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France-Algérie 

: que faire si on arrête la guerre ?


ANALYSE. L’écrivain a lu le rapport remis par l’historien Benjamin Stora à Emmanuel
Macron sur la colonisation et la guerre d’Algérie.

Par Kamel Daoud

« C'est un homme sans histoire », conclut, lors d'un aparté avec le chroniqueur, un célèbre
académicien à propos de Macron. Comprendre : c'est un enfant des Indépendances, pas des
colonisations. Et ce n'est pas plus mal. Voilà donc un président qui ne subit pas le poids de
l'Histoire, ce qui à la fois le libère des précautions et des hésitations pour traiter la question de
la colonisation, mais aussi du piège d'une position trop technicienne, presque sans empathie,
face aux « communautés » que la guerre d'Algérie a enfantées : pieds-noirs, immigrés,
victimes, tortionnaires, vétérans, nationalistes ou déportés, harkis ou dépossédés.

On accuse Macron de traiter la « question » comme on le fait d'un capital-décès, de ne pas en


partager les douleurs et les blessures. Le rapport Stora, dans ses préambules, insiste d'ailleurs
sur les « ressentiments » et l'éthos des uns et des autres. Dans les deux cas cependant, Macron
restera le président qui a le plus avancé sur ce dossier de la mémoire entre la France et
l'Algérie. Celui qui a osé ou obligé à la réflexion concrète. Les raisons ? Peut-être qu'à force
de penser selon les colonnes des bénéfices et des pertes, le président français a compris ce que
des adversités ont saisi il y a des décennies : tant qu'on ne règle pas, à la lumière du jour et
selon les poids assumés des responsabilités, par un récit de l'histoire et non des sentiments, la
question « algérienne », d'autres en feront leurs fonds de commerce et leurs instruments de
guerre à la république.

Par exemple, les islamistes l'ont bien compris, autant que les communautaristes et les
identitaires : tant que l'on consolide le lien, désormais artificiel, entre la confession et la
mémoire de la colonisation, l'islam français ne sera pas français. Il sera ce qui rallie les
mémoires des victimes, et ce qui offre leur pain aux victimaires et autres indigénistes
virulents. Il a été le moyen de résistance à la colonisation ? On en fera un moyen de résistance
à la francité qui refuse son passé. Dès lors, le seul moyen de faire de cette confession un
patrimoine soumis à la loi de la république, c'est de le dissocier de son statut de propriété
exclusive des victimaires et de raconter l'histoire réelle.

Avocats du diable

« Vous ne pouvez pas être français, car vous êtes musulmans et vous êtes musulmans parce
que vous êtes victimes de la colonisation, et c'est l'islam qui vous a préservés de l'effacement.
Voilà l'idée-force des avocats du diable. Régler la question de la mémoire, c'est donc couper
ce lien, le dissoudre dans le texte de la loi et les bancs des institutions. Il en naîtra un islam de
France et une histoire française mieux partagés. C'est douloureux, blessant pour l'orgueil,
toujours insuffisant comme justice, mais vital.

Par ailleurs, Macron semble avoir bien déchiffré que cette « question coloniale » sans
réponses assumées a un effet domino sur le repli identitaire, le communautarisme, le
séparatisme, le lobbyisme d'États tiers ou la guerre faite à la France par l'internationale
islamiste. Erdogan l'illustre on ne peut mieux. À chaque charge de discours anti-français, il
convoque la mémoire de la colonisation et l'islam. Il en fait sa routine haineuse. Il y a donc
urgence à « décoloniser » l'islam, guérir le souvenir des Français d'origines maghrébines et
assumer.

Une thérapie française avant de prétendre être une thérapie de couple

Mais en se préservant des pentes faciles des repentances démagogiques qui ne peuvent que
provoquer les effets contraires et nourrir les extrémismes identitaires qui proposeront d'y
résister par le repli sur la généalogie, le royaume d'avant, les populismes ravageurs. Le pays
ne gagne rien ni avec le déni face à la France ni avec le déni au nom de la France. Des
citoyens nés après les indépendances rejouent aux colonisés et d'autres nés après la
colonisation sont accusés de son crime. Des jeux de rôles trop faciles.

Du coup, le rapport de Stora remis cette semaine à l'Élysée a au moins un double avantage :
mettre des mots sur ce qui est possible, identifier ce qui fait mal et participer à la thérapie. Car
ce rapport est une thérapie française avant de prétendre être une thérapie de couple. Il
permettra à la France d'avancer. En effet, si des Français ne comprennent pas l'exigence
algérienne et si des Algériens ne s'expliquent pas le refus de responsabilités chez des Français,
c'est parce qu'une partie de l'Histoire n'a pas été racontée autrement que par des hurlements et
des silences. Un trop-plein de mémoires « communautarisées » en France, face à un trop-plein
d'histoire officielle des apparatchiks en Algérie.

L'intellectuel du Sud est « congelé »

« Mais qu'en-est-il du côté algérien ? » interrogèrent, de suite, les médias anglo-saxons si


curieux des colonisations quand elles sont commises par d'autres. Le chroniqueur a eu du mal
à expliquer sa réponse : « Rien, sinon peu de chose », répond-il depuis quelques jours.
L'intellectuel du « sud » est « congelé » (c'est une expression du rapport Stora) dans la posture
de la victime, du décolonisé perpétuel, par les amateurs du postcolonial en Occident et par les
rentiers dans son propre pays. On tâte sa réaction comme on le fait d'un grand malade. Et s'il
répond qu'il plaide pour le présent et qu'il est aussi un enfant des indépendances et pas des
colonisations, c'est d'un côté la surprise en Occident qui adore l'étiquetage scientifique, et le
scandale dans le pays décolonisé qui adore identifier des traîtres.

La vérité est que le rapport Stora ne fera pas bouger les lignes en Algérie, mais il permettra,
brièvement, de mettre les rentiers de la décolonisation en face de leur réalité. Celles d'élites et
de communautés qui ne veulent pas sortir du mythe trop parfait de leur guerre de Libération,
et qui trouvent dans la position de la victime de quoi manger et s'habiller en costume de héros
permanent. Il faut alors expliquer (et c'est laborieux) que les « excuses » de la France sont
parfois plus utiles quand on les demande, que lorsqu'on les obtient. Et que mettre fin à la
guerre des mémoires par le recours à l'histoire, ou, à l'extrême, clore le dossier par un acte de
repentance ou de reconnaissance, obligera en Algérie à endosser le présent, qui est l'ennemi
universel des vétérans.

Lucidité

Les fameuses « excuses » sont une exigence morale pour beaucoup d'Algériens. Leur
préalable cependant fausse le récit de l'histoire et occulte le véritable récit du passé et du
présent. Elles peuvent se justifier, mais c'est un préalable de mauvaise foi, sinon stérile
aujourd'hui. Pour surmonter le déni des uns et la ruse politique des autres, il faut un travail
d'historiens, de récit, de mots à trouver et de sortie de la mythologie d'entretien, un deuil des
narcissismes collectifs. Ce qui en Algérie n'est pas encore le cas, ni en France. L'acte de
lucidité sur soi et les autres menace tant de royaumes de vétérans.

On comprend qu'en Algérie les décolonisateurs en chefs entretiennent cette mémoire faussée


et les islamistes on fait l'épopée d'une guerre sainte pour recruter les plus jeunes. Les
contraindre à la paix ou au dépassement, c'est les obliger au pire sort, celui de chômeurs
idéologiques. Et ce n'est pas pour rien que la haine de la France, perçue comme puissance
coloniale éternelle, est encore plus forte chez les plus jeunes. Ils n'ont rien d'autre à vivre que
le passé et la Stora Story les appauvrit encore plus.

Étrangement, régler la question de la mémoire entre l'Algérie et la France est une question de


primauté de la République sur le repli en France, et une question de démocratie en Algérie.
Pour le premier pays, c'est une urgence pour parer aux menaces des dislocations et pour
construire une identité riche. Pour le second, la mémoire ne sera transformée en histoire que
lorsque la génération des décolonisateurs acceptera la pluralité, la démocratie, la transition et
la vérité sur le passé, c'est-à-dire la fin du mythe. « La réalité est toujours anachronique »,
écrivait Borgès. Elle l'est encore plus dans les pays nés de la décolonisation.

Source : Kamel Daoud, Magazine Le Point 23/01/2021


Les rapports franco-algériens entre histoire et mémoire
© D.R
Par : Lahouari Addi
Professeur émérite à Sciences-po Lyon

“Ce que l’Algérie attend de la France, ce ne sont ni des excuses ni de la repentance et encore
moins des indemnisations financières. Elle attend de ce grand pays qu’il participe à son
développement économique en ouvrant son marché aux produits algériens, qu’il accueille plus
d’étudiants en postgraduation universitaire, qu’il lève les barrières sociales qui maintiennent
les Français d’origine maghrébine dans une sorte de néo-indigénat, et qu’il use son droit de
veto au Conseil de sécurité pour faire respecter le droit international dans les zones de
conflit.”

L’historien Benjamin Stora a rédigé un rapport à la demande du président Emmanuel Macron


sur la possible réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie. C’est une mission
difficile que l’historien aurait dû refuser, car il sait, comme l’a enseigné Ernest Renan, que si
le passé domine le présent, la mémoire se gangrène. Benjamin Stora n’est-il pas l’auteur d’un
livre intitulé La gangrène et l’oubli ? Le rapport est une commande officielle de l’État et il
s’adresse à une partie de l’opinion publique qui croit encore que l’ancien empire colonial a été
une œuvre de civilisation. Ce que dit en filigrane le rapport, c’est que l’Algérie est un État
souverain incontournable dans le partenariat euroméditerranéen et qu’il est nécessaire de
mettre en œuvre une coopération mutuellement bénéfique. Il invite les mémoires à ne pas
perpétuer le souvenir de la douleur et qui empêche les plaies de se refermer.  Depuis sa
première publication sur Messali Hadj, B. Stora se bat contre les tumultes mémoriels, ce qui
lui vaut des inimitiés tenaces des deux côtés de la Méditerranée. Parviendra-t-il à domestiquer
la mémoire belliqueuse avec le rapport que lui a commandé le chef d’État français ? 

“L’économie et la mémoire qui saigne”

C’est le titre du paragraphe du rapport Stora où il évoque l’économie pour donner du poids
aux propositions qu’il préconise. Il évoque des chiffres du commerce extérieur pour rallier
une partie de l’opinion française réticente à faire refluer la mémoire. Il explique que le marché
algérien est significatif pour certains produits français, ce qui devrait inciter à accepter des
gestes symboliques. 

Il écrit : “En 2019, les exportations françaises vers l’Algérie ont atteint près de 5 milliards
d’euros… L’Algérie demeure un partenaire économique important de la France, elle se
présente comme son premier client, le premier marché des entreprises françaises en
Afrique.”(p. 34) Benjamin Stora ne souligne pas dans ce passage que la structure du
commerce entre les deux pays obéit à la logique de l’échange inégal de la période coloniale :
produits manufacturés contre matières premières. 

Mais cette structure de la balance commerciale est le résultat de l’incapacité de l’économie


algérienne à sortir de la logique rentière qui exporte des hydrocarbures et importe des biens de
consommation. Malheureusement, l’Algérie n’est pas le Vietnam, devenu un pays émergent
en partie grâce au marché américain. En 2019, les USA ont importé du Vietnam $ 19,8
milliards en biens manufacturés, avec une balance commerciale favorable à ce dernier pays à
hauteur de $ 16,8 milliards. L’économie vietnamienne exporte des produits manufacturés, ce
que ne fait pas l’économie algérienne. Cet échec donne du grain à moudre aux nostalgiques de
l’Algérie française qui déclarent que l’indépendance n’a pas été suivie par le développement,
ce qui pousserait les Algériens à venir s’installer en France. Éric Zemmour a bâti sa popularité
dans les médias sur ce discours, insinuant que les Algériens regrettent la période coloniale.

Gisèle Halimi ou Bugeaud ? 

On dit que le commerce adoucit les mœurs. Peut-être que le commerce entre la France et
l’Algérie n’est pas suffisamment puissant pour faire taire l’imaginaire colonial qu’entretient
l’extrême droite. Lors d’une visite à Alger, Emmanuel Macron avait affirmé que “la
colonisation a été un crime contre l’humanité”. Cette phrase, lourde de sens, invite à la
déconstruction de la perception du passé colonial comme geste épique. Le récit national
français est encore incarné et entretenu par des monuments et des noms de rue qui rappellent
les conquêtes coloniales. Une majorité de Français est-elle prête à accepter de débaptiser des
rues portant les noms de Bugeaud, Pélissier, Cavaignac… B. Stora évite cette question
sensible, mais il propose de faire transférer les cendres de Gisèle Halimi au Panthéon. Elle
mérite cet honneur, et l’Algérie aussi devrait l’honorer officiellement.

Mais ce serait incohérent si une rue adjacente au Panthéon porte encore le nom d’un chef
militaire qui aura gagné ses galons dans les champs de bataille des colonies. Soit on célèbre
Gisèle Halimi, militante anticolonialiste, soit on célèbre Galliéni, chanté comme le conquérant
du Sénégal. Cette question n’est pas algéro-française ; elle est franco-française et sera
tranchée par un rapport de force idéologico-politique au sein de la société. Tant que les
Français d’origine maghrébine ou africaine ne constituent pas une force sociale dans
l’économie, dans les médias, dans l’université, tant qu’ils n’auront pas une influence sur le
champ électoral, Bugeaud et Galliéni continueront d’être des héros du récit national.

Sur ce plan, la France postcoloniale intègre trop lentement les Français issus de l’immigration.
Est-ce une fatalité que cette catégorie de la population française soit sur-représentée dans le
système carcéral et sous-représentée dans le système universitaire ? Au lieu de se référer aux
travaux sociologiques qui pointent les causes sociales de la pauvreté dans les banlieues, la
presse de droite fait porter la responsabilité à “une culture hostile aux valeurs françaises”,
décrivant les banlieues comme “des territoires perdus par la République et gagnés par
l’islam”. Ce discours est issu d’une mémoire coloniale nostalgique ; c’est une construction
sociale façonnée par un rapport de force politique et idéologique. Pour la modifier, il faut aller
aux causes sociales qui la favorisent et qui la perpétuent.  

Le colonialisme n’est pas une essence culturelle

Du côté algérien, tout n’est pas blanc pour autant. Le discours mémoriel continue de réduire la
France à une seule dimension, le colonialisme, comme si celui-ci était une essence culturelle,
alors qu’il est un phénomène historique lié à la naissance du capitalisme. Sans diminuer la
pertinence politique des mouvements de libération nationale, la décolonisation était devenue
inéluctable après la défaite du nazisme. L’économie de l’Algérie coloniale ne profitait ni aux
autochtones ni aux Français de la métropole ; elle profitait à une minorité de colons qui
s’enrichissaient en faisant “suer le burnous”, selon l’expression utilisée par les adversaires du
parti colonial. 

Le plus célèbre d’entre eux était Georges Clémenceau, adversaire de Jules Ferry sur la
question. Il y a eu en France des courants opposés à la colonisation, notamment le mouvement
ouvrier et les syndicats qui ont été à l’écoute des nationalistes des colonies. Messali Hadj a été
aidé par les communistes dans les années 1920, avant de s’éloigner d’eux dans les années
1930. Par ailleurs, les fondateurs du nationalisme algérien, Messali Hadj, Ferhat Abbas et
Abdelhamid Ben Badis, n’étaient pas hostiles à la France comme civilisation, alors qu’ils
étaient des adversaires farouches du système colonial. Les deux premiers avaient épousé des
Françaises et le troisième revendiquait la nationalité française dans le respect de l’islam et la
langue arabe. 

Kateb Yacine considérait la langue française comme un butin de guerre. Alors qu’en 1954, il
y avait à peine 15% d’enfants autochtones scolarisés, dix ans plus tard, en 1964, il y en avait
près de 80%, apprenant, entre autres, le français. Cela permet de tirer comme conclusion que
le mouvement national ne combattait pas la France ; il combattait le système colonial
français.  

Le déséquilibre universitaire

Certaines propositions du rapport de Benjamin Stora auront des effets positifs si elles sont
appliquées, en particulier celles relatives à la création d’une commission “Mémoire et Vérité”,
à l’exploitation des archives et à la coopération universitaire en matière d’histoire. Fort
heureusement, B. Stora ne suggère pas une écriture commune de l’histoire. Entre les deux
pays, il y a un passé commun, mais les historiens des deux côtés de la Méditerranée
l’analyseront différemment pour des raisons épistémologiques liées aux questionnements des
chercheurs. Il est banal de dire que la recherche universitaire est plus développée en France
qu’en Algérie. Le monde académique algérien attend ses historiens de la dimension de
Charles-Robert Ageron, André Nouschi, Gilbert Meynier… Ce déséquilibre est frustrant et
perpétue objectivement un rapport inégal. Les Algériens ont accès à leur passé en grande
partie grâce à des historiens français ou étrangers. En voulant faire du passé une mémoire
gérée par l’administration et en se méfiant des universitaires, les autorités algériennes ont une
responsabilité dans la perpétuation de ce déséquilibre. Cela est illustré par le choix fait par les
deux présidents : Emmanuel Macron a chargé un historien, auteur d’une vingtaine de livres
pour rédiger un tel rapport, alors qu’Abdelmadjid Tebboune a désigné à cette tâche un
fonctionnaire. Exit Mohammed Harbi, Dahou Djerbal, Hosni Kitouni, Hassan Remaoun...

En conclusion, ce que l’Algérie attend de la France, ce ne sont ni des excuses, ni de la


repentance et encore moins des indemnisations financières. Elle attend de ce grand pays qu’il
participe à son développement économique en ouvrant son marché aux produits algériens,
qu’il accueille plus d’étudiants en postgraduation universitaire, qu’il lève les barrières sociales
qui maintiennent les Français d’origine maghrébine dans une sorte de néo-indigénat, et qu’il
use son droit de veto au Conseil de sécurité pour faire respecter le droit international dans les
zones de conflit. L’histoire a lié l’Algérie et la France dans des relations sociétales intenses ;
c’est aux politiques de les orienter vers l’intérêt mutuel.

Source : Journal Liberté du 28/01/2021


Rapport Stora
Une insulte scatologique au peuple algérien...
Par Mahdi Chérif, ancien moudjahid

Le rapport de M. Stora a été finalement remis au président de la République française, qui en


avait fait la demande. L’objectif qui lui avait été fixé était de donner aux autorités françaises
une vision de ce qui pourrait être un dialogue entre l’Algérie et la France en vue «d’apaiser les
mémoires encore meurtries» aujourd’hui, malgré la fin de la colonisation depuis maintenant
près de soixante ans, et peut-être tracer des perspectives pour des relations équilibrées et
saines, dans le respect mutuel et la coopération favorable aux deux parties.
Le rapport devait donc jeter un regard objectif et serein sur la colonisation en Algérie pour y
rechercher les points d’achoppement qui seraient, en définitive, objet du dialogue escompté et
proposer les moyens de les dépasser pour construire, enfin, des relations en conformité avec
les règles, us et coutumes internationales régissant les rapports entre Etats souverains.
Malheureusement, les conclusions du rapport sont bien en deçà des objectifs fixés et des
attentes et espoirs nourris  de voir les relations algéro-françaises entrer dans la phase normale,
loin des complexes construits de toutes pièces dans l’esprit des gouvernants et des gouvernés
dans les deux pays et surtout en France où, pour de larges franges du peuple français,
l’indépendance de l’Algérie n’est pas encore admise ni même tolérée. Bien au contraire, ce
rapport est malheureusement dans ce sens puisque l’essentiel de la relation historique Algérie-
France n’est pas abordé ni même effleuré. Le regard demandé à M. Stora devait s’attacher à
revisiter la colonisation dans sa globalité et de projeter, en définitive, des voies pour un
dialogue fructueux. 
En effet, la seule plaie qui fait mal à M. Stora et avec lui cette frange négationniste, c’est cette
guerre de Libération nationale menée par l’Algérie pour sa libération du joug colonial et que
les tenants de l’Algérie française considèrent comme une catastrophe, car  pour une fois la
France était vaincue au sens propre du terme ; et par qui ? Par le peuple algérien qui n’a
jamais admis sa situation de sous-homme ou de bien moins que rien ! Le rapport se focalise
sur cet épisode qui n’est pourtant pas le seul, mais il le présente comme l’arbre qui cache la
forêt, la forêt qui a pour noms, génocides, spoliations, dénaturations d’une personnalité
nationale bien assise dans le temps et dans l’espace. Revisiter l’Histoire aurait permis un large
balayage pour comprendre les mentalités des uns et des autres et surtout les apports des
Algériens à l’histoire de France. Si M. Stora s’était donné la peine de regarder l’Histoire
comme un historien, c’est-à-dire sans passion excessive, il aurait entrevu ne serait-ce qu’un
instant, non pas seulement la bravoure des Algériens qu’il ne loue d’ailleurs pas, mais surtout
leur haut sens de l’honneur, leur sens de l’humanité car ce n’est certainement pas une clause
de style mais une affirmation d’un très haut niveau d’honneur et d’humanité que cette phrase
insérée dans l’appel du 1er  Novembre 1954, qui dit textuellement… «En dernier lieu, afin
d’éviter les fausses interprétations et les faux fuyants pour prouver notre désir de paix, limiter
les pertes en vies humaines et les effusions de sang, nous avançons une plateforme honorable
de discussions aux autorités françaises si ces dernières sont animées de bonne foi et
reconnaissent une fois pour toutes aux peuples qu’elles subjuguent le droit de disposer d’eux-
mêmes.» Une telle annonce ne peut venir que de la part d’un peuple ô combien honorable ! Ô
combien respectueux de la vie et de la personne humaine ! Dans cette déclaration, le peuple
algérien avait tu ses ressentiments, oublié ses douleurs, oublié sa décadence provoquée pour
appeler le peuple français au dialogue ! Qui de toutes les luttes nationales a tenu un si beau
discours au geôlier, au tortionnaire, à l’assassin, à l’usurpateur, au spoliateur qu’a été le
colonialisme en Algérie particulièrement? S’il s’était donné la peine de se rappeler l’appel
lancé aux Français d’Algérie et aux Israélites d’Algérie en 1956, il aurait compris que
l’histoire du peuple algérien est une, et qu’il convient de la prendre dans sa globalité afin de
situer les actes des uns et des autres et comprendre, en définitive, que la victime dans tout cela
a été le peuple algérien et rien que le peuple algérien.
S’il s’était donné la peine de relever un pan du rideau de l’Histoire, il aurait vu ce qu’a fait la
colonisation en Algérie, il aurait également vu la sauvagerie qui a été développée en Algérie
en signe de reconnaissance des positions tellement honorables de l’Algérie vis-à-vis de la
France avant 1830. Il omet les relations privilégiées de l’Algérie avec les rois de France et
particulièrement l’alliance algéro-française avec Henri IV, l’alliance avec François I, la
libération de Nice, l’exemption quasi totale des redevances maritimes consenties à la France,
le comptoir d’El Kala que la France a transformé en bastion (qu’elle a appelé Bastion de
France) contrairement à l’accord conclu pour ce comptoir. Durant la colonisation, les
Algériens sont enrôlés de gré ou de force pour guerroyer avec les troupes françaises sur tous
les champs de bataille dans le monde pendant que les généraux français s’adonnaient à leur
sport favori  : les massacres, les génocides (des tribus entières ont été décimées), les
enfumades, les spoliations des biens immeubles et culturels et pour finir un code de
l’indigénat plus dur que le Code noir. Les généraux Clausel, de Bourmont, Cavaignac,
Pélissier, le duc de Rovigo, Lamoricière, le général Négrier, Youssouf, le maréchal de Saint-
Arnaud ont surpassé en sauvagerie les Bigeard, Massu, Aussaresses, et autres.
Le peuple algérien n’oublie pas, car la mémoire, contrairement à l’Histoire, emmagasine et
transmet de génération en génération.  Un Algérien d’aujourd’hui ressent ce qu’a ressenti son
coreligionnaire du temps de Barberousse ou de Bugeaud, comme il ressent encore les traces
de ce qui a été pendant la guerre de Libération nationale. L’Histoire est une science basée sur
des méthodes et utilisant des sources fiables comme les documents d’archives. Même cela
nous a été ravi ! Mais qu’on se détrompe : même si nos archives sont en France, la mémoire
nous est restée. Chaque pouce de cette terre si chère nous raconte ce qu’il a vu et enduré !   
Nul ne peut  oublier que l’Algérie s’est portée au secours de la France bien des fois, au
moment où elle était encerclée et menacée d’être engloutie par une Europe liguée contre elle.
Nul ne peut oublier que le peuple français mourait de faim et l’Algérie lui fit don de sommes
d’argent conséquentes et vendu du blé (qui n’a jamais été payé d’ailleurs) et en récompense, il
fallait détruire l’Algérie. Faisant fi de tout cela, ce rapport n’est autre chose qu’une insulte à
l’Algérie en ce sens, qu’au lieu de prôner le dialogue tel que voulu par les deux chefs d’Etat
cherchant un apaisement, il fait table rase du passé et oublie l’Histoire. 
Bien au contraire, il préconise, au lieu du dialogue, des mesures bien en deçà de ce que peut
attendre le peuple algérien : une plaque commémorative par-ci, une autre par-là, la
reconnaissance d’un crime (un seul), l’ouverture de négociations sur la récupération d’un
canon ! Et les autres faits marquants, sont-ils jetés aux oubliettes ? La mémoire ne peut être
apaisée par des actions aussi minimes, j’allais dire aussi mesquines.  C’est à croire que le
peuple algérien est encore au stade de l’enfance et se contenterait d’une friandise pour arrêter
de pleurer. Non ! La mémoire ne peut être apaisée, non plus, par des déclarations
irresponsables aux moyens d’informations, déclarations qui, certainement, ne reflètent pas
officiellement la positon des autorités françaises qui ne se sont exprimées que sur un seul
point, «ni excuses ni repentance», ce qui, en soi, veut tout dire. Ces déclarations à des médias
français et même algériens sont destinées, à n’en pas douter, à affranchir leur auteur auprès de
milieux dont il est issu et qu’il cherche à contenter.
Mais dans l’attente d’explications d’officiels français, il est permis d’entrevoir des possibilités
de dialogue. Car le dialogue est nécessaire pour apurer tous les passifs. Par ses déclarations,
M. Stora semble vouloir agir dans la lignée de la mentalité coloniale dont il s’est en fait
rarement départi. Spécialiste de l’histoire de l’Algérie, il n’en connaît qu’un seul aspect, celui
que soutiennent les tenants de la colonisation et de l’Algérie française et qui oublient les
souffrances du peuple algérien dont il se dit (M. Stora) partie intégrante puisqu’il clame tout
haut qu’il est algérien à part entière. Notre héroïne Gisèle Halimi, qui sera peut-être honorée
par les autorités françaises, n’a pas caché ses positions en disant : «Je suis française mais
d’origine tunisienne mais aujourd’hui je ne sais pas si je suis plus algérienne que tunisienne.»   
Gisèle Halimi a compris parce qu’elle s’est penchée sur la douleur algérienne, elle a senti et
défendu ces Algériens au prix de sacrifices qu’elle a consentis. Voilà un héritage commun,
héritage partagé par les innombrables Français, hommes d’honneur et de courage qui se sont
élevés à travers toute la colonisation et pas seulement durant la guerre de Libération contre
toutes les exactions commises et apportant pour cela une aide ô combien précieuse à la lutte
du peuple algérien. L’Algérie n’a jamais été ingrate, elle a toujours honoré ceux qui l’ont
honorée ; et c’est en souvenir de ces hommes et femmes qui ont participé à notre lutte que
l’Algérie tend la joue droite après avoir reçu ce qu’elle a reçu sur sa joue gauche. L’Algérie
aborde les problèmes de mémoire de façon très sérieuse, sans aucune haine, sans aucune
amertume, mais elle ne renie pas son passé. Elle l’assume, bon ou mauvais. Elle l’assume
dans la dignité.
En conclusion, je ne trouve pas de mots percutants, pour dénoncer tous les crimes, massacres
collectifs, spoliations, déportations, enfumades, des dizaines de milliers de villages du monde
rural ont été rasés et les habitants décimés. A mon avis, et de l’avis de tous les Algériens, c’est
la sauvagerie et la barbarie par excellence opérées par une armée républicaine, bien que
certains historiens aient fait de notre chère Algérie un fonds de commerce très lucratif. Je
dirai, en toute sincérité, que si les Algériens ont peut-être pardonné, ils n’ont pas oublié. 
La France officielle doit impérativement indemniser toutes les victimes, d’autant plus qu’une
loi a été votée récemment par le Parlement français dans ce sens. M. C.

Source : Journal Le Soir d’Algérie, le 01.02.2021

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