Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
LA POLITIQUE MONÉTAIRE
Objectifs, méthodes et nouveaux problèmes
L'étude présentée dans ce document est de la seule responsabilité du Service des Études
économiques et de la prospective du Sénat. Elle constitue un instrument d'information et
de réflexion à l'intention des sénateurs et ne contient aucune prise de position susceptible
d’engager le Sénat.
SOMMAIRE
Pages
INTRODUCTION ......................................................................................................................... 5
A. GÉNÉRALITÉS ......................................................................................................................... 7
1. Fondements théoriques et succession des objectifs de la politiques monétaire ........................ 7
a) De la « monnaie voile » aux politiques volontaires issues de la théorie keynésienne .......... 7
b) Le retour au monétarisme ................................................................................................... 9
(1) Monétaristes et « Nouveaux classiques », ............................................................................. 9
(2) Des banques centrales indépendantes visant principalement la stabilité des prix ........................ 10
(3) L’inflexion des objectifs intermédiaires libellés en termes de masse monétaire ......................... 11
2. Une politique adjacente : le change ........................................................................................ 14
3. Le phénomène de création monétaire ...................................................................................... 16
a) Une création essentiellement liée à l’octroi de crédit… ...................................................... 16
b) … contrainte par des « fuites » dans le circuit monétaire .................................................... 19
INTRODUCTION
Les Etats ne battent plus monnaie et les banques centrales ont renoncé
aux instruments autoritaires d’encadrement du crédit. La politique monétaire
est une régulation monétaire : les banques privées créent la monnaie à la
faveur des prêts qu’elles accordent et les banques centrales, souvent
indépendantes du pouvoir politique, influencent le comportement des
établissements de crédit au travers d’instruments exerçant sur elles une
contrainte1 dite « de liquidité ».
A. GÉNÉRALITÉS
1
Contrainte qui, passé un certain point, s’avère cependant irrésistible.
2
Jean-Baptiste Say (1767-1832) est le principal économiste classique français.
3
Soit : MV = PT.
4
La production ne dépend que de facteurs réels (non-monétaires) dans ce paradigme.
-8-
1
Menace qui, d’ailleurs, conduit Keynes à accorder plutôt sa préférence à la politique
budgétaire.
-9-
b) Le retour au monétarisme
(1) Monétaristes et « Nouveaux classiques »,
Le monétarisme est apparu à la fin des années soixante. Son
principal promoteur, Milton Friedman, a voulu réhabiliter la théorie
quantitative de la monnaie en réaction contre le keynésianisme.
Partant de la « courbe de Philips », qui montre une relation empirique
inverse entre taux de chômage et inflation, il relève que cette courbe
fonctionne seulement à court terme. Selon lui, les agents économiques ne sont
que provisoirement victimes de l’« illusion monétaire »1 en cas de politique
monétaire expansionniste, si bien que le taux de chômage rejoint rapidement
son niveau « naturel » tandis que l’inflation, en revanche, se retrouve
propulsée à un niveau supérieur.
Pour mettre un terme à ce cercle vicieux inflationniste, Friedman
préconise l’abandon des politiques monétaires discrétionnaires au profit de
règles fixes. Il suggère de déterminer un objectif de croissance pour la masse
monétaire compatible avec le taux de croissance moyen de la production afin
de garantir la stabilité des prix à long terme. Dans cette logique, si la
croissance excède son rythme potentiel structurel, l’offre de monnaie devient
insuffisante et les taux d’intérêt augmentent, ce qui freine la croissance et
évite une surchauffe inflationniste. Réciproquement, une baisse des taux
viendrait soutenir l’activité si la croissance se trouvait inférieure à son
potentiel de long terme.
Les « Nouveaux classiques » ont radicalisé la théorie monétariste, en
supposant que les agents économiques déterminaient leur comportement sur la
base d’« anticipations rationnelles »2, en conséquence desquelles une politique
monétaire est non seulement inefficace à long terme, mais encore à court
terme, les agents raisonnant toujours en termes réels et ne pouvant donc être
leurrés par une politique monétaire.
Dans ces approches, la crédibilité des décisions de politique
monétaire prend une importance considérable dans la lutte contre
l’inflation, dont elle constitue l’objectif unique. C’est ainsi que la
transparence et l’indépendance des banques centrales sont des
caractéristiques jugées indispensables par l’école monétariste.
1
Dans l’analyse de Milton Friedman, l’illusion monétaire résulte du fait que les agents font des
erreurs d’anticipation qu’ils ne corrigent que progressivement : il s’agit des « anticipations
adaptatives ».
2
Théorie popularisée par Robert Emerson Lucas.
- 10 -
1
La Banque de France n’a accédé à l’indépendance qu’en 1993. Dès sa création, la Banque
centrale européenne (BCE) a été calquée sur le modèle de la Bundesbank.
2
Traité sur l’Union européenne signé le 7 février 1992 ; il prévoyait, outre les modalités
transitoires du passage à la monnaie unique, l’organisation de la gouvernance monétaire une
fois l’union monétaire réalisée, le 1er janvier 2002.3 Cet objectif est plus précisément confié au
SEBC (système européen de banque centrale), composé de la Banque centrale européenne et des
banques centrales nationales. Les organes de décision de la BCE dirigent le SEBC.
4
En vertu duquel ni la BCE ni une banque centrale nationale ne peuvent solliciter ni accepter
des instructions de la part des institutions ou organes communautaires, des gouvernements des
Etats membres ou de tout autre organisme.
- 11 -
1
Cette vitesse peut être mesurée par le ratio PIB/M3, qui est passé de 0,55 au début des années
quatre-vingt à moins de 0,2 en 2005.
2
Selon certains économistes, la détention croissante par les ménages d’actifs financiers liquide
et l’essor des produits financiers structurés, compris dans l’agrégat M3, ont contribué à ce
ralentissement.
3
Le crédit bancaire est la principale source de création monétaire (cf. développements infra).
- 13 -
14%
12%
Croissance annuelle en glissement
10%
8%
6%
4%
2%
0%
janv-96
janv-97
janv-98
janv-99
janv-00
janv-01
janv-02
janv-03
janv-04
janv-05
janv-06
janv-07
janv-08
janv-09
1
Théorème formalisé par Mundell et Fleming.
- 15 -
Dès lors, aussi bien dans la zone euro dans son ensemble qu’aux
Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou dans certains grands pays émergents, la
politique de change n’est généralement plus libellée en termes d’objectifs de
parité constante.
Mais, même dans le contexte d’une liberté de maniement des taux
d’intérêt pour conduire la politique monétaire stricto sensu, cet instrument
n’en impacte pas moins le change, qui est une variable fondamentale de toute
politique économique. L’autonomie des politiques monétaires est donc
largement théorique.
1
Les premiers billets ont été émis par les banques au XVIIème siècle en contrepartie de dépôts
en or. Ils étaient acceptés en paiement grâce à la confiance -fides en latin- dont jouissaient les
banques émettrices –on parle ainsi de « monnaie fiduciaire ». Ces billets étaient alors
convertibles en or à tout moment. En revanche, la monnaie métallique (ou « monnaie
divisionnaire ») a longtemps conservé une valeur intrinsèque (monnaie étalon) dans la mesure
où elle était constituée de métaux précieux. Le bimétallisme (or et argent) a duré jusqu’au
XIXème siècle, pour céder la place au monométallisme or. Puis, au cours du XXème siècle,
l’ensemble de la monnaie métallique est progressivement passé de monnaie étalon à fiduciaire.
La monnaie fiduciaire (billets) s’est ensuite déconnectée de l’étalon-or (à partir des années
trente), déplaçant la confiance requise vis-à-vis de la banque émettrice vers l’économie dans son
ensemble (abandon de l’étalon-or pour le dollar en 1971).
2
Le monopole de l’émission de billets de banque par une banque centrale doit être rapproché de
la décision historique de leur conférer un cours forcé. En dispensant l’institut d’émission du
remboursement des billets en monnaie métallique, le lien contractuel entre l’émetteur de la
monnaie fiduciaire et le détenteur de cette monnaie s’est trouvé rompu lorsque la Banque de
France fut dotée, en 1803, du privilège exclusif d’émission à Paris, généralisé à l’ensemble du
pays en 1848. Le cours forcé du franc n’est cependant devenu définitif qu’à compter de 1936. Il
s’est imposé pendant la première guerre mondiale ou entre les deux guerres dans la plupart des
pays. Seuls, les États-Unis ont conservé une forme de convertibilité de leur monnaie (limitée aux
relations entre banques centrales et Trésor américain) jusqu’en 1971 (fin de la convertibilité-or).
- 17 -
100% Financements de
marché
90% 30% 36%
80%
70% 5%
Crédits obtenus
13% auprès des non-
60%
résidents
50%
40% Crédits obtenus
63%
auprès des
30% 51%
institutions
20% financières
résidentes
10%
0%
décembre 1993 mars 2008
1
Ce constat doit être nuancé si l’on considère l’intégration croissante des activités de banque,
d’assurance et financières, sachant que les OPCVM sont par ailleurs contrôlés à 80 % par les
grandes banques. En incluant ces intermédiaires financiers dans le calcul du taux
d’intermédiation, son recul apparaît moins marqué : il passe de 79 % en 1978 à 58 % en 2005
(voir Dominique Pilhon, « La monnaie et ses mécanismes », éditions La Découverte).
- 18 -
1
Tous les crédits ne donnent cependant pas lieu à création monétaire : les banques
commerciales peuvent –précisons ici que La Poste le doit- financer les crédits sur une épargne
préexistante, tandis que les crédits interentreprises mobilisent des ressources préexistantes.
- 19 -
Toutes ces créances ne trouvent cependant pas leur origine dans une
création monétaire, car les banques financent une partie de leurs crédits en
mobilisant l’épargne contractuelle et des ressources non monétaires inscrites à
leur passif. Ainsi, dans le tableau ci-dessus, les ressources non monétaires sont
déduites afin d’obtenir le montant de M3.
La monnaie centrale
La monnaie centrale, dite encore « monnaie banque centrale » ou « base
monétaire », désigne la monnaie qui a été créée directement par la banque centrale ; il s’agit :
• des espèces (pièces et billets) ;
• des soldes créditeurs des comptes des banques dans les livres (au passif) de la
banque centrale, aussi appelés « réserves ».
A partir de cette base monétaire, les banques, par les crédits qu’elles accordent,
accroissent la monnaie scripturale et donc la masse monétaire (mécanisme du multiplicateur, voir
encadré infra).
1
On désigne « banque de second rang » les banques commerciales qui créent de la monnaie
scripturale à destination des agents non financiers (ANF), par opposition à la banque centrale,
aussi désignée « banque de premier rang », qui crée de la monnaie scripturale centrale à
destination des banques de second rang.
- 20 -
La règle de proportionnalité
Il est possible de montrer que lorsqu’une banque occupe une part dans la collecte des
liquidités égale à la part qu’elle tient dans la distribution des financements, les fuites en dehors
de son circuit (monnaie créée par la banque donnant lieu à paiement sur le compte d’autres
banques ou à retrait d’espèces) sont compensées par les entrées résultant des fuites subies par les
autres banques.
Tant que la première part excède la seconde, la banque demeure « sur-liquide » et
n’est pas limitée dans sa capacité à créer de la monnaie. Mais si la seconde part excède la
première, la banque est alors confrontée à la nécessité de se refinancer en monnaie banque
centrale.
1
Etablissements susceptibles d’accéder aux instruments de la politique monétaire (ainsi, seuls
les établissements assujettis à la constitution de réserves obligatoires peuvent avoir accès aux
facilités permanentes et participer aux opérations d’open market par voie d’appels d’offres
normaux – voir infra).
2
Les réserves obligatoires peuvent aussi être fonction du volume des crédits.
- 23 -
1
Notamment des bons du Trésor. Les critères d’éligibilités des créances sont abordés
infra (« L’assouplissement du refinancement »).
2
Le taux pratiqué par la Banque d’Angleterre est actuellement à son plus bas niveau depuis la
fondation de l’institution en 1694.
- 25 -
5%
4%
BCE
3%
2% Fed
1%
0%
janv.-03 janv.-04 janv.-05 janv.-06 janv.-07 janv.-08 janv.-09
1
Marché sur lequel les organismes financiers échangent contre des titres leurs disponibilités en
monnaie centrale à des taux libres.
2
La mise en pension de titres consiste à les vendre tout en s’engageant à les racheter à une
échéance et à un prix connus à l’avance.
- 26 -
* : l’astérisque désigne les opérations effectuées suivant une procédure d’appel d’offre. Les
autres opérations suivent une procédure bilatérale (à l’exception des facilités permanentes, à la
discrétion des banques).
1
Cette expression, très usitée dans le langage financier, désigne un centième de pourcentage.
2
C’est-à-dire non garantis.
- 27 -
1
Moyennes effectuées après élimination des 15 % de cotation extrêmes et exprimées avec trois
décimales.
2
C’est-à-dire, la durée.
- 28 -
1
L’éonia peut cependant se trouver provisoirement inférieur au taux refi à l’approche d’une
baisse annoncée -ou pressentie- du taux de refinancement de la banque centrale.
2
Spread signifie écart en anglais. L’utilisation de ce terme sur les marchés financiers est
générale et très diverse, seul le contexte permettant de savoir de quoi l’on parle.
- 29 -
1
Ce taux peut être considéré comme résultant de la sommation du taux de croissance potentielle
(taux d’intérêt réel neutre) et du taux d’inflation anticipé.
- 30 -
Les canaux « subjectifs » sont liés aux anticipations des marchés sur
la base d’annonces et d’interventions de la banque centrale. L’hypothèse ici
privilégiée pour illustrer ces mécanismes est celle d’une baisse des taux
d’intérêt, hypothèse naturellement réversible.
1
Dans la représentation néokeynésienne ISLM, cette politique engendre un déplacement vers la
droite de la courbe LM (voir infra).
2
Une vague initiale d’investissement entraîne, via la distribution du revenu engendré par son
financement, une première vague de demande du même montant, diminué cependant de la partie
de ce revenu destinée à l’épargne et de celle ayant servi à acquérir des biens ou services
importés. Cette première vague de demande entraîne une nouvelle distribution de revenu, qui
alimente une deuxième vague de demande nationale, d’une ampleur à nouveau atténuée par les
fuites que représentent l’épargne et les importations, et ainsi de suite. Au total, l’investissement
initial démultiplie la production selon un facteur dont la théorie keynésienne donne le calcul
(selon des modalités semblables à celui du multiplicateur monétaire décrit plus haut).
- 31 -
b) Le canal du crédit
Les variations de la liquidité bancaire jouent sur la capacité des
établissements de crédit à consentir des prêts, favorisant l’investissement et la
consommation.
Le canal du crédit se situe dans le prolongement du canal des taux,
qui déterminent le coût des ressources que les banques se procurent, à court
terme, sur les marchés monétaires ou, à long terme, sur les marchés financiers,
et que ces dernières répercutent auprès de leurs clients.
Il se distingue de celui des taux d’intérêt en ce qu’il joue sur le
volume et les conditions des prêts bancaires, et non sur les conditions de
financement direct par le recours au marché.
Ce canal, qui suppose que le crédit puisse être rationné sans que les
taux d’intérêt viennent en équilibrer l’offre et la demande, est mis en avant par
les keynésiens plutôt que par les monétaristes, plus confiants dans la capacité
des marchés à assurer une allocation optimale des moyens.
Plus prosaïquement, ce canal est plus efficace dans les zones ou
l’intermédiation bancaire est la plus forte : dans la zone euro, où les banques
assurent 75 % du financement de l’économie contre 10 % aux Etats-Unis1, le
canal du crédit est particulièrement important dans la transmission de la
politique monétaire.
1
Voir Banque de France, Focus n°4 « Les mesures non conventionnelles de politique monétaire
», par Olivier Loisel et Jean-Stéphane Mésonnier, 23 avril 2009.
- 33 -
1
Les taux longs sont ceux auxquels empruntent l’Etat, les organismes sociaux, les collectivités
locales, les entreprises publiques ou privées, sur des durées longues (10, 30 voire 50 ans dans le
cas de l’Etat). Ces taux fluctuent librement en fonction du jeu de l’offre et de la demande. Les
valeurs le plus couramment observées sont les taux servis pour les obligations du Trésor à
10 ans.
2
En théorie, les agents effectuent leurs arbitrages sur le marché de l’épargne en considérant que
la rémunération d’un emprunt à long terme est égale à celle d’une succession d’emprunts à court
terme sur une période équivalente.
3
Taux déterminé sur le marché monétaire à court terme (entre un jour et 2 ans). Les taux courts
sont directement influencés par les taux directeurs.
4
Cette prime dépend de caractéristiques telles que la liquidité du titre, le risque de défaut de
paiement et l’incertitude sur les rendements anticipés.
- 35 -
Face à la crise financière, les banques centrales ont réagi avec vigueur
en utilisant tous les leviers dont elles disposaient. Cet épisode amène à
s’interroger, de façon structurelle, sur la pertinence des instruments et des
objectifs assignés à la politique monétaire.
1. L’assouplissement du refinancement
1
La reprise de la banque d’affaire Bear Stearns a entraîné l’allocation de 15 milliards
supplémentaires pour une durée de 5 jours à compter du 20 mars 2008. Le 15 septembre 2008,
avec la faillite de Lehman Brothers, 30 milliards d’euros ont été injectés.
2
Montants calculés de façon à permettre aux établissements de crédit de constituer leurs
réserves obligatoires.
3
A partir du 22 octobre, la notation minimale des titres apportés en garantie est passée de « A-»
à « BBB- ».
- 37 -
1
Les actifs acceptés en tant que garanties par les banques centrales lors de leurs opérations de
refinancement le sont à des conditions particulièrement restrictives : la valeur de ces titres doit
être au moins égale à la somme du montant prêté et des intérêts servis, après déduction d’une
décote, ou « haircut », tenant compte de l’éventualité d’une baisse de leur valeur de marché
pendant la durée de la pension.
- 38 -
1
Définition donnée par la Banque de France, revue de la stabilité financière n° 9, décembre
2006.
2
Banquier et journaliste britannique du XIXe siècle.
3
Ce qui été notamment le cas en Belgique.
- 39 -
1
Comme il a été indiqué supra, une banque de second rang crée de la monnaie non seulement
lorsqu’elle accorde un crédit, mais aussi lorsqu’elle acquiert un actif réel ou financier.
2
Voir Banque de France, Focus n° 4, 29 avril 2009.
3
Il s’agit, plus précisément, d’une cible visant le niveau des réserves excédentaires, c'est-à-dire
la part des réserves excédant celle des réserves obligatoires.
- 40 -
par la banque centrale (l’offre de monnaie est alors canalisée vers un agent,
l’Etat, dont on est sûr qu’il la dépensera, avec un effet certain sur l’activité1).
Le potentiel de cette politique, qui consiste à renforcer la liquidité des
établissements de crédit, est a priori plus efficace là ou l’intermédiation
bancaire est la plus forte. Elle a été suivie au Japon de 2001 à 2006. Il apparaît
qu’à l’automne 2008, en réaction à l’accentuation de la crise financière, la
base monétaire a fortement gonflé aux Etats-Unis et dans la zone euro (voir
graphe infra) -encore plus rapidement qu’au Japon après mars 2001.
La politique de « credit easing » consiste, elle, dans le refinancement
ou le rachat par la banque centrale de titres représentatifs de crédits à
l’économie (billets de trésorerie, obligations privées ou bons hypothécaires). Il
s’agit essentiellement de « ranimer » le marché de ces titres et de détendre
le refinancement interbancaire2, voire de procurer directement des
financements à l’économie dans le cadre d’une politique non
conventionnelle. Ces mesures sont a priori plus efficaces dans les économies
où l’intermédiation bancaire se trouve la plus faible et où les crédits aux
ménages sont largement titrisés.
On observe que la politique d’assouplissement quantitatif au sens
strict est « tournée vers le passif du bilan »3 de la banque centrale (l’objectif
est fixé en termes d’augmentation de la base monétaire), tandis que la
politique d’assouplissement du crédit est plutôt « tournée vers l’actif du
bilan », c’est-à-dire qu’elle tend d’abord à modifier la nature des titres
composant l’actif de bilan (afin, notamment, de faciliter le refinancement
bancaire et de relancer le marché de certains titres risqués). Mais
l’assouplissement du crédit peut se traduire, in fine, par une augmentation de
l’actif et, par conséquent, du passif, débouchant de facto sur un
assouplissement quantitatif.
En réalité, compte tenu de la diversité des contextes, des objectifs
affichés et des instruments plus ou moins « exceptionnels » mobilisés par les
grandes banques centrales, les distinctions établies entre ces politiques
souffrent d’une instabilité terminologique, sinon conceptuelle, qui n’en facilite
pas la compréhension.
Leurs manifestations se recoupent largement tandis que leur
identification, reposant sur des considérations téléologiques, est forcément
sujette à interprétations. M. Bernanke, président de la Fed, a précisément
1
En outre, cette politique vise à réduire le rendement des titres publics à long terme et donc à
encourager les investisseurs à réallouer leur portefeuille en direction de titres plus risqués
(typiquement les obligations d’entreprises), améliorant par là le financement du secteur privé, y
compris les institutions financières. Mais il semble que puissent jouer à terme, en sens inverse,
des effets d’éviction dans un contexte durable d’aversion pour le risque, car le volume de titres
publics en circulation tend alors à augmenter fortement.
2
Notamment via l’élargissement des collatéraux éligibles (supra) qui, de ce point de vue, peut se
rattacher à l’ensemble des mesures exceptionnelles.
3
Voir Trésor-Eco n° 56, avril 2009.
- 41 -
1
Dans un discours, largement commenté, du 13 janvier 2009.
2
Il était prévu le rachat de 75 milliards de livres d’actifs financier, dont une proportion
importante d’emprunts d’Etat.
3
Effets de commerce.
4
Annonce le 25 novembre 2008 d’une facilité de 200 milliards de dollars pour prêter contre des
titres hypothécaires et des titres adossés à des prêts à la consommation ou aux PME (TALF).
5
Titres publics britanniques.
6
Les Covered Bonds sont des titres de dettes émis par les banques reposant sur un ensemble de
créances. Ces créances sont conservées à leur bilan et servent à garantir l’émission ainsi qu’à
rémunérer les nouveaux titres (cette opération de titrisation est donc à distinguer de celle des
ABS - Assets Backed Securities – dont l’objectif est de sortir la créance du bilan afin d’aider
l’établissement à se conformer aux exigences prudentielles formulées en termes de rapport entre
les créances et les fonds propres, et à externaliser une partie du risque).
- 42 -
1
Ce qui conduit à poser la question de l’assimilation des banques centrales, pour une partie
importante de leur bilan, aux « bad banks », (structures dédiées à l’amortissement des actifs
douteux pour contingenter les risques).
2
Effets de commerce ; l’expression désigne essentiellement les titres de créances négociables
émis par les entreprises sur le marché monétaire américain.
3
Obligations d’entreprises.
4
Assets Backed Securities.
- 43 -
1
Les opérations de refinancement, quoique réversibles, figurent aussi à l’actif du bilan, dont le
gonflement retrace donc à la fois la progression des achats fermes et l’augmentation du volant
de titres pris en pension (concernant ces derniers, on observe que la Fed avait, en termes de
création de monnaie centrale, « stérilisé », par des opérations inverses, ses injections de liquidité
jusqu’à l’automne 2008 - ce qui explique la courbe plate).
2
Crédit Agricole, « Eclairages » n° 135, septembre 2009.
3
Il serait vraisemblable qu’un constat similaire puisse être formulé lorsque les banques
centrales estimeront opportun, le cas échéant, d’inaugurer une phase de destruction monétaire et
de normaliser leurs politiques de refinancement. Depuis le début de 2009, après que la décrue
des taux interbancaires se soit confirmée, la tendance résolument haussière de la taille des
bilans de la Fed et de la BCE observée à l’automne 2008 a pris fin.
- 44 -
- aux Etats-Unis (écart en points entre le taux interbancaire à 3 mois et le taux directeur)
1
Le Troubled Asset Relief Program (TARP) a pour objectif de stabiliser le système financier
américain en achetant jusqu’à 700 milliards d’euros d’actifs douteux qui grèvent le bilan des
banques.
- 45 -
1
Combinaison de la politique monétaire et de la politique budgétaire.
2
« Thinking about liquidity trap », 1999.
- 46 -
Le graphe IS/LM
Le modèle IS-LM a été élaboré par Hicks et Hansen1 pour appréhender la vision
keynésienne du fonctionnement de l’économie dans un cadre plus large, si bien que les
interprétations dont il fait l’objet se situent parfois à rebours des idées exprimées dans la Théorie
Générale.
Phase
« classique »
Trappe à
liquidité
1
En avril 1937, John Hicks publie un intitulé « Keynes et les classiques : une interprétation
possible », dans lequel il propose le modèle IS-LM pour formaliser la Théorie Générale dans une
synthèse des analyses keynésienne et classique.
- 47 -
Les keynésiens estiment que l’équilibre spontanément atteint par les marchés ne
garantit pas le plein emploi, qui devra être recherché, le cas échéant, par le recours aux politiques
budgétaire et monétaire. Par ailleurs, il existe encore un taux d’intérêt plancher, à l’approche
duquel la demande de monnaie devient infiniment élastique (courbe LM horizontale) et par
conséquent la politique monétaire inopérante : c’est l’hypothèse de la trappe à liquidité.
A l’inverse, pour les économistes classiques, qui ne tiennent pas compte de la
thésaurisation, toute la monnaie disponible est placée (phase « classique » sur le graphe
précédent avec une courbe LM verticale) et par conséquent la politique budgétaire se trouve
inopérante.
1
Les taux réels sont devenus supérieurs au taux nominal de la Fed et supérieurs à ceux de 2003,
alors que la situation économique n’était alors pas aussi difficile.
- 48 -
Lien : http://www.apprendrelabourse.org/article-30745682.html
1
Propos tenu le 5 mars 2009, à l’occasion de la baisse de 2 % à 1,5 % du principal taux
directeur de la BCE.
- 50 -
1
Lettre de l’OFCE n° 278 du 7 décembre 2006.
- 52 -
1
En raison de l’accélération de l’inflation importée (le Brent avait atteint, en mai 2008, un pic
de 135 dollars le baril) mais en dépit des menaces croissantes sur le financement de l’économie,
la Banque centrale européenne a augmenté son principal taux directeur d’un quart de point en
juillet 2008 (après l’avoir maintenu inchangé pendant 13 mois) alors que la Fed avait
régulièrement abaissé le sien depuis septembre 2007.
2
Certains auteurs doutent même que ce lien soit pertinent en période de faible inflation : cf.
P. De Grauwe et M. Polan, 2005 : « Is inflation always and everywhere a monetary
phenomenon ? », Scandanivian Journal of Economics 107(2) p. 239-259.
- 53 -
Source : COE-REXECODE
6%
5%
4%
BCE
3%
Fed
2%
Banque
1% d'Angleterre
0%
juil.-07
juil.-08
mars-07
sept.-07
nov.-07
mars-08
sept.-08
nov.-08
juil.-09
mars-09
sept.-09
janv.-07
mai-07
janv.-08
mai-08
janv.-09
mai-09
Source : Sénat, service des études économiques
1
TAUX DIRECTEURS RÉELS
1
Déflatés par l’indice des prix à la consommation.
- 55 -
1
Natixis, Flash marchés n° 46, 26 janvier 2009.
2
Le Monde.fr, 13 septembre 2006.
- 56 -
Source : OFCE
Puis à partir des années 2000, il semble qu’à son tour, la zone euro
dans son ensemble ait été privée d’un soutien suffisamment actif de la
politique monétaire (cf. graphe supra « Taux directeurs réels ») pour engager
une stratégie de croissance autonome à long terme. Pourtant, ce soutien serait
apparu d’autant plus important que les politiques budgétaires y sont
contraintes par le pacte de stabilité et de croissance1.
D’une façon générale, l’orientation des politiques économiques vers
un objectif de forte croissance est de nature à améliorer les perspectives de
débouchés, qui conditionnent l’investissement et l’innovation et, par
conséquent, l’accélération de l’activité dans un cercle vertueux de croissance
endogène.
1
Son application est centrée sur deux seuils budgétaires à ne pas dépasser :3 % du PIB de déficit
public et 60 % du PIB de dette publique.
- 57 -
20%
Croissance annuelle en glissement
15%
M3-M1
10%
M1
5%
0%
janv-96
janv-97
janv-98
janv-99
janv-00
janv-01
janv-02
janv-03
janv-04
janv-05
janv-06
janv-07
janv-08
janv-09
-5%
Source : Sénat – service des études économiques, données Banque centrale européenne
1
Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2009.
- 59 -
1
Voir « Pour une régulation macro-prudentielle » note en date 28 avril 2009, par Laurence
Scialom ; lien : http://www.tnova.fr/images/stories/publications/notes/113-macro.pdf.
2
Voir colloque organisé par le CEPII, « L’économie mondiale 2010 », 16 septembre 2009.
- 60 -
Source : Projet de loi de finances pour 2005, tome 1 du Rapport économique, social et financier
- 61 -
Cette stabilité suppose que le solde primaire1 vérifie la condition figurant dans
l’encadré ci-dessus. Le « solde primaire stabilisant » augmente ainsi avec le volume de
la dette et les taux d’intérêt, mais il diminue avec le taux de croissance. Plus la
croissance est forte, plus on peut stabiliser l’endettement malgré des déficits budgétaires
élevés.
Si le taux de croissance est supérieur aux taux d’intérêt, l’endettement peut
même se stabiliser en présence de déficits primaires.
En revanche, si les taux d’intérêt sont supérieurs à la croissance, le volume de
l’endettement public peut augmenter alors même que le solde primaire serait en
excédent.
Si les taux d’intérêts excèdent nettement le taux de croissance et si, par
ailleurs, le niveau de l’endettement est intrinsèquement fort, une stabilisation à ce niveau
peut alors impliquer de réaliser des excédents primaires très élevés, ressortant comme
peu réaliste compte tenu des variables qui déterminent la dépense publique.
Il faut alors accepter que, transitoirement, l’endettement s’accroisse. Mais le
niveau du solde primaire stabilisant2 augmente alors pour l’année suivante, ce qui peut
engendrer, compte tenu de la rigidité de la dépense, un endettement encore plus
important, et ainsi de suite : c’est l’« effet boule de neige » de la dette publique.
La question de la soutenabilité du niveau de la dette doit être également
évaluée au regard des risques engendrés par l’évolution spontanée des taux d’intérêt et
de la croissance. Plus le ratio endettement/PIB est élevé, plus sa stabilisation peut exiger
une augmentation rapide - et difficile - du solde primaire face aux facteurs de
dégradation du ratio d’endettement public que sont la hausse des taux d’intérêt ou la
baisse du taux de croissance -facteurs en partie exogènes.
La maîtrise du taux d’endettement suppose donc de ne pas dépasser un
certain niveau du ratio dette/PIB. Son évaluation comporte cependant une grande
part de subjectivité3.
1
Solde budgétaire hors service de la dette.
2
Il importe alors que l’écart entre le solde effectif et le solde stabilisant se réduise.
3
C’est ce type de condition qu’impose le pacte de stabilité et de croissance qui encadre la
pratique des politiques budgétaires en Europe, et en particulier le seuil de 3 points de PIB pour
les déficits et le plafond de 60 points de PIB pour la dette. Ces contraintes sont cohérentes avec
une croissance potentielle de 3 % et une inflation de 2 %. Sous ces conditions, la règle des
3 points de PIB garantit la stabilité du ratio de dette publique en proportion du PIB.
- 62 -
1
Certains observateurs considèrent qu’un phénomène de bulle de la dette publique est avéré
pour les titres de l’Etat fédéral américain, massivement détenus par les fonds souverains, qui
continuent à les acquérir, sans quoi leur valeur diminuerait, ce qui obérerait mécaniquement la
valeur de leurs actifs.
- 63 -
1
Voire recourir au financement monétaire de la dette par achat direct de titres publics
(« quantitative easing ») évoqué plus haut.
2
Étude en date du 2 juillet 2009. Voir Le Monde du 1er septembre 2009.
3
Voir par exemple le Bulletin des Études Économiques de BNP PARIBAS, juillet-août 2009, par
Philippe d’Arvisenet : « Il n’est (…) pas évident qu’une baisse du ratio d’endettement, corrélatif
à une accélération de l’inflation, soit réalisable dans une économie ouverte caractérisée par un
marché obligataire très internationalisé (les émissions souveraines sont en quasi-totalité
souscrites par des investisseurs institutionnels très sensibles à l’inflation, la moitié des encours
d’obligations d’Etat sont détenus par les non-résidents aussi bien aux Etats-Unis qu’en France).
Dans pareil contexte, le risque inflationniste se paierait par une hausse des taux d’intérêt
supérieure au surcroît d’inflation, car incluant une prime de risque inflationniste. L’espoir d’un
recul du ratio d’endettement par l’inflation pourrait, dans de telles conditions, se révéler vain.
En outre, les systèmes de pensions ont largement investi en titres d’Etat. Enfin, les
gouvernements ont émis des montants non négligeables d’obligations indexées sur l’inflation ».