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l'enjeu mémoriel,
c'est la
colonisation !

Les gestes mémoriels d’'Emmanuel Macron, premier

président né après la guerre d'Algérie, se sont
multipliés. Suffiront-ils à apaiser les blessures
des deux côtés de la Méditerranée ? Les réponses
d’historiens, d'écrivains et de sociologues.

ujourd’hui quandije parle à mes amis
aÀ \ français des méfaits de la colonisa-
tion, je sens parfois un léger ennui
dans leur regard. Comme s'ils se
GUILLAUME SOUVANT/AFP — DR
la cour d'Alger à la fin des années 1970, directrice
des droits des femmes à l'Unesco, elle est une
figure du paysage intellectuel algérien. Dans son
dernier livre, La tristesse est un mur entre deux jar-

A disaient: Ah oui. vous en êtes
À. encore là... » Wassyla Tamzali,
assise dans un petit café du quartier du Marais, à
Paris, finit son SMS avant d’entamer la conversa-
tion. À 80 ans passés, elle manie avec dextérité
emoji et pensée décoloniale. Ancienne avocate à
dins, elle dialogue de manière directe et amicale
avec l’historienne Michelle Perrot. D’une voix
claire, elle reprend : « J'ai 81 ans. C’est seulement
maintenant, beaucoup plus qu’en 1962, que je
prends la mesure de ce qui a été commis. La coloni-
sation, c'est l'irréparable.… »

| |
|
Jean-François I a notamment publié | israéliens et palestiniens | |
Mondot Journal d'un prof de (Stock, 2006) Î d

Journaliste et écrivain banlieue (J'ai lu, 2002) ; et Imams de France | |

Une Bible pour deux (Stock, 2009). }
mémoires. Archéologues _ À 4

L'HISTOIRE COLLECTION N°95 117

 Le 20 septembre 2021 Bornia Tarall, fille de harki, est élévée au grade de chevalier de l’ordre national
du Mérite par Emmanuel Macron. Lors de sa prise de parole, le président français demande « pardon »
aux harkis et annonce la création d'un projet de loi de « reconnaissance et de réparation ».
Soïixante ans nous séparent de l'indépendance
de l'Algérie. Ceux qui avaient 25 ans en 1962 sont
désormais octogénaires. Une génération s’efface,
pas ses blessures ni ses interrogations ou ses com-
bats. Réfléchir sur la guerre d'Algérie suppose
désormais de se pencher sur la transmission des
mémoires. Peut-on soigner, atténuer ou apaiser
« l’irréparable » ? En tout cas, le président de la
République a jugé que le temps d’agir était venu.
En juillet 2020 Emmanuel Macron a commandé à
l'historien Benjamin Stora un rapport sur les «ques-
tions mémorielles portant sur la colonisation et la
guerre d'Algérie». Dans sa lettre de mission, il pré-
cisait : « Je souhaite m'inscrire dans une volonté
nouvelle de réconciliation des peuples français et
algérien. »
Quelques mois plus tard, en janvier 2021,
Benjamin Stora rendait son rapport. Ilse concluait
par 22 préconisations de natures très diverses : de
l'entrée de Gisèle Halimi au Panthéon à la recon-
naissance des camps d’internement des harkis
comme lieu de mémoire, en passant par l'ouverture,
quinze ans en avance, des archives de sûreté, l’éva-
luation des conséquences des 17 essais nucléaires
français dans le Sahara jusqu’en 1967. Depuisun
an, ses conclusions et ses préconisations ont été
abondamment commentées, débattues, soupesées.
118 L'HISTOIRE COLLECTION N°95
Benjamin Stora n’a pas été épargné. Une partie de
la presse algérienne n’a retenu de son rapport que
l'absence d’excuses. Certains spécialistes ont
regretté l’absence d’un discours sur les crimes de
la colonisation, d’autres ont questionné la notion
de réconciliation (au détriment de la justice, selon
l'historien Noureddine Amara). Tandis que d’autres
estiment qu'il fallait s'appuyer sur ses propositions,
comme l'historien Gilles Manceron. Au téléphone,
Benjamin Stora ne se montre guère surpris par ces
critiques : «En matière derelationsfranco-algériennes,
je ne connais pas de propositions consensuelles. » Sa
stratégie était soigneusement mûrie : « J'ai voulu
présenter des préconisations concrètes pour faire
avancer les choses. Et c’estce qu'ils’estpassé. Les lignes
ont bougé. Je parle ici de réalisations effectives : la
reconnaissance de l'assassinat d'Ali Boumendjel, la
reconnaissance de celui de Maurice Audin, la recon-
naissance du 17 octobre 1961 désigné pour la pre-
mière fois comme un crime, ce sont autant d'exemples
concrets qui mettent à nu la réalité du système colo-
GONZALO FUENTES/POOL/AFP
nial. » Il assume son cap pragmatique : « On peut
faire autant de grands discours que l’on veut-ily en
a déjà eu beaucoup. Ilexiste un telincendiemémoriel
LAHCENE ABIB
que cela ne suffira pas. Il faut des discours, mais aussi
des actes, des symboles, et se mettre en mouvement
sur toutes ces questions. »
 Émis
Après 1962 de nombreux monuments aux morts, qui célèbrent l'indépendance, sont érigés
en Algérie, comme cette céramique à Ouled Fayet dans la banlieue d'Alger. Ces monuments
glorifient le sacrifice des « martyrs » qui ont donné leur vie pour la libération du pays.
«Un incendie mémoriel » … L'expression revient,
dans sa bouche et dans ses livres (parfois opposée à
une autre formule, «les eaux glacées de l'oubli»). Qui
sont, en France, les brûlés de cette mémoire avec
l'Algérie ? Combien sont-ils ? Benjamin Stora, dans
son rapport, évalue le nombre de personnes affecti-
vement reliées à la guerre d'Algérie : 1,5 million d’ap-
pelés du contingent, 1 million d’Européens ayant
quitté l'Algérie, 1 million d’Algériens ayant quitté le
sol natal. En comptant les enfants (1,5 enfant par
personne), Stora arrive à 7 millions de personnes,
c’est-à-dire 10 % de la population française.
Le rapport aux grands-parents
Cette inclusion des enfants dans la liste est presque
un acquis de la recherche. Les ouvrages d'Henry
Rousso sur Vichy ont mis en évidence, dans les
familles percutées par les grandes tragédies histo-
riques, la séquence traumatisme-refoulement-résur-
gence. Et montré que la deuxième génération était
celle de la libération de la parole (et des revendica-
tions). L'historienne Naïma Huber-Yahi témoigne
de ce processus, observéausein desaproprefamille.
NéeàTourcoingen 1977, filledeparentsalgériens,
LAHCENE ABIB
son travail porte sur l’histoire culturelle de
Timmigration maghrébine (« La seule fois où mes
parents m'ont aidée à faire mes devoirs, c'était pour
mon doctorat»). Son père, proche des milieux FLN,
ne lui a pas raconté sa guerre : «Je pense qu’il n'ar-
rivait pas à penser ensemble le geste héroïque de l’in-
dépendance et le fait d’être réduit àune main-d'œuvre
de basse qualité, sous-payé, soumis à une menace d’ex-
pulsion en cas de trouble à l’ordre public. ne pouvait
pas parler. » Comment at-elle pris connaissance de
l'existence d’une guerre entre le pays de ses parents
etson pays de naissance ? «Un jour, à l'école, un élève
m'a demandé : demain, s’il y a une guerre entre la
France et l'Algérie, tu choisis quel camp ? »
La première génération serre les dents, la deu-
xième prend la parole. Comment, vis-à-vis de la
guerre d'Algérie, se comporte la troisième ? Le jeune
sociologue Paul Max Morin a voulu répondre à cette
question, devenue son sujet de thèsel., Son enquête
porte sur un échantillon de 3000 jeunes âgés de 18
à 25 ans. « On entend souvent dans l’espace public
l'idée que les descendants de familles algériennes
ressentiraient un problème particulier à l'égard de la
guerre d'Algérie. Ce n’est pas ce que j'observe. Pour
eux, comme d’ailleurs pour les descen-
dants de pieds-noirs ou d’appelés, cette NOTE
histoireestavanttout d'ordre intime. Ce 1.PM. Morin,
qu’ils’yjoue, c'estlerapportauxgrands- LeS Jeunes et la
guerre d'Algérie,
parents. Ils en retiennent un héritage à paraître aux PUF
affectif plus que politique : des noms de en mars 2022.
L'HISTOIRE COLLECTION N°95 119
Les descendants
de familles L'embrasement d’une mémoire, comme deux

immigrées silex qui s’entrechoquent, naît du frottement du

passé contre le présent. La charge affective d’un
sujet comme l'Algérie est donc susceptible d’être
originaires du réactivée en fonction du contexte. Or, celui-ci est
chauffé à blanc autour de l’idée nationale. Une par-

Maghreb tie de la population, les descendants de familles

réclament «une
place sur la
photo de famille »
villes algériennes, des traditions culinaires, des fêtes.
Si leurs grands-parents souffrent encore de ce qu’ils
ont vécu au moment de la guerre d'Algérie, ils sont
spectateurs de leur douleur mais n’en sont pas por-
teurs. » Il relève cependant que la problématique
algérienne peut en rattraper certains dans un
second temps : «Tout simplement parce que la guerre
d'Algérie s'impose aux plus politisés d’entre eux à
cause desaplace dans l'espace public. La confrontation
avecleracisme, que 60 % d’entreeux affirment avoir
subie au moins une fois dans leur vie, peut contribuer
à les sensibiliser à cette question. »
immigrées originaires du Maghreb, réclame «une
place sur la photo de famille », comme le résume
Naïma Huber-Yahi. Certains voient dans cette
revendication une forme de menace. Entre les deux,
le torchon brûle, et la guerre d'Algérie est réguliè-
rement au cœur du brasier. Le 5 février 2022,
l'œuvre d’art rendant hommage à l’émir Abd el-
Kader (1808-1883) a été dégradée avant son
inauguration à Amboise. Un vandalisme mémoriel
qui témoigne de l’intensité des haïines et de leur
cécité. Résistant algérien à la conquête française
entre 1833 et 1847, Abd el-Kader fut également
un pionnier du dialogue interreligieux. Un signe
de plus qu'aujourd'hui, dans le débat public, la
colonisation est désormais aussi incandescente que
la guerre d'indépendance elle-même.
Un crime contre l'humanité ?
Le nombre de ceux que cette histoire mobilise est
doncincalculable, avec des sensibilités et des affec-
tivités variées. Un tissu associatif actif réunit un cer-
tain nombre de ceux qui (notamment dans la
première ou la deuxième génération) restent mar-
qués par les séquelles de cette histoire. Ainsi du
Cercle algérianiste, fondé en 1973, en ce qui
concerne les « pieds-noirs ». Ces associations
attendent énormément de l'État, et se montrent

CHRONOLOGIE
2021-2022. Une politique de réconciliation
20 janvier 2021 Remise
du rapport Stora sur « la
mémoire de la colonisation
et de la guerre d'Algérie » à
Emmanuel Macron.
2 mars 2021 La France
reconnaît l'assassinat
de l'avocat et militant
politique Ali Boumendjel
pendant la « bataille d'Alger »
en 1957.
16 octobre 2021
Commémoration des
répressions du 17 octobre
1961 au bord de la Seine.
Emmanuel Macron qualifie
ces exactions de
«crime inexcusable pour
la République ».
23 décembre 2021
Ouverture, avec quinze ans
d'avance, des archives
relatives aux affaires
judiciaires et aux enquêtes
de police, portant sur la
période comprise entre
le 1° novembre 1954 et
le 31 décembre 1966.
26 janvier 2022 Le chef de
l'État juge « impardonnable »
colon
parol
d'Em
<lla
soldai
la fusillade de la rue d'Isly de harkis mis au jour
à Alger en 1962, qui fit dans le Gard. et nu
des dizaines de victimes 15 février 2022 Le Sénat chefd
parmi les partisans de adopte un projet de loi 1954.
l'Algérie française. stipulant la reconnaissance étaien
8 février 2022 Cérémonie de la nation envers les etdea
officielle d'hommage harkis et les autres rapatriés perspe
aux morts du métro d'Algérie ainsi qu’une et à ce
Charonne. réparation financière des en situ
14 février 2022 La ministre préjudices subis par eux et L'at
déléguée chargée de la leurs familles. ration
Mémoire et des Anciens 49 mars 2022 nisati
Combattants inaugure Commémoration du coloni:
les fouilles par l'Inrap 60° anniversaire du cessez-
Éric Z
d'un cimetière d'enfants le-feu du 19 mars 1962.
quelqu

120 L'HISTOIRE COLLECTION N°95

 Des mémoires
particulièrement vigilantes à l'égard de toute parole
officielle prononcée sur la guerre d'Algérie ou la
colonisation. Mais que peut l’État face
aux incendies de la mémoire ? En février 2017,
Emmanuel Macron, alors candidat en campagne, concurrentes
n’avait pas hésité à qualifier la colonisation de
<crime contre l'humanité ». Une déclaration de rup- La diversité des monuments ancre
ture que le Cercle algérianiste ne lui a pas pardonné. sur le territoire les souvenirs
Devenu président de la République et peut-être plus
prudent, il a repris à son compte l’idée du rapport
des déchirements de la guerre.
Stora selon laquelle l'écoute et la reconnaissance
des souffrances aboutiraient à un apaisement, voire
une réconciliation. Cela met le président dans le
rôle (valorisant) d’un juge de paix-thérapeute, avec
au passage la perspective de substantielles retom-
bées électorales. Les gestes mémoriels du premier
président né après la guerre d'Algérie se sont depuis & Rouen
multipliés : le 20 septembre 2021, il demandait
Paris <<
«< pardon » aux harkis, le 26 janvier 2022, il faisait © Brest
un geste vers les « pieds-noirs » en déclarant que la Mémorial national du quai Braniy
fusillade de la rue d’Isly était «impardonnable pour
la République ». « Les lignes bougent », comme le & Amboise
répète Benjamin Stora, à un rythme qui donne par-
fois un peu le tournis.|Y at-il vraiment un apaise-
ment possible au bout de cette voie ?
Giulia Fabbiano, codirectrice, avec Abderahmen Lyon
Moumen, d’Algérie coloniale. Traces, mémoires, et d
transmissions (à paraître au Cavalier bleu en Largentière

mars 2022), a un avis acéré sur la question. Mémorial de Montredon-Labessonnié

Anthropologue, spécialiste des héritages de la déco-
lonisation sur les identités et les mémoires collec-
tives, en particulier celle des harkis, elle porte un Rivesaltes
e
regard critique sur cet Étatréconciliateur à tout prix : a
Marseille Tujon
Perpignan —&
« Le problème n’est pas d’apaiser, mais de rétablir un
Port-Vendres
fait historique, à savoir lareconnaissance de l'injustice
coloniale. Et de l'intégrer dans le récit national par la
[5x Importante population des anticolonialistes
parole officielle de l'État. » Or, selon elle, le discours rapatriée 11-Plusieurs stèles,
d’'Emmanuel Macron aux harkis manque l'essentiel: © Mémorial national monuments ou plaques
« Il a entériné la légende des harkis comme fidèles Musée ou lieu de mémoire : commémoratives
soldats de la patrie. Or, leur vécuest bien plus complexe © des Français d'Algérie © des anciens combattants
12-Musée de l'Armée d'Afrique
et nuancé, Certains se sont engagés par fidélité à un 1-Mémorial des rapatriés d'Algérie
13-Monument pour les soldats morts
2-Conservatoire national de
chefde clan, et n'avaient jamais vu de Français avant la mémoire des Français d'Afrique
en Afrique du Nord
1954. Il aurait donc fallu reconnaître que les harkis du Nord 14-Maison départementale Algérie-
étaient les produits de la situation coloniale. Dire cela, 3-Mémorial national des disparus Maroc-Tunisie en hommage
aux soldats morts
et de cette façon, aurait permis de mettre les chosesen © des harkis
4-Mémorial du camp de Rivesaltes
$ Monument rapporté
perspective et de rendre hommage à tous ces hommes 5-Maison d'histoire et de mémoire
d'Algérie par les rapatriés
et à ces femmes qui ont été bannis par la République, 6-Plaque à la mémoire des harkis
15-Monument Sidi-Brahim
16-Monument aux morts d'Oran
en situation coloniale et postcoloniale. » © de l'OAS (Organisation
armée secrète)
<© Monument pris par les
L'atmosphère actuelle, où reviennent des décla- Français en 1830
7-Mémorial des rapatriés
rations de plus en plus décomplexées sur la colo- 8-Mémorial Notre-Dame d'Afrique
17-Canon Baba Merzoug, demande
nisation de l'Algérie (« L'Algérie, avant la de restitution de la part de l'Algérie
9-Monument aux martyrs de l'Algérie
© Autre
colonisation française, c'était un cloaque », assène française
18-Stèle d'hommage à Abd el-Kader
Éric Zemmour en 2019), a changé. « Depuis 10-Stèle des fusillés de l'Algérie
française 200 km
quelques années on est en retrait. La société ne se Légendes Cartographie

L'HISTOIRE COLLECTION N°95 121

 mobilise pas sur ces questions. Vous avez senti une
mobilisation pour l'entrée de Gisèle Halimi au
Panthéon ou pour l'indemnisation des victimes des
essais nucléaires au Sahara ? Il n’y en a pas »,
constate Benjamin Stora.
Vu de l’autre rive, comment résonnent ces ques-
tions mémorielles ? « Le rapport Stora a provoqué
de vifs débats cheznous aussi, même s’il a étéressenti
comme destiné d’abord et avant tout à la société
française », constate Amar Mohand-Amer, né en
1967, historienrattaché au Centre de rechercheen
anthropologie sociale et culturelle (Crasc) d'Oran,
séjournant à Nantes pour consulter les archives
diplomatiques nécessaires à son prochain livre.
« L’un des points qui m'a personnellement intéressé
concerne l'attribution de bourses et de visas pour une
dizaine de jeunes chercheurs algériens. Actuellement,
ils n'arrivent plus à venir en France. Ils n'ont pas de
visa, pas de financement. Beaucoup se tournent vers
| les études ottomanes, faute de maîtriser la langue
française. Je vois le risque, pour l'avenir, d’une his-
toire de la colonisation et de la guerre d'indépendance |
qui ne serait plus écrite par les Algériens. »
Deux générations, deux regards
La guerre d'indépendance représente-t-elleencore
une brûlure pour les générations nées après l’in-
dépendance ? Adlène Meddi, né en 1973,roman-
| cier (auteur du roman 1994, polar sur les années
| islamistes, paru chez Rivages Noir, etsaluéparla
| critique) et journaliste (ancien rédacteur en chef
d'El Watan), jette un regard distancié sur les cré-
| pitements polémiques qui traversent la société
| française. Par exemple, le débatsurlesexcusesou
| cor
la repentance : «Je ressens un décalage. J'ai par-
fois l'impression que la communauté algérienne ou
franco-algérienne en France vit avant 1962, etnous
après. Pour dire les choses un peu brutalement, ici,
en Algérie, nous avons réglé le problème avec la
France. On amené une guerre contre le système colo-
nial, on s’en est débarrassés, et on est devenus indé-
pendants. Personne ne demande de repentance ici.
Les Algériens ont été victorieux, pourquoi exige-
raient-ils le pardon ? » « Je ne suis pas un décolo-
nisé » résume aussi le journaliste et romancier
Kamel Daoud, né en 1970.
Deux générations, deux regards. Wassyla Tamzali
asuiviattentivement les questions mémorielles dis-
cutées dans l’espace public. « Le véritable enjeu de
tous ces débats, selon moi, est que la sociétéfrançaise
ne se résout pas à une sortie radicale et nécessaire de
la colonisation. » Quel geste attendrait-elle ? «Je
voudrais simplement que la France reconnaisse qu’en
établissant deux catégories d'hommes, les Français g
et les indigènes, l’ordre du monde a été brisé. Je suis ac
juriste de formation, je sais l'importance d’une parole Ce
qui énonce des principes éthiques universels. Je crois le,
que beaucoup d'Algériens l’attendent, même si ce n’est Ar
pas forcément conscient. » Un apaisement est-il pos- la
sible ? «Je n'aime pas ce mot, car l’apaisement, ou la au
réconciliation, quand ils sont mal faits, ne servent en
qu'à camoufler l'oubli. » Elle préfère l’idée d’un rac- 19
commodage : «Jeressens le besoin d’une réparation sar
intérieure laissant apparaître tout ce qui a été brisé. soi
Un peu comme pour les kintsugi, ces restaurations dés
de vases japonais avec un fil d’or qui soulignent la ce:
fissure tout en la résorbant. J'aime cette image. Nos arc
identités sont faites de ces fils d’or. »m rép
con

| Dans les manuels algériens
« L'axe central des manuels
d'histoire algériens reste
| la période 1954-1962,
| avec le FLN comme unique
fer de lance de la nation
| algérienne combattant
pour sa libération »,
résume l'historien Tramor
Quemeneur, spécialiste
de l'Algérie. Après
l'indépendance, les
gouvernements algériens
se sont définis comme les
héritiers du FLN. D'où une
vision idéologique figée
de la guerre dans les
manuels avec l'exaltation
d’un peuple unanime
(« un seul héros, le peuple »),
la sanctification des
combattants tués durant
la guerre (chiffre officiel
constamment martelé :
1,5 million de morts)
érigés au rang de martyrs.
Cette histoire binaire,
dispensée dès l'âge de
10-11 ans, oppose les héros
{ou les martyrs) et les
traîtres, avec parfois des
Diff
Fa
images très violentes sur encore de Fehrat Abbas, me
la dureté des combats montrant ainsi qu'il Y Emr
pendant la guerre de eut d’autres voix que celle
libération. Les harkis, s'ils du FLN. Malgré cette de c:
sont cités, ne le sont que évolution, pour laquelle des # En
pour être stigmatisés et il historiens critiques comme déjà
n'est rien dit de la manière Abdelmadjid Merdaci et histo
dont ils sont parfois enrôlés. d’autres ont joué un rôle ind
Des évolutions eurent lieu important, le roman national déro;
dans les années 1980 et algérien reste unanimiste, acces
au début des années 2000, minorant toute diversité & étudi
avec notamment politique ou culturelle. $ Ellep
l'introduction du nom Z dere
de Messali Hadj, fondateur ë L'ouv
du nationalisme algérien, ou Ë du _

122 L'HISTOIRE COLLECTION N°95

 ÉlistoireCOLLECTION - N°95

TRAGÉDI
ALGÉRIE
1830-2022,

LA COLONISATION
EN PROCES

LES JUIFS, DES ALGÉRIENS

(PAS) COMME LES AUTRES
UNE SOCIÉTÉ D'APARTHEID ?

GUERRE
D'INDÉPENDANCE
DE SÉTIF À
LA BATAILLE D’ALGER

1962. DANS LE CHAOS

D'UN PAYS-FOURMILIÈRE

LES ISLAMISTES, LES GÉNÉRAUX

ET LA GUERRE CIVILE

UNE MÉMOIRE
ENFIN APAISÉE ?
 RAT
magazine-livre
des'passionnés
Les meilleurs historiens retracent ici le temps
d'histoire
long de l'Algérie : les violences de la conquête
et du régime colonial, les huit ans d’une guerre
qui déchira tous les camps, maïs aussi les
drames qui ont suivi indépendance en 1962.
Raccommoder les mémoires implique de
regarder en face cette histoire partagée.

Avec
Fatima Besnaci-Lancou, membre du conseil scientifique du mémorial de Rivesaltes
Hélène Blais, École normale supérieure de Paris
Emmanuel Blanchard, université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Raphaëlle Branche, université de Nanterre
Pierre Darmon, ancien directeur de recherche au CNRS
Didier Guignard, CNRS, Institut de recherches et d'études sur les mondes arabes
Anaïs Kien, France Culture
Jean-François Mondot, journaliste et écrivain
M’hamed Oualdi, Sciences Po Paris
Guy Pervillé, professeur émérite à l’université Toulouse-Il-Jean-Jaurès
Jean-Pierre Peyroulou, professeur agrégé et docteur en histoire
Malika Rahal, CNRS, directrice de l’Institut d'histoire du temps présent
Carole Reynaud-Paligot, universités de Bourgogne et Paris-l
Benjamin Stora, université Paris-XII|
Christelle Taraud, NYU Paris
Sylvie Thénault, CNRS
Tassadit Yacine, anthropologue

L13472-95H-F: 8,90
€ -RD
A1110.60 € - Bel 9.60 € - Lux 9.60 € - Italie 9,60€ - e e
Esp 9.60€ - Grèce 9.60€ - Port port-con 9.60€ -

Canada 14.50 $CAN - Mar 91 MAD - Tun 12.80 TND COLLECTION