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LES DOCUMENTS DE TRAVAIL DU SÉNAT

Série : Études économiques

LA POLITIQUE MONÉTAIRE
Objectifs, méthodes et nouveaux problèmes

L'étude présentée dans ce document est de la seule responsabilité du Service des Études
économiques et de la prospective du Sénat. Elle constitue un instrument d'information et
de réflexion à l'intention des sénateurs et ne contient aucune prise de position susceptible
d’engager le Sénat.

n° EC-04 Novembre 2009


-3-

SOMMAIRE
Pages

INTRODUCTION ......................................................................................................................... 5

I. LA RÉGULATION MONÉTAIRE CONTEMPORAINE ....................................................... 7

A. GÉNÉRALITÉS ......................................................................................................................... 7
1. Fondements théoriques et succession des objectifs de la politiques monétaire ........................ 7
a) De la « monnaie voile » aux politiques volontaires issues de la théorie keynésienne .......... 7
b) Le retour au monétarisme ................................................................................................... 9
(1) Monétaristes et « Nouveaux classiques », ............................................................................. 9
(2) Des banques centrales indépendantes visant principalement la stabilité des prix ........................ 10
(3) L’inflexion des objectifs intermédiaires libellés en termes de masse monétaire ......................... 11
2. Une politique adjacente : le change ........................................................................................ 14
3. Le phénomène de création monétaire ...................................................................................... 16
a) Une création essentiellement liée à l’octroi de crédit… ...................................................... 16
b) … contrainte par des « fuites » dans le circuit monétaire .................................................... 19

B. LES INSTRUMENTS DE PILOTAGE DE LA CRÉATION MONÉTAIRE ............................... 21


1. Un instrument passé au second plan : les réserves obligatoires .............................................. 22
2. Les opérations de refinancement ............................................................................................. 24
a) La politique de taux directeur ............................................................................................. 24
(1) Les opérations d’open market et les facilités permanentes ...................................................... 25
(2) Le marché interbancaire ..................................................................................................... 27
b) Quelle fonction de réaction ? .............................................................................................. 29

C. LES CANAUX DE TRANSMISSION DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE ............................... 29


1. Les canaux « objectifs » .......................................................................................................... 30
a) Le canal des taux d’intérêt .................................................................................................. 30
b) Le canal du crédit ............................................................................................................... 32
2. Les canaux « subjectifs »......................................................................................................... 33

II. LA POLITIQUE MONÉTAIRE EN QUESTION .................................................................. 35

A. DES MESURES CIRCONSTANCIÉES FACE À LA CRISE..................................................... 35


1. L’assouplissement du refinancement ....................................................................................... 35
2. Une fonction de « prêteur en dernier ressort » délicate à mettre en œuvre.............................. 37
3. Les mesures exceptionnelles.................................................................................................... 39

B. LA REDÉFINITION DU « POLICY MIX » DANS LE CONTEXTE DES PLANS


DE RELANCE ........................................................................................................................... 45
1. De la « trappe à liquidité », qui rend la politique monétaire conventionnelle
inopérante… ........................................................................................................................... 45
2. … à un recours massif à la politique budgétaire, pour évacuer le risque de déflation............. 48
-4-

C. QUELLES ÉVOLUTIONS STRUCTURELLES ? ÉLÉMENTS POUR LE DÉBAT .................. 51


1. Hier : des politiques monétaires pesant sur l’activité ?........................................................... 51
a) Un risque inflationniste probablement surévalué dans la zone euro .................................... 51
b) Des taux d’intérêts réels comparativement élevés ............................................................... 53
c) Des anticipations de croissance auto-réalisatrices ............................................................... 55
2. Demain : articuler politique monétaire et politique macro-prudentielle ?............................... 56
a) Abondance du crédit et crise mondiale................................................................................ 56
b) Régulation macro-prudentielle et politique monétaire ........................................................ 57
(1) Diversifier les objectifs de la politique monétaire en direction de la régulation des prix
des actifs ? ....................................................................................................................... 57
(2) La voie difficile de l’activation des taux d’intérêt .................................................................. 59
(3) Réactiver des instruments trop vite délaissés ? ...................................................................... 59
c) Quelles marges de politique monétaire dans un contexte de fort endettement
public ?............................................................................................................................... 60
-5-

INTRODUCTION

La propagation de la crise financière mondiale qui s’est déclenchée


l’été 2007 et sa contamination à l’économie réelle ont conduit les grandes
banques centrales à mettre en œuvre une politique monétaire énergique.
La Réserve fédérale des Etats-Unis, suivie par la Banque
d’Angleterre, sont rapidement entrées dans une phase de baisse des taux
d’intérêt directeur.
Puis, la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008 a encouragé
les autorités monétaires à une nouvelle action coordonnée et forte de baisse
des taux, entraînant cette fois la Banque centrale européenne dans le sillage
des banques centrales américaine et anglaise. Ainsi, la BCE, qui avait relevé
une dernière fois son taux principal taux directeur en juillet 2008, a commencé
à baisser le taux « refi » à partir d’octobre 2008.
Mais ces décisions n’ont pas été suffisantes pour mettre un terme à la
défiance des banques les unes envers les autres.
D’une part, la perte brutale de valeur des actifs financiers complexes,
dans le sillage de la crise des « subprimes », s’est accompagnée d’une
difficulté à identifier les risques encourus par les établissements de crédit,
largement détenteurs de ces actifs, du fait de leur dissémination.
D’autre part, après la faillite de Lehman Brothers, il n’a plus été
permis d’espérer que les pouvoirs publics porteraient systématiquement
secours ou garantiraient les engagements d’une grande banque de pouvant plus
faire face à ses échéances.
Ainsi, les banques centrales ont décidé d’intervenir directement sur le
marché interbancaire, en injectant massivement des liquidités.
Un temps, ces politiques monétaires se sont révélées inopérantes pour
rétablir la confiance sur les marchés. Les taux des prêts interbancaires
demeuraient très élevés, la chute des taux des obligations publiques
témoignant de la fuite de l’épargne vers les actifs les moins risqués. La rapide
dégradation des bilans des banques menaçait de conduire à un apurement par
restriction des conditions de crédit, sinon à des crises de solvabilité en chaîne.
Comme les banques ne voulaient plus prêter aux ménages ni aux
entreprises, le recours à des instruments de politique monétaire dits « non
conventionnels » est alors apparu nécessaire, ainsi que le soutien d’une
politique budgétaire énergique.
-6-

Les soubresauts économiques connus dans la période récente


soulignent la centralité et la complexité de la politique monétaire, mais
aussi ses limites.
L’objet de la présente étude est d’effectuer un retour sur l’origine
et les mutations de la politique monétaire en termes d’objectifs et
d’instruments, afin de comprendre son fonctionnement actuel,
d’apprécier la portée des décisions récentes et d’éclairer la réflexion, dans
le contexte d’une remise en question devenue récurrente de la
gouvernance économique et financière mondiale, sur les évolutions parfois
envisagées du rôle et des modalités de cette politique.
-7-

I. LA RÉGULATION MONÉTAIRE CONTEMPORAINE

Les Etats ne battent plus monnaie et les banques centrales ont renoncé
aux instruments autoritaires d’encadrement du crédit. La politique monétaire
est une régulation monétaire : les banques privées créent la monnaie à la
faveur des prêts qu’elles accordent et les banques centrales, souvent
indépendantes du pouvoir politique, influencent le comportement des
établissements de crédit au travers d’instruments exerçant sur elles une
contrainte1 dite « de liquidité ».

A. GÉNÉRALITÉS

1. Fondements théoriques et succession des objectifs de la


politique monétaire

La politique monétaire est un instrument de politique économique


générale susceptible de concourir, cumulativement ou alternativement, à la
réalisation de trois objectifs principaux :
- la stabilité des prix ;
- la croissance économique et le plein emploi ;
- l’équilibre extérieur.
Ces trente dernières années, la politique monétaire a ordonné ses
objectifs autour d’un principe de neutralité et rationalisé ses instruments,
privilégiant un pilotage par les taux directeurs.

a) De la « monnaie voile » aux politiques volontaires issues de la


théorie keynésienne
Pour les économistes classiques, les phénomènes monétaires n’ont
pas d’incidence sur les conditions de l’échange. La monnaie est un « voile »
derrière lequel « les biens s’échangent contre des biens » (loi de Say) 2.
Cette formulation devait être formalisée par Irving Fisher dans la
théorie quantitative de la monnaie, au terme de laquelle le stock de monnaie
ne détermine que le niveau général des prix : la masse monétaire (M)
multipliée par sa vitesse de circulation (V) est égale au volume de production
(T) multiplié par le niveau général des prix (P)3. Cette théorie suppose que V
est stable et que T, déterminé par les facteurs de production disponibles et la
productivité de ces facteurs, constitue également une variable exogène4. En
conséquence, toute variation de M se traduit directement par une variation
de P.

1
Contrainte qui, passé un certain point, s’avère cependant irrésistible.
2
Jean-Baptiste Say (1767-1832) est le principal économiste classique français.
3
Soit : MV = PT.
4
La production ne dépend que de facteurs réels (non-monétaires) dans ce paradigme.
-8-

Dès lors, toute augmentation de la masse monétaire que


n’accompagne pas une hausse de la production, se traduit essentiellement par
de l’inflation et, réciproquement, il est possible de lutter contre l’inflation en
restreignant la masse monétaire, sans conséquence sur le niveau réel de la
production.
En réaction aux politiques de restriction monétaire mises en œuvre
lors de la crise de 1929, dont il jugeait les conséquences catastrophiques,
Keynes allait s’inscrire en faux contre la théorie classique, estimant
notamment que :
- la monnaie peut être désirée pour elle-même (les motifs de
« spéculation » et de « précaution » s’ajoutent au motif de « transaction » pour
déterminer la demande de monnaie), ce que désigne le concept keynésien de
« préférence pour la liquidité »,
- les prix sont fixes à court terme,
- l’offre ne crée pas sa propre demande mais dépend de la demande
anticipée par les entrepreneurs (concept de « demande effective »).
La théorie keynésienne montre que la politique monétaire peut
s’avérer indispensable pour parvenir au plein emploi, auquel les lois du
marché ne conduisent pas spontanément.
Dans une situation de sous-emploi, il convient d’accroitre la quantité
de monnaie pour que les taux d’intérêt baissent et que, par conséquent,
l’investissement augmente, jusqu’à ce que le plein emploi soit réalisé. Cet
enchainement n’est pas préjudiciable à l’épargne, celle-ci ne dépendant pas
des taux d’intérêt, mais du revenu.
Toutefois, il arrive que la politique monétaire soit inefficace. Dès lors
que le taux d’intérêt a diminué jusqu’à un certain seuil, la « préférence pour la
liquidité » devient absolue et l’augmentation de la quantité de monnaie ne se
traduit plus par une baisse des taux d’intérêt. Cette situation est connue dans la
théorie keynésienne sous la désignation de « trappe à liquidités »1 (voir infra).
La logique keynésienne a inspiré les politiques économiques
occidentales au sortir de la Seconde guerre mondiale, jusqu’à ce que la
crise économique des années soixante-dix, marquée par la conjonction d’une
accélération de l’inflation et de la montée du chômage, suscite un retour à des
pratiques monétaires « orthodoxes ».

1
Menace qui, d’ailleurs, conduit Keynes à accorder plutôt sa préférence à la politique
budgétaire.
-9-

b) Le retour au monétarisme
(1) Monétaristes et « Nouveaux classiques »,
Le monétarisme est apparu à la fin des années soixante. Son
principal promoteur, Milton Friedman, a voulu réhabiliter la théorie
quantitative de la monnaie en réaction contre le keynésianisme.
Partant de la « courbe de Philips », qui montre une relation empirique
inverse entre taux de chômage et inflation, il relève que cette courbe
fonctionne seulement à court terme. Selon lui, les agents économiques ne sont
que provisoirement victimes de l’« illusion monétaire »1 en cas de politique
monétaire expansionniste, si bien que le taux de chômage rejoint rapidement
son niveau « naturel » tandis que l’inflation, en revanche, se retrouve
propulsée à un niveau supérieur.
Pour mettre un terme à ce cercle vicieux inflationniste, Friedman
préconise l’abandon des politiques monétaires discrétionnaires au profit de
règles fixes. Il suggère de déterminer un objectif de croissance pour la masse
monétaire compatible avec le taux de croissance moyen de la production afin
de garantir la stabilité des prix à long terme. Dans cette logique, si la
croissance excède son rythme potentiel structurel, l’offre de monnaie devient
insuffisante et les taux d’intérêt augmentent, ce qui freine la croissance et
évite une surchauffe inflationniste. Réciproquement, une baisse des taux
viendrait soutenir l’activité si la croissance se trouvait inférieure à son
potentiel de long terme.
Les « Nouveaux classiques » ont radicalisé la théorie monétariste, en
supposant que les agents économiques déterminaient leur comportement sur la
base d’« anticipations rationnelles »2, en conséquence desquelles une politique
monétaire est non seulement inefficace à long terme, mais encore à court
terme, les agents raisonnant toujours en termes réels et ne pouvant donc être
leurrés par une politique monétaire.
Dans ces approches, la crédibilité des décisions de politique
monétaire prend une importance considérable dans la lutte contre
l’inflation, dont elle constitue l’objectif unique. C’est ainsi que la
transparence et l’indépendance des banques centrales sont des
caractéristiques jugées indispensables par l’école monétariste.

1
Dans l’analyse de Milton Friedman, l’illusion monétaire résulte du fait que les agents font des
erreurs d’anticipation qu’ils ne corrigent que progressivement : il s’agit des « anticipations
adaptatives ».
2
Théorie popularisée par Robert Emerson Lucas.
- 10 -

(2) Des banques centrales indépendantes visant principalement la stabilité des


prix
De fait, l’indépendance dont ont historiquement bénéficié la FED puis
la Bundesbank après la Seconde Guerre Mondiale, a été accordée à la plupart
des banques centrales sous le motif affiché de les éloigner des pressions d’un
pouvoir politique susceptible d’utiliser l’instrument monétaire à des fins de
relance conjoncturelle.
Il est à noter que des banques centrales indépendantes par rapport au
pouvoir politique constituent ainsi un mode institutionnel de gestion des
affaires monétaires dont la prédominance est relativement récente1 en Europe.
De même, la lutte contre l’inflation est devenue sinon le seul, du
moins le premier objectif :
- de la banque centrale européenne (BCE) ;
- des banques centrales ayant accédé, dans la période récente, à
l’indépendance ;
Pour la Federal Reserve (FED), cet objectif entre en concurrence
directe avec le soutien à la croissance économique, qui est un objectif de
second rang pour la plupart des banques centrales, notamment la BCE.
C’est en vertu du traité de Maastricht2 sur l’Union européenne que la
Banque centrale européenne (BCE)3 s’est vue confier la stabilité des prix
comme objectif principal. Suivant le modèle de la Bundesbank (ou, depuis
1994, celui de la Banque de France), l’indépendance de la BCE vis-à vis du
pouvoir politique a été garantie par l’article 1074 du traité précité.
Le concept de stabilité des prix n’est pas défini dans le traité,
mais la BCE en a assuré l’interprétation, se donnant pour objectif une
progression de l’indice des prix à la consommation harmonisé de la zone
euro inférieure à 2 %. Il est à noter que la Banque de France avait eu le
même objectif à partir de 1996.

1
La Banque de France n’a accédé à l’indépendance qu’en 1993. Dès sa création, la Banque
centrale européenne (BCE) a été calquée sur le modèle de la Bundesbank.
2
Traité sur l’Union européenne signé le 7 février 1992 ; il prévoyait, outre les modalités
transitoires du passage à la monnaie unique, l’organisation de la gouvernance monétaire une
fois l’union monétaire réalisée, le 1er janvier 2002.3 Cet objectif est plus précisément confié au
SEBC (système européen de banque centrale), composé de la Banque centrale européenne et des
banques centrales nationales. Les organes de décision de la BCE dirigent le SEBC.
4
En vertu duquel ni la BCE ni une banque centrale nationale ne peuvent solliciter ni accepter
des instructions de la part des institutions ou organes communautaires, des gouvernements des
Etats membres ou de tout autre organisme.
- 11 -

La « norme » des 2 % : un plafond-cible qui s’évalue à moyen terme


En l’absence de définition précise dans le traité, le Conseil des gouverneurs de la BCE
a adopté dès 1998 sa propre référence en indiquant que « la stabilité des prix est définie comme
une progression sur un an de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) inférieure à
2 % dans la zone euro. La stabilité des prix doit être maintenue à moyen terme ».
Puis il a été précisé en 2003 que la progression de l’indice compatible avec la stabilité
des prix est « inférieure à, mais proche de 2 % », cette nuance montrant la volonté de se
prémunir contre le risque de déflation.

Au nom de la stabilité des prix, la plupart des banques centrales


adoptent une cible d’inflation comprise entre 2 % et 3 %, sachant que les
indices sont probablement sous-évalués car ils intègrent mal l’amélioration de
la qualité des biens et des services.

Une correction des « effets qualité » vraisemblablement insuffisante


La correction des effets qualité est désormais généralisée avec, dans un certain nombre
de cas, une estimation du prix à partir d’une relation économétrique entre prix et caractéristiques
des produits (méthode dite des prix hédoniques). L’impact de ces traitements de la qualité a été
analysé dans le cas français par Guédès (2004) pour l’année 2003. Cette étude montre que
l’impact des ajustements effectués est de 0,3 %. En d’autres termes, si, contrairement à ce que
demande la théorie économique, les instituts statistiques ne faisaient aucun ajustement des effets
qualité, le taux d’inflation annuel serait plus élevé de 0,3 point.
Or, des études récentes ont tenté, dans le cas des États-Unis (Lebow et Rudd, 2003 et
Gordon, 2006), d’évaluer la pertinence de la correction des effets qualité. Elles suggèrent que
cette correction est insuffisante : au titre des seuls effets qualité, le taux d’inflation serait ainsi
surestimé aux États-Unis d’environ 0,4 point.
Source : Bulletin de la Banque de France n° 160, avril 2007

(3) L’inflexion des objectifs intermédiaires libellés en termes de masse


monétaire
La théorie quantitative débouche spontanément, pour la réalisation
d’un « objectif final » libellé en termes d’inflation, sur la définition d’un
« objectif intermédiaire » concernant la croissance de la masse monétaire.
A cet égard, la stratégie de la BCE consiste officiellement à surveiller
l’évolution de l’agrégat monétaire M3 (voir encadré ci-après).
- 12 -

Les principaux agrégats monétaires : M1, M2, M3 et M4


Les principaux agrégats monétaires sont ici classés par ordre de liquidité décroissante :
• M1 comprend la monnaie au sens strict de moyen de paiement : les billets et pièces
(monnaie manuelle) ainsi que les dépôts à vue.
• M2 = M1 + les dépôts à termes jusqu’à deux ans et les dépôts assortis d’un préavis
de remboursement inférieur ou égal à trois mois (pour la France : CODEVI, les livrets A et bleu,
le compte d’épargne logement...)
• M3 = M2 + les instruments négociables sur le marché monétaire émis par les
institutions financières monétaires (IFM), et qui représentent des avoirs dont le degré de liquidité
est élevé avec peu de risque de perte de capital en cas de liquidation (ex : OPCVM monétaires,
certificat de dépôt).
• M4 = M3 + les bons du Trésor, les billets de trésorerie et les bons à moyen terme
émis par les sociétés non financières

Mais différents éléments altèrent la pertinence de la masse


monétaire comme indicateur et prescripteur de la politique monétaire.
La vitesse de circulation de la monnaie ne s’avère pas constante,
si bien que la relation entre quantité de monnaie en circulation, prix et
production se trouve difficile à anticiper. On a ainsi observé, en moyenne, une
diminution sensible de la vitesse de circulation de la monnaie1 depuis les
années quatre-vingt, qui s’est accentuée depuis la mise en place de l’euro2.
De façon plus structurelle, l’importance croissante des financements
« désintermédiés », c’est à dire obtenus via un recours direct au marché en lieu
et place du crédit bancaire3, fait de la masse monétaire un thermomètre et un
levier moins pertinents.
Dès lors, un nombre croissant de banques centrales abandonne une
stratégie fondée sur une stricte maîtrise des agrégats, car le lien entre masse
monétaire et inflation se distend.
Les objectifs intermédiaires tendent aujourd’hui à être
essentiellement libellés en termes de taux d’intérêt.
Il est à noter qu’un troisième type d’objectif intermédiaire s’impose
en régime de parités monétaires fixes : le taux de change.
Pour sa part, la BCE a défini deux « piliers » qui lui permettent
d’évaluer les risques d’inflation dans la zone euro.

1
Cette vitesse peut être mesurée par le ratio PIB/M3, qui est passé de 0,55 au début des années
quatre-vingt à moins de 0,2 en 2005.
2
Selon certains économistes, la détention croissante par les ménages d’actifs financiers liquide
et l’essor des produits financiers structurés, compris dans l’agrégat M3, ont contribué à ce
ralentissement.
3
Le crédit bancaire est la principale source de création monétaire (cf. développements infra).
- 13 -

En premier lieu, elle effectue une « analyse monétaire », c’est-à-dire


qu’elle étudie l’évolution des agrégats monétaires dans une perspective de
contrôle direct de la masse monétaire. A l’origine, le rôle central de la masse
monétaire a été signalé par l’annonce d’un taux de croissance annuel de
référence pour l’agrégat « M3 » de 4,5 %, cette norme représentant alors
approximativement la sommation du taux de croissance à long terme et du
taux d’inflation acceptable (2 %).
Dans les faits, l’agrégat M3 a progressé très fortement ces dernières
années jusqu’à la crise récente, à un rythme annuel supérieur à 10 %, sans
accélération manifeste des prix et sans que la BCE ne juge utile de réagir par
une hausse des taux susceptible de freiner cette hausse pour rejoindre la norme
de 4,5 % :

CROISSANCE DE LA MASSE MONÉTAIRE (AGRÉGAT M3) DEPUIS 1995

14%

12%
Croissance annuelle en glissement

10%

8%

6%

4%

2%

0%
janv-96

janv-97

janv-98

janv-99

janv-00

janv-01

janv-02

janv-03

janv-04

janv-05

janv-06

janv-07

janv-08

janv-09

Sources : Sénat - service des études économiques, données Banque de France

En second lieu, elle suit l’évolution de certains indicateurs


économiques et financiers tels que les salaires, les prix des matières
premières, les taux de change, la confiance des consommateurs et des
entreprises.
- 14 -

2. Une politique adjacente : le change

En théorie, une Banque centrale peut orienter le taux de change de la


monnaie de deux façons : directement, sur le marché des changes en
utilisant ses réserves monétaires, et indirectement par la fixation de ses taux
directeurs, qui ont une influence sur l’attractivité de la monnaie nationale et
donc sur son cours.
• L’instrument de politique monétaire stricto sensu que
constituent les taux d’intérêt est donc aussi un levier majeur de la
politique de change, ce qui peut rendre délicate la conciliation de ces deux
politiques.
De 1945 à 1970, le système de Bretton Woods a reposé sur une parité
fixe entre le dollar et les devises des autres pays membres. Par la suite, la
plupart des pays ont conservé un ancrage du taux de change ; la France, en
particulier, s’est trouvée liée par le « serpent monétaire » puis, de 1979 à
1993, par le système monétaire européen.
Dans ce contexte, les pays ne contrôlant pas les mouvements de
capitaux n’ont pu mener de politiques monétaires autonomes, en vertu du
« triangle des incompatibilités »1.

Le triangle des incompatibilités

Liberté de circulation des capitaux

Autonomie des politiques monétaires Fixité des changes

Dans un contexte international, une économie ne peut pas simultanément :


- avoir un régime de change fixe ;
- disposer d’une politique monétaire autonome ;
- laisser librement circuler les capitaux (intégration financière).
Par contre, si l’un de ces objectifs est abandonné, les 2 autres deviennent réalisables,
comme c’est le cas en changes flottants, dans le cadre d’une union monétaire ou dans l’hypothèse
d’une autarcie financière.

Depuis les années quatre-vingt, la généralisation de la libre


circulation des capitaux s’est effectuée concomitamment à un mouvement
d’adoption de régimes de changes flottants.

1
Théorème formalisé par Mundell et Fleming.
- 15 -

Dès lors, aussi bien dans la zone euro dans son ensemble qu’aux
Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou dans certains grands pays émergents, la
politique de change n’est généralement plus libellée en termes d’objectifs de
parité constante.
Mais, même dans le contexte d’une liberté de maniement des taux
d’intérêt pour conduire la politique monétaire stricto sensu, cet instrument
n’en impacte pas moins le change, qui est une variable fondamentale de toute
politique économique. L’autonomie des politiques monétaires est donc
largement théorique.

• Réciproquement, les opérations sur le marché des changes


peuvent interférer avec la politique monétaire stricto sensu, qu’il s’agisse
de la stabilité des prix ou de l’activité économique.
Ainsi, le soutien de la monnaie locale par la banque centrale favorise
la stabilité des prix en pesant sur l’activité, par le canal du taux d’intérêt (la
raréfaction de la monnaie provoque une hausse des taux) et du commerce
extérieur (les exportations sont découragées). Réciproquement, une vente de
monnaie locale contre devise favorise une relance de l’activité via la baisse
des taux d’intérêt et la hausse des exportations.
Il se peut que les conséquences de la politique de change concordent
avec les objectifs de la politique monétaire.
Mais ils peuvent aussi bien s’opposer, et la banque centrale cherche
alors à neutraliser l’impact de sa politique de change par des interventions en
sens inverse sur le marché monétaire (politique dite de stérilisation).
La BCE est normalement chargée de conduire les opérations de
change en appliquant la politique de change définie par les Etats membres
(article 4 du traité sur l’union européenne).
Cependant, la politique de change n’a encore jamais fait l’objet de
décision du Conseil semble-t-il et les interventions de la BCE pour orienter
l’évolution du taux de change sont rares. La BCE demeure libre d’utiliser les
opérations de change en vue de réaliser ses objectifs de politique monétaire.
- 16 -

3. Le phénomène de création monétaire

a) Une création essentiellement liée à l’octroi de crédit…


La création monétaire la plus évidente est la frappe de pièces ou
l’émission de billets (monnaie fiduciaire1) par une banque centrale2. C’est
pourtant la moins importante en termes de valeur : les billets de banque
représentent moins de 10 % des encaisses des agents non financiers.
En réalité, l’essentiel de la création monétaire s’effectue au travers
des crédits accordés par les banques. Selon l’adage « les crédits font les
dépôts » (« loans make deposits »), tout crédit accordé par une banque
augmente la masse monétaire en créant un dépôt bancaire (monnaie
scripturale) de montant équivalent.
Lorsqu’un prêt est accordé, de la monnaie nouvelle est ainsi créditée
sur le compte de l’emprunteur ; elle apparaît au passif du bilan de la banque, la
créance correspondante figurant à l’actif de son bilan. Le processus de création
monétaire est identique lorsque la banque acquiert un actif réel ou
financier, également porté l’actif de son bilan en contrepartie du crédit inscrit
sur le compte du vendeur.

Il est à noter que l’acquisition de titres négociables par les banques


prend une importance grandissante dans la création monétaire.
Cette évolution accompagne le processus de « mobiliérisation », ce
terme décrivant le financement croissant de l’Etat et des entreprises par
émission de titres (actions, obligations et titres de créance négociable) sur les
marchés financiers et monétaires, observé depuis les années quatre-vingt.

1
Les premiers billets ont été émis par les banques au XVIIème siècle en contrepartie de dépôts
en or. Ils étaient acceptés en paiement grâce à la confiance -fides en latin- dont jouissaient les
banques émettrices –on parle ainsi de « monnaie fiduciaire ». Ces billets étaient alors
convertibles en or à tout moment. En revanche, la monnaie métallique (ou « monnaie
divisionnaire ») a longtemps conservé une valeur intrinsèque (monnaie étalon) dans la mesure
où elle était constituée de métaux précieux. Le bimétallisme (or et argent) a duré jusqu’au
XIXème siècle, pour céder la place au monométallisme or. Puis, au cours du XXème siècle,
l’ensemble de la monnaie métallique est progressivement passé de monnaie étalon à fiduciaire.
La monnaie fiduciaire (billets) s’est ensuite déconnectée de l’étalon-or (à partir des années
trente), déplaçant la confiance requise vis-à-vis de la banque émettrice vers l’économie dans son
ensemble (abandon de l’étalon-or pour le dollar en 1971).
2
Le monopole de l’émission de billets de banque par une banque centrale doit être rapproché de
la décision historique de leur conférer un cours forcé. En dispensant l’institut d’émission du
remboursement des billets en monnaie métallique, le lien contractuel entre l’émetteur de la
monnaie fiduciaire et le détenteur de cette monnaie s’est trouvé rompu lorsque la Banque de
France fut dotée, en 1803, du privilège exclusif d’émission à Paris, généralisé à l’ensemble du
pays en 1848. Le cours forcé du franc n’est cependant devenu définitif qu’à compter de 1936. Il
s’est imposé pendant la première guerre mondiale ou entre les deux guerres dans la plupart des
pays. Seuls, les États-Unis ont conservé une forme de convertibilité de leur monnaie (limitée aux
relations entre banques centrales et Trésor américain) jusqu’en 1971 (fin de la convertibilité-or).
- 17 -

Ces mouvements impliquent, au total, une baisse de la part du crédit


dans le financement de l’économie, auquel la contribution relative des banques
a donc régulièrement décliné pour n’en plus représenter qu’environ la moitié
en 2008.

Evolution de la structure de l'endettement intérieur (1993-2008)

100% Financements de
marché
90% 30% 36%
80%
70% 5%
Crédits obtenus
13% auprès des non-
60%
résidents
50%
40% Crédits obtenus
63%
auprès des
30% 51%
institutions
20% financières
résidentes
10%
0%
décembre 1993 mars 2008

Sources : Sénat - service des études économiques, données Banque de France

Si l’on s’en tient au strict suivi de la part des crédits bancaires, à


l’exclusion des financements en provenance des autres intermédiaires
financiers (OPCVM et assurances), le mouvement de désintermédiation
apparaît particulièrement marqué avec un taux passé de 71 % en 1978 à 41 %
en 20051.
Cela n’est pas sans incidence sur l’activité des banques : un processus
de « mobiliérisation » des bilans bancaires s’est parallèlement engagé depuis
1980, au terme duquel :
- l’actif du bilan, qui comprenait surtout des crédits à la clientèle, est
désormais composé d’une majorité de titres (la création monétaire s’effectue
principalement via l’acquisition d’actifs financiers) ;
- le passif du bilan, qui comprenait essentiellement les dépôts de la
clientèle, est également composé, désormais, d’une majorité de titres.

1
Ce constat doit être nuancé si l’on considère l’intégration croissante des activités de banque,
d’assurance et financières, sachant que les OPCVM sont par ailleurs contrôlés à 80 % par les
grandes banques. En incluant ces intermédiaires financiers dans le calcul du taux
d’intermédiation, son recul apparaît moins marqué : il passe de 79 % en 1978 à 58 % en 2005
(voir Dominique Pilhon, « La monnaie et ses mécanismes », éditions La Découverte).
- 18 -

Si la monnaie ainsi créée circule ensuite de banque en banque, la


création monétaire demeure la même à l’échelle du système bancaire. Il s’agit
ici d’une monnaie scripturale, c’est-à-dire qu’elle repose sur un jeu
d’écritures.
Ce n’est que lors du remboursement de la somme prêtée que la
monnaie est détruite. En définitive, la masse monétaire s’accroit lorsque les
flux de prêts nouveaux excèdent les flux de remboursement, elle diminue dans
le cas inverse.
Lorsque les crédits sont accordés aux entreprises et aux ménages, on
parle de financement de l’économie1. Lorsque les banques achètent les titres
émis par le Trésor pour couvrir le déficit budgétaire, ces opérations
correspondent à un financement de l’Etat par création monétaire.
La création monétaire résulte encore d’opérations avec l’extérieur
lorsque des devises sont échangées contre la monnaie considérées.
Ces trois sources de création monétaires alimentent trois catégories de
créances, ou « concours », du système bancaire - créances sur l’économie,
créances sur les administrations publiques (APU) et créances sur l’extérieur -,
créances désignées sous l’appellation globale de « contreparties » de la masse
monétaire.
Le bilan consolidé des institutions financières monétaires (IFM) laisse
apparaître la structure suivante :

LES TROIS CONTREPARTIES DE M3


(Encours en milliards d’euros, août 2009)

Source : BCE, calculs Banque de France

1
Tous les crédits ne donnent cependant pas lieu à création monétaire : les banques
commerciales peuvent –précisons ici que La Poste le doit- financer les crédits sur une épargne
préexistante, tandis que les crédits interentreprises mobilisent des ressources préexistantes.
- 19 -

Toutes ces créances ne trouvent cependant pas leur origine dans une
création monétaire, car les banques financent une partie de leurs crédits en
mobilisant l’épargne contractuelle et des ressources non monétaires inscrites à
leur passif. Ainsi, dans le tableau ci-dessus, les ressources non monétaires sont
déduites afin d’obtenir le montant de M3.

b) … contrainte par des « fuites » dans le circuit monétaire


Les établissements de crédit subissent certaines contraintes
restreignant leur pouvoir de création monétaire, outre la condition sine qua
non d’une demande de liquidité formulée par les agents non financiers : les
banques ne sauraient créer de monnaie sans clients demandeurs.
Indiquons préalablement que chaque banque de second rang1 a un
compte inscrit au passif de la banque centrale, libellé dans une forme de
monnaie hiérarchiquement supérieure aux autres : la monnaie centrale. Les
banques sont toutes tenues de maintenir ce compte dans une position
excédentaire.

La monnaie centrale
La monnaie centrale, dite encore « monnaie banque centrale » ou « base
monétaire », désigne la monnaie qui a été créée directement par la banque centrale ; il s’agit :
• des espèces (pièces et billets) ;
• des soldes créditeurs des comptes des banques dans les livres (au passif) de la
banque centrale, aussi appelés « réserves ».
A partir de cette base monétaire, les banques, par les crédits qu’elles accordent,
accroissent la monnaie scripturale et donc la masse monétaire (mécanisme du multiplicateur, voir
encadré infra).

Il se trouve que les banques sont confrontées à des « fuites » de


monnaie centrale :
• en premier lieu, elles doivent satisfaire à la demande d’espèces de
leurs clients, que fournit exclusivement la Banque Centrale. La situation se
présente, par exemple, lorsqu’un client venant de bénéficier d’un crédit
demande d’en retirer une partie sous forme d’espèces.
Les retraits diminuent la quantité de monnaie centrale détenue par les
banques, soit qu’elles puisent dans leurs avoirs en caisse, soit qu’elles soient
contraintes de se procurer des billets auprès de la banque centrale, qu’elles
règlent alors par l’intermédiaire de leur compte à la banque centrale.

1
On désigne « banque de second rang » les banques commerciales qui créent de la monnaie
scripturale à destination des agents non financiers (ANF), par opposition à la banque centrale,
aussi désignée « banque de premier rang », qui crée de la monnaie scripturale centrale à
destination des banques de second rang.
- 20 -

De même, pour satisfaire à la demande de devises (qu’elles


détiennent en quantité limitée), les banques in fine sont conduites à les acheter
à la banque centrale ce qui se traduit par un prélèvement sur leur compte à la
banque centrale ;
• en deuxième lieu, une partie de la monnaie créée aboutit chez
d’autres organismes financiers lors des paiements. Des opérations de
compensation globalisent ces mouvements (infra), dont les soldes sont réglés
en monnaie centrale à partir de leur compte à la banque centrale.
Il est à noter que les agents non financiers ont une propension
croissante à convertir leurs dépôts en actifs financiers à faible risque (parts de
SICAV monétaires), ce qui réduit le pouvoir de création monétaire des
banques en réduisant leurs liquidités ;
• en troisième lieu, les banques de second rang doivent disposer sur
leurs comptes à la Banque Centrale d’une proportion fixe des dépôts de leurs
clients (les réserves obligatoires, infra) ; toute augmentation des dépôts
(susceptible de donner lieu à des prêts) crée donc une « fuite » dans la mesure
où elle renforce les besoins de banque en monnaie centrale, et il en va de
même de toute révision à la hausse de la proportion de réserves obligatoires.
*
Parallèlement à ces « fuites », la banque prêteuse reçoit des flux
monétaires (paiements, dépôt d’espèces) en provenance d’autres banques, ces
entrées étant susceptibles de les compenser ;

La règle de proportionnalité
Il est possible de montrer que lorsqu’une banque occupe une part dans la collecte des
liquidités égale à la part qu’elle tient dans la distribution des financements, les fuites en dehors
de son circuit (monnaie créée par la banque donnant lieu à paiement sur le compte d’autres
banques ou à retrait d’espèces) sont compensées par les entrées résultant des fuites subies par les
autres banques.
Tant que la première part excède la seconde, la banque demeure « sur-liquide » et
n’est pas limitée dans sa capacité à créer de la monnaie. Mais si la seconde part excède la
première, la banque est alors confrontée à la nécessité de se refinancer en monnaie banque
centrale.

Les « fuites nettes » doivent être compensées par des ressources en


monnaie centrale qui proviennent exclusivement :
• du marché interbancaire : il s’agit d’emprunter de la monnaie
centrale aux banques excédentaires moyennant le paiement d’un intérêt ;
• ou de la banque centrale : les banques ont la possibilité de se
refinancer directement auprès de la banque centrale soit en leur donnant des
titres en pension (les titres viennent en garantie d’un prêt), soit en les leur
vendant.
- 21 -

Le rôle pivot de la banque centrale


Les très nombreux règlements effectués quotidiennement par les titulaires de comptes
bancaires font l’objet d’un traitement centralisé permettant d’effectuer toutes les compensations
possibles entre les différentes opérations de l’ensemble des banques, sans lesquelles le système
ne serait pas gérable.
Les dettes ainsi déterminées donnent ensuite lieu à des virements entres les comptes
détenus par les banques auprès de la banque centrale.

B. LES INSTRUMENTS DE PILOTAGE DE LA CRÉATION MONÉTAIRE

La libéralisation des marchés financiers puis leur rôle désormais


majeur dans le financement de l’économie ont abouti depuis une quinzaine
d’années à privilégier les instruments incitatifs d’intervention sur les
marchés aux instruments de contrôle normatifs de la création monétaire.

Les instruments normatifs, globalement caducs


L’encadrement du crédit
L’encadrement du crédit permettait d’agir directement sur le volume de crédit
distribué par les banques et donc sur la masse monétaire. Ces dernières constituaient alors la
principale source de financement de l’économie, avant que la désintermédiation financière ne
renforce considérablement le rôle des marchés de capitaux.
Ce mode de régulation, qui aboutissait notamment à figer les parts de marché de
banques incitées à servir prioritairement leurs clients traditionnels, a pris fin en France avec la
réforme du marché monétaire de 1987.
Les prêts bonifiés
Par ailleurs, les prêts bonifiés ont permis d’orienter jusqu’à près de la moitié des
crédits, au début des années quatre-vingt, vers des secteurs jugés prioritaires, notamment
l’agriculture et le logement. Jugés budgétairement coûteux et peu favorables à la concurrence, ces
prêts ne font plus l’objet d’une pratique générale.
Le contrôle des changes
Le contrôle des changes consiste en une réglementation des transactions sur le
marché des changes dans le but de maîtriser les flux de capitaux entre la monnaie domestique et
les devises et de stabiliser les parités de conversion. Largement pratiqué par la France, ce
contrôle a été supprimé dans l’ensemble des démocraties libérales industrialisées au cours des
années quatre-vingt.

Plutôt qu’une maîtrise normée du crédit, les banques centrales


utilisent désormais des instruments qui agissent sur la liquidité des
banques, c’est-à-dire sur la somme de leurs avoirs en monnaie banque
centrale, pour parvenir in fine à piloter l’évolution des taux d’intérêt et la
création monétaire. Il s’agit donc d’un contrôle indirect.
- 22 -

Si la banque centrale estime que la croissance de la masse monétaire


est excessive, elle réduit la liquidité bancaire en augmentant les besoins en
monnaie banque centrale ou en les renchérissant, notamment en asséchant le
marché interbancaire et/ou en augmentant le coût du refinancement.
Réciproquement, si la banque centrale estime que la création
monétaire est insuffisante, elle augmente la liquidité bancaire en diminuant les
besoins en monnaie banque centrale ou en les rendant meilleur marché,
notamment en apportant des liquidités sur le marché interbancaire et/ou en
diminuant le coût du refinancement.
Dans les deux cas, la Banque centrale agit sur les volumes et/ou les
prix.

D’autres concepts de liquidité bancaire : liquidité de financement et liquidité de marché


La liquidité bancaire est considérée comme étant « la capacité à faire face à ses
obligations de trésorerie suivant leur échéance ». Mais elle peut être diversement définie.
La littérature bancaire a tout d’abord retenu une définition étroite de la liquidité,
également appelée liquidité de financement.
Cette notion recouvre la liquidité (c’est-à-dire les espèces ou les actifs susceptibles
d’être convertis rapidement en espèces et détenus à cet effet) nécessaire pour satisfaire les
demandes de retraits de fonds à court terme émanant des contreparties1 ou pour couvrir leurs
opérations. Cette dimension de la liquidité est vraisemblablement prédominante dans le cadre de
l’activité de transformation (de l'épargne à court terme en prêts à long terme) telle qu’elle est
traditionnellement pratiquée par les banques.
La seconde définition, plus large, de la liquidité bancaire considère que les banques
sont également impliquées, parfois fortement, dans la négociation d’actifs. Cette seconde
dimension, plus proche de la « liquidité de marché » (et parfois également qualifiée ainsi), a
trait à la capacité des banques à, littéralement, liquider un actif non monétaire, par exemple un
titre d’investissement acquis à l’origine pour être détenu jusqu’à l’échéance, dans le cadre d’une
action en dernier ressort afin de lever des fonds en monnaie de banque centrale.
La détention d’un instrument liquide peut s’avérer de peu d’intérêt dans une situation
de crise soudaine, si aucun partenaire désireux d’acquérir cet actif supposé liquide à un cours
raisonnable ne peut être trouvé sur le marché.
Source : Banque de France, Revue de la stabilité financière n° 9, décembre 2006

1. Un instrument passé au second plan : les réserves obligatoires

Les réserves obligatoires sont des dépôts obligatoires des


établissements financiers auprès de la banque centrale. Rémunérées ou non
selon les pays, leur montant constitue généralement un pourcentage
(coefficient de réserve) de l’encours de leurs dépôts2, le plus souvent de leurs
dépôts à court terme.

1
Etablissements susceptibles d’accéder aux instruments de la politique monétaire (ainsi, seuls
les établissements assujettis à la constitution de réserves obligatoires peuvent avoir accès aux
facilités permanentes et participer aux opérations d’open market par voie d’appels d’offres
normaux – voir infra).
2
Les réserves obligatoires peuvent aussi être fonction du volume des crédits.
- 23 -

Initialement créées dans un but prudentiel, elles sont ensuite devenues


un instrument central de politique monétaire : en modifiant les coefficients
de réserve, la banque centrale agit directement sur la liquidité bancaire.
Mais les politiques actives de réserve obligatoires, autrefois
fréquentes, ne perdurent guère aujourd’hui que dans les pays en voie de
développement.
Aujourd’hui, les banques centrales de la sphère occidentale ne
réajustent les coefficients de réserve qu’à intervalles très éloignés et
privilégient les politiques de taux directeur, même si les réserves y
conservent un rôle structurel de pression sur la liquidité bancaire.
Dans la zone euro, l’assiette est formée des dépôts et des titres de
créance et instruments du marché monétaire, dont les échéances sont
inférieures à deux ans. La banque centrale européenne a fixé le taux de réserve
obligatoire à 2 %. Ces dernières y sont rémunérées au taux de l’opération
principale de refinancement (infra).

Diviseur de crédit, multiplicateur de crédit et réserves obligatoires


Diviseur et multiplicateur de crédit sont des représentations permettant d’établir un
lien prévisible entre création monétaire et besoins des banques en monnaie centrale, compte tenu
des « fuites » en monnaie banque centrale engendrées par toute création monétaire (supra).
Les données à prendre en considération sont le taux de réserve obligatoire (r) et la
propension moyenne des agents à détenir une partie de leur monnaie sous forme de billets (b).
Comme on raisonne au niveau de l’ensemble des banques, on néglige ici les fuites résultant des
paiements, qui se neutralisent les uns les autres.
• Diviseur de crédit
Le diviseur de crédit permet d’appréhender le besoin en monnaie centrale résultant
d’un certain volume de création monétaire.
Après avoir créé une quantité q de monnaie, on peut montrer que les banques doivent
se procurer un supplément de monnaie centrale Q égal à d x q, avec d (diviseur de crédit) égal à
b + r – (r x b).
Exemple : supposons que r= 2 % et que b =10 %, il vient alors que d = 0,118. Si les
banques accordent par exemple 1 million d’euros de nouveaux crédits, elles doivent se procurer
118.000 euros de monnaie centrale. En l’absence de réserves obligatoires (r=0), d = b.
En supposant que b est constant à court terme, on relève que le besoin en monnaie
centrale engendré par une hausse du crédit est d’autant plus fort que le taux de réserves
obligatoires est élevé.
• Multiplicateur de crédit
Le multiplicateur de crédit permet d’approcher le volume de création monétaire
permis par un accroissement des disponibilités bancaires en monnaie banque centrale.
L’hypothèse est celle d’une politique monétaire expansionniste, la banque centrale
décidant par exemple d’acheter des titres aux banques si bien que leurs avoirs en compte à la
Banque Centrale augmentent.
- 24 -

Suivant une démarche inverse de celle suivie pour le diviseur de monnaie, ce


supplément de monnaie centrale Q’ permet aux banques de distribuer un supplément de crédit q’
égal à m x Q’, avec m (multiplicateur de crédit) égal à 1 / d, donc égal à 1 / (b + r – (r x b)).
Exemple : supposons toujours que r = 2 % et que b =10 %, il vient alors que m = 8,5.
Si les banques centrales procurent 118.000 euros de monnaie centrale aux banques, ces
dernières peuvent accorder 1 million d’euros de nouveaux crédits.
En supposant que b est constant à court terme, on relève que la hausse du crédit rendue
possible par une hausse initiale de la base monétaire est d’autant plus faible que le taux de
réserves obligatoires est élevé.

2. Les opérations de refinancement

a) La politique de taux directeur

Les principales banques centrales interviennent essentiellement au


travers d’opérations de refinancement, donnant lieu à un pilotage de la
masse monétaire en circulation via la fixation du niveau des taux
directeurs.
Les opérations de refinancement consistent en un prêt de monnaie
centrale garanti par des transferts de titres1, avec engagement de reprise à
terme.
Schématiquement, une baisse des taux améliore la liquidité des
banques qui, se refinançant à un moindre coût, améliorent normalement les
conditions qu’elles proposent aux ménages et aux entreprises, ce qui est
favorable à l’activité mais peut aussi exercer une pression à la hausse sur le
niveau des prix. Réciproquement, une élévation des taux directeurs est de
nature à rehausser les taux imposés aux débiteurs, ce qui pèse sur l’activité et
le niveau des prix.
L’évolution récente du principal taux directeur de la FED et de la
BCE souligne le rôle contra-cyclique assigné à la politique monétaire, de
façon assez spectaculaire2, dans la crise financière :

1
Notamment des bons du Trésor. Les critères d’éligibilités des créances sont abordés
infra (« L’assouplissement du refinancement »).
2
Le taux pratiqué par la Banque d’Angleterre est actuellement à son plus bas niveau depuis la
fondation de l’institution en 1694.
- 25 -

ÉVOLUTION DES TAUX DIRECTEURS DE LA BCE ET DE LA FED


6%

5%

4%

BCE

3%

2% Fed

1%

0%
janv.-03 janv.-04 janv.-05 janv.-06 janv.-07 janv.-08 janv.-09

Source : Sénat, service des études économiques

(1) Les opérations d’open market et les facilités permanentes


Dans la zone euro, trois catégories d’opérations sont pratiquées par la
BCE. La première est constituée d’opérations d’« open market », c’est-à-dire
d’interventions sur le marché interbancaire1 à la discrétion de la banque
centrale. Les deux autres constituent des facilités permanentes, opérations
laissées au contraire à la discrétion des banques de second rang. Trois taux
directeurs sont ainsi définis auprès de la BCE :
• le taux de l’opération principale de refinancement (OPR)* (ou
« taux de refinancement » ou « taux refi », ou « taux repo » et le plus
souvent, par simplification, « taux directeur »): il s’agit du principal taux
directeur, auquel la BCE prend en pension2 un volume plus ou moins
important de titres prédéterminés (« titres éligibles ») sur appels d’offre
hebdomadaires, pour une durée de deux semaines. Il s’agit d’un « taux
plancher » pour les taux d’intérêt à court terme car si les banques pratiquaient
des taux inférieur, tout refinancement leur occasionnerait des pertes ;

1
Marché sur lequel les organismes financiers échangent contre des titres leurs disponibilités en
monnaie centrale à des taux libres.
2
La mise en pension de titres consiste à les vendre tout en s’engageant à les racheter à une
échéance et à un prix connus à l’avance.
- 26 -

Les autres opérations d’open market


• prises en pension à échéance trois mois* : il s’agit de prises en pension qui, à la
différence de l’opération principale de refinancement, sont des opérations mensuelles et durent
trois mois ; elles sont principalement destinées aux établissements de moindre taille qui font plus
rarement appel au marché interbancaire pour couvrir leurs besoins de liquidité et pour lesquels
une procédure simplifiée de refinancement est apparue souhaitable ;
• opérations de « réglage fin » : autres opérations de prises en pension* n’obéissant à
aucune règle de durée ou de fréquence, et dont l’objectif est de réagir rapidement à des
fluctuations imprévues de la liquidité ;
• prêts garantis par des actifs* : dans ce cadre, les actifs restent la propriété de
l’emprunteur (à la différence de la prise en pension) ;
• opérations fermes : la BCE peut procéder à l’achat ou à la vente ferme de titres
contre de la monnaie banque centrale, le transfert étant ici définitif ; on parle ici d’« opération
structurelle »
• reprises de liquidité en blanc et émissions de certificats de dette par la BCE* :
méthodes d’assèchement de la liquidité consistant, pour la première, à offrir une rémunération
fixe pour les dépôts à terme effectués auprès des banques centrales nationales et, pour la seconde,
à émettre des certificats négociables d’une durée inférieure ou égale à un an (opération
structurelle) ;
• échanges de devises : échanges simultanés au comptant et à terme d’euros contre
devises.

* : l’astérisque désigne les opérations effectuées suivant une procédure d’appel d’offre. Les
autres opérations suivent une procédure bilatérale (à l’exception des facilités permanentes, à la
discrétion des banques).

• le taux de la facilité de prêt marginal (facilité permanente) : il


s’agit d’un taux auquel la BCE fournit automatiquement des liquidités
à 24 heures aux banques demandeuses, sans autre limitation que le montant
des actifs que ces dernières sont susceptibles de lui apporter en garantie. Ce
taux, plus élevé que le taux refi puisque les banques accèdent à la facilité sans
restriction et donc sans maîtrise instantanée du volume de refinancement par la
banque centrale, l’excède habituellement d’un point (ou 100 points de base1) ;
• le taux de la facilité de dépôt (facilité permanente), auquel la BCE
rémunère les disponibilités que les banques peuvent lui prêter, sans limitation
de montant ni de durée. Ce taux, nécessairement fixé à un niveau inférieur au
taux refi (sans quoi les banques de second rang pourraient gagner de l’argent
en déposant simplement auprès de la BCE la monnaie centrale obtenue au
terme d’une OPR), lui est habituellement inférieur d’un point.
Par construction, le taux refi est donc situé entre le taux de prêt
marginal et le taux de rémunération des dépôts. A noter qu’il existe d’autres
méthodes de financement (prêts en blanc2, émission de titres, swaps ...) pour
les banques en mal de liquidités.

1
Cette expression, très usitée dans le langage financier, désigne un centième de pourcentage.
2
C’est-à-dire non garantis.
- 27 -

La question de l’orientation de la politique monétaire consiste


essentiellement à fixer le taux d’intérêt directeur à un niveau compatible avec
les objectifs macroéconomiques de la banque centrale.
Cette question est parfois distinguée de celle de la gestion de la
liquidité, qui a pour objectif de permettre au marché monétaire, et plus
généralement aux marchés financiers, de fonctionner « normalement », de telle
sorte que les impulsions de politique monétaire puissent être transmises
efficacement au reste de l’économie.

(2) Le marché interbancaire


Les établissements de crédit s’octroient mutuellement des prêts en
monnaie centrale sur le marché interbancaire. Les taux y sont suivis via
deux indicateurs :
• l’Eonia (Euro overnight index average) donne le taux moyen
pratiqué au jour le jour sur le marché monétaire ;
• l’Euribor (Euro interbank offered rate) donne un taux moyen pour
les échéances allant d’une semaine à un an.

Eonia et Euribor sont des moyennes de taux interbancaires pratiqués par un


échantillon de 57 établissements bancaires les plus actifs de la zone Euro. Des moyennes1
quotidiennes de taux prêteurs sur différentes échéances (au nombre de 13) sont ainsi effectuées
sur la base des informations communiquées par ces établissements.
Les taux des livrets d’épargne sont basés sur ces taux de marché. Le taux Euribor à
3 mois sert de référence pour beaucoup de prêts variables, fonds monétaires et autres produits
structurés…

D’une façon générale, les taux ont tendance à augmenter avec la


maturité2, mais dans une faible mesure compte tenu d’un horizon qui reste
celui du court terme. On observera néanmoins, sur le graphe suivant, que la
défiance résultat de la crise des subprimes a singulièrement accru les spreads
(écarts) de taux du marché interbancaire.

1
Moyennes effectuées après élimination des 15 % de cotation extrêmes et exprimées avec trois
décimales.
2
C’est-à-dire, la durée.
- 28 -

Source : site de la Banque de France

Le marché interbancaire a une importance primordiale, puisque


c’est sur cette place que les banques à la recherche de liquidités en trouvent,
soit auprès des banques excédentaires, soit auprès de la BCE au travers de ses
appels d’offre.
Les taux du marché interbancaire sont situés :
- généralement, à un niveau supérieur à celui du « taux refi1 » ; le
« spread »2 n’excède habituellement guère quelques dixièmes de points, sauf
dans l’hypothèse d’une défiance marquée entre établissements financiers, ce
qui est le cas pour la crise des subprimes (voir graphes infra « MONTÉE ET
REFLUX DES TENSIONS SUR LES MARCHÉS INTERBANCAIRES ») ;

- toujours à un niveau inférieur à celui des facilités de prêt


marginal, car plus l’Eonia s’approche de ce taux, plus les banques sont incitée
à recourir systématiquement à cette facilité.
Au total, les opérations d’open market servent à piloter le taux
d’intérêt au jour le jour, tandis que les facilités permanentes le
maintiennent dans un corridor.

1
L’éonia peut cependant se trouver provisoirement inférieur au taux refi à l’approche d’une
baisse annoncée -ou pressentie- du taux de refinancement de la banque centrale.
2
Spread signifie écart en anglais. L’utilisation de ce terme sur les marchés financiers est
générale et très diverse, seul le contexte permettant de savoir de quoi l’on parle.
- 29 -

b) Quelle fonction de réaction ?


La relation entre l’évolution des variables économiques et celle des
taux directeurs est appelée « fonction de réaction » des autorités monétaires.
Cette approche est de nature keynésienne car pour les monétaristes,
l’évolution des taux d’intérêt ne doit servir qu’au respect d’un objectif de
croissance de la masse monétaire.

Quelle règle de politique monétaire optimale ? L’approche de Taylor


La plus connue de ces fonctions de réaction est la « règle de Taylor ». Elle relie le taux
d’intérêt (i) décidé par la banque centrale au taux d’inflation de l’économie et à l’écart entre le
niveau du PIB et son niveau potentiel. Soient in le taux d’intérêt considéré comme « neutre » à
long terme1, p le taux d’inflation courant, p* la cible d’inflation de la banque centrale, y et y* les
niveaux respectifs de la croissance et de la croissance potentielle.
L’équation s’écrit alors : i = in + 0,5 (p-p*) + 0,5 (y-y*)
On constate que le taux d’intérêt doit être égal à la croissance potentielle augmentée
du taux d’inflation toléré dans la zone de référence lorsque la croissance économique est sur une
trajectoire d’équilibre.
Cette règle suggère ainsi que le taux directeur doive être majoré quand l’inflation
dépasse sa cible ou quand l’économie semble « en surchauffe » et diminué dans les situations
inverses.
Parfois, les objectifs des politiques économiques peuvent être contradictoires, par
exemple lorsqu’il y a stagflation, l’inflation dépassant sa cible alors que l’économie est en
situation de sous-emploi. Dans ce cas, la règle de Taylor aide à mettre en balance ces différentes
considérations pour fixer le taux d’intérêt. Il est possible d’accroître les pondérations liées à
l’activité ou à l’inflation, mais au risque d’augmenter la volatilité des taux d’intérêt des Banques
centrales.

En réalité, la plupart des banques centrales ont un mode de


détermination des taux d’intérêt opaque, signe d’une pratique
discrétionnaire. Mais la règle de Taylor présente toujours l’intérêt de servir
de référence à l’appréciation du sens donné par les autorités monétaires à
la politique monétaire.

C. LES CANAUX DE TRANSMISSION DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE

Les instruments de politique monétaire influent sur l’économie réelle


en suivant différents canaux, objectifs et subjectifs. Parmi les canaux dits
« objectifs », deux revêtent une particulière importance : le canal du taux
d’intérêt et le canal du crédit, auxquels s’ajoutent le canal du bilan, le canal du
cours des actions et celui du taux de change.

1
Ce taux peut être considéré comme résultant de la sommation du taux de croissance potentielle
(taux d’intérêt réel neutre) et du taux d’inflation anticipé.
- 30 -

Les canaux « subjectifs » sont liés aux anticipations des marchés sur
la base d’annonces et d’interventions de la banque centrale. L’hypothèse ici
privilégiée pour illustrer ces mécanismes est celle d’une baisse des taux
d’intérêt, hypothèse naturellement réversible.

1. Les canaux « objectifs »

a) Le canal des taux d’intérêt


Dans la représentation keynésienne, si l’offre nominale de monnaie
augmente alors que les prix demeurent constants, il en résulte une diminution
du taux d’intérêt1 qui incite les entreprises à investir, ce qui accroit la demande
globale en raison du multiplicateur2.
Au premier abord, cette approche semble fruste car la politique
monétaire joue essentiellement sur les taux d’intérêt nominaux à court terme
alors que la décision d’investir se fonde plutôt, avec d’autres autres facteurs
(notamment la demande anticipée), sur les taux d’intérêt réels à long terme.
Elle est pourtant plus robuste qu’il n’y paraît, le taux directeur
courant et sa trajectoire future anticipée déterminant assez largement le
taux d’intérêt réel à court, moyen ou long terme, les anticipations
d’inflation étant au surplus relativement rigides à court terme.

1
Dans la représentation néokeynésienne ISLM, cette politique engendre un déplacement vers la
droite de la courbe LM (voir infra).
2
Une vague initiale d’investissement entraîne, via la distribution du revenu engendré par son
financement, une première vague de demande du même montant, diminué cependant de la partie
de ce revenu destinée à l’épargne et de celle ayant servi à acquérir des biens ou services
importés. Cette première vague de demande entraîne une nouvelle distribution de revenu, qui
alimente une deuxième vague de demande nationale, d’une ampleur à nouveau atténuée par les
fuites que représentent l’épargne et les importations, et ainsi de suite. Au total, l’investissement
initial démultiplie la production selon un facteur dont la théorie keynésienne donne le calcul
(selon des modalités semblables à celui du multiplicateur monétaire décrit plus haut).
- 31 -

Canal des taux d’intérêt et courbe des taux


Il existe, sur les marchés financiers, un grand nombre de taux d’intérêt, dont chacun
correspond à une durée et une catégorie d’emprunteurs déterminées. On peut les représenter par
une « courbe des taux », qui définit, pour une catégorie d’emprunteurs donnée, le taux des
emprunts à chaque maturité (trois mois, six mois, un an, deux ans, dix ans… et jusqu’à trente ou
quarante ans). La courbe des taux présente généralement une pente positive, les taux à long terme
étant supérieurs aux taux courts.
C’est à travers la courbe des taux, son niveau et sa pente que les changements de taux
directeurs se diffusent à l’économie.
La forme de la courbe des taux est donc essentielle pour la transmission de la politique
monétaire. Elle dépend principalement de trois facteurs :
• l’évolution future anticipée des taux courts. On montre, en effet, que si les marchés
anticipent, à l’avenir, une hausse des taux courts, les taux longs vont également monter en
proportion. En fait, le taux à dix ans, par exemple, est égal à la combinaison des dix taux à un
an anticipés pour chacune des dix années à venir ;
• l’incertitude qui affecte ces anticipations de taux : elle se matérialise par une prime
de risque spécifique. Plus les anticipations de taux courts futurs sont incertaines, plus les taux
longs sont élevés. C’est une des raisons pour lesquelles les banques centrales s’attachent à
préserver leur crédibilité : avec des anticipations bien ancrées, les primes de risque sont moins
élevées ;
• enfin, les taux longs sont affectés par l’offre et la demande de titres aux différentes
échéances. Par exemple, si les compagnies d’assurance accroissent leur demande de titres d’État
à dix ans, le prix de ces titres augmente et leur taux baisse. À l’inverse, si le déficit budgétaire se
creuse, l’État doit émettre plus de titres, leur offre s’accroît, leur prix baisse, et le taux d’intérêt
que doit consentir l’État émetteur s’élève.
En déterminant son taux directeur, la banque centrale vise à agir sur l’ensemble des
taux qui affectent l’économie nationale :
• une variation du taux directeur provoque, toutes choses égales par ailleurs, un
déplacement de la courbe des taux, au moins sur sa partie courte ;
• si la banque centrale est crédible, elle peut également, à travers sa communication,
influencer les anticipations d’inflation future, donc la pente de la courbe de taux ;
• il faut noter enfin que l’économie réagit au niveau et aux variations des taux d’intérêt
réels, c’est-à-dire la différence entre les taux nominaux dégagés par le marché et l’inflation
anticipée. La banque centrale agit également sur l’inflation anticipée, donc sur les taux réels,
selon qu’elle est plus ou moins crédible.
Source : Banque de France, Focus n°4 « Les mesures non conventionnelles de politique
monétaire », par Olivier Loisel et Jean-Stéphane Mésonnier, 23 avril 2009

L’évolution des taux constatée sur les marchés financiers a un impact


direct sur le financement de l’économie et donc sur l’activité. Cet impact
direct est cependant bien plus fort aux Etats-Unis ou en Grande Bretagne que
dans la zone euro, car l’intermédiation bancaire y joue un plus grand rôle. Le
canal du crédit prend alors le relais du canal des taux d’intérêt.
- 32 -

b) Le canal du crédit
Les variations de la liquidité bancaire jouent sur la capacité des
établissements de crédit à consentir des prêts, favorisant l’investissement et la
consommation.
Le canal du crédit se situe dans le prolongement du canal des taux,
qui déterminent le coût des ressources que les banques se procurent, à court
terme, sur les marchés monétaires ou, à long terme, sur les marchés financiers,
et que ces dernières répercutent auprès de leurs clients.
Il se distingue de celui des taux d’intérêt en ce qu’il joue sur le
volume et les conditions des prêts bancaires, et non sur les conditions de
financement direct par le recours au marché.
Ce canal, qui suppose que le crédit puisse être rationné sans que les
taux d’intérêt viennent en équilibrer l’offre et la demande, est mis en avant par
les keynésiens plutôt que par les monétaristes, plus confiants dans la capacité
des marchés à assurer une allocation optimale des moyens.
Plus prosaïquement, ce canal est plus efficace dans les zones ou
l’intermédiation bancaire est la plus forte : dans la zone euro, où les banques
assurent 75 % du financement de l’économie contre 10 % aux Etats-Unis1, le
canal du crédit est particulièrement important dans la transmission de la
politique monétaire.

1
Voir Banque de France, Focus n°4 « Les mesures non conventionnelles de politique monétaire
», par Olivier Loisel et Jean-Stéphane Mésonnier, 23 avril 2009.
- 33 -

Les autres canaux de transmission de la politique monétaire

• Le canal étroit du crédit bancaire


La théorie distingue du canal du crédit lato sensu, ou « canal large du crédit
bancaire », le « canal étroit du crédit bancaire », ou canal du bilan.
Si les taux d’intérêt baissent, il en résulte une augmentation du cours des actions (voir
supra le canal du cours des actions) qui fait baisser la « prime de financement externe »,
représentative du risque de non-remboursement, versée par les entreprises lorsqu’elles recourent
à une banque mais aussi aux marchés pour se financer
• Le canal du cours des actions
Une baisse du taux d’intérêt réduit l’attrait des obligations au profit des actions dont le
cours progresse en conséquence, si bien que la valeur boursière des entreprises s’élève par
rapport au coût de renouvellement du capital, encourageant ce dernier. Ce canal reprend la
théorie du ratio « Q de Tobin », théorie des choix d’investissement élaborée en 1969 par
l’économiste James Tobin.
L’idée de base de ce modèle est la suivante : l’entrepreneur investit dans de nouveaux
projets si le marché les valorise au-delà de ce qu’ils ont coûté. L’investissement est rentable tant
que l’accroissement de la valeur de la firme reste supérieur à son coût.
James Tobin propose de suivre un ratio, dit « Q-moyen », rapport de la valeur
boursière de la firme à son capital au coût de remplacement. En effet, sous l’hypothèse
d’efficience du marché boursier, la valeur de marché d’une firme est exactement égale à la
somme actualisée de ses flux de profit futurs. Un « Q-moyen » supérieur à 1 révèle que le marché
anticipe une profitabilité de l’investissement au-delà de son coût. Au contraire, si ce ratio est
inférieur à 1, le marché anticipe une profitabilité de l’investissement inférieure à son coût. Dans
cette dernière hypothèse, l’intérêt des actionnaires serait de revendre les équipements existants à
leur coût de remplacement. Si cela est impossible, il convient au moins de ne plus investir, et
d’amortir progressivement le capital existant.
• Le canal du taux de change
Une baisse des taux d’intérêt rend la monnaie considérée moins attractive, entraînant
sa dépréciation et donc une baisse des prix nationaux par rapport aux prix étrangers. Il en résulte
un accroissement des exportations favorable à la production nationale.
En revanche, l’augmentation du prix des importations renforce l’inflation.
Réciproquement, une appréciation de la monnaie se traduit par un phénomène de désinflation
importée.

2. Les canaux « subjectifs »

Depuis le début des années quatre-vingt-dix, les banques centrales


accordent une importance majeure au canal de l’information.
En premier lieu, elles indiquent par avance leurs intentions afin
d’influencer le comportement des acteurs économiques, qui adaptent leur
comportement sur la base d’anticipations concernant l’évolution des
rémunérations, de la consommation, des capacités de production, etc.
- 34 -

En second lieu, cette action permet aussi de renforcer leur crédibilité


(supra).
Ainsi, les modifications de taux directeurs, habituellement minimes
(par palier de 25 points de base) sont bien souvent annoncées, commentées et
resituées dans une logique générale de soutien à l’activité ou de maîtrise de
l’inflation, de telle sorte que les anticipations des acteurs économiques
diffèrent de ce qu’ils seraient en considération du seul mouvement de taux. Le
taux EONIA au jour le jour tient lieu d’« objectif opérationnel » pour asseoir
la politique choisie.
Les annonces préalables sont parfois si précises que le canal de
l’information aboutit à « lisser » l’effet de la modification du taux sur la
période antérieure, les marchés ayant totalement intégré l’information lors de
la modification effective du taux directeur.
Les mouvements observés sur les taux longs1 permettent, dans
une certaine mesure, d’évaluer la portée de l’action d’une banque
centrale.
On rappelle que, d’une part, le taux long représente une moyenne des
prévisions2 relatives aux taux d’intérêt à court terme (taux courts3) et que,
d’autre part, le rendement des obligations d’Etat comprend une « prime de
risque obligataire »4.
Si l’on suppose une prime de risque obligataire constante, une baisse
des taux longs par rapport aux taux courts en vigueur signifie qu’une baisse
des taux courts est plausible. Cette anticipation d’un assouplissement de la
politique monétaire correspond, dans des proportions variables :
- à l’anticipation d’un repli de l’inflation ;
- à l’anticipation d’un ralentissement économique.
Si la banque centrale baisse ses taux directeurs (ce qui entraîne
normalement une baisse des taux courts), une baisse des taux longs signifie
que son action est jugée durable et ne crée pas de risque d’inflation.
La crédibilité acquise par les banques centrales dans le domaine de la
maîtrise de l’inflation explique aussi que les taux d’intérêt à long terme se
situent, aujourd’hui, à un niveau historiquement faible.

1
Les taux longs sont ceux auxquels empruntent l’Etat, les organismes sociaux, les collectivités
locales, les entreprises publiques ou privées, sur des durées longues (10, 30 voire 50 ans dans le
cas de l’Etat). Ces taux fluctuent librement en fonction du jeu de l’offre et de la demande. Les
valeurs le plus couramment observées sont les taux servis pour les obligations du Trésor à
10 ans.
2
En théorie, les agents effectuent leurs arbitrages sur le marché de l’épargne en considérant que
la rémunération d’un emprunt à long terme est égale à celle d’une succession d’emprunts à court
terme sur une période équivalente.
3
Taux déterminé sur le marché monétaire à court terme (entre un jour et 2 ans). Les taux courts
sont directement influencés par les taux directeurs.
4
Cette prime dépend de caractéristiques telles que la liquidité du titre, le risque de défaut de
paiement et l’incertitude sur les rendements anticipés.
- 35 -

II. LA POLITIQUE MONÉTAIRE EN QUESTION

Face à la crise financière, les banques centrales ont réagi avec vigueur
en utilisant tous les leviers dont elles disposaient. Cet épisode amène à
s’interroger, de façon structurelle, sur la pertinence des instruments et des
objectifs assignés à la politique monétaire.

A. DES MESURES CIRCONSTANCIÉES FACE À LA CRISE

Dans le cadre d’une crise de confiance entre établissements financiers


aboutissant au blocage du marché interbancaire, les banques centrales ont
procédé à un nouveau calibrage des instruments habituels de l’open market.
Mais lorsque la défiance a atteint un certain degré – le point
culminant étant celui de la faillite de Lehman Brothers –, les canaux de
transmission de la politique monétaire ont dysfonctionné et le recours à des
instruments « non conventionnels » s’est alors imposé…

1. L’assouplissement du refinancement

Les marchés interbancaires ont connu une crise de confiance depuis


septembre 2007 avec l’annonce par différentes banques de leur exposition aux
créances « subprimes », crise considérablement aggravée à partir de septembre
2008 avec la chute de la banque d’affaires Lehman Brothers.
Cette situation a abouti au blocage du marché interbancaire : les
banques ayant des liquidités disponibles n’ont plus voulu prêter aux autres
banques de peur de n’être pas remboursées (accumulant donc leurs excédents
sur le compte courant qu’elles détiennent auprès de la banque centrale), et
celles à court de liquidités n’ont plus trouvé de prêts, ce qui les menaçait de
faillite. En d’autres termes, la crise de liquidité promettait de devenir une
crise de solvabilité, d’autant que les actifs des banques perdaient rapidement
de leur valeur, les obligeant à reconstituer des fonds propres alors que nul
investisseur privé ne semblait réellement désireux d’y contribuer.
Les banques centrales se sont vues contraintes d’intervenir
massivement sur le marché interbancaire pour y rétablir la confiance. Elles ont
fait en sorte que les banques ayant des besoins de liquidités puissent se les
procurer en assouplissant leurs conditions de refinancement.
Les adaptations ont essentiellement tendu :
- à allonger les maturités des opérations de refinancement ;
- à élargir la gamme des actifs acceptés en garantie ;
- enfin, à accroître sensiblement, à partir de septembre 2008, les
volumes acceptés en refinancement, augmentant d’autant la quantité de
monnaie centrale et donc la base monétaire.
- 36 -

Si l’on considère la zone euro, la BCE s’est rapidement vue


contrainte de procéder ponctuellement à des opérations « de réglage fin » de
montants importants1 dans le cadre d’« appels d’offre rapide ».
De façon plus structurelle, elle a, dès septembre 2007, augmenté la
part de ses refinancements à plus long terme (trois mois) et réduit
corrélativement celle de ses financements à plus court terme (une semaine). A
partir d’avril 2008, des opérations principales de refinancement d’une
durée de 6 mois ont même été introduites (et leur volume a doublé à partir du
9 octobre 2008, date à partir de laquelle l’écart entre les taux d’intérêt de la
facilité de prêt marginale et de la facilité de dépôt a par ailleurs été ramené
de 2 % à 1 %, afin de placer les banques dans une situation plus confortable).
Puis les montants alloués lors de l’OPR hebdomadaire ont dépassé
les montants dits « de référence »2 et, à partir du 15 octobre 2008, les
adjudications se sont faites sans limite et à taux fixe. Si les opérations d’open
market et le recours à la facilité de prêt marginal ont continué à être réalisés
contre remise de garanties, la liste des actifs éligibles a été élargie à la même
date, au moins jusqu’à fin 20093.
Finalement, les établissements de crédit n’ont plus été tributaires
du marché monétaire pour leurs besoins quotidiens de liquidités.
Toutefois, à compter du 21 janvier 2009, le corridor précité a été
rétabli à 2 % afin d’inciter les banques à reprendre leur activité sur le marché
interbancaire. D’une façon générale, dans la mesure où son fonctionnement
se normalise (voir graphes infra « Montée et reflux des tensions sur les
marchés interbancaire »), il pourrait, toutes choses égales par ailleurs, en aller
de même des instruments de la politique monétaire.
Moyennant quelques nuances, l’encadré ci-après illustre les
modifications apportées à la politique monétaire pour faire face à la récente
crise des liquidités.

1
La reprise de la banque d’affaire Bear Stearns a entraîné l’allocation de 15 milliards
supplémentaires pour une durée de 5 jours à compter du 20 mars 2008. Le 15 septembre 2008,
avec la faillite de Lehman Brothers, 30 milliards d’euros ont été injectés.
2
Montants calculés de façon à permettre aux établissements de crédit de constituer leurs
réserves obligatoires.
3
A partir du 22 octobre, la notation minimale des titres apportés en garantie est passée de « A-»
à « BBB- ».
- 37 -

Un assouplissement convergent de la gestion de la liquidité


par les grandes banques centrales
Au fil de la crise, les banques centrales ont été amenées à remanier leur cadre
opérationnel, comme la Fed, la Banque d’Angleterre et, dernièrement la BCE. Il résulte de ce
mouvement une remarquable convergence des cadres opérationnels et des modalités
d’intervention des banques centrales autour de quatre directions principales :
- un allongement des maturités auxquelles les banques centrales allouent des
liquidités, qui ont été portées à quelques mois. Dans le cas de l’Eurosystème, une part
prépondérante des opérations de refinancement est désormais effectuée à trois mois et, depuis
peu, certaines opérations sont étendues à 6 mois ; en fixant directement le coût de la liquidité à
terme, la BCE entend peser sur les taux de marché (Euribor) et ainsi, assouplir effectivement les
conditions monétaires ;
- un élargissement de la gamme des collatéraux éligibles, c’est-à-dire des titres
portés en garanties. Ainsi, des titres comme les ABS (asset backed securities) et les RMBS
(residential mortgage-backed securities), depuis toujours acceptés par l’Eurosystème, le sont
désormais par toutes les autres grandes banques centrales1 ;
- un élargissement des contreparties, avec une évolution particulièrement notable
aux États-Unis où les banques d’investissement ont maintenant accès à la facilité de prêt de la
Fed ;
- une plus grande coordination entre les banques centrales qui, outre les
communiqués communs destinés à rassurer les marchés sur la fourniture de liquidité tant que s’en
ferait sentir le besoin, comprend également la signature d’accords de swap entre banques
centrales. Cette facilité permet ainsi à une banque européenne qui aurait besoin de dollars pour
poursuivre ses activités de se les procurer auprès de la BCE ou de la BNS.
Source : Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, Conférence de Montréal, session
plénière : « L’économie internationale en transition », 9 juin 2008

2. Une fonction de « prêteur en dernier ressort » délicate à


mettre en œuvre

L’un des rôles premiers des banques centrales est d’assurer la


stabilité financière, c’est à dire le bon fonctionnement des marchés financiers
et des systèmes de paiement. Dans ce contexte, elles sont le fournisseur ultime
de la liquidité ou, autrement dit, le prêteur en dernier ressort.

1
Les actifs acceptés en tant que garanties par les banques centrales lors de leurs opérations de
refinancement le sont à des conditions particulièrement restrictives : la valeur de ces titres doit
être au moins égale à la somme du montant prêté et des intérêts servis, après déduction d’une
décote, ou « haircut », tenant compte de l’éventualité d’une baisse de leur valeur de marché
pendant la durée de la pension.
- 38 -

En tant que telles, leurs interventions consistent à accorder, à titre


exceptionnel et dans des situations de crise particulières, des prêts à court
terme aux banques commerciales confrontées à d’importants problèmes de
liquidité1.

La fonction de prêteur en dernier ressort à l’épreuve de la crise


Avec la propagation rapide de la crise, l’intervention des banques centrales a pris non
seulement la forme de fourniture de liquidités au marché dans son ensemble mais également,
dans certains pays, de fourniture de liquidité d’urgence à des institutions particulières.
Ces interventions ont soulevé nombre d’interrogations, notamment quant à
l’accroissement de l’aléa moral (« moral hazard »), lorsque les institutions sauvées, pour avoir
pris des risques excessifs, n’auraient pas mérité de l’être. On s’est aussi demandé si elles avaient
respecté les principes énoncés par Bagehot2 suivant lesquels le prêteur en dernier ressort doit
prêter :
• à des institutions financières illiquides mais solvables ;
• en appliquant un taux de pénalité afin d’éviter que ces établissements n’utilisent les
fonds pour financer des opérations de prêts ;
• contre des garanties satisfaisantes ;
• en outre, la politique de prêteur en dernier ressort doit être annoncée publiquement
ex ante de façon crédible.
Ces questions se posent différemment aujourd’hui : toute crise financière induit une
spirale à la baisse des prix d’actifs qui ne tarde pas à transformer une institution temporairement
illiquide en institution insolvable, rendant finalement peu opératoire la distinction initialement
formulée par Bagehot.
Source : Banque de France, revue de la stabilité financière n° 9, décembre 2006.

Après la chute de la banque d’affaires Lehman Brothers en septembre


2008, la BCE a décidé d’accepter toutes les demandes en refinancement,
disposition qui doit être prolongée « au-delà de la fin 2009 ».
Par ailleurs, les banques centrales nationales ont accordé des
fournitures de liquidités d’urgence (FLU)3, destinées aux établissements
bancaires qui n’ont pas été en en mesure de fournir des garanties appropriées,
toujours exigées par la banque centrale européenne.

1
Définition donnée par la Banque de France, revue de la stabilité financière n° 9, décembre
2006.
2
Banquier et journaliste britannique du XIXe siècle.
3
Ce qui été notamment le cas en Belgique.
- 39 -

3. Les mesures exceptionnelles

Lorsque les politiques consistant à ramener les taux directeurs près de


zéro se sont révélées insuffisantes pour relancer le crédit, certaines mesures
sortant résolument du cadre habituel de la politique monétaire ont été
adoptées. En particulier, les banques centrales se sont mises à créer
massivement de la monnaie centrale, voire à créer directement de la
monnaie scripturale non centrale, alors que ce dernier rôle revient
normalement aux banques de second rang.
Elles ont ainsi décidé d’acheter des titres, notamment des
emprunts d’Etat et des obligations d’entreprises, d’abord aux banques1,
puis à d’autres acteurs.
Dans un premier temps, avec ces liquidités supplémentaires, les
établissements financiers se sont vus encouragés à fournir du crédit. Mais il est
apparu que la plupart des banques de second rang, soucieuses de restaurer
leurs bilans, ont laissé leurs réserves s’accroître en conséquence auprès de la
banque centrale sans, pour autant, fournir davantage de crédit.
Les banques centrales ont alors décidé d’acheter directement certains
titres à d’autres acteurs de l’économie que les banques, par exemple des
entreprises ou des fonds d’investissement. On parle volontiers, à propos de
cette politique de création monétaire directe, de « politique non
conventionnelle » (encore que ce terme puisse aussi désigner, plus
généralement, toute mesure aboutissant au rachat massif de titres par la banque
centrale - voire, plus largement encore, toute mesure tendant à s’affranchir des
canaux habituels de transmission de la politique monétaire).
Parmi les mesures exceptionnelles de politique monétaire, on peut2
établir une distinction entre politiques d’assouplissement quantitatif, ou
« quantitative easing » et politiques d’assouplissement des conditions de
crédit, ou « credit easing », même si de nombreux analystes regroupent
souvent ces politiques sous l’appellation unique d’assouplissement quantitatif,
d’un usage assez général.
La politique de « quantitative easing » stricto sensu consiste à
abandonner explicitement la politique de taux d’intérêt au profit d’une cible
quantitative élevée de disponibilités3 dans les comptes des banques de second
rang auprès des banques centrales. Cette politique d’accroissement de la
base monétaire se traduit essentiellement par l’acquisition de titres publics

1
Comme il a été indiqué supra, une banque de second rang crée de la monnaie non seulement
lorsqu’elle accorde un crédit, mais aussi lorsqu’elle acquiert un actif réel ou financier.
2
Voir Banque de France, Focus n° 4, 29 avril 2009.
3
Il s’agit, plus précisément, d’une cible visant le niveau des réserves excédentaires, c'est-à-dire
la part des réserves excédant celle des réserves obligatoires.
- 40 -

par la banque centrale (l’offre de monnaie est alors canalisée vers un agent,
l’Etat, dont on est sûr qu’il la dépensera, avec un effet certain sur l’activité1).
Le potentiel de cette politique, qui consiste à renforcer la liquidité des
établissements de crédit, est a priori plus efficace là ou l’intermédiation
bancaire est la plus forte. Elle a été suivie au Japon de 2001 à 2006. Il apparaît
qu’à l’automne 2008, en réaction à l’accentuation de la crise financière, la
base monétaire a fortement gonflé aux Etats-Unis et dans la zone euro (voir
graphe infra) -encore plus rapidement qu’au Japon après mars 2001.
La politique de « credit easing » consiste, elle, dans le refinancement
ou le rachat par la banque centrale de titres représentatifs de crédits à
l’économie (billets de trésorerie, obligations privées ou bons hypothécaires). Il
s’agit essentiellement de « ranimer » le marché de ces titres et de détendre
le refinancement interbancaire2, voire de procurer directement des
financements à l’économie dans le cadre d’une politique non
conventionnelle. Ces mesures sont a priori plus efficaces dans les économies
où l’intermédiation bancaire se trouve la plus faible et où les crédits aux
ménages sont largement titrisés.
On observe que la politique d’assouplissement quantitatif au sens
strict est « tournée vers le passif du bilan »3 de la banque centrale (l’objectif
est fixé en termes d’augmentation de la base monétaire), tandis que la
politique d’assouplissement du crédit est plutôt « tournée vers l’actif du
bilan », c’est-à-dire qu’elle tend d’abord à modifier la nature des titres
composant l’actif de bilan (afin, notamment, de faciliter le refinancement
bancaire et de relancer le marché de certains titres risqués). Mais
l’assouplissement du crédit peut se traduire, in fine, par une augmentation de
l’actif et, par conséquent, du passif, débouchant de facto sur un
assouplissement quantitatif.
En réalité, compte tenu de la diversité des contextes, des objectifs
affichés et des instruments plus ou moins « exceptionnels » mobilisés par les
grandes banques centrales, les distinctions établies entre ces politiques
souffrent d’une instabilité terminologique, sinon conceptuelle, qui n’en facilite
pas la compréhension.
Leurs manifestations se recoupent largement tandis que leur
identification, reposant sur des considérations téléologiques, est forcément
sujette à interprétations. M. Bernanke, président de la Fed, a précisément

1
En outre, cette politique vise à réduire le rendement des titres publics à long terme et donc à
encourager les investisseurs à réallouer leur portefeuille en direction de titres plus risqués
(typiquement les obligations d’entreprises), améliorant par là le financement du secteur privé, y
compris les institutions financières. Mais il semble que puissent jouer à terme, en sens inverse,
des effets d’éviction dans un contexte durable d’aversion pour le risque, car le volume de titres
publics en circulation tend alors à augmenter fortement.
2
Notamment via l’élargissement des collatéraux éligibles (supra) qui, de ce point de vue, peut se
rattacher à l’ensemble des mesures exceptionnelles.
3
Voir Trésor-Eco n° 56, avril 2009.
- 41 -

utilisé1 le terme de « credit easing » pour distinguer ses interventions de la


politique d’assouplissement quantitatif adoptée plus tôt par le Japon, dont il
n’est pas indifférent de rappeler que l’économie avait, par la suite, connu une
période de quasi stagnation économique.
Quoiqu’il en soit, la Réserve fédérale a adopté des mesures
d’assouplissement dès la fin 2008, qu’elle a largement renforcées en mars
2009. A son tour, la Banque d’Angleterre (BoE) a annoncé, le 5 mars 2009 la
mise en œuvre d’une politique monétaire d’assouplissement2 quantitatif lato
sensu. Le même jour, le président de la BCE a, dans une déclaration
remarquée, annoncé qu’elle n’excluait pas d’adopter, à son tour, des mesures
similaires pour stimuler l’économie, mesures finalement annoncées en mai
2009.

Le développement des politiques non conventionnelles au 1er septembre 2009


Après avoir mis en place des facilités en direction du marché du « commercial
paper3 », la Réserve Fédérale a engagé en novembre 2008 un programme d’achat de titres
hypothécaires (« credit easing ») d’un montant maximum de 500 milliards de dollars. En mars
2009, elle a majoré ce plan de 750 milliards de dollars et adopté une politique de « quantitative
easing » en annonçant le rachat de 300 milliards de dollars de titres du Trésor de maturité
moyenne au cours des 6 mois suivant. Le Fed a également engagé d’importants programmes de
prêts contre prise en pension de titres risqués4.
La Banque d’Angleterre a été autorisée à acheter jusqu’à 150 milliards de livres de
titres, répartis entre titres privés, pour au moins 50 milliards de livres, le solde concernant
l’acquisition de Gilts5 d’une maturité comprise entre 5 et 25 ans.
La Banque Centrale Européenne a annoncé en mai 2009 qu’elle allait racheter en
direct des « covered bonds »6 pour un montant de 60 milliards d’euros afin de desserrer la
contrainte de refinancement des banques et favoriser la distribution de crédit.

A noter que dans la zone euro, il semble que les mesures


d’assouplissement ne puissent porter sur la dette publique qu’en
enfreignant les stipulations des accords de Maastricht.

1
Dans un discours, largement commenté, du 13 janvier 2009.
2
Il était prévu le rachat de 75 milliards de livres d’actifs financier, dont une proportion
importante d’emprunts d’Etat.
3
Effets de commerce.
4
Annonce le 25 novembre 2008 d’une facilité de 200 milliards de dollars pour prêter contre des
titres hypothécaires et des titres adossés à des prêts à la consommation ou aux PME (TALF).
5
Titres publics britanniques.
6
Les Covered Bonds sont des titres de dettes émis par les banques reposant sur un ensemble de
créances. Ces créances sont conservées à leur bilan et servent à garantir l’émission ainsi qu’à
rémunérer les nouveaux titres (cette opération de titrisation est donc à distinguer de celle des
ABS - Assets Backed Securities – dont l’objectif est de sortir la créance du bilan afin d’aider
l’établissement à se conformer aux exigences prudentielles formulées en termes de rapport entre
les créances et les fonds propres, et à externaliser une partie du risque).
- 42 -

Les limites à une éventuelle politique d’assouplissement quantitatif de la BCE


d’après Natixis
Dans le cadre de ses opérations d’open market, la BCE peut, parallèlement aux
opérations de cession temporaire, jouer sur la liquidité bancaire via les opérations fermes,
d’achats (apport de liquidité) et de ventes (retrait de liquidité) de titres. Ces opérations ne
peuvent porter que sur des actifs éligibles négociables et sont effectuées par voie de procédures
bilatérales et non par appels d’offres. En outre, leur fréquence n’est pas régulière.
Parmi les types d’émetteurs d’actifs négociables éligibles, on trouve les banques
centrales, les institutions internationales et supranationales, le secteur privé et le secteur public.
Cela signifie donc que la BCE peut « techniquement » acheter des titres de dette publique. Mais
l’on se heurte alors à une impossibilité institutionnelle clairement signifiée par le Protocole sur
les statuts du SEBC qui, conformément au traité de Maastricht, rappelle que l’acquisition directe
par la BCE ou les BCN d’instruments de dette des administrations centrales des Etats
membres est interdite (Article 21).
L’objectif de cette interdiction est de supprimer tout recours à une monétisation de la
dette publique, qui serait une contravention essentielle aux fondements de l’UEM à maints
égards :
• le principe de la monétisation est naturellement inflationniste, ce qui est
préjudiciable à l’objectif principal du SEBC ;
• la discipline en matière de finances publiques instaurée par les critères de Maastricht
puis confirmée par le PSC serait rendue caduque et les comportements de « passager clandestin »
favorisés ;
• l’indépendance de la BCE serait bafouée via son acceptation d’une forme de
« sollicitation d’instructions émanant de gouvernements d’Etats membres ».
Une lecture prosaïque du traité suggère que la BCE pourrait acquérir « indirectement »
des titres de dette publique en les achetant sur le marché secondaire. C’est pourquoi le règlement
de la Commission Européenne du 13 décembre 1993 précise explicitement que « les achats
effectués sur le marché secondaire ne doivent pas servir à contourner l’objectif poursuivi ». De
tels achats ne sauraient devenir une forme indirecte de financement monétaire du secteur public.
Cette pratique n’est donc tolérée que pour la gestion des réserves de change.
Source : Flash économie du 6 mars 2009, Natixis

La limite de la stratégie de création monétaire par les banques


centrales demeure la crédibilité monétaire, c’est-à-dire l’acceptation de la
monnaie créée par les banques centrales, en contrepartie d’actifs souvent
risqués1 pour ce qui concerne les créances sur l’économie (commercial paper2,
obligations corporate3, ABS4 ou covered bonds) ou qui pourraient le devenir à
terme, s’agissant des créances sur les administrations publiques (cf. infra
développement sur la soutenabilité des dépenses publiques).

1
Ce qui conduit à poser la question de l’assimilation des banques centrales, pour une partie
importante de leur bilan, aux « bad banks », (structures dédiées à l’amortissement des actifs
douteux pour contingenter les risques).
2
Effets de commerce ; l’expression désigne essentiellement les titres de créances négociables
émis par les entreprises sur le marché monétaire américain.
3
Obligations d’entreprises.
4
Assets Backed Securities.
- 43 -

Cette limite se situe à un horizon largement indéfini. La marge


semble la plus importante pour les principales monnaies de réserve, en dépit
du volume important des liquidités d’ores et déjà injectées. La taille du bilan1
de la Fed et de la BCE retrace l’accumulation récente de titres de dette à l’actif
de leurs bilans, corrélative à une abondante création monétaire :

FED/BCE : TAILLE DU BILAN (en % du PIB)

Source : Crédit Agricole

Les mesures non conventionnelles présenteraient le risque de


s’avérer inflationnistes. Agnès Benassy-Quéré estime ainsi qu’« il faudra que
[la BCE] donne des indications sur sa stratégie de sortie, comment elle va
détruire ces liquidités dans quatre ou cinq ans, sinon les acteurs vont
anticiper de l’inflation ». De nombreux économistes s’interrogent sur la
manière dont procèderont les banques centrales pour, en quelque sorte, « faire
revenir à un niveau normal les réserves des banques auprès de la banque
centrale, ou, à bilan inchangé, neutraliser les effets potentiels indésirables des
réserves excédentaires. Sachant que, selon toute probabilité, ces bilans ne
reviendront pas à leur taille initiale avant longtemps »2.
Il semble que la relative concordance des mouvements de création
monétaire soit, pour l’instant, de nature à éviter que ne se creuse rapidement
un dangereux « différentiel de crédibilité » entre banques centrales concernant
leur capacité à maîtriser l’inflation3.

1
Les opérations de refinancement, quoique réversibles, figurent aussi à l’actif du bilan, dont le
gonflement retrace donc à la fois la progression des achats fermes et l’augmentation du volant
de titres pris en pension (concernant ces derniers, on observe que la Fed avait, en termes de
création de monnaie centrale, « stérilisé », par des opérations inverses, ses injections de liquidité
jusqu’à l’automne 2008 - ce qui explique la courbe plate).
2
Crédit Agricole, « Eclairages » n° 135, septembre 2009.
3
Il serait vraisemblable qu’un constat similaire puisse être formulé lorsque les banques
centrales estimeront opportun, le cas échéant, d’inaugurer une phase de destruction monétaire et
de normaliser leurs politiques de refinancement. Depuis le début de 2009, après que la décrue
des taux interbancaires se soit confirmée, la tendance résolument haussière de la taille des
bilans de la Fed et de la BCE observée à l’automne 2008 a pris fin.
- 44 -

Toute autre perspective s’avèrerait très préoccupante si elle devait


stigmatiser le dollar, qui souffre déjà d’une sous-évaluation chronique qui pèse
notamment sur l’activité de la zone euro.
*
Les graphes suivants montrent qu’après le pic de défiance connu à la
suite de la faillite de Lehman Brothers, les politiques non conventionnelles,
associées aux plans budgétaires de rachat d’actifs douteux1, ont fini par
ramener la confiance à un niveau compatible avec un meilleur fonctionnement
du marché interbancaire.

MONTÉE ET REFLUX DES TENSIONS SUR LES MARCHÉS INTERBANCAIRES :

- aux Etats-Unis (écart en points entre le taux interbancaire à 3 mois et le taux directeur)

- dans la zone euro

Source : BIPE, Datastream

1
Le Troubled Asset Relief Program (TARP) a pour objectif de stabiliser le système financier
américain en achetant jusqu’à 700 milliards d’euros d’actifs douteux qui grèvent le bilan des
banques.
- 45 -

B. LA REDÉFINITION DU « POLICY MIX »1 DANS LE CONTEXTE DES


PLANS DE RELANCE

Le contexte de « trappe à liquidité » généralisé montre que


l’économie mondiale est entrée dans une phase « keynésienne », imposant un
recours massif à l’outil budgétaire pour sortir d’une ornière où, seule, la
politique monétaire s’avèrerait inopérante.

1. De la « trappe à liquidité », qui rend la politique monétaire


conventionnelle inopérante…

• La notion de trappe à liquidité apparait dans le cadre d’analyse de la


macroéconomie keynésienne et désigne une situation où la politique monétaire
n’est d’aucun recours pour stimuler l’économie.
Selon Keynes, la demande de monnaie pour motif de spéculation est
d’autant plus importante que le taux d’intérêt est élevé : dans la répartition de
leur portefeuille, les agents arbitrent entre la détention de titres dont le cours
varie de manière inverse au taux d’intérêt (obligations), et la détention de
monnaie. Lorsque le taux d’intérêt est faible, les agents anticipent son
augmentation et veulent donc détenir de la monnaie, le cours des titres étant
amené à diminuer.
Il existe alors un taux critique, pour lequel la demande de monnaie est
infiniment élastique : la préférence pour la liquidité devient absolue. De fait,
une politique monétaire de relance via la baisse du taux d’intérêt s’avère
inefficace si les agents, malgré la faiblesse des taux et la disponibilité de
l’argent, ont tendance à ne pas dépenser.
Keynes explique ainsi la durée de la crise économique de 1929 par
l’inadéquation de la gouvernance économique, qui aurait dû mobiliser
davantage l’outil budgétaire. Pour certains économistes, à la suite du néo-
keynésien Paul Krugman2, la « décennie perdue » au Japon, au long des années
1990, constitue un second exemple notable de trappe à liquidité.
• Ce phénomène peut se comprendre à partir du modèle IS/LM.
Le concept de trappe à liquidité trouve une illustration graphique dans
le cadre du modèle IS/LM de John Hicks.

1
Combinaison de la politique monétaire et de la politique budgétaire.
2
« Thinking about liquidity trap », 1999.
- 46 -

Le graphe IS/LM
Le modèle IS-LM a été élaboré par Hicks et Hansen1 pour appréhender la vision
keynésienne du fonctionnement de l’économie dans un cadre plus large, si bien que les
interprétations dont il fait l’objet se situent parfois à rebours des idées exprimées dans la Théorie
Générale.

Phase
« classique »

Trappe à
liquidité

En abscisse se trouve le niveau du revenu (Y) de l’économie et en ordonnée le taux


d’intérêt (i).
La courbe IS matérialise l’équilibre sur le marché des biens et correspond à l’ensemble
des couples (Y,i) assurant l’égalité entre épargne (S) et investissement (I).
La courbe LM rend compte de l’équilibre sur le marché de la monnaie. Elle est formée
de l’ensemble des couples (Y,i) où l’offre de monnaie (M), déterminée de manière exogène par
les autorités monétaires équilibre la demande de monnaie (L), qui reflète la préférence pour la
liquidité.
Cette dernière est fonction croissante du revenu des agents (Y) et décroissante du taux
d’intérêt (i). En effet, plus le taux est bas, plus les agents préfèrent détenir de la monnaie pour
« motif de spéculation ».
L’équilibre de l’économie est atteint à l’intersection entre les deux courbes, ce qui
détermine un certain taux d’intérêt et un certain niveau de revenu.
Dans le cas général :
- une politique budgétaire de relance se traduit par déplacement de la courbe IS vers la
droite et une augmentation relative du revenu global : le nouveau point d’équilibre se situe à un
niveau de revenu et de taux d’intérêt plus élevé ;
- une politique monétaire expansionniste fait déplacer la droite LM vers la droite (car
en augmentant la quantité de monnaie disponible, le taux d’intérêt sera plus bas pour un même
revenu). Ce déplacement crée un nouveau point d’équilibre à niveau de revenu plus élevé et à un
taux d’intérêt plus bas.

1
En avril 1937, John Hicks publie un intitulé « Keynes et les classiques : une interprétation
possible », dans lequel il propose le modèle IS-LM pour formaliser la Théorie Générale dans une
synthèse des analyses keynésienne et classique.
- 47 -

Les keynésiens estiment que l’équilibre spontanément atteint par les marchés ne
garantit pas le plein emploi, qui devra être recherché, le cas échéant, par le recours aux politiques
budgétaire et monétaire. Par ailleurs, il existe encore un taux d’intérêt plancher, à l’approche
duquel la demande de monnaie devient infiniment élastique (courbe LM horizontale) et par
conséquent la politique monétaire inopérante : c’est l’hypothèse de la trappe à liquidité.
A l’inverse, pour les économistes classiques, qui ne tiennent pas compte de la
thésaurisation, toute la monnaie disponible est placée (phase « classique » sur le graphe
précédent avec une courbe LM verticale) et par conséquent la politique budgétaire se trouve
inopérante.

Dans l’hypothèse d’une trappe à liquidité, l’investissement privé


est totalement inélastique au taux d’intérêt, autrement dit une baisse du taux
n’a aucun impact sur l’économie.
Si une politique monétaire expansionniste -déplacement de la courbe
LM, qui coupe dans sa partie horizontale la courbe IS, vers la droite, - n’a
alors aucun impact, en revanche, la politique budgétaire se révèle
pleinement efficace, sans éviction de l’investissement privé par le biais des
taux d’intérêts qui, ici, n’augmentent pas.
• Les anticipations sur l’évolution des taux d’intérêt réels, c’est à
dire du taux nominal diminué du taux d’inflation, sont fondamentales pour
caractériser une situation de trappe à liquidité.
Si les taux d’intérêts nominaux sont très faibles mais les anticipations
d’inflations fortes, les agents économiques sont enclins à manifester de
l’attentisme. Seul un taux d’intérêt réel bas (le cas échéant négatif) constitue
une incitation puissante à la consommation et à l’investissement. Pour que la
baisse des taux d’intérêts organisée par les autorités monétaires soit porteuse,
il faut donc que l’inflation ne diminue pas aussi rapidement que les taux
nominaux.
Mais il se peut qu’à l’occasion d’une crise sévère, se traduisant par
une chute de l’utilisation des facteurs de production (capital et travail),
l’inflation chute plus rapidement que les taux d’intérêt nominaux ; dès lors, la
hausse des taux d’intérêt réels ralentit encore l’économie. Cette situation,
caractéristique de la Grande Dépression, s’est aussi observée fin 2008-début
2009 dans la zone euro et, surtout, aux Etats-Unis1, même si la baisse des
cours était le principal facteur de la chute de l’inflation et que ce facteur a,
depuis, joué en sens inverse.

1
Les taux réels sont devenus supérieurs au taux nominal de la Fed et supérieurs à ceux de 2003,
alors que la situation économique n’était alors pas aussi difficile.
- 48 -

ÉVOLUTION DES TAUX D’INTÉRÊT RÉELS AUX ÉTATS-UNIS

Lien : http://www.apprendrelabourse.org/article-30745682.html

Or, un pays confronté au problème de la trappe à liquidité est


menacé d’une baisse continue du niveau des prix, c’est-à-dire de déflation,
phénomène plutôt rare mais tenace lorsqu’il se manifeste, comme après la
crise de 1929 ou plus récemment, au Japon, où les prix sont globalement
orientés à la baisse depuis 1993 tandis que les taux d’intérêt nominaux se sont
rapprochés de zéro.

2. … à un recours massif à la politique budgétaire, pour évacuer


le risque de déflation

• Si, depuis le printemps 2009, le redressement des cours des produits


de base a éloigné le danger d’une spirale déflationniste, l’anticipation d’une
demande déprimée avait conduit les marchés de matières premières à un recul
général en 2008.
Or, une fois la baisse des prix engagée, une spirale déflationniste peut
s’enclencher via l’anticipation de nouvelles baisses des prix de la part des
ménages ou des entreprises, qui repoussent leur décision de consommation ou
d’investissement, diminuant ainsi la demande…
Parallèlement, un mécanisme de déflation par la dette (la vente
d’actifs diminue les prix et augmente donc la dette nette, obligeant à engager
de nouvelles ventes pour faire face à ses échéances) peut s’enclencher. Ainsi,
les banques ont vendu massivement des titres pour rétablir leurs bilans, et ont
du continuer de le faire car la valeur des titres restant à leur actif baissait en
conséquence.
- 49 -

Les répercussions sur le taux d’inflation s’étaient révélées sensibles,


dans le contexte d’une économie mondialisée suscitant une vive concurrence
sur les prix, renforcée par le reflux général de la demande. Entre l’été 2008 et
janvier 2009, l’indice des prix à la consommation a reculé de 2,9 % en Europe,
5,6 % aux États-Unis et 6 % en Chine.
Malgré le soutien au pouvoir d’achat apporté par la baisse de
l’inflation importée –soutien transitoire, qui ne dure que ce que dure cette
phase de baisse-, il fallait compter ensuite avec de forts « effets de richesse
négatifs » liés aux considérables pertes patrimoniales (financières,
immobilières) subies par les agents économiques, ouvrant la voie à une baisse
de la demande des agents pour restaurer leurs actifs.
Des politiques budgétaires de relance vigoureuses ont donc été
nécessaires pour surmonter le risque de déflation afin d’éviter un
enlisement « à la japonaise ».

La crise japonaise des années quatre-vingt-dix.


La Bourse japonaise, après avoir triplé sa capitalisation entre 1985 et 1989, a
fortement chuté, avec 60% de perte en deux ans, tandis que l’effondrement du foncier frappait de
plein fouet le système bancaire. Face à la fonte de leurs capitaux propres, dont la valeur boursière
s’est évaporée, les banques ont été obligées de se recapitaliser au plus vite.
Parallèlement, le krach de l’immobilier et du prix des terrains les a contraintes à
provisionner massivement les créances douteuses accumulées sur les ménages et les entreprises.
Pour rééquilibrer leur bilan, les banques n’ont eu d’autre choix que de vendre à perte
une partie de leurs actifs (actions, terrains, immeubles), déprimant encore davantage les cours.
Dans le même temps, elles ont réduit drastiquement l’encours des crédits nouveaux, accroissant
les difficultés des entreprises et par conséquent le volume des créances douteuses, alimentant
ainsi un cercle vicieux.

Voyant ses marges de manœuvres diminuer, la Fed a pris des mesures


exceptionnelles (voir supra) pour fournir des liquidités aux marchés du crédit,
dans le cadre d’une gamme variée de programmes de prêts, tandis que la
politique budgétaire était largement mise à contribution pour désamorcer toute
spirale déflationniste.
Pour sa part, M. Jean-Claude Trichet, Président de la BCE, avait
indiqué « toucher du bois » début 20091, pour que les agents économiques
continuent à anticiper de l’inflation dans la zone euro.
Sans que la zone euro puisse s’appuyer sur une coordination véritable,
des politiques budgétaires de soutien à l’activité ont été mises en œuvre dans
de nombreux pays développés, financées par des déficits et de la dette
publique. Elles ont répondu à l’appétit des agents privés pour les titres publics

1
Propos tenu le 5 mars 2009, à l’occasion de la baisse de 2 % à 1,5 % du principal taux
directeur de la BCE.
- 50 -

et ont neutralisé la réaction en chaîne de la dépression en substituant une dette


publique à une dette privée devenue suspecte.

Une coordination des politiques monétaires et budgétaires


problématique dans la zone euro

Dans un Etat-nation ou un Etat fédéral, l’autorité responsable de la politique


économique dose la politique budgétaire et la politique monétaire. Là où la Banque centrale est
indépendante, le policy mix est le résultat de la coopération entre le Trésor et les autorités
monétaires.
Dans la zone euro, la politique monétaire est déterminée et mise en œuvre par la BCE
seule, alors que les Etats membres conservent le contrôle presque entier de leur politique
budgétaire.
De fait, les nombreux plans de relance mis en place en Europe, et particulièrement
dans la zone euro, pour faire face à la contraction de l’activité engendré par la crise, ne font pas
l’objet d’une orchestration véritable.
Les différents Etats sont fondés à espérer que l’activité nationale sera soutenue par les
déficits publics des partenaires commerciaux. C’est pourquoi certains « plans de relance »
nationaux sont parfois considérés comme sous-dotés ou se trouvent essentiellement tournés vers
l’investissement, qui permet d’améliorer l’offre dans l’espoir de mieux satisfaire la demande
extérieure mais agit à retardement sur la demande interne.

• Sur le graphe « IS/LM », le regain d’efficacité de la politique


budgétaire se lit dans l’« aplatissement » de la courbe LM (voir encadré
supra).
Dans une lecture correspondant à l’analyse économique « classique »,
caractérisée par l’absence de thésaurisation, toute la monnaie disponible est
placée et la courbe LM est verticale. Dès lors, la politique budgétaire, qui se
manifeste par un déplacement de la courbe IS vers la droite, est inefficace car
elle n’entraîne pas d’augmentation de la production Y (au croisement des deux
courbes) : on assiste à une éviction de l’investissement privé par
l’investissement public, accompagné d’une hausse des taux d’intérêts.
Au contraire, dans une situation de trappe à liquidité, la politique
budgétaire retrouve une efficacité maximale : il n’y a pas d’éviction de
l’investissement privé par l’investissement public. Naturellement, la
représentation keynésienne n’est susceptible de valoir qu’en économie fermée
et les relances budgétaires en cours ne sont efficaces pour les pays qui les
pratiquent que dans la mesure où elles sont simultanées, sans quoi elles
détérioreraient leur balance extérieure, réduisant leurs bénéfices pour
l’économie intérieure.
- 51 -

C. QUELLES ÉVOLUTIONS STRUCTURELLES ? ÉLÉMENTS POUR LE


DÉBAT

La croissance « molle » à laquelle la zone euro s’est trouvée


confrontée dans les années 2000 pourrait plaider pour une politique monétaire
davantage axée sur la croissance, tandis que la crise financière inclinerait au
contraire à une prudence accrue au regard de l’évolution de la masse
monétaire en circulation.

1. Hier : des politiques monétaires pesant sur l’activité ?

Les limites rencontrées depuis les années quatre-vingt-dix par les


politiques monétaires d’inspiration monétariste ont parfois plaidé pour le
retour à un réglage macro-économique d’inspiration plus keynésienne.

a) Un risque inflationniste probablement surévalué dans la zone euro


La contestation de l’objectif unique de stabilité des prix dans la
zone euro n’a pas attendu les premiers développements de la crise financière
actuelle. Ainsi l’OFCE1 soulignait fin 2006 que « l’intensification de la
concurrence résultant de la mondialisation contribue à la désinflation
mondiale. L’intégration croissante de la Chine au commerce international et
la libéralisation progressive des échanges de services devraient favoriser le
maintien des pressions à la baisse des prix. De fait, il semble important de ne
pas surestimer les risques d’inflation au sein de la zone euro ».
Par ailleurs, le choc inflationniste qui a précédé la crise économique,
lié aux tensions sur les produits de base, a fait s’interroger sur les risques
d’« effets de second tour » que pourrait engendrer une éventuelle
augmentation des rémunérations, susceptible d’entretenir une hausse des coûts
de production et donc des prix. Or, il a été mis un terme aux mécanismes
d’indexation salariale qui avaient entretenu des rythmes d’inflation élevés
dans la période succédant au premier choc pétrolier et il n’y a pas eu d’effet de
second tour.

1
Lettre de l’OFCE n° 278 du 7 décembre 2006.
- 52 -

L’absence d’indexation automatique des salaires en Europe


« Très peu de pays membres sont dotés [d’un mécanisme d’indexation des salaires
minimum] (Belgique, Luxembourg, France et Malte) et aucun pays candidat à l’UEM. Par
ailleurs, la réglementation sur les salaires minimum a évolué au cours des années 1990 selon le
même principe de désindexation que les salaires négociés, dans le but de restaurer la
compétitivité-coût et d’endiguer la hausse des taux de chômage.
« (…) Dans un pays comme la France, si le salaire minimum (Smic) guidait
étroitement les salaires négociés il y a à peine dix ans, le Smic a aujourd’hui complètement
abandonné cette fonction au profit d’un arbitrage de marché (productivité, chômage).
« Il n’y a donc, en pratique, plus d’ajustement automatique des salaires à l’inflation
en Europe ».
Source : Natixis, Flash économie n° 254, 13 juin 2008

Enfin, le cadre de l’UEM empêche le financement monétaire des


déficits, tandis que les critères de Maastricht contiennent les déficits et donc
l’accroissement d’une demande susceptible de peser sur les capacités de
production et donc sur les prix.
Dans ce contexte, la politique de la BCE a pu sembler marquée
par une rigueur excessive, notamment dans ses développements les plus
récents. En particulier, d’aucuns se sont posé la question de l’opportunité des
hausses du taux d’intervention de la BCE pratiquées jusqu’en juillet 20081,
justifiée par la progression de l’agrégat M3, alors que le lien entre les agrégats
monétaires et l’inflation s’avère ténu2 (supra).

1
En raison de l’accélération de l’inflation importée (le Brent avait atteint, en mai 2008, un pic
de 135 dollars le baril) mais en dépit des menaces croissantes sur le financement de l’économie,
la Banque centrale européenne a augmenté son principal taux directeur d’un quart de point en
juillet 2008 (après l’avoir maintenu inchangé pendant 13 mois) alors que la Fed avait
régulièrement abaissé le sien depuis septembre 2007.
2
Certains auteurs doutent même que ce lien soit pertinent en période de faible inflation : cf.
P. De Grauwe et M. Polan, 2005 : « Is inflation always and everywhere a monetary
phenomenon ? », Scandanivian Journal of Economics 107(2) p. 239-259.
- 53 -

PRIX À LA CONSOMMATION HARMONISÉS DANS LA ZONE EURO

Source : COE-REXECODE

Avec la décrue de l’inflation à la faveur du repli du prix du pétrole, et


en pleine crise, la BCE a changé d’orientation en abaissant ses taux à partir
d’octobre 2008.
Malheureusement, la politique monétaire n’a pas produit tous les
effets escomptés en raison de la défiance persistante des établissements de
crédit, l’ensemble du refinancement interbancaire s’étant trouvé « grippé », et
de la nécessité pour les banques de consolider leurs bilans ce qui les pousse à
restreindre leurs conditions de crédit. C’est ainsi qu’une situation de « trappe
à liquidité » est apparue (supra).

b) Des taux d’intérêts réels comparativement élevés

Il semble qu’en réaction à la crise, la BCE ne se soit pas engagée dans


un mouvement de baisse de ses taux directeurs aussi radical que celui pratiqué
par la Réserve Fédérale ou la Banque d’Angleterre.
- 54 -

ÉVOLUTION RÉCENTE DES TAUX DIRECTEURS DE LA BCE, DE LA FED ET DE LA BOE

6%

5%

4%
BCE

3%
Fed

2%

Banque
1% d'Angleterre

0%
juil.-07

juil.-08
mars-07

sept.-07

nov.-07

mars-08

sept.-08

nov.-08

juil.-09
mars-09

sept.-09
janv.-07

mai-07

janv.-08

mai-08

janv.-09

mai-09
Source : Sénat, service des études économiques

Or, dans un contexte de récession accompagné d’un fort recul de


l’inflation, une augmentation des taux d’intérêt réels peut s’avérer
dangereusement procyclique et entraîner l’économie dans une spirale
déflationniste.

1
TAUX DIRECTEURS RÉELS

Source : Natixis, Flash marchés n° 46, 26 janvier 2009

1
Déflatés par l’indice des prix à la consommation.
- 55 -

Comment expliquer la moindre réactivité de la BCE ? Patrick Artus1


suggère une explication. Il remarque que si une banque centrale maintient des
taux d’intérêt très bas pendant une période de temps assez longue, les taux
d’intérêt à long terme deviennent également très bas et les investisseurs
accumulent alors des portefeuilles obligataires achetés à des taux d’intérêt très
faibles. Dès lors, les banques centrales sont incitées à ne plus remonter les
taux d’intérêt pour ne pas provoquer de perte en capital qui s’avèrerait
insupportable.
Selon lui, c’est probablement pour éviter à moyen terme ce risque de
« trappe à taux d’intérêt zéro » que la BCE refuse de baisser agressivement
ses taux d’intérêt. Dans cette perspective, les arbitrages effectués par la BCE
et par la Réserve Fédérale entre ce risque de moyen terme et le risque à court
terme d’une accentuation de la récession ne seraient donc pas les mêmes.

c) Des anticipations de croissance auto-réalisatrices

Avant la crise, Jean-Paul FITOUSSI, président de l’OFCE, notait que


l’accélération considérable de la productivité aux Etats-Unis dans les
années 90 pourrait être « la conséquence d’une gestion de l’activité, qui, à
l’échelle du pays réduit le risque d’investissement. (…) Aux Etats-Unis, on a à
peu près huit années de croissance par décennie, une année de récession, et
une année de croissance molle. En Europe, on a habituellement trois années
de croissance par décennie, une ou deux années de récession, et cinq années
de croissance molle. Ce qui fait qu’un investisseur sur un marché européen
est soumis à un risque d’activité beaucoup plus important que son
correspondant sur le marché américain »2.
On ne peut exclure que la crédibilité en termes de perspectives de
croissance soit de nature à favoriser une dynamique d’accumulation plus
rapide du capital. Or, la politique monétaire, par son impact sur les taux
d’intérêt et l’investissement, a une incidence certaine sur cette crédibilité.
Au début des années quatre-vingt-dix, la baisse des taux d’intérêt aux
États-Unis, en réaction au ralentissement de l’activité puis à la récession, a
ramené les taux courts américains à un niveau historiquement bas. Les pays
européens, qui étaient tous engagés au début de la décennie dans une politique
d’ancrage au mark, ont suivi au contraire la trajectoire des taux allemands,
orientée à la hausse :

1
Natixis, Flash marchés n° 46, 26 janvier 2009.
2
Le Monde.fr, 13 septembre 2006.
- 56 -

TAUX D’INTÉRÊT RÉELS À COURT TERME

Source : OFCE

Puis à partir des années 2000, il semble qu’à son tour, la zone euro
dans son ensemble ait été privée d’un soutien suffisamment actif de la
politique monétaire (cf. graphe supra « Taux directeurs réels ») pour engager
une stratégie de croissance autonome à long terme. Pourtant, ce soutien serait
apparu d’autant plus important que les politiques budgétaires y sont
contraintes par le pacte de stabilité et de croissance1.
D’une façon générale, l’orientation des politiques économiques vers
un objectif de forte croissance est de nature à améliorer les perspectives de
débouchés, qui conditionnent l’investissement et l’innovation et, par
conséquent, l’accélération de l’activité dans un cercle vertueux de croissance
endogène.

2. Demain : articuler politique monétaire et politique macro-


prudentielle ?

a) Abondance du crédit et crise mondiale


Certains économistes estiment que la politique monétaire conduite par
la Fed peut être considérée comme directement coresponsable du
déclenchement de la crise des subprimes.
Alan Greenspan, gouverneur de 1987 à 2006, a adopté une politique
de taux bas afin de soutenir l’activité, notamment à la suite de l’explosion de
la « bulle Internet » en 2000. Or, cette politique s’est poursuivie après 2004,
alors que la production progressait à nouveau rapidement, à un rythme

1
Son application est centrée sur deux seuils budgétaires à ne pas dépasser :3 % du PIB de déficit
public et 60 % du PIB de dette publique.
- 57 -

supérieur à 3 %. Alors, l’abondance des liquidités1 a favorisé d’importants


investissements immobiliers, une hausse continue des prix du secteur et une
forte progression des prêts hypothécaires.
On sait qu’à partir de 2007, l’amorce d’une baisse des prix de
l’immobilier aux Etats-Unis, conjuguée à une remontée des taux d’intérêt, a
conduit de nombreux emprunteurs au défaut de paiement et des établissements
spécialisés dans le crédit immobilier à la faillite : c’est la crise des
« subprimes ».

b) Régulation macro-prudentielle et politique monétaire


(1) Diversifier les objectifs de la politique monétaire en direction de la
régulation des prix des actifs ?
Les banques centrales ont un rôle essentiel pour assurer la stabilité
financière, dans la mesure où elles ont la fonction de prêteur en dernier
ressort.
Hormis ce rôle ponctuel, les développements récents montrent que la
politique monétaire, axée sur la stabilité des prix, n’est pas une condition
nécessaire et suffisante pour garantir la stabilité financière.
On a pu croire, un temps, que cette dernière serait une conséquence
heureuse de la mise en œuvre d’une stratégie de ciblage d’inflation, mais la
crise financière actuelle s’est développée dans un environnement caractérisé
par des taux d’intérêt modérés et des tensions inflationnistes limitées2 (en
dépit de l’envolée des prix immobiliers et des matières premières).
Comme le rappelle M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de
France, « l’environnement de bas taux d’intérêt, qui conduit souvent à une
moindre attention des agents vis-à-vis du risque ou à une moindre capacité à
l’évaluer, associé à une très forte crédibilité de la banque centrale ne
constitue en aucune façon une garantie pour la stabilité financière »3. C’est
l’une des manifestations de ce que certains économistes ont pu qualifier de
« paradoxe de la crédibilité ».
De fait, alors même que l’inflation demeure modérée car la croissance
de l’activité n’excède pas la croissance potentielle, des taux bas favorisent à la
fois l’endettement (les durées d’amortissement peuvent s’allonger et par
conséquent les volumes empruntés augmenter) et la recherche d’effets de
levier. Ces derniers consistent à emprunter pour investir avec un minimum de
fonds propres, afin de maximiser le rapport entre, d’une part, le retour sur des
investissements ou la vente d’actifs (cas des fonds spéculatifs) essentiellement
financés par l’emprunt et, d’autre part, les capitaux propres.
1
Le 23 mars 2006, le Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale des États-Unis a décidé de
mettre un terme à la publication de l’agrégat monétaire M3, mais il est vraisemblable qu’il a
connu une accélération sensible entre 2006 et 2008.
2
Il en est allé de même pour la précédente bulle boursière en 2000.
3
Conférence de Montréal, session plénière : « L’économie internationale en transition », 9 juin
2008
- 58 -

A cet égard, il n’est pas indifférent d’observer que la période qui a


précédé la crise s’est caractérisée dans la zone euro par une forte croissance de
l’agrégat monétaire M3 (supra), bien supérieure à celle de l’agrégat monétaire
M1. Or, M3 comprend certains placements et actifs financiers, alors que M1
représente la monnaie stricto sensu, celle qui alimente essentiellement les
échanges dans le circuit économique de la production et de la consommation.

DIFFÉRENTIEL DE CROISSANCE DES MASSES MONÉTAIRES M1 ET M3


25%

20%
Croissance annuelle en glissement

15%
M3-M1

10%
M1

5%

0%
janv-96

janv-97

janv-98

janv-99

janv-00

janv-01

janv-02

janv-03

janv-04

janv-05

janv-06

janv-07

janv-08

janv-09

-5%

Source : Sénat – service des études économiques, données Banque centrale européenne

Pour l’avenir, sur la base d’une batterie d’indicateurs destinés à


permettre une régulation macro-prudentielle, il est parfois suggéré que les
banques centrales freinent l’expansion du crédit lorsqu’il nourrit des bulles
spéculatives.
Ainsi, les banques centrales ne se limiteraient plus à un objectif de
prix concernant les biens et les services, mais étendraient leur surveillance
au volume du crédit et au prix des actifs, aussi bien dans la sphère
immobilière que financière.
D’après le FMI, « les responsables de la politique monétaire
devraient mettre davantage l’accent sur les risques macrofinanciers. Cela
supposerait un resserrement plus rapide et plus vigoureux des conditions
monétaires pour prévenir l’accumulation d’excès dangereux sur les marchés
des actifs et du crédit, même si l’inflation semble en grande part maîtrisée »1.

1
Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2009.
- 59 -

(2) La voie difficile de l’activation des taux d’intérêt


Cette surveillance macro-prudentielle pourrait-elle constituer un
« deuxième pilier » à côté de celui de la stabilité des prix, sinon un « troisième
pilier », à coté de ceux de l’inflation et de la croissance ? Une hausse des taux
d’intérêt pourrait alors être décidée alors que la croissance économique se
situerait sous son potentiel, aboutissant à contracter une demande déjà
insuffisante pour permettre le plein emploi des facteurs de production. Le cas
se serait récemment présenté dans la zone euro, avant la crise des subprimes,
avec une faible croissance économique assortie d’une forte croissance de la
masse monétaire (supra).
Il peut donc sembler difficile d’assigner aux taux directeurs des
banques centrales le rôle de levier central pour exercer une régulation
macro-prudentielle.

(3) Réactiver des instruments trop vite délaissés ?


Dans ce contexte, on pourrait alors envisager de réactiver la
politique monétaire de réserves obligatoires, en permettant à la banque
centrale son utilisation discrétionnaire sur les crédits alimentant la hausse
cumulative de certaines classes d’actifs1.
D’une façon générale, les différentes pistes concevables pour
instaurer une contrainte macroprudentielle ne sollicitent pas la politique
monétaire stricto sensu, même s’il est envisageable qu’elles mobilisent
l’expertise et l’action des banques centrales.
Plusieurs systèmes sont envisageables. Par exemple, Michel Aglietta2
propose que la banque centrale détermine un repère - l’évolution du crédit au
secteur privé qui soutient la croissance potentielle – au regard duquel un
éventuel excès de crédit serait identifié. Pour contrôler cet écart, la Banque
centrale déterminerait un montant agrégé de réserves à imposer aux acteurs
financiers, selon un mode de répartition permettant de les proportionner aux
risques que font encourir les entités concernées au système financier.
Mais quel que soit le mode de régulation le cas échéant adopté, il
semble a priori difficile de mettre en œuvre un système parfaitement étanche
au regard des instruments et des objectifs des politiques monétaires.

1
Voir « Pour une régulation macro-prudentielle » note en date 28 avril 2009, par Laurence
Scialom ; lien : http://www.tnova.fr/images/stories/publications/notes/113-macro.pdf.
2
Voir colloque organisé par le CEPII, « L’économie mondiale 2010 », 16 septembre 2009.
- 60 -

c) Quelles marges de politique monétaire dans un contexte de fort


endettement public ?
Après la crise, quels arbitrages pourront être rendus entre la poursuite
d’une politique monétaire accommodante appropriée à la situation
d’endettement des Etats, et un contrôle plus rigoureux de l’endettement privé
et de la masse monétaire en circulation, favorable à une activité
financièrement plus saine ?
Des doutes ont été émis sur la soutenabilité des endettements publics.

La soutenabilité de la dette publique


Il n’existe pas de critère absolu de soutenabilité des dettes publiques. Pour la
simplicité de la démonstration, certains économistes estiment qu’une politique
budgétaire peut être considérée comme soutenable lorsque le ratio d’endettement est
stable à moyen terme.

Source : Projet de loi de finances pour 2005, tome 1 du Rapport économique, social et financier
- 61 -

Cette stabilité suppose que le solde primaire1 vérifie la condition figurant dans
l’encadré ci-dessus. Le « solde primaire stabilisant » augmente ainsi avec le volume de
la dette et les taux d’intérêt, mais il diminue avec le taux de croissance. Plus la
croissance est forte, plus on peut stabiliser l’endettement malgré des déficits budgétaires
élevés.
Si le taux de croissance est supérieur aux taux d’intérêt, l’endettement peut
même se stabiliser en présence de déficits primaires.
En revanche, si les taux d’intérêt sont supérieurs à la croissance, le volume de
l’endettement public peut augmenter alors même que le solde primaire serait en
excédent.
Si les taux d’intérêts excèdent nettement le taux de croissance et si, par
ailleurs, le niveau de l’endettement est intrinsèquement fort, une stabilisation à ce niveau
peut alors impliquer de réaliser des excédents primaires très élevés, ressortant comme
peu réaliste compte tenu des variables qui déterminent la dépense publique.
Il faut alors accepter que, transitoirement, l’endettement s’accroisse. Mais le
niveau du solde primaire stabilisant2 augmente alors pour l’année suivante, ce qui peut
engendrer, compte tenu de la rigidité de la dépense, un endettement encore plus
important, et ainsi de suite : c’est l’« effet boule de neige » de la dette publique.
La question de la soutenabilité du niveau de la dette doit être également
évaluée au regard des risques engendrés par l’évolution spontanée des taux d’intérêt et
de la croissance. Plus le ratio endettement/PIB est élevé, plus sa stabilisation peut exiger
une augmentation rapide - et difficile - du solde primaire face aux facteurs de
dégradation du ratio d’endettement public que sont la hausse des taux d’intérêt ou la
baisse du taux de croissance -facteurs en partie exogènes.
La maîtrise du taux d’endettement suppose donc de ne pas dépasser un
certain niveau du ratio dette/PIB. Son évaluation comporte cependant une grande
part de subjectivité3.

Au vu des niveaux d’endettement public susceptibles d’être


prochainement atteints, un effet « boule de neige » de la dette publique ne
saurait être exclu si une croissance robuste tardait à se manifester.

1
Solde budgétaire hors service de la dette.
2
Il importe alors que l’écart entre le solde effectif et le solde stabilisant se réduise.
3
C’est ce type de condition qu’impose le pacte de stabilité et de croissance qui encadre la
pratique des politiques budgétaires en Europe, et en particulier le seuil de 3 points de PIB pour
les déficits et le plafond de 60 points de PIB pour la dette. Ces contraintes sont cohérentes avec
une croissance potentielle de 3 % et une inflation de 2 %. Sous ces conditions, la règle des
3 points de PIB garantit la stabilité du ratio de dette publique en proportion du PIB.
- 62 -

ÉVOLUTION DU RATIO ENDETTEMENT PUBLIC / PIB

Prévisions COE-REXECODE pour 2009 et 2010, septembre 2009

Les émetteurs souverains seraient alors contraints d’augmenter leurs


emprunts. La capacité d’absorption du marché pour les titres représentatifs de
ces emprunts est fonction de la disponibilité de l’épargne et de son
appréciation des risques encourus. Si la préférence des épargnants pour la
sécurité s’érode, la propension à investir dans les titres publics diminue.
D’une façon générale, l’augmentation des dettes publiques – et des
créances sur les Etats – représente une sorte d’abcès de fixation – une « bulle
de la dette publique1 » selon certains – qui fragilise le système financier au-
delà d’un certain stade d’accumulation. Il est alors possible que les marchés
réagissent dans une « fly from quality », dont des baisses successives des
notations accordées à la dette des Etats donneraient alors, le cas échéant, la
mesure du rapprochement.
Il est à noter que ces enchaînements seraient sans doute accélérés si
les banques centrales devaient durcir leur impulsion monétaire, soit par une
décision discrétionnaire, soit par souci de conserver leur crédibilité si les
marchés se mettaient à exiger des rendements plus élevés sur les titres publics.
Dans ce contexte, la politique monétaire ressort comme soumise à
des contraintes d’objectifs contradictoires représentant pour les autorités
monétaires un dilemme embarrassant :
- d’un côté, elles peuvent estimer que la lutte contre l’inflation
implique un retour à des interventions plus « orthodoxes », notamment pour
discipliner la politique budgétaire, sans oublier le souci de ne pas être
devancées par des marchés qui anticiperaient, avant elles, des désordres sur les
prix et les marchés obligataires, ce qui altèrerait leur crédibilité ;
- de l’autre, elles doivent redouter un effondrement des marchés
obligataires (qui financent les Etats), ce qui les laisserait seules, en première
ligne pour lutter contre la nouvelle crise qui s’ensuivrait.

1
Certains observateurs considèrent qu’un phénomène de bulle de la dette publique est avéré
pour les titres de l’Etat fédéral américain, massivement détenus par les fonds souverains, qui
continuent à les acquérir, sans quoi leur valeur diminuerait, ce qui obérerait mécaniquement la
valeur de leurs actifs.
- 63 -

Finalement, il semble logique de prévoir que les banques centrales


considèreront dans la période qui s’ouvre que le danger macroéconomique
majeur n’est plus l’inflation - qui accompagne habituellement les périodes de
forte croissance – mais l’insolvabilité des Etats, et orienteront leurs taux
d’intérêt en conséquence1.
En ce sens, on pourrait être tenté d’ajouter, dans la lignée d’une
récente étude de la banque américaine Goldman Sachs2 qui montre
rétrospectivement l’impact potentiel, majeur à moyen terme, de la
croissance et de l’inflation sur le niveau de la dette publique exprimé en
proportion de la richesse nationale, que l’amélioration de la situation
financière des Etats-Unis devrait être principalement réalisée grâce à la
croissance économique et à l’inflation.

L’amélioration de la situation financière des Etats-Unis


et du Royaume-Uni dans l’après-guerre
Les déficits publics ont été, certes, réduits, mais l’amélioration de la situation
financière n’a pas été due à une austérité fiscale extrême.
En 1946, la dette des Etats-Unis atteignait 108,6 % de son produit intérieur
brut (PIB). En 1960, ce ratio était tombé à 45,7 % en raison, principalement, de la
croissance du PIB - elle avait retiré 33,4 points au ratio d’endettement - et de l’inflation -
qui en avait rogné 29,3 points.
Le même phénomène s’observait au Royaume-Uni où le ratio dette sur PIB a
été ramené de 248,5 % en 1946 à 118,1 % en 1960, en particulier grâce aux effets
conjugués de l’inflation (- 106,7 points) et de la croissance (- 46,6 points).

Cependant, outre que la flexibilité du change, l’internationalisation et


la financiarisation des économies empêchent de scénariser l’avenir par
analogie avec la période qui a suivi la Seconde guerre mondiale, il est
aujourd’hui préférable3 de raisonner dans le cadre d’une croissance sans
inflation, ce qui invite à recommander des orientations de politique monétaire
pondérant davantage la croissance que le risque inflationniste.

1
Voire recourir au financement monétaire de la dette par achat direct de titres publics
(« quantitative easing ») évoqué plus haut.
2
Étude en date du 2 juillet 2009. Voir Le Monde du 1er septembre 2009.
3
Voir par exemple le Bulletin des Études Économiques de BNP PARIBAS, juillet-août 2009, par
Philippe d’Arvisenet : « Il n’est (…) pas évident qu’une baisse du ratio d’endettement, corrélatif
à une accélération de l’inflation, soit réalisable dans une économie ouverte caractérisée par un
marché obligataire très internationalisé (les émissions souveraines sont en quasi-totalité
souscrites par des investisseurs institutionnels très sensibles à l’inflation, la moitié des encours
d’obligations d’Etat sont détenus par les non-résidents aussi bien aux Etats-Unis qu’en France).
Dans pareil contexte, le risque inflationniste se paierait par une hausse des taux d’intérêt
supérieure au surcroît d’inflation, car incluant une prime de risque inflationniste. L’espoir d’un
recul du ratio d’endettement par l’inflation pourrait, dans de telles conditions, se révéler vain.
En outre, les systèmes de pensions ont largement investi en titres d’Etat. Enfin, les
gouvernements ont émis des montants non négligeables d’obligations indexées sur l’inflation ».

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