ouest, Amérique du Nord, Japon, Australie, Nouvelle Zélande.
(50) Europe centrale, Europe du Sud Est et les Ex URSS, l’Amérique Latine, l’Afrique du Nord et le Moyen-
Orient.
(51) Asie du Sud, Afrique Sub Saharienne.
(52) id. p. 13.
(53) id. p. 36.
(54) id. p. 36.
(55) id. p. 36.
(56) Les Échos du 22-23 octobre 2004.
(57) I.Bensidon, A. Chevalier, Ouverture du Sud : Priorité au développement, Ed. La Découverte, Coll.
Repères, Paris, 2002, pp. 64-75.
(58) Rapport de l’Institut Français de Relations Internationales (IFRI) sur le commerce mondial au XXIe siècle.
(59) L’Euro et le financement de la croissance en méditerranée, Revue d’Économie Financière, Ed. Paris,
1999.

Bibliographie

Bassaler N. (2004), Dossier perspectives, septembre.


Bensidon I. et Chevalier A. (2002) : « Ouverture du Sud : Priorité au développement », Édition La Découverte,
Coll. Repères, Paris.
Bouzidi M. (1996) : « Monnaie et politique monétaire : analyse générale et application au Maroc », Édition
Najah, Casablanca.
Coulbois P. (1971) : « La politique conjoncturelle », Édition Cujas, Paris.
De Boissieu C. (1980) « principes de politique économique », Édition Economica, Paris.
FMI. (1989) : « politiques économiques pour la croissance dans les pays en voie de développement », Édition
Wallada, Casablanca.
Kousnetzoff N. (2001) : « Croissance économique mondiale, un scénario de référence à l’horizon 2030 »,
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Lebegue D. (1986) : « Le trésor et la politique financière », Tome I, Paris.
Muet P.A.(2004) : « Introduction à la macro-économie », Éditions de l’École Polytechnique, Juin, Paris.
Pébereau M. (1985) : « La politique économique de la France : Les instruments », Édition Armand Colin,
Paris.
Saint-Geours J. (1973) : « La politique économique des principaux pays industriels de l’occident », Édition
Sirey, 2e édition, Paris.
Tanzi V. Départ. Finances publiques, FMI, Washington.

82
Rapports et revues :
Rapports annuels de Bank Al-Maghrib.
Conjoncture BNP-Paribas.
Problèmes économiques.
Revue d’Économie Financière
Les Échos.

83
3. La politique d’ajustement structurel dans le secteur
agricole (1985 – 1993) .....................................................................................109
3.1. Orientations générales et premières mesures tangibles ...................109
3.2. Le premier programme d’ajustement structurel
agricole, PASA 1 ........................................................................................111
3.3. Le dexième programme d’ajustement structurel
agricol, PASA 2...........................................................................................114
4. Le temps des stratégies (1993 – 2004) ........................................................116
4.1. Une première « Contribution » à une stratégie de
développement rural (1993)......................................................................118
4.2. Premier projet d’une stratégie pour l’agriculture à
l’horizon 2020 (1994)...................................................................................119
4.3. Multiplication des « stratégies » et « réplique »de
la Banque mondiale (1995) .......................................................................121
4.4. Le Volet agricole du plan de développement
économique et social 1996 – 2000...........................................................122
4.5. La Stratégie de développement rural de la Banque
mondiale et les « deux Maroc » (1997)...................................................123
4.6. « Note d’observations » et riposte irritée de
l’Administration (1997)...............................................................................125
4.7. La Déclaration Commune Gouvernement – Représentants
des agriculteurs (1997) .............................................................................127
4.8. La Loi d’orientation pour la modernisation de
l’agriculture (1997) .....................................................................................128
4.9. Nouveau gouvernement et nouvelles promesses pour de
nouvelles stratégies (1998).......................................................................131
4.10. Stratégie 2020 de développement rural (1999) ...................................133
4.11. Le plan quinquennal 2000-2004 .............................................................138
4.12. Colloque national et stratégie de développement de
l’agriculture marocaine (2000) ..............................................................139
4.13. Les déclarations d’intention du gouvernement
actuel (2002).............................................................................................143
5. L’agriculture marocaine aujourd’hui : Contraintes
et possibilités...................................................................................................146
5.1. Carences d’une production toujours handicapée par
la contrainte climatique ...........................................................................147
5.1.1. Production globale : entre stagnation et déclin ..........................147
5.1.2. Évolution défavorable des productions de base .........................148
5.1.3. Variabilité croissante et dépendance à l’égard
des aléas climatiques .....................................................................152
5.1.4. Rendements : une évolution décevante et des niveaux
encore trop faibles ..........................................................................153
5.1.5. Déficits et dépendance alimentaire croissante ..........................157

86

gt3-3 86 25/01/06, 10:18:22


88

gt3-3 88 25/01/06, 10:18:24


« Pourquoi ce retard? Pourquoi les politiques d’industrialisation n’ont-elles qu’insuffisamment
dynamisé la croissance urbaine et la création d’emplois? Pourquoi l’économie n’a-t-elle pas été
capable d’absorber les populations qui ne trouvaient plus de place dans les campagnes? Pour-
quoi les politiques agricoles n’ont-elles pas réussi à réduire les écarts entre une agriculture
modernisée et une agriculture encore largement traditionnelle et tournée vers l’auto-subsis-
tance? Pourquoi les politiques de subvention de l’agriculture, les politiques de crédit n’ont-elles
pas permis de transformer la situation d’une très grande partie des producteurs ruraux? Pourquoi
les ressources appréciables que l’État a injectées dans le monde rural ont-elles eu des effets qui
restent encore bien en deçà des attentes?
Stratégie 2020 de développement rural, 1999 1

Introduction

Lorsque le Maroc accède à l’indépendance, il y a cinquante ans, c’est un pays qui compte une dizaine de
millions d’habitants, dont près des trois quarts vivent en milieu rural. Mais avec une superficie cultivée qui ne
représentait déjà que 12 % de la surface du territoire, des terres irriguées quasiment insignifiantes (1.2 % de
la superficie cultivable), et dans l’ensemble des conditions pédoclimatiques peu favorables 2, on pouvait rai-
sonnablement penser que l’agriculture n’était pas nécessairement le principal atout du pays pour s’engager
dans la bataille du développement à laquelle il devait se préparer.
Pourtant, cette agriculture n’avait pas tout à fait démérité. Étendue sur quelques 7.8 millions d’hectares de
terres cultivées, et forte d’un cheptel de près de 21 millions de têtes d’ovins, caprins et bovins, elle représen-
tait en moyenne 38 % de la production intérieure brute, donnait du travail à 65 % de la « population active de
sexe masculin » du pays 3, et générait une production qui s’était sensiblement accrue et diversifiée, notam-
ment depuis la deuxième guerre mondiale. Certes, cette agriculture était « duale », composée d’un secteur
« moderne », en fait pour l’essentiel colonial, bien doté en facteurs de production, performant et ouvert sur
l’extérieur, et d’un secteur « traditionnel », peu développé, extensif, faiblement productif, et focalisé sur
l’autoconsommation de la population autochtone qui en vivait. Il n’en demeure pas moins que, globalement,
cette agriculture générait une production suffisamment importante et variée pour non seulement satisfaire
une grande partie des besoins alimentaires de la population, mais aussi induire des flux d’exportation de loin
supérieurs à ceux des importations de même nature (en gros dans une proportion allant de 1 à 2) 4.

1. Ministère de l’Agriculture, du Développement Rural et des Pêches Maritimes, Conseil Général du Développement Rural : Stratégie 2020 de
développement rural, Document de synthèse, Rabat, 1999, p. 18.
2. Un rapide examen d’une carte du pays combinant niveau des précipitations et qualité des sols pouvait aisément révéler un cruel paradoxe :
les terres du nord, plutôt bien arrosées, sont globalement de qualité moyenne sinon médiocre, et au fur et à mesure que l’on descend vers le sud,
la qualité des sols s’améliore, alors que la pluviométrie diminue... En somme, et en schématisant : de mauvaises terres avec une bonne pluviomé-
trie, et de bonne terres avec une mauvaise pluviométrie...
3. Cf. Tableaux économiques du Maroc, 1915-1959, Ministère de l’économie nationale, Division de la Coordination Économique et du Plan,
Service Central des Statistiques, Rabat, avril 1960, pp. 45-46.
4. Selon nos calculs et les données puisées dans les « Tableaux économiques du Maroc, 1915-1959 » (op. cit, p. 197 et 199), les importations agroalimentaires (zone nord non com-
prise) avaient en 1956 atteint 28.1 milliards de francs et les exportations de même nature 57.8 milliards de francs, soit un taux de couverture des premières par les secondes de 206 %.

89
Qu’avons-nous fait de cette agriculture-là tout au long d’un demi siècle d’indépendance ?
Pour nous en tenir aux indicateurs avancés ci-dessus, mais qui sont comparables avec ceux qui peuvent être
produits aujourd’hui 1, disons que, avec une superficie agricole utile qui ne s’est élargie que de près d’un million
d’hectares, mais des surfaces irriguées qui ont presque été multipliées par dix, l’agriculture marocaine reste
aujourd’hui encore largement « duale », avec un – petit – secteur « moderne », intensif et compétitif, et un –
vaste – secteur « traditionnel », encore trop peu développé, fortement extensif et faiblement productif. Cette
agriculture représente aujourd’hui un peu moins de 15 % du PIB et emploie encore près de 40 % de la popula-
tion active. Elle génère une production certes plus importante et plus diversifiée, mais qui, rapportée à la popu-
lation, s’avère de moins en moins capable de la nourrir. Avec un taux de couverture des importations par les
exportations agroalimentaires qui s’est effondré de plus de 200 % à moins de 50 % 2, le secteur agricole n’est
pas seulement responsable de « déficits commerciaux » croissants, mais plus encore d’une dépendance ali-
mentaire dangereuse puisque les défaillances concernent avant tout des denrées alimentaires de base que l’on
s’accorde à reconnaître « stratégiques », tels les céréales, le sucre, les huiles, les produits laitiers...
Quant aux conditions de vie de la population qui, en milieu rural, vit principalement de cette agriculture, il
suffit pour l’instant, et pour en donner une idée, de citer ce document officiel dans lequel on estimait en 2003
encore que « la marginalisation d’une part importante du monde rural a généré des niveaux de développe-
ment humain qui situent le Maroc rural parmi les pays les moins avancés » 3.
Comment en est-on arrivé là ? Pour répondre à cette question, nous tenterons de procéder à une analyse
critique des politiques agricoles conduites ou projetées durant les cinquante dernières années. Mais nous ne
manquerons pas non plus d’établir « l’état des lieux », en essayant de mettre en évidence à travers l’examen
de tendances lourdes, les forces et faiblesses, les handicaps et atouts de l’agriculture marocaine aujourd’hui,
et au-delà du monde rural. Nous serons alors un peu mieux outillés pour nous projeter dans l’avenir et réflé-
chir aux implications de la dynamique de libéralisation des échanges engagée depuis plusieurs années, appe-
lée à se poursuivre et même s’accélérer dans les prochaines années.

1. La première décennie de l’indépendance (1956-1965)


(À la recherche d’une nouvelle politique agricole)

Les premières années de l’indépendance furent caractérisées par une certaine indétermination, un manque
de vision et partant une grande incohérence dans l’action. Des décisions essentielles qui devaient être prises
ne l’ont pas été, et d’autres ont été détournées ou contournées. Mais avec le début des années 60, les élé-
ments d’un « nouvel ordre », et donc d’une nouvelle politique, commencent à se mettre en place.

1. Rapport sur « 50 ans de développement humain au Maroc », Rétrospective Statistique, Rabat, février 2004; Ministère de l’Agriculture, du
Développement Rural et des Pêches Maritimes, Préparation du Rapport du Cinquantenaire, Recueil de données relatives au secteur agricole,
Rabat, octobre 2004.
2. Hors produits de la mer.
3. Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural, Plate-forme pour l’élaboration d’un plan d’action pour le développement rural, Rabat,
2003, p. 8.

90
1.1. Des premières mesures sans cohérence, ni vision d’ensemble

En dépit de l’importance du secteur agricole et partant du monde rural dans l’équilibre général du pays, le
nouvel État indépendant ne se détermine pas rapidement quant à l’attitude et aux choix à adopter à leur
égard. Les mesures qui seront prises durant les premières années ne se distingueront ni par la clarté de leur
vision ni par leur cohérence. Si l’on se met dès 1956 à procéder à quelques distributions de terres, celle-ci ne
dépasseront pas quelques milliers d’hectares, ne revêtant guère plus qu’une portée symbolique 1. Si l’on ins-
titue le « contrôle sur les opérations immobilières réalisées par les étrangers », on prend soin de rassurer les
colons sur leur avenir, excluant l’éventualité de toute récupération du million d’hectares des terres qu’ils
exploitaient encore. Si on lance tambours battants « l’Opération Labour » – octobre 1957, avec d’ambitieux
objectifs (couvrir 1 million d’hectares en 5 ans et promouvoir l’organisation coopérative dans la société
rurale...), on laisse rapidement l’entreprise péricliter sous les coups de boutoir des « gros propriétaires fon-
ciers » dont elle pouvait menacer les intérêts 2...
En réalité, cette indétermination n’était elle-même que le reflet des luttes d’influence et des reclasse-
ments politiques qui agitaient les sphères du pouvoir durant les premières années de l’indépendance. Mais à
partir du début des années 60, un nouveau rapport des forces s’installe et avec lui une nouvelle orientation
commence progressivement à s’affirmer. Pour asseoir son autorité, l’État central veut désormais s’allier le
monde rural et pour cela lui manifeste toute sa sollicitude 3, et va compter sur les notables ruraux et les élites
locales pour y constituer, selon l’expression de Rémy Levau, « le centre de gravité du système politique au
profit de la monarchie » 4. Et l’auteur du « Fellah marocain, défenseur du trône », d’expliquer : « Cette situa-
tion conditionne les choix du régime pour tout ce qui touche le secteur rural, mais l’influence aussi en
d’autres domaines. Elle rend impossible l’aboutissement de tout projet de réforme agraire, si limité soit-il, et
justifie l’association des propriétaires fonciers à l’exercice du pouvoir local. Elle exclut tout système de taxa-
tion qui aboutirait à faire financer par l’agriculture le développement d’autres secteurs, notamment l’industria-
lisation. Elle pousse, au contraire, le régime à conclure un système d’alliances qui lui assurera le financement
par l’étranger de ses distributions de ressources au secteur traditionnel et de ses grands investissements
agricoles » 5.

1.2. Les « remises en ordre » du début des années 60

En effet, à partir du début des années 60, on relève toute une série de faits qui confirment la nouvelle
orientation et convergent vers l’ébauche du « modèle de développement » qui s’affirmera dans l’agriculture
par la suite. C’est ainsi que L’ancien tertib, impôt impopulaire, est supprimé et remplacé en 1961 par un
« impôt agricole » qui reviendra à détaxer très largement les revenus agricoles et particulièrement les plus
élevés parmi eux. La première version du plan quinquennal 1960-1964 ne verra jamais un début d’exécution,

1. Pour une chronologie détaillée des mesures prises durant cette période et concernant la politique agricole et le développement rural, voir :
N. Bouderbala, M. Chraïbi et P. Pascon, La question agraire, Bulletin Économique et Social du Maroc, Documents, no triple 123-125, Rabat, Août
1974.
2. A. Tiano, La politique économique et financière du Maroc indépendant, PUF, collection « Tiers-monde », Paris, 1963, p. 176-185.
3. Tout à fait significatif est le fait que après le décès de Mohamed V, Hassan II, qui lui succède, cumule les fonctions de président du conseil
et... ministre de l’agriculture.
4. R. Levau, Le fellah marocain, défenseur du trône, éditions de la Fondation Nationale des Sciences politique, Paris, 1976, p. 235.
5. R. Levau, op. cit., p. 238.

91
et la deuxième version s’abstiendra de parler de « réforme agraire », du moins dans sa dimension foncière. Il
ne sera par la suite question que d’une inoffensive « réforme agricole », « évolutive et progressive », qui se
gardera bien en tout cas de toucher aux structures de répartition des terres, et pas davantage aux statuts fon-
ciers, que l’on s’accordait pourtant déjà à reconnaître archaïques, complexes, et défavorables à toute poli-
tique de modernisation...
Si les terres de colonisation officielle (289 000 ha) sont récupérées à partir de 1963, la même année, les
anciens notables collaborateurs avec les autorités du protectorat qui avaient été frappés en 1959 d’indignité
nationale sont amnistiés et leurs biens leur sont restitués. Mais surtout, comme le souligne Paul Pascon, il
parut très vite que ce n’était là à l’évidence qu’une parade destinée à masquer les « mouvements de fond »
qui affectaient les 728 000 ha de terres de colonisation privées qu’on s’interdisait toujours de récupérer, et
dont plus de la moitié sera transférée en toute illégalité à des personnes privées marocaines 1.
Si la production sucrière, lancée en 1962 dans le polygone betteravier de Sidi Slimane produit rapidement
des résultats encourageants, son financement ne tardera pas à se révéler peu soucieux d’équité et de pro-
gressivité : En effet, en mai 1964, le prix du sucre est fortement augmenté pour, explique-t-on officiellement,
« financer la construction des barrages ». Même si le prix en question sera légèrement abaissé quelques
années plus tard, et que, comme on le verra plus loin, la « politique des barrages » sera en fait financée par
bien d’autres sources, internes et externes, on ne peut manquer de constater qu’il y avait là avant tout une
volonté de mettre à contribution la grande majorité de la population consommatrice de sucre – à travers le
thé –, et donc de manière régressive, puisque « aveugle » et insensible aux facultés contributives de chacun.
En ce qui concerne les structures d’encadrement public sur le terrain, on avait crée en 1960 l’Office Natio-
nal d’Irrigation (ONI) pour organiser la mise en valeur dans les périmètres irrigués, puis en 1962 on substitua
à l’ancienne Centrale des travaux agricoles l’Office National de Modernisation Rurale (ONMR), chargé pour sa
part de la mise en valeur des terres bour. En fait, pour avoir exprimé quelques velléités réformatrices, l’ONI
sera dissout en 1965 puis remplacé dans un premier temps par l’Office de Mise en Valeur Agricole (OMVA),
lequel par la même occasion absorbera l’ONMR. L’année suivante, ce dernier sera « éclaté » en 7 offices
régionaux de mise en valeur agricole (ORMVA). Mais comme ces derniers seront exclusivement chargés de
la mise en valeur dans les périmètres de grande irrigation, l’opération reviendra aussi à faire passer à la
trappe l’unique structure qui aurait pu accorder quelque attention au développement dans les zones bour...
Sur le plan de la vie politique du pays, les historiens retiendront que ces années-là marqueront le début
d’une période que l’on s’accorde aujourd’hui à qualifier communément « d’années de plomb » : vagues de
répression contre l’opposition à partir de 1963, explosion populaire réprimée dans le sang à Casablanca en
mars 1965, proclamation de l’état d’exception quelques mois plus tard... C’est dire en tout cas que les nou-
velles orientations de politique agricole qui vont alors être adoptées ne feront l’objet d’aucun débat, ni dans
l’opinion publique, ni même dans une instance représentative quelconque.

1.3. Contexte et fondements de la nouvelle politique agricole

La crise financière qui avait éclaté en 1964 avait conduit les autorités à solliciter l’intervention de la banque
mondiale dont une mission allait diagnostiquer l’économie du pays et notamment souligner l’intérêt pour le
Maroc de tirer parti de ses atouts dans le domaine agricole. Les « recommandations » de cette mission
seront sans doute déterminantes dans la formulation des choix qui vont structurer la nouvelle politique agri-

1. P. Pascon, Le patrimoine de la colonisation privée en 1965 et dévolution des terres de colonisation de 1956 à 1976, In : Question agraire 2,
Bulletin économique et social du Maroc, no 133-134, Rabat, juillet 1977.

92
cole. Au demeurant, à la fin de la même année, la première réunion du Conseil supérieur de la promotion
nationale et du plan, présidée par le chef de l’État, réaffirme la priorité qui sera dorénavant accordée à l’agri-
culture dans les plans de développement.
Ce faisant, il faut reconnaître que cette position tranchait avec l’engouement pour l’industrie que l’on pou-
vait alors observer dans la plupart des pays du Tiers-monde. En cela, le Maroc s’est certes singularisé en
empruntant une voie qui ne correspondait pas nécessairement aux idées reçues de l’époque. Mais les choix
effectués, commandés par des considérations socio-politiques évidentes, vont peser dans la vision que les
responsables auront du développement même de l’agriculture. Certes, celle-ci sera prioritaire et bénéficiera
d’une attention particulière, mais il sera aussi clairement entendu que rien dans ce qui y serait entrepris ne
saurait mettre en cause un ordre fondé sur des structures foncières, sociales et politiques consacrées. Les
« structures » étant ce qu’elles sont, on tâchera donc de faire avec. Les solutions à trouver aux problèmes du
développement agricole, soutiendra-t-on, seront plutôt « techniques » que « politiques ».
Le modèle de développement agricole qui va donc être adopté et mis en œuvre sera profondément mar-
qué par de tels choix et un tel contexte. Il reposera cependant sur une logique propre, poursuivra des objec-
tifs et s’appliquera à déployer des moyens qui lui imprimeront des caractéristiques particulières.
Le point de départ des concepteurs de la stratégie agricole en gestation au milieu des années 60 est un
double constat : le caractère encore « traditionnel » de l’agriculture marocaine et le poids de la contrainte cli-
matique qui pèse toujours sur elle. Ce double constat a très naturellement conduit à l’affirmation d’une
double nécessité : « moderniser » le secteur traditionnel et réduire l’impact des aléas climatiques par la
recherche d’une meilleure maîtrise de l’eau. Cependant, la tâche paraissant immense et les ressources en
capital limitées, il s’agissait impérativement de chercher à les optimiser, ce qui impliquait, selon le Plan trien-
nal 1965-1967, « de distinguer et de hiérarchiser les actions les plus importantes et dont la rentabilité à court
terme ne pourra plus être mise en question » 1.
Maximiser cette rentabilité dans l’agriculture semblait nécessairement passer par l’édification des barrages
pour irriguer la terre, concentrer les efforts sur les « périmètres » qui sont équipés pour recevoir l’eau, veiller
à y constituer des « exploitations viables », aptes à tirer profit de la mécanisation et de l’intensification des
conditions de la production, orienter cette dernière vers les « cultures commerciales » (sucre, oléagineux,
maraîchage, lait, blé tendre, coton...). Ces dernières productions étant plutôt destinées à la satisfaction de la
demande interne, et inscrites dans une perspective de recherche de « l’autosuffisance alimentaire », la pro-
motion des cultures d’exportation (agrumes et primeurs pour l’essentiel) apparaissait tout aussi importante,
et d’autant plus intéressante que le Maroc était censé disposer d’avantages comparatifs appréciables : climat
approprié, proximité des marchés européens, main-d’œuvre bon marché... Outre l’impact bénéfique sur
l’emploi et les revenus, les exportations devaient rapporter au pays de précieuses devises, nécessaires à
l’équilibre de la balance des paiements et au remboursement de la dette extérieure que l’on projetait de
contracter, précisément pour financer les investissements planifiés...
Modernisation et rentabilisation sont donc les deux mots clés de la stratégie qui se met en place. Celle-ci
se veut ambitieuse dans ses objectifs et efficace par ses moyens. Ambitieuse parce qu’en termes de straté-
gie de développement, elle cherche à poursuivre en même temps une stratégie de type « import-substitu-
tion » et une autre de promotion des exportations. Ambitieuse aussi parce qu’elle vise l’irrigation d’un million
d’hectares à l’horizon 2000, grâce à l’édification d’imposants ouvrages hydrauliques, l’équipement systéma-
tique des périmètres dominés par ces ouvrages et un encadrement global et intégré des exploitations s’y
trouvant. Ce que l’on commencera à appeler la « politique des barrages » symbolisera ainsi le projet de déve-
loppement de l’État, sa volonté de répandre le progrès par la maîtrise des « forces de la nature »... Projet de

1. Plan Triennal 1965-1967, Direction Générale à la Promotion Nationale et au Plan, Rabat, 1965, p. 92.

93
l’État certes, mais qui indéniablement trouvera son écho au sein d’une paysannerie pour laquelle l’aléa clima-
tique a de tout temps constitué la préoccupation majeure.
Cette stratégie se veut aussi efficace car ses moyens sont présumés « rationnels », « neutres », essen-
tiellement fondés sur les techniques les plus avancées (celles qui ont fait leurs preuves sous d’autres cieux)
et les critères de productivité et de rentabilité, gages de performance et d’efficience. Modèle d’apparence
technocratique, mais en fait, de par son refus de prendre en compte les structures agraires, et les rapports
sociaux de production, de par les conséquences qu’il aura sur ces mêmes rapports autant que sur la produc
tion elle-même, il s’avérera hautement politique. C’est un futur ministre du Plan, T.Bencheikh, qui disait en
1968 que « la priorité à l’irrigué par rapport au sec est la fille de la technocratie et de la politique » 1.

2. La politique des barrages et ses inflexions (1966-1985)


Le modèle issu de cette approche engendrera une politique qu’on appellera de manière générique « poli-
tique des barrages ». Mise en œuvre à partir du milieu de la décennie 60 2, ce sera une politique volontariste,
globale, et cependant éminemment sélective. Son promoteur et maître d’œuvre sera l’État. C’est lui qui, par
une action massive et multiforme, va multiplier les instruments d’intervention, directs et indirects, destinés à
en assurer l’assise et le succès. Après une première phase de mise en œuvre massive, cette politique
connaîtra cependant certaines inflexions durant les années 70.

2.1. Une politique marquant un engagement massif mais sélectif de


l’État
Massive et multiforme, la politique des barrages a déployé et conjugué différents instruments de politique
publique pour assurer le succès du modèle de développement recherché. Nous examinerons successive-
ment ceux ayant trait aux investissements publics, au code des investissements agricoles, au crédit agricole,
à la fiscalité, aux prix, aux subventions, et au cadre des échanges, internes et externes.

2.1.1. Des investissements publics massifs, concentrés sur la grande irrigation


L’action de l’État s’est d’abord caractérisée par d’importants investissements dans les infrastructures de
base et les équipements de drainage de l’eau. En 1966, le pays ne disposait encore que d’une quinzaine de
barrages de type « grande hydraulique », disposant d’une capacité de retenue inférieure à 2 milliards de m3
d’eau et susceptibles d’irriguer un peu moins de 133 000 ha de terres aménagées 3. Dès 1967, un ambitieux
programme de construction de barrages est engagé, accompagné d’un autre programme d’équipement et
d’aménagement des superficies « dominées » par les ouvrages en question et situées dans 9 périmètres de
grande irrigation.

1. T. Bencheikh, Modèle de planification agricole au Maroc, Bulletin économique Bulletin économique et social du Maroc, no 119, août 1968,
p. 47.
2. Officiellement, la politique des barrages est lancée par le Roi Hassan II lors du discours du 3 mars 1967.
3. Selon les données du Ministère de l’Équipement, en 1956, le Maroc disposait d’une douzaine de grands barrages, 229 000 ha dominés par
ces barrages, mais seulement 72 600 ha aménagés et 40 800 ha effectivement irrigués. Cf. 100 barrages et ce n’est pas fini, In : Agrimaroc 2002,
Dossier, L’Économiste, quotidien, Casablanca, 2 octobre 2002, p. 6.

94
En dépit des vicissitudes de la politique agricole et des difficultés financières de l’État – sur lesquelles nous
reviendrons –, l’activité de construction des barrages sera dans l’ensemble poursuivie à un rythme soutenu. De
sorte qu’une vingtaine d’années plus tard on comptait déjà une soixantaine de barrages, et aujourd’hui, c’est une
centaine de barrages qui est pratiquement entrée en service, avec des superficies dominées à leur aval de
770 000 ha, et une capacité de retenue de près de 15 milliards de m3 d’eau, soit un peu plus de 70 % du potentiel
d’eau mobilisable 1.
L’effort d’équipement des surfaces rendues irrigables par la construction des ouvrages de retenue d’eau a pour
sa part démarré à des niveaux très élevés, avec une moyenne de près de 25 000 ha par an durant le plan quin-
quennal 1968-1972, puis tout au long de la décennie 70, quoique quelque peu en retrait, le rythme s’est maintenu
à un niveau annuel moyen de près de 21 000 ha. Comme on peut le constater sur la figure 1, l’effort d’équipe-
ment s’est ensuite sensiblement réduit, tombant en dessous de moyennes annuelles de 7 000 ha entre 1981 et
1985, de 12 000 ha entre 1986 et 1990, et de 9 000 ha entre 1991 et 1995. Ce n’est qu’à partir de 1996 qu’on
assiste à nouveau à une vigoureuse reprise de la cadence des équipements, avec une moyenne annuelle de
16 500 ha entre 1996 et 2000. Depuis, l’évolution apparaît instable, même si le rythme moyen atteint tout de
même 10 350 ha par an (2001-2004).
Au total, les superficies équipées en grande hydraulique atteignent 682 600 ha en 2004, et si on leur ajoute les
334.130 ha équipés en petite et moyenne hydraulique, on totalise 1 016 730 ha (cf. Figure 2). Selon les données
fournies par le Ministère de l’agriculture, le « million d’hectares » visé en 1967 avait été quasiment atteint en 2001
(le cumul des surfaces aménagées atteignant alors 999 565 ha).
Figures 1 et 2. Évolution et cumul des superficies aménagées par l’État

Le coût d’un tel effort d’investissement a sans doute été considérable pour les finances publiques.
Compte tenu de la multifonctionnalité des barrages, il n’est certes pas aisé d’affecter à l’agriculture une part
déterminée du montant de l’investissement, sans que celle-ci soit plus ou moins contestable. Des études
crédibles portant sur la période 1965-1985 ont cependant permis d’estimer que la part des ressources
publiques attribuée au secteur agricole (y compris les barrages) avait atteint 27.4 % entre 1965 et 1967,
42.9 % entre 1968 et 1972, 24.3 % entre 1973 et 1977, 26.7 % entre 1978 et 1980, et 21.7 % entre 1981 et
1985 2. Même si cette part baisse sensiblement, elle reste cependant élevée.

1. Le chiffre exact des superficies « dominées » en grande hydraulique arrêté à octobre 2004 est de 771.640 ha, répartis à raison de
682.600 ha équipés, et 89 040 ha non aménagés. MADRPM, Recueil de données relatives au secteur agricole, op. cit., p. 92-95.
2. Ministère de l’Agriculture et de la Réforme Agraire, La politique des prix et d’incitation dans le secteur agricole, en collaboration avec Asso-
ciates for International Ressources and Development (AIRD), Rapport final, Rabat, 1986, p. 3.

95
Un calcul sommaire, fondé cependant sur des estimations réalistes, peut aider à se faire une idée sur
l’effort fourni tout au long des cinquante dernières années. En effet, si l’on estime que, en gros, un hectare
aménagé, barrage et équipements compris, aura en moyenne coûté quelques 100 000 dirhams, et en suppo-
sant que l’on ait au total effectivement réalisé l’objectif du million d’hectares irrigués depuis l’indépendance,
on arrive au chiffre de 100 milliards de dirhams...
Même si on laisse de côté la question des barrages, les données les plus récentes fournies par le Minis-
tère de l’agriculture et du développement rural montrent d’abord que le budget d’investissement de ce
département a certes vu sa part dans les investissements programmés au budget général de l’État encore
sensiblement baisser, ne dépassant désormais guère le dixième de l’ensemble. Mais au-delà de son niveau,
c’est la structure de cette « enveloppe » qui reste marquée par un profond déséquilibre. Nous reviendrons
sur cet aspect plus loin (cf. 5.7) pour montrer que le déséquilibre en faveur des investissements dans la
grande hydraulique demeure très important, puisque ceux-ci continuent de s’accaparer en moyenne 55 % de
l’ensemble des investissements dans le secteur 1. C’est dire que même avec des ressources globalement
plus faibles, l’investissement dans la grande irrigation continue de bénéficier de la part du lion de ressources
censées bénéficier à l’ensemble du secteur agricole, et au-delà du monde rural.

2.1.2. Un Code des investissements agricoles pour la modernisation


Pour amener les agriculteurs à relayer l’action de l’État dans les périmètres irrigués et s’engager dans la
dynamique du développement recherché, un code des investissements agricoles est promulgué en 1969. Ce
code devait organiser les conditions de mise en valeur des terres irriguées, favoriser la modernisation des
exploitations et l’intensification de la production. L’État s’engage à accorder des subventions et des primes,
mais aussi des crédits adaptés et à des conditions de faveur, un encadrement et une assistance technique
conséquente, voire dans le cas des « cultures intégrées » la garantie de l’écoulement de la production à des
conditions préétablies.
Au sein des périmètres de grande irrigation, la mise en valeur des terres est décrétée obligatoire et les
agriculteurs doivent y respecter des normes et des modes d’exploitation, ainsi que se conformer à des plans
d’assolement élaborés par l’administration centrale en fonction des objectifs arrêtés globalement pour le
pays. En « contrepartie », un impressionnant dispositif de subventions et de primes est mis en place afin
d’encourager l’acquisition des différents instruments de la modernisation : semences sélectionnées, engrais,
produits phytosanitaires, matériel agricole, matériel d’irrigation, construction d’étables, opérations spéci-
fiques en faveur du verger national (agrumes, oliviers, palmiers) ou de l’amélioration génétique du cheptel...
Les taux des subventions sont compris dans une fourchette allant de 10 à 50 % (toutefois les plus nombreux
varient entre 20 et 30 %).
Certaines dispositions du code à ce niveau ont par la suite été modifiées, se faisant à la fois plus libérales et
plus généreuses durant les années 70 et au début des années 80. Ainsi, en a-t-il été par exemple des engrais
et du matériel agricole dont les taux de subvention étaient à l’origine plus faibles et modulés en fonction de
l’adhésion ou non à une opération contractuelle avec l’État (« Opération engrais », contrat d’assolement,...),
les taux étant plus intéressants dans ce cas pour inciter les agriculteurs à s’y engager. Les taux ou les mon-
tants à l’unité des subventions pour l’achat des semences sélectionnées, du cheptel de race ou de plants frui-
tiers ont également été à la hausse. En fait, en ce qui concerne les engrais et les semences sélectionnées, il
faut dire que dès le milieu des années 70, les subventions étaient devenues systématiques et intégrées dans

1. MADRPM, Recueil de données relatives au secteur agricole, op. cit., p. 99.

96
le prix de vente public (abaissé, grâce à la subvention, en dessous du prix de revient) 1. Par ailleurs, certains
intrants et matériels avaient été ajoutés à la liste bénéficiaire des subventions, comme c’était le cas des pro-
duits phytosanitaires de lutte contre la folle-avoine, des motoculteurs, des matériels de récolte de la betterave
et la canne à sucre, du matériel d’ensilage et de transport de mélasse et du matériel d’irrigation.
L’eau, facteur de production évidemment décisif dans des zones aménagées, bénéficie d’un traitement
encore particulièrement favorable. Le code des investissements agricoles avait clairement affirmé l’engage-
ment de l’État en vue de réduire au « strict minimum » la partie supportée par les agriculteurs du coût de pro-
duction, de transport et de livraison de l’eau d’irrigation. Effectivement, la contribution aux infrastructures de
base fut ramenée de fait à un niveau quasi-symbolique (1 500 dh et une redevance annuelle dont sont
exemptés les petits et moyens exploitants). Les prix de l’eau et les taxes de pompage pour leur part furent
gelés tout au long de la décennie 70 et pour certains périmètres ne furent même pas arrêtés durant la même
période (Souss, Ouarzazate, Loukkos).
Ceci étant, on oublie souvent que le code des investissements agricoles avait aussi annoncé plusieurs pro-
jets de réformes structurelles « complémentaires », en ce sens qu’elles étaient perçues comme étant indis-
pensables pour valoriser le patrimoine foncier au sein des périmètres irrigués et en améliorer les conditions
d’exploitation : limitation du morcellement des terres avec interdiction de toute « opération » – y compris en
cas de succession – susceptibles d’aboutir à des « lots » d’une superficie inférieure à 5 ha, attribution des
terres collectives à leurs ayants droit, transfert à l’État des terres constituées en habous publics en vue de
leur redistribution aux agriculteurs, réforme des baux ruraux avec interdiction des modes de faire-valoir indi-
rects, lois sur le remembrement, l’immatriculation...
Le fait est que pour l’essentiel toutes ces dispositions à caractère structurel sont demeurées inappliquées,
ce qui revenait quasiment à réduire le code des investissements agricoles à sa seule dimension de pour-
voyeur de subventions et d’aides publiques de toute sorte.

2.1.3. Crédit agricole : les deux chaînes de distribution de crédits


Alors que le secteur bancaire privé n’a jamais manifesté un intérêt significatif pour la contribution au finan-
cement de l’agriculture, le vieux système de Crédit Agricole fondé par la colonisation avait fait l’objet d’une
première réforme en décembre 1961, puis celle-ci fut confortée en 1967 par la création du réseau des
Caisses locales du Crédit agricole (au nombre de 57). L’enjeu au fond était la mise en place d’un dispositif de
financement de l’agriculture modulé en fonction des priorités de la politique agricole, et cependant déterminé
par le degré de solvabilité des exploitants demandeurs des crédits.
En effet, il est apparu assez rapidement que deux chaînes de distribution des crédits coexistaient au sein
du système du Crédit agricole. La première, celle des Caisses locales, intéressait les petits agriculteurs dont
le revenu annuel restait relativement bas 2. Ces dernières accordaient des crédits plafonnés et limités par les
capacités de remboursement des clients concernés, ce qui ne permettait que des montants souvent insuffi-
sants même pour financer les seules dépenses ordinaires de campagne. La deuxième chaîne est celle des
Caisses régionales et du siège, réservée aux clients ayant des revenus conséquents, c’est-à-dire aux
moyens et gros exploitants ainsi qu’aux entreprises publiques et privées d’importance et intervenant aussi
bien dans l’agriculture que dans l’agro-industrie. Les exploitants pouvant s’adresser à ces « Caisses »
obtiennent des crédits autrement plus importants et plus en adéquation avec les besoins de leurs unités de
production.

1. De sorte que le taux de subvention devenait variable d’une année à l’autre et plus difficile à connaître avec exactitude.
2. À titre indicatif, moins de 12000 dh en 1987.

97
Compte tenu des règles établies, les masses de crédits sont très inégalement distribuées puisque les
caisses régionales et la caisse nationale en distribuaient à elles seules plus de 70 % 1. Plus grave est le fait
que, compte tenu des mêmes règles établies, le système du crédit agricole excluait plus des deux tiers de
ses clients potentiels, jugés non bancables. À titre d’exemple, en 1985, on comptait 424 570 « clients effec-
tifs » de la CNCA, ce qui représentait 28.9 % des clients potentiels que constituait le million et demi d’exploi-
tants agricoles de l’époque 2. Du reste, même cet effectif ne cessera de baisser par la suite, l’effondrement
étant accentué par les crises répétées des agriculteurs à la suite des sécheresses chroniques des années 90,
à tel point que l’on ne compte plus aujourd’hui que quelques 50 000 clients 3...

2.1.4. La défiscalisation du secteur agricole


Sur le plan de la fiscalité, nous avons déjà noté que la création de l’impôt agricole revenait déjà durant les
années soixante à exonérer les neuf dixièmes des exploitants. Par la suite, le défaut de mise à jour des bases
d’imposition et le maintien des taux à un bas niveau se conjuguaient pour aboutir à un véritable dépérisse-
ment de l’impôt en question. À la fin des années 70, il ne rapportait plus au budget de l’État que quelques 50
à 60 millions de dirhams. D’un dixième environ à la veille de l’indépendance, la part de ces dernières dans les
recettes fiscales était tombée à moins de 0,5 %, et ce au moment où la pression fiscale dans le pays avait
quant à elle doublé (passant en gros de 10 à 20 %).
Par la suite, cet impôt ne sera pas perçu durant les années de sécheresse du début des années quatre-
vingt. Puis vint en 1984 la décision royale exonérant « jusqu’au 31 décembre de l’an 2000, de tout impôt
direct ou futur les revenus agricoles relevant de l’impôt agricole » 4. En 2000, cette exonération sera encore
prorogée jusqu’à l’an 2010... Il faut ajouter que la réforme fiscale réalisée dans le cadre de la politique d’ajus-
tement – entre 1986 et 1990 – n’avait rien changé dans le fond à cette réalité. Mieux, elle ne se contenta pas
seulement de consacrer l’état des choses, mais anticipa en prévoyant déjà en faveur des revenus agricoles
des privilèges fiscaux pour « l’après-2000 » (et maintenant pour « l’après-2010 »...). En effet, les textes de loi
de l’impôt sur les sociétés comme de l’impôt général sur le revenu stipulent que, en tout état de cause, les
bénéfices provenant de l’élevage seront totalement exemptés (ces revenus demeureront donc indéfiniment
soustraits à l’impôt), cependant que les bénéfices provenant des cultures céréalières, oléagineuses,
sucrières, fourragères et cotonnières (soit le produit des neuf dixièmes environ des terres cultivables) auront
droit à un abattement de 50 % avant d’être soumis aux barèmes d’imposition 5.
Au niveau des impôts indirects, on retrouve la même volonté de détaxation de l’activité agricole. Cette
volonté est en fait surtout manifeste au niveau des productions exploitées de manière intensive et/ou desti-
nées à l’exportation. L’objet est d’éviter d’alourdir leurs coûts pour faire pression sur leurs prix et éventuelle-
ment améliorer leur compétitivité sur les marchés extérieurs. En tout cas, à l’amont, les principaux inputs
(engrais, semences, produits phytosanitaires...), le cheptel et les différents matériels agricoles sont exonérés
de la taxe sur la valeur ajoutée (et le cas échéant, le plus souvent aussi des droits et taxes à l’importation). À
l’aval, les produits agricoles vendus à l’état frais ainsi que certains parmi ceux ayant subi une transformation
(pain, lait, huile d’olive) sont également exonérés de la TVA. Cependant, il est vrai que cette exonération

1. À titre indicatif, entre 1981 et 1985, les caisses locales n’avaient en moyenne distribué que 28 % des crédits décaissés par la CNCA. Cf.
Rapports de la CNCA des années correspondantes.
2. N. Akesbi, Les instruments de la politique agricole, in La Grande Encyclopédie du Maroc, Vol. Agriculture et Pêche, 1987, op. cit., p. 167.
3. F.Tounassi, Le Crédit Agricole met le cap sur 2008, L’Économiste, quotidien, Casablanca, 13 décembre 2004.
4. Bulletin Officiel. no 3727, du 4.4.1984.
5. Cf. N. Akesbi, L’impôt général sur le revenu, un impôt en mal de revenus? Revue Marocaine de Développement, Faculté des sciences juri-
diques, économiques et sociales, Université Hassan II, Casablanca, no 24, 1991.

98
laisse souvent subsister des rémanences d’impôts qui s’ajoutent aux coûts de production, et que parmi les
inputs, l’énergie essentiellement, est manifestement surtaxée.
Il reste que, au total, on peut considérer que le secteur agricole a bénéficié – et continue de bénéficier –
d’une large défiscalisation, celle-ci étant supposée constituer un puissant stimulant pour la promotion de
l’investissement privé et la modernisation du secteur agricole.

2.1.5. Politique des prix et des subventions : un interventionnisme régulateur


Toute stratégie d’intégration au marché mondial subit nécessairement sa logique et sa condition majeure
de réussite : la compétitivité, reflet de l’avantage comparatif du pays concerné. Le problème est qu’en ce qui
concerne le Maroc – comme la plupart des pays en développement du reste – l’avantage comparatif ne rési-
dait dans les années 60 et 70 principalement qu’au niveau du coût de la force de travail, seule variable réelle-
ment maîtrisable dans le processus de formation des coûts. Les autres variables (équipements
d’infrastructure, matériel agricole, intrants, commercialisation à l’extérieur...) étaient déjà très largement
importés, et donc subis. Dans ces conditions, la compétitivité passait avant tout par la pression sur les
salaires (et les revenus des petits producteurs), et la capacité de les contenir dans les limites imposées par le
marché international. Or, depuis Ricardo et son concept de « bien-salaire », on sait que dans une situation où
les produits alimentaires continuent de s’accaparer plus de la moitié des budgets des ménages, leurs prix
déterminent le niveau des salaires et plus généralement la rémunération de la force de travail 1. La maîtrise
de cette dernière exigeait donc celle du coût d’acquisition des denrées alimentaires, a fortiori lorsqu’il s’agit
de denrées de base. Chercher à minimiser la première commandait d’agir en conséquence sur le second
pour éviter une modification des prix relatifs de nature à rompre l’équilibre permettant la satisfaction du mini-
mum vital nécessaire à l’alimentation de la population. On comprend dans ces conditions que dès le départ,
l’État ait fait de la politique des prix – et naturellement par là-même aussi des subventions et des salaires – un
outil d’intervention privilégié au service d’une politique de régulation à la fois économique et sociale.
Pour comprendre cette politique dans sa globalité, il est nécessaire de la saisir au moins aux deux stades
essentiels que sont ceux de la production et de la consommation, ne serait-ce que parce que les objectifs
poursuivis à chaque niveau peuvent fréquemment s’opposer. Il en est ainsi parce que, en l’absence de gains
de productivité suffisants, les intérêts des producteurs et des consommateurs sont rarement convergents,
les premiers cherchant à maximiser leurs revenus, les seconds à minimiser leurs dépenses. Comment conci-
lier entre les intérêts des uns et des autres ? Comment assurer des prix « rémunérateurs » pour les produc-
teurs et « supportables » pour les consommateurs, espérant ainsi à la fois inciter à l’accroissement de la
production commercialisable et veiller sur une certaine stabilité des prix à la consommation, nécessaire à la
sauvegarde du pouvoir d’achat de la population et au maintien d’un niveau des salaires compatibles avec les
impératifs de la compétitivité sur les marchés extérieurs ?
À l’image des autres instruments de la politique agricole, la politique des prix à la production s’est voulue
elle aussi, sélective. L’État a cherché à réglementer les prix de certains produits de base tels les céréales, le
lait, et certaines cultures industrielles (betterave, coton, tournesol, etc.), destinées au marché intérieur, et
maintenir libres ceux des produits maraîchers, des agrumes, de l’huile d’olive, produits dont on souhaitait
promouvoir les exportations. Usant de ses prérogatives à l’égard du premier groupe de produits, l’État a
commencé par en geler quasiment les prix jusqu’en 1972-1973. Encouragé par la faiblesse relative des cours
internationaux, il s’était alors mis à jouer la carte de l’extraversion : le recours aux importations de certaines

1. On sait d’ailleurs que, c’est notamment en s’appuyant sur l’analyse d’une telle situation – caractéristique de l’Angleterre du début du
e
XIX siècle –, que Ricardo avait justifié le libre-échange et dénoncé les rentes des propriétaires fonciers maintenues par le protectionnisme...

99
denrées de base paraissant d’autant plus intéressant qu’il permettait de combler à bon marché des déficits
croissants de la production locale d’une part, et d’autre part, de maintenir le bas niveau des prix internes à la
consommation en déversant sur les marchés au moment opportun les quantités nécessaires. Du point de
vue de la production nationale, cette politique s’avérera à courte vue puisqu’elle contribuera à semer les
germes de la dépendance alimentaire, notamment en introduisant de nouvelles habitudes de consommation
fondées sur l’offre externe 1.
Cependant, au début des années 70, cette politique commence à être sensiblement activée. Propagée
notamment par la Banque mondiale, l’idée qui s’impose alors en ce qui concerne les prix à la production veut
que ce soit leur faiblesse qui explique le « désintéressement » des agriculteurs et par conséquent la chute de
la production. Pour redresser la situation, il fallait donc garantir désormais des « prix rémunérateurs » à la pro-
duction. Comme on peut le constater sur les figures 3 à 8 ci-dessous, les prix à la production commenceront
à être substantiellement et régulièrement relevés. Seulement, répercutés à l’aval, ces derniers risquaient fort
de donner lieu à des niveaux de prix à la consommation insoutenables pour une population dans sa grande
majorité appauvrie, et peut-être surtout difficilement compatibles avec la sacro-sainte nécessité de pression
sur les salaires, condition de compétitivité sur les marchés extérieurs.
Comment augmenter les prix à la production et éviter leur répercussion à la consommation? C’est alors que
l’État, fort de son budget, entre en scène : ce sont ses subventions qui allaient permettre d’offrir des prix inté-
ressants aux producteurs et néanmoins maintenir sur les marchés des prix abordables pour les consommateurs.
Il allait désormais prendre en charge la péréquation des prix, ce qui pour l’essentiel revenait à verser aux produc-
teurs et aux transformateurs de quelques denrées alimentaires de base (farine, huile, sucre, lait et beurre) des
subventions pour leur permettre de pratiquer des prix publics inférieurs à leurs prix de revient 2. Pour les importa-
tions, les fluctuations des cours mondiaux aussi étaient « absorbées » par l’action de stabilisation interne.

1. Les cas du blé tendre et de l’huile de graine sont significatifs à cet égard : leur offre sur le marché local à des prix bas et de surcroît infé-
rieurs à ceux des produits traditionnels de substitution (blé dur et huile d’olive) a contribué à en encourager la consommation mais pas la produc-
tion. Ainsi, commença à s’affirmer le divorce entre modèle de consommation et structures productives aptes à le satisfaire.
2. Ce système des subventions était géré par l’Office National des Céréales et des Légumineuses pour les céréales et par la Caisse de
compensation pour les autres produits.

100
Figures 3-8. Évolution des prix officiels des principaux produits
(prix courants)

101
Le système avait fonctionné ainsi plus ou moins bien jusqu’à la fin de la décennie 1970. Alors que les prix
officiels à la production étaient régulièrement relevés et que les cours mondiaux – pour les produits importés
– fluctuaient, les prix intérieurs à la consommation étaient largement stabilisés. Le coût pour les finances
publiques n’était pas insignifiant mais néanmoins supportable – en moyenne 6 % des dépenses de l’État
entre 1974 et 1979 –, d’autant plus que les ressources financières (les phosphates, relayés ensuite par les
emprunts extérieurs) ne faisaient pas défaut.
Cependant, au tournant des années 80, la forte hausse des cours mondiaux et les difficultés financières
aiguës du pays vont imposer une remise en cause de cette politique avant même l’entrée en vigueur offi-
cielle de la politique d’ajustement structurelle. Dans un premier temps, et dans le cadre de la politique de sta-
bilisation et de retour aux équilibres fondamentaux, les relèvements des prix à la consommation auront avant
tout pour but de réduire le poids relatif des subventions 1 et partant le déficit budgétaire. Par la suite, et
comme on le verra plus bas, l’action fera partie d’une réforme d’ensemble des systèmes de prix et d’incita-
tions, dans une perspective d’affirmation des mécanismes du marché et du principe de « vérité des prix ».

2.1.6. Le cadre des échanges : des efforts d’organisation sélectifs


Les efforts de l’État en vue d’organiser le cadre des échanges des produits agricoles a également été lar-
gement sélectif. On peut en tout cas aisément constater que si, vis à vis de l’extérieur, la protection faisait
partie d’une orientation générale de politique économique et financière, qui n’était donc pas nécessairement
spécifique au secteur agricole, en ce qui concerne les conditions de commercialisation de la production agri-
cole locale, les pouvoirs publics s’étaient attachés à organiser et favoriser l’écoulement des productions privi-
légiées par leur politique générale, et ce faisant, ont largement négligé les autres.
Ainsi, à l’intérieur du pays, la commercialisation des cultures industrielles, sucrières et oléagineuses en
particulier, promues dans le cadre des contrats de culture, a bénéficié d’une organisation relativement effi-
cace, avec un circuit réduit au minimum (n’impliquant quasiment que le producteur, l’Office régional de mise
en valeur, et l’usine de transformation), et des prix généralement intéressants, comme on l’a vu plus haut. Le
lait a bénéficié d’une organisation, reposant sur l’établissement de centres de collecte dans les zones de pro-
duction intensive, qui s’est révélée performante. Le blé tendre a eu droit lui aussi à une attention qui est allée
croissante : les coopératives de commercialisation (SCAM et CMA, orientées et soutenues par l’État),
avaient pour directives de prendre livraison de cette céréale au prix officiel garanti, ce qui était utile surtout
lorsque les prix du marché étaient bas et naturellement dans la limite des quantités commercialisées dans le
« circuit officiel ». Or, si les possibilités de collecte de ces coopératives étaient souvent limitées par leurs
capacités financières, celles-ci pouvaient être sensiblement élargies selon les circonstances, notamment
durant les années de bonne récolte, pour éviter l’effondrement des prix et le préjudice qui pouvait en résulter
pour les agriculteurs contraints d’écouler rapidement leurs récoltes.
Le marché des autres denrées alimentaires par contre, de l’orge et du blé dur aux fruits et légumes en pas-
sant par les légumineuses, l’huile d’olive et les viandes – rouge et blanche –, n’a fait l’objet d’aucun effort
d’organisation et d’assainissement. Si bien que les circuits de commercialisation dans le pays continuent
aujourd’hui encore de se caractériser le plus souvent par une grande complexité, une désorganisation qui frise
l’anarchie, et surtout une multiplication abusive d’intermédiaires plus ou moins spéculateurs qui s’accaparent
une bonne partie de la « valeur ajoutée » au détriment à la fois des producteurs et des consommateurs.
C’est en fait en direction de l’extérieur que l’État a indéniablement déployé le plus d’efforts pour favoriser
l’écoulement des produits destinés à l’exportation. Dès 1965, il crée l’Office de Commercialisation et

1. Objectif qui sera d’ailleurs atteint puisque les subventions à la consommation représenteront désormais moins de 2 % des dépenses de
l’État et 0,5 % du PIB.

102
d’Exportation (OCE), qui détiendra jusqu’en 1985 le monopole de l’exportation des principales denrées
concernées (agrumes, primeurs, huile d’olive, conserves végétales et animales...). Cet Office pourra surtout
mettre ses puissants moyens matériels et humains au service de la prospection des marchés extérieurs et
assurer aux producteurs des conditions de vente relativement avantageuses. En 1969 est signé le premier
accord d’association avec la Communauté économique européenne, accord renouvelé en 1976 et élargi à un
plus grand nombre de produits agroalimentaires. Son intérêt premier est de chercher à garantir l’accès des
produits en question au marché communautaire. L’adhésion de l’Espagne et du Portugal à la CEE en 1986
conduira à son « adaptation » en 1988, l’objectif pour le Maroc étant alors, dans un contexte de protection-
nisme communautaire croissant, à tout le moins, de « préserver les acquis » en termes de volume d’exporta-
tions.
Cependant, outre ses ambitions exportatrices, la « politique des barrages » ayant aussi comporté une
dimension « import-substitution » assez marquée, on comprend que l’on ait assez rapidement ressenti le
besoin d’une protection conséquente de la production locale. À l’instar du modèle industriel en vogue à l’épo-
que, l’agriculture, ou plutôt une certaine agriculture – celle que l’on voulait promouvoir dans les périmètres
d’irrigation pour satisfaire la demande interne – était aussi « naissante », et, encore dans « l’enfance », avait
besoin d’être protégée de la concurrence internationale. Cette protection allait donc s’affirmer d’abord à tra-
vers des restrictions quantitatives puisque l’importation de la plupart des produits agricoles était soumise au
système des « licences », lui-même fortement encadré par des quotas strictes et préalablement déterminés.
De plus, la protection était aussi tarifaire, avec des droits de douane dont les niveaux dépassaient fréquem-
ment 100 %, et allant même quelquefois au-delà de 300 %. Enfin, notons qu’une politique de taux de change
plus ou moins surévalué conduisait souvent à renforcer cette protection.

2.2. Premiers résultats et premières inflexions (1975-1985)

Les premiers résultats des efforts, surtout d’investissement et d’encadrement, engagés durant la
deuxième moitié des années 60, n’avaient pas tardé à voir le jour. Mais les premiers doutes et les premières
interrogations aussi.

2.2.1. Les premiers résultats


D’abord en quelques années, les capacités de stockage et de régulation des ressources hydriques
s’étaient sensiblement accrues. Entre 1967 et 1974, les capacités de retenue d’eau dans les barrages
avaient été presque multipliées par trois, passant d’un volume de 2 milliards à 5.9 milliards de m3, dont 56 %
étaient du reste réservés à l’agriculture 1. Dans les périmètres de grande irrigation, les superficies aména-
gées s’étaient durant la même période étendues de près de 180 000 ha, ce qui revenait à un accroissement
de plus de 130 % par rapport à la situation qui existait en 1967 2.
Au niveau de la production, celle de la betterave à sucre en particulier, largement promue dans les périmètres
irrigués, avait considérablement augmenté, atteignant près de 1.8 million de tonnes en 1975, et 2.5 millions

1. Association nationale des améliorations foncières, de l’irrigation et du drainage (ANAFID), L’irrigation au Maroc, Edino, Rabat, 1987, tableau
p. 11.
2. Les superficies en question étaient passées de 132 933 ha à 308 628 ha en 1974. Cf. MADRPM, Recueil de Données Relatives au Secteur
Agricole, op. cit., p. 92.

103
de tonnes l’année suivante, de sorte que le taux d’autosuffisance en sucre, qui était quasiment nul encore au
début de la décennie 60, atteignait déjà près de 50 % au milieu de la décennie suivante. En matière d’oléagi-
neux, la production de tournesol qui n’atteignait en moyenne guère 9 millions de tonnes durant la deuxième
partie de la décennie 60, grimpait déjà à une moyenne de 20 millions de tonnes durant le quinquennat sui-
vant. Les principales productions maraîchères et fruitières avaient également augmenté dans des propor-
tions plus ou moins importantes 1, et il en allait de même pour la production laitière qui avait elle aussi bondi
de 38 % entre 1967 et 1975.
L’accroissement d’une partie de la production, son orientation vers des spéculations assez fortement utili-
satrices de main d’œuvre, le relèvement des prix à la production à partir du début de la décennie 70, ce sont
là autant de facteurs qui, dans les périmètres irrigués, ont par ailleurs contribué à une certaine amélioration
des conditions de l’emploi et des revenus de la population.

2.2.2. Premières interrogations et premiers doutes


Les premiers résultats qui viennent d’être rappelés intervenaient cependant dans un contexte général du
pays qui était pour le moins agité. Les deux coups d’État successifs de juillet 1971 et Août 1972, suivis par le
soulèvement armé à l’est du pays en mars 1973, mettaient en évidence les fragilités du régime politique, et
l’impérieuse nécessité dans laquelle il se trouvait d’explorer les voies et moyens d’une certaine « réconcilia-
tion » avec la population et ses élites alors largement engagées dans l’opposition. L’annonce – enfin – de la
récupération des terres de colonisation privée le 3 mars 1973 s’inscrit dans cette perspective. Cette mesure,
pendant de la « marocanisation » dans l’industrie et les services, comportait au moins une double vertu pour
l’État : elle répondait à une vieille revendication populaire qui ne pouvait qu’être favorablement accueillie par
l’opinion et les forces du mouvement national, et en même temps mettait à sa disposition une nouvelle
« réserve » de terres dans laquelle il pouvait à nouveau puiser pour opérer de nouvelles « distributions » tou-
jours politiquement fructueuses, ainsi que s’assurer de nouvelles alliances ou en renouveler d’autres...
Cette récupération tardive des terres de colonisation privée avait d’abord permis de confirmer les mouve-
ments de transferts illégaux qui les avaient amputées de plus de la moitié de leur superficie : Sur les
728 000 ha recensés à l’indépendance, quelques 400 000 ha avaient déjà été cédés directement par les
anciens colons à de nouveaux acquéreurs marocains, échappant ainsi à l’opération de récupération officielle 2.
Il reste que les terres ainsi reprises ont pu d’une part être confiées à deux nouvelles sociétés d’État pour leur
gestion (SODEA et SOGETA 3), et d’autre part alimenter le fond de réserve des terres destinées aux distribu-
tions épisodiques engagées de temps à autre depuis l’indépendance. Inscrites dans le cadre de la « Révolu-
tion agraire » annoncée par le Roi en septembre 1972, celle-ci seront en effet accélérées durant le
quinquennat suivant, puis s’arrêteront définitivement. Lorsque le bilan officiel sera établi par la suite, on saura
que les distributions auront concerné au total un peu plus de 320 000 ha et bénéficié à quelques 24 000 attri-
butaires, soit moins de 2 % de la population des « exploitants agricoles » recensés alors 4.

1. Entre les périodes 1968-70 et 1971-75, en moyenne, les productions maraîchères avaient augmenté de 23 % et celles agrumicoles de
10 %
2. P. Pascon, Le patrimoine de la colonisation privée en 1965 et dévolution des terres de colonisation de 1956 à 1976, In : Question agraire 2,
Bulletin économique et social du Maroc, no 133-134, Rabat, juillet 1977.
3. Société de Développement Agricole (SODEA) et Société de Gestion des Terres Agricoles (SOGETA). En principe on avait attribué à la pre-
mière les terres plantées et à la seconde les terres nues.
4. Le bilan officiel établi en 1987 avançait les chiffres de 321 000 ha et 24.233 attributaires (Grande Encyclopédie du Maroc, Volume Agri-
culture et Pêche, 1987, op. cit., p. 17), alors que le document établi par la DPAE du Ministère de l’agriculture en 2004 avance les chiffres de
324 000 ha et 23 000 bénéficiaires (Recueil de données relatives au secteur agricole, op. cit., p. 190).

104
Mais au delà des péripéties politiques, sinon politiciennes, un débat de fond sur la stratégie agricole était
désormais entamé, chargé d’un flot des premières interrogations qui commencèrent à se faire de plus en
plus insistantes, mettant en question, sinon en cause les choix effectués quelques années plutôt 1. Les inter-
rogations se situaient à différents niveaux, et portaient autant sur les conséquences, voire les dérives du
« modèle » adopté, que sur ses fondements et ses caractéristiques de base. Ainsi commençait-on déjà à se
demander si l’option retenue de privilégier la grande hydraulique, au détriment de la petite et moyenne
hydraulique, était judicieux. Ne fallait-il pas rechercher un meilleur équilibre entre les deux, équilibre qui
devait d’abord s’exprimer en termes d’allocation de ressources ? Précisément à propos de ces dernières,
chacun pouvait aisément apprécier les risques que l’on prenait en concentrant autant de ressources sur des
espaces nécessairement limités, et l’ampleur des disparités de toute sorte qui allaient en découler.
Ces disparités étaient certes d’abord spatiales : au moins un tiers de l’ensemble des investissements
publics bénéficiaient à moins de 350 000 ha, soit moins de 5 % des terres cultivables. Elles étaient aussi
culturales : en face des quelques productions qui étaient favorisées, dans les périmètres irrigués en parti-
culier, nombreuses et importantes étaient celles qui restaient négligées, et pour ainsi dire laissées pour
compte : blé dur, orge, légumineuses, oliviers, palmiers dattiers, élevage extensif... Elles étaient encore
sociales : ce sont des rapports de la Banque mondiale qui montreront que non seulement le nombre des
bénéficiaires des coûteux projets hydro-agricoles étaient extrêmement limités, mais que, de surcroît, ils
s’avéraient fortement discriminatoires, bénéficiant avant tout et largement aux exploitants aisés et bien
dotés en facteurs de production, à commencer par la terre 2...
Les questions d’articulation entre les rythmes de construction des ouvrages de base à l’amont, et d’amé-
nagement et d’équipement des surfaces « dominées » à l’aval commençaient également à être discutées,
tout comme l’étaient aussi les choix faits en matière de systèmes d’irrigation, de gestion et d’entretien des
réseaux, de respect des plans d’assolement, de recouvrement des redevances d’eau et de participation
directe des agriculteurs à la valorisation des terres mises en irrigation...
On commençait aussi à prendre conscience du fait que le secteur irrigué, à supposer même qu’il puisse
atteindre son plein potentiel de production, et à l’exception de quelques productions (industrielles, horticoles,
laitières) « ne pouvait offrir une contribution déterminante pour l’autosuffisance alimentaire du pays » 3. D’ail-
leurs, l’apparition pour la première fois en 1974 d’un déficit au niveau de la balance commerciale agroali-
mentaire fut reçu comme une véritable douche froide, alors que l’objectif était précisément de couvrir les
« autres déficits » par les excédents de cette dernière... Dès lors, la question de l’autosuffisance alimentaire
devenait encore plus cruciale, et les moyens de l’atteindre objet de nouvelles interrogations : Ne fallait-il pas
aller la rechercher aussi, et peut-être principalement – « en dehors des périmètres » ? Ne fallait-il pas accor-
der plus d’attention et d’intérêt aux immenses terres situées en zones bour, de parcours et de montagne

1. Sur ce débat, cf. Ba Mamadou Samba, Quelques aspects des investissements publics consentis à l’agriculture au Maroc depuis l’indépen-
dance, mémoire de 3e cycle, Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat, 1979; N. Bouderbala, J. Chiche, A. Herzenni et P. Pascon, La
question hydraulique, 1, Rabat, 1984; H. Popp, La question hydraulique, 2 – Effets socio-géographiques de la politique des barrages au Maroc,
Rabat, 1984; N.Akesbi, De la dépendance alimentaire à la dépendance financière, l’engrenage, Afrique et Développement, Revue du Codesria,
vol. X, no 3, Dakar, 1985.
2. Selon les estimations d’une mission de la Banque mondiale, tous les investissements dans les périmètres d’irrigation durant la période du
Plan 1973-77 avaient bénéficié seulement à 140 000 personnes, soit à peine 1.3 % de la population rurale. Par ailleurs, sur la base de projets
typiques, la même mission avait estimé que le gain net de revenu par exploitation était de 3.908 dh pour les 43 % des exploitations ayant moins
de 2 ha, et de 51.325 dh pour les 4 % des exploitations ayant plus de 20 ha, soit 13 fois plus... Cf. Banque mondiale, Maroc : Rapport sur le déve-
loppement économique et social, Washington DC, 1981, p. 182-185.
3. M.Anechoum (Ministère de l’Agriculture), Le développement intégré en bour, In : La Grande Encyclopédie du Maroc, Volume Agriculture et
Pêche, Grandes Éditions du Maroc, Rabat, 1987, p. 83 (l’auteur donne à titre d’exemple le cas des céréales : une fois équipées, l’ensemble des
terres irrigables ne pourraient assurer que 10 à 14 millions de quintaux, « soit à peine plus de 10 % de la demande à l’horizon 2000 ».

105
pour les valoriser et mieux en exploiter le potentiel ? Ne fallait-il pas dépasser la démarche purement « tech-
nicienne » et en tout cas trop partielle avec de simples « opérations » (« Opération labour » entre 1957 et
1962, « Opération Engrais » entre 1966 et 1973...), pour adopter une approche plus « globale », notamment
en termes de « filières » et de « développement intégré » ?
Toutes ces interrogations allaient finalement aboutir à deux inflexions dans le cours de la politique agricole
durant les années 70, inflexions qui n’allaient toutefois rien modifier à ses « fondamentaux » ni même s’affir-
mer durablement pour commencer à produire des résultats significatifs. Nous les évoquerons cependant
brièvement ici, parce que nous croyons qu’elle auraient pu contribuer à mieux équilibrer, et finalement amen-
der les principales orientations de la politique agricole.

2.2.3. Les inflexions des années 70 : plans sectoriels et projets intégrés


La première inflexion a en fait recherché une certaine rationalisation de l’organisation de la production dans
le temps et dans l’espace, à travers une planification qui se voulait à la fois conséquente et intégrée. Échau-
dés par l’affirmation de la dépendance alimentaire du pays, les responsables allaient pour la première fois ins-
crire dans le Plan 1973-77 parmi ses objectifs principaux « la satisfaction des besoins du pays en produits
agricoles de base ». Les plans d’assolement dans les périmètres de grande irrigation, qui trouvaient dans ce
même plan leur première formulation officielle, allaient concrétiser cette préoccupation puisqu’ils compre-
naient principalement les cultures céréalières à « haut rendement », les cultures industrielles, les cultures
fourragères, le maraîchage et l’arboriculture fruitière 1. Cependant en 1975, le Ministère de l’Agriculture
publiait un document sur « L’irrigation au Maroc » où les objectifs de l’État dans les périmètres irrigués
étaient encore mieux précisés : les superficies céréalières devaient baisser d’un tiers environ et leur part
dans le total des terres irriguées devait diminuer de moitié (par rapport à la situation existante au début de la
décennie 70). En revanche, les superficies réservées aux cultures industrielles (sucre, coton) et fourragères
devaient être multipliées par 5 à 6, et celles occupées par le maraîchage et les vergers d’agrumes et d’oli-
viers devaient presque doubler. En fin d’aménagement, les espaces cultivables dans les périmètres irrigués
devaient se répartir de la manière suivante, par ordre décroissant des proportions du total : 25.9 % pour les
fourrages, 23.8 % pour les céréales (y compris le riz), 17.4 % pour les plantations, 13.4 % pour les cultures
maraîchères, 12.7 % pour la betterave sucrière, et 6.6 % pour le coton 2.

1. Secrétariat d’État au Plan et au Développement Régional et à la formation des Cadres, Plan de développement économique et social 1973-
1977, Direction du Plan, Rabat.
2. Ministère de l’Agriculture et de la Réforme Agraire, L’irrigation au Maroc, Rabat, 1975, p. 19.

106
Figure 9. Répartition des surfaces des périmètres irrigués en fin d’aménagement

Pour donner un contenu concret à ce dessein, toute une série de « plans sectoriels » allaient progressive-
ment voir le jour : Plan sucrier en1974, Plan laitier en 1975, Plan d’action primeurs en 1979, Plan oléagineux
en 1981, « Programmes d’action » dans le secteur céréalier en 1982, Plan fourrager en 1986... Ces plans
étaient généralement fondés sur une analyse de l’évolution de l’équilibre offre / demande du produit en ques-
tion, une évaluation du potentiel de production, la détermination des objectifs à poursuivre, et la formulation
des moyens à mettre en œuvre pour les atteindre.
Ce qui est remarquable avec le recul du temps, c’est de constater à quel point les objectifs étaient souvent
ambitieux, ou du moins « décalés » par rapport aux moyens effectivement mis en œuvre pour les atteindre.
Ainsi, à titre d’exemple, on rappellera que selon le plan sucrier, le pays devait atteindre l’autosuffisance en sucre
en 1984; la production laitière selon le plan laitier devait atteindre 3.2 milliards de litres en 2000; quant aux expor-
tations de tomates selon le plan primeurs, elles devaient s’élever à 244 000 tonnes en 1983 1... Certes, certains
parmi ces plans feront l’objet par la suite de plusieurs ajustements à la baisse, tandis que d’autres demeureront
au stade des bonnes intentions (comme ce sera notamment le cas du plan céréalier et du plan oléagineux...).
L’autre inflexion procède directement du constat de l’énorme déséquilibre qui était en train de se creuser
dangereusement entre zones bour et zones irriguées. Pour l’histoire, on notera que c’est la même Banque
mondiale, qui avait tellement promu la « politique des barrages » depuis le milieu des années 60, qui se met-
tra à tirer la sonnette d’alarme une dizaine d’années plus tard... Il faut dire que « La banque » est alors en
pleine « ère Mc. Namara », avec toute la sensibilité « sociale » qui l’avait caractérisée durant cette période.
On comprendra donc que, pour s’en tenir au domaine qui nous occupe ici, ses experts aient été particulière-
ment perspicaces pour mettre en évidence les déséquilibres de toute sorte générés par l’excessive polarisa-
tion sur les zones de grande irrigation, que nous avons déjà évoqués ci-dessus (en citant précisément les
rapports de la Banque mondiale..) 2. En écho à ces nouvelles préoccupations, dans le Plan 1978-1980, on

1. Cf. Les productions végétales, In : La Grande Encyclopédie du Maroc, Volume Agriculture et Pêche, Grandes Éditions du Maroc, Rabat,
1987, pp. 126-138.
2. En plus du rapport déjà cité, voir : Banque mondiale, Rapport sur le secteur et les perspectives de développement des zones bour (Docu-
ment non publié, 1395b) Washington DC, avril 1977; Banque mondiale, Rapport sur le secteur agricole du Maroc; Problème du secteur et straté-
gie de la Banque (Document non publié), Washington DC, décembre 1979.

107
commencera par se contenter de reconnaître que l’effort a été trop sélectif et trop concentré sur l’irrigation
de superficies fort limitées. Le plan 1981-1985 ira un peu plus loin et plaidera en faveur « d’une répartition
optimale des moyens entre le bour et l’irrigué » 1.
Si cette prise de conscience n’aboutit pas à remettre en cause la « politique des barrages », elle conduit
durant les années 70 à un plus grand intérêt pour les vertus de l’investissement en bour. D’autant plus que,
au-delà du désir d’éviter une excessive marginalisation de la plus grande partie du monde rural, entrait en
compte une autre considération d’une importance politique et stratégique capitale : il s’agissait de fixer la
population rurale dans ses terroirs et partant éviter une accélération de l’exode rural dont on craignait les
conséquences, notamment dans les grandes agglomérations urbaines... L’idée qui commence alors à faire
son chemin est que le développement est une dynamique nécessairement globale et intégrée. Les perfor-
mances économiques des exploitations sont autant liées aux conditions d’intensification de la production
qu’à celles du bien-être des producteurs, ce qui signifie que pour fixer la population là où elle était, il fallait
s’occuper à la fois de ses conditions de travail et de ses conditions de vie, les unes déterminant les autres et
inversement.
Cela donnera lieu, à partir de 1975, à l’apparition dans différentes zones bour d’une série de projets dits
« intégrés » parce que, outre la dimension économique et technique traditionnelle (investissement sur
l’exploitation, mécanisation, utilisation d’engrais et de semences sélectionnées, traitements phytosanitaires,
crédits...), s’ajoutait d’autres dimensions essentielles qui étaient sociales, organisationnelles, voire écolo-
giques : construction de routes, d’écoles, de dispensaires, électrification rurale, adduction d’eau potable,
aménagement de Souks, organisation professionnelle, conservation des sols, reboisement...
Pendant un peu plus d’une dizaine d’années seront donc lancés huit projets officiellement appelés « de
développement agricole intégré de l’agriculture en sec » à travers différentes régions du pays : Fès Karia
Tissa ; Oulmès Rommani ; El Hajeb, Abda-Ahmar, Settat, Haut-Loukkos ; Moyen Atlas Central, Had Kourt...
Bien sûr, le contenu spécifique des projets et leurs objectifs dépendront des caractéristiques propres à
chaque zone tant au niveau agricole que socio-économique. C’est ainsi que, sur le plan agricole, certains pro-
jets seront principalement orientés vers l’intensification des cultures végétales et de l’élevage semi-intensif
(comme ceux de Karia-Tissa et Oulmès-Rommani) ; d’autres vont privilégier l’amélioration pastorale sur des
terres collectives ou domaniales (Moyen-Atlas), d’autres encore s’attacheront à la conservation des sols et la
lutte contre l’érosion et l’intensification des productions existantes (Loukkos). Au niveau socio-économique,
la priorité semble partout avoir été donnée au désenclavement des zones de projet, avec l’ouverture ou
l’amélioration de chemins tertiaires et de pistes rurales. La deuxième grande priorité aura été l’eau potable,
l’électrification et la construction de centres de santé ou de dispensaires et d’écoles. Enfin un intérêt parti-
culier est accordé à la formation des techniciens chargés d’assurer l’encadrement des agriculteurs dans les
zones de projet.

Au total, on estimait en 1987 que ces projets concernaient une superficie totale de 2.7 millions d’hectares
(dont près de 1.6 million d’hectares de surface agricole utile), un peu plus de 200 000 agriculteurs, et nécessi-
taient une enveloppe globale de près de 4 milliards de dirhams 2.

En somme, avec cette double inflexion, le modèle de développement agricole semblait à partir du milieu
des années 70 évoluer en s’orientant vers une combinaison mieux équilibrée des stratégies de promotion

1. Cependant, s’ils en appellent à « plus d’attention à l’irrigation en sec », les rédacteurs du Plan, prudents, n’en oublient pas moins de préci-
ser : « sans toutefois freiner le développement des périmètres irrigués ». Cf. Secrétariat d’État au Plan et au Développement Régional, Plan de
développement économique et social 1981-1985, volume II, Direction du Plan, Rabat, 1986, p. 91.
2. M. Anechoum, Le développement intégré en bour, In : La Grande Encyclopédie du Maroc, Volume Agriculture et Pêche, Grandes Éditions
du Maroc, Rabat, 1987, pp. 83-86.

108
des exportations et de substitution aux importations d’une part, et un arbitrage moins marqué en faveur des
périmètres de grande irrigation et au détriment des zones d’agriculture pluviale et de la petite et moyenne
hydraulique. Si cette orientation avait pu prendre le temps de s’affirmer, s’étendre de manière significative,
et commencer à produire des résultats tangibles sur le terrain, probablement qu’elle aurait abouti à une situa-
tion meilleure que celle à laquelle nous avons abouti aujourd’hui...
Mais l’avènement des politiques d’ajustement structurel durant les années 80 créera une situation nou-
velle dont les plans sectoriels et les projets de développement intégrés en sec seront les premières victimes.
Les projets de développement intégré seront abandonnés sans avoir fait l’objet d’une véritable évaluation cri-
tique pour en déterminer les limites et en tirer les leçons.
Reposant sur une intervention active et constante de l’État, la politique conduite jusqu’au milieu des
années 80 a été jugée excessivement « dirigiste », et l’on comprend qu’elle ait rapidement constitué un ter-
rain privilégié des réformes entreprises dans le cadre des programmes d’ajustement structurel.

3. La politique d’ajustement structurel dans le secteur agricole


(1985-1993)

Au tournant des années 80, l’économie marocaine connaît une crise majeure. Le surendettement, les défi-
cits budgétaires et commerciaux, les pénuries de réserves de devises en sont des expressions, certes spec-
taculaires, mais fragmentaires du mal profond d’un « modèle de développement » qui n’avait de toute
évidence guère réussi à atteindre les objectifs qu’il s’était lui-même assignés. Toujours est-il que, acculé à
demander le rééchelonnement de sa dette extérieure, le pays doit s’engager, officiellement en 1983, dans la
mise en œuvre d’une politique d’ajustement structurel, en étroite collaboration avec le Fonds monétaire
international et la Banque mondiale qui en accompagnent le financement.

3.1. Orientations générales et premières mesures tangibles

La politique d’ajustement structurel gagne le secteur agricole à partir de 1985. Elle portera d’abord le nom
de Programme d’Ajustement à Moyen Terme du Secteur Agricole (PAMTSA) et sera soutenue principale-
ment par des crédits de la Banque mondiale et des accords d’assistance technique. Elle sera par la suite
matérialisée à travers différents Prêts/Programmes à l’Ajustement du Secteur Agricole (PASA.1 et 2), à
l’Amélioration de la Grande Irrigation (PAGI.1 et 2), et à l’Investissement dans le Secteur Agricole (PISA.1 et
2) 1.
Ces programmes s’inscrivent d’abord dans le cadre des objectifs généraux de la politique d’ajustement
dans son ensemble : réduction de l’engagement financier de l’État, libéralisation des structures de produc-
tion et d’échange pour en développer l’ouverture sur l’économie mondiale et y adapter l’allocation des res-

1. Pour une présentation détaillée de ces programmes et une évaluation de cette politique, Cf. N.Akesbi, Politique d’ajustement structurel
dans le secteur agricole, approche macro-économique, In : FAO-MAMVA, Impact du programme d’ajustement structurel sur le développement du
secteur agricole, tomes 1 & 2, Rabat, mai 1997; Voir également le Rapport de synthèse de la même étude (J.P.Foirry); Voir encore : M.Bouanani,
L’ajustement structurel agricole, Table ronde organisée par l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II et Wye College (GB), sur le thème : Les
politiques d’ajustement structurel et leurs impacts sur l’agriculture irriguée au Maroc, Agadir, 22-23 octobre 1992, In Hommes, Terre et Eaux,
Revue Marocaine des Sciences et Techniques du Développement Rural, vol. 22, no 89, Rabat, décembre 1992.

109
sources à la logique du marché. Ils se distinguent cependant par l’accent mis sur l’amélioration de
l’affectation des ressources, l’encouragement à l’augmentation de la productivité agricole, le désengage-
ment de l’État des activités où il avait été auparavant largement présent, et une attention particulière à la for-
mation de compétences d’analyse et d’encadrement dans l’administration.

Parce que l’État s’était considérablement engagé dans l’agriculture d’irrigation en particulier, un aspect
majeur des programmes d’ajustement en question va consister à organiser les conditions de son désengage-
ment des espaces et surtout des modes d’intervention liés à la politique précédente. On peut à peu près syn-
thétiser les nombreuses actions et mesures prévues dans les différents programmes à travers les trois axes
de réforme suivants :
- La redéfinition du rôle des organismes publics d’intervention et la soumission de leur gestion aux impéra-
tifs du marché,
- L’élimination des obstacles aux échanges intérieurs et extérieurs (notamment des monopoles, quotas et
autres réglementations restrictives au commerce des produits agricoles),
- La suppression des subventions de l’État aux facteurs de production et l’affirmation d’une politique de
« vérité des prix » à la production et à la consommation.

Le citoyen, en milieu urbain comme en milieu rural, retiendra d’abord ce dernier aspect de la nouvelle poli-
tique qui se mettait en place. Avant même l’entrée en vigueur officielle des programmes d’ajustement struc-
turel, la politique des prix et des subventions des années 60 et 70 fut brutalement remise en cause à travers
de fréquentes et fortes hausses des prix à la consommation des produits alimentaires de base soutenus par
l’État. En dépit de leur grande impopularité 1, les hausses des prix se sont succédées tout au long des
années 80 à un rythme plus ou moins soutenu. Comme on peut le constater sur la figure suivante, sur
l’ensemble de la période 1960-2004, la « rupture » des années 80 est tout à fait remarquable puisqu’elle
tranche non seulement avec la période qui l’avait précédée, mais aussi avec celle qui suivra. En effet, entre
1980 et 1990, les prix de la farine de blé (dite « nationale »), du sucre, de l’huile de graines et du lait ont res-
pectivement augmenté de 100 %, 71 %, 112 % et 141 % 2. En revanche, à l’exception du lait (qui sera libéra-
lisé en 1993), les principaux produits en question verront à nouveau leurs prix quasiment gelés à partir de
1989-90.

1. Laquelle du reste dégénéra à plusieurs reprises en « émeutes de la faim », sévèrement réprimées par les Autorités, notamment à Casa-
blanca en 1981, à Tétouan en 1984 et à Fès en 1990...
2. Ces proportions ainsi que la figure 9 reposent sur les données contenues dans : MADRPM, Préparation du Rapport du Cinquantenaire,
Recueil de données relatives au secteur agricole, Rabat, octobre 2004, p. 40-45.

110
Figure 9. Évolution des prix à la consommation des principaux produits de base

Ces premières mesures tangibles d’augmentation des prix n’étaient souvent pas prises dans le cadre de
programmes spécifiques, même si leur « inspiration » figurait en bonne place dans les programmes d’ajuste-
ment négociés avec les Institutions internationales concernées.
Quant aux programmes d’ajustement proprement dits, les deux principaux couvriront théoriquement la pé-
riode 1985-1993. Ce sont ces deux programmes, appelés PASA 1 et PASA 2, qui seront ce-dessous présen-
tés et commentés.

3.2. Le premier programme d’ajustement structurel agricole (PASA 1)

Le PASA.1, soutenu par un prêt de la Banque mondiale de 100 millions de dollars, devait se déployer
durant les années 1985-1987, et visait plus la « préparation du terrain » des réformes « leur mise en œuvre
effective » 1. Ainsi, des études devaient être réalisées, des « zones pilotes » identifiées et des « services
d’appui » renforcés. Certes, des mesures allant dans le sens des réformes poursuivies ont été prises mais
sont restées assez partielles, comme celles qui étaient censées réduire les subventions et tendre vers la
« vérité des prix » (hausses des prix des engrais, du son et de la pulpe de betterave à sucre), ou rationaliser

1. Banque Mondiale, Prêt à l’ajustement du secteur agricole (no 2590-MOR) – PASA, Rapport d’achèvement du projet, Washington DC, 22 juin
1988, 75 p + annexes; Ministère de l’Agriculture et de la Mise en Valeur Agricole, Récapitulatif des mesures et réformes prévues dans le cadre du
PASA, du PISA et de la stratégie du développement agricole, Direction de la Programmation et des Affaires Économiques, Rabat, 1994.

111
l’intervention de l’État (amélioration du taux de recouvrement des redevances d’eau d’irrigation, fermeture
de stations de recherche de l’INRA, fermeture de points de vente publics d’engrais...). On trouvera ci-
dessous, sur le tableau 1, un état récapitulatif des « mesures d’ajustement » prises dans le cadre des deux
programmes PASA 1 et 2, durant la période 1984-1994.
Trois mesures prises dans le cadre du premier programme méritent cependant d’être soulignées. La pre-
mière concerne la cession au secteur privé des services de santé animale. La deuxième implique les Offices
régionaux de mise en valeur agricole qui reçurent en 1987 autorisation de transférer progressivement au sec-
teur privé la plupart des prestations à caractère commercial qu’ils assuraient, pour se consacrer essentielle-
ment à l’équipement hydraulique, à la gestion des réseaux et à la vulgarisation. Enfin, la troisième mesure a
consisté en la création en 1986 d’un Fonds spécial au niveau du Trésor appelé Fonds de Développement
Agricole (FDA), confié à la Caisse Nationale de Crédit Agricole pour sa gestion. Inscrit dans une perspective
de modernisation et de rationalisation de la politique d’incitation de l’État, le FDA avait pour mission d’inté-
grer les différents programmes d’encouragements financiers de l’État, de collecter de nouvelles ressources,
et d’en assurer une distribution optimale compte tenu des orientations de l’État, lesquelles insistaient désor-
mais sur quelques domaines prioritaires : intrants agricoles, intensification de la production animale, équipe-
ment des exploitations agricoles, aménagements fonciers....
Une autre mesure qui concerne le commerce extérieure agricole, doit également être soulignée, même si
elle n’a pas été prise, du moins formellement, dans le cadre du PASA 1. Il s’agit de la décision prise en 1985
de démonopoliser les activités d’exportation de produits agricoles – frais et transformés – confiées une ving-
taine d’années auparavant à l’Office de Commercialisation et d’exportation (OCE). Il faut dire que cette déci-
sion intervenait alors que les secteurs concernés, en tout cas celui des primeurs, et dans le Souss en
particulier, connaissaient depuis quelques années une véritable « petite révolution » technologique avec
l’introduction pour la première fois au Maroc des cultures sous-serres, l’utilisation de nouvelles semences à
haut rendement, le recours à des techniques d’intensification sophistiquées (fertigation, traitements appro-
priés...) 1. Parallèlement à cette « démonopolisation », un « Établissement Autonome » (EACCE) était créé
pour prendre en charges les fonctions de « coordination et de contrôle des exportations » précédemment
assumée par l’OCE. À partir du début de l’année 1996, des groupes d’exportateurs privés commencèrent
donc à se constituer et, même s’il ne disparaissait pas, l’OCE devenait un exportateur, plutôt mineur, parmi
une dizaine d’autres.

1. N. Akesbi, L’agriculture marocaine d’exportation et l’Union européenne, du contentieux aux nouveaux enjeux, Annales Marocaines
d’Économie, Rabat, no 13, automne 1995.

112
Tableau 1. Principales mesures d’ajustement
Mesures-prix

Politique * Dévaluations dont celle de 9.25 % en 1990


de change * Baisse régulière du taux de change réel jusqu’à un niveau d’équilibre en 1994
Politique * Réduction des restrictions quantitatives en 1984 (sauf produits agricoles
commerciale stratégiques : céréales, sucre, oléagineux, viandes, lait et dérivés)
* Réduction et rationalisation des droits de douane en 1984, 1992 et 1993
* Prélèvements à l’importation pour produits agricoles sensibles en 1992
* Suppression des taxes à l’exportation à partir de 1984
* Suppression de l’obligation de licence d’exportation en 1986 (sauf pour les produits spécifiques : farine de
blé, sucre, huiles végétales)
* Simplification des formalités administratives à partir de 1984
* Adhésion au GATT en 1987
* Mise en place d’équivalents tarifaires en 1993-1994
Politique des prix * Libéralisation progressive de 1982 à 1986, sauf pour 6 produits agricoles (blé, tendre, farine nationale, pain,
huiles, sucre, thé vert) et quelques intrants (eau, électricité, combustible, semences sélectionnées, produits
et honoraires vétérinaires, docks et silos, entrepôts frigorifiques)
* Prix de détail restant contrôlés : farine, huile, sucre
* Prix au producteur contrôlés : blé tendre, betterave, canne à sucre, tournesol
* Réduction de la subvention des semences (1988)
* Suppression de la subvention aux engrais (1990)
* Libéralisation des prix à la production du blé dur, orge, maïs (1990), lait (1993)
* Baisse des subventions à la consommation : pain, sucre, huile, produits laitiers
* Élimination des subventions : beurre, lait, farine, produits pétroliers
* Augmentation des tarifs publics : eau, électricité, transports
* Facturation des services commerciaux des ORMVA
* Augmentation du taux de recouvrement de l’eau : 63 % en 1986, 77 % en 1994
* Introduction de la TVA en 1986 et exonération des intrants et produits agricoles
Politique de crédit * Relèvement des plafonds de crédits à l’exportation
* Désencadrement du crédit en 1991
* Augmentation des taux d’intérêt réels

Mesures budgétaires

* Baisse de la part des dépenses de fonctionnement et d’investissement consacrés à l’agriculture


(en termes réels et en proportion du budget total et du PIB
* Baisse significative des subventions de fonctionnement
* Rationalisation des aides à l’investissement
* Dépenses indirectes importantes à destination du monde rural
* Pas d’augmentation des dépenses des collectivités locales

Réformes institutionnelles

* Suppression de monopoles : à l’exportation (OCE), à l’importation de sucre (ONTS)


* Fermeture de 80 % des points de vente publics d’engrais, de 20 stations de recherche INRA
* Transfert au secteur privé des services commerciaux des ORMVA
* Privatisation de nombreuses entreprises, mais recul pour CMGTA et difficultés pour d’autres : FERTIMA et sucreries
* Privatisation des services vétérinaires (1987) et de l’insémination artificielle (1989)
* Retrait des services de soutien et d’encadrement des cultures intégrées dans l’irrigué (1991)
* Libéralisation progressive de la production de semences
* Aménagement du code des investissements dans le sens de l’extension du domaine des subventions
(en amont et en aval de la production) et de la réduction des obligations des producteurs
* Création d’associations d’usagers de l’eau
* Cessions au secteur privé d’une partie des terres publiques

Source : FAO-MAMVA, Impact du programme d’ajustement structurel sur le développement du secteur agricole,
Rapport principal, Rabat, mai 1997, p. 25-26.

113
3.3. Le deuxième programme d’ajustement structurel agricole, PASA 2

Parce qu’il devait s’attaquer à des problèmes de fond, le PASA. 2 devait se fixer dès le départ des objectifs
ambitieux, dont notamment l’élimination des restrictions commerciales, à l’importation en particulier, et la
suppression des subventions à la consommation des denrées de base, accompagnée de la libéralisation des
secteurs et filières concernés (farine de blé, sucre, huiles alimentaires) 1. En fait, la réalisation de ces objectifs
allait rapidement apparaître plus difficile que prévu, et en dépit de divers « assouplissements », le pro-
gramme prendra du retard et ne sera exécuté que partiellement.
Le bilan d’exécution qui sera établi en 1994 montrera que les réformes réalisées sont loin d’être négli-
geables, mais que celles considérées parmi les plus « sensibles », et aussi les plus décisives, ne l’ont pas
été 2. Ainsi, la libéralisation à l’importation de la plupart des produits alimentaires transformés et de nombreux
autres denrées agricoles avait été poursuivie, même si les niveaux de protection restaient plus élevés que
prévu (avec notamment des droits de douane de 45 % au lieu de 35 % au maximum pour les autres pro-
duits). Le monopole de l’Office National du Thé et du Sucre en matière d’importation et de commercialisation
du sucre ainsi que celui de « Burapro » (Bureau d’Approvisionnement) pour l’importation des graines oléagi-
neuses avaient été supprimés. À l’intérieur, une nouvelle loi avait été adoptée, portant sur la réorganisation
du marché des céréales et des légumineuses, et y instaurant notamment le principe de la liberté du com-
merce. À l’exception du blé tendre, la commercialisation et les prix – à la production comme à la consomma-
tion – avaient été libéralisés. Il en fut de même pour le lait et les produits laitiers, dont le processus de
libéralisation des prix fut achevé en 1993.
Au niveau des principaux intrants, la libéralisation de la commercialisation et des prix des engrais devint
effective à partir de 1990, accompagnée de la suppression des subventions correspondantes. Une libéralisa-
tion partielle de la production et des importations des semences certifiées fut engagée, le secteur privé y
prenant une part croissante. En ce qui concerne la production animale, la libéralisation des prix et de la com-
mercialisation du son de blé et de la pulpe de betterave sucrière fut progressivement réalisée en 1987 et
1988, et la privatisation des services vétérinaires fut achevée dans toutes les zones (à l’exception des
« zones marginales »).
Des efforts en vue de l’amélioration des conditions de gestion de l’eau d’irrigation furent entrepris et les
résultats obtenus furent considérés encourageants : le taux de recouvrement des redevances d’eau avait pu
être relevé à 73 % en 1992 3, et on réussit également à recouvrer une part plus importante des coûts
d’exploitation et d’entretien des installations d’irrigation. Par ailleurs, une nouvelle loi sur l’eau avait été adop-
tée au Parlement en juillet 1995, avec pour ambition de rationaliser l’utilisation des ressources en eau à tra-
vers une gestion globale et adéquate 4. Cette loi annonçait aussi la création d’une part d’un « Conseil
supérieur de l’eau et du climat », auquel revient l’élaboration des orientations générales de la politique natio-
nale en la matière, et d’autre part des « Agences de bassin » chargées de la gestion territoriale des res-
sources hydriques du pays.
Ceci étant, ce qui n’a pas été réalisé parmi les objectifs arrêtés et donc non atteints, apparaît, qualitative-
ment surtout, fort important. C’est ainsi qu’en ce qui concerne les cinq groupes de produits de base (dits
stratégiques), la libéralisation de leurs importations et leur tarification à la frontière n’avaient pu être mise en

1. Banque Mondiale, Deuxième prêt à l’ajustement du secteur agricole, Rapport d’évaluation rétrospective, 1995, 47 pages + annexes; Minis-
tère de l’Agriculture et de la Mise en Valeur Agricole, Récapitulatif des mesures et réformes prévues..., 1994, op. cit.
2. Banque Mondiale, Deuxième prêt à l’ajustement du secteur agricole, Rapport d’évaluation rétrospective..., 1995, op. cit.
3. MADRPM, « Recueil de données relatives au secteur agricole », op. cit, p. 104.
4. Loi no 10-95 du 16.8 1995, B.O. no 4325 du 20.9.1995.

114
œuvre. Après plusieurs reports, il avait fallu attendre l’engagement pris dans le cadre de l’Accord de Marra-
kech de l’OMC, en avril 1994, pour procéder à la conversion des protections non tarifaires en protections tari-
faires, avec des niveaux des « équivalents tarifaires » suffisamment élevés pour que la libéralisation
« physique » des importations ne menace guère la production locale 1. De toute façon, à l’aval, la commer-
cialisation et les prix intérieurs des filières de blé tendre/ farine nationale, du sucre et des huiles de graines
resteront réglementées et partant subventionnées 2. Si les prix des huiles de graines ont fini par être libérali-
sés seulement en 2001, ceux de la farine et du sucre restent à ce jour réglementés. À l’amont, les prix à la
production des semences sélectionnées des céréales restent également encore subventionnées et partant
contrôlés par les pouvoirs publics.
Aucun des multiples projets de réforme du code des investissements agricoles n’a pu voir le jour. Même si
les taux de récupération ou de recouvrement des coûts de l’irrigation ont pu être quelque peu améliorés, ils
sont restés en deçà des niveaux requis. À l’égard des terres bour, les projets de réforme d’ensemble promis
non plus n’ont guère pu aboutir. Si l’on a tout de même adopté en 1994 deux lois, une relative aux périmètres
de mise en valeur en bour (no 33-94, dite des PMVB 3), et une autre qui interdit le morcellement des terres
dans les mêmes « périmètres » 4, les programmes projetés pour le remembrement et le cadastre, ainsi que
l’étude du système de crédit foncier, n’ont pu être réalisés, étant liés les uns et les autres à la promulgation
de nouveaux textes fonciers sur le bour. De son côté, le patrimoine sylvicole n’a guère été mieux servi puis-
que la loi-cadre forestière promise n’a guère vu le jour non plus.
Enfin, notons que l’on n’a pas réussi mieux en ce qui concerne la maîtrise et la réallocation des ressources
publiques affectées à l’agriculture, notamment au niveau des investissements publics qui devaient se redé-
ployer plus au profit des petites exploitations et en dehors des périmètres de grande irrigation...
Au total, le deuxième programme d’ajustement a fait l’objet d’une évaluation qui, au-delà de la conven-
tionnelle appréciation « globalement positive », a reconnu que « la plupart des clauses spécifiques du prêt ont
été remplies », mais que « la libéralisation des marchés et des sous-secteurs qui devaient faire l’objet de
réformes est toutefois loin d’être achevée ». Les experts de la Banque mondiale qui avaient procédé à cette
évaluation reconnaissaient que l’une des principales raisons de cet état de fait résidait dans une certaine sous-
estimation de « l’aptitude des grands groupes de pression marocains, notamment dans les secteurs agro-
industriels, à organiser une résistance aux réformes qu’ils jugeaient aller à l’encontre de leurs intérêts » 5.
Le Rapport d’achèvement du deuxième programme d’ajustement structurel, remis aux responsables en
septembre 1994, reconnaît l’apparition d’un phénomène de « fatigue des ajustements », phénomène
« exprimé à la fois par la Banque et le MARA, étant donné que tant le secteur privé que le secteur public
attendent avec impatience des nouveaux investissements et la croissance, après des années d’efforts en
matière de réforme » 6.

1. Ces équivalents tarifaires ont notamment été arrêtés à 190 % pour le blé tendre, à 224 % pour le blé dur, à 211 % pour le sucre, à 311 %
pour l’huile végétale raffinée, à 315 % pour la viande bovine, à 115 % pour le lait...
2. Il est vrai cependant que les volumes des subventions en question ont été contenus dans les limites de 10 millions de quintaux pour la
farine nationale et 2000 DH par tonne de sucre.
3. Dès le départ, ces PMVB apparaissaient comme une « nouvelle mouture » des projets de développement intégré des années 70 et 80,
mais à une échelle réduite, celle de la Commune rurale.
4. Loi no 34.94 relative à la limitation du morcellement des propriétés agricoles situées à l’intérieur des périmètres d’irrigation et des péri-
mètres de mise en valeur en bour, B.O. no 4323 du 6.9.1995.
5. Ailleurs, dans le même rapport, on peut lire : « Dès le déblocage de la deuxième tranche [du prêt], il était devenu clair aux responsables de
la Banque que les rivalités entre différents segments du Gouvernement et les groupes d’intérêt organisés compliqueraient le déblocage des
tranches et le processus de libéralisation. Parce qu’il n’a pas été possible de résoudre ces problèmes, plusieurs réformes importantes n’ont pas
pu être menées de la manière escomptée ». Cf. Rapport d’évaluation rétrospective, 1995, op. cit., p. 6,10 et 23.
6. Banque Mondiale, Deuxième Prêt à l’ajustement du secteur agricole, Rapport d’achèvement d’exécution, Washington DC, 12.9.1994, 40 p, p. 27.

115
Cette « fatigue des ajustements », en fait déjà perceptible dès le début des années 90, conduira « la
Banque » à orienter ses nouveaux prêts vers le financement de divers programmes d’investissements dans
le secteur agricole, ce qui donnera lieu aux deux prêts, PISA 1 et PISA 2, couvrant la période allant jusqu’en
1997 1. Mais du côté des autorités marocaines, la sortie officielle en 1993 des programmes d’ajustement
structurel sous l’égide du Fonds monétaire international, mais plus encore la succession de deux années de
sécheresse semblait les amener à souhaiter prendre un peu de recul vis-à-vis d’une politique qui, en dépit de
sa prétention à être « structurelle », n’en restait pas moins trop focalisée sur des mesures ponctuelles et
contenues dans les limites d’un horizon temporel plutôt « court ». Le temps des « ajustements » était-il
révolu ? celui des « Stratégies » était-il venu ?

4. Le temps des stratégies (1993-2004)

« Notre paradoxe est que nous ne cessons depuis un quart de siècle d’élaborer des « stratégies », et pour-
tant, aujourd’hui encore, nous n’en avons aucune ! ». Cet aveu d’un ancien ministre de l’agriculture pourrait
en fait être celui de n’importe quel observateur objectif de la politique agricole marocaine depuis des décen-
nies.
S’il est en effet une récurrence tout à fait remarquable dans l’histoire de la politique agricole du Maroc
depuis près d’un quart de siècle, elle est dans ce scénario devenu tout à fait « classique » : tout commence
par une succession d’années de sécheresse, laquelle amène les responsables à constituer un « groupe de
réflexion » et commander çà et là différentes « études », le tout devant aboutir à l’élaboration d’une « Straté-
gie », et même d’un « Plan d’action », lesquels finissent par être effectivement réalisés... Mais entre-temps,
la « pluie » est revenue, et / ou le gouvernement a changé, et curieusement, ce qui était encore quelque
temps auparavant une ardente nécessité, sinon une « priorité absolue », s’évanouit dans les arcanes de
l’Administration et des cabinets ministériels... Soudain, plus personne n’en parle, et les volumineuses études
préparées pour « éclairer les décisions » vont rejoindre celles qui les avaient précédées dans les « placards »
des administrations concernées, et rendez-vous est pris pour la prochaine succession d’années de séche-
resse...
Nous voulons ici relater l’histoire de ce type de « scénario » parce que, au delà des faits, nous croyons
qu’elle est très instructive, puisqu’elle nous renseigne sur un des aspects les plus importants du « mal maro-
cain » durant l’ensemble de l’expérience des cinquante dernières années. Cette histoire d’une véritable infla-
tion de « stratégies » qui ont toutes pour point – et destin – commun de rester « sur le papier » dès lors
qu’elles avaient fini d’être élaborées, nous semble tout à fait significative, et même symbolique de la « mal
gouvernance marocaine » : un comportement politique quasi-exclusivement commandé par la « conjonc-

1. Le premier prêt d’investissement dans le secteur agricole (PISA 1, 1991-1993), avait été conçu pour financer une partie du budget d’équipe-
ment du Ministère de l’Agriculture d’une part, et soutenir différentes réformes dans les domaines organisationnels et budgétaires, et les sous-
secteurs de l’élevage et de l’irrigation. Le deuxième prêt (PISA 2, 1994-1997) appuie un programme d’investissements, en l’occurrence celui qui a
été arrêté pour le secteur agricole pendant la période considérée. Tout en œuvrant à l’accroissement de l’efficacité des investissements sous sec-
toriels, il s’inscrit dans une orientation de consolidation des programmes d’ajustement antérieurs, de développement du secteur privé et d’amélio-
ration de la gestion du secteur public. Cf. Banque Mondiale, Deuxième prêt aux investissements dans le secteur agricole (PISA II), Rapport d’éva-
luation, Washington DC, 27 mai 1994, 71 p; Ministère de l’Agriculture et de la Mise en Valeur Agricole, Récapitulatif des mesures et réformes
prévues dans le cadre du PASA, du PISA et de la stratégie du développement agricole, Direction de la Programmation et des Affaires Écono-
miques, Rabat, 1994.

116
ture » et le traitement par « les études et la médiatisation » du problème du moment, aussitôt oublié dès lors
qu’un nouveau problème se présente et nécessite un nouveau « traitement » par la constitution de nouvelles
« commissions », ou « groupes de réflexions », le lancement de nouvelles « études » et de nouvelles cam-
pagnes médiatiques...
Déjà au début des années 80, la sévère sécheresse qui avait alors sévi dans le pays avait alerté les respon-
sables au plus haut niveau de l’État quant aux risques inhérents à la méconnaissance d’un tel phénomène, et
à la nécessité d’une réflexion « stratégique » sur la question alimentaire à un horizon de long terme. Des
experts étrangers se penchèrent sur l’histoire séculaire des sécheresses au Maroc, et une équipe pluridisci-
plinaire de cadres marocains travailla pendant plusieurs années sur une « Stratégie alimentaire... » 1. Le pro-
blème est que, lorsque le travail était achevé, la pluie était revenue, et la « stratégie alimentaire » ne semblait
intéresser plus personne dans les sphères décisionnelles, par ailleurs déjà toutes engluées dans les maré-
cages des mesures d’ajustement structurel, et des « programmes » dont les horizons ne pouvaient dépasser
trois ans...
Au début de la décennie suivante, la sécheresse était de retour. Le Premier Ministre de l’époque s’inquiète
à nouveau et demande au « Ministère de l’Agriculture et de la Réforme Agraire » d’organiser une réflexion
devant aboutir à l’élaboration d’un plan d’action « en termes de développement rural » 2. Cet accent mis sur
le développement rural s’inscrivait alors dans une conjoncture internationale et nationale qui le rendaient
indispensable. Au niveau international, cette période correspondait à l’affirmation du thème du « développe-
ment humain » soutenu notamment par le Programme des Nations Unis pour le Développement, et systé-
matisé dans ses rapports annuels avec la publication de l’Indicateur du Développement Humain (IDH) et le
classement des différents pays en fonction de son niveau. Dans le rapport mondial sur le développement
humain 1991 précisément, le Maroc est classé au 108e rang, sur un total de 160 pays, derrière des pays voi-
sins ou comparables tels l’Algérie, la Tunisie ou la Jordanie 3... À l’échelle nationale, la fin officielle en 1993
des programmes d’ajustement conduits par le FMI favorisait une évaluation critique du bilan de la décennie
qui venait de s’achever 4. Alors que les experts de la Banque mondiale préparaient leur fameux rapport sur la
« crise cardiaque » qui menaçait la stabilité du pays et de son économie 5, au Maroc, même les plus ardents
défenseurs de la politique d’ajustement structurel commençaient à reconnaître que son « coût social » se
révélait de plus en plus lourd...
Dans le monde rural en particulier, le même rapport du PNUD précédemment cité indiquait que, au Maroc
et en moyenne durant la période 1980-1988, la population vivant en dessous du seuil de pauvreté représen-
tait 37 % de la population totale, et en milieu rural, cette proportion atteignait même 45 % 6. Des études et
enquêtes conduites au début de la décennie 90 mettaient en évidence l’ampleur des « dégâts » et partant du

1. Ce groupe avait produit une dizaine de documents. Cf. Groupe d’étude de la stratégie alimentaire, Étude de la stratégie alimentaire maro-
caine : 1. Analyse de la situation actuelle et projection, Projet de rapport de synthèse, Rabat, janvier 1984 (133 p + annexes); 2. Nature et contenu
des options et des actions, Rabat, octobre 1985, (7 documents totalisant 689 p); 3. Potentialités de production alimentaire, Rabat, juillet 1986,
24 p.
2. Certes, on peut noter que le « Plan d’orientation 1988-1992 » avait déjà érigé « le développement du monde rural » en priorité, l’objectif
étant « d’améliorer les conditions de vie et de travail des populations rurales et de tendre vers l’autosuffisance alimentaire » (Lettre royale au Pre-
mier Ministre définissant « l’itinéraire de ce que devra être l’action économique du gouvernement dans les prochaines années », Le Matin du
Sahara, 12 mai 1987). Cependant, outre le fait que ce « plan » n’était qu’un « itinéraire » à titre essentiellement indicatif, chacun sait que, en pleine
période d’ajustements structurels, les esprits, comme les moyens, étaient ailleurs...
3. PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 1991, éd. Economica, Paris, 1991, p. 137-139.
4. Cf. Bilan décennal du programme d’ajustement structurel et perspectives de l’économie marocaine, Actes du Colloque international de
l’Association des Économistes du Maroc, 1-3 octobre 1993, Annales Marocaines d’Économie, no spécial, Rabat, janvier 1994.
5. Banque mondiale, Royaume du Maroc : Mémorandum économique – Vers une augmentation de la croissance et de l’emploi, Rapport
no 14155-MOR, Washington, DC, 1995.
6. PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 1991, op. cit., p. 171.

117
sous-développement qui y condamnait encore près de 52 % de la population à des conditions de vie tout à
fait déplorables 1 : 57 % des localités y étaient encore totalement enclavées, 11.9 % à peine des foyers
ruraux étaient pourvus d’électricité, et la proportion qui avait accès à l’eau courante était quasiment insigni-
fiante (1.6 % des ménages ruraux), 19 % seulement des localités rurales disposaient d’écoles primaires, et
guère plus de 3 % des mêmes localités disposaient de « postes de santé »... Comment ne pas comprendre
que, dans ces conditions, les inquiétudes des uns et des autres aient été largement justifiées ?

4.1. Une première « Contribution » à une stratégie de développement


rural (1993)

Au cours du printemps 1993, une « Commission Interministérielle » est constituée. L’approche « inter-
ministérielle » apparaît bien adaptée puisque le développement rural est conçu de prime abord comme étant
une œuvre multidimensionnelle, impliquant forcément différents départements de l’Administration, celui de
l’agriculture certes, mais aussi ceux des travaux publiques, des eaux et forêts, de l’éducation, de la santé, du
commerce et de l’artisanat, du tourisme... Dans cette vision, le Ministère de l’Agriculture va assez rapide-
ment produire un document comprenant sa « Contribution... à une stratégie du développement rural » 2.
Dans un « premier dossier », le document présente « l’espace rural » et procède à un « bilan des actions de
développement », et dans un « deuxième dossier », il propose des « éléments pour une stratégie de déve-
loppement rural ».
Cette dernière, fondée sur des projections à 2020 de la démographie, la demande d’emploi et la demande
alimentaire, décline des orientations générales pour le développement rural et des orientations spécifiques
pour le secteur agricole. Les premières, au nombre de trois, portent d’abord sur l’éducation de base et la for-
mation professionnelle, ensuite sur le développement de l’infrastructure socio-économique et l’amélioration
des conditions de vie du monde rural, et enfin sur le développement des ressources agricoles et l’améliora-
tion du revenu des agriculteurs. Les secondes, au nombre de trois également, tracent les objectifs straté-
giques du développement agricole : Objectifs de « Sécurité alimentaire jusqu’à l’horizon 2020 » (désormais
c’est ce concept qui se substituera à celui de « l’autosuffisance alimentaire »...) ; Objectif de valorisation des
productions (par l’agro-industrie et l’exportation) ; Objectif de conservation des ressources.
Des « Instruments de politique agricole » sont ensuite proposés (allant de la politique des prix et des reve-
nus à celle de « l’atténuation du risque agricole », en passant par la formation professionnelle, les structures
foncières ou l’organisation professionnelle...), et des orientations « sectorielles », ou plutôt « zonales » sont
ensuite détaillées (Programme national d’irrigation, développement des zones bour, zones de parcours,
zones forestières, zones de montagne). Enfin, une troisième partie va même jusqu’à préciser la « procédure
de mise en œuvre » de la stratégie présentée, ainsi que les « mesures et actions d’appui pour le développe-
ment rural » : mesures d’ordre institutionnel, législatif et réglementaire, technique, administratif, économique
et financier...
Fort de cette première « contribution », le Département de l’agriculture – devenu entre-temps de « la mise
en valeur agricole » et non plus de la « réforme agraire » – constitue en 1994 une Commission spécifique au

1. Cf. Ministère de l’Agriculture et de la Réforme Agraire, Contribution du Ministère de l’agriculture et de la réforme agraire à une stratégie de
développement rural, Premier Dossier, Rabat, 1993, 47 p, p. 2-6.
2. Ministère de l’Agriculture et de la Réforme Agraire, Contribution du Ministère de l’agriculture et de la réforme agraire à une stratégie de
développement rural, Deuxième Dossier, Rabat, 1993, 63 p.

118
secteur, avec pour mission d’élaborer une « Stratégie pour l’agriculture à l’horizon 2020 ». Quelques mois
plus tard, un document portant quasiment ce même titre voit le jour 1.

4.2. Premier projet d’une Stratégie pour l’agriculture à l’horizon 2020


(1994)

Après avoir brièvement rappelé l’évolution du secteur agricole dans les contextes national et international,
et y avoir inscrit « l’option libérale » comme un résultat naturel, les auteurs affirment que la nouvelle stratégie
privilégie des concepts nouveaux, désormais « fondement de l’économie agricole » et qui sont : la vérité des
prix, l’esprit d’entreprise, l’organisation professionnelle et le redéploiement des interventions de l’État. La
stratégie proprement dite commence par l’énoncé des nouvelles orientations, au nombre de quatre :

1. Contribuer à la sécurité alimentaire


2. Intégrer les marchés international et national
3. Augmenter et sécuriser le revenu des agriculteurs
4. Préserver et valoriser les ressources naturelles.

Ces orientations, précise-t-on, « remplacent les quatre objectifs traditionnels de la politique agricole :
l’autosuffisance alimentaire, l’équilibre de la balance commerciale, l’augmentation du revenu des agriculteurs
et l’atténuation des disparités régionales » 2 Chacun des nouveaux objectifs est présenté non comme un
renoncement mais comme un élargissement et un dépassement du précédent. Celui de la sécurité ali-
mentaire en particulier est justifié par le processus de mondialisation et de libéralisation des échanges qui ont
gagné aussi les produits agricoles, avec la conclusion des accords du GATT de 1994. « À l’avenir, explique-
t-on, le même objectif de sécurité alimentaire sera obtenu non seulement à partir de la production nationale
mais en s’adressant au marché extérieur. (...) La sécurité alimentaire n’est pas en contradiction avec l’objectif
d’autosuffisance : elle en est le prolongement logique et historique. Le but est le même, les moyens d’y par-
venir, seuls, diffèrent » 3.
Ceci étant, la mise en œuvre de ces orientations doit se traduire pour l’ensemble des secteurs productifs
par la poursuite d’objectifs communs, au nombre de six : 1. Respecter les vocations de l’espace rural et
exploiter le potentiel de production ; 2. Conquérir les marchés intérieur et extérieur ; 3. Exploiter les res-
sources des technologies existantes et intensifier l’effort d’innovation ; 4. Mettre en place des filières opéra-
tionnelles et, 5. des observatoires économiques ; 6. Contrôler la santé et la qualité. Sont ensuite passées en
revue les différentes filières (des céréales aux « productions marginales », en passant par le sucre, les
viandes et les fruits et légumes...), chacune faisant l’objet d’un diagnostic rapide puis de la présentation des
« perspectives » ou des « lignes stratégiques ». Enfin sont clarifiés des aspects relatifs à la politique des prix
et d’incitations ainsi qu’aux réformes structurelles (problème foncier, gestion de l’eau, financement de l’agri-
culture).
La nouvelle stratégie devant être mise en œuvre conjointement par le département de l’agriculture et les
« professions de l’agriculture », une deuxième courte partie du document qui la présente s’attache à identi-
fier les missions des deux partenaires en question, et notamment à expliquer comment l’État doit « préparer

1. Ministère de l’Agriculture et de la Mise en Valeur Agricole, Une Stratégie pour l’agriculture – 2020 – Propositions », 109 p, Rabat, août 1994.
2. MAMVA, Une Stratégie pour l’agriculture..., 1994, op. cit., p. 9.
3. Ibid, p. 10.

119
les agriculteurs à être des entrepreneurs par la formation et l’organisation professionnelle », répondre aux
besoins des producteurs et des consommateurs, aménager le milieu rural et le sauvegarder. La profession
de son côté doit s’organiser dans des structures crédibles et efficaces, étudier la demande et préparer des
stratégies de développement à l’échelle d’une filière ou d’un terroir.
Enfin, la dernière partie du document s’applique à expliquer comment la stratégie agricole peut et doit
s’insérer dans le développement rural, ce dernier étant complémentaire et interdépendant avec le déve-
loppement de l’agriculture.

Quelques mois après la parution de la première version de la « Stratégie 2020 », un autre document voit le
jour – en décembre 1994 –,et porte le titre cette fois de « Plate-forme pour une stratégie agricole » 1. Cette
« plate-forme » reprendra pour l’essentiel le contenu du premier document (août 1994), en se contentant de
l’amender sur quelques points de détail. Par la suite, ce même document donnera lieu à un autre qui s’atta-
chera pour sa part à examiner les conditions « d’intégration de l’agriculture aux marchés national et inter-
national » 2...
Dans la foulée de cette dynamique sont organisées du 19 au 21 décembre 1994 à Rabat les « Premières
journées d’études sur le développement rural », journées pendant lesquelles les multiples problèmes du
monde rural sont présentés sous différents angles et discutés. Les départements ministériels concernés
présentent aussi chacun sa « contribution » au développement rural, conformément au cadre élaboré l’année
précédente 3. Les débats, souvent animés, voire passionnés, permettent cependant de conforter l’approche
globale et intégrée du développement rural.
Cette effervescence commence tout de même à produire en 1994 et 1995 quelques résultats tangibles : la
loi relative aux périmètres de mise en valeur en bour et la loi sur l’eau déjà évoquées plus haut, auxquelles il
faut ajouter le lancement du Programme National d’Irrigation 1993-2000 et la création du Fonds de Déve-
loppement Rural 4. Un peu plus tard – à partir de 1995 – vont commencer à être lancés les fameux « Pro-
grammes nationaux » destinés à améliorer l’accès aux services socio-économiques et de base dans le
monde rural : Programme National de Construction des Routes Rurales (PNCRR), Programme d’Approvi-
sionnement Groupé en Eau Potable des Populations Rurales (PAGER), Programme d’Électrification Rurale
Globale (PERG), Programme National de Scolarisation (PNS) 5...
Ce ne sont pourtant là que des « moments », certes non négligeables, mais qui restent relativement iso-
lés, et – à tort ou à raison – ne donnent pas alors l’impression que quelque chose d’essentiel est en train de
se mettre en branle, du moins dans une optique globale et intégrée.

1. Ministère de l’Agriculture et de la Mise en Valeur Agricole, Plate-forme pour une stratégie agricole, Rabat, décembre 1994, 177 p.
2. Ministère de l’Agriculture et de la Mise en Valeur Agricole, Plate-forme pour une stratégie agricole; Orientation : Intégration de l’agriculture
aux marchés national et international; Traduction en termes de missions du MAMVA, Rabat, décembre 1996.
3. Premières journées d’études sur le développement rural, Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat, 19-21 décembre 1994 (Voir :
Quel monde rural pour demain au Maroc? Document provisoire, Ronéo., 12 p).
4. Cf. Loi de Finances 1994, art. 44, Bulletin Officiel, no 4243 bis, du 1.3.1994.
5. Le PNCRR projetait de construire 11200 km de routes et de pistes rurales sur 7 ou 9 ans, le PAGER l’installation et l’amélioration des sys-
tèmes d’eau potable dans 31 000 localités, au profit de 11 millions d’habitants à l’horizon 2000, le PERG l’électrification de 1 500 000 foyers à
l’horizon 2008, soit un taux d’électrification de près de 80 %, le PNS la généralisation de la scolarisation d’enfants de 6 à 11 ans à l’horizon 2002.
Cf. Ministère de l’Agriculture, de Développement Rural et des Pêches Maritimes, Plan Quinquennal de Développement Économique et Social
1999-2003, Commission Spécialisée Développement Rural et Agricole, Volume 1 : Développement Rural, Rapport principal, Rabat, 1999, 57 p,
p. 10-12.

120
4.3. Multiplication des « stratégies » et « réplique » de la Banque
mondiale (1995)

En revanche, au niveau de la réflexion et des études, les « stratégies » vont proliférer et décliner aussi aux
niveaux des secteurs et des zones. Donnons-en un aperçu 1. 1993 : Orientations et mesures pour une poli-
tique foncière agricole ; 1994 : Stratégie de l’élevage ; 1995 : Stratégie de diversification des exportations des
produits agricoles, Plan national d’aménagement des bassins versants ; 1996 : Stratégie de mise en valeur en
irrigué, Plan d’action oléicole ; 1997 : Refonte du Code des investissements agricoles, Projet Carte de voca-
tion agricole, Projet de code forestier, Plan Avicole, Plan d’action agrumicole 1998-2010, Rapport de la
Commission de réflexion primeurs...
Cependant, au niveau des « stratégies d’ensemble », on assiste entre 1995 et 1997, à une nouvelle
« course aux études », avec pour toile de fond une certaine compétition entre différents « acteurs », donnant
chacun l’impression de vouloir imprimer sa marque, ou du moins prendre date dans la perspective de chan-
gements à venir 2...
C’est ainsi que la Banque mondiale commence par sortir son « Document de stratégie pour le secteur agri-
cole » en mai 1995, dans lequel elle martèle qu’il est « d’une importance critique que l’ajustement de l’agri-
culture se poursuive », et que « la question stratégique essentielle est donc de savoir non pas si le processus
d’ajustement doit être poursuivi, mais bien comment il doit l’être, avec quelles priorités et à quel rythme » 3.
Pour les experts de « la Banque », après une dizaine d’années de programmes d’ajustements qu’ils ont pour-
tant eux même encadrés et financés, il reste encore beaucoup à faire pour en finir avec l’ancienne politique
agricole, « auto-centrée et interventionniste », principalement préoccupée par la réalisation d’un « niveau
élevé d’autarcie alimentaire » 4... Cependant, après s’être réjouis que le gouvernement marocain ait remplacé
dans son discours « l’autarcie alimentaire par la sécurité alimentaire », ils exposent les trois axes prioritaires
de « réorientation » sur lesquels repose la « nouvelle stratégie » qu’ils proposent :

1. Croissance des revenus et plus grande sécurité économique : Intégration de l’agriculture dans l’écono-
mie mondiale ; intégration et diversification des marchés intérieur et extérieur : meilleure gestion des risques.
2. Durabilité financière et écologique : Reconcentration du rôle de l’État et de ses priorités financières pour
lui permettre de soutenir des marchés concurrentiels et transparents ainsi qu’un développement rural à base
large ; renforcer les institutions du secteur privé ; promouvoir une utilisation efficace et durable des res-
sources naturelles.
3. Intégration des pauvres ruraux – notamment des femmes rurales – dans le courant principal de la vie
économique : amélioration de leur accès à l’infrastructure et aux services de base, de leur statut foncier et de
leur accès au crédit, ainsi que de leur participation à la gestion des ressources.

1. Bien évidemment, nous ne signalons ici que quelques études que nous estimons significatives pour nos propos. En réalité, le nombre
d’études et de documents produits se compte par dizaines si ce n’est par centaines... À titre indicatif, un document de « Bibliographie signalé-
tique » nous avait été remis par le Secrétariat Général du Ministère de l’Agriculture en septembre 1997, et qui recensait les études et documents
produits par le même département (et ses différents démembrements) entre 1993 et 1997. Nous y avons compté exactement 153 documents,
auxquels s’ajoutent 13 autres « sans date », mais qui ont probablement aussi été produits durant cette période... Cf. Ministère de l’Agriculture et
de la Mise en Valeur Agricole, Étude d’appui à la définition de la politique agricole, Bibliographie signalétique, Rabat, 11 septembre 1997, 25 p.
2. Bien que élaborée par un autre Département ministériel, n’oublions pas dans le cadre des « stratégies d’ensemble » la « Stratégie nationale
pour la protection de l’environnement et le développement durable » réalisée en 1995 par le Ministère de l’Environnement.
3. Banque Mondiale, Royaume du Maroc : Document de Stratégie pour le secteur agricole, Projet Rapport No .13421-MOR, 15 mai 1995,
(Résumé analytique, p. 1).
4. Banque Mondiale, Document de Stratégie..., op. cit., 1995, (Résumé analytique, p. 1-2).

121
En résumé, la stratégie proposée est censée aider les pouvoirs publics à mettre en place un environne-
ment politique et institutionnel propice à l’efficacité et l’orientation du marché, sur la voie d’une agriculture
plus productive et mieux intégrée. Si des mécanismes hors marché sont prévus pour aider les pauvres, le
rythme des ajustements envisagés devrait être déterminé par des considérations de pérennité financière et
environnementale d’une part, et d’équité à l’égard des « désavantagés » d’autre part.
Ce « document de stratégie » reste finalement un document de « la banque ». Les Autorités marocaines
pour leur part semblent déterminées par d’autres considérations, même si celles-ci ne sont pas toujours
cohérentes. Il y a d’abord le Plan quinquennal 1996-2000 qui doit être plus ou moins négocié avec les parte-
naires économiques et sociaux ; il y a aussi la « stratégie de développement rural » réalisée depuis peu et
dont on espère qu’elle sera soutenue par les Institutions financières internationales qui pourraient alors en
financer une partie ; il y a encore les engagements internationaux qui s’étendent et se précisent (Accords du
GATT, accord d’association avec l’Union européenne, pressions de la Banque mondiale pour la poursuite des
ajustements...), et il y a enfin le contexte politique et économique du pays, pour le moins problématique et
incertain...
Comme c’est souvent le cas dans des situations pareilles, faute de choix clairs, l’évolution des évène-
ments donne l’impression d’une certaine confusion, chacun poursuivant de son côté son propre projet, sans
pour autant que l’ensemble ait la moindre chance de constituer un ensemble cohérent, et encore moins opé-
rationnel...
C’est ainsi que l’on se retrouve durant ces années 1996 et 1997 en possession de trois nouveaux docu-
ments tout aussi « stratégiques » que ceux qui les ont précédés : Le Plan économique et social 1996-2000,
La Stratégie de développement rural 1997-2010, et la Plate-forme du projet de Loi-cadre d’Orientation Agri-
cole...

4.4. Le volet agricole du Plan de développement économique et social


1996-2000

Dans le cadre de la préparation du Plan de développement économique et social 1996-2000, le document


préparé par le Département de l’agriculture 1 apparaît marqué par le souci de ce dernier de composer avec les
« contraintes du moment » sans renoncer aux ambitions légitimes. Si ses rédacteurs admettent que le
« développement de l’agriculture dépend en premier lieu de la qualité des grands équilibres financiers de la
nation », ils n’en plaident pas moins pour un « renouvellement » de la priorité accordée depuis de longues
années au secteur agricole, s’appliquant à montrer « la profonde synergie qui existe entre agriculture et déve-
loppement rural » 2. Enfin, s’ils doivent reconnaître que les fonctions de l’État ont bien changé, ils ont à cœur
de souligner que « L’État ne se désengage pas, il s’engage autrement » 3...
Au niveau des grandes orientations, celles déjà énoncées dans la « Stratégie 2020 » sont rappelées et
adoptées. En ce qui concerne la sécurité alimentaire en particulier, un « petit pas » est franchi dans le sens
de la clarification lorsqu’il est précisé qu’elle « signifie que l’on définisse avec les professionnels des filières
stratégiques des niveaux indicatifs, pour la production nationale, qui sont en quelque sorte des seuils de

1. Ministère de l’Agriculture et de la Mise en Valeur Agricole, Plan Quinquennal – Plan économique et social 1996-2000, Rabat, août 1996,
72 p.
2. MAMVA, Plan Quinquennal..., 1996, op. cit., p. 3, 11-12.
3. Ibid, p. 5.

122
sécurité » 1, mais rien de plus précis n’est ajouté, et en tout état de cause, les « seuils » attendent toujours
d’être définis...
Les orientations stratégiques étant rappelées, le document estime que les contraintes essentielles du sec-
teur agricole sont la faiblesse des entreprises de production, un sous financement chronique, alliés au faible
niveau du développement humain, ce à quoi s’ajoute la sous valorisation des potentialités du ministère de
l’agriculture. Face à ces contraintes ainsi identifiées, le document affirme que la stratégie de développement
du secteur visera à lever ces contraintes.
On comprend alors que les domaines d’intervention privilégiés par le plan sont au nombre de quatre : les
exploitations qu’il faut renforcer, les sources de financement à mobiliser, le potentiel humain qu’il s’agit de
valoriser, et le département de l’agriculture à rénover. Pour les rédacteurs du plan, les principaux leviers
d’une politique agricole sont l’eau et la terre où l’objectif est d’améliorer le potentiel de production, le finance-
ment et la technologie où l’objectif est d’améliorer les capacités de gestion des entreprises. Conscients que
ces facteurs sont rares, ils ajoutent : « Nous nous emploierons à en faciliter l’accès et l’utilisation au profit
des agriculteurs ».
Au niveau des méthodes et des pratiques, les rédacteurs du plan 1996-2000 affirment que celui-ci introduit
deux innovations importantes : un « nouveau mode de planification » (celle-ci étant « souple fondée sur des
modules dont l’étendue est fonction des disponibilités financières et des capacités de gestion des opéra-
teurs ») ; et une « nouvelle façon de gérer le Département de l’agriculture » (celui-ci étant désormais appelé à
bâtir une relation de partenariat avec les professionnels, et l’opérateur économique devenant de son côté
pleinement responsable de son entreprise...) 2.

4.5. La Stratégie de développement rural de la Banque mondiale et les


« deux Maroc » (1997)

La Banque mondiale, qui n’avait pu imposer son « document de stratégie » de 1995, obtient une sorte de
« compensation » en étant sollicitée pour effectuer une nouvelle étude en vue de l’élaboration d’une « Stra-
tégie de développement rural, 1997-2010 »... Elle envoie une de ses missions au Maroc au printemps 1996,
passe commande de différentes études thématiques ou sectorielles à des experts marocains ou étrangers,
ignore royalement les études et stratégies portant sur le même sujet réalisées durant les quelques années
précédentes, et finit par produire son rapport, contenant « sa » stratégie en mars 1997 3.
Ce qui frappe à la lecture de ce rapport n’est pas dans l’originalité de la stratégie proposée, mais dans la
virulence de la critique de l’expérience passée et la gravité de la situation présente. Tirant les leçons des
expériences à l’échelle internationale qui ont réussi et celles qui ont échoué, les rédacteurs du rapport
n’hésitent guère à ranger « l’expérience marocaine » du développement rural intégré engagée durant les
années 70 (celle que la « Banque » avait elle-même initiée et financée...) parmi les expériences qui ont
échoué parce que « on » n’avait alors guère accordé la moindre attention au « cadre macro-économique et
institutionnel global », carences auxquelles s’étaient de plus ajoutés d’autres problèmes : financement inadé-
quat, qualité inacceptable et complexité des interventions et gestion trop centralisée 4.

1. En gras dans le texte. Ibid, p. 20.


2. Les rédacteurs du documents vont jusqu’à écrire que « La tâche prioritaire du Ministère est de préparer les exploitations agricoles à être
des entreprises, les agriculteurs à être des entrepreneurs »... Ibid, p. 33.
3. Banque mondiale, Royaume du Maroc : Stratégie de développement rural (1997-2010), No 16303-MOR, Rapport en trois volumes, Rapport
principal, Washington DC, 28 mars 1997, 161 p.
4. Banque mondiale, Stratégie de développement rural..., 1997, op. cit., p. 5-7.

123
Le regard jeté sur la situation du pays, et plus particulièrement du monde rural, est encore plus dur. Là, il
est carrément question des « deux Maroc », celui du monde urbain où les conditions de vie peuvent être dif-
ficiles mais néanmoins sans commune mesure avec celles qui prévalent dans le monde rural 1. La pauvreté
dans ce dernier est considérée « étendue et très marquée », avec près de quatre millions de marocains –
près d’un rural sur trois – qui continuent à y vivre dans « une misère écrasante ». D’ailleurs ajoute-on, la pau-
vreté au Maroc est essentiellement un phénomène rural puisque 72 % des pauvres du pays vivent en milieu
rural. Quant aux disparités d’accès aux infrastructures et aux services de base, elles sont encore plus
criantes : L’accès à l’eau potable est généralisé dans les villes alors qu’il n’est que de 14 % dans les cam-
pagnes ; l’accès à l’électrification est de 90 % en milieu urbain contre à peine 13 % en milieu rural ; l’alphabé-
tisation féminine atteint 80 % en milieu urbain, alors qu’elle ne dépasse guère 10 % dans les zones rurales...
D’autres indicateurs, relatifs à la scolarisation, aux soins de santé, au chômage, au genre, illustrent de
manière encore plus flagrante la réalité des disparités et partant des « deux Maroc ».
Pour les experts de la Banque mondiale, la réponse à un tel état des lieux se trouve dans la transformation
d’une agriculture de subsistance, à faible productivité, à une agriculture compétitive à haute productivité,
celle-ci étant la force motrice du développement rural, et celui-ci la condition de l’amélioration des conditions
de vie des ruraux. Ils estiment que l’expérience tant marocaine qu’internationale montre qu’une « stratégie
holistique amarrée à la stabilité macro-économique, et englobant des incitations efficaces, un accès équitable
aux avoirs et aux opportunités, et une gestion participative, est une stratégie qui peut réussir » 2.
Cette stratégie aura d’autant plus de chance de réussir que l’agriculture marocaine, et au-delà l’économie
du pays, réussira son processus d’ouverture et d’intégration à l’économie mondiale. À cet égard, ils
n’hésitent guère à affirmer que « assurer la sécurité alimentaire dans une agriculture vulnérable à la séche-
resse est un objectif qui ne peut pas reposer sur la production interne ». Il en découle que le processus de
libéralisation et de dérégulation des filières pour lesquelles le pays n’est pas compétitif (à commencer par
celles des « produits stratégiques ») doit être rapidement conduit à son terme...
Certes, reconnaît-on, cette libéralisation peut à court terme « infliger des coûts à certains groupes vulné-
rables », mais ceux-ci pourraient bénéficier d’une assistance pour les aider à s’adapter durant la période de
transition (assistance sous forme de programmes compensatoires publics destinés à soutenir la consomma-
tion et l’emploi sur le court terme, tels ceux de la Promotion nationale, de l’Entraide nationale, système de
bons alimentaires...). De même le rapport propose, dans les zones où l’on devra abandonner les productions
traditionnelles (blé, sucre, lait, viande...), de promouvoir des « cultures de remplacement », comme à titre
d’exemple : arachides, amandes, pistaches, grenades, guar et jojoba dans le bour favorable ; orge-bétail,
arbres fourragers et buissons salins dans le bour défavorable...
Enfin, le rapport insiste sur le fait que l’amélioration des conditions de vie rurales et l’intégration des « deux
Maroc » nécessite un consensus sur quatre priorités stratégiques et une bonne coordination des politiques
par le gouvernement central. Ces priorités sont les suivantes : 1. Construire une agriculture efficace, plus
compétitive sur les marchés agroalimentaires internes et mondiaux ; 2. utiliser les dépenses publiques et des
programmes ciblés pour faciliter l’adaptation des groupes vulnérables dans les zones rurales ; 3. Recentrer le
soutien public en vue de l’amélioration de l’infrastructure rurale et des services, de la résistance à la séche-
resse, et d’une utilisation plus productive de l’eau et de la terre ; 4. Décentraliser davantage pour améliorer le
coût-efficacité des programmes de développement rural 3.
L’élément clé de réussite apparaît alors un ferme engagement de l’État, ce qui suppose une grande capa-

1. Ibid, p. 9-11.
2. Ibid, p. 22.
3. Ibid, p. 99.

124
cité de coordination entre les différentes instances impliquées, et une vaste participation de tous les acteurs
concernés, des collectivités locales aux groupes de la sociétés civile, en passant par les structures centrales
et locales des différentes administrations publiques (agricultures, travaux publics, santé, éducation, etc.).

4.6. « Note d’observations » et riposte irritée de l’Administration

Lorsqu’il a été soumis au ministère de l’agriculture pour discussion et validation, le rapport de la Banque
mondiale a fait l’objet d’une critique au moins aussi acerbe que celle que les experts de l’Institution inter-
nationale avaient eux-mêmes formulé à l’encontre de la politique de ce ministère... Dans une « Note d’obser-
vations » de 28 pages, restée mémorable, les responsables du Département de l’agriculture ne se sont pas
privés de « descendre », globalement et point par point le rapport de la « Banque » 1.
Leurs critiques ont d’abord porté sur la méthodologie adoptée. Contrairement à ce qui était prévu, le travail
aurait été mené par une équipe de consultants et d’experts sans une implication suffisante de la « partie
marocaine », ce qui aurait conduit à ignorer les travaux effectués par le ministère de l’agriculture sur le même
sujet ; et à formuler des propositions sans concertation préalable avec les principaux acteurs et partenaires.
Par ailleurs, est également critiqué le recours à la modélisation, alors que l’on estime que celle-ci manque
d’une base des données statistiques fiables et d’études sectorielles qualitatives pour en soutenir les hypo-
thèses.
Sur le fond, les critiques sont nombreuses et s’articulent généralement sur ce que l’on appelle « un défaut
d’analyse ». Ainsi estime-t-on que « les conséquences sociales et institutionnelles des réformes sont traitées
de manière superficielle » : L’impact de la dérégulation des filières des produits stratégiques est mal appré-
cié 2 ; le constat sur la pauvreté dans le milieu rural est « parfois formulé en des termes exagérés » ; « la res-
ponsabilité » des autres secteurs dans le sous-développement du monde rural n’est pas abordée ; les
dimensions culturelles et politiques du développement sont occultées ; les « modèles étrangers » sont cités
sans réflexion sur leur applicabilité ni même souci de cohérence avec ce qui est par ailleurs recommandé
(comme par exemple le fait de louer les « prix de soutien » en Corée et les condamner au Maroc...).
Mais au-delà des problèmes d’analyse, ce sont les alternatives proposées qui suscitent le rejet, teinté d’un
sarcasme à peine voilé. En particulier, les options de remplacement et les mesures d’accompagnement pré-
conisées pour atténuer les conséquences économiques ou sociales de la libéralisation envisagée appa-
raissent « fort peu convaincantes ». Ainsi, à propos du recours à la Promotion nationale pour compenser les
pertes d’emploi dans les filières stratégiques, les rédacteurs de la « Note » ont beau jeu de souligner la
« contradiction d’un document qui après avoir proposé de déréguler les filières de production se propose de
guérir le mal par des emplois initiés ou gérés par l’Administration ! », « solution étatique » qui leur paraît diffi-
cile à comprendre et à mettre en œuvre dans l’optique d’une économie libérale... Le système des coupons
alimentaires suggéré pour se substituer aux subventions attachées aux prix est jugé pouvant être « plus coû-
teux et plus inefficace que des subventions généralisées ». Quant aux cultures de remplacement préconi-
sées, on n’hésite même pas à affirmer qu’elles relèvent de « l’agriculture – fiction » : outre les limites de leur

1. Ministère de l’Agriculture et de la Mise en Valeur Agricole, Note d’observations sur la version provisoire du Rapport de la Banque mondiale
sur la stratégie de développement rural au Maroc, doc. Ronéo, Rabat, avril 1997, 28 p.
2. Il est au passage intéressant de noter comment les responsables du Ministère de l’agriculture alors défendent l’option pour l’auto-
suffisance alimentaire des années 70. Ainsi affirment-ils que le choix des années 70 pour l’autosuffisance alimentaire ne provient pas d’un « dog-
matisme des décideurs, mais d’une stratégie destinée à répondre aux pays qui tentaient d’user et d’abuser de l’arme alimentaire ». Cf. MAMVA,
Note d’observations..., 1997, op. cit., p. 4.

125
extension spatiale (« on ne peut couvrir le pays de jojoba, de grenadiers et d’arbustes salins. »...), leur fré-
quente inadaptation aux zones concernées est soulignée non sans une certaine irritation : « Il faudra nous
expliquer, ironisent les rédacteurs de la « Note », comment cultiver des grenadiers et des arachides sans irri-
gation, comment inonder le bour de jojoba » 1...
Cette réaction pour le moins réticente, pour ne pas dire hostile de l’Administration – et au-delà du caractère
plus ou moins pertinent des critiques formulées –, peut certes s’expliquer par le sentiment de « mise à
l’écart » ressenti par certains de ses cadres, ou par l’ignorance des travaux accumulés jusqu’alors au Minis-
tère de l’agriculture, mais elle peut aussi s’expliquer par le contexte politique et les perspectives qui se profi-
laient déjà à l’horizon. En effet, il faut dire que du point de vue de ceux qui, pour une raison ou une autre,
craignaient l’accélération du processus de libéralisation des échanges, la fin officielle des programmes d’ajus-
tement structurel n’avait pas marqué une « pause » mais avait plutôt été « relayée » par certains engage-
ments internationaux du Maroc qui ne les rassuraient nullement. Ce furent d’abord les engagements – déjà
évoqués ci-dessus – contractés dans le cadre de « l’Accord de Marrakech » à l’issue de l’Uruguay Round du
GATT et dont l’un des plus marquants n’était autre que la suppression de toutes les protections non tarifaires
et leur conversion – temporaire – en protections tarifaires. Engagement qui sera d’ailleurs respecté puisque
la libéralisation en question entrera effectivement en vigueur début 1996. Même si les taux de protection
consolidés par le Maroc pour les principaux produits de base restaient élevés, il n’en demeure pas moins que
le « compte à rebours » était enclenché et que le mouvement ne pouvait désormais aller que dans le sens
d’une moindre protection 2...
De manière presque parallèle à l’accord du GATT/OMC, le Maroc avait aussi conclu en novembre 1995 un
nouvel Accord d’Association avec l’Union européenne et dont le trait marquant était que pour la première fois
il reposait sur le principe de réciprocité : en contrepartie des concessions d’accès aux marchés européens
qu’il obtenait, le Maroc devait aussi progressivement ouvrir le sien aux produits provenant de l’entité parte-
naire. Du reste, en ce qui concerne les produits industriels, un programme de démantèlement tarifaire était
déjà établi pour aboutir à une zone de libre-échange à l’horizon 2010, et les négociations relatives aux pro-
duits agricoles étaient annoncées pour l’an 2000 3...
Tout cela se traduisait par une montée des inquiétudes auprès d’opérateurs et de milieux d’affaires par ail-
leurs traumatisés par la « campagne d’assainissement » qui les avaient largement pris pour cible en 1996, et
rendait encore plus lourd un contexte politique marqué par un attentisme démobilisateur... Tenter de remon-
ter la pente passait nécessairement par un effort tendant à apaiser, rassurer et dialoguer... En tout cas, pour
en revenir à la Banque mondiale et à sa stratégie pour le développement rural, on peut dire que le temps était
déjà moins à la soumission aux « puissances externes » qu’au renforcement du « front intérieur », ce qui
allait conduire le gouvernement, durant l’année 1997, à la conclusion d’une déclaration commune avec les
« Représentants des agriculteurs » et à l’élaboration du premier projet de Loi d’orientation agricole du Maroc
indépendant...

1. Ibid, p. 10.
2. Cf. N. Akesbi, La politique agricole, entre les contraintes de l’ajustement et l’impératif de sécurité alimentaire, Revue Critique économique,
no 1, Rabat, Premier trimestre 2000; N.Akesbi, Les agriculteurs marocains, entre les contraintes de sous-développement et les exigences de la
globalisation, quel avenir? In : H. Regnault et B. Roux (sous la direction de), Relations euro-méditerranéennes et libéralisation agricole, ouvrage col-
lectif, ed. L’Harmattan, Paris, 2001, p. 239-272; N. Akesbi, Maroc : Une année de sécheresse et d’attentisme, Rapport National 1998. In : Rapport
annuel 2000 du Centre International des Hautes Études Agronomiques Méditerranéennes : Développement et politiques agro-alimentaires dans la
région méditerranéenne, Paris, 2000.
3. N. Akesbi, L’agriculture marocaine, entre le discours libre-échangiste et les réalités protectionnistes de l’Europe, Revue Critique écono-
mique, no 3, Rabat, Automne 2000; N. Akesbi, L’agriculture marocaine : De l’ajustement structurel à la zone de libre-échange euro-méditerra-
néenne. In : M. Elloumi (sous la direction de) : Mondialisation et sociétés rurales en Méditerranée, ouvrage collectif, éd. IRMC-Karthala, Tunis-
Paris, 2002, p. 51-94.

126
4.7. La Déclaration Commune Gouvernement – Représentants des
agriculteurs (1997)

Dans son discours du 3 mars 1997, le Roi réaffirma avec force sa sollicitude pour le monde agricole et
rural, et l’engagement de l’État à veiller en permanence sur les intérêts des agriculteurs. En évoquant la
situation du paysan marocain et les risques qui pèsent sur lui du fait de la libéralisation des échanges, le Roi
fit cette promesse : « Nous ne cesserons jamais, pour notre part, d’entourer ce paysan de notre sollicitude et
ne le laisserons point devenir la victime de la mondialisation ou des conventions qui ont été exécutées de
manière peut-être hâtive. » 1.
Aussitôt après ce discours, une Commission interministérielle fut mise en place pour engager une concer-
tation générale avec les représentants du monde agricole. Huit commissions spécialisées furent constituées
avec pour mission l’étude des contraintes qui entravent le développement agricole, et « la formulation de
recommandations susceptibles d’en atténuer les effets ». À l’issue d’une semaine d’intenses travaux, les
commissions en question purent produire plus de 400 propositions et recommandations... Après examen de
ces dernières et des négociations qui ont quelque fois été laborieuses, le gouvernement et les représentants
des agriculteurs ont abouti à un accord qui s’est traduit pas l’adoption, le 15 mai à Kénitra, d’une Déclaration
Commune qui était une première dans son genre 2.
En préambule à cette déclaration, il fut décidé d’abord de créer une « Commission Nationale de l’Agri-
culture et du Développement Rural » qui devait se réunir au moins deux fois par an, ensuite de poursuivre le
dialogue engagé dans les commissions spécialisées pour élaborer de nouvelles recommandations à sou-
mettre à la Commission Nationale pré-citée pour approbation, et enfin la constitution d’un Comité ad hoc per-
manent chargé du suivi de l’application des engagements pris par les deux parties.
La Déclaration prit en effet la forme d’une série d’engagements mutuels entre le gouvernement et « les
représentants du monde agricole » couvrant les dix domaines suivants : Protection de la production natio-
nale ; Soutien de la production agricole ; Sécurisation des revenus ; Financement de l’agriculture ; Incitation à
l’investissement pour la mécanisation et l’irrigation ; Encadrement, formation et recherche ; Normalisation et
contrôle de la qualité ; Commercialisation ; Organisation professionnelle ; Mise à niveau du monde rural.
Il n’est pas nécessaire ici d’entrer dans le détail de ces engagements mutuels, mais on peut se contenter
d’en rappeler quelques uns parmi les plus importants. Ainsi, en ce qui concerne la protection de la production
nationale, le gouvernement s’engage à assouplir les procédures législatives et réglementaires y afférentes
« afin de les adapter aux fluctuations des marchés mondiaux et de permettre, ainsi, le maintien du niveau de
protection », et de leur côté les opérateurs s’engagent à « respecter les règles d’un marché transparent,
concurrentiel et loyal ». Pour veiller à la sécurisation des revenus agricoles, les deux parties s’engagent à ren-
forcer le système d’assurance agricole, l’État en mettant en place des dispositifs appropriés, et les représen-
tants des agriculteurs en travaillant à susciter l’adhésion de ces derniers. Dans le domaine du financement, le
gouvernement s’engage à réformer la Caisse Nationale du Crédit Agricole, réviser les procédures de gestion
des crédits et opérer une restructuration rationnelle de la dette des agriculteurs, et les agriculteurs
s’engagent à « assurer la production agricole et améliorer la productivité en vue d’augmenter leurs revenus
et rembourser leurs dettes » .
Si tout le monde convient de la nécessité de soutenir la production, sécuriser l’investissement et améliorer
le revenu des agriculteurs, la plupart des engagements se contentent en la matière de promettre le lance-

1. Cf. Discours du Trône, Libération, quotidien, Casablanca, 4 mars 1997.


2. Commission mixte relative au développement du secteur agricole et à la promotion du monde rural, Déclaration Commune du Gouverne-
ment et des Représentants des Agriculteurs, Kénitra, 15 mai 1997, Doc. Ronéo., 14 p.

127
ment d’études susceptibles d’éclairer les décisions à venir 1, et d’œuvrer à augmenter le nombre des bénéfi-
ciaires des différentes aides de l’État. En revanche, les engagements mutuels sont plus précis dans le
domaine de la normalisation et du contrôle de la qualité : Au gouvernement de renforcer le système de
contrôle existant, de poursuivre l’élaboration de normes marocaines et promulguer les textes réglementaires
régissant les filières des produits agricoles ; et aux producteurs d’adopter des itinéraires techniques permet-
tant de garantir la qualité des productions, et renforcer les infrastructures de collecte, de conditionnement et
de transport des produits agricoles. De même, s’agissant de l’organisation professionnelle, le gouvernement
s’engage à en faire « l’interlocuteur privilégié » pour l’élaboration et la mise en œuvre de la stratégie de déve-
loppement agricole, et en renforcer le cadre institutionnel et les moyens matériels et humains, et de son côté
la « profession » s’engage à promouvoir les secteurs concernés dans le cadre de contrats-programmes arrê-
tés d’un commun accord avec l’Administration.
Enfin, dans le domaine de la mise à niveau du monde rural, le gouvernement s’engage à « consacrer la pro-
chaine décennie au désenclavement et à la généralisation de l’approvisionnement en eau potable du monde
rural », tout comme il s’engage à accélérer le rythme de mobilisation des ressources en eau sous toutes ses
formes, à intensifier les opérations de reboisement, de lutte contre l’érosion et d’aménagement des bassins
versants, et à multiplier les projets intégrés de mise en valeur en bour...
Le dialogue ayant positivement abouti, la voie pouvait sembler ouverte pour l’élaboration d’une véritable loi
d’orientation agricole.

4.8. La Loi d’orientation pour la modernisation de l’agriculture (1997)

Durant l’été 1997, le Ministre de l’Agriculture, de l’Équipement et de l’Environnement 2 confia à une équipe
pluridisciplinaire d’experts nationaux la mission de réaliser une étude qui était en fait d’abord une « étude sur
les études ». En effet, compte tenu du grand nombre d’études et de travaux, à caractère global ou sectoriel,
qui avait été réalisés durant les dernières années seulement, on sentait d’abord le besoin de faire le point sur
cette masse de travaux accumulés, et surtout de tenter de les mettre en cohérence en y identifiant les points
de convergence et en en examinant les aspects divergents. À partir de l’étude-état des lieux, l’équipe devait
élaborer une plate-forme du projet de « loi-cadre d’orientation agricole qui tient compte des spécificités de
l’agriculture marocaine et des impératifs de l’environnement national et international ». À l’issue d’une
dizaine de semaines de travail intensif, l’équipe sollicitée accomplit son travail et élabora la « plate-forme »
demandée 3. Celle-ci, confiée ensuite à des cadres et responsables du Département de l’Agriculture, donnera
lieu au projet de loi-cadre proprement dit, intitulé : Loi d’orientation pour la modernisation de l’agriculture 4.
Outre un préambule, le projet de loi comprend 120 articles répartis à travers quatre titres et une quinzaine
de chapitres. Le premier titre, intitulé « De la stratégie », compte les cinq chapitres suivants : L’exploitation

1. Études sur la fiscalité des intrants agricoles, les subventions et autres incitations fiscales et douanières, le coût de l’énergie... Toutefois, en
ce qui concerne « le cas particulier du gasoil », le gouvernement s’est engagé à « réduire le niveau de sa taxation sur une période de trois ans afin
que son prix soit équivalent à celui pratiqué dans les pays méditerranéens concurrents »... Cf. Déclaration Commune..., 1997, op. cit., p. 6.
2. En effet, un récent remaniement ministériel avait intégré le Département de l’Agriculture dans un grand ministère qui comprenait aussi les
départements de l’équipement et de l’environnement.
3. Cf. Ministre de l’Agriculture, de l’Équipement et de l’Environnement, Département de l’Agriculture, Plate-forme du projet de Loi-cadre
d’Orientation Agricole, Rapport provisoire, novembre 1997 (Rapport définitif, mars 1998, 132 p).
4. Ministre de l’Agriculture, de l’Équipement et de l’Environnement, Département de l’Agriculture, Projet de Loi-cadre : Loi d’orientation pour
la modernisation de l’agriculture, décembre 1997.

128
agricole ; L’organisation professionnelle ; Le partenariat ; Les filières ; La régionalisation. Le second titre traite
« Des instruments de politique agricole » à travers sept chapitres : Le financement ; L’incitation ; La fiscalité ;
La sécurisation des investissements ; La qualité ; La formation, la recherche et le transfert de technologie ; Le
foncier et l’immatriculation. Le titre III traite en trois chapitres « Des programmes d’intervention » : L’amé-
nagement hydro-agricole ; L’aménagement en zones Bour ; L’aménagement et la gestion des zones pasto-
rales et forestières. Enfin, le dernier titre annonce la création du « Conseil Supérieur de la Mise en Valeur
Agricole ».
Dès l’article 2 du premier titre sont énoncés les « objectifs fondamentaux de l’action de l’État en vue du
développement du secteur agricole », lesquels reprennent au demeurant les quatre orientations stratégiques
de la politique agricole avancées à partir de 1993, mais en les reclassant et en les précisant sur certains
aspects :

* L’amélioration du revenu des agriculteurs pour leur permettre de moderniser leur outil de production,
d’accroître l’emploi dans le milieu rural, d’élever leur niveau de vie ainsi que celui des opérateurs dont
l’activité est liée au secteur agricole.
* L’intégration du secteur agricole aux marchés national et international en exploitant l’avantage compara-
tif des terroirs et des savoirs, en le renforçant par l’innovation technologique et une organisation profes-
sionnelle qui accroît le pouvoir de négociation des agriculteurs dans les filières de production.
* La contribution à la sécurité alimentaire en optimisant le coût de l’alimentation pour la collectivité natio-
nale.
* La protection et la valorisation des ressources naturelles en tenant compte de la vocation des différents
terroirs et de leur complémentarité.

On peut noter que l’amélioration du revenu des agriculteurs est désormais érigé en « objectif primordial »,
dont on affirme dans le préambule qu’il est même « la résultante des autres orientations et en conditionne la
réussite ». Il faut dire que l’étude de mise en cohérence des objectifs stratégiques avait montré l’intérêt
d’une certaine hiérarchisation des orientations, et estimé que « la formulation la plus élaborée confère à
l’amélioration des revenus des agriculteurs une position centrale » 1.
En revanche, force est de constater que le concept de « sécurité alimentaire » est resté vague, alors que la
« plate-forme » qui avait servi à l’élaboration du projet de loi avait été assez loin dans la précision du concept,
notamment en le rapprochant du sens qui lui est donné par la FAO. Ainsi, si les rédacteurs de ce document
reconnaissent que la « contribution » de la production nationale est appelée à obéir aux conditions d’effi-
cience économique, ils n’en affirment pas moins que la sécurité alimentaire intègre aussi « deux dimensions
supplémentaires : la sécurité de l’accès pour la population aux denrées de base et la sécurité de l’approvi-
sionnement alimentaire. La première dimension renvoie à la problématique de la répartition du pouvoir
d’achat entre les différentes catégories de consommateurs. La seconde concerne plus le fonctionnement
des filières alimentaires (production, importation, transformation et distribution). C’est à ce niveau que l’agri-
culture doit contribuer à la sécurité alimentaire du pays » 2. Plus loin, les auteurs reviennent sur la question et
insistent : « dans le contexte national actuel, une approche basée sur la seule efficience économique s’avère
incompatible avec l’importance et la multiplicité des fonctions du secteur agricole. [...la sécurité alimentaire]

1. De sorte que la formulation de la stratégie devient la suivante : Une « stratégie dont les composantes s’articulent autour de l’amélioration
du revenu des agriculteurs, dans une vision de développement durable, où le marché national évoluera en harmonie et en conformité avec l’évolu-
tion du contexte des échanges internationaux, tout en tenant compte des contraintes politiques de sécurité alimentaire ». Cf. Plate-forme du pro-
jet de Loi-cadre..., 1998, op. cit., p. 25.
2. Les parties soulignées le sont dans le texte originel. Cf. Plate-forme du projet de Loi-cadre..., op. cit., p. 27.

129
est une prérogative des pouvoirs publics et relève des attributs de souveraineté nationale. Elle exige donc
que toutes les catégories de ménages puissent disposer d’un niveau de revenu leur permettant l’accès à une
alimentation équilibrée. Elle rend impératif la satisfaction d’un taux de couverture des besoins du pays en
denrées de base à partir de la production nationale. Ce taux sera déterminé en fonction des capacités locales
de production dans des conditions d’efficience économiques minimales tout le long des filières agro-
alimentaires et de la capacité de soutien de la collectivité nationale à ces dernières » 1.
Ceci étant, les « objectifs fondamentaux » étant annoncés, la Loi-cadre explique dans le titre I que pour les
atteindre, l’État veillera à la mise à niveau technique et économique de l’exploitation, en encourageant l’orga-
nisation professionnelle des agriculteurs, en développant une politique de partenariat (avec notamment des
contrats-programmes), en incitant à l’organisation interprofessionnelle au sein des filières de production, et
en favorisant l’exploitation des potentialités agricoles régionales à travers la délimitation de l’espace agricole
en zones agro-écologiques. Il y a là une approche qui, sans être tout à fait nouvelle, innove plus ou moins à
trois niveaux : le premier est celui de « l’entrée par l’espace » (repenser les choix des productions et de leur
déploiement spatial en fonction des « vocations » des terres et des régions), le second est celui de l’organi-
sation en termes de filières et d’interprofessions, et le troisième est celui du partenariat et de la contractuali-
sation des relations État-Opérateurs.
Dans le titre II, l’État s’attache à présenter les instruments qu’il compte mettre en œuvre pour atteindre les
objectifs arrêtés. En ce qui concerne le financement, on se contente pour l’essentiel de promettre que
« l’État optimisera l’allocation des ressources budgétaires et stimulera la recherche de ressources alterna-
tives » 2, et de présenter les grandes lignes de la réforme qui devait donner naissance à la « Banque Nationale
de Crédit Agricole ». Les soutiens de l’État, destinés à promouvoir l’investissement privé et améliorer le pou-
voir compétitif de l’exploitation agricole, doivent « viser la réalisation d’un objectif défini par son objet et son
échéancier » (art. 49). En matière de fiscalité, l’article 63 indique qu’elle « doit être établie sur la base du
revenu réel des exploitants agricoles », ce qui n’est qu’une position de principe, au demeurant conforme à ce
qui est déjà prévu dans le cadre du dispositif fiscal existant (mais non appliqué en raison de l’exonération qui
devait alors cesser en 2000, mais qui a par la suite été prorogée à 2010). Quant à la fiscalité douanière, il est
indiqué qu’une « protection à la frontière suffisante et appropriée de la production agricole nationale doit être
mise en place dans le cadre du respect des engagements internationaux » (art. 64).
Le chapitre sur la sécurisation des investissements prévoit, outre le soutien aux systèmes d’assurance
agricole, la contribution à la constitution de fonds mutuels de garantie intéressant les filières de production,
et la création d’un Fonds de Lutte contre les Calamités Naturelles et les Risques Agricoles (art. 67-69). Le
chapitre sur la qualité comporte 14 articles sur les divers aspects de la question, mais se distingue par
l’annonce de la création d’un « Comité Nationale Agricole d’Éthique et de Biosécurité », auquel reviendrait
notamment la prérogative d’autoriser ou non des manipulations génétiques relatives à des espèces végé-
tales ou animales (art.81).
La formation et la recherche étant considérées des leviers principaux de la mise à niveau du secteur agri-
cole, le chapitre 6 prévoit de les développer de différentes manières, et affirme que les profils de formations
comme des programmes de recherche seront établis en concertation avec les organisations professionnelles
pour mieux répondre à leurs besoins. Est également annoncée la création d’un Conseil National de la
Recherche Agricole et Forestière chargé d’orienter la politique nationale en la matière et d’en évaluer les
résultats (art. 90). Le chapitre sur le « Foncier et l’immatriculation » étend la possibilité de melkisation des
terres collectives prévue pour les périmètres irrigués aux périmètres de mise en valeur en bour, libère les
attributaires des lots de la « réforme agraire » de multiples contraintes qui pèsent sur eux, dispense d’auto-

1. Là, c’est nous qui soulignons. Cf. Plate-forme du projet de Loi-cadre..., op. cit., p. 28.
2. Peu d’écho était ainsi accordé à la recommandation qui avait été faite dans la « plate-forme » en vue d’un rééquilibrage conséquent des res-
sources publiques en faveur des zones bour... Cf. Plate-forme du projet de Loi-cadre..., op. cit., p. 62-66.

130
risation la location de terres agricoles à des étrangers, prévoit la possibilité de privatiser des terres apparte-
nant à l’État, promet de simplifier les procédures de remembrement et de généraliser l’immatriculation
foncière (art. 94-103).
Les programmes d’intervention se situent au niveau des différents espaces agro-écologiques dont ils
cherchent à valoriser les avantages comparatifs. L’idée est d’identifier les espaces en question et de définir
pour chacun une stratégie, des priorités et des modes d’intervention adaptés, en concertation avec les ins-
tances régionales. Le premier espace est celui des périmètres irrigués où l’aménagement hydro-agricole doit
être accéléré pour rattraper le décalage entre les superficies dominées et celles qui sont effectivement amé-
nagées, notamment dans le cadre du Programme National d’Irrigation établi pour une période décennale
(art. 105-107). Le second espace est celui des zones bour où l’État, fort du cadre de la loi 33-94, veillera à
développer les périmètres de mise en valeur, où il mettra en place, « avec la participation des agriculteurs,
les conditions nécessaires au développement intégré d’une agriculture moderne et performante » (art. 108).
Un chapitre est également consacré à l’aménagement et la gestion des zones pastorales et forestières.
L’État s’engage à « élaborer des schémas d’aménagement et d’exploitation rationnelle et durable des par-
cours » (art. 109). Il déclare que la conservation et le développement durable de la forêt constituent une exi-
gence fondamentale de la politique nationale de développement. Il décrète que « la superficie du domaine
forestier ne peut être diminuée » (art. 112), et définit le contenu du Programme National Forestier, ainsi que
les conditions de mise en œuvre des plans d’aménagement forestiers (art. 115-116).
Enfin, le dernier titre de la Loi-cadre est consacré à la création d’un Conseil Supérieur de la Mise en Valeur
Agricole, chargé de formuler les orientations générales de la politique de développement agricole (118-120),
Ce Conseil devrait notamment examiner et donner son avis sur les questions d’aménagement de l’espace
agricole et rural, les aspects liés à la politique de la qualité et les orientations en matière d’organisation pro-
fessionnelle et interprofessionnelle.
Cette Loi-cadre, achevée plus ou moins à la hâte pour être présentée au Conseil de gouvernement « avant
la fin de l’année », put effectivement être soumise à cette instance le 23 décembre 1998. À en juger par le
communiqué officiel publié à l’issue de ce Conseil, le projet fut favorablement accueilli par les membres du
gouvernement. Cependant, compte tenu de l’importance et la complexité du sujet, le Conseil avait demandé
« un temps de répit » pour poursuivre l’examen du projet 1...
Le fait est que ce « temps de répit » dure depuis lors... Il faut dire que, quelques semaines plus tard, un
nouveau premier ministre sera nommé, engageant le pays dans une nouvelle expérience caractérisée par
l’entrée au gouvernement de partis qui avaient été auparavant maintenus dans l’opposition pendant près de
quatre décennies. Chacun constatera rapidement que cette nouvelle donne dans le jeu politique du pays ne
remet aucunement en cause les grands choix de politique économique – et partant de politique agricole – en
cours depuis les années 60. Elle se traduit cependant, du moins dans les discours, par de nouvelles
inflexions dans le cours des politiques publiques, expression de nouvelles sensibilités, sinon de nouvelles
ambitions pour le développement de l’agriculture et du monde rural.

4.9. Nouveau gouvernement et nouvelles promesses pour de nouvelles


stratégies (1998)

Dans sa déclaration de politique générale, le gouvernement de Abderrahmane Youssoufi commence par


mesurer « à leur juste valeur, l’importance des efforts consentis et des progrès réalisés » par le pays depuis

1. Maghreb Arabe Presse, Projet de Loi-cadre pour la modernisation de l’agriculture, Le Matin du Sahara, 25 décembre 1997; S. Chraibi, Loi-
cadre : Vers la création d’un Conseil supérieur de la mise en valeur agricole, La Vie économique, 26 décembre 1997.

131
son indépendance 1. Inscrite dans la continuité de celle conduite jusqu’alors, la politique du nouveau gouver-
nement affirme néanmoins la volonté de concrétiser la dynamique de changement et de progrès engagée
dans le pays. Ainsi, au niveau des politiques sectorielles en particulier, le gouvernement annonce son inten-
tion de mener « une politique agricole volontariste et cohérente pour permettre à notre agriculture de réunir
les conditions de réussite de notre sécurité alimentaire dans le cadre d’une ouverture maîtrisée et gra-
duelle ». Il annonce à cette fin la mise en place d’un comité interministériel permanent et la création d’une
structure de concertation avec les organisations socioprofessionnelles agricoles. Il se déclare également dis-
posé à accorder « une priorité à l’amélioration des structures foncières, notamment par le réexamen de la
situation des terres collectives ; à l’utilisation rationnelle du patrimoine naturel ; à la valorisation des res-
sources humaines ; à la promotion des activités non agricoles ; à la restructuration de la CNCA en vue de ren-
forcer et de diversifier ses activités et d’améliorer ses services ».
Cependant, le fait nouveau dans cette déclaration est ailleurs. Il est plutôt dans l’affirmation que « une
attention particulière sera accordée à l’élaboration d’une stratégie de développement rural intégré tenant
compte des spécificités régionales, en vue de réduire les inégalités socio-spatiales et d’améliorer le niveau
de vie des ruraux ». En effet, déjà lors de la constitution du gouvernement, cette « attention particulière »
allait se manifester dans l’appellation même du département ministériel concerné en premier lieu, lequel
pour la première fois allait porter le nom de « Ministère de l’Agriculture, du Développement Rural et des
Pêches Maritimes ».
Cette déclaration d’intention du gouvernement Youssoufi fut-elle suivie d’effets ? A-t-elle pu se traduire par
la mise en œuvre d’une quelconque politique dans les domaines en question ? A-t-elle produit des résultats ?
Le bilan de cette expérience – qui a commencé en mars 1998 et s’est achevée en octobre 2002 – a déjà été
fait ailleurs, et ce n’est pas le lieu ici d’y revenir 2. Sur le plan pratique, disons que pour l’essentiel l’histoire en
retiendra une succession de « programmes de lutte contre les effets de la sécheresse » dont l’ambition
n’était au mieux que d’atténuer les effets catastrophiques d’une calamité naturelle particulièrement éprou-
vante durant cette période. Sur le plan théorique, celui de la réflexion, de la rédaction de « plans » et de l’éla-
boration de « stratégies » en revanche, cette période, tout en s’inscrivant dans la continuité du processus
engagé depuis le début de la décennie, s’est illustré par une activité intense, laquelle a abouti à la production
de trois autres séries de documents, portant successivement sur la « Stratégie 2020 de développement
rural », le « Plan de Développement Économique et Social 2000-2004 », et la « Stratégie de développement à
long terme de l’agriculture marocaine ».
Une fois de plus, on comptabilisera des centaines de réunions, des dizaines de séminaires et de colloques,
des centaines d’heures de consultation d’experts et de spécialistes en tous genres, des milliers de pages de
rapports, de notes et de recommandations... Pour quel résultat ? Avant de répondre à cette question, il nous
faut encore essayer, comme nous l’avons fait pour celles qui les ont précédées, de restituer la substance de
ces dernières tentatives d’élaborations « stratégiques ». Outre l’intérêt de certains de leurs aspects proposi-
tionnels, ce sont les constats qui sont faits, les questions qui sont posées, et les bilans qui sont établis à tra-
vers les documents en question qui revêtent ici une importance toute particulière. En effet, intervenant près
de quarante-cinq ans après l’indépendance, et marqués du sceau officiel des institutions étatiques qui les ont

1. Dès le premier paragraphe du discours du premier ministre, on peut lire exactement ceci : Nous mesurons, en ce moment particulier, à leur
juste valeur, l’importance des efforts consentis et des progrès réalisés par notre pays depuis son indépendance, sous la conduite de feu Sa
Majesté Mohammed V que Dieu l’ait en sa sainte miséricorde et de celle éclairée de Sa Majesté le Roi Hassan II que Dieu l’assiste ». Cf. Le Matin
du Sahara, 18 avril 1998.
2. N.Akesbi, Bilan du gouvernement Youssoufi : Agriculture et développement rural, ou quand la politique agricole se réduit à une politique de
lutte contre les effets de la sécheresse, In : Le gouvernement Youssoufi, Un bilan économique et social, Critique Économique, no 8 spécial, Été-
Automne 2002, p. 67-105.

132
publiés, ces documents délivrent avant tout un message qui sonne comme un terrible aveu d’échec, échec
qui, précisément, se situe d’abord sur le plan du développement humain...

4.10. Stratégie 2020 de développement rural (1999)

Si le gouvernement Youssoufi promit dès son investiture l’élaboration d’une stratégie de développement
rural, il faut dire que du point de vue institutionnel et organisationnel, l’expérience commença par un mauvais
choix, lequel n’était au fond que l’expression des rapports de force acceptés au sein du gouvernement. En
effet, nous avons souligné l’intérêt tout particulier que l’on voulait manifester à l’égard de la question du
développement rural, en l’inscrivant dans l’intitulé même du département de l’agriculture. En fait, cette initia-
tive avait soulevé un débat au regard de la perception et du poids que l’on souhaitait donner à cette question
dans le projet gouvernemental.
Deux thèses s’affrontaient. La première considérait que le développement rural est avant tout une affaire
d’agriculture et partant une question à confier au ministère qui en est chargé. La seconde estimait que par
essence, le développement rural implique une approche globale et non seulement sectorielle, conjuguant
l’action de plusieurs départements ministériels : celui de l’Agriculture pour la production agricole ou les
réformes foncières certes, mais aussi ceux de l’Équipement pour la construction des routes ou des barrages
par exemple, de l’Éducation Nationale pour la généralisation de la scolarisation des enfants et la lutte contre
l’analphabétisme, de la Santé Publique pour répondre aux besoins de santé de base de la population, du
Commerce et de l’Industrie, de l’Artisanat ou encore du Tourisme pour développer des activités non agri-
coles en milieu rural, etc. Or toutes ces activités doivent s’articuler et s’inscrire dans une vision d’ensemble,
ce qui nécessite leur coordination par une Autorité qui soit « au-dessus », évitant le développement des
« chasses-gardées », arbitrant entre les conflits de compétence toujours possibles, donnant les impulsions
nécessaires aux différents départements concernés.
À ces raisons objectives s’ajoutait une autre, plus spécifique aux réalités du pouvoir au Maroc : l’omni-
potence du Ministère de l’Intérieur et notamment son omniprésence dans le milieu rural avaient toutes les
chances d’en faire sur le terrain le véritable maître d’œuvre du développement rural qu’on projetait de pro-
mouvoir, ce qui ne pouvait manquer de perpétuer l’approche « sécuritaire » du développement, celle-là
même avec laquelle on prétendait vouloir rompre. Toutes ces raisons plaidaient en tout cas pour que cette
nouvelle mission gouvernementale fut placée plutôt sous la responsabilité directe du Premier Ministre, et
non confiée à un simple département à vocation sectorielle.
Malheureusement, c’est la première thèse qui finit par l’emporter, le « développement rural » étant tout
bonnement confié au Ministère de l’Agriculture. Chacun avait compris qu’il en était ainsi parce qu’il ne pou-
vait en être autrement :... Véritable maître du jeu, le Ministère de l’Intérieur devait continuer à « administrer »
le monde rural, à sa manière et sans « l’ingérence » de qui que ce soit, fut-il le Premier Ministre... Certes, on
n’allait pas tarder à prendre conscience des risques d’un tel choix, et partant du bien-fondé des arguments de
la seconde thèse. Aussi avait-on essayé d’y remédier en créant un « Conseil Interministériel Permanent du
Développement Rural » présidé par le Premier Ministre 1. En fait ce Conseil, non seulement n’a jamais eu à
mettre en œuvre et coordonner la politique de développement rural attendue, mais il s’est réduit, durant les
rares fois où il s’est réuni, à annoncer diverses mesures de lutte contre les effets de la sécheresse dans le
monde rural...

1. Décret no 2-98-974 du 5 janvier 1999.

133
Ceci étant, le « système » étant verrouillé sur le terrain, tout devenait possible, sur le papier...
Après plusieurs mois d’une intense activité d’étude et de réflexion tant au niveau d’experts nationaux et
étrangers que d’équipes de cadres de différents départements ministériels, coordonnée par le Conseil Géné-
ral du Développement Agricole, la « Stratégie 2020 de développement rural » fut élaborée et prit la forme
d’un projet que le Ministère de l’Agriculture, du Développement Rural et des Pêches Maritimes « proposait »
au Conseil Interministériel du Développement Rural, pour le valider, avant que sa mise en œuvre puisse être
engagée sous forme de plans d’actions 1.
La démarche des concepteurs de la « stratégie 2020 » commence par l’énoncé d’un certain nombre de
constats dont la plupart avait déjà été faits par les précédentes études, mais dont le premier apparaissait rela-
tivement nouveau. En effet, s’appuyant sur les résultats du recensement général agricole réalisé en 1996-97,
ils ont pu établir que près de 43 % de la population rurale vit sur des « exploitations » trop peu viables pour
leur permettre de vivre décemment, ni même d’être en mesure de répondre aux politiques de développe-
ment de l’État, de sorte qu’ils n’hésitent pas à en conclure que celles-ci, depuis des décennies, ont en réalité
ignoré une bonne partie de la population rurale. À cela s’ajoutent quantité de données plus ou moins actuali-
sées et mettant en évidence l’ampleur du dénuement du monde rural : celui-ci, va-t-on marteler à longueur
de pages, reste caractérisé par « l’extension de la pauvreté et la vulnérabilité de plus du tiers de la popula-
tion », par une inégalité des revenus demeurée « très marquée », par un analphabétisme dont souffrent « les
deux tiers des hommes et presque toutes les femmes », par un accès à la santé, à l’eau potable, à l’électri-
cité et à l’assainissement encore très limité 2. Bref, face à la lourdeur du constat, les auteurs en arrivent à
reconnaître qu’il existe « une immense fracture sociale dans le pays, celui-ci se présentant comme une
société à deux vitesses avec un monde rural à la traîne et globalement incapable de s’accrocher au train du
changement social et du progrès ». 3
Cette situation, ajoutent avec gravité les auteurs, ne peut durer car « elle porte en elle des risques graves
de déstabilisation en même temps qu’elle constitue un facteur de blocage du développement dans son
ensemble. L’extension de la pauvreté rurale freine la constitution d’une accumulation en milieu rural en
même temps qu’elle empêche l’élargissement du marché intérieur dont la croissance est indispensable au
développement du pays. » 4
Pour toutes ces raisons, les auteurs estiment que le développement du monde rural doit être considéré
comme une priorité absolue du développement national, sinon comme « LA priorité ».

1. Ministère de l’Agriculture, du Développement Rural et des Pêches Maritimes, Conseil Général du Développement Rural : Stratégie 2020 de
développement rural, 2 volumes (Document de synthèse et Document de référence), Rabat, 1999, respectivement 83 p et 293 p. Nous citerons
aussi le « Document provisoire » du « Projet de stratégie 2020 pour le développement rural », distribué par le Conseil Général du Développement
Rural, et ayant fait l’objet d’une diffusion limitée aux « membres du panel d’experts », le 27 février 1999 à Rabat, doc. Ronéo, 105 p.
2. On peut encore lire sur le document pré-cité : « Mais c’est probablement en termes de statut social, d’accès aux différentes opportunités
de développement économique et social et d’émancipation que la situation de la plupart des ruraux a insuffisamment évolué. Les femmes rurales,
en particulier, ont, pour la plupart des charges de travail semblables à celles d’autrefois. Leur vie est dominée par la pénibilité, la fatigue, l’igno-
rance, l’étroitesse de leur horizon et elles n’ont guère priorité des progrès sociaux dont ont bénéficié leurs sœurs des villes. Quant aux jeunes
ruraux, aujourd’hui bien informés de la modernité, ils tendent à rejeter les modèles sociaux de leurs parents et, souvent, ne restent dans les zones
rurales que faute d’alternative. Les ruraux, qui constituent encore la moitié de la population, restent ainsi marginalisés et leur culture peu valori-
sée ». Cf. Stratégie 2020 de développement rural, Document de synthèse, 1999, op. cit., p. 17.
3. Stratégie 2020 de développement rural, Document de référence, 1999, op. cit., p. 79.
4. Plus loin, les auteurs insistent : « Il ne peut y avoir de développement qui repose sur une fracture sociale aussi large, il ne peut y avoir de
développement quand la moitié des consommateurs ne participe que faiblement à la croissance du marché intérieur, il ne peut y avoir de déve-
loppement quand une part aussi large de la société est exclue du processus d’accumulation. Le développement rural se justifie amplement en
termes d’équité, de solidarité et de réduction des déséquilibres sociaux. Mais il se justifie d’une façon encore plus définitive en tant que condition
du développement de l’économie du pays, et par voie de conséquence, en tant que condition de son insertion réussie dans la mondialisation ». Cf.
Stratégie 2020 de développement rural, Document de synthèse, 1999, op. cit., p. 19-20.

134
La « Stratégie 2020 de développement rural » ambitionne d’abord d’offrir une « vision » qui, projetée sur
une vingtaine d’années, matérialiserait « un changement majeur du paysage social et politique » dans le
monde rural, et constituerait de ce fait un « objectif de société » parce que partagé par tous 1. Il s’agirait pour
l’essentiel de mettre en œuvre les processus économiques, sociaux et politiques créant un environnement
porteur à même d’ouvrir toutes les possibilités de croissance économique et de bien-être à la population en
réduisant les déséquilibres et en valorisant le potentiel des zones rurales. Les « principes fondamentaux » de
la « stratégie » sont ceux du développement humain, érigé en « finalité du développement rural », l’équité et
la solidarité, la recherche de l’efficacité économique et la participation démocratique. De ce point de vue, le
développement rural ne se réduit pas à un programme promu seulement par l’État, mais un « phénomène de
société » fondé sur les initiatives des acteurs ainsi que sur la mise en cohérence des projets qu’ils peuvent
formuler.
Le développement rural est aussi un processus concret qui vise à affronter la globalité des problèmes du
monde rural, en prenant en compte les atouts spécifiquement ruraux, et dont les résultats doivent être
appréciés avant tout en termes de « développement humain ». Cela signifie que les actions qui seront entre-
prises doivent se conjuguer pour que les ruraux puissent travailler et gagner suffisamment pour améliorer
leurs conditions d’existence, avoir accès à la santé et l’éducation, « vivre dans un environnement non
dégradé, élargir leurs possibilités de choix, et, enfin, qu’ils puissent s’exprimer en tant que citoyens respon-
sables au sein d’une société démocratique ».
Il est intéressant de voir comment est perçue la question de la sécurité alimentaire dans le cadre de cette
vision. En effet, si celle-ci doit procéder de progrès indispensables à réaliser au double niveau de la produc-
tion agricole et de l’accroissement des revenus, elle devra en fait s’exprimer de deux façons indique-t-on.
D’une part, cela signifie que toute la population pourra effectivement avoir accès à une nourriture dont l’offre
sera suffisante, de sorte qu’il n’y aura pas de malnutrition. D’autre part, la sécurité alimentaire s’exprimera en
termes de souveraineté nationale, le Maroc devant « produire une certaine quantité d’aliments de base pour
éviter d’être soumis à des pressions extérieures qui utiliseraient contre lui l’arme alimentaire ». Les « niveaux
stratégiques » de couverture par la production nationale des besoins alimentaires de la population seront
déterminés « d’une façon dynamique, compte tenu des avantages comparatifs et des possibilités du marché
international ». En tout cas, cela implique que le pays aura à défendre en quelque sorte son « quota de souve-
raineté » en incitant les producteurs à produire pour le marché national et, si nécessaire, à stocker leur pro-
duction pour atténuer les variations annuelles. Cela implique encore, le cas échéant, de les protéger des
« surenchères des marchés extérieurs » 2.
Au niveau des approches et méthodes d’action, la stratégie veut tellement innover qu’il est même ques-
tion de « nouveaux paradigmes ». En tout cas, les idées-force en la matière sont celles de l’approche inté-
grée et globale (holistique...). Elles sont aussi fondées sur de nouvelles perceptions de la territorialité,
prenant en considération les dimensions agro-écologiques (avec le concept de « vocation dominante », et
celles des espaces « socio-territoriaux » (terroirs, aires pastorales...). Elles s’articulent sur la mise en place de
mécanismes susceptibles de favoriser la responsabilisation et la participation des acteurs (déconcentration,
décentralisation, partenariat et négociation contractuelle).
La stratégie préconisée devrait se développer par « le jeu d’une convergence de politiques » à même de

1. Stratégie 2020 de développement rural, Document de synthèse, 1999, op. cit., p. 35-44.
2. Stratégie 2020 de développement rural, Document de synthèse, 1999, op. cit., p. 40-41. Il faut toute fois que l’expression « quota de sou-
veraineté » figurait plutôt dans le « document provisoire » distribué aux membres du panel d’experts en févier 1999 (p. 28). Dans le document
final, le passage en question est devenu le suivant : « Ceci signifiera que la sécurité alimentaire du pays pourra être défendue en incitant les pro-
ducteurs à mettre leurs productions sur le marché national – et, si nécessaire, à la stocker pour atténuer les variations annuelles – et, le cas
échéant, en les protégeant des surenchères des marchés extérieurs ».

135
répondre aux divers problèmes rencontrés dans le milieu rural. Un cadre conceptuel et opérationnel devrait
permettre une mise en cohérence horizontale et une synergie des diverses composantes des politiques agri-
coles ainsi que de celles-ci avec les autres politiques sectorielles intervenant dans le milieu rural. Les princi-
paux champs de ces politiques sont ceux de la politique macro-économique, la croissance agricole, la gestion
des ressources naturelles, la promotion de l’emploi rural et la lutte contre la pauvreté, l’équipement des
zones rurales dans le cadre de l’aménagement du territoire, l’accès à la santé et l’éducation, la formation et la
valorisation des ressources humaines, et l’intégration de la femme rurale au processus de développement.
Une observation essentielle s’impose à ce niveau. En effet, très curieusement, le chapitre 4 relatif à la poli-
tique macro-économique tranche manifestement avec et l’esprit et la lettre de l’ensemble du document,
puisque subitement, on y retrouve les thèses et le discours très familiers de la Banque mondiale... Alors que
dans les autres parties du document, il est question de développement humain, du danger de la fracture
sociale, de vision sociétale et de dessein global, de citoyen responsable dans une société démocratique, de
forces du marché insuffisantes pour atténuer les inégalités, de souveraineté nationale et de producteurs à
protéger le cas échéant « des surenchères des marchés extérieurs », dans ce chapitre 4, il n’est question
que de protection source d’inefficacité, de distorsions sur le marché et de mauvaise allocation des res-
sources, de taux de change et de taxation indirecte défavorable aux biens échangeables, de déficit bud-
gétaire favorisant la substitution du travail par le capital, et pour tout dire de nécessaire libéralisation des prix
et des marchés, même si l’on reconnaît que le « coût social » risque d’en être lourd 1... De toute évidence, la
« greffe » de ce chapitre dans un document qui relève de toute une autre logique est pour le moins surpre-
nante, et ne s’explique en fait, pensons-nous, que par le besoin d’un certain « compromis » avec les bailleurs
de fonds internationaux...
Il reste que, les différentes actions, dont la mise en synergie est une condition de succès décisive, doivent
se déployer sur le terrain proprement agricole certes, mais aussi promouvoir des activités non agricoles en
milieu rural, notamment pour parer aux aléas de l’agriculture pluviale et diversifier les sources de revenus des
ruraux, et bien sûr permettre de résorber les multiples retards accumulés en matière d’accès aux infrastruc-
tures de base et aux services sociaux.
Quant aux instruments et moyens de mise en œuvre, ils concernent principalement les instruments de
caractère institutionnel et juridique, ceux de financement, et ceux de programmation et de suivi de l’action.
Sur le plan institutionnel, est recommandée la création d’une « nouvelle personne juridique adaptée à la
dimension des circonscriptions territoriales de mise en œuvre du développement rural », une sorte « d’insti-
tution de mission » apparaissant comme le prolongement territorial du Comité Interministériel Permanent du
Développement Rural ». Les instruments socio-juridiques sont sollicités notamment pour mieux gérer les
problèmes fonciers, les inégalités dans la répartition de la propriété étant jugés constituer « un handicap
considérable » pour le développement, et les « forces du marché » seules s’avérant insuffisantes pour atté-
nuer ces inégalités 2. Les conditions de financement à réformer et amender concernent aussi bien les res-
sources publiques dont une meilleure allocation devrait être recherchée en tenant compte des priorités du
développement rural, que la CNCA dont la réforme devrait aller dans le sens d’une mutualisation à dif-
férentes échelles locales, ou la conception de nouvelles formes de crédits adaptées aux réalités locales, ou
encore la mobilisation sur des bases nouvelles de financements internationaux. Enfin, apparaît également

1. Cf. Stratégie 2020 de développement rural, Document de référence, 1999, op. cit., p. 109-122; voir aussi : « Projet de stratégie 2020 pour
le développement rural », Document provisoire, février 1999, op. cit., p. 44-47.
2. « Il serait ainsi, est-il recommandé, pertinent de s’interroger sur les instruments institutionnels et juridiques susceptibles de stimuler un
meilleur fonctionnement du marché de la terre, par exemple en aidant les petites et moyennes exploitations à accéder en priorité aux terres
offertes sur le marché, de préférence aux acheteurs urbains et aux grands propriétaires ». Cf. Stratégie 2020 de développement rural, Document
de synthèse, 1999, op. cit., p. 69.

136
indispensable la mise en place d’instances « d’intermédiation et d’aide à la programmation participative »
(émanant entre autres de la société civile), d’instances de suivi et d’évaluation associant les différents
acteurs du développement rural (avec notamment des « Observatoires du développement rural »).
Plus concrètement, la politique de développement rural intégré devrait s’articuler autour de deux axes prin-
cipaux. Le premier concerne l’espace et l’activité agricoles, le second s’attache au développement de pro-
grammes spéciaux. Il s’agit en premier lieu de « poursuivre l’effort de modernisation de l’agriculture et
d’aménagement de l’espace agricole en renforçant l’intégration avec les programmes de développement des
activités productives non agricoles, des infrastructures socio-économiques et des services de base ». Les
programmes spécifiques en cours doivent être poursuivis, tels le programme national d’irrigation, le pro-
gramme de mise en valeur des zones bour, les programmes d’aménagement des parcours, de reboisement
et d’aménagement des bassins versants. Les activités non agricoles à développer en milieu rural, examinées
de manière plus approfondie que par le passé ; devraient en particulier concerner l’agro-industrie, l’artisanat,
les mines, le tourisme, la pêche et les services tels le commerce, et les petits métiers de réparation et de
maintenance. Dans les domaines de l’infrastructure et des services de base, les programmes en cours
depuis quelques années (eau potable, électrification rurale, encadrement sanitaire, construction des routes
rurales..) doivent être poursuivis et renforcés. Pour leur part, les programmes spéciaux, prioritairement desti-
nés aux zones défavorisées, telles les zones de montagne, oasiennes et frontalières, devraient fortement
bénéficier de tous les programmes évoqués ci-dessus, matérialisant ainsi la nécessaire solidarité à même
d’atténuer les grandes inégalités régionales.
Enfin, tous ces programmes devraient être mis en œuvre à travers des projets organisés autour d’activités
motrices (agricoles, touristiques, minières...) se déployant sur des espaces de dimension relativement
réduite. C’est à ce niveau que les synergies devraient se développer, les effets d’entraînement jouer, accélé-
rant une dynamique génératrice d’emplois, de revenus et finalement d’amélioration des conditions d’exis-
tence des populations rurales.
À l’issue de la présentation de la « Stratégie 2020 », ses auteurs concluent en affirmant que sa mise en
œuvre pourrait « commencer demain, à partir de programmes d’action immédiate. Il suffirait pour cela que
l’État en confirme les orientations, qu’il exprime sa volonté d’agir et que son administration s’engage réelle-
ment et rapidement dans une réorientation de ses activités ». Ils vont même jusqu’à en préciser les étapes,
en indiquant qu’une fois la stratégie adoptée au niveau gouvernemental par le « Conseil Interministériel »,
son opérationnalisation effective pourrait suivre un processus en trois phases principales : 1. Élaboration d’un
cadre opérationnel de l’action du gouvernement en matière de développement rural ; 2. Élaboration de plans
directeurs 2020 régionaux et infra-régionaux ; 3. Élaboration périodique de « contrats de plans » pour chaque
région 1.
Le problème est que le « Conseil interministériel » en question n’a jamais inscrit la « stratégie 2020 » à son
ordre du jour pour l’adopter ni même seulement pour en débattre. De sorte que ce énième projet ne pourra
jamais franchir le seuil de la première phase de son opérationnalisation... Certes, elle sera çà et là médiatisée
pendant un certain temps, fera l’objet de présentations diverses dans tel colloque ou tel « Débat national »
(celui ayant porté sur l’aménagement du territoire notamment), mais tout cela reste bien superficiel. Ulté-
rieurement, Dans un rapport interne du Ministère de l’Agriculture, on peut lire que « tout cela reste insuffi-
sant car, il faut le reconnaître, il n’y a pas eu une démarche systématique d’information et d’explication, y
compris au sein du ministère, pouvant aboutir à une appropriation de la stratégie par le dialogue, l’écoute et
l’échange » 2.

1. Stratégie 2020 de développement rural, Document de synthèse, 1999, op. cit., p. 34 et 77-83.
2. Cf. Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural, Plate-forme pour l’élaboration d’un plan d’action pour le développement rural,
Rabat, 2003, 41 p, p. 13.

137
Et cependant, le tourbillon des commissions, comités et autres groupes d’études continuait, puisque les
efforts s’étaient déjà orientés vers la préparation du Plan quinquennal, lequel devait à l’origine couvrir la pé-
riode 1999-2003 et, faute d’être préparé à temps, a fini par être celui de la période 2000-2004.

4.11. Le Plan quinquennal 2000-2004

Ce Plan quinquennal devait naturellement matérialiser les orientations majeures du gouvernement Yous-
soufi. Dans le domaine du développement rural du moins, il semblait aller de soi que le plan allait non seule-
ment marquer la priorité qui devait lui être accordé, mais également constituer une première opportunité
pour engager la mise en œuvre de la « stratégie 2020 ». En effet, la « Commission spécialisée » qui avait été
constituée dans le cadre de la préparation du Plan pour se consacrer à la question du développement rural et
agricole avait travaillé dans cet esprit 1. Le rapport établi par cette commission s’est d’abord illustré par l’état
des lieux qu’il établit à partir de certains indicateurs significatifs, qui mettent en évidence « la situation pré-
occupante dans laquelle se trouve, encore, le monde rural à la veille du Plan » 2. S’agissant de données offi-
cielles relatives à une période de près de 45 ans postérieure à l’indépendance, les rappeler revient à dresser
un bilan, du point de vue du développement humain, de l’expérience du Maroc rural du demi-siècle passé.
Ces données sont les suivantes 3 :

* Un indicateur de développement humain pour le milieu rural inférieur à la moitié de celui des villes, déjà
jugé faible ;
* Une faiblesse des revenus, avec de fortes disparités entre le rural et l’urbain, de sorte que, près des
deux tiers de la population pauvre vit en milieu rural ;
* Un taux d’analphabétisme qui atteint 75 %, et un taux de scolarisation ne dépassant pas 46 % pour le
total des enfants scolarisables, et 23 %, seulement, pour les filles ;
* Une insuffisance notoire en infrastructures de base, de sorte que 54 % des localités rurales sont encla-
vées, 63 % de la population n’a pas accès à l’eau potable, et 87 % des ménages ruraux n’ont pas d’élec-
tricité ;
* Une insuffisance notoire en matière de couverture sanitaire, de soins médicaux et de planification fami-
liale ; la mortalité infantile atteint 48 pour mille nouveaux nés (25 en milieu urbain) et 79 % des femmes
accouchent sans assistance médicale ;
* Une forte dégradation des ressources naturelles, dont l’exploitation tend à devenir de type minier sous
l’effet de la pression démographique et à défaut d’une diversification suffisante des activités écono-
miques.

Ceci étant, même s’il n’était pas encore finalisé, c’est le projet de la stratégie 2020 qui avait servi de cadre
de référence aux travaux de cette commission. Certains de ses principes tels que la territorialisation, l’inté-
gration et la participation, ont notamment servi à la mise en cohérence des programmes, un saut décisif
devant avoir lieu avec la « finalisation » attendue du « Plan d’action 2020 » qui devait accompagner la « Stra-
tégie ».

1. Ministère de l’Agriculture, du Développement Rural et des Pêches Maritimes, Plan quinquennal de développement économique et social
1999-2003, Commission Spécialisée Développement Rural et Agricole, volume 1 : Développement Rural, Rapport principal, non daté, 57 p.
2. Commission Spécialisée Développement Rural et Agricole, Développement Rural, 1999, op. cit., p. 6-7.
3. Ces données ont également été publiées dans la revue du Ministère de l’Agriculture, du Développement Rural et des Pêches Maritimes, le
Terroir, no 1, mars 1999, p. 16.

138
Mais le rapport de cette commission restera lui aussi dans les tiroirs, et lorsqu’on examine aujourd’hui la
version finale du Plan quinquennal 2000-2004, on n’y décèle rien qui rappelle le contenu du rapport de la
« Commission spécialisée ». Du reste, le rapport interne du Ministère de l’agriculture déjà cité devait
admette cet « échec » en reconnaissant que « les actions finalement retenues par le Plan ont été formulées
selon les procédures sectorielles habituelles. Il n’a pas été possible de réaliser la moindre avancée en
matière d’intégration et de mise en cohérence ». Et le rapport de conclure : « Force est donc de constater
que du plan quinquennal n’émerge pas un véritable plan national de développement rural. Le document du
plan s’est ainsi contenté d’énoncer, en deux pages, les intentions et les principes. » 1
Au demeurant, ce Plan ne marquera pas non plus l’Histoire par son contenu relatif au développement agri-
cole 2. On y retrouve certes la réaffirmation des désormais traditionnelles orientations stratégiques en la
matière (amélioration du revenu agricole, sécurité alimentaire, intégration au marché, protection des res-
sources naturelles), et les principaux axes de la « stratégie » proposée : aménagement de l’espace agricole,
filières de production, formation, recherche et vulgarisation, modernisation du ministère, renforcement des
organisations professionnelles, amélioration de l’environnement économique. Un Plan d’action traduit
ensuite des axes en projets et mesures qui apparaissent cependant plutôt comme un simple catalogue
d’intentions plus ou moins cohérentes avec les objectifs affichés.
Il est vrai cependant qu’en 1999, si l’élaboration de la stratégie du développement rural était quasiment
achevée, le chantier de la stratégie de développement agricole venait à peine d’être engagé. Ses travaux
devaient être couronnés par l’organisation du Colloque National de l’Agriculture et du Développement Rural

4.12. Colloque national et Stratégie de développement de l’agriculture


marocaine (2000)

L’élaboration de la stratégie de développement à long terme de l’agriculture marocaine fut d’abord le pro-
duit de tout un processus d’études et de débats qui avait duré près d’un an, processus ponctué d’ateliers
thématiques, de « tables filières » et autres séminaires d’étape, le tout couronné par le Colloque National de
l’Agriculture et du Développement Rural, tenu à Rabat les 19-20 juillet 2000. Outre les dizaines de rapports et
notes internes produits durant la phase préparatoire, pas moins de vingt-cinq documents furent publiés à
l’occasion de ce colloque et distribués aux participants, en arabe et en français, et portant sur un grand
nombre de sujets, aussi bien horizontaux (territorialisation de l’agriculture, financement, fiscalité, Observa-
toire de la sécheresse, recherche agricole, organisation professionnelle, femme rurale...) que verticaux (les
différentes filières de production...). C’est dire qu’une fois de plus, ce ne sont pas les documents, souvent
volumineux, qui ont manqué...
Parmi la double douzaine de documents distribués au colloque, deux ont un caractère synthétique et ont
pour objet de présenter la nouvelle stratégie soumise au débat des participants. Le premier est intitulé « Pour
une stratégie de développement à long terme de l’agriculture marocaine » et le second « Politique d’appui à
la mise en œuvre de la stratégie de développement agricole » 3. Ce sont ces deux documents qui vont nous
servir de référence pour présenter la stratégie en question.

1. Parmi les raisons de cet échec, le rapport avance les éléments suivants : absence de projets territoriaux d’aménagement, lourdeur et diver-
sité des programmes verticaux déjà engagés, absence d’une définition opérationnelle du monde rural... Cf. Ministère de l’Agriculture et du Déve-
loppement Rural, Plate-forme pour l’élaboration d’un plan d’action pour le développement rural, Rabat, 2003, p. 2 et 19.
2. Ministère de la Prévision Économique et du Plan, Le Plan de Développement Économique et Social 2000-2004, volume 2 : Le développe-
ment sectoriel, Deuxième partie : Les secteurs productifs, Rabat, 2001, p. 11-91.
3. Colloque National de l’Agriculture et du Développement Rural : Pour une stratégie de développement à long terme de l’agriculture maro-

139
La démarche conduisant à l’élaboration de la stratégie agricole commence – encore... – par une sorte
d’autocritique où les responsables reconnaissent le « relatif immobilisme des politiques agricoles » qui n’ont
pas su s’adapter aux changements intervenus durant les deux ou trois dernières décennies 1. Et quand elles
ont dû évoluer, dans le cadre des politiques d’ajustement structurel, le désengagement de l’État, estime-
t-on, a surtout conduit à réduire ses moyens d’intervention, affaiblir ses structures de soutien et d’encadre-
ment, et partant limiter d’autant sa capacité à jouer son rôle d’animateur de développement. À tel point que,
peut-on lire, « les agriculteurs de nombreuses régions ressentent encore profondément le vide créé par la
disparition de ces services et il ne fait pas de doute que la ?visibilité ? du Ministère de l’Agriculture dans les
campagnes en a été, depuis, durablement affectée » 2. De manière générale, les politiques de soutien,
essentiellement tournées vers les fonctions de production, ne se sont en fait que très superficiellement inté-
ressées à la réalité des exploitations agricoles, dans leur diversité et leur complexité, et encore moins aux
producteurs « en tant que personnes sociales » précise-t-on. En tout cas, le système incitatif, pourtant au
cœur des politiques d’ajustement, n’a pas réussi à devenir un facteur de compétitivité, en dépit de tous « les
correctifs » qu’il a subi. La question du financement pour sa part, « ne fut jamais bien résolue ». Pas plus que
celle de l’approche des projets de développement qui n’a jamais réussi à coller aux réalités des territoires ni à
se déployer de manière intégrée, ce qui explique, reconnaît-on, « l’échec ou le faible impact de la plupart des
projets intégrés, qui ne furent jamais qu’une addition de projets sectoriels » 3.
Ce regard résolument critique sur l’expérience passée étant fait, les auteurs de la nouvelle stratégie esti-
ment que celle-ci marquera un « grand tournant », caractérisé par un changement de fond qui aura consisté à
redonner une place aux agriculteurs dans les processus de décision, ce qui signifie que l’on sera passé d’un
concept d’État comme catalyseur de la production à un concept d’État promoteur du développement, ou
encore « de l’exercice de la tutelle à la responsabilité citoyenne » 4.
La stratégie proposée apparaît d’autant plus impérieuse qu’elle doit permettre de faire face à quatre nou-
veaux enjeux majeurs. Le premier est économique et renvoie à l’impératif de mise à niveau de l’agriculture
marocaine dans la perspective de libéralisation des échanges et d’accélération du processus de globalisation.
Le second n’est autre que celui, stratégique, de la sécurité alimentaire. Il est intéressant de noter à ce niveau
que, après avoir sévèrement critiqué la thèse de la « sécurité par le marché international », les auteurs
reprennent ici quasiment mot à mot la formulation de la plate-forme du projet de Loi-cadre de 1997 : « Dans
le contexte national actuel, une approche basée sur la seule efficience économique pour assurer au pays son
approvisionnement alimentaire s’avère incompatible avec l’importance et la multifonctionnalité du secteur
agricole.(...) La sécurité alimentaire s’avère un impératif qui s’inscrit d’emblée dans le champ de la politique
agricole, elle est une prérogative des pouvoirs publics et relève des attributs de souveraineté nationale » 5. Le
troisième enjeu, écologique, est celui de la gestion durable des ressources naturelles, et le quatrième enjeu
enfin est social, celui du développement rural.
Ainsi, en même temps que sont réaffirmées autrement, c’est-à-dire en termes d’enjeux, les grandes orien-
tations stratégiques maintes fois rappelées depuis le milieu des années 90, l’articulations avec la « Stratégie
2020 de développement rural » est clairement établie, la nouvelle stratégie agricole étant considérée inscrite
dans le cadre de cette dernière. De prime abord, elle se donne pour ambition de permettre au secteur agri-

caine (195 p); Politiques d’appui à la mise en œuvre de la stratégie de développement agricole (149 p), Ministère de l’agriculture, du développe-
ment rural et des pêches maritimes, Rabat, 19-20 juillet 2000.
1. Pour une stratégie de développement à long terme de l’agriculture marocaine, 2000, op. cit., p. 7-18.
2. Ibid, p. 12.
3. Ibid, p. 13.
4. Ibid, p. 18.
5. Ibid, p. 39.

140
cole de « répondre aux impératifs d’une croissance soutenue et durable de la production et d’un développe-
ment rural intégré » 1.

La stratégie agricole a ensuite très logiquement commencée par se fixer des objectifs dominants, arrêter
des choix prioritaires, et s’est proposé de se déployer à travers quelques axes retenus en conséquence. Les
objectifs dominants sont « d’assurer la sécurité alimentaire, de combattre la pauvreté et l’exclusion et
d’assurer la croissance du secteur à un rythme et selon des modalités propres à favoriser le développement
d’ensemble » 2. Pour les atteindre, la stratégie proposée doit essentiellement mettre l’agriculture en condi-
tion pour répondre à quatre priorités dont la première apparaît à nouveau surtout déterminée par les « pres-
sions du moment » : le retour de la sécheresse rappelait à nouveau à chacun la nécessité de chercher à
mieux la gérer... Ces priorités sont donc les suivantes :
* Réduire la vulnérabilité à la sécheresse des productions agricoles et des ressources naturelles de base.
* Accroître les performances de production et l’efficience économique du secteur agricole.
* Assurer une gestion durable des ressources naturelles.
* Contribuer à la lutte contre la pauvreté et pour l’emploi en devenant le « pilier du développement rural ».

Ce sont ces priorités qui déterminent les grands choix à faire, mais ceux-ci sont également dictés par le
potentiel des ressources disponibles ainsi que par les capacités des agriculteurs et par les enjeux internes et
externes auxquels le pays est confronté. En tout cas, les axes autour desquels la nouvelle stratégie projette
de se construire sont les suivants :

* Une valorisation et une gestion durable des ressources de base de l’agriculture.


* La mise en condition des exploitations agricoles pour une plus grande compétitivité.
* La spatialisation des politiques agricoles pour une adaptation à la diversité des potentiels.
* Le traitement structurel du financement de l’agriculture.
* Un soutien apporté à « la stratégie de développement rural » pour un élargissement du marché du travail
et une amélioration des conditions de vie des ruraux.
* La mobilisation, la responsabilisation et la participation de toutes les ressources humaines impliquées.

Un accent particulier est mis sur la nécessité de « gérer autrement le développement agricole », ce qui
passe certes par un nouvel engagement de l’État, mais aussi par une meilleure organisation des opérateurs
dans le secteur, une valorisation du rôle de la femme, une réorganisation du ministère de l’agriculture (sur la
base du principe de subsidiarité), l’adoption d’une stratégie pour un traitement structurel de la sécheresse.
La question foncière a également bénéficié d’une attention particulière, avec des propositions intéressantes
susceptibles de favoriser l’assainissement des statuts fonciers, le règlement des problèmes d’indivision, de
remembrement et des baux ruraux, l’accélération des procédures d’immatriculation, et surtout un nouveau
ciblage des politiques agricoles en fonction des différents types d’exploitation. D’ailleurs, ces politiques
doivent également être territorialisées en fonction des vocations agricoles des terres et des caractéristiques
des différents ensembles agro-écologiques identifiés.

1. Colloque National de l’Agriculture et du Développement Rural : Politiques d’appui à la mise en œuvre de la stratégie de développement agri-
cole, Ministère de l’agriculture, du développement rural et des pêches maritimes, Rabat, 19-20 juillet 2000, p. 5.
2. Ibid, p. 50. On peut noter à ce niveau une certaine confusion entre objectifs « dominants » et ceux « spécifiques », ainsi qu’en ce qui
concerne la détermination des objectifs mêmes.. Ainsi, peut-on lire dans l’autre principal document synthétique : « Ces objectifs spécifiques s’arti-
culent autour de l’amélioration des revenus des agriculteurs dans une vision de développement durable où le marché national évoluera en harmo-
nie et en conformité avec l’évolution du contexte des échanges internationaux, tout en tenant compte des impératifs de la sécurité alimentaire du
pays et le développement de ses différentes zones rurales »... Cf. Politiques d’appui à la mise en œuvre..., 2000, op. cit. p. 5.

141
Enfin toute une partie est consacrée aux filières de production qui doivent être restructurées et adaptées
aux nouvelles « exigences du marché ». Précisément à propos de ces dernières, force est de constater que
là réside une grande faiblesse de cette stratégie, faiblesse qui est du reste aussi celle de la stratégie 2020
pour le développement rural. En effet, comme nous l’avons noté lors de la présentation de cette dernière,
alors que l’ensemble du document adopte un ton, un style et une substance très différents de ceux caracté-
ristiques des rapports de la Banque mondiale, on est surpris de tomber, au détour d’une page, sur quelques
passages qu’on jurerait rédigés par un expert chevronné de l’institution de Washington ! Fini alors le discours
sur les producteurs « personnes sociales », la « responsabilité citoyenne », la sécurité alimentaire « attribut
de la souveraineté nationale », les exportations ayant des contre-effets sur le marché intérieur, et la terre qui
« n’est pas un facteur de production comme les autres »... Soudain, seul le marché devient capable d’effi-
cience et d’orientation de la production, les taux de change – nécessairement surévalués... – responsables
des mauvaises performances du secteur agricole, les prix – nécessairement « non vrais » – coupables de dis-
torsions de toute sorte, et la libéralisation et la promotion des exportations la planche de salut pour tout essor
futur de l’agriculture 1... Ce mariage contre-nature entre deux logiques totalement différentes porte sans
doute atteinte à la cohérence d’ensemble de la stratégie et en affaiblit la portée 2.
Il reste que tous ces axes ont par la suite fait l’objet, dans le document des « politiques d’appui à la mise
en œuvre », de programmes d’action et de mesures d’accompagnement allant souvent à un niveau de détail
très poussé : Actions proposées, types de mesures, délais d’exécution, organismes responsables 3...
À l’issue du Colloque national de l’agriculture et du développement rural, les participants, qui avaient
débattu pendant deux jours des « deux stratégies », avaient achevé leurs travaux en rendant publiques des
centaines de recommandations, relatives à tous les domaines concernés 4.
Et puis les feux se sont éteints...

Quelques mois plus tard, à la lumière d’un changement de gouvernement, un autre ministre s’installa au
Département de l’agriculture. Bien qu’étant de la même coalition politique qui formait le gouvernement
depuis 1998, le nouveau ministre n’hésita pas à marquer ses différences avec son prédécesseur. Il faut dire
que les divergences entre les deux ministres n’étaient pas minces puisqu’elles portaient même sur la per-
ception de l’agriculture et son importance dans l’identification des grandes caractéristiques de l’économie du
pays. En effet, face à la persistance des sécheresses, alors que le premier voulait continuer à croire en l’agri-
culture marocaine, le second déclara tout bonnement que « le Maroc est un pays de pastoralisme et non
d’agriculture ! » 5. En juin 2002, il reviendra sur le sujet pour se faire insistant : « Par contre, nous ne sommes
pas un pays à vocation agricole. Depuis toujours... Depuis que le Maroc existe, nous n’avons jamais été un
pays à vocation agricole, même si pendant certaines périodes, notre pays était considéré comme un grenier
à blé » 6.
On comprend dans ces conditions qu’il ait été difficile d’espérer voir ce dernier continuer l’œuvre engagée
par le premier, même si « l’œuvre » en question n’a de toute façon guère dépassé le stade des rapports offi-
ciels et des colloques conventionnels...
Le fait est que ce quotidien était tout au long de ces dernières années-là principalement chargé par le poids

1. Cf. Pour une stratégie de développement à long terme de l’agriculture marocaine, 2000, op. cit., p. 51-55 et 182-190.
2. Comme nous l’avons aussi indiqué plus haut à propos de la stratégie du développement rural, il nous semble que ces incohérences ne
peuvent s’expliquer que par une nécessité de compromis « politique » entre les différentes composantes des sphères de décision, mais qui, mal
faits, finissent par porter atteinte à la crédibilité de l’ensemble...
3. Cf. Politiques d’appui à la mise en œuvre..., 2000, op. cit.
4. Ces recommandations, reproduites en caractères serrés, tiennent en 26 pages... Cf. Ministère de l’agriculture, du développement rural et
des pêches maritimes, Recommandations du Colloque National de l’agriculture et du développement rural, 19-20 juillet 2000, Doc. Ronéo, 26 p.
5. Cf. Assahifa, hebdomadaire, Casablanca, 10 novembre 2000.
6. Cf. La Vie Économique, hebdomadaire, 7 juin 2002.

142
écrasant des effets de la sécheresse. De sorte que, faute d’avoir pu se doter d’une vision d’ensemble et
d’une stratégie leur permettant de « garder le cap » sur l’horizon du long terme, les responsables du départe-
ment de l’agriculture se sont rendus vulnérables face à la « dictature du court terme », et se sont donc rapi-
dement enlisés dans le train-train du quotidien et des mesures et contre-mesures destinées à parer à
l’urgence des évènements. Désormais, la politique agricole au Maroc allait pratiquement se réduire à une
politique de lutte contre les effets de la sécheresse 1.
À l’issue des élections générales de septembre 2002, un nouveau premier ministre, dit technocrate, allait
être nommé pour prendre la tête d’une coalition gouvernementale aussi hétéroclite que celle qui l’avait pré-
cédée. Une question semble pourtant faire l’unanimité : ranger dans les tiroirs les travaux et les « straté-
gies » qui avaient été réalisés par le gouvernement précédent...

4.13. Les déclarations d’intention du gouvernement actuel (2002)

De manière générale, le programme contenu dans la déclaration de politique générale du gouvernement


actuel repose fondamentalement sur les quatre priorités définies par le Roi en octobre 2002, lors de son dis-
cours d’ouverture de la session d’automne du Parlement. Ces priorités sont les suivantes : l’emploi productif,
le développement économique, l’éducation et l’habitat. Sur cette base, le programme gouvernemental s’est
voulu fondé sur deux piliers : renforcement et modernisation des grands réseaux d’infrastructures d’une part
et mise à niveau du tissu économique national d’autre part.
Cependant au niveau sectoriel, curieusement et de manière assez inédite, le programme présenté aux
députés a quasiment fait l’impasse sur l’agriculture. En effet, on n’y trouve aucune partie qui lui soit consa-
crée, ni pour clarifier la politique que le gouvernement compte y conduire, ni même seulement pour préciser
ses intentions quant à certaines réformes à l’ordre du jour depuis plusieurs années et sans cesse reportées 2.
Tout au plus l’agriculture est-elle rapidement évoquée dans le cadre de l’axe relatif à la mise à niveau de
l’économie, lorsqu’il est question des conséquences des futurs accords de libre-échange avec l’Union Euro-
péenne et les États-Unis, en négociation alors : « il nous revient, déclare le Premier ministre, d’accorder un
intérêt particulier à ce secteur et d’agir pour mettre à niveau ses branches les plus fragiles ».
Le développement rural par contre bénéficie d’une meilleure attention. Dans le cadre de la priorité accor-
dée au renforcement des infrastructures, et d’une vision qualifiée de « politique de proximité », le gouverne-
ment affirme clairement sa volonté de poursuivre l’exécution du programme de développement des
infrastructures en milieu rural et se donner les moyens pour « doubler le rythme de réalisation des infrastruc-
tures et des services publics ». Concrètement, décision est prise de raccourcir les délais de réalisation des
programmes déjà en cours en matière d’électrification rurale, d’approvisionnement en eau potable des cam-
pagnes, de construction des routes rurales et autres infrastructures économiques et sociales. C’est ainsi que
la généralisation de l’électrification dans le monde rural serait réalisée à la fin de 2007, soit trois ans avant le
délai qui était retenu jusqu’alors 3. Pour ce qui est de l’eau potable, le taux de couverture des campagnes
devrait passer de 50 % en 2002 à plus de 90 % à la fin de 2007 au lieu de 2009 décidé auparavant. Quant au
programme de construction des routes rurales, il devrait lui aussi être accéléré pour passer à un rythme

1. N. Akesbi, Rapports annuels sur l’état de l’agriculture et des politiques agroalimentaires au Maroc (1998-2002), Centre International des
Hautes Études Agronomiques Méditerranéennes, Paris (disponibles sur le Site Web : http ://www.ciheam.org).
2. Cf; Le Matin du sahara et Al Ittihad Al Ichtiraki, quotidiens, Casablanca, 23 novembre 2002.
3. En fait ceci devrait correspondre à un taux de couverture de 92 % (contre un taux estimé en 2003 à 55 %, selon une déclaration du Ministre
de l’énergie et des mines, devant le Parlement, en date du 2 juillet 2003).

143
annuel de 1500 kilomètres par an (au lieu du millier actuel). Le gouvernement promet aussi de veiller à activer
les différents programmes dans les domaines de l’éducation et la santé en milieu rural, mais se garde en la
matière de s’engager sur des objectifs chiffrés.
Enfin, notons que le Premier ministre terminait cette partie de son discours en annonçant que, compte
tenu de l’importance que le gouvernement accorde à l’environnement en général et à la forêt en particulier, il
avait été décidé la création d’un Haut commissariat pour la forêt et la lutte contre la désertification. Cet
organe allait avoir pour tâche d’élaborer un « programme d’ajustement ambitieux » couvrant les deux pro-
chaines décennies et destiné à la protection des ressources forestières, ainsi que de dégager les voies et
moyens de gérer ce secteur vital. Il devrait en particulier œuvrer à planter un million d’hectares et mettre en
œuvre un programme d’action pour limiter l’extension de la désertification 1.
Au-delà de la part, modeste, réservée dans ce discours annonciateur des intentions du gouvernement 2, on
est tout de même frappé par son total silence même sur les orientations stratégiques pourtant encore rappe-
lées dans le plan 2000-2004 et dans le cadre duquel l’action du gouvernement est censée s’inscrire (amélio-
ration du revenu agricole, sécurité alimentaire, intégration au marché, protection des ressources
naturelles...). On peut en particulier se demander ce qu’il en est de la perception actuelle de la « sécurité ali-
mentaire » ? On reste perplexe en constatant qu’aucune allusion n’est faite ni à la stratégie du développe-
ment rural ni à celle du développement agricole élaborées quelques années plutôt, et qui restent ainsi dans
une situation pour le moins curieuse, n’ayant en fait à ce jour jamais été ni officiellement adoptées, ni ouver-
tement rejetées.
Même par rapport à des orientations plus récentes, certains « silences » ne manquent pas d’étonner. C’est
ainsi que par exemple, on peut se demander ce qu’il en est de cette volonté affirmée avec force durant ces
dernières années de sécheresse d’intégrer désormais celle-ci comme une donnée permanente et struc-
turelle dans l’élaboration de toute politique agricole à venir... Est-ce le retour des pluies qui, une fois de plus,
fait « oublier » cet impératif stratégique absolu ? Devra-t-on à nouveau attendre la prochaine sécheresse pour
se contenter de parer au plus pressé, et monter dans la précipitation quelque programme de « lutte contre
les effets de la sécheresse » ?

Le « bilan d’étape » présenté par le Premier Ministre devant la Chambre des représentants en juillet 2003 a
offert une deuxième occasion pour essayer de mieux comprendre les intentions du gouvernement en
matière de politique agricole, en même temps que ses réalisations dans les domaines de l’agriculture et du
développement rural 3. Dans ce discours, et au-delà de propos relatifs à la conjoncture du moment (le retour
des pluies et la bonne récolte de l’année...), la partie qui apparaît intéressante concerne les filières agricoles
dont la mise à niveau est déclarée prioritaire. À titre d’illustration, sont cités les efforts fournis au niveau des
filières oléicole, phoenicole, et agrumicole, avec des objectifs ambitieux et des moyens que l’on estime
conséquents. Est-ce le début d’une réelle mise en œuvre de « l’approche filière » annoncée dans les « straté-
gies » ? On peut cependant noter que pour l’instant, seules trois filières apparaissent favorisées et s’ins-
crivent plutôt dans une optique de promotion des exportations. Qu’en est-il de filières majeures telles celles
des céréales, des oléagineux, des sucres, des productions animales ? Et puis une politique de filières se
limite-elle à quelques investissements publics et quelques subventions accordées à l’amont et à l’aval

1. Ce Haut Commissariat a vu le jour en septembre 2003.


2. Lors du débat qui a suivi au Parlement, plusieurs groupes parlementaires, y compris parmi ceux de la majorité, ont critiqué le silence du pro-
gramme sur les intentions du gouvernement en matière de politique agricole, et plus généralement sur les choix à faire et les mesures à prendre
dans le secteur agricole. Un député a qualifié l’agriculture de « grand absent » du discours du Premier ministre. Cf. Al Mounâataf, Attajammou, Al
Ittihad Al Ichtiraki, Rissalat Al Oumma, quotidiens, 28 novembre 2002.
3. Cf. Site du Premier ministre : www.pm.gov.ma

144
comme semble l’indiquer la nature des mesures annoncées ? N’est-ce pas là une simple réactivation de
« plans » sous-sectoriels qui existent depuis longtemps mais qui avaient peut-être besoin d’une nouvelle
impulsion assortie d’un peu plus de moyens ?
Cet intérêt particulier dont semblent bénéficier les filières exportatrices se recoupe en tout cas avec la prio-
rité plus générale que ce gouvernement accorde à la mise à niveau des secteurs productifs dans la perspec-
tive de la libéralisation des échanges. Au demeurant, tout en rappelant que les pouvoirs publics poursuivaient
alors les négociations sur la libéralisation des échanges agricoles avec l’Union européenne, et en avaient
engagé d’autres avec les États-Unis d’Amérique, le Premier ministre n’avait pas manqué d’insister sur la
nécessité de créer les conditions les meilleures pour promouvoir la compétitivité de l’agriculture marocaine
et au-delà valoriser les avantages comparatifs du pays. Et d’annoncer que le gouvernement était en train de
finaliser dans ce sens « un projet de mise à niveau structurelle axé sur les investissements, la compétitivité,
les services publics et les revenus »...
Finalement, si l’on peut aujourd’hui légitimement se poser bien des questions quant aux grands choix stra-
tégiques de l’État en matière de politique agricole, il nous semble que, au regard des indications fournies par
les principales déclarations de politique générale de ce gouvernement, son attention est en train de se focali-
ser sur un objectif majeur de mise à niveau et de recherche de compétitivité du secteur agricole, et son
action est en passe de se déployer à travers une démarche de filière, celles qui sont susceptibles d’être favo-
risées en premier étant probablement celles qui sont les mieux placées pour contribuer à cette « course à la
compétitivité » 1. S’il en est ainsi, on est alors légitimement fondé à se demander si l’on n’est pas en passe
de procéder à une nouvelle « réorientation stratégique » faisant peu cas de beaucoup de ce qui a été
accumulé depuis plus d’une décennie. Le temps de la « mise à niveau » va-t-il balayer celui des « straté-
gies » ?...
Il reste que, courant janvier 2005, alors que les accords avec l’Union européenne et les États-Unis d’Amé-
rique ont effectivement été signés 2, le « projet de mise à niveau structurelle » est toujours en cours de pré-
paration...
Là est donc l’incroyable paradoxe de la situation du Maroc agricole et rural d’aujourd’hui : sans remonter
au-delà de la décennie 90, comment comprendre que, au bout d’une douzaine d’années pendant lesquelles il
ne s’est pratiquement pas passé une seule année sans qu’on ait produit un sinon plusieurs « documents
stratégiques », on se retrouve sans vision, sans stratégie, et encore moins un plan d’action !
Et c’est ainsi que l’on en arrive à ce que, lors de l’élaboration du premier Schéma National d’Aménagement
du Territoire en 2003, ses auteurs ne peuvent que déplorer « l’état de manque » dans lequel on se trouve
dès lors qu’il est question de politique en matière de développement agricole et rural, incapable de
« répondre aux questions que les acteurs sont en droit de se poser » 3. Après avoir expliqué qu’il est « primor-
dial de définir les orientations de politique agricole pour être en mesure de faire de l’aménagement rural
cohérent », et regretté également l’absence d’une politique industrielle, ils concluent en tirant la sonnette
d’alarme : « Il est urgent de définir une politique agricole et une politique industrielle ; celles-ci font

1. Un entretien accordé par l’actuel Ministre de l’Agriculture et du Développement Rural à la revue de son Département en avril 2004 confirme
en gros cette orientation générale, Cf. M. Mohand Laenser : « Le Maroc a choisi la voie de l’intégration maîtrisée au mouvement de libéralisa-
tion », Le Terroir, no 10, Rabat, avril 2004.
2. Avec l’Union européenne, il s’agit d’un accord agricole devant s’étendre sur la période 2003-2007, et avec les États-Unis d’un Accord de
libre-échange global et à durée indéterminée. Cf. N. Akesbi, 2002 : Une campagne moyenne, une politique encore incertaine, In : Développement
et politiques agro-alimentaires dans la région méditerranéenne, Rapport National – Maroc, 2003, CIHEAM, Paris, 2004; Najib Akesbi, Les disposi-
tions agricoles de l’accord de libre-échange Maroc – États Unis, communication présentée au Séminaire « Analyse comparée des relations agri-
coles en libre-échange Nord-Sud » Organisé par EMMA-CNRS et CIHEAM-IAM Montpellier, 19 et 20 novembre 2004, en cours de publication.
3. Ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Eau et de l’Environnement, Schéma National d’Aménagement du Territoire (SNAT), docu-
ment de synthèse, Rabat, 2003, p. 94.

145
aujourd’hui gravement défaut et cela entraîne des blocages, pour l’aménagement urbain et plus encore pour
l’aménagement rural » 1.
Finalement, s’il fallait résumer en quelques mots quarante ans de politiques agricoles, nous dirions que
celles-ci ont évolué à travers trois phases et en trois temps : il y a eu d’abord le temps de l’action avec la poli-
tique des barrages qui en a été l’expression marquante, puis ce fut le temps des remises en causes, à tra-
vers les « inflexions » des années 70 et surtout les politiques d’ajustement des années 80, et enfin vint le
temps de la réflexion et des stratégies, lequel dure depuis une douzaine d’années...
Le problème est qu’en attendant, l’histoire elle n’attend pas. Bien au contraire, en avançant, elle ne cesse d’accentuer de
jour en jour nos retards. Parce que nous n’avons su prendre les mesures qui s’imposaient à temps, nous avons condamné
notre agriculture à perdre du terrain, multiplier les déconvenues et accumuler les handicaps et les contraintes...
Établir le bilan et procéder à l’évaluation d’un demi-siècle de développement agricole et rural au Maroc
n’est pas un exercice aisé. D’abord parce que les indicateurs et les critères d’évaluation peuvent différer sen-
siblement selon l’approche que l’on retient : Contribution à la croissance économique d’ensemble, à la
sécurité alimentaire du pays ou encore à ses équilibres sociaux et spatiaux ? Performances propres en
termes de production, de productivité et de compétitivité ? Impacts sur le développement humain, l’équilibre
des ressources naturelles, ou même seulement les ressources financières ?... Ensuite parce que les séries
statistiques et les outils d’évaluation peuvent être défaillants, incohérents ou incomplets pour une période
aussi longue. Enfin parce que toute évaluation, qui se réfère nécessairement à des objectifs prédéterminés,
s’avère en l’occurrence malaisée dès lors que, comme on l’a déjà vu dans la partie précédente, les « réfé-
rences » ont elles-mêmes changé au gré des circonstances qui ont ponctué cette longue période.
En dépit de ces difficultés, nous comptons bien procéder à cette évaluation. Nous le ferons cependant à tra-
vers une démarche qui part du réel pour apprécier l’expérience qui l’a enfanté. Autrement dit, l’évaluation appa-
raîtra à travers le poids des contraintes ou l’intérêt des atouts qui se dégageront d’une analyse objective des
forces et des faiblesses de l’agriculture, et au delà du monde rural, telles qu’elles peuvent être constatées
aujourd’hui. Une fois cet état des lieux – bilan réalisé, nous serons en mesure de nous projeter vers l’avenir et
nous interroger sur les risques et périls d’une libéralisation qui pourrait s’avérer lourde de conséquences...

5. L’agriculture marocaine aujourd’hui : Contraintes et possibilités

L’agriculture marocaine aujourd’hui occupe encore une place essentielle dans l’économie et la société
marocaines. Elle n’est pas seulement le cadre de vie de ruraux qui représentent près de 45 % de la popula-
tion, mais elle est aussi un secteur productif qui offre de l’emploi à une proportion de l’ordre de 40 % de la
population active du pays. Ses forces et ses faiblesses déterminent celles de l’économie du pays, et partant
les conditions d’existence de l’ensemble de sa population.
Aujourd’hui, alors que la dynamique de la mondialisation s’intensifie, que la libéralisation des échanges
s’accélère, et que cette agriculture est appelée à s’exposer de plus en plus au baptême de feu de la compéti-
tion internationale, toute appréciation des contraintes ou des possibilités, des handicaps ou des atouts de cette
agriculture nous paraît gagner à être appréhendée à partir de cette trame de fond, ce canevas de base qui n’est
en fait que celui de la compétitivité. Autrement dit, même les « anciennes » contraintes gagnent à être rééva-
luées aujourd’hui à la lumière de la question de la compétitivité, tant il est vrai que toutes les contraintes,
comme tous les atouts d’ailleurs, finissent par se conjuguer d’une manière ou d’une autre pour déterminer en
dernier lieu une certaine capacité à se confronter avantageusement ou non à la concurrence internationale.

1. SNAT, op. cit., p. 57 et 72.

146
La compétitivité est un concept global, une résultante d’une combinaison de facteurs convergents qui
concernent autant les conditions de la production que celles de sa valorisation, en passant par l’environne-
ment humain, institutionnel ou les possibilités de financement... Comment se présente à cet égard la situation
pour l’agriculture marocaine, et notamment pour les exploitations agricoles qui en sont les unités de base?
L’examen des faits montre que du point de vue de l’impératif de compétitivité, les contraintes qui pèsent
sur ces dernières sont nombreuses et lourdes. Nous examinerons successivement les aspects liés à la pro-
duction, aux ressources naturelles, puis humaines, aux structures foncières, au niveau d’intensification des
exploitations, puis de leur articulation avec le reste de l’économie et enfin aux ressources financières. Face à
tant de contraintes, nous ne manquerons cependant pas de mettre en valeur quelques atouts sur lesquels
cette agriculture marocaine peut tout de même compter à l’avenir.

5.1. Carences d’une production toujours handicapée par la contrainte


climatique
Alors qu’il était appelé à jouer un rôle de véritable moteur de la croissance économique du pays, le secteur
agricole a connu, depuis l’indépendance et du point de vue de la production, une évolution pour le moins
décevante. En longue période, il offre l’image d’un secteur plutôt resté à la traîne dans le cadre d’une évolu-
tion générale qui n’a pourtant elle-même pas été extraordinaire.

5.1.1. Production globale : entre stagnation et déclin


En un demi-siècle, le secteur a d’abord vu sa part dans le PIB baisser de moitié, se situant actuellement à
un peu plus de 15 %. Mais comme on peut le constater sur la figure 10, la chute la plus forte a eu lieu dès la
fin des années 60, et depuis, cette part a en fait varié dans une fourchette comprise entre 15 et 20 %, avec
une tendance depuis les années 90 à se rapprocher plus de son plancher que de son plafond.
Selon le modèle historique connu par la plupart des pays actuellement développés, cette perte d’impor-
tance de l’agriculture dans le produit global est surtout le fait des meilleures performances des secteurs non
agricoles. Tel n’est pas le cas au Maroc puisque la tendance observée est à tout le moins aussi le reflet des
contre-performances du secteur agricole.
Selon les données de la Banque mondiale 1, à l’exception d’une courte période durant la deuxième moitié de
la décennie 80, les taux de croissance de la production agricole sont demeurés constamment en deçà de ceux
du produit intérieur brut dans son ensemble depuis un tiers de siècle. Comme on peut le constater sur la
figure 11, qui reprend les moyennes décennales des taux de croissance du PIB et du PIB Agricole, alors que les
deux agrégats avaient évolué quasiment au même rythme durant les années 60, le second avait fortement
chuté par rapport au premier durant la décennie 70 (en moyenne 0.8 % contre 5.6 %), pour se relever sensible-
ment au cours de la décennie 80 (6.7 % contre 4.2 %), et enfin à nouveau s’effondrer durant les années 90
pour s’installer dans une stagnation persistante (0.1 % contre 2.3 % pour l’ensemble de l’économie).
La baisse de la part relative de l’agriculture dans le PIB serait normale au regard du modèle rostowien inspiré
de l’exemple historique des pays occidentaux développés, où cette baisse avait été accompagnée par une impor-
tante amélioration de la productivité agricole, permettant à une population rurale, en principe moins nombreuse,
de dégager suffisamment d’excédents pour accroître le produit par tête et nourrir le reste de la population trans-
férée – toujours en principe – vers les secteurs secondaire et tertiaire de l’économie. Or, au Maroc, la baisse de la
part de l’agriculture est accompagnée de faits qui contredisent ce modèle classique. D’abord parce que, si la
population rurale baisse en valeur relative, elle augmente en valeur absolue (en 2004, la population rurale est

1. Rapports sur le développement dans le monde 1982, 1988-1999 et 2002, Tableaux statistiques 2 et 11. Les données de la figure 11 ont
également pour source ces rapports.

147
estimée à 13.9 millions d’habitants contre 8.2 millions en 1960). Il en découle une pression persistante sur la
terre et plus généralement sur les ressources naturelles (voir plus loin), et une pression non moins forte en
termes de population active agricole 1, et partant d’emploi et de besoins de consommation alimentaire.
Ensuite parce que la productivité, clé de voûte de la dynamique de la croissance, n’a pas significativement
augmenté, quant elle n’a pas reculé (comme on le verra plus loin à travers divers indicateurs). Enfin – consé-
quence des deux facteurs précédents –, parce que le produit agricole par tête est resté faible, ce qui n’a favo-
risé ni l’élargissement du « marché intérieur » ni les effets d’entraînement avec les autres secteurs de
l’économie.
Sur les figures 12 et 14, qui retracent respectivement les évolutions du PIB agricole en termes constants
et de l’indice de la production agricole 2, on peut constater qu’un « bond » significatif a effectivement eu lieu
mais seulement à partir de 1986 (le premier indicateur avait « bondi » de près de 37 % et le second de 23 %).
Un pallier avait bien été franchi puisque le produit agricole moyen – en termes constants – s’était élevé à
19.1 milliards de dirhams entre 1986 et 1990, alors qu’il n’avait été que de 12.3 milliards de dirhams durant
les cinq années précédentes (une augmentation de 55 %). Mais le mouvement s’est par la suite rapidement
essoufflé : au-delà des fluctuations annuelles qui se sont accentuées, le niveau moyen atteint est resté entre
1991 et 1995 en dessous du précédent (18 milliards de dirhams) puis l’a à peine rattrapé durant le quinquen-
nat suivant (19.2 milliards de dirhams entre 1996 et 2000).
Par tête d’habitant, l’évolution de la production apparaît encore plus décevante. On peut aisément voir sur
les figures 13 et 15 que, aussi bien en termes de produit agricole que d’indice de la production, l’évolution en
longue période est bien celle d’une stagnation tout à fait saisissante, à tel point que les droites qui synthé-
tisent les tendances apparaissent presque parallèles à celles des abscisses ! En tout cas, durant les cinq der-
nières années pour lesquels des statistiques sont en l’occurrence disponibles, soit la période 1999-2003, le
produit agricole par tête a atteint 674 dirhams (constants), soit à peine deux dirhams de plus que le niveau qui
avait déjà été atteint entre 1960 et 1964...

5.1.2. Évolution défavorable des productions de base


Cette tendance se retrouve évidemment au niveau des principales productions agricoles, à commencer
par les céréales, dont le déclin de la production par tête d’habitant apparaît clairement à travers les figures 16
et 17 ci-dessous : celle-ci atteignait 361 kilos au début des années 30 (moyenne 1931-35), puis a chuté à
293 kilos au début des années 60, et a poursuivi encore plus résolument son déclin par la suite, pour ne
guère dépasser 203 kilos au début des années 2000, soit des baisses de plus de 30 % en près de quatre
décennies, et de 44 % en près de sept décennies...
À l’exception des productions maraîchères (dont la production par tête a augmenté de près de 160 % entre la
première moitié des années 60 et le début des années 2000), les autres principales productions ont connu des
évolutions plus ou moins comparables. C’est notamment le cas des légumineuses (i36 % en 40 ans) et des
agrumes (i9 %). Les olives et – surtout – la betterave sucrière apparaissent comme ayant connu des progrès
substantiels durant les dix à 15 premières années, mais depuis les années 70, cet élan s’est cassé et leurs pro-
ductions par tête ont par la suite stagné quand elles n’ont pas décliné (cf. figures 18 et 19).
En ce qui concerne les productions animales, les évolutions apparaissent cependant moins défavorables
que pour les productions végétales (figure 20) : si la stagnation est manifeste en matière de viandes rouges

1. Même si elle a sensiblement baissé, la part de la population active agricole dans la population active totale reste relativement importante :
elle est estimée à 34.6 % en 2002, contre 69 % en 1965. La moyenne au niveau des pays du Nord et du Sud de la Méditerranée est respective-
ment de 16.9 % et 24.8 %. Cf. Medagri 2004, p. 12.
2. Le premier indicateur a été calculé à partir des données contenues dans : Rapport sur « 50 ans de développement humain au Maroc »,
Rétrospective Statistique, Rabat, février 2004; le second agrégat a pour source la FAO : Bases de Données Statistiques de la FAO (FAOSTAT).

148
(autour de 10-11 kilos par tête), en revanche, les progrès sont tout à fait notables en matière de lait (+37 %)
et de viandes blanches (+41 %). Il reste qu’en termes d’effectifs de cheptel, les tendances lourdes sont soit
à la stagnation, soit au déclin. C’est ainsi que, sur la figure 21, on peut constater que, alors que les effectifs
de bovins et de caprins ont eu tendance à décliner (en moyennes quinquennales, respectivement i27 % et
i17 % entre la fin des années 60 et le début des années 2000), ceux des ovins ont retrouvé depuis les
années 90 leur niveau des années 60 – entre 16 et 17 millions de têtes – après avoir perdu entre deux à cinq
millions de têtes durant les années 70 et 80.

Figures : 10 à 15

149
Figures 16 à 20

150
Figures 21

Finalement, si la tendance générale reste à la stagnation ou au déclin, une période tout au long des cinquante
dernières années se distingue par une « rupture de rythme » assez remarquable pour mériter qu’on s’y arrête
un instant. En effet, nous avons noté plus haut que, du moins en termes de volume de la production, la période
1986-1990 s’est caractérisée par une brusque et appréciable progression qui tranche avec le rythme des pé-
riodes qui l’ont précédée comme de celles qui lui succéderont 1. Comment expliquer ce « bond », qui est mal-
heureusement resté sans lendemains? Nous pensons qu’il peut être attribué à plusieurs facteurs. Le premier
est tout simplement climatique puisque les années 1986-90 avaient été caractérisées par des niveaux des pré-
cipitations relativement élevés : trois sur les cinq années en question avaient reçu des quantités de pluies
abondantes et en tout état de cause, les 440 mm reçus en moyenne durant cette période étaient supérieurs de
23 % par rapport à la moyenne des cinq années précédentes, et même de 11 % supérieurs à la moyenne de
toute la décennie 90 qui allait suivre 2. On peut aussi penser que l’extension des surfaces irriguées, conjuguée à
la « petite révolution » technologique – déjà évoquée plus haut –, que le secteur des primeurs en particulier
avait connue durant les années 80, avait probablement contribué à cet essor. On peut encore penser à la
remarquable extension des surfaces du blé tendre observée précisément durant cette période-là 3, extension
qui fut d’abord le produit d’une décision politique 4, mais qui sera sans doute aussi encouragée par les fré-
quents et substantiels relèvements des prix à la production enregistrés durant la décennie 80 (cf. figures 3-8, ci-
dessus). Tous ces facteurs – et peut-être d’autres – ont probablement contribué à ce bond de la deuxième moi-
tié des années 80, chacun pour une part qui reste toutefois difficile à évaluer. Mais en tout cas, il nous semble
encore plus difficile de compter parmi ces facteurs les programmes d’ajustements structurels comme cela a
pu quelque fois être suggéré. La raison en est bien simple : comme nous l’avons déjà vu dans la troisième par-
tie de ce travail, ces programmes dans le secteur agricole n’ont été initiés qu’à partir de 1985, et en réalité, les
principales mesures engagées dans leur cadre ne l’ont été qu’à partir de 1990, à un moment où l’élan en ques-
tion avait déjà pris fin... Du reste, comment éviter de relever précisément cette fâcheuse coïncidence : les sta-
tistiques montrent clairement que les années qui ont suivi celles des « ajustements structurels » ont plutôt été
des années de stagnation, voire quelquefois de déclin de la production...
1. Rappelons que le PIB Agricole moyen avait augmenté en termes constants de 37 % et l’indice de la production agricole s’était accru de 23 %.
2. Les cinq campagnes allant de 1985/86 à 1989/90 avaient reçu respectivement 386, 468, 386, 524 et 436 mm d’eau, à comparer à la
moyenne de 398 mm de la période 1981/2000. Cf. Tableaux de bord sectoriels, Direction de la Politique Économique Générale, Ministère des
Finances, Rabat, 2002.
3. Entre 1985 et 1990, les surfaces de blé tendre avaient presque doublé, passant de 778 000 ha à 1 470 000 ha...
4. Intervention du Directeur en charge de la Mise en Valeur Agricole durant cette période, lors de la réunion d’experts du Conseil Général de
Développement Agricole, Rabat, 3 décembre 2004. Selon M. Rami, cette décision d’augmenter les surfaces de blé tendre « a été une décision
politique, et cette politique a été victime de son succès »...

151
5.1.3. Variabilité croissante et dépendance à l’égard des aléas climatiques

Précisément, tout en restant globalement faible, la production agricole est devenue de plus en plus vulné-
rable, soumise à une variabilité croissante parce que fortement dépendante des aléas climatiques. La meil-
leure illustration d’un tel état de fait est offerte par les céréales mêmes. On peut aisément voir sur la
figure 22 que la variabilité de la production, déjà importante jusqu’aux années 80, s’est encore accentuée
depuis, au point que les années 90 ont vu se succéder deux années pendant lesquelles on a battu deux
records, le premier vers « le bas », et le second vers « le haut » 1... Il faut dire que, en dépit des progrès réali-
sés, les terres irriguées ne représentant encore que près d’un huitième seulement des terres cultivables, la
contrainte climatique reste bien la première à peser de tout son poids sur le développement de l’agriculture
marocaine. Le plus inquiétant est que les phénomènes de sécheresse, observés en longue période, appa-
raissent gagner en fréquence et en intensité. Les études conduites en la matière s’accordent notamment sur
le fait que « les années de sécheresse deviennent plus fréquentes, plus généralisées et plus sévères à partir
des années 80 » 2. Un Secrétaire d’état à l’environnement a pu constater que au début du siècle, la séche-
resse survenait en moyenne une année sur 11 ans, ensuite le phénomène est devenu plus récurrent avec
une année sur 7 dans les années 60, puis une année sur 2 dans les années 90 3...

Figure 22.

1. Entre 1994 et 1996, la production céréalière avait commencé par atteindre un premier record de 96.3 millions de quintaux, puis s’était effon-
drée à 17.6 millions de quintaux en 1995 (plus faible niveau depuis 1961...), avant de bondir l’année suivante à 100.9 millions de quintaux (record his-
torique).
2. A. Diouri, Les changements climatiques et la gestion de la sécheresse au Maroc, un siècle d’observations météorologiques, com-
munication présentée lors de la session d’automne 2000 (20-22 novembre) de l’Académie du Royaume du Maroc, ayant eu pour thème général :
« La politique de l’eau et la sécurité alimentaire du Maroc à l’aube du XXIe siècle », Cf. Actes de la Session, Publications de l’Académie du Royaume
du Maroc, 2 volumes, Rabat, 2001, p. 167-204.
3. Cf. A. El Hassania, Les risques sur les ressources naturelles et la biodiversité, Maghreb Arabe Presse, Libération, quotidien, Casablanca,
6 juin 2000.

152
Le problème devient encore plus lourd de conséquence lorsque l’on constate que c’est l’ensemble de
l’économie qui reste largement tributaire de cette variabilité de la production agricole, elle-même dépendante
des aléas climatiques. Là encore, les faits ne permettent pas encore de donner crédit à la « thèse » d’une
plus grande indépendance de l’économie marocaine de son secteur agricole. Il suffit pour s’en convaincre
d’observer la figure no 23 suivante : on peut y constater sur une période d’un quart de siècle (1980-2004) une
quasi-parfaite corrélation entre l’évolution de la production agricole et celle du produit intérieur brut.

Figure 23

D’ailleurs, dans leur dernier rapport, publié en septembre 2004, les experts de la Banque mondiale, en
commentant un graphique similaire, considèrent que cette « dépendance du PIB du secteur agricole » illustre
deux points marquants de l’économie marocaine : « D’abord, que la croissance globale est le reflet exact de
la croissance agricole et ensuite qu’elles sont toutes deux soumises à de grandes fluctuations de la produc-
tion ». Plus encore, selon eux, cette situation de « très forte corrélation » entre les deux « devrait probable-
ment rester inchangée au moins sur le moyen terme » 1.
De telles médiocres performances sur une période aussi longue peuvent d’abord s’expliquer par les deux
facteurs qui se conjuguent pour donner lieu à la production : les surfaces agricoles utiles et les rendements.
Or, aucun de ces deux facteurs n’a évolué favorablement de manière significative.

5.1.4. Rendements : une évolution décevante et des niveaux encore trop faibles
Au début de l’indépendance, les terres « cultivées plus ou moins régulièrement » étaient déjà estimées à
environ 7.8 millions d’hectares, auxquelles il faut ajouter un peu moins de 400 000 ha situés dans l’ancienne
« zone nord » précédemment occupée par l’Espagne 2, ce qui permet de penser que, par rapport aux 8.7 millions
d’hectares recensés en 1996, le Maroc n’a, en 50 ans d’indépendance, guère étendu significativement sa sur-
face agricole utile : dans le meilleur des cas, celle-ci aurait gagné entre 500 000 et un million d’hectares, soit

1. Cf. Banque mondiale, Rapport sur la pauvreté : Comprendre les dimensions géographiques de la pauvreté pour en améliorer l’appréhension
à travers les politiques publiques, Washington DC, septembre 2004, p. 10
2. Cf. Tableaux économiques du Maroc, 1915-1959, op. cit, p. 58 et 75.

153
entre 6 et 12 %. C’est dire que par tête d’habitant, la surface en question a sans doute considérablement
baissé, puisque en gros, la population a pour sa part triplé durant la même période. Selon nos calculs, elle
serait ainsi tombée de près de 770 ha à 295 ha pour 1000 habitants 1.
Si la faible extension des surfaces cultivables est somme toute compréhensible, compte tenu des limites
assez objectives – parce que naturelles – de l’espace agricole dans le pays, les médiocres performances réali-
sées au niveau des rendements le sont beaucoup moins, au regard de l’ampleur du projet de modernisation
du secteur qui n’a cessé d’être proclamé depuis un demi-siècle.
On peut d’abord approcher la productivité du secteur à partir d’un indicateur qui a l’avantage d’être simple
et disponible à l’échelle de la Méditerranée : il s’agit du produit agricole (PIBA) par actif agricole. En 2001,
celui-ci s’élevait à 1252 dollars, et comme on peut le constater sur la figure suivante (no 24), il a depuis le
début de la décennie 90 quasiment fluctué dans une fourchette comprise entre 1000 et 1300 dollars. Quant
au dernier niveau atteint, pour l’apprécier de manière relative, il est intéressant de le comparer, par exemple
et comme cela apparaît sur la figure 25, aux 16 530 $ de l’Espagne, aux 33 494 $ de la France, aux 2 862 $ de
la Syrie, aux 1 595 $ de l’Égypte, aux 2 448 $ de la Tunisie, et aux 2 071 $ de l’Algérie... En tout cas, à en
juger par les derniers chiffres disponibles, la performance du Maroc est bien la plus faible autour de la Médi-
terranée 2.

Figures 24 - 25

Mais l’approche de la productivité la plus pratique et celle pour laquelle nous pouvons disposer de données
plus détaillées et plus « longues » est celle que l’on peut opérer à partir des rendements. Or, ceux-ci sont
pour leur part aussi demeurés faibles. À quelques exceptions près (certains fruits et légumes ou cultures
industrielles, en système d’exploitation intensif), les rendements des principales productions n’ont guère
significativement évolué, même en longue période. En ce qui concerne les céréales – qui couvrent tout de
même plus des deux tiers des surfaces cultivées 3, leurs rendements tout au long de la décennie 90 se sont

1. Selon les données du Medagri 2004 (op. cit., p. 202), cet indicateur serait tombé, pour 1 000 habitants, de 542 ha en 1965 à 329 ha en
2001.
2. Medagri 2004, op. cit., p. 56 et 97.
3. Outre les deux tiers des terres cultivées en céréales, les cultures légumineuses couvrent en moyenne 5 % de la surface agricole utile, les
cultures industrielles, fourragères et maraîchères en couvrent chacune 2 à 3 %; les plantations fruitières, largement dominées par l’olivier, repré-
sentent près de 7 % de la même surface.

154
élevés en moyenne à 10.3 quintaux par hectare seulement 1, ce qui dépasse d’à peine deux quintaux le
niveau atteint durant les années cinquante, voire les années 30 (cf. figure 27)... Si l’on retient la moyenne des
cinq dernières années, et qu’on la rapporte à celle du début des années 60, on s’aperçoit que, en gros, le ren-
dement des céréales est passé de près de 8 à 12 quintaux seulement, ce qui signifie que dans l’ensemble, le
pays a gagné à peine 4 quintaux en quarante ans, autrement dit, un seul quintal chaque dix ans...
À titre de comparaison, on peut noter que durant les quatre décennies qui ont suivi la seconde guerre mon-
diale, les rendements des céréales en France ont progressé de 40 quintaux, soit une moyenne de 1 quintal
par an, et une performance dix fois supérieure à celle du Maroc... Sur une période moins longue (1981-2002),
mais à une échelle plus large (les pays de la Méditerranée), la figure suivante (no 26) nous montre que le
Maroc – avec la Turquie – est, parmi les dix pays retenus, celui où les rendements ont le moins progressé : ils
y ont augmenté de 23 %, lorsque au Portugal, au Liban et en Syrie à titre d’exemple, ils se sont accrus res-
pectivement de 143 %, 129 % et 114 % 2.

Figure 26

Au niveau des différentes catégories des céréales principales, l’évolution n’a cependant pas été identique :
alors que l’orge n’a quasiment réalisé aucun progrès significatif et reste autour de 8 quintaux (comme il y a
50 ans...), le blé tendre remonte durant les quatre premières années de l’actuelle décennie à près 15 quin-
taux, niveau qui reste légèrement en deçà de celui atteint au cours de la deuxième moitié des années 80
(14,8 contre 15,2 qx), mais en progression de 6 quintaux par rapport au niveau du début des années 60. Le
blé dur pour sa part se trouve dans une situation intermédiaire tout en étant plus proche du blé tendre, avec
un niveau de rendement de près de 13 quintaux, et une progression de 4 quintaux par rapport au niveau
atteint il y a 40 ans (cf. figure 27).

1. Statistiques Agricoles, Direction de la Programmation et des Affaires Économiques, Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural,
Rabat, 2000.
2. Cf. Annuaire des Économies Agricoles et Alimentaires des Pays Méditerranéens et Arabes, Medagri 2004, Centre des Hautes Études Agro-
nomiques Méditerranéens, Institut Agronomique Méditerranéen de Montpellier, pp. 362-372.

155
Figures : 27 à 32

156
Les performances des autres productions végétales sont contrastées, mais dans l’ensemble n’apparaissent
guère meilleures que celles des céréales (figures 28 à 31). Si les rendements de la betterave sucrière ont régu-
lièrement progressé, du moins jusqu’à la fin des années 80 (ils se stabilisent depuis autour de 50 tonnes), ceux
des légumineuses par contre apparaissent en déclin presque continu depuis le début des années 70, déclin que
la légère reprise de fin de période ne semble pas de nature à enrayer. En tout cas, à 5.9 qx/ha, le niveau des der-
nières années reste en dessous de celui des années 60. Il en va de même pour le tournesol qui, après un
démarrage prometteur lors de la première décennie de l’indépendance, stagne ou régresse depuis, avec des
rendements qui ne dépassent guère 7 quintaux à l’hectare aujourd’hui. Le rendement de l’olivier apparaît fluc-
tuant en courte période mais aussi en moyenne et longue période. Avec un peu moins de 14 quintaux en
moyenne, le rendement aujourd’hui est à peine de 2 quintaux supérieur à celui atteint durant les années 60.
Le rendement du maraîchage semble progresser par paliers. Après une sensible poussée vers le haut
durant les années 70, de 12 à 16-17 tonnes / ha, le rendement moyen semble s’être stabilisé à ce niveau
durant les années 80 et la première moitié des années 90, avant de progresser à nouveau de deux à trois
tonnes depuis les quelques dix dernières années 1. Enfin, on peut constater que la courbe des rendements
des agrumes est moins régulière et surtout plus « réversible », avec des périodes de régression assez mar-
quées, comme cela a été le cas durant la deuxième moitié des années 70 ou encore récemment, depuis le
début des années 2000, avec un niveau en repli à 15 tonnes / ha, contre plus de 18 tonnes en moyenne
durant le quinquennat précédent. Il reste que la performance pour une si longue période est tout de même
décevante puisque le gain de rendement est à peine de six tonnes à l’hectare en près de 50 ans.
Des séries de données précises et continues manquent pour procéder à une appréciation des perfor-
mances de la production animale comparable à celle qui vient d’être faite pour la production végétale. On sait
cependant que spécialistes et professionnels s’accordent pour reconnaître la faiblesse des rendements en la
matière aussi, notamment en ce qui concerne la production laitière. Si l’on se contente de diviser la produc-
tion laitière par les effectifs de bovins, on obtient des rendements qui auraient évolué de quelques 129 litres
par tête en 1969 à 465 litres en 2003. Comme on peut le constater sur la figure 32, l’évolution n’est pas négli-
geable et en tout cas tranche avec celle de la plupart des productions végétales. Il n’en demeure pas moins
que globalement, ce rendement apparaît trop faible. Des données plus récentes indiquent que le rendement
moyen des vaches laitières marocaines atteindrait 850 litres par tête 2, ce qui reste très en deçà des 5000
litres réalisés en France, et inférieur même aux 1000 litres obtenus en Égypte 3.

5.1.5. Déficits commerciaux et dépendance alimentaire croissante


Des surfaces agricoles qui n’ont pu s’étendre significativement, des rendements dont l’évolution a été
pour le moins décevante, et pour tout dire une production qui, tout en restant aléatoire, n’a souvent même
pas pu accompagner de manière conséquente la croissance démographique... on comprend dans ces condi-
tions que la dépendance du pays à l’égard des importations de denrées agro-alimentaires ait été croissante.
D’abord, force est de constater aujourd’hui que l’objectif initial d’autosuffisance alimentaire est demeuré
hors de portée. Plus grave : la dépendance alimentaire du pays pour les produits de base (dits « straté-
giques »), s’est au fil des ans soit aggravée, soit maintenue à des niveaux préoccupants (figure 33). Le cas
des céréales est tout à fait caractéristique : en dépit de l’extension des surfaces de blé tendre, la faiblesse

1. Notons toutefois qu’il s’agit là de l’ensemble du secteur maraîcher, sans distinction notamment du sous-secteur des primeurs, dont les per-
formances ont sans doute été nettement supérieures à la moyenne du secteur, en particulier depuis les années 80.
2. En réalité, il semblerait que les races locales – qui représentent 45 % du cheptel – ne produisent pas plus de 600 litres par tête, alors que
les races améliorées et pures, produisent respectivement 1500 à plus de 4000 litres par tête. Cf. Secteur laitier : un potentiel important de déve-
loppement, mais..., Dossier, Alimentarius, Fédération Nationale de l’Agro-alimentaire, no 8, mars 2004, p. 6-13.
3. Économie et Entreprise, mensuel, no 67, Casablanca, janvier 2005, p. 118.

157
des rendements s’est conjuguée à une croissance de la consommation intérieure encore plus forte que celle
de la démographie, sous l’effet d’une mutation du modèle de consommation en faible rapport avec les possi-
bilités de la production (blé tendre qui s’est largement substitué au blé dur, et maïs en tant qu’aliment princi-
pal de la production avicole...). Toujours est-il que la conjugaison de ces facteurs a conduit à une dégradation
du taux de couverture de la consommation intérieure par la production locale et partant à une dépendance ali-
mentaire inquiétante : moins de la moitié pour le blé tendre et la quasi-totalité du maïs).
Cette dépendance est encore plus grave en matière d’huiles végétales dont on peut constater sur la figure
33 que le « taux de couverture » reste extrêmement bas, avec moins de 5 % en fin de période, en dépit de
tous les efforts qui ont été fournis depuis les années 60 pour y remédier. Le sucre pour sa part, partant de
zéro au début des années 60, a connu une progression remarquable jusqu’au début des années 80, attei-
gnant en moyenne un taux d’autosuffisance de 64 %, mais depuis, on peut constater que l’élan premier est
cassé, la tendance ayant été d’abord à la stagnation, puis à un recul important, que la légère reprise des der-
nières années – à 52 % – reste loin de compenser.
La situation du lait, et plus généralement des productions animales nécessite certaines explications pour
être mieux intelligible. En effet, en ce qui concerne les produits laitiers, on peut constater sur la figure 33 que
la courbe du taux d’autosuffisance, après avoir longtemps stagné autour de 55 %, a marqué une progression
de près de 20 points de pourcentage durant la deuxième moitié des années 80, pour se stabiliser à nouveau
et jusqu’à présent à près de 85 %. Pour les viandes rouges, l’autosuffisance apparaît même « assurée » puis-
que le pays n’en importe quasiment pas 1. Mais en réalité, cette « autosuffisance » est trompeuse puisqu’elle
n’est calculée que sur la base de la demande exprimée sur le marché ; or, compte tenu du pouvoir d’achat de
la population et du niveau des prix des produits en question, leur demande, – et partant leur consommation –,
reste très faible et de plus stagne depuis longtemps (figure 34). Avec près de 44 litres par habitant et par an,
la consommation de lait au Maroc n’est pas seulement la plus faible autour de la Méditerranée 2, mais elle
reste loin même de la norme nutritionnelle recommandée, qui en représente le double 3. À titre indicatif, si
l’on cherchait à atteindre cette norme, avec le niveau actuel de production, le taux de couverture par cette
dernière des besoins de consommation tomberait à un peu plus de 40 % 4. Il en va de même pour les viandes
rouges dont le marocain consomme aujourd’hui encore à peine 10 Kg par an, contre une moyenne mondiale
de 27 kg, (20 kg pour les pays en développement et 55 kg pour les pays développés) 5. Là encore, il suffirait
que l’on cherche à atteindre le niveau moyen des pays en développement pour que « l’autosuffisance » se
transforme en dépendance à hauteur de la moitié des besoins de consommation intérieure 6...

1. En fait le pays importe régulièrement quelques 4 à 5000 tonnes de viande de bœuf pour les besoins de l’armée.
2. Selon Medagri 2004 (p. 102), la consommation par tête en 2001 atteint au Maroc 33 Kg (équivalent lait), contre 114 en Algérie, 103 en Tuni-
sie, 165 en Espagne et 272 en France.
3. 90 équivalent litre/hab/an. Au demeurant, cette faiblesse affecte la structure de la ration alimentaire qui connaît un déficit en protéines ani-
males de l’ordre de 30 % et un déficit phospho-calcique dont le lait et dérivés constituent la principale source. Cf. Colloque National de l’Agri-
culture et du Développement Rural, La filière Lait, Notes du Colloque, Rabat, 19-20 juillet 2000.
4. La satisfaction de la norme en question nécessiterait 2.9 milliards de litres, pour une production de l’ordre de 1.2 milliard actuellement, soit
un taux de couverture de 41.4 %.
5. FAOSTAT, données 2002, In : M. El Youssoufi, Quelles réformes pour la filière des viandes rouges? 3e Séminaire institutionnel du Conseil
général du développement agricole, Rabat, 2-4 décembre 2004. On peut noter que ce niveau de 10 kg est en quasi stagnation depuis une ving-
taine d’années, et même en retrait par rapport aux 11 à 12 kilos atteints au début des années 80 (cf. « Recueil de données relatives au secteur
agricole », op. cit, p. 138.)
6. D’une manière générale, et Selon les données disponibles à l’échelle internationales, portant sur l’année 2001, la consommation ali-
mentaire au Maroc apparaît assez éloignée des niveaux atteints dans la région méditerranéenne : ainsi, si avec 253 kg de céréales par an et par
personne, le Maroc dépasse largement tous les autres pays de la région, pour la plupart des autres produits, il apparaît plutôt mal placé, avec des
niveaux nettement en deçà de ceux de ses voisins, du sud comme du nord de la Méditerranée. C’est notamment le cas pour le lait (voir plus haut),
les viandes (20 Kg contre 26 en Tunisie et 118 en Espagne), le poisson 9 kg contre 11 en Tunisie et 45 en Espagne); même en matière de fruits et
légumes, le Maroc n’apparaît pas bien placé, avec 49 kg pour les premiers (82 kg en Tunisie et 123 kg en Espagne) et 94 kg pour les seconds (167
kg pour la Tunisie et 154 kg pour l’Espagne). Cf. Medagri 2004, p. 102.

158
Figures 33-34

Ce sont en tout cas les importations qui ont dû de plus en plus relayer les carences de la production locale,
et sont probablement appelées à le faire encore plus à l’avenir. Or, pour s’en tenir à sa seule dimension
« commerciale », cette dépendance alimentaire croissante pèse sur les équilibres des échanges extérieurs
du pays. S’il est vrai que certaines productions dégagent des excédents exportables conséquents – princi-
palement les agrumes, des primeurs et des produits agro-alimentaires transformés –, force est de constater
que la contribution de l’agriculture aux exportations totales du pays est allée en déclinant, le mouvement
ayant même tendance à s’accélérer ces dernières années, avec une part moyenne de 12 % à peine entre
1999 et 2003, contre une proportion qui est longtemps restée comprise entre 20 et 30 % 1. Cette part
demeure de toute façon inférieure à celle des importations agroalimentaires dans les importations totales du
pays : 17 % en moyenne durant le quinquennat 1999-2003.
Tous ces phénomènes ont convergé pour transformer la balance commerciale agroalimentaire en « bou-
let » alors qu’elle était censée constituer un moteur de croissance par les excédents qu’elle devait générer...
Le revers n’est d’ailleurs pas récent puisque, comme on peut le constater sur la figure 35, la balance en
question, dont le taux de couverture des importations par les exportations atteignait 180 % en moyenne
entre 1970 et 1973, était dès 1974 et pour la première fois brutalement tombée en déficit. Elle n’a depuis
jamais renoué avec le moindre excédent, ni même avec un simple équilibre. Du reste, ce déficit chronique de
la balance agroalimentaire (hors produits de la mer), qui s’était sensiblement amélioré durant la deuxième
moitié des années 80, apparaît s’être à nouveau dégradé par la suite, et cette dégradation semble s’être
même accélérée depuis quelques années. Ainsi, le taux de couverture, qui était resté plus ou moins contenu
dans une fourchette comprise entre 50 et 60 % durant les années 90, s’est détérioré depuis, pour tomber à
46 % en moyenne entre 2000 et 2003, soit un niveau qui nous ramène à celui du début des années 80...

Le résultat de tout cela est que la croissance qui devait être tirée par les exportations est de plus en plus handi-
capée par les importations... comme nous l’avons souligné, les balances commerciales, la balance globale comme
la seule balance agroalimentaire, demeurent structurellement déficitaires, et le modèle de développement choisi
ne génère suffisamment de ressources en devises ni pour faire face aux besoins d’importation des biens et ser-
vices nécessaires, ni pour ouvrir des perspectives de choix alternatifs, peut-être plus judicieux pour le pays...

1. Il s’agit des exportations agroalimentaires, comprenant les produits transformés, mais hors produits de la mer. Cf. N. Akesbi, 2002 : une
campagne moyenne, une politique encore incertaine; 2003 : Une bonne campagne, en attendant la « bonne politique », In : Développement et
politiques agro-alimentaires dans la région méditerranéenne, Rapport National – Maroc, 2003 et 2004, CIHEAM, Paris, 2004 et 2005.

159
Figure 35

5.2. Des ressources naturelles qui se dégradent dangereusement

Le Maroc des années 2000 est un pays où les ressources naturelles sont limitées et soumises de surcroît
à un processus de dégradation de plus en plus inquiétant.
La première limite est bien celle des terres cultivables. Celles-ci sont aujourd’hui estimées à 9.2 millions
d’hectares, ce qui représente à peine un peu moins de 13 % du territoire nationale. Elles représentent aussi
23.5 % des quelques 39.2 millions d’hectares d’espaces dits « à vocation agricole », lesquels comprennent
par ailleurs 21 millions de terres de parcours, 5.8 millions d’hectares de forêts, et 3.2 millions d’hectares de
nappes alfatières. L’examen des ressources en sols du pays montre que les terres ayant un certain potentiel
agricole sont concentrées dans les plaines et plateaux atlantiques, alors que dans le reste du territoire, les
contraintes édaphiques sont d’ordre intrinsèques (profondeur, croûte calcaire, salinité...) et extrinsèques
(relief accidenté, érosion, lessivage...). Au total, 8.7 millions d’hectares ont été recensées « surfaces agri-
coles utiles », dont il faut encore retenir entre 25 et 30 % de jachère. C’est dire que, compte tenu de la crois-
sance démographique, la pression sur la terre, notamment sur les terres de culture, sur les parcours et les
forêts, reste très forte. Rappelons simplement le ratio que nous avons déjà calculé : en 50 ans, la surface
agricole utile pour 1000 habitants aurait baissé de 770 à 295 ha. Notons aussi que l’on estime qu’actuelle-
ment, un actif agricole dispose de 2.3 hectares, ce qui est fort peu, en tout cas moins que la moyenne des
pays de la Méditerranée (3 ha), notamment de la Tunisie (5.2 ha), l’Espagne (14.1 ha), la France (22.8 ha) 1.
Pour limitées qu’elles soient, ces ressources en sols, et plus généralement du milieu naturel, s’exposent
de plus en plus à des risques de dégradation tout à fait inquiétants 1. Nous avons déjà évoqué plus haut, dans
la partie consacrée au plan quinquennal 2000-2004 (cf. 4.11) la « forte dégradation des ressources naturelles,
dont l’exploitation tend à devenir de type minier ». En tout cas, la désertification, les phénomènes d’érosion
et de salinisation des sols et des nappes progressent dangereusement. 5.5 millions d’hectares – soit 60 %

1. Medagri 2004, op. cit., p. 203.


2. N. Akesbi, Aspects environnementaux des accords d’association signés entre l’Union Européenne et les pays méditerranéens non
membres, le cas du Maroc; Rapport rédigé pour le Programme des Nations-Unis pour l’Environnement et le Plan Bleu, juillet 2000.

160
de la SAU – sont soumis au risque d’érosion, et 2 millions le sont déjà à un « stade avancé » 1. Le Maroc perd
annuellement près de 22000 ha de terres cultivables dans des régions plutôt favorables, en raison de l’urbani-
sation, la surexploitation des sols et l’utilisation de techniques de labour inadéquates 2. Les espaces fores-
tiers et pastoraux sont gravement menacés 3. Le pays perd plus de 31000 ha de forêt chaque année et les
terres de parcours sont à 93 % jugées « moyennement à fortement dégradés » 4.
Si l’on sait par ailleurs que sur les quelques 8 à 9 millions d’hectares de terres cultivables, seulement trois
sont considérées comme étant situées en « bour favorable », c’est-à-dire sur des espaces recevant plus de
400 mm d’eau par an, on prend la mesure de l’autre grand problème lié à l’état des ressources naturelles. En
effet, outre sa répartition inégale sur le territoire, l’eau apparaît de plus en plus rare et soumise à des pres-
sions et des risques croissants du fait de l’augmentation de la population, et la baisse régulière des quantités
disponibles par habitant. La quantité d’eau par habitant, estimée à près de 700 m3 actuellement, s’élevait à
1185 m3 en 1990, et devrait baisser à 651 m3 en 2025. Le volume disponible actuel est déjà estimé de 30 %
inférieur à la norme internationale en dessous de laquelle un pays est considéré en situation de « stress
hydrique » 5. Au demeurant, selon une « fiche » élaborée par le Ministère français de l’économie et des
finances, le Maroc devait être classé pays à stress hydrique en 2005 6...
Cette évolution a pour origine plusieurs facteurs convergents : carences dans la gestion de l’équilibre offre /
demande, envasement des barrages 7, méthodes et techniques d’irrigation peu économes d’eau 8, choix de
cultures fortement consommatrices d’eau 9, contamination par diverses sortes de pollution... Les sécheresses
successives des dernières années accentuent pour leur part les pressions sur le milieu forestier et les pâturages,
ainsi que sur les nappes phréatiques, ce qui diminue les réserves en eau, en augmente l’acidité et en perturbe le
circuit. Selon le Secrétaire d’État à l’Eau, les seuls disfonctionnements et mauvais choix effectués au niveau de
l’eau des barrages occasionne la perte d’un milliard de m3 d’eau en moyenne par an (« un vrai gâchis! » ajoute-
il) 10. En tout cas, il faut savoir que ces pertes d’eau ont en plus des effets négatifs sur l’environnement : lessi-
vage, salinisation et alcalinisation des sols, stagnation de l’eau et développement de maladies 11...
Au total, le coût annuel des dégradations environnementales, avec la désertification, l’érosion, la salinisa-
tion, les pertes de production agricole, les feux de forêts, les pertes de terres agricoles périurbaines, est
considérable. Selon la dernière estimation effectuée par la banque mondiale, ce coût atteindrait en 2000

1. A.Guédira, Présentation du secteur agricole, Direction de la production végétale, MADRPM, Rabat, septembre 1998.
2. Idem.
3. D’autant plus que, comme nous l’avons déjà indiqué, l’extension – sous la pression des besoins – de certaines terres cultivées s’est opé-
rée précisément sur ces espaces fragiles et à leur détriment. Cf. Recensement général de l’agriculture, Résultats préliminaires, Direction de la
programmation et des affaires économiques, Ministère de l’Agriculture, du Développement Rural et des Pêches Maritimes, 1998.
4. Cf. H. Narjisse, Impact prévisible de la mondialisation des échanges sur le développement durable au Maroc, In : L’agriculture marocaine
face à la mondialisation, Actes du séminaire de l’Association Marocaine des Agro-économistes, Rabat, 1998; H. Narjisse, Plan d’action national
pour l’environnement, Document de synthèse, Secrétariat d’État Chargé de l’Environnement, Doc. Ronéo, avril 2000, Rabat. 2000.
5. Banque mondiale, Vers une politique de développement rural intégré, Note, Rabat, 16 juillet 2000; H. Narjisse, Plan d’action national pour
l’environnement, 2000, op. cit.
6. L’agriculture au Maroc, Fiche de synthèse, Minefi-Dree/Trésor, Ambassade de France, Mission économique, Rabat, octobre 2002, p. 5.
7. Selon une étude réalisée par El Mehdi Benzekri (ex-Secrétaire Général du Département de l’Eau), les barrages perdent 60 millions de m3
de capacité par an en raison de l’accumulation des sédiments. Cf. A. Hmaïty, Politiques des barrages : Coup d’épée dans l’eau? Tel Quel, heb-
domadaire, Casablanca, 11-17 octobre 2003, p. 38-39.
8. En 2002, seules 6 % des superficies irriguées étaient équipées en techniques d’irrigation économes en eau. Cf. M. Kably, Irrigation : Des
performances mais encore des lacunes, L’Économiste, quotidien, Casablanca, 2 octobre 2002.
9. À titre indicatif, le riz et la canne à sucre dans le Gharb, la banane dans le Souss... A. Hmaïty, Politiques des barrages..., op. cit.
10. A. Zahoud : Un milliard de m3 d’eau perdu par an, propos recueillis par A. Shamamba, L’Économiste, quotidien, Casablanca, 28 avril 2004.
11. Cf. 6e Session du Conseil Supérieur de l’Eau, Rapport de présentation du thème de l’économie de l’eau, Le Matin de l’Économie, quoti-
dien, Casablanca, 23 janvier 1992.

161
l’équivalent de 4.59 % du PIB 1. Mais ce coût ne tient compte, au mieux, que de ce qui a déjà eu lieu, et non
de ce qui aura lieu. Or, les dégradations en cours risquent, à terme, d’être encore plus lourdes de consé-
quences. À commencer par le potentiel de la production agricole même, qui risque d’en être fortement
affecté. C’est sur un autre rapport de la Banque mondiale que l’on peut lire que « la viabilité à long terme de
la production agricole est devenue plus incertaine, du fait que les cultures se sont déplacées vers les terres
marginales, le déboisement s’est poursuivi et que le secteur teste les limites des ressources en eau » 2.
C’est dire que si le développement sera durable ou ne sera pas, il sera aussi « humain » ou ne sera pas... En effet,
on sait depuis longtemps déjà que l’origine des dégradations des ressources naturelles est souvent liée à la pau-
vreté de la population, trop dépendante des seules ressources en question, à son besoin de survie et à son igno-
rance des règles élémentaires de protection de l’environnement 3. C’est le cas notamment de la dégradation des
forêts, de la mise en culture des zones de parcours ou à écologie fragile, des pratiques d’assolements qui ne per-
mettent guère le repos des sols, etc. Le Rapport Brundtland durant les années 80 avait déjà mis en évidence cette
responsabilité de la pauvreté dans la dégradation environnementale dans les pays en développement, expliquant
que les besoins pressants des pauvres les empêchent de se soucier des coûts à long terme de leurs actions 4.
Le fait est que, au Maroc, les « pauvres » sont encore particulièrement nombreux dans le monde rural, situation qui
n’est favorable ni à la protection des ressources naturelle ni à la valorisation des ressources humaines.

5.3. Ressources humaines : pauvreté et analphabétisme


Alors que l’on en est à l’aube de la « société du savoir et de l’information », on s’accorde aisément sur
l’importance déterminante de la qualité des ressources humaines dans toute entreprise de développement.
Or, force est de constater que le Maroc, et plus encore son milieu rural, apparaissent à cet égard très handi-
capés. L’une des conséquences majeures des disparités accumulées dans l’affectation des ressources tout
au long des quatre dernières décennies est aujourd’hui facilement observable dans les campagnes maro-
caines : un état de sous-développement persistant.
L’Indicateur de Développement Humain, de par son caractère synthétique 5, apparaît le mieux approprié
pour introduire cette question. Dans le dernier « Rapport mondial sur le développement humain 2004 », éla-
boré par le PNUD, on peut constater que le Maroc atteint un IDH de 0.620, ce qui ne lui permet d’être classé
que 125e sur la liste des 177 pays retenus à cet effet 6. Pour mieux apprécier ce niveau, il faut savoir qu’il reste
inférieur à la moyenne de l’ensemble des pays en développement (0.663), et plus encore des pays dits « à
développement humain moyen » (0.695). Dans la région méditerranéenne, et comme on peut le constater sur
la figure 36, le Maroc reste le pays dont l’indice de l’IDH est le plus faible. En longue période, cet indice a pro-
gressé de 0.429 en 1975 à 0.620 en 2002, soit une augmentation de près de 45 % en 28 ans. Mais l’observa-
tion du tableau qui fournit ces indications montre que cet ordre de grandeur de progression a été à peu près
commun à la plupart des pays comparables au Maroc, de sorte que son mauvais classement n’a quasiment
1. Dans cette proportion, 1.23 % est attribué à l’eau. Cf. Guillaume Benoît Environnement et développement durable en Méditerranée, Plan
Bleu pour l’environnement et le développement en Méditerranée, communication in : Rendez-vous sur le développement durable en Méditerra-
née, Marseille, 17-18 mai 2004.
2. Banque mondiale, Rapport sur la pauvreté..., 2004, op. cit., p. 10.
3. N. Akesbi, 1. Contexte, contraintes et objectifs de la gestion des ressources naturelles; 2. Politiques de réforme et leur impact sur la ges-
tion des ressources naturelles, Documents pédagogiques produits dans le cadre des Programmes « Nectar », Thematic field : Agricultural Econo-
mics and Policy Reforms, Module 5 : Policy reform and natural resource management, Université Catholique de Louvain, Belgique, 1998 et 1999.
4. Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement (Rapport Brundtland, 1987), Notre avenir à tous, éd. du Fleuve, Les publi-
cations du Québec.
5. L’IDH est un indicateur composite et synthétique, calculé sur la base de trois éléments : le PIB par habitant (en termes de parité de pou-
voir d’achat, PPA), l’espérance de vie à la naissance et le taux combiné d’alphabétisation des adultes et de scolarisation.
6. PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 2004, La liberté culturelle dans un monde diversifié, éd. Economica, Paris, 2004,
Tableau 1, p. 139-142.

162
pas varié quand il n’a pas régressé. Au demeurant, nous avions déjà rappelé au début de la quatrième partie
ci-dessus que dans le rapport du PNUD de 1991, le Maroc avait été classé 108e sur 160 pays...
Figure 36

Au niveau du monde rural en particulier, la situation à cet égard est sans doute encore plus alarmante puis-
que, comme nous l’avons déjà noté plus haut dans la partie relative au plan 2000-2004, on reconnaît offi-
ciellement que l’indicateur de développement humain pour le milieu rural est « inférieur à la moitié de celui
des villes, déjà jugé faible » (cf.4.11). En tout cas, les indicateurs ne manquent pas qui convergent et
témoignent de l’ampleur de la pauvreté, des carences dans les infrastructures, les équipements de base
aussi bien économiques que sociaux. En fait, nous avons déjà à plusieurs reprises – et à différentes
« étapes » durant les dernières décennies – fourni des indications sur l’état de dénuement du monde rural,
en ne citant du reste que des sources officielles ou internationales (voir ci-dessus l’introduction de la partie 4,
puis les sous-parties 4.5, 4.10 et 4.11).
Nous nous contenterons donc ici de rappeler la dernière source citée, celle précisément du plan 2000-
2004, qui soulignait « la situation préoccupante dans laquelle se trouve, encore, le monde rural à la veille du
Plan » 1. Sans revenir sur les chiffres, reprenons seulement les « têtes de chapitres » : un IDH « rural » de
moitié inférieur à celui des villes, faiblesse des revenus et taux de pauvreté particulièrement élevé en milieu
rural, insuffisance notoire en infrastructures de base, et retards criants dans les domaines de l’éducation et
de la couverture sanitaire, étant entendu que, toutes choses égales par ailleurs, la situation des femmes est
encore pire que celles des hommes.
Certes, quelques progrès indéniables ont été réalisés ces dernières années, même si des données fiables
et objectives – et donc non contestables – manquent encore pour les mettre « au dessus de tout soupçon ».
On peut néanmoins évoquer quelques indicateurs qui témoignent d’une amélioration, toute relative certes,
de certains aspects des conditions de vie des ruraux au Maroc. Ainsi, le Haut Commissariat au Plan a récem-
ment produit de nouveaux chiffres sur la « pauvreté monétaire » qui ramènent celle-ci à une proportion de
17.8 % en 2000-2001, contre une proportion de 19 % dégagée par l’enquête « Niveau de vie » de 1998-
1999 2. S’agissant de résultats qui sont en définitive le produit d’hypothèses plus ou moins discutables, on

1. Commission Spécialisée Développement Rural et Agricole, Développement Rural, 1999, op. cit., p. 6-7.
2. Enquête nationale sur les niveaux de vie des ménages 1998/1999, Direction de la Statistique, Ministère de la Prévision Économique et du
Plan, Rabat, 2000; Voir aussi : Analyse du profil et de la dynamique de la pauvreté : Un fondement de l’atténuation des dénuements, Direction de
la Statistique, Ministère de la Prévision Économique et du Plan, Rabat, 2001.

163
ne peut les retenir qu’avec précaution 1. Il reste que, en ce qui concerne le monde rural, l’étude en question
conclut plutôt à une aggravation de la situation puisque le taux de pauvreté y serait passé à 28.8 % en 2001
contre 27.2 % trois ans plutôt (en revanche, le taux de pauvreté en milieu urbain serait tombé de 12 % à
9.6 %). Un autre élément peut d’ailleurs conforter cette évolution puisque, selon la même étude, l’écart
urbain / rural, exprimé en termes de rapport des taux de pauvreté, s’est accentué, passant de 2.3 en 1985 à
3.6 en 2001.
Pour sa part, le dernier rapport de la Banque mondiale ne reprend pas ces résultats à son compte mais se
contente de considérer qu’il « est possible que les taux de pauvreté aient chuté au cours des quelques der-
nières années, après une augmentation initiale pour l’année qui a immédiatement suivi la dernière
enquête » 2. S’appuyant sur les résultats de cette dernière précisément, le rapport n’en estime pas moins
cependant que « 60 % des pauvres (et 47 % de la population) vivent dans des régions rurales et gagnent leur
vie de l’agriculture » 3. Au total, au vu de l’ensemble des données disponibles, il ne semble pas déraisonnable
de considérer qu’aujourd’hui, un peu plus du quart des ruraux sont identifiés pauvres, et un peu moins des
deux tiers des pauvres du pays vivent en milieu rural 4.
Pour avoir une idée de l’évolution de l’infrastructure économique et sociale dans le monde rural, nous dis-
posons d’un autre document du Haut Commissariat au Plan qui, dans le cadre de l’évaluation du plan 2000-
2004, apporte quelques indications utiles, même si elles sont souvent discutables 5. C’est ainsi que selon ce
document, en ce qui concerne l’électrification rurale et l’accès à l’eau potable, le taux de desserte des
Douars a atteint 72 % en 2004 pour la première et 55 % en 2003 pour le second. Le problème – mis en évi-
dence par l’expérience – est qu’un écart important peut exister entre la population pouvant bénéficier, de
l’électrification par exemple (parce que les infrastructures lui permettant cela ont été réalisées), et celle qui
en bénéficie effectivement parce qu’elle peut se permettre de payer le coût de sa quote-part et celui de son
abonnement 6... Au demeurant, une enquête réalisée en 2003-2004 par le Ministère de la Santé – dont les
premiers résultats viennent d’être publiés – fournit des chiffres probablement plus proches de la réalité :
ainsi, en milieu rural, les enquêteurs ont pu constater que 51 % des ménages ont l’électricité et 33 % des
mêmes ménages disposent de l’eau potable provenant d’un robinet ou d’une fontaine 7.
La lutte pour le désenclavement de plus de la moitié des localités rurales qui pâtissent de cette situation
avance également mais à un rythme qui ne permet pas d’atteindre les objectifs arrêtés. En tout cas, celui
arrêté par le plan 2000-2004 – construire 2210 km/an – ne l’a été qu’à 68.5 % 8. En matière d’infrastructure
sanitaire, un effort appréciable a porté sur la construction d’établissements de soins de santé de base, de
sorte qu’en milieu rural, le ratio « nombre d’habitants par établissement » a baissé entre 1997 et 2003 de
9.225 à 7.041. Mais cet effort, reconnaissent les responsables, « ne s’est pas accompagné d’une améliora-

1. Une « Note d’information » du Haut Commissariat au Plan, diffusée en juillet 2004, ne semble pas avoir convaincu mais au contraire ali-
menté un certain scepticisme... Parmi les points contestés, notons le fait que les seuils de pauvreté urbaine en 2000/01 ont été abaissés par rap-
port à ceux de 1998/99, la raison invoquée étant « la baisse de l’indice du coût de la vie durant cette période en milieu urbain »...
2. Banque mondiale, Rapport sur la pauvreté, 2004, op. cit.,p. 10.
3. Ibid.
4. En fait, selon un rapport d’évaluation du plan 2000-2004 du Haut Commissariat au Plan que nous citons ci-dessous, « le milieu rural
accueille 74,5 % du total de la population pauvre » (p. 60).
5. Haut Commissariat au Plan, Rapport d’évaluation du plan de développement économique et social 2000-2004, Doc. Ronéo, 92 pages,
Rabat, janvier 2005, p. 37 et s.
6. Selon des statistiques de l’Office National d’Électricité, arrêtées à fin mars 2001, le taux d’abonnement dans le cadre du PERG (Programme
d’électrification rurale) atteint en moyenne nationale seulement 62.6 %.
7. Enquête sur la population et la santé familiale 2003-2004 : premiers résultats in : J. Mdidech, Tout sur la santé familiale des Marocains, La
Vie éco, hebdomadaire, Casablanca, 31 mars 2005.
8. Haut Commissariat au Plan, Rapport d’évaluation..., 2005, op. cit., p. 83.

164
tion de la qualité des soins, particulièrement en milieu rural ». En tout cas, ajoute-on, si l’on juge par le niveau
élevé de la mortalité maternelle, « le rendement du système sanitaire marocain demeure modeste » 1. Ce
taux de mortalité, évalué pour la période 1995-2003 à 227 décès pour 100.000 naissances au niveau national,
monte à 267 en milieu rural...
Dans le domaine de l’éducation enfin, s’il est reconnu que le taux d’analphabétisme reste élevé, de l’ordre
de 45 % (alors que l’objectif du plan était de ramener ce taux à 35 %), aucune précision n’est fournie à pro-
pos de la proportion propre au monde rural. On peut toute fois aisément convenir qu’elle doit y être autre-
ment plus élevée... Le taux de scolarisation de base pour sa part, en milieu rural, a progressé de 69 à 88 %
entre 1999 et 2004, mais l’objectif de généralisation de la scolarisation qui avait été retenu par le plan n’a pas
été atteint. Au niveau de l’enseignement secondaire, toujours en milieu rural, le taux brut de scolarisation
atteint seulement 23.4 %, et dans l’enseignement secondaire dit « qualifiant », il ne dépasse guère 4 %.
Au-delà de ces handicaps « généraux » parce que communs à la population rurale dans son ensemble, il
faut examiner ceux qui sont spécifiques à cet acteur majeur de tout acte de développement qu’est l’exploi-
tant agricole. L’handicap propre à la qualité des ressources humaines disponibles sur l’exploitation est sans
doute au moins aussi lourd de conséquence que celui qui est inhérent aux carences des moyens matériels. Il
s’agit ici de l’aptitude de « l’agent économique » qu’est l’agriculteur à exploiter une unité productive dont il
doit chercher à optimiser les résultats. On comprend aisément que pour ce faire, un minimum de formation
et d’aptitude à l’apprentissage soit nécessaire. Or là encore, quelques chiffres révélés par le dernier recense-
ment agricole devraient susciter les plus vives inquiétudes. Ainsi a-t-on appris que pas moins de 81 % des
exploitants agricoles, sur pas moins de 76 % de la SAU, ne disposent d’aucun niveau d’instruction ; 9.5 %
ont seulement le niveau de l’école coranique et 6 % le niveau de l’école primaire. Par ailleurs, la même popu-
lation d’exploitants est apparue plutôt âgée puisqu’elle est composée à 67.5 % de personnes ayant plus de
45 ans, et même à 45 % de personnes ayant plus de 55 ans 2.
Même si l’on sait bien que le savoir-faire n’est pas nécessairement lié aux diplômes accumulés, il paraît
assez évident qu’avec une population de producteurs aussi massivement dépourvue de formation, et rela-
tivement âgée, on peut prendre la mesure des limites intrinsèquement liées au facteur humain auxquelles
sera confrontée toute œuvre de redressement de l’agriculture marocaine. En tout cas, les données et faits
qui viennent d’être livrés témoignent d’une réalité tout à fait préoccupante : près de la moitié des marocains
vivent aujourd’hui dans des espaces qui constituent de moins en moins un cadre de vie acceptable, ni même
un cadre de travail et de production viable, et de surcroît parmi des ressources naturelles en dégradation
continue. Une telle situation explique que le monde rural ait du mal à sortir d’un cercle vicieux où la pauvreté
génère le sous-développement et le sous-développement la pauvreté 3.

5.4. Des structures foncières défavorables à la modernisation

Inscrites dans un espace de terres cultivables déjà limité, les structures foncières constituent une autre
contrainte majeure de l’agriculture marocaine. Cette contrainte est source de multiples obstacles qui causent
autant d’entraves à son développement.

1. Ibid, p. 99.
2. Recensement général de l’agriculture, 1998, tableaux 1.3, 1.4 et 1.5.
3. À titre d’exemple : la faiblesse des infrastructures empêche l’investissement, et l’absence de ces derniers aggrave l’impact du manque
d’infrastructures...

165
L’état plus ou moins détaillé des structures foncières telles qu’elles ont été révélées par le dernier recen-
sement agricole 1 figure dans l’encadré 1, ci-dessous. On se contentera donc ici de rappeler les quelques
éléments essentiels qui déterminent la problématique des structures en question 2. Le premier a trait à la fai-
blesse de la taille des exploitations et à leur excessif morcellement. Si la superficie moyenne des exploita-
tions est de 6.1 ha, 71 % du million et demi d’unités productives que compte le pays ont moins de cinq
hectares et occupent moins du quart de la surface agricole utile. Pourtant, chaque exploitation compte en
moyenne 6.7 parcelles, très dispersées et chacune couvrant à peine 0.9 ha. Du point de vue du statut juri-
dique des terres, le quart de la SAU reste sous l’emprise de statuts fonciers archaïques et précaires : terres
guich, habous, domaniales, et surtout collectives (qui représentent à elles seules près de 18 % de la SAU).
Même les terres melk ne sont souvent guère dans une situation meilleure de ce point de vue puisque, en rai-
son du régime de succession désuet, elles restent « appropriées » dans l’indivision par une multitude d’héri-
tiers plus ou moins absentéistes, ce qui n’en favorise nullement une exploitation efficiente, ou même
seulement rationnelle.

Encadré 1
L’image de l’agriculture marocaine
d’après le Recensement Général de 1996-1997

Le dernier recensement général agricole avait eu lieu entre les mois d’octobre 1996 et mars 1997, et il intervenait 22
ans après le précédent recensement qui avait été réalisé en 1974. Son intérêt résidait donc non seulement dans les
résultats qu’il pouvait livrer lui-même, mais aussi dans la possibilité de comparaison, et partant d’identification de chan-
gements structurels qu’il permettait par référence aux observations collectées au début des années 70.
Le premier résultat marquant a trait au nombre même des exploitations agricoles recensées qui a diminué depuis
1974 de plus de 1.9 à près de 1.5 million d’unités, soit une baisse de 22 % en 22 ans. Si le nombre d’exploitations a
régressé en moyenne de 1 % par an, la surface agricole utile (SAU) pour sa part a néanmoins progressé de près de 1 %
par an, passant de 7.2 à 8.7 millions d’hectares (+21 %). L’analyse des chiffres et des faits dégagés par le recensement
montre qu’en réalité la baisse du nombre d’exploitations s’est opéré essentiellement sur le compte des unités sans
SAU ou n’ayant que moins d’un hectare (leur effectif a chuté de 890 000 à 380 000 ha environ), alors que la SAU sup-
plémentaire a été « gagnée » principalement sur les terres de parcours et les terres plus ou moins marginales.
Au demeurant, cette dernière tendance est corroborée par l’accroissement assez surprenant dans la SAU des terres
collectives, qui sont généralement « le statut » des terres de parcours. En effet, en termes de statut juridique des
terres, alors que l’on s’attendait à leur déclin, les terres collectives ont plutôt gagné en importance tant absolue que
relative : elles représentent désormais plus de 1.5 million d’hectares et près de 18 % de la SAU (contre près d’un mil-
lion d’hectares et 14 % de la SAU en 1974). Pour sa part, le statut « melk », tout en s’étendant sur près d’un million
d’hectares supplémentaires, reste assez stable en proportion, occupant toujours à peu près les trois quarts de la SAU
totale. Pour le reste, les superficies concernées par les multiples autres statuts (Guich, Habous, domanial..), ont
régressé dans des proportions allant de 25 à 40 %, ce qui ne les empêchent pas de continuer à régir quelques
570 000 ha, soit 6.5 % de la SAU.
L’accroissement de la SAU, accompagné par la baisse du nombre d’exploitations s’est traduit par une légère hausse
de la taille moyenne des exploitations, laquelle est passée en 22 ans de 4.9 à 6.1 ha. Dans le même temps, le proces-
sus de morcellement des terres s’est poursuivi, puisque le nombre de parcelles par exploitation a encore augmenté de
6 à 6.7 en moyenne. Quant à la distribution des superficies, elle est toujours caractérisée par de grandes disparités :
outre les 4 % d’exploitations sans terre cultivable, 21 % des exploitations disposent de moins d’un hectare

1. Recensement général de l’agriculture, Résultats préliminaires, Direction de la programmation et des affaires économiques, Ministère de
l’Agriculture, du Développement Rural et des Pêches Maritimes, septembre 1998.
2. N. Akesbi, Les exploitations agricoles au Maroc : Un diagnostic à la lumière du Recensement général agricole, Critique économique, no 5,
Rabat, printemps 2001, p. 5-23.

166
et couvrent moins de 2 % de la SAU; 55 % des exploitations ont moins de 3 ha et n’occupent que 12 % de la SAU. À
l’autre bout, moins de 1 % des exploitations ayant plus de 50 ha couvrent plus de 15 % des superficies totales. Entre
ces deux « extrêmes », il existe plusieurs catégories d’exploitations intermédiaires dont la plus nombreuse apparaît être
celle des unités ayant entre 5 et 10 ha, qui représentent 16 % de l’ensemble et couvrent 22 % de la SAU.
À peu près trois exploitations sur quatre pratiquent l’élevage, et cette proportion est en recul par rapport au
passé (73 % contre 85 % en 1974). L’explication réside dans la disparition de la très grande majorité des exploita-
tions sans terre cultivable, qui reviennent en fait à être des exploitants éleveurs sans SAU. La baisse du nombre
d’exploitations pratiquant l’élevage concerne donc essentiellement les tranches d’unités sans terre ou ayant moins
d’un hectare. On a recensé au total quelques 2.4 millions de bovins, 16.7 millions d’ovins, 5.7 millions de caprins et
un peu moins de 150 000 camelins. La taille moyenne des troupeaux semble augmenter (de 2.9 à 3.1 têtes par
exploitation), ce qui indique une tendance vers une certaine concentration du cheptel au niveau des moyennes et
grandes exploitations.
Les exploitations pouvant pratiquer l’irrigation apparaissent relativement importantes puisqu’elles représentent 44 %
de l’effectif total, mais la proportion de celles qui le sont effectivement tombe à 38 %, et couvre une superficie de
1.2 million d’hectares. Si cette dernière ne constitue que 14 % de la SAU, elle marque tout de même une progression
de 72 % par rapport à 1974. Il reste que par ailleurs, les indicateurs significatifs de la modernisation des exploitations et
de l’intensification de la production ne permettent guère de considérer qu’une telle dynamique soit bien avancée dans
l’agriculture marocaine. Ainsi les travaux du sol et la moisson sont mécanisés par respectivement 47 % et 31 % des
exploitations; et on ne compte par exemple encore que 43 226 tracteurs dans le pays, ce qui fait en moyenne un trac-
teur pour 202 ha (en fait ce parc est pour moitié concentré au niveau des fermes ayant plus de 20 ha). Les engrais sont
utilisés par la moitié à peine des exploitations. Les semences sélectionnées et les produits phytosanitaires sont encore
moins répandus puisqu’ils ne sont utilisés respectivement que par 16 % et 33 % des exploitations. Mais probablement
que l’indicateur le plus inquiétant à cet égard n’est autre que le niveau d’éducation et de formation des exploitants agri-
coles mêmes : le recensement révèle en effet que 81 % des exploitants n’ont aucun niveau d’instruction (et exploitent
76 % de la SAU...), 9.5 % ont fréquenté « l’école coranique » et 6.1 % l’école primaire, moins de 2 % un collège ou un
lycée, et 0.7 % un établissement d’enseignement supérieur.

Il faut ajouter à ces données que dans leur très grande majorité les exploitations restent dépourvues d’un
titre foncier, faute d’immatriculation et d’inscription sur un registre de cadastre permettant de garantir leur
existence juridique. En dépit de l’extrême discrétion des responsables sur cet aspect, on peut avancer quel-
ques éléments indicatifs qui donnent une idée sur l’ampleur du problème. Ainsi, le plan 2000-2004 évoque
l’immatriculation foncière et le cadastre de « 1.4 million de propriétés couvrant une superficie de 2.4 millions
d’hectares, soit 28 % de la SAU » 1. Mais selon le Directeur du Cadastre, l’immatriculation ne toucherait au
total que 8 % de la SAU 2. Que l’on retienne l’une ou l’autre de ces estimations, on voit bien que, un demi siè-
cle après l’indépendance, l’essentiel des terres agricoles dans le pays reste dans une situation juridiquement
indéterminée.
Le point de convergence de tous les facteurs qui viennent d’être rappelés est néfaste du point de vue
du développement économique. Comment investir et moderniser une exploitation de quelques hec-
tares, éclatée en plusieurs micro-parcelles, exploitée dans « l’indivision » et sans titre de propriété
garantissant la sécurité de l’investissement et la stabilité de l’activité ? Et même lorsque l’on décide mal-
gré tout de dépasser ces premiers obstacles, on ne tarde guère à se heurter au « mur de l’argent » et la
dure loi du système bancaire : pas de crédit sans titre foncier permettant d’hypothéquer la propriété fon-
cière...

1. Quant au remembrement, il aurait touché durant « les dix dernières années » à peine 152 900 ha répartis sur 11 provinces... Plan de Déve-
loppement Économique et Social 2000-2004, volume 2, op. cit., p. 18-19.
2. Communication lors de la 7e Édition du Forum Annuel de l’Association Marocaine des Étudiants Topographes, sous le thème « Horizon
2010 : Mise à niveau des infrastructures et modernisation des équipements, IAV Hassan II, Rabat, 13 mars 2004.

167
Finalement, si l’on adopte une approche plus synthétique, mais en même temps plus « fouillée » des
dernières statistiques disponibles, on constate qu’il est possible de distinguer dans cette agriculture qui
reste essentiellement de type familiale, trois types d’exploitations agricoles 1. On peut commencer par dis-
tinguer les « grandes exploitations », celles qui ont plus de 50 ha en bour et plus de 20 ha en irrigué : elles
sont peu nombreuses puisqu’elles atteignent moins de 2 % du total des exploitations, mais couvrent 22 %
de la surface agricole utile (et 31 % des terres irriguées). On peut ensuite identifier les « petites et
moyennes exploitations » : situées plus ou moins au-delà d’un seuil minimal de viabilité économique, elles
détiennent entre 3 et 50 ha en bour et entre 1 et 20 ha en irrigué : elles représentent 55 % de l’effectif total
des exploitations et couvrent 70 % des terres cultivables. Il reste enfin les « micro-exploitations » qui
n’atteignent guère le seuil de viabilité économique : avec moins de 3 ha en bour et d’un ha en irrigué, elles
représentent tout de même 41 % des exploitations mais disposent d’à peine 5 % de la surface agricole
utile 2.
Ce sont naturellement ces dernières qui soulèvent les problèmes les plus ardus du point de vue des impé-
ratifs du développement. D’un poids économique négligeable, elles font néanmoins travailler et vivre, ou plu-
tôt « survivre » près de la moitié de la population rurale. Elles concentrent toutes sortes de contraintes
(foncières, techniques, humaines, financières...), et peuvent très difficilement s’inscrire dans une logique de
dynamique économique. Ce sont d’abord celles-là qui sont aujourd’hui hautement menacées par la libéralisa-
tion des échanges et la dure concurrence des produits d’importation qu’elles devront d’une manière ou d’une
autre affronter (nous y reviendrons plus bas, en 6.3). Or, rappelons que ce sont en gros ces mêmes exploita-
tions que la « stratégie 2020 » – présentée dans la partie 4 – estime trop peu viables pour permettre aux
43 % de la population rurale qui y sont installés de vivre décemment, ni même d’être en mesure de répondre
aux politiques de développement de l’État...

5.5. Des exploitations et des systèmes productifs encore peu intensifs


Comme nous l’avons déjà souligné dans la partie 2 de ce travail, la politique d’investissement de l’État
s’est largement focalisée sur quelques espaces limités, les « périmètres » équipés et irrigués à partir de
grands ouvrages hydrauliques. Au delà de ses succès ou ses échecs, force est de constater que par nature,
la « politique des barrages » ne pouvait enclencher une dynamique généralisée dans l’ensemble du secteur
agricole et encore moins du monde rural dans son ensemble. Aujourd’hui encore elle continue de générer
des disparités considérables, comme cela est souligné dans une énième « Note » d’une mission de la
Banque mondiale qui a l’avantage de dire l’essentiel en peu de mots : « plus de 70 % de l’investissement
public à l’agriculture vont à la grande irrigation, laquelle bénéficie aux agriculteurs relativement plus aisés et
aux exploitations plus grandes » 3.
C’est dire combien l’immense majorité des exploitations situées en dehors de telles zones privilégiées
pâtit du manque d’infrastructures et d’équipements collectifs réalisés ailleurs par l’État. C’est dire aussi les
difficultés que ces exploitations, privées des effets d’entraînement des investissements publics et souvent

1. N. Akesbi, L’agriculture familiale au Maroc face à la perspective de libéralisation des échanges, In : Milieu rural, agriculture familiale : Itiné-
raires Méditerranéens, Ouvrage collectif du Réseau Agriculture Familiale Comparée (Rafac), Ciheam – IAM, Montpellier, 2001, p. 241-277.
2. Stratégie 2020 de développement rural, 1999, op. cit., p. 137-139. En fait, certains estiment que si l’on considère que les exploitants ayant
moins de 1 ha sont en fait des « ouvriers agricoles » qui ne disent pas leur nom, on peut en conclure que le nombre d’exploitants proprement dits
descend de 1.5 million à 800 à 900000 personnes.
3. Banque mondiale, Les enjeux du développement humain, Note, Rabat, 16 juillet 2000.

168
elles-mêmes incapables de générer un surplus conséquent, doivent affronter pour s’engager avec succès
dans une dynamique de modernisation. Du reste, divers indicateurs probants témoignent aujourd’hui de
cette difficulté à s’engager de manière irréversible dans un processus d’accumulation et d’intensification des
conditions de la production.
Les principaux indicateurs de modernisation apparaissent encore faibles au Maroc, et de surcroît tendent
même durant la dernière décennie à régresser, sous les effets conjugués d’une succession d’années de
sécheresse, et d’une libéralisation mal maîtrisée des prix et des échanges de certains facteurs de production.
Ainsi, en ce qui concerne les engrais, comme on peut le constater sur la figure 37, la consommation a eu ten-
dance à stagner, et même à décliner tout au long de la décennie 1988-1997, et ce n’est qu’en fin de période
qu’elle s’est quelque peu redressée, atteignant un niveau moyen qui est toutefois à peine supérieur de 10 %
à celui du début de la période considérée (moyennes 1998-2001 et 1988-1991). Encore que cette aug-
mentation et ce niveau apparents sont probablement trompeurs, puisqu’ils ne tiennent pas compte du fait
qu’une partie plus ou moins importante des quantités globales ne bénéficie certainement pas à la production
agricole, du moins celle qui est licite ! En effet, on constate que, curieusement, la région du Rif, dont la
« vocation agricole » n’est guère avérée, est en fait la deuxième région utilisatrice des engrais ! Selon des
sources concordantes, l’explication réside dans le fait que c’est surtout la région dans laquelle se concentre
la production du cannabis, production dont les superficies auraient doublé en quatre ans, atteignant en 2004
quelques 134 000 ha 1...

Figures : 37-38

1. Cf. Alimentarius, Fédération Nationale de l’Agro-alimentaire, no 16, janvier 2005, p. 5; Voir aussi : Office contre la drogue et le crime,
Maroc : Enquête sur le cannabis 2003, Nations unis, Vienne, décembre 2003; A. Maghri, Cannabis : Le Maroc pourrait en profiter, et légalement...,
La Vie éco, hebdomadaire, Casablanca, 12 mars 2004; Secrets du Royaume du Hachich, Dossier, Assahifa, hebdomadaire, Casablanca, 9 mars
2005 (article en arabe).

169
En tout cas, même dans ces conditions, la figure 38 nous montre à quel point la consommation des
engrais à l’hectare reste faible au Maroc. Avec 37 kg/ha et par an, le premier exportateur mondial de phos-
phates reste loin de la moyenne mondiale de consommation d’engrais (90 kg/ha), encore plus de celle de ses
voisins de la Méditerranée du nord (126 kg/ha) et même de ceux du sud (67 kg/ha).
En ce qui concerne l’utilisation des semences sélectionnées, le dernier recensement agricole de 1996
avait déjà révélé que seules 16 % des exploitations les utilisaient 1. Pourtant, et pour s’en tenir au cas bien
significatif des semences céréalières, leur consommation, qui avait plutôt évolué favorablement durant la
deuxième moitié des années 70 et les années 80, a eu tendance à décliner durant la décennie suivante, et
même la légère reprise observée en fin de période n’a pas encore permis de retrouver le niveau réalisé une
quinzaine d’années plutôt 2 (figure 39).

Figure : 39

Quant à la mécanisation, son évolution est peut-être encore plus alarmante : alors qu’on compte seule-
ment un tracteur pour 225 ha cultivés (contre un tracteur pour 92 ha dans les pays voisins de la Méditerranée
du Sud, et un pour 57 en tant que moyenne mondiale) 3, le nombre d’unités vendues de ce type de matériel
agricole a été plus que divisé par deux, tombant de 2380 en moyenne entre 1986 et 1990 à 1070 entre 1999
et 2003 (figures 39 et 40) 4.

1. Recensement général de l’agriculture, 1998, op. cit., tableau 13.


2. Les ventes des semences céréalières ont atteint en moyenne près de 621 000 quintaux entre 2000 et 2004, contre près de 700 000 quin-
taux durant la période 1986-1990. Cf. MADRPM, Préparation du Rapport du Cinquantenaire, Recueil de données relatives au secteur agricole,
Rabat, octobre 2004, p. 50.
3. En 2001, on comptait un tracteur pour 88 ha en Algérie, 1 pour 140 ha en Tunisie, 1 pour 37 ha en Égypte; Au nord, on comptait un tracteur
pour 20 ha en Espagne et 1 pour 15 en France... Cf. Medagri 2004, p. 205.
4. Moyennes calculées à partir de MADRPM, « Recueils de données... », op. cit., p. 58.

170
Figures : 39-40

Au regard des tendances que nous venons d’observer, il est difficile d’éviter d’établir une certaine corréla-
tion entre les reculs observés durant la plus grande partie des années 90 au niveau des consommations des
différents intrants et matériels examinés ci-dessus d’une part, et la remise en cause au tournant des
années 90 des politiques de soutien et de subvention qui les concernaient d’autre part. En effet, nous avons
vu dans la troisième partie de ce travail comment, dans le cadre des politiques d’ajustement structurel, l’État
avait accentué son désengagement des programmes d’incitation par des subventions et autres formes de
soutien, ce qui avait conduit à de fortes baisses, voire à la suppression totale des aides qui pouvaient jouer un
certain rôle dans l’affirmation de la demande de tels moyens d’intensification. Ainsi la libéralisation des prix
des intrants s’est souvent surtout traduite par leur renchérissement alors que les conditions de commer-
cialisation ne permettaient guère l’ajustement conséquent des prix de vente.
Face au risque de voir leur revenu chuter, nombreux sont les producteurs qui ont cherché à limiter le dom-
mage en économisant sur les doses d’engrais, la qualité des semences ou des travaux mécaniques (ils ont
évidemment ainsi compromis encore plus les chances d’amélioration de leur productivité et partant de leurs
revenus...) 1. Même si d’autres facteurs ont probablement joué un rôle, la responsabilité de la politique de
libéralisation des prix dans ce recul dans le processus de modernisation des exploitations apparaît tout à fait
manifeste, et c’est probablement là un de ses résultats les plus tangibles.

5.6. Un secteur mal articulé avec le reste de l’économie

S’il est vrai qu’en dépit de tous les problèmes qui l’assaillent, l’agriculture marocaine a pu laisser se déve-
lopper en son sein certaines activités et certains sous-secteurs relativement performants, il faut néanmoins
souligner leur fragilité dès lors que l’on remonte leurs filières à l’amont. On s’aperçoit alors que ces derniers
apparaissent fortement dépendants de l’étranger pour leur approvisionnement en équipements, en intrants

1. Ceci étant, il reste probablement vrai aussi que dans certains cas, le renchérissement des coûts des intrants a dû avoir eu pour effet de
conduire à une certaine rationalisation de leur utilisation.

171
et en matières premières. À titre d’exemple, on a pu calculer que le coût en devises de la tomate exportée –
sous forme de semences, produits de traitement, coûts de commercialisation, matériels d’équipement, etc.,
le tout étant importé – atteint près de 64 % de la recette qui en est dégagée en fin de compte 1. Outre le fait
que la valeur ajoutée locale s’en trouve considérablement réduite, cette dépendance soumet les activités
concernées au risque permanent de renchérissement des coûts des équipements et des facteurs de produc-
tion, de sorte que des gains de productivité réalisés à d’autres niveaux peuvent être ainsi « récupérés » par
des facteurs exogènes et à leur profit.
Même lorsqu’elle n’est pas si étroitement dépendante de l’extérieur pour ses approvisionnements, la pro-
duction agricole marocaine, le plus souvent, n’en est pas pour autant intégrée aux autres secteurs de
l’économie nationale, notamment à ceux des industries de transformation, capables de l’amender et d’en
accroître la valeur ajoutée. C’est ainsi que bien qu’elle ait connu un développement appréciable depuis trois
décennies, l’industrie agro-alimentaire ne représente encore que 5 % du PIB, alors qu’elle atteint plus de
15 % dans la plupart des pays développés. Par ailleurs, les consommations intermédiaires ramenées à la
valeur de la production agricole atteignent en moyenne moins d’un tiers. Or ce défaut d’intégration repré-
sente autant de manque à gagner en termes de valeur ajoutée, de créations d’emplois, de diversification des
marchés et finalement d’opportunités de développement.
Enfin, au stade de la commercialisation aussi, sur les marchés intérieurs ou extérieurs, les produits agri-
coles doivent faire face à de nombreux problèmes qui défavorisent leur compétitivité, et portent préjudice
aux intérêts des producteurs comme des consommateurs. Non intégrés à la production, les circuits de distri-
bution apparaissent trop souvent encombrés par une multitude d’intermédiaires qui s’accaparent l’essentiel
de la valeur ajoutée sans en faire bénéficier les principaux acteurs concernés à l’amont comme à l’aval du
processus. Les marchés de gros en particulier, restent handicapés par des structures archaïques et une
réglementation désuète, dominés par des « mandataires » qui se contentent de prélever leur confortable
« rente de situation » sans se soucier de la moindre valeur ajoutée qui pourrait justifier leur rémunération... À
l’exportation, l’insuffisance des moyens logistiques, les carences d’organisation des opérateurs, l’absence
d’une politique marketing dynamique et offensive sur les marchés extérieurs, auxquelles s’ajoutent les
options et pratiques protectionnistes des autorités concernées (européennes en particulier), tout cela aboutit
à contenir les ambitions exportatrices marocaines dans des limites étroites.
De manière générale, les problèmes rencontrés sur le terrain de la commercialisation des produits agri-
coles sont eux-mêmes la conséquence d’une multitude de carences diverses : absence de circuits de distri-
bution structurés, défaut de normes de qualité connues et acceptées, faible développement des
organisations professionnelles, défaillance des infrastructures de stockage et de conservation, ainsi que des
moyens de transport et du fret, faible intégration à la transformation en aval, etc. Quelles que soient les
causes, le résultat est manifeste. Les problèmes d’écoulement sur les marchés et plus généralement la
faible organisation des filières contribuent sans doute à contrarier la génération de gains de productivité dans
le secteur agricole et partant y découragent le développement des investissements.

1. Selon une étude récente, la part du coût importée par rapport au prix à l’exportation atteint 64.8 % pour la fraise, 64 % pour la tomate,
55.2 % pour la pomme de terre, 47.1 % pour le melon, 42.5 % pour l’haricot vert, et 38.5 % pour le poivron. Cf. Y. Fertoul, Les investissements
étrangers dans le secteur agricole au Maroc, Mémoire de troisième cycle, Option Agro-économie, Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II,
juillet 2004, p. 191.

172
5.7. Des ressources financières insuffisantes et inégalement réparties

Le déséquilibre dans l’affectation des ressources financières, principalement publiques, mais aussi pri-
vées, est une autre contrainte qui renvoie aux choix de politique agricole mise en œuvre depuis les
années 60. En effet, nous avons déjà expliqué dans la première partie de ce travail comment la « politique
des barrages », massive et sélective à la fois, allait concentrer les efforts et les moyens de toute sorte sur
quelques espaces limités, des « périmètres » équipés et irrigués à partir de grands ouvrages hydrauliques, et
couvrant mois d’un dixième des terres cultivables. Nous avons également montré que par nature, le
« modèle » suivi ne pouvait enclencher une dynamique généralisée dans l’ensemble du secteur agricole et
encore moins du monde rural dans son ensemble.
Les disparités considérables déjà relevées à tous les niveaux, au détriment du monde rural de manière
générale, mais aussi au sein même des campagnes et du secteur agricole, sont largement le produit d’une
affectation des ressources extrêmement inégale. Pour s’en tenir ici aux ressources affectées au seul secteur
agricole, celles-ci ont certes sensiblement baissé en longue période puisqu’elles ont été quasiment réduites
de moitié, passant de près de 20 % durant les années 70 à seulement 10 % actuellement 1. Si depuis une
quinzaine d’années, on s’en tient en gros à cette proportion, on peut constater sur la figure 41 que le budget
d’investissement du Département de l’Agriculture connaît une évolution assez instable, au demeurant reflet
des contraintes de financement qui caractérisent l’ensemble des investissements de l’État. Ceci étant, le
plus remarquable est qu’en dépit de ces limites générales, sur la figure 42, on peut voir que la part qui est
consacrée dans ce budget aux équipements d’irrigation, essentiellement la grande irrigation, est très souvent
considérable. En particulier depuis la deuxième moitié des années 80 (après la chute généralisée enregistrée
durant la période de crise 1978-85), les équipements d’irrigation s’accaparent en moyenne les deux tiers du
budget en question 2. Parmi ces derniers, c’est évidemment la grande hydraulique qui s’octroie la part du lion
puisqu’elle absorbe à elle seule plus de 55 % du budget 3, la part de la PMH ne dépassant guère les 10 %, et
tout le « reste » à peine un tiers...
En fait, quand on sait que le « reste » comprend pour la plus grande part des aides pour l’acquisition de
matériels et équipements divers sur les exploitations, ainsi que des dépenses pour la formation, la recherche
et la vulgarisation, lesquelles bénéficient aussi et pour l’essentiel aux exploitations situées dans les zones irri-
guées, on mesure l’ampleur des déséquilibres qui se perpétuent au niveau de l’affectation des ressources,
au détriment de l’immense majorité des exploitations agricoles, et de la population qui y vit 4. On peut en tout
cas à cet égard encore rappeler la « note » déjà citée de la Banque mondiale, qui considère que « plus de
70 % de l’investissement public à l’agriculture vont à la grande irrigation, laquelle bénéficie aux agriculteurs
relativement plus aisés et aux exploitations plus grandes » 5.

1. Pour une Stratégie de Développement.., 2000, op. cit. p. 26.


2. Il s’agit des moyennes de la période 1987-2004. Par ailleurs, il faut noter que sur la figure no 42, les données relatives à la période 1965-
1980 sont des moyennes des sous-périodes correspondant aux plans 1965-1967, 1968-1972, 1973-1977 et 1978-1980 (les données année par
année n’étant pas disponibles). Le niveau relativement bas de la période 1968-72 peut paraître assez paradoxal puisque nous avons déjà noté que
cette période fut caractérisée par des investissements massifs dans la grande irrigation. En fait cela s’explique par le fait que s’agissant du début
de la « politique des barrages », l’essentiel des investissements était encore concentré au niveau des ouvrages hydrauliques mêmes, lesquels ne
sont pas pris en compte ici.
3. MADRPM, Recueil de données relatives au secteur agricole, op. cit., p. 99. Selon d’autres sources, entre 1968 et 1997, les investisse-
ments hydro-agricoles ont en moyenne accaparé 60 % des investissements drainés vers le secteur agricole (cf. Ministère de l’Agriculture et de la
Mise en valeur agricole, Administration du Génie Rural, L’irrigation au Maroc, Rabat, 1997, p. 13).
4. Pour une présentation commentée des budgets du Département de l’Agriculture, cf. N. Akesbi, Développement et politiques agro-
alimentaires dans la région méditerranéenne, Rapport National – Maroc, 1998-2004, CIHEAM, Paris.
5. Banque mondiale, Les enjeux du développement humain, Note, Rabat, 16 juillet 2000.

173
Figures : 41-42

Pourtant, en dépit de l’importance relative des ressources qui continuent d’être consacrées à l’équipement
des périmètres de grande hydraulique, le grand problème à cet égard demeure celui du décalage qui persiste
entre les superficies « dominées » par les barrages et celles qui sont effectivement équipées et aménagées,
et donc aptes à recevoir l’eau et produire en conséquence. Faute de coordination et de mise en cohérence
entre le rythme de construction des ouvrages de retenue d’eau et les possibilités financières pour soutenir la
cadence des équipements qui en découle, ce décalage atteignait déjà 170 000 ha en 1992, et en 2004, il
s’élève encore à 123.510 ha 1. À titre indicatif, un rapport présenté à la 6e session du Conseil Supérieur de
l’Eau avait estimé en 1992 que le décalage en question existant alors conduisait à une sous-utilisation de
1.7 milliards de m3 d’eau par an et à un manque à gagner – en termes de production agricole – d’une valeur
brute de 3.4 milliards de dirhams par an, et de 27.2 millions de journées de travail par an 2. Un véritable cercle
vicieux apparaît ainsi à l’œuvre : une mauvaise affectation de ressources limitées condamne les lourds inves-
tissements de base à l’inefficience et la stérilité, lesquelles interdisent toute performance de la production à
même de générer les ressources nécessaires au financement des investissements complémentaires, dont
dépend la rentabilisation des investissements de base 3...
Si l’on insiste sur les ressources d’origine publique, c’est aussi parce que celles qui sont d’origine privée
sont malheureusement très faibles, et ne peuvent en tout état de cause relayer de manière conséquente les

1. MADRPM, Préparation du Rapport du Cinquantenaire, Recueil de données relatives au secteur agricole, Rabat, octobre 2004.
2. Cf. 6e Session du Conseil Supérieur de l’eau, Rapport de présentation du thème de l’économie de l’eau, Le Matin de l’Économie, quotidien,
Casablanca, 23 janvier 1992; Voir aussi : N. Hachimi Alaoui, Politique de l’eau : Ce que l’on ne dit pas, Dossier, Business Magazine, Casablanca,
no 3, juillet-août 2001, p. 15-18.
3. D’autre facteurs contribuent à la médiocre rentabilisation des investissements hydro-agricoles, notamment : la faiblesse des taux de recou-
vrement des redevances d’eau (en moyenne 49 % en 2003, et dans certains grands périmètres tels ceux du Gharb, ce taux tombe à 38 %), et le
quasi-non recouvrement de la « participation directe » des agriculteurs aux coûts des infrastructures, avec un taux qui ne dépasse guère 8 % en
2003. Cf. MADRPM, « Recueil de données... », op. cit., p. 104-105 et 128).

174
premières. À titre indicatif, on peut noter que les crédits accordés par la Caisse Nationale du Crédit Agricole
ne représentent que 14 à 20 % des besoins de financement de l’agriculture, cependant que les banques
commerciales ne participent qu’à hauteur de 3 % au financement du secteur 1.
Comme on peut le constater sur la figure 43, les crédits de la CNCA, qui avaient certes sensiblement aug-
menté tout au long de la décennie 80, ont depuis 1991 entamé une chute vertigineuse, à tel point que le
volume des crédits distribués en 2002 (dernière année disponible) atteint à peine 45 % du niveau atteint
douze années plutôt... Encore que le léger redressement constaté ces dernières années apparaît principale-
ment attribué aux crédits à court terme, lesquels représentent en 2002 près de 84 % de l’ensemble des cré-
dits distribués par cet organisme. C’est dire la faiblesse des crédits à moyen et long terme, ce qui témoigne
dans une large mesure de la modestie des investissements privés engagés dans le secteur agricole. Au
demeurant, cette déduction est confortée par l’analyse d’une mission de la banque mondiale, selon laquelle
le ralentissement de la productivité dans le secteur agricole, (et de manière encore « particulièrement pro-
noncée » au niveau des céréales...) « est fort probablement dû à la chute du niveau des investissements agri-
coles privés, qui ont baissé de 5 pour-cent du PIB dans la moitié des années 1980 à moins de la moitié de ce
niveau au cours des années 1990 » 2.

Figure : 43

En tout cas, il y a sans doute dans cette carence des sources de financement du développement agricole
une contrainte ardue parmi les plus difficiles à surmonter, d’autant plus qu’elle s’inscrit dans un contexte déjà
marqué par l’insuffisance des ressources d’origine publiques et plus encore par d’énormes disparités dans
leur affectation.
Au total, des carences de la production à la désarticulation des filières, de l’archaïsme des structures fon-
cières au sous-développement des systèmes productifs, en passant par les problèmes des ressources natu-
relles, humaines ou financières, les contraintes de l’agriculture marocaine apparaissent nombreuses et

1. Pour une Stratégie de Développement.., 2000, op. cit, p. 26.


2. Banque mondiale, Rapport sur la pauvreté, 2004, op. cit., p. 14.

175
complexes. Devant tant d’handicaps, on mesure l’ampleur des tâches qui restent à accomplir et des défis à
relever. Heureusement que cette même agriculture, accablée de faiblesses, n’est pas pour autant dépourvue
d’atouts et de possibilités souvent peu ou mal exploitées.

5.8. Quelques possibilités qui devraient être mieux exploitées

Les atouts de l’agriculture marocaine résident notamment dans la productivité qui peut être sensiblement
améliorée, dans les ressources naturelles qui peuvent être mieux valorisées, et dans les ressources
humaines qui devraient être mieux utilisées.

5.8.1. Une productivité qui peut être améliorée


Le premier atout de l’agriculture marocaine, qui synthétise certainement beaucoup d’autres, réside para-
doxalement dans ce qui apparaît aujourd’hui comme étant l’un de ses handicaps majeurs : la faiblesse de la
productivité, de la terre comme du travail. En effet, s’il ne reste pratiquement plus de terres nouvelles à défri-
cher, il existe en revanche de très grands progrès à faire en matière de productivité. Nous avons déjà forte-
ment souligné la modestie des rendements aggravée par leur quasi-stagnation en longue période. Même
dans les zones irriguées, où l’handicap de la pluviométrie est en principe éliminé, les rendements du blé ne
dépassent guère en moyenne les 25 quintaux, alors qu’ils pourraient être deux à trois fois plus élevés 1. De
manière générale, au Ministère de l’Agriculture, on estime que « les rendements réalisés ne représentent
que 30 à 70 % des rendements potentiels réalisables pour la plupart des cultures, y compris en zones irri-
guées » 2.
Or, la faiblesse même des rendements actuels met en évidence l’importance des gains de productivité
qu’il reste possible de réaliser, pour peu que les réformes appropriées soient mises en œuvre avec détermi-
nation. Quand on réalise à peine 12 quintaux de blé à l’hectare en zone bour, il n’est pas déraisonnable de
penser qu’il est tout de même possible d’y atteindre entre 20 et 25 quintaux, moyennant certaines actions
convergentes et concluantes. Sans diminuer en rien l’acuité des problèmes structurels, si l’on s’en tient au
seul niveau des « solutions techniques » possibles, il ne fait guère de doute qu’une meilleure adaptation des
systèmes de production aux « vocations agricoles » des terres, l’élaboration de « paquets technologiques »
et d’itinéraires techniques mieux ciblés et plus adéquats, peuvent contribuer à améliorer sensiblement la pro-
ductivité de la terre, et notamment multiplier les rendements par deux ou trois, voire plus en zones irriguées.
Mais même en bour et compte tenu du facteur climatique, une amélioration des conditions d’intensification
de la production, associée à une « irrigation de complément » à des moments critiques de la croissance des
plantes, et une meilleure mobilisation des possibilités de la recherche agronomique, sont de nature à
« sécuriser » un niveau de rendement minimal nettement supérieur à celui enregistré actuellement.

1. À titre d’exemple, le ratio du potentiel agronomique par rapport au rendement actuel pour la viande est de 1,3-1,5 et pour le lait de 1,7-3,2.
Dans les périmètres irrigués, l’intensité culturale peut être augmentée de 10 à 13 %, et les rendements des principales cultures de 30 à 100 % Cf.
Banque Mondiale, Royaume du Maroc : Document de Stratégie pour le secteur agricole, Projet Rapport no 13421-MOR, 15 mai 1995, pp. 8-9 et
annexe 1, p. 26.
2. Cf. Pour une stratégie de développement à long terme de l’agriculture marocaine, 2000, op. cit., p. 23; Stratégie 2020, Document de syn-
thèse, op. cit., p. 18.

176
5.8.2. Des ressources naturelles qui restent à valoriser
Comme pour la terre, il est possible de puiser dans la contrainte même de l’eau des sources de gains à
même d’étendre le champ des marges de manœuvre. En effet, le potentiel des ressources hydriques mobili-
sables est encore important (près du tiers), et les terres irrigables (mais non irriguées) le sont aussi. De plus,
la mauvaise gestion actuelle des ressources mobilisées, le gaspillage de l’eau disponible dans les périmètres
d’irrigation, donnent une idée de ce qu’il est possible de gagner en s’y prenant autrement. En tout cas, une
gestion plus efficiente de cette ressource, l’introduction de technologies d’économie de l’eau, la réhabilita-
tion le cas échéant de techniques ancestrales et efficaces encore maîtrisées par des irrigateurs traditionnels,
tout cela est à même de permettre de mieux valoriser les ressources existantes et d’en améliorer le rende-
ment.
Par ailleurs, l’ampleur des eaux actuellement non mobilisables parce que condamnées à l’écoulement vers
l’aval pour se perdre dans la mer, laisse entrevoir des solutions capables d’en retenir une partie pour la
mettre au service de la production... Il faut savoir en effet que sur les précipitations annuelles d’environ
150 milliards de m3, 120 milliards sont perdus par évaporation et retournement à l’atmosphère. Selon un rap-
port présenté à la 6e Session du Conseil Supérieur de l’Eau, la récupération de 1 % de ce potentiel constitue
l’équivalent des volumes requis pour l’irrigation de plus de 120 000 ha ou la satisfaction des besoins en eau
potable et industrielle exprimés alors 1... On peut en particulier songer à une revégétalisation des massifs
montagneux, ce qui permettrait de réguler et ralentir les écoulements des eaux en question, favorisant ainsi
les infiltrations dans les sols et la recharge des nappes. Les technologies d’épandage des écoulements ou de
collecte des eaux de ruissellement ne sont pas suffisamment connues et mises en pratique, alors qu’un
savoir faire local et traditionnel dans ce domaine existe (système des khettara...) 2.
En ce qui concerne les autres ressources naturelles, certes elles se dégradent... Mais il faut savoir qu’il n’y
a aucune fatalité à la poursuite des processus en cours. Au contraire, l’expérience montre que les phéno-
mènes peuvent être arrêtés ou du moins mieux contrôlés pour être contenus dans des limites tolérables.
Prenons à titre d’exemple les ressources végétales, celles de la forêt et des parcours en particulier. Ces res-
sources sont aujourd’hui certainement surexploitées par la population qui en vit, mais leur processus de
dégradation devient réversible à partir du moment où les pouvoirs publics veillent à associer la population
concernée et les usagers en particulier à leur gestion de manière durable et responsable. De nombreuses
expériences au Maroc et ailleurs ont mis en évidence la résistance des écosystèmes composés des par-
cours, des matorrals, des forêts basses dès lors que, en étroite collaboration avec la population, on pouvait
pratiquer des mises en défens ou faire des aménagements adaptés 3.
À ce propos, on peut d’ailleurs s’interroger sur la pertinence du concept de reforestation, qui fait partie
depuis longtemps de ces idées reçues considérées « aller de soi ». Pourtant on peut aisément s’accorder sur
le double inconvénient majeur d’une telle solution : le temps et l’argent. Fondée sur des processus extrême-
ment lents et partant coûteux, une telle alternative ne pourra de toute façon jamais suivre les rythmes
qu’impose la restauration des milieux en question. Dès lors, on peut se demander s’il ne vaut pas mieux, au
lieu de se concentrer seulement sur des programmes de reforestation de toute façon insuffisants eu égard à
l’ampleur des besoins, s’orienter vers « l’alternative des parcours », c’est à dire le choix de transformer des
espaces forestiers dégradés ou détruits en zones pastorales convenablement gérées... Les spécialistes affir-
ment qu’une telle solution pourrait être aussi efficace que des boisements pour assurer la régulation

1. 6e Session du Conseil Supérieur de l’Eau, Rapport de présentation du thème de l’économie de l’eau, Le Matin de l’Économie, Casablanca,
23 janvier 1992.
2. Pour une Stratégie de Développement.., 2000, op. cit. p. 45.
3. Idem.

177
hydrique, et de plus aurait l’avantage d’accroître les capacités productives des parcours et de générer par
conséquent un surcroît de production animale conséquent 1.
On peut aussi penser à d’autres atouts naturels, à commencer par le soleil dont le potentiel commence à
peine à être mis en valeur, mais dont l’impact sur le développement en milieu rural pourrait être appréciable,
notamment à travers la production d’énergie, qui peut se substituer au bois de feu destructeur des forêts, ou
permettrait aux ruraux d’économiser des dépenses aujourd’hui affectées à l’achat d’énergies conven-
tionnelles. Des possibilités comparables pourraient se dégager de l’énergie éolienne. Mais le soleil, dans une
perspective de valorisation « d’avantages comparatifs » et de compétition internationale, présente aussi des
atouts quelquefois encore plus décisifs. En effet, pour l’essentiel des produits agricoles que nous pouvons
exporter, le « soleil » est bien le principal atout de qualité, le principal argument de vente, malheureusement
encore insuffisamment mis en valeur...
L’objet ici n’est évidemment pas d’être exhaustif, mais seulement de montrer, à travers quelques
exemples significatifs, le champ des possibilités offertes par la nature qui ne demandent qu’à être valorisées
pour constituer des atouts appréciables pour l’agriculture marocaine.

5.8.3. Des ressources humaines qui devraient être mieux utilisées


Les ressources humaines recèlent un potentiel d’atouts au moins aussi important que celui des ressources
naturelles. Bien sûr les milliers de techniciens, d’ingénieurs, de chercheurs, aujourd’hui sous-utilisés ou mal
employés, constituent déjà un « réservoir » de connaissances et de compétences opérationnelles dont le
rendement pour l’agriculture peut être considérablement accru, pour peu que se manifeste une volonté de
mobilisation et de gestion avisée de ce capital humain si précieux. Mais la qualité des ressources humaines
utiles pour l’agriculture n’est pas nécessairement liée à la quantité de cadres diplômés. Le gisement d’atouts
existe au sein même de la paysannerie marocaine qui, pour être analphabète, n’en est pas moins réputée
pour sa capacité de travail, son savoir-faire, sa technicité acquise « sur le tas », ses facultés d’adaptation, son
endurance, son aptitude à résister devant les calamités naturelles et à rebondir aussitôt après...
Il y a là sans doute les ressorts d’une force considérable dont l’agriculture marocaine devrait tirer avantage
pour compenser les défaillances constatées ailleurs dans le domaine de l’éducation et la formation conven-
tionnelles.

En définitive, s’il faut certes apprécier à leur juste mesure les atouts dont l’agriculture marocaine peut tirer
la substance d’un redéploiement avantageux, ceux-ci ne peuvent cependant faire oublier le poids des
contraintes et l’acuité des handicaps qui se conjuguent pour contrarier son développement. En tout cas, c’est
cette agriculture-là, telle qu’elle vient d’être présentée, qui est au fond, et du moins pour une plus grande par-
tie de la population qui en vit, moins une activité économique qu’un simple « mode de vie », c’est cette agri-
culture donc qui est « sommée » de relever le défi de l’ouverture sur la concurrence internationale et de
l’insertion dans la dynamique de la mondialisation... En effet, outre l’accord de partenariat avec l’Union euro-
péenne dont le volet agricole a commencé à être « activé » à partir de 2003, le Maroc s’est engagé ces
dernières années dans plusieurs accords de libre-échange 2, notamment avec les États-Unis d’Amérique,

1. Idem.
2. Pour une présentation du dernier accord agricole avec l’Union européenne, cf. N. Akesbi, 2002 : Une campagne moyenne, une politique
encore incertaine, Rapport National – Maroc, In : Développement et politiques agro-alimentaires dans la région méditerranéenne, 2004, op. cit.
(www.ciheam.org). Pöur une présentation de l’Accord de libre-échange avec les États-Unis, cf. N. Akesbi, 2003 : Une bonne campagne, en atten-
dant la bonne politique, Rapport National – Maroc, In : Développement et politiques agro-alimentaires dans la région méditerranéenne, 2005, op.
cit.

178
le groupe dit « d’Agadir » (Maroc, Tunisie, Égypte et Jordanie), les Emirats Arabes Unis, la Turquie,
l’ensemble des pays membres de la Ligue Arabe... À des rythmes et selon des modalités différentes certes,
ces accords n’en devraient pas moins aboutir à intégrer l’agriculture marocaine dans la sphère du libre-
échange : Est-il raisonnable de penser que cette agriculture puisse être en mesure de relever un tel défi à
moyen terme sans y perdre sens et substance ? Quelles sont les chances d’une « mise à niveau » que des
décennies de politiques diverses n’ont même pas réussi à engager ? comment imaginer que des réformes
qui n’ont pu être réalisées en cinquante ans pourraient l’être en cinq ans ?
Il n’existe pas une seule manière de répondre à ces questions. Une première façon consiste à considérer
que tout ce que nous avons déjà présenté et expliqué tout au long de ce texte – tant au niveau des politiques
que de leurs résultats – constitue en soi précisément une réponse tout à fait concluante. Une autre manière
consisterait à explorer les « sentiers périlleux » ouverts par les processus de libéralisation engagés depuis les
années 80 et demeurés à ce jour encore inachevés. Comment arrive-t-on à piétiner si longtemps ? Pourquoi
a-t-on tant de mal à avancer ? Tenter de répondre à de telles questions pourrait, en guise de conclusion à ce
travail, nous aider à mieux apprécier les risques et périls d’une libéralisation manifestement irréfléchie, et par-
tant prendre la mesure des défis à relever, de l’ampleur de la tâche à venir...

6. En guise de conclusion : Risques et périls d’une libéralisation


irréfléchie

D’une manière très synthétique, on peut dire que le modèle de développement agricole conduit au Maroc,
notamment à travers la politique des barrages, a finalement abouti à une double impasse qui caractérise
d’une certaine manière ses deux « versants », le premier correspondant à sa dimension « import-substitu-
tion », le second à son ambition agro-exportatrice. Ainsi, la stratégie d’import-substitution est dans l’impasse
non seulement parce qu’elle n’a pas réussi à accroître la production locale pour lui permettre de satisfaire la
demande interne et « s’autonomiser » ainsi par rapport aux importations, mais elle a de surcroît généré des
mécanismes d’accumulation et de distribution qui ont accentué les inégalités, favorisé les rentes de situation
et conforté en fin de compte un immobilisme dévastateur. La stratégie de promotion des exportations pour
sa part a conduit à une spécialisation qui a fini elle aussi par être bloquée, notamment par le protectionnisme
rampant de l’Union européenne. Ces deux dimensions, chacune à sa manière, posent au fond le problème de
la compétitivité de l’agriculture marocaine.
Les limites, voire les échecs des politiques ayant conduit à cette impasse n’ont pas été mises en évidence
seulement par ceux qui les ont contestées, mais également par ceux-là mêmes qui les ont initiées et mis en
œuvre. C’est ainsi que, comme nous l’avons montré, la « politique des barrages » a été d’abord « inclinée »
dès les années 70 puis remise en cause durant les années 80 par le couple Banque mondiale – Fonds moné-
taire international qui l’avait engagée et largement financée. La politique d’ajustement structurel qui a pris le
relais, imposée et encore plus étroitement « accompagnée » par les mêmes institutions financières inter-
nationales, n’aura guère droit à un meilleur sort. Rappelons que c’est dans les rapports de la même Banque
mondiale que l’on trouve les descriptions les plus noires du monde rural des années 90 et les critiques les
plus acerbes des résultats auxquels les programmes d’ajustement avaient abouti (cf. notamment le rapport
sur « les deux Maroc » au 4.5, ci-dessus). Le bilan quasiment catastrophique de l’état de l’agriculture et du
monde rural établi alors par cette institution financière constituait en soi un aveu d’échec des politiques qui
avaient été conduites auparavant.
Mais depuis, la dynamique qui avait été engagée semble s’être arrêtée au milieu du gué... La plupart des

179
réformes qui avaient été entamées n’ont guère été conduites jusqu’à leur terme, et celles qui ont pu l’être
n’ont pas produit, ou en tout cas pas encore produit les effets qui en étaient attendus. On ne peut certes
considérer que la politique d’ajustement structurel a produit des effets probants sur les performances de la
production, ni sur la dynamique de l’accumulation et de l’intensification, et encore moins sur les structures
du tissu économique et social des campagnes marocaines. Ce qui est néanmoins patent, c’est qu’elle a dés-
tabilisé un système qui avait cependant sa cohérence, mais ne lui a pas encore substitué un autre, plus
viable, sinon plus équitable.
Au fond, l’expérience marocaine met en évidence aujourd’hui les problèmes potentiellement générés par
une libéralisation et une tentative d’insertion dans le mouvement de globalisation mal préparées. On dis-
cutera ici ceux ayant trait au désengagement de l’État, à la sécurité alimentaire, au mode de régulation par les
prix et les subventions, au pari sur les exportations, et aux implications environnementales, le tout devant
aboutir à cette question centrale : Quel État pour quelle régulation ?

6.1. Quel désengagement de l’État ?

Au début du processus de désengagement de l’État, la rétrocession au secteur privé de certaines fonc-


tions de production, d’encadrement ou de commercialisation ouvrait une phase de transition dont l’issue
allait dépendre des réponses à donner à de multiples questions. En particulier, on était fondé à se demander
si les « relais privés » étaient à même d’assumer cette mutation dans des conditions compatibles avec la
rationalité que l’on cherchait précisément à promouvoir. Les opérateurs privés, allaient-ils avoir une vision
suffisamment globale et à long terme pour investir, s’équiper et moderniser leurs moyens d’action ? Allaient-
ils permettre aux mécanismes du marché de fonctionner correctement en vue d’une meilleure allocation des
ressources, notamment grâce au jeu d’une réelle concurrence et à la transparence nécessaires ? Étaient-ils
en mesure de concilier les impératifs de qualité et de disponibilité des produits, avec leurs propres objectifs
de rentabilité ?
Aujourd’hui, près de deux décennies après l’engagement d’un tel processus, force est de constater que si
l’État s’est effectivement désengagé de maints domaines, le relais privé est demeuré largement défaillant.
On peut difficilement prétendre que le secteur privé ait été en mesure de saisir pleinement les opportunités
ainsi ouvertes puisque, comme nous l’avons déjà indiqué, sa contribution à l’investissement dans le secteur
est demeurée faible. Même au niveau de certaines activités de services à l’agriculture, le mouvement
d’implication de nouveaux acteurs privés est resté modeste, et en tout cas insuffisant. Là où des intérêts pri-
vés ont de toute façon toujours tiré avantage des situations existantes, le désengagement de l’État n’a fait
que consacrer des phénomènes d’entente pour perpétuer le contrôle du marché par de nouveaux oligopoles
privés (exportations de fruits et légumes, importations de produits de base, commerce intérieur d’engrais et
semences, transformation de produits subventionnés, financement et écoulement des cultures intégrées
dans les périmètres irrigués...). Par contre, là où, comme dans les marchés de gros par exemple, le désen-
gagement de l’État aurait permis d’en finir avec le système de rente qui y sévit, rien n’a été fait. Quant à
l’organisation professionnelle, à quelques exceptions près (exportations agroalimentaires, production lai-
tière...), elle est toujours aussi peu développée, et en tout cas on est encore très loin de cette organisation en
termes d’Interprofessions et de filières que chacun appelle de ses vœux depuis des décennies.
Plus grave encore : le désengagement de l’État a dans certains cas créé des situations inédites qui n’ont
permis ni de préserver certains acquis de « l’ordre » précédent, ni de promouvoir l’émergence d’un nouvel
ordre avec ses propres avantages et inconvénients. Le cas le plus saillant est celui des Offices régionaux de
mise en valeur agricole dont nous avons expliqué plus haut l’importance de l’engagement dans les péri-

180
mètres de grande irrigation tout au long de « l’âge d’or » de la politique des barrages, puis qui ont dû, avec la
politique d’ajustement structurel, se désengager de la quasi-totalité des missions qui leur avaient été
confiées précédemment : mise en œuvre des plans d’assolement, gestion des contrats de cultures, fourni-
ture des intrants et des traitements, suivi des campagnes agricoles, encadrement et vulgarisation, transport
et livraison des récoltes aux usines de transformation... Après avoir été « allégés » de l’essentiel de leurs pré-
rogatives initiales, ces organismes ont quasiment été réduits à leur plus simple expression, celle de « ven-
deurs d’eau » (et encore, dans la limite des quantités disponibles !).
Les conséquences d’un tel désengagement, dans un contexte institutionnel, économique et social, qui
n’était manifestement pas mûr pour une telle mutation, ont souvent été néfastes. Nous reviendrons sur
l’aspect lié à la production. Contentons-nous ici de noter, à titre d’exemple significatif, que l’abandon des
actions de vulgarisation et plus généralement d’encadrement des agriculteurs a crée un vide qui n’a géné-
ralement guère été comblé par le secteur privé, ou ne l’a été que très partiellement et imparfaitement 1. La
conséquence en a probablement été une diminution tangible dans l’effort d’intensification de la production et
de modernisation des exploitations qui avait été entrepris dans ces zones. En tout cas, experts et profession-
nels s’accordent souvent pour reconnaître que la baisse de la consommation d’engrais ou la faible utilisation
des semences sélectionnées par exemple sont pour une grande part attribuées à ce défaut d’encadrement
des agriculteurs.
Quant aux offices en question, leur situation aujourd’hui est proprement catastrophique tant du point de
vue d’une utilisation rationnelle des ressources humaines que financières. En effet, alors qu’ils ont été
dépouillés de l’essentiel des fonctions pour lesquelles ils avaient été organisés et dotés de ressources appro-
priées, ces organismes n’ont par la suite guère été réformés et redimensionnés en conséquence. Les effec-
tifs de salariés en particulier ont été maintenus, quand ils n’ont pas continué d’augmenter. Le résultat en est
que tous les offices croulent sous les sureffectifs et matérialisent aujourd’hui l’expression d’un immense
gâchis. Gâchis qui est d’abord celui des ressources humaines : on compte 9300 personnes employées en
2004 dans les 9 Offices régionaux de mise en valeur agricole, dans leur très grande majorité – à commencer
par ceux parmi eux qui sont cadres et ingénieurs – condamnés au luxe du « désœuvrement rémunéré »...
Selon une « Note » du Ministère de l’Agriculture, la masse salariale à elle seule dans ces offices dépasse lar-
gement l’ensemble des recettes propres et représente près de 80 % des budgets de fonctionnement 2. Le
gâchis en effet est également financier : des ressources financières publiques considérables continuent
d’être gaspillées puisque affectées à des milliers de personnes « payés à ne rien faire ». Ceci au moment où
ces mêmes organismes, toujours confrontées à des difficultés de recouvrement de leurs créances auprès
des agriculteurs 3, et des restrictions budgétaires diverses, ont de plus en plus de mal à seulement assurer la
maintenance courante des équipements hydrauliques, autrement dit à s’acquitter correctement d’une des
rares missions dont ils gardent la responsabilité...

1. À titre d’exemple, dans certains périmètres et pour certaines cultures, ce sont les « agents commerciaux » des entreprises de trans-
formation qui ont essayé de se substituer aux vulgarisateurs des offices. Le problème est que ces « commerciaux » sont souvent perçus par les
agriculteurs comme étant à la fois « juges et parties », puisque leurs « recommandations » ne sont pas matériellement désintéressées : là où un
« commercial » va préconiser telle quantité d’engrais à l’hectare ou telle marque de traitement phytosanitaire, l’agriculteur y verra d’abord le désir
d’écouler sa marchandise et maximiser son chiffre d’affaires... La dimension « conseil et vulgarisation » dans la relation en est faussée.
2. Cf. Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural, Note de présentation des termes de référence de l’étude sur les ORMVA, Rabat,
juillet 2004.
3. Après les progrès réalisés au début de la décennie 90, les taux de recouvrement des redevances d’eau ont recommencé à se détériorer, au
point de retomber en dessous de 50 % à partir de 2001. Ce taux se situe à 49 % en 2003, et dans certains grands périmètres tels ceux du Gharb,
le taux en question tombe même à 38 %. Au niveau de la « participation directe » des agriculteurs aux coûts des infrastructures, les taux de recou-
vrement sont quasiment dérisoires : après avoir approché 40 % en 1990, ils n’ont cessé depuis de se dégrader, atteignant à peine 8 % en 2003.
Cf. MADRPM, « Recueil de données... », op. cit., p. 104-105 et 128.

181
Ce choix est pourtant essentiel non seulement d’un point de vue stratégique, mais également pratique.
Car comment alors définir une politique agricole, avec des objectifs de production précis, et une stratégie
d’ouverture sur le marché mondial, sans détermination préalable d’un tel « seuil » ? Il faut cependant ajouter
que ce choix est aussi fondamentalement politique, avant d’être économique ou financier. E. Pisani remar-
quait en 1995 que « l’apparition dans un domaine déterminé du mot même de sécurité, du concept de
sécurité, fait que l’on considère que ce domaine relève du politique et non pas de l’économique. C’est parce
que le jeu naturel des lois de l’économie, c’est parce que l’économie marchande par elle-même ne peut pas
intégrer les valeurs fondamentales auxquelles nous tenons, et qui sont la sécurité, que nous invoquons des
arguments externes à l’économie » 1.
Si le choix est donc politique, le déterminer nécessite d’en organiser les conditions d’un véritable débat
démocratique dans la société, laquelle est seule habilitée ensuite à en assumer les conséquences. Car, évi-
demment, si la « sécurité n’a pas de prix », elle a un coût : celui-là est financier, économique, social, poli-
tique... Consciemment et dans la transparence, c’est l’ensemble de la société qui doit assumer le niveau de
sécurité qu’elle aura choisi, à commencer par la disposition à en payer le prix. Faute d’une telle démarche à la
fois volontariste et la plus consensuelle possible, de vrais dilemmes continueront de tout paralyser : Com-
ment alors inscrire les choix des individus dans ceux de la Nation ? Comment concilier entre les mobiles de
l’agriculteur (qui peuvent être le profit, la sécurité, le prestige...) et ceux du pays (sécurité alimentaire, meil-
leure insertion dans l’économie mondiale, développement local et régional...) ? Comment trouver le point
d’équilibre entre le respect de la liberté des comportements individuels et les contraintes des besoins collec-
tifs ? Comment s’assurer la rentabilité des investissements réalisés en s’interdisant la moindre décision
quant à l’utilisation des terres valorisées grâce à ces investissements ? A-t-on aujourd’hui le droit de mettre
en péril ces investissements en remettant en cause l’objet qui les a justifiés ? Allons plus loin encore : mora-
lement, peut-on accepter qu’un agriculteur « fasse ce qu’il veut » d’investissements qui ont été financés par
tous les citoyens contribuables ?

6.3. Libéralisation des échanges : Quel impact sur les équilibres du


pays ?

Si l’on convient que l’agriculture marocaine, comme on l’a assez montré ci-dessus, reste encore lourde-
ment handicapée par sa dépendance à l’égard des aléas (climatiques, extérieurs..), l’inadaptation de ses
structures foncières, l’archaïsme de ses modes d’exploitation, l’indigence de ses moyens (humains, maté-
riels, financiers...) et pour tout dire sa faible productivité, on ne peut manquer de ressentir les plus vives
inquiétudes. Mise en compétition avec des agricultures du Nord, autrement performantes, et de surcroît for-
tement soutenues par des subventions publiques (toujours colossales, en dépit des accords de l’OMC...), on
comprend aisément que le défaut de compétitivité de l’agriculture marocaine conduirait inéluctablement à la
ruine un trop grand nombre d’exploitations vulnérables, voire à la disparition de l’agriculture de subsistance
dans son ensemble, avec des conséquences économiques, sociales et écologiques redoutables.
Le dernier rapport de la Banque mondiale sur la pauvreté au Maroc a essayé d’évaluer l’impact de la dépro-
tection du marché des céréales 2. Ses rédacteurs commencent par avancer que de manière générale, la

mentation du niveau de la production du sucre à l’horizon 2004 pour atteindre 650 000 tonnes, dont 76 % à base de betterave » (cf. Plan 2000-
2004, op. cit., p. 39).
1. E. Pisani, La sécurité alimentaire à l’échelle mondiale, Options Méditerranéennes, série A, no 26, Centre International des Hautes Études
Agronomiques, Paris, 1995.
2. Évaluation effectuée à partir d’une étude réalisée par M. Ravallion et M. Lokshin (Gainers and Losers from Trade Reform in Morocco,

183
Ce choix est pourtant essentiel non seulement d’un point de vue stratégique, mais également pratique.
Car comment alors définir une politique agricole, avec des objectifs de production précis, et une stratégie
d’ouverture sur le marché mondial, sans détermination préalable d’un tel « seuil » ? Il faut cependant ajouter
que ce choix est aussi fondamentalement politique, avant d’être économique ou financier. E. Pisani remar-
quait en 1995 que « l’apparition dans un domaine déterminé du mot même de sécurité, du concept de
sécurité, fait que l’on considère que ce domaine relève du politique et non pas de l’économique. C’est parce
que le jeu naturel des lois de l’économie, c’est parce que l’économie marchande par elle-même ne peut pas
intégrer les valeurs fondamentales auxquelles nous tenons, et qui sont la sécurité, que nous invoquons des
arguments externes à l’économie » 1.
Si le choix est donc politique, le déterminer nécessite d’en organiser les conditions d’un véritable débat
démocratique dans la société, laquelle est seule habilitée ensuite à en assumer les conséquences. Car, évi-
demment, si la « sécurité n’a pas de prix », elle a un coût : celui-là est financier, économique, social, poli-
tique... Consciemment et dans la transparence, c’est l’ensemble de la société qui doit assumer le niveau de
sécurité qu’elle aura choisi, à commencer par la disposition à en payer le prix. Faute d’une telle démarche à la
fois volontariste et la plus consensuelle possible, de vrais dilemmes continueront de tout paralyser : Com-
ment alors inscrire les choix des individus dans ceux de la Nation ? Comment concilier entre les mobiles de
l’agriculteur (qui peuvent être le profit, la sécurité, le prestige...) et ceux du pays (sécurité alimentaire, meil-
leure insertion dans l’économie mondiale, développement régional...) ? Comment trouver le point d’équilibre
entre le respect de la liberté des comportements individuels et les contraintes des besoins collectifs ? Com-
ment s’assurer la rentabilité des investissements réalisés en s’interdisant la moindre décision quant à l’utili-
sation des terres valorisées grâce à ces investissements ? A-t-on aujourd’hui le droit de mettre en péril ces
investissements en remettant en cause l’objet qui les a justifiés ? Allons plus loin encore : moralement,
peut-on accepter qu’un agriculteur « fasse ce qu’il veut » d’investissements qui ont été financés par tous les
citoyens contribuables ?

6.3. Libéralisation des échanges : Quel impact sur les équilibres du


pays ?

Si l’on convient que l’agriculture marocaine, comme on l’a assez montré ci-dessus, reste encore lourde-
ment handicapée par sa dépendance à l’égard des aléas (climatiques, extérieurs..), l’inadaptation de ses
structures foncières, l’archaïsme de ses modes d’exploitation, l’indigence de ses moyens (humains, maté-
riels, financiers...) et pour tout dire sa faible productivité, on ne peut manquer de ressentir les plus vives
inquiétudes. Mise en compétition avec des agricultures du Nord, autrement performantes, et de surcroît for-
tement soutenues par des subventions publiques (toujours colossales, en dépit des accords de l’OMC...), on
comprend aisément que le défaut de compétitivité de l’agriculture marocaine conduirait inéluctablement à la
ruine un trop grand nombre d’exploitations vulnérables, voire à la disparition de l’agriculture de subsistance
dans son ensemble, avec des conséquences économiques, sociales et écologiques redoutables.
Le dernier rapport de la Banque mondiale sur la pauvreté au Maroc a essayé d’évaluer l’impact de la dépro-
tection du marché des céréales 2. Ses rédacteurs commencent par avancer que de manière générale, la

mentation du niveau de la production du sucre à l’horizon 2004 pour atteindre 650 000 tonnes, dont 76 % à base de betterave » (cf. Plan 2000-
2004, op. cit., p. 39).
1. E. Pisani, La sécurité alimentaire à l’échelle mondiale, Options Méditerranéennes, série A, no 26, Centre International des Hautes Études
Agronomiques, Paris, 1995.
2. Évaluation effectuée à partir d’une étude réalisée par M. Ravallion et M. Lokshin (Gainers and Losers from Trade Reform in Morocco,

183
déprotection céréalière devrait engendrer un gain net pour les consommateurs et une perte nette pour les
producteurs. Or, il n’y aurait selon eux que 36 % de « producteurs nets » (qui produisent plus qu’ils ne
consomment) en milieu rural. À partir de là, ils estiment qu’il existe « un nombre mesurable de producteurs
nets parmi les pauvres, et notamment dans certaines régions », et de se livrer à des évaluations, sur la base
de scénarios de déprotection partielle ou totale, de leur impact sur le niveau de consommation, et partant de
pauvreté, des ménages en question. Ainsi, les ménages ruraux pauvres, « qui se situent déjà à un niveau de
consommation extrêmement bas », devraient en perdre encore 10 % à 20 % du fait d’une dé-protection
totale, mais si celle-ci est limitée à 30 %, la perte de pouvoir de consommation serait elle aussi limitée à une
fourchette comprise entre 4 et 7 %.
En termes de proportion de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, celle-ci passerait – tou-
jours selon l’étude citée – en cas de déprotection totale de 28.3 % à 34.3 % en milieu rural, tandis qu’elle
diminuerait légèrement – de 12.2 % à 11.75 % – en milieu urbain. Les populations vivant en « pauvreté
extrême » (seuil de pauvreté limité à l’alimentation) augmenteraient considérablement, de 6.6 % à 11.7 % en
zones rurales, alors qu’elles ne changeraient quasiment pas en milieu urbain. Le nombre de ménages vulné-
rables (seuil de pauvreté à plus 50 %) augmenterait de 56.8 % pour atteindre 60.5 %. Globalement, le taux
de pauvreté dans l’ensemble du pays progresserait de 19.6 à 22.1 %, mais les régions où les ménages
ruraux seraient les plus durement touchés seraient ceux vivant à Chaouia-Ouardigha, Rabat, Tadla-Azilal et
Meknès-Tafilalet.
Finalement, la principale conclusion de l’étude est ainsi formulée : « On constate des impacts négatifs sen-
sibles sur la population rurale pauvre dans certaines régions et pour certains types de ménages, impacts qui
devront être pris en compte par les politiques de protection sociale » 1...
On peut certes discuter la pertinence de ce genre d’études, la validité de l’approche retenue et la fiabilité
des données utilisées, qui nous paraissent effectivement très discutables... On peut aussi se poser quelques
questions de fond, incontournables dès lors que l’on refuse de se laisser réduire à un simple « technicien »
des chiffres et des modèles économétriques. En particulier celle-ci : Comment fonder des décisions straté-
giques aussi graves et lourdes de conséquences – puisqu’il ne s’agit pas moins que de l’approvisionnement
de tout un pays en denrées alimentaires de première nécessité – sur la base de calculs économiques et de
prétendus « signaux du marché » tout à fait artificiels et illusoires ? Que signifie par exemple le fameux « prix
de référence international » – sur la base duquel tout l’édifice des « modèles » utilisés est construit – dans un
contexte où les principaux pays exportateurs continuent de se livrer une concurrence féroce à coups d’aides
et de subventions massive et de toute sorte ? 2 Qui est « compétitif » et par rapport à qui et à quoi ? Les aides
et les subventions sous leurs multiples formes, ne sont-elles pas autant de « distorsions » qui faussent la
logique d’un marché que l’on veut ériger en « guide suprême » du devenir de l’humanité ? !
En dépit de leur importance, nous ne voulons pas nous arrêter ici à ces questions seulement. Au-delà de la
« qualité » de l’étude en question, et notamment des ordres de grandeur des impacts retenus, nous ne vou-

Mena, Working Papers Series, BM, no 37, août 2004), et du Modèle d’Équilibre Général développé par Rachid Doukkali pour le groupe de travail
commun sur les céréales Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural – Banque mondiale. Cf. Banque mondiale, Rapport sur la pau-
vreté..., 2004, op. cit., p. 59-68.
1. Ibid, p. 59.
2. La même Banque mondiale pourtant, dans un de ses précédents rapports, semblait plus lucide sur cette question. Ses experts y reconnais-
saient humblement que la question économique la plus délicate non résolue reste celle de la fixation des prix des produits. Un prix international
existe-il pour un produit? Et d’expliquer : « Dans un monde où les pays exportateurs se font concurrence pour se partager les marchés étrangers
stratégiques, offrant des réductions de 30-35 €/tonne par rapport à un prix moyen FOB de 150 $/tonne Golfe du Mexique, qu’est-ce qu’un « prix
de référence international »? Quelle est la distorsion des prix FOB comparée aux coûts actuels de production dans les économies les plus produc-
tives? ». Cf. Banque mondiale, Deuxième prêt à l’ajustement du secteur agricole; Rapport d’achèvement d’exécution, Washington D.C.,
12.9.1994, p. 25.

184
lons en retenir ici que les deux « messages » qui apparaissent précisément au niveau de la conclusion citée.
Le premier est que la déprotection des céréales produira sans doute des impacts négatifs « sensibles », alors
que le second laisse penser que pour y faire face, tout n’est que affaire de « protection sociale »...
Sur le premier point, il nous semble qu’il est possible d’aller plus loin, non pas au niveau quantitatif mais
qualitatif. Autrement dit, compte tenu d’une typologie d’exploitations dégagée à partir du dernier recense-
ment général agricole d’une part (voir plus haut, 5.4), et des contraintes ainsi que des possibilités de chacune
des catégories ainsi reconnues d’autre part, il est possible d’identifier trois groupes « typés » ou de « pro-
fils » d’exploitations au regard de leurs conditions de compétitivité et partant de leur devenir possible face à
la libéralisation des échanges 1. C’est ainsi que, avec cette approche devenue, il est vrai, classique en la
matière, nous avons pu identifier les trois catégories d’exploitations suivantes : celles qui n’ont aucune
chance d’être compétitives, celles qui peuvent d’ores et déjà être considérées compétitives, et celles qui
pourraient l’être à condition d’être « mises à niveau ».
La première catégorie est celle des « micro-exploitations » déjà évoquées dans la précédente partie (cf.
5.4). Nous avons souligné que ces dernières, qui représentent 41 % de l’ensemble des exploitations et sur
lesquelles vit près de la moitié de la population rurale, sont d’un point de vue économique objectivement non
viables. Ces « infra exploitations » ainsi qu’une partie des petites exploitations plus ou moins proches du
seuil de viabilité économique ne peuvent de toute évidence espérer devenir compétitives dans les conditions
structurelles qui sont les leurs. Sans le maintien d’une protection conséquente, leur avenir serait donc tout à
fait hypothétique. Il en serait ainsi pour une multitude de raisons qu’on a d’une certaine manière déjà résu-
mées en considérant qu’il s’agit là plus d’un « cadre de vie », sinon de « survie », que d’unités économiques
productives, capables de s’engager dans une dynamique autonome d’accumulation et de progrès. Avant tout
déterminés par le besoin de sécurité et de subsistance de leurs familles, les exploitants en question se foca-
lisent d’abord sur les productions vivrières, végétales et animales. Ce sont donc effectivement les céréales
qui sont concernées en premier lieu, mais d’autres productions traditionnelles, à commencer par les légumi-
neuses, le seraient probablement aussi.
Le deuxième groupe / profil, celui des exploitations compétitives, comprend une partie des grandes exploi-
tations et une autre de type « petites et moyennes ». Les « grandes exploitations » (2 % du total et 22 % des
terres cultivables) disposent certes souvent des moyens et des conditions favorisant leur modernisation, ce
qui les prédisposent à déployer une certaine capacité compétitive, notamment lorsqu’elles s’adonnent à des
productions disposant d’avantages comparatifs certains (voir plus bas). Une partie des « petites et
moyennes » exploitations est également déjà compétitive, mais en proportion probablement modeste parce
que celle-ci se réduit à certains créneaux relativement limités en termes de surfaces cultivées et de popula-
tion agricole concernée. Ces créneaux pourraient être ceux du maraîchage, de certaines cultures industrielles
(betterave à sucre dans certains périmètres irrigués, légumes de conserve, plantes aromatiques...), et de cer-
taines productions fruitières (agrumes, olives et huile d’olive, raisins de vin) 2. Parce qu’elles sont déjà expor-
tatrices ou parce qu’elles disposent de toute façon d’avantages compétitifs indéniables, ces exploitations
pourraient soutenir la compétition de produits importés sans avoir besoin d’une protection particulière ni d’un
soutien publique important.

1. Pour plus de développements, cf. N. Akesbi, L’agriculture familiale au Maroc face à la perspective de libéralisation des échanges, In : Milieu
rural, agriculture familiale : Itinéraires Méditerranéens, Ouvrage collectif du Réseau Agricultures familiales comparées (Rafac), Ciheam, IAM,
Montpellier, 2001.
2. À titre indicatif, on peut noter que certaines études récentes ont mis en valeur la « bonne rentabilité économique » de la plupart de ces pro-
ductions. Cf. Etude des avantages comparatifs de certaines productions agricoles, Phase 2, volumes 1 et 2, Ministère de l’Agriculture – Direction
de la Programmation et des Affaires Économiques, février 2000; Voir aussi : R.Attioui, Analyse économique des filières primeurs et agrumes,
Mémoire de troisième cycle, IAV Hassan II, Rabat, 2000; S. Ezzitouni, Analyse économique des filières sucrière et oléagineuse, Mémoire de troi-
sième cycle, IAV Hassan II, Rabat, 2000; O. Lahlou, Analyse économique du secteur pomme, oléicole, vitivinicole, Mémoire de troisième cycle,
IAV Hassan II, Rabat, 2000.

185
Le troisième groupe comprend une partie des petites et moyennes exploitations plus ou moins viables et
une partie des grandes exploitations qui, en dépit de leur taille plus importante, sont dans des situations
comparables du point de vue de leurs performances techniques et économiques. Ces exploitations ne sont a
priori pas dépourvues des conditions minimales de la viabilité économique, qu’il s’agisse de la terre, de l’eau,
de la main d’œuvre, voire de certaines infrastructures et biens d’équipement. Mais des problèmes structu-
rels à tous les niveaux peuvent entraver l’exploitation optimale d’un tel potentiel et son expression à travers
une capacité compétitive élevée : ambiguïté du statut juridique de la terre, absence de titres fonciers permet-
tant de sécuriser les rapports de propriété, équipements insuffisants et obsolètes, systèmes d’exploitation
inadéquats, insuffisance de l’encadrement technique, faible intégration à l’aval, carences des circuits de dis-
tribution et des capacités marketing, difficultés de mobiliser les financements nécessaires, défaillance des
infrastructures de stockage et de conservation, ainsi que des moyens de transport et du fret, défaut d’organi-
sation professionnelle, etc.. Ces exploitations, que l’on retrouve dans tous les secteurs des productions
végétales et animales (y compris dans le maraîchage et l’agrumiculture), ont pour point commun d’avoir
besoin d’être « mis à niveau » pour espérer devenir compétitives. Au regard de la liste des problèmes ainsi
rappelés, on peut imaginer la difficulté de la tâche et l’ampleur des efforts à fournir. Il reste que la voie de la
mise à niveau passe par les réponses adéquates qui seront fournies à tous les problèmes fonciers, finan-
ciers, humains, organisationnels, infrastructurels et autres, conditions incontournables pour l’accroissement
de la productivité et partant l’amélioration de la compétitivité.
Ceci étant, il reste à se demander si les conséquences de la déprotection des céréales peut se réduire à
une simple question de « traitement social », comme le suggère le rapport de la Banque mondiale cité ci-
dessus. Le problème en fait n’est-il pas de l’envergure d’un véritable bouleversement global, qui commence
par la remise en cause des équilibres démographiques et régionaux, se poursuit par des « reclassements »
économiques et sociaux, et peut même probablement aboutir à une nouvelle donne politique et géostraté-
gique ?... En effet, le vrai enjeu n’est-il pas dans la disparition « programmée » de plusieurs centaines de mil-
liers d’exploitants, avec les implications incalculables qui en découleraient ? Comment gérer une dynamique
qui devrait réduire de moitié – ou presque – la population actuelle de 1.5 million d’exploitants et de leurs
familles ? Comment imaginer qu’un tel « transfert » de population, s’il peut certes contribuer à atténuer les
pressions sur les ressources naturelles en milieu rural et améliorer la productivité agricole, ne manquera pas
en revanche de modifier radicalement l’équilibre villes – campagnes dans le pays, et créer d’énormes nou-
veaux problèmes de toute sorte dans les agglomérations urbaines, surtout si celles-ci ne peuvent développer
leur capacité d’absorption, faute d’une authentique « révolution industrielle » et des services qui en fournirait
les moyens ? C’est dire que ce n’est pas d’un simple problème social à « traiter » qu’il est question, mais de
l’ensemble des équilibres du pays.
Ceci étant, même si l’on retient provisoirement l’hypothèse d’un simple « traitement social », il faut savoir
que les modes d’intervention et de régulation fondés sur la manipulation des prix et des subventions étant
désormais « bannis » (voir ci-dessous), seule reste la possibilité de développer les aides directs aux revenus,
au demeurant quasiment les seules encore autorisées dans le cadre des règles de l’OMC. Ciblée, individuali-
sée, et contractualisée (revenu minimum, « contrats d’exploitation »..), cette nouvelle politique des revenus
pourrait certes contribuer avec une certaine efficacité à compenser les « manques à gagner », et finalement
aider à mieux supporter les inconvénients des changements en cours. Le problème est donc ailleurs, car il
reste à se demander si le pays dispose des moyens de se permettre une telle politique, demeurée jusqu’à
présent encore l’apanage de certains pays développés... on peut en douter fortement quand on connaît la
faible croissance en longue période du pays, et qu’on prend la mesure de ses difficultés financières actuelles
et à venir...

186
6.4. Prix et subventions : quelle régulation pour quelle compétitivité ?

En présentant la politique des prix et des subventions de certaines denrées alimentaires de base, engagée
dès les années 60 et amplifiée durant la décennie suivante (cf. 2.1.5), nous avons expliqué qu’il s’agissait au
fond d’un mode de régulation par les finances publiques à travers lequel l’État tentait de concilier entre des
contraintes et des objectifs contradictoires, à commencer par la nécessité d’offrir aux producteurs des prix
relativement rémunérateurs, sans pour autant grever le pouvoir d’achat des consommateurs, et courir le
risque de provoquer une hausse des salaires, dommageable pour ce principal avantage comparatif du pays et
partant pour sa compétitivité. En somme, à travers cette politique, on recherchait déjà l’intégration de
l’économie nationale dans la « division internationale du travail » à travers une politique de bas salaires et
d’une force de travail en partie prise en charge par le budget de l’État. L’agriculture avait notamment pour
fonction dans cette perspective de fournir les consommateurs en produits de base à bas prix.
L’expérience, longue de plusieurs décennies, a cependant montré que non seulement l’agriculture n’a fina-
lement pas tout à fait joué ce rôle puisque les carences de la production ont été telles qu’elles ont ouvert la
voie à une dépendance alimentaire persistante, mais de surcroît, le système a généré des effets pervers et
alimenté des situations de rente qui n’ont souvent servi qu’à enrichir une minorité de puissants « inter-
médiaires » sans pour autant contribuer à améliorer la productivité et la compétitivité des produits en ques-
tion. C’est ainsi que de gros intérêts se sont organisés, au niveau de l’importation et de la transformation
notamment, pour encombrer le processus de formation de la valeur de surcoûts et capter en conséquence
les ressources publiques que l’État devait leur affecter pour « compenser » les écarts entre les prix aux deux
bouts de la chaîne.... D’ailleurs, c’est à partir de ce point de vue qu’il devenait difficile de prétendre à la
« vérité des prix » sans s’assurer au préalable de l’existence tout au long des filières en question d’un mini-
mum de « vérité des coûts » 1.
Aujourd’hui, le processus de libéralisation des prix et de suppression des subventions à la consommation
est certes bien engagé, mais le plus dur reste encore à faire, puisque les deux filières les plus sensibles,
celles de la farine nationale de blé tendre et du sucre, restent dans une situation pour le moins paradoxale qui
n’est ni la réglementation / compensation massive et totale d’hier, ni la libéralisation pleine et entière de
demain : si les importations sont depuis 1996 libres, elles restent soumises à des « équivalents tarifaires »
fortement protecteurs ; et si les prix à la consommation demeurent « en principe » fixés par l’État, les prix à la
production ne sont que partiellement « administrés » (prix de soutien limités pour le blé tendre, intervention
de la sucrerie pour les cultures sucrières) 2 ; quant aux unités de transformation, elles ne bénéficient plus que
d’une compensation plafonnées (2 dh/kg de sucre, et jusqu’à 10 millions de quintaux pour la farine nationale
de blé tendre)... Les premiers à se plaindre d’une telle situation sont les différents opérateurs des filières
concernées (producteurs, transformateurs, grossistes, boulangers...), estimant qu’ils ne bénéficient plus ni
des avantages de l’ancien système (prise en charge systématique des « marges » par les subventions) ni de
ceux d’un système libéralisés (possibilité de fixer librement les prix à la consommation).
Pourtant, cette situation perdure et on ne compte plus les projets de réforme laborieusement élaborés et
aussitôt remis dans les « placards », le plus souvent faute d’une réelle volonté politique de « prendre le tau-
reau par les cornes » et d’aller jusqu’au bout du processus, tout en en assumant les conséquences... Tant

1. Cf. N. Akesbi, La question des prix et des subventions au Maroc face aux mutations de la politique agricole, In : Prix et subventions; Effets
sur les agricultures familiales méditerranéennes, Options Méditerranéennes, Série B : Études et Recherches, no 11, Ciheam, Paris, 1997.
2. À cela, il faut ajouter le fait que même si le secteur des oléagineux a été libéralisé, l’État continue d’acheter aux producteurs de grains de
tournesol quelques 30 000 tonnes à un prix fixé à 4 000 dh / tonne. Cette subvention en quelque sorte « résiduelle » s’élèverait à 60 millions de
dirhams. Cf. Finances News Hebdo, Casablanca, 5 mai 2005, p. 40.

187
que ce processus de libéralisation demeurera inachevé, on sera dans une situation où l’on cumulera plutôt
les inconvénients que les avantages des systèmes alternatifs, et il ne pourra de toute façon produire les
effets qu’on peut en attendre même du point de vue de la logique libérale. Mais il faut reconnaître que tout
cela est plus facile à dire qu’à faire... En effet, au stade de la consommation en particulier se pose encore
l’épineuse question des subventions, véritable corollaire de la libéralisation du commerce et des prix. Il faut
reconnaître que derrière cette question se profilent de vrais problèmes de fond qu’on ne peut traiter à la
légère. À commencer par les nécessaires arbitrages qui doivent être opérés entre producteurs et consomma-
teurs, entre ruraux et citadins, entre villes et campagnes... Et là encore, on est face à des choix qui ne
relèvent pas de la rhétorique technocratique mais du débat démocratique. Une société toute entière doit être
en mesure à un certain moment de débattre de ces grandes questions, de faire des choix, et d’en assumer
ensuite collectivement les coûts... C’est ce débat qui n’a jamais eu lieu au Maroc. Aura-t-il lieu un jour ?
Quand ? Comment ?...
Même si l’on s’en tient seulement à la double dimension, économique et sociale, de la question, on doit
sans cesse garder à l’esprit quelques vérités essentielles. En ce qui concerne la dimension sociale, elle reste
évidemment majeure dans un pays où les inégalités sociales sont considérables et la pauvreté encore si
répandue. Si le système de subvention à la consommation de certaines denrées alimentaires de base est
certes à plusieurs égards très critiquable, on ne voit pas encore par quel système, plus juste, moins pervers,
et compatible avec les moyens du pays, il peut être remplacé 1. En tout cas, on ne peut en même temps vou-
loir lutter contre la pauvreté (voire promouvoir le développement humain...), et « en finir » avec le seul sys-
tème qui ait pu jusqu’à présent permettre aux pauvres d’accéder à une alimentation de base à des coûts plus
ou moins en rapport avec leur pouvoir d’achat, et même si par la même occasion il est vrai, les riches aussi
ont pu en bénéficier...
Quant à la dimension économique, on ne peut se permettre d’oublier que, en dépit des mutations que
l’économie mondiale a connues ces dernières décennies, le problème de la « compétitivité par les salaires »
reste crucial pour deux raisons au moins. La première est liée à la nature et la structure des exportations
marocaines, pour l’essentiel encore largement dominées par des produits « labor intensive », et partant très
sensibles au coût de leur composante « force de travail ». La seconde apparaît béante lorsqu’on constate à
quel point la compétitivité asiatique (Chine certes, mais aussi Vietnam, Cambodge, Indonésie, Pakistan...)
reste malgré tout principalement fondée sur le dumping salarial et plus généralement social. Même si nous
n’arriverons jamais à déployer une main d’œuvre aussi peu chère que celle de ces pays, il va de soi que, dans
la logique de la compétition internationale telle qu’elle est imposée aujourd’hui par ces mêmes pays, il vaut
mieux s’abstenir de toute mesure susceptible d’accroître encore les écarts de salaires à notre détriment.
Or de ce point de vue, la fonction « primaire » des subventions à la consommation, celle des « biens sala-
riaux », reste pour une grande part pertinente. En abaissant le coût d’accès à des denrées alimentaires de
base, elles contribuent indéniablement à éviter une forte pression à la hausse du coût de la force de travail.
On peut en tout cas difficilement imaginer la suppression de ces subventions sans remise en cause du
niveau actuel des salaires. Pourrons-nous en même temps continuer à tout parier sur la libéralisation des
échanges et l’intégration « gagnante » dans la dynamique de la mondialisation, et courir le risque d’handica-
per ainsi ce qui reste notre principal avantage comparatif ? Pourrons-nous nous passer d’un mode de régula-
tion pris en charge par l’État sans être en mesure de lui substituer un autre, assumé par le marché ?

1. Le système des « aides ciblées », présenté comme une solution alternative par certaines organisations internationales, ne semble encore
avoir démontré ni son efficacité ni même quelquefois sa simple faisabilité.

188
6.5. Exportations : Quelles responsabilités et quels nouveaux
instruments ?

La libéralisation des échanges n’a pas que des effets négatifs... Elle devait, elle devrait encore bénéficier aux
activités exportatrices qui ont réussi à s’adapter et rester compétitives, comme c’est le cas dans le secteur des
fruits et légumes, ou encore de certains produits transformés. Le problème est qu’en la matière, ce sont les
pays – européens pour l’essentiel – qui constituent nos principaux marchés d’écoulement qui redoutent l’impact
négatif de nos exportations sur leurs propres producteurs, exactement comme nous le faisons (certes toutes
proportions gardées), quand il s’agit de leurs exportations par rapport à nos propres producteurs... D’où nos
déconvenues successives, et cette incapacité à dépasser certains « quotas » de plus en plus restrictifs.
On sait cependant que tous les problèmes de nos exportations ne se réduisent pas à la politique protec-
tionniste de nos principaux partenaires. Comme nous l’avons déjà indiqué plus haut (cf. 5.6), les difficultés
que doivent affronter les exportations agricoles marocaines sur les marchés extérieurs sont en partie aussi
dues à des responsabilités internes. Ainsi, il faut reconnaître que les producteurs exportateurs marocains,
s’ils ont généralement déployé des efforts appréciables pour améliorer leurs production, ont souvent man-
qué de dynamisme et d’imagination en matière commerciale. Ils ont sans aucun doute mieux réussi leur
« mise à niveau » technique et productive que celle qui a trait au marketing. De sorte que même après la libé-
ralisation des exportations en 1986, beaucoup ont continué à se contenter de vendre sur les mêmes mar-
chés traditionnels (français principalement), et de traiter avec les mêmes partenaires (ex-transitaires du
temps de la colonisation) et les mêmes méthodes (la vente à quai..) !
La démonopolisation des exportations a certes eu quelques avantages, mais aussi pas mal d’inconvénients
qu’on doit aujourd’hui déplorer, après une expérience de près d’une trentaine d’années. Par exemple, l’un
des problèmes qui se posent en permanence est celui de la coordination entre l’action des différents opéra-
teurs privés. Bien qu’existent diverses instances de coordination, celles-ci se limitent généralement à l’orga-
nisation de la logistique ou au contrôle de qualité. En fait, chaque groupe privé garde ses propres circuits de
distribution, ses propres objectifs et sa propre politique. Le résultat est que « l’origine Maroc » elle, dans sa
globalité, n’en a pas ! Aujourd’hui, sur un marché mondial marqué par une accélération des phénomènes de
concentration et la constitution de groupes multinationaux de plus en plus géants, aucun opérateur marocain
ne dispose de la « force de frappe » commerciale nécessaire pour peser sur les marchés et s’assurer des
conditions de croissance convenables. Alors que le Label « Maroc », qui avait été patiemment construit avec
une image de marque de qualité, se dilue dans un foisonnement de « marques » inefficace, la nouvelle situa-
tion a plutôt engendré un affaiblissement du pouvoir de négociation des exportateurs marocains, handicap
qui s’ajoute à l’absence d’une vision globale et d’une approche marketing dans l’élaboration de la stratégie
d’expansion des exportations. Plus grave encore, il n’est pas rare de voir des exportateurs marocains se faire
concurrence sur le même marché, notamment en cassant les prix, tandis que d’autres s’arrangent entre eux
pour se partager certains marchés et limiter les quantités globales offertes 1. On comprend dans ces condi-
tions que, de plus en plus dans les milieux professionnels des voix s’élèvent pour reconnaître que la démono-
polisation / marginalisation de l’OCE à partir de 1986 fut une erreur stratégique dont, à quelques exceptions
près, tout le monde continue de payer le prix. Même si personne ne songe à un retour pur et simple à la for-
mule antérieure, beaucoup se demandent si le temps n’est pas venu de repenser totalement notre stratégie
des exportations, et notamment de la doter de nouveaux instruments plus en phase avec les exigences d’un
marché mondial en perpétuelle mutation...

1. Par ailleurs, beaucoup de petits producteurs exportateurs se plaignent d’être, avec le nouveau système, mal informés. Plus ou moins
acculés à se mettre sous la bannière d’un « groupe », ils y déplorent souvent certaines pratiques reprochées auparavant à l’OCE : favoritisme,
« fuites », retard de paiement, abus divers...

189
6.6. Environnement : Quel héritage léguer à nos enfants ?

Dans les conditions de pauvreté et de dénuement du monde rural telle qu’elles subsistent encore, on
comprend aisément que le rapport entre l’homme et son milieu naturel devient dramatiquement conflictuel.
L’accroissement des besoins face aux limites des moyens ne laisse à l’homme guère beaucoup de choix :
l’exode rurale ou la survie sur place mais au détriment de l’écosystème, avec les conséquences que l’on sait
(destruction des forêts, dégradation des parcours, érosion des sols, désertification...), et les menaces que
ces dernières font peser sur la durabilité du cadre de vie et du potentiel de production. Dans un cas comme
dans l’autre, c’est le monde rural qui se vide de sa substance vive.
Dans le cas où une libéralisation hâtive et irréfléchie provoquait la ruine de certaines régions et activités tra-
ditionnelles, nous avons expliqué qu’il est plausible qu’on puisse assister à des transferts de populations,
notamment de celle constituée par les « exclus de la compétitivité », dont une partie pourrait se déverser
dans les villes et leurs bidonvilles, alors qu’une autre partie pourrait chercher à se redéployer sur des zones
marginales, tels les espaces pastoraux et forestiers, pour y surexploiter ce qui peut l’être, en quête de
moyens de survie... Pour d’autres, la solution pourrait résider dans l’abandon des régions peu productives
pour se concentrer sur les zones d’agriculture intensive, ce qui serait du point de vue écologique tout à fait
néfaste pour les premières (condamnées à toutes sortes de « désertifications »...) comme pour les
secondes, soumises à une exploitation intensive peu soucieuse des conséquences environnementales.
Par ailleurs, la mise en compétition de différentes agricultures, notamment du Sud de la Méditerranée
dans la perspective de la zone de libre-échange euro-méditerranéenne, pourrait précipiter les unes et les
autres dans une véritable course au « tout export », course aiguisée par la pression des besoins en devises
(pour payer les importations en croissance, rembourser la dette extérieure...). Lancés dans cette course
effrénée, les différents pays ne deviennent obnubilés que par la recherche coûte que coûte de la meilleure
compétitivité possible. Or ce sont là des facteurs qui se conjuguent souvent pour laisser peu de place aux
considérations de préservation des ressources naturelles. En effet, dans un tel contexte de concurrence exa-
cerbée, des mesures et des investissements de protection de l’environnement peuvent affecter dangereuse-
ment la compétitivité des pays ou des opérateurs qui accepteraient de les prendre en charge alors que
d’autres, concurrents, s’abstiendraient de le faire... Sans un minimum de gardes-fous et de règles de protec-
tion de l’environnement s’imposant à tous, qui acceptera de se laisser un peu moins aveugler par les consi-
dérations marchandes et de court terme, pour se soucier de la durabilité des écosystèmes et finalement du
patrimoine de l’ensemble de la collectivité ?
En tout cas, selon les études récentes du « Plan Bleu pour l’environnement et le développement en Médi-
terranée », si les tendances lourdes des dernières décennies se poursuivent, l’avenir écologique de « mare
nostrum » est plus que préoccupant 1 : en 2025, on devrait assister à des pressions fortement accrues sur
l’environnement, une croissance des déséquilibres internes avec la libéralisation des échanges (marginalisa-
tion des arrière-pays, risque de paupérisation et exode rural..), une croissance de la vulnérabilité aux risques
(sécheresses, feux de forets, inondations et séismes...), une dégradation des ressources (sols, eau, littoral)
et du cadre de vie... Est-ce cela l’avenir que nous voulons pour notre pays ? Est-ce cela l’héritage que nous
voulons léguer à nos enfants ?

1. G. Benoît, Environnement et développement durable en Méditerranée, Plan Bleu pour l’environnement et le développement en Méditerra-
née, communication au : Rendez-vous sur le développement durable en Méditerranée, Marseille, 17-18 mai 2004.

190
6.7. Quel État pour quelle régulation ?

S’il faut résumer en quelques mots l’un des défis majeurs qui se posent aujourd’hui à notre pays, on peut
le formuler ainsi : il est de réussir une transition d’une agriculture encore largement extensive, peu produc-
tive et fortement protégée, vers une agriculture intensive, compétitive et plus ouverte sur le marché mondial,
et ce, à un coût politique, social et écologique acceptable.
Mais il va de soi qu’une situation aussi complexe que celle que nous examinons tout au long de cette par-
tie ne peut évidemment trouver ses solutions adéquates rapidement et aisément. Bien au contraire, le plus
souvent, résistances et conservatismes divers se conjuguent pour pérenniser un statu quo qui n’est ni
cohérent ni viable, et encore moins équitable. Il n’en demeure pas moins que si l’on peut sans mal s’accorder
sur le coût économique et même social à court terme du maintien de la situation actuelle, personne ne peut
mesurer le coût politique et écologique à moyen et long terme des mutations qui ne manqueront pas de se
produire, avec nous ou sans nous... C’est dire que nous n’avons d’autres choix que de tenter de maîtriser les
changements en cours, ou de les subir.
Dans les conditions actuelles de l’agriculture et du monde rural du Maroc de ce début de siècle, il faut bien
comprendre qu’une politique visant une plus grande intégration à l’économie mondiale peut être elle-même à
la fois coupable et victime de cet état de fait. Car si personne ne doute aujourd’hui qu’une libéralisation mal
préparée précipiterait la ruine de tout un pan de l’agriculture marocaine, on ne peut non plus ignorer que c’est
précisément l’état où se trouve le monde rural qui constitue l’obstacle majeur à tout développement compé-
titif de l’agriculture marocaine, et lui rend si difficile une insertion « gagnante » dans le mouvement de mon-
dialisation en cours. C’est dire que, au fond, la libéralisation des échanges ne peut être un mouvement isolé,
mais doit impérativement s’inscrire dans une dynamique d’ensemble qui commence par les réformes inter-
nes incontournables 1 et se prolonge ensuite dans les « ouvertures » réfléchies, programmées, et négociées.
En tout cas, on sait que le processus ne peut être que globale, progressif, et pragmatique. Qui devrait le
conduire ? L’État naturellement. Maintenant que les dérives et les délires néo-libéraux des années 80 sont
derrière nous, il est vital et urgent de réhabiliter l’État dans ses fonctions essentielles stratégiques et de
régulation. Cette exigence n’est pas « idéologique » mais pragmatique et empirique puisque mise en évi-
dence par l’évaluation d’une expérience maintenant assez longue et générale pour être concluante. Au
demeurant, tous les enseignements que nous pouvons tirer de l’expérience marocaine des dernières décen-
nies, mis en valeur tout au long de ce texte, plaident pour cette réhabilitation.
Un État jouant pleinement son double rôle d’État-stratège et d’État-régulateur, voilà donc ce dont nous
avons absolument besoin. Pour cela, cet État devra naturellement être aussi pleinement démocratique. Et là
encore, il faut bien comprendre que cette exigence ne procède pas d’un a priori « doctrinal » mais d’une
claire conscience des conditions de succès de toute démarche en la matière. Car une stratégie n’est évidem-
ment pas seulement l’affaires des stratèges... Lorsqu’elle doit être déclinée en termes de choix et d’options
qui impliquent nécessairement les intérêts des uns et des autres, en termes d’orientations et de politiques
qui engagent l’avenir des uns et des autres (peut-être des uns plus que les autres, voire des uns contre les
autres), en termes d’actions et de mesures qui favorisent les uns, probablement au détriment des autres, la
stratégie devient alors l’affaire de tous. Elle doit alors être expliquée, discutée, et négociée. Là réside la
condition de l’adhésion à ses objectifs et moyens, et donc un aspect essentiel qui va déterminer ses chances
de succès.
Il appartient donc à l’État d’engager un vaste débat démocratique dans le pays, avec les élus, les parte-
naires sociaux, la société civile, l’opinion publique... Et ce n’est qu’à l’issue de ce débat qu’il devient

1. La règle en effet devrait bien être que c’est la réforme qui doit précéder la libéralisation et non l’inverse...

191
possible de faire les choix qui vont engager la société dans son ensemble, comme ceux qui concernent, par
exemple, les fonctions de l’agriculture et la place du monde rural dans le développement du pays, les
réformes internes préalables, le contenu et le niveau de sécurité alimentaire requis, le degré et les modalités
de la libéralisation des échanges 1, les modes de régulation économique et sociale appropriés, la préservation
des ressources naturelles...
Ces choix, on ne le répétera jamais assez, sont foncièrement politiques, et comportent un coût que la
société dans son ensemble doit être en mesure de prendre en charge, non guère parce qu’elle l’aura subi
mais parce qu’il l’aura volontairement décidé, après en avoir largement débattu.
Après l’État-stratège, l’État-régulateur devra s’appliquer à conduire les réformes qui s’imposent en mettant
en œuvre les modes de régulation qui auront été préalablement adoptés, et adaptés aux conditions objec-
tives de l’économie et de la société. Il lui faudra agir avec volontarisme et détermination pour réaliser les res-
tructurations ou les reconversions nécessaires, mettre en œuvre les politiques d’accompagnement
appropriées pour atténuer l’ampleur des chocs, favoriser les efforts d’adaptation et préserver des conditions
d’existence décentes pour la grande majorité de la population.
L’agriculture et le monde rural au Maroc n’ont cessé de faire l’objet de vastes champs de réflexion... Il est
grand temps qu’ils deviennent un vaste champ d’action.

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1. En dépit du cadre plus ou moins contraignant de l’OMC, on peut remarquer que la plupart des pays développés (à commencer par l’Union
européenne et les États-Unis d’Amérique), lorsque, par exemple, ils s’arrangent pour inclure dans les fameuses boîtes « vertes » et « bleues »
l’essentiel de leurs subventions agricoles, ou imposent telle ou elle norme de qualité, ne font pas autre chose que déterminer en fonction de leurs
propres intérêts le degré et les modalités de la libéralisation de leurs échanges...

192
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198
200

gt3-2 200 24/01/06, 16:41:31


Introduction

Le présent travail constitue la première partie d’un travail portant sur l’évolution et les perspectives de
l’agriculture au Maroc réalisé dans le cadre du projet DRH50. Dans cette partie, une analyse de l’évolution
des performances de l’agriculture marocaine sera conduite en deux parties. Dans la première cette perfor-
mance sera analysée à travers les grandes tendances de la production agricole : contribution à la croissance
du pays, croissance des productions et contribution aux échanges agricoles.
Dans la deuxième partie de ce travail, les performances de l’agriculture marocaine seront comparées au
niveau international à un échantillon de 15 pays. Dans une première étape, les performances du secteur agri-
cole seront d’abord analysées en termes de contribution à la croissance, aux revenus et au commerce exté-
rieur. En second, les performances de l’agriculture seront analysées en termes de productivité. L’analyse de
la productivité a été entreprise grâce à l’estimation de la productivité globale des facteurs (PGF) 1engagés
dans l’agriculture, elle-même décomposée en gain d’efficience technique et en changement technique. Pour
permettre une meilleure interprétation de ces résultats, une analyse des productivités partielles des facteurs
terre, travail, mécanisation et intensification par l’utilisation de fertilisants chimiques sera conduite.

1. Évolution des performances du secteur agricole

1.1. Contribution du secteur agricole et agro-alimentaire à la croissance


économique

Durant la période 1980-2002, le secteur agro-alimentaire (agriculture, forêt, pêche et industries agro-
alimentaires) a enregistré – en terme de valeur ajoutée – des performances relativement faibles par rapport à
l’évolution globale de l’économie et par rapport à la croissance de la demande interne (voir graphique 1).
Cette faible performance s’est traduite, en effet, par un taux de croissance moyen de 2,16 %, contre 3,42 %

1. La mesure de la productivité globale des facteurs utilisée dans ce travail est basée sur le calcul de l’indice de Malmquist où celui-ci peut
être décomposé comme le produit du changement d’efficience technique (ET) et de changement technique (CT) entre deux périodes consé-
cutives. L’ET et le CT sont calculés par la méthode de l’analyse de l’enveloppement des données (Data Envelopment Analysis : DEA, basée elle-
même sur la programmation linéaire). Dans cette approche la méthode orientée vers les produits a été privilégiée en utilisant deux agrégats de
produits et cinq agrégats de facteurs. Les produits sont les valeurs à prix constants des productions végétales agrégées et des productions ani-
males agrégées. Les cinq facteurs sont l’agrégat terres irriguées et terres pluviales pondérées par l’indice de pluviométrie de la FAO, les effectifs
animaux de productions pondérés par UGB, la population active employée dans l’agriculture, le nombre de tracteurs et l’agrégat des fertilisants
chimiques mesurées par les unités fertilisantes NPK. Les données utilisées dans ces estimations sont celles de la FAO (FAOSTAT, Division des
Statistiques) entre 1961 et 2002. Pour mieux interpréter les résultats de l’analyse conduite dans la deuxième partie, il es à rappeler que la PGF,
comme les concepts ET et CT, sont calculés pour la production par unité de facteurs agrégés. L’intérêt de la méthode est qu’elle permet une
comparaison relative entre différents pays d’un même un groupe, c’est-à-dire qu’elle suppose l’existence d’une même technologie accessible à
l’ensemble des pays du groupe étudié.

201
pour le reste de l’économie. Rapportée à l’évolution de la population (demande interne), pour la même pé-
riode, la croissance de ce secteur n’a été que de 0,25 %, alors que le reste de l’économie a enregistré une
croissance annuelle moyenne par habitant six fois plus importante, soit 1,51 %.

Graphique 1 : Évolution du PIB par habitant du secteur agro-alimentaire


et du reste de l’économie (prix 1980)

À l’intérieur de ce secteur (voir graphique 2), seule la production de la pêche a pu se démarquer par un
taux de croissance comparable au reste de l’économie : elle a enregistré un taux de croissance annuel
moyen global de 3,65 %, soit un taux de croissance par habitant de 0,5 %. Par contre, la production agri-
cole et forestière, ainsi que la production des industries agro-alimentaires ont à peine pu soutenir la crois-
sance de la population : elles ont enregistré des taux de croissance annuels moyens par habitant entre 0,1
et 0,2 % (0,11 % pour l’agriculture et la forêt, et 0,17 % pour l’agro-industrie). En outre, la production agri-
cole et forestière qui semblait amorcer une certaine croissance pendant la deuxième moitié des années
1980 a été marquée, pendant les années 1990 et le début des années 2000, par une tendance à la baisse
du taux de croissance par habitant. En effet la valeur ajoutée de la production agricole et forestière a enre-
gistré une croissance annuelle moyenne par habitant de 4,5 % entre 1980 et 1991 et de -1,2 % entre 1991
et 2002.

202
Graphique 2 : Évolution du PIB/habitant des composantes du secteur agro-alimentaire (prix 1980)

1.2. Évolution de la production agricole

Comme le montre le graphique 3, une analyse à long terme de l’évolution de l’indice de la production agri-
cole globale montre que celle-ci s’est caractérisée par trois phases de croissance distinctes.

– La première phase couvre les années 1960-70s et s’étale jusqu’en 1985, avec une croissance de l’indice
de la production agricole relativement faible, se situant entre 1969 et 1970 autour de 1,7 %. Durant cette
phase, la croissance en terme d’indice de la production agricole par habitant a même régressé en
moyenne de 0,2 % par an.
– La deuxième phase, se situant entre 1985 et 1991, est caractérisée par un bon de croissance de la pro-
duction agricole, puisque celle-ci s’est élevée à 7,0 % en terme de croissance annuelle moyenne de
l’indice de production agricole globale et à 6,3 % en terme de l’indice de production par habitant.
– La troisième phase, se situant après 1991, est marquée par un ralentissement de la croissance, puisque
le taux de croissance annuel moyen de l’indice de la production agricole globale entre 1991 et 2002 n’a
été que de 1,6 %. Ce qui était insuffisant pour soutenir la croissance démographique. Comme le montre
le graphique 3, la croissance de la production par tête d’habitant a eu tendance à baisser de (taux annuel
moyen entre 1991 et 2002 de -0.04 %).

203
Graphique 3 : Évolution de l’indice de la production agricole globale (1961-2002)

La phase antérieure à 1985 a été caractérisée par trois types de politiques dont la séparation des effets
respectifs sur la croissance du secteur ne semble pas évidente. La première de ces politiques a concerné les
statuts fonciers à travers la nationalisation des terres de la colonisation officielle, la marocanisation des terres
de la colonisation privée et la distribution d’une partie des terres ainsi récupérées par l’État sous forme de
lots de la réforme agraire. Cette politique a dû entraîner la perturbation de la production de ces terres qui
étaient parmi les plus équipées et les plus productives. Parallèlement à cette politique foncière, un code des
investissements agricoles a été adopté, en 1969, dont l’objectif était la mobilisation du potentiel hydrique du
pays et l’équipement des périmètres irrigables pour le développement de cultures plus rentables et
d’imports substitution. Ce même code a mis en place tout un système d’incitations et de subventions pour
encourager l’équipement des exploitations agricoles et l’acquisition des intrants modernes (engrais,
semences sélectionnées, matériel agricole, crédit bancaire, constitution de coopératives de conditionnement
et de services, etc.). Il est à noter que cette deuxième politique, visant à donner un élan à l’augmentation de
la productivité et à la croissance du secteur agricole, a coexisté avec une politique complètement contradic-
toire qui a été mise en place pour réguler les marchés et fixer les prix des intrants et des produits dits de
base comme à contrôler les importations et les exportations. Plusieurs études ont montré que l’effet conju-
gué de ces interventions – dans les prix et les marchés – en présence d’une politique de taux de change
surévalué, s’est soldé par une importante taxation implicite du secteur 1. Cette dernière a affecté négative-
ment la croissance du secteur.

La deuxième phase – le bond en avant de la croissance agricole 1985-91 – a coïncidé avec une succession
d’années climatiquement favorables et avec la mise en application de la politique de libéralisation du secteur
agricole et de la détaxation du revenu agricole. Ces deux dernières politiques ont donné un signal fort aux
opérateurs dans le secteur, et plus particulièrement aux grands producteurs. La politique de libéralisation,
tout en se désengageant vis-à-vis des petits agriculteurs, a crée un climat de sécurisation à l’appropriation
des terres et à l’investissement dans le secteur. L’une des conséquences de cette politique a été une aug-
mentation des superficies mises en culture et une réduction du nombre de micro exploitations agricoles et

1. Voir notamment l’étude de Anne O. Krueger et Ahmed Drouichi.

204
des exploitations agricoles sans terre, comme le montre le dernier recensement agricole. En effet, le recen-
sement général agricole de 1996 a montré qu’au moment où la SAU totale a augmenté de près de 21 %, le
nombre d’exploitations sans terre a été réduit de 85,6 % et celle de moins de un hectare de 28,3 %, de
même que la superficie totale des exploitations agricoles de moins d’un hectare a été réduite de 9,7 %.

La troisième phase – la période post 1991 – constitue en fait une continuation de la même politique de
libéralisation, sauf que l’élan de croissance a été atténué suite à une succession d’années de sécheresse.
Cependant, globalement le niveau de la production agricole, bien que montrant des fluctuations importantes
est resté en moyenne supérieur au niveau enregistré pendant les périodes antérieures à 1991. D’autre part,
cette tendance a été beaucoup plus le fait de la production végétale, restée en grande partie beaucoup plus
soumise aux aléas climatiques. La production animale, moins dépendante des aléas climatiques a accusé
une nette tendance à la croissance bien que celle-ci a été négativement affectée par des années de condi-
tions climatiques sévères comme le montre le graphique 4.

Graphique 4 : Évolution des indices de la production des cultures et de l’élevage (1961-2002)

1.2.1. Les productions végétales


L’évolution de la production végétale est à différencier selon les sous groupes de cultures. En termes de
superficies et de productions (tableau 1), seul le groupe des légumineuses a marqué un certain recul pendant
la période du bond agricole de 1985-1991 ; tous les autres groupes de cultures ont connu une progression de
leurs superficies comme de leur production. Cependant, on peut noter qu’à part le groupe des cultures indus-
trielles et oléagineuses, les autres groupes de cultures (céréales, fourrages, maraîchage et arboriculture frui-
tière) ont connu une nette amélioration de productivité puisque leurs productions ont progressé plus
rapidement que leurs superficies. Ceci démontre que le bond de 1985-91 ne s’est pas traduit uniquement par
un accroissement des superficies mais aussi par un gain de productivité. Dans le cas des légumineuses, la
régression de la production était moins rapide que celle des superficies.
À l’intérieur du groupe des cultures industrielles et oléagineuses, la faible progression de la production en
comparaison à la superficie, s’explique surtout par la progression importante des superficies de la culture du
tournesol. En effet, la protection élevée à la frontière de cette culture, en plus de la garantie du marché et les

205
avances aux cultures assurés par l’État, ont entraîné une extension rapide de ses superficies sans que cela
ne soit accompagné d’une maîtrise de sa conduite. La superficie du tournesol est passée entre 1985 et 1990
de près de 34.700 hectares à plus de 160.000 hectares, avant de baisser en 1991 à 137.700 hectares.

Tableau 1 : Croissance de la superficie cultivée et de la production

Superficie* Production** (prix 1980)

1980- 1985- 1991- 1980- 1985- 1991-


2002 1991 2002 2002 1991 2002
céréales 0.76 1.85 – 0.07 0.12 5.83 – 1.74
légumineuses – 1.00 – 2.11 – 1.55 – 2.40 – 0.70 – 2.71
industrielles et oléagineuses 3.64 6.81 2.64 1.68 4.10 – 0.30
fourragères 3.77 8.78 2.41 3.70 12.47 2.96
arboriculture2.62 3.45 2.31 2.65 11.57 0.78
maraîchage 2.07 3.89 1.88 5.00 9.96 3.12

La période 1991-2002 a été marquée par une succession d’années climatiquement défavorables. En
effets, sur les 11 années de la période, on dénombre neuf années se situant en dessous de la moyenne
annuelle de l’indice pluviométrique entre 1961-2002 comme le montre le graphique 5a. Cette situation s’est
répercutée non seulement sur l’agriculture pluviale mais aussi sur l’agriculture irriguée puisque bien que les
superficies équipées par l’État ont connu pendant cette période une progression annuelle de 2,3 %, les four-
nitures d’eau, par contre, ont eu tendance à baisser à un rythme annuel moyen de 2,02 % pendant la même
période comme le montre le graphique 5b.

Graphique 5a : Indice pluviométrique

Source : FAO

206
Graphique 5b : Cumul des superficies aménagées et fournitures annuelles
d’eau d’irrigation dans la grande hydraulique

Les cultures pluviales


Les cultures qui ont globalement souffert le plus sont celles conduites principalement en agriculture plu-
viale (céréales, légumineuse, oléagineux,...)
Les céréales : Tout en maintenant un niveau de superficies emblavées quasiment constant, et des rende-
ments moyens supérieurs aux rendements moyens, respectifs, de la période précédant 1991, les céréales
ont enregistré une réduction annuelle moyenne de la production de 1,74 % pendant la période 1991-2002.
Beaucoup plus préoccupant, en outre, sont les amplitudes des fluctuations des productions céréalières qui
sont devenues beaucoup plus importantes que celles enregistrées pendant les périodes antérieures à 1991.
En effet, compte tenu de la part importante qu’occupent les céréales dans le système des cultures, 77,5 %
de la superficie cultivée et près de 50 % de la production des cultures, ces grandes fluctuations affectent non
seulement les revenus des agriculteurs mais affectent la stabilité et la croissance de l’ensemble de l’écono-
mie nationale.
Comme le montre le graphique 6 a, la superficie du blé tendre est passée entre le début des années 1980
et la fin des années 1990 d’une superficie avoisinant 500.000 hectares à près de 2 millions d’hectares. Cette
extension s’est faite d’abord par substitution en partie au blé dur sur une partie des zones favorables, entraî-
nant ainsi une réduction de près du tiers de la superficie du blé dur sur les deux dernières décennies. En
second, elle a repoussé la culture de l’orge au-delà de sa zone de culture traditionnelle, et où elle montrait
une très bonne adaptation aux conditions climatiques. En troisième, elle s’est étendue en partie à des zones
climatiquement peu favorable ce qui a rendu sa production très variable d’une année à l’autres. L’une des
conséquences de cette extension du blé tendre est la tendance à la stagnation du rendement de l’orge et
une faible progression du rendement du blé dur. En effet, comme le montre le graphique 6 b, au moment ou
le rendement du blé tendre a accusé un accroissement des rendements moyens (par période de 5 ans) de
7.2 % et celui du blé dur de 5.3 %, l’accroissement du rendement moyen par période de l’orge a été quasi-
ment nul (0.03 %).

207
Graphique 6 : Évolution des superficies et des rendements du blé tendre, du blé dur et de l’orge
6.a Les superficies

6.b Les rendements

208
Plusieurs facteurs permettent d’expliquer cette évolution. Parmi ces facteurs on peut citer la généralisation
de la location du matériel agricole, encouragée par la détaxation à l’importation et le subventionnement (voir
graphique 7). Cette mécanisation des travaux, bien qu’elle soit faite dans des conditions loin d’être optimales
permet l’emblavement de grandes étendues et l’extension des cultures à des zones marginales, beaucoup
plus sensibles aux variations climatiques. La précarité des statuts fonciers et les garanties de la propriété des
terres par leurs mises en cultures ont sûrement joué un rôle déterminant dans ce sens. D’un autre côté la
politique de protection douanière et de subvention à la consommation, ainsi que la politique de fixation de
prix dits « rémunérateurs » dans les années 1970 début des années 1980, plus favorables au blé tendre ont
provoqué une extension considérable de cette culture.

Graphique 7 : Évolution du nombre annuel moyen des tracteurs et des moissonneuses

Les légumineuses ont poursuivi après 1991 leur baisse en termes de superficie et de production avec des
taux de croissance annuels moyens respectifs de -1,57 % et -2,71 %. Parmi les facteurs qui semblent avoir
été en défaveur des légumineuses on peut citer la mécanisation non adaptée, et donc des charges en main
d’œuvre élevées, ainsi que des prix relatifs et des politiques d’incitation défavorables comparativement aux
céréales, et en particulier aux blés.
Les cultures oléagineuses, et particulièrement le tournesol, ont connu les chutes les plus importantes en
termes de superficie et de production sous l’effet à la fois des conditions climatiques défavorables qui ont
prévalues pendant la décennie 1990s, mais surtout sous l’effet de la réduction des prix induite par la libérali-
sation du secteur. Comme le montre le graphique 8, ces réductions ont atteint plus de 75 % à la fois de la
superficie et de la production par comparaison aux niveaux élevés de 1992 et 1993.

209
Graphique 8 : Évolution de la superficie et de la production du tournesol

Les cultures irriguées


Les cultures maraîchères, l’arboriculture fruitière, les cultures sucrières et les fourrages, à majorité située
dans les zones irriguées, ont moins souffert des années de déficit hydrique postérieures à 1991 et leurs
superficies ont même été étendues comme le montre le tableau 1. Cependant, et à cause du déficit en eau
d’irrigation, cette progression des superficies n’a pas été suivie par une progression des rendements au
même rythme.
Les cultures sucrières, situées surtout à l’intérieur des périmètres de la grande hydraulique ont pu se
maintenir en termes de superficie et de production. Bien que la libéralisation des assolements pouvait
conduire à une réduction de la pratique de ces cultures, ces cultures semblent se maintenir grâce aux garan-
ties de la commercialisation et la priorité d’irrigation accordée par les ORMVA à ces cultures surtout en
années de faibles fournitures.
Après l’importante progression des superficies et des rendements qui ont permis d’un taux d’auto-
suffisance nul à près de près de 60 % en fin des années 1980, les superficies de la betterave et de la canne à
sucre se sont en moyennes stabilisées pendant la période 1991-2002, respectivement, autour de 58.000 ha
et 15.000 ha, avec des minimums 48.900 ha et 11.100 ha en 1998 et 1997 et des maximums de 69.200 ha et
19.940 en 1991 et 1999. De même que les productions se sont stabilisées respectivement autour de 2,9 et
1,05 million de tonnes.
Les cultures fourragères, après la progression record de leurs superficies au rythme d’un taux annuel
moyen de 8,8 % pendant la période 1985-91, ont continué à progresser pendant la période 1991-2002, mais
à un rythme plus faible de 2,4 % par an. En 2002-03 les superficies des cultures fourragères ont atteint
258 000 hectares et ont assuré près de 15 % des disponibilités fourragères, ce qui constitue un record
lorsqu’on sait que la contribution des cultures fourragères n’a jamais dépassé les 5 % des disponibilités four-
ragères avant 1980.
Arboriculture
L’arboriculture fruitière, pendant la période 1991-2002, a pu maintenir un rythme d’expansion des super-
ficies relativement élevé compte tenu des conditions climatiques défavorables. Grâce à la mobilisation de
nouvelles ressources en eau, au moyen plus particulièrement de forages individuels, cette expansion s’est
faite au rythme annuel moyen soutenu de 2,3 % par an. Globalement, les expansions des superficies ne se
sont pas traduites par une augmentation de la production puisque celle-ci n’a progressé qu’au faible rythme
de 0,8 %.

210
Les agrumes qui constituent la culture fruitière la plus importante du pays, en termes de production et
d’exportations, ont vu leur superficie passer de 73.700 hectares en 1990-91 à plus de 77.000 hectares en
2001-02. Cependant, leur production qui a atteint une moyenne de 1,27 millions de tonnes durant la période
1991-2002, a connu des fluctuations importantes durant cette période, avec un minimum de 0,98 million de
tonnes en 2001 et un maximum record de 1,56 million de tonnes en 1998, soit une différence entre le maxi-
mum et le minimum de 0,58 million de tonnes.
La superficie des rosacées fruitières (autres que les amandiers), a connu, entre 1987 et 2001, une pro-
gression jamais égalée auparavant, faisant passer celle-ci de 36.000 hectares en 1987 à 62.000 hectares en
2001. L’essentiel de cette progression a résulté de l’augmentation de la superficie du pommier qui a plus que
triplée, en passant de 9.000 hectares en 1986 à plus de 28.600 en 2001. Les subventions accordées aux
équipements d’irrigation et aux installations frigorifiques dans le cadre du Fonds de Développement Agricole
(FDA), ainsi que l’organisation des producteurs en coopératives de conditionnement et de commercialisation
ont joué un rôle certain dans ce développement. En parallèle à la superficie, la production (à prix constant de
1991) des rosacées a aussi augmenté au rythme soutenu de près de 3,6 % par an.
La superficie de l’amandier, bien que conduit essentiellement en pluvial, a aussi progressé à un rythme
relativement élevé puisqu’il a enregistré un taux de croissance annuel moyen de 2,6 % par an entre 1985 et
2002. Cette progression de la superficie s’est accompagnée d’une très forte croissance de la production
entre 1985 et 1991, atteignant un taux de croissance annuelle de 14,6 %, avant que celle-ci ne soit réduite
par les conditions climatiques défavorables à un taux de croissance annuel de 4,7 % entre 1991 et 2002.
L’olivier a suivi la même tendance des augmentations qui ont suivi 1985 puisque sa superficie est passée
de près de 290.000 en 1985 à près de 550.000 hectares en 2001, avec près de 200.000 hectares conduites
en irrigué. Comme le montre le graphique 9. La production des olives de table a montré une tendance nette à
l’augmentation à partir de 1985, avec des faibles fluctuations, alors que celle de l’huile d’olive moins marquée
et se caractérise par d’importantes fluctuations.

Graphique 9 : Évolution des production d’huile d’olive et des olives de table

211
Cette différence s’explique à la fois par les modes de conduite et par le marché. L’huile d’olive, essentielle-
ment destinée au marché local, est obtenue d’une culture d’olivier conduite en pluvial et de façon extensive
en général, alors que l’olive de table, en majorité destinée à l’exportation, est conduite en grande partie en
système irrigué et de façon beaucoup plus intensive.
Les cultures maraîchères
Les cultures maraîchère ont continué leur progression en superficies pour atteindre 268 000 ha en 2003,
alors que cette superficie n’était que moins de 100 000 ha au début des années 1960. En plus d’assurer un
partie importante des exportations agricoles, cette progression des superficies a surtout permis de soutenir
la croissance rapide de la demande interne, accentuée par l’urbanisation.
Comme le montre le tableau 1, l’évolution récente des cultures maraîchères a suivi la même tendance de
développement que l’arboriculture fruitière avec une forte croissance en termes de superficies et, surtout, de
production entre 1985 et 1991 et un fléchissement entre 1991 et 2002.
Dans le cas du maraîchage de saison, qui représente près de 86,8 % de la superficie totale, le flé-
chissement observé entre 1991 et 2002 peut être attribuable, en grande partie aux conditions climatiques
pendant cette période. En effet, une bonne partie du maraîchage de saison est conduit en pluvial et donc
dépendant des conditions climatiques. D’autre part, pendant les années de faible fourniture d’eau les
ORMVA n’accordent pas d’eau d’irrigation au maraîchage d’été, jugé très consommateur en eau.
Dans le cas du maraîchage primeur, qui ne représente que 10,6 % de la superficie totale, ce fléchissement
ne peut s’expliquer par le manque d’eau uniquement. Les restrictions quantitatives imposées sur les mar-
chés d’exportation ont joué dans ce sens un rôle beaucoup plus important.
Quant au maraîchage destiné à la transformation, on a assisté pendant les dernières années à une régression
sévère des superficies puisque celles-ci sont passées de 13.670 hectares en 1977 à 6.145 hectares en 2002.
En dehors de la tomate, du piment niora et du cornichon, les autres cultures ont pratiquement disparu. Cette
régression est essentiellement liée aux problèmes organisationnels, et surtout de débouchés, accentués par
la libéralisation des importations.

1.2.2. Les productions animales


Évolution des effectifs
Les différentes catégories du cheptel d’élevage présentent le même profil d’évolution pendant la période
1985-2002 (graphique 10). On constate en particulier que, suite aux sécheresses du début des années
1980s, les effectifs ont de nouveau augmenté. Pendant la phase du bond en avant (1985-1991), le cheptel
ovin a pu se reconstituer avec un taux de croissance moyen de 3,65 %, qui est supérieur à celui des caprins
(1,1 %), mais est inférieur à celui des bovins (5,82 %). Pendant la période 1991-2002, par contre, on assiste
plutôt à une décélération marquée par la décroissance du cheptel bovin (-1,6 %) et une très faible aug-
mentation des effectifs ovins et caprins.

212
Graphique 10 : Évolution des effectifs du cheptel

La réduction, depuis le début des années 1990s, du cheptel bovin est due principalement à la diminution
significative des bovins de races locales dont l’effectif a chuté de moitié entre 1991 et 2000 (graphique 11).
Cette évolution s’est faite au bénéfice des races pures et surtout améliorées, ce qui permit de soutenir une
le rythme de croissance élevé de la production laitière.

Graphique 11 : Évolution de la composition du cheptel bovin

Production des viandes rouges


La production des viandes rouges a globalement suivi la même tendance que celle des effectifs totaux
(graphique 12). Il est à remarquer cependant que, contrairement à celle des bovins, les performances produc-
tives des ovins et caprines ont été moins que proportionnelles.

213
Malgré les sécheresses récurrentes des années 1990s, les bons résultats de bovins s’expliquent par le
changement de la composition du cheptel avec le renforcement des races pures et améliorées élevées en
système intensif à base de fourrages et d’intrants alimentaires achetés.

Graphique 12 : Évolution de la production des viandes rouges

La production des viandes rouges, toutes espèces confondues, a enregistré une faible progression entre
1985 et 2002, puisque le taux de croissance annuel moyen n’a été que de 0,2 %. Cette situation est double-
ment inquiétante lorsqu’on sait que la production annuelle moyenne par habitant n’a été que de 10,3 kg entre
1985 et 2005, et que les importations sont quasiment nulles à cause des protections douanières élevées.
Production des viandes blanches et des œufs
La production des viandes blanches (graphique 13-a) s’inscrit à contre courant de l’évolution globale
connue par les viandes rouges. En effet après une phase de faible croissance (1985-91), avec un taux e crois-
sance de 0,75 %, succède une phase de forte croissance avec un taux de 7,7 % entre 1991et 2002. Pendant
cette période la production a plus que doublé : elle est passée de 141.000 tonnes à plus de 300.000 tonnes.
La production des œufs (graphique 13.b). a continué à croître à un rythme élevé. Maintenue à des taux
supérieurs à 6 % pendant la période 1985-91, elle semble marquer un pallier en enregistrant un taux de crois-
sance moyen de 5,75 %, qui reste élevé pendant la période 1991-2002.

214
Graphique 13 : Évolution des productions de viandes blanches et d’œufs

La production de lait
L’évolution de la production du lait a globalement épousé les tendances de la variation des effectifs des
races bovines améliorées et pures, avec un fléchissement au début des années 1990s à la suite des séche-
resses sévères et de la réduction du nombre des races locales (graphique 14). Il est à noter que, les séche-
resses en moins, le taux de croissance de la production laitière pendant la dernière phase(1991-2002), qui est
de 3,33 %, aurait d’ailleurs pu être aussi élevé que celui enregistré auparavant (8,5 %) au cours de la période
1985-91, en raison des progrès techniques réalisés.

Graphique 14 : Évolution de la production de lait (en 4000 tonnes)

Dans l’ensemble, la production laitière a significativement augmenté depuis 1985 pour atteindre plus de
1,3 milliards de litres en fin 2003.

215
1.3. Le commerce extérieur agricole

Entre 1998 et 2002, les échanges agro-alimentaires (agriculture et industries agro-alimentaires) ont enre-
gistré un taux de couverture des importations par les exportations de 91,3 %. Durant la même période, leur
contribution moyenne a été de près de 22,9 % aux exportations globales et 16,7 % aux importations glo-
bales, situant ainsi leur contribution au déficit de la balance commerciale globale à 4,3 %.
Cette performance, a été possible grâce aux produits de la pêche qui, entre 1998 et 2002, ont contribué en
moyenne à 50,4 % aux exportations agro-alimentaires. En effet, pris séparément, l’agriculture et les produits
d’origine agricoles ont montré durant la même période un taux de couverture des importations par les expor-
tations de 50,5 % seulement.
Comme le montre le graphique 15, le taux de couverture des produits agricoles est tombé brutalement au
dessous de 100 % entre 1973 et 1974, pour varier entre un minimum de 40 % en 1984 et un maximum de
81 % en 1990.

Graphique 15 : Taux de couverture commerciale de l’agriculture (valeurs en $US)

La chute brutale du taux de couverture agricole en 1973-74 est la double conséquence d’un dédoublement
des quantités et des prix des importations d’un côté, et de la baisse brutale des exportations. Comme le
montre les graphiques 16.a et 16.b, les exportations agricoles ont continué leur progression vertigineuses
pour se multiplier par trois en terme de quantité et par quatre en terme de valeur entre 1973 et 2002, alors
que pour la même période, les exportations ne se sont plus relevés en moyenne du bas niveau de 1974, bien
que les prix avaient plutôt tendance à augmenter légèrement.

216
Graphique 16 : Évolution des indices quantités, valeurs et prix des exportations agricoles

En plus des facteurs démographiques (croissance de la population et urbanisation) et du potentiel agricole


limité, plusieurs facteurs ont contribué à cette évolution, notamment :
– Les perturbations qu’a connues le secteur des exportations suite à la marocanisation de 1973.
– La politique du taux de change qui a suivi le découplage de la cotation du Dirham du Franc français en
1973. Cette surévaluation a constitué une prime aux importations et une taxe à la production nationale et
aux exportations.
– Les augmentations considérables des prix des matières premières, en particulier ceux des phosphates
et qui ont induit une politique d’import-substitution et de subventionnement à la consommation des pro-
duits agricoles dits de base.
– Le manque de diversification des produits d’exportation et la concentration de celles-ci sur le marché
européen qui devient de plus difficile d’accès à cause de sa politique protectionniste et son élargisse-
ment à des pays grands exportateurs de mêmes produits que le Maroc.

1.3.1. Les exportations


En dehors des produits de la pêche, l’essentiel des exportations agricoles marocaines sont constitués de
produits de l’horticulture, avec deux produits, les agrumes et les tomates en frais, concentrant à eux seuls
entre 34 et 45 % de la valeur de ces exportations.
En termes de quantités, après un pic de près de 770 000 tonnes en 1980, les exportations des agrumes
semblent se stabiliser autour de la moyenne de 530 000 tonnes depuis 1985. Les tomates, après la tendance
à la baisse qui a suivi 1973, ont montré une tendance à l’augmentation pour passer de près 70 000 tonnes en
1983 à plus 240 000 tonnes en 1999 (graphique 17).

217
Graphique 17 : Exportations d’agrumes et de tomates (en milliers de tonnes)

En troisième position derrière les agrumes et la tomate en frais, les conserves d’olive représentent entre 5
à 6 % de la valeur totale des exportations agricole. Comme le montre le graphique 18, les exportations des
conserves d’olives ont montré une croissance rapide durant les dernières années. En effet, ces exportations
sont passées de 23.000 tonnes en 1984 à plus de 50.000 tonnes en 1991, puis à plus de 80.000 tonnes en
1999.

Graphique 18 : Évolution des exportations de conserves d’olives (en tonnes)

218
1.3.2. Les importations
L’évolution des importations agricoles a été déterminée aussi bien par les performances de la production
intérieure que par l’accroissement de la demande nationale. Tout en montrant une tendance nette à la
hausse, les fluctuations constatées des importations sont liées aux résultats des campagnes agricoles
comme le montre le cas des céréales (graphique 19).

Graphique 19 : Importations de céréales (en milliers de tonne)

Par ailleurs, la composition des importations agricoles (Tableau 2) montre la position dominante occupée
par les céréales en général et le blé (blé tendre) en particulier. Il est à constater, en dépit des efforts consen-
tis, que le Maroc dépend de plus en plus des importations à des fins d’alimentation humaine (blé, sucre, laits
et dérivés, etc.) et animale (mais, orge, etc.), et même à des fins de production à la fois végétale et animale.
Le cas des semences des pommes de terre, qui avec des quantités faibles, relativement aux importations de
blé, constituent pourtant 8 % de la valeur des importations agricoles, est très révélateur. De même que la
croissance des importations des aliments de bétail, notamment l’orge et le maïs qui ont atteint en moyenne
18 millions de quintaux en 2002-02, soit plus que ses importations annuelles en céréales jusqu’en fin des
années 1970 (voir graphique 19), révèle que même pour sa production animale, le Maroc est devenu forte-
ment dépendant des importations.

219
Tableau 2 : Les importations agricoles

Quantités en milliers de tonnes En % de la valeur des importations agricoles

1998 1999 2000 2001 2002 1998 1999 2000 2001 2002
Blé 2581 2815 3441 3376 3318 21.8 22.3 27.4 29.2 26.7
Orge 734 762 867 807 631 3.5 4.2 5.6 5.3 3.6
Mais 749 719 902 973 1076 5.3 5.1 5.7 6.2 6.8
Sucre 562 467 559 512 574 8.7 7.7 7.3 7.2 7.3
Lait et dérivés laitiers 35 30 39 54 63 3.8 2.9 3.4 4.6 4.5
Graines et fruits oléagineux 282 310 322 254 353 0.8 0.9 0.7 0.7 0.9
Huiles végétales brutes 245 289 323 368 356 4.5 4.5 4.4 3.0 4.1
Pommes de terre de semence 39 35 49 51 43 8.8 8.0 6.7 7.0 8.1
Total 57.1 55.7 61.1 63.2 62.0

2. Comparaison internationale

2.1 Contribution de l’agriculture à l’économie nationale


et au revenu par habitant

Comme le montre le graphique 19, l’agriculture marocaine continue d’occuper une place prépondérante
dans l’économie bien qu’elle ne contribue que faiblement au revenu moyen par tête d’habitant. Dans l’échan-
tillon retenu par l’étude, le Maroc se trouve en dernière position juste avant l’Égypte et largement derrière la
Tunisie et la Turquie en terme de contribution au revenu moyen eu égard la part du secteur dans l’économie.
Le groupe des pays en tête de ce classement de l’échantillon est constitué exclusivement des pays dévelop-
pés (pays européens et Corée du sud). Dans ces derniers, l’agriculture occupe de 50 à 70 % dans l’économie
et génère un revenu moyen par habitant 3 à 6 fois plus important. En dehors de l’Égypte, tous les autres pays
où l’agriculture produit un revenu par habitant plus faible ou équivalent au Maroc (Afrique du sud, Jordanie,
Mexique et Pologne) ont développé les autres de secteurs de leurs économies pour réduire la part de l’agri-
culture dans l’économie à moins de 6 % et limiter l’incidence de la faible contribution de l’agriculture sur le
revenu moyen global par habitant.

220
Graphique 19 : Valeur ajoutée de l’agriculutre, pêche et forêt par habitant
et part dans le PIB (moyenne 1991-00, $US prix 1995)

La position qu’occupe le Maroc par rapport au reste des pays de l’échantillon s’explique d’une part par la
faible dotation du pays en ressources naturelles, et donc d’un potentiel agricole limité, et d’autre part par le
faible développement des autres secteurs de l’économie, et leur incapacité à générer suffisamment
d’emplois pour absorber une population rurale sans cesse croissante. En effet, et comme le montre le gra-
phique 20, le Maroc présente l’une des proportions les plus élevées de la population économiquement active
dans l’agriculture : celle-ci est de l’ordre de 35 % en 2002. Seules l’Égypte et la Turquie présentent des pro-
portions plus élevées. La Tunisie, qui présentait les mêmes proportions que le Maroc en 1961 a réussi à
réduire cette proportion à moins de 25 % en 2002. Le cas le plus spectaculaire est constitué par la Corée du
sud qui est passé d’une proportion de 60,1 % en 1961 à moins de 9 % en 2002, témoignant d’un dynamisme
élevé des autres secteurs de son économie.

Graphique 20 : Part de la population économiquement active dans l’agriculture dans la population


économiquement active totale

221
Cette situation du Maroc ne semble pas avoir tendance à s’améliorer car au-delà de la part de la population
agricole dans la population économiquement active, les effectifs de cette population sont en croissance. En
effet, comme montré par le graphique 21, le Maroc reste parmi les cinq pays de l’échantillon présentant un
taux de croissance de la population économiquement active dans l’agriculture positif.

Graphique 21 : Taux de croissance annuel moyen de la population économiquement


active dans l’agriculture

2.2. Contribution de l’agriculture au commerce extérieur


– Taux de couverture de la balance commerciale agricole
L’étude de l’évolution entre 1961 et 2000 du commerce extérieur agricole des 15 pays retenus par l’étude
montre des situations très contrastées. Comme montré par le graphique 22, on peut distinguer cinq groupes
de pays avec des situations distinctes.
Le premier groupe est constitué par l’Irlande qui a pu renforcer sa position de pays à balance commerciale
agricole positive avec un taux de couverture dépassant les 200 %.
Le deuxième groupe est constitué par le Chili et l’Espagne. Ces deux pays ont une évolution positive de
leur balance commerciale agricole et sont passés de pays déficitaires à pays excédentaires. La plus grande
performance a été marqué par le chili qui est passé d’un déficit de la balance commerciale de près de 80 %
pendant les années 1960 à un taux de couverture dépassant les 200 % pendant les années 1990. En 2002 ce
taux a même atteint 312 %.
Le troisième groupe est constitué de 5 pays, l’Égypte, la Grèce, le Maroc, le Mexique et la Tunisie. Ces
cinq pays se démarquent par la régression de leurs balances commerciales agricoles et, surtout, par leur pas-
sage de pays excédentaires à pays déficitaires. Le cas le plus frappant est celui du Mexique qui est passé
d’un taux de couverture avoisinant les 500 % pendant les années 1960, à moins de 75 % pendant les années
1980 et 1990. Dans le cas du Maroc, ce taux est passé d’une moyenne de plus de 130 % pendant les années
1960 à près de 50 % en moyenne pendant les années 1990. Beaucoup plus inquiétant encore pour le Maroc,

222
est que ce taux semble avoir continué sa tendance à la baisse pendant les dernières années puisqu’il a
atteint pendant la période 2000-2002 près de 42 %.
Le quatrième groupe est constitué l’Afrique du sud, la Malaisie et la Turquie. Ces trois pays tout en enre-
gistrant un taux de couverture de la balance commerciale agricole positif ont vu leur situation se dégrader
pendant les deux dernières décennies : 1980-1990 et 1990-2000.
Le cinquième groupe de pays est constitué de quatre pays : la Corée du Sud, la Jordanie, la Pologne et le
Portugal. Ces quatre pays se caractérisent par une balance commerciale agricole déficitaire pendant toute la
période 1961-2002. Cependant, bien que présentant des taux de couverture bas, ces pays ont tous eu une
tendance à améliorer leur taux de couverture. En effet, ils ont tous enregistré un taux de croissance annuel
moyen positif pendant la décennie 1993-2002 : 2,3 % pour la Corée du sud, 7,56 pour la Jordanie, 2,1 pour la
Pologne et 2,6 pour le Portugal.

Graphique 22 : Taux de couverture moyen des importations agricoles


par les exportations agricoles ($US)

– Évolution des importations et des exportations agricoles


Une analyse de l’évolution des importations et des exportations agricoles entre 1961 et 2002 montre que
seulement cinq des quinze pays de l’échantillon ont enregistré des taux de croissance annuels moyens des
exportations supérieurs à ceux des importations, comme le montre le graphique 23. Tous les autres pays ont
enregistré une croissance des exportations inférieure à celle des importations. Les situations les plus alar-
mantes sont celles du Maroc et de l’Égypte où les exportations ont enregistré des régressions nettes en
termes constants au moment où la croissance moyenne des importations se situait à plus de 5 %. Ensuite
vient la Tunisie et l’Afrique du sud avec des taux de croissance des exportations presque nuls. L’Irlande, le
Mexique, le Portugal et la Turquie, bien qu’ils aient enregistré des croissances des exportations significa-
tives, celles-ci ont dépassé les importations qui ont été respectivement de 1.5, 4.6, 1.81 et 1.87 fois plus
importantes. La Corée présente une situation particulière puisque avec un taux annuel moyen de 7.75 %, elle
a enregistré le deuxième taux de croissance des exportations le plus élevé après le Chili. Cependant, la crois-
sance des exportations a été plus élevé puisqu’il a atteint 9.04 %. L’Espagne a pu réaliser un taux de crois-
sance des exportations équivalent à celui des importations, ce qui lui a permis de réaliser pendant les deux
dernières décennies une balance commerciale agricole excédentaire.

223
Graphique 23 : Taux de croissance annuels moyens des importations et des exportations agricoles
entre 1961 et 2004 (prix constant)

2.3. Croissance agricole et productivité globale des facteurs de


production

En terme de production agricole nette 1, le Maroc a réalisé entre 1961 et 2002 un taux de croissance
annuel moyen de 2,9 %, ce qui est relativement élevée en comparaison avec les autres pays de l’échantillon.
En effet, et comme le montre le graphique 24, ce taux place le Maroc en troisième position au même niveau
que l’Égypte et derrière seulement deux pays : La Malaisie, qui se trouve en tête de l’échantillon avec un
taux de 4,46 %, et la Corée du sud, qui occupe la deuxième position avec un taux de 3,06 %. Dans la même
catégorie que le Maroc et l’Égypte, les pays qui ont enregistré un taux de croissance annuel moyen se
situant entre 2,5 et 3,0 %, on trouve le Chili et la Tunisie avec 2,8 % et le Mexique et la Jordanie avec 2,7 %.
Les pays ayant réalisé des taux entre 2,0 et 2,5 sont la Turquie avec 2,4 %, l’Espagne avec 2,2 % et l’Irlande
avec 2,0 %. L’Afrique du sud et la Grèce ont réalisé des taux de 1,8 et 1,6 %, respectivement. Les plus
faibles performances ont été réalisées par le Portugal, avec un taux de 0,5 %, et la Pologne, avec 0,4 %.
Ces performances relatives ne décrivent que partiellement l’évolution du secteur agricole puisqu’elles ne
reflètent pas les coûts pour la société en terme de ressources mobilisées. Pour mieux évaluer ces perfor-
mances il est nécessaire de les confronter à la productivité des facteurs mobilisés par le secteur agricole.
En effet, et comme le montre le graphique 24, ci-dessous, le calcul de l’évolution de la productivité globale
des facteurs entre 1961 et 2002 révèle l’existence en fait de deux groupes de pays. Le premier groupe
constitué par la Corée du sud, la Turquie, le Maroc, l’Égypte et le Mexique. Dans ce groupe, la croissance de
la production s’est faite surtout par une expansion de l’activité agricole, et une plus grande mobilisation de
ressources par le secteur. Dans ce cas, on peut parler d’une extensification 2de l’agriculture puisque la

1. Production agricole moins les intrants d’origine agricole utilisés dans l’agriculture
2. Cette extensification signifie soit la mobilisation de terres marginales et très peu productives, soit une plus grande mobilisation de travail
peu qualifié et très peu productif, soit une augmentation du capital investi avec un faible rendement, ou n’importe quelle combinaison de ces fac-
teurs. Dans tous les cas le résultat est une réduction de la productivité globale des facteurs mobilisés dans le secteur.

224
mobilisation de nouvelles ressources n’a pas été accompagnée par un gain de productivité ce qui a entraîné
une croissance négative de la productivité globale des facteurs (PGF) 1dans le secteur.

Graphique 24 : Taux de croissance moyens de la production agricole nette et de la productivité


globale des facteurs réalisés entre 1961 et 2002 (prix constants 99-01, $US)

Dans le deuxième groupe, on peut parler d’une intensification soit par une amélioration seule de la produc-
tivité des facteurs mobilisés dans le secteur, soit par une amélioration de la productivité accompagnée, en
parallèle, d’une expansion de la production. Le résultat dans les deux cas consiste en un taux de croissance
de la productivité globale des facteurs positif réalisé entre 1961 et 2002. Comme le montre le graphique 24,
en tête de ces pays, on trouve l’Espagne avec une croissance du taux de PGF supérieur à 3 %, suivie de
l’Irlande et la Grèce avec des taux se situant entre 2 et 3 %. En troisième position, on trouve la Pologne, le
Chili et l’Afrique du sud avec des taux se situant entre 1 et 2 %. En Quatrième position on trouve la Malaisie,
le Portugal et la Jordanie avec des taux entre inférieur à 1 mais significativement supérieur à zéro. La Tunisie
occupe la dernière position de ce groupe avec un taux de croissance de la PGF presque nul, tout en étant
positif.
Une analyse beaucoup plus détaillée par décennie, révèle que seuls les trois pays de tête, Espagne, Grèce
et Irlande, ont enregistré des taux de croissance de la PGF positifs pendant les quatre décennies 1962-72,
1972-82, 1982-92 et 1992-02, comme le montre le graphique 25.

1. Voir note en annexe pour une explication de la méthode utilisée.

225
Graphique 25 : Taux de croissance moyen de la PGF par décennie entre 1962 et 2002

Le Maroc n’a réalisé une progression positive due la PGF que pendant les deux dernières décennies
1982-92 et 1992-02, ce qui en conformité avec les résultats trouvés dans la première partie. La progression
de la PGF durant la décennie 1982-92 et son tassement pendant la décennie suivante, tout en restant positif,
conforte la thèse selon laquelle l’agriculture marocaine a connu un vrai changement technologique pendant la
période 1985-91 et que le bond en avant de la production agricole durant cette période ne peut s’expliquer
par l’extension des superficies du blé tendre seule. En effet, l’avantage de la méthode de la PGF est qu’elle
ne capture que la productivité par unité de ressources mobilisées dans le secteur, ce qui élimine l’effet dû à
l’extension de l’utilisation des facteurs en soi, et en particulier celui de l’expansion de la superficie globale.
La décomposition de la croissance de la PGF par décennie en gains d’efficience technique et de gains dus
au changement technique (graphiques 26 et 27) montre que pour les pays de tête (Espagne, Irlande, Grèce)
les gains en efficience dans l’utilisation des facteurs ont été pratiquement nuls. Les gains importants de pro-
ductivité des facteurs réalisés par ces pays dans l’agriculture ont été obtenus grâce à des améliorations tech-
niques croissantes. En effet, ces quatre pays ont été les seuls de l’échantillon à avoir réalisé des gains
technologiques positifs significatifs sur les quatre décennies étudiées tout en ne régressant pas sur le plan
d’efficience technique dans l’utilisation des ressources engagées dans l’agriculture. Dans le cas de la Grèce,
ce résultat a été obtenu au prix d’une amélioration significative de l’efficience technique durant la première
décennie de la période étudiée.
En seconde position, on trouve le Chili et le Portugal qui sont les seuls pays du reste de l’échantillon à avoir
réalisé des gains technologiques importants durant les trois dernières décennies de la période étudiée. Parmi
ce deux pays, seul dans le Chili a traduit ce gain technique en gain de productivité globale des facteurs durant
le trois décennie en question et ce grâce à une amélioration de son efficience technique durant la décennie
1972-82 et en maintenant cette efficience à un niveau adéquat durant les deux décennies suivante. Dans le
cas du Portugal, l’amélioration technologique réalisée pendant la décennie 1972-82 a été largement annulée
par une perte d’efficience technique. Ce n’est qu’en faisant des efforts considérables sur le plan de l’effi-
cience technique qu’il a pu traduire ce gain technologique en une amélioration de la productivité globale des
facteurs pendant les décennies 1982-92 et 1992-02.

226
Graphique 26 : Taux de croissance moyen de gain d’efficience technique par décennie entre 1962 et 2002

Graphique 27 : Taux de croissance moyen de grain technique par décennie entre 1962 et 2002

227
L’Afrique du sud présente un cas singulier dans le sens où l’essentiel de l’amélioration de la productivité
globale des facteurs engagés dans l’agriculture a été réalisé surtout grâce à une amélioration soutenue de
l’efficience technique durant les trois dernières décennies de la période étudiée, en plus d’une amélioration
technique significative durant les deux décennies 1982-92 et 1992-02.
À l’autre extrême des pays de l’échantillon, on trouve la Corée du sud et la Turquie. Ces deux pays pré-
sentent deux cas à méditer car ils ont tout deux mobilisé des ressources en capital considérables dans l’agri-
culture. Dans le cas de la Corée du sud, on constate que l’efficience technique a été maintenue à un niveau
adéquat pendant les quatre décennies étudiés. Cependant, les efforts en ressources-capital ne se sont pas
traduits par un gain technologique immédiats en amélioration technologique et il a fallu attendre la quatrième
décennie de la période étudiée pour que l’agriculture dans ce pays enregistre une amélioration technologique
significative. Les efforts entrepris pendant les trois premières décennies n’ont servi qu’à une substitution
simple du travail par le capital et la compensation à la baisse considérable de la population active employée
dans le secteur (celle-ci a baissé 58,5 % entre 1961 et 2002).
Dans le cas de la Turquie, les efforts entrepris pendant les deux premières décennies de la période obser-
vée ont été annulés par un recul sur le plan technologique et de l’efficience technique dans l’utilisation des
ressources mobilisées. Ce n’est que pendant les deux dernières décennies que la Turquie a commencé à
enregistrer une amélioration de la productivité total des facteurs dans le secteur.
L’Égypte, la Jordanie, la Malaisie et la Pologne, ont tous pu maintenir un niveau d’efficience technique adé-
quat durant toute la période observée. Cependant, l’alternance de périodes d’amélioration et le recul sur le
plan technologique ont conduit à des résultats différents en terme de productivité globale des facteurs en fin
de période étudiée. En effet, l’Égypte a enregistré un recul significatif en terme de productivité global des
facteurs en fin de période étudiée (1961-2002), alors que la Jordanie, la Malaisie et la Pologne ont enregistré
des gains positifs. En tête de ces trois derniers se trouve la Pologne avec une amélioration significative de
près de 1.5 %.
Le Maroc, le Mexique et la Tunisie ont tous les trois connu une alternance de décennies d’améliorations et
de recul sur les plans d’efficience technique et de changement technologique. La résultante de ces alter-
nances en fin de période étudiée (1961-2002) est une amélioration positive, bien que modeste de la producti-
vité globale des facteurs dans le cas de la Tunisie, un léger recul dans le cas du Mexique et un recul très
significatif dans le cas du Maroc.
Concernant le Maroc en particulier, on constate que les efforts considérables en terme d’efficience tech-
nique de la décennie 1962-72 ont été largement dépassés par le recul en terme de gain technologique. Ce
qui a conduit pendant cette décennie à une nette régression de point de vue de la productivité globale des
facteurs. Cette régression a été renforcée pendant la décennie 1972-82 par une perte d’efficience technique
et un recul de point de vue changement technologique.
Ce n’est que pendant les décennies 1982-92 et 1992-02 que le Maroc a renoué avec une amélioration
nette sur le plan productivité globale des facteurs et ceci en opérant un changement technique positif et sou-
tenu pendant ces deux décennies. Ce gain technologique a été appuyé par une amélioration significative de
l’efficience technique durant la décennie 1992-92. Cependant, il a été largement contrarié par un recul de
l’efficience technique d’utilisation des facteurs engagés dans la production agricole durant la décennie
1992-02, ce qui a conduit à une stagnation du secteur sur cette période.

2.4. Productivités partielles des facteurs et degrés d’intensification

Comparé aux autres 14 pays de l’échantillon de pays choisis par l’étude, le Maroc a enregistré durant la pé-
riode 1993-02 l’une des plus faible productivité par hectare cultivé et par actif employé dans l’agriculture,
comme le montre le graphique 26.

228
En terme de productivité de la terre, le Maroc se place en avant dernière position, juste avant la Tunisie. En
comparaison aux pays qui occupent les premières positions, la productivité par hectare cultivé au Maroc ne
représente que 11,3 % de celle réalisée par la Corée du sud, 11.8 % de celle de l’Égypte et 12.6 % de celle
de l’Irlande. Par rapport aux pays de l’échantillon à productivité moyenne, la productivité à l’hectare au Maroc
ne représente que 22,9 % de celle du Chili et 25,5 % de celle de la Grèce.
Si, au Maroc, la faible productivité à l’hectare peut dans une certaine mesure s’expliquer par les conditions
climatiques relativement défavorables et une mise en culture extensive de terres marginales, ce qui étonne
le plus est sa faible productivité par actif dans l’agriculture. En effet le Maroc a enregistré durant la décennie
1993-02 la dernière position en terme de production nette par actif dans l’agriculture, soit seulement 68 % de
la valeur réalisée par l’Égypte, 62 % de celle réalisée par la Turquie et moins de 50 % de celle réalisée par la
Tunisie et par le Mexique. Comparée aux pays de tête de l’échantillon, la production agricole nette par actif
dans le secteur agricole au Maroc ne représente qu’une faible proportion puisqu’elle n’est que de 12,6 % de
celle enregistrée par la Grèce, 7,2 % par rapport à celle de l’Espagne et seulement 4,6 % de celle réalisée par
l’Irlande.

Graphique 28 : Indices de productivités moyennes par unité de SAU et par actif employé dans
l’agriculture entre 1993 et 2002.
(Productions à prix constants 1999-01, $US)

Cette faible productivité par actif employé dans l’agriculture traduit bien le bas niveau de vie moyen qui
caractérise le Maroc en comparaison aux autres pays de l’échantillon. Les efforts entrepris depuis l’indépen-
dance du pays, bien qu’ils aient abouti à une croissance moyenne relativement significative, comparée au
reste des pays de l’échantillon, n’ont pas permis de rattraper les écarts de productivités à l’hectare et par
actif dans le secteur, compte tenu du bas niveau initial. Comme le montre le graphique 27, les taux de crois-
sance de ces productivités ont été en moyenne de 2 %. Ceci traduit surtout l’effort entrepris dans le
domaine de l’irrigation et l’équipement des terres, malheureusement non accompagné d’un effort similaire
en matière de productivité du travail. Le taux de croissance de 2 % de la productivité par actif dans le secteur
a été insuffisant pour améliorer la productivité par actif dans le secteur en comparaison aux niveaux de pro-
ductivité enregistrés par les autres pays de l’échantillon.

229
Graphique 29 : Taux de croissance annuels moyens de la productivité de la terre
et du travail entre 1961 et 2002
(valeurs de la production à prix constants 1999-01, $US)

Pour mieux comprendre les productivités de la terre et du travail (graphique 26), il est nécessaire d’inclure les
données sur le degré d’intensification en mécanisation et en intrants. En effet, et comme le montre le graphique
28, ci-dessous, Les pays qui ont pu atteindre des productivités élevées par actif employé ou par hectare de SAU
ont tous intensifié leurs agricultures par une utilisation élevée de machine et/ou de fertilisants.

Graphique 30 : Indices de productivités moyenne par unité de fertilisants


et par tracteur entre 1993 et 2002.
(Productions à prix constants 1999-01, $US)

230
En tête de ces pays on trouve l’Irlande avec une mécanisation qui dépasse 16 tracteurs par 100 hectares et
600 unités fertilisantes par hectare. Cette intensification très poussée a permis à ce pays de réaliser les pro-
ductivités les plus élevées à la fois par unité de SAU et par actif employé dans l’agriculture et de compenser
la baisse continuelle de la population active employée dans l’agriculture (-2,23 % par an en moyenne entre
1961 et 2002).
En deuxième position on trouve la Corée. L’intensification de l’agriculture de ce pays lui a permis de réali-
ser la productivité à l’unité de SAU la plus élevée des pays de l’échantillon. Cependant, et compte tenu du
bas niveau de départ, ce pays a continué à avoir une faible productivité par actif employé dans l’agriculture
bien que celle-ci a augmenté au taux annuel moyen élevé de 5,4 % et que sa population active employée
dans l’agriculture a connu une régression au taux annuel moyen de 2,3 % pendant la période 1961-2002.
Tous les autres pays européens de l’échantillon ont suivi la même tendance de substitution du travail par le
capital, en particulier par la mécanisation. En effet dans tous ces pays, le nombre de tracteurs par 100 hec-
tares a dépassé les 4,5 % et la population active employée dans l’agriculture a connue une baisse importante
entre 1961 et 2002 : 39,8 % de réduction pour la Pologne, 56,6 % la Grèce, 58,6 % pour le Portugal et plus
de 74 % pour l’Espagne. Dans le cas de l’Espagne, cette substitution du travail par la mécanisation s’est tra-
duite par une augmentation impressionnante de la productivité du travail qui n’a été dépassée dans le groupe
des pays de l’échantillon que par l’Irlande (voir graphique 26).
Après la Corée du sud et les pays européens, on trouve le groupe à niveau de mécanisation moyen variant
entre un et trois tracteurs à l’hectare. Ce groupe est constitué du Chili, de l’Égypte, la Jordanie, le Mexique et
la Turquie. Cette substitution mécanisation/travail n’a conduit qu’à des niveaux de productivité par actif
employé dans l’agriculture moyens à faibles, en tout cas inférieurs à 20 % de la productivité de l’Irlande, pays
de tête de l’échantillon.
Dans le cas de la Turquie, bien que la croissance de la productivité du travail ait augmenté de près de
2,3 % par en moyenne sur la période 1961-2002, celle-ci est restée faible comme le montre le graphique 26.
Dans le cas du Chili, cette intensification n’a pas permis une substitution au travail, lequel a eu plutôt ten-
dance à augmenter. La population active dans l’agriculture au Chili a augmenté de 27,3 % entre 1961 et
2002. Cependant, cette intensification a permis au Chili d’atteindre le taux de croissance de la productivité du
travail le plus élevé de tous les pays de l’échantillon. Le cas de l’Égypte reste singulier, compte tenu du fait
que son agriculture est en quasi-totalité conduite en irrigué. Dans ce cas, l’intensification de la mécanisation,
ne s’est pas traduite par une substitution au travail puisque la population employée dans l’agriculture a eu
plutôt tendance à augmenter (comme dans le cas du Chili) et la productivité du travail est restée à un niveau
trop bas (avant dernier niveau dans l’échantillon). Par contre, cette intensification de la mécanisation, combi-
née à une intensification poussée de la fertilisation (deuxième haut niveau de l’échantillon), ont permis
d’atteindre le deuxième haut niveau de productivité de la terre après la Corée du sud comme le montre le
graphique 26.
Le troisième groupe de l’échantillon est constitué par les pays à très faible mécanisation, moins de 0,7
tracteurs par 100 hectares et se caractérise par des bas niveaux de productivité de la terre et du travail. Le
Maroc et la Tunisie se partagent les dernières positions de ce groupe : le premier en terme de mécanisation
et le deuxième en terme de fertilisation. Ces deux derniers pays occupent aussi les dernières positions de
l’échantillon en termes de productivités. Le Maroc a la plus faible productivité du travail et la deuxième plus
faible productivité de la terre, et la Tunisie occupe la dernière position en terme de productivité de la terre et
la troisième plus faible productivité du travail.

231
Conclusion

L’évolution des performances entre 1961 et 2002 montre que le secteur agricole a connu une croissance
relativement faible en comparaison avec le reste de l’économie. Cette faible performance est d’autant plus
inquiétante que ce secteur continue à occuper une place prépondérante en termes de revenus et d’emploi.
L’analyse de l’évolution de ces performances permet de distinguer globalement trois phases d’évolution :
une longue phase de croissance modérée jusqu’en 1985, suivie par une phase de bond de croissance qui a
concerné la majorité des spéculations agricoles, suivie de décélération de la croissance après 1991. Plusieurs
facteurs peuvent être à l’origine de cette décélération, notamment des conditions climatiques très défavo-
rables et les grandes fluctuations des productions céréalières. Ces dernières, étendues à des zones margi-
nales, sont devenues beaucoup plus sensibles aux variations climatiques.
En dehors des céréales, légumineuses et cultures oléagineuses, l’essentiel des autres spéculations agri-
coles ont continué à connaître une croissance de production même après 1991, et à soutenir une croissance
urbaine relativement élevée. À la tête de ces spéculations, on trouve les productions horticoles et animales,
en particulier celles de l’aviculture.
L’évolution de la balance commerciale agricole montre que depuis 1973, date où la balance commerciale
agricole est devenue négative, l’écart entre les importations et les exportations en termes de quantités ne
cesse de se creuser. Le taux de couverture n’est resté stable, autour de 50 %, que grâce à des termes de
l’échange en faveur des exportations agricoles marocaines.
La stagnation des exportations trouve ses explications dans les difficultés que rencontre le Maroc sur les
marchés extérieurs, notamment le protectionnisme européen, et dans la croissance de la demande interne.
Du côté des importations, la dépendance croissante du Maroc du marché extérieur pour son approvisionne-
ment en produits de base de consommation humaine n’est plus à démontrer. Ce que l’évolution récente
montre c’est la généralisation de cette dépendance à l’alimentation du cheptel et aux semences autres celles
des blés et de l’orge. Le Maroc qui a toujours été considéré un pays d’élevage est devenu fortement dépen-
dant des importations pour assurer une partie de sa consommation en produits d’origine animale.
En comparaison aux autres pays de l’échantillon retenu par le Projet DRH50, la part de l’agriculture dans
l’économie nationale au Maroc reste parmi les plus élevée bien que le revenu par habitant qu’elle génère est
parmi les plus bas. À côté de la part dans l’économie nationale, le Maroc présente l’une des proportions les
plus élevées de la population économiquement active dans l’agriculture (de l’ordre de 35 % en 2002). Seules
l’Égypte et la Turquie présentent des proportions aussi élevées. La Tunisie, qui présentait les mêmes propor-
tions que le Maroc en 1961 a réussi à réduire cette proportion à moins de 25 % en 2002. Le cas le plus spec-
taculaire est constitué par la Corée du sud qui est passé d’une proportion de 60,1 % en 1961 à moins de 9 %
en 2002, témoignant d’un dynamisme élevé des autres secteurs de son économie.
De point de vue balance commerciale agricole, le Maroc se trouve parmi les cinq pays de l’échantillon (à
côté de l’Égypte, la Grèce, le Mexique et la Tunisie) qui se démarquent par la régression de leurs balances
commerciales agricoles et, surtout, par leur passage de pays excédentaires à pays déficitaires. Dans le cas
du Maroc, ce taux est passé d’une moyenne de plus de 130 % pendant les années 1960 à près de 50 % en
moyenne pendant les années 1990. Beaucoup plus inquiétant encore pour le Maroc, est que ce taux semble
avoir continué sa tendance à la baisse pendant les dernières années puisqu’il a atteint pendant la période
2000-2002 près de 42 %.
En terme de la production agricole nette, le Maroc a réalisé sur la période 1961-2002 l’un des taux de crois-
sance les plus élevés de l’échantillon, avoisinant les 3 %. Cependant, jugé par la productivité globale des fac-
teurs de production mobilisés par unité produite dans le secteur, le Maroc a connu une régression sur
l’ensemble de la même période, puisque le taux de croissance de cette productivité a été négatif (-1.9 %). La
croissance observée est obtenue au prix d’une importante mobilisation de ressources humaines et maté-
rielle, dont la productivité reste trop faible par comparaison aux autres pays de l’échantillon.

232
L’analyse de l’évolution du taux de croissance de la productivité globale des facteurs montre que celui-ci
n’a été négatif que pendant les deux premières décennies (1962-72 et 1972-82) alors qu’il a été positif pen-
dant les deux dernières (1982-92 et 1992-02). La décomposition de la productivité globale des facteurs en
efficience technique et en changement technique montre que durant les deux dernières décennies l’agri-
culture marocaine a réalisé une amélioration technique significative, ce qui n’a pas été le cas des deux pre-
mières où on a assisté à une régression technique. De point de vue efficience technique, il y a eu une
alternance d’évolutions positives et négatives. Le faible investissement en capital humain et la persistance
d’un environnement institutionnel peu favorable n’ont pas permis de tirer profit des changements techniques
observés.
En terme de productivité à l’hectare entre 1993 et 2002, le Maroc a réalisé l’avant dernière position de
l’échantillon. En terme de productivité par actif employé dans l’agriculture, il a enregistré la dernière position,
soit seulement 68 % de la valeur réalisée par l’Égypte, 62 % de celle réalisée par la Turquie et moins de
50 % de celle réalisée par la Tunisie et par le Mexique. Comparée aux pays de tête de l’échantillon, la produc-
tion agricole nette par actif dans le secteur agricole au Maroc ne représente qu’une faible proportion
puisqu’elle n’est que de 12,6 % de celle enregistrée par la Grèce, 7,2 % par rapport à celle de l’Espagne et
seulement 4,6 % de celle réalisée par l’Irlande.
Par comparaison au reste de l’échantillon l’agriculture au Maroc reste globalement caractérisée par une uti-
lisation intensive de main d’œuvre peu qualifiée et du facteur terre, très peu mécanisée et utilisant très peu
d’intrants modernes, d’où une faible productivité à l’hectare et par actif employé. Les pays qui ont pu réaliser
des revenus élevés par actif employé se caractérisent tous par d’importants investissements dans la forma-
tion et la recherche et ont tous opéré une vraie substitution travail-capital et une intensification dans l’utilisa-
tion des intrants modernes.

233
Introduction

Depuis l’indépendance, l’État marocain a mené une politique ambivalente, mi-libérale, mi-interventionniste,
se réclamant à la fois des principes de la concurrence, agissant par le biais de mesures modifiant le système
des prix relatifs, et de la planification, agissant par le biais de l’investissement direct public dans une perspec-
tive de long terme. L’État supplée, par le biais de l’investissement public, les carences de l’initiative privée et
recourt aux incitations par le marché dans le cadre d’une stratégie d’import-substitution. Cette politique, pre-
nant appui sur la demande intérieure et extérieure, vise à orienter l’offre de produits et de services nationaux
en vue de renforcer l’intégration sectorielle. Sans jamais démentir l’objectif de promouvoir les exportations,
la politique économique des années 70 a favorisé le développement d’activités visant la marocanisation de la
propriété des entreprises, par le secteur public ou par le secteur privé, et la substitution de produits locaux
aux importations.
Durant les décennies 1980 et 1990, cette ambivalence s’est maintenue, malgré l’affirmation du rôle
moteur de l’initiative privé et sa confirmation dans la Constitution en vigueur adoptée en 1996. Au début des
années 2000, elle tend à s’estomper avec l’accélération du démantèlement des barrières douanières suite à
l’entrée en application de l’accord de libre échange entre le Maroc et l’Union Européenne, suivis d’un
ensemble d’autres accords commerciaux et avec la reprise du processus de privatisation, touchant de gran-
des entreprises publiques, comme la Banque Marocaine du Commerce Extérieur, la Société Nationale
d’Investissement, le secteur des télécommunications et le secteur public agricole.

La période de l’ajustement structurel représente sur le plan doctrinal une incontestable rupture. Le choix
en faveur de la libération des forces du marché et de la privatisation s’appuie sur un triple constat :
– la nécessité de promouvoir les exportations industrielles pénalisées par le système incitatif,
– la médiocrité des performances des entreprises du secteur public, lié au caractère plus lourd en procé-
dures et plus coûteux de l’intervention publique,
– l’existence de ressources et surtout d’un degré de concentration financière suffisants pour surmonter
les barrières à l’entrée liées à la taille minimale des unités dans certaines activités.

La politique de l’investissement public s’appuie sur le principe de faire appel à la prise de risque par le sec-
teur privé et de la limitation des investissements publics aux biens publics 1. La politique des incitations est
désormais conçue comme un encouragement du secteur privé chargé de découvrir par lui-même les cré-
neaux présentant un avantage comparatif. Le rôle de l’État devrait, dans cette optique, se limiter à ne pas
créer de « distorsions » dans la structure des incitations.
Or, les principaux déterminants des avantages comparatifs, pris en considération, sont l’abondance des
ressources humaines et naturelles spécifiques et la faiblesse du coût salarial. La vision interventionniste
consiste, en vue de susciter un effet d’apprentissage et des effets liés aux économies d’échelle et aux avan-

1. Un bien public est un bien, comme la défense nationale, qui ne coûte rien ou presque pour un utilisateur additionnel (principe de non crois-
sance du coût marginal), et dont le coût pour en interdire l’usage à certains individus est élevé (principe de non exclusion).

237
tages de proximité, associés en particulier à la progression de l’intégration sectorielle, à engager des inves-
tissements directs et à maintenir, par diverses mesures, un système des prix relatifs, en rupture avec les prix
relatifs du marché mondial pour les biens échangeables et avec les taux compatibles avec le plein usage des
ressources non échangeables, telles que la force de travail, les ressources financières et les ressources fon-
cières.
En pratique, à partir du milieu des années 90, la politique d’investissement de l’État a connu un substantiel
changement. Le principe de la privatisation a été appliqué. L’État s’est désengagé des activités productives
de biens privés et a soutenu la privatisation de la gestion des services publics de réseaux. Les changements
affectant le dispositif incitatif, en dépit de l’adoption de la loi sur la concurrence et les prix, et de la loi sur le
commerce extérieur, est resté marqué par des mesures générant des distorsions sur le système des prix
relation. Ces mesures sont motivées, soit, par des objectifs de promotion de l’offre (protection commerciale
de certaines activités), soit, par des objectifs de protection de la demande, plus précisément du pouvoir
d’achat. Ce derniers objectifs a concerné de nombreux biens et services : les biens alimentaires, le prix de
l’eau, de l’électricité et du gaz, les transports publics, le loyer du logement d’habitat, la santé, la tarification
fiscale.
Des changements majeurs ont affecté le contexte international et national déterminant la signification de
ces politiques.
Au niveau international, l’ouverture de la Communuauté Économique Européenne sur l’Espagne, le Portu-
gal et la GrèceLes services, notamment à la faveur des développements de la demande mondiale en matière
de tourismes et de la révolution des technologies de l’information et de la communication, constitue un sup-
port de croissance qui
Au niveau national, l’investissement dans l’éducation et en particulier la création des universités dans les
années 80, s’est traduite par une augmentation considérable de la population des diplômés, le mouvement
migratoire a été contraint et s’est révélé comme une solution insuffisante pour absorber l’excédent structurel
de population active qualifiée.
La première section est consacrée à la présentation du cadre théorique de l’analyse des évolutions à long
terme (1.1) et à poser les observations clés relatives à ces évolutions (1.2). Cette section met en relief les
mécanismes de formation des normes de productivité et de répartition des revenus et leur dominance sur
les mécanismes d’allocation intersectorielle des capitaux et des ressources humaines. La structure du mar-
ché du travail et des normes de répartition a été considérée comme la variable institutionnelle intangible
génératrice des avantages compétitifs du pays et conditionnant les termes de sa spécialisation inter-
nationale.
Nous verrons, ensuite, (section 2) que les options en faveur de la libéralisation sont dictées par des fac-
teurs structurels, et que le divorce, avec la logique dominante des années 60 et 70, reste partiel. Le proces-
sus dit de « libéralisation » recouvre en fait une politique de prudence et de progressivité (paragraphe 2.1). Ce
principe sera confirmé durant la période de l’ajustement structurel (1983-1993). Il ne sera pas démenti durant
la phase de la « mise à niveau » de 1994 à 2005. Enfin, un rapide examen des principales mesures relatives à
la protection, à la politique des prix et de la concurrence et à la politique de la propriété du capital montre
comment celles-ci sont articulées dans le cadre d’une vision d’ensemble et traduisent l’application assidue
d’un modèle implicite de développement industriel. Les choix de politique industrielle reflètent des choix
sociaux (paragraphe 2.2). La politique de mise à niveau ne dérogera pas à ces choix : elle s’inscrit par rapport
à la logique de fonctionnement du marché du travail et du système des prix relatifs qui a prévalu auparavant
(section 2.3). Le secteur des services représente une contribution potentielle importante, notamment dans le
tourisme et dans les exportations de télé services (section 2.4).
Le rapport conclut sur la relation entre le marché du travail, le taux de change réel et l’expression des
opportunités d’investissement (section 3).

238
I. Changement structurel : mécanismes et faits

Cette contribution se limite à proposer l’idée suivante : la promotion de la compétitivité constitue le meil-
leur objectif intermédiaire permettant de maximiser la croissance des emplois et d’atténuer la gravité du chô-
mage des jeunes et des diplômés.
Cette affirmation, apparemment triviale, s’appuie sur une autre idée clé : la croissance n’est génératrice
d’emploi que si elle est tirée par la compétitivité, c’est-à-dire des gains de parts de marché, mondial et/ou
national. La hausse de la productivité globale des facteurs génère un excédent de main d’œuvre dans les
secteurs d’apparition des gains de productivité. Sans transformation des gains de productivité en avantages
compétitifs, le changement de structures induit par le progrès ne serait pas accompagné d’un développe-
ment des activités, les anciennes et les nouvelles suffisant pour compenser les pertes d’emploi. Il serait,
insuffisant dans le contexte actuel, pour atténuer le chômage.
Ce constat accuse le rôle des incitations perçues par les entreprises et en particulier des politiques
publiques qui les conditionnent.

Compte tenu de la complexité du sujet, nous n’en traiterons que certains aspects. Nous nous limiterons à
souligner que les initiatives prises par l’État ou par les entreprises s’inscrivent dans un environnement écono-
mique marqué par l’héritage structurel du pays :
– l’état des ressources humaines et naturelles, et le système d’éducation et de mobilisation des connais-
sances et techniques,
– le mode de fonctionnement des institutions économiques du pays, notamment celles relatives à la
nature et au mode de gestion des unités de production, aux relations de travail, au mode de mobilisation
et de valorisation du capital, au marché foncier, aux formes des transactions sur les différents marchés
– et en particulier les conditions de circulation des marchandises, des capitaux et de la force de travail
entre le pays et le reste du monde.

L’efficacité des mesures de politique économique, telles que la politique de protection, la politique de la
concurrence et du marché du travail, la politique fiscale et budgétaire et la politique du taux de change,
dépendra de la sensibilité du comportement des agents économiques aux incitations résultant de ces
mesures.
La plupart des réformes économiques engagées par l’État marocain visent à raffermir cette réactivité et à
rendre plus fluide le processus de l’investissement et des retraits : assurer l’efficacité des mécanismes
d’allocation des ressources économiques.
La première section présente un cadrage théorique de la relation entre croissance, productivité et compéti-
tivité (1). La seconde propose un aperçu du changement structurel qui a marqué l’économie marocaine
durant les dernières décennies (2).

1. Cadrage conceptuel de la relation entre croissance et emploi

Cette partie propose un cadre conceptuel. Elle présente des définitions et précise la relation entre la crois-
sance et la génération d’emploi. L’accent est mis sur le changement des structures économiques et le méca-
nisme d’allocation des ressources économiques entre les secteurs, le rôle de la compétitivité et les effets

239
des choix sociaux, et sur la contribution des secteurs des biens échangeables et des biens non échangeables
à la compétitivité.

1.1. Croissance et valeur

La croissance économique est mesurée par la variation du pouvoir d’achat mesuré à prix constant du
revenu généré par les activités économiques déployés sur un territoire donné. Ce revenu prend la forme de
produits marchands mesurés par la somme des valeurs ajoutées associées aux biens et services vendus sur
le marché intérieur et extérieur, et de produits non marchands constitués par l’autofourniture de biens et ser-
vices privés et publics des agents économiques à eux-mêmes, ainsi que du produits de la taxation des biens
importés, correspondant par convention, à la valeur qui leur est ajoutée du fait de leur admission sur le terri-
toire national.
La croissance dépend donc, principalement, du processus de réalisation de la valeur des biens et services
produits sur le territoire national. Le contenu de cette valeur est analysé, en référence, d’une part au coût des
facteurs de production, c’est-à-dire au niveau de la dépense nécessaire pour leur reproduction, d’autre part, à
la productivité de ces facteurs de production, c’est-à-dire leur capacité de générer une valeur supérieure à
leur coût de production.
Ainsi, présente-t-on de manière simplifiée la croissance économique comme la somme des contributions à
la croissance du volume de capital, du volume de l’emploi et de la productivité globale de ces deux facteurs.
Elle cumule un effet de croissance extensive, l’élargissement de la base productive, c’est-à-dire du volume
de capital et d’emploi mobilisés durant une période, et un effet de croissance intensive, les gains de producti-
vité liés à une utilisation plus efficiente de la base productive.
La croissance économique prend donc sa source dans le niveau de mobilisation de la population active,
dans le niveau de l’épargne et de l’investissement, internes et externes et dans l’amélioration technique du
processus de production. Il est, en conséquence possible d’imaginer une croissance non génératrice, voire
destructrice d’emplois.

1.2. Croissance, productivité et compétitivité

La réalisation de la valeur du produit intérieur dépend de la capacité des producteurs à capter la demande
solvable intérieure et extérieure. Cette capacité, dans un contexte concurrentiel, est désignée par les écono-
mistes par le terme de « compétitivité ».
Dans l’hypothèse de la confrontation de produits homogènes, c’est-à-dire présentant les mêmes caracté-
ristiques techniques, la compétitivité est donnée par le rapport du coût réel au prix du marché. Le « coût
réel » est égal au coût d’opportunité de la mobilisation des facteurs de production. On peut, dans ces condi-
tions, définir la compétitivité comme la condition de maintien d’une activité économique. Lorsque celle-ci est
réalisée dans le cadre d’une unité capitaliste, c’est-à-dire dont le fond de valeur dédié à l’activité productive
est géré en autonomie vis-à-vis des intérêts personnels de ses propriétaires, le critère de la compétitivité est
que le prix de marché assure un taux de rendement du capital minimal identifié comme le taux de rendement
du placement présentant le moins de risque sur le marché.
Les gains de compétitivité d’une activité proviennent de deux sources, la baisse du coût réel et la hausse
relative du prix de marché.

240
La baisse du coût réel du produit d’une activité provient, soit de gains de productivité, soit de la baisse du
coût des facteurs de production et des intrants. Les gains de productivité assurent un niveau plus élevé de
rendement technique des facteurs de producteurs, une plus grande quantité physique de produit par unité de
facteur de production. La baisse du coût de base (ou taux de rémunération) des facteurs de production. Par
exemple, la baisse du taux de rendement minimal du capital, lié à la réduction des risques moyens pesant sur
l’investissement, ou la baisse du taux de rémunération de la force de travail, ou encore la baisse du prix des
intrants. Le développement de la concurrence sur un marché intérieur contribue, en ce sens, à la compétiti-
vité, car la concurrence a pour effet d’assurer le transfert des gains de productivité réalisés dans une activité
sur l’ensemble des autres à travers l’ajustement de son prix. Mais, la concurrence n’est efficiente que
lorsque la mobilité du capital est facile, que le cadre juridique et fiscal, ainsi que l’appareil d’intermédiation
financière et le marché financier sont structurés pour faciliter cette mobilité et réduire le niveau du risque lié à
l’entrée et à la sortie des capitaux dans les différentes activités. La fluidité du capital dépend étroitement de
la flexibilité du marché du travail et du marché foncier.
La deuxième source de compétitivité est le niveau relatif du prix du marché d’une activité ou d’un
ensemble d’activités. Le prix de marché dépend d’une tension entre l’offre et la demande. Lorsque l’offre est
abondante et la demande peu intense, le prix relatif tend à être faible. Inversement, le prix relatif tend à être
plus élevé lorsque l’offre est limitée et la demande en croissance.
Les gains de productivité ne suscitent de la compétitivité dans une activité donnée que lorsque le change-
ment des prix relatifs n’induit pas leur complet transfert aux clients et aux fournisseurs de cette activité. Les
gains de productivité, en eux-mêmes, génèrent de la croissance et non de la compétitivité. Ils peuvent être
captés par les fournisseurs et clients étrangers et transférés au marché mondial ou, encore, captés et valori-
sés au niveau national.

1.3. Bien échangeables et biens non échangeables

L’allocation des ressources, l’investissement net, entre secteurs de production des biens échangeables et
des biens et services non échangeables est déterminée par le niveau de compétitivité attendue des activités
sur un territoire donné. En ce sens, la compétitivité est synonyme d’attractivité territoriale. Elle définit aussi
bien la concurrence entre les secteurs de production des biens échangeables et non échangeables sur le
marché intérieur que la concurrence entre les producteurs locaux de biens échangeables et leurs concurrents
étrangers. Elle détermine, de ce fait, le volume des ressources investies dans une activité. Le développe-
ment de la base productive d’une activité provient, donc, soit du réinvestissement du surplus dégagé dans
l’activité elle-même, soit de la réallocation de ressources investies dans d’autres activités ou d’autres terri-
toires.
Il ressort de ces observations que le niveau de croissance ne dépend pas seulement de l’effort interne
déployé au niveau microéconomique par les unités de production pour générer des gains de productivité,
mais aussi de la capacité des activités existant sur un territoire à attirer des ressources intérieures et exté-
rieures. La croissance combine un effet « productivité » et un effet « attractivité sectorielle et territoriale », lié
à un gain de compétitivité.
Alors que l’effet productivité exerce un effet de réduction de l’emploi, l’effet « attractivité sectorielle et ter-
ritoriale » ou l’effet compétitivité est de nature à compenser cette baisse de l’emploi en renforçant le volet
extensif de la croissance.
Le niveau de la croissance sera fonction de la compétitivité du secteur des biens échangeables.
Le développement différencié des capacités d’offre dépend, pour chaque territoire, de sa position géo-
graphique, de ses dotations naturelles, de ses équipements en infrastructures et du profil de qualification de

241
ses ressources humaines. Il dépend, également, du profil évolutif de la demande de ses unités économiques
(ménages, entreprises et administrations). Mais, une capacité d’offre ne génère de la valeur et donc de la
croissance et de l’emploi que lorsqu’elle est compétitive.
La compétitivité des biens échangeables est liée à des facteurs structurels. Elle dépend de la nature des
produits offerts. Si ceux-ci correspondent à des créneaux de la demande mondiale dont l’élasticité par rap-
port aux prix est élevée, à cause de la faiblesse de la complexité technologique ou de l’abondance des res-
sources humaines ou naturelles utilisées dans ces activités, le prix relatif de marché en sera plus faible. Si au
contraire, ces biens ont une demande peu élastique au prix, le positionnement dans ces créneaux assure un
prix relatif de marché plus élevé et un niveau de compétitivité avantageux. La capacité des unités de produc-
tion d’un territoire à se positionner dans ces créneaux dépend du processus d’apprentissage organisationnel
des unités et des secteurs. Cet apprentissage se concrétise dans une aptitude à générer des innovations de
produits, de matériaux et de processus, et surtout à diffuser les gains de productivité.
Pour les activités du secteur des biens non échangeables, la compétitivité des producteurs locaux est
assurée. Le prix relatif de marché de ces biens sera fixé selon le niveau de croissance de la demande et de la
capacité d’offre. À priori, lorsque ces biens sont de l’éducation, de la santé, du loisir et du transport, ainsi que
des services personnels, la demande n’est a priori limitée que par le pouvoir d’achat et le prix relatifs des
biens échangeables. Si l’on adopte l’hypothèse d’une séparabilité relative des groupes des biens échan-
geables et non échangeables, autrement dit d’aires limitées de substituabilité entre les groupes de biens, la
croissance de la demande sera répartie de manière homothétique entre les deux groupes.
En théorie, on pourrait faire l’hypothèse que lorsque cette compétitivité est insuffisante, signalée par une
aggravation du déficit commercial, il y a report des investissements nets vers le secteur des biens non
échangeables jusqu’à ce que l’offre atteigne un seuil qui en fasse baisser le prix relatif de marché et que
cette baisse contribue à restaurer la compétitivité du secteur des biens échangeables. D’un point de vue plus
réaliste, il convient d’observer que les activités dans les secteurs non échangeables comportent des bar-
rières à l’entrée, liées au volume des capitaux, à la technicité des métiers, à des problèmes de localisation ou
à d’autres facteurs comme les règles de régulation en vigueur. À cause des barrières à l’entrée, les struc-
tures de prix relatifs sont durablement stables et ne connaissent des modifications que lentement.
Le développement du secteur des biens non échangeables permet une plus grande flexibilité dans le choix
des activités présentes sur le territoire national. Cependant, il peut receler des trappes de croissance : stérili-
sation de l’investissement sur des actifs de placement spéculatifs ; création de positions monopolistiques
génératrices de rentes limitant la compétitivité des activités échangeables ; aggravation de la concentration
des revenus sur des catégories de consommateurs dont la demande en biens non échangeables est plus
intense.
Ces trappes absorbent les effets d’entraînement des investissements. Lorsque leur développement
atteint une limite, la main d’œuvre libérée par le secteur des activités concurrencées n’a d’autre alternative
que l’exclusion ou l’émigration.
Certaines activités du secteur non échangeable nécessitent des volumes de capitaux très importants
comme les travaux publics (routes, ponts, etc.), les banques, les assurances, la distribution en gros des pro-
duits énergétiques, le commerce en grande surface, le commerce de gros, le transport ferroviaire, les télé-
communications, la production de l’électricité et de l’eau potable et leur distribution, alors que d’autres
comme le commerce de détail, la réparation, les petits métiers du bâtiment, la réparation, les transports indi-
viduels ne nécessitent qu’un faible apport en capital.
Il s’établit, en conséquence, des différences dans le revenu retiré par chaque activité selon les attentes
des apporteurs de capitaux. Les activités comportant des barrières à l’entrée plus élevées dégagent des
revenus plus grands et celles qui sont sujettes à un surinvestissement se heurtent à une rareté de la
demande et finissent par assurer des taux de revenu plus faibles.

242
1.4. Choix sociaux et compétitivité

Le choix des secteurs à développer est un facteur décisif du niveau de la croissance économique d’un ter-
ritoire, il l’est encore plus en ce qui concerne la compétitivité et, donc, l’attractivité territoriale et la croissance
des emplois. Le critère de la pertinence de ce choix est donné par le niveau de compétitivité potentielle des
différentes activités. Or ce niveau dépend, nous l’avons vu, de trois groupes d’éléments :
– Les mécanismes de génération des gains de productivité dans les unités de production,
– Les mécanismes de détermination des prix relatifs des facteurs de production, dont le degré de concur-
rence sur les marchés des biens et le degré de mobilité des facteurs de production, liés en particulier à
la pertinence de la politique de régulation des marchés et à leur capacité d’assurer la diffusion des gains
de productivité,
– Le prix de marché relatif des différents produits, résultant d’une configuration donnée de l’offre et de la
demande, or celles-ci sont différentes sur la nature échangeable ou non des produits.

Le prix de marché est différemment déterminé selon la nature du produit. Lorsque les biens sont non
périssables et que le coût de leur manipulation et de leur transport est réduit relativement à leur valeur, ils
sont dits échangeables au niveau international. Leur prix est déterminé par le prix du marché international.
C’est le rapport entre l’offre et la demande au niveau international qui est le déterminant du prix. Leur prix
intérieur est fonction du prix international additionné des effets des taxes, prélèvements ou subventions,
appliqués à l’entrée du territoire national. Les prix des biens non échangeables et des services dépendent du
rapport de l’offre et de la demande sur le marché intérieur, ainsi que des politiques de régulation du marché
local.
Un des aspects les plus décisifs du processus de croissance est le mécanisme de formation du prix relatif
de marché et la réallocation des ressources entre les différentes activités qui en découlent.
Les prix relatifs du marché reflètent des choix sociaux en faveur de catégories sociales détenant un pou-
voir de pression et de lobbying susceptibles d’infléchir les décisions relatives à la politique monétaire et finan-
cière, fiscale et incitative (code des investissement) et des dépenses publiques (budgets central et des
collectivités locales). Les prix relatifs traduisent des arbitrages politiques déterminant une norme bien définie
de productivité dans chaque activité et de rémunération des facteurs de production de base mobilisés dans
le secteur : le travail ou le capital humain, le capital ou le patrimoine mobilisé et la terre ou le capital foncier.

243
Schéma représentant le processus de détermination des politiques sectorielles

Les groupes d’intérêts économiques disposent d’un pouvoir d’influence inégal, selon leur capacité
d’expression dans les instances représentatives, à travers les organisations de la société civile et les médias,
et aussi, selon leurs capacités à se faire écouter directement dans les cercles influents de l’État. Leurs reven-
dications ou même leurs intérêts sont pris en compte et reçoivent un traitement où l’élément décisif est un
calcul des retombées sur les décideurs politiques...
Sous quelles conditions ceux-ci privilégient-ils tel ou tel secteur ? Quels poids sont accordés aux différents
intérêts sociaux mis dans la balance ? Font-ils l’objet de calculs précis basés sur des critères explicites ? 1
Lorsque les catégories sociales recevant leur revenu des activités des secteurs concurrencés ne disposent
pas des capacités politiques suffisantes, des politiques défavorables à ces activités peuvent induire une
dégradation de la balance commerciale, une poussée des importations et une régression des exportations.
Ces politiques sont praticables dans certaines conditions. Un équilibre de la balance des paiement est tou-
jours possible, en présence d’une aggravation de la balance commerciale, si sont politiquement possibles
une réduction du taux naturel d’investissement, une hausse de l’émigration de la force de travail. La propen-
sion à mener ces politiques est favorisée par la possibilité d’accroître l’endettement ou par la disponibilité
d’une rente extérieure, liée, par exemple, l’exportation de capital humain (recette de l’émigration) ou de pro-
duits de base hautement valorisé sur le marché mondial (pétrole, chanvre indien, etc.).

1. Poser ces questions et, le plus souvent, y apporter un début de réponse, même avec un degré de formalisation inachevé, semble être
entré dans la culture politique et économique du pays. Cette attitude sont le reflet de l’option en faveur de la bonne gouvernance, initiée par les
organismes internationaux au Maroc, popularisée par le département du Plan et, aujourd’hui largement adoptée par la société politique et la
société civile marocaines.

244
Le coût de la transition, vers un modèle de croissance économique tiré par les exportations, dépend du
degré d’efficacité des marchés du travail et du capital qui rendent plus ou moins aisés le retrait des
anciennes activités et l’engagement dans de nouvelles.
Si on considère que le champ des choix de développement sectoriels n’est pas limité par des barrières
technologiques insurmontables et que le coût de la restructuration économique est socialement et politique-
ment acceptable, le développement des secteurs dépendra des anticipations des prix et de la demande et de
l’offre sur les différents marchés internationaux.

2. Changement structurel, marché et allocation inter sectorielle


des capitaux et de l’emploi
Les mécanismes d’allocation intersectorielle des ressources économiques induisent des changements à
caractère structurel opérant sur le long terme et conduisant à la transformation en profondeur de l’économie
et de la société. Ils sont le reflet de choix sociaux et politiques, concrétisés dans les décisions de politique
économique.

L’allocation des ressources entre ces secteurs met en œuvre simultanément un processus de valorisation
des ressources. Ce processus définit un espace de circulation des biens et services, un mode de génération
de la valeur dans l’espace productif, mobilisant à la fois un système technique et des relations sociales cohé-
rentes avec ce système. Elle résulte de l’initiative :
a. des investisseurs privés attirés par des opportunités de revenus plus élevés liés aux différences entre
les prix relatifs déterminants l’écart entre les coûts unitaires et les prix des biens et services et
b. et des investisseurs publics au niveau local, régional et national déterminés par les disponibilités bud-
gétaires et les modalités d’affectation des ressources définies dans les instances administratives et
représentatives (parlements, conseils régionaux, ...).

Ces mécanismes déterminent un triple processus de transformation économique et sociale :


– un processus spatial, l’internationalisation suscitant l’adoption des produits, des technologies de produc-
tion et des modes de consommation de plus en plus mondialisés, et la mise en place d’un marché natio-
nal ouvert sur le marché mondial,
– un processus technique, l’industrialisation, affectant en premier lieu la transformation de l’agriculture en
un secteur marchand et la substitution des produits des fabriques industriels aux produits traditionnels,
– et un processus institutionnel, déterminant le développement du marché, de l’État et de l’école, comme
substrats de base du salariat devenu le rapport social dominant.

Le changement des structures productives et institutionnelles complexes peut être observé à, au moins,
trois niveaux :
a. le déplacement des emplois du milieu rural vers le milieu urbain,
b. la substitution de l’économie capitaliste à l’économie domestique, la féminisation de l’emploi, requalifi-
cation du capital et déqualification du salariat,
c. le développement différentié des secteurs d’activité abrités et des secteurs exposés à la compétition
internationale, selon l’évolution des échanges extérieurs et du poids relatif des investissements dans le
secteur abrité vis-à-vis de la concurrence internationale.

245
La vitesse de ce changement dépendra de la capacité des unités productives à adopter des innovations de
productivité. Ce sont les niveaux de productivité et de revenu atteints qui permettent ou interdisent à leurs
employés de se prémunir contre l’exclusion économique et sociale.

2.1. Restructuration de l’espace productif rural et évolution sectorielle

La fonction du marché est restée, pendant plusieurs siècles, un outil commode d’approvisionnement des
ménages qui pratiquaient le pastoralisme et une agriculture de subsistance complémentaire. Le marché exerçait
des effets limités de spécialisation des unités de production. C’est avec le développement de la ville, et surtout,
avec l’émergence des unités de production utilisant des salariés que le marché a induit une cession rapide des
fonctions économiques de l’économie domestique à la sphère de la division marchande du travail.
Ce processus relativement visible de cession des fonctions productives de l’économie domestique à l’écono-
mie de marché se traduit dans une spécialisation des unités économiques en milieu rural et par le développe-
ment du salariat. Parallèlement, les conditions de vie en milieu rural commencent à dépendre, non seulement de
la production, mais aussi des niveaux des prix relatifs des produits offerts et des produits achetés.
Le déplacement de l’emploi rural du secteur agricole vers les autres secteurs est la traduction de ce phénomène.

Part de l’emploi rural selon les secteurs

246
Le graphique ci-dessus montre une baisse de la part du monde rural dans l’emploi agricole et une hausse
de la part du monde rural dans les autres secteurs, l’industrie et les services. Cette évolution reflète en réa-
lisé un recul considérable de part de l’emploi agricole au profit des activités de services et des activités indus-
trielles, extractives et manufacturières.

Évolution de la structure de la production Évolution de la structure de l’emploi

On observe une hausse de la part dans la production des secteurs des services et des industries et une
progression beaucoup moins rapide de leur part dans l’emploi. Cette évolution reflète une baisse de la pro-
ductivité relative du secteur agricole. Le secteur agricole devient un secteur d’activité de survie. La même
observation s’applique à nombre de branche d’activités industrielles et de services.

2.2. Évolution des formes d’organisation et de la féminisation de l’emploi

La prépondérance de l’économie domestique dans l’emploi totale s’explique principalement par la fonction
de survie assurée par le secteur agricole. Le monde agricole est formé essentiellement d’unités de produc-
tion à caractère familial. Il emploie, certes de plus en plus de main d’œuvre salariée, mais ce salariat est
composé principalement d’une main d’œuvre occasionnelle, opérant couramment sous le statut d’aide
familial.

247
Structure de la population active par secteur d’emploi Entreprise privée non agricole

Source : Enquête emploi-1999

L’économie domestique non basée sur des exploitations agricoles occupe 2 % de la population active. Si le
secteur public occupe 8 % de la population active, il faut observer que le secteur privé non agricole constitue
le principal employeur. Le poids des unités à caractère familial y est très important. Les microentreprises
comptent pour 68 % des emplois du secteur privé non agricole, alors que les petites – de 5 à 19 employés –
représentent 13 % et les plus grandes avec 200 emplois et plus 11 %. Les petites (20 à 99 employés) et les
moyennes (99 à 200 employés) ne comptent respectivement que pour 6 % et 2 %.
Le fait certain est que la part du travail féminin sur longue période s’est accrue presque dans tous les sec-
teurs, à l’exception du secteur des services marchands qui s’est diversifié, le poids des femmes de ménages
dans l’emploi total offert par ce secteur s’étant réduit.

Part de l’emploi non salarial Part de l’emploi féminin

L’évolution des formes d’organisation est contrastée. Si de 1958 à aujourd’hui (1999), le poids de l’écono-
mie domestique est resté très important, la part de l’emploi féminin dans la plupart des secteurs a considé-

248
rablement augmenté. Il faut noter même que les branches industrielles à fort emploi féminin ont connu une
croissance relative plus élevée.

2.3. Ouverture et évolution de la politique de protection commerciale

L’ouverture de l’économie marocaine a commencé au XIXe siècle. Accélérée durant la période coloniale par
l’investissement dans le secteur administratif, les mines et l’agriculture exportatrice, elle a été marquée par
le développement en particulier durant l’entre-deux-guerres d’un secteur manufacturier qui servira de base
pour le développement industriel de la période de l’indépendance.

Taux d’exportation d’après les TES - % Taux de pénétration des importations - %

Le processus d’ouverture est mesurable par deux indicateurs, le taux d’exportation qui rapporte la valeur
des exportations à la valeur de l’offre nationale, et le taux de pénétration qui rapporte la valeur taxes com-
prises des importations à la valeur de l’absorption (consommation finale, investissement et variation de
stocks).
L’examen du taux d’exportation montre la régression des exportations primaires, agricole et minières. Le taux
de valorisation locale de la production minière et agricole a, en revanche, fortement augmenté. Les secteurs qui
ont connu une progression remarquable durant les cinquante dernières années sont le secteur du cuir.
La stabilité du taux de pénétration des importations en 1960, 1980 et 1999 autour de 18 % est remarquable.
Le taux de pénétration des importations a connu, en trois décennies, une régression dans certains secteurs,
tels que les industries agricoles et alimentaires, le papier et cartons, les métaux de base, les matériaux de
construction. On observe, par ailleurs, une forte progression des importations dans le secteur minier et le textile.
Dans plusieurs secteurs, notamment, le textile, le cuir, le bois, les ouvrages en métaux, la chimie et le
caoutchouc et plastiques, la pénétration des importations a reculé des années 60 aux années 80 et connu
une forte progression entre 1980 et 1999.
Dans les secteurs, textile, cuir, chimie et ouvrage en métaux, il faut noter que la progression des importa-
tions est associée au succès des exportations de ces secteur. Il s’agit, surtout, de produits d’importation
entrés sous le régime en douane de l’admission temporaire pour être transformés et réexportés.

249
Le système des régimes en douane, mis en place au début des années 80, a permis le développement
des exportations dans les créneaux où le Maroc pouvait valoriser une main d’œuvre à meilleur coût que la
main d’œuvre européenne. Ce régime a permis la délocalisation de segments de production dans le secteur
du textile et de la transformation du cuir, dans le secteur des composants automobiles, notamment, le
câblage électrique, et dans la production des composants électroniques.

Taux de protection tarifaire

La politique de protection a été caractérisée par des tarifs élevés. Le principe de cette politique a été de
réserver le marché intérieur aux producteurs locaux. Cette logique a été poussée à son comble au début des
années 80, où non seulement les tarifs étaient élevés, mais où des barrières administratives ont été mises
en place pour sélectionner les produits d’importation admissibles sur le marché intérieur. Les produits
d’importations étaient classés en trois listes : A, B et C. La liste A concernait les produits libres à l’importa-
tion, la liste C les produits interdits et la liste B les produits sujets à autorisation administrative. La décision
d’autoriser l’entrée des produits n’était accordée qu’aux produits dont les prix étaient plus élevés que les pro-
duits équivalents commercialisés sur le marché marocain. La conséquence d’une telle approche a été de
réserver le créneau des produits de haute qualité au commerce d’importation et de laisser les créneaux de
bas de gamme à la production locale.
La deuxième conséquence de cette politique a été que les secteurs non protégés travaillant indirectement
pour les exportations n’ont pas bénéficié de la croissance de la demande d’intrants intermédiaires. Les inves-
tissements ont été concentrés, soient sur les créneaux d’exportation, soit sur les secteurs de la demande
intérieure qui bénéficiaient de protection.

250
La conséquence principale de cette politique a été la réduction de l’intégration du marché intérieur, objectif
principal de la politique des années 70 et du début des années 80, et le développement de créneaux d’expor-
tation très étroit valorisant principalement les matières premières.
Une importante évolution a marqué la politique de la protection dès le milieu des années 80. Les mesures
de protection à caractère administratif, ou barrières non tarifaires, ont été éliminées complètement avec la
mise en vigueur de la Loi sur le Commerce Extérieur, adoptée en 1989, mais promulguée trois années plus
tard. La suppression des barrières non tarifaires a été compensée par l’instauration d’un système de prix de
référence qui augmentait la taxation des produits importés destinés au marché intérieur. La sélectivité des
tarifs selon les activités était déterminée par la présence d’unités de production locales qui bénéficiaient de
cette protection.
Ce principe est resté en vigueur, malgré la mise en œuvre de plusieurs réformes de la grille tarifaire, visant
la simplification du dispositif et la réduction progressive des taux, dans la perspective de la mise en place
d’accords de libre échange.
Concernant les produits agricoles, la politique a été principalement de stabiliser les prix du marché intérieur
en les isolant vis-à-vis des fluctuations des prix mondiaux des matières de bases agricoles (céréales) et
agroalimentaires (sucre brut, huiles alimentaires brutes et poudre de lait) sur le marché mondial.
L’État a mené une politique des prix intérieurs des produits alimentaires de base préoccupé surtout par le
souci de maintenir le pouvoir d’achat des catégories sociales défavorisées.
Cette politique a veillé à assurer un niveau de prix acceptable à la fois pour les consommateurs, pour les
agriculteurs et pour les caisses de l’État. Il semble que cette politique a assuré une importante capacité de
développement aux industries alimentaires et que le résultat a été plutôt inégal pour le secteur agricole.

2.4. Normes de production, productivité et inclusion

C’est l’examen de l’évolution du niveau de valeur ajoutée générée par actif qui peut permettre de juger de
la signification sociale des politiques économiques.

Valeur ajoutée par actif occupé - milliers Dh de 1980 Valeur ajoutée par actif - 1000 Dh 1980
industries manufacturières

Le phénomène le plus frappant est la faible variabilité des niveaux de taux de valeur ajoutée à prix
constants par tête des différents secteurs. Cette permanence reflète celle des intensités capitalistiques,
celle des structures de qualification, ainsi que celle du poids des activités composant chacun des secteurs.
La valeur ajoutée par emploi est très élevée dans les secteurs très capitalistiques des mines et énergie,
très faible dans le secteur agricole. Elle est plus élevée dans le secteur des transports, des services et des

251
services non marchands. La valeur ajoutée par tête du BTP est à peine supérieur au niveau du secteur agri-
cole et commerce qui se situe au niveau de la moyenne de l’ensemble des secteurs. Celle du secteur manu-
facturier est plus élevée que la moyenne. Elle recèle d’importantes disparités en fonction du degré de
l’intensité capitalistique des secteurs. Ainsi, dans le secteur de la chimie, la valeur ajoutée a augmenté forte-
ment reflétant de vrais gains de productivité apparente du travail. Cette valeur ajoute est basse dans le sec-
teur textile. Ceci s’explique par le poids dans l’emploi du secteur de l’habillement, dont le degré d’intensité
capitalistique est des plus bas.
Les croissances les plus notables de la valeur ajoutée par tête à prix constants concernent le secteur
minier, celui de l’administration publique et le secteur manufacturier. Dans tous les secteurs manufacturiers,
sauf dans les IMME, on observe une hausse de la valeur ajoutée par tête. Dans les autres secteurs, on
observe une stagnation ou une légère baisse, comme dans l’énergie, l’agriculture et le commerce.
La norme de production donnée par le prix relatif de la valeur ajoutée qui est instaurée au niveau de chaque
secteur traduit une exigence d’efficience implicite formulée vis-à-vis d’un secteur. Le taux de valeur ajoutée
par emploi exprime la capacité du secteur à répondre sur le plan productif à cette exigence. Lorsque l’État
protège les prix contre une baisse, il ne le fait que sachant la difficulté rencontrée par le secteur à atteindre
cette norme de productivité.
Les écarts de valeur ajoutée par emploi entre les différents secteurs indiquent, aussi, le niveau d’attracti-
vité et le potentiel de migration d’un secteur à l’autre. Dans ce sens, la valeur ajoutée par emploi n’est qu’un
indicateur médiocre de ce potentiel. Il serait plus précis de s’appuyer sur le revenu par emploi généré par
chaque secteur d’activité. Mais, faute de données comparatives précises, il faut tirer pour tirer des leçons se
contenter de cet indicateur.
Des écarts importants de valeur ajoutée par emploi se retrouvent au niveau de chaque activité. Lorsque la
valeur ajoutée par emploi est très faible, il convient de considérer le secteur en question comme un secteur
de survie, un secteur où le coût à l’entrée est très faible comparativement aux autres secteurs. C’est le cas,
du secteur agricole, du secteur artisanal et de certains créneaux des activités de commerce. Pour le secteur
agricole, le niveau de revenu généré par emploi est tel que ce secteur ne peut que libérer de la main d’œuvre.
La seule alternative pour le secteur agricole de générer un revenu décent est la progression de la productivité
par emploi. Un simple calcul montre que pour atteindre la moyenne du revenu national, le secteur agricole
devrait réduire de moitié la main d’œuvre employée.
La croissance des activités manufacturières et des services s’est révélée insuffisante pour permettre une
modernisation rapide et approfondie de l’ensemble du secteur agricole.
L’excédent de main d’œuvre qui pourrait sourdre du secteur agricole est contraint par la faiblesse des
opportunités d’emplois offertes dans le secteur formel et la faible attractivité des conditions de revenu et de
travail dans le secteur informel.
Le compartimentage du marché du travail est un fonctionnement suscitant de l’exclusion : stabilité de
l’emploi et respect relativement strict de normes sociales, d’un côté, précarité des emplois et normes de tra-
vail très flexibles, de l’autre.
Faut-il considérer le compartimentage du marché du travail comme la cause ou comme l’effet des dispari-
tés inter sectorielles des revenus et des conditions de travail ? Comment interpréter le statut marginal d’une
très grande partie de la population active féminine sur le marché du travail ? Quelle part faut-il attribuer aux
désavantages que subissent les femmes au niveau de la formation et au régime compartimenté du marché
du travail, attribuer dans la responsabilité de la discrimination du travail féminin ?

252
II. Les évolutions de la politique industrielle

Le premier paragraphe donne un aperçu des évolutions de la politique industrielle précédent l’ajustement
structurel. Le second paragraphe présente les instruments de cette politique. Le troisième paragraphe pré-
sente le dispositif mis en place durant la période de l’ajustement structurel et celle de la mise à niveau.

1. Aperçu historique sur la politique industrielle du maroc : du


volontarisme industrialisant à l’ajustement structurel et à la
mise à niveau

Le Maroc est une zone d’industrialisation périphérique, polarisée par l’espace industriel européen,
principalement français.
On pourrait distinguer dans la politique industrielle du Maroc trois périodes. La première phase de forma-
tion de la structure industrielle, s’achève en 1956. La deuxième est marquée par la mise en place des bases
d’une politique industrielle. Sur le plan doctrinal, elle est dominée par le souci de valoriser les ressources
locales. La troisième phase de la politique industrielle débute en 1972 et s’achève avec la mise en œuvre du
PAS. Le trait saillant de la politique industrielle durant cette phase est la volonté de générer de nouveaux
avantages comparatifs.

1.1. L’industrialisation primitive (1912-1956)

Aziz Belal résume dans les termes suivants la formation de l’appareil industriel au Maroc durant la phase
coloniale (1912-1956). « La masse des capitaux publics et privés investis depuis le début du protectorat
jusqu’à l’indépendance représente environ trois fois la moyenne annuelle du revenu national du Maroc de
1951 à 1957. La majeure partie de ces capitaux s’est fixée dans le développement d’une infrastructure maté-
rielle, des activités exportatrices, de la sphère non productive de l’économie, et accessoirement de certaines
branches de l’industrie légère ».
Il faut observer que le tissu industriel a commencé a se mettre en place avant 1956. Le Maroc a bénéficié
d’un « boom » des investissements pendant et peu après la deuxième guerre mondiale. De nombreuses uni-
tés de charpente métallique, de mécanique industrielle, d’installation électrique et de nombreuses autres
activités nécessaires à l’édification d’un appareil industriel ont été implantées à Casablanca. Ces unités
coexistaient parallèlement à un grand nombre d’unités de production de bien de consommation. La produc-
tion des biens intermédiaires de base était peu développée.
La première forme d’industrialisation du Maroc a favorisé la constitution de certaines filières agro-
industrielles et de filature-tissage. D’autres unités produisant des biens de substitution aux importations se
sont implantées durant cette période.

253
1.2. La politique industrielle de 1956 à 1972

De 1956 à 1973, on peut considérer que les objectifs globaux de la stratégie de développement écono-
mique ont été, d’abord l’édification des fondements du développement d’une économie moderne, notam-
ment la création des infrastructures de base, de la formation des cadres, la mise en place des institutions
d’accompagnement de la politique de développement (banques, organismes financiers spécialisés).
Cette période a été caractérisée par des objectifs de croissance modestes, dans un contexte d’inflation
modérée et de sauvegarde des équilibres macro-économiques. La croissance observée durant cette période
a été réalisée dans le cadre productif légué par la période coloniale.
Dans une étude parue en 1969, Abdelaziz Belal et Abdeljalil Agourram faisaient le constat suivant : « Le
bilan de l’industrialisation du Maroc depuis l’indépendance apparaît plutôt maigre ».
Les ambitions du Plan Quinquennal (1960-1964) étaient axées sur une industrialisation basée sur la créa-
tion d’industries de base. Le taux de croissance assigné par le Plan au secteur inustriel était de 10 %, nette-
ment supérieur du taux prévu pour l’ensemble de l’économie (6.5 %).
Cette volonté s’est, cependant, infléchie avec le Plan suivant (1965-67), l’industrie n’occupant plus, parmi
les objectifs fixés qu’une place mineure.

Ce plan se contenta de préconiser :


– « l’amélioration de l’organisation du marché du travail,
– l’orientation des capitaux vers le financement des projets industriels ;
– la définition des modalités d’intervention des pouvoirs publics ».

Le Bureau d’Études et de Participation Industrielles (BEPI), créé au lendemain de l’indépendance, après


avoir réalisé certains projets industriels fut mis en veilleuse, à partir de 1964-1965.
Le secteur privé, en dépit des incitations offertes, n’avait pas réellement les moyens d’y répondre. « À
l’exception du textile et des industries alimentaires, comme ce fut le cas durant la période couverte par le
premier plan quinquennal [1960-64], les investissements industriels sont demeurés insuffisants dans la cadre
du plan triennal [1965-67] ».
Le plan 1968-72 a adopté une politique d’import-substitution basée sur des options différentes de celles
énoncées en 1960-64. La préférence fut donnée aux industries agro-alimentaires et aux industries manufac-
turières légères orientées vers la satisfaction de la demande solvable locale. Néanmoins, les méthodes de la
politique industrielle restèrent les mêmes (protection, incitation, investissement public), exception faite des
critères de choix de projet qui privilégièrent l’approche coûts-avantages, en particulier le critère du coût en
devises des investissements.
Dans les plans de la décennie 1960, le souci de développer les exportations a été associé à l’objectif de
valoriser les ressources naturelles locales (agricoles, halieutiques et minières) ou encore d’appuyer le proces-
sus d’import-substitution.

1.3. Objectifs et implications de la politique industrielle au cours de la


décennie 1970

Dans une deuxième phase, débutant en 1973, l’État adopta comme objectif la diversification des industries
d’exportation, sans pour autant rompre avec la stratégie d’import-substitution.

254
Cet objectif fut plus affirmé lors du plan 1973-77. Reprenant les principes du plan 1968-72, ce plan intégrait
de nouveaux objectifs (la promotion diversifiée des exportations, la régionalisation de l’investissement indus-
triel, la marocanisation des entreprises) et sur le plan des méthodes privilégia les projets publics pour pro-
mouvoir de nouveaux secteurs d’activité industrielle.
La politique de propriété du capital associée à cette stratégie visait l’instauration de la souveraineté écono-
mique nationale, un objectif qui a suscité la politique de marocanisation. En vue de pallier les carences du
secteur privé, l’État s’est engagé dans la formation d’un vaste secteur public (notamment la création de
l’Office du Développement Industriel) et à créer une classe d’entrepreneurs privés (objectif permanent,
consacré. à la fin des années quatre-vingt, par la politique de privatisation).
La politique de promotion centrée des exportations n’est devenue un objectif explicite de la politique
industrielle qu’à partir de 1973, où l’État s’est proposé de suppléer la carence de l’initiative privée dans ce
secteur à fort risque en combinant encouragement à l’exportation et protection locale dans une perspective
d’import-substitution.
Ce sont les effets de déstabilisation introduits par la politique initiée avec le plan 1973-1977 et reconduite
par le plan 1981-1985, abandonné dès la première année de sa mise en œuvre, qui a conduit à l’adoption du
programme d’ajustement comme conditionnalité aux emprunts internationaux demandés par le Maroc dans
un contexte de crise de ses finances extérieures.

Les concepteurs du Plan de 1968-1972 avaient deux a priori.


1. Dans le premier, ils ont supposé qu’ils disposaient de la capacité de gérer des prix et des politiques
d’incitations établies au coup par coup. Les planificateurs, se fondant sur le fait que la rentabilité sociale
– calculée aux prix économiques et sociaux 1 – est différente de la rentabilité financière, proposent que
« l’État dispose d’une double possibilité d’action : soit assurer la rentabilité pour l’entrepreneur privé du
projet, par des manipulations de prix, par des protections ou par des subventions, soit dans certains cas,
assurer directement la réalisation des projets. » 2
2. Le second est que la demande solvable intérieure est la base de l’orientation des choix de projets indus-
triels. Les exportations sont perçues, probablement à raison, comme difficiles, nécessitant la disponibi-
lité de circuits de commercialisation et une aptitude à produire au rapport qualité-prix admissible sur les
marchés extérieurs.

Le marché d’exportation est conçu plus comme un exutoire, compensant l’étroitesse du marché intérieur. 3
Le plan 1973-1977 marquera un revirement. Désormais, parallèlement à la volonté de renforcement du
contrôle national sur l’appareil productif (la marocanisation), l’État se propose de promouvoir de manière plus
volontariste un certain nombre de secteurs : « Le secteur industriel a été laissé jusqu’ici aux mains du sec-
teur privé, encouragé par l’État en vue d’en assurer le développement. Les pouvoirs publics ne se sont
départis que rarement de leur rôle d’incitateur, sauf dans les secteurs où la défaillance et le désintérêt des
entrepreneurs individuels sont manifestes.

1. « le critère de l’intérêt pour l’économie doit être pris au sens large et prendre en compte divers facteurs comme la régionalisation (promou-
voir un développement harmonisé de l’ensemble des régions du pays), la politique d’emploi (toutes choses étant égales par ailleurs, favoriser les
projets créant le maximum d’emploi », Plan Quinquennal, 1968-1972, vol. II, op. cit., page 319.
2. idem, page 319.
3. « Leur implantation [les industries légères} sera génêe par le manque de débouchés et ces industries devront se tourner vers l’exportation
plus que par le passé », ibidem page 320.

255
Durant le quinquennat 1973-77, l’État interviendra de manière plus décisive en tant que promoteur et
entrepreneur par le biais de l’Office de Développement Industriel... » 1.
Le Plan 1973-77 posait, à ce moment, l’État comme le fer de lance d’une réorientation du secteur indus-
triel vers l’exportation, le secteur public industriel étant conçu comme le vecteur privilégié du développement
de nouvelles activités compétitives.
En matière d’incitations, le concept retenu a été celui défini lors du Plan 1968-72 : l’action par les prix ou la
protection pour permettre aux investisseurs d’obtenir la rentabilité attendue.
Dans un document récent, l’Administration de l’industrie réaffirme de manière nette son pragmatisme en
matière de politique industrielle. « Notre pays a, depuis l’indépendance, opté pour une économie libérale,
ouverte sur l’extérieur et basée sur l’épanouissement et le développement des initiatives privées. Cepen-
dant, pour ne pas tomber dans un quelconque “laisser-faire” excessif, l’État a toujours suivi, avec l’attention
voulue, l’évolution économique, en vue d’apporter les correctifs nécessaires et d’imprimer, au moment
opportun, l’accélération adéquate au processus d’industrialisation. » 2
Toutefois, le document précise que les changements dans les options de politique industrielle n’ont inter-
venu que suite à l’évolution des faits. L’ouverture douanière et l’adoption d’une politique de promotion des
exportations n’ont eu lieu que lorsqu’il « a été constaté que les industriels marocains ont acquis une certaine
expérience internationale et sont en mesure d’affronter la compétitivité internationale ».
De même, le retrait relatif de l’État ne s’est opéré que lorsque le secteur privé s’est montré capable de
prendre le relais.
C’est guidé par le même pragmatisme que l’État a choisi de favoriser l’investissement régional, combinant
incitation et intervention directe par les entreprises publiques 3.

2. Les instruments de la politique industrielle : la fonction


d’incitation

Cette fonction procède à travers différents types d’instruments qui permettent à l’Administration de condi-
tionner le niveau du profit perçu par l’entreprise. Dans le cas du Maroc, il s’agit principalement des avantages
attribués par le Code des Investissements et des mesures de protection à travers la taxation et le contrôle
des importations.

2.1. Les codes des investissements

Quatre codes d’investissements ont été promulgués depuis 1960 4.

1. Confert Plan de développement économique et social 1973-1977, volume 1, page 56.


2. Confert Administration de l’industrie, Ministère du Commerce et de l’Industrie, « Évolution et perspectives des industries de trans-
formation », novembre 1989, pages 18 à 20.
3. Idem.
4. Confert Mohamed BERRADA, « L’administration économique au Maroc », in « l’édification d’un État moderne », sous la direcion de
Georges VEDEL, Albin Michel, Paris, 1986, page 253 et suivantes.

256
2.1.1. Le premier, en date du 13 septembre 1958, prévoyait le remboursement des droits de douane sur les
biens d’équipements, la réduction des droits d’enregistrement, le bénéfice des amortissements accélérés,
l’exonération partielle de la patente et assurait la garantie de retransfert du produit de la liquidation des inves-
tissements. Le bénéfice de ces avantages était conditionné par l’Agrément de la Commission nationale de
l’investissement présidée par le Ministre de l’Économie Nationale. Celui-ci arrêtait la liste des activités béné-
ficiaires des avantages du Code. La complexité de la procédure d’atttribution des avantages et la lourdeur
des conditionnalités ont conduit à la substitution du texte de 1958 par le Code promulgué en février 1960.

2.1.2. Le code de 1960 offrait des avantages plus substantiels : une prime à l’investissement, une provision
en franchise d’impôts pour l’acquisition du matériel, l’exonération pure et simple des droits de douane au lieu
de leur remboursement. Les avantages donnés représentaient 40 % de la valeur de l’investissement 1. Le
champ des activités bénéficaires des avantages du Code a été considérablement élargi. La procédure
d’octroi de ces avantages, dépendant de la décision de la Commission d’investissement, était trop longue et
complexe.

2.1.3. En 1973, après l’adoption du Dahir de marocanisation, des textes de lois relatifs aux divers secteurs
économiques (industrie, artisanat, tourisme, exportations, maritimes et mines) formèrent un dispositif
d’encouragement aux investissements 2. Les avantages octroyés par le code de 1973 reprenaient ceux attri-
bués par le code de 1960 : exonération des droits de douanes, de la taxe sur les produits, des droits d’enre-
gistrement, de l’I.B.P., de l’impôt des patentes, garantie de retransfert des dividendes et des capitaux,
ristourne de 2 % des intérêts sur les crédits B.N.D.E.

Des nouveautés significatives furent introduites :


– la systématicité des attributions, exception faite des investissements supérieurs à 30 millions de Dh
dans une liste de secteurs d’activités déjà existantes au Maroc,
– la restriction des bénéficiaires aux seules personnes physiques et morales marocaines, sauf dans le cas
du secteur touristiques ou des exportations,
– la modulation du niveau des avantages en fonction de la localisation régionale, ceux-ci étant d’autant
plus élevés que l’implantation est éloignée de Casablanca 3.

2.1.4. Le dernier code des investissements adoptés en avril 1983 lève les restrictions liées à la nationalité
des investisseurs. Les objectifs assignés à ce code, outre le traditionnel souci d’encouragement de l’inves-
tissement, est l’appui aux petites et moyennes industries (PMI) 4, le développement des zones éloignées de
la métropole industrielle (Casablanca) 5, l’aménagement des zones industrielles, le soutien des économies
d’énergie et d’eau 6.

1. Confert BERRADA, op. cit. page 254.


2. Complétant le code des investissements agricole adopté en 1969.
3. Voir Mohamed Azzedine BERRADA « Techniques de crédit et de banque au Maroc », Casablanca, 1982, pages 321 à 323.
4. Une PMI est définie comme une entreprise industrielle dont la valeur des immobilisations totales après investissement n’excède pas 5 mil-
lions de DH avec un coût de création d’emploi stable ne dépassant pas 70 000 DH. Voir Direction de la planification, Ministère du Plan, « Princi-
paux avantages des codes d’investissement et régimes en douane », Rabat, 1988, page 4.
5.
6. Voir Direction de la planification, Ministère du Plan, « Principaux avantages des codes d’investissement et régimes en douane », Rabat,
1988.

257
Le zonage établi par le code des investisssement est le suivant :
– zone I : la Préfecture de Casablanca-Anfa
– zone II : les Préfectures de Hay Mohammadi-Aïn Sebaâ, Ben Msick-Sidi Othman, Aïn Chok-Hay Hassani ;
Mohammadia-Zenata et la Province de Benslimane
– zone III : la préfecture de Rabat-Salé ; les Provinces de Agadir, Fès, Kénitra, Marrakech, Meknès, Safi,
Tanger et Tétouan
– zone IV : Alhoceima, Azilal, Beni Melal, Boujdour, Boulmane, Chefchaouen, Eljadida, El Kelaâ-des-
Srarhna, Errachidia, Essaouira, Es-Smara, Figuig, Guelmim, Ifrane, Khenifra, Khemisset, Khouribga,
Laâyoune, Nador, Ouarzazate, Oued Eddahab, Oujda, Settat, Sidi Kacem, Tan-Tan, Taounate, Tarou-
dante, Tata, Taza et Tiznit.
Les principaux avantages accordés par le Code des investissements industriels de 1988 sont :
– l’exonération du droit d’importation et de la Taxe sur la Valeur Ajoutée sur les biens d’équipements auto-
risés pour toute création ou extension en zone III et IV, toute extension en zone I et II et toute création
de PMI en zones II, III et IV,
– l’exonération de la taxe spéciale sur les équipements importés pour toutes les entreprises qui exportent
tout ou partie de leur production, quel que soit leur lieu d’implantation,
– l’exonération des droits d’enregistrement et de timbre pour toute création ou extension pour toute
entreprise en zones III et IV et pour toute PMI en zone II, III et IV et pour toute extension quel que soit le
lieu d’implantation,
– l’exonération de 50 % de l’IBP sur 5 ans pour toute création d’entreprises en zones III et IV et toute créa-
tion d’entreprises de services liée à l’industrie quel que soit le lieu d’implantation et la date de création
– la constitution d’une provision pour investissement en franchise d’impôt pour toute création d’entre-
prises quel que soit le lieu d’implantation et pour toute extension d’entreprises en zone III et IV. Cette
provision ne peut excéder annuellement 20 % du bénéfice d’exploitation.
– l’exonération de l’impôt des patentes pour la création dans les zones III et IV de toute entreprises et
dans les zones II, III et IV pour les PMI,
– la garantie de retransfert des bénéfices nets d’impôts des non-résidents et du produit réel de cession
lorsque l’investissement est effectué par un étranger,
– l’exonération du droit d’importation et de la TVA sur les matériels, outillages et biens d’équipements
destinés à la réalisation d’économies d’eau ou d’énergie, à l’utilisation des ressources d’énergie natio-
nales, autres que celles d’origine pétrolière ou à la préservation de l’environnement.
En outre, toute entreprise dont le programme d’investissement est supérieur à 50 millions de Dh est en
droit de demander à l’État des avantages supplémentaires.

2.2. Commerce extérieur et protection douanière

La protection se donne comme objectif de modifier le prix d’entrée des marchandises importées, concur-
rentes des productions locales, et de donner indirectement une prime de compétitivité aux producteurs
locaux. Elle constituera l’ossature de la politique de substitution aux importations appliquée jusqu’aux années
quatre-vingt dix. 1
Les dispositions de l’Acte d’Algésiras, au début du siècle, avaient institué un tarif homogène de 10 %

1. Confert Mohamed BERRADA, op. cit. page 258.

258
applicable à l’ensemble des marchandises. Le Dahir du 24 mai 1957 institua un véritable tarif douanier, taxant
faiblement les biens d’équipement et les matières premières (moins de 10 %), les demi-produits de 5 à 20 %
et les produits de consommation entre 15 et 35 %. Une révision importante intervint en septembre 1961,
dans le sens d’une plus grande protection douanière, puis en janvier 1962, pour protéger plus particulière-
ment l’industrie textile. 1 En plus de la protection tarifaire, des formes de contrôle direct des flux de marchan-
dises furent instaurées, appliquant soit des prohibitions pures et simples, soit des contingents ou encore des
interdictions d’importer des marchandises à des prix inférieurs à un prix minimum.

Le système des incitations et de protection a fait l’objet de nombreuses critiques :


1. La plus importante est que le paiement des droits de douane contribue à maintenir le niveau des prix au
niveau national supérieur au niveau des prix sur le marché mondial. Le système de protection constitue
donc un handicap pour les exportations. Le revenu net de l’entreprise engendré par la vente d’un même
produit est plus élevé lorsque la part vendue sur le marché local est plus élevée que celle à l’exporta-
tion, à cause de l’effet des droits de douane sur les prix des consommations intermédiaires.
2. La deuxième critique est que la politique de protection ne favorise pas la diversification du tissu indus-
triel et son intégration. Introduits pour harmoniser protection des productions concurrencées par
l’importation et promotion des exportations, les régimes en douanes, notamment le plus utilisé, celui de
l’Admission Temporaire autorisant l’entrée en franchise des droits d’importation pour une période provi-
soire de matières premières destinées à être transformées et réexportées, loin de corriger le biais anti-
exportation, favorisent l’importation des matières premières.
3. Un troisième groupe de critiques concerne les incohérences engendrées par la conduite de la politique
de protection. Celle-ci peut être, en effet, dépendante de critères de décision peu élaborés et de
diverses influences sociales (groupes de pression, etc.). Ces critiques, classique depuis l’apparition de
la Théorie des Choix Publics, ont été exprimées récemment par Mohamed BERRADA. Pourtant, la
recommandation principale de ce dernier montre, qu’en dépit de l’acuité de ses critiques, il ne remet
pas en cause le principe de la gestion administrative de la protection industrielle. S’appuyant sur la
nécessité de la définition d’une stratégie industrielle de long terme et d’une « politique économique
claire, précise et immuable sur une longue période », « il préconise de n’accorder de protection que sur
une base contractuelle et de manière provisoire » 2. Ceci, évidemment, est proposé en cohérence avec
le principe de base de la politique des incitations, une « politique de prix de long terme stable, cohé-
rente et susceptible de préserver la rentabilité des investissements réalisés » 3.
Une telle recommandation suppose une aptitude certaine de l’Administration a évaluer les différents pro-
jets. Elle intervient d’ailleurs après une évaluation de l’expérience de protection connue durant les 25 pre-
mières années de l’indépendance du Maroc.

L’étude sur la protection menée par le Ministère du Commerce, de l’Industrie et de la Privatisation, entre
1978 et 1982, constatait :

1. Confert Mohamed BERRADA, op. cit., page 257.


2. « D’un côté, en remettant entre les mains de l’administration économique la manette de sélection des secteurs à protéger, on a renforcé
considérablement son pouvoir économique au risque naturel qu’elle en abuse. Car, en définitive, derrière cette administration, il y a des hommes
dont la prise de décision obéit à de multiples facteurs (perception de l’environnement, relations personnelles, émotivité)....De l’autre côté, lorsque
la protection dure trop longtemps, les entreprises se créent une situation de rente au détriment de leur compétitivité... La protection a été accordé
en dehors de tout contrat explicite. » in Mohamed BERRADA, « l’administration économique au Maroc », in « Édification d’un État moderne », op.
cit., page 257 et 258.
3. Idem, page 259.

259
1. un important biais anti-exportation, lié à la surévaluation du Dirham et à l’incidence d’ensemble des
mesures de protection et d’incitations,
2. un biais capital-intensif décourageant les industries de main d’œuvre 1,
3. une grande difficulté à contrôler l’incidence des mesures de protection et d’incitation au niveau secto-
riel, en raison de l’extrême dispersion des droits de douane et de la prédominance des contrôles directs
sur les importations,
4. une difficile application des régimes en douanes et, d’une manière générale, des procédures d’importa-
tion et d’exportation lentes et coûteuses pour les opérateurs,
5. le caractère inadapté du régime fiscal au développement du secteur industriel, notamment le système
de la Taxe sur les Produits et Services qui limitait les possibilités d’exonération des taxes sur les intrants
aux grandes entreprises, considérées comme « producteur fiscal », et dans les limites de la « règle du
butoir » 2 et la taxe dite « statistique » sur les exportations.

3. Les instruments de la politique industrielle : la fonction


d’intervention

Nous distinguerons parmi les politiques ressortant de la fonction d’intervention de l’État les interventions
indirectes, limitant le droit de propriété des entreprises et l’intervention directe dans le secteur industriel à
travers les entreprises publiques.
Le droit de propriété exercé de manière active, en tant que pouvoir économique, participe du pouvoir
social, dans la mesure où il correspond à un pouvoir de commandement sur les ressources mobilisées par
l’entreprise considérée comme personne morale dans l’espace social de son action. Il constitue en tant que
tel une des formes intermédiaires et subalternes du pouvoir politique 3.
Le comportement de l’État, en matière de propriété du capital, est dicté par différentes considérations :
promotion d’activités industrielles, régulation de certains marchés et redistribution du pouvoir économique,
dans une perspective proche de la politique de la concurrence pratiquée par les pays occidentaux 4.
La politique de la concurrence touche, en effet, les fondements de l’efficacité des économies de marché
capitalistes à deux niveaux. D’une part, elle concerne les conditions de fonctionnement des marchés et l’effi-
cacité des mécanismes de prix. D’autre part, elle touche le partage social de la propriété et donc aux fonde-
ments du consensus social autour des règles de fonctionnement de la société capitaliste 5.

1. Notamment à cause des exonérations des droits et taxes à l’importations sur les biens d’équipements.
2. La taxe sur les Produits et Services (TPS) est une taxe sur le chiffre d’affaires. La règle du butoir veut qu’une entreprise ne peut être rem-
boursée de la TPS, lorsque le montant des remboursements excède le montant devant être payé par l’entreprise. La règle du butoir devient une
contrainte intolèrable pour des producteurs confrontés à la concurrence internationale lorsque leurs fournisseurs en amont ne peuvent bénéficier
du statut de producteurs fiscal.
3. Pour une réflexion approfondie sur les relations entre pouvoir politique et pouvoir économique, voir Bruno THERET « Régimes écono-
miques de l’ordre Politique », collection économie en liberté, PUF, Paris, 1992.
4. Le premier objectif proposé à la politique de la concurrence est qu’elle doit réprimer les pratiques et comportements (ententes ou abus de
position dominante) portant atteinte à la satisfaction des consommateurs, renforcer l’efficacité du mécanisme des prix et permettre au système
économique de fonctionner prêt de l’optimum. Le second est le souci de veiller à la diffusion du pouvoir économique, quitte à occasionner des
pertes d’économie d’échelle. Confert Michel GLAIS « Traité d’économie industrielle », Economica, Paris, 1988, page 820.
5. Le souci d’équilibrer le partage de la propriété apparaît clairement, en France, à travers la déclaration de Raymond Barre, effectuée en 1977,
lors de l’installation de la Commission de la Concurrence : « En nous dotant d’un instrument (contrôle de la concentration) interdisant la mono-
polisation et le gigantisme que de strictes considération de compétitivité ne nécessitent pas, nous maintenons les conditions de l’épanouisse-
ment d’une vie économique et sociale pluraliste et décentralisée ». Cité par Bernard GLAIS, op. cit., page 830.

260
Ces remarques dans une société, le Maroc, où les structures de l’État sont en phase quasi-permanentes
d’édification donnent une perspective nouvelle à l’interprétation des opérations de marocanisation, « déma-
rocanisation » 1 et privatisation.

3.1. Les intervention directes : la formation des entreprises publiques

Le secteur des entreprises publiques, constitué dès la période coloniale, notamment avec l’Office Chéri-
fien des Phosphates, le Bureau de Recherche et de Participations Minières, a été renforcé après l’indépen-
dance du Pays considéré à ce moment comme seul moyen de « restituer au Peuple les entreprises
économiques étrangères dont le colonialisme avait peuplé le Royaume » 2 et de créer les conditions d’une
croissance sur une base élargie.
C’est dans cette optique, dirons-nous, paraphrasant Ahmed BOUACHIK 3, qu’une multitude d’entreprises
publiques dans des secteurs d’activité très diversifiés furent créées pour prendre en main les attributs de la
souveraineté (Banque du Maroc), de dégager de l’emprise étrangère des services publics d’importance vitale
(ONCF, ONE, RAM, COMANAV), d’encadrer la politique agricole (l’office national d’irrigation), de promouvoir
l’industrialisation (BEPI, SOMACA) et le commerce extérieur (OCE), de contrôler certains secteurs straté-
giques (SAMIR, ONICL), de soutenir financièrement le secteur privé (BNDE), etc.
Durant les décennies 1960 et 1970, on observa une « véritable prolifération » des entreprises publiques.
Mais, ce processus ne connaît une véritable accélération qu’avec la période de la marocanisation.
Durant la décennie 1970-1980, la part des entreprises publiques a atteint 45 % de l’investissement total 4.
L’inventaire général des établissements et des participations publiques effectué par la DEPP en décembre
1986 a montré que la contribution du secteur du secteur public au Produit Intérieur Brut se montait à 28,8 %,
dont 17 % pour les entreprises publiques et 11,8 % pour les administrations publiques. Le secteur des entre-
prises publiques contribuait à raison de 21 % à la valeur ajoutée des branches marchandes de l’économie,
20 % de la formation brute de capital fixe et à 27 % de la masse salariale de ces branches.
Comparativement, la part du secteur public dans la valeur ajoutée du secteur manufacturier, en 1986,
d’après le rapport de la DEPP, n’est que de 25 %.
Le poids du secteur public est très inégalement réparti selon les branches. Largement dominant dans le
secteur énergétique, de l’eau potable et des mines, il est majoritaire dans le secteur des institutions de crédit
et du transport et seulement significatif, sans être dominant dans le secteur industriel.
Le secteur public emploie 250000 personnes, dont 12,5 % sont employées dans le secteur manufactu-
rier 5.

1. Expression utilisée par Noureddine EL AOUFI, « De la marocanisation (1973), on est passé à la démarocanisation », in N. EL AOUFI, « La
marocanisation », Éditions Toubkal, Casablanca, 1990, page 9.
2. « Étiolé sous l’emprise coloniale, le secteur privé national n’avait guère la possibilité de se développer et de prospérer et se trouvait, de ce
fait incapable d’assurer la relève. Aussi, l’État avait-il l’obligation de prendre les choses en mains, ce qu’il a fait en utilisant divers procédés dont,
notamment, la création d’entreprises publiques, destinées à succéder aux entreprises étrangères, d’une part, et, d’autre part, conçues pour se
pencher sur un certain nombre d’autres secteurs, la nécessité, à l’époque appelant à satisfaire le besoin des citoyens et à promouvoir les exporta-
tions » Extrait du Préambule de la Loi n 39-89 autorisant le transfert d’entreprises publiques au secteur privé, Discours de S. M. LE ROI HASSAN II
à l’occasion de l’ouverture de la session du printemps de la Chambre des Représentants du 8 avril 1988, donné en annexe à l’ouvrage de Ahmed
BOUACHIK, « Les Privatisations au Maroc », 1993, Casablanca, pages 221.
3. Ahmed BOUACHIK, « La privatisation », Marocco Printing and Piblishing and Co, Rabat, 1993, page 49.
4. Confert Mohamed BERRADA, in « Édification d’un État moderne », op. cit, page 270.
5. A. BOUACHIK, op. cit., page 54 à 56.

261
3.2. Entreprises publiques industrielles 1

Les investissements publics furent prédominants durant la décennie 1960. L’État intervenait, soit, en
investissant seul (sucreries), soit en association avec des capitaux étrangers.
Le plan sucrier fut lancé en 1963 contribuant a la création de SUNAB (1963), SUTA (1966), SUNAG (1968),
SUBM (1969) et la sucrerie des Doukkala en 1970. Les réalisations les plus importantes furent dans le
domaine de la chimie avec la création de Maroc-Chimie en 1962, l’extension des Cimenteries de Tétouan et
de Meknès en 1962 et de la Cellulose du Maroc en 1970. L’État participa également à la création d’unités de
montage de véhicules lourds (Berliet-Maroc) et de tourisme (SOMACA).

L’organe principal de l’État dans le domaine des investissements industriels était le BEPI. Celui-ci fut trans-
formé, en 1973, en Office pour le Développement Industriel (ODI), avec pour mission générale la promotion
industrielle et l’accompagnement de l’investissement privé. La vocation affirmée de l’ODI est de céder au
secteur privé les entreprises une fois celles-ci lancées. Citons, à titre d’exemple, quelques réalisations de
l’ODI :
– la SIMEF (Société des Industries Mécaniques et Électriques de Fés), constituée en 1973 avec un capital
Social de 27 MDH (63 % ODI),
– la SNEP (Société Nationale d’Électrolyse et de Pétrochimie), constituée en novembre 1973 avec un capi-
tal social de 160 MDH (50 %),
– la SICOFES (Société de l’Industrie de Confection de Fès) constituée en 1974 avec un capital social de
8 MDH,
– la SODERS (Société des dérivés du Sucre), créée en 1975 avec un capital de 8 MDH,
– la CIOR (Cimenterie de l’Oriental), constituée en 1976 avec un capital social de 245 MDH,
– ICOZ (Industrie Cotonnière de Oued Zem), en association avec des agriculteurs du Tadla, l’ODI détenant
94 % du capital social.

En plus des réalisations de l’ODI, il convient d’évoquer d’autres réalisations importantes de l’État : la sucre-
rie de betteraves des Ouled AYAD (SUNAT), SUCRAFOR (sucrerie de canne et betteraves de l’Oriental),
SUNABEL (sucrerie de Betteraves dans le Loukkos), la SUNACAS (sucrerie de cannes à Mechraa BEL Ksiri),
l’extension de la Sucrerie des Doukkala, la création de Maroc Phosphore 1,2,3 et 4 pour la production d’acide
phosphorique, la création et l’extension de plusieurs cimenteries.
Il est important de souligner que ces initiatives de l’État durant cette période étaient concomitantes avec
un effort important d’investissement du secteur privé dans diverses branches d’activités : pneumatiques,
ciment, céramique, texturation, textile, tissage, éponge, quincaillerie électrique, robinets et vannes, réfrigé-
rateurs, fils et câbles électriques, etc. La part du secteur privé atteignait près de la moitié de la capacité de
production en 1980, alors que la part du secteur public était beaucoup plus importante durant la décennie
1960.

1. Voir Administration de l’Industrie, Ministère du Commerce et de l’Industrie « Éccolution et perspectives des industries de trans-
formattion », novembre 1989.

262
3.3. De la réforme des entreprises publiques au projet de privatisation

L’accroissement du poids de la propriété ne s’est effectué ni à partir d’une logique parfaitement planifiée
et programmée, ni sur la base d’une gestion satisfaisante pour l’ensemble des entreprises publiques.
Toutes les entreprises publiques ne sont pas déficitaires. Un grand nombre d’entre elles est en état d’équi-
libre et réalise, parfois, d’importants bénéfices. L’une des préoccupations majeures de la gestion des entre-
prises publiques tient à l’importance des fonds budgétaires nécessaires pour maintenir leur équilibre
financier. Près de dix pour cent des dépenses publiques de fonctionnement sont allouées à ce secteur 1.
En réalité, les principaux bénéficiaires des subventions d’exploitation sont des offices chargés du secteur
agricole (ORMVA, ONICL, Centres de Travaux) et la Caisse de Compensation. Les principaux bénéficiaires
des subventions d’investissement étaient des offices responsables de la constitution des infrastructures
économiques de base (ORMVA pour l’irrigation, ONEP pour l’eau potable, ONE pour l’électricité) et de la
prospection (l’ONAREP pour le pétrole et le BRPM pour les mines).
Exception faite des sucreries, soumises à un système de péréquation des prix basé sur les coûts indivi-
duels de chaque sucrerie et une unicité du prix de vente aux consommateurs, la plupart des entreprises
publiques industrielles ne présentaient pas de déficits.
En 1987, le cabinet Lavalin chargé par la DEPP d’enquêter sur les entreprises publiques ne dénombrait que
15 % d’entreprises déficitaires sur un échantillon de 179. Il précisait que sur cet échantillon 23 étaient perfor-
mantes, 134 moyennement performantes et 22 inopérantes 2.
La prolifération des entreprises publiques a conduit à un élargissement excessif et injustifié. On observe
également des erreurs de gestion et des vices de structure, notamment la confusion entre les missions de
gestion et de contrôle, l’inadaptation des règles comptables et de leur application. 3
Plusieurs auteurs ont constaté la logique conglomérale de la filialisation des entreprises publiques. Bachir
HAMDOUCH le qualifiait en 1978 de « géant aux pieds d’argile ». Certains organismes ont vocation à consti-
tuer un portefeuille diversifié : la SNI, l’ODI et la BNDE. En l’absence d’orientations stratégiques de long
terme conduisant leurs investissements, ils peuvent être facilement suspectés de poursuivre des stratégie
non dictées par « la logique financière ou industrielle » 4. En fait, il appartient à ces organismes de justifier
devant les instances de contrôle leurs initiatives.
D’une manière générale, il apparaît que l’investissement public a été dans quelques secteurs le moyen de
mobiliser le partenariat de capitaux étrangers réticents à s’aventurer dans la constitution d’activités nouvelles
sur le territoire marocain. Mohamed GERMOUNI a fourni une illustration très nette de ce fait pour le secteur
sucrier 5. On peut évoquer également le secteur du montage des véhicules lourds et légers.

1. Op. cit., page 222.


2. Confert Rapport Lavalin : Évaluation et rationnalisation du portefeuille de l’État, tome 3, Ministère des Finances, Avril 1988., cité par A,
BOUACHIK, op. cit., page 97.
3. idem.
4. Confert Michel ROUSSET « Une nouvelle approche de l’intervention économique de l’État », R.M.F.P.E., n 6, page 43, cité par BOUACHIK,
op. cit, page 101.
5. Mohamed GERMOUNI, « L’ingénierie au maroc », Thése d’État en Sciences économiques, Publications de l’Université Mohamed V, Rabat.

263
3.4. Les interventions indirectes : les limitations du droit de propriété

Le droit de propriété est un droit garanti par la Constitution. Toutefois, celle-ci prévoit que la « loi peut en
limiter l’étendue et l’exercice si les exigences du développement économique et social planifié de la Nation
en dictent la nécessité. »

3.4.1. La marocanisation : une limitation de la propriété dictée par des considérations


sociales et politiques
La loi sur la marocanisation est une application de l’article 15 de la Constitution de 1972 1. Elle constitue
une limitation au droit de propriété des étrangers. Mais, en même temps, du fait de la forme qu’elle a revê-
tue, elle signifiait une consécration de l’état de droit dans le domaine de la propriété économique.
Avant 1973, il n’y avait pas de texte législatif donnant un contenu explicite à la politique des droits de la
propriété économique. Le processus de marocanisation fut, durant cette phase, implicite ; mais son inci-
dence fut beaucoup plus significative que par la suite. Jean LAMODIERE souligne qu’en fait, la phase la plus
contraignante de marocanisation pour le capital étranger fut celle oú celle-ci était implicite. Les sociétés
étrangères, les banques, les grandes compagnies de négoce et les principales entreprises industrielles, fai-
saient l’objet de pressions discrètes et efficaces pour admettre en leur sein des associés marocains 2.
À partir de 1973, l’opération de marocanisation permettra l’introduction, contre paiement, de personnes
physiques ou morales marocaines dans le capital social d’entreprises dont plus de 50 % étaient contrôlés par
des étrangers.
« S’agissant des activités industrielles proprement dites, écrit J. Lamodière, la proportion des Marocains à
remplacer les étrangers a été beaucoup plus faible. Hormis dans l’industrie textile (nationale à 80 % en 1970)
et les minoteries, les marocains dans leur ensemble n’ont pas beaucoup cherché à s’introduire dans le sec-
teur industriel, bien qu’ils contestaient la légitimité des intérêts étrangers » 3.
« Officiellement, la marocanisation a un but social et économique » 4. Sur le plan social, elle viserait à corri-
ger la répartition des revenus trop largement défavorables aux nationaux. Sur le plan économique, elle aurait
comme effet de réduire le pouvoir des entreprises étrangères sur l’économie marocaine.
En pratique, il faut bien reconnaître, avec Mohamed BERRADA, que « la marocanisation a joué un rôle
considérable dans la promotion d’une nouvelle génération d’entrepreneurs issus non plus de couches
sociales traditionnelles aisées, mais de classes plus modestes » 5. De toute manière, pour les entreprises
insérées dans des relations verticales de groupe la marocanisation n’a pas signifié une perte de pouvoir. Par
ailleurs, il n’est pas démontré que toutes les entreprises étrangères exercent de par leur gestion des effets
négatifs sur l’économie nationale, notamment à travers la recherche exclusive de rentes, la dérivation de
fonds à l’étranger par la pratique de factures fictives et/ou de prix de transferts.
En 1983, le Dahir de marocanisation fut abrogé ainsi que toutes les limitations sur les bénéfices du Code
des Investissements que la non-marocanité des entreprises impliquait. De nombreux entreprises entreprises
étrangères qui avait maintenu leur capital en veilleuse ont tenté de reconstituer leur pouvoir de contrôle
absolu.

1. Cet article est identique dans les quatres constitutions connues par le Maroc en 1962, 1970, 1972 et 1992. Voir à ce propos « Trente
années de vie constitutionnelle aau Maroc », ouvrage collectif dirige par BASRI et alii, L.G.D.J., annexes.
2. Jean LAMODIERE « Le droit des Investissements étrangers au Maroc » – CRESM-AIX-Marseille – 1973.
3. Cité par Noureddine EL AOUFI « La marocanisation ». éditions Toubkall, Casablanca, 1990, page 25.
4. Mohamed BERRADA, op. cit., page 260.
5. idem, page 262. Sur le plan politique, elle a contribué à la stabilisation du régime en constituant un élément important de mobilité sociale.

264
D’une manière générale, le Dahir de marocanisation comportait un effet de dissuasion à l’investissement
étranger. Son abrogation correspond à un contexte économique, politique et social qui rend nécessaire le
changement des règles de fonctionnement de la concurrence capitaliste.
L’environnement structurel de la politique industrielle, durant la phase antérieure à l’ajustement, fut mar-
qué par un processus de concurrence larvée. On a observé peu d’opérations de concentration et regroupe-
ment, mais plutôt la prédominance de transfert de patrimoine et la constitution de nouvelles entreprises 1.
L’objectif d’élargissement de la classe des entrepreneurs nécessitait, en outre, de restreindre l’acuité du pro-
cessus concurrentiel et l’effet de centralisation des capitaux qui en aurait résulté. Un tel phénomène aurait
réduit à néant l’objectif politique principal de la politique économique durant cette période.
On a pu vérifier, par ailleurs, que l’explication de la résistance des entreprises à faible productivité face à la
concurrence résidait, d’une part, dans la régulation étatique des prix ou le niveau élevé de protection doua-
nière, d’autre part, dans la possibilité de compression des coûts autorisée par le régime du travail et des
salaires 2.
Le programme d’ajustement structurel remettra en cause les modalités de limitation de la concurrence
liées à la régulation des marchés (politique des prix et de la protection). En matière de politique de la pro-
priété, l’initiation du projet de privatisation se donne, officiellement, le même objectif que la marocanisation,
l’élargissement de la couche des entrepreneurs privés 3.
« Le second facteur social qui doit être pris en considération concerne la nécessité d’éviter que les opéra-
tions de cession d’entreprises publiques au secteur privé ne soient une cause de renforcement de la concen-
tration capitaliste et une occasion de nouvelle accaparement par les puissants et les grands riches » 4.
Le risque de dérapage de la privatisation et de sa transformation en une simple contribution à l’émergence
d’un capitalisme de rente et au renforcement des groupes privés déjà établis est clairement perçu.
Enfin, il faut souligner un élément majeur dans l’opération de privatisation des entreprises publiques, en
rupture avec la période de la marocanisation : le souci de l’attraction de nouveaux investisseurs étrangers. 5

3.4.2. Les interventions indirectes : les limitations de l’exercice de la propriété


La limitation de l’exercice de la propriété procède soit par la proclamation de certaines activités comme
monopole public, soit par l’imposition de conditionnalités à l’exercice de certaines activités industrielles.
Le monopole public dans le domaine de l’industrie manufacturière ne semble guère appliqué que pour la
fabrication d’acide phosphorique. Encore, faut-il comprendre que celui-ci est un monopole de fait lié au carac-
tère hautement capitalistique de l’extraction de l’acide et à l’initiative de l’OCP, détenant le monopole
l’exploitation des mines de phosphates, de créer Maroc-Chimie. L’extraction de l’acide phosphorique du fait
des conditions de prix actuelles sur le marché mondial des phosphates est une activité économiquement non

1. AGOURRAM ET BELAL soulignent, qu’en fait, les transformations les plus notables relèvent plus d’un « transfert » d’une partie du revenu
National et du capital, auparavant détenu par des étrangers, vers des nationaux, grâce à la « marocanisation » de l’administration et d’une partie de
l’« économie », op. cit. page 99. C’est cette observation qui sous-tend le travail de recherche mené par Saâd BELGHAZI, « La concurrence capita-
liste dans les industries agricoles et alimentaires au Maroc entre 1973 et 1978 », Thèse de doctorat de 3ème cycle, Univesité de Grenoble II,
1982.
2. Saâd BELGHAZI, « La concurrence capitaliste dans les industries alimentaires au Maroc, 1973-1978 », op. cit..
3. Préambule de la Loi n 39-89 autorisant le transfert d’entreprises publiques au secteur privé, Discours Royal, à l’occasion de l’ouverture de la
session du printemps de la Chambre des Représentants du 8 avril 1988.
4. Ibid.
5. « Au moment où même les économies autarciques recourent à des capitaux extérieurs, il n’est pas question pour le Maroc de négliger les
chances que lui offre le marché international », idem.

265
séparable de l’extraction du minerai. L’exclusion de Maroc-Chimie et de Maroc Phosphore de la liste des pri-
vatisables exprime, peut-être, autant ce fait que le souci de l’État de maintenir un contrôle direct sur une acti-
vité jugée stratégique.
On trouve une autre forme de la limitation de l’exercice de la liberté d’investir dans le secteur manufactu-
rier dans la Loi d’intégration-Compensation et dans l’obligation d’une convention préalable avec l’État pour
investir dans certaines Provinces comprenant des sites naturels à protéger.
La Loi d’Intégration-Compensation, adoptée en 1975, impose aux groupes étrangers investissant dans le
secteur automobile au Maroc l’obligation d’acheter une partie de leurs composants sur le marché marocain.
Cette loi vise à promouvoir l’intégration du secteur automobile local en liant les importations de composants
automobiles à des exportations en direction des groupes étrangers contrôlant le secteur automobile local,
fixant un taux objectif de valeur ajoutée locale pour la production marocaine de véhicules de transport.

4. La situation du secteur industriel à la veille de l’ajustement

En conclusion, il apparaît que la politique industrielle est restée dominée par le souci de promouvoir une
classe d’entrepreneurs, avec une prise en charge par l’État de la constitution d’une partie importante du tissu
industriel, par celui de favoriser la valorisation des ressources agricoles et minières locales et de garantir aux
producteurs locaux la plus grande part possible du marché intérieur. L’objectif de promotion prioritaire des
exportations de produits manufacturés n’est apparu comme un axe directeur de la politique qu’à partir du
plan 1973-77. Mais, la politique industrielle est restée dominée par les autres objectifs (création d’une classe
d’entrepreneurs, protection dans une perspective d’import-substitution). Elle a permis un certain développe-
ment des exportations de biens manufacturés, handicapé par la structure des incitations qui pénalisait les
exportateurs (surévaluation du dirham, notamment). Le système des prix locaux restait marqué par d’impor-
tantes distorsions, notamment des prix relatifs bas pour les biens de consommation courants et des prix éle-
vés pour les biens intermédiaires et biens d’équipements. La politique des prix et des incitations, durant les
années antérieures à l’ajustement structurel, ne constituait pas un facteur suffisant pour favoriser la diversifi-
cation du tissu industriel. L’exiguïté du marché intérieur ne permet pas de penser son intégration, exception
faite de quelques filières alimentation, phosphate, textiles et dans une orientation à dominante exportatrice.

III. La politique industrielle : de l’ajustement structurel

Le programme d’ajustement structurel dans le commerce et l’industrie s’est donné pour objectif principal
de rationaliser la structure de la protection et des incitations, notamment en corrigeant le biais anti-
exportation et capital intensif, caractérisant les incitations perçues par les entreprises.
Il se fonde sur les critiques formulées au début des années 80 suite à l’étude sur la protection menée par
le Ministère du Commerce, de l’Industrie et de la Privatisation.
Les mesures initiées, au début des années 80, par ce programme sont principalement : la dévaluation du
Dirham, la réduction des obstacles administratifs au commerce extérieur, la rationalisation de la structure tari-
faire et de la fiscalité sur les importations et les exportations. Ce programme annoncait, également, de nom-
breuses autres mesures de politique économique, notamment, la libéralisation de la politique des prix

266
intérieurs, la suppression des monopoles étatiques, l’assainissement de la situation des entreprises
publiques, le désengagement de l’État de l’investissement productif industriel, la réforme fiscale et l’assai-
nissement des finances publiques.

1. Le modèle implicite sous-jacent à la libéralisation de la


politique industrielle

Avec l’adoption de la Loi sur le Commerce Extérieur, la libéralisation des prix intérieurs, la privatisation des
entreprises publiques et la réforme de la politique de change, l’État marocain a opté pour un modèle de crois-
sance de l’industrie nationale que l’on peut désigner comme « libéral ».

Les principes de ce modèle sont :


1. le renforcement de la flexibilité des structures productives,
2. l’introduction de la concurrence interne comme aiguillon de la rationalisation de la gestion productive et
financière des entreprises, comme source de gain de productivité,
3. la correction du système incitatif de façon à conduire le changement structurel de l’appareil productif
vers des activités économisant des devises,
4. une politique de la propriété du capital visant une mobilisation accrue des ressources en faveur des
investissements industriels.

Le P.A.S. : UNE POLITIQUE DICTÉE DE L’EXTERIEUR


OU BESOIN RÉEL DE RÉFORME ?

Les années 80 au Maroc ont été marquées par l’irruption du programme d’ajustement structurel sur la scène sociale
et politique.
La politique d’ajustement structurel a été mise en œuvre à travers plusieurs programmes sectoriels et économiques,
introduits comme conditionnalité de prêts sectoriels destinés à appuyer l’adoption de réformes de politiques écono-
miques dans des secteurs particuliers (industrie et commerce, finances, agricultures, gestion des entreprises
publiques), pour la plupart conduits par la Banque Mondiale.
Perçue dans un premier temps, comme l’application arbitraire et unilatérale de mesures de stabilisation macro-
économique, visant à restaurer la capacité de servir la dette extérieure, au détriment des équilibres sociaux et produc-
tifs, la politique d’ajustement structurel est apparue par la suite comme une politique aux multiples facettes, tendant à
mettre en harmonie l’impératif des équilibres macro-économiques fondamentaux et la rationalisation de l’intervention
régulatrice de l’État dans les différents secteurs. Au début des années 90, l’opinion publique est pratiquement unanime
sur le bien-fondé des mesures de rationalisation adoptées dans le cadre de cette politique.
Cette quasi-unanimité s’explique.
La politique industrielle ne peut être présentée, sans nuances, comme une composante complètement intégrée à la
politique d’ajustement structurel (PAS). Il serait, plus juste à notre sens, de présenter les aspects sectoriels de la PAS
comme des composantes de politiques sectorielles définies bien antérieurement et dotées d’une relative inertie, autant
au niveau des choix des objectifs qui les ont dictés, qu’au niveau des mesures législatives et réglementaires pour leur
application.
Adoptées la plupart du temps sous forme de compromis négociés, les mesures sectorielles de la PAS peuvent être
étroitement et complètement associées aux conditionnalités posées par les bailleurs de fonds, en l’occurrence la
Banque Mondiale, la politique concrète mise en œuvre par l’Administration marocaine a un caractère englobant.

267
C’est, en conséquence, cette dernière qui doit être interrogée, quand bien même l’importance de l’intersection entre
la PAS et la Politique de l’Administration marocaine inviterait à les confondre.
Il demeure, néanmoins, que c’est la Politique d’ajustement structurel qui constitue l’ossature des transformations qui
ont marqué la Politique industrielle et la Politique du Commerce Extérieur. Que ce changement converge avec les inté-
rêts locaux (y compris l’intérêt général) ne doit pas constituer une surprise.

D’une part, des mesures ne sont adoptées que lorsqu’elles rencontrent un échos au sein de l’Administration, d’autre
part, il est rare que les propositions de la Banque Mondiale paraissent comme des mesures de politique économique
dictées de l’extérieur, la puissante logistique d’étude de la Banque Mondiale lui permettant de précéder la plupart des
initiatives d’étude de réforme prises localement.

2. Renforcer la flexibilité des structures

La flexibilité des structures productives a été recherchée à travers des actions visant à assouplir le régime
des prix et l’encadrement administratif des entreprises. Les réformes des procédures de l’administration
économique introduites ces dernières années visent à faciliter les opérations des entreprises, tant au niveau
de l’investissement que du fonctionnement.

2.1. La politique des prix et de la concurrence

Le cadre juridique réglementant les prix a été mis en place en 1971. Bien que déterminé en principe par le
marché, les prix étaient soumis à une réglementation visant à protéger le pouvoir d’achat des consomma-
teurs, à éviter les ententes sur les prix et prévenir les dérapages inflationnistes.
La loi de 1971 prévoit que tous les prix peuvent être réglementés, sur la base d’un arrêté du Premier
Ministre. L’application des dispositions de la Loi 008-71 distingue trois catégories de produits. La première
comprend les produits entrant dans la Liste A considérés comme produits de base alimentaires (sucre,
céréales, lait, huiles alimentaires...), ou stratégiques (énergie, les engrais, le ciment, etc.). La Liste B
regroupe des produits soumis à la réglementation des Administrations territoriales (préfecture et Provinces),
principalement les matériaux de construction ou des produits dont le coût peut être déterminé facilement. La
liste C regroupe les biens et services dont la réglementation des prix relève des autorités locales.
L’appartenance d’un produit ne signifie pas que le prix de celui-ci est nécessairement réglementé. « La
décision finale de réglementer effectivement un prix dépendait de d’une décision des autorités ». Dans le cas
précis des produits industriels, la révision des prix des produits industriels soumis à réglementation avait lieu
à des requêtes spécifiques des producteurs ou des grossistes-importateurs.
L’incidence du contrôle des prix doit être cependant relativisée. La plupart des biens n’étaient pas soumis
à réglementation. En outre, des réajustements intervenaient périodiquement. Aussi, « les prix sont restés
dans une large mesure sensibles à l’évolution des coûts en dépit de l’intervention de l’État ». 1

1. Voir « PRIX ET CONCURRENCE », HAJJI N., JAIDI L., ZOUAOUI M., Ministère des Affaires Économiques, 1992, page 5.

268
Pendant les années 1960, le Maroc a connu un rythme d’inflation modéré n’impliquant qu’un petit nombre
de révisions. L’apparition d’une inflation à deux chiffres et l’accroissement de l’instabilité des prix des
matières premières, à partir de 1973, ont rendu la gestion administrée des prix quasiment impraticable, à
cause de la fréquence très élevée des propositions de révisions 1.
La libéralisation des prix a été entamée à partir de 1982 et étendue à presque tous les secteurs industriels
en 1986. Le niveau régime des prix établit l’autonomie des producteurs en matière de fixation des prix. Cer-
taines modalités de régulation administrative des prix industriels restent encore en vigueur. Il s’agit, princi-
palement, des Accords de Modération (fondés sur un engagement des producteurs à respecter les prix fixés
en commun avec l’Administration), de la procédure d’auto révision qui laisse l’opportunité à l’Administration
d’effectuer un contrôle a posteriori. La plupart des prix des produits industriels sont actuellement fixés dans
un régime de liberté totale. L’exception concerne les produits agro-industriels et les prix de certains maté-
riaux de construction.

2.2. L’assouplissement de l’encadrement administratif des entreprises

Il s’agit, principalement, de la décentralisation et de la quasi-automaticité de l’attribution des avantages pré-


vus par les codes des investissements, de la facilitation des procédures du commerce extérieur et de
l’assouplissement du régime des changes.
La gestion des avantages du Code des Investissements a connu une grande amélioration après la Lettre
Royale (1989) rendant automatique l’application des avantages du Code des Investissements, un mois après
le dépôt de dossier en l’absence de refus explicite de l’Administration. L’étude des dossiers d’investisse-
ments et la décision d’attribuer les avantages du Code a décentralisé sur les délégations régionales du Minis-
tère du Commerce, de l’Industrie et de la privatisation.
Le Plan EXPORT, établi conjointement entre plusieurs administrations et les représentants du secteur
privé exportateur souligne « l’énorme effort et les progrès accomplis pour l’amélioration des procédures » 2
de la gestion du transit portuaire des marchandises et des régimes économiques en douanes, en particulier,
celui de l’Admission temporaire. Il évoque l’existence de litiges importants entre les exportateurs et l’Admi-
nistration des Douanes, liés au non-respect des délais pour l’Admission Temporaire, pour la délivrance des
mains levées relatives aux cautions en douanes et à l’évaluation des marchandises en transit 3.
Enfin, élément fondamental, pour l’efficacité d’un appareil productif fortement dépendant des importations
et des exportations, pour décourager les fuites de capitaux, et surtout, la mobilisation des capitaux étrangers
plusieurs mesures assouplissant le régime des changes ont été adoptées : le retransfert des capitaux inves-
tis et des bénéfices réalisés par les entreprises étrangères est garanti ; les exportateurs peuvent disposer,
sans justification, d’une dotation en devises équivalente à 20 % de leur chiffre d’affaires ; le contrôle des
changes a été décentralisé au niveau des banques commerciales. Enfin, parallèlement à une politique globale
de reconstitution systématique des réserves de changes, la convertibilité totale du dirham a été annoncée
pour un « futur proche » (1993).

1. Confert Omar EL BAHRAOUI, « Politique des prix », Revue de l’INSEA, janvier 1985, numéro 8, page 41.
2. Document ronéotypé – Ministère du Commerce Extérieur, page 41, juin 1993.
3. Idem, page 23.

269
3. Politique de protection et d’incitation et préférences de
structures

La politique de la protection et d’incitation a connu un changement fondamental dans ses modalités et


principes durant la Décennie 80. Désormais, les mesures de politique industrielle privilégient, du point de vue
du principe, la demande extérieur, et du point de vue de la forme, la régulation spontanée par les forces du
marché. Ce changement peut être qualifiée de « libéralisation », nonobstant qu’il a été constamment marqué
du sceau de la progressivité et même de la réversibilité.
Cette orientation a été couronnée par l’adoption de la Loi sur le Commerce Extérieur. Cette loi est inter-
venue à la suite d’un long processus de réduction des contrôles administratifs sur les flux du commerce
extérieur et une réduction sensible de la charge fiscale sur les importations. Elle a été adoptée à la suite de
l’adhésion du Maroc au GATT et de son engagement à se conformer à ses principes en harmonie avec les
pratiques des autres membres du GATT.

La Loi du Commerce Extérieur consacre deux principes de politique économique fondamentaux :


– la protection ne peut être accordée qu’aux activités économiquement rentables. L’indexation des prix
relatifs locaux sur les prix mondiaux est de nature à favoriser une spécialisation optimale de la structure
industrielle.
– la réduction et la stricte délimitation du champ d’intervention de l’administration dans la définition des
mesures de protection.

Désormais, l’État a explicité le principe sur le lequel il se base pour attribuer « protection et incitation ». La
préférence de structures est devenue, en principe, un fait transparent.
La question posée est de savoir si l’adoption de ce principe signifie une politique nouvelle ou une façon de
souligner un principe déjà implicitement mis en œuvre dans de nombreux secteurs.
Certes, l’État a marqué sa préférence pour le secteur agricole et la pêche, à travers l’attribution d’avan-
tages fiscaux, sans équivalent au niveau de l’industrie. Pour le secteur industriel, il se limite à des mesures
orientant l’investissement sur le plan régional et à orienter les investisseurs en direction du secteur exporta-
teur et au niveau de l’implantation régionale.
La politique de protection du marché intérieur pourrait être une forme de préférence de structures. Les
préférences implicites de structures ressortent de l’examen du niveau des droits de douanes et des mesures
d’encouragement aux investissements.
Toutes ces mesures contribuent, de manière plus ou moins efficace, à la modification du prix des produits
finis des différentes activités industrielles, du prix de leurs intrants, de leur valeur ajoutée et de leur rentabi-
lité.
C’est l’efficacité de l’action sur cette dernière variable, la rentabilité qui permet à la politique d’incitation et
de protection d’orienter efficacement l’allocation des ressources et donner un caractère concret et réel à la
préférence implicite des pouvoirs publics.
Une commission consultative des importations a été mise en place dont le but est de veiller, dans le cadre
de l’application de la Loi du Commerce Extérieur de 1989, à la prise en compte des intérêts des différents
partenaires socio-économiques concernés par une demande de protection ou une plainte anti-dumping.
Les prérogatives de cette Commission restent complémentaires avec celles du Conseil Économique et
Social, institué par la Constitution de 1992, dont les fonctions exactes demandent encore à être définies et
qui pourrait probablement servir de forum de réflexion sur la stratégie commerciale et de cadre d’arbitrage
dans la gestion de la protection.

270
4. Évolution de la politique de protection

Désormais, la nature des produits importés dépend de plus en plus de l’expression sur le marché des pré-
férences des consommateurs, alors qu’en période de fort contrôle elle reflétait en grande partie des choix
administratifs. Le contrôle des importations se donne plus ouvertement l’objectif d’assurer la protection des
industries locales en privilégiant la protection tarifaire.

4.1. Principaux traits du système de protection industrielle

La protection nominale conditionne la formation des prix et le partage du marché intérieur entre produc-
teurs mondiaux et producteurs étrangers. Elle résulte, aussi bien de la protection tarifaire, que d’une action
multiforme des administrations publiques concernées (Douanes, Ministères techniques chargés de l’Indus-
trie, de l’Agriculture, de la Santé, etc.).
Les principales techniques de la protection affectant la formation des prix et le partage du marché des pro-
duits industriels utilisées au Maroc sont la protection tarifaire et le contrôle administratif des importations. Le
contrôle total sur les prix et les quantités des produits importés ne touchent qu’un très petit nombre de pro-
duits agro-alimentaires comme les céréales, sucre brut, huiles brutes et graines oléagineuses ou énergé-
tiques comme le pétrole.
La protection tarifaire : le tarif douanier et le prélèvement fiscal à l’importation appliquées aux produits
importés amputent leur compétitivité sur le marché intérieur. La protection tarifaire repose à la fois sur la
quotité du tarif douanier et sur l’estimation de la valeur en douane. Les autorités douanières ont pour mission
de vérifier le bien-fondé de la déclaration de la valeur en douane. Jusqu’à présent, les modalités d’établisse-
ment de la valeur en douane en vigueur actuellement au Maroc sont celle établies par le Conseil de Coopéra-
tion des douanes. Le contrôle du bien fondé des déclarations repose sur les informations disponibles dans le
fichier concernant les prix. Il est fait recourt à ce fichier lorsque la valeur déclarée apparaît nettement en des-
sous des valeurs attendues. Quoique l’établissement de la valeur en douane ne doive absolument pas être
confondue avec une mesure de protection, il appartient à l’administration des douanes d’identifier les cas de
dumping et de recourir dans ces cas là à l’utilisation de la valeur en douane comme un instrument supplé-
mentaire de protection. La Loi sur le Commerce extérieur, en harmonie avec les principes du GATT, rend
beaucoup plus restreintes les possibilités d’invocation du dumping et la manipulation des valeurs en douane
à des fins de protection.
Le système des autorisations conditionne le droit d’importer certains produits par l’autorisation des admi-
nistrations techniques. Celles-ci décident de l’opportunité de permettre leur entrée sur le territoire national,
considérant, soient les quantités proposées à l’importation, soient les prix annoncés. L’effet de ce système
est d’interdire l’entrée des marchandises de qualité équivalente à celle produite localement. Il réduit le choix
du consommateur sur les produits de basse et moyenne gamme et favorise un gain de prix en faveur du pro-
ducteur.

Les prix de référence en douane ont été mis en place pour compenser la suppression des autorisations à
l’importation de certains produits. Fixés en 1986, ces prix de référence servaient de valeur en douane unique-
ment au cas ou la valeur unitaire facturée leur était supérieure. Il sont un instrument de protection transitoire.
Leur incidence sur la charge de taxation des importations doit être réduite avec le temps du fait de l’inflation.
Le prix de référence ne sert que pour le calcul des droits et taxes à l’importation. Il a pour effet d’amplifier le
taux cumulé utilisé pour leur calcul comme suit :

271
ta = tc * (pref / pfac)

avec

ta = taux cumulé amplifié,


tc = taux cumulé= (dd+pfi)*(1+TVA)
dd = quotité du droit de douane
pfi = prélèvement fiscal à l’importation,
tva = taux de la taxe sur la valeur ajoutée
pref = prix de référence
pfac = prix facturé

Le système des prix de référence, le CPT et la protection par le système des autorisations, par les prix de
référence en douane de certains produits dont l’achat sur le marché mondial est directement contrôlé par
l’État (céréales, huiles, sucre, produits laitiers, produits pétroliers).

4.2. La réforme du dispositif de protection industrielle

La réforme du dispositif de protection industrielle a touché les restrictions aux importations par le contrôle
administratif direct et le niveau et la structure des quotités tarifaires. La tendance dominante est la substitu-
tion de la protection tarifaire aux contrôles directs des prix et quantités importés.
La plupart des baisses de protection ont été négociées dans le cadre des prêts d’ajustement structurel
accordés par la Banque Mondiale. Une partie des tarifs a fait l’objet de consolidation suite à l’adhésion du
Maroc au GATT 1.
Soucieuse de laisser des délais aux producteurs locaux pour s’adapter à la concurrence étrangère sur le
marché local, les autorités concernées ont veillé à maintenir un certain gradualisme dans la réduction du
niveau de protection et, le cas échéant, à introduire des compensations.

Celles-ci ont été de deux formes.


La première a consisté à mettre en place un prix de référence minimal à l’importation pour une liste de pro-
duits sensibles. La deuxième forme consiste à compenser la suppression du contrôle direct, c’est à dire la
reclassification du produit de la liste B à la liste A par une hausse du tarif 2.

1. Un tarif est dit consolidé lorsque le pays s’engage à ne plus le réviser à la hausse.
2. Le Programme Général des Importations (PGI) classe les produits de la Nomenclature douanière en trois listes :
A, libres à l’importation, B, soumis à autorisation et C, prohibés. Le PGI est publié chaque année par l’Administration chargée du Commerce Exté-
rieur.

272
La mesure principale reste la libéralisation des flux d’importations. La Liste C du PGI a été supprimée en
1986. Le poids de la Liste B dans les importations totales a été considérablement réduit. La part des importa-
tions de produits manufacturés soumise à autorisation est passée de 43.34 % en 1980, à 21.13 % en 1985
et à 9.73 % en 1990.

3-1 : Poids des importations classées en liste b en %


SECTEURS 1980 1985 1986 1987 1988 1989 1990
INDUS. ALIMENTAIRES 19.3 3.2 0.6 0.5 0.5 0.4 2.3
AUT. INDUS. ALIM. 82.0 8.6 18.2 16.6 13.2 14.9 19.4
BOISSONS ET TABACS 5.4 6.8 5.8 3.5 3.3 4.9 5.0
TEXTILES ET BONNETERIE 32.7 33.9 29.0 32.1 33.1 31.0 36.6
HABILLEMENT 28.6 80.1 87.1 67.2 28.9 36.3 43.7
CUIRS ET CHAUSSURES 21.9 14.0 12.3 10.3 10.4 9.0 16.1
BOIS ET ARTICLES EN BOIS 89.6 2.8 2.5 2.8 5.8 0.6 0.0
PAPIER, CARTONS ET
IMPRIMERIE 60.4 16.1 0.0 0.0 0.0 0.0 0.0
MINÉRAUX DE CARRIÈRES 61.0 20.2 8.3 5.9 5.5 4.8 1.7
INDUSTRIE MÉTALLIQUE
DE BASE 32.4 12.0 4.3 3.8 4.4 2.0 0.0
OUVRAGES EN MÉTAUX 34.8 17.6 8.6 3.4 1.7 0.5 0.0
MATÉRIEL D’ÉQUIPEMENT 64.2 20.8 18.3 21.4 11.6 3.6 2.9
MATÉRIEL DE TRANSPORT 80.9 49.1 35.3 44.4 45.6 38.1 33.5
MATÉRIEL ÉLECTRIQUE
ET ÉLECTRONIQUE 32.6 14.5 9.9 8.8 3.5 0.6 0.4
MACHINES DE BUREAUX
ET DE MESURES 10.1 1.9 1.9 1.4 0.9 0.0 0.0
CHIMIE ET PARACHIMIE 33.2 16.6 10.8 10.8 8.7 9.1 10.0
ART. CAOUTCH ET PLAST. 18.7 19.6 10.4 9.5 9.6 4.1 3.5
AUTRES INDUS. MANUFACT 71.8 42.6 27.0 25.5 24.9 17.3 0.1
ENSEMBLE DES INDUSTRIES 43.31 21.13 16.13 14.88 11.76 9.84 9.73
ENSEMBLE DU MAROC 50.77 22.28 18.09 16.46 14.17 12.15 12.44

Sources : Données de base : Office des changes et ministère du commerce extérieur


Traitement éffectué au Cerab

Les quotités tarifaires ont été fortement diminuées et harmonisées. En 1991, le taux de protection tari-
faire a été plafonné à 57.5 % 1. La structure tarifaire a été simplifiée et un processus de réduction des écarts
de taxation entre les différentes catégories de biens a été engagé. 2

1. t* = droit de douane + prélèvement fiscal sur les importations (PFI à 12.5 %). Les changements introduits dans le tarif douanier en 1992
ont limité le taux maximal à 52.5 %.
2. La moyenne non pondérée des coefficients de protection tarifaire était de 37.6 % et la moyenne pondérée de 27.8 %. Pour les biens inter-
médiaires, le tarif moyen pondéré était de 25 %. Il était de 25 % pour les biens d’équipement et de 33 % pour les biens de consommation.
Voir Banque Mondiale. « Maroc : l’incidence fiscale de la réforme commerciale soutenue par le programme SAL-II », septembre 1992. L’estima-
tion applique les pondérations de 1990.

273
3-2 : Charge fiscale sur les importations
SECTEURS 1980 1990
INDUS. ALIMENTAIRES 0.07 0.62
AUT. INDUS. ALIM. 0.55 0.13
BOISSONS ET TABACS 1.17 0.52
TEXTILES ET BONNETERIE 0.37 0.28
HABILLEMENT 0.39 0.54
CUIRS ET CHAUSSURES 0.30 0.14
BOIS ET ARTICLES EN BOIS 0.30 0.36
PAPIER, CARTONS ET IMPRIMERIE 0.27 0.34
MINÉRAUX DE CARRIÈRES 0.54 0.52
INDUSTRIE MÉTALLIQUE DE BASE 0.36 0.28
OUVRAGES EN MÉTAUX 0.66 0.50
MATÉRIEL D’ÉQUIPEMENT 0.20 0.18
MATÉRIEL DE TRANSPORT 0.43 0.28
MATÉRIEL ÉLECTRIQUE ET ÉLECTRONIQUE 0.43 0.39
MACHINES DE BUREAUX ET DE MESURES 0.48 0.41
CHIMIE ET PARACHIMIE 0.30 0.27
ART. CAOUTCH ET PLAST. 0.48 0.49
AUTRES INDUS. MANUFACT 0.48 0.79
ENSEMBLE DES INDUSTRIES 0.33 0.31
ENSEMBLE DU MAROC 0.30 0.31

Source : 1. TES 1980 – DIRECTION DE LA STATISTIQUE


2. TES 1990 – CERAB

Ce processus n’est pas allé, toutefois, sans la prise de mesures de compensation et de sauvegarde, qui
ont maintenu, voire, accru la protection du secteur industriel.
Depuis 1986, les tarifs de certains produits ont été augmentés. Le passage de certains produits de la liste
B (importation soumise à autorisation) a été compensé partiellement par l’application du système des prix de
référence en douanes pour un produit sur cinq transféré de la Liste B à la Liste A. Ce prix de référence fixe un
montant plancher du droit de douane à payer à l’importation. En 1990, le prix de référence a dépassé le prix
unitaire à l’importation pour un tiers des produits concernés. Le tarif amplifié 1 moyen pour ces produits attei-
gnait 96.2 %.

4.2.1. Analyse de la structure tarifaire


La principale préoccupation en cette matière a été de sauvegarder la part de marché local détenue par les
entreprises exportatrices. La hiérarchie des niveaux de protection tarifaire accordés aux différentes branches
industrielles montre, en fait, une préférence pour les structures existantes, résolument privilégiant les indus-
tries de biens de consommation.
L’examen de l’intégralité de la structure tarifaire montre que les biens manufacturés bénéficient d’une pro-
tection tarifaire plus grande que les autres. Parmi les biens manufacturés, les biens de consommation sont
plus protégés que les biens intermédiaires qui le sont plus que les biens d’équipement.

1. Tarif amplifié ta = (prix de référence / prix unitaire c.a.f. moyen) * droit de douane. Calcul fait par Patrick Messerlin ’The Moroccan Refe-
rence Price System : An Overview’, 21 juin 1991.

274
Le tableau ci-dessous a été établi uniquement sur la base des importations entrées sous le régime « Mises
à la consommation ».
Les estimations n’y tiennent pas compte de l’impact exercé par les dégrèvements de droits de douane
accordés aux importateurs privés de biens d’équipements bénéficiant des avantages prévus par les Codes
des Investissements.
La hiérarchie des niveaux de protection tarifaire accordés aux différentes branches industrielles montre, en
fait, une préférence pour les structures existantes, privilégiant de fait les industries de biens de consomma-
tion. Les biens manufacturés bénéficient d’une protection tarifaire plus grande que les autres. Parmi les
biens manufacturés, les biens de consommation sont plus protégés que les biens intermédiaires qui le sont
plus que les biens d’équipement.
En réalité la protection tarifaire est très réduite sur les biens d’équipement, car les importations de biens
d’équipement effectuées, dans le cadre du régime des encouragements aux investissements représentent
environ 50 % des importations.

3-3 : Structure des droits de douanes en 1990 et des recettes douanières en %

SECTEURS DROIT DE COEFFICIENT DE DROIT DE IMPORTATIONS RECETTES EN


DOUANE- VARIATION DOUANE EN % DROITS DE
MOYENNE SIMPLE PONDÉRÉ DOUANE
ENSEMBLE 25.2 55.8 13.6 100.0 100.0
AGRICULTURE 17.4 95.5 2.3 7.0 1.2
MINES 10.8 85.5 2.8 8.5 1.8
INDUSTRIES : 25.7 54.0 15.6 84.5 97.0
DONT BIENS DE
– CONSOMMATION
35.9 34.4 22.3 13.9 22.9
– INTERMÉDIAIRES 19.5 62.2 12.4 33.0 30.1
– ÉQUIPEMENTS 23.1 50.2 15.9 37.9 44.1
Note : Le tableau ci-dessus été établi uniquement sur la base des importations entrées sous le régime « Mises à la consommation ». Les estimations ci-dessus ne tiennent pas compte de l’impact exercé par les dégrè-
vements de droits de douane, accordés aux importateurs privés de biens d’équipements bénéficiant des avantages prévus par les Codes des Investissements.

Source : The World Bank – The fiscal impact of the trade reform supported by SAL-II – September 3, 1991

5. Les silences du programme d’ajustement dans le secteur


industriel et commercial

Dans le domaine particulier de la politique industrielle, la Politique d’ajustement structurel n’a pas pris
compte de manière intégrée de quatre éléments essentiels à notre avis pour donner leur pleine efficacité aux
principes qui ont conduit la réforme de la politique industrielle, évoqués dans la première section de ce cha-
pitre (stimulation de la création d’entreprise et des investissement, flexibilité des structures, adaptation du
système incitatif aux critères de l’avantage comparatif, aiguisement de la concurrence interne).

275
Ces éléments sont les suivants :
a. le potentiel de mobilisation du capital et de révélation des avantages compétitifs statiques et
dynamiques lié à la dynamique de la propriété et à la stratégie des groupes industriels;
b. la prise en compte de la dimension stratégique de la compétition économique internationale par
une action concertée au niveau national entre l’État et les groupes privés pour le choix de cré-
neaux présentant des avantages compétitifs durables pour l’industrie nationale;
c. l’incidence du conflit de répartition au sein et à l’extérieur de l’entreprise sur la formation des
gains de productivité. Une structure de salaire plastique exerce un effet conservateur sur les condi-
tions techniques de production. Elle permet de résister à la pression concurrentielle du marché aux
entreprises qui ne présentent pas les conditions de productivité correspondant aux dernières tech-
niques. C’est la variable salariale qui à notre avis représente l’élément explicatif principal de l’atténuation
de la compétition entre les entreprises aux niveaux des branches et du maintien d’une forte hétérogé-
néité dans les procédés de production et les performances techniques au sein des branches ;
d. le rôle de la protection vis à vis de la concurrence externe comme facteur stabilisant la configura-
tion concurrentielle au sein des branches (au sens de Baumol, Panzar et Willig). Une baisse de la pro-
tection aurait pour effet de conduire à une rupture de cette configuration et à l’élimination des
entreprises financièrement les plus fragiles. Cette baisse de la protection est induite, soit par la contre-
bande, soit, et ce plus tardivement et de manière beaucoup moins dramatique, par la libéralisation de la
politique de protection.

Ce sont ces blancs dans la représentation et le discours sur la stratégie industrielle qui ont conduit à la défi-
nition de la présente étude. Ils constituent la thèse principale que nous cherchons à démontrer dans la pré-
sente recherche.

Vérifier ses différents arguments aurait nécessité de disposer pour les différentes entreprises du Maroc
d’informations sur :
– la démographie des entreprises industrielles, c’est à dire leurs entrées, sorties et investissements,
– la structure et l’évolution de la dynamique de la propriété des entreprises industrielles,
– la dynamique de la structure de leurs prix de revient, ainsi que de ceux de leurs concurrentes sur le mar-
ché mondial.
– la structures des salaires et de l’emploi,
– et le degré et les différentes formes de l’endettement des entreprises industrielles.

Le rassemblement et la mise en forme de ces données sont techniquement possibles, sans coûts diri-
mants. Faute d’en disposer de manière exhaustive et satisfaisante, nous avons recouru à une démarche qui a
procédé à l’illustration des éléments de l’argumentation évoquée ci-dessus.

276
IV. Accords commerciaux et mise a niveau

1. Réforme commerciale, accords commerciaux et mise à niveau

La logique de l’ouverture et les accords commerciaux


Les entreprises marocaines sont confrontées à une baisse progressive des tarifs douaniers les protégeant
sur le marché intérieur, sans qu’une correction conséquente soit assurée par le biais du taux de change. Sur
les marchés d’exportation, l’application des accords de l’OMC réduit les avantages préférentiels des exporta-
teurs marocains sur leurs marchés traditionnels, principalement l’Union Européenne. Certaines entreprises
ont réussi à mobiliser leurs réserves de productivité et de compétitivité en agissant sur leurs coûts internes,
renouvellement des équipements et des processus techniques et gestion du personnel, la qualité de leurs
produits, l’amélioration de leur approvisionnement et/ou un effort de prospection et de maîtrise de leur clien-
tèle. Cependant, on observe pour nombre d’entreprises l’existence d’un certain retard dans la prise de
conscience des risques liés à la concurrence internationale et, souvent la faiblesse des ressources finan-
cières à la disposition des programmes de restructuration des PME.

2. La logique de la politique de mise à niveau

La mise à niveau est un processus global consistant à améliorer les facteurs externes, propres à l’envi-
ronnement de l’entreprise, et internes relatives à ses ressources, à son mode d’organisation et à ses initia-
tives stratégiques. Il s’agit, aujourd’hui de renouveler le concept et la démarche de mise en œuvre de la mise
à niveau : ouverture des entreprises sur l’environnement, sur le social et sur le partenariat ; abandonner une
vision de la MAN centrée sur une vision stricte des insuffisances de la gestion interne et mise en œuvre
d’une approche de ciblage de l’univers des entreprises marocaines : identifier selon les secteurs les PME qui
nécessitent un soutien.
Le tissu des entreprises marocaines est hétérogène. Des entreprises structurées coexistent, dans la plu-
part des branches, avec des PME et des micro entreprises. Les pratiques, informelles en marge des prescrip-
tions de la réglementation fiscale, de l’emploi, du code du commerce et des lois sur les sociétés, sont
fréquentes. Elles s’imposent, souvent comme une règle, car les conditions économiques, de prix et de
coûts, dictées par le marché ne peuvent être surmontées en raison des limites liées aux ressources internes
des entreprises. On peut aussi considérer que les paramètres déterminant le coût de la fiscalité et du respect
de la législation sont inadaptés aux capacités de la plupart des unités fonctionnant de manière informelle. La
réalisation de gains de productivité dans les unités de production est probablement la solution.
Pour amener les établissements industriels et de service à ce seuil, il convient d’identifier le potentiel de
productivité et les actions à réaliser sur les plans technique, organisationnel, commercial et financier pour
combler l’écart entre le potentiel et l’existant.
Les économies d’échelle liées à la redéfinition de la structure des établissement et de la taille des entre-
prises impliquent une politique de structure. Celle-ci passe par la définition de normes de concentration
compatibles avec les conditions de la compétition internationale et l’exigence de rapports concurrentiels sur
le marché intérieur. Elle suppose des formes d’action libérales d’encouragement des regroupements se don-

277
nant comme priorité le succès de la coopération entre les partenaires industriels : son initiation, sa mise en
œuvre et son aboutissement.
Une telle action passe d’abord par le renforcement du tissu associatif et des habitudes de coopération. Elle
suppose aussi une bonne connaissance du tissu des entreprises et des établissements et le tissage
d’actions de proximité en direction des entreprises menées par les acteurs publics et privés disposant des
ressources foncières, technologiques, de formation et de financement et chargés de leur encadrement. Il
s’agit, par conséquent, d’actions menées au niveau local avec un appui planifié au niveau central.
Les objectifs de l’action au niveau du centre sont de favoriser l’expression d’initiatives structurées au
niveau local. La coopération devrait en ce sens veiller à ce que la base d’information sur le tissu des entre-
prises soit cohérentes avec ces objectifs de structure.
Des travaux récents ont été réalisés : recensement des établissements économiques, études sur le sec-
teur informel, études sur la mise à niveau. Ils doivent compléter les données disponibles élaborées à partir de
l’enquête annuelle du MCI. Le traitement de ces données, ainsi que les résultats de l’étude de stratégie
engagée par le ministère visant à identifier les créneaux porteurs, dans les différentes chaînes de valeur glo-
balisées, pour le développement industriel du Maroc, permettront de fixer des objectifs d’action pour cha-
cune des branche, en terme de gains de productivité, de regroupement des entreprises et de renforcement
des capacités associatives.
Les gains de productivité dans les unités ne peuvent provenir que d’actions ciblées selon la taille et l’état
technique et organisationnel des différentes strates d’entreprises. Il s’agit donc d’établir une carte du monde
des entreprises (typologies) et une roadmap (mise en relations des types d’entreprises et d’objectifs).

Il s’agit dans ce sens de :


– Définir une stratégie de soutien aux entreprises en difficulté
– Assurer une réflexion sur le processus d’upgrading de l’ensemble du secteur industriel en tenant
compte de la diversité et de l’hétérogénéité du tissu industriel
– Besoin de concentration systématique sur les objectifs de qualité (besoins d’études ambitieuse avec
analyse des processus techniques utilisés en vue de recommander une démarche d’upgrading adapté à
la situation juridique, économique et financière des unités économiques locales)
– Assurer la cohérence entre les innovations techniques proposées et le contexte juridique, économique
et social des unités

Le MCI en révisant le concept de la mise à niveau a adapté le concept du soutien à la mise à niveau en ren-
forçant les moyens pour soutenir les entreprises en difficulté : fonds de restructuration financière et fonds de
modernisation.

3. Les instruments de la mise à niveau

Pour aider les entreprises ayant des difficultés à identifier, lancer et à traduire en performances suffisantes
cette démarche, le gouvernement a mis en place, en partenariat avec des organismes de coopération bilaté-
rale, des organismes financiers nationaux et des organismes publics marocains (ODI, OFPPT) plusieurs pro-
grammes et actions :
– Des programmes d’assistance technique aux entreprises pour la réalisation de diagnostics stratégiques
et d’actions spécifiques de mise à niveau bénéficiant de financements :

278
R européens (programme MEDA, Euro-Maroc Entreprise, réservé aux entreprises ayant un chiffre
d’affaires supérieur à 2,50 millions DH),
R allemands (programme financé par la GTZ ouvert à toutes les catégories d’entreprises, mené en colla-
boration avec les associations professionnelles),
R et suisses (programme réservé à l’assistance assurée aux entreprises par le CMPP – centre Marocain
de Production Propre, pour la mise en place de technologies propres,) ;
– une action d’accompagnement des entreprises en matière de système de management de la qualité,
financée par le programme MEDA I,
– des subventions pour le diagnostic et l’identification des besoins en formation du personnel (par le biais
de Groupement Interprofessionnel d’Aide au Conseil), et au moyen de Contrats Spéciaux de Formation
Administrés par l’OFPPT, et avec l’appui d’une UGP Meda (au Département de la Formation Profes-
sionnelle),
– des soutiens financiers sous la forme :
R d’apport en fonds de garantie :
* le FOGAM (fonds de garantie de mise à à niveau) est réservé aux entreprises avec un total de bilan
inférieur à quarante Millions de dirhams et disposant d’un programme révélant son potentiel : la
garantie porte sur 6 60 % du crédit et 6 mois d’intérêts,
* le Fonds de Garantie français en faveur du Maroc, orienté vers les entreprises nouvellement
créées ;
* le fonds de Garantie Meda I portant aux conditions du marché sur 30 % du crédit,
* la garantie des crédits de fonctionnement « Oxygène » assurée par Dar Ad Damane, limitée à
500 000 DH ;
R d’apports en Capital-Risque par l’ouverture d’une ligne de crédit gérée dans le cadre du programme
Meda par la BEI ;
R d’ouverture de lignes de crédits bancaires pour la mise à niveau finançant l’acquisition de biens d’équi-
pement (ligne italienne) et de biens et services (lignes française, espagnole et portugaise) et de finan-
cement de biens et services servant à des opérations de création d’entreprises mixtes
hispano-marocaines (ligne espagnole) ;
R Du FODEP (fonds de Dépollution industrielle) assurant un soutien aux projets de dépollution au PME
(total du bilan inférieur à 200 millions de Dh) géré par le Ministère de l’environnement et la Caisse Cen-
trale de Garantie ;
R De prise en charge des terrains (50 % du coût) et bâtiments industriels (30 %) au profit de certaines
activités économiques (Fonds Hassan II pour le Développement économique et social).

3.1. Le programme de l’ONUDI

La conception des programmes de restructuration et de mise à niveau de l’ONUDI repose sur quatre
piliers : le renforcement des capacités des institutions de soutien, la modernisation de l’environnement
industriel, la promotion du développement des industries compétitives et l’amélioration de la compétitivité
internes des entreprises. Le diagnostic permettant d’identifier les actions de mise à niveau de l’entreprise
est conduit en cinq temps : l’analyse des sources externes de compétitivité, le diagnostic financier, le diag-
nostic des compétences managériales et de la qualité, l’analyse des produits et le positionnement straté-
gique de l’entreprise sur le marché et le diagnostic des capacités techniques. La sélection des stratégies et la
formulation des plans d’action pour la mise à niveau s’inscrivent dans une démarche d’amélioration conti-

279
nue : le processus de mise en œuvre et de suivi permettant de mieux appréhender et d’affiner le diagnostic
stratégique global.
La contribution spécifique de l’ONUDI dans les actions de mise à niveau présente donc l’avantage de dis-
poser d’un concept cohérent qui permet d’identifier les différents facteurs internes et externe (propres à
l’environnement) de l’entreprise sur lesquels il convient d’agir.
Cependant, le coût élevé des interventions en entreprise appelle non seulement un travail de ciblage préa-
lable, mais aussi un travail préliminaire de sensibilisation pour une contribution des entreprises aux opéra-
tions de diagnostic, de définition des plans de mise à niveau et d’accompagnement de leur mise en œuvre.

V. Marché du travail, taux de change et opportunités


d’investissement

Le but de cette section paragraphe est de montrer que parmi l’ensemble des politiques d’emploi, les poli-
tiques affectant la croissance jouent un rôle décisif. Nous caractériserons de manière succincte les effets de
la transition démographique (A) et les évolutions récentes du niveau et des formes du chômage (B). Nous
proposerons une explication des caractéristiques du chômage à partir de l’examen des structures de l’emploi
(C) et des structures de détermination des salaires (D). Nous terminons, cette section par un commentaire
des mesures existantes de promotion de l’emploi (E), pour montrer que les actions, visant la promotion de la
compétitivité, sont celles qui recèlent les plus grandes opportunités pour la création d’emploi (F).

1. Transition démographique, taux d’activité et pression sur le


marché du travail

La pression démographique sur le marché du travail est en croissance. Sous l’effet de la transition démo-
graphique connue durant ces dernières décennies par le Maroc, le poids de la population d’âge actif, de
15 ans à 59 ans, dans la population total est de plus en plus grand. Il est passé de 46 % en 1970 à près de
63 % en 2003.

280
Poids des classes d’âge actif et inactif

La part des jeunes de moins de 15 ans est passée de 45 % en 1970 à 30 % en 2003. La part des per-
sonnes d’âge de la retraite est restée relativement stable, connaissant une légère hausse.
Les effets de la transition démographique sont plus prononcés en milieu urbain. Le nombre de personnes
d’âge inactif par actif est nettement plus élevé en milieu urbain qu’en milieu rural. Ils connaissent, cependant,
le même trend produit par la baisse des taux de natalité et des taux de mortalité.

281
Durant les cinq dernières années, le taux d’activité a connu une tendance à la baisse passant de 54,4 % à
50,7 % de 1999 à 2002. Il a connu un redressement de 2002 à 2005, pour atteindre 53 %. Cette évolution
est imputable pour l’essentiel aux variations du taux d’activité féminin, qui est passé de 30,3 % en 1999 à
24,9 en 2002, pour connaître un redressement et atteindre 29,6 % au premier trimestre 2005.
L’évolution du taux d’activité est étroitement corrélée à celle du taux de chômage. Le véritable indicateur
de la pression exercée sur le marché du travail est le taux d’emploi : celui-ci rapporte la population des actifs
occupés à la population totale en âge de travailler. Il est, en 2002, de 44,8 %. Il atteint, respectivement en
2003 et 2004, 46,4 % et 46,9 %.
Le taux d’emploi est nettement plus élevé en milieu rural (56,2 % en 2002) qu’en milieu urbain (37,1 % en
2002). Il est particulièrement faible pour les femmes en milieu urbain (15 % en 2002).

2. Niveau et caractéristiques du chômage

Le chômage touchait en 2004 et 2005 environ 1,2 millions de personnes. Il affecte, en particulier, les caté-
gories les plus jeunes, les femmes et les diplômés. Il est caractérisé par une durée de plus en plus longue.

Caractéristique de durée du chômage et structure de la population en chômage


selon la cause de mise au chômage

1999 2000 2001 2002 2003 2004


Part des chômeurs n’ayant jamais travaillé 52,4 48,5 50,3 52 51,6 52,8
Part des chômeurs de longue durée (>12 mois) 71,4 70,2 69,3 69,8 69,3 70,0
Structure de la population en chômage
Arrêt de l’activité de l’établissement, licenciement 24,8 28,1 28,8 28,6 29,6 28,6
Cessation d’activité indépendante, saisonnière, 18,3 15,9 16,4 15,5 14,8 16,5
ou cause de revenu insuffisant...
Fin d’études ou de formation 40,5 42 39,9 40 41,1 41,7
Arrivés à l’âge de travailler 10,6 8,4 9,1 10,7 9,6 8,9
Autres causes 5,8 5,6 5,8 5,2 4,9 4,3

La part des chômeurs n’ayant jamais travaillé gravite entre 48,5 % et 52,8 %. La part des chômeurs de
longue durée est voisine de 70 %.
La proportion des chômeurs ayant perdu leur emploi sur l’ensemble de la population en chômage est proche
de 29 %. Une fraction plus faible des chômeurs est constitué de travailleurs indépendant ayant cessé leur acti-
vité, principalement, à cause de l’insuffisance du revenu assuré par cette activité est de 16 % environ.

283
Indicateurs du chômage selon le niveau éducatif et le secteur en 2004

Taux de chômage Sans diplôme Niveau moyen Niveau supérieur Ensemble


. 15-24 ans 5,7 28,9 64,8 34,9
. 25-34 ans 5,8 24,0 41,1 46,9
. 35-44 ans 3,7 10,4 12,7 13,2
. 45 ans et plus 1,9 5,9 1,2 5,0
Part des chômeurs n’ayant jamais travaillé 26,1 53 79,2 52,8
Part des chômeurs de longue durée (>12 mois) 52,1 73,2 82,6 70

Le taux de chômage est particulièrement élevé pour les jeunes ayant achevé leurs études.
Il est d’autant plus élevé que l’âge des demandeurs d’emploi est bas et le niveau éducatif élevé. Le pour-
centage des chômeurs de longue durée de niveau éducatif supérieur est de 82,6 % en 2004.

Taux de chômage selon le diplôme

Le taux de chômage des chômeurs de niveau éducatif supérieur connaît une stagnation, alors que celui
des diplômés de niveau éducatif moyen et des sans diplôme temps à baisser. En milieu rural, le taux de chô-
mage est beaucoup plus faible (3,2 % en 2004) qu’en milieu urbain (18,4 % en 2004). Ce phénomène est
observable aussi chez les diplômés. En 2004, le taux de chômage des chômeurs sans diplôme en milieu rural
est égal à 2 %, alors qu’il est de 10,7 % pour les diplômés.

3. Les structures de l’emploi et des salaires

Ce sont les structures de l’emploi caractérisées par un compartimentage du marché du travail et les méca-
nismes de détermination des salaires qui expliquent les formes actuelles du chômage, marquées par la
longue durée et son aggravation pour les catégories les plus éduquées de la population active.
Les compartiments du marché du travail sont définis par la nature institutionnelle des établissements
économiques d’emploi. Chaque catégorie d’établissement économique est caractérisée par un régime
d’emploi identifié par les modalités de recrutement et de licenciement, une réglementation particulière des
relations de travail, un mode de détermination des revenus, un régime de couverture des risques sociaux. On

284
distingue ainsi les établissements appartiennent au secteur public, celui des administrations et celui des
entreprises publiques, et au secteur privé. Le secteur privé est très diversifié. Il convient d’y distinguer le
secteur des entreprises formelles, les entreprises informelles, les travailleurs indépendants et les exploita-
tions agricoles.
C’est le niveau de formation qui représente le facteur discriminant dans les conditions de travail, d’emploi
et de rémunération et qui explique le plus la répartition de la population active entre ces différents comparti-
ments d’emploi. Sur une population active occupée (personnes de 15 ans et plus) atteignant 9,7 millions,
près de 72 % sont sans diplôme, 19, 7 % (1,9 millions) ont un niveau inférieur au baccalauréat et 8,59 %
(830 000) un niveau éducatif supérieur. Sur une population active occupée en milieu rural de 5,16 millions,
seulement 1,1 % (environ 56 000) ont un niveau supérieur et 9,9 % un niveau moyen (511 000). En milieu
urbain, la population active occupée est de 4,5 millions, dont 17,1 % sont de niveau supérieur, 31 % de
niveau moyen et 52,9 % sans diplôme.

Structure de l’emploi selon le secteur d’emploi et le niveau éducatif en 2004

Sans diplôme Niveau moyen Niveau supérieur


Administration et collectivités locales 2,1 13,5 52,5
Entreprises publiques 0,3 1,7 4,8
Privé 97,6 84,8 42,7
Total 100 100 100

Le secteur privé représente 90 % des emplois. Il emploie 97,6 % des sans diplôme. En milieu rural, la part
du secteur privé dans les sans diplôme atteint 98,8 %. Le secteur public emploi 15,2 % des actifs occupés
avec niveau éducatif moyen (19,4 % en milieu urbain et 3,5 % en milieu rural). Le secteur public est le princi-
pal employeur des actifs occupés avec un niveau supérieur (57,9 % pour l’urbain, 49,7 % pour le rural et
57,3 % pour les deux milieux).
L’économie salariale ne représente que la partie minoritaire de l’emploi dans l’économie marocaine. Les
salariés et les employeurs ne comptent que pour 40,1 % des actifs occupés, alors que les indépendants et
les aides familiaux, qui s’inscrivent dans des formes familiales d’organisation de l’économie marchande,
représentent 57,5 % des actifs occupés.

Structure de l’emploi selon le statut dans la profession, le niveau éducatif et le milieu en 2004

Urbain Rural

Situation dans Sans Niveau Niveau Ensemble Sans Niveau Niveau Ensemble
la profession diplôme moyen supérieur diplôme moyen supérieur
Salariés 51 62,2 85,2 60,3 15,3 24,3 60,1 16,7
Indépendants 34,7 22,1 6,3 25,9 29,8 18,3 23,2 28,6
Employeurs 4,0 3,3 3,7 3,7 0,8 1,4 1,9 0,8
Aides familiales 5,1 7,6 2,0 5,4 52,4 51,4 14,8 51,9
Apprentis 1,7 1,7 0,0 1,4 0,2 2,4 - 0,4
Autres situations 3,5 3,1 2,8 3,3 1,5 2,2 - 1,6
Total 1 00,0 1 00,0 1 00,0 100 1 00,0 1 00,0 1 00,0 100

285
L’économie salariale est développée en milieu urbain (plus de 60 % des actifs occupée). Elle est restreinte
en milieu rural (16,7 %). Le statut d’indépendant et celui d’aide familial sont d’autant moins probables que le
niveau éducatif est élevé. Le statut d’aide familial concerne près de 52 % des actifs occupés en milieu rural.
En milieu urbain, il n’est significatif que pour les actifs occupés de niveau moyen et sans diplôme.

Structure de l’emploi selon le secteur d’activité et le niveau éducatif

en % colonne Sans diplôme Niveau moyen Niveau supérieur Ensemble


Agriculture, forêts et pêche 56,4 18,8 2,9 44,4
Industrie et artisanat 11,4 17,9 10 12,6
Bâtiments et travaux publics 6,8 7,9 2,3 6,6
Commerce 12,3 19,2 10,4 13,5
Transports et communication 2,9 5,8 4,2 3,6
Administration et services sociaux 2,7 15,9 57,3 10,0
Autres services 7,5 14,5 12,9 9,3
Ensemble 100 100 100 100,0

Le niveau d’éducation attribue aux actifs occupés une plus grande liberté dans le choix de leur statut pro-
fessionnel. Pour ceux qui ne réussissent pas à devenir travailleur indépendant, le niveau d’éducation permet
de d’acquérir le statut de salarié.
Le secteur agricole est le principal secteur de concentration de la population sans diplôme. Le secteur de
l’administration, dont l’éducation nationale et la santé publique, est le secteur de concentration des actifs
occupés de niveau supérieur.
Dans les autres secteurs, on trouve une diversité de structures d’entreprises telle que dans chaque sec-
teur des entreprises formelles, fonctionnant selon des modèles de gouvernance avancée, côtoient des entre-
prises de type informel.
La description des structures d’emploi effectuées ci-dessus montre la forte liaison entre l’emploi des diplô-
més et l’économie salarial moderne. Elle laisse entendre que le secteur non salarial est un secteur
refuge. Il ressort d’ailleurs de l’examen des structures du chômage que les chômeurs ayant perdu leur
emploi ont un faible niveau éducatif ou avaient une situation en tant que travailleur indépendant ou aide
familial.
Si les conditions d’accès aux emplois sont plus difficiles pour les travailleurs diplômés, il semble que
ces emplois soient plus stables. En revanche, les conditions d’accès aux emplois des non diplômés sont
plus aisés, alors que le risque de perte de ces emplois est plus élevé. Un niveau bas d’éducation expose
aux emplois précaires alors qu’il offre de plus grande chance d’accéder au travail. Un niveau élevé d’édu-
cation expose à un risque d chômage de plus longue durée, compensé par une plus forte stabilité de
l’emploi.
Les modalités d’accès aux emplois et les conditions de la stabilité des emplois sont liées à la nature institu-
tionnelle des établissements, ainsi qu’aux conditions d’exposition de ces établissements à la concurrence
internationale.
Ce sont les conditions de réalisation de la valeur ajoutée générée dans ces établissements qui expliquent
le niveau moyen des salaires dans ces différents secteurs. Elles expliquent, en conséquence, le degré
d’attractivité exercé sur les demandeurs d’emplois par les différents secteurs d’emploi.

286
4. Les structures des revenus

Le revenu des ménages a été étudié récemment dans deux documents publiés par le HCP 1. La définition
du revenu qui est adoptée est spécifique : le revenu est constitué par « les gains monétaires et non-
monétaires réalisés au cours de l’année de référence, soit celle de l’Enquête nationale sur le niveau de vie
1998/99 ». À la différence de la définition adoptée dans les comptes nationaux, tous les revenus en nature
n’y sont pas pris en compte, à l’exception des loyers fictifs, l’auto-consommation et les avantages en nature,
dus à l’exercice d’une activité salariée. Ainsi, ne sont pas intégrées dans la définition du revenu les sub-
ventions alimentaires et non-alimentaires et les prestations sociales gratuitement dispensées par le secteur
public (cas de la scolarisation et des soins sanitaires). Le concept de revenu de l’ENNVM regroupe la totalité
des revenus monétaires « après impôts », le produit de l’autoconsommation, y compris les loyers fictifs et la
partie observable des prestations sociales, des transferts perçus et des revenus procurés par le patrimoine
de rapport, financier ou immobilier.
« La population rurale représente, en 1998/99, près de 46,2 % de la population totale, mais elle ne dispose
que de 31,3 % de la masse globale des revenus... En 1998/99, les zones urbaines regroupent près de 53,8 %
de la population totale et réalisent 68,7 % de la totalité des revenus » 2.

1. Nous utilisons le document Haut Commissariat au Plan – Direction de la Statistique « Les sources du revenu des ménages d’après l’ENNV
1998-1999 », dans Repères no 76, Décembre 2002) et Royaume du Maroc – Ministère de la Prévision Économique et du Plan – Direction de la Sta-
tistique « Population défavorisée » : Profil, schéma de consommation et source de revenu, 2002.
2. In « Repère », idem.

287
Structure du revenu annuel moyen par personne selon la source
en %

Sources de revenu Urbain Rural Total


Emploi indépendant non-agricole 17,9 6,1 14,2
Cultures et plantations 1,7 31,2 10,9
Élevage 0,5 8,4 3,0
Transformation des produits agricoles 0,4 4,0 1,5
Salaires et traitements salariaux 41,5 18,6 34,3
Transferts en espèce ou en nature 10,9 7,8 10,0
Autoconsommation des produits alimentaires 0,3 9,1 3,0
Loyer fictif 16,5 8,0 13,8
Revenu de patrimoine 5,1 1,7 4,0
Vente d’immobilier, de terrain, et d’autres biens 1,4 0,7 1,2
Dividendes, revenus exceptionnels et autres revenus 3,8 4,4 4,1
Total 100,0 100,0 100,0

Source : Direction de la Statistique, Données de l’ENNVM 1998/99.

Les revenus de la population rurale provenant des cultures, des plantations et de l’élevage représentent
43,6 %, de leur revenu global. « La dépendance des ménages ruraux des gains des activités agricoles s’élè-
verait à 52,7 % si l’on prenait en considération l’autoconsommation des produits alimentaires. La valeur des
loyers fictifs est estimée à 8 % du revenu. Celle-ci contribue pour 9,1 % à la formation des revenus en milieu
rural. » Les revenus salariaux représentent 18,6 % des revenus ruraux, alors que les transferts en constituent
7,8 %. Les revenus du patrimoine, les dividendes, les plus-values sur les ventes et les revenus exceptionnels
représentent 6,8 % des revenus ruraux.
En milieu urbain, l’emploi salarié contribue pour 41,5 % à la formation des revenus alors que les salariés
représentent 60 % des actifs occupés. Par contre, les emplois indépendants qui représentent 25,9 % des
emplois génèrent 20,5 % des revenus urbains. Les transferts représentent 10,9 % des revenus urbains.
Approchée par le manque à dépenser en loyer, la valeur locative des logements occupés par leurs proprié-
taires représente 16,5 % dans le revenu total de la population urbaine. Les revenus du patrimoine, les divi-
dendes, les plus-values sur les ventes et les revenus exceptionnels représentent 10,5 % des revenus
urbains.
L’examen des revenus montre l’existence d’une stratification liée au secteur d’activité et à la situation
dans la profession. Il existe, deux principales catégories d’institution d’emploi. Les institutions faisant appel
au travail salarié et celle qui fonctionne comme des unités d’économie domestiques, où des travailleurs indé-
pendants travaillent avec des aides familiaux.

288
Revenus moyens annuels par tête, par actif occupé et revenus annuels moyens non salariaux et
salariaux en dirhams selon une estimation réalisée à partir des résultats de l’enquête nationale sur
le niveau des ménages en 1998-1999

Revenus des travailleurs


non salariés Salaire moyen par secteur

Quintile et classe de Revenu par Revenu Agriculture Autres Primaire Secondaire Tertiaire Total
dépense annuelle par tête des moyen par et pêche secteurs
tête en dirhams selon le ménages actif
milieu occupé
Urbain 10 377 31 635 24 287 25 282 10 398 14 902 22 460 18 958
Q1- <F=4601 DH 2 458 8 227 3 106 3 316 5 229 4 543 5 144 4 837
Q2- >P 4 601 à 6 460 DH 5 234 17 018 3 216 6 007 10 885 12 207 15 857 13 764
Q3- >P 6460 à 8957 DH 7 141 22 661 11 731 8 526 13 687 13 964 19 370 16 550
Q4- >P 8957 à 13589 DH 9 746 29 059 8 283 11 605 12 989 15 927 25 655 21 728
Q5- >P 13589 DH 27 335 71 307 96 999 119 734 20 152 35 108 31 442 32 166
Rural 5 542 12 358 7 877 8 456 9 091 9 425 13 578 10 342
Q1- <F=2748 DH 1 176 3 028 715 1 389 2 325 2 499 2639 2 431
Q2- >P 2748 à 3697 DH 2 325 5 477 1 696 3 273 6 710 5 277 8 931 6 567
Q3- >P 3697 à 4904 DH 3 283 7 426 2 783 2 567 9 825 12 531 8 696 10 403
Q4- >P 4904 à 6917 DH 4 864 10 057 3 892 5 127 17 633 13 199 13 974 14 933
Q5- >P 6917 DH 16 039 31 844 28 384 21 269 12 638 14 151 21 142 16 583
Ensemble 8 144 21 227 8 557 19 914 9 337 13 620 21 171 16618

Source : Nos estimations à partir des tableaux des pages 100 et 101 de l’ouvrage « Population Défavorisée : profil, schéma de consommation
et source de revenu » Ministère de la Prévision Économique et du Plan – Direction de la Statistique –

Il ressort du tableau de synthèse ci-dessus que pour le secteur primaire, ainsi que pour les autres secteurs
secondaire et tertiaire, les travailleurs urbains sont, en moyenne, mieux rémunérés que les travailleurs, quel-
que soit leur statut dans la profession, salariés ou non.
Dans chaque secteur et catégorie, on observe d’importantes disparités. En milieu urbain, les actifs
occupés classés parmi les 20 % les plus pauvres reçoivent, en moyenne, des revenus très faibles, moins de
5000 dirhams pour les salariés et moins de 3500 dirhams par an pour les non salariés. Ces revenus ne per-
mettent aux ménages de disposer que d’une très faible capacité de dépense : 6,7 dirhams par personne et
par jour.
Pour les 60 pour cent les pauvres, en comparant le revenu moyen, classe de dépenses par classe de
dépenses, le statut de salarié semble plus intéressant que celui de travailleur indépendant ou d’aides familial.
Si les actifs occupés acceptent de rester dans ces emplois, il semble justifier de penser que c’est parce que
ces 800 000 travailleurs indépendants et aides familiaux urbains (dont 100000 dans l’agriculture et la pêche)
n’ont pas la possibilité d’obtenir un emploi salarié, leur assurant un meilleur revenu. Il est, certes vrai, que
cette affirmation peut être atténuée si l’on prend en considération le fait que probablement les conditions de
travail dans l’emploi non salariées pourraient être meilleures.
Quant au milieu rural, c’est 40 % des ménages qui sont concernés par la faiblesse du revenu : leur
dépense moyenne est inférieure à 6,3 dirhams par jour par tête.

289
Indicateurs relatifs en l’emploi salarié et aux salaires selon le sexe en 1998-1999

Effectifs des salariés Masse salariale nette versée

Secteurs d’emploi Femmes % Hommes % Femmes en % Femmes % Hommes % Femmes en %


du secteur du secteur
Public 22,5 27,8 24 % 44,7 44,2 21,6
Habillement 20,4 4,4 64 % 17,2 2,8 63,0
Autres secteurs 57,1 67,8 25 % 38,1 53,0 16,4
Total 100,0 100,0 28 % 100,0 100,0 20,6

Source : Enquête Nationale sur les niveaux de vie 1998-1999

En 1999, les femmes représentaient 28 % des salariés sur un effectif total supérieur à 3,2 millions. Dans le
secteur de l’habillement, les femmes représentent près de 2/3 des salariés, alors que dans les autres sec-
teurs ont décompte un salarié féminin sur 4 salariés. En dehors du secteur public, notamment l’éducation, la
santé et l’administration générale, les femmes salariées sont employées surtout dans les services person-
nels, le secteur agricole, le commerce, le secteur bancaire et les autres industries.
Les indications relatives aux salariés et aux salaires sont extraites de l’enquête nationale sur le niveau des
ménages 1998-1999 et de l’enquête nationale sur la population active urbaine de 1993. Les données rela-
tives aux salaires concernent les salaires nets perçus et déclarés par les travailleurs.
Le niveau du salaire est expliqué par de nombreuses variables : la productivité réelle du travail de la
branche d’activité, le degré d’exposition à la concurrence qui affecte l’expression monétaire de cette produc-
tivité, les politiques publiques de protection des salariés, le comportement de l’employeur en matière d’inci-
tation et de rétention de ses employés, les rapports de force entre les différentes catégories d’employés,
d’autres formes individuelles et collectives, explicites et implicites de négociation entre employeurs et
employés, la capacité individuelle du salarié de prouver ses capacités et le degré de rareté relative de ses
compétences spécifiques, son statut familial, son âge et son expérience professionnelle ...
Toutes ces variables ne sont indépendantes les unes des autres. Faute de données détaillées, il est le plus
souvent difficile d’isoler l’influence spécifique de chacune d’elles.
Les principales variables que nous avons retenues dans l’analyse sont le secteur d’emploi, le nombre
d’année d’éducation et le nombre d’années d’expérience professionnelle. En raison de l’incomplétude des
données, nous avons approximé l’expérience professionnelle par l’âge.
Le choix de ces variables correspond à la représentation courante des déterminants des salaires qui a pré-
sidé à l’élaboration de grilles de salaires à double entrée, croissant le niveau éducatif et l’ancienneté profes-
sionnelle et qui servent de référence lors des négociations professionnelles des salaires.
L’effet combiné de l’âge et de l’expérience professionnelle est présenté, par ailleurs, par les économistes
comme la conséquence de l’accumulation de capital humain. Celui-ci est formé durant la période précédent
la vie professionnelle, celle de l’éducation de base, et durant la vie professionnelle, elle-même, apprentissage
sur le tas. D’un individu à l’autre, ces caractéristiques varient en qualité.
Nous avons retenu des variables très simplifiées ne tenant pas compte des effets de qualité. Nous avons
omis d’autres caractéristiques personnelles expliquant le salaire : la région, la situation matrimoniale, l’exis-
tence de processus de négociation salariale plus ou moins formalisés, exerçant par exemple l’influence de
syndicats, l’influence de calculs des employeurs désirant fidéliser leur main d’œuvre, par une forme de par-
tage de la valeur ajoutée influençant le niveau de salaire.
Tous ces facteurs expliquent le degré de dispersion des salaires individuels autour du salaire moyen. Le
nombre d’année d’éducation et les années d’expérience n’expliquent qu’une partie du salaire.

290
Caractéristique des salaires et des salariés en 1993 et en 1999 selon le secteur d’emploi

Salariés masculins Salariés féminins

Année observée/Secteurs Salaire mensuel Années Années Salaire mensuel Années Années
d’emploi moyen net – dh moyennes d’expérience moyen net – dh moyennes d’expérience
d’éducation (moyenne d’éducation (moyenne
mesurée par mesurée par
l’âge) l’âge)
1999
Public 2 731 9,567 40,493 2 383 11,272 39,189
Habillement 1 068 5,542 27,494 1 009 5,447 28,144
Autres secteurs 1 339 5,499 33,650 799 4,663 30,414
Total 1 616 6,630 35,277 1 072 6,309 31,924
1993
Public 2 172 7,8 38,51 979 11,4 35,2
Habillement 1 068 2,5 28,3 966 2,8 25,7
Autres secteurs 1 111 2,5 33,1 790 3,7 31,9
Total 1 499 4,9 35,4 1 148 6,3 31,8

De 1993 à 1999, les salaires masculins ont connus une hausse nominale passant de 1499 à 1616 dirhams
par mois. Les salaires féminins ont connu une baisse passant de 1148 dirhams à 1072 dirhams par mois.
L’âge moyen des salariés masculins (34,4 en 1993) et féminin (31,8 ans en 1993) a très peu varié. Cette
hausse est plus prononcée dans le secteur public que dans le secteur privé. Elle est, aussi, plus prononcée
pour les salariés féminins que pour les salariés masculins. On observe une hausse forte de l’âge moyen des
salariés féminins qui passe de 35,2 à 38,2 dans le secteur public et de 25,7 à 28,1 dans l’habillement. Pour
l’ensemble des autres secteurs, l’âge moyen des salariés femmes baisse très légèrement, reflétant en cela
un accès plus diversifié des femmes à l’emploi.
Le niveau éducatif moyen, mesuré par le nombre d’année d’études, a connu une augmentation substan-
tielle pour les hommes passant de 4,9 à 6,6. Pour les femmes, ce chiffre semble avoir stagné autour 6,3. En
fait, il n’aurait stagné que dans le secteur public (11,4 ans). Dans les autres secteurs, il aurait cru de 3,7 à 4,6
ans et dans le secteur de l’habillement, il aurait bondi de 2,5 ans à 5,4.
Connaissant ces données, la question posée est : comment les mécanismes de détermination des
salaires ont-ils influencé l’évolution des salaires, notamment les mécanismes de rémunération du
niveau d’éducation et celle de l’expérience professionnelle ?
Les fonctions de salaire de Mincer permettent de mesurer le niveau de salaire de base, le rendement de
l’éducation et le rendement de l’expérience. Le rendement de l’éducation égale le produit du nombre
d’années d’éducation par le taux de rendement, multiplié par la constante de l’équation de salaire considérée
comme numéraire. Le rendement de l’expérience professionnelle égale le produit du nombre d’année
d’expérience par le taux de rendement de l’année d’expérience, multiplié par le rendement de l’éducation et
par la constante du salaire.

291
Résultats d’estimation des fonctions de salaires urbains en 1993 (Enquête Emploi Urbain) et en
1999 (Enquête Nationale sur le Niveau de vie des ménages) selon les secteurs d’emploi

Salaires masculins Salaires féminins

Année/ R2 Années Années constante R2 Années Années Constante


Secteurs d’emploi d’éducation d’expérience d’éducation d’expérience
1999
Public 0,312 0,061 0,015 6,723 0,443 0,091 0,019 6,002
Habillement 0,271 0,035 0,044 5,564 0,122 0,012 0,027 6,095
Autres secteurs 0,180 0,041 0,026 6,085 0,252 0,069 0,021 5,736
Total 0,304 0,061 0,029 5,941 0,400 0,083 0,026 5,631
1993
Public 0,422 0,050 0,014 6,737 0,397 0,053 0,013 6,545
Habillement 0,334 0,050 0,033 5,920 0,199 0,028 0,027 6,100
Autres secteurs 0,294 0,066 0,020 6,169 0,404 0,098 0,009 6,018
Total 0,465 0,066 0,022 6,223 0,486 0,080 0,011 6,196

Les résultats de l’estimation économétrique des fonctions de Mincer révèlent des coefficients explicatifs
fortement significatifs.
Le pourcentage expliqué de la dispersion (variance totale) des salaires par les variables utilisées, le niveau
d’éducation et le niveau d’expérience professionnelle, est plus élevé pour le secteur public que pour le sec-
teur privé. L’importance de la variance non expliquée est liée à l’hétérogénéité des salaires au sein de chacun
des secteurs identifié. Cependant, dans le secteur public, le degré de dispersion est beaucoup plus faible,
l’État s’astreignant au respect de normes formelles de détermination des salaires.
Dans le secteur privé, les normes mises en pratique pour la formation des salaires sont très hétérogènes
et varient selon le degré d’exposition des activités et des entreprises à la concurrence. Dans le secteur de
l’habillement, la concurrence est exercée par des pays dont les niveaux de salaires sont le plus souvent infé-
rieur à ceux prévalant au Maroc.
Il apparaît que l’éducation des travailleurs féminins est mieux rémunérée que leur expérience profes-
sionnelle dans le secteur public et dans les autres secteurs, alors que dans le secteur de l’habillement ce rap-
port est inversé : l’expérience professionnelle est beaucoup mieux rémunérée que l’éducation de base. Pour
les travailleurs masculins, l’éducation est mieux rémunérée que l’expérience professionnelle dans tous les
secteurs sauf dans le secteur de l’habillement, avec toutefois un écart entre le rendement de l’éducation et
celui de l’expérience professionnelle beaucoup plus faible.
Comment expliquer cette observation ? La supériorité du rendement de l’éducation sur le rendement
de l’expérience professionnelle indique un marché du travail conservateur. Les écarts de salaires seraient
plus déterminés par le salaire d’entrée. L’ancienneté exercerait un effet plus élevé sur le profil du salaire
dans les secteurs concurrentiels. La rémunération de l’ancienneté contient un effet de salaire d’effi-
cience. Elle indique, aussi, que l’apprentissage sur le tas, acquis durant l’activité professionnelle est
reconnu et valorisé.

292
Tableaux relatifs aux estimations des sources de revenu
à partir de l’enquête nationale
sur le niveau de vie des ménages
1998-1999

293
Population, taille et personnes à charge par actif occupé des ménages selon le statut dans la
profession par milieu et décile

Population totale Taille moyenne des Nombre moyen de Actifs occupés


ménages personnes à charge
par actif occupé
Urbain 15 051 289 5,62 2,05 4 937 130
Q1- <F=4601 DH 3 011 516 7,19 2,35 899 845
Q2- >P 4601 à 6460 DH 3 008 183 6,50 2,25 925 108
Q3- >P 6 460 à 8 957 DH 3 016 074 5,94 2,17 950 458
Q4- >P 8957 à 13589 DH 3 009 551 5,38 1,98 1 009 382
Q5- >P 13 589 DH 3 005 965 4,25 1,61 1 152 337
Rural 12 920 525 6,38 1,23 5794248
Q1- <F=2 748 DH 2 587 559 8,14 1,57 1 005 203
Q2- >P 2 748 à 3 697 DH 2 584 301 7,20 1,36 1 096 896
Q3- >P 3 697 à 4 904 DH 2 580 618 6,86 1,26 1 140 701
Q4- >P 4 904 à 6 917 DH 2 577 691 6,00 1,07 1 246 767
Q5- >P 6 917 DH 2 590 356 4,73 0,99 1 304 681
Ensemble 27 971 814 5,94 1,61 10 731 378

Population des actifs occupés selon le statut dans la profession par milieu et décile

Indépendants et aides
familiaux Salariés

Agriculture & Autres Primaire Secondaire Tertiaire Total Autres actifs


pêche secteurs occupés
Urbain 171 058 1 106 436 121 668 1 379 289 1 894 941 3 395 898 263 738
Q1- <F=4 601 DH 23 600 228 599 41 908 310 434 242 771 595 113 52 533
Q2- >P 4 601 à 6 460 DH 49 937 234 322 31 674 293 034 261 707 586 415 54 434
Q3- >P 6 460 à 8 957 DH 20 012 233 429 19 513 325 610 318 340 663 463 33 554
Q4- >P 8 957 à 13 589 DH 43 201 233 785 19 195 249 166 410 675 679 036 53 360
Q5- >P 13 589 DH 34 308 176 301 9 378 201 045 661 448 871 871 69 857
Rural 3 953 710 518 276 523 036 421 648 321 696 1 266 380 55 882
Q1- <F=2 748 DH 692 612 62 682 125 913 86 235 35 858 248 006 1 903
Q2- >P 2 748 à 3 697 DH 780 573 59 464 115 584 88 910 41 504 245 998 10 861
Q3- >P 3 697 à 4 904 DH 794 991 116 826 106 741 68 276 48 904 223 921 4 963
Q4- >P 4 904 à 6 917 DH 846 224 132 802 86 040 93 381 73 398 252 819 14 922
Q5- >P 6 917 DH 839 310 146 502 88 758 84 846 122 032 295 636 23 233
Ensemble 4 124 768 1 624 712 644 704 1 800 937 2 216 637 4 662 278 319620

294
Estimation des revenus par l’enquête niveau de vie des ménages selon les classes de dépenses
par milieu – en millions de dirhams – 1998-1999

Revenu Revenus salariaux selon le secteur


non
Quintile de Revenu Revenus agricole Primaire Secon- Tertiaire Total Revenus Revenus Revenus
dépense par total des activi- des daire fictifs liés de de la
tête en DH par tés agri- emplois à l’auto- transfert propriété
milieu coles indépen- consom-
dants mation
Urbain 156 186 4 155 27 973 1 265 20 554 42 561 64 380 26 161 17 071 16 446
Q1- <F=4601 7 403 73 758 219 1 410 1 249 2 878 2 382 1 029 282
Q2- >P 4601 à
6460 15 744 161 1 407 345 3 577 4 150 8 072 3 459 2 217 428
Q3- >P 6460 à 21 538 235 1 990 267 4 547 6 166 10 980 4 295 3 203 836
8957
Q4- >P 8957 à 29 332 358 2 713 249 3 969 10 536 14 754 5 676 3 878 1 953
13589
Q5- >P 13589 82 169 3 328 21 109 189 7 058 20 797 28 044 10 353 6 746 12 588
Rural 71 607 31 142 4 382 4 755 3 974 4 368 13 097 12 259 5 614 5113
Q1- <F=2748 3 043 495 87 293 215 95 603 1 509 188 161
Q2- >P 2748 à 6 008 1 324 195 776 469 371 1 616 2 131 458 284
3697
Q3- >P 3697 à 8 471 2 213 300 1 049 856 425 2 330 2 290 838 501
4904
Q4- >P 4904 à 12 538 3 294 681 1 517 1 233 1 026 3 775 2 683 1 320 785
6917
Q5- >P 6917 41 546 23 823 3 116 1 122 1 201 2 580 4 902 3 648 2 809 3 249
Ensemble 227 793 35 296 32 355 6 020 24 528 46 929 77 477 38 420 22 685 21 559

Source : Ministère de la Prévision Économique et du Plan – Direction de la Statistique « Population Défavorisée : profil, schéma de
consommation et source de revenu – Page 100 et 101

295
296
Répartition des différents types de revenu selon les catégories de ménages classés selon le quintile de dépense par milieu, estimée à
partir des résultats de l’enquête national sur le niveau des ménages en 1998-1999

Revenus salariaux selon le secteur

Quintile et classe de Revenu total Revenus des Revenu du travail Primaire Secondaire Tertiaire Total Revenus fictifs liés à Revenus de Revenus de
dépense annuelle par tête en activités indépendant non l’autoconsommation transfert la propriété
dirhams selon le milieu agricoles agricole
Urbain 68,6 11,8 86,5 21,0 83,8 90,7 83,1 68,1 75,3 76,3
Q1- <F=4601 3,2 0,2 2,3 3,6 5,7 2,7 3,7 6,2 4,5 1,3
Q2- >P 4601 à 6460 6,9 0,5 4,4 5,7 14,6 8,8 10,4 9,0 9,8 2,0
Q3- >P 6460 à 8957 9,5 0,7 6,2 4,4 18,5 13,1 14,2 11,2 14,1 3,9
Q4- >P 8957 à 13589 12,9 1,0 8,4 4,1 16,2 22,5 19,0 14,8 17,1 9,1
Q5- >P 13589 36,1 9,4 65,2 3,1 28,8 44,3 36,2 26,9 29,7 58,4
Rural 31,4 88,2 13,5 79,0 16,2 9,3 16,9 31,9 24,7 23,7
Q1- <F=2748 1,3 1,4 0,3 4,9 0,9 0,2 0,8 3,9 0,8 0,7
Q2- >P 2748 à 3697 2,6 3,8 0,6 12,9 1,9 0,8 2,1 5,5 2,0 1,3
Q3- >P 3697 à 4904 3,7 6,3 0,9 17,4 3,5 0,9 3,0 6,0 3,7 2,3
Q4- >P 4904 à 6917 5,5 9,3 2,1 25,2 5,0 2,2 4,9 7,0 5,8 3,6
Q5- >P 6917 18,2 67,5 9,6 18,6 4,9 5,5 6,3 9,5 12,4 15,1
Ensemble 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0

Source : Ministère de la Prévision Économique et du Plan – Direction de la Statistique « Population Défavorisée » : profil, schéma de consommation et source de revenu – Page 100 et 101
Sources des revenus des catégories de ménages classées selon le quintile de dépense par milieu, estimés à partir des résultats de
l’enquête national sur le niveau des ménages en 1998-1999

Revenus salariaux selon le secteur

Quintile et classe de Revenu total Revenus des Revenu du travail Primaire Secondaire Tertiaire Total Revenus fictifs liés à Revenus de Revenus de
dépense annuelle par tête en activités indépendant non l’autoconsommation transfert la propriété
dirhams selon le milieu agricoles agricole
Urbain 100 2,7 17,9 0,8 13,2 27,3 41,2 16,8 10,9 10,5
Q1– <F=4601 DH 100 1,0 10,2 3,0 19,1 16,9 38,9 32,2 13,9 3,8
Q2– >P 4601 à 6460 DH 100 1,0 8,9 2,2 22,7 26,4 51,3 22,0 14,1 2,7
Q3– >P 6460 à 8957 DH 100 1,1 9,2 1,2 21,1 28,6 51,0 19,9 14,9 3,9
Q4– >P 8957 à 13589 DH 100 1,2 9,3 0,9 13,5 35,9 50,3 19,4 13,2 6,7
Q5– >P 13589 DH 100 4,1 25,7 0,2 8,6 25,3 34,1 12,6 8,2 15,3
Rural 100 43,5 6,1 6,6 5,6 6,1 18,3 17,1 7,8 7,1
Q1– <F=2748 DH 100 16,3 2,9 9,6 7,1 3,1 19,8 49,6 6,2 5,3
Q2– >P 2748 à 3697 DH 100 22,0 3,2 12,9 7,8 6,2 26,9 35,5 7,6 4,7
Q3– >P 3697 à 4904 DH 100 26,1 3,5 12,4 10,1 5,0 27,5 27,0 9,9 5,9
Q4– >P 4904 à 6917 DH 100 26,3 5,4 12,1 9,8 8,2 30,1 21,4 10,5 6,3
Q5– >P 6917 DH 100 57,3 7,5 2,7 2,9 6,2 11,8 8,8 6,8 7,8
Ensemble 100 15,5 14,2 2,6 10,8 20,6 34,0 16,9 10,0 9,5

Source : Ministère de la Prévision Économique et du Plan – Direction de la Statistique « Population Défavorisée » : profil, schéma de consommation et source de revenu – Page 100 et 101

297
298
Volume et principales caractéristiques de l’emploi informel selon les secteurs et les branches d’activités économiques (16 postes)

Volume Part dans la branche Répartition proportionnelle


selon le type de local

Branches d’activité économique Effectif % Des Citadins Des Femmes des jeunes de moins Des person-nes âgées Avec local Sans local A Total
(16 postes) de 35 ans de 60 ans et plus domicile
1- Industrie (dont artisanat) 476 373 25,0 66,5 30,1 58,8 5,4 51,7 12,9 35,4 100,0
R Industrie alimentaire 36 368 1,9 67,4 17,0 44,9 10,5 66,5 16,1 17,4 100,0
R Industrie de textile, habillement cuir et 236 952 12,5 72,2 52,1 59,2 4,7 44,0 0,9 55,1 100,0
chaussures
R Travail de bois, et fabrication d’articles 86 548 4,5 72,5 9,7 67,2 5,5 70,2 9,2 20,6 100,0
en bois
R Fabrication de produits minéraux non 60 334 3,2 56,0 2,8 61,6 5,4 74,3 16,8 8,8 100,0
métalliques, travail des métaux
R Autres industries 56 171 2,9 43,7 6,9 50,0 5,2 21,6 63,3 15,1 100,0
2- Construction 132 833 7,0 70,9 0,4 37,7 2,8 8,6 91,4 - 100,0
3- Commerce et réparation 917 023 48,2 73,6 5,2 43,0 10,3 55,4 43,8 0,8 100,0
R Réparation de véhicules 93 928 4,9 84,7 0,4 66,1 3,8 90,5 8,9 0,7 100,0
R Commerce de gros et intermédiaires 78 168 4,1 61,0 2,8 28,0 4,9 40,2 59,3 0,5 100,0
R Commerce de détail en magasin ou à 338 746 17,8 70,4 5,5 41,9 13,4 76,1 22,8 0,8 100,0
domicile avec installation particulière
R Commerce de détail d’articles domes- 132 697 7,0 88,7 6,8 45,1 10,9 82,4 17,4 0,2 100,0
tiques et de biens personnels
R Commerce de détail hors magasin 242 299 12,7 68,8 7,1 39,5 9,9 1,0 98,8 0,2 100,0
R Réparation d’articles personnels 31 185 1,6 81,9 0,5 41,9 11,0 66,6 23,9 9,5 100,0
4- Autres services 375 718 19,8 76,8 13,4 52,8 7,9 44,5 53,2 23 100,0
R Restaurants, cafés et hôtels 83 908 4,4 80,6 12,3 49,9 6,9 70,4 29,6 - 100,0
R Transport et communication 106 240 5,6 60,6 2,0 34,0 7,0 5,4 94,5 0,1 100,0
R Services personnels 114 678 6,0 80,4 14,6 47,6 9,7 46,1 50,5 3,4 100,0
R Autres services 70 892 3,7 91,1 29,9 41,8 7,4 70,1 23,3 6,6 100,0
Total 190 1947 100,0 72,7 12,7 40,2 8,1 49,0 41,2 9,7 100,0

Source : Direction de la Statistique – ENSI 1999/2000.


Introduction

Les liens entre la croissance économique et l’emploi sont complexes. L’analyse des interdépendances
entre le chômage, l’emploi, et les politiques macroéconomiques et sectorielles, et l’estimation de leurs
impacts respectifs présentent de très grandes difficultés liées essentiellement aux insuffisances du système
d’information national.
En identifiant les grandes tendances et les contraintes sur la croissance selon une périodisation pertinente
des cycles économiques, la présente étude vise à apporter des éléments de réponse à un certain nombre de
questions fondamentales pour la relance de l’emploi. Sachant que le Maroc a suivi une trajectoire historique
d’une croissance économique moyenne modeste de (3 à 4 %), peut-on envisager des scénarios d’une crois-
sance élevée pour réaliser des réductions importantes du chômage, ou celui de la poursuite de la croissance
tendancielle modeste mais intensive aux emplois, avec une croissance modérée de la productivité du travail ?
La réponse à ces questions implique i) une analyse de la croissance économique et de ses déterminants, et
l’identification de la relation entre la croissance et l’emploi, ii) l’analyse des tendances de l’offre et de la
demande de travail et iii) l’évaluation des perspectives de l’offre de travail à long terme.
Cette étude traite ces questions dans trois parties. Dans la première partie il sera procédé à l’identification
des déterminants de la croissance économique au cours de ces cinquante dernières années et au calcul, à
partir d’une fonction de production, des contributions des facteurs de production (capital, travail, progrès
technique apprécié à par la productivité globale des facteurs), de la demande (interne et externe) et des sec-
teurs d’activité économique. Cette analyse permettra de situer le Maroc par rapport à un échantillon de pays
en matière de rythme de croissance et de PIB par habitant. Il s’agira alors d’expliquer les disparités enregis-
trées à travers un certain nombre de facteurs tels que l’utilisation de la main d’œuvre, le progrès tech-
nologique et la politique macro-économique mise en œuvre.
La deuxième partie passera en revue l’évolution de l’offre et de la demande de travail par sexe, milieu de
résidence, et niveaux de formation par secteur d’activité et statut dans l’emploi, pour identifier les modifica-
tions importantes qui ont marqué ces deux composantes. En cherchant à identifier les déterminants de la
demande du travail, cette partie examinera le rôle de la compétitivité – coût de facteurs de production,
notamment le lien salaire-emploi dans un contexte d’ouverture à la concurrence internationale.
La troisième partie analysera les déséquilibres du marché du travail, en cherchant à identifier les causes de
la montée et de la persistance du chômage. Elle donnera des indications sur les composantes structurelle et
conjoncturelle du chômage. Elle examinera l’évolution du coût de travail et de la productivité apparente dans
le secteur structuré et déterminera la position du Maroc par rapport aux principaux pays concurrents sous
l’angle du coût salarial unitaire dans les industries de transformation et du salaire minimum pour les secteurs
fortement exposés à la concurrence. Sur la base des évaluations précédentes, et des projections tendan-
cielles de l’offre et de la demande de travail, cette partie présentera une esquisse de scénarii de réduction du
taux de chômage à l’horizon de 2024.

301
I. 50 ans de croissance économique

La croissance est déterminée par un ensemble de facteurs de politique macroéconomique et de fac-


teurs structurels. Il s’agira pour nous d’analyser l’évolution de l’économie nationale depuis l’Indépen-
dance, de déterminer les cycles de croissance de l’économie nationale sur la période 1960-2003, d’étudier
leur amplitude, leur tendance, et l’effet des chocs exogènes internes et externes sur l’économie maro-
caine.
Nous procéderons également à l’identification des déterminants de la croissance économique au cours de
ces cinquante dernières années et au calcul, à partir d’une fonction de production, des contributions des fac-
teurs de production (capital, travail, progrès technique apprécié à par la productivité global des facteurs), et
de la demande (interne et externe) à la croissance économique.
Cette analyse permettra de situer le Maroc par rapport à un échantillon de pays en matière de rythme de
croissance et de PIB par habitant. Il s’agira alors d’expliquer les disparités enregistrées à travers un certain
nombre de facteurs tels que l’utilisation de la main d’œuvre, la productivité, la politique macro-économique
mise en œuvre, l’ouverture économique et la qualité des institutions.

1. Une croissance économique en deçà de son potentiel

L’histoire de la croissance de l’économie nationale depuis l’Indépendance du pays est marquée par sa
forte volatilité et par sa décélération continue, particulièrement marquée depuis le premier choc pétrolier.

1.1. Vulnérabilité de l’économie aux aléas climatiques

L’économie marocaine a connu depuis 1960 une évolution en dents de scie. Ces fluctuations du PIB sont
imputables essentiellement à la vulnérabilité de la croissance économique aux aléas climatiques, en raison
notamment du rôle stratégique joué par le secteur agricole dans la croissance économique du pays. En
effet, le secteur agricole occupe une place prépondérante dans l’économie marocaine : il représente selon
les années de 13 à 23 % du PIB global, emploie 40 % de la population active et 78 % de la population
rurale en âge de travailler et constitue 40 % des exportations. De ce fait, les fluctuations de l’activité agri-
cole se répercutent sur l’ensemble de l’économie nationale compte tenu de l’importance du secteur agri-
cole dans le PIB et de l’effet d’entraînement qu’il exerce sur l’ensemble de l’activité économique par le
biais des revenus. C’est ce qui explique, d’ailleurs, la forte corrélation entre le PIB et la valeur ajoutée agri-
cole.
Néanmoins, depuis 1996, l’impact de la sécheresse sur l’activité économique non agricole est de plus en
plus limité. En effet, le rythme de croissance du PIB hors agriculture ne s’est jamais situé en deçà de 3 %
même lors des années de sécheresse.

302
1.2. Baisse tendancielle de la croissance économique

Après avoir enregistré une accélération de son rythme de croissance depuis 1960 pour atteindre 5,7 %
entre 1967 et 1974, celui-ci a connu une décélération continue depuis le milieu des années 70 pour atteindre
2,7 % entre 1988 et 1995. Ce n’est qu’en 1996 que l’économie nationale est de nouveau entrée dans un
cycle de croissance soutenue (4 % entre 1996 et 2003).
Évolutions du PIB et du PIB tendanciel

1960-1966 1967-1974 1975-1981 1982-1987 1988-1995 1996-2003


PIB 2,9 5,7 4,6 4,1 2,7 4,0
PIB tendanciel 5,0 5,2 4,7 4,0 3,0 3,0

L’évolution de la croissance au Maroc depuis 1960 est le résultat de la conjonction de quatre facteurs, dis-
tincts mais interdépendants :
– une baisse du taux de la croissance potentielle due au ralentissement de la croissance de la productivité
potentielle qui remonte, comme dans la plupart des pays de l’échantillon, au milieu des années soixante-
dix.
– une croissance de la productivité du travail inférieure à la croissance de la productivité potentielle, en rai-
son d’un niveau insuffisant d’investissement.
– une croissance de l’emploi inapte à enrayer le chômage.
– enfin, et particulièrement au début des années quatre-vingt-dix, une insuffisance de la demande globale.

Toutefois, il convient de préciser que cette baisse tendancielle du PIB depuis 1975 n’est pas propre à
l’économie marocaine. Elle a été constatée dans la plupart des pays de l’échantillon retenu (voir annexe 1), se
traduisant ainsi par une nette réduction de la fourchette des taux de croissance du PIB. En effet, en début de
période, les taux de croissance tendanciels ont évolué entre 4,4 % pour le Chili et l’Irlande et 10 % pour la
Corée du Sud. En fin de période, ses taux se sont situés entre 2,1 % pour l’Afrique du Sud et 5,1 % pour la
Malaisie.
Du fait de cette réduction quasi-générale, les niveaux de croissance enregistrés par le Maroc sont devenus
comparables à ceux des pays développés, sauf que celui-ci, contrairement à ces pays développés, n’a pas
enregistré de décollage économique pendant la période post-Indépendance.
Ainsi, les taux de croissance tendanciels de la Corée du Sud, sont passés de 10 % en 1960-1966 à 5 %
durant 1996-2001. C’est également le cas pour la Malaisie qui après avoir enregistré un taux de croissance
élevé sur la période 1960-1966 (7,5 %), le taux de croissance de son PIB tendanciel a ralenti vers la fin des
années 90 pour se situer autour de 5 %. C’est enfin le cas pour le Mexique, l’Espagne et la Grèce, qui
après avoir enregistré une croissance soutenue au début des années 60 (8,1 %, 8,5 % et 9,3 % respective-
ment), ont connu une décélération de leur PIB tendanciel pour se situer respectivement à 3,3 %, 3 % et
2,6 %.

303
1.3. Ralentissement important de la croissance du PIB par habitant

La baisse tendancielle de la croissance s’est traduite par un ralentissement important du rythme de crois-
sance du PIB par habitant et ce malgré la décélération de la croissance démographique. Le graphique suivant
qui reproduit l’évolution du PIB réel par habitant de 1960 à 2003 met en évidence une césure dans la progres-
sion du niveau de vie des citoyens en 1991. Ainsi, de 1967 à 1991, le taux de croissance du PIB par habitant
était de 2,6 % alors qu’il n’a été que de 1 % entre 1992 et 2003, enregistrant une diminution de plus de
50 %. La discontinuité de 1991 est particulièrement nette au regard des ajustements linéaires des périodes
1960-1966, 1967-1991 et 1992-2003. Si la tendance de la période 1967-1991 s’était maintenue au-delà de
1991, le PIB réel par habitant aurait été d’environ 30 % plus élevé que celui effectivement atteint en 2003
pour se fixer à 1 871 dollars contre 1 437 dollars par an.

L’analyse comparative de l’évolution des niveaux de vie au Maroc par rapport aux pays de l’échantillon
montre qu’au fil des ans, la croissance moyenne du PIB par habitant au Maroc a eu tendance à décrocher par
rapport à la progression du niveau de vie des pays développés. Le revenu moyen (en parité de pouvoir
d’achat) du Maroc a certes doublé entre 1960 et 2002, mais l’écart avec les pays développés de l’échantillon
et en particulier avec l’Espagne s’est nettement creusé : le PIB par habitant au Maroc qui correspondait à un
peu moins de la moitié du PIB par habitant espagnol en 1960 ne représente plus aujourd’hui que 22,7 % de
celui-ci.

304
Évolution du PIB par tête en PPA ($ 1990)
(Espagne comme référence pour calculer le gap)

1960 1971 1982 1994 2002

PIB/Tête Écart en % PIB/Tête Écart en % PIB/Tête Écart en % PIB/Tête Écart en % PIB/Tête Écart en %
Espagne 4705 0,0 9010 0,0 11223 0,0 14683 0,0 18819 0,0
Grèce 3749 20,3 8624 4,3 11000 2,0 11801 19,6 15125 19,6
Portugal 3399 27,8 6750 25,1 9520 15,2 13163 10,3 16429 12,7
Turquie 3271 30,5 4624 48,7 5476 51,2 7196 51,0 7940 57,8
Afrique du Sud 3854 18,1 5579 38,1 5917 47,3 4877 66,8 5620 70,1
Mexique 4309 8,4 5958 33,9 8862 21,0 8926 39,2 9757 48,2
Chili 5876 i24,9 7622 15,4 7230 35,6 12533 14,6 16564 12,0
Maroc 2024 57,0 2614 71,0 3538 68,5 4076 72,2 4247 77,4
Tunisie 2019 57,1 3032 66,4 4524 59,7 5514 62,4 7412 60,6
Égypte 1683 64,2 2315 74,3 3642 67,6 4555 69,0 5630 70,1
Jordanie 5346 i13,6 4384 51,3 6657 40,7 5507 62,5 5582 70,3
Corée du Sud 1638 65,2 2949 67,3 5305 52,7 12318 16,1 16487 12,4
Malaisie 2140 54,5 3201 64,5 5637 49,8 9585 34,7 11478 39,0
Pologne 2838 39,7 4229 53,1 5138 54,2 6210 57,7 8811 53,2

L’évolution ainsi enregistrée est d’autant plus préoccupante que le rythme des arrivées sur le marché du travail
du fait de la transition démographique nationale devrait s’accélérer à l’avenir. En fait, les écarts de croissance des
niveaux de vie observés au cours des dix dernières années sont la conséquence de facteurs structurels. Ils sont
d’abord liés à la difficulté qu’a rencontrée notre pays à atteindre le plein emploi et à porter la productivité à des
niveaux élevés. Le gap entre les niveaux de vie par habitant entre le Maroc et l’Espagne s’expliquent effective-
ment à plus de 90 % par l’écart de productivité et à par le déficit d’emploi. Ces écarts trouvent ensuite leur ori-
gine dans le différentiel de rythme d’accroissement démographique (cf. graphique ci-dessous).

305
306
Il est toutefois à noter qu’avec la transition démographique au Maroc, la contribution de la composante
démographique dans l’explication de l’écart de croissance du PIB par habitant a tendance à diminuer. Elle est
passée de 11,6 % en 1982 à 4,8 % en 2001 (voire annexe 2).
Cet écart est la conséquence d’une compétitivité limitée de l’économie nationale due à un faible niveau
d’éducation entravant le rattrapage technologique ainsi que les transferts de connaissance, à de faibles dota-
tions en infrastructures physiques et technologiques qui pèsent sur les coûts de transport ainsi que sur la dif-
fusion du savoir-faire, à des politiques de change qui ont parfois altéré la compétitivité-prix, à une épargne
nationale insuffisante et à un cadre institutionnel ayant limité la mise à niveau de l’économie marocaine.
Cette évolution résulte enfin de la faible flexibilité des politiques macro-économiques, de l’insuffisante
réactivité de la politique économique face aux fluctuations rapides de la conjoncture nationale et inter-
nationale, et finalement de la faible cohérence et coordination de l’action publique.

1.4. Fluctuations cycliques de l’économie

L’étude de l’évolution du PIB au Maroc depuis l’Indépendance montre que celui-ci s’écarte souvent de sa
tendance, notamment au cours de la décennie 90. L’écart de production qui s’en dégage (l’output gap) per-
met d’apprécier l’ampleur des déséquilibres entre l’offre et la demande et de déterminer les cycles de crois-
sance de l’économie nationale qui restent dépendants de chocs internes mais aussi externes.
Les chocs externes correspondent souvent aux fluctuations des prix des matières premières sur les mar-
chés internationaux, notamment les prix des phosphates et du pétrole ainsi qu’aux évolutions de la demande
extérieure adressée au Maroc. Au niveau interne, le choc le plus fréquent reste lié aux changements des
conditions climatiques dont l’impact sur l’activité agricole et donc sur l’ensemble de l’activité économique est
déterminant. Cette baisse de la production agricole entraîne non seulement une baisse de l’offre d’exporta-
tion de produits agricoles et de certaines branches du secteur industriel mais également, une baisse des
revenus agricoles et donc de la demande globale.
Ainsi, sur la base de l’évolution de l’output gap 1, il ressort que l’économie marocaine a connu, sur la pé-
riode 1960-2003, six cycles 2de croissance économique ayant un profil temporel déséquilibré entre les
phases de reprise et celles de ralentissement de la croissance.

1. Différence entre le niveau du PIB observé et celui du PIB tendanciel, exprimé en pourcentage du PIB tendanciel.
2. Le cycle d’une série temporelle reflète les fluctuations transitoires autour de la composante tendancielle. À partir d’un point de retourne-
ment inférieur, un cycle passe par une phase de reprise ou d’expansion, puis atteint un point de retournement supérieur avant d’entrer dans une
phase de récession. La définition retenue pour le cycle correspond à une période comprise entre deux principaux creux successifs.

307
Évolution de l’output gap

La vulnérabilité de l’économie marocaine à l’aléa climatique fait que la dynamique de croissance écono-
mique au Maroc est étroitement liée à celle de l’agriculture. En effet, les cycles économiques engendrés par
l’activité globale et par l’activité agricole coïncident sur la période 1965-2003 avec des amplitudes plus impor-
tantes pour les cycles agricoles. Il en ressort que dans le cas du Maroc, les cycles économiques observés
sont davantage influencés par le changement des conditions climatiques (chocs internes) que par les chocs
externes. Néanmoins, l’écart au PIB agricole et celui au PIB non agricole présentent une asymétrie qui trouve
son origine dans les effets indirects de l’agriculture sur les autres secteurs d’activité, en particulier, l’agroali-
mentaire, le commerce et le transport.

Graphe 3 : Output Gap PIB et PIB agricole en %

308
Il est à noter qu’à partir de 1996, les répercussions de l’aléa climatique sur la croissance économique se
sont sensiblement atténuées grâce au développement de l’élevage et de la pêche et au dynamisme de cer-
tains secteurs porteurs de l’économie nationale (électronique, commerce, bâtiment...) qui ont permis de sou-
tenir la croissance du PIB hors agricole et d’accélérer son rythme de progression.
Les six cycles identifiés pour l’économie nationale se présentent comme suit :

1960-1966 : Une croissance économique bridée


Ce cycle, assez symétrique, est caractérisé par une phase ascendante due aux performances du secteur
agricole et à l’extension du secteur public et par une phase descendante qui trouve ses origines dans une
révision par l’État des choix de développement économique et financier.
Conformément aux objectifs arrêtés par le plan quinquennal 1960-1964, à savoir la réforme agraire, l’indé-
pendance économique du pays et la mise en place des infrastructures de base, cette période est marquée
par l’extension du secteur public. Après une année de sécheresse en 1961, l’économie nationale a enregistré
un recul du PIB agricole de 14,7 %. De 1962 à 1963, la croissance fut de nouveau tirée par le secteur agricole
et par l’extension du secteur public à travers la création de nombreux offices et entreprises publiques. La
récession à la fin du cycle trouve ses origines dans une révision des choix de développement économique et
financier par les pouvoirs publics. En effet, dès 1963, les pouvoirs publics ont affiché le choix d’une écono-
mie de marché avec le maintien d’un secteur public en tant qu’acteur économique mais aussi régulateur de
l’économie. Un tel choix s’est traduit par l’adoption d’un plan triennal de rigueur (1965-1967) fixant un certain
nombre d’orientations dans le sens de la restriction des importations, de la réduction de la demande interne
et de la maîtrise du déficit budgétaire.
Ce changement de cap de politique économique et budgétaire conjugué à une mauvaise campagne agri-
cole en 1964 sont à l’origine d’une baisse de la croissance passant de 5,7 % en 1963 à 1,5 % en 1964.
Ainsi, au cours de ce cycle, la réorientation de la stratégie de développement mise en œuvre par le Maroc
s’est traduite par des résultats mitigés en matière de croissance économique : le taux de croissance écono-
mique n’a été que de 2,9 % en moyenne annuelle au cours de cette période.

1967-1974 : Relance et austérité


Cette période a connu un certain nombre d’événements qui ont entraîné importantes mutations au sein de
l’économie nationale et dans les relations économiques internationales. Parmi ces événements, il importe de
relever en particulier le détachement entre l’Or et le Dollar en 1971, la déréglementation des mécanismes
monétaires et les fortes variations des prix des matières premières (pétrole et phosphate) qui ont abouti à la
crise énergétique de 1973, marquant une rupture dans le cycle économique. Au niveau national, cette pé-
riode a connu la mise en œuvre du plan quinquennal 1968-1972 axé essentiellement sur la promotion de
deux secteurs intensifs en main-d’œuvre à savoir l’agriculture et le bâtiment.
Ce cycle présente le régime de croissance le plus élevé de la période post-indépendance puisque la crois-
sance moyenne enregistrée a été de 5,7 %. La performance enregistrée par l’économie nationale au cours de
cette période est essentiellement due au secteur agricole qui a enregistré de bonnes campagnes céréalières.
La contribution de ce secteur à la croissance a d’ailleurs atteint au cours de cette période 1,6 % contre
0,3 % entre 1960 et 1966. Cette performance est également imputable à l’accélération du rythme de pro-
gression de la valeur ajoutée des industries manufacturières (de 3,7 % à 5,5 %) et au redressement de l’acti-
vité des services notamment le transport (5,9 % contre 1,9 %) et le commerce (1,3 % contre 0,4 %).
Cette accélération de la croissance est également liée à la nette amélioration de la productivité des fac-
teurs qui explique à elle seule plus de la moitié de la croissance du PIB (sa contribution au PIB a été de
3 points), à l’augmentation de la participation à la croissance de la consommation des ménages (de 2 à
3,1 points de PIB) et enfin à la hausse de la contribution de l’investissement (1,7 points de PIB).

309
Le cycle ainsi dégagé (1967-1974) a enregistré deux phases distinctes : l’une d’expansion allant de 1967 à
1971, pendant laquelle le rythme de croissance s’est établi en moyenne à 7,1 %; la seconde de ralentisse-
ment (3,7 % de croissance moyenne) allant de 1972 à 1974 s’expliquant par l’austérité budgétaire menée au
cours des dernières années du plan de 1968-1972, et par le niveau médiocre des campagnes céréalières au
cours de cette même période (51 et 32 millions de quintaux en 1972 et 1973).
En fin de cycle, les recettes d’exploitation des phosphates ont plus que quadruplé passant de 17 % en
1973 à 51 % des recettes d’exploitation des biens et services. Ce boom d’activité du secteur des phos-
phates a contribué à freiner la récession, a permis de mettre fin aux plans d’austérité et de rigueur et de
relancer l’économie notamment à l’aide du développement du secteur public.

1975-1981 : Un État volontariste


Cette période s’est caractérisée par une forte chute des prix des phosphates (baisse de moitié entre 1975
et 1978) et par la succession de plusieurs années de sécheresse (1975, 1977, 1979 et 1981). Ce retourne-
ment de la conjoncture économique a fait apparaître des déséquilibres au niveau des finances publiques et
des comptes extérieurs et a généré un endettement extérieur considérable vers la fin de l’année 1977.
Au cours de ce cycle, l’économie nationale a enregistré un taux de croissance de 4,6 % en moyenne
annuelle et l’activité agricole a affiché une baisse de 1,5 %. La croissance économique a par conséquent été
tirée par l’activité hors agricole dont le taux de croissance s’est situé à 6,9 % l’an et plus particulièrement par
l’activité des administrations publiques qui a enregistré une croissance de sa valeur ajoutée de 14,1 %.
Le début de cette période a enregistré un regain de croissance dû essentiellement à l’accroissement
considérable de l’investissement public réel qui s’est accru en moyenne, entre 1975 et 1977, de 56,8 %.
Ainsi, cette phase s’est traduite par le lancement de projets d’investissements publics d’envergure engagés
sur la base des revenus escomptés de la « manne phosphatière 1 » et favorisés par la marocanisation de
1973. L’effondrement imprévu des cours du phosphate en 1976 a poussé les pouvoirs publics à recourir à
l’endettement extérieur pour financer ces projets de développement.
Le recours massif au financement extérieur a permis, à travers un accroissement important des dépenses
publiques d’investissement, d’assurer un taux de croissance moyen de 7,5 % de 1974 à 1977 tout en géné-
rant une inflation à deux chiffres qui a atteint 12,6 % en 1977.
Cette situation a conduit à la mise en œuvre d’un programme de stabilisation et d’assainissement dans le
cadre du plan triennal 1978-1980 dont l’objectif premier était de rétablir les équilibres budgétaires et finan-
ciers. Hormis une réduction du total des dépenses publiques de 40 % en 1977 à 30,6 % en 1980, ce pro-
gramme n’a pas atteint les résultats escomptés du fait d’une conjoncture internationale défavorable marquée
notamment par le deuxième choc pétrolier en 1979, et par une augmentation des taux d’intérêt étrangers
ayant aggravé le poids de la dette extérieure (celui-ci étant passé de 31 % du PIB en 1977 à 57 % du PIB en
1981). Du fait de cette conjoncture, le Maroc a connu un épuisement de ses avoirs extérieurs ainsi qu’une
nouvelle aggravation de son déficit budgétaire pour se situer à 14 % du PIB en 1981. Ainsi, il en ressort qu’à
partir de 1977, le taux de croissance a connu un net ralentissement du fait de l’échec du programme d’austé-
rité et des aléas climatiques.

1982-1987 : Ajustement structurel et libéralisation de l’économie


Au début de la décennie 80, le Maroc s’est trouvé confronté à des pressions financières aiguës et à une
détérioration prononcée des équilibres internes et externes, trouvant leur origine non seulement dans les fai-

1. Le prix du phosphate a été multiplié par trois en 1974.

310
blesses structurelles de l’économie nationale (forte dépendance de la production vis-à-vis des aléas clima-
tiques, vulnérabilité des exportations à l’égard des cours internationaux, en particulier pour les phosphates,...)
mais également dans une conjoncture internationale défavorable (cours élevé du pétrole, flambée du dollar,
hausse des taux d’intérêt...).
Durant la période 1981-1983, le taux de croissance économique n’a pas dépassé 2 %, le taux d’inflation
s’est situé autour de 10 %, l’épargne publique était négative pour l’équivalent de 2 % du PIB et le déficit bud-
gétaire a atteint 12 % du PIB. Au niveau des comptes extérieurs, le déficit du compte courant de la balance
des paiements a atteint 12 % du PIB, les réserves de change couvraient à peine quelques jours d’importa-
tions de biens et services et le profil de la dette extérieure s’est sensiblement détérioré si bien que l’encours
a dépassé 100 % du PIB et le service de la dette extérieure 50 % des recettes en devises.
Face à cette crise aiguë, le Maroc a lancé en Septembre 1983, avec l’appui du Fonds Monétaire Inter-
national et de la Banque Mondiale, un programme d’ajustement structurel. Cet ajustement, longtemps
retardé, fut particulièrement brutal.
Ce programme reposait essentiellement sur la maîtrise de la demande interne, la mobilisation de l’épargne
locale, l’optimisation de l’allocation des ressources, la libéralisation du commerce extérieur et du régime de
change, la restructuration du secteur public, la déréglementation des prix et la modernisation du secteur
financier.
Dans sa première phase, la mise en œuvre du PAS a engendré une contraction de la demande intérieure et
un ralentissement de l’activité économique. La croissance économique réelle a affiché un taux de 4,1 % en
moyenne annuelle entre 1982 et 1987. Cette croissance, qui reste significative, n’a toutefois pas été en
mesure de faire face à la demande d’emploi et à limiter l’aggravation du taux de chômage.
Au cours de cette période, la croissance économique a été principalement tirée par le secteur agricole dont
la valeur ajoutée a enregistré une croissance de 7,6 % entre 1982 et 1987, en liaison avec la substitution de
certaines cultures par les céréales, en particulier le blé tendre et l’extension des superficies cultivées en zone
bour.
La structure du PIB n’a pas connu durant la période 1983-1987 de changement notable. Les industries
manufacturières ont continué à représenter entre 17 et 18 % du PIB à prix constants ; suivies par le secteur
primaire (agriculture, élevage et pêche) dont le poids reste important. Les secteurs minier et du bâtiment ont
vu leur part du PIB baisser sensiblement entre 1983 et 1987 de 4,2 % à 3,8 % et de 7 à 4,5 % respective-
ment. Quant à la valeur ajoutée des administrations, son rythme de progression a diminué de moitié tout en
se maintenant à un niveau plus important que celui des activités productives (6,8 % contre 4 % pour le PIB
marchand hors agricole).
C’est sur le plan extérieur que les progrès ont été les plus nets : le solde du compte courant est passé d’un
déficit de 12,3 % du PIB en 1982 à un excédent de 0,9 % du PIB en 1987. Cette nette amélioration est due
d’une part à la contraction des importations et d’autre part à la hausse notable des transferts courants nets
des Marocains Résidant à l’Étranger passant ainsi de 7,4 % du PIB en 1984 à 9,2 % du PIB en 1987. Ce
transfert courant net a été stimulé par les dévaluations survenues de 1983 à 1985.
Quant au déficit budgétaire, il a été ramené de 12 % du PIB en 1982 à 5,7 % en 1987. Il convient cepen-
dant de signaler que ce déficit est sous-estimé, car il n’inclut pas les gains dus au rééchelonnement de la
dette extérieure.

1988-1995 : Ancrage du Maroc à l’économie mondiale et volatilité du PIB


Au cours de la seconde phase du Programme d’Ajustement Structurel (1988-1995), les finances publiques
et la balance des paiements se sont redressées. Cette période a été marquée par une forte volatilité de la
croissance économique comparativement à la période antérieure, en raison des fréquentes sécheresses, du

311
ralentissement de l’investissement public et privé, de la décélération de la demande étrangère et principale-
ment européenne adressée au Maroc et de la baisse de la compétitivité relative des exportations marocaines
par rapport aux pays émergents performants. La détérioration de cette compétitivité relative est imputable à
la hausse des coûts de production suite notamment à la revalorisation des salaires (SMIG), au renchérisse-
ment des matières premières, en particulier du pétrole et à l’appréciation du taux de change effectif réel. Au
niveau sectoriel, l’économie marocaine s’est diversifiée à partir du début de la décennie 90 grâce au déve-
loppement de l’industrie touristique, du secteur textile et des services financiers.
Le cycle économique a connu une croissance réelle moyenne de 2,7 %, tirée essentiellement par l’activité
hors agricole avec un taux de croissance de 3,7 % l’an. Cette croissance conjuguée au bon comportement de
la FBCF et aux mesures du PAS ont permis de stabiliser le déficit du compte courant à 1,5 % du PIB en fin de
période. L’intégration progressive du Maroc à l’économie mondiale ainsi que la dévaluation en 1990 ont
généré une hausse considérable des exportations contribuant ainsi à la maîtrise du déficit de la balance des
paiements.
L’effort de redressement des finances publiques s’est poursuivi pour ramener le déficit budgétaire à 3,7 %
du PIB en moyenne sur la période 1988-1995 (2,2 % du PIB en 1992). Pour accroître les ressources de l’État,
une modernisation et une simplification du système fiscal ont été entreprises, avec l’introduction de la TVA
en 1986, de l’impôt sur les sociétés en 1988 et de l’impôt général sur le revenu en 1990. Cette réforme a été
accompagnée par une réduction graduelle des taux particulièrement pour l’impôt sur les sociétés, et pour les
tranches supérieures de l’impôt général sur le revenu.
Introduisant une simplification et une modernisation du système d’imposition, la réforme fiscale a favorisé
un accroissement plus rapide, comparativement au PIB, des recettes fiscales du moins jusqu’en 1992.
Cependant, elle n’a pas conduit à un élargissement conséquent de la base imposable. La structure du sys-
tème fiscal continue par ailleurs à se caractériser par la prédominance des impôts indirects, lesquels repré-
sentent toujours plus des deux tiers des recettes fiscales.
Des économies ont été enregistrées également au niveau des dépenses de fonctionnement de l’État,
grâce à la réduction des subventions et transferts (3 à 1 % du PIB entre 1982 et 1994) et à la maîtrise de la
masse salariale (10,5 % du PIB en 1994 contre 11,2 % en 1982) suite au gel des salaires et au plafonnement
des recrutements au sein de la fonction publique. Toutefois l’essentiel des économies a été réalisé par le
biais de la compression du budget d’équipement ou de l’allégement de la dette suite à son rééchelonne-
ment. D’ailleurs, le ratio dépenses de fonctionnement sur PIB n’a pas connu d’amélioration notable (16,5 %
en 1982 ; 15,2 % en 1993 et 14,6 % en 1994).
En dépit des résultats atteints, la situation des finances publiques est restée fragile. En effet, le train de vie
de l’État est demeuré élevé par rapport au niveau de développement économique du pays et les incidences
de la réforme fiscale sur les finances publiques se sont estompées à partir de 1993.

1996-2003 : la croissance dans la stabilité


Le choix de l’expansion dans la stabilité marque une rupture avec la politique économique menée depuis
l’Indépendance. Un nouveau régime de croissance, moins inflationniste que par le passé, a débuté en 1996
se caractérisant par une reprise des investissements public et privé, par la consolidation du PIB non agricole
et par une amélioration des équilibres extérieurs, permettant le renforcement des réserves de change.
La tendance ascendante du PIB hors agricole a permis d’amortir les fluctuations de la production agricole
et de réaliser sur la période 1996-2003 une croissance moyenne de 4 %. Cette croissance de 3,5 % par an a
été essentiellement dopée par les secteurs du tourisme (3,5 % contre 2,1 %), du bâtiment et des travaux
publics (5,8 % contre 1,6 %) et du commerce (4,4 % contre 2,9 %).
Il convient aussi de souligner qu’au cours de ce cycle, une nette amélioration du taux d’épargne et du taux

312
d’investissement a été enregistrée comparativement à la première moitié de la décennie 90. Une capacité de
financement a même été dégagée depuis 2001 de l’ordre de 4 % du PIB en raison de la présence d’un sur-
plus d’épargne nationale par rapport à l’investissement.
De même, le déficit budgétaire s’est maintenu autour de 3 % du PIB, le taux du chômage a baissé de
16 % en 1995 à 11,9 % en 2003 et le taux d’inflation a été maîtrisé à l’intérieur d’une fourchette allant de
0,6 % en 2001 à 3 % en 1996.
Quant au solde du compte courant de la balance des paiements, et après un déficit de 3,6 % en 1995,
celui-ci a enregistré un excédent depuis 2001, en lien avec l’amélioration des recettes touristiques et avec le
dynamisme des transferts des Marocains résidant à l’Étranger (MRE) stimulés par le réajustement du panier
de dotation du dirham et par l’introduction de l’euro fiduciaire.
L’amélioration des soldes courants et budgétaires a permis une réduction considérable de l’endettement
du Maroc grâce à une gestion active de sa dette extérieure. Cette dernière, basée essentiellement sur le
remboursement par anticipation des dettes onéreuses et sur la reconversion des dettes en investissements,
a permis d’alléger le poids de la dette extérieure de 80,5 % du PIB en 1993 à 52,1 % en 1998 et à 30 % du
PIB en 2003 et de réduire de ce fait la dette publique de 103,9 % du PIB en 1995 à 80,6 % du PIB en 2003.

1.5. Convergence depuis les années 90 des cycles de l’économie


nationale avec ceux de l’Union Européenne

Il ressort de l’analyse comparative des cycles des pays de l’échantillon que le décalage entre l’évolution de
la croissance marocaine et celle européenne est assez net et ce jusqu’en 1978. En effet, sur la période 1966-
1978, ce décalage était de deux ans par rapport au cycle espagnol ou grec. Sur la période de 1981-1987,
aucune corrélation significative n’est établie du fait de la forte volatilité du PIB marocain et de la mise en
œuvre du PAS. Depuis 1989 et avec l’ouverture de l’économie nationale sur l’extérieur et notamment sur
l’Union Européenne, la croissance conjoncturelle de nos principaux partenaires exerce des effets sur l’évolu-
tion cyclique de l’économie nationale, la corrélation étant de fait plus étroite. Sur la période 1989-2002, le
cycle du PIB marocain, semble parfaitement en phase avec les cycles européens en termes d’évolution et de
périodicité. Cette plus forte corrélation résulte de la libéralisation de l’économie nationale, de la restauration
des mécanismes de marché à travers notamment la déréglementation des prix et des tarifs, de la réduction
du rôle de l’État et d’une plus grande interdépendance avec les économies européennes.

313
Évolution des cycles économiques marocain et espagnol

En revanche, le cycle du PIB marocain, est peu sensible à l’évolution conjoncturelle des économies mag-
hrébines du fait de l’absence d’intégration entre ces économies (les échanges avec le Maghreb ne repré-
sentent que 4 % du total des transactions marocaines) et des économies asiatiques en raison de la faiblesse
des échanges avec ces pays.

Évolution des cycles économiques marocain et tunisien

314
2. Une croissance économique tirée principalement par le facteur
travail

La mesure de la croissance potentielle et de l’écart de production à partir d’une approche « struc-


turelle », c’est-à-dire fondée sur l’estimation d’une fonction de production, permet d’étudier la contribu-
tion des différents facteurs de production à la croissance, à savoir le capital, le travail et le progrès
technique.
L’estimation d’une fonction de production macroéconomique, de type Cobb-Douglas, sur la base des don-
nées couvrant la période 1970-2001 aboutit à des élasticités de la production par rapport aux facteurs capi-
tal 1et travail respectivement de 0,38 et 0,62. À partir de celle-ci les contributions des facteurs de production à
la croissance économique ont été déterminées.

Tableau 1 : Contributions des facteurs de production à la croissance économique (en %)

1960-1966 1967-1974 1975-1981 1982-1987 1988-1995 1996-2003


PIB 2,9 5,7 4,6 4,1 2,7 4,0
Capital 1,5 1,2 3,2 1,5 1,2 1,5
Emploi 1,1 1,6 1,9 1,6 1,5 1,5
PGF 0,3 2,9 i0,5 1,1 0,0 1,0

2.1. Rôle moteur du facteur travail dans la croissance économique

Le capital humain reste le facteur de production le plus important au Maroc. C’est d’ailleurs le cas de la
plupart des pays en développement qui, bénéficiant d’une main d’œuvre nombreuse et peu coûteuse, ont
tendance à se spécialiser dans des productions intensives en emplois. La contribution du travail à la crois-
sance économique a enregistré une amélioration de 0,4 point du PIB, passant de 1,1 point du PIB durant la
période 1960-1966 à 1,5 point entre 1996 et 2003. Entre 1975 et 1981, le facteur travail a atteint son
niveau record avec presque 2 points du PIB en raison du lancement de la politique des grands chantiers
publics.

2.2. Amélioration de la contribution du facteur capital à la croissance

La participation du facteur capital à la croissance économique s’est maintenue autour de 1,5 point du
PIB en moyenne annuelle sur la période 1960-2003. Ce facteur a fortement contribué à la croissance
économique entre 1975 et 1981 (à hauteur de 3,2 points du PIB), étant donnée la progression de 10 % en
volume du niveau des investissements réalisés au cours de cette période. Entre 1982 et 1985, et suite à
la contraction de l’investissement public, la FBCF s’est repliée en termes réels de 2 % pour enregistrer
une nouvelle accélération de son rythme de progression en 1986-1995 passant de 3,9 % à 7,8 % en 1996-
2003.

1. Corrigé par le taux d’utilisation des capacités de production (TUC), estimé par : PIB/CAP avec CAP = K*PIB (i1)/K(i1).

315
Le changement de régime de croissance des investissements au cours du dernier cycle est imputable à
une accumulation sensible du capital liée à l’extension des capacités productives du pays, et à la substitution
du capital au travail. Cette substitution peut être appréhendée à travers l’évolution du rapport entre le total du
capital et l’effectif des travailleurs (cf. graphique suivant).

Substitution du capital au travail

2.3. Volatilité de l’évolution de la productivité globale des facteurs à la


croissance

La productivité globale des facteurs mesure le lien entre la production des biens et services et la mobilisa-
tion des ressources humaines et du capital dans le processus de production.
Le graphique ci-après montre l’évolution de la productivité globale des facteurs (PGF) et de sa tendance.

Graphe : Évolution de la PGF et de sa tendance

316
La productivité globale des facteurs a enregistré une évolution volatile sur la période 1960-2003 imputable
aux chocs internes (aléas climatiques) et externes (fluctuations de la demande étrangère adressée au
Maroc, des prix des matières premières et des principales devises) que l’économie nationale a subis au
cours de ces années ainsi qu’à des raisons structurelles liées à la valorisation insuffisante du capital
humain et à la sous utilisation des capacités de production. Hormis la période 1967-1974 durant laquelle la
productivité globale des facteurs a participé fortement à la croissance économique (2,9 points du PIB), sa
contribution à la croissance est restée limitée : elle s’est établie entre i0,5 % entre 1975 et 1981 et
1,1 point entre 1982 et 1987.
La productivité globale des facteurs étant la moyenne pondérée des productivités du travail et du capital,
son taux de croissance peut être décomposé en effet productivité du travail et en effet productivité du capi-
tal.

Tableau : contribution des productivités apparentes à la croissance de la PGF

1960-1966 1967-1974 1975-1981 1982-1987 1988-1995 1996-2003


Productivité du capital i0,3 1,0 i1,3 0,1 i0,1 0,1
Productivité du travail 0,6 1,9 0,9 0,9 0,1 0,9
PGF 0,3 2,9 i0,5 1,1 0,0 1,0

Ainsi, la productivité du travail a été le facteur déterminant dans l’évolution de la croissance de la producti-
vité globale des facteurs depuis l’Indépendance.
La baisse de la productivité du travail à partir de 1975 est liée à la forte croissance de l’emploi tertiaire, qui
se caractérise par une faible productivité.
Celle-ci résulte d’une part de la baisse des salaires réels dans la fonction publique durant les années 80 et
d’autre part de la forte poussée des « emplois informels » dans les zones urbaines correspondant, le plus
souvent, à des commerces et services à faible productivité.
Le processus de tertiarisation de l’emploi au Maroc est donc en réalité une conséquence du chômage. Du
fait de la contraction de l’emploi formel, et de l’absence de prestations de chômage, un nombre croissant
d’actifs ont des activités de subsistance.
Il convient toutefois de préciser que l’analyse précédente est basée sur des productivités apparentes dont
le calcul comporte un certain nombre de limites. En effet, il ne tient pas compte des corrections à faire sur
les volumes du travail et du capital réellement utilisés en introduisant le nombre d’heures travaillées, la durée
d’utilisation des équipements et le délai d’ajustement de l’emploi.

317
2.4. Une croissance économique tirée essentiellement par la demande

La demande intérieure a été le moteur de la croissance économique sur la période 1960-2003. Sa contribu-
tion à la croissance économique malgré les fluctuations enregistrées au fil des cycles de l’économie natio-
nale est restée supérieure à 2,8 points de PIB et a représenté plus de 80 % de la progression du PIB depuis
l’Indépendance.

Contribution des éléments de la demande à la croissance réelle (en %)


Contributions

1960-1966 1967-1974 1975-1981 1982-1987 1988-1995 1996-2003


Consommation des ménages 2,0 3,1 3,5 2,9 2,2 2,5
Consommation des ADP 0,5 0,8 2,1 0,1 0,6 1,2
FBCF 1,7 3,2 i0,5 0,9 1,9
XBS 1,3 0,3 1,4 1,6 1,3
MBS 1,7 2,3 0,0 2,4 2,3
PIB 2,9 5,7 4,6 4,1 2,7 4,0
Commerce extérieur i0,4 i2,0 1,3 i0,8 i1,0

2.4.1. Ralentissement de la contribution de la consommation des ménages à la


croissance
La consommation des ménages représente le principal déterminant de la croissance sur la période 1960-
2003 avec une part de près de 70 % du PIB réel entre 1996 et 2003 contre 66 % sur la période 1960-1964.
Sa contribution a baissé de 1 point, passant de 3,5 points au cours de la période 1975-1981 à 2,5 points vers
la fin de la décennie 90. Son rythme de progression a été irrégulier, alternant des phases d’accélération
(1967-74, 1975-1981) et de ralentissement (1982-1987 et 1988-1995). Les années 90 se sont caractérisées
par une relative décélération de la consommation des ménages comparativement aux années 80 en liaison
avec le ralentissement de l’activité économique.
Toutefois, la maîtrise de l’inflation durant la période 1996-2003 et la revalorisation des salaires dans les sec-
teurs public et privé (hausse du SMIG) ont permis à la consommation réelle des ménages d’afficher une
légère amélioration de sa contribution à la croissance.
Cette faible performance s’explique en grande partie par les fluctuations des revenus générés par le
monde rural en rapport avec les sécheresses survenues au cours de ces années.

318
Graphe : Contribution des éléments de la demande à la croissance réelle (en %)

2.4.2. Contribution limitée de l’investissement à la croissance


Au-delà de son impact direct sur la croissance économique en tant que facteur de demande, l’investisse-
ment accroît également la capacité de production et joue de ce fait un rôle de premier plan dans la croissance
économique.
Rapporté au PIB, l’investissement a augmenté de 14,2 % en 1967-1974 à 26,2 % en 1975-1981 condui-
sant ainsi à l’amélioration de sa contribution de l’investissement à la croissance de 1,7 à 3,1 points du PIB ;
grâce à la mise en œuvre de la politique des grands projets d’investissements publics.
Suite au plan d’ajustement structurel, le taux d’investissement a été ramené à près de 20 % du PIB en
1987. De ce fait, celui-ci a été un facteur de décroissance au cours de la période 1982 et 1987 puisque sa
contribution à la progression du PIB a été négative (i0,5 point). Cette situation résulte de la réduction subs-
tantielle de l’investissement public, dictée par des impératifs de réduction du déficit budgétaire, et qui ne
s’est pas accompagnée d’une amélioration conséquente de l’investissement privé.
Depuis 1988, la contribution de l’investissement global à la croissance économique s’est nettement
améliorée pour atteindre 0,9 point au cours de la période 1988-1995 et 1,9 points entre 1996 et 2003.
Ce redressement de l’investissement réel est imputable à l’effort d’investissement de l’État en matière
d’infrastructures et à la modernisation de l’appareil productif national suite notamment à la réduction
des droits de douane appliqués à l’importation des biens d’équipement et à la détente des taux d’inté-
rêts.

319
Évolution de la FBCF aux prix constants (en millions de dollars, base 1995)

L’effort d’investissement de l’État a été renforcé par la mise en place du Fonds Hassan II pour le Déve-
loppement Économique et Social. Alimenté par une part des recettes de privatisation, ce Fonds vise à pro-
mouvoir l’investissement privé et à impulser les secteurs porteurs de l’économie à travers la contribution
au financement des contrats-programmes liant l’État au secteur privé et au financement de projets d’inves-
tissement dans les domaines de l’habitat social, des autoroutes, des zones industrielles et touristiques,
des infrastructures rurales, des technologies de l’information, des équipements culturels et de l’environne-
ment.
L’amélioration de l’investissement a été également le fait des opérateurs privés étrangers. Leur inves-
tissement s’est développé durant la dernière décennie pour représenter 9 % de la FBCF au cours de cette
période après l’abrogation du décret de marocanisation de 1973 et suite à la mise en œuvre des politiques
de libéralisation et de privatisation à partir du milieu des années 90. Cette contribution reste toutefois insuf-
fisante comparativement à certains pays émergents (Corée du sud, Chili, ...) en raison de l’étroitesse du
marché marocain, de la persistance des entraves réglementaires et d’un environnement des affaires moins
incitatif.

2.4.3. Contribution conséquente de la consommation des administrations publiques


à la croissance
La contribution de la consommation publique à la croissance économique réelle a connu une amélioration
continue de 1960 à 1981 pour atteindre son niveau record entre 1975 et 1981. En effet, celle-ci est passée
de 0,5 point entre 1960-1966 à 0,8 point entre 1968 et 1974 pour atteindre finalement 2,1 points du PIB entre
1975 et 1981.

320
Sous l’effet de la réduction du poids du secteur public et des plans de rigueur menés par le Maroc, cette
contribution a été ramenée à seulement 0,1 point du PIB sur la période 1982-1987. Au lendemain de la sortie
du rééchelonnement et suite à l’amélioration de la situation des finances publiques, la contribution de la
consommation publique à la croissance économique s’est de nouveau renforcée en raison notamment de la
revalorisation dans le cadre du dialogue social des salaires au sein de la fonction publique et du dynamisme
des autres dépenses de biens et services ; atteignant 0,6 point du PIB entre 1988 et 1995 et 1,2 point entre
1996 et 2003.

2.4.4. Contribution négative du commerce extérieur à la croissance


Le commerce extérieur a été pour l’économie marocaine un facteur de décroissance permanent. En effet,
en dehors des années 1982-1987 où la contribution des importations à la croissance a été nulle en raison de
la forte contraction de la demande au cours de cette période, la contribution du commerce extérieur à la
croissance a été constamment négative. Elle a fluctué dans une fourchette allant de i0,4 (entre 1967 et
1974) à i2 points du PIB (1975-1981) notamment du fait de la progression plus rapide des importations de
biens et services par rapport aux exportations. Ainsi, alors que la contribution des exportations de biens et
services en volume à la croissance économique réelle est restée stable autour de 1,3 point du PIB, celle des
importations s’est quant à elle située en moyenne autour de 2 points du PIB.
Il apparaît donc que malgré l’ouverture croissante de l’économie nationale et la conclusion de nombreux
accords de libre-échange par le Maroc, les exportations n’ont pas pu constituer un véritable moteur de la
croissance économique. Ceci est notamment imputable à la faible compétitivité des produits marocains à
l’export, à la forte concentration géographique des exportations sur le marché européen caractérisé par un
dynamisme modéré et par une forte concurrence et finalement à la spécialisation du Maroc dans des sec-
teurs peu dynamiques du commerce mondial. En effet, les exportations restent largement tributaires de
quelques secteurs d’activité à faible valeur ajoutée et pour lesquels les perspectives d’essor sont limitées :
ces secteurs représentent 25 % des échanges mondiaux au cours des années 90 (textile, agro-alimen-
taire...).

3. Rôle mitigé de la politique économique


et du cadre institutionnel dans le processus de croissance de
l’économie marocaine

La politique macro-économique et le cadre institutionnel jouent un rôle fondamental dans la détermination


du profil de croissance d’un pays. La contribution de ces politiques peut-être appréhendée à travers l’analyse
économétrique des déterminants de la croissance économique d’un pays déterminé 1. Dans ce cadre, six fac-
teurs ont été examinés : la maîtrise de l’inflation, l’impact de la politique budgétaire sur la croissance écono-
mique, les répercussions de l’ouverture économique sur la croissance, la politique de valorisation des
ressources humaines, la répartition des revenus et la qualité des institutions et leurs effets sur la perfor-
mance économique d’un pays.

1. Les estimations ont été calculées à partir des données de panel qui comportent une double dimension, une dimension individuelle, ici le
pays puisque les individus observés sont les économies des pays de l’échantillon, et une dimension temporelle.

321
3.1. L’inflation, facteur de décroissance pour l’économie nationale

Les principaux arguments avancés par la théorie économique en faveur d’une modération et d’une stabilité
de l’inflation sont d’une part la moindre incertitude au sein de l’économie et d’autre part, l’amélioration de
l’efficience du mécanisme des prix.
Sur cette base, deux indicateurs de l’inflation sont pris en compte dans l’analyse empirique : son niveau
et sa variabilité. Il en ressort que dans le cas de l’économie marocaine, sur les trente dernières années, le
niveau de l’inflation a eu des répercussions négatives sur la croissance. En effet, une inflation élevée érode
la valeur des revenus et de l’épargne et influe de façon négative sur l’accumulation de capital physique
dans le secteur privé et produit, par ce biais, un effet négatif sur la production. Cela est particulièrement
vrai pour les années 70 et 80 (cf. annexe 3) où l’investissement privé a pâti de l’importance du niveau
d’inflation qui se situait autour de 9 % en moyenne annuelle. De plus, l’incertitude que l’inflation fait peser
sur les prix futurs et les taux d’intérêts réels faibles ou négatifs qu’elle entraîne ont encouragé les inves-
tissements dans les biens non productifs (immobilier, foncier...) détournant ainsi les ressources financières
des activités productives. Toutefois, depuis la seconde moitié des années 90, les pouvoirs publics sont par-
venus à maîtriser les tensions inflationnistes ramenant le taux d’inflation de 5,3 % entre 1988 et 1995 à
1,7 % entre 1996 et 2003.
Cette maîtrise a contribué à l’amélioration de la croissance économique en soutenant la demande réelle et
en favorisant l’investissement au cours de cette période. Comparativement aux autres pays de l’échantillon,
cette maîtrise de l’inflation a eu des effets moindres sur la croissance économique (cf. annexe 3).
Les résultats de la régression économétrique montrent par contre que la variabilité de l’inflation n’a pas eu
d’influence majeure sur le PIB dans le cas du Maroc ; son coefficient estimé n’étant pas statistiquement
significatif. Il en ressort que contrairement à d’autres pays de l’échantillon, l’incertitude générée par les fluc-
tuations de l’inflation n’a pas eu d’impact majeur sur les choix des investissements.

3.2. Faible contribution de la politique de valorisation du capital humain


sur la performance de l’économie marocaine

La valorisation du capital humain constitue un des principaux moteurs de la croissance économique. Il


est désormais généralement reconnu que le développement des ressources humaines d’un pays est
essentiel à la prospérité et à la croissance de même qu’à l’emploi efficace de son capital physique. La
valorisation du capital humain fait donc partie intégrante de tout effort de développement. Pour appré-
hender l’impact de cette politique sur la croissance économique dans le cas des pays de l’échantillon,
nous avons retenu deux indicateurs : l’effort d’alphabétisation et le taux de couverture de l’éducation
secondaire.
Pour la plupart des pays de l’échantillon, la valorisation du capital humain a permis l’accélération de la crois-
sance économique. Ces pays ont en effet enregistré des augmentations sensibles de leur capital humain, en
particulier du fait de l’intervention des pouvoirs publics, ce qui a eu un effet positif sur les schémas de crois-
sance observés.
Contrairement à ces pays, l’amélioration du capital humain n’a pas constitué un des principaux facteurs
explicatifs du régime de croissance économique au Maroc au cours de ces trois dernières décennies. En
effet, l’effort d’alphabétisation n’a pas eu d’incidence significative sur la croissance de l’économie natio-
nale.

322
Le Maroc a enregistré au cours de ces années l’un des taux d’analphabétisme les plus élevés de l’échantil-
lon, et ce malgré les efforts des pouvoirs publics en matière d’alphabétisation (cf. annexe 3). Par contre, le
taux de couverture de l’enseignement secondaire a contribué favorablement à la croissance économique
même si son impact a été très faible comparativement aux autres pays (élasticité partielle de 0,0009 seule-
ment contre 0,017 pour le Mexique, 0,012 pour la Tunisie et 0,12 pour la Turquie). Cela est notamment dû à
l’amélioration nette du taux brut de scolarisation secondaire qui est passé de 4,6 % en 1971 à 26,2 % en
2002.

3.3. Politique budgétaire pro-cyclique, peu favorable à la croissance

La politique budgétaire peut influer sur la production et la croissance à moyen terme ainsi que sur le cycle
économique. En effet, conformément à la logique keynésienne, les dépenses publiques peuvent exercer une
influence contra-cyclique significative sur les variables fondamentales des économies, notamment sur la
consommation et l’investissement. Les dépenses publiques peuvent affecter le taux de croissance écono-
mique :
– directement, en consolidant le stock de capital de l’économie à travers, par exemple, l’investissement
public en infrastructure ou l’investissement des entreprises publiques ;
– indirectement, en augmentant la productivité marginale des facteurs de production offerts par le secteur
privé, à travers les dépenses d’infrastructures, d’éducation, de santé et d’autres services qui contribuent
à l’accumulation du capital humain.

Cependant, l’utilisation des dépenses publiques en tant qu’instrument de régulation conjoncturelle peut
constituer une source de distorsions pouvant compromettre la croissance économique dans la mesure où
l’augmentation du déficit budgétaire peut avoir une incidence négative sur la croissance, du fait de l’effet
d’éviction qu’elle exerce sur les investissements privés.
Pour apprécier le rôle des dépenses publiques sur la croissance économique des pays de l’échantillon, les
dépenses d’investissement ont été distinguées des dépenses de fonctionnement comme variables explica-
tives dans l’équation de la croissance économique (cf. annexe 4).
Le principal enseignement de ces résultats est que l’allocation optimale des dépenses publiques est indis-
pensable à la réalisation d’une croissance saine et durable. Cette allocation concerne un arbitrage entre les
dépenses publiques de consommation et celles d’investissement. C’est ainsi que les dépenses publiques
favorisent la croissance de l’économie marocaine lorsqu’elles sont destinées aux investissements, mais sont
également susceptibles de la freiner quand elles privilégient la consommation. Plus précisément, lorsque les
dépenses publiques servent à financer la consommation ou les transferts, elles peuvent générer des effets
d’éviction de l’investissement du secteur privé.
Alors que la théorie économique considère qu’une hausse des dépenses de consommation publique ali-
mente la demande et génère, par le biais de l’effet multiplicateur keynésien, une croissance à court terme du
PIB, elle se traduit paradoxalement dans le cas marocain par une réduction de la croissance du PIB, et ce, en
raison de l’effet d’éviction.
À l’opposé, l’évolution favorable de la composition des dépenses publiques en faveur des dépenses
d’investissement tend à avoir un impact positif sur la croissance. Cet impact restant très limité dans le cas du
Maroc (élasticité partielle de 0,00014) du fait de la faiblesse des dépenses d’investissement public et d’un
ciblage peu adéquat des projets d’investissement.

323
La politique budgétaire peut également influer le cycle de l’économie. Elle est dite contra-cyclique
lorsqu’elle vise à modérer les fluctuations de l’activité économique en conduisant par exemple une politique
de relance par les dépenses publiques en bas de cycle. Elle est dite par contre pro-cyclique lorsqu’elle tend à
contrarier son évolution favorable. Ceci se produit lorsque la politique budgétaire tend à consolider ses
finances publiques en bas de cycle.
Les économistes tendent à prôner des politiques budgétaires plutôt contra-cycliques, dans la mesure où
elles permettent d’amortir les fluctuations de l’activité, sources d’inefficacités économiques et de coûts
sociaux.

Évolution de l’output gap et du déficit structurel en % du PIB

Il ressort de ce graphique que pour le Maroc, la politique budgétaire n’a été contracyclique que sur la pé-
riode 1975-1981, suite au premier choc pétrolier. Elle a été peu corrélée à la conjoncture (1967-1974, 1996-
2001) ou franchement pro-cyclique (1960-66, 1982-1987) (voire tableau ci-après).

Coefficient de corrélation entre l’output gap et le solde structurel


60-66 En Val abs i0,80
67-74 En Val abs i0,13
75-81 En Val abs 0,15
82-87 En Val abs i0,99
88-95 En Val abs i0,49
96-01 En Val abs i0,21

324
En fait, les politiques restrictives menées au Maroc ont eu le plus souvent pour seul objectif de limiter la
dégradation du déficit budgétaire en période de creux conjoncturel. Elles se sont souvent traduites par des
coupes importantes au niveau des dépenses d’investissement. Cela provient de la forte rigidité des
dépenses de fonctionnement, résultant du poids de la masse salariale et des charges de la dette dans le Bud-
get.
Lorsque les finances publiques ont pu dégager des plus-values fiscales ou des recettes exceptionnelles
par le biais notamment des privatisations, elles ont souvent été utilisées pour réduire la dette extérieure, en
remboursant par anticipation la dette onéreuse, ou pour engager de nouvelles dépenses et en particulier des
dépenses de fonctionnement (valorisation des salaires, compensation des produits pétroliers...).

3.4. Peu d’effets positifs de l’ouverture sur l’activité économique

Certaines théories ont souligné les effets positifs de l’ouverture économique du fait de la réalisation
d’économies d’échelle, de l’exposition à la concurrence et de la diffusion du savoir. Ces effets pourraient
entraîner une augmentation à la fois de l’efficience globale et éventuellement du niveau d’investissement.
Les progrès réalisés par les pays de l’échantillon du fait de la libéralisation de leur économie, de l’abaisse-
ment des barrières douanières et du démantèlement des obstacles non tarifaires tendent à montrer l’impact
positif que peuvent entraîner les échanges commerciaux sur la croissance (voire annexe 3). Cela étant, cet
impact dépend également de facteurs structurels autres tels que la géographie, la taille ou les coûts de trans-
port...
Dans le cas marocain, la politique d’intégration à l’économie mondiale menée par les pouvoirs publics, n’a
pas permis au Maroc de profiter réellement de l’ouverture de son économie. Plusieurs indicateurs attestent
de ce constat : l’absence de corrélation entre la croissance économique et le taux d’ouverture (voire
annexe 3), la faible évolution des échanges commerciaux dans leur ensemble par rapport au PIB (le taux
d’ouverture de l’économique est resté autour de 47 % du PIB alors qu’il avait dépassé les 50 % au cours de
la période 1975-1981), le caractère non significatif du commerce extérieur comme variable explicative de la
croissance économique au Maroc sur les trois dernières décennies. D’ailleurs, en dehors de la période 1982-
1987, la contribution de ce dernier à la croissance a été constamment négative. En fait, les différentes
études réalisées montrent que l’impact de l’ouverture d’une économie reste faible pour les pays qui ont de
faibles niveaux d’éducation (cas du Maroc). Il est d’ailleurs à noter que les pays qui ont le plus tiré profit de
l’ouverture en termes d’accélération de la croissance sont ceux qui disposaient d’une main-d’œuvre très qua-
lifiée. C’est le cas par exemple des pays asiatiques qui ont bénéficié de l’interaction des transferts rapides de
technologie et d’une main-d’œuvre très qualifiée ayant su adapter les technologies aux besoins locaux et
améliorer leur régime de croissance.

3.5. Impact négatif de la répartition des revenus sur la croissance

La répartition des revenus peut également influer sur la croissance économique. En effet, les inégalités de
revenus ont pour effet de ralentir la croissance. Deux thèses peuvent expliquer cette relation de causalité :
Pour la première, les inégalités dépriment la croissance parce qu’elles induisent un accroissement de la

325
pression redistributive et fiscale. Pour la seconde, les inégalités engendrent des tensions politiques et
sociales de nature récessive. Cette approche dite de « l’instabilité socio-politique », considère que dans un
contexte de fortes inégalités, les agents les plus défavorisés tendent à multiplier leurs revendications et à les
manifester de manière plus ou moins violente. De plus, leur sentiment de non-appartenance au « système »
les rejette dans l’informel. L’instabilité socio-politique ainsi occasionnée réduit donc l’incitation à l’investisse-
ment, non seulement parce qu’elle désorganise les activités de marché, mais aussi, en raison des incerti-
tudes concernant l’environnement socio-politique.
Pour mesurer les inégalités des revenus, l’indicateur retenu est l’indice de Gini qui mesure la concentration
des revenus. Plus cet indice est proche de l’unité plus les revenus sont concentrés. L’introduction de cet
indicateur comme variable explicative de la croissance a montré que dans le cas du Maroc, les inégalités de
revenus influent négativement sur la croissance (élasticité partielle négative de l’ordre de 0,003). Il en résulte
que plus la politique de redistribution des revenus menée par les pouvoirs publics corrige la concentration
des revenus par le développement des mécanismes de solidarité et par le renforcement de la protection
sociale, plus la croissance économique a tendance à s’accélérer. Toutefois, il y a lieu de noter que la relation
trouvée est statistiquement peu significative et que l’impact de la réduction des inégalités sur la croissance
reste relativement marginal.

3.6. Impact négatif de la qualité des institutions sur la croissance


économique

Le système institutionnel joue un rôle tout à fait central dans la croissance endogène d’un pays. En effet,
ce sont les avantages comparatifs de l’environnement institutionnel mis en place qui déterminent le régime
de croissance opérant à l’intérieur d’un pays. Par institutions, il faut entendre, selon la Banque Mondiale,
« les contraintes créées par l’Homme qui permettent de structurer les interactions d’ordre politique, écono-
mique et social ». Elles se composent de règles formelles (Constitution, lois et règlements, système poli-
tique, ...) et informelles (fiabilité des transactions, système de valeurs et croyances, représentations, normes
sociales, ...) régissant les comportements des individus et des organisations (entreprises, syndicats,
ONG,...). Dans ce cadre, une base de données relative aux caractéristiques institutionnelles de 51 pays en
développement, en transition et développés, a été mise en place par le Ministère français de l’Économie, des
Finances et de l’Industrie (MINEFI).
Cette base de données porte sur les aspects qualitatifs des institutions, mesurés par neuf indicateurs thé-
matiques. Elle vise à appréhender les potentiels de ces pays et à mettre en relation quelques variables de
développement institutionnel avec le niveau de développement économique.
L’analyse des variables institutionnelles permet ainsi de dégager une typologie des pays en grandes
familles institutionnelles : les « autoritaires-paternalistes », les « libéraux tempérés », « les libéraux purs » et
les « informels ». Ces données permettent finalement d’établir le profil institutionnel de chaque pays, celui
du Maroc pouvant être représenté comme suit :

326
Selon ce profil, le Maroc est classé parmi les pays qualifiés « d’informels ». Il appartiendrait donc au groupe
des pays caractérisés par, d’une part, des régulations sociales assurées par des instances traditionnelles en
lieu et place des structures étatiques et autres institutions modernes et, d’autre part, par une organisation
sociale qui privilégierait les sécurités collectives (liberté de circulation des personnes et de l’information,
libertés syndicales, pluralisme des médias, ...) aux libertés individuelles (sécurité intérieure des biens, des
personnes et des contrats de travail, efficience de la justice, faible part du travail informel).
Le classement des pays sur la base des variables institutionnelles met le Maroc, la Thaïlande et l’Indonésie
dans des positions proches. D’autres pays, de même niveau de développement ou concurrents, comme la
Tunisie, l’Égypte et la Malaisie sont classés parmi ceux qui disposent de justice efficiente, de sécurité inté-
rieure des biens et des personnes, mais dont les régulations sociales sont assurées par les instances tradi-
tionnelles des sociétés. De fait, ils sont considérés comme des « autoritaires – paternalistes ».
Dans un sens comparable et concernant l’interaction entre les institutions et la croissance, l’étude menée
par le CEPII 1sur les « écarts technologiques, les institutions et la croissance économique » sur la période
1980-2000 a également montré que la qualité de l’environnement institutionnel, l’efficacité dans l’utilisation
et la diffusion des technologies ainsi que l’importance de la recherche-développement ont un impact réel sur
les performances économiques.
C’est ainsi que l’insuffisante qualité des institutions marocaines a été à l’origine d’un déficit de croissance
annuel de 2,5 points de PIB sur la période 1980-2000. Ce déficit de croissance se répartit comme suit : un
point de PIB dû à la corruption, 0,6 point de PIB imputable à l’insuffisance de la Recherche Développement
au Maroc et 0,9 point de PIB résultant du degré de concurrence sur le marché des produits.
Le déficit de croissance dû à l’insuffisante qualité des institutions enregistré au Maroc au cours de cette

1. H. BOUIHOL : « les écarts technologiques et les institutions et la croissance économique », CEPII, no 2, février 2004.

327
période a été plus important que celui de l’Irlande (0,2 %), de la Grèce (0,5 %) et de la Tunisie (1,6 %) mais
plus faible que celui du Chili (2,8 %), de l’Égypte (3,9 %) et de l’Indonésie (4,1 %).
L’analyse de l’évolution de la croissance depuis l’Indépendance du Maroc montre que celle-ci a connu six
cycles distincts qui correspondent à des temps économiques fortement différents. Toutefois, leur lecture en
terme de taux de chômage dégage une constante liée à l’insuffisance structurelle en matière de création
d’emploi. Ainsi, s’il ressort de notre analyse que l’économie marocaine doit s’engager dans un nouveau sen-
tier de croissance soutenu et durable, il devient également nécessaire de traduire ces performances en enri-
chissement du contenu en emploi de la croissance et ce d’autant plus que les pressions démographiques se
précisent, que l’environnement international se fait plus concurrentiel et que les technologies connaissent
des mutations profondes et rapides.

II. l’évolution de l’offre et de la demande de travail

1. L’offre de travail

L’offre de travail désigne les services de travail offerts par la main-d’œuvre disponible pour la production
des biens et services, qu’elle exerce un travail ou cherche un emploi. Cette définition correspond à celle de la
population active, laquelle est composée des personnes actives occupées et des personnes en chômage. Il
est important de noter que selon la source utilisée, on parlera de population active au « sens recensement »,
telle qu’appréhendée par les recensements ou au « sens enquête » qui, outre la population active au sens
recensement, comprend la population active dite marginale telle que mesurée par l’enquête sur l’emploi.
L’évolution et la composition de l’offre de travail sont influencées par l’interaction des facteurs socio-
économiques, en l’occurrence la croissance démographique, le phénomène de l’urbanisation et le déve-
loppement de l’éducation. Pour avoir une idée sur l’influence de ces facteurs sur l’offre de travail, on utilisera
l’identité qui donne les variations de cette dernière en fonction de celles de la population en âge de travailler
et du taux d’activité. La population en âge de travailler, qui correspond généralement au groupe d’âge de 15-
64 ans, est prédéterminée principalement par la composante démographique, c’est-à-dire la différence entre
les taux de natalité et de mortalité des années passées. Mesuré par le rapport entre la population active et la
population en âge de travailler, qui exprime l’offre potentielle de travail, le taux d’activité représente
l’influence des facteurs agissant sur les comportements d’activité des différentes composantes de l’offre de
travail. Pour mettre en évidence les changements survenus dans le rythme de croissance et la structure de
cette offre, l’analyse est effectuée sur la base de la distribution de la population active selon des groupes
démographiques plus ou moins homogènes selon le genre, l’âge, et le milieu de résidence.
Avant de retracer les évolutions des différentes composantes de l’offre de travail rappelons quelques
repères de cette dernière. L’offre de travail globale en 2003 se composait de 10 902 000 de personnes,
répartie selon 73,4 % d’hommes et 26,6 % de femmes, dont 53,3 % résidant en milieu urbain et 46,7 % en
milieu rural. Par rapport à 1960, l’offre de travail s’est accrue trois fois et demi, soit un accroissement annuel
moyen (a) de 3,2 %. Comparé à l’accroissement annuel moyen de la population globale de 2,2 %, ce taux
met en évidence un constat important de la problématique de l’emploi : l’offre de travail a cru à un rythme
nettement plus rapide que celui de la croissance démographique, le premier étant supérieur de 37 % au

328
second. Entre les périodes intercensitaires, l’offre de travail globale a connu une décélération du rythme de
croissance de 3,6 % par an entre 1971 et 1982, à 2,8 % entre 1982 et 1994.

1.1. L’offre de travail urbaine

À travers l’exode rural, le poids de la croissance démographique se reporte sur l’offre de travail urbaine
La croissance rapide de la population urbaine est fortement liée à la migration rurale-urbaine : 38 % en
1960-1971 et 42,8 % en 1971-1982 de l’accroissement de la population urbaine est due au phénomène de
l’exode rural (CERED, 1992). Globalement, entre 1960 et 2003, le poids de la population âgée de 15 à 59 ans
est passé de 48,4 % à 62,2 %, et 55,6 % et 69,8 % respectivement si l’on y inclut celle de soixante ans et
plus, soit un accroissement de près d’un point de pourcentage tous les trois ans. Cet impact s’est traduit par
une poussée considérable de l’offre de travail potentielle.
L’évolution de la population urbaine en âge de travailler s’est accrue à un rythme croissant, s’élevant de
5,2 % à 5,7 % entre les périodes 1960-1971 et 1971-1982, puis décroissant depuis la décennie quatre-vingt,
de 4,8 % à 4,2 % entre les périodes 1982-1994 et 1994-2003. En variation absolue, la population en âge
d’activité correspondant à la tranche de 15-59 ans, a cru en moyenne annuelle de 368 000 personnes durant
la période 1994-2003, contre 84 000 personnes durant la période 1960-1971, ayant ainsi été multiplié par 4,3.
Après avoir augmenté à un rythme rapide de 5,2 % à 5,7 % par an entre les périodes 1960-1971 et 1971-
1982, l’offre de travail a cru à un rythme décéléré entre les périodes 1982-1994 et 1994-2003, en passant de
4,7 % à 4,2 %. En dépit de cette inflexion à la baisse, l’offre de travail additionnelle annuelle a quasiment tri-
plé entre 1960-1971 et 1994-2003, passant de 53 000 à 153 000.

Féminisation croissante de l’offre de travail particulièrement en milieu urbain malgré la baisse des taux
d’activité des classes d’âge extrêmes
Durant les trois dernières décennies, outre le phénomène de l’exode rural, c’est manifestement la fémini-
sation croissante de l’offre de travail qui a marqué le plus l’évolution du marché du travail. Cette modification
importante de l’offre selon le genre apparaît à travers l’augmentation du taux d’activité en milieu urbain, et
plus particulièrement durant les décennies soixante et soixante-dix. Cette évolution structurelle fonda-
mentale est liée à l’interaction des facteurs socio-économiques, en l’occurrence, l’amélioration du niveau
d’instruction, l’expansion des opportunités d’emploi dans le secteur tertiaire, l’augmentation des gains rela-
tifs féminines conférant à la femme un rôle économique accru au sein du ménage.
Entre 1960 et 2003, le taux de féminisation de l’offre globale de travail a plus que triplé, passant de 8,5 % à
26,6 %. Mais c’est en milieu urbain où l’offre de travail féminine a enregistré un rythme de croissance remar-
quablement élevé et sans précédent, dépassant celui des hommes, notamment pendant la période 1971-
1982, atteignant 6,1 % par an, soit presque le double de celui (3,1 %) des hommes, suivi d’une décélération
significative entre 1982 et 1994, avec 3,4 % contre 2,7 % chez les hommes. Cette évolution importante a
conduit à la féminisation croissante de l’offre de travail urbaine portant le taux de féminisation de 13,5 % à
21 % entre 1960 et 2003, avec cependant une décélération durant les deux dernières décennies. Comme le
montre l’évolution de la courbe des taux d’activité graphique, la féminisation globale de l’offre de travail
masque cependant des évolutions contrastées selon les groupes d’âge : un accès accru des femmes au mar-
ché du travail au niveau des groupes d’âge à forte activité, accompagné d’un rétrécissement aux âges
extrêmes. D’après les recensements de population, le taux d’activité féminin a quasiment doublé en passant
de 11,3 % à 21,6 % entre 1960 et 1994, qui, lors de la première enquête emploi en 1976, avait atteint
31,1 %, marquant toutefois un infléchissement à la baisse à partir de 1996, passant de 25,8 % à 20,9 % en
2003.

329
L’effet de rétention scolaire sur l’activité féminine n’a été ressenti en fait qu’à partir de la décennie
soixante-dix, représenté par la baisse tendancielle des taux d’activité des jeunes femmes de 15 à 24 ans,
observée sur la période 1976 à 2002, passant de 19,5 % à 8,2 % chez les jeunes filles âgées de 15 à 19 ans
et de 30 % à i % chez les adolescentes de 20-24 ans.
Étant donné que l’effet de rétention scolaire reporte l’âge d’entrée dans la vie active, les taux d’activité des
femmes en âge de forte activité (25 à 44 ans) ont connu une hausse relativement sensible entre 1971 et
1997, passant respectivement de 28,1 % à 36,1 % chez les 25-29 ans) de 23,2 % à 33,4 % pour les 30-
34 ans, de 19,9 % à 29 % au niveau des 35-39 ans, et de 21 % à 23,9 % chez les 40-44 ans. Comme pour les
jeunes femmes, le taux d’activité des femmes de 50 ans ou plus connaît une baisse continue, passant de
12,9 % à 3,3 % entre 1976 et 2003 chez celles âgées de soixante ans et plus, accompagnée d’une régres-
sion de ceux des tranches de 55-59 ans (de 23,2 % à 10,5 %) et de 50 à 54 ans (de 22,9 % à 14,1 %) pen-
dant la période 1971-2002.
En termes d’effectifs, l’offre de travail féminine additionnelle s’est accrue en moyenne annuelle de 43 500
à 51 700 entre les deux périodes intercensitaires 1971-1982 et 1982-1994, suivi d’une inflexion à la baisse
importante de 28 600 depuis le milieu de la décennie quatre-vingt-dix. Comme souligné plus haut, cette dimi-
nution est liée en partie à la baisse des taux d’activité des classes d’âge extrêmes, et au retrait vers l’inacti-
vité des femmes découragées par le manque d’opportunités d’emploi. Ce phénomène de découragement
apparaît à travers l’évolution quasi procyclique des taux de chômage et des taux d’inactivité (graphique), ce
dernier ayant augmenté de dix points environ, passant de 69,5 % à 79,1 % entre 1995 et 2003.
En résumé, en procédant à une décomposition de la variation de l’offre globale du travail selon les facteurs
liés à l’évolution de la population active et des taux d’activité on peut dire qu’une bonne partie, soit 58 % de
l’augmentation de l’offre de travail des femmes sur la période 1971-2003, s’explique par les facteurs socio-
économiques liés au changement du comportement des femmes vis-à-vis du marché du travail, notamment
l’amélioration des possibilités formation, la recherche d’un mieux-être matériel et d’une plus grande auto-
nomie, 31 % est due à l’interaction de ces facteurs et la croissance démographique, et que seul 11 % revient
à cette dernière.

Diminution des taux d’activité masculine aux âges extrêmes et quasi-stabilité de ceux à forte activité en
milieu urbain
Les profils des taux d’activité se différencient nettement en termes de niveaux et de variations, globale-
ment et par groupes d’âge, comme le montre la courbe d’activité. (Après avoir baissé de dix points entre
1976 et 1984 (passant de 80,8 % à 70,8 %), le taux d’activité masculine en milieu urbain a connu une hausse
tendancielle, remontant jusqu’à 75,8 % en 1996, pour amorcer une légère baisse vers la fin des années
quatre-vingt-dix et début 2000. Le taux d’activité des adultes est resté globalement supérieur à 93 %, celui
correspondant à l’âge de forte activité (30-49 ans) se situant à un niveau élevé, variant entre 95 % et 98 %. Si
le taux d’activité des hommes âgés de 25 à 59 ans est demeuré quasi stable pendant la période considérée,
en revanche, celui des personnes âgées de soixante ans ou plus, en poursuivant une baisse régulière, a
chuté, atteignant 27,3 % en 1984 contre 50,2 % en 1976 ; ceux des groupes moins âgés ayant également
baissé, quoique moins fortement, de dix points chez les 55-59 ans (de 85,7 % à 76,7 %), de 3,4 points au
niveau des 50-54 ans (de 90,5 % à 87,1 %), et de 4,3 chez les 45-49 ans (de 95 % à 90,7 %).
En dépit de la baisse des taux d’activité aux classes d’âge extrêmes, l’offre de travail globale des hommes
en milieu urbain a cru à un taux de 4 % par an en moyenne, suivant à peu près le même rythme que celui
(4,1 %) de l’offre de travail potentielle, légèrement plus élevé que celui des femmes (3,9 %) sans toutefois
dépasser celui de la population féminine en âge d’activité (4,2 %). En termes d’effectifs, l’offre de travail
additionnelle des hommes a augmenté à un rythme croissant, passant de 121 000 par an au cours de la pé-

330
riode 1971-1982, à 147 600 pendant 1982-1994, et à 206 000 entre 1995-2003. Comme les taux d’activité a
globalement accusé de faibles variations, la croissance de l’offre de travail des hommes s’explique principale-
ment par la croissance démographique.

1.2. L’offre de travail en milieu rural

Faible croissance de l’offre de travail rurale accompagnée d’une augmentation du taux de féminisation
Entre 1960 et 1982, les taux d’activité de la population rurale âgée de quinze ans et plus n’ont connu
qu’une légère augmentation de 47 % à 48,2 %. En raison de l’exode rural, l’offre de travail dans les cam-
pagnes a cru à un taux faible, de 1,6 % par an entre 1960 et 1982, avec cependant un rythme plus élevé
entre 1982 et 1994 de 2,1 %, dépassant ainsi celui de la population rurale en âge d’activité (de 1,6 %) entre
les périodes 1960-1971 et 1971-1982. On relève toutefois une augmentation du taux de féminisation de la
population en âge d’activité (au sens recensement), de 8,5 % en 1960 à 14,5 % en 1994. Le taux de fémini-
sation au sens large approche le tiers (32,2 %) de la population active selon l’enquête sur l’emploi.
Les taux d’activité masculine qui demeurent globalement plus élevés en milieu rural où les formes d’acti-
vité soient moins diversifiées que celles localisées dans les villes, ont connu une hausse modérée de 1971 à
1987, passant respectivement de 81,6 % à 86,3 %, soit un accroissement de près de 5,8 points, suivi d’une
baisse moins élevée sur la période 1982-2003, atteignant 84 %. La part des actifs de moins de quinze ans en
milieu rural a baissé entre 1971 et 1994, en passant respectivement de 7,3 % à 5,7 %, inflexion qui est due à
l’amélioration de la fréquentation scolaire, alors que la part des actifs âgés de 15 à 24 ans a augmenté de
26,4 % à 30,9 % au cours de la même période. Globalement, l’évolution de l’offre de travail a été marquée
par une décélération du rythme de croissance entre les deux périodes intercensitaires, passant de 1,9 % de
1971 à 1982 et à 1 % de 1982 à 1994.
Comme bon nombre de femmes rurales ont tendance à participer à l’activité de l’exploitation familiale, leur
taux d’activité apparaît relativement plus élevé que celui des citadines actives, dépassant le tiers de la popu-
lation féminine en âge de travailler, soit 36,5 % en 1986/87, et 37,5 % en 2000. En dépit de cette participa-
tion active à la production, le travail féminin est mobilisé en tant qu’aides-familiales. Comme dans les villes, le
développement de la scolarisation dans les campagnes a influé sur la structure de l’activité féminine, laquelle
a été marquée par une baisse tendancielle de la part des jeunes filles actives de moins de quinze ans, pas-
sant de 16,4 % en 1971 à 13,5 % en 1994.

1.3. L’offre de travail selon les niveaux de formation

L’expansion de l’enseignement a modifié considérablement la structure de l’offre de travail


Le développement de l’enseignement constitue l’un des facteurs importants à l’origine de la segmentation
du marché du travail, et plus particulièrement durant les deux dernières décennies où les taux de fréquenta-
tion scolaire ont augmenté de manière appréciable, notamment en milieu urbain. Cette expansion scolaire a
eu des conséquences importantes sur l’offre de travail, qui apparaissent à deux niveaux. Entre 1977 et 1997,
la proportion des actifs ayant accompli le premier cycle fondamental et plus, a fortement augmenté, passant
de 43,8 % à 72,3 %, soit 28,5 points en l’espace de vingt ans, correspondant en moyenne à 1,4 point de
pourcentage par an. Durant la même période, la proportion des personnes actives ayant accompli les niveaux
secondaire et supérieur ont cru respectivement de 17,6 % à 32,8 % et de 2,4 % à 11,1 %.

331
2. L’évolution de la demande de travail

Émanant des entreprises, la demande de travail correspond au concept de l’offre d’emploi utilisé par les
services d’intermédiation sur le marché du travail. Elle dépend de la valeur de la production résultant de
l’interaction entre l’offre et la demande sur le marché des biens et services. Sur le marché du travail, les
employeurs n’embaucheraient de nouveaux travailleurs, aux salaires en vigueur, que s’ils anticipent une amé-
lioration de la productivité par rapport à l’évolution des coûts du travail, ou une extension des capacités de
production rentables. Outre ces deux préalable à la création de postes d’emploi profitables, l’embauche sup-
pose l’existence des compétences requises. Pour identifier les modifications importantes de la demande de
travail, on examinera les caractéristiques socio-professionnelles de la population active occupée et sa réparti-
tion sectorielle en termes de variations relatives et absolues.

2.1. La structure sectorielle de la demande de travail

Modifications progressives mais profondes de la structure sectorielle et professionnelle de la demande de


travail
La croissance économique s’accompagne de modifications progressives de la structure sectorielle et
socio-professionnelle de l’emploi, induites principalement par les changements affectant la composition de la
demande, l’évolution du processus de production, et de la pression concurrentielle du commerce extérieur.
En examinant la demande de travail par grands secteurs, on relève que ces modifications sont caractérisées
par une forte diminution de la part de l’emploi des activités primaires, compensée par une augmentation
remarquable de l’emploi tertiaire et un accroissement modéré de l’emploi secondaire. D’après les recense-
ments de 1960, presque les deux tiers (64,5 %) des travailleurs étaient occupés dans les activités primaires,
contre un tiers (32,5 %) dans le secteur tertiaire et seulement 13 % dans le secteur secondaire. Depuis cette
date, la part des activités primaires dans l’emploi total a accusé une régression assez sensible en passant de
57,5 % en 1971 à 43,7 % en 1982 ; c’est vers la deuxième moitié de la décennie soixante-dix qu’elle était
descendue sous le seuil de 50 %. Cette proportion, d’après les données de l’enquête emploi, a augmenté à
44,4 % en 2002.
La croissance de l’emploi dans le secteur secondaire a évolué à un rythme élevé durant la décennie
soixante-dix, et plus particulièrement pendant le quinquennat 1973-1977, où il avait atteint 9,2 % par an
contre 2 % pendant la période 1960-1971. La part du secteur secondaire dans l’emploi total a quasiment dou-
blé entre 1960 et 1982, passant de 13 % à 25,8 %, suivi cependant d’une baisse sensible durant la décennie
quatre-vingt-dix, en passant de 23,3 % en 1994 à 20,1 % en 2003, le bâtiment et les travaux publics étant la
branche qui a contribué le plus à cette croissance. Mais ce sont les activités tertiaires qui ont contribué le
plus à la croissance de la demande de travail, dans la mesure où leur part dans l’emploi total a plus que triplé
entre 1960 et 1994, atteignant 36,6 %, marquant néanmoins une légère baisse (35,5 %) en 2002 (selon
l’enquête emploi).
La répartition de la demande de travail entre les secteurs public et privé a également subi une modification
importante. Depuis l’indépendance jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, l’emploi dans le secteur
public a connu une croissance soutenue. La part de l’administration dans l’emploi total est passée de 7 % en
1960 à 9 % en 1982, pour atteindre 12,9 % en 1994, et baisser à 9,2 % en 2002, suite aux restrictions des
postes budgétaires. À titre de comparaison, signalons que vers la fin des années soixante et début des
années soixante-dix, où la part du secteur public dans l’emploi total, qui avait atteint 6,7 % au Maroc (1971),
s’élevait à 11,3 % au Chili (1970), 9,3 % en Tunisie (1972), 9,4 % en Égypte (1963-68), 2 % en République de
Corée (1973).

332
En valeur absolue, le rythme des créations nettes d’emploi dans l’ensemble de l’économie a fortement
varié d’une période à l’autre. Après avoir augmenté de 80 000 postes de travail durant le quinquennat 1968-
1972, les créations d’emplois se sont élevées sensiblement à 152 000 par an durant la période 1971-1982,
pour baisser à 137 000 postes entre 1982 et 1994, et augmenter à 217 000 pendant la période 1995-2003.
Une bonne partie de ces créations d’emploi est localisée en milieu urbain où elles avaient atteint en moyenne
123 000 postes par an entre 1985 et 2003. Toutefois, le nombre de créations d’emplois pendant la sous-
période 1985-1993, qui a atteint 134 000, était plus élevé que celui enregistré au cours de la période 1995-
2003, soit 124 000 emplois.

2.2. La demande de travail selon les milieux urbain et rural

Forte concentration et segmentation croissante de la demande de travail urbaine et faible croissance de


l’emploi rural
L’évolution de la répartition de l’emploi selon les grands secteurs fait ressortir une nette prédominance du
secteur tertiaire dans l’emploi urbain. Entre 1971 et 2002, la part de ce secteur dans l’emploi urbain est pas-
sée de 58,7 % à 62,2 % (voir graphique) : entre 1971 et 1983 cette évolution s’est accompagnée d’une aug-
mentation de la part du secteur secondaire, de 36 % à 40,8 %, pour connaître une inflexion à la baisse
passant de 35 % à 32 % entre 1994 et 2002.
Depuis les années quatre-vingt, l’emploi en milieu urbain a cru à un rythme soutenu de 3,9 %, atteignant
un niveau élevé de 5,4 % sur la période 1984-1993, suivi d’un ralentissement (2,5 %) pendant la période
1995-2003. Sur une plus longue période, les créations annuelles d’emplois ont atteint en moyenne 103 000
postes entre 1971 et 1994, s’élevant à 150 000 emplois sur la sous-période 1989-1993, pour baisser à
108 000 entre 1995 et 2003, soit un rythme annuel moyen de 127 800 emplois sur l’ensemble de la période
1984-2003.
Les évolutions de l’emploi apparaissent encore plus nettes et plus différenciées lorsqu’on les examine
selon les branches d’activité. Celles qui ont enregistré les taux de croissance d’emploi les plus élevés sur la
période 1984-2003, sont le bâtiment et les travaux publics (5,8 %), suivis des transports et communications
(5,6 %), du commerce (5,1 %) et des services (3,7 %). Dans le secteur industriel, le taux de croissance
moyen de l’emploi a été inférieur à 3 % sur la même période, remontant, à un taux sensiblement plus élevé,
de 5,3 % durant la période 1984-1993 pour connaître une forte baisse de 1,1 % depuis mi-quatre-vingt-dix
jusqu’à 2003. Le secteur des services a enregistré un taux élevé de croissance de l’emploi (4,9 %) pendant la
première période, puis a connu une décélération (2,3 %) après 1995, au cours de la seconde période.
Cette évolution a été marquée également par une augmentation du rythme de croissance de l’emploi dans
le secteur privé en milieu urbain depuis le début de la mi-quatre-vingt-dix, en passant de 2,4 % à 5,7 % entre
1996-1999 et 1999 et 2003, accompagnée d’une décélération du taux d’accroissement de l’emploi dans le
secteur public, de 0,5 % à 0,3 % pendant ces périodes respectives. Ce rythme de croissance contraste avec
l’augmentation importante du nombre d’emplois recensés dans la fonction publique civile durant la décennie,
ayant atteint 4,4 % entre 1970 et 1975, et 6,5 % au cours de la période 1975-1980, pour baisser à 2,8 %
entre 1980 et 1989.
En milieu rural et après avoir connu une augmentation importante durant la décennie soixante-dix, les créa-
tions d’emplois non agricoles ont fortement baissé durant la décennie quatre-vingt-dix, notamment dans les
activités liées à l’artisanat et aux services et dans une moindre mesure dans le commerce. En dépit des
efforts déployés pour améliorer l’infrastructure socio-éducative, il convient de noter que la part des services
administratifs et sociaux dans l’emploi total a baissé dans les campagnes, passant de 24 % à 13,5 % entre
1971 et 1994. Cette baisse relative reflète le faible encadrement de la population rurale en la matière,

333
comme en témoigne le nombre de personnes exerçant dans ces services pour cent habitants qui n’a pas
dépassé l’unité, alors que ce ratio en milieu urbain est passé de 3,6 à 5,9 au cours de la période considérée.
Par ailleurs, l’évolution de l’emploi selon le statut dans l’emploi entre les périodes 1984-1987 et 2000-
2003, a été marquée par une baisse sensible du taux de salariat urbain passant de 65,8 % à 60,7 %, compen-
sée cependant par une augmentation tendancielle observée depuis 1987 de la part des travailleurs indépen-
dants, passant de 15,3 % à 25 %, soit dix points en l’espace de dix-sept ans. La part des employeurs dans
l’emploi total a connu une augmentation modérée entre les périodes 1984-1987 et 2000-2003, en passant
respectivement de 3 % à 3,8 %, qui s’est accompagnée d’une baisse sensible du ratio salariés/ employeur
en milieu urbain entre ces deux périodes.

2.3. La demande de travail selon le niveau de formation

Amélioration de la qualification du facteur travail différenciée selon le niveau de formation


Appréciées par l’évolution de la structure de l’emploi selon le niveau scolaire ou le diplôme obtenu par les
personnes occupées, les aptitudes éducatives du facteur de travail se sont améliorées de façon très sensible
depuis l’indépendance, et plus particulièrement durant les deux dernières décennies.
Considérant l’évolution du niveau scolaire des travailleurs urbains entre 1978 et 1997, on note que la part
des travailleurs ayant accompli au moins le premier cycle du niveau fondamental a connu une augmentation
sans précédent, passant de 43,6 % à 68,4 %, et celles des travailleurs ayant les niveaux de l’enseignement
secondaire et supérieur de 17,2 % à 29,8 %, de 3,1 % à 9,5 %. De 1984 à 2003, la proportion des emplois
urbains occupés par des personnes respectivement diplômées a plus que doublé, passant de 21,8 % à
48,4 %. Cette croissance de la qualification du capital humain est attribuable à l’augmentation relative de la
main-d’œuvre pourvue d’un diplôme de niveau moyen, regroupant ceux des enseignements fondamental et
secondaire et de la formation professionnelle, dont la part s’est élevée de 23,2 % à 37 % entre 1987 et 2002,
soit une augmentation de près de quatorze points en l’espace de dix-huit ans.
La part des emplois occupés par les diplômés de l’enseignement supérieur reste relativement faible par
rapport à celle des techniciens et des cadres moyens. Si cette dernière a pratiquement quadruplé entre 1984
et 2002, passant de 2,1 % à 8 %, celle des diplômés d’études supérieures, après avoir progressé sensible-
ment de 5,8 % à 7,7 % entre 1984 et 1993, a pratiquement stagné autour de 6 % depuis la mi-décennie
quatre-vingt-dix.
Ces évolutions sont encore plus contrastées au niveau des créations d’emplois affichant des tendances
assez nettes en termes de niveaux et de variations. Les nouveaux emplois occupés par les non-diplômés ont
baissé à la fois en valeur absolue et en valeur relative ; entre les périodes de 1985-1993 et 1995-2000, le taux
de croissance des créations d’emplois destinées à cette catégorie de main-d’œuvre a baissé de 2,7 % à
1,8 %, sa part dans le total des emplois créés ayant également diminué de 38,6 % à 34,5 %. Le volume
annuel des créations d’emplois occupés par des travailleurs non diplômés a enregistré une régression pas-
sant de 51 600 à 39 400 emplois entre les deux périodes, soit une diminution de 23,6 %. Cette baisse ten-
dancielle positive a en grande partie été compensée par l’augmentation des emplois occupés par les
diplômés de la formation professionnelle. De même, si le volume des postes d’emplois occupés par les
diplômés de l’enseignement fondamental a baissé entre les périodes 1985-1993 et 1995-2002, passant en
moyenne annuelle de 49 900 à 20 390, accusant une diminution de 59 %, en revanche, celui des créations
d’emplois occupés par des diplômés de qualification et d’aptitude professionnelle a plus quadruplé, passant
de 5 400 à 24 700 par an entre ces périodes, enregistrant ainsi un triplement du rythme de créations
d’emplois de 4 % à 13,4 %.
Parallèlement au relèvement du niveau de qualification de la main-d’œuvre, le nombre de créations

334
d’emplois occupés par des cadres moyens et techniciens diplômés, a également augmenté de manière sen-
sible entre les périodes 1985-1993 et 1995-2002, respectivement de 14 700 à 20 400, le taux de croissance
annuel moyen de créations d’emplois étant plus élevé dans la première période (15,7 %) que dans la
seconde (5,1 %).
En ce qui concerne l’emploi les diplômés de l’enseignement supérieur en milieu urbain, il a cru à un rythme
soutenu, de 8,4 % par an dans la première période, suivi d’une inflexion à la baisse, avec un taux de 5,1 % au
cours de la deuxième période, correspondant à une création respective de 14 700 et de 11 900 emplois.

2.4. La demande de travail en milieu rural

L’emploi rural reste prédominé par les aides-familiaux et les travailleurs indépendants et insuffisamment
doté en capacités éducatives
Comme on l’a mentionné plus haut pour l’ensemble de l’économie, la part du secteur agricole et des
pêches dans l’emploi rural a également régressé de 81,6 % en 1971 à 77,3 % en 1994. Malgré cette diminu-
tion, les créations annuelles d’emplois dans ce secteur ont plus que doublé entre la période 1971-1982 et
1982-1994, en passant respectivement de 15 500 à 38 000.
En 2002, plus des trois quarts des salariés étant concentrés dans les villes, l’emploi rural demeurant carac-
térisé par un faible taux de salariat, de 17 % en 2002, enregistrement même à une diminution de plus de dix
points par rapport au taux observé (28 %) en 1971. À cette date, ce sont les aides-familiaux qui constituaient
la masse des travailleurs ruraux puisqu’ils représentaient 53 % de la population active occupée (avec 84,1 %
de l’emploi féminin), contre 36,3 % en 1971, soit une hausse de dix-sept points en quarante et un ans. Cette
évolution importante reflète en partie la substitution intervenue au niveau du statut du travail indépendant,
dont la part dans l’emploi rural a baissé de 33,7 % à 27,3 %.
En appréciant le travail rural sous l’angle des aptitudes éducatives, on constate que l’emploi dans ce milieu
rural a connu une baisse considérable de la proportion des actifs sans niveau scolaire, de 84 % en 1986/87 à
61,2 % en 2002, et une progression soutenue de la part des actifs occupés ayant le niveau de l’enseigne-
ment fondamental, de 9,8 % à 22,3 % au cours de la même période. Toutefois, en dépit des progrès réalisés
en matière de scolarisation, les actifs ruraux exerçant une activité économique restent très insuffisamment
dotés d’acquis scolaires et de formation institutionnelle, dans la mesure où la présence des diplômés parmi
la main-d’œuvre demeure symbolique avec une proportion de 1,1 % en 2003.

2.5. L’évolution de la durée de travail

Baisse significative du nombre de jours travaillés compensée par une augmentation de la durée heb-
domadaire de travail
Comme il ressort du tableau ci-après, le nombre total annuel de jours travaillés déclarés à la CNSS a cru
de % par an en moyenne durant les décennies quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Si la durée de travail men-
suelle a fluctué autour de vingt-trois jours durant la période 1978-1994, elle a connu néanmoins une baisse
significative depuis 1993, atteignant vingt-deux jours en 2002, soit une réduction équivalente à une journée
de travail. Cette diminution a été toutefois compensée par une augmentation de la durée hebdomadaire du
travail en milieu urbain, passant de 44 heures 25 minutes à 47 heures 55 minutes entre 1988 et 1996, soit un
accroissement de 3 heures et demi. Avec la réduction de la durée hebdomadaire de travail de 48 à 44 heures,
le nombre de jours de travail par mois pourrait, toutes choses égales par ailleurs, connaître une inflexion dans
la mesure où les entreprises adopteraient une meilleure organisation du temps de travail.

335
Répartition de la population active occupée selon la durée de travail hebdomadaire

Durée hebdomadaire de travail 1988 1990 1992 1996


moins de 24 heures 34,3 23,3 14,5 16,2
de 25 à 31 moins de 32 heures 10,1 8,9 8,6 16,2
32 à moins de 48 heures 41,5 36,9 45,3 32,1
48 à moins de 57 heures 12,4 20,2 20,7 24,4
57 heures et plus 11,7 10,7 10,9 17,3
Ensemble 100 100 100 100

Source : Enquête sur l’Emploi – Direction de la Statistique

La durée de travail en milieu urbain (calculée à partir des données des enquêtes emploi) qui varie forte-
ment d’une année à l’autre en fonction de la conjoncture économique, reste en moyenne inférieure aux qua-
rante-huit heures réglementaires. Toutefois, la distribution de la population active selon la durée de travail
révèle l’existence d’un sous-emploi chronique important de la force de travail. Comme il ressort du tableau, la
proportion des personnes travaillant moins de trente-deux heures par semaine a atteint 44 % en 1988, pas-
sant à 23 % en 1992, pour remonter à 48 % en 1996. Notons que ce sous-emploi du facteur travail coexiste
avec une activité intense d’une partie de la main-d’œuvre au-delà de la durée hebdomadaire de travail régle-
mentaire, dans la mesure où la proportion des personnes travaillant de 48 à 57 heures varie de 12 % à 24 %
au cours de la période 1988-1996.

2.6. L’évolution des coûts du travail

L’évolution des coûts du travail largement déterminée par celles des prix, de la productivité du travail et des
salaires minima
L’analyse des tendances des revenus salariaux en relation avec les principaux indicateurs de l’activité
économique et du marché du travail, apporte un éclairage sur les mécanismes de répartition des fruits de la
croissance et les contraintes pesant sur les performances de l’appareil productif. Rappelons que les gains de
productivité (apparente) du travail génèrent un surplus de richesse dont le partage devrait profiter à la fois aux
salariés pour la rémunération de leur travail, et aux employeurs pour la rémunération des capitaux investis.
Le salaire moyen brut dans les industries de transformation (rapport entre le montant global des frais de
personnel et le nombre total des employés) a connu une progression assez régulière durant les deux der-
nières décennies. Entre 1980 et 1999, le salaire moyen annuel est passé de près de 15 000 dh à 38 180 dh,
soit un accroissement de 5 % en valeur nominale, avec une légère décélération au cours de la décennie
quatre-vingt-dix (4,7 %) par rapport à la décennie quatre-vingt (5 %). La prise en compte de l’évolution des
prix à la consommation montre que le salaire moyen a globalement connu, durant les deux dernières décen-
nies, une perte de pouvoir d’achat, de l’ordre de 0,7 % par an, avec une baisse plus marquée (de 1,8 %) sur
la décennie quatre-vingt, et une hausse de 0,5 % durant la période quatre-vingt-dix (voir tableau).

336
Taux de variation annuel moyen des indicateurs de salaire, 1980-1999

Indicateurs des salaires et des prix Période Période Période


1980-1999 1980-1990 1990-1999
Salaire moyen nominal dans l’industrie 5,0 5,3 4,7
Pouvoir d’achat du salaire moyen dans l’industrie i0,7 i1,8 0,5
Salaire brut moyen dans les secteurs affiliés 4,8 7,2 2,1
Pouvoir d’achat du salaire moyen i0,9 0,0 i2,0
SMIG en valeur nominale 7,7 10,3 4,8
Pouvoir d’achat du SMIG 1,8 2,8 0,6

Source : Enquête sur l’Emploi – Direction de la Statistique

Les salaires dans les industries de transformation sont fortement corrélés avec la productivité apparente
du travail, avec une indexation quasi-unitaire (0,94) compte non tenu des autres déterminants de la rémuné-
ration. Lorsque l’on analyse la formation du salaire en fonction de ses principaux déterminants, les estima-
tions mettent en évidence une « règle » d’indexation implicite de la variation du salaire, qui fait que celui-ci
évolue à raison de 68 % de la variation de la productivité et de 47 % de celle des prix à la consommation.
(Ministère de l’Emploi, 2004).

2.7. L’évolution des salaires minima

Croissance soutenue du pouvoir d’achat des bas salaires grâce aux augmentations des salaires minima
En subissant des révisions fréquentes, le SMIG en termes réels (déflaté par l’indice des prix à la consom-
mation) a augmenté en longue période au taux annuel moyen de 1,4 % entre 1970 et 2000 (2,2 % dans la
décennie quatre-vingt et 1,3 % dans la décennie quatre-vingt-dix), bénéficiant de fait des fruits de la crois-
sance, alors que la plupart des pays en voie de développement connaissaient une tendance inverse. En effet,
les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ont été marquées par une baisse du salaire minimum réel dans
beaucoup de pays pour lesquels les données sont disponibles. Selon une étude comparative des salaires
minima (Ministère de l’Emploi, 2004) sur vingt-quatre pays d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique, seuls
quatre pays ont vu leur salaire minimum réel croître entre 1980-1990, en l’occurrence le Maroc : 32 %; la
Costa Rica : 21 %; la Thaïlande : 17 % et la Colombie : 7 %, alors qu’il a enregistré une croissance nulle en
Tunisie. Sur la seule période 1996-2000, le rythme de croissance du salaire minimum réel au Maroc (3,3 %) a
été le double de celui de la Tunisie (1,7 %). Il convient de noter que l’importance de l’emprise du SMIG,
mesuré par le poids de celui dans la distribution des salaires représente 50 % du salaire moyen et 90 % de
leur salaire médian du secteur formel. Comparé à des pays comme le Brésil (9,3 %), le Mexique (17,7 %), la
Russie (19,4 %), le Venezuela (31,3 %), l’Égypte (22,3 %), la Tunisie (42,4 %), l’Espagne 27,6 %), le niveau
du SMIG par rapport au salaire moyen au Maroc a ainsi atteint un niveau relativement élevé. Comme cette
emprise du salaire minimum sur les rémunérations est importante et son application est relativement bien
observée dans les entreprises structurées (entreprises affiliées au régime de sécurité sociale), le taux de non
respect du salaire minimum, estimé à 13 % en moyenne sur la période 1995-1999, fait apparaître le Maroc
comme un des pays en développement où cette proportion est faible.

337
Dans la mesure où elle accroît les salaires modestes à un rythme plus élevé que celui des salaires supé-
rieurs, la hausse du salaire minimum augmente plus vite que le seuil de la pauvreté et contribue à la baisse
des inégalités salariales. L’analyse des données a montré d’une part, qu’une augmentation de 1 % de la part
du SMIG par rapport au salaire moyen entraîne une diminution de 0,19 % de l’indice des inégalités de Gini.
D’autre part, entre 1984/85 et 1988/89, les rapports du SMIG et du SMAG au seuil de pauvreté ont augmenté
respectivement de 4,4 % à 5,1 % et celui du SMAG par rapport au seuil de pauvreté de 3,1 % à 4,3 % en
milieu rural.

3. L’évolution des déséquilibres du marché du travail


Après avoir présenté l’évolution séparée de l’offre et la demande de travail, il convient de retracer les désé-
quilibres entre ces deux composantes du marché du travail, tels que mesurés par le chômage selon les dif-
férentes catégories de demandeurs d’emploi et les causes apparentes de sa montée et sa persistance
depuis les années quatre-vingt. L’analyse des déséquilibres du marché du travail selon la nature du chômage
et du sous-emploi du facteur travail est malaisée en raison des difficultés d’application des concepts théo-
riques tels que le chômage structurel, le chômage conjoncturel ou le chômage frictionnel.
Le chômage structurel trouve ses origines dans les évolutions économiques et sociales qui relèvent du
long terme, en l’occurrence la composante démographique et les comportements d’activité de l’offre de tra-
vail, les désajustements entre les systèmes d’éducation et de formation et l’appareil de production, et les
règles de gestion du personnel par les entreprises. Le taux de chômage conjoncturel, qui est lié à la politique
de la régulation de la demande, monte plus rapidement en période de mauvaise conjoncture mais recule
moins vite quand l’emploi reprend en raison de l’existence de l’effet de cycle de productivité, représenté par
le processus d’ajustement des effectifs aux variations conjoncturelles de la production. Toutefois, le chô-
mage conjoncturel résultant d’un ralentissement de la croissance sur une période plus ou moins longue, peut
se transformer en chômage structurel. Eu égard aux difficultés d’appréhension des concepts théoriques du
chômage à partir des données disponibles, on se contentera donc de donner des indications très approxima-
tives de l’évolution des composantes structurelles et conjoncturelles ou frictionnelles du chômage.
Entre les deux premiers recensements de la population de 1960 et de 1971, le nombre de personnes à la
recherche d’un emploi est passé de 304 000 à 349 000, correspondant respectivement à un taux de chô-
mage de 9,4 % et 8,7 % de la population active. Si le taux de chômage était resté inférieur à deux chiffres
pendant cette période, il a en revanche accusé une hausse durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix,
s’élevant à deux chiffres, en passant à 10,7 % en 1982 pour atteindre 16 % en 1994 ; ce qui correspond à un
doublement de la population en chômage, passant de 643 000 à 1 332 000, avec une augmentation du stock
de 57 000 chômeurs par an. Depuis cette date, l’effectif des chômeurs a légèrement baissé, atteignant
1 296 000 au deuxième trimestre de 2004, correspondant à un taux de chômage de 11,2 %, soit une diminu-
tion près de cinq points.
Le taux moyen de chômage cache de grandes disparités aussi bien entre les deux milieux résidence
qu’entre les deux sexes et les niveaux d’instruction. Le chômage est un phénomène plutôt urbain, affectant
relativement plus les femmes que les hommes, les jeunes plus que les adultes, et davantage les diplômés
que les non-diplômés.

3.1. Le chômage en milieu urbain

Montée et persistance du chômage en milieu urbain, touchant plus particulièrement les jeunes et davan-
tage les femmes que les hommes

338
Les deux dernières décennies ont été marquées par la montée et la persistance du chômage urbain,
notamment celui des diplômés, et une forte hausse du chômage de longue durée (+12 mois) et de très
longue durée (+ de trois ans) plus particulièrement chez les nouveaux entrants sur le marché de travail. Pour
caractériser la nature du chômage, (en l’occurrence le chômage structurels on examinera l’évolution relative
de ce qu’on peut appeler « les chômages catégoriels », par rapport au taux de chômage global.
Au-delà de la montée du chômage de longue durée, la composition du chômage s’est fondamentalement
transformée depuis le début des années quatre-vingt. Entre 1984 et 2003, on relève une chute de la part des
actifs sans diplôme dans le chômage, de 65,2 % à 27,5 %, avec une augmentation significative de celle des
actifs ayant un niveau de diplôme de 30,7 % à 45,4 % sur la même période.
Certes, le chômage se concentre toujours sur les jeunes, mais relativement de moins en moins par rapport
aux adultes. En effet, en 2003, le taux de chômage est au plus haut dans le groupe des jeunes et des jeunes
adultes (15-24 ans), atteignant 34,5 %, soit quatorze points de pourcentage de plus que celui (20,2 %) des
adultes (25-44 ans). Toutefois, l’évolution relative du chômage de ces deux groupes laisse apparaître une
amélioration relative du premier par rapport au second, le ratio du taux de chômage des jeunes ayant baissé
de 2,7 à 1,7 entre 1984 et 2003. Corrélativement, les taux de chômage des adultes de 45 à 59 ans et de
soixante ans et plus ont baissé entre ces deux dates, de 8,8 % à 4,7 % et de 9,7 % à 1,5 % respectivement.
Concernant l’incidence du chômage selon le genre, on constate que si c’est parmi les femmes que le chô-
mage est le plus répandu, s’élevant en 2003, à 25,8 % contre 17,4 % chez les hommes, l’évolution relative
ne s’est pas détériorée pour autant. D’une part, le ratio du taux de chômage des femmes par rapport à celui
des hommes est resté stable autour de 1,5 entre 1984 et 2003. D’autre part, la variabilité relative des taux de
chômage masculin et féminin n’est pas assez significative, comme en témoigne l’écart entre les moyennes
des trois taux de chômage les plus élevés et les plus bas, qui s’élevait respectivement à i15 % et 22 % chez
les hommes et à i13 % et 23 % chez les femmes.
Si le taux de chômage des jeunes hommes a varié entre 30 % et 38 % de 1984 à 2003, avec une légère
tendance à la hausse durant la décennie quatre-vingt-dix par rapport à la décennie quatre-vingt, celui des
adultes a connu une augmentation sensible, passant en moyenne de 10,7 % sur la période 1984-1989 à
14,6 % durant la décennie quatre-vingt-dix. En revanche, le taux de chômage des personnes âgées de
soixante ans et plus a baissé de 9,7 % en 1984 à 1,5 % en 2003, aussi bien chez les hommes (de 9,3 % à
1,9 %) que chez les femmes (de 11,7 % à 1,9 %), diminution marquée par de fortes variations conjonc-
turelles par rapport au mouvement du taux de chômage masculin.

3.2. Le chômage en milieu rural

L’emploi en milieu rural reste caractérisé moins par le chômage ouvert que par le sous-emploi
Bien que le taux de chômage en milieu rural soit relativement peu élevé, il frappe 13,6 % d’actifs diplômés
en 2002, contre 17 % en 2000, baisse qui peut s’expliquer en partie par l’exode rural, d’autant plus que
l’emploi demeure la principale motivation de la migration rurale-urbaine avec une plus grande intensité pen-
dant les années de sécheresse. Comme l’a révélé l’enquête démographique 1986/88, près de 70 % des
hommes motivent leur départ pour le milieu urbain pour des raisons de recherche de travail.
De plus, le chômage affecte les personnes instruites : les personnes ayant en 1997 un niveau d’instruction
au moins égal au primaire représentent 40 % parmi les émigrants vers les villes, contre 20 % parmi ceux qui
restent à la campagne. En raison du caractère saisonnier des activités en milieu rural et donc du phénomène
de sous-emploi, l’incidence de chômage de longue durée est moins accentuée (près de 30 % en 1991).
L’existence d’une corrélation négative entre le chômage en milieu urbain et la production agricole signifie
que le sous-emploi dans les campagnes alimente en quelque sorte le chômage conjoncturel dans les villes.

339
3.3. L’incidence du chômage de longue durée

La forte incidence du chômage de longue durée est liée à la composante structurelle du chômage
Deux indicateurs corroborent l’augmentation du chômage structurel : la forte incidence du chômage de
longue durée et la dispersion des taux de chômage des différentes catégories de demandeurs d’emploi. Les
causes du chômage structurel peuvent être regroupées en deux catégories : le manque de concordance
entre les qualifications des demandeurs d’emploi et les compétences requises par les postes disponibles,
d’une part, et la mobilité des travailleurs et le temps requis pour la recherche d’un emploi, d’autre part. Pour
nombre d’emplois, les qualifications acquises dans le système d’éducation et la formation sont souvent
insuffisantes. Les entreprises sont amenées soit à assurer une formation en cours d’emploi pour ce type de
travailleurs, soit à rechercher un personnel expérimenté.
La durée de chômage constitue un élément essentiel pour l’appréciation de l’employabilité, et du phéno-
mène de la « dépendance » de l’état de certaines catégories de demandeurs d’emploi à l’égard du chômage
de longue durée. Depuis la moitié des années quatre-vingt, le chômage de longue durée est devenu un pro-
blème majeur, comme en témoigne l’augmentation considérable de la part des chômeurs de plus de douze
mois, en passant de 54,7 % en 1984, à 74,8 %, en 2003. Comme cette proportion avait déjà atteint 75,7 %
en 1997, l’incidence du chômage de longue durée a augmenté de 1,2 point par an durant cette période. Entre
1985 et 2002, l’incidence de chômage de longue durée des femmes a augmenté de 61 % à 78,2 %, et celle
des hommes de 50,1 % à 72,5 %. Il convient de noter que l’incidence du chômage de longue durée est plus
élevée parmi les primo-demandeurs d’emploi que les chômeurs ayant déjà travaillé, comme en témoigne
l’accroissement de la part des chômeurs n’ayant jamais travaillé, passant de 43,4 % à 54,4 % entre 1984 et
2003.
En ce qui concerne l’origine sectorielle du chômage récurrent, le nombre de personnes affectées par ce
type de chômage a connu une augmentation importante dans le commerce, suivi du secteur industriel, du
bâtiment et des travaux publics, des services et des pêches. Considérant en particulier le chômage consé-
cutif à une perte d’emploi au cours de la période 1984-2001, on a observé une certaine concentration des
chômeurs ayant déjà travaillé dans le secteur industriel (32,9 %) et dans les services (22,6 %), suivi du BTP
(15,9 %), du commerce (12,2 %), et dans une moindre mesure dans les pêches et activités agricoles (6 %),
l’administration (5,1 %) et les transports et communication (4,1 %).

3.4. Le chômage des diplômés

Le chômage affecte davantage les diplômés que les non-diplômés


Comme on l’a signalé plus haut, les taux de chômage ont tendance à augmenter avec le niveau d’études.
En 2002, le taux de chômage a atteint 18,6 % chez les techniciens et les cadres moyens, 28,5 % chez les
diplômés en qualification professionnelle, 30,8 % chez les diplômés de l’enseignement supérieur et 34,4 %
chez ceux de l’enseignement secondaire. Ces taux de chômage agrégés cachent des disparités importantes
entre les filières de formation en termes de niveau et d’évolution. Chez les diplômés ayant le niveau de
l’enseignement supérieur (y compris les techniciens, cadres moyens et bac et +), le taux de chômage urbain
a plus que triplé entre 1985 et 2003, passant de 8,3 % à 27 % en 2003, soit huit points de plus que le taux de
chômage global (19,3 %) et environ de deux fois et demi plus élevé que celui des personnes diplômées.
En valeur absolue, le nombre de personnes diplômées de l’enseignement supérieur proprement dit à la
recherche d’un emploi a enregistré une augmentation importante depuis le milieu de la décennie quatre-

340
vingt, passant de 22 000 en 1985, à 83 000 en 1990 et à 126 000 en 2000. Ainsi le stock de chômage des
diplômés de l’enseignement supérieur a augmenté en moyenne de près de sept mille par an, soit le double
de celui (3 600) des techniciens et cadres moyens. Divers facteurs aussi bien du côté de la demande que de
l’offre expliquent pourquoi le chômage affecte les plus instruits. En ce que concerne la demande, l’écono-
mie, en l’occurrence la structure industrielle, n’a pas atteint un niveau de développement susceptible
d’absorber un grand nombre de cadres ayant une formation très poussée, d’autant plus que le recrutement
dans la fonction publique a été limité au strict minimum. Les employeurs seraient plutôt enclins à penser que
nombre de diplômés de l’enseignement supérieur ont une formation qui s’adapte moins que celle des cadres
moyens aux contenus et à la hiérarchie des emplois dans les entreprises. Entre 1985 et 2000, environ 27 000
emplois nouveaux ont été créés par an au profit des techniciens et cadres moyens, contre seulement 7 500
emplois pour les diplômés de l’enseignement supérieur.

La réallocation de la main-d’œuvre reflète un mouvement continu de création et de destruction des


emplois
La croissance de l’emploi résulte d’un mouvement continu de création et de destruction d’emplois, les-
quels phénomènes constituent les deux principales composantes de la rotation et de la réallocation des
emplois et de la main-d’œuvre. L’origine de ces mouvements est liée à la création et à l’expansion des entre-
prises d’une part, et à la disparition et à la contraction des entreprises, d’autre part. Les entrées et sorties du
régime de sécurité sociale et les variations de la taille des entreprises peuvent sous certaines hypothèses,
approximer les mouvements de création et de destruction d’emplois. (Ministère de l’Emploi, 2004).
Signalons que le nombre d’entreprises en activité affiliées au régime de sécurité sociale est passé de
15 857 en 1965 à 84 197 en 1999, soit un taux d’accroissement annuel moyen de 5 %. À fin 1999, sur les
147 403 entreprises affiliées depuis l’origine du régime (1959), on compte 18 507 entreprises qui déclarent
ne pas employer de salariés et 63 206 qui ont suspendu leur activité. Le flux des nouvelles affiliations a
connu une croissance continue, avec un pic en 1999 (dû à l’intensification des mises à jour des fichiers de la
CNSS), et de près de 5220 en moyenne annuelle (hors pic) sur la période 1989-1998. Contrairement à la ten-
dance ascendante relevée pour l’ensemble des secteurs affiliés au régime de sécurité sociale, l’enquête sur
les industries de transformation révèle une baisse du nombre moyen d’entreprises créées, de 551 à 481 uni-
tés entre la période 1986-88 et 1997-99. Le taux de croissance des créations nettes d’entreprises dans les
industries de transformation a suivi une tendance baissière entre 1986 et 1999. Le nombre d’entreprises
exportatrices a cru à un taux annuel moyen de 3,1 %, résultant de la différence du taux de création (8,6 %) et
de celui des fermetures (5,5 %).
Approchés à partir des données sur les salariés travaillent dans les secteurs affiliés, les mouvements de
sorties observés depuis le début des années soixante peuvent être classés en trois phases. La première cor-
respond aux années 1961-1965, caractérisée par un fort retrait du marché du travail correspondant aux sor-
ties des travailleurs marocains vers l’Europe et des salariés européens remplacés par des marocains. La
deuxième s’étale sur la période 1966-1991, marquée par une stabilité du taux de sortie autour de 5,6 % et
8 %, avec toutefois un pic de 13 % en 1981, dû vraisemblablement à la gestion interne et à une conjoncture
économique dépressive. La troisième phase couvrant les années 1991-1997 est caractérisée par une hausse
des taux de sortie, passant de 6,6 % à 13,4 %, soit un doublement de ce ratio. Quant aux mouvements
d’entrée au régime de sécurité sociale, ils ont connu une baisse entre 1990 et 1993, passant de 14,2 % à
11,9 % des assurés, suivi d’une reprise à la hausse de 1994 à 1997, le taux d’entrée ayant passé de 12,9 % à
20,9 %.
Enfin en approchant globalement le processus de réallocation des travailleurs par la somme des flux
d’entrée et de sortie du régime de sécurité sociale, on constate que le taux de rotation a augmenté sensible-

341
ment entre 1990 et 1997, passant de 20,3 % à 34,3 %. Le taux de création d’emplois nette dans le secteur
industriel structuré (enquête MCI), qui avait avoisiné les 9 % sur la période 1986-1990, a fortement baissé
durant les années quatre-vingt-dix.

3.5. L’ajustement de l’emploi aux fluctuations de la production0

L’emploi s’ajuste avec inertie aux fluctuations de la production et est influencé négativement par le coût du
travail
Avec l’avènement de la mondialisation des échanges commerciaux, beaucoup d’analystes du marché de
travail soutiennent la thèse selon laquelle des coûts salariaux unitaires élevés seraient une cause des pertes
d’emploi, notamment dans les secteurs connaissant des carences dans le processus d’accumulation du capi-
tal, et une évolution défavorable des prix relatifs du capital et du travail. En effet, lorsque les salaires réels
augmentent plus que la productivité, il en résultera une baisse des bénéfices et donc un ralentissement des
investissements, accompagné d’une décélération des créations d’emplois productifs. Cette relative négative
entre l’emploi et le coût du travail s’impose de plus en plus dans la plupart des travaux empiriques (Hammer-
mesh, 1993).
Face aux fluctuations de la demande, à la mobilité des travailleurs et aux changements technologiques, les
employeurs sont amenés à procéder à des ajustements d’effectifs et de la durée de travail. L’adaptation plus
ou moins rapide à ces fluctuations implique des coûts d’ajustement de l’emploi effectif à l’emploi désiré.
Pour mesurer la sensibilité de l’emploi par rapport aux variations de la production et du coût du travail, des
estimations ont été effectuées sur les données de l’industrie pour la période 1985-1999 (tableau). L’élasticité
de court terme de l’emploi par rapport à la production (valeur ajoutée) est estimée à 0,36, l’élasticité de long
terme s’élevant à 0,44. Le coefficient de l’emploi décalé définit la proportion de l’ajustement de l’emploi
effectif à l’emploi optimal ou désiré par les entreprises. De ces estimations, on tire trois points importants.
Premièrement, les variations annuelles de l’emploi représentent en moyenne 32 % de l’emploi désiré, ce qui
dénote la présence d’une inertie relativement importante dans le processus d’adaptation de l’emploi aux fluc-
tuations de la demande dans le secteur industriel. Deuxièmement, une augmentation (diminution) de la
valeur ajoutée de 5 % en valeur nominale entraînerait, toutes choses égales par ailleurs, une croissance
(baisse) de l’emploi de 2 %. Troisièmement, la croissance de l’emploi s’est révélée sensible à l’évolution des
salaires réels, avec une élasticité négative significative de i0,36. Ainsi, une décélération à long terme du coût
salarial réel de 5 %, à production inchangée, provoque une augmentation de l’emploi de près de 3 %.
Le salaire net est ce qui reste au travailleur après déduction des prélèvements sociaux et fiscaux sur les
revenus salariaux, alors que le coût salarial constitue pour l’employeur le prix total par unité de travail, lequel
coût est comparé à la productivité du travail, c’est à dire le coût salarial unitaire. Si le salaire net est un élé-
ment important pour la motivation dans le travail, le coût salarial unitaire est un facteur déterminant dans
l’embauche. L’écart entre le coût salarial et le salaire net représente le « coin » social et fiscal. Aussi, toute
modification des composantes du coin social et fiscal qui ne tient pas compte de la productivité du travail
pourrait avoir des conséquences importantes sur l’emploi.
Signalons que l’augmentation intervenue des taux et du plafond des cotisations en 2000 s’est traduite par
une hausse du coin social et fiscal moyen (CSF) pour l’ensemble des catégories de travailleurs. D’après les
estimations effectuées (Direction des politiques économiques générales, 2003).
Cette hausse du coin social et fiscal s’élève pour un cadre supérieur (avec deux enfants), à 1,8 points,
résultant d’une augmentation du CSF de 39,6 % à 41,4 %, et de près de trois points pour un travailleur tou-
chant le salaire moyen, dont le CSF est passé de 26,8 % à 29,7 %. Signalons par ailleurs que pour un cadre

342
supérieur, le coin social et fiscal au Maroc, qui s’élève à 46,1 %, dépasse ceux de l’Espagne (37,3 %) et du
Royaume-Uni (45,7 %) où la protection sociale est développée.
L’évolution du coût du travail au cours de la décennie quatre-vingt-dix dans le secteur des industries de
transformation a favorisé les travailleurs en place par rapport à la création de nouveaux emplois, contraire-
ment à celle de la décennie quatre vingt où le partage de la part salariale a été plus favorable à l’emploi.
(Ministère des Finances, 2002). Entre 1990 et 2000, l’emploi salaire a cru à un rythme annuel moyen de
1,8 % avec une progression des salaires réels et nominaux moyen de 0,3 % et 4,5 % respectivement.
Par ailleurs, le mouvement de destruction des emplois dans les industries de transformation est fluctuant,
présentant cependant des profils différents selon les périodes : baisse sur une longue période (de 1989 à
1995), régression puis stabilité depuis la mi-quatre-vingt-dix. La période 1986-1999 a connu une baisse sen-
sible du taux de création d’emplois dans ce secteur de 25,1 % à 12 %. L’analyse des données a montré,
d’une part, que les taux de destruction d’emplois diminue avec l’augmentation du ratio de l’investissement
dans l’entreprise à l’emploi. Ainsi, le taux de destruction d’emplois dans les entreprises où l’investissement
par emploi est inférieur à dix mille dh s’élève à 14,6 %, soit deux fois plus élevé que celui (7,2 %) des entre-
prises où ce ratio dépasse cinquante mille dh par emploi. D’autre part, les entreprises qui ont les rémunéra-
tions les plus faibles (élevées) ont des taux de création d’emplois élevés (faibles), une rotation de
main-d’œuvre aussi forte (faible) mais elles dégagent une création nette d’emplois plus élevée (faible) que les
autres entreprises. Enfin, les entreprises qui ont des salaires inférieurs à 20 000 DH contribuent à l’emploi
avec un taux de création nette d’emplois nette de 6,5 %, soit le quadruple de celui (1,6 %) des entreprises
qui payent des salaires supérieurs à 100 000 DH.

3.6. L’impact des salaires minima sur l’emploi

Des relèvements fréquents et consistants du salaire minimum peuvent avoir un impact négatif sur l’emploi
Compte tenu du niveau atteint par le SMIG suite aux différentes revalorisations, ces dernières posent
désormais un arbitrage quant à leur timing et leur consistance, considérant leur impact positif sur la réduction
des inégalités salariales et leurs répercussions négatives sur l’emploi et la compétitivité des entreprises
exposées à la concurrence des pays à bas salaires.
En effet, d’après l’étude précitée, les impacts du SMIG sur l’emploi formel apparaissent négatifs dans la
mesure où une revalorisation de dix pour cent tend à réduire l’emploi de trois à cinq pour cent, la probabilité
de perte d’emploi étant ainsi élevée parmi les salariés rémunérés au voisinage du salaire minimum. Deux élé-
ments importants peuvent être avancés pour expliquer une telle évolution. D’une part, le rapport du salaire
minimum à la productivité du travail situe le Maroc dans une position intermédiaire qui, compte tenu ces der-
nières années d’une évolution moins rapide de la productivité, peut être remise en cause par la concurrence
accrue de la part des pays où l’évolution des coûts unitaires de travail relatifs nous est défavorable.
D’autre part, et comme on l’a mentionné dans la section précédente, cet impact s’explique par le niveau
élevé de l’emprise du salaire minimum sur le coût du travail, notamment dans le secteur industriel, dans la
mesure où il avait atteint 44 % en 1998 contre 33 % en 1985, soit une augmentation de onze points en treize
ans. Si le salaire minimum rapporté au salaire moyen dans l’industrie est comparable à la moyenne des pays
de l’Asie du Sud (44,1 %) il est beaucoup plus élevé dans d’autres régions du monde (durant la période 1970-
1999) : 32,6 % dans les pays industrialisés, 30,2 % dans l’Amérique Latine/Caraïbes, 26,8 % dans l’Asie de
l’Est et Pacifique, et 18 % dans l’Afrique sub-saharienne.
En prenant le coût salarial unitaire dans l’industrie marocaine comme référence (base 100), on peut déter-
miner le positionnement de notre pays par rapport à onze pays pour lesquels les données sont disponibles.

343
Comme indiqué dans le tableau en annexe, des pays ayant un coût salarial unitaire inférieur ou proche de
celui du Maroc ont en général un effet compétitivité plus élevé. L’Égypte a accru sa performance entre 1985
et 1999 au prix d’une baisse significative des salaires, passant de l’indice 100 à 77, accompagnée d’une aug-
mentation importante de la productivité du travail de 29 %. Au cours de la même période, bien que les
salaires en Inde n’aient connu qu’une légère augmentation (1 % par an), ce pays a enregistré une progres-
sion significative de la productivité de 4,2 % par an ; en Malaisie, les salaires ont augmenté de 3,3 % par an
pendant que la productivité a cru à un rythme plus prononcé, de 4,5 %. D’autres pays, bien qu’ils aient perdu
leur position par rapport au Maroc durant la période considérée, demeuraient en 1999 plus compétitifs que le
notre, en l’occurrence le Mexique, la Turquie, et le Pakistan. En revanche, d’autres pays comme Taïwan, la
Pologne, la Hongrie, l’Italie et l’Ile de Maurice, étaient devenus moins compétitifs que le Maroc en 1999.
Si l’on approxime le chômage « involontaire » par celui résultant d’une perte d’emploi suite à l’arrêt d’acti-
vité d’un établissement ou de licenciement, la part de ce type de chômage dans le chômage urbain a pro-
gressé, entre les périodes 1985-1988 et 2000-2003, passant respectivement de 22,3 % à 27,8 %. Ce type de
chômage peut être lié à différentes causes, en l’occurrence l’insuffisance de la demande (chômage conjonc-
turel) ou de la rentabilité de la production (cherté des coûts de facteurs) ou la défaillance de l’organisation de
l’entreprise. Quant au chômage frictionnel approximé par les cessations d’activité indépendante, saisonnière,
ou pour raison d’insuffisance de revenu, il serait resté relativement quasi constant sur une longue période, sa
part dans le chômage total ayant été de l’ordre de 15 % entre 1985-2003.
Avec l’apparition de multiples segmentations du marché du travail formel, les demandeurs d’emploi ont
besoin d’information sur les emplois vacants, laquelle information n’est pas toujours disponible. Comme
l’intermédiation sur le marché du travail est encore insuffisamment développée, l’imperfection de l’informa-
tion et la recherche d’un emploi impliquent des délais plus longs et de fréquents déplacements pour trouver
des emplois mieux rémunérés et offrant des conditions avantageuses de travail.

3.7. L’inflation et le chômage

Les coûts apparents de la désinflation en termes de chômage


La réduction remarquable du taux d’inflation et du déficit du compte courant durant les deux dernières
décennies est considérée comme un succès des mesures de stabilisation conduites dans le cadre du Pro-
gramme d’ajustement structurel. Mais les performances dans ces domaines peuvent être coûteuses en
termes de chômage. Lorsque l’on examine le déséquilibre du marché du travail en relation avec l’évolution de
l’inflation entre les cycles économiques, on observe une association entre la hausse du chômage urbain et la
décélération des prix à la consommation. Comme le montre le tableau ci-après, durant la période correspon-
dant au cycle économique 1975-1981, qui a été caractérisée par des tensions inflationnistes élevées, avec un
taux moyen d’inflation atteignant 9,8 %, le taux de chômage n’a augmenté en termes de variations annuelles
cumulées, que de 1,1 point, alors qu’il s’est accru respectivement de 3,8 points et de 8,2 points durant les
cycles économiques suivants couvrant les périodes 1982-1987 et 1988-1995. Ces évolutions permettent
d’apprécier très grossièrement les coûts apparents de la désinflation en calculant le « taux de sacrifice »
entre les cycles. Ainsi, une augmentation d’un point du taux d’inflation d’un cycle à l’autre serait en moyenne
associée à une diminution d’environ d’un point (1,08) du taux de chômage. Cette élasticité ponctuelle signifie
que le « taux de sacrifice » en termes d’augmentation du taux de chômage qu’implique des politiques bud-
gétaire et monétaire restrictives pourrait être relativement élevé. Comme l’incidence du chômage de longue
durée a augmenté de neuf points entre les trois derniers cycles économiques, passant de 56 % à 65 % et à

344
74 %, on peut donc penser que le chômage conjoncturel aurait alimenté la composante structurelle du chô-
mage.
La réduction des déséquilibres du marché du travail à un rythme soutenu suppose une croissance écono-
mique élevée et durable. Mais l’intensification de la croissance dépend de l’accélération de l’accumulation
totale des facteurs, c’est-à-dire des taux d’investissement élevés, un capital humain efficace, et une crois-
sance soutenue de la productivité totale des facteurs. Elle suppose également une amélioration de la compé-
titivité de l’économie nationale et une valorisation des gisements de croissance.

3.8. Réduction des déséquilibres du marché du travail à l’horizon 2024

En raison des évolutions des différents facteurs qui sont à l’origine des déséquilibres entre l’offre et la
demande de travail, le taux de chômage est à fin de 2004 de 12 %, contre 10,7 % en 1982. Considérant la
montée et la persistance de la composante structurelle du chômage, un objectif ambitieux serait de le
réduire et de le stabiliser durant les vingt prochaines années au dessous de 10 %. Quels devraient être alors
les taux de croissance économique respectifs pour le ramener et le contenir à un taux inférieur à deux
chiffres ?

Scénarii de réduction du taux de chômage


Sur la base des taux d’activité tendanciels, l’offre de travail passerait de 10,9 millions en 2005 à 13,8 mil-
lions en 2014 et à 16,6 millions en 2024, ce qui correspond à une offre additionnelle annuelle de 293 000 et
263 000 respectivement. Compte tenu de l’afflux de l’exode rural dans les villes, plus de 90 % du surcroît de
l’offre de travail sera localisé en milieu urbain.
Par milieu de résidence, le taux d’activité passerait de 52,4 % en 2004 à 57,8 % en 2024 en milieu urbain.
Par contre, en milieu rural, ce taux baisserait de 0,3 point pour atteindre 48,4 % en 2024.

Évolution de la population active par milieu de résidence entre 2005 et 2024

Population active 2005/2009 2010/2014 2015/2019 2020/2024


National (en %) 2,9 2,5 1,9 1,8
Accroissement en milliers 323,7 323,7 277,5 277,5
Urbain (en %) 4,1 3,4 2,6 2,3
Accroissement en milliers 293,2 293,2 262,7 262,7
Rural (en %) 0,8 0,7 0,3 0,3
Accroissement en milliers 30,5 30,5 14,8 14,8

Afin de déterminer les niveaux de croissance économique à atteindre en vue de réduire le chômage,
quatre scénarii ont été étudiés. Ces scénarii reposent sur les projections démographiques du CERED, corri-
gées par le département de l’emploi, qui supposent un accroissement de la population active à l’horizon 2024
de 2,1 % en moyenne annuelle, rythme beaucoup plus élevé que l’accroissement naturel de la population
(1,2 %). Ils se basent également sur une amélioration du taux de participation de la femme à la population
active de 26 % en 2004 à plus de 36 % en 2024. Ces scénarii ont été enfin élaborés à partir d’une élasticité
PIB-emploi de 0,72, déterminée à partir de la fonction de production Cobb-Douglas estimée sur la période
1970-2003.

345
Scénario 1 : Réduction de moitié du taux de chômage pour atteindre 6 % à l’horizon
2014 et le maintien de ce taux à l’horizon 2025.
Pour atteindre cet objectif, l’économie nationale devrait générer à l’horizon 2014 un total d’emplois nets de
3,667 millions. Pour satisfaire ces besoins, les créations d’emplois devraient atteindre la moyenne de
366,7 milliers d’emplois par an entre 2005 et 2014 et le taux de croissance du PIB devrait dépasser 5,4 % en
moyenne au cours de la même période.

Création nette d’emplois 2005/2009 2010/2014 2015/2019 2020/2024 2005/14 2015/24 2005/24
en % 3,6 3,2 1,9 1,8 3,4 1,8 2,6
Accroissement en milliers 357,1 376,2 260,8 260,8 366,7 260,8 313,7
Taux de croissance du PIB 5,6 5,1 5,1 4,2 5,4 4,6 5,0

Afin de maintenir le taux de chômage à 6 % entre 2015 et 2024, il faudrait créer en moyenne annuelle de
260,9 milliers d’emplois et réaliser une croissance annuelle moyenne de l’ordre de 4,6 % au cours de cette période.

Scénario 2 : baisse tendancielle du taux de chômage actuel pour atteindre 8 % à


l’horizon 2014 et 6 % en 2024
La réduction du taux de chômage de 4 points pour atteindre 8 % en 2014 nécessiterait une création
d’emplois de l’ordre de 339 milliers en moyenne entre 2005 et 2014 et un taux de croissance du PIB de
l’ordre de 5,2 % en moyenne par an entre 2005 et 2014.

Création nette d’emplois 2005/2009 2010/2014 2015/2019 2020/2024 2005/14 2015/24 2005/24
(en %) 3,3 3,0 2,2 2,0 3,2 2,1 2,6
Accroissement en milliers 332,7 345,4 285,7 291,7 339,1 288,5 313,8
Taux de croissance du PIB 5,4 4,9 4,9 4,4 5,2 4,6 4,9

La création de 288,482 milliers d’emplois en moyenne par an et la réalisation d’une croissance annuelle
moyenne de l’ordre de 4,6 % au cours de la période 2015-2024 permettrait d’enregistrer une tendance bais-
sière du taux de chômage entre 2015 et 2024 pour atteindre la cible de 6 % en 2024.

Scénario 3 : baisse tendancielle du taux de chômage pour atteindre 10 % à l’horizon


2014 et stabilité à ce niveau par la suite.
Afin de ramener le taux de chômage à 10 % en 2014, il faudrait créer 311,430 milliers d’emplois par an en
moyenne entre 2005 et 2014 et enregistrer un taux de croissance du PIB de l’ordre de 4,9 % en moyenne
par an entre 2005 et 2014.

Création nette d’emplois 2005/2009 2010/2014 2015/2019 2020/2024 2005/14 2015/24 2005/24
(en %) 3,1 2,7 1,9 1,8 2,9 1,8 2,4
Accroissement en milliers 308,4 314,5 249,8 249,8 311,4 249,8 280,6
Taux de croissance du PIB 5,2 4,7 4,7 4,1 4,9 4,4 4,7

346
Pour que le taux de chômage soit maintenu à 10 % entre 2015 et 2024, il faudrait créer 249,750 milliers
d’emplois en moyenne par an et réaliser une croissance annuelle moyenne de l’ordre de 4,4 % au cours de
cette période.

Scénario 4 : Maintien du niveau actuel du chômage jusqu’en 2024.


Les créations d’emplois dans ce cas devraient atteindre en moyenne 285,180 milliers entre 2005 et 2014,
soit 2,9 millions de créations d’emplois au total. Ce scénario nécessiterait une évolution du taux de crois-
sance du PIB supérieure à 4,7 % au cours des dix prochaines années. Durant la période 2015-2024, l’effort
de création d’emplois resterait important avec 276 milliers de postes d’emplois en moyenne par an, ce qui
nécessiterait une croissance moyenne de 4,4 % l’an du PIB.

Création nette d’emplois 2005/2009 2010/2014 2015/2019 2020/2024 2005/14 2015/24 2005/24
en % 2,9 2,5 2,2 2,0 2,7 2,1 2,4
Accroissement en milliers 285,2 285,2 273,4 278,6 285,2 276,0 280,6
Taux de croissance du PIB 5,0 4,5 4,6 4,3 4,7 4,4 4,6

Ainsi, le maintien du taux de chômage à son niveau actuel où sa réduction à l’horizon 2024 nécessitent
l’accélération du rythme de croissance économique pour atteindre un niveau supérieur à 4 % en moyenne
annuelle. En fait Le Maroc est confronté à trois évolutions majeures qui bousculent notre modèle de déve-
loppement : la rapidité des évolutions technologiques, la transition démographique et la mondialisation des
échanges et des capitaux. Aussi toute réflexion sur la croissance et l’emploi au Maroc se doit de relever les
défis que posent ces évolutions majeures.

Pour ce faire, et en vue de relever le taux de croissance à un niveau qui réduise et stabilise le chômage à
moins de 10 %, dans un contexte économique concurrentiel en mutation rapide, il faudrait mettre en place
une stratégie de long terme fondée sur une combinaison appropriée des politiques macro-économiques et
des politiques structurelles, en l’occurrence :
– La mise en place d’une perspective stratégique à long terme afin que toute la communauté nationale et
notamment les opérateurs économiques et sociaux comprennent les changements profonds qui
s’imposent, les anticipent et discernent les avantages qu’ils pourraient en tirer.
– L’amélioration de la gouvernance à travers la réforme du mode de prise de décision dans les domaines
économique et social (approche globale, cohérente et coordonnée), la mise à niveau de l’administration
en tant qu’organe de réalisation de ses décisions (développement des fonctions de programmation, de
prévision et d’évaluation, réforme du régime de rémunération et de recrutement dans la fonction
publique) et le redéploiement du pouvoir au niveau local et régional.
– l’accélération de la mise en œuvre des réformes structurelles et l’adoption d’un policymix adéquat qui
présente la flexibilité nécessaire pour être réactif aux évolutions de l’environnement national et inter-
national.
– la création et le maintien d’un cadre macroéconomique qui libère les forces du marché, soutenues par
des politiques monétaires et budgétaires plutôt proactives que récessives.
– la conduite d’actions structurelles vigoureuses visant à améliorer la compétitivité de l’économie maro-
caine et à éliminer les rigidités qui bloquent son dynamisme et sa capacité de conquérir les marchés
intérieur et extérieur.

347
– la modernisation de l’appareil productif national, le renouvellement des techniques de production utili-
sées et la levée des principaux obstacles à l’innovation au profit des gains de productivité.
– La mise en œuvre des politiques actives et des changements structurels concernant à la fois le marché
du travail et le système d’éducation et de formation visant à améliorer l’employabilité et l’efficacité du
capital humain.
– la poursuite simultanée de la création de richesses et de la cohésion sociale par le renforcement mutuel
des réformes introduisant d’un côté une plus grande efficacité économique et un meilleur ciblage sur les
plus pauvres de manière à pérenniser la croissance et à réduire les inégalités de revenus.
– La réalisation d’un bon équilibre entre, d’une part, l’amélioration de la protection sociale et d’autre part,
une politique de modération salariale prenant en compte des contraintes de rentabilité des investisse-
ments et de la compétitivité des entreprises sur les marchés mondiaux.

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349
350
ANNEXES

351
352
Annexe 1 : Evolution du PIB et du PIB et du PIB tendanciel des pays de l’échantillon

353
354
355
356
Annexe 2 : Décomposition de l’écart en matière de PIB par habitant par rapport à l’Espagne

357
Décomposition de l’écart en matière de PIB par habitant en 1994

358
Décomposition de l’écart en matière de PIB par habitant en 2001

359
Annexe 3 : Les déterminants de la croissance économique des pays de l’échantillon
Croissance économique et taux d’ouverture

360
Croissance économique et taux d’investissement

361
Croissance économique et dépenses publiques

362
Croissance économique et dépenses de fonctionnement

363
Croissance économique et dépenses d’investissement

364
Croissance économique et inflation

365
Croissance économiques et taux d’analphabétisme

366
Annexe 4 : les déterminants de la croissance des pays de l’échantillon selon une approche
économétrique

Y(i1) DPF DPI TI INFL PAS TAL


Corée, S 0,5887 i0,0332 0,0234 0,0048 i0,0023 0,0165 i0,0445
(5,408)* (i4,340)* (3,833*) (2,482)** (i2,601)* (1,896)*** (i3,918)*
Maroc 0,945 i0,0012 0,00014 – i0,0049 0,000945 –
(416,57)* (i7,53)* (1,644)*** (i27,47)* (2,28)**
Mexique 0,3085 i0,0025 0,0171 0,0145 – 0,0177 i0,0115
(2,120)** (i2,006)** (1,681)*** (5,995)* (1,670)*** (i1,571)***
Tunisie – i0,0092 0,0036 0,0074 – 0,0123 i0,0275
(i9,62)* (3,86)* (1264)* (5,993)* (i24,83)*
Turquie 0,7209 i0,0076 0,013 0,0045 i0,0082 0,1252 –
(6,28)* (i3,17)* (1,58)*** (1,55)*** (i2,38)** (3,086)*
Irlande 1,058 i0,0029 0,0067 – – – –
(101,0)* (i19,01)* (1,36)***
Chili 0,808 i0,011 0,047 – i0,00058 – –
(13,07)* (i2,927)* (2,877)* (i2,126)**
Malaisie 0,169 i0,0093 – 0,0063 – 0,0406 i0,0289
(1,723)*** (i5,294)* (7,269)* (5,335)* (i6,928)*
Égypte 0,971 i0,000298 0,000592 0,001876 i0,000832 – –
(225,5)* (i1,555)*** (1,533)*** (6,66)* (i4,01)*
Portugal M i0,0078 – 0,0068 i0,0027 – i0,0684
(i3,0511)* (2,324)** (i2,717)* (i14,092)*
Espagne 0,700 i0,0021 – 0,0076 i0,0018 – i0,0419
(8,213)* (i1,43)*** (3,543)* (i2,77)* (i2,97)*
Jordanie 0,726 0,009 – 0,0049 i0,011 – i0,0056
(8,553)* (1,80)*** (3,745)* (i5,505)* (0,061)**
Grèce 0,495 i0,0013 0,0058 0,0072 – – i0,0215
(4,391)* (i2,532)* (2,795)* (3,619)* (i4,210)*
Afrique, S – i0,0077 i0,0292 0,0106 0,0039 – i0,0495
(i1,86)*** (i2,77)* (3,686)* (2,238)** (i12,84)*

T-stat entre parenthèses : * significatif à 1 %, ** significatif à 5 %, *** significatif entre 10 % et 15 %


(-) variable explicative non significative

Les variables explicatives retenues sont : le PIB (Y), les dépenses publiques de fonctionnement (DPF), les
dépenses publiques d’investissement (DPI), le taux d’investissement (TI), le taux d’inflation (inf), la popula-
tion ayant un niveau secondaire (PAS) et le taux d’analphabétisme (TA)

367
Annexe 5 : Graphiques relatifs à l’offre, à la demande et aux déséquilibres du marché du travail

Graphique 1 : Indices d’évolution de la population


en âge d’activité selon le sexe en milieu urbain

Graphique 2 : Evolution de l’indice d’inadéquation


des filières de formation entre 1985 et 2003

368
Graphique 3 : Indices d’évolution de la population active
selon le sexe en milieu urbain

Graphique 4 : Indices d’évolution de la population active âgée de 15 ans et plus


selon le sexe en milieu urbain

369
Graphique 5 : Indices d’évolution du taux d’activité des hommes
selon les groupes d’âge en milieu urbain (Base 100, 1984)

Graphique 6 : Indices d’évolution du taux d’activité des femmes


selon les groupes d’âge en milieu urbain (Base 100, 1984)

370
Graphique 7 : Indices d’évolution de la population active âgée de 15 ans et plus
selon le niveau de diplôme en milieu urbain (Base 100, 1985)

Graphique 8 : Evolution de la structure de l’emploi global


par grand secteur d’activité économique entre 1971 et 2002

371
Graphique 9 : Evolution de la structure de l’emploi par grand secteur d’activité économique
en milieu urbain entre 1971 et 2002

Graphique 10 : Evolution de l’emploi par grands groupes de professions


entre 1971 et 2002

372
Graphique 12 : Evolution des taux d’activité et de chômage pour les actifs de sexe féminin
âgés entre 15 et 24 ans en milieu urbain de 1984 à 2003

Graphique 13 : Evolution du taux de chômage par sexe


en milieu urbain de 1976 à 2003

373
Graphique 14 : Evolution du taux de chômage de la population âgée de 15 ans et plus
selon le niveau de diplôme en milieu urbain de 1985 à 2003

Graphique 15: Indices d’évolution de la population active en chômage


selon le niveau de diplôme en milieu urbain (Base 100, 1985)

374
Graphique 16 : Indices d’évolution de la population active en chômage
en milieu urbain (Base 100, 1985)

Graphique 17 : Taux de sorties des adhérents au régime de la sécurité sociale

375
Graphique 18 : Flux des emplois et salaire moyen au cours de la période 1986 et 1999 dans le
secteur des industries de transformation

Graphique 19 : Flux des emplois et productivité au cours de la période 1986 - 1999


dans le secteur des industries de transformation

376
Graphique 20 : Taux annuels des flux d’emplois dans le secteur
des industries de transformation

Graphique 21 : evolution du salaire mensuel moyen réel


(Salaire déflaté ar l’indice du coût de la vie)

377
Graphique 22 : Evolution du rapport du SMIG sur salaire moyen

Graphique 23 : Evolution du rapport du SMIG sur salaire médian

Graphique 24 : Evolution du rapport du SMIG par rapport au premier décile : SMIG/D1

378
Graphique 25 : Evolution du rapport du SMIG par rapport
au neuvième décile : SMIG/D9

Graphique 26 : Evolution de l’indice de Gini

Graphique 27 : Evolution du rapport interdéciles : D1/D9

379
Secteur privé et développement humain
au Maroc 1956 – 2005
MOHAMED SAÏD SAÂDI

Résumé analytique .............................................................................................383


Introduction .........................................................................................................386

1. Le pari non tenu de la promotion par l’état d’une classe


d’entrepreneurs shumpéteriens (1960-1982) ............................................387
1.1. L’état, promoteur du secteur privé marocain .......................................388
1.1.1. Un système varié d’incitations industrielles ...............................388
1.1.2. L’accès aux commandes publiques (7) ........................................388
1.1.3. La politique du crédit .......................................................................389
1.1.4. La politique des bas salaires .........................................................389
1.1.5. La marocanisation et le processus d’association –
substitution du capital local au capital étranger........................389
1.2. Faible impact du secteur privé sur le développement (12) ............... .390
1.2.1. Les groupes économiques, noyau du secteur
privé marocain ................................................................................390
1.2.2. Faible impact du secteur privé marocain sur
le développement humain .............................................................393
2. Le secteur privé à la recherche d’un second souffle :
réformes économiques et dynamisme entrepreneurial
(1983-2005) ........................................................................................................395
2.1. Les réformes nécessaires sont mises en place ..................................396
2.1.1. Stabilisation macro-économique réussie ....................................397
2.1.2. Une libéralisation poussée des échanges extérieurs ...............397
2.1.3. Une déréglementation en voie d’extension .................................397
2.1.4. Un programme de privatisation en progression .........................397
2.1.5. Une flexibilité relative du taux de change ...................................397
2.1.6. Une amélioration relative de l’environnement
juridique et financier de l’entreprise ............................................398

381

gt3-6 381 25/01/06, 10:27:53


2.1.7. Une approche plus volontaire de la problématique
de l’investissement privé ............................................................... 398
2.2. Le comportement économique du secteur privé durant
la période post-interventionniste ...........................................................399
2.2.1. Les stratégies différenciées des groupes privés
marocains : voice, exit et financiarisation .................................. 399
2.2.2. Une attractivité en amélioration, mais qui reste
insuffisante ...................................................................................... 401
2.2.3. Des petits et moyennes entreprises fortement
menacées par le nouveau contexte concurrentiel ..................... 403
2.3. Des résultats décevants en matière de développement
humain ....................................................................................................... .407
2.3.1. Une croissance économique lente et volatile ............................ 408
2.3.2. Une faible croissance de la productivité .................................... 408
2.3.3. Des problèmes persistants de compétitivité
internationale ..................................................................................... 408
2.3.4.Des performances modestes en matières de
développement humain (59)............................................................. 408

Conclusion de la deuxième partie ....................................................................... 409


Quelque perspectives en guise de conclusion ................................................. 410
Bibliographie .......................................................................................................... 412

382

gt3-6 382 25/01/06, 10:27:54


Resumé analytique

1. Au Maroc, les choix socio-politiques et économiques retenus au début des années soixante vont placer
le secteur privé et l’impératif de sa promotion au centre des préoccupations des décideurs publics qui
estiment que le développement est tributaire de l’émergence d’une classe d’entrepreneurs et de ges-
tionnaires compétents et de l’édification d’institutions appropriées. Ce choix ne se démentira pas tout
au long des cinquante dernières années, même si les politiques et les moyens mobilisés à cette fin vont
connaître des changements et des inflexions majeurs. De ce point de vue, on peut distinguer deux gran-
des périodes s’étalant pour la première de 1960-62 à 1982 et, pour la seconde, de 1983 à 2005. L’élé-
ment de discrimination majeur entre ces deux périodes réside dans le passage d’une politique
interventionniste visant à créer les conditions d’émergence d’une classe d’entrepreneurs schumpéte-
riens à une démarche plus libérale ou l’objectif est le retrait de l’État de la sphère économique, à travers
la déréglementation, la libéralisation et la privatisation, au profit du secteur privé.

Le rapport s’articule autour de ces deux périodes ; il cherche à montrer à travers l’analyse des différentes
mécanismes de promotion et du comportement économique du secteur privé que ce dernier n’a pas réussi à
jouer le rôle de locomotive du développement humain. En conclusion, vue brève analyse prospective des
scénarios d’évolution du secteur privé au Maroc est esquissée.

2. L’État marocain a joué tout au long de la période 1960-1982 le rôle de promoteur du secteur privé. Une
politique multidimensionnelle a été déployée à cet effet, notamment un système varié d’incitations
industrielles, l’accès aux commandes publiques, un traitement préférentiel en matière de crédit, l’adop-
tion d’une politique de bas salaires, et le transfert d d’une partie du patrimoine économique et financier
détenu par le capital étranger au secteur privé local dans le cadre de la politique de marocanisation.
3. Cette politique de promotion multiforme a permis au secteur privé marocain de renforcer les positions
qu’il occupait au sein de l’économie nationale. Du fait de l’accès privilégié administratif de l’État, de la
proximité du pouvoir politique et de la création de liens de coopération et de solidarité avec les diri-
geants économiques étrangers, ce sont les grandes familles commerçantes et certaines propriétaires
fonciers qui en ont le plus profité. De ce fait, la configuration du secteur privé va être dominé par le
grand capital aux dépens des petites et moyennes entreprises familiales.

Dans sa forme avancée, ce secteur sera organisé sous forme de groupes économiques animés par une ou
plusieurs familles formant une coalition d’intérêt aux activités diversifiées (industrie, finance, immobilier,
commerce, bâtiment et travaux publics, etc.). L’autre forme de structuration du secteur privé marocain est
constitué par l’entreprise personnelle et familiale indépendante. Bien que doté d’importants atouts-flexibilité,
plus grande motivation du travail du propriétaire-dirigeant –, ce type d’entreprises voit sa croissance forte-
ment entravée par une structure financière fragile et un mode de gestion « familiste ».

4. Le comportement économique rentier du secteur privé s’est traduit par une faible contribution à la
croissance économique, qui est restée modeste, (2,3 % entre 1960 et 1966, 3,5 % pour le plan triennal

383
1965-67, 4,3 % entre 1968 et 1972 et de 6,8 % durant le quinquennat 1973-77) ; et par des effets néga-
tifs sur l’allocation des ressources et les prix. Plusieurs facteurs expliquent le faible dynamisme du sec-
teur privé, notamment la structure sectorielle des taux de profit favorable aux placements à caractère
spéculatif, l’étroitesse du marché intérieur, le risque socio-économique, etc.

Les faibles performances du secteur privé en matière de développement humain sont attestées par la
dégradation des secteurs sociaux (chômage et sous-emploi, déficit de logement, faible taux de scolarisation,
médiocrité des services de santé...).
5. Les limites du modèle interventionniste de promotion du secteur privé ainsi que les changements struc-
turels à l’échelle de l’économie mondiale se sont traduites par de profondes modifications dans les stra-
tégies de développement et les politiques économiques poursuivies par les pays du Sud. Dans ce
cadre, le Maroc a initié depuis 1983 une série de réformes économiques de grande ampleur destinées à
édifier une économie de marche compétitive et tirée à la fois par l’exportation et le secteur privé, natio-
nal et étranger. Les réformes ont porté, entre autres, sur la stabilisation du cadre macro-économique, la
libéralisation des échanges extérieurs, la déréglementation des prix et des monopoles d’État, la flexibi-
lité des taux de change, l’amélioration de l’environnement juridique et financier de l’entreprise et une
approche plus volontaire de la problématique de l’investissement privé.
6. Face à ce nouvel environnement, le secteur privé a développé des stratégies différenciées. Certains
groupes privés marocains ont opté pour une trajectoire stratégique combinant renforcement des posi-
tions acquises et diversification « tous azimuts » (cas le l’Omnium nord-africain). D’autres groupes se
sont redéployés vers le secteur bancaire et financier, délaissant les secteurs ou ils évoluèrent aupara-
vant (cas de groupes Sopar et Finance.com). Enfin, une troisième catégorie de groupes a tout simple-
ment cédé ses intérêts à des acteurs économiques plus puissants.

L’amélioration relative de l’attractivité du Maroc s’est traduite un afflux d’IDE « investissement directs
étrangers ») dont le stock est passé de 400 millions $ à 900 millions $ en 1990 et 5,8 milliard $ en 2000. Ces
investissements se sont orientés principalement vers l’industrie manufacturière, les banques, les holdings et
les télécommunications.
Les petites et moyennes entreprises sont fortement menacées par le contexte concurrentiel. Certes, une
nouvelle vague d’entrepreneurs semble avoir vu le jour à la faveur des opportunités offertes par l’accès
quasi-libre au marché européen (industrie du prêt à porter). Toutefois ce dynamisme « entrepreneurial » reste
fortement contraint par les faiblesses internes aux PME (gestion « familiste » à court terme, sous capitalisa-
tion, sous-encadrement et manque de transparence financière), l’érosion des avantages compétitifs tradition-
nels (apparition de pays concurrents ou les coûts salariaux sont plus bas) et de grandes faiblesses en matière
de qualité et d’innovation. C’est dire que le processus de mise à niveau des entreprises marocaines pour
faire face aux défis de la mondialisation et du libre échange accuse beaucoup de retard.

7. Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que la contribution du secteur privé au développement
humain reste limitée. Ainsi la croissance du PIB reste lente et volatile, la productivité a tendance à bais-
ser, les taux d’épargne et d’investissement sont insuffisants et le chômage est élevé, surtout en milieu
urbain.
8. Une brève analyse prospective de l’évolution du secteur privé à l’avenir permet de dégager trois scéna-
rios possibles. Un premier scénario consiste à poursuivre les réformes structurelles consolidant le
modèle néo-libéral de gouvernance de l’entreprise dans l’espoir que la création de valeur pour l’action-
naire permettra d’optimiser l’impact escompté en matière de développement humain. Le déclenche-
ment de la de la crise asiatique, les taux de croissance décevants du continuent sud-américain – région

384
ou les réformes libérales ont été les plus importantes, la catastrophe argentine ou encore l’insuffisance
des résultats économiques des pays les moins avancés ont montré clairement les limites d’un tel
modèle.

Un deuxième scénario consiste à promouvoir un modèle de gouvernance de l’entreprise socialement res-


ponsable. L’expérience internationale montre toutefois que la responsabilité sociale de l’entreprise sert
davantage à rehausser l’usage du capital privé qu’à s’attaquer aux problèmes de la pauvreté, de l’inégalité et
du développement humain.
Un scénario dont les probabilités de réalisation semblent actuellement limitées consisterait à promouvoir
in modèle de gouvernance du secteur privé qui prendrait en considération les intérêts des différentes parties
prenantes (actionnaires, salariés, usages, Eta, etc.). L’optimisation de la contribution d’un tel modèle au déve-
loppement humain exigerait une démarche proactive et volontariste de l’État (politique industrielle sélective,
soutien de la demande interne, création d’externalités positives....).

385
Introduction

Étudier la contribution du secteur privé au développement humain au Maroc passe d’abord par l’élucidation
de la relation qui existe entre la croissance de l’entreprise privée – question qui relève de l’analyse micro-
économique – et la problématique du développement qui, elle, se rapporte au niveau global et macro-
sociétal. Elle exige, ensuite, de restituer l’évolution du capitalisme privé marocain dans le contexte institu-
tionnel et socio-historique dont il porte les marques.
Concernant le premier point, l’entreprise privée, en développant des stratégies de profit basées sur la pro-
ductivité et l’innovation, devrait favoriser la croissance économique et la création d’emploi dont l’impact sur
le développement social se traduit par l’amélioration des capacités de la population et la satisfaction de ses
besoins fondamentaux. Dans cette optique, la grande entreprise est censée favoriser la croissance écono-
mique grâce à sa capacité à profiter des économies d’échelle et de l’effet d’apprentissage. La petite et
moyenne entreprise, de son côté, peut mobiliser ses principaux atouts que sont sa flexibilité et sa réactivité
pour accélérer le processus de création des richesses matérielles et de développement de l’emploi. Il est
donc important, comme le soulignent les tenants de l’école néo-libérale, de supprimer toutes les entraves
qui empêchent l’entreprise privée d’investir et de prospérer pour réaliser l’objectif pour lequel elle a été
créée, à savoir la maximisation de la création de valeur pour l’actionnaire ou le propriétaire dirigeant.
Le débat théorique et l’expérience historique ont montré que les choses n’étaient pas aussi simples du fait
notamment de l’existence de structures de marché imparfaites, du développement de pratiques anti-
concurrentielles et de rentes de situation, des interférences qui peuvent exister entre sphère politique et
pouvoir économique (le « crony capitalism » asiatique à titre d’exemple), des manipulations auxquelles
peuvent s’adonner les entreprises pour augmenter le cours des actions en bourse (cas de la société Enron),
etc.
Par ailleurs, l’expérience des nouveaux pays industriels d’Asie de sortie du sous-développement souligne
le rôle central de l’État pour faire face aux défaillances du marché, créer des externalités, mettre en place un
système de prix favorisant les industries entraînantes et construire les avantages comparatifs (1).
La relation secteur privé-développement est d’autant plus difficile à étudier que le concept de développe-
ment lui – même a beaucoup évolué dans le temps. Pendant longtemps le développement était réduit à sa
dimension économique ; on considérait que le bien – être devait résulter d’une augmentation du produit inté-
rieur brut par habitant. Étant donné les blocages qui découlaient d’une spécialisation internationale selon les
avantages comparatifs immédiats (relative inélasticité de la demande de produits primaires, détérioration des
termes de l’échange à long terme et leur instabilité à court terme, etc. ), la croissance économique signifiait
pour beaucoup de pays du tiers – monde la promotion de leur industrialisation, soit en substituant aux impor-
tations une production locale, soit en donnant la priorité aux industries orientées vers l’exportation. Même si
les autres dimensions du développement n’étaient pas totalement ignorées (il s’agit des aspects socio-
culturels, politiques... ), on considérait qu’elles devaient constituer un sous-produit du développement écono-
mique qui ne devait pas tarder à jeter les bases nécessaires à leur accomplissement.
Toutefois, après une longue période dominée par l’économique au sens étroit et la réduction du déve-
loppement à la croissance quantitative et face aux échecs retentissants d’une telle approche, des voix vont
s’élever pour militer en faveur d’une reconceptualisation du développement. Une étape importante sera fran-

386
chie dans cette voie avec l’intégration des dimensions socio-culturelles et politiques et des questions qui leur
sont liées (la prise en compte de l’approche « genre » dans le développement économique, de l’impact sur
l’environnement et sur les générations futures, etc.). Le succès de ces efforts de reconceptualisation se
manifestera à travers l’émergence de nouvelles conceptions telles que le développement durable, le déve-
loppement humain ou encore le développement comme liberté (A. Sen). Bref, et comme le remarque H. Bar-
toli, « le développement ne se limite pas à la croissance-humain, il lui ajoute l’amélioration du bien-être
matériel dans les pays à bas revenu, qu’il s’agisse de l’alimentation, de la santé, de l’éducation, de la durée et
de la dignité de la vie, c’est à dire des éléments qui ne l’accompagnent pas inéluctablement-Humain, il l’est
aussi en ce que, dynamisme de l’homme, il recherche sous toutes les latitudes de l’instauration pour tous les
hommes des conditions fondamentales du maintien et de l’épanouissement de la vie » (2).
Il résulte de cette nouvelle conception du développement que le secteur privé est appelé à aller au-delà de
la focalisation sur la seule fonction de maximisation de valeur pour l’actionnaire et de création des richesses
pour s’impliquer activement dans la prise en compte des dimensions sicio-culturelles et politiques qu’induit
le développement humain. Une prise de conscience commence à se faire sentir à ce niveau avec l’émer-
gence des questions de responsabilités sociale et de gouvernance des entreprises, d’éthique des affaires,
etc.
Au Maroc, le choix socio-politiques et économiques retenus au début des années soixante vont placer le
secteur privé et l’impératif de sa promotion au centre des préoccupations des décideurs publics qui esti-
maient que le développement était tributaire de l’émergence d’une classe d’entrepreneurs et de gestion-
naires compétents et de l’édification d’institutions appropriées. Ce choix ne se démentira pas tout au long
des cinquante dernières années, même si les politiques et les moyens mobilisés à cette fin vont connaître
des changements et des inflexions majeures. De ce point de vue, on peut distinguer deux grandes périodes
s’étalant pour la première de 1960-62 à 1982 et, pour la seconde, de 1983 à 2005. L’élément de discrimina-
tion majeur entre ces deux périodes réside dans le passage d’une politique interventionniste visant à créer
les conditions de l’émergence d’une classe d’entrepreneurs schumpéteriens à une démarche plus libérale où
l’objectif est le retrait de l’État, à travers la déréglementation, la libéralisation et la privatisation, au profit du
secteur privé.
Notre rapport s’articulera autour de ces deux périodes et tâchera de montrer à travers l’analyse des diffé-
rents mécanismes de promotion et du comportement économique du secteur privé que ce dernier n’a pas
réussi à jouer le rôle de locomotive du développement humain. Nous concluons ce travail par une brève ana-
lyse prospective des scénarios d’évolution du secteur privé au Maroc ainsi que des chances de le voir contri-
buer plus efficacement à la réalisation des objectifs du développement.

1. Le pari non tenu de la promotion par l’état d’une classe


d’entrepreneurs schumpéteriens (1960-1982)

Si les premières bases du secteur privé marocain ont été jetées durant la période du protectorat, essen-
tiellement, sous la forme de fortunes constituées dans le commerce, la terre et la propriété immobilière
urbaine (3), son essor ne deviendra réellement consistant qu’au lendemain de l’indépendance. Il se fera à la
faveur des différentes incitations axées sur la priorité à l’agriculture d’exportation et au tourisme, le déve-
loppement d’industries de substitution d’importations et l’encouragement de l’association du capital privé au
capital étranger.

387
Si cette politique multidimensionnelle de promotion du secteur privé marocain a permis de renforcer les
positions occupées par ce dernier au sein de l’économie marocaine, elle n’a pas en revanche débouché sur
l’éclosion d’une classe d’entrepreneurs schumpétériens ayant le goût du risque, innovateurs et dont le dyna-
misme profite au développement humain du pays.

1.1. L’État, promoteur du secteur privé marocain

L’action déterminante de l’État dans la genèse et le développement du secteur privé marocain est attestée
par la variété des incitations mises à son service, notamment le système d’incitations industrielles, l’accès
aux commandes publiques, la politique du crédit, l’adoption d’une politique de bas salaires et le transfert
d’une partie des richesses économiques détenues par le capital étranger au capital local dans le cadre de la
politique de marocanisation (4).

1.1.1. Un système varié d’incitations industrielles


Destiné à encourager le développement de l’industrie nationale, le système d’incitations industrielles mis
en place va favoriser dans un premier temps les industries de substitution d’importations ; il sera articulé prin-
cipalement autour des avantages accordés par le Code des investissements et des mesures de protection
douanière (taxation et contrôle des importations) (5).
Les codes (6) contiennent une série de mesures, principalement d’ordre fiscal destiné à agir sur les condi-
tions de financement (primes d’équipement, bonification des taux d’intérêt, couverture du risque de change,
garantie de transfert, etc. ) et à réduire les coûts d’intervention dans le secteur industriel tout en élevant sa
rentabilité comparativement à d’autres activités (transactions foncières, immobilières et commerciales).
Les mesures de protection douanière, quant à elles, visent à modifier le prix d’entrée des marchandises
importées concurrentes des productions locales et donnent indirectement une prime de compétitivité aux
producteurs locaux. L’institution d’un tarif douanier différencié – taxant faiblement les biens d’équipement,
les matières premières et les demi-produits au profit des produits de consommation qui supportent des
droits de douanes relativement élevés – va aboutir à un développement relatif des industries de biens de
consommation courante. Cette protection tarifaire était renforcée par des formes de contrôle direct des flux
de marchandises (soit des prohibitions pures et simples, soit des contingents ou encore des interdictions
d’importer des marchandises à des prix inférieurs à un prix minimum).
Il est à relever que la saturation rapide du marché intérieur va pousser les pouvoirs publics à encourager les
industries orientées vers les exportations. À cet effet, plusieurs incitations ont été mises en place, notam-
ment les régimes économiques spéciaux en douane (octroi de la franchise de droits de douane sur les
matières premières importées et destinées à être incorporées dans la fabrication de produits exportés), les
systèmes d’assurance et de couverture de change et les avantages fiscaux et financiers destinés spécifique-
ment aux entreprises exportatrices.

1.1.2. L’accès aux commandes publiques (7)


En plus de la budgétisation des investissements d’infrastructure créateurs d’« économies externes », le
soutien de l’État au secteur privé prend la forme de commandes publiques de biens et services acquis
auprès d’entreprises privées marocaines. L’importance de celles-ci est telle qu’elles rythment de façon

388
déterminante l’évolution de l’accumulation privée du capital dans bien des secteurs (bâtiment et travaux
publics, mobilier métallique et semi-métallique, etc. ).

1.1.3. La politique du crédit


L’accès à des conditions préférentielles au crédit profite certes à l’industrie comme nous l’avons exposé
plus haut, mais s’étend également à des secteurs aussi variés que le tourisme et l’hôtellerie, l’immobilier,
l’agriculture, etc.
Les crédits d’investissement octroyés par des institutions publiques ou semi-publiques (Caisse Nationale
de Crédit Agricole, Banque Nationale pour le Développement Économique, Crédit Immobilier et Hôtelier)
offrent plusieurs avantages aux investisseurs privés : outre la durée plus ou moins longue des prêts et les ris-
tournes d’intérêt, le quantum de financement couvre entre 60 et 70 % du coût de l’investissement (8). Par
ailleurs, le fait que les taux d’intérêt soient invariables dans un contexte inflationniste (10 % en moyenne
annuelle durant la décennie soixante dix) aboutit à rendre le coût de financement encore plus faible.

1.1.4. La politique des bas salaires


Pendant toute la décennie soixante, la stratégie macro-économique poursuivie par les pouvoirs publics
sera centrée sur la maîtrise des coûts en travail, et ce à travers le blocage du SMIG (9). C’est que, dans le
modèle économique libéral retenu par le Maroc, le salaire est perçu seulement comme un coût et non
comme un pouvoir d’achat susceptible de dynamiser le marché intérieur. La demande à satisfaire est, elle,
fondamentalement tributaire des marchés extérieurs, de la dépense publique et des dépenses des couches
sociales moyennes et aisées. Cette politique de bas salaires est accompagnée d’un régime de sécurité
sociale qui ne profite qu’à une minorité de salariés.

1.1.5. La marocanisation et le processus d’association – substitution du capital local


au capital étranger
Les dispositions principales de la marocanisation telles qu’elles se dégagent du dahir du 2 mars 1973 per-
mettent de saisir l’ampleur de l’impact de cette opération sur le développement du secteur privé marocain.
La loi en question établit deux listes très longues d’activité : sur la première figurent outre les activités com-
merciales, de l’importation et la représentation à la vente au détail, toutes les activités concernant le bâti-
ment et les travaux publics, toutes les activités concernant le bâtiment et les travaux publics, tous les
transports, tout ce qui touche à l’automobile, le leasing, les agences de publicité, les sociétés de crédit,
l’entrepôt et le magasinage, la gérance d’immeubles, les industries alimentaires et l’industrie des engrais.
Toutes ces activités devraient être marocanisées avant 1974. Dans la deuxième liste figurent des activités
qui devraient être marocanisées avant mai 1975, notamment les banques, les assurances, et les activités
commerciales et industrielles concernant les produits suivants : minoteries et pâtes alimentaires, liège, cuir,
montage de véhicules, matériel électrique et électronique....
Cette vaste opération de marocanisation a permis un transfert réel du pouvoir économique au profit des
partenaires marocains qui ont de la sorte pu prendre pied dans plusieurs secteurs de l’économie marocaine.
Ce transfert a été d’autant plus important qu’il s’est étendu, par effet de contagion, à des secteurs qui
n’étaient pas concernés directement par le dahir de mars 1973, notamment l’agriculture (rachat massif des
terres de la colonisation estimé globalement à 500.000 hectares) (10) et l’industrie de transformation (11).

389
1.2. Faible impact du secteur privé sur le développement (12)

Porter une appréciation sur l’impact de la croissance du secteur privé marocain sur le développement
passe par l’analyse de la nature de ce secteur, des stratégies de profit qu’il adopte et de sa capacité à géné-
rer des gains de productivité, de l’innovation et de l’emploi.
De ce point de vue et étant donné le contexte dans lequel il s’est développé, le secteur privé n’a pu engen-
drer que des résultats médiocres en matière de développement humain.

1.2.1. Les groupes économiques, noyau du secteur privé marocain


Apparus pour l’essentiel durant les années soixante dix du siècle dernier, les groupes économiques privés
sont le résultat de la conjonction de deux facteurs principaux : la nécessité pour certaines familles maro-
caines de s’associer pour surmonter la contrainte de financement dont souffrent beaucoup d’entreprises per-
sonnelles et familiales, et l’association – substitution au capital étranger dans le cadre de la marocanisation.
La formation des groupes privés marocains est une des manifestations du processus de concentration de
la propriété du capital qui va profiter essentiellement aux familles commerçantes et à certains propriétaires
fonciers. L’accès privilégié à l’appareil administratif de l’État (13), la proximité du pouvoir politique et la créa-
tion de liens de coopération et de solidarité avec les dirigeants économiques étrangers dans le cadre d’asso-
ciations de producteurs, de comités techniques et professionnels vont être déterminants dans la
configuration du secteur privé marocain au sein duquel le grand capital privé va occuper des positions impor-
tantes.
C’est le cas du secteur agricole où une certaine concentration foncière était perceptible au sortir de la décen-
nie soixante dix : on estimait (14) qu’à peine un millier de propriétaires et/ou exploitants agricoles privés
contrôlaient inégalement quelques 500.000 hectares – dont 100.000 complantés et 120.000 irrigués de façon
moderne – soit l’équivalent de 6,6 et 9 % de la superficie totale cultivée ou cultivable au Maroc ; une centaine
parmi eux détiendraient en outre 20 à 25 % environ du cheptel ovins et bovins de race importés et élevés
selon les méthodes modernes.
Des estimations plus récentes font état d’un degré de concentration foncière plus élevé (4,1 % des exploi-
tations de plus de 20 hectares contrôlaient 32,9 % des terres agricoles en 1996) (15).
Les grands exploitants se distinguent par l’étendue de leur base foncière qui peut prendre des formes juri-
diques (propriétés agricoles personnelles ou sociétés), le recours au capital bancaire (on estime que 63 %
des crédits de la CNCA ont été alloués aux agriculteurs les plus aisés) (16), l’emploi de main d’œuvre salariée
et une production basée sur les technologies modernes et orientées vers le marché (17).
Donnant la priorité à la minimisation des risques, la stratégie de ces grands exploitants « est plus orientée
vers la valorisation de rentes que vers le risque de l’engagement des capitaux. Les politiques de soutien des
prix les y invitent, de même que les subventions à l’investissement dont les politiques publiques sont por-
teuses. Ils opèrent de préférence pour les marchés les plus contrôlés et soutenus, comme ceux des
céréales, des huiles ou du sucre » (18). On devrait également souligner l’importance prise par les cultures
d’exportation (primeurs, agrumes, maraîchage).
C’est aussi le cas du commerce de gros qui a constitué l’espace d’accumulation initial du secteur privé
marocain. En 1984, les dix premières entreprises réalisaient 47,65 % du chiffre d’affaires total de ce secteur
parmi lesquelles quatre étaient contrôlées par des intérêts familiaux marocains (Afriquia, Somepi, Somablé et
Socopros) (19).
L’immobilier urbain constitue également un champ d’activité privilégié du secteur privé marocain. Activité
à rentabilité élevée, l’immobilier urbain connaissait une relative concentration de la propriété : ainsi on esti-

390
mait que vers la fin des années soixante/début des années soixante dix, moins d’une centaine de personnes
détenaient 30 % des terrains urbains non bâtis à Marrakech, 18 à 20 % à Casablanca et Fès, des proportions
moindres à Beni-Mellal, Khémisset et Nador (20).
La prédominance du contrôle familial marocain dans le secteur du bâtiment et des travaux publics trouve
son origine aussi bien dans la faiblesse du risque encouru et des capitaux immobilisés que dans la pression
exercée, dès le lendemain de l’indépendance, sur l’administration par l’entreprise marocaine de travaux
publics pour l’amener à lui confier une partie au moins des commandes publiques.
La marocanisation aidant, le secteur privé marocain arrivait à s’adjuger à la fin des années soixante dix une
bonne partie des marchés à réaliser tant dans certains grands travaux que dans les marchés de moyenne
importance (fondations spéciales, ponts, etc.) et ceux du bâtiment (construction d’immeubles scolaires,
industriels, commerciaux) à cette exception notable que les travaux très importants ( barrages, ports....) qui
représentaient environ 20à 30 % du marché des travaux revenaient en exclusivité aux entreprises inter-
nationales en association parfois avec leurs filiales marocaines (21).
Pour ce qui est des industries de transformation, elles sont dominées pour les trois quarts du total du capi-
tal social par le secteur privé, avec un rapport entre capitaux privés marocains et étrangers de quatre à un
(22).
L’implantation du secteur privé marocain dans les industries de transformation se fera à la faveur des
mesures d’incitation et de protection prises par les pouvoirs publics pour encourager l’investissement privé
industriel de substitution aux importations. Elle sera également favorisée par la faiblesse des barrières à
l’entrée caractérisant les industries de biens de consommation courante et par l’existence d’une demande
interne solvable.
Au début des années quatre vingt, une double concentration caractérisait ce secteur : une importante
concentration financière (part des ressources économiques de l’industrie manufacturière détenue par une
minorité d’individus et de familles) et économique (pouvoir de marché détenu par les principales firmes dans
les différentes branches industrielles).
Concernant le premier aspect, on estimait que les principaux groupes et familles contrôlaient 55 % des
capitaux industriels privés marocains, alors que les dix premiers en contrôlaient plus de 30 %.
Ces capitaux étaient fortement engagés dans les branches suivantes : autres produits des industries ali-
mentaires (industries du lait, des conserves et des corps gras), l’industrie du cuir et des chaussures, l’indus-
trie textile et, accessoirement, l’industrie du bois et articles en bois.
Le pouvoir économique global exercé par les groupes et les grandes familles marocaines sur l’industrie de
transformation était d’autant plus important qu’il était lié à l’exercice d’importants pouvoirs de marché (le
plus souvent à caractère horizontal) par les firmes privées marocaines. Ces dernières monopolisaient
souvent à elles seules les positions dominantes sur les différents marchés de biens de consommation cou-
rante qui étaient fortement concentrés (16 branches sur 23 représentant 34,2 % de l’ensemble des effectifs
de l’industrie de transformation avaient un taux de concentration industrielle supérieur à 33 %) (23).
Quant au secteur financier (banques et assurances), le capital privé n’y occupait jusqu’au début des années
soixante dix que des positions subalternes. Toutefois et à la faveur de l’opération de marocanisation impéra-
tive de 1973, il parviendra à faire porter son taux de participation à 27,5 % du capital bancaire total en 1975,
puis à un pourcentage entre 26 et 30 % en termes réels, voire même 36 et 40 % compte non tenu de la
Banque Centrale Populaire (24).
La même évolution est perceptible pour les sociétés d’assurances : ainsi la part du capital marocain dans le
capital social cumulé des dix sept compagnies implantées au Maroc s’élevait à près de 61 % en termes juri-
diques et 55 % en termes réels. Considérée séparément, la part du secteur privé marocain variait selon les
cas entre 49 (structure juridique) et 43 % (structure réelle).

391
Au sortir des années soixante dix, le trait dominant des participations du capital privé marocain dans le sec-
teur financier était leur concentration entre les mains d’un nombre réduit de groupes d’intérêt familiaux.
Dans sa forme avancée, le secteur privé marocain est organisé sous forme de groupes économiques. Ces
derniers peuvent être animés par une ou plusieurs familles formant une coalition d’intérêts ; ils sont consti-
tués d’un ensemble de sociétés coiffé par un holding ayant des fonctions de financement, d’impulsion et de
contrôle. Enfin, les groupes privés marocains étendent leurs activités à plusieurs secteurs de l’économie :
l’industrie, la finance, l’immobilier, le commerce, le bâtiment et les travaux publics, etc. Cette diversité des
activités permet au groupe d’atteindre une taille suffisamment importante pour le distinguer des grandes
entreprises indépendantes ou des groupes personnels dont la taille est plus modeste et le champ d’activité
plus restreint. Elle suggère aussi que ce ne sont pas tellement les motivations technico-économiques
(recherche d’économies d’échelle, intégration verticale...) qui sont derrière la formation du groupe.
L’autre forme de structuration du secteur privé marocain est constituée par l’entreprise personnelle et
familiale indépendante. En 1984, on dénombrait 10 410 entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à
10 millions de dirhams sur les 11906 entreprises non financières soumises au régime d’imposition du béné-
fice net réel, soit 87,4 %. Bien que fortement majoritaires en nombre, ces entreprises ne réalisaient que
13,2 % du chiffre d’affaires total, 14, 6 % de la valeur ajoutée et n’employaient que 21, 7 % des effectifs
totaux. Ces entreprises à caractère personnel et familial affirmé, étaient implantées surtout dans le com-
merce, le « bâtiment et travaux publics », certaines branches de l’industrie de transformation (confection,
agro-industrie, cuir et chaussures...) et le secteur « autres services » (services fournis aux entreprises,
affaires immobilières...).
Bien que dotées d’importants atouts – flexibilité due à la facilité des communications internes et à la rapi-
dité de la prise de décision, une plus grande productivité au travail des membres de la famille du fait de leur
forte motivation –, les entreprises personnelles et familiales voient leur croissance fortement entravée par
une structure financière fragile (faiblesse des capitaux propres) et un mode de gestion « familiste » (attitude
conservatrice via à vis du risque, étroite imbrication des affaires de la famille avec celles de l’entreprise qui
n’est pas considérée comme un objet distinct, un horizon temporel court et la monopolisation de l’encadre-
ment supérieur par les membres de la famille pour des considérations qui n’ont rien à voir avec la compé-
tence...).

Encadré no 1 : Profil du secteur privé

Il n’est pas facile d’estimer la contribution du secteur privé à l’économie nationale car la comptabilité nationale dis-
tingue seulement la fonction publique et classe les entreprises publiques dans le secteur privé.
Une étude de la Banque mondiale estimait la participation du secteur privé au début des années 90 à 70-75 pour cent
du PIB. Le secteur privé assurait la quasi – totalité de la production agricole de base (à l’exception de la vigne) et des tra-
vaux de construction et de services commerciaux, plus de 90 % des services associés au tourisme, et environ 80 % de
la production manufacturière (à l’exclusion des dérivés des phosphates). Sa part était de 70 % dans le secteur des
transports, et il détenait plus de la moitié des capitaux des banques commerciales. Les deux tiers des banques de
dépôt étaient entièrement privés et, pour la moitié d’entre elles, on relevait que la proportion de capitaux privés étran-
gers était de 50 pour cent.
Du point de vue du contrôle des actifs productifs, le secteur privé possédait 77 % des terres cultivables et 73 % des
capitaux des industries manufacturières du secteur formel. Dans les transports, les opérateurs privés possédaient tous
les camions et environ les deux tiers de la capacité de la flotte maritime.
Avec 60 % du montant de la formation brute de capital fixe, le secteur privé constituait le premier investisseur du
pays. Sa contribution à l’investissement était supérieure à la moyenne enregistrée dans l’ensemble des pays en déve-
loppement (55 %), mais inférieure à la moyenne de 70 pour cent enregistrée dans les pays d’Asie de l’Est.
Du point de vue organisationnel, si les sociétés anonymes (SA) constituaient le type de structure juridique et com-

392
merciale dominant dans le secteur formel, la plupart des sociétés marocaines étaient des petites entreprises familiales
qui mobilisaient leurs fonds auprès des membres de leur famille ou des associés.
La plupart des entreprises manufacturières du secteur formel étaient de petite taille – plus d’un tiers emploient moins
de dix salariés, et la quasi – totalité appartenaient au secteur privé marocain. Quelques grandes entreprises industrielles
concentraient l’essentiel de la production dans quelques usines, provoquant une très forte concentration (cas des
industries de boissons, de tabacs, de ciment et de métaux de base).
Cette concentration industrielle s’accompagnait d’une importante concentration financière, un petit nombre de socié-
tés holdings contrôlant les sociétés industrielles qui assuraient environ la moitié de la valeur ajoutée du secteur manu-
facturier.

Source : Banque mondiale, renforcement du secteur privé au Maroc, août 1993.

1.2.2. Faible impact du secteur privé marocain sur le développement humain


Le désir de l’État de promouvoir le secteur privé marocain ne sera pas récompensé en retour par une accé-
lération du taux de croissance économique, une forte création d’emplois et l’amélioration des indicateurs du
développement humain. S’il est vrai que le secteur privé marocain a pu renforcer ses positions au sein de
l’économie nationale grâce à l’aide multiforme de l’État, son comportement économique était plus rentier
que schumpéterien.

A. Une croissance économique modeste


La modestie des taux de croissance économique est nette durant la décennie soixante, ne dépassant pra-
tiquement pas le taux de croissance démographique : 2,3 % entre 1960 et 1966, 3,5 % pour le plan triennal
1965-1967 et 4,3 % pour le plan 1968-1972.
Certes, une accélération de la croissance économique va se produire durant le quinquennat 1973-77, le
taux de croissance annuel moyen atteignant 6,8 %, mais elle sera tirée surtout par l’investissement public et
le secteur du bâtiment et des travaux publics (le secteur public va prendre en charge 42,5 % des investisse-
ments prévus par le plan 1973-77 contre 20,6 % seulement pour le secteur privé).

B. Effets négatifs sur l’allocation des ressources et les prix


S’il est vrai que le secteur privé marocain a contribué au développement de certains secteurs de l’écono-
mie marocaine (certaines industries de substitution d’importations, les cultures d’exportation), il reste que
cette contribution s’est faite au prix de multiples distorsions et aux dépens de la collectivité. De plus, la
logique conglomérale qui préside à la croissance des groupes privés marocains ne semble pas favoriser
l’accumulation productive.
– Croissance industrielle et mauvaise allocation des ressources : les industries développées par le secteur
marocain n’ont pas utilisé de façon optimale le stock de ressources productives, donnant la préférence
aux techniques « capital using » (consommant beaucoup de capital, facteur « rare ») aux dépens de la
création d’emplois (25).

En outre, le processus d’industrialisation par substitution d’importations a favorisé la déformation des


structures productives à travers la concentration industrielle, l’apparition de capacités oisives et la multi-
plication des activités semi-artisanales.

393
La concentration industrielle résulte de la conjugaison de trois facteurs principaux : la protection douanière,
les différents encouragements de l’industrie locale (surtout ceux à caractère fiscal et financier) et l’adoption
de techniques intensives en capital face à un marché intérieur aux dimensions étroites. Elle a, de ce fait,
donné naissance à d’importants pouvoirs de marché avec des effets négatifs sous forme de prix excessifs
(26), l’absence d’innovations technologiques et d’augmentation significative de la valeur ajoutée.
La recherche du pouvoir de marché se traduit aussi par un « surdimensionnement » des unités de produc-
tion par rapport aux possibilités d’approvisionnement et d’absorption du marché local, ce qui favorise la sous-
utilisation des capacités de production et l’apparition de coûts élevés : à ce sujet, une étude sur l’industrie
marocaine (27) remarque que « les monopoles virtuels dont disposent certains industriels sont une autre
forme de protection qui n’incite pas à la recherche de réduction des coûts et au fonctionnement des usines à
un niveau optimal de production. Il n’est pas surprenant de constater une sous-utilisation importante des
capacités de nombreux secteurs. Les coûts élevés grèvent la compétitivité et, par suite, freinent l’expansion
en empêchant notamment les entreprises de bénéficier d’économies d’échelle grâce à la croissance des
exportations ».
La déformation des structures productives va également se manifester à travers la multiplication des activi-
tés semi-artisanales. L’existence d’une demande insatisfaite et l’institution par les pouvoirs publics d’une
protection douanière élevée vont drainer vers l’industrie un certain nombre d’artisans, de commerçants, de
techniciens attirés par la perspective de gains faciles et rapides. Un autre facteur vient favoriser le développe-
ment de ces unités anti-économiques (mais qui ont une fonction sociale importante) est la possibilité
d’échapper totalement ou partiellement à la fiscalité, ceci dans la mesure où ces activités, souvent organi-
sées sur une base individuelle ou familiale, ont lieu à la maison.
Le développement des activités artisanales et semi-artisanales va renforcer le dualisme grandes-petites
industries et ses corollaires : grande hétérogénéité des techniques de production, des rationalités, des
comportements, etc.
En résumé, la croissance industrielle à laquelle a contribué le secteur privé marocain s’est traduite par
d’importantes distorsions qui constituent autant d’entraves à une bonne allocation des ressources.

C. Logique conglomérale et accumulation improductive du capital


Au sortir de la décennie soixante dix et malgré la promotion de certaines activités industrielles et agricoles,
le secteur privé marocain continuait de faire preuve d’un faible dynamisme en matière d’investissements pro-
ductifs. De fait, le comportement économique de ce secteur était toujours conditionné par un certain nombre
de facteurs limitatifs dont les principaux sont (28) :
– la structure sectorielle des taux de profit qui restait favorable aux placements à caractère spéculatif,
– l’étroitesse du marché intérieur due en partie à la répartition inégale des revenus,
– le risque socio-économique,
– le caractère familial de la plupart des entreprises et la faiblesse de la formation générale économique et
technique des hommes d’affaires, qui se traduisent la plupart du temps par une gestion défaillante que
la réalisation de marges bénéficiaires souvent très élevées n’incite guère à améliorer,
– l’affaiblissement des possibilités d’accumulation par les différentes formes de gaspillage et l’exportation
frauduleuse de capitaux.

Dans ces conditions, la valorisation du capital a tendance à se faire de manière diversifiée et dispersée,
favorisant ainsi le développement plus rapide des activités improductives (finances, immobilier, commerce,
services...) aux dépens de l’investissement productif.
L’étude de la composition de patrimoine des fractions avancées du secteur privé marocain révèle d’ailleurs
la prédominance des activités improductives, sa structure étant composée pour moitié de biens immobiliers

394
urbains et ruraux, 25 % de capital commercial et 25 % seulement d’actifs non commerciaux (29). D’autres
chercheurs ont abouti à des conclusions analogues (30) avec une place prépondérante pour l’immobilier
(52 %), le reste étant réparti entre l’industrie (31 %) et les activités commerciales et de service (17 %).

D. De faibles performances en matière de développement humain


Les faibles performances du secteur privé marocain en matière de développement humain peuvent être
appréhendées à travers la dégradation des secteurs sociaux (31) :
– en matière d’emploi, le taux de sous-emploi s’élevait à 50 % environ dans les campagnes à la fin des
années soixante dix et 25 % da les villes alors que les statistiques officielles évaluaient le nombre de
chômeurs à 642182 en 1982 contre 349273 en 1971,
– en matière d’habitat et d’urbanisme : le déficit de logement en ville était de 800000 dont 60 % intéres-
saient les revenus inférieurs à 1 000 dirhams. De plus, on estimait à 60 % la part des logements urbains
non pourvus de minimum d’équipement nécessaire alors que 5 % des habitants consommaient 65 % de
l’eau potable tandis que 5 % des plus pauvres ne consommaient que 17 %,
– au niveau de l’enseignement : on considérait que le taux de scolarisation de base ne dépassait pas 56 %,
celui de l’enseignement secondaire était de 13 % au moment où le niveau de l’enseignement ne cessait
de se détériorer,
– en matière de santé qui se caractérisait par la médiocrité des services rendus, la faiblesse du taux
d’encadrement (1 médecin pour 15 000 habitants) et du niveau des dépenses publiques (8 dhs par habi-
tant et par an) et une mauvaise répartition géographique des équipements sanitaires dans le pays.

Conclusion de la première partie

Le secteur privé marocain naissant a pu renforcer les positions qu’il occupait au sein de l’économie grâce
surtout à l’appui multiforme qu’il a reçu de l’État marocain durant les années 60 et 70. Le développement de
ce secteur va surtout profiter au grand capital aux dépens des petites et moyennes entreprises. Il en résul-
tera une importante concentration économique et financière qui prendra la forme de groupes économiques
diversifiés. La logique conglomérale qui préside à la croissance de ces derniers n’a pas toutefois favorisé
l’accumulation productive.
Par ailleurs, les performances enregistrées par le secteur privé en matière de développement humain
(faible création d’emploi, faible intérêt accordé aux secteurs sociaux, croissance économique modeste)
s’avèrent nettement insuffisantes.

2. Le secteur privé à la recherche d’un second souffle : réformes


économiques et dynamisme entrepreneurial (1983-2005)

Les limites du modèle interventionniste de promotion du secteur privé ainsi que les changements structu-
rels à l’échelle de l’économie mondiale (32) vont se traduire par de profondes modifications dans les straté-
gies de développement et les politiques économiques poursuivies par les pays du Sud. L’approche
introvertie et régulée des années soixante dix cédera progressivement la place à une démarche orientée vers

395
le marché mondial et donnant la priorité aux mécanismes du marché comme facteur déterminant de l’alloca-
tion des ressources.
Le Maroc ne fera pas exception à la règle ; il tentera à partir des années quatre vingt et à la faveur des pro-
grammes d’ajustement structurel, de passer d’une économie repliée sur elle-même et tirée par le secteur
public, à une économie plus ouverte sur l’extérieur, dans laquelle les entreprises privées jouent un rôle
moteur. Pour ce faire, une série de réformes économiques ayant pour but de libérer les énergies du secteur
privé seront mises en application ; elles s’inspireront toutes du « consensus de Washington » (33) basé sur le
triptyque libéralisation – privatisation – austérité budgétaire.
Vingt ans d’ajustement structurel et de réformes montrent pourtant que les résultats obtenus en matière
de développement sont décevants et que le secteur privé ne s’est pas beaucoup départi de son comporte-
ment rentier et de son conservatisme. Se pose alors la question de savoir si cela est du au fait que les
réformes économiques ne sont pas allées très loin comme le soutiennent les partisans du modèle néo – libé-
ral ou s’il ne faut pas, au contraire, remettre en cause la capacité même de ce modèle à enclencher la crois-
sance et le développement.

2.1. Les réformes nécessaires sont mises en place

Le Maroc a initié depuis 1983 une série de réformes économiques de grande ampleur destinées à édifier
une économie de marché compétitive et tirée par l’exportation et le secteur privé, national et étranger.
L’effet attendu de ces réformes est une accélération de la croissance économique et la création d’emplois
suffisamment nombreux pour permettre à la population de satisfaire ses besoins sociaux de base en matière
d’éducation, de santé, etc.
L’effet sur la croissance devrait résulter de la conjonction de plusieurs facteurs. D’abord, les réformes
économiques devraient améliorer l’attractivité du Maroc en matière d’investissement étranger. C’est le cas
par exemple de la démarocanisation du secteur financier (i.e. possibilité pour ces firmes étrangères de déte-
nir la majorité du capital social de leur filiale), de l’institution de la convertibilité externe du dirham (qui rend
notamment possible le rapatriement des profits), de la privatisation d’entreprises publiques (i.e. possibilité de
rachat d’entreprises rentables), de la réforme du marché financier en vue d’attirer des investissements de
portefeuille, de l’adoption d’une nouvelle loi sur les sociétés ayant pour but de renforcer les droits des action-
naires et de promouvoir la transparence, etc.
Les réformes sont censées, ensuite, favoriser une plus grande compétitivité des firmes locales en les sou-
mettant à une forte pression concurrentielle. Cette dernière devrait se manifester en particulier sur le marché
des produits du fait des mesures de libéralisation des échanges extérieurs, de la promotion de l’investisse-
ment direct étranger, de la réduction ou de l’élimination des subventions, etc. Ces différentes mesures
devraient pousser ces firmes locales, entre autres, à professionnaliser leur management, à recentrer leurs
stratégies sur un nombre limité de métiers de base, à être innovatrices en matière de produits, de procédés
de fabrication et de recherche de nouveaux marchés, à améliorer les technologies utilisées (i.e. à travers
l’achat de licences, la constitution de joint ventures, etc.), à se concentrer davantage sur l’exportation et
même à devenir elles mêmes des firmes multinationales.
Enfin, les mesures de libéralisation et de déréglementation devraient mettre fin aux rentes de situation et
aux déficiences découlant de l’intervention bureautique dans l’octroi d’autorisations, de licences, de prêts,
etc.
Les réformes initiées par le Maroc ont touché à l’ensemble des aspects de l’économie marocaine, depuis
le déficit budgétaire jusqu’au taux de change et aux privatisations. Ces réformes sont trop étendues pour

396
être exposées en détail ; nous nous limiterons à celles qui nous semblent être les plus importantes pour le
développement du secteur privé (34).

2.1.1. Stabilisation macro-économique réussie


Le Maroc a réussi en une vingtaine d’années à réduire de manière significative son déficit budgétaire qui
est tombé de 11,6 % du PIB au début des années 80 à 3,8 % en 2003. Le taux d’inflation a été ramené à un
niveau ne dépassant pas les 2 % durant les dernières années. De même, la situation des finances exté-
rieures s’est également améliorée puisque le compte courrant de la balance des paiements a réalisé un sur-
plus important de 2001 grâce notamment aux recettes touristiques et à la stabilité des transferts des
Marocains résidant à l’Étranger. Cette évolution s’est traduite par une consolidation des réserves de change
qui ont atteint des niveaux élevés (plus de neuf mois d’importations de biens et services en 2004).

2.1.2. Une libéralisation poussée des échanges extérieurs


La réforme des contingents et des tarifs douaniers a considérablement réduit la protection contre les
importations. La déprotection douanière est appelée à s’intensifier du fait des engagements internationaux
du Maroc (adhésion à l’OMC, partenariat avec l’Union européenne, accords de libre-échange avec les États
Unis, l’Égypte, la Tunisie, la Jordanie, la Turquie). La convertibilité totale des paiements courants a été instau-
rée en 1993 suivie par celle, intégrale, du compte de capital des investisseurs non-résidents pour les inves-
tissements de portefeuille, les transferts de bénéfices et le rapatriement du capital.

2.1.3. Une déréglementation en voie d’extension


La déréglementation a touché d’abord les prix (le contrôle des prix qui portait encore sur environ 172 caté-
gories de produits en 1993, ne s’appliquait plus qu’à 29 biens et services à la fin des années 90) ; elle s’est
étendue ensuite à certains monopoles d’État (exportation des fruits et légumes, tourisme, télécommunica-
tions, transports urbains, transports routier et ferroviaire, production d’électricité, etc.)

2.1.4. Un programme de privatisation en progression


Entamé de manière effective en 1993, le programme de privatisation a concerné jusqu’en 2003, 66 entités
dont 26 établissements hôteliers, (sur une liste initiale de 113 entreprises), générant des recettes de 55 mil-
liards DH.

2.1.5. Une flexibilité relative du taux de change


Si les pouvoirs publics ont laissé la valeur réelle du dirham se déprécier fortement durant les années 80, ils
ont par contre opté à partir de 1990-91 pour une appréciation du taux de change effectif réel dans le souci de
ne pas aggraver le poids du service de la dette publique extérieure et d’éviter toute incidence inflationniste
sur les prix intérieurs. Toutefois et pour faire face au ralentissement des exportations marocaines et à
l’accentuation de la pression concurrentielle internationale, le gouvernement a été obligé de procéder en
2001 à un réajustement du coefficient de pondération de l’euro dans le panier de devises utilisées pour la

397
cotation du dirham. Il en est résulté une légère dépréciation (de l’ordre de 5 %) de la valeur réelle de la mon-
naie nationale.

2.1.6. Une amélioration relative de l’environnement juridique et financier de


l’entreprise
Les anciens codes d’investissement à caractère sectoriel ont été remplacés par une nouvelle Charte de
l’investissement (1995). Elle concerne toutes les activités commerciales, sauf l’agriculture, et généralise les
principales incitations qui, sous les codes précédents, n’étaient offertes qu’à certains types d’entreprises et
dans certaines régions. La nouvelle loi sur les sociétés anonymes (1996) offre, entre autres, une protection
aux actionnaires minoritaires et impose une gestion plus rigoureuse aux dirigeants des sociétés. Le code du
commerce (1997) permet, pour la première fois, de traiter les banqueroutes, liquidations et réorganisations
dès les premiers signes d’une crise. D’autres textes de loi importants ont été adoptés, tels que le code des
douanes, la loi portant création des tribunaux de commerce, la loi sur la concurrence et les prix, etc.
Par ailleurs, l’adoption de nouvelles règles fiscales, a permis de réduire de manière significative le poids de
la fiscalité sur les entreprises (à titre d’exemple, le taux effectif de l’impôt sur les sociétés appliqué aux pro-
duits manufacturés et aux services est tombé respectivement de 50,3 % et 44,2 % en 1986 à 24,2 % et
19,9 % en 1995).
Sur le plan administratif une vaste réforme visant à moderniser l’administration des douanes a permis de
ramener les délais de dédouanement des importations de plusieurs jours à moins de huit heures en
moyenne.
Une mention spéciale doit être réservée au nouveau code du travail qui tente d’instituer des relations
modernes entre les partenaires sociaux (amélioration de l’environnement et des conditions de travail, régle-
mentation du licenciement et de l’indemnisation, départs anticipés, etc.).
Dans le domaine bancaire et financier, la réforme (35) a consisté à déréglementer les taux d’intérêt et l’allo-
cation du crédit, diversifier les instruments financiers et encourager la concurrence entre les institutions
financières. De même que certaines distorsions de l’intermédiation financière, telles la bonification des taux
d’intérêt, la détention obligatoire d’effets publics à des taux inférieurs à ceux du marché, et l’ingérence
excessive de l’État dans les décisions relatives au crédit ont été assouplies dans une première étape et élimi-
nées par la suite. Parallèlement, l’État a commencé à se désengager de l’intermédiation financière et des
efforts ont été déployés pour consolider la situation financière des banques par la restructuration et la recapi-
talisation. En outre, en éliminant progressivement le contrôle direct et discrétionnaire du crédit, les autorités
monétaires ont adopté un système de gestion des liquidités au moyen d’instruments de régulation moné-
taire indirecte – c’est-à-dire fondés sur le jeu du marché monétaire – principalement les prises en pension sur
appels d’offres sur le marché monétaire interbancaire.
Des mesures de renforcement des règles prudentielles et du contrôle bancaire ont également été prises,
conformément aux normes internationales, tandis que la concurrence a été encouragée, notamment par
l’ouverture du capital de certaines banques à la participation du secteur privé étranger, l’abolition de la spécia-
lisation sectorielle des intermédiaires financiers, et l’octroi aux banques d’une autonomie accrue dans les
décisions de prêt.

2.1.7. Une approche plus volontaire de la problématique de l’investissement privé


En vue d’aider les entreprises privées à relever les défis de l’ouverture, notamment ceux liés à l’établisse-
ment d’une zone de libre échange euro méditerranéenne à l’horizon 2010, les pouvoirs publics ont élaboré un

398
programme national de mise à niveau (1997). Celui-ci s’articule autour des axes prioritaires suivants : la réali-
sation d’études diagnostics des entreprises candidates à la mise à niveau, le financement de la mise à
niveau, le renforcement de l’infrastructure technologique, le renforcement des associations professionnelles,
le renforcement de l’infrastructure de base, le développement de la formation continue et la promotion des
exportations.

Le dispositif de mise à niveau comprend plusieurs mécanismes dont notamment :


– L’Agence Nationale de la Petite et Moyenne Entreprise et les Centres Régionaux de l’Investissement :
deux organismes de promotion et d’appui à la mise à niveau et l’accompagnement des entreprises ;
– Les instruments financiers de financement et de garantie (FOMAN, FORTEX, RENOVOTEL, FODEP,
FOGAM...) ;
– Les contrats – programmes avec l’AMITH et la Fédération du tourisme ;
– La réduction des coûts des facteurs (énergie et fiscalité) ;
– La contribution du Fonds Hassan II pour le Développement économique et social.

2.2. Le comportement économique du secteur privé durant la période


post-interventionniste

Étudier le comportement économique du secteur privé durant la période post-interventionniste revient à se


demander dans quelle mesure le secteur privé s’est conformé, dans ses différentes composantes, aux pré-
dictions du modèle néo-libéral. Rappelons que ce dernier postulait un comportement économique des entre-
prises privées plus dynamique, plus compétitif et plus porté vers l’innovation du fait de la pression
concurrentielle internationale et des réformes économiques libérales. Il prédisait également un recentrage de
ces entreprises sur leurs métiers de base et une réorientation vers l’exportation de produits pour lesquels le
Maroc dispose d’un avantage comparatif (36). Enfin, les réformes économiques libérales devaient se traduire
par une meilleure attractivité du pays pour ce qui est des investissements directs étrangers. Le secteur privé
n’étant pas un tout homogène, nous traiterons successivement du comportement économique des groupes
et grandes entreprises privées marocaines, de l attractivité du Maroc pour les investissements étrangers et
du comportement des petites et moyennes entreprises.

2.2.1. Les stratégies différenciées des groupes privés marocains : voice, exit et
financiarisation
L’analyse du comportement économique et financier des groupes privés marocains n’est pas chose aisée
étant donné le manque de transparence financière qui continue de caractériser nombre d’entre eux. C’est
dire que les développements qui vont suivre concernant les stratégies de ces groupes n’ont d’autre objectif
que de nous rapprocher le plus possible de la réalité économique dans la limite des informations que nous
avons pu collecter. Ceci étant dit, il est possible de dégager plusieurs trajectoires stratégiques des groupes
durant les décennies 80 et 90.
Le premier type de trajectoire stratégique consiste à combiner renforcement des positions acquises et
diversification « tous azimuts ». L’exemple le plus net à ce sujet nous est fourni par le groupe de l’Omnium
Nord Africain (ONA) qui a cherché tout au long de la décennie quatre vingt à acquérir une position dominante
dans le secteur agro-alimentaire (industrie laitière, industrie des huiles alimentaires, industrie sucrière) où il

399
était très actif à travers l’accroissement des parts de marché (réalisation d’investissements d’extension et de
modernisation et rachat d’entreprises telles que « Huileries savonneries Gouin » et « Cosumar ») et, dans
une moindre mesure, par un début d’intégration de l’amont de la filière ( rachat de la SEPO – Société d’exploi-
tation des Produits Oléagineux – seule unité de trituration de graines oléagineuses, dans le but de garantir un
approvisionnement régulier de ses filiales).
Plus tard, au milieu des années quatre vingt dix, le groupe entama une opération de mise à niveau de cer-
taines de ses filiales pour faire face au nouveau contexte de libéralisation et d’ajustement industriel. C’est le
cas à titre d’exemple, de la société Lesieur Cristal qui a connu une véritable restructuration industrielle axée
autour des volets suivants : optimisation des coûts et des moyens de production, réduction d’effectif et
recentrage sur les métiers de base parallèlement à la sous-traitance des activités périphériques (emballage,
etc.) (37).
Cette logique industrielle conçue en termes de technologie, de produits et de contrôle des marchés se
combine à une démarche de diversification conglomérale mettant l’accent sur l’aménagement des actifs
financiers. Celle-ci semble évoluer dans le temps tant en ce qui concerne les activités ciblées, les modalités
de redéploiement stratégique, que pour ce qui est des objectifs généraux recherchés.
Ainsi on constate que tout au long de la décennie quatre vingt, le groupe ONA a cherché à devenir un
acteur majeur dans de nombreux secteurs, en essayant de concilier entre le souci de la rentabilité financière
et l’ambition de jouer le rôle de locomotive et d’éducateur du secteur privé appelé à moderniser et à assainir
l’économie marocaine. La stratégie multisectorielle a englobé l’agro-alimentaire, les mines, l’automobile, la
pêche hauturière, l’industrie textile, la finance, le tourisme, l’immobilier et la communication et les hautes
technologies. Le support principal de cette stratégie conglomérale a été la croissance externe( rachat d’entre-
prises, privatisation d’entreprises semi-publiques, prise de participations dans des sociétés).
À partir du milieu des années quatre vingt dix, le groupe ONA va procéder à un redéploiement stratégique
accompagné d’un effort de modernisation du style de management. On va assister ainsi à un recentrage de
la stratégie du groupe autour de quatre pôles : mines et matériaux de construction, agro-alimentaire, activités
financières et distribution. Une politique de construction de « champions nationaux » ayant la taille critique
pour faire face à la concurrence internationale va être poursuivie dans chaque pôle. De ce point de vue, deux
opérations majeures méritent d’être soulignées : la première consiste dans la prise de contrôle de l’important
groupe semi-public de la Société Nationale d’Investissement (SNI) suite à sa privatisation par l’État. La
deuxième opération est relative au renforcement du pôle bancaire et financier de l’ONA suite au rapproche-
ment-fusion entre la Banque Commerciale du Maroc et le groupe Wafabank, donnant naissance au premier
« conglomérat » financier du pays.
Sur le plan du management du groupe, une nouvelle orientation est adoptée ; elle est basée sur les choix
suivants (38) : formulation claire des critères d’appréciation et des attentes vis à vis du management,
déconcertation de l’organisation et responsabilisation des directeurs généraux des filiales, création de procé-
dures de reporting, etc.
Enfin, un changement dans les objectifs du groupe est clairement affiché où la création de la valeur pour
l’actionnaire tend à l’emporter sur les considérations de développement économique et social qui doivent,
elles, relever de la responsabilité de l’État (39).
Le deuxième type de trajectoire stratégique que l’on peut relever consiste en une financiarisation des acti-
vités de certains groupes privés au sens où ces derniers redéploient leurs stratégies au profit du secteur ban-
caire et financier et aux dépens des secteurs où ils évoluaient auparavant. C’est le cas par exemple des
groupes SOPAR et Finance.com. Le premier groupe a développé son pôle financier tout au long de la décen-
nie quatre vingt autour de la banque commerciale Wafabank au point où il représentait plus de 40 % du
chiffre d’affaires du groupe en 1992 (40). Cette financiarisation des activités du groupe s’est faite autour du
concept d’ « offre financière et de service globale » qui impliquait une diversification des services financiers

400
de la banque par l’adjonction de nouvelles activités rémunératrices telles que le crédit à la consommation (
société Wafasalaf), le leasing (société Wafabail), l’assurance (renforcement de l’activité de la société Nou-
velle d’Assurance qui devient Wafa Assurance), l’informatique (Wafa Systèmes), la monétique (Wafa Moné-
tique), l’ingénierie financière (Wafa Investissement), le négoce international (Wafa Trade) (41).
La nouvelle stratégie du groupe SOPAR semble s’être faite aux dépens des activités industrielles, notam-
ment de l’industrie textile où le groupe détenait des intérêts importants, mais où il a subi les contrecoups de
la mauvaise conjoncture économique, de la perte de certains marchés extérieurs( marchés irakien et libyen
du fait de l’embargo international appliqué contre ces pays, concurrence asiatique sur les marchés des pays
du golfe) et de certaines erreurs de gestion (surinvestissement, problème de coordination entre le siège
social et les usines...), l’électroménager du fait notamment de la libéralisation des importations et du déve-
loppement de la contrebande, et du « bâtiment et travaux publics » (faillite de la société Comaprise,
Constructions Marocaines et Entreprises).
Le groupe Finance.com est justiciable de la même analyse, à cette différence près que sa financiarisation
est le résultat direct de la privatisation de la Banque Marocaine du Commerce Extérieur en 1995. Ainsi ce
groupe dont l’activité d’origine consistait dans l’assemblage de véhicules et la distribution de grandes
marques de l’industrie automobile a complètement changé de configuration sectorielle au cours des années
quatre vingt dix. Désormais le groupe est réorganisé autour de quatre pôles où la finance occupe une posi-
tion leader : in pôle bancaire autour de la BMCE-Bank, un pôle « assurances », un pôle « technologie multi-
médias » et un pôle « industrie et services ».
Le troisième type de trajectoire stratégique caractérise le comportement des groupes qui ont décidé de se
retirer des secteurs où ils évoluaient, préférant ainsi l’option exit. C’est le cas des groupes SIM (Société
Industrielle Marocaine) et Nova Holding qui se sont tout simplement retiré de l’industrie des boissons au pro-
fit de la firme multinationale Coca Cola, et moyennant une compensation financière confortable (42). Le
groupe SIM a cédé tous ses actifs industriels à Coca Cola pour se reconvertir dans un premier temps dans le
financement de la consommation ( rachat de la société Credor), avant de céder cette dernière à un important
groupe financier de la place.
En résumé, les trajectoires stratégiques que nous avons décrites reflètent un comportement économique
différencié des groupes face à la libéralisation de l’économie et à l’ouverture à la concurrence internationale.
Ces trajectoires ne semblent pas se conformer aux prédictions du modèle économique libéral qui postulait
un redéploiement des activités des groupes marocains vers les secteurs exportateurs où le Maroc dispose
d’avantages comparatifs.

2.2.2. Une attractivité en amélioration, mais qui reste insuffisante


Les entrées d’investissements directs étrangers (IDE) ont connu une évolution positive durant les années
90, grâce en grande partie aux opérations de privatisation et de conversion de la dette extérieure en inves-
tissements. Toutefois, cet essor est marqué par une certaine irrégularité. Ainsi, après avoir enregistré un
niveau élevé en 1997 (10,5 milliards de dirhams) en liaison avec la concession d’exploitation de la SAMIR, les
flux d’IDE reçus par le Maroc ont enregistré une baisse en 1998 et 2000.
Ils ont atteint des niveaux records en 2001 et 2003 (respectivement 30,6 milliards et 21 milliards de dir-
hams) suite à la privatisation de Maroc Telecom et de la Régie des Tabacs. Cette performance est toutefois à
relativiser car elle correspond à deux grosses opérations ponctuelles. En 2002, année exempte de privatisa-
tions, le Maroc avait recueilli moins de 5 milliards de dirhams !
L’évolution positive des IDE à destination du Maroc durant les années 90 s’est répercutée favorablement
sur la contribution des IDE à la FBCF qui est passé de 5,3 % au cours de la période 1988-1992 à 7,3 % entre

401
1995 et 2000. Il reste toutefois inférieur à la moyenne des pays dits émergents (Égypte, Tunisie, Turquie,
Chili, Malaisie, Coré du Sud et Pologne) qui est de 12,8 % durant la période 1995-2000.
L’orientation sectorielle des IDE au Maroc durant les années 90 laisse apparaître la prédominance des sec-
teurs de l’industrie manufacturière (20 à 26 % selon les années), des banques et holdings (29,4 % en 1991 et
13 % en 1999) et les télécommunications (55,1 % en 1999 grâce à la privatisation de la deuxième ligne
GSM).
Au niveau de l’industrie manufacturière, la participation étrangère s’élevait à 18 % de l’ensemble des capi-
taux sociaux engagés dans ce secteur en 1999.
Grâce à cette participation, le capital étranger réalisait 33 % de la production industrielle totale, 36 % des
exportations de produits manufacturés et 34 % des emplois crées.
Les branches d’investissement privilégiées sont par ordre d’importance, les industries chimiques et para
chimiques, les industries mécaniques, métallurgiques, électriques, électroniques et l’industrie textile.
Les IDE dans l’industrie sont surtout orientés vers le marché local avec, parfois, une concentration sur
quelques créneaux d’exportation (confection, matériel de transport, matériel électrique et électronique).
Quant au secteur bancaire, il a enregistré un flux important d’investissements étrangers, directs et de por-
tefeuille, attirés par un environnement des affaires plus favorable (démarocanisation, lancement des opéra-
tions de privatisation, assouplissement de la réglementation des changes) et de bonnes perspectives de
rentabilité. Concernant ce dernier point, il convient de relever la déclaration d’un ancien directeur du journal
financier « AGEFI » qui résume la stratégie bancaire d’une phrase : « il fait bon vivre au Maroc quand on est
une banque étrangère ». Le « bonheur » bancaire est en effet dans le retour sur fonds propres. Alors que
dans l’Hexagone les taux de rentabilité oscillent entre 8 et 10 %, au Maroc la BMCI (filiale à 50 % de la BNP)
affiche du 13,4 %; le Crédit du Maroc (détenu majoritairement par le Crédit lyonnais) annonce du 15 % et la
Société générale des banques marocaines (contrôlée par la Société générale) s’offre un taux de 16 % (43).
L’analyse du comportement économique des entreprises étrangères implantées au Maroc montre qu’elles
sont en général « plus productives, accordent des salaires très élevés, disposent de plus de renseignements
sur les marchés extérieurs, sont plus orientées vers l’exportation et utilisent les meilleurs procédés de fabri-
cation et les techniques de gestion et du contrôle de qualité qui leur permettent cette réussite » (44).

Tableau no 1 : Répartition sectorielle des flux d’IDE (décennies 80 et 90)

En % Moyenne 1982-1991 Moyenne 1992-2000


Industrie 20,6 21,2
Télécoms 0,6 25,96
Banque 6,6 16,11
Commerce 2,5 6,9
Immobilier 26,5 4,96
Énergie et mines 0,8 6,8
Autres services 1,3 2,07
Holding 3,6 6,7
Tourisme 6,7 2,6
Gds travaux 2,7 1,3
Agriculture 0,7 0,3
Transports 0,3 0,2

402
Pêche 5,3 0,3
Pétrole 0,0 0,5
Assurances 0,4 -
Divers 15,3 3,7
100 % 99,6 %

Source : statistiques de l’Office des Changes

L’une des conséquences de l’ouverture et de la libéralisation de l’économie marocaine réside dans l’inté-
gration de certaines branches industrielles dans la décomposition internationale des processus productifs
sous l’égide des firmes multinationales (45). Une telle intégration est favorisée par la politique euro-
méditerranéenne qui autorise la sortie du marché communautaire de produits semi-élaborés vers les pays du
Sud et de l’Est méditerranéen, pour qu’ils y fassent l’objet de certaines transformations et qu’ils reviennent
ensuite en Europe en franchise de droits. Grâce à cette politique, les entreprises européennes ont pu amélio-
rer leur compétitivité internationale en investissant ou en nouant des relations de sous-traitance dans la zone
méditerranéenne, augmentant ainsi ce qu’on appelle le perfectionnement passif. Ce type d’échange
concerne surtout les industries textiles, mécaniques et électroniques.
Grâce à cette insertion dans la DIPP, de nouvelles spécialisations industrielles internationales semblent
émerger au Maroc ; elles concernent notamment l’industrie électrique et électronique (exportation de fils et
câbles pour l’électricité et de composants électroniques) (46).
Si la contribution de ce type d’activités au développement des exportations industrielles est indéniable, le
fait qu’elles s’inscrivent dans des échanges intra-branches se traduit par une propension assez forte à impor-
ter biens intermédiaires et composants de sorte que l’impact net sur la balance commerciale n’est pas tou-
jours positif. Par ailleurs, les externalités induites par ces nouvelles spécialisations (diffusion d’un nouveau
savoir-faire via l’introduction de nouvelles technologies et la formation du personnel local, transfert des tech-
niques de gestion, de contrôle de qualité et de standardisation aux fournisseurs locaux) semblent être de
faible portée, les activités implantées par les firmes multinationales au Maroc étant de basse technologie et à
forte intensité de main d’œuvre (47). Les effets externes sont également limités par le faible contenu local de
la production des filiales et l’écart technologique important entre les entreprises étrangères et marocaines.
Au total, il s’avère que l’attractivité du Maroc reste insuffisante alors que l’impact en matière de développe-
ment des investissements directs étrangers ne se fait pas encore sentir.

2.2.3. Des petits et moyennes entreprises fortement menacées par le nouveau


contexte concurrentiel
Bien que prépondérantes numériquement au sein du tissu productif (environ 92 % de l’ensemble des
entreprises affiliées à la caisse nationale de Sécurité sociale et de l’échantillon du Ministère de l’industrie, du
commerce et de l’artisanat en 1998), les petites et moyennes entreprises ne contribuent que modestement
à l’activité économique (10 % de la valeur ajoutée et 16 % de la masse salariale tous secteurs confondus,
mais 39 % de la valeur ajoutée manufacturière et 46 % des salaires distribués par les industries de trans-
formation (48).
Une forte majorité de PME (72 %) est concentrée dans les activités de commerce et de services.
Durant la décennie quatre vingt, le nombre d’entreprises non financières soumises au régime du bénéfice
net réel a été multiplié par près de 2,5 fois, passant de 11906 entreprises en 1983 à 23417 en 1990 et 28977
en 1993. Cette augmentation a touché surtout les secteurs du commerce et des services et, dans une

403
moindre mesure, les industries de transformation (d’après le tableau no 2). Celle-ci a vu leur nombre presque
doubler, passant de 2854 entreprises en 1984 à 5540 en 1993.

Tableau no 2 : Évolution de la démographie des entreprises (1984-1993)

Secteur Nombre d’entreprises 1984 1993 variation 1984-93


Agriculture, forêt et pêche 195 358 163
Mines et énergie 133 203 70
Industrie de transformation 2854 5540 2686
Bâtiment et travaux publics 1563 2236 673
Commerce 3841 9077 5236
Transport et communications 640 1337 697
Banques et assurances 491 687 190
Hébergement et restauration 714 1681 967
Autres services 1966 78585 892
Total 12397 28977 16580

Source : Images économiques des entreprises, Direction de la Statistique.

Cet accroissement a surtout profité à la branche de l’habillement qui a réalisé, à elle seule, 33,7 % des
créations nettes d’entreprises industrielles imposées au bénéfice réel (tableau no 3). Il dénote un certain
dynamisme de l’entrepreneuriat marocain dont les rangs semblent avoir été renforcés par une « troisième
génération » d’entrepreneurs issus de couches sociales et d’activités professionnelles diverses (ouvriers,
techniciens, cadres de l’administration, etc...) (49). Ces entrepreneurs seraient caractérisés par « un esprit de
concurrence plus agressif que celui de la première génération, accepteraient des taux de profit plus bas et
feraient face à des problèmes essentiellement financiers ».

Tableau no 3 : Évolution du nombre d’entreprises industrielles (1984-1998)

Branche 1984 1993 1998


Produits des industries alimentaires 531 830 –
Boissons et tabacs 24 33 –
Produits textiles et bonneterie 330 420 488
Habillement à l’exclusion des chaussures 340 1244 933
Cuir, articles divers et chaussures en cuir 160 299 435
Bois, articles en bois, ameublement 89 251 260
Papier et carton, imprimerie 272 517 575
Matériaux de construction 148 256 –
Produits de l’industrie métallique de base 39 43 –
Ouvrage en métaux 348 523 784
Construction de machines et matériel d’équipement 50 334 105
Matériel de transport 73 86 92

404
Matériel électrique et électronique 71 108 96
Machines de bureau 6 35 –
Chimie – parachimie 184 249 –
Articles en caoutchouc ou en informatique 169 289 269
Autres industries 20 – –
Total 2854 5540 6450

Source : Images économiques des entreprises, Direction de la Statistique.

L’apparition de cette nouvelle vague d’entrepreneurs a été favorisée par les opportunités offertes par
l’accès quasi-libre au marché européen dans le cadre du régime de perfectionnement passif (50). De ce fait,
toute une industrie de prêt à porter dédiée à l’exportation va se développer sur la base des avantages compé-
titifs du Maroc que sont la main d’œuvre bon marché et la proximité géographique et culturelle de l’Europe.
Les PMI qui s’y sont engagées durant les années quatre-vingt vont contribuer de manière significative, à côté
des grands groupes publics, à la transformation de la structure des exportations marocaines où la part des
produits manufacturés va passer de 23,3 % en 1980 à 63,4 % en 1993.(voir tableau no 4)

Tableau no 4 : Contribution des différentes fractions de capital


aux exportations industrielles (années 1989)

Exportations (en M de DH) %


Privé « non groupes » 5840,8 29,7 %
Public « non groupes » 336,7 1,7 %
Groupes publics 4916,5 25 %
Groupes privés 3276,3 16,6 %
Étranger 2865,4 14,5 %
Contrôle mixte 582,6 2,9 %
Grandes entreprises étrangères 1869 9,4 %

Source : concurrence et compétitivité industrielle au Maroc, op.cit., p.105

Encadré no 2 : Profil d’un fabriquant de prêt à porter marocain fictif

Crée en 1974 à Casablanca, la société Maroccotex emplie maintenant 102 ouvriers et 13 techniciens et employés admi-
nistratifs. Le chiffre d’affaires annuel était de 8 500 000 Dirhams en 1991. L’équipement comprend 96 machines à
coudre et la production quotidienne est de 800 articles.
Maroccotex vend toute sa production à des centrales d’achats françaises et espagnoles. Les hypermarchés achètent
des produits bas de gamme standards conçus par Maroccotex; les grands magasins fournissent leurs propres modèles
et sont prêts à payer pour avoir des articles de qualité. La gamme de produits est limitée aux pantalons hommes et aux
vêtements enfants.
La compagnie veut grandir et a commencé à investir 4 millions de Dirhams afin de doubler sa production fin 1992. Un
quart des sommes investies vient de sources privées. Une grande banque a fourni le complément sous forme d’un prêt
à 14 % remboursable sur sept ans.
Le président de Maroccotex était auparavant le directeur commercial d’une grande entreprise de confection avant de
monter sa propre affaire. Il est le seul actionnaire. Son objectif principal est de commencera vendre hors de France ( ce

405
pays représente toujours 80 % de ses ventes) et il pense à l’Italie et au marché local. Ses préoccupations majeurs sont
l’acte unique de la communauté Européenne de 1993 et l’expiration des AMF en 2003; il pense que seuls les plus
compétitifs suivront à ces changements majeurs.

Source : tiré de S. Leymarie et J. Tripier, Maroc : le prochain dragon. Eddif, 1992.

Toutefois, un tel dynamisme « entrepreneurial » va montrer rapidement ses limites. La productivité du tra-
vail est inférieure en 1990 de 30 % à celle de 1986 (51). Si les causes de cette baisse relèvent d’abord de fac-
teurs internes à l’entreprise (manque de formation du personnel, problème d’organisation, vétusté du
matériel de production, etc.) elle est également encouragée par la rente procurée par le régime d’accès pré-
férentiel au marché européen qui n’incite guère aux gains de productivité. Par ailleurs, et à partir des années
quatre vingt dix, la compétitivité des entreprises marocaines va être érodée du fait de l’exacerbation de la
concurrence internationale(démantèlement de l’accord multifibres, prochaine adhésion de la Chine à l’OMC,
élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale et orientale), des hausses de salaires inter-
venues au Maroc, de l’appréciation du dirham, etc...
Enfin, la concentration des exportations sur le système de perfectionnement passif va contribuer à limiter
l’activité industrielle aux opérations d’assemblage dont l’impact sur l’industrialisation du pays est limité.
Pour ce qui est des PME orientées vers le marché intérieur, elles ont souffert de plusieurs contraintes, dont
notamment l’impact dépressif des mesures d’ajustement structurel sur la demande interne durant la décennie
quatre vingt (52). Si le classement des contraintes a quelque peu changé durant les années quatre vingt dix, le
poids de la contrainte « faiblesse de la demande » ayant diminué au profit des obstacles liés au comportement
de l’administration, du coût du financement et de l’insuffisance des ressources humaines, il n’en reste pas
moins vrai que l’environnement ou le « climat » des affaires est plus contraignant pour les PME comparative-
ment aux grandes entreprises, aux entreprises affiliées à des groupes marocains et aux filiales de groupes étran-
gers.Il en résulte un processus de marginalisation des PME qu illustrent les données du tableau no 5.
Ces contraintes s’ajoutent aux faiblesses internes aux PME (gestion « familiste » à court terme, sous capitali-
sation, sous encadrement et manque de transparence financière) et hypothèquent lourdement la capacité de
ces entreprises à faire face aux défis de la mondialisation et de la zone de libre-échange euro méditerranéenne.
Le problème de la compétitivité des PME est d’autant plus inquiétant qu’à l’érosion des avantages compé-
titifs traditionnels – apparition de pays concurrents où les coûts salariaux sont plus bas (53) – s’ajoute un
sérieux handicap en matière de qualité et d’innovation.

Tableau no 5 : Évolution des principales grandeurs économiques par


tranches de chiffre d’affaires (1984-1998)

Tranche de chiffre d’affaires (en Nombre d’entreprises (en %) Chiffre d’affaires (en %)
millions de dhs)

1984 1993 1998 1984 1993 1998


Moins de 1 38,5 35,6 28,2 1,0 0,6 0,6
1 – 10 40,2 41 43,7 9,5 7,8 5,6
10 – 50 21,3* 16,9 20,1 89,5 18,1 17,4
Plus de 50 6,6 8,0 73,4 76,4
Total 100 100 100
* Pourcentage d’entreprises réalisant plus de 10 millions de chiffre d’affaires.

Source : Images économiques des entreprises. Direction de la statistique.

406
L’amélioration de la qualité passe notamment par l’adoption d’une démarche de « qualité totale » (qualité
pour le client, qualité pour l’actionnaire et qualité pour les employés) et le recours de l’entreprise aux procé-
dures de normalisation, de certification et d’accréditation. Au Maroc, la certification à la qualité reste un phé-
nomène limité : on estime à un peu plus de 200 le nombre d’unités certifiés au Maroc, ce qui laisse ce
dernier loin derrière des pays à niveau de développement similaire (54).
L’adoption de la démarche qualité ne va pas sans poser des problèmes dans la mesure où elle se heurte au
style de management paternaliste du propriétaire – dirigeant et à l’absence d’implication du personnel de
base de l’entreprise
(55).
Pour ce qui est de l’innovation, sa faiblesse est illustrée par la modicité du nombre d’entreprises qui font
de la recherche – développement. D’après une enquête du Ministère du commerce et de l’industrie réalisée
entre 1999 et 2002, seulement 8 % des entreprises ayant répondu à l’enquête conduisent des travaux de
recherche de façon continue ou discontinue au sein de l’industrie marocaine. Ces entreprises représentent
toutefois 20 % du chiffre d’affaires de l’ensemble des entreprises de l’échantillon. L’effort moyen de R&D
s’élève à 1,4 % environ du chiffre d’affaires ; il est toutefois plus important dans les secteurs du textile
(4,5 % du chiffres d’affaires) et de l’électronique (2,4 % du chiffre d’affaires).
De manière plus globale, il semble qu’il existe quatre types de comportements en matière de R&D au sein
des entreprises marocaines (56).
Un premier type concerne les filiales de firmes multinationales qui profitent du potentiel scientifique et
technique de la maison – mère, ce qui leur permet d’avoir des produits compétitifs tant au plan des prix qu’à
celui de la qualité.
Un deuxième type de comportements concerne certaines grandes entreprises marocaines du secteur
privé dont les responsables sont conscients des enjeux de la R&D et y mettent autant de moyens qu’ils sont
en mesure de mobiliser.
Un troisième groupe d’entreprises est constitué par les PME – PMI dont les dirigeants sont convaincus de
la nécessité d’effectuer des travaux de R&D mais qui manquent de ressources pour le faire.
Enfin, une quatrième catégorie regroupe les entreprises familiales orientées vers le marché local qui ne
ressentent pas le besoin de faire de la R&D se contentant, quand cela s’avère nécessaire, de recourir au mar-
ché étranger pour acheter le matériel recherché. On constate par ailleurs, qu’elles ne sont pas très
conscientes des dangers de l’ouverture, soit parce qu’elles estiment qu’elles ne sont pas concernées par la
concurrence internationale, soit qu’elles considèrent qu’elles ont encore quelques années de sécurité devant
elles.

2.3. Des résultats décevants en matière de développement humain

La contribution du secteur privé au développement humain durant les décennies quatre vingt et quatre
vingt dix est loin d’avoir répondu aux attentes des pouvoirs publics. Cela est attesté par les performances
médiocres enregistrées en matière de croissance économique, de productivité et de compétitivité inter-
nationale. Un tel constat se vérifie également à travers la faible contribution au développement humain (créa-
tion d’emploi, initiatives « citoyennes »dans le cadre de la responsabilité sociale de l’entreprise).

407
2.3.1. Une croissance économique lente et volatile
Malgré l’importance des réformes structurelles entreprises et qui devaient mettre l’économie marocaine
sur le sentier d’une croissance forte et durable, le rythme annuel moyen de progression du PIB tendanciel
est passé de 4,1 % durant les années 80 à 2,9 % au cours de la dernière décennie.
Comparativement à un échantillon de pays émergents (Turquie, Malaisie, Pologne, Chili, Egypte, Tunisie,
Corée du Sud), le Maroc a enregistré le taux de croissance le plus faible (environ 3 %) durant la période 1995-
2001. Qui plus est, cette faible croissance se double d’une forte irrégularité dûe essentiellement à des
années de sécheresse récurrente.

2.3.2. Une faible croissance de la productivité


La faible croissance du PIB au cours de la décennie quatre vingt dix s’est accompagnée d’une baisse de la
productivité globale des facteurs. Certaines estimations des variations de la productivité globale des facteurs
ont montré que la contribution de la productivité à la croissance économique générale est tombée de 4,8 %
durant la période 1984-90 à pratiquement zéro au cours des années 90 (57).

2.3.3. Des problèmes persistants de compétitivité internationale


Les indicateurs relatifs aux difficultés que rencontre le Maroc pour faire face à l’exacerbation de la concur-
rence internationale sont nombreux. Ainsi, entre les deux périodes 1992 – 1997 et 1998 – 2003, le taux de
croissance annuel moyen des importations s’est élevé de 5,5 % à 6,6 % contre un recul pour les exporta-
tions de 9,3 % et 4 % respectivement (58). On relève aussi que, pour la première fois depuis 1992, les expor-
tations de marchandises ont enregistré en 2003 une baisse en valeur absolue évaluée à trois milliards de
dirhams. Les difficultés à l’exportation semblent s’aggraver durant la dernière période : le taux de couverture
a baissé de 73,9 % en 1997 à 61 % en 2003 alors que le taux de croissance annuel moyen (4 %) a été infé-
rieur aux taux de croissance nominal du PIB (4,4 %) durant la période 1998-2003.
Dans ces conditions, il n’est étonnant que la part des exportations manufacturières du Maroc sur le mar-
ché de l’Union européenne (0,2 %) en 2002 soit en retrait comparativement à celle de la Tunisie (0,3 %), de
la Malaisie (0,6 %), de la Turquie (1 %), de la Corée de Sud (1,1 %) et de la Chine (4 %).

La sous – compétitivité internationale du Maroc est dûe à la conjonction d’une série de facteurs dont les
principaux sont :
1. une structure des exportations faiblement diversifiée et fortement concentrée sur l’Europe comme des-
tination,
2. des produits à faible teneur technologique et une spécialisation dans des secteurs où la demande mon-
diale est peu porteuse, ce qui fragilise la croissance future potentielle du Maroc,
3. une main d’œuvre peu qualifiée, opérant dans des secteurs à faible valeur ajoutée.

2.3.4. Des performances modestes en matière de développement humain(59)


En matière d’emploi, le Maroc connaît un taux de chômage élevé (12,7 % de la population active en 2001)
comparativement à la Malaisie (3,8 %), à la Coré de Sud (3,9 %), à la Turquie (5,8 %), au Mexique (9,2 %), à
l’Egypte (9,3 %) et au Chili (10,1 %). Le Maroc enregistre par contre de meilleures performances que la Tuni-

408
sie (15,6 %) et la Pologne (16,2 %). Le chômage des jeunes reste particulièrement élevé au Maroc : il
concerne 36,1 % des jeunes de 15 à 24 ans contre 35,2 % en Pologne, 13,2 % en Turquie, 10,2 % en Corée
de Sud et 4,4 % au Mexique.
L’indicateur de développement humain, indicateur composite représentant la longévité (l’espérance de
vie), l’instruction et le niveau de vie dans un pays mais sans prendre en considération la qualité de vie, s’éta-
blissait au Maroc à 0,602 point en 2000, contre 0,691 pour les pays à développement humain moyen et 0,747
pour les pays à revenu intermédiaire (voir tableau no 6). Par rapport à l’échantillon de pays émergents, le
Maroc était classé 123e (sur un total de 173 pays), tandis que la Turquie, la Tunisie et l’Egypte occupaient res-
pectivement le 85e, le 97e et le 115e rang, loin derrière la Coré du Sud (27e), la Pologne (37e), le Chili (38e), et la
Malaisie (59e). Ce retard du Maroc semble s’expliquer en partie par la faiblesse du revenu par tête d’habitant
ainsi que par un taux d’analphabétisme relativement élevé.

Tableau no 6 : Évolution de l’Indice de Développement Humain

1997 1998 1999 2000


Corée du Sud 0,852 0,854 0,875 0,882
Pologne 0,802 0,814 0,828 0,833
Chili 0,844 0,826 0,825 0,831
Malaisie 0,768 0,772 0,774 0,782
Turquie 0,728 0,732 0,735 0,742
Tunisie 0,695 0,703 0,714 0,722
Égypte 0,616 0,623 0,635 0,642
Maroc 0,582 0,589 0,596 0,602

Source : PNUD, 2002, cité par A.Hidane, F.Bernoussi, M.Tourkmani, Diagnostic de l’atractivité du Maroc pour les investissements directs
etrangers, DPEG, document de travail no 82, 2002.

Conclusion de la deuxième partie

Le passage du Maroc d’un modèle de gouvernance économique de type interventionniste à un nouveau


modèle basé sur le triptyque libéralisation – privatisation – austérité avait pour objectif de relancer la crois-
sance économique et le développement grâce à la libération des énergies du secteur privé – national et
étranger – et la réorientation des activités productives vers l’exportation.
Les réformes économiques initiées à cet effet ne semblent pas avoir débouché sur l’émergence d’un sec-
teur privé dynamique et entreprenant, capable de jouer un rôle moteur en matière de croissance économique
et de développement humain.
L’analyse des trajectoires stratégiques des groupes privés marocains montre que ces derniers ne se sont
pas conformés aux prédictions du modèle économique libéral qui postulait un redéploiement de leurs activi-
tés vers les branches industrielles exportatrices où le Maroc dispose d’avantages comparatifs.
L’attractivité du Maroc pour les investissements étrangers, si elle s’est améliorée durant la deuxième
décennie, reste malgré tout insuffisante. L’afflux relatif d’IDE s’explique principalement par l’existence
d’opportunités d’affaires rentables, notamment celles induites par les privatisations. Bien que les entreprises

409
étrangères implantées au Maroc soient plus productives et orientées davantage vers l’exportation, leur
impact en matière de développement ne se fait pas encore sentir, notamment du fait des faibles externalités
induites par leur comportement économique.
Les petites et moyennes entreprises marocaines semblent par contre être sérieusement menacées par le
nouveau contexte concurrentiel. Si un certain dynamisme entrepreneurial s’est fait jour durant les années
dans l’industrie de la confection, il n’a pas pour autant contribué à lever les contraintes internes et externes
auxquelles continuent de faire face beaucoup de PME. C’est dire que la mise à niveau de cet important seg-
ment de tissu productif tarde à se concrétiser.
Au total, il s’avère que la contribution du secteur privé à la croissance et au développement reste limitée,
et ce aussi bien en matière de dynamisme économique, de productivité internationale qu’en ce qui concerne
l’indicateur de développement humain.

Quelques perspectives en guise de conclusion

L’analyse développée dans ce rapport a permis de souligner les limites internes et externes qui expliquent
la faible contribution du secteur privé au développement humain du Maroc. Et aussi bien le modèle inter-
ventionniste de gouvernance économique que son successeur de type néo-libéral n’ont réussi à faire que les
stratégies de profit poursuivies par ce secteur se traduisent par une forte augmentation des investissements
productifs, des gains de productivité significatifs, une plus grande priorité à l’effort d’innovation et une nette
amélioration de la compétitivité internationale de l’économie marocaine , se pose alors la question de savoir
quel modèle de gouvernance il faut retenir pour que le secteur privé joue réellement son rôle au service du
développement humain au Maroc : doit – on considérer que le modèle néo – libéral reste valable et que la
priorité doit être donnée à l’approfondissement des réformes économiques initiées depuis 1983 dans le
cadre de l’application des programmes d’ajustement structurel ?
Faut-il au contraire conclure de l’étude de l’expérience marocaine que ce modèle a montré son incapacité à
insuffler une nouvelle dynamique à la croissance et au développement tant du point de vue de la nature et de
l’ampleur des réformes économiques à entreprendre qu’en ce qui concerne le rôle moteur assigné au sec-
teur privé et aux marchés extérieurs ?
Suffit – il d’infléchir ce modèle dans le sens de la promotion de la responsabilité sociale des entreprises
pour qu’il produise ses pleins effets en matière de dynamisme économique et de développement humain ?
Ne devrait – on pas explorer les pistes d’un autre modèle de gouvernance économique où le secteur privé
contribuerait mieux au développement tout en satisfaisant les objectifs de création de valeur pour les action-
naires ?
C’est à une brève discussion de ces trois scénarios d’évolution du secteur privé et de son potentiel de
contribution au développement que nous souhaitons réserver cette conclusion générale.

Scénario no 1 : Poursuivre les réformes économiques libérales dans l’espoir que la maximisation de la
création de valeur pour l’actionnaire permettra d’optimiser son impact en matière de développement
humain.

Une telle approche est défendue par la Banque mondiale dans son rapport sur la mise à jour de la contribu-
tion du secteur privé (« le secteur privé : moteur de la croissance économique »). Pour les auteurs de ce rap-
port, le Maroc doit persévérer dans la voie des réformes économiques « afin de soutenir efficacement les
efforts du secteur privé et d’en faire le principal moteur de la croissance dans une économie ouverte et dyna-
mique ». Pour ce faire, il convient de :

410
– poursuivre les réformes dans les domaines de la politique budgétaire, du commerce extérieur et de la
privatisation (réduire le déficit budgétaire, élargir la portée de la libéralisation des échanges, évoluer vers
un régime de taux de change plus flexible...) ;
– initier des réformes institutionnelles et des réformes sectorielles spécifiques en vue d’améliorer le cli-
mat des affaires (réduire le fardeau administratif qui pèse sur les entreprises, améliorer l’efficacité du
système judiciaire, encourager le développement d’une main-d’œuvre bien préparée et flexible, faciliter
l’accès des petites entreprises aux ressources financières, aider les entreprises plus grandes à obtenir
des prêts à moyen terme dans des conditions plus favorables et renforcer les marchés financiers
comme source de financement à long terme).

Le renforcement du recours aux marchés financiers par les grandes entreprises ainsi que les réformes
micro-économiques touchant à la gouvernance de l’entreprise (ensemble de principes et de mécanismes qui
formalisent l’organisation du pouvoir et régissent les relations entre le management et les actionnaires) sont
censés rapprocher le mode de fonctionnement de l’économie et de l’entreprise marocaines du modèle capi-
taliste anglo-saxon caractérisé par le rôle prédominant de la finance de marché et son corollaire, la primat de
la maximisation de la richesse des actionnaires. Dans ce sens, le Maroc a mis en place un nouveau dispositif
législatif et réglementaire en vue de mieux protéger les investisseurs afin d’attirer les capitaux (loi sur la
société anonyme, loi sur la concurrence, loi bancaire, etc.).
Plusieurs remarques méritent d’être faites qui tendent à souligner les limites de ce modèle en tant que
stratégie de croissance économique et de développement humain.
La première remarque est relative à la compatibilité entre le primat de la création de valeur pour l’action-
naire et les exigences du développement humain. Théoriquement, la convergence entre ces deux objectifs
est possible dans les conditions de concurrence pure et parfaite. En d’autres termes, les entreprises servent
le mieux les intérêts de la collectivité lorsqu’elles maximisent la création de valeur pour l’actionnaire. Dans la
réalité, une telle convergence d’intérêts est loin d’être réalisée : d’une part, la maximisation de la valeur
actionnariale peut se traduire par d’importants coûts sociaux lorsqu’elle passe par des opérations de restruc-
turation (y compris les fusions et les absorptions) accompagnées de vastes plans sociaux (licenciements
massifs de salariés). Elle est souvent associée, d’autre part, à des structures de marché imparfaites dont les
effets négatifs peuvent être très sérieux. En outre, une telle maximisation de la valeur peut être obtenue à
travers des pratiques douteuses (délits d’initiés, manipulations comptables, etc.).
Enfin, certains théoriciens de la stratégie d’entreprise (60) ont montré que la pression exercée sur les
managers par les investisseurs institutionnels les amène à s’intéresser principalement au cours des actions
et à la réalisation de bénéfices à court terme, et ce aux dépens des objectifs porteurs d’investissements à
long terme et d’innovation (à titre d’exemple, des investissements pourtant stratégiques comme la formation
et la recherche et le développement sont sacrifiés dans les entreprises britanniques et nord-américaines). De
ce point de vue, les modèles asiatique et européen de gouvernance économique paraissent plus perfor-
mants.
La deuxième remarque est relative aux expériences de libéralisation menées dans différents pays et qui
ont montré leurs limites au cours des années quatre vingt dix. Le déclenchement de la crise asiatique, les
taux de croissance décevants du continent sud américain – région où les réformes libérales ont été les plus
importantes –, la catastrophe argentine ou encore l’insuffisance des résultats économiques des pays les
moins avancés ont en effet montré que la nouvelle vision du développement fondée sur la libéralisation pou-
vait aussi conduire à des échecs (61).
Les résultats sont particulièrement décevants pour le tissu productif : comme le remarque J.D. Ocampo,
« les éléments » destructifs « induits par la modification structurelle négative dans le jeu entre la croissance
et le déficit commercial et la rupture des structures productives et des systèmes nationaux d’innovation ont

411
été plus forts que les opportunités » créatrices « engendrées par l’accès (toujours insuffisant) au marché et
les innovations introduites par la prolifération des firmes multinationales » (62).
La troisième remarque est tirée de l’expérience de libéralisation de l’économie chilienne. Cet exemple
montre que si la réforme du système des incitations économiques peut être utile au développement, elle ne
saurait suffire en l’absence d’un État efficace et capable de créer les institutions nécessaires au bon fonc-
tionnement de l’économie de marché, et d’un potentiel inexploité de ressources humaines (professionnels e
techniciens hautement qualifiés qui ont rejoint le monde de l’entreprise et formé le capital culturel de la
modernisation économique) (63). Il souligne aussi que la dynamique entrepreneuriale est une affaire politique
et culturelle et qu’elle est avant tout le produit d’un processus social de longue haleine.
Au total, il s’avère que de sérieux doutes planent sur la capacité du modèle néo-libéral à favoriser l’émer-
gence d’un secteur privé dynamique et jouant le rôle de locomotive de la croissance économique et du déve-
loppent humain.

Scénario no 2 : Promouvoir la responsabilité sociale des entreprises, notamment en matière de déve-


loppement.
Face à la montée des mouvements sociaux contestataires qui reprochaient aux entreprises, surtout les
firmes multinationales, de récolter la plus grande part des bienfaits de la mondialisation et de la libéralisation,
tout en ne respectant pas l’environnement, les droits des travailleurs et plus généralement les droits de
l’homme, ces dernières ont cherché à jouer un nouveau rôle en mettant en avant les expressions de respon-
sabilité sociale des entreprises (RSE) et d’entreprises citoyennes. Celles-ci désignent le comportement
éthique des entreprises envers diverses parties prenantes (les clients, les fournisseurs, les employés, les
associations de consommateurs). Ces expressions peuvent être interprétées dans le sens du respect de la
loi, mais sont également associées à des initiatives volontaires : codes de conduite, diffusion d’informations
relatives aux conditions sociales et à l’environnement, et améliorations apportées à la prévention des acci-
dents du travail et des maladies professionnelles et aux systèmes de gestion de l’environnement.

Concrètement, la contribution du secteur privé au développement humain dans ce « scénario » serait tribu-
taire de la réunion de trois conditions principales :
1. un rôle proactif de l’État en matière de développement, notamment à travers la fourniture des biens col-
lectifs classiques générant des externalités positives (santé, éducation, maintien de l’ordre, régulation
des marchés...), la lute contre les externalités négatives comme la dégradation de l’environnement, la
garantie d’une protection sociale aux travailleurs et aux couches vulnérables, et l’investissement dans
les domaines d’intérêt public délaissés par le secteur privé, l’adoption d’une politique de partenariat
avec les secteurs privés ;
2. Un changement de comportement économique de la part du secteur privé en faveur de stratégie de
profit à long terme, basées surtout sur l’innovation et l’amélioration de la productivité. Ce qui exige des
transformations fondamentales dans le management et l’organisation de beaucoup d’entreprises pri-
vées composant le tissu productif marocain ;
3. Le développement de programmes de responsabilité sociale par les entreprises du secteur privé au
Maroc.

La réunion de ces conditions est susceptible, à notre avis, d’améliorer la contribution du secteur privé au
développement humain à condition toutefois que la RSE ne sert pas davantage à rehausser l’image du capital
privé qu’à s’attaquer aux problèmes de la pauvreté et de l’inégalité comme semble le montrer l’expérience
internationale dans ce domaine (64).

412
« Scénario » no 3 : un modèle de gouvernance du secteur privé au service du développement humain.
L’hypothèse retenue dans ce troisième « scénario » – peu probable au vu des évolutions en cours mais
souhaitable eu égard à notre problématique – consiste à supposer l’avènement de ruptures majeures dans
l’environnement international et interne qui favoriseraient l’optimisation de l’impact du secteur privé sur le
développement humain.

1. Au niveau international : une volonté politique réelle se manifeste pour changer le cours actuel de la
mondialisation pour lui donner une dimension sociale et éthique. Cela passe fondamentalement par la
mise en place d’une gouvernance mondiale éclairée et démocratique, dans l’intérêt de tous. À cet effet,
les changements suivants sont souhaitables (65) :
– les règles et politiques mondiales qui régissent le commerce et la finance doivent laisser une plus
grande marge de manœuvre aux pays du Sud (abandon de la conditionnalité imposée de l’extérieur, trai-
tement spécial et différencié pour ces pays) ;
– de nouvelles règles pour les investissements directs étrangers (IDE) et la concurrence sont adoptées.
Pour les IDE, « un cadre multilatéral équilibré et favorable au développement, négocié dans un forum
généralement accepté, sera bénéfique à tous ces pays en favorisant une augmentation des flux d’IDE
tout en limitant les pertes qui résultent de la surenchère à laquelle se livrent les différents pays pour atti-
rer ces investissements » (66) ;
– un minimum de protection sociale des individus et des familles est accepté comme faisant partie inté-
grante du socle socio-économique de l’économie mondiale ;
– le maintien à un haut niveau de la demande effective de l’économie mondiale grâce à une stratégie
visant une croissance mondiale durable et la réalisation du plein-emploi.

2. Au niveau régional : l’Union européenne décide d’aller au-delà da sa stratégie commerciale libre-
échangiste en Méditerranée pour adopter une politique de coopération plus hardie, notamment en
matière d’acquisition d’une capacité compétitive en termes de capital humain, d’infrastructures,
d’encouragements d’une entrée significative de capitaux extérieurs sous la forme d’IDE en particulier,
d’appui à l’intégration sud-sud, etc.

3. Au niveau interne :
– il s’agit de renforcer le rôle de l’État compétent et proactif tel que nous l’avons esquissé dans le « scéna-
rio » no 2 ;
– le secteur privé opte pour un modèle de management spécifique qui conjugue la recherche de la rentabi-
lité financière au respect des équilibres sociaux, l’initiative privée et les valeurs de solidarité, le déve-
loppement de l’espace concurrentiel et l’affirmation de l’engagement en faveur de la production du
développement humain. Concrètement, il s’agit de faire en sorte que les intérêts et les attentes des par-
ties prenantes (et pas seulement des actionnaires) soient explicitement intégrées dans les buts et les
stratégies de l’organisation, et que les considérations de développement humain soient fortement prises
en charge dans les pratiques du secteur privé (appui aux PME locales, programmes sociaux en matière
de santé et d’éducation, choix technologiques qui favorisent la création d’emploi, politique de salaires
appropriée pour soutenir la consommation interne et la croissance et permettre aux salariés d’éduquer
leurs enfants, promotion de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes,...).

413
Bibliographie

(1) P. Hugon, le renouveau des questions de développement dans un contexte de mondialisation, in « Ordre
et désordres dans l’économie-monde » (sous la direction de P. Dockès, PUF, 2002. 19.
(2) H. Bartoli, repenser le développement, Economica, 1999, p. 9-10.
(3) A. Belal, l’investissement au Maroc (1912-1964), éditions maghrébines, 1976, p. 219.
(4) Pour plus de détails, voir A. Berrada et M.S. Saadi, le grand capital privé marocain, in le Maroc actuel, ed.
du CNRS, Paris, 1992.
(5) Voir S. Belghazi (sous la direction), concurrence et compétitivité industrielle, publication du Cerab, 1997.
(6) L’État marocain a promulgué quatre codes d’investissement industriel entre 1958 et 1983.
(7) Cf. A. Berrada et M.S. Saadi, op. cit., pp. 362-365.
(8) D’après A. Berrada et M.S. Saadi, la contribution propre des investisseurs privés ne dépasserait pas, dans
le meilleur des cas, 10 à 15 % du coût de l’investissement, ceci si l’on tient compte des primes (de sélecti-
vité et/ou d’équipement) ou avances financières et des dégrèvements fiscaux associés dès le départ à
chaque opération d’investissement entreprise dans différents secteurs.
(9) Voir la thèse de N. El Aoufi, la régulation du rapport salarial au Maroc, tome II, éditions de la faculté de
droit, Rabat, 1992, p. 142 et suivantes.
(10) A. Darouich et M.S. Saadi, évolution du capital privé marocain depuis l’indépendance, in l’économie
marocaine en question, éditions Al Bayane, 1986, p. 77.
(11) Alors que la marocanisation officielle n’a concerné que l’industrie agroalimentaire, le bois, les tanneries,
le matériel de transport, le matériel électrique et électronique et la chimie et parachimie, nous avons pu
montrer qu’elle s’est étendue dans les faits à l’industrie textile, aux ouvrages en métaux, à la construction
de machines et matériel d’équipement et au « caoutchouc et plastique » (cf. notre ouvrage sur « les
groupes financiers au Maroc », éditions Okad, 1989, p. 64 et suivantes).
(12) Nous nous sommes basé pour rédiger ce paragraphe essentiellement sur notre ouvrage sur les groupes
financiers au Maroc, op. cité.
(13) Au Maroc, l’État peut à travers son action multiforme, favoriser telle ou telle fraction du capital privé, par
exemple en matière d’octroi de licences d’importation, d’autorisations de construire, des marchés et com-
mandes de l’État, de prêts des institutions financières publiques, de fixation du niveau de protection doua-
nière, etc. L’accès à l’appareil administratif de l’État devient alors une condition nécessaire pour réussir
dans les affaires, ce que les grandes familles marocaines ont vite compris puisqu’elles ont placé, dès le
lendemain de l’indépendance, des membres de leur famille ou des hommes de confiance aux postes-clès
de l’administration, voir M. S. Saadi, les groupes financiers au Maroc, op. cité.
(14) A. Berrada et M. S. Saadi, op. cité.
(15) Le degré de concentration foncière réel est souvent supérieur à celui annoncé par les recensements
pour deux raisons. Tout d’abord, un même agent économique est susceptible d’adjoindre à ses terres en
propriété d’autres qu’il prend en location verbale ou contractuelle et qui sont recensées comme propriétés
d’autres personnes. Ensuite, il est courant que plusieurs propriétés familiales constituent des domaines
agricoles uniques, alors qu’elles sont répertoriées séparément, voir J.P. Domecq et B. Roux, les acteurs
agricoles et ruraux face à l’intégration euro-méditerranéenne, in H. Régnault, intégration euro-méditerra-
néenne et stratégies é économiques, l’Harmattan, 2003.
(16) El Mesmoudi T, le crédit agricole et le développement de l’agriculture au Maroc, Rabat, Smer, 1982.
(17) Domecq J.P. et Roux B., op. cit.
(18) Ibid.
(19) Ministère du Plan, images économiques des entreprises, exercice 1984.

414
(20) A. Berrada et M. S. Saadi, op. cit.
(21) Voir A. Amri, l’accumulation du capital dans le secteur du bâtiment et des travaux publics et ses contra-
dictions ; mémoire de D.E.S, faculté de droit de Rabat, 1982.
(22) En 1989, les participations au capital social des 5200 plus grosses entreprises manufacturières se répar-
tissaient comme suit : 58 %, intérêts privés marocains, 27 %, secteur public, et 15 %, intérêts privés
étrangers, voir Banque mondiale, développement de l’industrie privée au Maroc, rapport principal, sept.
1993.
(23) Voir M. S. Saadi, les groupes financiers, op. cit.; pp. 198-200.
(24) Darouich A., intervention bancaire et concentration de capital au Maroc, mémoire de DES en sciences
économiques, Faculté de droit de Rabat, 1989.
(25) Plusieurs facteurs expliquent le recours aux techniques intensives en capital, dont notamment la néces-
sité de fabriquer un produit similaire à celui qui était importé auparavant ainsi que la disponibilité de crédits
à faible taux d’intérêt.
(26) L’étude du ministère de l’industrie sur la structure des incitations dans le secteur industriel (étude
interne, février 1983), a estimé que les prix industriels marocains étaient en moyenne de 20 % plus chers
que les prix sur le marché mondial. Par ailleurs, les pratiques d’ententes et de cartellisation des marchés
s’étendaient à d’autres secteurs tels que le commerce de gros ou le secteur financier (pour des exemples,
voir notre ouvrage op. cit.
(27) Dar al Handassah, rapport no 2, croissance, transformations structurelles et perspectives de l’industrie
marocaine, Rabat, 1979, p. 110. La même étude relève que l’éventail des productivités des différentes
branches est très ouvert avec une forte productivité pour le raffinage de pétrole et les boissons et tabacs
alors que les industries traditionnelles (textile et habillement, autres produits alimentaires et cuir et chaus-
sures) ont des productivités inférieures à la moyenne.
(28) A, Belal, développement et facteurs non économiques, Smer, 1981, p. 58.
(29) Ibid., p. 70.
(30) A. Berrada, M. Chiguer et A. Darouich, le grand capital privé marocain, Al Asas, no 49.
(31) F. Oualalou, propos d’économie marocaine, Smer, 1980, p. 152-153. Voir aussi le rapport de la Banque
mondiale sur le développement économique et social du Maroc, Washington, 1981.
(32) Il s’agit notamment des processus de mondialisation et de régionalisation de l’économie.
(33) J. Stiglitz, la grande désillusion, Fayard, 2002.
(34) Voir le rapport de la Banque mondiale sur la mise à jour de l’évolution du secteur privé, décembre 1999.
(35) Jbili A, la réforme du secteur financier au Maroc et en Tunisie, in « le secteur financier marocain : bilan et
perspectives », colloque organisé par l’AMIF, Rabat, 1998.
(36) À titre d’exemple, le rapport de la Banque mondiale sur le développement de l’industrie privée au Maroc
(1993) fixait des objectifs très ambitieux pour ce secteur pour la période 1993-2000 : croissance de la pro-
duction manufacturière (5 à 10 % par an contre 3,8 % en 1986-91), croissance des exportations manufac-
turières (10 à 20 % par an contre 16 %), part du secteur manufacturier dans le PIB (18 à 25 % contre
18 %), investissement industriel privé interne (3 à 5 % du PIB contre 1, 7 %), investissement extérieur
direct dans l’industrie (1 à 15 % du PIB contre 0,5 %)...
(37) A. Mezouar et J. P. Semeriva, managers et changement au Maroc, éditions CRD, LMS Conseil, 1998.
(38) Amar Drissi, engagements pour la modernité au sein du groupe ONA (1994-2000), in « l’entreprise maro-
caine et la modernité, ouvrage collectif sous la direction d’A. Mezouar, CRD, 2002.
(39) Voir l’entretien accordé par le PDG de l’ONA à l’hebdomadaire « la Vie économique », 21 mai 2004.
(40) Voir notre contribution à l’ouvrage collectif « concurrence et compétitivité industrielle au Maroc » (sous la
direction de S. Belghazi), publications du Cerab, 1997.

415
(41) L’attrait du secteur bancaire s’explique fondamentalement par la rentabilité qu’il génère (Wafabank a réa-
lisé un taux de rentabilité des fonds propres de 20 % en 1992).
(42) Voir le dossier consacré à l’industrie des boissons et glaces par la revue Conjoncture no 783, juillet 1998.
Le magasine « économie et Entreprises » du mois de février 2004 a aussi abordé cette question.
(43) Cité par Y. Belktibia dans son rapport sur l’ouverture des banques marocaines aux capitaux étrangers,
Cycle supérieur du Commerce international, ISCAE, 2004.
(44) J. Bouoiyour et S. Toufik, productivité des industries manufacturières marocaines et investissements
directs étrangers, in « intégration euro-méditérranéenne et stratégies économiques, l’Harmattan, 2003. +
tableau, critique économique, no 9, p. 116.
(45) La décomposition internationale des processus productifs correspond au fait simple que la production
d’un bien final est séparée en opérations distinctes, effectuées dans des pays différents. Ce phénomène
est rendu possible grâce au progrès technologique et à la libéralisation des échanges de biens et de capi-
taux. La DIPP donne lieu à des échanges intenses de biens intermédiaires.
(46) L. Fontagné et N. Péridy, le renouveau de l’insertion des pays du Maghreb dans les échanges mondiaux,
annales marocaines d’économie, no 15, 19896.
(47) A. Trigo, commerce intra branche et intégration Nord-Sud, in « intégration euro-méditerranéenne et stra-
tégie économique », op. cit.
(48) Données tirées du livre blanc sur la PME, Ministère chargé des affaires générales du gouvernement,
Rabat, 2000.
(49) M. Berrada, l’entreprise marocaine et le cycle d’exploitation, table ronde « relations banques-entre-
prises », faculté de droit de Rabat, novembre 1985.
(50) S. Leymarie et J. Tripier, op. cit., p. 97.
(51) Ibid.
(52) Une étude du ministère du commerce et de l’industrie sur la sous – utilisation des capacités de produc-
tion en 1988 classe l’insuffisance de la demande interne en tête des facteurs explicatifs de cette situation.
(53) Dans les branches industrielles à forte intensité de main d’œuvre telles que le textile et l’habillement, les
salaires au Maroc sont environ deux fois plus élevés qu’en Chine et quatre fois plus élevés qu’en Inde au
moment où la productivité du travail dans ces deux pays est presque la même qu’au Maroc, d’après H.
Alaoui et I. Boumahdi, analyse du mode de financement, de la productivité et du coût de la main d’œuvre
des entreprises industrielles au Maroc, DPEG, ministère des finances, Rabat, 2003.
(54) N. Benabdeljalil, démarche – qualité et changement organisationnel dans les PME marocaines, Critique
économique, no 13, 2004.
(55) Ibid.
(56) M. Lahlou, le transfert de technologie au Maroc, GTZ (coopération allemande au Maroc, Rabat, 2003.
(57) Banque mondiale, mise à jour de l’évolution du secteur privé au Maroc, rapport no 199975-Mor, déc.
1999. Plusieurs causes expliquent la stagnation de la productivité dont, notamment, une insuffisante
accumulation du capital, une mauvaise allocation des ressources qui ne se réalise pas dans les emplois les
plus productifs et une faible contribution du progrès technique.
(58) M. Tourkmanu et H. Alaoui Mrani, compétitivité des exportations au Maroc, DPEG, ministère des
finances, document de travail no 97, février 2004. Les données utilisées dans ce paragraphe sont tirées de
ce document.
(59) Les données contenues dans ce point sont tirées de l’étude A. Hidane, F. Bernoussi, M. Tourkmani,
Diagnostic de l’attractivité du Maroc pour les investissements directs étrangers.
(60) G. Johnson, K. Scholes et F. Fréry, Stratégique, deuxième édition, Pearson Education, 2002.
(61) J. A. Ocampo, Repenser la question du développement, problèmes économiques no 2816 du 2 juillet
2003.

416
(62) Ibid.
(63) Voir C. Montero Casassus, les nouveaux entrepreneurs : le cas su Chili, l’Harmattan, 1997. Le Chili a
réussi à réussir ces conditions qui ont favorisé la relance économique et un fort dynamisme à l’exportation.
Les activités développés se sont toutefois confinées à l’agro-industrie et à l’exploitation de ressources
nationales aux dépens des exportations manufacturières à fort contenu technologique.
(64) Voir par exemple l’ouvrage de l’Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social
(UNRISD) sur « les recherches pour le changement social », Genève, 2004.
(65) Voir OIT, « une mondialisation juste, créer des opportunités pour tous », Commission mondiale sur la
dimension sociale de la mondialisation, 2004.
(66) Ibid., p. xiii.

417
Introduction

Il est admis, de nos jours, que les activités du secteur informel dans les villes marocaines occupent une
place importante dans la création d’emplois, l’acquisition des qualifications, la distribution des revenus et les
modes de produire et de consommer. Ces activités produisent des biens et services pour des populations à
faibles revenus, dans l’impossibilité d’accéder aux services ou aux formes de redistributions étatiques. Dans
les villes du Maroc, le nombre élevé de petits métiers et d’activités de rue qui se développent frappe souvent
l’observateur... Des artisans concentrés dans des quartiers par métiers dans les médinas, des transporteurs,
des petits ateliers de réparation auto, de plomberie, des maçons, des femmes de ménages, marchands
ambulants etc. Ces activités jouent un rôle important dans le fonctionnement économique mais aussi dans la
régulation sociale du pays.
Au Maroc, les estimations du secteur informel varient selon les définitions, le champ retenu par les
enquêtes et les hypothèses à la base de telles estimations 1. Selon la dernière enquête 2, il occupe 39,0 % de
l’emploi non agricole. L’existence du secteur informel, son ampleur et sa complexité, sont à resituer dans la
longue durée de la société marocaine en tant que dynamique induite à la fois par le mode de développement
que par les dynamiques endogènes.

Objectifs et méthodologie

Le présent rapport se propose de donner une vue d’ensemble sur le secteur informel depuis l’indépen-
dance, son ampleur, sa nature, ses déterminants, le contexte dans lequel il s’est consolidé, ses potentialités,
les contraintes qu’il vit et sa dynamique. Il se propose enfin de se pencher sur les relations de l’informel et de
l’État et sur les perspectives d’évolution.
Les données statistiques présentées dans ce rapport sont principalement extraites de deux enquêtes et
d’une étude réalisées auprès des micro entreprises informelles 3 : Il s’agit de l’enquête nationale sur le sec-
teur non structuré localisé (ENSIL) réalisée en 1988, de l’enquête nationale sur le secteur informel non agri-
cole (ENSINA) en 2000, et de l’enquête sur le secteur informel localisé en milieu urbain (ESILMU 1999) par le
ministère de l’emploi des affaires sociales et de la solidarité. Les deux enquêtes furent menées par la Direc-
tion de la Statistique (DS). Les autres sources indirectes utilisées, se réfèrent aux enquêtes emploi, à la rétro-
spective statistique (février 2004), à la base de données internationales et enfin à nos propres travaux.

1. Sur la base du critère de la population active non agricole et non salariée, tiré du recensement de la population de 1982, la part des activités
informelles dans l’emploi total est estimée à 56.9 %. Voir M’Rabet, M, « L’emploi au Maroc : Sources d’information, niveaux, structures et diffi-
cultés d’approches ». Séminaire sur les statistiques de l’emploi et du secteur non structuré. Rabat, 1984.
2. L’enquête a touché 8.890 unités de production informelles (UPI) identifiées à travers l’enquête nationale sur l’emploi de 1999. L’UPI rete-
nue dans l’enquête correspond à toute unité de production de biens et/ou de services ne disposant pas de comptabilité complète (ou formelle).
3. Enquête Nationale sur les entreprises non structurées localisées en milieu urbain, Rabat, 1988; Enquête Nationale sur le Secteur Informel
Non Agricole, 1999/2000; Direction de la statistique, Rabat, 2003 – Enquête sur le secteur informel localisé en milieu urbain. Direction de l’emploi,
Ministère du Développement Social, de la Solidarité, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle, Rabat 1997.

421
Limites méthodologiques

Les premières données disponibles sur le secteur informel, remontant à la première enquête réalisée en
1988, il s’avère donc difficile d’établir des tendances antérieures à cette date. En second lieu, les études et
enquêtes significatives réalisées, résultent d’enquêtes auprès d’entreprises (pour celles de 1988 et de 1999)
et d’une enquête statistique mixte combinant unités de production informelles et ménages (pour celle de
2000). Elles portent certes, sur des échantillons représentatifs mais ne reposent pas sur les mêmes bases.
Les champs d’observation diffèrent d’une enquête à l’autre. C’est ainsi que les enquêtes de 1988 et de 1999
ne prennent en considération que les unités localisées de moins de dix emplois de production, de services et
de commerces pour la première, auxquelles s’ajoutent celles du bâtiment pour la seconde. Elles excluent de
leur champ les activités considérées comme « marginales » (ambulants, activités non sédentaires...), ne
s’intéressant qu’à la strate la plus « moderne » de l’informel. Elles n’intègrent pas non plus les activités pro-
ductives des femmes en tant qu’aides familiales, recensées plus comme femmes au foyer.
L’enquête de 1999/2000 ne prend pas en considération le critère emploi et s’élargit aux unités non locali-
sées ambulantes et aux unités opérant à domicile. De toute évidence, ces sous estimations et champs diffé-
rents ont des implications sur l’appréciation quantitative des activités informelles.

Le présent rapport s’articule autour de six axes principaux :


1. Les définitions et les caractéristiques du secteur informel ;
2. Le contexte, et les causes de consolidation du secteur informel ;
3. Le fonctionnement du secteur informel : Ses potentialités et contraintes ;
4. La dynamique de l’emploi informel ;
5. L’informel et l’État ;
6. Les perspectives.

1. Définitions et caractéristiques

1.1. Différentes approches

L’intérêt porté au secteur informel date des années 1970. Le terme lui-même est à l’initiative de K.Hart
dans son étude sur le Ghana. L’apparition de cette notion et de cette problématique est à rattacher au
constat d’échec en matière d’emploi, en Afrique, à la fin des années 70.
Il n’existe pas de définition clairement reconnue. Celle de la microentreprise informelle, peut changer d’un
pays à un autre et même dans un seul pays, d’une enquête à une autre. Par ailleurs, les définitions ont évo-
lué, selon les théories, le rôle que joue ou qu’on voudrait faire jouer à ce secteur.
Selon une perspective dualiste, certaines définitions s’appuient sur des critères de repérages. Le secteur
informel est ainsi défini, à partir de critères présentés comme l’image inversée du secteur formel. Cette
approche est remise en question, du fait de sa vision statique, de la non prise en considération des relations
existantes entre les deux secteurs...La théorie dualiste, inspirée du modèle de Lewis (1954), postule l’exis-
tence d’une séparation entre le secteur formel et le secteur informel qui se traduit par le maintien de dispari-
tés sur les marchés du travail, sur celui des biens et sur celui de la monnaie.

422
D’autres définitions, fonctionnalistes identifient l’informalité à la pauvreté et à la marginalité. C’est dans les
relations entre le formel et l’informel et les liens de dépendance entre les deux secteurs, qu’il faut définir
l’informel. Cette approche qui considère le secteur informel comme un simple lieu de survie, de la margina-
lité et comme simple poche de la pauvreté ne peut rendre compte de la réalité hétérogène du secteur en
question.
Enfin, une dernière génération de définitions (H. De Soto, 1994), plutôt néo institutionnalistes, définit
l’informel comme l’illégal, par référence et par opposition à l’État et à sa réglementation. C’est tout ce qui
échappe à la réglementation étatique. Là également la réalité du secteur étudié est beaucoup plus complexe
(voir infra).

Définitions internationales du Bureau International du Travail (BIT)


Le BIT dans son rapport sur le Kenya de 1972, rapport qu’il convient de considérer comme ayant posé les
jalons de cette problématique, distingue sept critères pour définir le secteur informel : la facilité d’entrée à
l’activité, un marché de concurrence non réglementé, la propriété familiale des entreprises, l’échelle res-
treinte des activités, le recours aux réserves locales, le recours à une technologie adaptée et à une forte
intensité de travail, une formation acquise hors du système scolaire. Cette définition au fil des enquêtes et
monographies va évoluer pour intégrer d’autres critères de repérage.
La dernière définition et critères de l’informalité proposés par cet organisme sont « le faible lien avec les
institutions officielles, un faible niveau d’organisation, des unités qui opèrent à petite échelle et de manière
spécifique, avec peu ou pas de division entre le travail et le capital en tant que facteurs de production. Les
relations de travail, lorsqu’elles existent, sont surtout fondées sur l’emploi occasionnel, les relations de
parenté ou les relations personnelles et sociales plutôt que sur des accords contractuels comportant des
garanties en bonne et due forme » (BIT, 1993a et b)
Par ailleurs on cherche de plus en plus à distinguer l’emploi informel du secteur informel. Selon le BIT (BIT,
2002) l’emploi informel se définit par les traits de l’emploi occupé. Il s’agit du non enregistrement, de
l’absence de contrat ou de protection sociale (emplois non protégés). Le secteur informel se définit par les
caractéristiques de l’unité économique dans laquelle travaille la personne, l’emploi informel étant considéré
comme une de ses composantes (Charmes 2003). Dans le cadre de ce rapport, c’est du secteur informel
qu’il sera question.

Les définitions de l’unité de production informelle au Maroc (Direction de la Statistique)


Dans le cadre des différentes enquêtes de la direction de la statistique, le critère de repérage privilégié est
celui de l’absence de tenue de comptabilité complète. L’ENSINA 1999/2000 définit comme « unité de pro-
duction informelle, toute organisation destinée à la production et/ou à la vente de biens ou à la prestation de
services et ne disposant pas de comptabilité complète décrivant son activité et ce, conformément à la loi
comptable en vigueur depuis 1994 ». Le champ d’investigation concerne toutes les unités non agricoles mar-
chandes (quelque soit leur taille) et exclut les activés non marchandes pour compte propre et les ménages
employant du personnel domestique contre rémunération. En dépit des limites citées plus haut, on s’accorde
sur l’existence de nombre de caractéristiques communes identifiées également au Maroc : multiplication des
unités, date récente de leur création, jeunesse des actifs, importance de l’apprentissage sur le tas, faiblesse
du capital engagé...
Au Maroc depuis le début des années 80, la plupart des études font ressortir les caractéristiques socio-
démographiques (qualifications, revenu, statut...) des actifs. Le secteur informel est dominant dans la sphère
urbaine (71,6 % des unités). Sont principalement concernées, certaines branches d’activité dans les secteurs
employant une main d’œuvre essentiellement non salariée (alimentaire, textile, cuir, bois, travail des métaux,

423
construction, réparation de véhicules et d’articles personnels, commerce de détail...). Les micro entreprises
de commerce dominent (notamment ambulant), suivi de l’industrie (confection, cordonnerie..), des services
et le bâtiment. Près de la moitié des unités informelles ne disposent pas de local et 11,1 % exercent leur acti-
vité à domicile. La répartition géographique fait apparaître que la région Tanger Tétouan, Doukkala, Meknès,
Fès, l’oriental, sont des pôles de concentration, relativement aux régions de Casablanca, Rabat Salé, et Taza
El Hoceima.
Les liens sont plus ou moins étroits entre les unités formelles et informelles. Certaines activités sont le
sous produit de la grande industrie (réparation télé, auto, machines à coudre...) alors que d’autres tirent partie
uniquement des matières premières locales notamment pour les produits alimentaires.

1.2. Hétérogénéité des activités du secteur informel

Le secteur informel est un secteur d’une grande hétérogénéité, tant par ses activités, que par les dif-
férences de potentialités de celles-ci ou par les acteurs qui y interviennent.
L’informel est, en effet, une notion polysémique utilisée pour recouvrir des réalités aussi diversifiées que
l’artisanat traditionnel, le commerce de rue, l’emploi non déclaré, la micro entreprise, le travail à domicile, les
prestations de services (services personnels, d’entretien, de réparation...), les activités de transport, la
contrebande ou le narcotrafic. Les secteurs d’activité économique incluent, outre celles citées, le secteur
financier informel, qui joue un rôle majeur.
Il convient, cependant, de faire une distinction entre économie informelle et activités du secteur informel,
car on a souvent tendance à les confondre. Les secondes n’étant qu’une des quatre composantes de la pre-
mière (Voir encadré 1).

Encadré 1

L’économie informelle comporte quatre composantes : la production du secteur informel, l’économie souterraine, la
production illégale, et la production pour usage final propre (J. Charmes 2003).
Contrairement aux activités illégales ou à l’économie souterraine, les activités du secteur informel ne s’expriment pas
toujours par une volonté délibérée de se cacher et de transgresser les obligations légales.
L’économie souterraine renvoie aux activités qui se dissimulent afin d’échapper à la réglementation étatique (paie-
ment des impôts, revenus, charges sociales, salaire minimum, les normes d’hygiène et de sécurité).
L’économie illégale, recouvre des activités qui sont interdites par la loi (drogue, prostitution, ...), soit parce qu’elles
sont exercées par des personnes non autorisées (exercice illégal de la médecine), ou encore des activités telles que la
contrebande, la contrefaçon, la corruption ou le recel de biens volés. Bien qu’interdites, ces activités peuvent s’exercer
au grand jour.
La production pour usage final propre est une composante non marchande importante de la production de biens par
les ménages.

L’hétérogénéité du secteur informel se réfère, par ailleurs, à deux catégories d’activités. Les activités invo-
lutives qui sont des activités de survie, proliférant en période de crise économique et sont majoritairement
exercées par les catégories vulnérables dans le cadre d’auto emploi et/ou par les femmes et les enfants. La
deuxième catégorie comporte les activités évolutives disposant de potentiel d’emplois, de revenus et
d’accumulation de capital et qui, par certaines de leurs caractéristiques, sont proches des entreprises for-

424
melles. Au Maroc, ces entreprises sont généralement celles qui ont plus de quatre actifs, sont pour nombre
d’entre elles enregistrés sur les fichiers des patentes (49,9 %) et disposent de locaux professionnels (68 %).
Certains métiers n’opèrent pas uniquement en direction du marché domestique mais peuvent accéder aux
marchés étrangers, comme ceci est le cas de certaines strates de l’artisanat, mais d’une manière générale,
les activités informelles ne sont guère intégrées au marché mondial 1. Il s’agit toutefois de souligner que
cette catégorie haut de gamme de l’informel n’est guère dominante, ne représentant que 4,8 % des unités
informelles (ENSINA 2000 p. 33).

2. Contexte et causes de consolidation des activités du secteur


informel

L’ampleur du secteur informel, sa complexité sont enchevêtrées dans des facteurs historiques s’expli-
quant à la fois par les limites des politiques de développement mises en œuvre au cours des dernières
décennies, les ruptures et les réversibilités qui en découlent, l’affaiblissement des institutions économiques
et réglementaires officielles. D’une manière générale, ces activités sont la conséquence de la migration, de
l’urbanisation, de la crise de l’emploi officiel, de la situation sur le marché du travail, des difficultés de l’État à
réguler l’activité économique, des politiques économiques mises en œuvre (PAS) et de la montée de la pau-
vreté. Elles constituent un phénomène induit à la fois par les modes de développement que par la spécificité
des régulations sociales et endogènes. Nombre de causes observées depuis les dernières décennies, per-
sistent.

2.1. Tendances démographiques : Urbanisation et migration

Le mouvement d’urbanisation et la migration de la campagne vers la ville et a été sans précédent au Maroc
à partir du milieu des années 1970. La genèse et le développement du secteur informel sont indissociables
de la logique historique des formes prise par la migration et des dynamiques démographiques. Le taux de
croissance urbaine a été sans précédent dans les années 1960 et 1970, taux supérieur à celui de la popula-
tion totale : en moyenne de 4,2 % dans les années 60 et de 4,4 % dans les années 70.

Tableau 1 : Taux d’accroissement annuel de la population et de la population urbaine

Années 1961 1970 1977 1982 1993 1994 1998 2000 2002
Taux d’accroissement de la 2,54 2,57 2,6 2,94 1,85 1,92 1,7 1,65 1,58
population
Taux d’accroissement de la 4,24 4,32 4,42 4,48 3,36 2,42 2,9 2,85 2,85
population urbaine

Source : tableau constitué à partir de rétrospective statistique, et rapport sur le développement humain 2003

1. Pour certaines d’entre-elles, elles dépendant en amont des biens importés.

425
En dépit du ralentissement du taux de croissance démographique observé ces toutes dernières années,
celui-ci demeure l’un des plus forts du monde (3 % par an) 1. Les migrants provenant du monde rural qui se
sont installés dans des villes et dans les périphéries, ont crée leurs activités sur place ou à proximité dans les
bidonvilles ou dans les Médinas. Il faut ajouter que les migrations sont indissociables du faible dynamisme du
secteur agricole, dans l’incapacité d’atténuer l’exode rural et qui, depuis plus de quarante ans, contribue à la
montée de la population urbaine. Les politiques d’intervention en milieu rural et leurs effets, les ruptures
intervenues dans les systèmes agricoles et les modes de régulations communautaires donnent une configu-
ration particulière aux formes prises par la migration et conditionnent la genèse et l’extension des activités
informelles.

2.2. Mode de développement et l’incapacité du secteur moderne


de l’économie à absorber le croît de main d’œuvre issue
de l’émigration

Le mode de développement initié depuis l’indépendance s’est révélé peu employant. En effet, comme bon
nombre de pays en développement, le Maroc a connu après l’indépendance un modèle d’industrialisation
centré sur l’import substitution, jusqu’à la fin des années 1960 et, après l’épuisement de ce dernier, sur la
promotion des exportations à partir de 1973. Dans le contexte des années 60 et 70, il était plus question de
secteur moderne et de secteur traditionnel. Selon une vision dualiste de l’économie, le premier devait absor-
ber le second. Le secteur informel est considéré comme un ensemble transitoire, en voie de disparition sans
lien avec le secteur formel. Mais que ce soit dans le cas de l’industrialisation par substitution d’importation
ou le second modèle, le mode de développement mis en place s’est révélé peu employant et dans l’incapa-
cité de développer massivement le salariat. Dans le premier cas, l’extension du salariat se trouve freiné par
une forte dépendance externe du système productif, des capacités de production inutilisées... Cette situa-
tion se traduit par des substitutions au niveau des activités dites informelles et l’orientation vers les marchés
extérieurs.
La promotion des exportations, initiée dans les années 1970 et se prolongeant dans le contexte de l’ajuste-
ment structurel, quant à elle, suppose une compression des salaires afin de rester compétitive sur les mar-
chés extérieurs, et un déplacement de la demande finale vers l’extérieur. Dès lors, ce mode
d’industrialisation n’a pu développer le salariat. Contrairement au processus de développement qu’on connu
les pays industrialisés, les pays en développement n’ont connu qu’une « salarisation restreinte » et une
« fixation restreinte » dans le salariat.
Il faut ajouter à cela, la faiblesse de l’État providence. L’épuisement du rôle régulateur de l’État, ses diffi-
cultés de prendre en charge les besoins sociaux de santé, de logement, de formation..., font que les activités
informelles de petite production de commerce ou de service sont appelées à assurer cette fonction (R. Mej-
jati 1994). Elles correspondent à un ensemble de pratiques sociales et de comportements économiques
assurant la socialisation du travail, sans que l’État soit appelé à intervenir directement comme dans les pays
développés.

1. Voir A.Chevallier et D.Kessler, 1989.

426
2.3. La situation sur le marché du travail et la crise de l’emploi officiel

La situation sur le marché du travail est des plus sinistrée, durant les années 1980 et 1990 par rapport aux
décennies antérieures.
C’est ainsi que la population active occupée augmente de 3,75 % par an entre 1989 et 1996, tandis que le
chômage s’accroît deux fois plus vite (soit environ 7,5 % par an) entre 1990 et 1996.
Le chômage urbain a doublé entre 1976 et 2000 et touche des catégories plus que d’autres. De 10,8 % en
1976 à 18,4 % en 1984, 22 % en 2000 et 20 % en 2002 (rétrospective statistique 2004). Le chômage affecte
prioritairement les jeunes, les femmes et les diplômés.
La partition selon le sexe montre, en effet, que les femmes sont plus touchées que les hommes. Le taux
de chômage en milieu urbain est passé entre 1976 et 2003 de 10,1 % à 17,4 % pour les hommes, et de
12,3 % à 25,8 % pour les femmes. Ainsi, le chômage est général certes, mais inégal. Il est massif mais
sélectif. Il existe un surchômage des femmes. Non seulement, le chômage féminin est plus élevé que le
masculin, mais il est surtout plus permanent et plus durable, moins visible et plus toléré, plus difficile à quan-
tifier à partir des instruments classiques 1.
Les taux de chômage croissent avec les niveaux d’instruction. Mais la situation des femmes est beaucoup
plus problématique. Le chômage qui persiste dans la sphère urbaine est un déterminant majeur de l’insertion
dans l’informel tel que le confirment les données sur les motivations des chefs d’unité pour l’exercice de
l’activité ; 34,3 % parmi eux ont en effet déclaré s’être insérés dan l’informel en raison du chômage, cepen-
dant que la recherche d’un meilleur gain (20,8 %), la tradition familiale (14,2 %) ou le caractère indépendant
du travail (22,3 %) n’interviennent que comme motivations secondes (ENSINA, 2000). Les enquêtes anté-
rieures vont dans le même sens.
La diminution de l’offre d’emploi dans le secteur l’industriel et manufacturier et sa faible augmentation
dans l’administration, la montée des formes non salariales et du salariat non permanent débouche sur une
augmentation de la pluri-activité. (Voir Rapport Baraka + Benrida).
La dégradation du salariat et la montée des catégories vulnérables. La tendance à l’effritement de la rela-
tion salariale est le signe de l’informalisation de l’emploi. La salarisation est en perte de vitesse, même si le
salariat occupe la première place au sein de la population active ! La proportion des salariés dans la population
active de 15 ans est plus, est passé de 43,3 % en 1987 à 38,4 % en 2000 et 39 % en 2002 (GDR 2003).
Non seulement le salariat recule mais il se fragilise. En effet, au delà de la régression du salariat, c’est la
réduction des horaires de travail et la pratique du salariat temporaire qui se développent, accentuant la préca-
rité des actifs et favorisant la double activité dans le secteur informel. Ainsi, la crise de l’emploi et la mise en
défaut de l’emploi salarié ont accéléré la montée de formes d’activité non salariales. Les statistiques des
situations professionnelles révèlent en effet la montée de l’emploi indépendant et de l’auto emploi, des aides
familiales en particulier dans le monde rural.
Enfin, on assiste à une réallocation progressive des effectifs en direction du tertiaire. L’essoufflement du
dynamisme dans le secteur secondaire semble avoir plutôt renforcé le secteur tertiaire (services et com-
merce), secteur soumis de plus en plus à l’informalisation. L’évolution de la structure de l’emploi global par
secteur d’activité économique entre 1971 et 2002 est significative. La chute de l’emploi dans le secteur pri-
maire et secondaire (de 25 % à 20,1 % entre les deux dates) s’accompagne d’une montée de celui-ci dans le
secteur tertiaire où les effectifs employés sont passés de 25 % à 35,5 %. Dans le milieu urbain, la tendance
est plus accentuée. La part du tertiaire dans l’emploi global est passée de 58.7 % à 62,2 % entre la décennie
70 et 2002 (Voir Rapport Baraka + Benrida).

1. Les femmes oscillent plus que les hommes entre inactivité et chômage, ce qui rend leur chômage invisible et il est sous estimé.

427
Cette expansion du tertiaire est révélatrice non pas d’un changement profond dans la structure productive,
comme c’est le cas dans les pays développés, mais de l’importance et de l’évolution nouvelle du secteur des
services et commerce, en particulier dans sa composante informelle. Un nombre croissant de personnes
sans emplois, ou insuffisamment employées ont dû se réfugier dans ce secteur, qui ne requiert ni capital
important ni hautes qualifications.

2.4. La montée de la pauvreté

Les études sur la pauvreté (Banque Mondiale 2001, DS 1999), révèlent que celle-ci a augmenté entre 1991
et 1999. L’incidence de la pauvreté est passée de 13,4 % à 19 % de la population, ce qui classe le Maroc à la
124e place dans l’indicateur du développement humain (l’IDH). La pauvreté affecte prioritairement les ruraux
(six pauvres sur dix), les femmes, de même que les travailleurs du secteur informel. La pauvreté a largement
contribué à l’extension des activités informelles, en raison des incidences qu’elle exerce sur les revenus. Ce
qui conduit les ménages pauvres à opter pour des stratégies de recherche de complément de revenus, dans
les activités informelles ou par la pluriactivité...

2.5. Le Programme d’ajustement Structurel (PAS) et ses incidences :


Les années 80 et 90 et le changement de discours

Comme bon nombre de pays en développement, le Maroc au début des années 1980, a subi les tur-
bulences générées par les problèmes de la dette extérieure et entrepris des mesures de politiques macro-
économiques de stabilisation qui conduisent à une mutation profonde des structures de l’économie. Au delà
des résultats économiques, plus ou moins discutables, le Programme d’ajustement structurel (PAS) a eu un
impact déstabilisateur.
Le PAS s’est accompagné dans la décennie 1980 d’une baisse du taux de croissance (4,4 % en moyenne
1980-1989) qui s’accentue au cours de la décennie 1990 (2,7 % en moyenne 1990-1999). Si les mesures
standards contenues dans le PAS ont pu réaliser les rééquilibrages financiers, ce programme, au prix d’une
contraction de la demande interne, va générer des coûts sociaux et des effets concrets en terme d’informali-
sation du marché du travail avec de nouvelles recompositions en son sein 1. La montée du chômage, la
compression des revenus salariaux, la régression des niveaux de vie de certaines catégories urbaines, la
contraction de la demande interne, la forte dégradation des conditions de la main d’œuvre sont tout autant de
facteurs impulsants.
Les réductions salariales dans la fonction publique. Leur variation à la baisse est estimée de moins 10 % à
moins 17 % entre 1983 et 1986. Pour ne considérer que les salaires des enseignants, ceux-ci ont connu un
déclin de 16 % à 21 %, selon chaque ordre d’enseignants (Morisson, 1991). La dynamique de régression des
revenus salariaux n’a pas épargné les salariés de l’industrie, du secteur informel et de l’agriculture. Au cours

1. Les conséquences du PAS sur l’informel soulèvent, néanmoins des difficultés méthodologiques, et un problème d’imputation. Les unes
classiques, relevant de la disponibilité des statistiques et de leur fiabilité au cours de la période en question. Les enquêtes nationales, quand elles
existent donnent une information fragmentée et éparse relativisant les possibilités d’établir des liens entre activités informelles et ajustement.
Mais au-delà, il s’avère délicat de circonscrire ce qui relève de la responsabilité de l’ajustement de ce qui relève de la conjoncture internationale.
Voir à ce propos, P. Hugon 1989.

428
de la seule période de stabilisation, la baisse des salaires dans le secteur public et l’industrie atteint 13 % et
dans le secteur agricole cette baisse est estimée de 20 à 25 %, aussi bien public que privé (Azam et Moris-
son, 1994). Entre 1980 et 1985, le salaire moyen dans l’industrie a chuté en termes réels et sur la base 100, il
a atteint 73.4 % entre les deux dates.

2.6. La situation du système éducatif et l’insuffisance du cadre


réglementaire (cf. infra. 5.2)

Enfin, il faut ajouter à cet ensemble de facteurs impulsant, la faiblesse du cadre réglementaire (voir infra) et
la situation du système éducatif. Le secteur informel devient de plus en plus le lieu d’insertion des déscolari-
sés, souvent sous diplômés, parfois diplômés. En dépit de l’amélioration incontestable des taux de scolarisa-
tion, les déperditions sont nombreuses en particulier lors du passage du fondamental au collège, faisant
basculer nombre de jeunes dans des activités de ce secteur.
C’est dans ce contexte qu’ont proliféré des activités de services de production et de commerces... Elles
constituent une réponse aux phénomènes d’exclusion économique et sociale et permettent à des couches
de la population de vivre ou de survivre. Ceux qui ne trouvent pas ou pas assez d’emplois, doivent chercher
ailleurs que dans le secteur moderne d’autres formes d’occupations. Parallèlement à ces incidences, on
assiste à un changement de discours et d’attitude à l’égard de l’informel. Celui-ci est supposé jouer un rôle
social vital (voir infra).

3. Fonctionnement du secteur informel. Potentialités et contraintes

Il s’agit d’examiner comment fonctionne l’organisation des marchés des biens, de l’argent et celui du tra-
vail de même que les contraintes et les atouts dont disposent les micro entreprises du secteur informel.

Les atouts : Flexibilité et rôle des réseaux sociaux


On reconnaît traditionnellement au secteur informel un certain nombre d’atouts.
Le premier, se réfère aux mécanismes d’adaptation aux mutations économiques dont il dispose en période
de crise : flexibilités et ajustements des effectifs et des rémunérations de la main d’œuvre, réductions des
marges bénéficiaires, mobilisation de la main d’œuvre familiale et des apprentis non ou peu rémunérés.
En second lieu, il s’agit de la dimension locale, sociale et de proximité. Les marchés locaux des biens, de
l’argent et du travail se caractérisent par la force des réseaux sociaux. En effet, les modes de produire,
d’échanger les biens et services, les formes de financement et de mise au travail sont encastrés dans des
relations sociales. Le secteur informel relève du fonctionnement de l’économie populaire, organisée autour
de pratiques de la « débrouillardise ». La « créativité » et le « génie populaire » sont souvent mis de l’avant
comme des atouts dans un environnement de crise où l’État et le secteur moderne offrent de moins en
moins de possibilités d’emploi. En somme, il constituerait un palliatif provisoire au chômage.

Vulnérabilité et contraintes
Au Maroc, nombre de tendances limitent les performances des micro entreprises informelles tout en
accentuant leur vulnérabilité et ceci indépendamment de leur hétérogénéité. Ces contraintes peuvent entra-

429
ver leurs capacités à s’accroître et surtout à profiter des opportunités qui peuvent se présenter au profit
d’unités plus grandes. Plus que le cadre institutionnel inadapté, ce sont des difficultés liées aux débouchés et
aux marchés, à la concurrence et au manque de moyens financiers qui sont le plus soulevées.

Tableau 2 : Entraves à l’évolution de l’établissement

Refus du changement 4,5 % Concurrence des produits importés 17,6 %


Manque d’information 11,1 % Manque de capitaux 62,6 %
Avenir incertain 15,6 % Difficultés d’obtention de crédits 27,0 %
Situation économique et sociale 70,5 % Pression fiscale 75,7 %
Volume limité du marché 79,8 % Inadaptation des règles administratives 55,9 %
Concurrence des grandes unités 40,2 % Absence d’encadrement administratif 62,9 %

Source : Direction de l’emploi, Ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales


et de la Solidarité, Enquête sur le secteur informel localisé en milieu urbain, 1999, Rabat.

Les problèmes essentiels que rencontrent les chefs d’unités sont d’abord des problèmes de débouchés et
de marchés (79,8 % des micro-entrepreneurs). Sont cités ensuite des problèmes liés, à la pression fiscale
(75.7 %), à la situation économique et sociale (70,5 %) et au manque de ressources financières (62,6 %).
Plus des trois quart des unités font état d’abord de ce type de difficultés. Les données de l’enquête 2000
concernant un échantillon plus varié et où sont questionnées les micro entreprises localisées et non localisés
débouchent sur des résultats à peu près similaires. C’est d’abord des entraves liées aux débouchés, à la
demande, la concurrence et aux capacités de financement, qui prédominent.

Tableau 3 : unités de production informelles selon la taille de l’unité


et la difficulté principale qui empêche le développement de l’unité

Taille de l’unité
Principales difficultés Un emploi Deux Trois Quatre et Total
emplois emplois plus
Manque de matières premières 1,4 1,8 1,0 1,2 1,4
Faiblesse de la demande et concurrence rude 50,4 53,6 53,1 54,4 51,4
Manque de liquidités 35,8 33,2 31,1 26,6 34,6
Manque de personnel qualifié 0,2 0,3 0,8 1,0 0,3
Problèmes de locaux 5,7 4,2 2,9 3,9 5,2
Problèmes d’équipement 1,0 1,2 2,7 1,6 1,2
Problèmes techniques de fabrication 0,1 0,1 0,1 0,3 0,1
Problèmes d’organisation et de gestion 0,2 0,1 0,8 1,1 0,2
Trop de réglementations d’impôts et taxes 0,7 1,3 2,1 4,4 1,1
Autres difficultés 4,6 4,3 5,4 5,5 4,6
Total 100,0 100 100,0 100,0 100,0

Source : DS : ENSINA 1999/2000, p. 262

430
3.1. Vulnérabilité commerciale : La taille réduite des marchés ;
concurrence, faiblesse de la demande et de la sous-traitance

La première entrave qui est évoquée par les micro-entrepreneurs est la difficulté d’écoulement de la pro-
duction, suivi de la concurrence livrée par des unités similaires. Toutes les enquêtes confirment ce constat.
Les marchés sont de plus en plus étroits. La méconnaissance des circuits de commercialisation et des règles
de marché, fait que les secteurs involutifs pâtissent le plus de la non diversification, du manque et de l’irrégu-
larité de la demande. D’un autre côté, la nature de la clientèle à laquelle elles s’adressent fait que la demande
est faible et irrégulière. Les consommateurs de ce type de biens et services sont généralement des per-
sonnes à revenu faible et irrégulier. Les débouchés formels sont limités pour les micro entreprises.
D’une manière générale, il existe très peu de liens avec le secteur formel en aval. Les relations de sous
traitance avec les entreprises modernes sont limitées voire inexistantes 1. Ainsi plus des trois quart (76 %)
des micro entreprises ne pratiquent pas de sous traitance et dans le cas où celle-ci existe, elle est le fait des
indépendants et se réalise avec des unités de même profil et non avec des unités formelles (ESILMU, direc-
tion de l’emploi, 1999).
En fait, les activités de production informelles susceptibles d’être dans des relations de sous traitance se
sont peu développées. Ce qui a le plus proliféré, ce sont les services et les commerces. Or ces derniers
s’adressent directement aux consommateurs finals. Enfin la visibilité et la localisation de la micro entreprise
informelle influence aussi le niveau de la demande. Or la majorité des unités ne dispose pas de local ou
encore est localisé à domicile et donc invisible. Ainsi la demande demeure circonscrite à un segment parti-
culier de la clientèle. Ajoutons enfin que les unités informelles doivent souvent faire preuve de souplesse
pour conserver leur clientèle en accordant à celle-ci des facilités de paiement.
La concurrence, problème très fréquemment cité, est principalement interne aux activités et provient
d’unités de même type (70,7 % des micro entreprises) et non d’unités formelles. La concurrence de la
grande entreprise est insignifiante (0,3 %) de même que celle des petites et moyennes entreprises. Cette
exacerbation de la concurrence est révélatrice de la croissance extensive de l’emploi informel, d’une démulti-
plication et d’une prolifération des micro unités de même que la vulnérabilité de celles déjà existantes, face à
la saturation du secteur informel.

3.2. Vulnérabilité financière

Le manque de financement influence négativement l’activité des micro entrepreneurs. Le secteur bancaire
joue un rôle insignifiant en matière de financement des investissements.
Les pratiques de financement sont endogènes et s’appuient sur des réseaux sociaux et de proximité 2. Il
n’existe que de faibles relations avec les institutions officielles. Face à l’impossible accès au crédit officiel,
des pratiques se mettent en place, que ce soit lors de la phase de démarrage ou pour accroître les investisse-
ments. Cette exclusion du système financier formel, est liée à sa rigidité et à son manque d’adaptation
(garanties exigées, coût des procédures, les modalités contraignantes au niveau des délais de rembourse-
ment...).

1. Contrairement à l’Asie du Sud où existe des relations de symbiose entre elles, permettant un va et vient entre le formel et l’informel.
2. Nombre de travaux en Afrique confirment ce constat (Lelart, M. 2003)

431
Le financement individuel, provenant d’une épargne antérieure constitue la source de financement domi-
nante lors de la création de la micro entreprise. Elle est souvent complétée par la contribution des réseaux
familiaux et amicaux. (66,3 % des cas, suivis du financement familial : 21,8 %), qui de toute évidence sont
insuffisantes.
Le financement endogène peut prendre la forme d’associations temporaires. La prépondérance de cette
forme confirme l’échelle restreinte des activités informelles qui peut être financée pour nombre d’entre elles
sans grande difficultés puisque n’exigeant qu’un faible capital de départ (ambulants, petites activités sous
traitantes...). Elle confirme également la sous capitalisation, trait majeur de ce secteur qui souvent n’exige au
départ que quelques outils ou machines usagées.
Durant le fonctionnement, à coté de l’auto financement on peut identifier des pratiques telles que celles du
crédit fournisseur appelé talq 1 fortement répandue parmi ceux qui ne disposent que de peu de liquidités et
n’ont pas les moyens de constituer des stocks. La contrainte financière majeure réside dans le financement
du fonds de roulement et du manque de crédits à court terme. Ceux-ci constituent un handicap à la crois-
sance de ces micro entreprises. Ces dernières se caractérisent par une indisponibilité d’actifs circulants qui
peuvent servir de garantie pour le prêt.
– Les rares sources de financement bancaire formel, celles de la CNCA et la BCP sont plutôt octroyées
pour financer le fonds de roulement, sauf dans le cas où l’emprunteur peut justifier d’une garantie (terre,
immobilisations).
Les sources endogènes présentent, certes, nombre d’avantages par rapport au crédit officiel. Elles
s’appuient sur la proximité et sont enracinées dans le milieu. Néanmoins, il ne faut pas non plus surestimer
les potentialités de ce système puisque le revers c’est que ce circuit peut être risqué. Certaines formes
comme le recours aux usuriers demeure onéreux, les taux d’intérêt sont souvent élevés pouvant ainsi entra-
ver l’évolution des unités.

3.3. Locaux d’activité et faiblesse d’accès aux équipements de base

Les activités se déroulent le plus souvent dans des locaux, exigus, précaires dépourvus des aménage-
ments nécessaires. Ceci explique d’ailleurs la concentration des unités informelles dans les quartiers parti-
culièrement défavorisés, les médina et les bidonvilles.
L’absence de locaux concerne prioritairement les activités ambulantes et les travailleurs de l’auto emploi
qui ressentent des difficultés à trouver un local ou un emplacement approprié à l’exercice de leur activité.
Près de la moitié des unités informelles ne disposent pas de local et 11,1 % exercent leur activité à domicile.
L’accès aux services publics demeure limité dans les locaux notamment l’eau, le téléphone et le raccorde-
ment au réseau d’assainissement (ENSINA p. 30). Dans l’artisanat, les locaux sont souvent dans un état de
dégradation avancé (Banque Mondiale, Préfecture Fes-Médina 1995), portant atteinte aux conditions de
santé et de sécurité des travailleurs de l’informel.

1. C’est une pratique de financement de type commercial. Les fournisseurs acceptent de n’être réglés qu’ultérieurement, pour avoir plus de
chance de vendre à nouveau. En fait les artisans et prestataires services se trouvent dans une position où il sont à la fois créditeurs et débiteurs.

432
3.4. Faible accès aux services de base :
Éducation-formation des chefs d’unité et de la main d’œuvre

Une des contraintes qui pèse sur les micro entreprises du secteur informel concerne le faible niveau de
formation scolaire et professionnelle de ses chefs d’unité et de la main d’œuvre, comparativement aux
autres segments de la population active.

Tableau 4 : Actifs occupés dans le secteur, selon leurs formations et leur milieu de résidence.

Milieu de résidence
Caractéristiques des actifs occupés Urbain Rural National
Aucun niveau scolaire 25.4 % 4.4 % 9.5 %
Coranique 40.9 % 10 % 20.5 %
Préscolaire 34.9 % 17.6 % 23.7 %
Premier cycle de l EF sans FP 18.9 % 6.2 % 12.8 %
Premier cycle de l EF plus FP 20.4 % 27.1 % 21.5 %
Deuxième cycle de l EF sans FP 14.7 % 6.1 % 11.7 %
Deuxième cycle de l EF plus FP 11.2 % 12.2 % 11.3 %
Secondaire sans FP 12.7 % 8.1 % 11.8 %
Secondaire plus FP 3.2 % 6.7 % 3.4 %
Supérieure sans FP6.1 % 10.2 % 6.3 %
Supérieure plus FP 1.6 % 2.0 % 1.6 %

Source :DS ENSI 1999/2000 p. 123

Plus de 53 % des actifs n’ont aucun niveau scolaire ou ne dépassant pas le niveau le l’école coranique,
25 % ont fait des études secondaires et seulement 6,3 % ont un niveau supérieur d’instruction. Ce faible
niveau d’éducation a des incidences négatives sur la gestion et sur le développement des unités informelles,
dans le sens où les responsables d’unités ne disposent pas d’atouts pour accéder à une plus grande connais-
sance des mécanismes d’intégration au marché, au système officiel de crédit et sont privés de capacités
gestionnaires.
La formation professionnelle des chefs d’unité et de la main d’œuvre se déroule à l’extérieur du système
officiel et pour l’essentiel découle d’un apprentissage sur le tas. Seuls 5 % des actifs du secteur informel
sont passés par un établissement de formation professionnel. Or le faible niveau de celle-ci a des incidences
négatives sur la qualité des produits et amenuise l’efficacité des unités informelles. Dans un contexte
d’ouverture, où la concurrence opère plus par la qualité, cet handicap pèse lourdement sur l’avenir du secteur
informel.

3.5. Les contraintes de productivité

Les données ne fournissent pas directement des informations relatives à la productivité. Néanmoins, la
faible qualification de la main d’œuvre et son caractère instable, l’échelle réduite des opérations, la faiblesse

433
de la technologie en somme la faible dotation des facteurs de production sont des entraves à la division tech-
nique du travail et des économies d’échelle ayant des incidences négatives sur la productivité. C’est ainsi
que l’usage de machines modernes n’est le fait que de 23 % des unités.

3.6. L’absence/faiblesse de logiques entreprenariales

Cette contrainte découle de la précédente. La confusion entre les fonctions de gestionnaire et de proprié-
taire, entre le budget de l’unité et celui du ménage, font que la constitution de liquidités n’est pas une idée
dominante de même que les logiques d’accumulation. Dans de nombreux cas, l’unité est une unité de pro-
duction à des fins de redistribution et rarement a des fins d’accumulation et de création de surplus à réinves-
tir. Les petits producteurs de l’informel « sont entreprenants et non entrepreneurs, ingénieux et non
ingénieurs » (S. Latouche).

3.7. Capacités organisationnelles et gouvernance interne

L’une des entrave est le faible degré d’adhésion aux organismes professionnels qui révèle des capacités
d’auto-organisation limitées au niveau des associations et une attitude de méfiance à l’égard des chambres
professionnelles. Même s’il existe des structures spécifiques à l’Artisanat dans la plupart des villes maro-
caines, la grande majorité (85,6 % selon l’ESILMU) ne sont pas affiliés à une association ou une chambre pro-
fessionnelle. Ce faible degré d’organisation a pour origine l’attitude négative à l’égard des instances
représentatives.
La même attitude négative prévaut à l’égard des coopératives. En dépit de ces encouragements la pra-
tique d’adhésion aux coopératives ne semble pas s’être répandue au sein des micro-entrepreneurs et à peine
10 % des chefs d’unités ont envisagé la participation à une coopérative. (Enquête sur le secteur informel
localisé en milieu urbain (ESILMU 1999)

4. Dynamique de l’emploi informel. Vulnérabilité et précarité

Pour nombre d’analystes et responsables du développement, l’emploi informel joue un rôle social pouvant
être une solution à la chute de l’emploi et du chômage dans le secteur moderne. Le secteur informel consti-
tuerait une alternative viable en termes de revenus. Après avoir été traité négativement, durant les années
1960 et 1970, celui-ci est considéré à présent comme pouvant être le ferment du développement. Il se pré-
senterait comme substitut à l’emploi formel dans un contexte de crise. Dans le cas du Maroc, l’évolution de
l’emploi dans le secteur informel conduit à nuancer cette analyse. Ce qui le spécifie, c’est une dynamique
d’expansion, de saturation, de prolifération et la mise au travail de catégories vulnérables.

434
4.1. L’expansion des micro entreprises

Tableau 5 : Répartition des micro-entreprises selon la date de création et le secteur d’activité

Type de local Secteur


Industrie Commerce Bâtiment Services
Avant 1956 – % Ligne 23,2 52,5 3,03,3 20,4
– % Colonne 4,1 3,0 2,0 1,4
1956-59 – % Ligne 28,4 36,2 3,731,6
– % Colonne 3,7 1,5 1,7 1,6
1960-69 – % Ligne 19,5 37,4 4,4 38,7
– % Colonne 7,5 4,7 6,0 5,7
1970-79 – % Ligne 15,5 40,9 5,4 38,2
– % Colonne 12,6 10,9 15,3 11,9
1980-89 – % Ligne 18,0 42,4 5,5 34,2
– % Colonne 36,5 28,3 39,0 26,7
1990-97 – % Ligne 10,5 46,2 3,0 40,3
– % Colonne 35,6 51,5 36,0 52,7
Total – % Ligne 14,4 44,0 4,1 37,5
– % Colonne 100,0 100,0 100,0 100,0

Source : Direction de l’emploi, Enquête Nationale sur le secteur informel localisé en milieu urbain, 1999, p. 57.

La grande majorité des unités informelles crées l’ont été depuis les années 70 mais d’une manière plus
prononcée à partir des années 80 et 1990, tout particulièrement dans le commerce et les services. Il s’agit
essentiellement d’unités de petites tailles mobilisant une seule personne (70,5 % de l’ensemble des unités)
alors que les unités de quatre personnes et plus ne représentent que 4,8 % des entreprises du secteur
(ENSINA 1999/2000).

4.2. Une dynamique limitée de création d’emploi :


Précarité, vulnérabilité et exclusion

4.2.1. Une dynamique de prolifération


Selon l’enquête 2000, l’emploi informel occupe 39,0 % de l’emploi non agricole mais, est sans doute sous
estimé 1. Celui-ci mobilise essentiellement des jeunes, des migrants, des femmes des enfants mais aussi

1. Il s’agit de l’emploi au sein des micro entreprises ne disposant pas de comptabilité. L’enquête ne touche pas le travail précaire dans les uni-
tés structurées. Dans ce sens il est vraisemblablement sous estimé.

435
des diplômés, des petits fonctionnaires et parfois des gens de tous bords. Il existe une dynamique incontes-
table de créations d’emploi dans ce secteur au moment où le secteur formel offre de moins en moins
d’opportunité. Néanmoins celle-ci est limitée dans le sens où elle joue en faveur de l’auto emploi (DS 2002,
p. 165), d’une concentration dans les activités (commerce, services) peu exigeantes en qualification et utili-
sant des catégories vulnérables.

Tableau 6 : Évolution des taux de création d’emplois dans le secteur informel

Années médianes Taux moyen des créations d’emploi ( %)


1958 -
1962 12,9
1966 2,1
1970 11,2
1976 8,8
1980 6,7
1985 4,6

4.2.2. L’expansion de l’auto emploi

Tableau 7 : Actifs occupés informels selon le statut professionnel et le milieu de résidence

Milieu de résidence
Statut professionnel Urbain Rural Ensemble

Effectif % Effectif % Effectif %


Auto-emploi 937 240 67,8 375 631 72,4 1 312 871 69,0
Indépendants 799 155 57,8 343 844 66,3 .1142999 60,1
Employeurs informels 138 085 10,0 31787 6,1 169872 8,9
Salariés. 260 074 18,8 59 980 11,6 320 054 16,8
Non Salariés 185 731 13,4 83 291 16,0 269 022 14,2
Apprentis 47 007 3,4 7 541 1,5 54 548 2,9
Aides familiales 123 299 8,9 74 833 14,4 198 132 10,4
Personnes à statut imprécis 15 425 1,1 917 0,1 16 342 0,9
Total 1 383 045 100,0 518 902 10 1 901 947 100

DS-ENSI 1999/2000 p. 130

La dynamique du secteur informel révèle la montée des travailleurs indépendants et de l’auto emploi qui
demeure une composante essentielle du travail informel. Souvent lié à un impératif de survie, il constitue la
forme dominante de création d’emploi dans le secteur informel. 69 % des actifs occupés sont des indépen-
dants ou travaillent à compte propre. Celui-ci peut être exercé d’une manière permanente ou irrégulière et
touche généralement les ménages exposés à l’irrégularité des revenus. Les petits vendeurs ambulants,
cireurs de chaussures, gardiens de parkings sont par excellence la figure de l’auto emploi.

436
Celui-ci s’explique par la prolifération des unités de petites tailles mobilisant une seule personne (70,5 %
de l’ensemble des unités) alors que les unités de quatre personnes et plus ne représentent que 4,8 % des
entreprises du secteur. L’auto emploi est dominant essentiellement dans le commerce et les services et
dans une moindre mesure dans l’industrie. Ce sont ainsi les activités peu créatrices d’emploi et à toute petite
échelle qui se consolident. En 1988, les unités employant une seule personne représentent 44 % des unités,
mais n’offrent que 22,6 % des emplois du secteur, au moment où les unités employant plus de 4 personnes
(9,6 %) concentrent 113.533 travailleurs (23,7 %).
Ajoutons enfin que c’est cette catégorie dominante qui demeure la plus vulnérable relativement aux autres
catégories socioprofessionnelles. Le taux de vulnérabilité se situe à, 51,5 %; comparativement aux salariés
(42 %) ou même aux inactifs (33,4 %) (DS 2002, p.165). C’est également au sein des micro entreprises indé-
pendantes que l’incidence de la pauvreté est la plus affirmée.

4.2.3. Précarité des statuts de la main d’œuvre


Le secteur informel se caractérise par la prédominance de l’auto emploi, mais aussi par des associations
de risque, le travail à domicile des femmes, des aides familiales, des apprentis, de la pluri-activité. En
revanche le salariat est faible. Dans un contexte de chute de l’emploi officiel, les acteurs mettent en place
une diversité des formes de mise au travail.
Les associations constituent des stratégies de minimisation de risques dans un univers aléatoire. Le travail
indépendant peut aussi se présenter sous la forme de petites associations de deux ou trois personnes travail-
lant ensemble. Cette forme de mise au travail n’est sanctionnée par aucun contrat écrit mais s’appuie sur les
rapports de confiance. Le critère de partage et minimisation des risques est déterminant.
La pluri-activité est un phénomène en expansion, relativement récent et difficilement quantifiable. Elle ne
concerne pas uniquement les acteurs du secteur informel, mais également certains salariés des grandes
entreprises, les ménages les plus pauvres et certaines catégories de la fonction publique qui s’insèrent dans
des activités informelles en plus de leur activité principale.
La faiblesse des salariés est une des caractéristiques essentielles du secteur informel ; 16,8 % seulement
de la main d’œuvre est occupée sous ce statut. Le salariat est non seulement faible, mais ne revêt pas la
forme classique qu’on lui connaît. A côté de ces catégories se retrouvent des actifs travaillants sous le statut
de travailleurs familiaux et de travailleur(ses) à domicile.

4.2.4. Le travail des femmes et des enfants. Genre et vulnérabilité

Les enfants : une polarisation selon le genre


Les enfants travaillant dans le secteur informel sont difficiles à dénombrer 1 et se concentrent dans les
zones urbaines. Ils sont principalement mobilisés dans l’artisanat traditionnel (dinanderie, travail du cuir, pote-
rie, tapis, agriculture traditionnelle...), dans les services (mécanique auto, plomberie...), le micro commerce
de rue (petits porteurs, cireurs, laveurs de voitures, vendeurs de mouchoirs, de sacs en plastique...) ou les
activités domestiques (petites bonnes). Ces activités souvent dangereuses portent atteinte à leur santé et
leur sécurité (Banque Mondiale, BIT / IPEC, UNICEF 2002). L’exemple des petites filles dans le tissage du

1. Selon l’enquête emploi 2000, près de 600.000 enfants âgés de 7-14 ans, soit 11 % de ce groupe d’âge travaillent, chiffre qui sous estime la
réalité « dans la mesure où les enquêtes des ménages comme LFS 2000 ne conviennent pas pour « saisir » les soit disant pires formes incondi-
tionnelles du travail de l’enfant » (UCW 2003).

437
tapis, travaillant dans des locaux mal aérés, avec des durées de travail dépassant le cadre légal, usant de
matériel dangereux est devenu proverbial. L’exemple des enfants dinandiers, travaillant dans le secteur du
cuir, poterie, les enfants qui travaillent dans la rue ou les fillettes domestiques avec des conséquences néga-
tives sur le santé (maladies respiratoires, de peau, sévices et risques) sont tout aussi proverbiales(Mejjati
Alami Rajaa, 2003).
Par ailleurs on assiste à une polarisation de leur travail selon le genre : les fillettes sont plus mobilisées
dans le travail à domicile et dans le secteur du tapis, de plus en plus dans les activités de rue et certaines acti-
vités agricoles, alors que les garçons investissent plutôt les autres secteurs.
Les niveaux de formation scolaire et professionnels faibles de ces catégories, révèlent l’étroite corrélation
entre le travail des enfants dans l’artisanat et les déperditions scolaires. La main d’œuvre enfantine est géné-
ralement jeune, occupée à des travaux subalternes et dangereux, non protégée, faiblement ou non rémuné-
rée, fortement malléable en termes de durée et de régularité. La précarité juridique des enfants est la règle,
qu’il s’agisse de l’inexistence de contrat de travail, de durée de travail qui dépasse celles fixées par la régle-
mentation, de l’absence de protection sociale. Dans les activités des métaux et garage, la durée dépasse les
10 heures par jour pour 84 % des enfants. Peu nombreuses sont les unités qui souscrivent à une assurance
pour le local (17,7 %) et encore moins nombreuses (10,7 %) celles qui déclarent avoir une assurance pour les
employés. (Banque Mondiale, BIT / IPEC, UNICEF 2003).
Souvent le travail des enfants s’insère dans une stratégie de minimisation des risques que supposerait
l’interruption des flux de revenus des ménages et en conséquences de la perte éventuelle d’un emploi par
un membre de la famille. C’est essentiellement par le système traditionnel de l’apprentissage sur le tas qu’ils
sont mobilisés. Néanmoins, la nature de celui-ci et son contenu ont changé dans un contexte de dégradation
des revenus des ménages. L’apprentissage devient de plus en plus un mode de gestion de la main d’œuvre
à un moindre coût.

Les femmes dans l’informel


La mise au travail des femmes, comme celui des enfants, est indissociable de la montée de la pauvreté et
du secteur informel (R. Mejjati A. 2002). Celle-ci affecte prioritairement les femmes, les enfants de moins de
15 ans et les travailleurs du secteur informel. Selon les contraintes vécues par les ménages, c’est par la
mobilisation et l’intensification du travail de la main d’œuvre familiale que s’opèrent les stratégies d’adapta-
tion sur le marché du travail.
Selon l’enquête 2000, les femmes représentent 12,7 % des emplois occupées dans le secteur informel.
La participation des femmes dans ce secteur est loin d’être négligeable mais comme dans de nombreux
pays en développement (même les pays industrialisés), il est sous-estimé par les statistiques officielles.
L’activité des femmes souvent à domicile, cachée ou peu visible est d’appréhension délicate et donc ne fait
pas l’objet de dénombrement. Il faut ajouter que du point de vue culturels leurs activités ne sont pas valori-
sées comme des activités économiques en tant que telles. Leur insertion s’inscrit dans le cadre de stratégies
familiales complexes d’acquisition des revenus ou/ et des qualifications, à travers le travail à domicile, dans
les services domestiques, en tant qu’aides familiales, travailleuses indépendantes ou sous forme d’une main
d’œuvre occasionnelle circulant entre pôle formel et pôle informel.
Le travail à domicile des femmes est une modalité quasi exclusivement féminine. Il existe une seg-
mentation au sein du secteur informel liée au genre. Le travail a domicile est le lieu de polarisation des
femmes (activités artisanale, broderie, couture, tissage du tapis, petites confections ou domestiques..) non
occupés par les hommes, favorisé par une demande et en concordance avec les pratiques sociales. Le domi-
cile espace traditionnellement non marchand devient aussi un lieu de travail marchand, ambivalence qui
explique le caractère extrêmement précaire de cette forme de mise au travail.

438
Les femmes sont également mobilisées en tant que aides familiales 1 non rémunérées. 53,5 % d’entre
elles actives sont aides familiales contre 22,4 % pour les hommes (DS, PNUD, UNIFEM, ESCWA 2003) avec
des proportions encore plus significatives en milieu rural où elles sont mises à contribution dans l’artisanat,
les travaux de la laine, la poterie, la vannerie. Le recours à cette main d’œuvre s’avère d’autant plus fonction-
nel qu’elle est quasi-gratuite, disponible et sans charges sociales.

Tableau 8 : unités de production informelles selon le sexe du chef de l’unité


et les secteurs d’activités économiques.

Sexe du chef de l’unité


Secteur d activités informelle
Total
masculin féminin
Industrie et artisanat Effectif 162 267 95 452 257 719
En % 63 % 37 % 100 %
Commerce et réparation Effectif 619 326 31 574 650900
En % 95 % 4.9 % 100 %
Service Effectif 222 464 25 242 247 706
En % 89,8 % 10.2 % 100 %
Construction Effectif 76 339 576 76 915
En % 99,3 % 0,7 % 100 %

Source : DS-ENSINA 1999/2000 p. 92.

Comme le montre le tableau, c’est dans l’artisanat que les femmes sont les plus nombreuses (textile, bro-
derie, habillement s’effectuant à domicile) et 10.2 % sont à la tête d’une micro entreprise de service. Néan-
moins, elles sont fortement présentes dans les activités de services domestiques et dans les
micro-commerces où elles interviennent comme le maillon le plus vulnérable de la chaîne commerciale des
produits de contrebandes (tissu, produits alimentaires). Le secteur informel devient ainsi le réceptacle privilé-
gié pour les femmes qui montrent ainsi une certaine capacité à créer leur propre emploi en acceptant les
conditions les plus précaires à travers des formes d’emploi vulnérables.

4.2.5. Concentration du travail informel dans les micro-services


et le micro-commerce : Le bas de gamme se consolide
L’évolution sectorielle de l’emploi entre 1988 et 2000 permet d’en apprécier le poids et l’évolution au cours
de la période. La frange de l’informel qui se consolide, révèle une tertiarisation de l’emploi informel.

1. Par aide familiale, on se réfère à toute « personne active occupée qui travaille dans un ou plusieurs établissements pour le compte d’un
membre de sa famille ou de son ménage sans contrepartie, à condition qu’elle réside chez la personne pour qui elle travaille (DS). »

439
Tableau 9 : Évolution de la répartition des effectifs du secteur informel localisé
selon les secteurs (1988-2000 en %)

1988 : 1997 : 2000 :


informel localisé localisé localisé et non localisé
Industrie 25,5 18 25
Commerce 42 35,6 48,2 y compris réparation
Services 32,5 40,6 19,8
Bâtiment. Pour 1997 et enquête 2000 - 5,8 7

Sources : Enquête sur le SNSL. DS 1988. Enquête sur le secteur informel localisé 1997 et ENSINA 2000

De ce tableau se dégagent les constats qui suivent :


L’emploi dans le secteur informel s’est concentré au cours des dernières décennies dans les activités
commerciales et de réparation qui constituent des pôles dominants de création d’emploi (Mejjati, A R, 2000).
En 2000, ce type d’unités fournit 91,2 % de l’ensemble des emplois offerts. Se consolident ainsi, les activi-
tés faiblement créatrices d’emploi, improductives, peu exigeantes en capital et en qualifications particulières.
Cette tendance qui avait déjà marqué les années 1980 en relation avec les politiques de restructuration
semble s’accélérer dans les années 90 1 et se poursuivre au début du millénaire. Il existe certes un com-
merce à deux vitesses qui ne se limite pas à la survie, générateur de revenus qui amène certainement à
nuancer cette affirmation. En revanche, l’emploi s’est stabilisé, voire reculé dans les micro unités de produc-
tion industrielles, celles qui sont potentiellement créatrices d’emploi, affaiblissant de la sorte leur capacité
d’absorption de la main d’œuvre.

4.3. Dynamique des revenus :des situations variables

Il s’agit de voir dans quelle mesure et jusqu’à quel point, le secteur informel dispose de potentialités lui
permettant de dispenser des salaires qui peuvent constituer une alternative aux salaires distribués dans le
secteur moderne. La prise en compte de l’hétérogénéité de la main d’œuvre est essentielle : la situation des
petits patrons d’un côté et celle des travailleurs et des apprentis de l’autre.
La question des rémunérations est au cœur des débats contradictoires sur les potentialités du secteur
informel. Certains estiment que les revenus dégagés par les agents du secteur informel seraient tellement
dérisoires qu’ils assureraient à peine la survie. Dès lors, ce secteur se présenterait comme une simple
réserve de main-d’œuvre, comme une poche de sous emploi, caractérisé par la faiblesse des revenus. Sa
fonction serait aussi d’accueillir la main-d’œuvre rejetée par le secteur moderne. Ce double rôle permet de
faire pression sur le niveau des salaires dans le secteur moderne.
Pour d’autres, au contraire, ledit secteur procurerait des revenus satisfaisants, offrant aux salariés du sec-
teur moderne la possibilité de s’installer à leur compte et d’investir le surplus dégagé. Le secteur informel
serait le vivier d’un petit entreprenariat dynamique.

1. 51,5 % des unités commerciales et 52,7 % des unités de services nouvellement crées l’ont été entre 1990 et 1997 (respectivement 28 %
et 26,7 % d’unités nouvellement crées entre 1980 et 1990). En revanche, les unités industrielles connaissent une stagnation voire même un recul
(36,5 % des unités crées au cours de la décennie 80 et seulement 35 % depuis 1990). Données de 1999.

440
Encore une fois, la réalité au Maroc est très hétérogène face aux écarts qui peuvent être observés entre,
d’une part, les revenus d’appoint des vendeurs à la sauvette, celui des travailleurs occasionnels, des travail-
leuses à domicile et d’autre part, les revenus des patrons provenant d’activités artisanales ou micro-
industrielles, organisées dans un local suffisamment équipé.
Les niveaux de rémunérations montrent que les situations sont diversifiées selon qu’on examine la situa-
tion des petits patrons d’un côté et celle des travailleurs et apprentis de l’autre. La tendance confirmée est
que la rémunération des employeurs et des ouvriers qualifiés est supérieure au SMIG, alors que celle des
gérants et des apprentis est inférieure (ENSINA 2000). En 1999, la situation était similaire, les revenus des
chefs d’unités et de leurs associés se situent à un niveau supérieur au salaire moyen qui s’établit dans le sec-
teur informel. Ils s’établissent même à un niveau supérieur au SMIG. Le secteur informel pourrait être consi-
déré comme alternative pour certaines de ces catégories.
En revanche, pour les autres catégories professionnelles, la situation diffère. Les revenus salariaux s’éta-
blissent à un niveau inférieur au salaire moyen du secteur informel. Les apprentis demeurent la catégorie
pour qui les revenus sont les plus bas, suivis par les aides familiales, et peuvent à peine assurer la survie.
Quant aux salaires perçus par les ouvriers du secteur informel, leur niveau est à la fois inférieur au salaire
moyen et au SMIG. Il faut ajouter enfin que les salaires sont irréguliers et revêtent des formes particulières
qui s’appuient sur les normes propres (à la pièce, à la tâche ou à la période, la journée, non monétaire en par-
ticulier dans l’artisanat.).

4.4. Précarité juridique et exclusion des droits économiques et sociaux

Dans le domaine des conditions et des relations de travail, le secteur informel se caractérise par des rela-
tions de dépendances personnelles paternalistes, extra juridiques en particulier concernant l’apprentissage.
Des pratiques coutumières, dans certains cas, organisent les relations de travail. Du fait du poids important
de l’auto emploi et la faiblesse du salariat (16,8 %) le contrat de travail écrit, les rémunérations régulières et
la protection sociale sont quasi inexistantes. Le contrat d’embauche n’est le fait que de 22 % des unités qui
emploient des salariés et une proportion insignifiante (0,2 %) respecte les normes relatives au salaire mini-
mum (ENSIA, 2000).
La durée de travail n’est guère mieux respectée. Les unités informelles ne sont pas soumises aux normes
réglementaires, relatives à la durée de travail. Quelle que soit la taille la plupart des unités du secteur informel
dépassent les normes quotidiennes et hebdomadaires de travail. Néanmoins, la situation est variable selon
l’état de la demande et des commandes et selon le statut des travailleurs. En période de forte commande,
les horaires dépassent les normes. En période de marasme, les horaires peuvent se réduire et les chefs
d’unités fermer boutique. Par ailleurs, les salariés sont plus soumis que les autres catégories à des durées
plus excessives (54,4 heures par semaines, contre 44,1 heures pour les aides familiales, 44 heures pour les
employeurs et indépendants). Quant aux congés payés, seulement 40 % des unités s’en acquittent avec une
intensité variable selon la taille. L’affiliation la CNSS ne concerne que 5,9 % des unités informelles en parti-
culier les unités avec local(cf. infra).
Il est probable que les atouts du secteur informel sont les mécanismes d’adaptation aux mutations écono-
miques dont il dispose en période de crise : flexibilités, ajustement des effectifs et des rémunérations de la
main d’œuvre, réductions des marges bénéficiaires, mobilisation de la main d’œuvre familiale et des appren-
tis non ou peu rémunérés...Néanmoins, ce mouvement est à double tranchant. Si dans le cas de certaines
entreprises, il permet de contrecarrer les effets de la dégradation économique, dans le cas d’autres entre-
prises, il crée de nouvelles formes d’exclusion et de pauvreté avec des poches plus informelles, où les actifs
sont plus faiblement rémunérés, comme ceci est le cas des enfants et des femmes et de nombre de travail-
leurs de l’auto emploi, des apprentis, des aides familiales.

441
En définitive, il faut relativiser le rôle social et la capacité de l’emploi informel à se substituer à l’emploi for-
mel. De même que les unités informelles constituent un régulateur provisoire mais non définitif à la crise de
l’emploi du secteur moderne et ne peuvent se substituer à l’emploi formel que d’une manière très limitée. Il
va de soi que le secteur informel, dans un contexte de dégradation de l’emploi et des niveaux de vie, peut
être le lieu de pratique de la débrouillardise, d’ingéniosité des catégories les plus pauvres. Mais, d’une
manière générale ce rôle régulateur a des limites puisque, ce sont les activités les plus informelles de l’infor-
mel qui se consolident, autrement dit le bas de gamme.
De plus, il semble illusoire de considérer comme alternatives, certaines activités qui s’appuient sur le tra-
vail des enfants (l’artisanat, les activités de rue, réparation) et sur des faibles conditions d’hygiène, de salu-
brité et de sécurité des travailleurs et des locaux. Enfin, il s’avère délicat de parler de pratiques solidaires
quand la concurrence entre les agents, qui comme ceci a été examiné plus haut, mène souvent à opter pour
des stratégies individuelles.

5. L’informel et l’État : La gouvernance globale


La question du rapport de l’informel à l’État sera traitée d’un double point de vue. Le premier se rapporte à la
nature de la politique en direction de l’informel? Le second soulève le débat du rapport de l’informel à l’État,
puisque l’informel est désormais défini par référence et par opposition au cadre réglementaire Étatique. En effet,
depuis la fin de la décennie 80, et dans un contexte de retrait de l’État, on identifie l’informel à l’illégal. Ce sont la
structure réglementaire de l’entreprise et le caractère légal ou non des travailleurs qui constituent l’objet premier
d’étude et posent la question du rapport de l’informel à l’État et de l’État à l’informel.

5.1. Quelles actions étatiques en direction de l’informel ?

La décennie 1960 et 1970 et la perception de l’informel


Dans les années 1960 et 1970, les activités informelles apparaissent comme plus ou moins ignorées à la
fois du secteur moderne (banques ...) que des pouvoirs publics. Une perception négative du secteur informel
dominait. Il est soit considéré comme un résidu en voie d’absorption, une espèce d’antichambre des
migrants dans l’attente de leur intégration par le secteur formel. L’action de l’État s’était focalisée sur un
mode de développement en direction du secteur moderne de l’économie selon un schéma d’évolution
linéaire, selon lequel le secteur moderne de l’économie finirait par absorber le secteur traditionnel. Certaines
actions ont concerné uniquement l’artisanat (de production et de service) et subsidiairement les travailleurs
et travailleuses de l’auto emploi. Elles ont pris, selon la conjoncture, la forme soit d’encouragement à l’artisa-
nat 1, soit de promotion des PME ou elle s’est concrétisée par des mesures financières à l’égard des jeunes
diplômés sans travail (Crédits jeunes promoteurs). Ainsi la politique d’incitation à la micro-entreprise est à la
fois diffuse, réservée et restrictive.
L’échec des politiques de modernisation, la crise de l’emploi dans le secteur moderne et le retrait de l’État,
la montée du chômage et du sous-emploi dans la sphère urbaine ont favorisé la régulation par l’informel. Il
ont suscité une reconsidération du problème et un changement de discours.

1. Au cours des années 1970, un ensemble de mesures sont mises en œuvre par les codes des investissements, incitant les petites unités
artisanales au regroupement en associations professionnelles ou à la pratique des ensembles artisanaux. En contrepartie, une assistance est
apportée, dont l’aspect le plus important est l’obtention de crédits. Sont prévus en outre d’autres aspects promotionnels tels que des exemptions
fiscales, des exonérations d’impôts dans certains métiers comme la baboucherie, la maroquinerie et le tissage.

442
Le changement d’attitude
Dans les années 80 et 90, le secteur informel commence à retenir l’attention de l’État avec la participation
des bailleurs de fonds. Une perception positive de l’informel prédomine et de nouvelles qualités lui sont
désormais attribuées. Il est supposé jouer désormais un rôle social vital, en ce sens qu’il recèlerait des possi-
bilités inépuisables de créations d’emploi, de revenus et de formation en période de crise. On estime que
ces atouts lui permettraient de se substituer à la crise de l’emploi officiel. Il apparaîtrait désormais comme
une voie alternative en terme d’emploi, comme source de revenus et de formation 1.
Néanmoins, en dépit de l’importance des activités informelles et de sa reconnaissance, on ne peut véri-
tablement parler de politiques de « promotion », tant par les modalités d’action que par les catégories visées.
Non seulement existe une confusion entre activités de survie, artisanat, petite et moyenne entreprise, mais
pendant longtemps les petites activités semblent délibérément délaissées. L’objectif s’est focalisé en direc-
tion de l’artisanat et des petites et moyennes entreprises (PME) 2, alors que l’intervention des pouvoirs
publics et des organismes financiers en faveur des petites unités reste très insuffisante et inadaptée. Des
actions certes timides en matière de crédit, de formation et de lutte contre la pauvreté sont entreprises.
Mais, d’une manière générale la politique d’appui de l’État est faible, et les micro-entreprises sont isolées.
– Les politiques de promotion des PMI ou PME, intervenues dans le contexte de crise de l’emploi des
années 1980 et encouragement à la création d’emploi, souffrent des mêmes ambiguïtés. En fait, là aussi une
confusion règne entre secteur informel et PME et les mesures conçues sont dirigées plutôt vers ce segment
précis à condition qu’il soit créateur d’emplois. Elles restent fondamentalement inadaptées aux activités des
micro-entreprises 3.
– Le BAJ1 « Barnamej Al Aoulaouiyat Al Ijtimaia ». Ce programme vise les populations vulnérables. Il est
question de leur élargir l’accès aux services sociaux ainsi que les opportunités d’emploi et de revenu. La
consolidation des micro entreprises déjà existantes est dans cette perspective visée comme pépinière
d’entrepreneurs.
– Le micro crédit et la politique de lutte contre la pauvreté.
Comme examiné plus haut, les difficultés d’accès au crédit sont des obstacles majeurs au développement
des activités des micro entrepreneurs. L’essor de la micro finance, fortement encouragée par l’aide au déve-
loppement dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, est supposée seconder et même se substituer à
l’action étatique et à celle des banques classiques. Dans ce sens, les ONG de micro finance et les institutions
internationales deviennent des acteurs de taille en créant des programmes de micro crédit pour les per-
sonnes de ce secteur. La première expérience pour financer la microentreprise est celle de l’AMSED en
1993. Par la suite, différents programmes de financement de la micro entreprise sont initiés, de même que
des réformes institutionnelles qui organisent la loi sur le micro crédit 4. Parmi les initiatives, on peut citer celle
du fonds Hassan II pour le développement économique et social, consistant à allouer 100 millions dh au sec-
teur de la micro finance.

1. On verra plus loin si le secteur informel pourra se substituer ou pas au secteur formel et dans quelle mesure et jusqu’à quel point il peut
constituer une alternative.
2. Voir les principales recommandations du livre blanc de l’artisanat et des métiers.
3. Prime de 5 000 dh par emploi stable créé, exonération des droits d’importation du matériel et outillage en cas de création de PMI hors de
Casablanca, exonération de la TVA et des patentes et taxes pendant cinq ans, subvention de terrain industriel, qui constituent les principales
mesures de promotion. Outre la prime à la création d’emploi aux entrepreneurs, les politiques d’aide s’adressent également aux jeunes diplômés
sans travail.
4. La réforme du marché financier et l’adoption d’une charte générale de l’investissement en 1996 sont les principales mises en place. En
février 1999, la loi sur le microcrédit a vu le jour. L’objectif est de créer un environnement favorable au développement du secteur privé.

443
Les principales institutions à l’œuvre sont Al Amana, Zakoura et le Fondep. Ces institutions visent une
clientèle composé pour l’essentiel de commerçants, de petits artisans et de micro entrepreneurs (hommes
ou femmes), dans l’impossibilité d’accéder au financement bancaire traditionnel,

Encadré 2

Le Maroc est le pays de la Méditerranée où le micro-crédit est le plus développé et où les institutions de micro-crédit
sont les plus nombreuses. Les premiers programmes de prêts en direction des personnes à bas revenus destinés à
financer leurs activités ont démarré dans les années 1993-94. L’organisation de la micro finance s’est appuyé dur des
ONG locales, encouragée et impulsée par le gouvernement et les partenaires internationaux. En Avril 1999, une loi fixe
le cadre des activités du MC. Selon la Fédération Nationale des associations de micro crédit (FNAM), en fin décembre
2003, 307 532 micro entrepreneurs sont bénéficiaires dont 75 % de femmes, faisant de l’expérience Marocaine une
référence dans les pays du pourtour méditerranéen.
Selon la Banque Mondiale, les programmes de micro finance touchaient seulement 5000 clients en 1996 contre
185 000 en 2002 [PlaNet Rating, 2002]. Actuellement, on compte 13 institutions de micro crédit réglementées et plu-
sieurs autres de moindre importance. Deux institutions se sont rapidement démarquées par l’ampleur de leur pro-
gramme. Il s’agit de Al Amana constituée en 1997, avec 73000 clients actifs en juin 2002 et Zakoura, avec 60 470 en
2001 pour [PlaNet Rating, 2002]. Le Fondep quant à lui a dépassé les 10 000 emprunteurs actifs, en 2002. D’autres
associations existent avec des programmes à petite échelle.
En 1998, le PNUD et le gouvernement Marocain ont mis en place le programme Microstart, visant à améliorer l’accès
des micro entrepreneurs à bas revenus aux services financiers, avec une approche destinée à renforcer les capacités
des associations locales. En juin 2002, la conférence de Marrakech, avait estimé que les IMF de l’ensemble des pays
du MENA rassemblaient environ 450 000 emprunteurs actifs. Le Maroc en compte à lui seul 185 000, dont 133 000
pour Al Amana et Zakoura. Lors de cette même conférence, les participants avaient évalué à 2 millions d’emprunteurs
le marché potentiel marocain [PlaNet Rating, 2002].
Al Amana, Fondep et Zakoura visent les commerçants, petits artisans et des microentrepreneurs (hommes ou
femmes), n’ayant pas accès au financement bancaire traditionnel, en zones urbaines, péri-urbaines et rurales. Zakoura,
qui au départ visait les jeunes diplômés a rapidement changé de cible. Elle s’adresse à une clientèle défavorisée dans
une relation de proximité avec les clients à travers les produits non financiers de formation et d’activités annexes, qui lui
assurent une réelle fidélité. Les montants moyens de prêts octroyés pour cette institution sont actuellement de
1300 DH. Cette fondation semble de plus en plus intéressée un nouveau créneau qu’elle voudrait investir, celui de
l’habitat insalubre. Alamana leader de la région MENA octroie en moyenne des prêts de 2400 DH, dispose de 125
antenne, en fin décembre 2003 et de clients actifs au nombre de 101 553 dont la grande majorité sont des femmes.
Récemment, l’agence pour le développement du nord et cette association ont signé une convention en matière de
micro crédit dans la province d’Oujda, Larache et Taourirt. La fondep, dont la majorité de la clientèle sont des femmes
(66 %), finance en priorité les activités de commerce(40 %); suivi de l’artisanat (35 %), l’agriculture et des services.
Les trois IMC se basent sur les groupes solidaires comme moyen de garantie. Parmi la gamme de prêts proposés par
FONDEP, un produit – 6 mois avec remboursement mensuel – est le plus sollicité et correspond aux besoins de la
population cible, principalement rurale. Le taux d’intérêt nominal est de 30 % pour les prêts solidaire sur 4 ou 6 mois.
Le taux effectif global moyen de FONDEP est assez élevé, il dépasse 50 %. Quand à Al Amana, le taux effectif global
moyen de son prêt le plus sollicité de 39,6 %. Ce prêt est remboursable sur 9 mois avec une fréquence bimensuelle.
Zakoura, a le taux effectif global le plus faible des trois. Le taux d’intérêt nominal appliqué est de 27 % sur 2 types de
prêt : le crédit à 23 semaines et le crédit à 35 semaines. [PlaNet Rating, 2002].
Les taux d’intérêt semblent excessifs. Par ailleurs des enquêtes confirment un certain nombre d’effets pervers tels
que l’usage d’une main d’œuvre enfantine, pour faire face à l’activité, le détournement des crédits octroyés vers la
consommation au détriment de la micro entreprise.

444
5.2. L’informel et la réglementation Étatique

5.2.1. Le degré de respect de la réglementation


Les données disponibles ne permettent pas de dégager des tendances sur la période objet de l’étude.
L’enquête de 1988 ne fournit pas de données complètes à ce sujet. Elle se contente de signaler que 16 %
des micro entreprises informelles estiment le contrôle fiscal exagéré, qu’entre 53 % et 60 % sont favorables
à l’instauration d’une carte professionnelle. La sécurité sociale en dépit de son caractère obligatoire reste
ignorée par 70 % des micro entrepreneurs.
Les enquêtes de 1999 et l’enquête de 2000 sont plus riches d’informations. Il s’en dégage que le secteur
informel ne se caractérise pas toujours par une volonté délibérée de se cacher et de transgresser les obliga-
tions légales. Les micro entreprises ont un caractère semi légal. Elles connaissant différents seuils de léga-
lité où certaines réglementations sont respectées et d’autres ne le sont pas, comme ceci est d’ailleurs
observable même dans les entreprises formelles. Ainsi les micro entreprises observent davantage la législa-
tion fiscale que la législation sociale et la législation du travail.
L’enregistrement sur les fichiers des patentes est variable, selon qu’il s’agisse d’unités localisées, sans
local ou exerçant à domicile. Le taux d’observation est le plus fort dans les unités localisées (84 % des unités
selon l’étude de 1997, 55,7 % en 2000). Seulement 1,1 % des unités sans local l’observent. Quant aux activi-
tés informelles à domicile, elles sont toutes non inscrites à la patente. L’évolution semble confirmer que la
tendance a l’enregistrement à tendance à baisser en particulier depuis 1996.

Tableau 10 : Enregistrement à la patente selon l’ancienneté des unités de production informelles


Date de création de l’unité en %

Enregistrement à la patente Avant 1981 1981-1990 1991-1995 1996-2000 Total

Total des unités informelles


Oui 29,2 24,5 23,1 16,9 23,3
Non 70,8 75,5 76,9 83,1 76,7
Total 100 100 100 100 100
Unités informelles avec local
Oui 68,6 66,4 60,6 35,0 55,7
Non 31,4 33,6 39,4 65,0 44,3
Total 100 100 100 100 100

D.S. ENSINA 1999/2000 p. 204

Le degré d’enregistrement des unités sur le registre du commerce est plus faible mais demeure variable
selon les enquêtes et le champ retenu. (59 % des unités en 1997 et seulement 13 % en 2000 en raison de la
prise en compte des ambulants).
Les contributions fiscales proprement dites sont moins bien observées que l’enregistrement. Toutefois, la
majorité des responsables d’unités localisées s’acquittent des impôts professionnels (69,2 % en 1997) et
surtout des impôts locaux (87 %). Les unités du secteur informel sont donc fiscalisées en partie ou en tota-
lité, paient certains impôts et pas d’autres.

445
En revanche, l’inscription sur les registres de la sécurité sociale est la réglementation qui est la moins res-
pectée et appliquée (93 % n’ont aucun ouvrier affilié).
Par ailleurs nous avons souligné plus haut, la précarité juridique des travailleurs que ce soit concernant le
manque d’observation de la réglementation concernant les conditions et les relations de travail, la durée de
travail, les congés payés ou l’affiliation à la CNSS est la règle (voir supra).

5.2.2. Les causes de non observation de la réglementation :


Tolérance, cultures locales coûts de transactions, méconnaissance...
A ce propos, plusieurs constats se dégagent. Si certaines réglementations ne sont pas respectées ou si les
micro entreprises ne sont pas enregistrées ou mal enregistrés, c’est que d’autres facteurs interviennent
qu’une volonté délibérée de transgresser la codification étatique.

Tableau 11 : Motifs de non-enregistrement ( %)

Patente Registre du CNSS


commerce
Coût de l’enregistrement 3,5 3,6 17,3
Démarche complexe 0,9 2,8 –
Non obligatoire 60,5 50,6 35
Méconnaissance de la réglementation 24,4 30,8 33,1
Autres 10,7 11,2
Total 100 100

Tableau à partir de l’ENSINA, 2000

– Tolérance et méconnaissance
Le fait qu’elles « ne sont pas obligées » de respecter et la méconnaissance de certaines réglementations,
constituent les motifs premiers invoqués par les informels. Ce qui peut vouloir dire qu’il y a tolérance de la
part des pouvoirs publics à l’égard de ces activités et qui se justifie, dans la logique étatique, par nombre de
raisons. La première, c’est parce que l’État est dans l’incapacité de faire respecter les réglementations qu’il
promulgue, afin d’éviter les explosions sociales. La seconde c’est que ce secteur crée des emplois, procure
des revenus et permet à l’État de se décharger de cette fonction sur l’informel. En fait, c’est une dynamique
de tolérance-répression qui est à l’œuvre, une dynamique qui peut constituer le rouage d’autres formes
d’informalité, comme la corruption, le clientélisme ou des opérations de pourchassement.

– Cultures, codes, et réglementations locales


Si certaines réglementations ne sont respectées, c’est aussi parce que les activités informelles s’appuient
dans nombre de cas, comme celui de l’artisanat, sur ses propres codes et réglementations se référant aux
modes d’organisations traditionnelles qui tirent leur sens de représentations sociales enracinées dans les
cultures locales. Dès lors, les réglementations mises en place par l’État et la plupart du temps adaptées à
d’autres pratiques sociales sont considérées comme étrangères à leur système de valeurs, non créatrices
d’obligations et de la sorte ignorées.

446
– Coûts de transactions
Enfin, ce qu’il faut souligner, c’est que la complexité des procédures, le coût de l’enregistrement (les coûts
des transactions) et en quelque sorte de l’accès à la formalité sont des obstacles de moindre importances
(3,5 % des micro entrepreneurs pour la patente, 3,6 % pour le registre du commerce et 17,3 % pour la
CNSS).

6. Quelles perspectives et politiques en direction de l’informel ?

Le secteur informel ne sera sans doute pas appelé à disparaître de si tôt. La croyance que la modernisation
de l’économie et la diffusion du développement finiraient par absorber, selon un mécanisme spontané, le
croît de main d’œuvre est de plus en plus infirmée. Le développement n’est ni linéaire, ni continu et se
heurte à des retournements, des bifurcations. Une dynamique à la fois d’hétérogénéité, d’expansion et de
saturation constituera encore des traits marquants.
L’avenir de ce secteur soulève nombre de questions. S’agit-il de substituer le formel à l’informel ou de ren-
forcer leur complémentarité ? Faut-il réglementer ou au contraire libéraliser ? Est-ce qu’il est plus judicieux
d’agir directement sur les micro entreprises informelles en privilégiant l’action sur l’offre (accès au crédit, aux
matières premières...) ou mener des actions sur la demande et donc sur l’environnement ? Quelles politiques
sociales et fiscale appropriées en direction de l’informel ?
L’hétérogénéité du secteur informel appelle une hétérogénéité des stratégies, consistant à agir sur plu-
sieurs volets et selon les catégories et les strates de l’informel ; les mieux lotis (employeurs, les catégories
relativement plus structurées...) ou les moins bien pourvus (les travailleurs non qualifiées, les femmes et les
enfants...). Les actions devraient être différenciées selon le haut de gamme ou le bas de gamme, la strate
évolutive ou la composante involutive de l’informel, les micro entreprises et la main d’œuvre.

6.1. Stratégies envers les micro entrepreneurs

La question qui se pose est comment faire passer les catégories les mieux loties vers une échelle supé-
rieure ? Ce passage est conditionné par un changement d’organisation, par la visibilité, le respect des normes
et des règles officielles, difficilement réalisables sans mesures d’accompagnements.
Plutôt que de chercher à surmonter les difficultés à coup d’interdictions ou de libéralisation excessives, il
est plus approprié de lever les principales contraintes que vivent les micros entreprises de manière à stabili-
ser leur environnement. Il est certes, important d’agir sur les obstacles internes (crédits, formation...) mais
ceci n’est pas suffisant car il se révélerait contre productif d’agir au niveau du crédit en occultant la question
des débouchés, principal problème vécu par les micro-entreprises. Le choix pour une situation plus légale
peut en effet avoir des avantages comme l’accès à des formes de crédits institutionnalisés, à des com-
mandes qui pourraient être attrayants pour certains responsables d’unités...

– Améliorer l’environnement macro économique, financier et commercial


Il s’agit d’inscrire le développement du secteur informel dans le cadre d’interventions réaffirmiraient ses
relations avec le secteur formel. Compte tenu du fait que c’est la demande qui constitue l’obstacle premier,

447
les pouvoirs publics devraient s’y fournir davantage en développant des marchés publics, des liens de sous
traitance. De même que l’État devrait jouer un rôle en renforçant les relations entre la grande entreprise et
les unités qui présentent des potentialités.
Ce qui limite les liens entre entreprises modernes et informelles, c’est le fait que les marchés sont encore
mal ancrés, et les chefs des micro entreprises encore peu formés. Les logiques entreprenariales sont peu
développées, les producteurs n’ont qu’une connaissance limitée des techniques de production et des possi-
bilités du marché. De toute évidence les grandes entreprises formelles, dans un tel contexte, ne vont pas
s’adresser aux micro entreprises au risque que la qualité du produit en pâtisse. Dans ce contexte, il est
important de les accompagner, de les protéger dans les différents stades de leurs activités afin de lever les
obstacles qu’elles connaissent (approvisionnement, de la commercialisation, capital ...)

– Poursuivre simultanément des objectifs économiques et sociaux


Il s’agit aussi d’inscrire le développent du secteur informel dans une stratégie globale de politiques
sociales et distributives. De véritables politiques de lutte contre le chômage. Il serait dangereux de mettre
l’accent sur la production des entreprises informelles en accordant des crédits mais en oubliant le marché et
les débouchés. Ceci peut menacer à la fois l’investissement et la production.
Il s’agit pareillement de s’appuyer sur les logiques endogènes ; renforcer les micro institutions et ne pas
ignorer le rôle des différents acteurs, mais ne pas oublier non plus que ceux-ci sont insérés dans des struc-
tures et des tendances lourdes. Certaines politiques de mise à la norme, comme la politique de crédits en
direction de l’artisanat a eu des effets pervers ou ont échoué. Les sommes allouées sont orientées vers la
consommation. Ceci n’est pas étonnant, car ces programmes supposent l’existence d’un individu rationnel
au sens de la rationalité instrumentale. Or les logiques familiales priment sur les logiques entreprenariales.
Les relations sociales et, d’une manière générale l’environnement au sein duquel les unités fonctionnent,
sont évacuées comme éléments pouvant exercer une influence sur l’action de l’agent.

– Créer un environnement institutionnel national favorable


Ce n’est certainement pas en prônant un retour aux règles du marché (De Soto) qui d’ailleurs est incomplet
et imparfait dans les pays en développement que l’on pourra « libérer les énergies entreprenariales » et solu-
tionner les difficultés des micro-entreprises. « La question de l’émergence de micro entrepreneurs innova-
teurs est moins de retrouver les lois du marché (face aux dysfonctions de l’État) que de les créer et de voir
comment ce principe trouve sa place a coté d’autres modes de coordination » (Hugon 1996). Les marchés ne
sont pas une institution naturelle. Ils se construisent, et ils ne peuvent se construire sans un environnement
institutionnel favorable. Les dynamiques entreprenariales supposent pour fonctionner un renforcement des
micro institutions et de l’État et non son retrait. Nombre de trajectoires nationales montrent que c’est l’État
qui a institué le marché et que ce dernier livré à lui-même peut s’auto-détruire (Mejjati A R, 2001). S’il existe
un exemple à méditer, c’est bien celui des pays de l’Asie de l’Est, caractérisés par une complémentarité des
relations entre État marché et micro institutions.
Dans ce cas, la conception selon laquelle il suffirait de soustraire l’activité économique et le secteur infor-
mel à tout contrôle législatif, administratif et fiscal pour assurer rapidement croissance et prospérité est sim-
pliste. La libération totale des forces du marché ne saurait résoudre tous les types de problèmes
économiques, et il appartient à l’État d’assumer une fonction essentielle, à savoir compenser les insuffi-
sances du marché et stimuler le développement économique en facilitant l’accès au crédit et en investissant
dans l’infrastructure et dans la mise en valeur des ressources humaines.
R Au niveau fiscal, toute politique de fiscalisation du secteur informel devrait en premier lieu s’accompa-
gner de la levée des obstacles en matière de débouchés et de crédits. Il serait plus opportun de mettre
en place les conditions financières permissives pour qu’ils s’acquittent des obligations fiscales (crédits

448
marchés...). En second lieu. Il serait souhaitable de mettre en place un système fiscal souple et adapté
aux spécificités des unités informelles. L’établissement d’un impôt forfaitaire et constant (patente) est
souvent déploré, alors que les revenus varient parfois dans des proportions considérables.
R Au niveau de la réglementation, certaines réglementations conçues dans l’intérêt collectif, se justifient
économiquement et socialement et doivent être appliquées, telles que les règles d’hygiène et de
santé. D’autres réglementations doivent être améliorées. Ainsi le cadre instable du travail ne permet
pas d’imposer le respect de la réglementation sur le salaire minimum sans nuances (du fait du carac-
tère saisonnier de l’activité, de l’instabilité de la main d’œuvre...).

D’autres enfin ne se justifient pas et doivent être supprimées. Dans ce sens, il semble évident que la lon-
gueur des procédures (enregistrement...) leur complexité et parfois leurs coûts ne se justifient pas.

– Il est important de créer des liens d’interface entre l’informel et les activités modernes : La promotion de
capacité associative par le regroupement des petits producteurs indépendants sans perspectives de
trouver une solution à leurs problèmes. C’est à partir d’associations que peuvent s’organiser des bases
d’appui, qui à leur tour renforce la capacité de gestion, de représentation et de négociation avec le sys-
tème institutionnel en place.

– Renforcer le partenariat. C’est davantage sur la base d’un partenariat que du contrôle absolu et de la for-
malisation qu’il faut opérer. En somme, il est important de définir les rapports entre l’État, le marché et la
micro entreprise ; Il s’agit de créer des relations et un environnement favorable au partenariat pour les
producteurs les mieux lotis.

6.2. Politiques envers la main d’œuvre

– Une véritable réforme du marché du travail


Le rapport a mis en évidence la montée de l’auto emploi, des travailleurs indépendants qui font face à l’irré-
gularité du travail et des revenus et constituent la composante majoritaire. Le chômage des diplômés,
devient structurel et de plus en plus régulé par l’insertion dans les activités du secteur informel. Des actions
en leur direction sont nécessaires.

– Réduire les disparités selon le genre. Deux catégories vulnérables les enfants et les femmes exigent
des interventions spécifiques.
Les premiers travaillent dans des secteurs qui menacent leur santé et leur sécurité et dans les activités
qualifiées de pires formes. Les secondes, bien qu’invisibles dans certains cas, sont importantes dans le bas
de gamme du secteur informel. (Petite confection, broderie à domicile, maillon dans le commerce de contre-
bande, domestiques...), qui est le prolongement du travail à domicile. Si le modèle de développement a eu
des incidences sur l’ensemble, c’est surtout qu niveau des femmes et des enfants que les conséquences
sont les plus fâcheuses. En dépit des progrès significatifs vers la réduction des inégalités, des disparités
importantes entre genre persistent, que ce soit dans le processus d’accès discriminatoire sur le marché du
travail (exclusion des emplois protéges, surchômage) ou au niveau éducatif et de la formation.
L’adoption de certaines normes sociales du travail telles que la suppression progressive du travail des
enfants, la lutte contre les formes de discrimination en direction des femmes, en matière d’emploi, de forma-
tion, d’accès à l’éducation, et l’amélioration des conditions de travail, s’avèrent être des objectifs prioritaires
de développement humain.

449
– La mise en place d’un filet de protection sociale minimale pour la main d’œuvre, à un coût moindre et
plus compatible avec les systèmes organisationnels des micro entreprises est fortement recom-
mandable. Même si elle est coûteuse pour de nombreuses unités du secteur informel, on ne peut se
fixer comme principe la non application de la protection sociale dans un secteur dont certaines des
composantes en ont le plus besoin. On peut prévoir des conditions spéciales pour les unités du secteur
informel, comme un taux très faible de cotisation pour les patrons comparé aux autres entreprises. Mais
leur imposer cette obligation telle qu’elle peut les amener à détourner cette règle par l’usage d’une main
d’œuvre salariée sous un statut de non salarié ne bénéficiant d’aucune protection.

– Améliorer les conditions de travail en particulier pour les catégories vulnérables (enfants). Les règles qui
protègent des mauvaises conditions de travail, sont totalement justifiées et doivent s’imposer tout en
les adaptant à la réalité des unités informelles, avec un certain soutien financier. Les critères en vigueur
dans les entreprises modernes semblent difficilement être imposés à l’informel en raison du coût que
certains ne peuvent prendre en charge. Mais il ne s’agit pas d’en dispenser les unités de l’informel sur-
tout qu’il s’agit de la santé et de la sécurité des actifs.

– Les travailleurs de l’auto emploi, les travailleurs non qualifiés, les apprentis, les ambulants nécessitent
également des actions particulières (regroupement, associations... cf. plus haut). Même si le revenu
n’est qu’un élément du développement humain, ces catégories ne disposent pas de suffisamment de
revenus leur permettent d’exercer leurs capacités. Des subventions à l’installation des locaux et l’organi-
sation d’espaces pour faciliter leur acquisition pour les ambulants apparaît comme une action essen-
tielle.

– Un meilleur et plus grand accès aux services de base. Des actions en direction de la formation et de
l’éducation des actifs du secteur informel sont souhaitables. Les unités informelles, en dépit du rôle joué
dans la formation, ne peuvent à elles seules prendre en charge la formation des jeunes, ni se substituer
totalement au système de formation professionnelle. La formation qui y est dispensée est insuffisante
et se répercute forcément sur la qualité des produits. Il s’agit d’assurer des formations en matière de
comptabilité, et de calcul des coûts, de capacités gestionnaires, indispensables au passage à une
échelle supérieure. Il s’agit aussi d’articuler les systèmes de formation des centres de formation profes-
sionnelle avec les modes de transmission de qualifications qui ont cours au sein des unités (stages des
actifs de l’informel au sein des centres de formation professionnelle qui impliqueraient la contribution
des chambres de l’artisanat, des associations professionnelles, ...).

– Tout ceci suppose de favoriser l’accès aux droits fondamentaux, de contribuer à la satisfaction de ces
droits (droit de travailler avec un revenu décent, à une protection sociale, à un niveau de vie adéquat)
avec une approche en termes de droits humains et avec une référence à la dimension de citoyenneté.
– Enfin, toute prospective devrait mieux appréhender les activités du secteur informel, secteur qui
demeure mal connu. Il s’agit de mettre en place des méthodologies de recherche adaptées à certaines
catégories, les femmes et les enfants, tout en les intégrant plus dans l’appareillage statistique. Il s’agit
aussi d’articuler des approches plus novatrices avec les instruments statistiques de manière à les adap-
ter à une réalité hétérogène et mouvante qu’est celle du secteur informel. Des approches plus empi-
riques peuvent constituer des moyens d’enrichir les données (rares) sur le secteur informel et cerner
plus précisément le rôle et le fonctionnement du marché du travail.

450
Conclusion

Développement humain : Le rôle des institutions et des valeurs

L’analyse des activités informelles montre les limites des anciennes orthodoxies. Si la croissance écono-
mique est nécessaire, elle n’est pas non plus suffisante. Les modèles de croissance économique visent plus
l’augmentation du PNB que l’amélioration des conditions de vie et du bien être. Le développement est
humain, en ce sens qu’on ajoute au premier terme, l’amélioration du bien être que ce soit l’alimentation,
l’éducation-formation, la couverture sanitaire, la lutte contre le travail précaire... Mais le développement
humain est également pluridimensionnel et devrait tenir compte des complexités institutionnelles de celui-ci
et du rôle particulier des valeurs dans les comportements économiques et sociaux.
L’approche en termes de développement humain cherche à introduire les valeurs dans l’analyse écono-
mique. Cette approche développée par Amartya SEN montre comment l’analyse économique a privilégié
dans le passé l’accroissement de la disponibilité des biens plutôt que celui des droits et des capacités des
individus. En insistant sur le fait que le développement concerne tous les êtres humains, Amartya SEN pose
des balises pour une approche multidimensionnelle du développement. Celui-ci est défini comme « la sup-
pression des principaux facteurs qui s’opposent aux libertés ; la pauvreté comme la tyrannie ; l’absence
d’opportunités économiques comme les conditions sociales précaires ; l’inexistence de services publics
autant que l’intolérance ou la répression systématique exercée par les autorités » (SEN 2000). Ces attributs
déterminent pour les individus une capacité d’accès aux aliments. Pour SEN, qui cherche à expliquer les
famines : a faims, celui qui n’a rien ou pas assez pour échanger, que ce soit son travail, de l’argent, la terre ou
tout autre droit qu’il peut négocier sur le marché et faire valoir pour obtenir des aliments. Le développement
est donc engagement. Il correspond à des valeurs. Le développement humain durable suppose une réhabili-
tation des politiques économiques et sociales actives de contrôle du marché. Il suppose également de reve-
nir sur le principe de dérégulation, source principale de dysfonctionnement. Une dernière conséquence de
cette analyse est que le développement humain durable renvoie à une dimension de citoyenneté 1.

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1. Le développement humain a ainsi deux aspects. Le premier concerne la mise en place de champs des possibles-tels que l’amélioration de
la santé, des connaissances, et des aptitudes. Le second, a trait à l’utilisation que les individus font des potentialités qu’ils ont acquises-qu’ils les
consacrent à la production, aux loisirs, ou encore à des activités culturelles, sociales ou politiques (PNUD 1995, p. 13-14).

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453
Introduction

Le développement humain englobe une croissance économique soutenue sur une longue période, mais
aussi des progrès en termes de santé publique, d’accès au service publique, à un logement décent et à une
éducation de qualité.
Le Maroc a connu depuis son indépendance des progrès non négligeables que beaucoup d’observateurs
ne mettent pas, à notre point de vue, assez en exergue. Cependant, ces progrès, pour importants qu’ils
soient, ne sont pas suffisants pour parler d’un véritable décollage de l’économie marocaine qui profiterait à
l’ensemble de la population.

Par ailleurs, l’économie marocaine a toujours été considérée comme étant la plus libérale et la plus ouverte
de tous les pays du Maghreb. Elle est celle dont les structures productives, commerciales et bancaires sont
les plus conduites par l’initiative privée et les plus exposées aux marchés étrangers. Cette double vocation,
libérale et mondiale est due particulièrement à la place dominante occupée par le Maroc dans la production
et l’exportation des phosphates, au choix politique fondamental du Maroc d’entretenir des relations étroites
avec le reste du monde et particulièrement avec l’Occident et à l’existence d’une forte bourgeoisie foncière,
industrielle, commerciale et financière 1.

Aujourd’hui le Maroc entre dans une phase très délicate de son développement. Il s’est engagé dans un
processus d’ouverture sans précédent (signature d’accords d’association avec l’Union européenne, les États-
Unis, la Turquie, ou encore avec certains pays arabes à travers l’accord d’Agadir ....), alors que la structure de
sa production et le contenu de ses échanges extérieurs demeurent typiques d’un pays en développement.
Ceci le fragilise sur son propre marché. Cette ouverture nous paraît fondamentale car elle peut générer une
croissance forte et durable à condition qu’une politique de réformes structurelles soit mise en œuvre. Cette
dernière doit être claire et bien séquencée. Elle doit tenter, autant que se faire se peut, de remédier aux rigi-
dités institutionnelles et comportementales, tout en veillant à ce que ces réformes améliorent le bien-être
collectif 2.
Les conditions actuelles qui prévalent au Maroc laissent penser qu’il est difficile de placer ce dernier dans
un sentier de croissance durable, en appliquant de façon indifférenciée et non hiérarchisée la panoplie de
mesures habituellement utilisée dans le cas de pays en transition vers l’économie de marché, étant donné la
nécessité de poursuivre l’élimination d’importants handicaps structurels. Ceci est d’autant plus délicat que la
mobilité induite par l’ouverture – telle qu’elle est sous-entendue dans les différents accords d’association
signés par le Maroc tant avec l’Europe qu’avec les États-Unis – ne concerne qu’un facteur de production à
savoir, le capital. La problématique migratoire est vue plus sous l’angle sécuritaire.
L’objectif de cette contribution est de faire un état des lieux de la problématique migratoire en relation
avec l’ouverture du Maroc vers l’extérieur. Dans ce cadre, la migration sous ses différents aspects (remises

1. Pour plus de détails concernant ce point, on peut se référer à Gaillard et Gaillard (1999).
2. FEMISE (2004).

457
de fonds, transfert de technologie et du savoir, rayonnement international et lobbying, développement
local,...) peut constituer un levier pour accélérer la croissance et participer de manière efficace au développe-
ment. Il est évident que cette problématique est complexe, multidimensionnelle et pluridisciplinaire ; la traiter
dans son ensemble dépasserait le cadre de ce travail. Pour l’ensemble de ces raisons, nous essaierons de
cerner, tout particulièrement, le lien entre migration internationale et développement humain. Il est connu
que les mouvements migratoires sont expliqués, entre autre, par les différences du niveau de développe-
ment. D’un point de vue théorique, le choix d’un individu de migrer est un choix rationnel qui peut être expli-
qué par les différences de rémunération, la recherche d’un avenir meilleur ou encore d’une meilleure
sécurité. Une fois installé dans le pays d’accueil, l’immigré cherche à tisser des liens avec les membres de sa
communauté. Ce capital social facilite l’installation de nouveaux arrivants en diminuant le risques attaché à
l’expatriation, de sorte que la migration devient un phénomène auto-entretenu ; la présence d’anciens appelle
l’arrivée de nouveaux immigrés.
L’histoire des rapports entre migration et développement est celle d’un rapport par deux fois déçu. Au
moment où les flux migratoires – vers l’Europe et les États-Unis – étaient intenses à la faveur des trente glo-
rieuses, on se plaisait à considérer la migration comme une source de transmission de développement
économique. Quand les pays développés ont décidé de restreindre dans un premier temps avant de stopper
l’entrée des émigrés – qu’il s’agisse des programmes Bracero ou de fermeture des frontières en Europe
1973-74 – le mot d’ordre de l’époque était de trouver des alternatives à la migration. Ainsi, les programmes
d’aide à la coopération, l’investissement direct étranger (IDE) ou l’ouverture à travers le commerce sont-ils
considérés comme la panacée pour réduire la propension à émigrer (Tapinos 1994).
Les deux cheminements qu’on vient de citer dépendent évidemment de la capacité d’absorption ou du
contexte institutionnel du pays d’origine de sorte qu’il est difficile d’avoir une conclusion générale des effets
de la migration sur le développement du pays d’origine. Il est cependant évident que la mobilité inter-
nationale permet à l’émigré d’améliorer son bien être ainsi que celui de sa famille. En revanche, l’impact de
l’ouverture aux échanges commerciaux, de l’aide publique au développement ou encore des IDE sur la pro-
pension à émigrer demeure faible. Le problème de fond est qu’il existe des différences fondamentales dans
les deux processus qui sous-tendent la migration (amélioration du bien-être de l’émigré d’une part, et déve-
loppement durable du pays d’origine d’autre part). D’abord, le premier se situe au niveau microéconomique
(décision individuelle de migrer) et l’autre au niveau macroéconomique (décision au niveau des autorités du
pays d’origine et/ou du pays d’accueil). Ensuite, les conséquences sont immédiates dans un cas et sont à
plus long terme dans un autre. Les deux cheminements ont en commun, cependant, un objectif final à savoir
l’amélioration du bien être individuel et familial. Par conséquent, il faudrait nuancer l’opposition qui existe
entre migration et développement.
Par ailleurs, le chômage endémique que connaît le Maroc depuis plusieurs décennies conjugué aux
besoins importants de main-d’œuvre des pays d’Europe et de certains pays arabes explique dans une large
mesure l’intensification des flux migratoires en provenance du Maroc. Cette situation introduit des effets de
coopération et même de dépendance bilatérale entre le pays émetteur – le Maroc – et les pays récepteur –
l’Europe en particulier – de main d’œuvre. En effet, les besoins en main d’œuvre des pays du Nord, à la
faveur des « trente glorieuses » des pays du vieux Continent, et les taux élevés de fécondité qu’a connus le
Maroc ont poussé les deux partenaires à organiser la migration (section 2).
Tant pour les responsables politiques que pour les chercheurs, l’impératif de données sur la mobilité inter-
nationale paraît évident. Cependant, force est de constater qu’au Maroc, comme d’ailleurs dans la plupart
des PVD, les données relatives à la migration demeurent lacunaires malgré les efforts de quelques orga-
nismes en charge de la question. La section 3 essaiera de quantifier les flux migratoires du Maroc vers les
pays du Nord depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui.
Au-delà et face à la crise économique des années 70 et 80 et au ralentissement des mouvements migra-

458
toires, les pays d’émigration, dont le Maroc, ont adopté des mesures destinées à inciter leurs ressortissants
à transférer des sommes de plus en plus importantes vers leur pays d’origine. Les transferts de fonds sont
devenus des variables clés dans le financement des déficits extérieurs, voire même le moteur principal dans
la stratégie de développement de certains pays. Cette question des transferts de fonds sera abordée dans la
section 4.
Un autre aspect de la mobilité internationale préoccupe les chercheurs et les responsables politiques du
Nord et du Sud et qui renforce l’idée de coopération entre les pays émetteurs et récepteurs de la main-
d’œuvre ; il s’agit de la fuite des cerveaux. Pour le Maroc, cette migration revêt un caractère fondamental. Car
il peut en découler soit un accès privilégié à des ressources de savoirs externes, soit une déperdition des
compétences du pays, indispensables à son développement (Barré et al, 2003). D’autant plus que la crois-
sance économique est aujourd’hui axée sur la connaissance et l’économie du savoir, à telle enseigne que
ceux qui « ratent » ce train seraient marginalisés. Se pose alors la question de savoir si le Maroc est capable
de rattraper les pays développés par le biais de l’investissement en capital humain et la technologie. Dans la
pratique, on ne peut répondre à cette question que par la négative, vu l’état actuel de la recherche scienti-
fique et le niveau du capital humain de la population active. D’un point de vue théorique, cela reste du
domaine du possible. En effet, la littérature – néoclassique en particulier – met en exergue le rôle intégratif
du marché, à condition, cependant, que les ingrédients de la croissance et du décollage soient réunis (Meyer,
2003). Les théories « historicisantes » insistent sur le rôle des apprentissages multiples et de la qualité des
institutions pour que des situations économiques telle que celle qui prévaut au Maroc lui permettent de se
développer. Pourtant, aujourd’hui un nouveau fait apparaît qui permet de bouleverser les convictions des
théoriciens des deux bords, c’est la migration de la main-d’œuvre hautement qualifiée travaillant au Nord et
œuvrant pour le développement du Sud. Il ne s’agit pas de mécanisme de régulation par l’offre et la
demande, mais d’action sociale où les processus identitaires jouent un rôle crucial. Il ne s’agit pas non plus
de la mobilité des facteurs de production telle qu’elle est enseignée par la théorie économique, mais de la
source même de leur création. Les réseaux diasporatiques « offrent en quelque sorte un raccourci historique,
en conférant aux capacités sociocognitives une ubiquité inédite » 1. Dès lors, la question principale qui se
pose est simple : comment le Maroc peut-il tirer parti de son potentiel de chercheurs et ingénieurs expatriés
pour accélérer sa croissance et asseoir les bases d’un développement équilibré. L’ensemble de ces ques-
tions sera abordé dans la section 5.
La section 6 essaiera de résumer l’interaction entre migration et développement et proposera des préconi-
sations et des recommandations en matière de politiques de migration internationale, en insistant tout parti-
culièrement sur la mobilité internationale des diplômés et sur la diaspora.
La dernière section sera consacrée à la conclusion de cette contribution.

1. Contexte institutionnel

Le Maroc avait depuis longtemps compris l’importance de l’émigration comme moyen d’améliorer le bien
être national et de contribuer au développement économique du pays. Ainsi, l’émigration peut-elle participer
à l’allégement des pressions sur l’emploi, aux transferts d’épargne et à l’acquisition des connaissances et
savoir-faire à l’étranger. Les politiques migratoires ont été définies autour de ces principes ainsi que celui du
maintien de liens privilégiés entre les émigrés et leur pays d’origine afin de protéger leurs droits et de préser-

1. Meyer (2004).

459
ver leur identité dans les différents pays d’accueil. Si les motivations économiques 1ont toujours été à la base de
la décision individuelle de migrer, elles l’ont été aussi pour la définition d’une politique migratoire marocaine.
Le Maroc a essayé d’organiser les flux migratoires pour en tirer profit au maximum. Si on s’en tient aux mon-
tants des transferts de fonds à destination de ce pays (4e rang en 2003 au niveau mondial et 2e rang si on pon-
dère par le nombre d’habitant d’après la Banque Mondiale), on peut dire que le Maroc a réussi dans cette
entreprise (voir 4.2).
Cette partie sera consacrée aux mesures prises par le Maroc en faveur de la migration. L’analyse sera
menée à trois niveaux : 1) encouragement de l’investissement de manière générale et de l’entreprenariat
des ressortissants marocains à l’étranger (RME), en particulier 2) Mesures de soutien des RME et signature
de conventions avec les partenaires du Maroc en matière de migration et 3) programmes d’organisation de la
diaspora.

1.1. Mesures générales en faveur de l’investissement et de l’entreprise 2

En adhérant, depuis janvier 1993, aux obligations de l’article VIII du FMI 3, le Maroc a instauré la convertibi-
lité du Dirham pour les opérations courantes 4. D’importantes mesures ont été prises dans le cadre de la nou-
velle politique monétaire visant la dynamisation des marchés des capitaux au Maroc : le désencadrement du
crédit, la libéralisation des taux, la stimulation de la concurrence interbancaire 5, les refinancements de la
Banque Centrale 6, les nouvelles règles prudentielles 7, et l’assouplissement des emplois obligatoires 8. Ainsi
les entreprises étrangères 9 peuvent-elles se financer directement auprès des banques locales, en

1. Sur l’importance des motivations économique sur la décision de migrer dans la cas marocain, on peut se référer à Abdellatif, Berrada et
Khachani (2000).
2. Pour plus de détails sur cette partie, on peut se référer à Bouoiyour, Rey et Marimoutou (2004).
3. L’article VIII du FMI, relatif à la convertibilité, interdit aux pays membres qui y ont souscrit d’imposer des restrictions aux paiements et
transferts afférents à des transactions internationales courantes et de recourir à des pratiques de taux de change multiples ou à des pratiques
monétaires discriminatoires.
4. D’après la circulaire no 1606 du 21 septembre 1993 adoptée par l’Office des Changes, les opérations courantes couvrent les éléments sui-
vants : les opérations de commerce extérieur y compris les frais accessoires y afférents, les frais de transport international, les frais d’assurance
et de réassurance, les frais d’assistance technique étrangère, les frais de voyages, les revenus des investissements étrangers, les économies sur
revenus des personnes physiques de nationalité étrangère résidant au Maroc ainsi que tous autres frais qui, par leur nature, sont considérés cou-
rants mais ne peuvent être classés dans l’une des rubriques précitées.
5. L’accroissement de l’activité bancaire en 1991, s’est accompagnée de modifications non négligeables des parts de marché de chaque
banque et ce, aussi bien au niveau des crédits distribués qu’en matière de dépôts collectés (en s’accroissant chez les uns et en régressant chez
les autres). Ainsi, suite à cette concurrence entre les établissements bancaires, les performances en matière de bénéfices ont oscillé en 1996,
autour de 20 % des résultats.
6. La Banque Centrale au Maroc (Bank Al-Maghreb) assure le refinancement des banques en harmonie avec l’expansion prévue des crédits
dans le cadre de la politique monétaire.
7. Pour éviter que les banques ne soient tentées de prendre des engagements excessifs et plus risqués à la faveur de la libéralisation, les
règles prudentielles ont été réaménagées en vue de : i) conforter les fonds propres des établissements bancaires proportionnellement à l’exten-
sion de leurs engagements et ce, à hauteur de 8 % (coefficient de solvabilité); ii) limiter davantage les grands risques des banques, qui ne peuvent
dépasser 10 % du montant global de leurs crédits par décaissements et par signature (coefficient de division des risques bancaires).
8. L’existence, jusqu’à la fin de 1990, d’emplois obligatoires élevés s’expliquait par la politique monétaire qui était basée sur un contrôle quan-
titatif du crédit plutôt que sur un contrôle par le coût (appliqué actuellement). Ainsi, à l’exception de la réserve monétaire qui est gardée comme un
filet de sécurité dans le cadre de la nouvelle politique monétaire, plusieurs emplois obligatoires ont été supprimés (c’est le cas du coefficient
d’emplois en crédits immobiliers et du coefficient de retenue pour la créance née sur l’étranger) d’autres, comme le plancher d’effets publics, les
de bons de Trésor à 1 an, sont appelés à diminuer progressivement jusqu’à disparaître.
9. Ces opérateurs économiques jouissent à la fois des avantages liés à la qualité des résidents (particulièrement le libre accès à des avoirs ou à
des crédits en Dirhams) et des avantages attachés à la qualité de non-résidents (en particulier la possibilité de financer des investissements au Maroc.

460
bénéficiant à la fois des avantages liés à la qualité des résidents (particulièrement le libre accès à des avoirs
ou à des crédits en dirhams) et des avantages attachés à la qualité de non-résidents (en particulier la possibi-
lité de financer des investissements au Maroc en devises et l’obtention, en contrepartie, de la liberté de
transfert des revenus ou de retransfert du capital et de la plus-value).
Pour doter le marché financier d’une bourse juridiquement et techniquement organisée, le Maroc a adopté
la loi du 21 septembre 1993. Cette dernière, inspirée des réglementations en vigueur dans les pays dévelop-
pés, a eu pour objectif la modernisation de la Bourse de Casablanca. Ainsi, la transformation juridique de la
Bourse, l’institution du Conseil Déontologique des Valeurs Mobilières 1, équivalent de la COB (Commission
des Opérations de Bourse) française, et la mise en place des intervenants (sociétés de bourse 2, SICAV 3,
FCP 4, ...etc.) ont-ils permis à la Bourse de Casablanca de se hisser au deuxième rang des bourses africaines,
après celle de Johannesburg en Afrique du Sud. De même, elle a été considérée comme politiquement « la
plus stable » parmi les cinq pays 5répertoriés par Lehman Brothers comme marchés méditerranéens émer-
gents. Toutefois, en dehors de l’apport des privatisations au marché boursier, la Bourse de Casablanca reste
marginale dans le financement des investissements. De même l’implication des RME dans ces nouveaux
moyens d’épargne et d’investissement demeure relativement faible. Il est vrai que les investissements en
bourse demeurent l’apanage d’une minorité de connaisseurs ; les investissements des RME se concentrent
plus dans des secteurs traditionnels et peu risqués. Mais d’un autre côté, il n’existe pas de stratégie ou de
politiques qui ciblent les RME en particulier.
La privatisation qui a été lancée en 1989 est une action censée encourager, outre l’investissement étran-
ger, la participation des RME à la dynamique économique de leur pays d’origine. La privatisation s’inscrivait
dans le cadre du programme d’ajustement structurel (PAS) visant le transfert des participations, dans un cer-
tain nombre d’entreprises publiques et semi-publiques, au secteur privé. Après un démarrage un peu difficile
en raison des difficultés enregistrées dans l’évaluation des entreprises privatisables, sa réalisation s’est accé-
lérée à partir de 1993. En effet, sa mise en application a entraîné un changement remarquable dans les
formes d’actionnariat au Maroc, notamment par l’ouverture aux investisseurs étrangers en leur donnant
l’opportunité d’investir sans limitation dans un nombre important de secteurs 6auparavant étaient réservés au
Marocains. À la fin de 1996, la moitié des entreprises privatisables avait été cédée pour un montant estimé à
1,1 milliard de Dollars. Il y a eu ensuite les privatisations réussies de Maroc Telecom, de la Régie des Tabacs
ou encore la deuxième licence GSM, pour ne citer que les plus importantes. Les RME ont participé de
manière très active à ces programmes, surtout pour les dernières opérations de privatisations, mais ces opé-
rations pour importantes qu’elles soient, demeurent en deçà des potentialités que permet leur épargne.

1. À l’instar des organismes de surveillance et de contrôle des marchés boursiers ou des marchés des capitaux étrangers, le Conseil Déonto-
logique des Valeurs Mobilières (CDVM) est chargé d’assurer la protection de l’épargne investie en valeurs mobilières en veillant à la transparence
et à la sécurité des marchés portant sur ces titres.
2. Créées par la loi du 21 septembre 1993, les sociétés de bourse ont le monopole des transactions boursières, l’article 35 de cette loi stipu-
lant qu’elles « sont seules habilitées à exécuter les transactions sur les valeurs mobilières inscrites à la Bourse des Valeurs ».
3. D’après la loi du 21 septembre 1993, les Sociétés d’Investissement à Capital Variable (SICAV) sont des sociétés anonymes qui ont pour
objet exclusif la gestion d’un portefeuille de valeurs mobilières et de liquidités, dont les actions sont émises et rachetées à tout moment, à la
demande de tout souscripteur ou actionnaire, à un prix déterminé.
4. Les Fonds Communs de Placement (FCP) sont des copropriétés de valeurs mobilières et de liquidités dont les parts sont émises et rache-
tées à tout moment à la demande de tout souscripteur ou porteur de parts, à un prix déterminé. Les opérations d’un FCP sont réalisées par
l’entremise d’un établissement de gestion qui agit comme mandataire au nom de ce fonds.
5. Il s’agit de la Jordanie, de l’Égypte, de la Syrie, du Maroc, de la Tunisie.
6. Certains secteurs, y compris la banque, l’immobilier, les assurances, certaines industries, certains transports, les exploitations agricoles, et
certaines formes de commerce ont été ouverts aux étrangers dans le cadre du programme de privatisation.

461
Adoptée en octobre 1995, la charte unique de l’investissement venait remplacer l’armature complexe des
8 chapitres de l’ancien code des investissements (à l’exception du secteur agricole). Ce texte unique fixait les
objectifs fondamentaux de l’action de l’État pour les 10 années à venir en vue du développement et de la pro-
motion des investissements par l’amélioration des conditions d’investissement, la multiplication des encou-
ragements fiscaux et la prise de mesures d’incitations à l’investissement. Il est procédé à l’allégement et à la
simplification des procédures administratives liées à la réalisation des investissements. Cette charte a aligné
le traitement incitatif des entreprises publiques sur celui des entreprises privées. L’ensemble de ces
mesures, de même que la mise en place en 2002 des Centres Régionaux d’Investissement (CRI), est de
nature à favoriser l’IDE, mais aussi celui des RME 1.

1.2. Mesures spécifiques à la migration

1.2.1. Politiques marocaines en matière d’émigration


Comparé aux autres pays du Maghreb, le Maroc eut la politique la plus lisible et la plus constante en
matière d’émigration. Déjà en 1968, le plan quinquennal (1986-72) fixait comme objectif l’augmentation du
nombre d’émigrés afin de diminuer les pressions sur le marché du travail, d’encourage les remises des fonds
des RME et d’élever le niveau du capital humain national en prévision de retours des étudiants. Évidemment
ses objectifs ont été redéfinis après que les gouvernements des pays du Nord aient décidé dans les années
soixante dix de stopper les flux migratoires, mais les autorités marocaines ont poursuivi dans cette voie.
Après 1974, le nombre d’émigrés marocains a continué d’augmenter, mais par d’autres créneaux (voir 3.2).
Cette politique d’encouragement de l’émigration et du maintien de liens forts avec le pays d’origine n’a
jamais été démentie au plus haut niveau de l’État. Le Roi Hassan II a toujours été réticent à toute intégration
des marocains dans leur pays d’installation et refusait de reconnaître la double nationalité.
On peut affirmer que la politique migratoire du Maroc est parfaitement cohérente et considère la migration
comme un moyen, parmi d’autres, de promouvoir l’économie nationale. Cette position est différente de celle
des autres pays du Maghreb 2.
Les banques marocaines ont très vite compris l’importance de l’épargne des RME. Pour stimuler les trans-
ferts de fonds, elles n’ont pas hésité à s’installer dans les pays d’accueil (à partir de 1971). Certaines banques
ont même installé leurs bureaux au sein des ambassades et consulats marocains. Leurs méthodes d’encou-
ragement de l’épargne des RME, en connivence avec certains services consulaires sont, quelques fois, peu
orthodoxes 3.
Par ailleurs, la réglementation de change permet aux RME de détenir auprès des banques marocaines
deux types de comptes ; un compte en dirhams convertibles (apport en devises libellé en dirhams) et un
compte en devises. Les revenus à terme ainsi constitués sont exonérés de taxes. En 1993, la circulaire

1. À priori et d’après les différents témoignages relatés dans les différents séminaires et autres tables rondes organisés au Maroc et à l’étran-
ger, il semblerait que ces simplifications des procédures administratives avaient encouragé l’investissement des RME. Il faut cependant rester
prudent tant que des enquêtes sérieuses n’auront confirmé ou infirmé ces constats.
2. Les autorités algériennes suivaient une politique migratoire radicalement différente. Elles avaient ainsi devancé la France en suspendant
l’émigration vers ce pays dès 1973, c’est-à-dire un an avant que cette dernière n’annonce la fermeture officielle des frontières en 1974. Il faut dire
qu’à cette époque les conditions économiques qui prévalaient en Algérie (boom du secteur des hydrocarbures) étaient différentes de celles du
Maroc. La Tunisie avait une position intermédiaire entre l’Algérie et le Maroc.
3. Ainsi, quand un RME, en situation irrégulière, désire renouveler son passeport marocain, certains services consulaires lui demandent la
preuve de la possession d’un compte bancaire, de préférence « bien garni », dans une banque marocaine.

462
no 1607 de l’Office de Change a stipulé que le versement initial doit être supérieur ou égal à la contre-valeur
en devise de 100 000 Dirham. En 1995, une autre circulaire a remplacé celle 1993 en diminuant le montant
du versement initial avant de supprimer définitivement la contrainte du versement minimum. L’ouverture des
comptes en devises devient donc libre pour les RME. Cependant, au cas où les RME souhaiteraient réexpor-
ter tout ou une partie des devises rapatriées dont la contre-valeur dépasse 50 000 Dirham, ils doivent sous-
crire auprès des services douaniers des frontières une déclaration à cet effet.
L’intervention des États en faveur de la préservation des intérêts économiques et de l’identité culturelle et
religieuse a pu maintenir un lien fort entre l’émigré et son pays d’origine, même si les questions politiques
ont quelques fois pu distendre ce lien, voir l’obscurcir 1. On se trouve ainsi dans des situations surréalistes où
des responsables d’un certain nombre de pays européens demandaient explicitement au Roi du Maroc
d’intervenir pour prendre position dans des événements, certes liés aux émigrés d’origine marocaine, mais
qui relèvent des politiques intérieures du pays d’installation 2. De même, les maires de certaines villes en
France n’hésitent pas à demander l’intervention des Consuls du Maroc pour apaiser les tensions dans cer-
tains quartiers à forte densité d’émigrés marocains ou de français d’origine marocaine.
La sur-médiatisation dans les pays du Nord de tout ce qui est en rapport avec l’islam depuis les attentas du
11 septembre 2001 et même avant cette date, sur fond de migration clandestine, n’a fait qu’exacerber les pro-
blèmes migratoires entre les pays d’émigration et les pays d’immigration. En tout cas, il paraît nécessaire, sinon
indispensable, que la migration soit organisée. C’est dans ce sens que le Maroc a signé un certain nombre de
conventions de main d’œuvre et de sécurité sociale avec ses partenaires européens (voir tableau 1).

1.2.2. Politiques Européennes en matière d’émigration


Durant les années de forte demande européenne en matière de main-d’œuvre, des pays tels que la France
ou la Belgique n’ont pas hésité à envoyer des représentants au Maroc pour recruter de la main-d’œuvre,
voire même ouvrir des organismes officiels. L’Office National d’Immigration Français s’est ainsi installé à
Casablanca. Durant les années 60 cependant, la plupart des émigrés marocains ont joint la France sans auto-
risation de travail préalable et ont régularisé leur situation plus tard. D’autres organismes ou des représen-
tants de patronats européens se sont installés au Maroc. Ainsi, la Belgique a-t-elle installé des bureaux de
recrutement à la demande, entre autres, de la Fédération des Charbonnages Belges. Au même moment un
bureau de recrutement a été initié par les Pays-Bas. Durant la même période, la Maroc a signé plusieurs
conventions de main-d’œuvre et de sécurité sociale avec les pays d’immigration (tableau 1).

Tableau 1 : Conventions de main-d’œuvre et de sécurité sociale


signées par le Maroc avec certains pays européens

Convention de main d’œuvre Convention de sécurité sociale


République Fédérale d’Allemagne 21 mai 1963 25 mars 1982
France 1er juin 1963 9 juillet 1965
Belgique 17 janvier 1964 24 février 1968
Pays Bas 14 mai 1969 14 février 1972

Sources : Direction des Affaires Consulaires et Sociales. Ministère des affaires étrangères et de la Coopération. Rabat, cité par Khachani 2004
et Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger (2003).

1. Fargues (2002).
2. Il s’agit de la demande d’un député néerlandais faite au Roi du Maroc pour prendre position par rapport à l’islam « radical » suite à l’assassi-
nat du metteur en scène Théo Van Gogh par un émigré maroco-hollandais.

463
Après l’arrêt officiel de la migration en 1973-74, l’ensemble de ces bureaux et représentations fut fermé.
Cependant d’autres formes de migration ont apparus, en particulier le regroupement familial. Ce dernier a été
instauré en vertu des conventions bilatérales signées par le Maroc et ses partenaires européens. Pour encou-
rager officiellement le regroupement familial les autorités allemandes ont décidé en 1975 de suspendre les
allocations familiales pour les enfants des travailleurs ne résidant pas avec leur famille. De même la réforme
fiscale qui a suivi désavantageait les familles immigrées dont les enfants sont restés au Maroc, (Berriane,
2003). Le gouvernement Belge a aussi encouragé le regroupent familial. Dans ce sens, une compensation
financière a été même distribuée aux immigrés qui faisaient venir leur famille et le Ministère de l’Emploi et
du travail publie des brochures distribuées par les Consulats de Belgique dans les pays d’Afrique du Nord.
La migration saisonnière s’est aussi développée dans un premier temps dans les pays traditionnels d’immi-
gration, puis dans les nouveaux pays d’immigration tel que l’Espagne. L’Espagne a, d’ailleurs, signé avec le
Maroc un accord administratif relatif aux travailleurs saisonniers le 30 septembre 1999. De même, le chapitre
IV de l’accord bilatéral en matière de main d’œuvre signé le 25 juillet 2001 entre le Maroc et l’Espagne est
consacré aux « dispositions spéciales concernant les travailleurs saisonniers ».
Les relations maroco-espagnoles se sont caractérisées ces dernières années par des situations conflic-
tuelles très aigûes. Ces situations ont été exacerbées par le différend concernant l’îlot de Leila/Pereji pendant
l’été 2002. La question migratoire constituait toujours la pierre d’achoppement entre les gouvernements des
deux pays. Malgré ces différents, le Maroc et l’Espagne ont essayé d’organiser la migration en renforçant
leur coopération depuis une dizaine d’années. Ils ont ainsi signé un certain nombre d’accords (traité d’ami-
tiés, de bon voisinage et de coopération, en 1991 ; accord relatif à la circulation des personnes, en 1992,
accord en matière de séjour et de travail, 1996 ; ainsi que d’autres accords de coopération en matière judi-
ciaire et d’autres en matière d’emploi).
Cependant, les conventions d’application des accords de Schengen signés en juin 1990 – établissement de
visas, contrôles renforcés aux frontières, système de délivrance de permis de travail – ont réduit de manière
substantielle les flux migratoires du Maroc vers l’Europe. Ce qui n’a pas empêché d’autres formes de migra-
tions de se développer, en particulier la migration clandestine.
Après la crise des années 70, les gouvernements occidentaux ont essayé d’organiser le retour des immi-
grés à leur pays d’origine. Ces initiatives n’ont eu que des effets négligeables sur le retour des Marocains.
Par ailleurs, dans le cadre des accords d’association signés entre l’Europe et les pays du Maghreb (zone de
libre échange euro-méditerranéenne), une série de dispositions concernent la garantie des droits des émi-
grés en situation régulière (en faisant fi des droits des émigrés clandestins). Ces accords contiennent des
clauses visant à réduire la pression migratoire en créant des emplois dans des zones à fort taux de migration,
tel que le Maroc. Ce partenariat comprend aussi des dispositions concernant la nécessité de lutter contre la
migration clandestine.
Si l’on scrute de près les politiques migratoires européennes de manière générale, et françaises en parti-
culier, on peut affirmer sans exagérer qu’elles sont le reflet d’un désappointement très criant. Le foisonne-
ment de lois et instruments institutionnels illustre bien ce désarroi. Depuis l’accord franco-allemand de
Sarrebruck en 1984 étendu au Benelux en 1985 (connu sous le nom des accords de Schengen) puis à
d’autres pays européens en 1995 et 2000, en passant par les accords de Dublin en 1990 (politique commune
d’asile politique), ou encore le traité de Maastricht et enfin le traité d’Amsterdam, la politique migratoire euro-
péenne manque de clarté. D’une part, tous les pays européens ne sont pas concernés par certains de ces
traités et, d’autre part, et malgré le principe de subsidiarité, les États gardent la possibilité de légiférer en
matière d’asile politique et d’immigration à condition de respecter les lois européennes. Le Conseil de Tam-

464
péré en 1999 avait adopté une approche équilibrée de la migration en insistant sur l’intégration des ressortis-
sants des pays tiers, sur une approche globale incluant à la fois les droits de l’homme, le développement des
pays du Sud...Mais les attentats du 11 septembre sont venus polluer cette approche et les européens ont dû
durcir leur politique migratoire. Le Conseil de Séville de décembre 2002 a exigé que toute relation entre
l’Union et les pays tiers contienne des clauses relatives à l’immigration, en particulier la gestion partagée des
flux migratoires et la réadmission des étrangers en situation irrégulière. En termes plus clairs, il s’agira de lier
l’aide de l’Union en faveur de certains pays tiers, comme le Maroc, aux efforts consentis pour la lutte conte
l’immigration clandestine. Malgré l’adoption de différentes lois et traités, les pays européens continuent à
traiter la migration au niveau national dans un désordre ahurissant.

1.3. Programmes relatifs à la mobilité internationale du travail qualifié

Le débat sur les avantages et les coûts de la migration des élites a fait couler beaucoup d’encre (voir 5.1). Il
faut reconnaître que ce genre de migration coûte cher aux finances et à l’économie marocaines. Cependant,
on ne peut que s’étonner du manque de réaction de la part des autorités marocaines. Alors que le nombre
d’étudiants marocains qui poursuivent leurs études à l’étranger augmente et la proportion de ceux qui ne
reviennent pas suit le même rythme, les responsables marocains semblent ignorer le problème. Pour
preuve, le manque d’initiatives et d’études concernant le coût de cette nouvelle mobilité internationale, son
impact sur l’économie, son organisation,... De deux choses l’une ; soit les autorités marocaines encouragent
le départ, sans retour, des étudiants marocains à l’étranger en laissant faire. L’idée serait de lutter contre le
chômage des diplômés dans certains secteurs et en même temps, tirer les bénéfices d’un éventuel « rayon-
nement » international et d’un lobby en faveur du Maroc en profitant de tous les avantages que l’option
« diaspora » permettrait (voir 5.). Soit elles luttent contre la fuite des cerveaux et dans ce cas, elles mobi-
lisent tous les moyens nécessaires pour atteindre cet objectif. Force est de constater qu’à la lecture des ini-
tiatives prises – une seule officiellement – par les autorités marocaines, ni l’une ni l’autre option n’a été
clairement identifiée. On peut penser à une troisième option qui est tout simplement le manque de vision
claire sur la façon de traiter cette nouvelle forme de mobilité.
La seule initiative prise par les autorités marocaines a été le programme TOKTEN (Transfert of Knowledge
Though Expatriate Nationals) en 1993. En 2004, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche
scientifique en collaboration avec le ministère délégué chargé des RME a mis en place le programme FIN-
COM. Il est un peu tôt de juger des effets de cette initiative.

1.3.1. TOKTEN
Le programme TOKTEN (Transfert of Knowledge Though Expatriate Nationals), ou transfert de connais-
sances par l’intermédiaire des nationaux expatriés du PNUD (Programme des Nations Unis pour le Déve-
loppement) a pour vocation d’identifier le potentiel scientifique marocain à l’étranger 1. « L’objectif... est

1. Le document du projet TOKTEN a été signé par la PNUD et le ministère des affaires étrangères le 8 janvier 1990. La première rencontre de
TOKTEN s’est tenue en juillet 1993 à Rabat. Cette rencontre a connu la participation de 300 scientifiques marocains dont 180 résidant à l’étranger.
La seconde au même mois en 1994 à Casablanca par l’Office National de Développement des Aéroport. Une troisième et dernière rencontre a eu
lieu au mois de juillet 1996. Il a été organisé par le ministère des Affaires Étrangère et de la Coopération en collaboration avec le Centre Royal de
Télédétection Spatiale et Le CNESTEN. Elle a réuni 180 chercheurs et scientifiques marocains dont 38 expatriés (voir Bouoiyour, 1995 ou le docu-
ment officiel du Ministère de l’Enseignement supérieur de la Formation des Cadres et de la recherche Scientifique FINCOM, 2004).

465
d’appuyer les efforts du gouvernement pour renforcer les capacités techniques dans les secteurs et institu-
tions clés, la mise en place d’un mécanisme qui permette à des spécialistes marocains de contribuer effec-
tivement au développement économique et social du pays » (Bouoiyour, 1995). Il s’agit de transférer la
technologie étrangère par le biais des scientifiques expatriés en diffusant la production scientifique nationale
à l’étranger, en participant de manière active à la recherche scientifique nationale et en multipliant les activi-
tés d’expertise au profit du Maroc. L’idée est séduisante et le bilan global de ce programme du PNUD à tra-
vers le monde (une cinquantaine de pays) a donné des résultats encourageants 1.
Dans le cas marocain, malheureusement, et à part quelques réunions, le programme est « passé à la
trappe ». Le manque de ténacité et de moyens humains, la récupération politique ont fait que ce programme
est passé aux oubliettes malgré quelques résultats timides et qui, au demeurant, sont très en deçà des
objectifs recherchés. Citons à titre d’exemple, la mise en place d’un annuaire des compétences maro-
caines 2ainsi que la mise en place d’un groupe de recherche très actif en génie industriel qui s’est constitué
grâce aux rencontres TOKTEN.

1.3.2. FINCOM
Les objectifs du projet FINCOM (Stratégie nationale pour la mobilisation des compétences des marocains
résidant à l’étranger) sont les suivants :
– Le soutien à la Recherche et Développement et à la formation induisant une amélioration du système de
la recherche ;
– Le transfert de technologie et de savoir-faire ;
– L’aide à l’expertise, à l’élaboration de stratégies sectorielles et développement et à l’évaluation des pro-
jets et programmes de recherche ;
– L’attraction de l’investissement et du partenariat d’affaires ;
– La synergie entre compétences locales et celles des RME notamment à travers les réseaux de
recherche ;
– La contribution au renforcement de la coopération bilatérale.

La mise en œuvre de ce programme suppose la mise en place d’une structure stable et opérationnelle.
L’implication de l’État paraît évidente pour que cette initiative puisse clore et qu’elle soit pérenne. Comme on
peut le remarquer, les objectifs sont louables, mais il est très tôt pour juger de l’aboutissement de ce projet
puisqu’il a été mis en place en 2004. Espérons simplement qu’il ne connaîtra pas le même sort que le projet
TOKTEN et qu’il n’y ait pas de récupération politique.
Les pays d’accueil ont aussi compris l’importance de ce levier et ont essayé de mettre en place des poli-
tiques de migration basée sur la diaspora à capital humain qualifiée. Ainsi, la France a chargé un ambassadeur
itinérant du co-développement et qui s’appuie sur les réseaux diasporatiques pour faire aboutir les projets de
coopération dans quatre pays africains dont le Maroc. Après avoir rompu avec une approche délibérément
axée sur les flux migratoires, le concept du co-développement est conçu aujourd’hui comme « le moyen pri-
vilégié de sortir de la contradiction qui existe entre le recours à une immigration de main-d’œuvre, dont le
niveau de recrutement semble devoir augmenter, et les nécessité du développement des pays d’origine » 3.

1. Rappelons que ce programme a été initié en 1977 par le PNUD.


2. Cet annuaire nous a permis de lancer l’association Savoir & Développement.
3. Cour des Comptes (2004).

466
Au niveau international, l’Accord Général sur le Commerce et les Servies (AGCS) de l’Uruguay Round vise
à libéraliser le commerce international des services. L’AGCS (mode 4 : mouvement des personnes phy-
siques) vise à promouvoir la circulation des personnes. D’un côté les pays en développement disposent d’un
surplus de main-d’œuvre qualifiée dans certains secteurs. De l’autre, le caractère temporaire des séjours ras-
sure les pays industrialisés qui ont la hantise de l’établissement permanant. L’OCDE (2002) semble confir-
mer l’intérêt de certains pays à cette forme de mobilité. Dans la pratique, cette mobilité se heurte à plusieurs
obstacles. Comme le notait Wickramasekara (2002), les pays développés font montre de peu d’enthou-
siasme envers les dispositions de l’AGCS, mode 4 qui profiterait aux experts des PVD au détriment des mul-
tinationales. De même, les pays développés font obstacle à l’entrée des émigrés qualifiés du Nord, de peur
de leur installation définitive. Des améliorations ont été proposées comme la standardisation et l’extension
des professions et l’accès au marché ou encore la simplification des procédures administratives en mettant
en place un visa spécial AGCS.

2. Flux migratoires : essai de quantification

2.1. Flux migratoire, démographie et marché du travail

On a souvent expliqué l’utilité des flux migratoires par les différences de taux de natalité ou de fécondité
entre le Nord et le Sud. Les années 2000-2010 voient arriver sur le marché du travail marocain les généra-
tions les plus nombreuses depuis l’indépendance et ce malgré la diminution du taux de fécondité. Celui-ci est
passé de 3,3 enfants par femme en 1994 à 2,5 en 2002, ce qui équivaut à taux moyen d’accroissement
démographique de 2,1 % en 1982 à 1,4 % aujourd’hui. Le nombre de jeunes (âgés 20-29) s’accroît moins
vite qu’avant et commencera à décliner dès l’année 2010. De même, l’âge du premier mariage des femmes
est passé de 25,8 ans en 1994 à 27,4 en 2000. D’après ces statistiques, on voit bien que ce qui pose pro-
blème aujourd’hui, ce n’est plus la dynamique de la population, mais celle de l’emploi. Il est vrai que le taux
de fécondité diminue et tend vers les standards des pays du Nord, mais le chômage a atteint des niveaux
records. En fait, les effets de la diminution de la natalité sur le marché du travail ne se feront sentir qu’à partir
de 2010. La compétition pour trouver un emploi sera par conséquent toujours rude, d’autant plus que la parti-
cipation des femmes est de plus en plus importante. Cependant, on peut observer une différence importante
entre les jeunes marocains à la recherche d’un emploi aujourd’hui et leurs aînés. La nouvelle génération a
peu d’enfants, grâce à sa propre fécondité basse, mais a beaucoup de frères et sœurs pour partager la
charge des parents grâce à la fécondité élevée de la génération précédente (Fargues, 2002). C’est une situa-
tion sans précédent. Mais quels sont les effets de ces transformations démographiques sur la propension à
émigrer ?
On peut déceler deux effets contradictoires sur la migration ; un effet qui encourage les jeunes à émigrer
et un deuxième qui les dissuade. Le premier est dû à la levée de contraintes familiales, ce qui se traduirait par
une plus grande liberté de mouvement et une envie de voyager, de découvrir le monde et peut être de
migrer. L’enquête d’Eurostat (2000) a tenté d’estimer le potentiel migratoire dans des régions marocaines à
forte migration : 29 % des hommes déclarent avoir l’intention d’émigrer, mais 3 % seulement ont déclaré
avoir pris des démarches effectives dans ce sens. Le deuxième effet est défavorable à la migration. Les
jeunes, ayant peu d’enfants et sans la charge entière des parents, épargnent, investisseent plus facilement,
se sentent bien « chez eux » et ont confiance dans l’avenir de leur pays. Pour que cette option soit réaliste, il
faudrait évidemment qu’ils trouvent un travail. Dans ce cas, le changement démographique réduirait la pro-

467
pension à émigrer. Autrement dit, les autorités politiques marocaines doivent se concentrer aujourd’hui plus
sur les politiques de l’emploi et du marché du travail que sur la problématique démographique.
Pourtant, cette structure d’âge peut être un levier pour la mise en place de politiques keynésiennes volon-
taristes en encourageant par exemple la construction de logements. Selon une étude du FMI (Dhonte et al,
2000), des pays, comme le Maroc devraientt profiter de cette transition démographique et la disponibilité de
main-d’œuvre pour mettre en place des programmes ambitieux afin de combler le déficit de logement, ce qui
aura un effet d’entraînement sur les autres secteurs d’activité, en application de l’adage « quand le bâtiment
va, tout va ». L’accession à la propriété peut être un facteur de paix social, ce qui diminuerait d’autant la pro-
pension à émigrer.
Du côté européen, les perspectives démographiques se caractérisent par le vieillissement de la population
dû à la baisse du taux de natalité et à l’augmentation de l’espérance de vie. Ainsi et selon M. Makonnen 1, la
tranche d’âge de 15/65 ans de la population d’Europe occidentale devrait en principe décroître de 259,4 mil-
lions en 2000 à 237,3 millions en 2025 et 162,8 millions en 2050, soit une diminution de 37,2 %. Une immi-
gration massive n’inversera pas cette tendance, mais pourra atténuer les effets néfastes sur la force du
travail. L’Europe des quinze aura besoin de 550 000 travailleurs et professionnels étrangers par an jusqu’en
2010, ensuite 1,6 millions entre 2010 et 2050, ce qui représente 16,8 % du total de la population de l’Union
européenne. Dit autrement, une immigration de 3,8 pour 1000 habitants contre 2,2 pour 1000 dans les
années 70 et 0,7 pour 1000 entre 1960 et 1982 selon Makonnen. D’autres estimations vont dans le même
sens. On se souvient du rapport des Nations Unis qui a fait grand bruit en 2000. Pour compenser les ten-
dances négatives de la démographie des pays développés, ce rapport propose trois scenarii d’immigration
correspondant à 3 objectifs : i) maintien de la population totale en 2050 à son niveau de 2000 ; ii) maintien de
la population d’âge actif (15-64 ans) en 2050 à son niveau de 2000 ; iii) maintien du rapport entre la population
d’âge actif et les personnes âgées de 65 ans et plus en 2050 à son niveau de 2000. Dans chacun des scéna-
rios, les immigrants s’installent définitivement. Les résultats sont éloquents. Dans le premier scénario, il fau-
drait 47 millions d’immigrants pour l’Europe des quinze entre 2000 et 2050, 79 millions dans le second et 674
millions dans le troisième. Le premier scénario paraît plus réaliste et se rapproche de celui de Makonnen. La
conclusion de ce rapport est claire : si la migration n’empêchera pas le vieillissement des populations euro-
péennes, elle peut opportunément contribuer à maintenir leurs tailles constantes, voire à freiner la diminution
de la population en âge de travailler. En tout cas, la migration n’est pas une option, mais une nécessite pour
les pays du Nord.

2.2. Évolution des flux migratoires depuis l’indépendance jusqu’à


aujourd’hui

Les données sur la migration sont par trop lacunaires et dépendent de la source et des critères utilisés.
Cette question n’est pas anodine et peut porter à confusion. Ainsi, le nombre de marocains vivant en
Espagne, par exemple, ne peut pas être comparé à celui des marocains vivant en Allemagne ou aux Pays-
Bas. Cette différence n’est pas due seulement au niveau de sophistication de l’appareil statistique et de sa
fiabilité, ni des différences des sources de données (enquêtes, recensement, registres,...), mais à des dif-
férences de conception même de l’étranger. Aux Pays-Bas, par exemple, le nombre de marocains (et qui
n’ont pas la nationalité néerlandaise) en 1999 est de 130 000. Si l’on comptabilise les marocains nés au

1. Représentant de l’Organisation Internationale pour les Migrations, cité par le sénateur J-G Branger (2004).

468
Maroc (sans tenir compte de leur nationalité au moment du recensement), on trouvera alors pour la même
année 250 000 personnes (Fondation Hassan II, 2003). De même, un marocain né au Maroc et naturalisé
français sera comptabilisé comme français, mais pour le pays d’origine, il restera toujours marocain. Ces dif-
férences de conception ne facilitent pas le travail d’estimation et encore moins de prévisions du nombre de
marocains.
Ces précisions d’ordre statistiques étant faites, on peut maintenant estimer l’évolution des émigrants
marocains depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui.

2.2.1. Trois grandes vagues d’émigration


Ibn Bettouta avait signalé déjà à son époque la présence de marocains dans diverses régions d’Afrique et
d’Asie. Cependant cette migration se faisait principalement à l’intérieur de « Dâr al-Islam », en particulier en
Afrique du Nord et au Moyen Orient 1. Par ailleurs, l’avènement d’un État musulman en Espagne eu début du
e e
VII siècle a encouragé la migration des marocains à destination de ce pays. Au XIX siècle, une nouvelle forme
de mobilité est apparue ; il s’agit de l’émigration élitiste. De nombreux établissements ont été crées par des
Fassis (habitants de Fès) dans des villes africaines et européennes (Gibraltar, Manchester,...). Cette mobilité
demeure relativement circoncise et c’est au début du XXe siècle que des départs massifs d’ouvriers ont été
observés 2. La région de Souss a été pendant longtemps le principal vivier de main d’ouvre à destination de la
France (80 à 90 % des effectifs marocains en 1938, 70 % en 1953 et 50 % en 1966) 3.
Si le soutien de l’État à la migration n’a jamais fléchi, il faut préciser que l’évolution de cette dernière
dépend plus des besoins et politiques migratoires des pays hôtes, en particulier l’Europe. On peut grossière-
ment subdiviser les mouvements migratoires en trois phases correspondant chacune à des politiques parti-
culières des pays d’immigration (Berriane, 2002).
1) La première phase commence en début de XXe siècle jusqu’en début des années 70. L’émigration était
souvent ouvrière répondant aux besoins des anciennes colonies (France, Belgique et Pays-Bas). Elle était plu-
tôt masculine, non sédentaire et originaire des régions périphériques ou de la compagne marocaine. Les pre-
mières vagues d’immigration le Souss dans le Sud et le Rif oriental dans le Nord du Maroc. Ces régions
surpeuplées souffraient de déséquilibre important entre charges démographiques et ressources naturelles.
Cette migration a été favorisé par l’existence de réseaux villageois bien structurés basée sur de vieilles com-
munautés villageoises berbérophones (Moussaoui et al, 2003).
2) La deuxième phase commence au milieu des années 70 avec la crise qu’ont connue les pays occiden-
taux suite au choc pétrolier. La fermeture des frontières qui a suivi a changé radicalement la physionomie de
la migration. On assiste ainsi à l’apparition du regroupement familiale 4et même à l’immigration clandestine.
De même, de nouveaux profils apparaissent, des personnes diplômées (étudiants, techniciens,...), d’autres
sans qualifications issues de quartiers périurbains ainsi que des femmes seules. L’éventail des pays d’accueil
a augmenté pour s’étendre à de nouveaux pays européens (Allemagne, pays scandinaves). Le choc pétrolier
a eu pour conséquence un développement rapide des pays exportateurs de cette matière première et par
conséquent une demande importante de main-d’œuvre marocaine. L’autre pôle d’attraction de cette dernière
a été les pays du Golfe et la Libye. Les régions d’origine ont aussi changé, il ne s’agit plus des régions mon-
tagneuses, enclavées et pauvres. L’émigration gagne aussi le Rif, une grande partie de l’Oriental et même

1. Haraket (1996), cité par Khachani (2004).


2. Les premiers Soussis ont été embauchés en 1909 dans les sucreries de la région de Nantes.
3. Simon (1999), cité par Khachani (2004).
4. Voir plus loin dans ce même paragraphe.

469
dans les plaines d’agricultures modernes telle que le Tadla. Elle va s’étendre petit à petit aux villes (Agadir,
Taza, Meknès, Fès, Al Hoceima, Nador,...) et aux grandes métropoles (Marrakech ou encore Casablanca).
3) La troisième et dernière phase débute à la fin des années 80 et début 90. Elle correspond à la mise en
place des conventions d’application des accords de Schengen signé en 1990 et qui ont limité de manière
drastique les flux migratoires. Cet infléchissement de la politique migratoire de la part des pays hôtes a
atteint son paroxysme après les attentats du 11 septembre. Concomitamment au durcissement du Nord, le
Sud connaît des bouleversements importants. En effet, sous l’effet conjugué de l’ouverture du Maroc vers
l’extérieur et la crise économique que connaît ce dernier l’émigration va se diversifier et se complexifier. La
mondialisation et les moyens de communication (les télévisions satellitaires, en particulier) ont exacerbé ce
phénomène en donnant un sentiment, avéré ou non, d’injustice pour ceux qui n’ont pas pu migrer. Certains
travaux ont expliqué la baisse de fécondité en milieu rural, non pas nécessairement par une plus grande auto-
nomie de la femme, mais par les images véhiculées par les émigrés d’origine rurale 1. Il semblerait qu’elles
interviennent en tant que catalyseur de l’élévation des aspirations des ruraux. En se basant sur la perception
qu’ont les femmes interrogées des images associées aux émigrés, l’auteur de cette étude arrive à la conclu-
sion que l’aisance matérielle et financière qu’affichent les émigrés exacerbe chez les ruraux le sentiment de
manque et de pauvreté par rapport à cet « étranger ». Au-delà de l’aisance matérielle, l’émigré renvoie
l’image d’une certaine qualité de vie, d’un certain confort, qui est en contradiction avec la dureté de la vie des
femmes dans les douars. En plus de la pénibilité de leur travail, les femmes interrogées ont un sentiment
d’injustice : elles travaillent plus pour acquérir le strict minimum tandis que les émigrés apparaissent à leurs
yeux rémunérés à leur juste valeur (Sajoux Ben Seddik, 2001). Le sentiment d’injustice observé dans les
compagnes marocaines se retrouve, plus amplifié, dans les villes. Il est vrai que l’augmentation de la pau-
vreté 2et les inégalités au Maroc (Moussaoui et al, 2003), suite à la mise en œuvre du PAS, mais surtout aux
choix des politiques économiques depuis l’indépendance, n’ont pas permis à ce pays de trouver un rythme
de croissance accéléré, et encore moins, une répartition des revenus plus égalitaire. À cela s’ajoute l’implica-
tion de la femme dans le marché du travail et l’exode rural. On parle désormais de « double migration ». Les
espaces préurbains s’étendent dans les villes et deviennent une source d’émigration.

Ainsi le fait migratoire devient-il un phénomène de société et concerne désormais toutes les couches de la
population marocaine et pratiquement toutes les familles. Les premiers émigrés étaient vus avec dédain de
la part de la « bonne société marocaine », dorénavant la migration est « désabsolutisée ».
Cette troisième vague d’émigration n’a pas fini de bouleverser la société marocaine en secouant ses
valeurs, en mettant à nu ses contradictions et en remettant en cause ses traditions et coutumes. Il est
évident que la société marocaine ne peut pas faire l’économie d’un véritable débat pour cerner les tenants et
les aboutissants d’un tel bouleversement.
Au-delà et parmi tous les pays d’immigration, la France, pour des raisons historiques et culturelles,
demeure la principale terre d’accueil des émigrés marocains.

2.2.2. Importance de la France entant pays d’immigration


Sans revenir sur le débat concernant les sources statistiques sur les flux migratoires, exacerbé en France
par le fait qu’ils restent un tabou en plus d’être un sujet polémique dans le débat public, nous utiliserons dans

1. Enquête réalisée dans deux douars de la région de Meknès par Sajoux Ben Seddik (2001).
2. Un marocain sur 5 vit en dessous du seuil de pauvreté en 1999 (en se basant sur les critères de la Banque Mondiale). Cette situation s’est
aggravée par rapport à celle de 1990-91 où l’on comptait déjà 3,3 millions de pauvres (enquête sur le niveau de vie des ménages).

470
ce paragraphe les données des différents recensements effectués en France. En 1940, la population maro-
caine résidant en France était estimée à 16 458 personnes. En 1962, ce nombre a augmenté pour atteindre
33 000. C’est dans les années 60 que la migration marocaine vers la France a connu son apogée : de 84 000
en 1968, elle a atteint 260 000 en 1975, soit une augmentation annuelle de 15 % durant ces vingt années 1.
Après la décision française de fermer les frontières en 1974 pour la migration des travailleurs, suite à la
crise économique qu’a connue l’Europe, la croissance de la population marocaine en France a ralenti de
manière spectaculaire (7,6 % en moyenne entre 1975 et 1982 et 3,2 % entre 1982 et 1990). À partir de cette
date, elle devient négative (-1,6 % entre 1990 et 1999).

Graphique 1 : Migration des marocains en France


au titre du regroupement familial et du travail saisonnier

Source : Office des migrations internationales, 2000.

La fermeture des frontières a donné lieu à d’autres formes de migration. Il s’agit du regroupement familial
et de la migration saisonnière. La première forme a été autorisée par les conventions bilatérales de main-
d’œuvre. Elle a eu pour but un rajeunissement de la population immigrée marocaine, mais aussi son enra-
cinement dans le pays d’installation. Dans le cas de la France, on dispose de données sur une longue période
et on se rend compte que le nombre d’entrées de marocains est passé de 970 en 1963 à 16 847 en 1982 (le
maximum) puis 8656 en 2002 grâce au regroupement familial. Durant les années 90, ce mouvement a ralenti
considérablement pour atteindre 3 508 en 1996 personnes seulement à cause du durcissement des procé-
dures sous l’effet notamment des lois Pasqua.

1. Fondation Hassan II (2003).

471
Concomitamment, la deuxième forme de migration (saisonnière) se développait. Insignifiante durant les
années 60, il a atteint son point culminant en 1974 avec 19 168 entrées. Cette migration répondait aux
besoins pressants de la France dans le domaine du tourisme, bâtiment et surtout l’agriculture (97 % des tra-
vailleurs saisonniers en 2002).
Les encouragements de la part des autorités européennes de manière générales, en faveur du regroupe-
ment familial au nom des droits de l’homme et de la démocratie visaient dans certains cas à décourager les
candidats à l’immigration 1. Mais c’était sans compter sur la capacité des marocains, habitués à la mobilité, à
contourner ces lois. Ces derniers pouvaient autrefois interrompre leurs séjours à l’étranger pour reprendre le
chemin de l’immigration quand le besoin se faisait sentir. Le regroupement familial et l’instauration des visas
ont transformé le projet migratoire en migration permanente (Berriane, 2003). Les RME vont instaurer de
nouvelles formes de regroupement familial. Ils vont dans un premier temps procéder à des regroupements
primaires en faisant venir leurs conjoints et enfants vivant au Maroc, puis à des regroupements secondaires
par le truchement de mariages de deux personnes l’une vivant en Europe et l’autre au Maroc. Le résultat final
étant l’augmentation du nombre d’immigrés officiels. Au-delà, les restrictions réglementaires suite aux
accords de Schengen ont moins empêché les entrées des étrangers qu’elles n’ont entravé les déplacements
de ces derniers. Elles ont eu l’effet inverse en encourageant la migration clandestine. Une politique de libéra-
tion de visas et de concertation entre les pays d’accueil et le pays d’origine pourrait apparaître comme un ins-
trument de lutte contre la migration clandestine. De même, il s’avère que c’est le marché, et non les États,
qui détermine la demande en matière de flux migratoire. Ainsi, dans les nouveaux pays d’immigration, en par-
ticulier l’Espagne et le Portugal, la migration clandestine paraît comme une réponse rationnelle à la demande
du marché du travail 2. Les autorités des pays d’accueil doivent plus concentrer leurs efforts sur le contrôle du
travail irrégulier que sur la migration clandestine.

2.2.3. Estimation des flux migratoires


L’estimation sur une longue période du nombre d’émigrés est un exercice périlleux à cause des dif-
férences de calculs entres les différents pays. Deux sources d’information vont être utilisées : celles don-
nées par les pays d’accueil et celles données par les autorités marocaines (le Ministère des Affaires
Étrangère et de la Coopération, MAEC). Ces dernières données sont plus proches de la réalité dans la
mesure où elles considèrent comme RME tout marocain vivant à l’étranger quelque soit la nationalité
acquise.
D’après l’OCDE, le nombre d’immigrés marocains installés dans les pays de l’OCDE est estimé à 1,181
millions en 2002. Ils étaient 971 000 en 1990 et 690 000 en 1985-86 (graphique 2).

1. Dans le cas allemand par exemple.


2. Pour le cas du Portugal, on peut se référer à Peixoto (2002).

472
Graphique 2 : Évolution du nombre des RME dans les pays de l’OCDE

Source : OCDE, 2002

Des régressions simples nous permettent d’estimer le nombre des RME dans les différents pays de
l’OCDE pour pouvoir faire des prévisions 1. Pour reconstituer les données, nous avons eu recours à dif-
férentes sources d’information (OCDE, 2002 ; Fondation Hassan II, 2003 ; INSEE, 2000 ; Eurostat, 2000 ;
Office de change).
Le graphique 3 nous fournit une estimation du nombre des RME dans les principaux pays de l’OCDE
durant les années 90. Les formes des régressions (linéaire, moyenne mobile, polynomiale, exponentielle,...)
ont été choisies en fonction des coefficients de détermination. On remarquera que c’est dans les nouveaux
pays d’immigration (Espagne et Italie) que l’évolution du nombre des RME est la plus impressionnante. Dans
les autres pays, leur nombre diminue.

1. Nous restons très prudent sur la fiabilité de ces estimations à cause du manque de données sur une longue période, mais cela donne une
idée sur la tendance générale.

473
Graphique 3 : Estimation du nombre de RME dans les pays de l’OCDE

Source : OCDE, 2002, Fondation Hassan II, 2003, INSEE, 2000, Eurostat, 2000, Office de change.

474
En 2002, on peut estimer le nombre de marocains à l’étranger à 2,6 millions d’après les données du
MAEC. L’Europe constitue, par excellence, le pôle d’attraction avec 84,6 % du stock des migrants maro-
cains, suivie des pays arabes, 9 %, de l’Amérique 6 % et enfin les autres pays ne représentent que 0,4 %.
Au sein de l’Europe, les pays d’accueil traditionnels constituent toujours le gros du stock des RME. Ainsi, la
France avec 47 % du total, représente la première destination des migrants marocains (graphique 4), suivi
des Pays-Bas (13 %). Les nouveaux pays d’immigration, l’Italie (13 %) et l’Espagne (10 %), ont connu des
évolutions spectaculaires depuis une dizaine d’années. En effet, d’après les différentes sources statistiques
des pays d’accueil, le nombre de migrants marocains dans ces deux pays a connu une augmentation se
situant entre 15 et 17 % par an depuis une dizaine d’années à la faveur des différentes opérations de régula-
risation, alors que dans les autres pays, le nombre stagne ou diminue. La Belgique continue toujours à drai-
ner un nombre important des migrants marocains malgré la diminution des flux constatée ces dernières
années.

Sources : Données du Ministère des Affaires Étrangère et de la Coopération

En ce qui concerne les pays arabes, la Libye draine plus que la moitie des 231 962 résidants marocains
(52 %) en 2002 d’après les données du MAEC, suivie de l’Algérie 27 % et la Tunisie 7 %. Les 14 % restants
résident dans les pays du Golfe. Malgré le manque de données statistiques et d’études sur la migration vers
les pays du Golfe, il paraît clairement que le nombre de migrants marocains vers ces pays a diminué. Ces
derniers préfèrent embaucher des émigrés asiatiques plus dociles et moins exigeants que les marocains. Il
faut aussi noter que dans les pays du Golf les droits des émigrés sont souvent inexistants et même quand la
loi existe, elle est peu appliquée.

475
On a vu précédemment que le principal foyer d’émigration était le Sud du Maroc. Les Soussis (habitants de
Souss) se dirigeaient principalement vers la France. Jusqu’aux années 70, le Nord-Est (Rif) du Maroc constituait
une zone d’émigration très active. Les Rifains se dirigent eux principalement vers la Hollande, l’Allemagne et la
Belgique. La migration devenant un phénomène de société, toutes les régions marocaines sont désormais
concernées. Parmi ces régions certaines se distinguent par rapport aux autres, en particulier la région de la
Chaouia-Ourdigha dont la majorité se dirige vers les nouveaux pays d’immigration (Italie et Espagne).

2.3. Prévisions des flux migratoires

Comme on l’a rappelé précédemment, les migrations se prêtent difficilement aux modèles prévisionnels
en raison notamment du caractère évolutif des contextes politiques et socio-économiques des pays d’origine
et des pays d’installation et la conception même de l’émigré au sein du pays accueil. Si l’on considère les
données de l’OCDE (graphique 2) ainsi que les régressions effectuées précédemment (graphique 3), on peut
prévoir facilement les flux migratoires dans les pays concernés. Par exemple, on peut s’attendre à ce que
ces flux augmentent dans les nouveaux pays d’immigration (Italie et Espagne) et diminuent dans les anciens
pays d’immigration (Allemagne, Belgique, France et Pays-Bas). En revanche les données fournies par les
autorités marocaines (qui ne reconnaissent pas les nationalités nouvellement acquises) aboutiraient à une
augmentation continue de ces flux dans certains anciens pays d’immigration. Les prévisions seraient
d’autant plus erronées qu’un certain nombre de pays procèdent ponctuellement à des régularisations des
« sans papiers » 1.
Aujourd’hui la situation peut paraître simple : d’une part, on assiste en Europe à un vieillissement de la
population et d’autre part, et malgré la diminution du taux de fécondité au Maroc, tout un pan de la population
marocaine est au chômage. Il est connu que les effets de la diminution de la natalité marocaine sur le marché
du travail ne se feront sentir qu’à partir de 2010.

3. Transferts des RME et Développement

L’étude des transferts des revenus ne peut pas se limiter aux seuls flux financiers des statistiques offi-
cielles rapportées dans les balances des paiements des pays d’accueil ou d’origine. Ces flux peuvent
emprunter d’autres canaux non officiels. Il s’agit de l’argent emmené par l’émigré à l’occasion du retour en
vacances ou envoyé par le biais d’un « postier » faisant partie d’un réseau informel de collecte de fonds. Ces
réseaux se tissent généralement par des liens familiaux ou commerciaux, communautaires ou villageois (Gar-
son, 1994). D’autres formes de transferts existent ; il s’agit des biens « exportés » par l’émigré vers son pays
d’origine, en particulier au moment des vacances. Dans le cas marocain, cette pratique est très développée
et a donné lieu à l’émergence d’un véritable marché, plus ou moins formel, de biens importés par les émi-
grés dans les grandes villes du Royaume 2.

1. Au mois de mars l’Espagne compte régulariser 800 000 étrangers sans papiers dont 100 000 marocains.
2. L’exemple le plus spectaculaire est celui des voitures que les émigrés utilisent pour se rendre au Maroc pendant la période des vacances et
qu’ils vendent avant leur départ. Un véritable marché de l’automobile importée par l’émigré a été mis en place avec des règles bien spécifiques
durant les années 80 et 90. Ainsi, une voiture importée d’Allemagne ou de France n’a pas la même qualité que celle importée d’Italie ou
d’Espagne. De même une voiture vendue à Khouribga n’a pas le même prix que celle vendue à Casablanca. L’État marocain a mis du temps avant
de mettre fin à ce trafic en augmentant les droits de douanes sur les voitures importées par les émigrés.

476
3.1. Déterminants des transferts de fonds

La décision de l’émigré de quitter son pays d’origine peut être une décision individuelle et/ou familiale.
Dans ce dernier cas, un membre de la famille, généralement le plus « débrouillard », est choisi. Cette déci-
sion coûte chère, dans la mesure où elle implique une perte sèche de revenu pour la famille en plus des
coûts des transports, des passeurs, dans le cas de l’immigration clandestine,.... L’ensemble de ces enga-
gements font que l’émigré reste attaché à son pays d’origine, ne serait ce que pour rembourser ces
dépenses. À court terme, l’émigré transfert une grande partie des revenus à la faveur des cet engage-
ment, mais aussi pour entretenir sa famille. À plus long terme, c’est la réalisation d’un projet personnel
(achat d’un terrain, d’un appartement, d’un cheptel ou la création d’une petite entreprise,...) qui reste l’élé-
ment mobilisateur pour l’émigré et qui justifie l’envoie régulier de fonds. Des enquêtes réalisées au Maroc
ou en Tunisie (Ponton d’Amecourt, 1989, Hamdouch et al, 1981 et Hamdouch 2002) confirment ce phéno-
mène.
D’autres variables interviennent dans l’explication des transferts de fonds, comme le niveau de revenu ou
la situation sur le marché du travail. Les variations des montants de transferts et leur ampleur dépendent
aussi de l’appréciation par l’émigré des deux environnements (pays d’origine et pays d’accueil) dans lesquels
il vit. Dans le cas des émigrés marocains par exemple, on a assisté à une explosion des transferts vers le
Maroc (+60,5 %) avec l’arrivée de l’Euro. L’arrivée de la monnaie européenne semble avoir comme effet le
désappointement des émigrés marocains qui ont préféré transférer leur épargne en masse vers le Maroc. De
même les politiques économiques des autorités du pays d’origine peuvent influencer le comportement
d’épargne des émigrés (voir plus loin).
Le comportement d’épargne des émigrés varie selon les individus et le pays d’origine. Cependant, tant
que l’option retour au pays d’origine reste envisagée par l’émigré, une proportion importante du revenu est
envoyée au pays d’origine. De même, il a été montré 1que les marocains installés en France sont ceux qui
transfèrent le plus de fonds vers leur pays d’origine. L’étude de l’Institut National de la Statistique et
d’Économie Appliquée (INSEA) en 2000 confirme ce constat. En effet, 94 % des migrants interrogés lors de
cette enquête ont affirmé avoir effectué des transferts au Maroc durant les cinq dernières années (couvertes
par l’enquête). De même, près de 60 % ont affirmé avoir transféré au moins le quart de leur revenus annuels.
Le comportement des émigrés marocains en matière de revenu consiste à maximiser l’épargne (et donc les
transferts) et à minimiser la consommation. De sorte que malgré les crises économiques que traversent les
pays d’accueil et les conséquences sur les travailleurs les plus fragiles et les moins qualifiés, en premier lieu
les émigrés, l’épargne de ces derniers demeure incompressible. Le regroupement familial, le chômage, sont
autant de variables qui influencent le comportement d’épargne de l’émigré. Enfin, le niveau de qualification
est négativement corrélé au niveau des transferts. Plus l’expatrié est diplômé, moins il envoie de fonds
(Bouoiyour, Jellal et Wolff, 2003).

En résumé, on peut distinguer trois ensembles de variables qui déterminent le comportement des trans-
ferts.
1) D’abord, celles qui conditionnent le revenu du migrant : taux de salaire réel, allocations chômage, type
d’emploi occupé, revenus indirects (allocation familiales, allocations logement), la présence ou non de la
famille aux côtés du migrant, le nombre et l’âge des enfants, le nombre de personnes composant le
ménage...

1. Enquête de la Fondation nationale des sciences politiques, cité par Garson (1994).

477
2) Ensuite, les variables qui déterminent la répartition du revenu disponible entre épargne et consomma-
tion : projet dans le pays d’origine, parents et famille à charge, conditions de vie dans le pays d’accueil,
constitution d’un patrimoine dans le même pays d’accueil, le niveau d’instruction de l’émigré...
3) Enfin, des variables relatives à l’environnement économique et politique dans le pays d’accueil et le
pays d’origine : crises politiques ou financières, qualité des canaux d’envois de fonds, le pouvoir d’achat
dans le pays d’origine, le niveau des prix (différentiel d’inflation entre les deux pays) ou encore les poli-
tiques de change 1, ...

Dans le cas marocain, force est de constater le manque d’études économétriques qui pourraient expliquer
de manière rigoureuse le comportement d’épargne des émigrés 2.

3.2. Évolution des transferts

3.2.1. Estimation des transferts de fonds


Sur une longue période, on remarque que les transferts ont connu un trend haussier, mais depuis quatre
années et plus exactement depuis la mise en place de l’Euro, ces flux ont connu une évolution sans pré-
cédent, comme on peut remarque dans le graphique suivant (graphique 5).
Cette évolution est d’autant plus remarquable qu’elle s’est produite au moment où on assiste au vieillissement des
première et deuxième génération d’immigrés et à un changement fondamental dans leur comportement d’épargne 3

1. Pour une étude sur la politique de change au Maroc, on et se référer à Bouoiyour et Rey (2005).
2. Pourtant la modélisation de ce genre de phénomène est bien connue dans la littérature économétrique (voir Bouoiyour et Brahimi, 1998
pour une modélisation de la migration des diplômés dans les régions françaises).
3. Depuis une dizaine d’années, on remarque un changement de comportement au niveau de l’épargne des RME de la première génération.
En effet, ces derniers avaient pour habitude d’acheter des appartements au Maroc. C’est ce qui constitue d’ailleurs leur principal investissement.
Cependant, ils se sont rendus compte que cet investissement est non productif dans la mesure où ces appartements restent vides ou ils sont
occupés gratuitement par un membre de la famille qui habite au Maroc. Les lois marocaines concernant la location de logement restent largement
en faveur des locataires parfois. Les RME ont commencé à vendre en masse leurs appartements pour investir dans le pays d’accueil. Cette situa-
tion très palpable dans un certain nombre de régions françaises demande des études et enquêtes pour quantifier l’ampleur du phénomène.
Les transferts des RME n’ont pas pour autant diminué à cause de la dynamique migratoire. La nouvelle génération de jeunes immigrés dont une
bonne partie était en situation irrégulière, a pu profiter des différentes opérations de régulation dans les pays d’accueil et ont commencé à
envoyer des sommes importantes à leurs familles restées au Maroc. Autant dire que cette source de financement n’est pas prête de se tarir.

478
Graphique 5 : Transferts des Ressortissants marocains à l’étranger 1971-2004 (en millions Dh)

Source : Banque Al Maghreb

En 2003, les sommes envoyées ont dépassée 34 milliards de dirhams. Avec ces sommes, le Maroc est
classé en 4e position par la Banque mondiale. L’Inde est classé au 1er rang dans ce même classement, avec
10 milliards de $, suivi du Mexique (9,9 milliards), et des Philippines (6,4 milliards $). Si on divise ces sommes
par le nombre d’habitants, il est évident que le Maroc se classerait parmi les premiers pays au Monde au
niveau des transferts des travailleurs émigrés (2e après le Liban). En 2004, ces transferts ont atteint 37,154
milliards de DH, en hausse de 7,4 % par rapport à 2003.
Comme on l’avait signalé précédemment, le comportement d’épargne et de transfert de fonds est dépen-
dant de l’environnement économique du pays d’origine. Dans le graphique 5, on remarque une première
diminution des flux des transferts (-2,4 % en 1982). Cette dernière est due à la suppression de la prime de
parité entre le dirham et le franc français et son remplacement par la prime de change (10 % pour le franc
français et 5 % pour les autres devises). En 1988, la suppression de cette prime a eu pour effet la diminution
des transferts de 19,4 %.
Durant les années 90, on a assisté à un ralentissement du taux de croissance et des irrégularités des flux
des transferts (3,6 % de croissance sur la décennie contre 15,7 % en moyenne sur les 30 dernières années)
qui seraient dues à au moins deux phénomènes. Le premier serait la tendance à l’installation définitive des
nouvelles générations dans les pays d’accueil et le deuxième serait la concurrence livrée par les banques des
pays d’accueil qui proposent des produits financiers plus diversifiés et plus compétitifs aux ressortissants
marocains 1.
En 2001, sous les effets conjugués de l’Euro et des événements du 11 septembre, les transferts de fonds
ont littéralement explosé et ont atteint le chiffre record de presque 37 milliards dirham. Après les attentas du
11 septembre, les transferts en provenance des États-Unis, de Grande-Bretagne, du Qatar et du Koweït ont

1. Khachani, 2004.

479
augmenté de 144,1 %, de 67,3 %, de 117,1 % et de 216 % respectivement. Entre 2001 et 2004, le taux de
croissance moyen des transferts a atteint 15,6 %. Autant la hausse de 2001 pouvait avoir des explications
objectives, autant le maintien de ces sommes et même leur augmentation en 2004 nous laissent perplexes !
La législation marocaine essaie de s’adapter aux besoins des expatriés marocains en leur proposant de
nouveaux produits, telle que l’ouverture de compte en devise (voir plus haut).
Par ailleurs, une régression économétrique simple nous permettra d’estimer les transferts et de faire des
prévisions pour les années à venir (graphique 6). Cette estimation devrait tenir théoriquement de la rupture
de la tendance survenue en 2001. Des tests économétriques standards nous permettent sans problème de
le faire. Cependant, on ne dispose pas d’assez de recul (d’observations après la rupture) pour effectuer ces
tests correctement. Le graphique 6 nous fournit l’estimation des fonds entre 1971 et 2004. On confirme la
tendance à la hausse (trend haussier) sur l’ensemble de la période.

Graphique 6 : Estimation des transferts des expatriés marocains

R2 = 0,92, DW = 1,93, (après correction de l’auto-corrélation). T i stat = 7,25

480
Pour avoir une idée plus précise de l’importance des ces fonds, nous avons jugé intéressant de les compa-
rer à ceux envoyés par les autres expatriés du Maghreb. Là aussi les expatriés marocains sont ceux qui ont la
plus importante propension à transférer leur épargne vers leur pays d’origine (graphique 7).

Graphique 7 : Évolution des envois de fonds des expatriés Maghrébins


vers leur pays d’origine

Source : Base de données de la Banque Mondiale, Office de Change (Maroc) et OTE (Tunisie)

La répartition des transferts des fonds des RME en fonction des pays d’accueil pour l’année 2003 (gra-
phique 8) montre la prédominance de la France (44 %), suivie de nouveaux pays d’immigration, l’Italie (12 %),
puis l’Espagne (9 %). En queue du peloton, on trouve les pays arabes qui ne totalisent pas quant à eux plus
de 6 % (Arabie Saoudite et EAU avec 2 % chacun pour la même année).

481
Graphique 8 : Répartition des transferts de fonds en fonction du pays d’accueil

Sources : Office de change

Il est intéressant de connaître la propension à transférer les fonds vers le Maroc en fonction du pays d’ori-
gine. Il s’agit du rapport entre le montant transféré et le nombre d’émigrés marocains (graphique 9). À priori,
plus le pays d’accueil est riche, plus la propension à transférer sera importante. Mais le problème est plus
complexe et dépend de beaucoup de facteurs tel que le niveau d’instruction de l’émigré, de l’ancienneté
dans le pays d’accueil, de la famille...Il s’avère d’après les données sur 2002 que c’est en Suisse que la pro-
pension à transférer est la plus importante (7, 8), suivie des Emirats Arabes Unis (6,32), de la Grande-
Bretagne (5,57) et de l’Arabie Saoudite (4,66). Le graphique 9 regroupe l’ensemble des ces informations. Il
est intéressant de remarquer que les pays qui accueillent le plus d’immigrés et qui par conséquent sont
source de transferts sont mal classés. Il s’agit de la France avec un coefficient de 1,51 seulement ou encore
l’Italie avec un coefficient de 1,53. Une étude plus approfondie mériterait d’être menée pour comprendre les
déterminants des transferts en fonction des pays d’accueil.

482
Graphique 9 : Estimation des transferts des marocains de l’étranger en fonction du pays d’accueil

Sources : Calcul de l’auteur en fonction des données de l’Office de Change et du Ministère des Affaires étrangère et de la coopération

3.2.2. Prévision des transferts de fonds


L’intérêt de l’estimation économétrique effectuée précédemment est de nous permettre de faire des pré-
visions. Ainsi, toute chose étant égale par ailleurs, on peut estimer les envois de fonds des expatriés maro-
cains dans le futur. Par exemple, ces fonds seraient en 2025 de 47 milliards de dirhams. Il faut rester prudent
quand il s’agit de prévisions des transferts. Les mêmes remarques et arguments avancés précédemment
concernant les prévisions du nombres de migrants marocains demeurent valable ici.
Une autre régression du log des transferts sur le temps nous donnera le taux de croissance moyenne de
ces derniers durant les 34 dernières années. Ainsi, on a :
log(yt = 7,09 + 0,111t, R2 = 0,88, DW = 2,03 (après correction de l’auto-corrélation. T-stat = 15,5). On peut
dire qu’entre 1970 et 2004, les transferts de fonds des RME ont augmenté de 11,1 % chaque année. Ce qui
constitue une évolution remarquable.
La nature de la rupture de 2001 ainsi que les prévisions des fonds sont des questions fondamentales, car il
est indispensable pour les autorités publiques de disposer d’instruments d’intervention permettant de
comprendre le changement intervenu en 2001. Il est fondamental de savoir si ce changement est accidentel
ou structurel, d’autant plus que durant les années 90, les économistes ainsi que les observateurs du fait
migratoire ont été unanimes pour attirer l’attention des responsables politiques marocains sur la fait que le
ralentissement de l’augmentation des transferts de fonds 1observée dans les années 90 était durable. Ce
ralentissement s’expliquait par le vieillissement de la première génération des émigrés marocains et la faible
propension à transférer des fonds de la deuxième et troisième génération.

1. Ou même leur diminution par rapport à certains agrégats (voir graphique 9). Voir par exemple, Bouoiyour et Hattab-Christaman, 2001.

483
3.3. Transferts de fonds et développement

L’impact des transferts sur l’économie d’origine a fait l’objet de plusieurs études et débats dans la littéra-
ture économique consacrée aux mouvements migratoires. Il existe bien sûr des avantages, mais aussi des
inconvénients des transferts de fonds de sorte qu’il est difficile de trancher et d’aboutir à des conclusions
claires. Cette polémique a bien alimenté les débats durant les années 60 et 70 au moment où les flux migra-
toires avaient atteint leur apogée. La question qui se pose aujourd’hui pour le Maroc est de savoir comment il
peut tirer profit de cette « manne » pour que d’une part, elle ne se tarisse pas et d’autre part, il arrive à la
canaliser en la dirigeant vers les secteurs dont les effets induits sur l’économie dans son ensemble sont les
plus importants. Dans un premier temps, nous allons essayer de montrer l’importance de ces flux en les
comparant à quelques agrégats macroéconomiques, avant de déterminer leur répartition dans un deuxième
temps. En dernier, nous allons essayer de quantifier leur impact sur l’économie marocaine proprement dite.

3.3.1. Importance des transferts


Comme le montre la graphique 10, les transferts représentent un pourcentage élevé du PIB et de la forma-
tion brute du capital fixe (FBCF). Dans les années 90 et malgré leur diminution, ces flux couvraient la totalité
du déficit commercial.

Graphique 10 : Transferts de fonds des RME en pourcentage du PIB et de la FBCF

Sources : Transferts : Office de change, PIB et FBCF : FMI (CD-ROM).

En 2004, et pour la première fois de l’histoire du Maroc, les avoirs en devises de la Banque centrale
(Banque Al Maghrib) permettent au Maroc d’importer pendant une année et ceci grâce, en grande partie, aux

484
transferts de fonds des RME. Cette situation est à comparer avec celle 1983 où le Maroc était en cessation
de paiements et les réserves en devises ne permettaient que 13 jours d’importation. Le graphique 11 permet
justement de comparer les flux des transferts aux variables commerciales. En 2003, les transferts ont repré-
senté 46 % des exportations et couvert 30 % des importations (38 % et 24 % en moyenne, respectivement
durant les 3 dernières années contre 37 % et 23 % durant les années 90 et 46 % et 28 % durant les
années 80).

Graphique 11 : Transferts de fonds des RME en pourcentage des exportations et des importations

Sources : Transferts : Office de change, PIB et FBCF : FMI (CD-ROM).

Comme on vient de le montrer les transferts de devises constituent un apport fondamental dont l’écono-
mie marocaine aura du mal à se passer. Cependant, pour importants qu’ils soient, ces transferts ne consti-
tuent pas une fin en soi. Certes ils permettent au Maroc de résorber ses déficits extérieurs, mais la
sur-liquidité qu’ils engendrent ne va pas sans poser des problèmes à tout le système bancaire marocain.
D’autant plus que cette dernière devrait logiquement engendrer une diminution des taux d’intérêt. Or, ces
derniers ont certes diminué, mais cette diminution n’est pas à la hauteur des attentes des acteurs écono-
miques (entreprises, particuliers,...) ni en rapport avec la quantité de monnaie disponible actuellement au
Maroc, d’autant plus que le différentiel des taux d’intérêt avec les principaux partenaires du Maroc reste
important 1. D’un autre côté, l’épargne des émigrés demeure fondamentale pour le système bancaire maro-
cain (tableau 2). En 2002, elle a atteint le chiffre record de 72,373 milliards de dirhams. En 2000, elle repré-
sentait 38 % du montant global des dépôts à vue et à terme du système bancaire marocain (El Ayachi, 2001).

1. Un exemple simple montre cette différence. Ainsi un taux de crédit immobilier sur une durée de 12 ans est proposé en France à 3,9 % en
TEG (Taux Effectif Global) alors qu’au Maroc il est supérieur à 9 % pour la même période.

485
La question posée est de savoir comment utiliser ces fonds à bon escient, c’est-à-dire dans des secteurs
qui profitent au maximum au bien être national. Cette question n’est pas anodine et demande que des
études sérieuses soient menées concernant l’impact des transferts sur l’économie. Le but final étant l’identi-
fication des instruments que les autorités publiques peuvent utiliser pour parvenir à une utilisation optimale
des transferts. Dans le cadre de cette contribution nous allons esquisser quelques pistes pour avoir desidées
plus précises, mais pour aboutir à des résultats plus concluants, un travail de grande envergure devrait
être mené.

Tableau 2 : Dépôts bancaires des RME


En millions de dirhams

Comptes Comptes Comptes Comptes Comptes Total


chèques chèques chèques chèques chèques
Décembre 2000 24 894 240 805 27 26 326 52 292
Décembre 2001 30 577 193 1 278 152 33 835 66 035
Décembre 2002* 34 131 693 1 692 174 35 683 72 373

Sources : Banque Al Maghrib, cité par Khachani 2004. * Chiffres provisoires

3.3.2. Affectation des transferts


Au début du processus migratoire les transferts de fonds servent à améliorer le niveau de vie des
membres de la famille de l’émigré restés au Maroc. Dans les zones rurales, ces envois de fonds servent à
assurer la survie des exploitations agricoles, voire leur modernisation. D’après toutes les enquêtes menées
au Maroc ou dans les pays d’accueil, « l’argent de l’émigré » marocain sert surtout à l’achat ou la construc-
tion d’un appartement ou d’une maison. Certains prétendent que l’achat d’un logement est improductif en
oubliant les effets bénéfiques de l’immobilier sur le reste de l’économie.
La dernière enquête en date, celle de l’INSEA 2000, montre que 84 % des ménages ont investi dans
l’acquisition de logement, 7,5 % dans l’agriculture, 5 % dans le commerce et 1,4 % dans le tourisme. Ce
comportement n’a que peu changé. Il y a une trentaine d’années, une enquête menée en milieu rural à l’ini-
tiative du Ministère de la coopération au développement des Pays Bas indiquait que 75 % de la population
enquêtée avaient investi dans du logement (71 % à usage personnel et 3 % pour la location) 1. La même
enquête indiquait que 26 % ont investi dans l’achat de la terre, 15 % dans le bétail, 4 % dans l’artisanat et le
commerce, 3 % dans l’acquisition de machines agricole, 2 % dans les TPE (toutes petites entreprises) et
1 % dans l’hôtellerie. D’autres études ont été menées par la Banque populaire en 1986 et 1988 ont confirmé
ce constat. En 1994, le Groupe d’Études et de Recherches Appliquées de la Faculté des Lettres et des
Sciences Humaines de Rabat a effectué une enquête auprès des émigrés issus des régions de Nador et de
Tadla. Là aussi, 80 % des interrogés ont investi dans l’immobilier, 5 % dans l’agriculture, 1,9 % dans le com-
merce et 0,6 % dans les placements boursiers 2.
L’enquête de l’INSEA (2000) indique aussi qu’une bonne partie des émigrés commencent à investir dans
les pays d’accueil (23 %). Ces investissements concernent en premier lieur l’immobilier (63 %), le commerce

1. La taille de l’échantillon était de 2500 ménages.


2. Le reste est sans réponse. La taille de l’échantillon dans cette étude était de 279 familles.

486
17 %, l’agriculture 7 % et le tourisme 6 %. Les projets futurs d’investissement montrent que 57 % des inter-
rogés ont l’intention de les réaliser au Maroc et 14 % dans le pays de résidence.
Par ailleurs, une nouvelle génération d’investisseurs émigrés plus aguerris et plus au courant des législa-
tions des pays d’accueil et d’origine et des évolutions de l’économie et des finances internationales, mais
aussi plus diplômée, a commencé à voir le jour. Certes, aucune enquête n’a encore été encore menée pour
corroborer l’importance de ce phénomène. Mais les différentes rencontres scientifiques et séminaires orga-
nisés que ce soit par les organismes et ministères en charge de la migration ou par des ONG et associations
marocaines à l’intérieur et à l’extérieur du Maroc montrent clairement la nouvelle tendance à l’investisse-
ment dans des secteurs plus compétitifs, plus risqués et à haute valeur ajoutée (voir plus loin).

3.3.3. Impact des transferts des RME sur l’économie marocaine


Pour rendre compte de l’impact d’une augmentation des avoirs extérieurs sur la dynamique économique
au Maroc, nous avons choisi de procéder à un choc des transferts des RME sur les différentes variables
macroéconomiques. Deux sortes de modélisation vont être utilisées : i) la première utilise les techniques
économétriques connues sous l’appellation modèles VAR (Vector AutoRegressive). Il s’agit ici d’un VAR
contraint. On utilisera plus précisément un VAR bi-varié. Ce qui nous intéresse en particulier dans cette
modélisation ce sont les fonctions « impulse » 1. Le reste (analyse de la variance) ne sera pas reportée ici
pour ne pas alourdir la présentation. ii) La deuxième procédure consiste à utiliser un modèle d’équilibre géné-
ral calculable (MEGC) appliqué à l’impact des transferts RME 2sur l’économie marocaine.

En ce qui concerne les modèles VAR, nous avons procédé de la manière suivante :
1. Analyse du comportement des séries chronologiques (stationnarité).
2. Recherche d’éventuelles relations de long terme entre les séries concernées (relation de cointégration).
3. Estimation d’un modèle à correction d’erreur.
4. Choc de la variable transfert et réaction des autres variables d’intérêt.

Il s’agit donc d’un modèle VAR bi-varié. Ainsi, on choque la variable transfert et on quantifie la réaction du
PIB dans un premier temps, puis on choque la variable transfert et on quantifie la réaction de la FBCF et enfin
on choque la variable transfert et on quantifie la réaction de la consommation.
Dans une deuxième étape, on choque la variable transfert et on quantifie la réaction des différents compo-
sants de la FBCF (matériel et outillage, bâtiment, travaux publics, aménagement et plantations et bétail). Là
aussi, les variables sont prises deux à deux, ie, transferts-bâtiment, transferts-bétail,...
Ainsi pour le PIB par exemple, le modèle utilisé est :

1. Voir Annexe 1.
2. Voir Annexe 1 et Bouoiyour (2005).

487
où LPIB représente le log du PIB, Ltransferts, le log des transferts et les termes C représente les résidus (à
la date t-1) de la relation de cointgération ; n1, m1, n2, et m2 sont les longueurs de retards calculés en utili-
sant les critères d’Akaike. ε1t et ε2t sont les termes d’erreurs supposes suivre les lois standards (voir
annexes).
L’équation (1) représente le PIB en fonction de son histoire et de celle des transferts, l’équation (2) repré-
sente les transferts en fonction de leur histoire et de celle du PIB.

Graphique 12 : Effets d’un choc des transferts sur le PIB

Sources : Calcul de l’auteur

Dans un premier temps, nous avons procédé à un choc sur les transferts et nous avons essayé de quanti-
fier l’impact de ce choc sur le PIB 1. Le graphique 12 nous donne une idée sur ce choc. Dans une première
période, le PIB diminue et dans un deuxième temps (2e année), il augmente. Au bout d’une dizaine d’années,
l’effet du choc s’estompe. La question qui se pose est de savoir, in fine, si l’effet global est positif ou négatif.
Le graphique no 13 nous permet de répondre à cette question. D’après nos simulations, l’impact d’un choc
des transferts des RME sur le PIB est positif. On vérifie bien que les envois de fonds des RME ont un impact
positif sur la croissance économique du Maroc. Ils stimulent l’investissement, mais surtout la consomma-

1. Rappelons que la période d’estimation est 1970-2003.

488
tion. L’étape suivante va consister à simuler justement l’impact des envois de fonds sur ces deux grandeurs
économiques

Graphique 13 : Effets cumulés d’un choc des transferts sur le PIB

Sources : Calcul de l’auteur

Comme on pouvait s’y attendre un choc sur les transferts affecte plus la consommation 1que l’investisse-
ment (graphique 14). Il est évident qu’une bonne partie des transferts part à la consommation (aide aux
membres de familles restés au Maroc, consommation pendant les mois d’été,...) 2.
En revanche, peu de transferts se dirigent vers l’investissement même si l’effet global de l’impact des
transferts sur ce dernier reste positif. Il faut rappeler que la consommation des ménages reste le principal
moteur de la croissance économique au Maroc.

1. Selon les dernières données du Haut-Commissariat au Plan (octobre 2004), l’indice du coût de la vie a enregistré une progression de 1 % à
fin août par rapport au mois précédent. Fait non étonnant pour le mois d’août, où la consommation est généralement « boostée » par la demande
des RME, connus pour être de bons consommateurs. Pour rappel, l’opération transit a enregistré au cours du mois d’août plus de 700.000
entrées, soit une hausse de plus de 20 %. Cela s’est donc ressenti au niveau de la consommation et des prix.
2. Des études ont déjà montré ce résultat (Bouoiyour et Hattab-Christman, 1993).

489
Graphique 14 : Effets d’un choc des transferts à la consommation et l’investissement

Sources : Calcul de l’auteur

Ainsi, entre 1960 et 2003, la consommation des ménages a représenté le principal déterminant de la crois-
sance avec une part de 70 % (Baraka et Benrida, 2004).
Le graphique suivant (15) va nous renseigner sur les effets cumulés du choc des transferts sur les deux
agrégats macroéconomiques. Il comprend sciemment deux axes en ordonnées pour montrer l’effet positif
du choc des transferts sur l’investissement 1.

1. Remarquons que la graduation de l’axe relatif à la consommation dans le graphique 14 est 10 fois celle de l’axe relatif à l’investissement.

490
Graphique 15 : Effets cumulés d’un choc des transferts la consommation et l’investissement

Sources : Calcul de l’auteur

On confirme bien l’effet positif des remises des RME sur la consommation et sur l’investissement.
L’impact de la première variable est cependant 10 fois plus important que celui de la deuxième (graphique
15). Malgré la faiblesse de l’impact des remises des RME sur l’investissement (comparativement à celui sur
la consommation), nous avons jugé utile de décomposer la variable FBCF et de quantifier l’effet des trans-
ferts sur chaque composante de cette dernière.
Les graphiques 16 et 17 montrent les effets d’un choc des transferts sur les différentes composantes de
la FBCF. Ils montrent clairement l’impact positif de ces derniers sur chacune des composantes de l’inves-
tissement et plus particulièrement le Matériel et Outillage ainsi que la Bâtiment. De même les effets sur
l’Aménagement et Plantations ainsi que sur le Bétail sont positifs et importants. En revanche, et comme on
pouvait s’y attendre, les effets sur les travaux publics sont négligeables.

491
Graphique 16 : Effets d’un choc des transferts les composantes de l’investissement

Sources : Calcul de l’auteur

L’intérêt de la modélisation économétrique de type VAR est de nous permettre d’identifier les chocs des
envoies de fonds sur les variables d’intérêt choisies par le modélisateur. Malgré les critiques qu’on peut
adresser à ce genre de modélisation, elle nous permet cependant d’avoir un ordre de grandeur, faute
d’enquêtes microéconomiques plus précises.

492
Graphique 17 : Effets cumulés d’un choc des transferts les composantes de l’investissement

Sources : Calcul de l’auteur

Une autre modélisation basée sur les MEGC a été effectuée (voir annexe 2). Elle confirme les résultats
précédents, à savoir la sensibilité des agrégats macroéconomiques (PIB, investissement et consommation) à
un choc sur le PIB. De même, l’effet des remises de fonds des RME paraît avoir un effet important sur les
investissements en bâtiment. C’est un résultat important à notre point de vue au moment où le Maroc a
entrepris une politique de lutte contre l’habitat insalubre. D’aucuns minimisent l’effet induit que peut avoir le
secteur du logement sur le reste de l’économie en qualifiant d’improductif l’investissement des RME dans
ce secteur et en oubliant surtout les effets induits de la construction sur les autres secteurs de l’économie
marocaine.

4. Diaspora et développement

Peut-on réellement parler de gain pour les PVD dans le mouvement de fuite de leurs élites ? Cela revient à
répondre à une autre question : dans quelle mesure la diaspora peut-elle contribuer à l’internationalisation et
au renforcement des capacités scientifiques et techniques du pays d’origine ?
L’objectif de cette réflexion est d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions à la lumière
d’expériences bien connues aujourd’hui dans le monde. L’expérience marocaine, même si elle est récente et
limitée, sera aussi abordée

493
4.1. Mobilité des étudiants, capital humain et technologie

Historiquement, l’étudiant migrant est longtemps resté indissociable du développement de l’université qui
se voulait d’abord une institution à vocation internationale. Ainsi, la mobilité remonte au Moyen Age et ren-
voie à la naissance des premières universités : l’université islamique Al Azhar au Caire ou encore les universi-
tés hindouistes et bouddhistes et notamment celles de Taxila et de Nalanda accueillaient des enseignants et
étudiants d’autres pays. Au sein des universités médiévales en Europe (Bologne, Cordoue, Florence, Lou-
vain, Paris,...), les étudiants étrangers constituaient la norme et non l’exception et cette tradition d’ouverture
aux flux d’étrangers conféra une force déterminante au développement de l’enseignement supérieur.
Au XIXe siècle, alors que les États-Unis mettaient en place leur système d’enseignement supérieur, de
jeunes américains allaient se former en Europe afin de mener une carrière universitaire dans leur pays. Par
ailleurs, la période coloniale a vu l’émergence des flux des anciennes colonies vers la France et le Royaume-
Uni. Ces mouvements ne concernaient alors qu’un petit nombre de jeunes mais jouèrent un rôle important
dans le développement intellectuel, dans les mouvements nationalistes et révolutionnaires, et enfin dans
l’univers politique des États nés après la seconde guerre mondiale.
Après 1945, on assiste à un renversement de la mobilité transatlantique, l’enseignement supérieur améri-
cain attirant désormais de nombreux européens mais également des étudiants d’Amérique Latine et de
manière générale des étudiants des pays en voie de développement (PVD). La mobilité en Europe reste
dominée par les flux d’étudiants issus des anciennes colonies. Enfin, la période de la guerre froide a dévié
fortement les flux de certains pays d’Europe Centrale et de pays en développement socialistes vers l’Union
Soviétique. Le lancement en 1988 des programmes européens ERASMUS, COMETT et LINGUA a contribué
à l’accroissement des flux au sein de l’Union Européenne tandis que la chute du mur de Berlin a quelque peu
réorienté une partie des flux d’étudiants alors à destination de l’ex-Union Soviétique.
Concomitamment, la mondialisation est appelée à jouer un rôle important dans l’accélération des mouve-
ments migratoire du personnel scientifique qualifié (PSQ dans la suite du texte). En effet, l’abolition des fron-
tières, le décloisonnement des marchés et l’ouverture des économies auront indéniablement des
conséquences importantes sur l’organisation du travail de la main-d’œuvre hautement qualifiée. Les dif-
férentes fusions et acquisitions auxquelles nous assistons auront très tôt des conséquences sur l’organisa-
tion des entreprises entraînant un accroissement des besoins en matière de R&D. On assiste aujourd’hui à
de nouvelles configurations organisationnelles dans lesquelles l’interactivité occupe une place de choix. Dans
ce nouveau modèle interactif, l’innovation et l’apprentissage permanent vont de pair avec une articulation
plus étroite avec des marchés marqués par la différenciation, la nouveauté, la qualité et le service. Ces nou-
veaux principes de compétitivité impliquent l’existence d’un vivier important de main d’œuvre.
Parce que la technologie est plus globale que par le passé, l’aptitude à l’utiliser avec efficacité et profit
dépend de la qualité des relations entre recherche et entreprises, de la nature des programmes publics, des
formes d’organisation des droits de propriété intellectuelle et bien sûr de la formation et de la polyvalence de
la main d’œuvre, à condition que cette dernière soit disponible en quantité suffisante.
Par ailleurs, l’hypothèse de base de la théorie de la croissance repose sur le fait que l’augmentation conti-
nue sur une longue période de la production par tête nécessite un progrès soutenu des connaissances tech-
niques, lesquelles peuvent être incorporées dans des biens, des services ou des procédés nouveaux. D’où le
rôle primordial joué par le capital humain. Vus les délais importants nécessaires pour adapter la formation au
marché du travail et les rigidités inhérentes à ce dernier dans certains pays développés, un recours massif à
une main d’œuvre étrangère qualifiée commence à être envisagé par certains gouvernements des pays
industrialisés. La législation de ces pays en matière d’immigration, connue pour être très restrictive, s’adap-
tera pour répondre à la pression des marchés et aux besoins accrus des entreprises.

494
4.2. Nouvelle conception de la fuite des cerveaux :
quelques considérations théoriques 1

On a vu précédemment (en introduction de cette contribution) comment l’option diaspora a « renvoyé dos
à dos » les deux principales théories économiques ; celle qui se base sur le marché et celle se explique le
développement par l’histoire du pays en question. Dans le même ordre d’idée l’économie du savoir ainsi que
l’économie géographique donnent l’occasion aux réseaux scientifiques d’expatriés de s’illustrer. Des déve-
loppements récents de la théorie économique soulignent le rôle potentiel d’augmentation de la croissance
que jouent les connaissances, le capital humain et le R&D ; ce qui donne la possibilité à l’apparition des ren-
dements d’échelle croissants et des externalités positives. L’existence d’infrastructures de communication
ainsi qu’un taux de qualification élevé de la main-d’œuvre constituent l’une des caractéristiques de cette nou-
velle économie. L’économie géographique quant à elle insiste sur la proximité des externalités et les écono-
mies d’agglomération. Ces dernières sont possibles grâce aux regroupements d’agents économiques dans
des zones géographiques délimitées et qui partagent leurs savoirs et des ressources communes. L’idée est
de mutualiser le risque lié aux activités de R&D, d’accéder plus facilement à un bassin de main-d’œuvre quali-
fié tout en diminuant les coûts de transaction. Cette concentration génère des rendements d’échelle crois-
sants et donne naissance à des technoparcs, technopoles ou à des sites divers. Ce sont là les
caractéristiques des secteurs de haute technologie consommateurs de main-d’œuvre hautement qualifiée.
Ces concentrations, qui sont soutenues par les instances publiques d’enseignement supérieur et de
recherche scientifique, sont plus l’apanage des pays industrialisés que des pays en voie de développement
(Meyer, 2004). Les réseaux diasporatiques permettent là aussi de troubler ce fonctionnement, en permettant
aux pays du Sud de profiter de ces externalités. La « délocalisation » d’une partie des activités via la diaspora
permet aux pays du Sud d’accéder plus facilement à des technologie de pointe et à un savoir-faire, originaire
du Sud et accumulé au Nord. Cette diffusion de la connaissance et cet ensemencement scientifique vont à
l’encontre de la polarisation qui caractérise l’évolution actuelle de l’économie au niveau mondial.
Par ailleurs, la nature du capital humain en tant que facteur mobile ainsi que l’émergence de la nouvelle
vague de globalisation qui tend à agglomérer le capital humain là où son allocation est la plus rémunérée,
conduisent naturellement la littérature récente à s’interroger sur l’impact des migrations de ce capital sur le
revenu et la croissance économique du pays de l’immigration. Or, la question de savoir si la migration des
élites ou des compétences est préjudiciable au bien être des populations sédentaires des pays d’émigration
a longtemps occupé un large débat dans la littérature du développement. En effet les travaux concernant
l’émigration internationale de la force de travail qualifiée, vue comme une fuite des talents des économies les
moins développées vers les plus développés, avaient assez unanimement avancé à la suite de Bhagwati et
Hamada (1974) l’idée selon laquelle la fuite des compétences (brain drain) est défavorable au développement
de l’économie des pays de départ. Les principaux arguments justifiant cette position, sont liés à différents
types d’externalités qu’induit la migration du capital humain et qui sont imposés à la population restante. En
effet, Bhagwati et Hamada (1974, 1982) montrent que l’émigration des plus qualifiés de la force de travail
génère une externalité fiscale associée à une distorsion du système fiscal optimal et cela à deux niveaux.
D’une part, sachant que les agents les plus qualifiés sont les mieux rémunérés, le gouvernement perd en
termes de revenu fiscal suite à la fuite de ces agents, ce qui affecte la taille potentielle de la redistribution
des revenus. De même, l’investissement en termes d’éducation et de formation présente un large coût pour
les pays en voie de développement qui ne peuvent recevoir les bénéfices en retour dès lors que la migration

1. Pour plus de détails sur cette partie, on peut se référer utilement à Bouoiyour & Jellal (2005).

495
des qualifiés se matérialise. D’autre part, d’après la théorie de la croissance endogène, la migration des
compétences impose une externalité dont la source réside dans la réduction du stock de capital humain local
disponible pour les générations présentes et futures. Cela implique alors un effet négatif sur le revenu des
travailleurs non émigrés ou sur le taux de la croissance du pays de départ. De plus, le travail qualifié est aussi
bien un facteur instrumental dans l’attraction des investissements étrangers (Fujita et al 1999), que dans la
capacité d’assimilation et d’absorption des externalités technologiques ou encore pour le succès de l’adop-
tion de technologies étrangères (Benhabib et Spiegel 1994).
Par ailleurs, l’argument selon lequel la fuite du capital humain est défavorable au développement, a été
traité analytiquement aussi bien dans le cadre de la nouvelle théorie de croissance endogène, (Miyagiwa
1991, Haque et Kim 1995, Wong et Yip 1999), qu’en intégrant la complémentarité dans la fonction de produc-
tion du travail qualifié et du travail non qualifié (Piketti 1997) ainsi qu’à un niveau microéconomique
(Bouoiyour, Jellal, et Wolff 2003). Miyagiwa (1991) par exemple, montre qu’en présence des rendements
croissants de l’éducation, l’émigration des travailleurs très qualifiés peut conduire à une baisse du revenu des
travailleurs à qualifications intermédiaires que ces derniers migrent ou non. Sous certaines conditions, cet
auteur montre que le revenu national du pays de départ peut être inférieur à celui qui prévaudrait en
l’absence de migration. C’est ainsi que l’exode des compétences a été identifié comme un sérieux problème
contre lequel les politiques devaient et pouvaient agir. Jusqu’à la fin des années 1980, les politiques natio-
nales et internationales se sont plutôt focalisées sur les contre mesures à prendre afin de réguler le flux des
compétences, mais elles échouèrent à produire des solutions effectives et réalisables.
Tout récemment, ces modèles et analyses portant sur l’impact négatif de la migration du capital humain,
ont un pu cédé peu à peu la place à des modèles et études, visant à identifier de potentiels canaux de trans-
mission à travers lesquels l’option de la migration, ainsi que, les éventuels transferts d’argent pourraient
constituer une ressource non négligeable dans le processus de développement des pays de départ. Plus par-
ticulièrement, une nouvelle littérature, certes embryonnaire, a vu le jour avec les contributions de Mountford
(1997), Docquier et Rappaport (1997), Stark et al (1997) et (2002), Vidal (1998) et Beine et al (2001). Elle tente
de montrer que des effets positifs nets potentiels sur l’accumulation de capital humain et la croissance
peuvent être associés à l’option de la migration du capital humain. Par conséquent, l’effet défavorable de la
fuite des compétences peut être totalement inversé. C’est alors que le terme Brain drain (fuite de cerveaux)
devient Brain gain (gain de cerveaux). En effet, dans cette nouvelle littérature, il est suggéré, que le brain gain
pourrait être associé à l’impact incitatif que constitue la perspective de la migration sur la taille de la forma-
tion du capital humain dans un environnement d’incertitude. L’idée générale sous jacente est, qu’ en général,
dans les économies pauvres, le rendement net du capital humain tend à être limité, ce qui inhibe les incita-
tions à investir dans l’éducation et la formation. Cependant, les économies ouvertes offrant des possibilités
de migration rendent l’acquisition du capital humain plus attractive car la rémunération des travailleurs quali-
fiés étant supérieure dans les pays développés, ce qui peut donner lieu, in fine, à un accroissement du niveau
moyen du capital humain de la population restante, Beine et al (2002). En effet, selon cette nouvelle littéra-
ture, dans un contexte d’incertitude et d’aptitudes individuelles hétérogènes, deux effets de la fuite des
compétences sont mis en évidence : un effet incitant naturellement à la formation de capital humain et qui
joue ex ante, et un effet plutôt de fuite et qui se manifeste alors ex post avec le départ effectif des talents de
l’économie. C’est alors que la migration du capital humain peut être globalement bénéfique pour le pays
d’origine, lorsque le premier effet incitatif domine l’effet de fuite en compensant l’impact direct négatif de
l’exode des compétences sur le stock du capital humain du pays considéré. En fait, Grubel et Scott (1969)
avançaient déjà que si la migration du capital humain présente un coût social à court terme, il est néanmoins
possible que ce dernier peut, sous certaines conditions, être largement compensé à long terme à travers le
potentiel des transferts, et les impacts bénéfiques émanant des réseaux de la diaspora. En effet, il y a deux
façons de réaliser le ’brain gain’ : soit à travers le retour des expatriés à leur pays d’origine (option retour), soit

496
à travers leur mobilisation en les associant à distance au développement de leur pays d’origine (option dias-
pora). L’option retour a été réalisée avec succès dans divers pays nouvellement industrialisés tels que Singa-
pour, Taiwan, Hong Kong et la Corée. Les résultats théoriques de la nouvelle littérature corroborent donc
l’argument de Grubel et Scott (1966), et suggèrent que l’impact de l’émigration sur les économies d’origine
pourrait être plutôt positif. Par conséquent, en termes de politiques économiques, ces travaux incitent tout
naturellement les pays en voie de développement à ouvrir leurs frontières, et à autoriser la perspective des
migrations afin de maximiser les effets positifs de cette dernière. Cependant en dépit des prémisses théo-
riques des modèles présents, la robustesse des rares études empiriques relatant l’effet incitatif de la pers-
pective de migration sur la formation du capital humain reste encore sans conclusion définitive. En effet, les
seules études empiriques présentes sur le lien entre migration, investissement en capital humain et crois-
sance sont celles de Beine et al (2002), et Faini (2002). Les premiers auteurs, montrent à partir d’un échantil-
lon de 50 pays, que, le taux d’émigration chez les plus qualifiés exerce effectivement une influence positive
et significative sur l’accumulation du capital humain ainsi que sur la croissance. Cependant, Faini dans son
étude ne valide pas ce résultat. Même au niveau théorique, il nous semble que la littérature à ce propos est
balbutiante puisque les modèles disponibles sont assez spécifiques pour pouvoir montrer de manière assez
générale que l’impact net de la perspective de l’émigration sur les économies d’origine, est toujours positif
en termes de formation de capital humain. Stark et ses co-auteurs dans une série de papiers insistent sur la
mise en valeur de la perspective de migrer en tant que mécanisme pouvant internaliser l’externalité du capi-
tal humain. En effet, Stark et ses co-auteurs, en se plaçant dans le cadre théorique de Lucas (1988),
reprennent l’idée de Mountford (1997) pour montrer moyennant de simples modèles statiques, qu’une poli-
tique migratoire bien spécifiée, peut corriger le sous investissement en capital humain dans un équilibre
décentralisé, et assurer un gain de bien être pour tous les travailleurs. Le résultat selon lequel le stock du
capital humain moyen national approche, ex post, le niveau socialement optimal n’est pas montré dans leurs
travaux bien qu’ils traitent de l’externalité du capital humain ainsi de la migration en tant que mécanisme
d’internalisation.
Par ailleurs Bouoiyour & Jellal (2005) ont démontré la robustesse théorique du postulat selon lequel la pers-
pective de migrer accroît ex post à un niveau optimal, le stock de capital humain agrégé d’une économie. Les
deux auteurs ont caractérisé les conditions qui conduisent à un tel résultat et montrent le type de perspec-
tive migratoire qui peut être optimal pour le pays d’origine.

4.3. Emergences des diasporas scientifiques et techniques 1

Pour les PVD, une nouvelle conception de l’émigration du PSQ commence à émerger. En effet, le brain
drain (mot à mot drainage de cerveaux traduit en français par la fuite des cerveaux 2) ne serait plus un facteur
d’appauvrissement pour les pays d’origine, mais plutôt une source de rayonnement international et de déve-
loppement économique. Ainsi, au lieu de stigmatiser la fuite des cerveaux, les tenants de cette nouvelle
théorie voient dans cette tendance une opportunité pour les pays d’émigration de contribuer au « rayonne-
ment » de leur pays. Bref, on ne parle plus de brun drain, mais de diaspora. Du mot grec sporo qui signifie
graine ou speira semer, le mot diaspora désignait la migration des savants grecs qui, disséminés dans le Bas-

1. Cette partie est tirée du papier de Bouoiyour (2001).


2. La distinction entre mobilité et « fuite de cerveaux » nous paraît fondamentale. Les avis sont partagés, mais de manière générale, on peut
parler de « fuite de cerveaux » si une personne demeure dans le pays d’accueil pendant une période dépassant les 2/3 de sa vie. Dans le cas
contraire, il s’agit d’une mobilité.

497
sin Méditerranéen, y diffusaient la culture hellénique. Il s’agissait d’un ensemencement culturel propre à
créer les conditions d’une suprématie culturelle et d’un enrichissement économique. Il permettait, en effet,
une circulation des marchandises, des hommes et des idées, dans un espace culturel plus ou moins homo-
généisé. Par la suite, le terme diaspora a caractérisé la « dispersion des juifs ». Après, il a désigné les peuples
n’ayant plus de territoire national autonome (les Kurdes par exemple). Mais, depuis quelques années,
l’emploi de ce terme s’est généralisé dans l’étude des migrations. Ce sont les géographes qui l’ont utilisé
pour caractériser les communautés nationales migrantes en interaction entre elles et avec leur pays d’ori-
gine. Dans ce cas l’accent est mis sur la territorialité (multipolarité des implantations) et leur forme d’organi-
sation sociale (interpolarité des liens). Par conséquent, le terme de réseau est lié indissolublement aux
diasporas.
Les diasporas de référence sont juives et grecques. À la base, dans ces deux cas, n’émergeait pas un
besoin spécifique de créer un réseau de scientifiques, la diaspora fonctionnait d’elle même. Il est vrai que
son domaine de prédilection reste l’économie, mais elle s’exprime aussi dans le domaine intellectuel. De par
leur organisation et leur présence active dans les médias, dans les organismes internationaux, dans les
grands centres de recherches, les membres de la diaspora sont bien placés pour favoriser le transfert de
technologie vers leur pays d’origine et éventuellement le retour des expatriés. Plusieurs pays ont très tôt
compris le bénéfice qu’ils pouvaient tirer de leurs diasporas et n’ont pas hésité à impulser ce genre d’organi-
sation. Les exemples les plus connus sont la Grèce, Israël, mais aussi la Chine et l’Inde. Il est certain que la
mondialisation et le développement des moyens de communication modernes constituent un terrain propice
à l’émergence de type d’organisation. Traditionnellement, ce genre d’organisation a favorisé des réseaux
d’État à État, en raison de leur importance et au rôle qu’il pouvait jouer tant au sein du pays d’accueil que
dans celui d’origine. L’exemple le plus connu est le lobby juif et son influence à travers le monde, et plus par-
ticulièrement aux USA. Aujourd’hui on assiste à d’autres formes de réseaux, moins politiques, plus acadé-
miques, économiques et financiers. Cela contribuera certainement à déconnecter encore plus le monde
économique du monde politique. Certains pays ont pris le devant et ont essayé d’organiser en réseaux leur
élites afin d’entrer de plein fouet dans la « nouvelle économie », de prendre place dans l’espace économique
international et de faire face à la concurrence.
Les premiers balbutiements de ce type d’organisation remontent à la fin du XIXe siècle avec l’ère Meiji au
Japon, où les étudiants japonais expatriés en Europe étaient incités à faire profiter leur pays d’origine des
connaissances et du savoir-faire acquis en Europe. Durant les dernières décennies, d’autres pays ont
emboîté le pas aux japonais. Il s’agissait surtout des pays d’Amérique Latine et d’Asie. Ils ont pu identifier
leurs élites et ont su les reconnecter avec leur pays d’origine. Les PVD, de manière générale, n’ont pas les
moyens de rapatrier leurs élites, ils sont aussi incapables de leur offrir un cadre de travail comparable à celui
offert dans les pays industrialisés. Des initiatives ont, cependant, été tentées dans des pays comme la Corée
du Nord (voir encadré 1) pour encourager cette élite à retourner au pays. La principale leçon à tirer de cette
expérience est que le retour n’est efficace que si le pays d’origine connaît une croissance économique soute-
nue et un développement palpable; dans ce cas, les expatriés sentent que le climat est propice aux affaires,
ou à la recherche.

Encadré 1
Tentative de retour des « cerveaux » : cas de la Corée du Sud*

Dans les années 60, la Corée du Sud a connu, comme d’ailleurs de pas mal PVD, un exode massif des « cerveaux ».
La plupart des étudiants soutenant leurs thèses de doctorat (4/5e aux États Unis), préfèrent travailler dans leur pays
d’accueil. Le gouvernement sud-coréen a réagi en prenant un certain nombre d’initiatives pour arrêter cet exode. Les

498
plus importantes furent l’instauration d’une bourse d’expatriation, ce qui oblige les étudiants à renter au pays une fois
les études terminées, la prise en charge des frais de déménagement pour ceux qui souhaitent revenir au pays, la prise
en charge de frais de séjour pour ceux qui choissent d’effectuer des séjours temporaires,... Ces mesures se sont avé-
rées peu efficaces; seul 10 % des étudiants ont choisi l’option du retour au pays d’origine.
À partir des années 80, les choses ont bien changé. La Corée du Sud est rentrée dans le cercle convoité des pays
développés et pas moins des 2/3 des étudiants sont revenus en Corée durant les 4 années après l’obtention de leur
doctorat (Song 1991). C’est l’expansion économique qui est derrière ce renversement de situation. C’est elle qui a per-
mis de réduire le décalage des niveaux de vie et développement entre la Corée et les USA. Le décalage entre les deux
pays s’est réduit au niveau scientifique et les rapatriés ont pu s’intégrer facilement dans le tissu industriel et les activi-
tés de recherche correspondant à leur domaine. En 1990, les aides ont été supprimées par le gouvernement coréen. En
1994, un autre programme a été instauré (brain pool). Les institutions sud-coréennes de science et technologie invitent
des scientifiques sud-coréens résidant à l’étranger pour une période, généralement inférieur à un an. Le gouvernement
encourage et soutient les associations de scientifiques, ce qui leur permet d’être en connexion permanente avec leur
pays et encourager leur retour.

* Pour plus de détails concernant ce point, on peut se référer à Gaillard et Gaillard (1999).

D’autres pays comptent sur leurs élites expatriées pour renforcer leurs capacités scientifiques et, en quel-
que sorte, les endogéneiser. Le réseau Caldas en Colombie en est la parfaite illustration d’un réseau d’élites
organisé de manière efficience (voir encadré 2).

Encadré 2
Le réseau CALDAS des scientifiques et étudiants colombiens*
La Colombie a connu un exode important de scientifiques et étudiants dans les années 60, comme d’ailleurs la Corée
du Sud ou les PVD de manière générale. Les estimations font état de plus de 2000 expatriés, soit l’équivalent de la moi-
tié des scientifiques colombiens vivant dans le territoire national. Cette situation est due au manque de formation
3e cycle en Colombie et ces migrations ont été, comme la plupart des cas dans ce genre de situation encouragées par
le gouvernement colombien pour faire face aux demandes d’emploi sur le marché du travail colombien. Cette situation
a conduit à augmenter le nombre de candidats potentiels à l’exode.
En 1991, le gouvernement a créé, par la biais du Conseil national colombien de promotion et de coordination des acti-
vités de R&D (Colciencias), un réseau de scientifiques et ingénieurs colombiens expatriés appelé Caldas. Les respon-
sables colombiens ont compris que la solution au problème de l’exode des compétences ne passe pas forcément par
un retour physique des expatriés, mais chaque chercheur colombien peut, tout en restant là où il est, contribuer au
développement scientifique de son pays d’origine. Cette initiative vise à faire entrer la Colombie dans le monde des
sciences et techniques, réservé jusqu’alors à un groupe de pays bien réduit et que des pays comme la Colombie n’ont
pas les moyens d’y accéder, sinon par l’intermédiaire de Caldas.
Cette institutionnalisation de Caldas couplée à la mondialisation et au développement d’Internet ont permis aux
membres de ce réseau de se connecter en permanence entre eux et d’être au courant des événements qui se passent
en Colombie. Il est évident que ce genre de réseau ne peut réussir que si ses membres se sentent concernés par le
développement de leur pays d’origine et conscients qu’ils peuvent participer d’une manière ou d’une autre à l’accéléra-
tion de ce processus de développement. Ce réseau compte quelque 1000 chercheurs et ingénieurs.

* Idem.

D’après ces différentes expériences et bien d’autres, il apparaît que le critère de nationalité n’est pas suffi-
sant pour intéresser les scientifiques de haut niveau qui se sentent plus proches de leurs condisciples,
toutes nationalités confondues, que de leurs compatriotes. Il est évident que des chercheurs même de natio-
nalité identique sont souvent soumis à des contraintes et des exigences qui ne sont pas forcément compa-
tibles avec l’objectif du réseau 1.

1. Les publications dans des revues scientifiques reconnues par leurs pairs ou l’implication dans les instances locales ou nationales des uni-

499
Aujourd’hui les réseaux de diaspora les plus nombreux et les plus consistants sont ceux de l’Inde et de la
Chine qui sont très actifs aux États-Unis. Les expatriés taiwanais sont aussi bien organisés (Encadré 4).
Cependant, par leur nombre, les diasporas chinoise et indienne sont les plus percutantes. Elles sont aussi
pleins d’enseignements. La chine et l’Inde, grâce à leurs diasporas, ont pu rattraper les pays développés
dans des domaines de pointe. Certes, le vivier indien en mathématiques et l’expérience chinoise dans le
domaine de fusées existait déjà, mais le saut qualitatif observé aujourd’hui est impressionnant.

Encadré 3
Le cas de la Province de Taiwan

Durant les années 60 Taiwan a été considérée comme une source de main-d’œuvre bon marché. En même temps,
cette province souffrait d’une véritable hémorragie de cerveaux; plus de 80 % des étudiants taiwanais qui partent aux
États-Unis ne reviennent pas après l’obtention de leurs diplômes. Taiwan possède aujourd’hui une économie prospère,
basée sur la haute technologie. En même temps, les responsables politiques – dont une bonne partie a fait ses études
aux États-Unis ont su tisser des liens forts avec la diaspora, surtout avec les scientifiques qui travaillent dans la Sillicon
Valley. Les responsables politiques ont consulté très souvent ces scientifiques pour les conseiller par rapport à la poli-
tique et aux affaires de l’État, de sorte que le modèle taiwanais s’est écarté des pratiques connues dans les autres pays
asiatiques et s’est rapproché du modèle économique, avec les résultats qu’on connaît.
De plus, l’État a stimulé la croissance économique en investissant dans la formation et dans la R&D. Il a créé une
branche capital-risque et lancé le parc industriel scientifique de Hsinchu. Le développement économique qui s’en suit a
encouragé le retour volontaire de beaucoup de scientifiques. C’est ainsi que durant les années 80 et 90, la fuite des cer-
veaux s’est inversée, de même beaucoup de scientifiques commençaient à faire la navette entre les États-Unis et Tai-
wan, ce qui s’est traduit par des échanges d’information, de savoir-faire et de capital humain entre Taiwan et la Sillicon
Valley (Wickramasekara, 2002).

4.4. Diaspora marocaine et transfert de technologie

4.4.1. Les projets associatifs


Les récentes ouvertures politiques et les reformes économiques semblent amorcer une dynamique et un
débat d’idées qui ont favorisé un foisonnement d’initiatives et d’associations dans tous les domaines de la
vie courante. Bref, une société civile est en train de naître. La création d’organisations telle que l’association
« Savoir et Développement » entre dans cette logique. Cependant, des problèmes de fond sont omni-
présents et le chemin qui reste à parcourir est long et sinueux. Au delà, une véritable politique de recherche
scientifique doit être mise en œuvre.

De plus en plus de chercheurs d’origine marocaine expriment donc leur souhait de participer à la recherche
nationale. Ils sont organisés en associations. Cependant à cause du manque d’informations, ces associations
demeurent difficiles à appréhender, à cerner et à quantifier. Pour cette raison et dans le cadre de cette étude,
nous nous sommes fixés un certain nombre de critères pour parler véritablement de réseau diasporatique.
Ainsi, les associations que nous avons approchées devaient répondre aux critères suivants :

versités et centres de recherches (conseils des universités, conseils scientifiques, syndicats d’enseignement,...) ou tout simplement l’avance-
ment des carrières sont autant de contraintes qui n’ont que peu de relation avec le but du réseau.

500
– Elles doivent s’auto-organiser 1 ;
– Elles doivent s’orienter de manière claire et active vers leur pays d’origine, à savoir le Maroc ;
– Elles doivent avoir des projets bien définis de transfert de technologie (création d’entreprises innovantes
au Maroc ou en joint-venture ; intervention dans le domaine de l’enseignement supérieur,...).

Ces critères avaient pour but d’écarter des associations ou réseaux peu crédibles. Parmi ces dernières,
l’on peut citer, ainsi :
1) L’association « Savoir & Développement » a été crée en 1999 par un groupe de marocains du sud-ouest
de la France. Son but est de favoriser le transfert scientifique et technologique en direction du Maroc et créer
une base de données de compétences marocaines à l’étranger.
L’association travaille autour de projets alliant les scientifiques marocains à l’étranger et ceux restés au
pays. Les projets et sujets débattus sont extrêmement pratiques et concrets. Il s’agit d’aider les entreprises
marocaines (surtout les petites et moyennes, PME) non seulement à innover, mais aussi à trouver des parte-
naires pour innover. L’idée est d’apprendre aux PME à innover de manière rentable. Pour ce faire, S&D mise
sur la construction de réseaux de compétences entre les partenaires de différents secteurs et entre les PME
et les grandes entreprises (ONA,...) ou les offices d’État tels que l’OCP, l’ONEP, l’ONE, le BRPM,...
L’autre pôle d’intérêt de S&D est la collaboration avec les institutions nationales responsables de la
recherche scientifique. L’idée est de construire des groupes de travail pluridisciplinaires et multisectoriels
associant responsables d’associations scientifiques, d’entreprises, d’instituts de recherche et d’universités,
pour réfléchir en commun à la mise en place d’une véritable politique de sciences et technologies. Dans ce
sens S&D a signé une convention de coopération avec le Centre National de la Recherche Scientifique et
Techniques (CNRST).
Pour encourager la recherche scientifique dans le domaine des sciences sociales, S&D a signé une
convention de collaboration avec l’Université Al Akhawayn. Un colloque annuel consacré aux jeunes docto-
rants en sciences économiques des pays méditerranéens est organisé pour impulser la recherche en écono-
mie et partager les expériences de jeunes doctorants 2. La mise en place d’une revue scientifique en
sciences économiques est aussi envisagée. De même, des Forums de l’Économie et des Affaires (FEA) ont
été organisés pour sensibiliser les membres des différents réseaux (qui sont plus orientés recherche et
enseignement que création d’entreprises) à créer des entreprises innovantes en collaboration avec l’Univer-
sité Al Akhawayn et la Caisse de Dépôts et de Gestion 3.
La construction de comités régionaux de S&D (Aquitaine, Midi-Pyrénées, PACA, Ile de France,...) permet à
l’association de suivre de manière précise les projets mis en place par les régions françaises et le Maroc, tout
en essayant de les multiplier et de les pérenniser

2) Les autres associations :


Le Regroupement des Biologistes Marocains au Canada (RMBC). Le but est de regrouper tous ceux qui
œuvrent dans le domaine des sciences biologiques et les disciplines annexes tout en favorisant les échanges
entre le Canada et le Maroc.
Caravane – Marocains des Grandes Écoles, trait d’union entre le Maroc et la France.
BIOMATEC – Association Marocaine de Biologie, Maroc-Entreprendre, le Réseau Diaspora & Développe-
ment et NorSuTech2005....

1. L’organisation veut dire la tenue des assemblées générales ordinaires et extraordinaires, l’existence d’un bureau, d’un conseil d’administra-
tion et d’élections régulières.
2. Les premières manifestations ont eu lieu à Tanger (mai, 2002), à Fès (juin, 2003), à Ifrane (mai, 2004) et à Marrakech (juin, 2005).
3. La toute petite entreprise (Meknès 2002), FEA : Pau, janvier 2004, Dreux avril 2004, Ifrane mai 2004 et Paris avril 2005.

501
L’association « Migration et Développement » joue un rôle important dans la mise en place et le finance-
ment de micro-projets surtout dans la région marocaine du Souss. Elle est parmi les rares associations à être
reconnue par l’Union européenne. Elle a ouvert un bureau en Algérie et a même été citée dans les manuels
de géographie en France.
Les quelques projets associatifs qui nous semblent les plus pertinents ont été regroupés dans l’encadré 4.
Il est évident que cette liste est loin d’être exhaustive. D’autres projets existent, ce qui reflète le dynamisme
de la diaspora marocaine et son attachement à son pays d’origine.
Ces initiatives, pour importantes qu’elles soient, demeurent dispersées et n’ont pas été assez soutenues
par les autorités du pays d’origine. Ces différents réseaux ne sont pas encore arrivés à maturité et le soutien
des autorités s’avère indispensable même s’ils doivent garder leur autonomie.

Encadré 4
Les projets associatifs 1

a) Formations qualifiantes pour les cadres des entreprises


Des séminaires de un, deux ou trois jours sont organisés par l’association R&D Maroc et animés par des membres
des associations de la diaspora qui ont des compétences opérationnelles avérées en matière de management de l’inno-
vation.
b) Accompagnement de l’entreprise marocaine dans sa démarche de mise en place d’un processus adapté de ges-
tion de l’innovation. Les compétences opérationnelles des membres des réseaux disporatiques sont recherchées pour
cet accompagnement.
c) Formation diplômante (effective en 2006)
R&D Maroc souhaite promouvoir la mise en place d’un master sur le management de l’innovation au Maroc. Il est
demandé aux réseaux disporatiques de collaborer à la faisabilité d’un tel projet. Ce projet devra être finalisé en 2005 afin
qu’il soit opérationnel en 2006.
d) Salon de l’innovation (INNOVA 2005)
Les membres de ces différents réseaux ont participé à la troisième et à la quatrième édition du salon de l’Innovation à
Casablanca (2004). Une implication plus importante a été demandée à la diaspora marocaine dans les prochaines édi-
tions, en animant des séminaires et des ateliers, en identifiant des entreprises innovantes créées par des membres de
la diaspora, pour exposer à INNOVA.
Au-delà, les membres de la diaspora marocaine exercent différentes actions de lobbying auprès de différents orga-
nismes internationaux, tels que la Commission européenne pour que le Maroc soit partie prenante dans des pro-
grammes européens de grande envergure tel que le programme GALLELIO.
Face à l’ampleur des problèmes liés aux déchets urbains, leur impact sur l’environnement et sur la santé publique, et
compte-tenu des solutions mises en place, sans commune mesure ni avec la croissance exponentielle des déchets et
leurs conséquences néfastes, ni avec les projets ambitieux de développement du tourisme, les membres du réseau
diaspora mettent en place un projet global de traitement pérenne des déchets urbains 2.
De même, l’assainissement au Maroc accuse actuellement un sous-équipement en réseaux et ouvrages d’épuration
(environ une soixantaine pour tout le Maroc), accompagné de dysfonctionnements importants (environ 20 % sont en
fonctionnement).
De ce fait les milieux récepteurs, notamment les milieux aquatiques, sont fortement pollués et perturbés, avec des
problèmes préoccupants de santé publique (germes pathogènes, métaux lourds, etc.). Dans ce contexte, le projet 3pro-
posé a pour but :

1. Bouoiyour (2004.a).
2. Projet initié par l’association NorSuTech2005.
3. Projet proposé par l’association Savoir & Développement.

502
– L’établissement d’un état des lieux et des besoins en traitement des eaux usées.
– La réhabilitation des équipements existants,
– La recherche de solutions en vue d’améliorer l’assainissement et le respect de l’environnement,
– La réduction des impacts sur les milieux récepteurs.
– Le transfert scientifique et technologique dans une logique de développement durable
Le résultat final escompté comporte plusieurs aspects :
– Fédérer les efforts au plan de l’assainissement et dans le suivi et le contrôle des milieux récepteurs,
– Apporter des solutions contre la dégradation des ressources en eau et du patrimoine naturel,
– Transfert scientifique et technologique : formation co-diplômantes spécifiques à ces problèmes.
D’autres actions plus discrètes ont été menées avec succès 1.

4.4.2. Diaspora et recherche scientifique


Parmi les causes de la fuite des cerveaux dans un pays comme le Maroc, on peut citer la faiblesse de la
recherche scientifique (Bouoiyour 1995, Alcouffe et Bouoiyour, 1998 et Driouchi & Djeflat, 2003).
L’un des principaux problèmes du Maroc est le capital humain. Le nombre de chômeurs diplômés en dit
long sur l’incompatibilité du système éducatif et du système productif. Selon la Banque Mondiale, seulement
1,4 % de la main d’ouvre marocaine est composée de scientifiques et d’ingénieurs dont 13 % sont expatriés.
À cela il faut rajouter la faiblesse de la formation continue au sein des entreprises (15 % des entreprises
marocaines ont des programmes de formation pour leur salariés contre 30 % en Inde et 40 % en Corée).
Au-delà les inputs technologiques (ressources humaines et R&D) et les outputs technologiques (brevets et
publications) sont faibles malgré les efforts consentis par le gouvernement. En effet, des progrès importants
ont été réalisés depuis 4 ans au niveau des crédits alloués à la recherche scientifique. De 0,3 % en 1998, la
part de la R&D dans le PIB est passée à 0,4 % en 1999 puis 0,7 % en 2001 et 0,79 actuellement (graphique
18).
Le nombre de brevets déposés au Maroc est faible (inférieur à 500 par an suivant différentes estimations)
et ceux déposés en Europe et aux États-Unis par les marocains sont proches de zéro. La part des nationaux,
même si elle est en nette progression, demeure faible. Elle est inférieure à 20 % en moyenne. Il faut cepen-
dant relativiser cette faiblesse de dépôts de brevets. D’une part, parce que le Maroc est bien placé par rap-
port aux autres pays méditerranéens (3e après Israël et la Turquie) et d’autre part, pour bien juger de l’effort
d’innovation, il faut lier le nombre de brevets aux inputs technologiques (dépenses de R&D, qualité de l’édu-
cation et du système de production scientifique,...).
Concernant les publications, elles sont au nombre de 400 (d’après les critères de l’OCDE). Là aussi, ce
chiffre bas classe le Maroc en troisième position après l’Égypte et l’Afrique du Sud.Ces chiffres sont encou-
rageants, mais dans la réalité l’impact de cette politique volontariste de R&D de la part des autorités maro-
caines demeure faible. De plus le secteur industriel participe peu à cette dynamique. En effet, la part des
dépenses de R&D sur le chiffre d’affaire des entreprises marocaines est proche de zéro (contre 6 % en Thaï-
lande et 2 % en Chine).
Malgré ces efforts, la recherche scientifique marocaine ne constitue pas une priorité pour les autorités
publiques. Elle se caractérise par le manque d’intégration de ses différentes composantes et l’absence de
relation entre le système d’innovation et le système productif. À cela s’ajoute la faible production scientifique
des principaux centres de recherche regroupés essentiellement au sein des universités. Les enseignants uni-
versitaires se consacrent plus à l’activité d’enseignement qu’à celle de la recherche. Il faut dire que l’aug-

1. L’installation du groupe MATRA au Maroc a été facilitée par l’implication d’un membre du Réseau Diaspora.

503
mentation exponentielle du nombre d’étudiants inscrits dans les universités marocaines laisse peu de temps
aux enseignants pour se consacrer à la recherche, d’autant plus que cette dernière n’est pas valorisée.
L’absence de statut de chercheur et la non prise en considération des activités scientifiques (publications,
projets de recherche,...) dans la carrière des enseignants-chercheurs n’arrangent guère la situation. Certes la
nouvelle loi concernant l’avancement de la carrière des enseignants-chercheurs a essayé de pallier ces pro-
blèmes, mais elle est trop insuffisante pour motiver les enseignants à poursuivre leur recherche.

Graphique 18 : Évolution des brevets et de la R&D

Sources : Office Marocain de la Propriété Industrielle, Secrétariat d’État à la Recherche Scientifique et


Voir les Bouoiyour (2003). * prévision pour 2004.

Par ailleurs, les grands groupes industriels (ONA,...) ou les offices de l’État (OCP,...) qui pratiquent de la
recherche scientifique sont peu nombreux et peu ouverts sur les autres composantes de la société, de sorte
que la recherche n’a pas d’effets rétroactifs sur le processus d’apprentissage technologique. En somme, il
n’y a pas d’effets externes de la recherche scientifique. La diaspora marocaine peut jouer pleinement son
rôle pour renverser cette tendance à condition que des incitations soient trouvées et les instruments adé-
quats soient utilisés pour « optimiser » son implication. Le Maroc peut profiter, à l’instar de Taiwan (Encadré
3), aussi bien du capital humain qu’incarne les diplômes marocains de l’extérieur que du capital social qu’ils
ont pu constituer grâce à leur insertion dans les réseaux économiques et politiques des pays d’installation.

5. Migration et Développement, quelles interactions ?

5.1. Migration et libéralisme

L’instauration d’une zone de libre échange euro-méditerranéenne est de nature à accroître les flux d’inves-
tissement du Nord vers le Sud et à accélérer la croissance et le développement dans les pays du Sud. Ce
cercle vertueux serait incomplet si ce processus de libéralisation ne s’accompagnait pas d’une diminution de
la propension à émigrer de la part des populations du Sud. C’est le principe de la libéralisation des flux
commerciaux comme alternative à la migration. Cependant, certaines expériences à travers le monde nous

504
poussent à plus de prudence. L’exemple de l’ALENA est édifiant à cet égard. En effet, l’instauration du libre
échange en Amérique du Nord n’a pas réduit la migration, loin s’en faut. Le libre échange, du moins dans un
premier temps, ne permet pas d’élever le niveau de vie des populations des pays du Sud, ni le niveau de
l’emploi. Sur le long terme, on peut espérer que la libéralisation des échanges accélère la croissance et
contribue au développement du Sud. L’exemple réussi d’une réduction de la propension à émigrer reste
l’Espagne, mais cette fois, il ne s’agit pas d’accords de libre échange, mais d’intégration totale à l’Union euro-
péenne. La mise en place de la zone de libre échange entre le Maroc et l’Union européenne à l’horizon 2012
aura pour conséquence à moyen terme une exacerbation de la propension à migrer dans la mesure où les
conséquences positives du libéralisme se feront sentir sur une longue période. La période de transition
dépend elle-même de la vitesse de la mise en place des réformes économiques instaurées par les respon-
sables marocains. D’autant plus que les programmes de « mise à niveau » financés par l’Union européenne
ne connaissent pas le succès escompté. La compétitivité des entreprises marocaines, due à l’écart tech-
nologique entre elles et leurs concurrentes étrangères, sera mise à rude épreuve. Les firmes étrangères sont
plus productives, en termes de productivité de travail et de productivité totale des facteurs. Elles sont davan-
tage ouvertes aux échanges et procurent des salaires supérieurs à ceux distribués par les firmes maro-
caines 1. L’abaissement des barrières douanières se fera donc au profit des entreprises étrangères qui
disposent d’une technologie plus avancée et qui maîtrisent les marchés étrangers. Après ce choc initial, les
effets du partenariat pourraient commencer à se propager, en diminuant le désir de migrer, à travers, en par-
ticulier, les effets des IDE. Ces derniers sont créateurs d’emplois et de richesses. La délocalisation des activi-
tés consommatrices de main-d’œuvre peu qualifiée vers le Maroc, devrait là aussi diminuer la pression
migratoire. Des économistes ont jeté le doute sur la solidité de ces arguments dans la mesure où d’une part,
un certain nombre d’activités en Europe sont « non délocalisables » et auront toujours besoin d’une main-
d’œuvre peu qualifiée (tourisme, bâtiment, travaux saisonniers en agriculture,...) et d’autre part, pour que
l’IDE se substitue à la migration, il faudrait que ces derniers atteignent des sommes très importantes 2.

5.2. Migration et remises de fonds

Comme on l’a dit précédemment, une bonne partie des remises de fonds des RME se dirige vers le sec-
teur de la construction. Il est vrai qu’une politique plus ciblée de drainage des transferts vers des secteurs à
haute valeur ajoutée ou vers des secteurs dont les effets induits auraient un impact plus important sur le bien
être national serait préférable. Mais est-on capable de les identifier ? La réponse n’est pas évidente. En
revanche, ce qui est certain, c’est que l’immobilier fait vivre une bonne partie des travailleurs marocains sans
qualification, sans parler de ses effets sur les autres secteurs. Il permet aussi l’accès à l’habitat décent pour
les membres des familles des émigrés restant au pays. Le changement de paysage dans certains petits vil-
lages marocains, grâce aux constructions faites par les émigrés, est éloquent. À ce niveau, l’exemple de
l’Espagne est intéressant et peut être plein d’enseignement. Le « boom » immobilier dans les années 60 a
permis de drainer vers ce pays des flux touristiques importants grâce en partie aux transferts des immigrants
espagnoles qui souhaitaient posséder un bien dans leur pays et qui étaient souvent eux-mêmes les clients

1. Sur la question de la compétitivité des entreprises marocaines comparée à celles des entreprises étrangères installées au Maroc, on peut
se référer à Bouoiyour et Toufik (2003) ou Bouoiyour (2004.b).
2. Les envois de fonds des RME ont atteint plus de 25 milliards de dirhams en moyenne par an durant les 10 dernières années alors que le
volume des IDE (en dehors des opérations de privatisation) est inférieur à 4 milliards de dirhams par an. Ces chiffres nous donnant un ordre de
grandeur, mais il faut admettre que les effets induits des IDE n’ont rein de comparable avec ceux générés par les envois des RME.

505
des investissements qu’ils avaient permis de réaliser. Les Portugais ont aussi procédé de la même manière
(Cour des Comptes, 2004). Ces expériences sont d’autant plus intéressantes que cette vision entre exacte-
ment dans les programmes marocains de la Vision 2010.

5.3. Migration et diaspora

Fuite des cerveaux


Pour lutter contre la fuite des cerveaux, il nous parait indispensable d’endogénieser et pérenniser la
recherche scientifique. Ceci ne peut pas se produire sans la mise en place de changements institutionnels de
grande envergure, en particulier, ceux concernant le système éducatif. Ce processus ne peut faire l’impasse
de l’indispensable articulation entre la recherche scientifique, l’université et les entreprises. Il est temps que
ces entités qui s’ignorent collaborent et travaillent ensemble. Ces réformes doivent s’accompagner d’une
ouverture de plus en plus rapide vers l’extérieur. Cette ouverture doit se traduire par un encouragement à la
délocalisation d’entreprises et de surtout de centres de recherche étrangers en valorisant le capital humain
existant. Dans le même ordre d’idées, la formation à distance doit être encouragée ainsi que le partage du
savoir et des compétences. La création de diplômes de niveaux intermédiaires ou supérieurs (bac + 3 ou bac
+ 5) avec des mécanismes de compensation, à la lumière de ce qui se passe entre pays européens, doit
aussi être encouragée. La diaspora marocaine qui dispose d’un savoir-faire scientifique et industriel doit être
mise à contribution de façon active et durable. Cependant, cette ouverture doit éviter, autant que faire se
peut, d’imiter les pays développés en matière de science et technologie. Il n’est pas nécessaire de repro-
duire les mêmes institutions, ni les mêmes schémas et encore moins s’attendre aux mêmes effets des poli-
tiques suivies. Les efforts doivent se concentrer sur la capacité d’absorption de la technologie importée. En
fait, il faudrait inventer « un modèle » marocain basé sur les besoins nationaux et qui tienne compte des cou-
tumes et traditions. Certes, ces dernières sont considérées, à tort ou à raison, comme des contraintes, mais
elles peuvent aussi constituer des potentialités susceptibles d’apporter un plus dans ce processus d’intégra-
tion 1.
De même, la question de la fuite de cerveaux commence à intéresser différents ministères et organismes
gouvernementaux. S’il est légitime que le ministère chargé des RME ou le ministère de l’enseignement
supérieur et de la recherche scientifique ou encore la fondation Hassan II s’intéressent à cette probléma-
tique, il est incompréhensible que le ministère de l’industrie ou celui de l’aménagement du territoire
consacrent des moyens et de l’énergie pour attirer les expatriés marocains et les encourager à investir dans
leur pays d’origine sans aucune concertations avec les autres organismes ou ministères chargés des RME. Il
serait souhaitable de créer un seul ministère ou organisme chargé de la mobilité des compétences et doté de
moyens matériels importants et de capital humain adéquat en encouragent les associations et réseaux déjà
existants et qui ont fait preuve de dynamisme et de capacité d’organisation.
Il est à noter enfin que la fuite des cerveaux dans un certain nombre de cas est salutaire. Le Maroc dans
certains domaines forme plus de cadres qu’il ne peut en employer. La fuite de cerveaux est donc plus poten-
tielle que réelle, alors que la non-émigration est pour les cadres concernés la certitude d’une déqualification.
L’exode des compétence est davantage la conséquence du sous-développement que sa cause (Conseil
Économique et Social, 2001). Il est temps qu’une réflexion de fond soit menée sur la problématique migra-

1. Bouoiyour 2003.

506
toire avec toutes ses facettes. Il est indispensable que le Maroc coordonne sa politique migratoire avec les
pays hôtes. La migration peut aggraver dans certains cas le déficit de main-d’œuvre qualifiée (ex : profes-
sions médicales, ...), comme elle peut soulager l’offre de personnes qualifiées si cette dernière est supé-
rieure à la demande.

L’option Diaspora
On a vu précédemment (5.2) que les réseaux des expatriés peuvent troubler « l’ordre établi » par la division
international du travail qui veut que le Nord soit spécialisé dans les activités de R&D, à haute valeur ajoutée
et le Sud dans les activités subalternes à faible valeur ajoutée. Ces réseaux utilisent justement cette asymé-
trie entre le Nord et le Sud pour redistribuer ses compétences vers le Sud en « subversivant » la logique
d’attraction du Nord.
L’une des caractéristiques des diasporas scientifiques et techniques est l’équilibre qu’elles définissent
entre dépendance et autonomie. En effet, si une origine exclusivement étatique peut conduire à un ralen-
tissement des activités et de la vie interne d’un réseau, un désengagement total de la part des autorités du
pays d’origine peut également avoir des conséquences désastreuses pour des chercheurs qui ont montré
leur capacité à mobiliser leurs compatriotes et à s’auto-organiser. L’expérience des réseaux marocains ainsi
que d’autres réseaux africains ou sud-américains 1montrent que le manque d’engagement de la part des
autorités publiques rend difficile l’établissement d’une base enracinée dans le pays d’origine. Ainsi malgré la
mise en place de projets novateurs et structurants, dont les effets induits pour le Maroc sont indéniables,
leur application demeure insuffisante et leur coordination au niveau local s’avère déficiente. Qui plus est, le
risque de récupération politique est omniprésent dans ce genre d’action. Le projet TOKTEN est « passé à la
trappe » à cause de la divergence d’intérêt des différents protagonistes.

Conclusion

Avec le passage d’une émigration des travailleurs à celle des familles et des diplômés, les autorités maro-
caines se trouvent face à un défi important ; il s’agit de réinventer leurs relations avec ce qu’il faut appeler,
dorénavant, la diaspora. Cette dernière est riche et variée. Elle comprend en plus des travailleurs, les généra-
tions nées à l’étranger (deuxième et troisième), les diplômés partis poursuivre leurs études à l’étranger mais
qui ne sont jamais revenus... Cette catégorie tend d’ailleurs à augmenter. En effet, la part des diplômés dans
les flux migratoires selon l’OCDE 2s’élève à 58 % des flux migratoires au Danemark, 44 % en France, 38 %
en Irlande, 32 % aux Pays-Bas.
Se pose alors la question de l’intégration d’un fonctionnement pluri-référentiel et à plusieurs niveaux (celui
de la diaspora) dans une réflexion qui se veut unique (celle des autorités marocaines). Ces dernières conti-
nuent à penser et à représenter la communauté marocaine comme étant homogène. C’est ce qui explique
l’utilisation de méthodes traditionnelles d’organisation de cette communauté marocaine jusqu’à une date
récente (amicales ou ex nihilo). Il faudrait mettre en place des institutions capables de traiter les multiples
facettes pour pérenniser et renforcer les liens avec le Maroc, avec un traitement différencié pour les compo

1. Le réseau colombien Caldas avait bien fonctionné au début, mais la dynamique s’est effondrée avec l’arrivée d’une nouvelle équipe gouver-
nementale (Barré et al, 2003)
2. Selon le Conseil Économique et Social, 2001.

507
santes de la diaspora. Ces institutions doivent faire en sorte n’y ait plus cette bipolarité conceptuelle, voire
idéologique, entre Centre et diaspora. Dit autrement, il serait temps que la diaspora et les autorités de tutelle
au Maroc travaillent ensemble sans tabou pour un but ultime, à savoir la création de richesse et l’amélioration
du niveau de vie de la population marocaine.
Un autre point important que nous n’avons pas abordé ici mériterait d’âtre précisé et clarifié. Il s’agit de la
représentativité politique des RME dans les instances nationales. C’est une question délicate et beaucoup de
choses ont été dites à ce sujet. Sans revenir sur l’historique 1, la plupart des RME ont du mal à comprendre
que cette question soit mise de côté. Très souvent le comportement des autorités politiques, leurs langage
et tergiversations ont donné le sentiment d’une volonté de dissimulation qui, en plus d’être non avérée, est
contre-productive. Il serait temps que des discussions et des concertations entre les différents partenaires
soient entamées pour aboutir rapidement à un résultat qui soit à la mesure des aspirations de cette commu-
nauté et de son poids et son rôle dans l’économie marocaine. Ce qui permettrait, d’une part, de représenter
démocratiquement la communauté marocaine de l’étranger dans les instances nationales et, d’autre part, de
« couper l’herbe » sous les pieds d’un certain nombre d’associations et groupes de pressions qui font de
cette question leur fond de commerce.

Recommandations

– Encourager la mise en place d’entrepreneurs transnationaux à l’instar des chinois et des indiens installés
aux États-Unis. Une enquête récente montre, en effet, que 80 à 90 % des chinois et indiens de la Sillicon Val-
leys entretiennent des relations d’affaires avec leur pays d’origine.
– Casser la coupure qui existe entre les émigrés marocains sans diplômes et les diplômés. Des passe-
relles doivent être imaginées elles peuvent avoir comme base de véritables projets d’investissement inno-
vants qui allient les idées et le savoir-faire des expatriés diplômés d’une part et l’expérience et la capacité de
mobilisation d’une épargne conséquente des non qualifiés, d’autre part.
– Éviter que l’utilisation de la diaspora dans des activités de recherche et d’entreprenariat au Maroc ne
crée des injustices en se faisant au détriment des potentialités locales. Il faut faire en sorte qu’il y ait une
synergie et une complémentarité entre la diaspora et les chercheurs et entrepreneurs locaux.
– Mise en place des formules de séjours courts à l’instar de celles proposées dans le cadre de l’Accord
Général sur le Commerce et les Servies (AGCS, mode 4 : mouvement des personnes physiques) de l’Uru-
guay Round. Ces formules concerneraient les expatriés marocains, mais aussi les chercheurs et entrepre-
neurs exerçant au Maroc et qui souhaitent se perfectionner dans certains domaines. Ce va et vient peut être
stimulé par les autorités marocaines en trouvant des mécanismes d’encouragements (primes, avancement
rapide dans les carrières de chercheurs,...). La diaspora marocaine peut aussi stimuler des échanges étant
donné son enracinement dans les pays d’accueil.
– Mise en place d’institutions étatiques, les plus flexibles possibles, en concertation avec les membres de
la diaspora, dotées de moyens humains et financiers importants et avec un traitement différencié pour les
composantes de la diaspora. Cette dernière fonctionne de manière pluri-référentielle alors que les autorités
marocaines continuent à la penser et à la considérer comme étant homogène. Ces institutions doivent éviter
la bipolarité conceptuelle, voire idéologique, entre Centre et diaspora.

1. Durant la législature 1984-1992, cinq circonscriptions ont été mises en places pour désigner les représentants de la communauté maro-
caine. Il est vrai que cette expérience n’a pas donné les résultats escomptés à cause du manque de transparence et de proximité, mais ceci ne
justifie pas l’abandon pur et simple de toute représentativité de la communauté marocaine dans les instances nationales.

508
– Utilisation plus fréquente de la diaspora dans les hautes instances de la recherche scientifique et tech-
nique, à l’instar de ce qui s’est amorcé au niveau de l’Académie marocaine des sciences et techniques.
– Définir un équilibre entre dépendance et autonomie des réseaux diasporatiques. Si une origine exclu-
sivement étatique peut conduire à un ralentissement des activités et de la vie interne d’un réseau, l’expé-
rience montre qu’un désengagement total de la part des autorités du pays d’origine peut également avoir des
conséquences désastreuses pour des chercheurs qui ont montré leur capacité à mobiliser leurs compatriotes
et à s’auto-organiser.
– Mise en place de branches qui encouragent la création des sociétés de capital-risque (en adaptant cette
notion au cas marocain) avec des mécanismes bien particuliers pour les RME, afin d’orienter leur épargne et
de la pérenniser. Un effort de communication et de pédagogie doit être fourni.
– Enfin, le problème de la représentativité politique de la communauté marocaine de l’étranger doit être
tranché.

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514
Annexe 1

Annexe 1 : Modélisation économétrique

Nous avons testé des équations économétriques qui mettent en relation le PIB, la FRCF et les transferts.
L’objectif final étant de tester les relations de causalité de court et de long termes au sens de Granger entre
ces variables. Les résultats ont été obtenus grâce à trois méthodologies différentes : les tests de causalité,
les tests de cointégration et le modèle à correction d’erreurs.

1. Les tests de racine unitaire

La méthodologie utilisée est celle des relations de cointégration. Les tests statistiques sur le comporte-
ment des séries sont maintenant bien connus dans la littérature économétrique. La première étape va nous
permettre de nous assurer du comportement exact des séries étudiées à travers l’analyse du degré d’inté-
gration des séries. Nous allons par conséquent utiliser deux méthodes. La première est basée sur l’hypo-
thèse nulle de racine unitaire de Dickey-Fuller (DF et ADF) 2.

1.1. Causalité
On peut accepter la notion de causalité dans un sens intuitif, en considérant qu’une variable Y1 cause une
variable, si la prise en compte de l’histoire de Y1 permet de réaliser une meilleure prédiction de Y2 que celle
que l’on obtiendrait à partir de la seule information sur le passé de Y2.
Dans la pratique, on admettra que le nombre de retards est fini (ici m) et on pourra préciser la notion de la
causalité (ou plutôt de non causalité) à partir d’un modèle autoregressif de la forme :

1. Pour ne pas alourdir la lecture, les références bibliographique citées dans le cadre de cet article peuvent être consultées dans Bouoiyour
(2005).
2. Les autres méthodes sont celles de Philipp-Perron (PP) et de Kwiatkowski, Phillips, Schmidt & Shin (KPSS) que nous n’utiliserons pas dans
ces développements.

515
ou de manière équivalente :

soit encore :

où les Ψij(L) représentent les polynômes d’opérateurs retard L, tel que LpYt p Ytip
u1 et u2 sont des innovations bruits blancs de moyenne nulle avec une matrice de

où λt,s = 1 pour t=s, 0 autrement. Ω représente la matrice des covariances.


Sur la base du modèle (4) on peut retrouver les différentes définitions de la causalité (ou de la non causalité). Ainsi :
a) – on dira que Y1 cause Y2 que l’on notera, si et seulement si et seulement si Ψ21(L)≠ 0. De manière équi-
valente, Y1 ne cause pas Y2 (que l’on notera Y1 ≠ >Y2) si Ψ21(L) = 0.
b) – on dira aussi que Y1 et Y2 se causent simultanément et de manière instantanée (noté
si la matrice des covariances Ω n’est pas diagonale. De même, que Y1 ne cause pas instantanément Y2 (Y2 ne
cause pas instantanément Y1) si la matrice des covariances Ω est diagonale.
c) – on parlera de causalité dans une direction (unidirectionnelle), lorsque par exemple Y1 ⇒ Y2 et Y2 ≠ > Y1 ;
soit encore Ψ21(L)≠ 0 et Ψ12(L) = 0.
d) – on dira enfin qu’il y a causalité avec feed-back, ou causalité bidirectionnelle, Y1 ⇒ Y2 et Y2 ⇒ Y1, lorsqu’on
vérifie simultanément Ψ21(L)≠ 0 et Ψ12(L)≠ 0. De même, l’absence de toute relation causale entre Y1 et Y2
imposera que Ψ21(L) =0 et Ψ12(L) = 0.
Suite aux travaux de Granger [1969], plusieurs auteurs parmi lesquels on pourra citer Sargent [1976], Mehra
[1977], Gordon [977], Haugh & Pierce [1977], ont proposé un test qui s’appuie sur le modèle [1]. En effet, si
on retient un processus autoregressif de cette forme, soit :

516
Sous l’hypothèse nulle que Y2 ne cause pas, on aura, ∀ i. Tous les βi sont alors nuls. De même, on ne rejet-
tera pas l’hypothèse nulle que Y1 ne cause pas, lorsque tous les γi sont nuls ; soit γi =0, ∀ i.

1.2. Cointégration
Les relations de cointégration sont des relations de long terme entre deux ou plusieurs variables. On par-
lera de cointégration pour toute combinaison linéaire de variables stationnaires de même ordre. Deux défini-
tions s’offrent à nous :
– La première est celle de Engle & Granger [1987]. Pour illustrer simplement cette définition, on considé-
rera un modèle bivarié. Supposons que nous disposons de deux variables intégrées d’ordre 1. L’idée
consiste tout simplement à régresser une variable sur l’autre (avec ou sans trend, ce qui correspond simulta-
nément à la cointégration stochastique dans le premier cas et déterministe dans le second). L’hypothèse de
cointégration signifie que les résidus de cette régression sont I(0). On utilise pour cela soit la statistique de
Durbin-Watson soit un test ADF sur les résidus de cette régression.
– La seconde méthode développée par Johansen [1988, 1991] et Johansen & Juselius [1990] permet
d’estimer le nombre de vecteurs de cointégration. Elle est basée sur la présentation d’un modèle VAR (p)
avec des erreurs. Cette méthode permet d’estimer une matrice p dont le rang permet d’estimer le nombre
de vecteurs de cointégration. Proposée initialement pour tester la cointégration déterministe, Campbell &
Perron [1993] ont étendu cette méthode au cas de la cointégration stochastique. À partir de là, on peut utili-
ser deux sortes de tests, celui de la trace ou de la valeur propre maximum.
Pour tester la cointégration déterministe, on retient un modèle de la forme :

où X est un vecteur de n variables aléatoires et Ü est un vecteur de n termes constants ; Π et Γi sont des
matrices de paramètres de dimensions (nxn), et ξ >N(0,Σ). Ce modèle admet des variables I(1) ou I(0), mais
interdit l’inclusion de variables I(0) avec tendance déterministe (Juselius [1991], Perron & Campbell [1992],
p. 20). La procédure de Johansen & Juselius permet d’estimer le rang de la matrice, ce rang qui correspond
au nombre de relations de cointégration.
Si 0X rang (Π) = rX n c’est-à-dire s’il existe r relations de cointégration, la matrice Π doit satisfaire la rela-
tion, où α et β sont des matrices de rang (nxr). β représente la matrice de cointégration dont les colonnes
constituent les vecteurs de cointégration.
On peut aussi préciser que lorsque, la matrice Π est dite de plein rang et X est stationnaire. Dans ce cas,
l’application d’un modèle VAR sans contraintes aux variables brutes est adéquate. À l’inverse, si, la matrice Π
est la matrice nulle et l’application d’un modèle VAR sans contraintes, aux différences premières, s’impose.
Le modèle (5) est alors estimé par la méthode du maximum de vraisemblance.
α, β et Σ sont obtenus en résolvant un problème de valeurs propres (notées λ) 1 :
Deux tests sont alors possibles pour déterminer le nombre de relations de cointégration :
– Le premier repose sur la statistique de la trace.
Ainsi on estime le modèle (5) successivement sous les hypothèses qu’il y a r=0, r=1, ..., r=n-1 relations de

1. Voir Johansen [1988], Johansen & Juselius [1990], Perron & Campbell [1992], Banerji & al. [1993], Jobert [1993] pour un exposé détaillé des
méthodes d’estimation.

517
cointégration. Pour chaque estimation on obtient une vraisemblance qui est comparée à la vraisemblance du
modèle (5) estimé sous l’hypothèse que toutes les n valeurs propres (λ1, λ2,...λn) sont retenues, c’est-à-dire
qu’il existe n relations de cointégration (modèle non contraint). La comparaison de ces vraisemblances
s’effectue sur la base d’un calcul de rapport, ou de différence si on retient les logarithmes des vraisem-
blances.
Ainsi, on testera l’hypothèse qu’il existe r relations de cointégration (Hr) contre l’hypothèse qu’il existe n
(H0), à partir de la statistique.

Cependant cette statistique ne se distribue pas comme un khi-carré standard car on a affaire à un proces-
sus multivarié I(1) 1. Les distributions sont tabulées par simulation.

1.3. Modèle à correction d’erreurs


Deux méthodes sont proposes pour tester la causalité au sens de Granger (1988). Dans un premier temps,
on teste l’impact des différences premières des variables à droite des équations [7], [8],[9] et [10]. On peut
interpréter ces tests comme étant de la causalité à court terme. Dans un second temps, on utilise les termes
de correction d’erreurs retardés pour chacune des variables, il s’agit de la causalité de long terme (Toda and
Phllips, 1994).
Pour tester ces causalités, on estime donc le modèle à correction d’erreur suivant :

où t = 1,..., T et i = 1,..., N. N est la longueur du retard, LPIB= log(PIB) et LTransfers = log(Transferts). Le


même modèle a été utilisé, mais on a remplacé LPIB par LFBCF (ie log(FBCF)). De même on a remplacé la
FBCF par ses différentes composantes (voir plus loin).

1.4. Les résultats issus des tests


La méthodologie économétrique utilisée dans cette partie se base sur la méthode dite d’analyse de cointé-
gration. Cette méthode a servi de support pour établir des tests selon le modèle à correction d’erreurs.
La première étape dans l’analyse de cointégration consiste à déterminer le degré d’intégration des dif-
férentes variables économiques testées. Les variables économiques n’étant pas par nature stationnaires (et

1. Banerjee & al [1993], p. 267

518
à fortiori celles des PED), l’application de la méthode de cointégration permet de s’assurer que nos huit
variables (le PIB, les trois variables d’ouverture et les quatre variables de taux de scolarisation), exprimées en
données annuelles log-linéarisées, vérifient bien un même ordre d’intégration. Les variables utilisées sont :

LPIB : PIB en log.


LFBCF : FBCF en log.
LConso : Consommation en log.
LBat : Bâtiment en log.
LMatOut : Materiel et Outillage en log.
LAmn : Aménagement et plantation en log.
LBet : Bétail en log.
LTrav : Travaux publics en log.

Les tests de Dickey-Fuller augmentés (ADF) ont été réalisés. Les retards optimaux sont calculés en utili-
sant le critère BIC 1. Toutes les variables sont I(1). Les tests de cointégration montent l’existence d’au mois
une relation de cointégration pour chacune des équations du système. (Bouoiyour, 2005).

Annexe 2 2. Les conséquences macroéconomiques des transferts des MRE


Une micro simulation pour le Maroc

Notre modèle est dynamique et à horizon infini à la Ramsey-Cass-Koopmans. Il considère une économie
composée de deux agents représentatifs : les ménages et les entreprises. Les premiers louent leur travail et
leur capital et reçoivent des transferts de l’étranger et arbitrent entre consommation et épargne. L’épargne
des ménages est investie en équipements ou en Bâtiments. Les achats de bâtiments par les ménages,
contrairement à la comptabilité nationale, sont considérés comme de la consommation.

1. Le comportement des consommateurs

Un individu représentatif maximise une fonction d’utilité intertemporelle sur un horizon infini. Elle est sup-
posée additivement séparable dans le temps . Si on prend une fonction isoélastique, où s, est l’élasticité de
substitution intertemporelle, la fonction d’utilité s’écrit alors :

1. L’utilisation du critère de AIC ne modifie pas nos résultats.


2. Pour plus de détails, voir Bouoiyour, 2005.

519
où γ ∈ (0,1) est le facteur de préférence pour le présent. Si on note Mt le montant des transferts reçus à la pé-
riode t, le revenu intertemporel Wt de l’agent représentatif sera donné par
(2) Wt p wtLt + rtKt + Mt
où rt et wt représentent respectivement le taux d’intérêt et le salaire au temps t.

2. Le secteur productif

En chaque période de temps, une entreprise représentative produit un bien composite qui peut servir à la
consommation comme à l’investissement. Si on désigne par Ktle stock de capital, la production du bien
composite en quantité Yt nécessite une dépense en force de travail Lt. En supposant une fonction de produc-
tion de type Cobb Douglas, il vient

où α représente la part du revenu du capital dans le revenu national et A la productivité total des facteurs.
Comme les entreprises agissent de manière concurrentielle sur le marché des facteurs, la maximisation du
profit conduit à l’égalisation de la productivité marginale de chaque facteur à son taux de rendement :

Le bien produit peut être affecté soit à la consommation soit à l’investissement. Si on désigne par Mt le
montant des transferts reçus par l’économie marocaine de l’étranger alors l’équilibre sur le marché des biens
et services et donné par
(5) Yt + Mt p Ct + It
La dynamique de notre modèle est gouvernée par l’évolution du stock de capital
(6.1) Kt+1 p (1 i δ)Kt + It,
La résolution du programme d’optimisation du consommateur qui consiste à maximiser l’utilité (1) sous les
contraintes (2), (5) et (6.1) rend l’équation d’Euler suivante :

Cette équation permet de déterminer la trajectoire optimale de la consommation 1.

1. Nous parlons de trajectoire optimale car l’équivalence ricardienne entre la solution décentralisée (eq. 7) et la solution d’un planificateur
social.

520
La consommation totale se divise en deux composantes. La consommation en bien et services et l’achat
de logements. Cette dernière regroupe les logements des nationaux qui est une part constante de la
consommation totale et les logements achetés par les MRE. Cette dernière supposée une fonction isoélas-
tique du montant des transferts. Ainsi, la demande de logements par les MRE peut s’exprimer comme suit :
Cl,t p ψ (Mt)η,
où η est l’élasticité de la demande de logements par rapport au montant des transferts et Ψ un paramètre d’échelle.

33. Le modèle stationarisé

En absence de croissance économique, toutes les variables sont constantes à long terme. L’économie
marocaine peut ainsi être résumée par le système d’équations suivant :

4. L’étalonnage du modèle

Notre modèle est calibré sur le sentier de croissance marocaine. Les données utilisées sont celles allant de
1980 à 2003. Le principe est d’affecter une valeur à chaque paramètre de manière à ce que le modèle repro-
duise la réalité économique du Maroc durant ces dernières années. Pour notre cas il s’agit de spécifier les
valeurs des paramètres suivants : α, γ, δ, η, σ, A et Ψ. La procédure habituelle est de fixer certaines valeurs à
priori et de calibres les paramètres restants.
Le taux d’actualisation est fixé égal au taux d’intérêt réel et la valeur de l’élasticité de substitution inter-
temporelle est empruntée à la littérature économétrique 1. La part du capital est fixée à 0,28 (Zaimi [2002]).
Les autres paramètres sont calibrés pour retrouver l’état stationnaire (variables stratégiques). Le tableau sui-

1. Sur ce point se référer, entre autres, à weber (1970, 1975), Hansen et singleton (1983), Mankiw et al. (1985).

521
vant résume les valeurs retenues pour les paramètres, les ratios endogènes et les variables exogènes. En
particulier, l’élasticité de la demande logement est fixée à 0,512.

Tableau 1. Valeurs des paramètres et des variables exogènes retenues

Variables stratégiques Valeurs calibrées


Part de la consommation dans le PIB 0,78
Part de l’investissement dans le PIB 0,21
Part de l’investissement en logement dans le PIB 0,047
Variables exogènes Valeurs fixée
Part des transferts dans le PIB 0,05
Paramètres Valeurs calibrées
Part du capital dans le revenu national 0,280
Taux de dépréciation du capital 0,099
Taux d’actualisation 0,080
Élasticité de substitution intertemporelle 0,050
Élasticité de la demande de logements 0,512

Productivité globale des facteurs 50,00

Paramètre d’échelle (ψ) 1,000

5. Résultats

Afin d’examiner les effets des transferts des MRE sur les agrégats de l’économie marocaine, notamment
sur la consommation de biens et services et sur la demande de logements, nous avons simulé l’effet d’une
hausse transitoire (à la première période pour la rendre non-anticipée) des transferts passant de 16 milliards
(la moyenne sur la période considérée comme équilibre de long terme de l’économie marocaine) à 20 mil-
liards.
Le modèle de type (backward-forward) puisqu’en plus des variables retardés il comporte une variable anti-
cipée (la consommation) a été simulé sur le logiciel dynare et conduit à un équilibre unique. Le modèle vérifie
en effet les conditions de Blanchard et Khan (1980) puisque seulement une valeur propre admet un module
supérieur à l’unité.
Les conséquences des la hausse des transferts sont présentées par les figures 2 à 6.

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5.1. Choc transitoire

Figure A1 : Consommation (milliards de dirhams)

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Figure 3 : PIB (milliards de dirhams)

Figure A2 : L’investissement (milliards de dirhams)

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Figure A3 : L’investissement en bâtiments (milliards de dirhams)

4.2. Résultats de long terme et sensibilité

Une hausse des transferts passant de 16 milliards de dirhams à 30 milliards de dirhams fait augmenter la
consommation de 244,270 milliards à 257,334 milliards de dirhams.

Figure A4 : Consommation et transferts

Une hausse des transferts passant de 16 millions de dirhams à 30 milliards de dirhams fait augmenter
l’investissement en bâtiment de 17,2 milliards de dirhams à 19,75 milliards de dirhams.

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Figure A5 : Investissements en bâtiments et transferts

Un des paramètres les plus importants dans notre modèle est l’élasticité de la demande de logement. Comme
nous ne disposions d’aucune estimation économétrique nous l’avons calibré. Les figures suivantes montrent que
le modèle est assez robuste. Il est en effet très peu sensible aux valeurs prises par cette élasticité.

Figure A6 : Sensibilité de la consommation par rapport au paramètre Eta

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