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4 | international JEUDI 25 AOÛT 2022

FRANCE­ALGÉRIE

L
a mémoire est sélec­
tive par nature. Pre­
nez la relation à l’Algé­
rie d’Emmanuel Ma­
cron, qui se déplace à
Alger et à Oran du
25 au 27 août. De ce côté­ci de la
Méditerranée, les plus distraits
(ou les plus roués) ne retiennent
bien souvent que les propos te­
nus, le 15 février 2017, à Alger, par
celui qui était alors candidat à la
présidence de la République : la
colonisation est « un crime contre
l’humanité ». « C’est une vraie bar­
barie. Et ça fait partie de ce passé
que nous devons regarder en face,
en présentant nos excuses à l’égard
de celles et ceux envers lesquels
nous avons commis ces gestes »,
assurait alors l’ancien ministre de
l’économie, dans un entretien à la
chaîne Echorouk TV.
Le tollé en France est tel que
l’épisode représente, aujourd’hui
encore, un traumatisme pour
celui qui est devenu par la suite
chef de l’Etat, rapportent ses pro­
ches. Le mea culpa n’étant pas le
fort des responsables politiques,
l’intéressé n’a jamais ravalé son
propos, sans pour autant se ris­
quer à réitérer une telle « position
philosophique », comme dit l’Ely­
sée dans un euphémisme.
De l’autre côté de la mare nos­
trum (où les distraits et les roués
ne manquent pas non plus), ce cri
du cœur a été mis au second plan
au profit d’une autre déclaration,
tenue à Paris cette fois, le 30 sep­
tembre 2021, devant dix­huit jeu­
nes dont les familles ont toutes
vécu la guerre d’Algérie. M. Ma­
cron évoquait lors de cette ren­
contre un « système politico­mili­
taire » algérien qui se serait cons­
truit sur une « rente mémorielle »
et une « haine de la France ». Et le
président d’ajouter sur un mode
faussement ingénu : « Est­ce qu’il
y avait une nation algérienne
avant la colonisation française ?
Ça, c’est la question. »

OPINION PUBLIQUE MEURTRIE


Saillie mûrement pensée ? Gaffe
d’un adepte du parler vrai trans­
gressif dont les angles morts psy­
chologiques ont déjà causé des
Macron et l’Algérie, une
dégâts ? Le fait est que la crise
éclate, virulente, terriblement
amère, à la suite de la publication
de l’article du Monde rapportant
ces propos. Si l’opinion publique
longue histoire contrariée
en Algérie pouvait accepter la ré­
férence au « système politico­mili­
En « visite officielle et d’amitié » du 25 au 27 août, le président français
taire » – cible des manifestants du
Hirak –, elle est meurtrie par l’in­
veut relancer une relation émaillée par les crises dans le passé
terrogation sur « l’existence » de la
nation algérienne.
Le président français offre ainsi Et interdit le survol de son espace L’ambassadeur algérien a re­ A ceux qui nourrissent une parmi les conseillers de M. Ma­
une occasion de rêve au régime al­ aérien aux avions français ravi­ trouvé son poste à Paris. Le ciel LE PRÉSIDENT FRANÇAIS  « haine de soi » ou de la Républi­ cron. Au sein du palais de l’Elysée
gérien de ressouder les liens avec taillant les forces impliquées algérien s’est de nouveau ouvert RISQUE FORT DE BUTER  que, « revisitent leur identité par (et en dehors), certains recom­
sa population dans une commu­ dans l’opération « Barkhane » au aux avions militaires français un discours postcolonial ou anti­ mandent de ne pas s’appesantir
nion patriotique soigneusement Mali. La crise entre les deux capi­ effectuant des rotations au Sahel. SUR DES INVARIANTS DE  colonial » du fait des « traumatis­ trop longtemps sur ce que la
orchestrée. « M. Macron a blessé la tales est la plus acrimonieuse de­ M. Tebboune a félicité M. Macron mes » de l’histoire, estime Emma­ droite et l’extrême droite quali­
dignité des Algériens, nous n’étions puis quinze ans. La dernière se­ pour sa réélection et les deux LA RELATION BILATÉRALE,  nuel Macron. « La guerre d’Algérie fient de « repentance » mémo­
pas un peuple de sous­hommes (…) cousse bilatérale remontait à fé­ chefs d’Etat ont renoué avec leurs en fait partie et, au fond, toute rielle. L’élection présidentielle de
avant que les Français viennent », vrier 2005, quand la majorité de communications téléphoniques
AU PREMIER RANG  cette période de notre histoire est 2022 approche ; il est temps de
tonne, dans un entretien à l’heb­ droite à l’Assemblée nationale d’avant la crise. Alger joue sur du DESQUELS FIGURE LA  revue comme à rebours, parce que rééquilibrer la balance.
domadaire allemand Der Spiegel, avait voté une loi contenant le fa­ velours, fort de sa nouvelle sta­ nous n’avons jamais déplié les cho­
le 9 novembre, le président Abdel­ meux article controversé sur le ture géopolitique d’Etat gazier QUESTION MIGRATOIRE ses nous­mêmes », explique­t­il, « MÉMOIRE COMMUNE »
madjid Tebboune, qui dénonce « rôle positif de la présence fran­ courtisé par les Européens dans le en octobre 2020, dans son dis­ Une nouvelle ligne émerge : celle
des propos « très graves ». Un an çaise en Afrique du Nord ». Deux contexte de la guerre en Ukraine. cours des Mureaux (Yvelines) con­ d’une « mémoire apaisée, parta­
plus tôt, ce même M. Tebboune ans plus tôt, Jacques Chirac avait Et, à Paris, le rétablissement du la responsabilité de la France sacré au « séparatisme islamiste ». gée, commune ». En clair, qui inclu­
louait les qualités de son homolo­ effectué une visite triomphale à régime sur ses assises après la dans la rafle du Vél’d’Hiv. « Son sentiment, que je partage, rait aussi les harkis et les rapatriés,
gue, qui « appartient à une nou­ Alger, riche en promesses d’un grand­peur du Hirak évacue un Un premier geste était inter­ c’est que la réponse politique ap­ jusque­là oubliés de la geste prési­
velle génération » et « n’a jamais futur « traité d’amitié ». obstacle, celui qui avait inhibé la venu en septembre 2018. Le prési­ portée à cette génération perdue dentielle. En septembre 2021,
été en accointance avec les lobbys L’histoire semble se répéter. Les relation bilatérale en 2019 : ren­ dent de la République avait alors entre deux pays, deux cultures, a Emmanuel Macron demande
antialgériens ». C’est dire la gravité deux épisodes illustrent la volati­ dre visite à M. Tebboune n’expose reconnu la responsabilité de été sociale, mais qu’elle n’est pas « pardon » aux harkis, au nom de
de l’épisode. lité de la relation franco­algé­ plus au risque d’être conspué par l’Etat dans l’assassinat durant la suffisante, décrypte son ancienne l’Etat, pour les avoir abandonnés
En cet automne 2021, l’heure est rienne chargée d’une émotion in­ une rue rebelle et prompte à dé­ bataille d’Alger (1957) de Maurice plume et ex­conseiller mémoire, après­guerre. Trois semaines plus
aux représailles diplomatiques. candescente nourrissant sans re­ noncer les arrangements occultes Audin, militant du Parti commu­ Sylvain Fort, acteur­clé du dossier tard, il qualifie de « crimes inexcu­
Alger rappelle son ambassadeur. lâche des cycles d’embellie et de entre la nomenklatura d’Alger et niste algérien. Puis, l’Elysée avait Maurice Audin. Elle doit être cul­ sables pour la République » la tue­
dépression. D’autant que l’affaire l’ancien tuteur colonial. commandé un rapport à l’histo­ turelle, mémorielle. Le fait d’ap­ rie de manifestants algériens
mémorielle n’est qu’un paramè­ rien Benjamin Stora afin de « dé­ partenir à une génération qui n’est commise le 17 octobre 1961 à Paris
tre d’une équation complexe où ABSENCE DE RÉCIPROCITÉ plier » la guerre d’Algérie dans pas partie prenante d’un certain sous l’autorité de Maurice Papon,
SA JEUNESSE  se marchandent soutien politi­ Cela signifie­t­il que le président toute sa complexité, selon une nombre des plaies nationales le alors préfet de police. Puis, rece­
que au régime, contrats commer­ français va pouvoir reprendre le expression qu’affectionne Em­ rend capable, sur beaucoup de su­ vant en janvier les associations de
EN BANDOULIÈRE,  ciaux, intérêts stratégiques régio­ cours de sa politique mémorielle manuel Macron. Le rapport Stora, jets mémoriels, de poser un regard rapatriés à l’Elysée, il tient pour un
naux (Sahel, Libye, Maroc) et, dos­ contrariée par les récentes turbu­ remis en janvier 2021, proposait plus historique qu’émotionnel. » « massacre impardonnable » la
EMMANUEL MACRON  sier très sensible du point de vue lences ? Car il faut bien revenir à de dresser des « passerelles sur des Mais, très vite, l’absence de réci­ tuerie de la rue d’Isly, à Alger, où
d’Alger, le contentieux autour des cette fameuse affaire de mé­ sujets toujours sensibles » : dispa­ procité côté algérien commence à plusieurs dizaines de Français
SE FAISAIT FORT DE  visas. Entrelacs de bonnes volon­ moire, ce dossier qui lui tient tant rus de la guerre, reconnaissance agacer Paris. A Alger, le rapport d’Algérie tombèrent le
TOURNER LA PAGE  tés, de faux­semblants et d’es­ à cœur. Sa jeunesse en bandou­ d’assassinats, séquelles des essais Stora a en effet été très fraîche­ 26 mars 1962 sous les balles d’une
poirs souvent déçus, la relation lière, Emmanuel Macron, élu à nucléaires, partage des archives, ment reçu, le porte­parole du unité de l’armée. M. Macron cher­
DU PASSÉ, TEL JACQUES  tient du casse­tête permanent. 39 ans, né presque deux décen­ coopération éditoriale, réhabili­ gouvernement algérien dénon­ che à établir une parité entre tou­
Aussi est­il difficile de prédire nies après la fin du conflit algé­ tation de figures historiques… çant un document plaçant « sur tes les mémoires blessées, au ris­
CHIRAC, QUI AFFRONTA  que l’apaisement qui a suivi la rien, se faisait fort de tourner la L’objectif affiché n’était pas tant un pied d’égalité la victime et le que de diluer ce que fut la respon­
LES DÉMONS  tempête sera durable. Chacun page du passé, tel Jacques Chirac de satisfaire Alger (même si cela bourreau ». « La main est toujours sabilité du contexte colonial.
affecte de se satisfaire de la séré­ qui affronta les démons du ré­ ne gâche rien) que de parler aux tendue, le président attend que « Le chef de l’Etat souhaite cal­
DU RÉGIME DE VICHY nité retrouvée ces derniers mois. gime de Vichy en reconnaissant Français d’ascendance algérienne. quelqu’un la prenne », entend­on mer des mémoires rivales, avoir un

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