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Guerre d'Algérie: «La stratégie du chaos»
Par Michel De Jaeghere
Publié le 02/04/2022 à 09:42
La guerre d'Algérie n'a pas été pour le général De Gaulle l'occasion d'un
grand retournement. Il était dès 1958 pleinement décidé à y mettre fin
en donnant l'indépendance au pays et en le livrant au FLN. Tout juste a-t-
il été empêché de le dire avec franchise parce qu'il avait compris que
Si, pour Camus, « la tragédie n'est pas une solution », en revanche, elle
l'est pour De Gaulle. « Je ne me sens bien que dans la tragédie », a-t-il
confié à son éditeur Marcel Jullian, qui lui prêtait même cette boutade : «
Moi, je fais dans la tragédie. »
Le 4 juin 1958, le général De Gaulle, depuis le balcon du Gouvernement général à Alger, lance à la foule enthousiaste :
« Je vous ai compris ! » Cette formule ainsi que le « Vive l'Algérie française ! » qui conclura son discours de
Mostaganem, deux jours plus tard, entretiendront les illusions des partisans du maintien de l'Algérie dans la France
auxquels il devait son retour au pouvoir. Selon Henri-Christian Giraud, De Gaulle était pourtant déjà décidé à l'«
abandon ». Bridgeman Images
Tout simplement parce que De Gaulle fait en 1955 ses adieux à la presse
et annonce son retrait de la vie politique, retrait confirmé par la mise en
sommeil du RPF en septembre suivant.
En effet, il s'agit d'une pure tactique de la part de celui qui s'est fait une
méthode de « progresser par les couverts ». Disant alors en privé à
chacun ce que chacun veut entendre, l'ermite de Colombey regarde les
convulsions du « régime » honni avec gourmandise et, profitant du
D'où la joie des dirigeants de la rébellion, attestée par Jean Daniel alors à
Tunis, de le voir arriver au pouvoir en mai 1958. Et d'où aussi leur
immense déception à la suite de son discours du 4 juin à Alger et de son
cri de « Vive l'Algérie française ! » le 6 juin à Mostaganem.
En s'adressant sans distinction aux « 10 millions de Français d'Algérie », « des Français à part entière, avec les mêmes
droits et les mêmes devoirs », qui auront à se prononcer bientôt, dans le cadre d'un collège unique, sur la
Constitution en gestation, De Gaulle va dans le sens de l'intégration souhaitée par les tenants de l'Algérie française.
akg-images / Erich Lessing
En quoi consiste-t-il ?
Tout cela désamorce plus ou moins les doutes que font naître d'autres
décisions : l'éviction brutale de Salan, commandant en chef et délégué
général du gouvernement en Algérie, et son remplacement par deux
personnalités favorables à terme à l'indépendance, Paul Delouvrier, et le
général gaulliste Maurice Challe ; la mise à l'écart de Soustelle dans un
poste ministériel mineur, l'Information, quand tout le monde le donnait
déjà comme Premier ministre ; les mutations massives d'officiers
engagés dans les événements du 13 Mai à des postes en métropole et en
Allemagne et leur remplacement par des fidèles ; la reprise discrète,
dans la nouvelle Constitution, d'un « outil séparateur » avec l'article 53
(titre VI) qui donne la possibilité de « cession, échange ou adjonction de
Le 4 juin 1958, Alger réserve un accueil triomphal à De Gaulle. La foule des pieds-noirs ovationne aussi Jacques
Soustelle, dernier gouverneur général de l'Algérie, de février 1955 à janvier 1956, et ardent partisan de l'Algérie
française, qui avait œuvré pour le retour du général au pouvoir. Maurice ZALEWSKI/RAPHO
commun » (le mot est de Belkacem Krim) aux deux parties : le camp
Algérie française.
Le général Massu. « Tant que je serai ici, pas de crainte pour l'Algérie française ! » répète celui qui, préfet de la zone
militaire de l'Algérois, est l'idole des pieds-noirs depuis qu'il a démantelé l'organisation du FLN dans la « bataille
d'Alger » de 1957 et participé à l'insurrection du 13 mai 1958. Tombé dans le piège tendu par le « cabinet noir »
gaulliste, il désavoue publiquement la politique algérienne du général, et est rappelé en métropole en janvier 1960.
akg-images / ullstein bild
Je n'invente rien. Debré confie dans ses Mémoires avoir brûlé les ordres
rédigés par De Gaulle pour empêcher que « sa figure soit abîmée ». Et le
général Ely, chef d'état-major des armées, confirme que ces ordres
comportaient « l'ouverture du feu sur une foule où se trouvent des
femmes et des enfants ».
Reste que, pour pousser Massu à la faute, il faut vaincre sa méfiance et
pour cela que le piège soit indétectable et donc qu'il vienne de loin, de
l'étranger même si possible. Ce sera d'Allemagne, où l'ambassade
française à Bonn prépare le terrain à un journaliste, Hans Ulrich Kempski,
du Süddeutsche Zeitung de Munich, pour lui obtenir l'autorisation de
faire un reportage sur la situation militaire en Algérie. Elle le
recommande chaudement en vantant ses bonnes dispositions au Quai
d'Orsay qui, à son tour, fait suivre l'autorisation à la Délégation générale
en Algérie.
Violente manifestation musulmane pour l'indépendance de l'Algérie, contenue par un cordon de CRS, le 12 décembre
1960, dans le quartier de Belcourt à Alger, lors du voyage de De Gaulle. KEYSTONE-FRANCE/GAMMA RAPHO
Il fallait choisir entre les deux parties : les combattants ou les dirigeants.
Mais la « paix des braves » n'est plus à l'ordre du jour (si tant est qu'elle
l'ait jamais été) et De Gaulle réduit d'entrée de jeu cet événement à un
rôle secondaire : celui d'un « adjuvant » (le mot est encore de Tricot),
c'est-à-dire de moyen de pression sur les dirigeants extérieurs de la
rébellion pour les amener à la table des négociations.
Lesquelles ?
Le colonel Si Salah, un des chefs de la wilaya IV. L'offre de reddition de ce valeureux maquisard opposé à la direction
du FLN faillit perturber la démarche gaulliste qui privilégiait la négociation avec ladite direction. AFP
Les généraux André Zeller, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et Maurice Challe (de gauche à droite), quittant la
Délégation générale d'Alger après s'être adressés à la foule, le 24 avril 1961. Averties des préparatifs d'un putsch, les
autorités politiques ont laissé faire, assurées qu'elles étaient de son échec. Mais la dramatisation orchestrée par le
chef de l'État lui a permis de s'octroyer les pleins pouvoirs en application de l'article 16 de la Constitution et de
remettre au pas l'armée française. KEYSTONE-FRANCE/GAMMA-RAPHO
Algérie : le piège gaulliste. Histoire secrète de l'indépendance, Perrin, 704 pages, 30 €. Perrin
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