Vous êtes sur la page 1sur 8

Vers un modèle pour l’analyse de l’orchestration :

rapport de recherche en cours


Didier Guigue

To cite this version:


Didier Guigue. Vers un modèle pour l’analyse de l’orchestration : rapport de recherche en cours.
Journées d’Informatique Musicale, May 2014, Bourges, France. ฀hal-03104646฀

HAL Id: hal-03104646


https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03104646
Submitted on 9 Jan 2021

HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est


archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents
entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non,
lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de
teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires
abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.
VERS UN MODELE POUR L'ANALYSE DE L'ORCHESTRATION :
RAPPORT DE RECHERCHE EN COURS

Didier Guigue
UBPB – Mus3 – CNPQ
didierguigue@gmail.com

RÉSUMÉ plus novatrice du livre Sonic Design de Cogan & Escot


(1976), par exemple, réside dans le projet d'élaborer une
Cette communication présente l'état actuel de notre
théorie de la « couleur sonore » et de l'orchestration :
projet d'élaboration d'un modèle méthodologique pour
« L'analyse du design sonore […] fournit un
l'analyse de l'impact que les stratégies d'orchestration
environnement rationnel pour des attributs comme
peuvent avoir sur la dynamique formelle et sa
l'instrumentation et l'orchestration, la registration et les
perception. Le modèle aborde l’œuvre à partir de deux
dynamiques – aspects cruciaux de la musique, lesquels,
angles : la partition, de laquelle sont extraites les
jusqu'à présent, ont largement échappé à la
informations d'orchestration et d'instrumentation
compréhension analytique » [5] : 397).
consignées par le compositeur, et un ou plusieurs
Conscients, malgré cela, que leur entreprise les
enregistrements, qui sont analysés par des descripteurs
emmenait aux « limites des connaissances actuelles »
appropriés afin de juger de l'effet concret de ces
(Id. Ibid.), leurs difficultés montrent jusqu'à quel point
prescriptions, et de voir jusqu'à quel point leur impact
nous avons avancé sur certains aspects techniques – par
sur la forme en est le reflet. Ce modèle fait appel à des
exemple pour l'analyse du timbre des instruments et des
outils informatiques qui aident le musicologue dans
divers facteurs impliqués dans la constitution de leur
l'obtention des données nécessaires. Ceux-ci sont
identité sonore – sans que la pratique de l'analyse de
développés dans Audiosculpt et OpenMusic. Au final,
l'orchestration se soit pour autant vulgarisée au point
ces outils pourraient aboutir à une application dédiée.
d'occuper l'espace qu'ils préconisaient dans l'éventail des
Ce projet, qui en est à son début, est réalisé dans le
outils qui devraient être de nos jours communément
cadre d'une collaboration entre le groupe de recherche
utilisés en théorie, composition ou analyse musicales.
Mus3 et le centre de recherche NICS, au Brésil, et
Notre contribution ne se situe pas au niveau d'un
l'IRCAM, en France, et reçoit l'apport financier du
logiciel dédié, tout au moins pour l'instant ; elle propose
CNPQ au Brésil.
un cadre méthodologique, et quelques outils
informatiques dans l'environnement OpenMusic, dont le
1. UNE PROCEDURE POUR L'ANALYSE DE but est d'aider le musicologue dans l'organisation des
L'ORCHESTRATION données pertinentes et l'appréciation de leur
fonctionnalité.
Le processus de « désymbolisation » des instruments de La figure 1 reproduit l'organigramme de la procédure
l'orchestre, entamé au début du XIXe siècle, en envisagée. La terminologie anglophone en sera
particulier par Berlioz ([19] : 63), a contribué à conservée dans la description qui suit. Dans ce modèle,
l'intégration définitive des stratégies d'orchestration aux l'orchestration est évaluée à partir de deux points de
dimensions structurantes de la composition. Makis départ. D'un côté – Score Analysis –, on recense les
Solomos observe que Rimski-Korsakov, dans son Traité prescriptions consignées par le compositeur dans la
d'orchestration de 1891, insiste sur l'utilisation des partition, en comptabilisant les diverses combinaisons
instruments « par rapport aux catégories de l'écriture instrumentales (Local Sonic Setup ou LSS) utilisées au
(mélodie, harmonie) » ([26] : 31). Notre objectif est cours de l’œuvre et en les qualifiant en fonction de leur
d'établir, au moyen d'applications expérimentales sur organisation interne.
divers répertoires, une procédure d'analyse qui D'autre part – Sound Analysis –, les fichiers audio de
permettrait d'évaluer l'impact de ces stratégies sur la ces mêmes LSS sont auscultés au moyen d'un choix de
structure ou leur rôle dans l'appréhension des idées descripteurs afin de jauger l'effet concret des
musicales. En effet, si le développement de logiciels prescriptions, et de voir jusqu'à quel point leur impact
d'aide à l'orchestration a commencé à mettre récemment sur la forme en est le reflet.
à la disposition du compositeur plusieurs produits En d'autres termes, il s'agit d'aborder l'objet d'étude
fonctionnels [4, 18], la littérature n'a encore apporté que en même temps au niveau normatif du code écrit et au
très peu de propositions qui satisfassent à une approche niveau concret de sa réalisation sonore, deux angles
analytique systématique de l'utilisation de ressources d'approche dont on pressent que la convergence et
orchestrales pour l'expression de la forme. Tout ce que synchronie ne seront pas toujours au rendez-vous.
nous disposons sur ce sujet fournit, au mieux, quelques
bons indices [2, 7, 10, 12, 21], ou consiste en des
approches limitées ou trop simplistes [5, 9]. La partie la
Figure 3. Beethoven, Symphonie nº 5. IVe
Figure 1. Organigramme du modèle d'analyse de mouvement, m. 1-4.
l'orchestration.
2. SCORE ANALYSIS : EVALUATION DE LA
L'objectif est de rendre le modèle capable de COMPLEXITE RELATIVE DES
supporter ces éventuelles dichotomies en les considérant CONFIGURATIONS INSTRUMENTALES
comme intrinsèques à la dimension orchestration, étant
donné que l'infinité d'impondérables qui peuvent Le premier volet du modèle, qui analyse les
intervenir dans la réalisation d'une œuvre pour orchestre prescriptions compositionnelles, est décrit en détail
en situation de concert n'a jamais inhibé les ailleurs [17]. Nous n'allons qu'en résumer ici l'essentiel.
compositeurs dans leur volonté de fixer sur le papier les L’œuvre (ou le fragment) est découpée en une
moindres détails de l'exécution, comme si ceux-ci séquence de « configurations instrumentales locales »
fussent aussi objectifs et stables qu'une indication (Local Sonic Setup). Ces configurations sont
métronomique. considérées comme des sous-ensembles de l'ensemble
Pour illustrer cet exposé, j'ai choisi un fragment de la des instruments, techniques de jeu et effets que le
5e Symphonie de Beethoven (1807), précisément la compositeur utilise dans l’œuvre – ce que nous appelons
transition qui relie la fin du 3e mouvement (à partir de la les « ressources sonores » (Sonic Resources), dont on
m. 237) au début du 4e mouvement (m.1-4). Cet extrait aura préalablement établi un Index complet (Figure 4).
me semble caractéristique de l'importance du rôle de Sur un vecteur du simple au complexe, plus une
l'orchestration dans la gestion de la tension dramatique configuration s'approche de l'ensemble, plus elle sera
chez ce compositeur. En effet, il part d'un presque rien dite « complexe » et recevra un poids proche de (1.0)1.
sonore (Figure 2) pour aboutir progressivement à un Cette quantification (Weighted Number of Resources,
colossal tutti orchestral, sans précédent à l'époque pour ou WNR) est ensuite qualifiée par un composant appelé
une symphonie (Figure 3). Cette transition provoque Relative Voicing Complexity (RVC), qui évalue la
comme une suspension thématique et temporelle dans manière par laquelle les ressources sonores sont
laquelle règne la fragmentation sonore. C'est pourquoi combinées dans chaque Setup en des flux plus ou moins
elle nous a paru offrir un excellent terrain d'expérience. indépendants. Nous prenons comme base une relecture
de la Théorie des Partitions par Gentil-Nunes [11], ainsi
que le modèle d'analyse des textures de Wallace Berry
[2]. Plus les ressources sont « agglomérées »
(homophonie, homorythmie…), plus le RVC est
considéré comme « simple » ; et plus elles sont
« dispersées », comme « complexe ». RVC agit alors
comme un modulateur de WNR, c’est-à-dire qu'il en
modifie la pondération initiale dans une proportion qui
va de zéro à un maximum fixé par l'utilisateur. D'une
manière générale, on peut s'attendre à observer une plus
Figure 2. Beethoven, Symphonie nº 5. IIIe grande indépendance des parties instrumentales
mouvement, m. 231-239. (pondérations plus élevées de RVC) chez un Webern

1
Nous revenons sur la notion de complexité relative plus avant.
que chez Mozart, par exemple. Par contre, il est 3. SOUND ANALYSIS : ANALYSE DU
probable que les configurations locales des symphonies RESULTAT SONORE DES PRESCRIPTIONS
de ce dernier soient plus fournies (WNR plus élevé) que ECRITES
celles du compositeur sériel 2.
On obtient en synthèse une évaluation globale du 3.1. Préparation du matériel audio
Setup appelée Local Sonic Setup Relative Complexity.
Une feuille de calcul Excel (Figure 4) et un patch Le découpage de la partition en unités sonores
OpenMusic facilitent ces opérations, encore que la consistantes du point de vue de l'orchestration, expliqué
collecte des données de base doive se faire à la main et à ci-dessus, doit être reproduit à l'identique pour le fichier
l'œil, si je puis dire. En effet, un fichier numérique ou audio de l’œuvre, ceci afin d'analyser comment et
encodé en MIDI de la partition est de peu de secours jusqu'à quel point les prescriptions écrites sont
pour ces finalités. Un graphique (Figure 5) montre concrétisées, et d'évaluer les convergences et
l'évolution de la complexité relative des Setup de divergences entre l'une et l'autre3. Cette tâche peut être
l'extrait de la Symphonie de Beethoven. automatisée grâce à la fonction Generate Markers
disponible dans le logiciel Audiosculpt4. La
programmation adéquate des paramètres du générateur
exige quelques essais et dépend en tout état de cause de
l’œuvre et de son enregistrement. Selon notre
expérience, la segmentation par Positive Spectral
Differencing détecte très finement les changements
d'énergie, lesquels, en règle générale, correspondent aux
changements de sonorités, c’est-à-dire de Setup. On
ajuste ensuite manuellement les marqueurs qui ne
seraient pas placés exactement où on le souhaite – une
attaque synchrone sur la partition peut ne pas l'être
autant dans le monde réel de sa réalisation acoustique –,
on ajoute les segments que la partition induit, mais qui
sont passés inaperçus à la détection (ou on reparamètre
la fonction pour qu'elle les reconnaisse), on retranche
ceux qui ne correspondent pas à la segmentation
préétablie – à moins que l'on ne préfère les incorporer au
découpage original (et revenir à l'étape antérieure).
Figure 4. Vue partielle de la feuille de calcul Excel pour
L'étape suivante, toujours dans Audiosculpt, utilise la
le relevé et l'analyse des Local Sonic Setup. La colonne
fonction Chord Sequence Analysis et sa méthode de
de gauche constitue l'Index des Ressources Sonores
calcul du spectre moyen (Average Spectrum).
(SRI) utilisées dans la 5e Symphonie. Les Setup
Audiosculpt entend par « accord » un groupe de partiels
(disposés sur l'axe horizontal) sont étiquetés par le
et d'amplitudes normalisés, dont le début et la fin sont
numéro de mesure où ils commencent.
déterminés par les marqueurs. L'analyse calcule la
moyenne du spectrogramme sur le segment et fait
coïncider un partiel à chaque pic [8]. Nous avons utilisé,
pour la musique d'orchestre, un nombre maximum entre
40 et 60 partiels, et un seuil d'amplitude de -70 dB ou lié
au sonogramme. Les résultats de l'analyse (comme celle
représentée Figure 6) sont sauvegardés, d'une part sous
forme d'une collection de petits fichiers audio dont
chacun correspond à un segment, donc à un LSS, et
d'autre part sous forme d'un fichier unique SDIF. C'est
ce matériel qui va être requis pour l'analyse de
l'orchestration proprement dite, dans OpenMusic.

Figure 5. Histogramme de l'évolution de la complexité


relative des Local Sonic Setup dans l'extrait de
Beethoven. Les données sont étiquetées par le numéro de
mesure.

3
C'est aussi par ce moyen que l'on pourra analyser divergences entre
enregistrements différents de la même œuvre .
4
Audiosculpt n'est bien sûr pas le seul logiciel sur le marché à proposer
une génération automatique de marqueurs. Mais ce sont les
fonctionnalités complémentaires auxquelles nous faisons appel qui le
2
A propos de cet aspect de l'orchestration de Webern, cf. [16, 17, 20]. rendent préférable pour notre projet.
dans OpenMusic, permet une transcription suffisamment
approchée des fréquences exprimées en Herz (sans
passer par une normalisation chromatique). Les autres
conversions (time en onsets, amplitudes linéaires en
velocity) se font aussi sans perte significative
d'informations.
Parmi la collection de fonctions analytiques proposée
par SOAL, un certain nombre peut déjà fournir des
informations pertinentes pour notre objectif, soit en
l'état, soit adaptées ou incluses dans un patch approprié.
Nous allons ici mettre l'accent sur la contribution
qu'elles peuvent apporter à une compréhension de la
Figure 6. Une capture d'écran d'Audiosculpt montrant, fonction de l'orchestration sur la forme.
fenêtre du bas, les résultats de la Chord Sequence L'analyse réalisée par Audiosculpt retient pour
Analysis by Average Spectrum, pour le même extrait de chaque Setup un certain nombre de partiels. SOAL peut
Beethoven. Les LSS sont identifiés par les marqueurs extraire de cela des séries de données, toutes
verticaux, et chaque ligne horizontale correspond à un normalisées sur le vecteur simplicité-complexité et qui,
des partiels détectés par l'analyse. une fois transposées visuellement (graphes,
histogrammes…), donnent une image de la contribution
des ressources sonores sur la forme. En effet, l'activité
3.2. SOAL et l'analyse de l'orchestration
de l'orchestration, son impact sur la perception d'une
Dans le cadre de notre projet d'analyse de la musique structuration, peut se mesurer par : (1) le nombre de
à partir du concept de sonorité [14], nous avons été partiels par Setup ; (2) la densité relative de partiels par
amenés à développer une bibliothèque dédiée pour Setup ; (3) la distribution de ces partiels le long du
OpenMusic, SOAL (pour Sonic Object Analysis Library) spectre, sur un vecteur où la distribution la plus
[13, 15]5. Le concept-clef de la bibliothèque est la harmonique est qualifiée comme étant la plus
segmentation de l’œuvre en une séquence de « simple » ; (4) l'ambitus relatif – c’est-à-dire la distance
« sonorités », ou « unités sonores composées » (sonic observée entre le premier partiel et le dernier – de
object dans le jargon de SOAL), et d'analyser l'évolution chaque Setup ; (5) la manière dont les partiels se
de celles-ci au cours de l’œuvre par divers descripteurs répartissent le long du spectre, donnant si nécessaire un
(appelés composants) de leurs caractéristiques « hors- relevé du nombre de partiels pour chaque bande de
temps » et « en-temps » ([14] : 37 et sq.). Ces fréquence choisie, et une pondération des Setup en
composants sont, pour la plupart, d'ordre statistique : fonction du registre des bandes occupées7 ; (6)
densités, ambitus, modes de distribution « spatiale » et l'amplitude moyenne relative de chaque Setup ; et, si
temporelle des sons, entropie relative, entre autres. La pertinent dans le contexte, (7) la durée relative de
règle pour l'évaluation de l'importance d'un composant chaque Setup8.
donné est le calcul de son taux de complexité relative. A titre d'exemple de la fonctionnalité de ces
Celle-ci établit un poids maximum (1.0), qui correspond descriptions, nous avons mis en corrélation, dans la
à la configuration musicale qui rendrait la sonorité la Figure 7, l'évolution des LSS telle que déjà montrée
plus « complexe » possible, dans le champ d'action du Figure 5, et celle des densités relatives et de la
composant ([14] : 40 et sq.). Les configurations « linéarité » relative. Pour cette dernière, il faut noter
observées sont donc calibrées sur un vecteur de que les pondérations les plus basses indiquent une
simplicité/complexité relative6. Cette règle de relativité structure spectrale qui tend à l'harmonicité, comme c'est
universelle est fondamentale (tous les composants le cas du dernier LSS, qui correspond au tutti en Do
doivent pouvoir se soumettre à cette normalisation) pour majeur du début du 4e mouvement de la Symphonie.
le succès de l'analyse, car c'est le seul moyen de
comparer et manipuler des paramètres musicaux
hétérogènes, dont les qualités intrinsèques ne sont pas
comparables.
Programmée d'abord exclusivement pour l'analyse de
fichiers MIDI, l'interface de lecture soal-reader a évolué
et accepte depuis, entre autres, les fichiers au format
SDIF. En fait, les données transmises par le format
SDIF sont converties en interne au format MIDI avant
d'être traitées, ce qui permet de tirer profit des fonctions 7
Ces bandes de fréquences et ces pondérations sont définies par
développées jusqu'alors pour le MIDI. Le midicent, qui l'utilisateur. On peut penser qu'une analyse peut souhaiter pondérer
est l'unité standard pour la codification des hauteurs plus lourdement les Setup possédant une majorité de fréquences très
graves ou très aiguës, par exemple, à cause de leur forte incidence sur
la complexité sonore globale.
8
Ces diverses mesures sont réalisées dans SOAL, respectivement, par
5
Accessible, avec sa documentation, sur:www.ccta.ufpb.br/mus3. les fonctions: density-per-onset (1, 2), spatial-linearity-per-onset (3),
6
Pour la densité, par exemple, le vecteur se déplace du vide au saturé. spatial-analysis (4, 5), velocity-per-onset (6), et relative-span (7).
vecteur de complexité relative auquel ont été soumis les
autres composants du modèle. L'avantage de ce format
est qu'il peut produire une vision plus synthétique, plus
holistique, du comportement des configurations sonores
sur le temps. En effet, il ne s'agit pas tant de qualifier les
Setup dans l'absolu, mais plutôt d'évaluer le degré de
différence, ou distance, entre un Setup et l'autre, dans un
domaine donné.

3.4. Un descripteur psychoacoustique expérimental :


Formantic Centroid

Plusieurs descripteurs ont déjà été, ou sont, testés par


Figure 7. Une analyse de l'extrait de Beethoven par notre groupe de recherche sur plusieurs œuvres, avec
deux descripteurs de SOAL, couplée aux données des résultats dont la pertinence varie, ou variera, en
obtenues Fig. 5. Histogrammes gris : LSS Relative fonction du contexte musical, et, surtout, de ce que l'on
Complexity; histogrammes blancs : Relative Density cherche à mettre en évidence. Un des plus connus est le
(densité relative de partiels par Setup) ; histogrammes centroide spectral, ou barycentre. De nombreuses études
texturisés : Relative Linearity (modalité de distribution ont déjà qualifié ce descripteur comme étant un bon
des partiels dans le spectre, zéro correspondant à une outil pour l'analyse musicale, étant donné sa forte
distribution harmonique). corrélation avec la perception de la brillance du son (cf.
[22, 24, 25]). Comme on le sait, il indique où se situe le
« centre de gravité » du spectre. Une manière simple de
3.3. Un réseau de descripteurs psychoacoustiques
le décrire consiste à dire qu'il est le résultat de la
Outre les descripteurs d'ordre statistique mentionnés moyenne des fréquences d'un spectre, de la plus grave à
ci-dessus, il est fondamental d'aborder également la plus aiguë, pondérée par leurs amplitudes respectives.
l'analyse de l'impact de l'orchestration à partir d'un ou Le problème de cette formule est que cette moyenne
plusieurs descripteurs psychoacoustiques. Comme l'a arithmétique peut définir un point sans existence
déjà bien montré Philippe Lalitte dans son analyse de la physique réelle dans l'objet observé. Il est possible aussi
Sequenza VII de Berio, « l'extraction d'informations sub- que par ce calcul, malgré la pondération exercée par les
symboliques opérée par les descripteurs amplitudes, la toujours grande quantité de fréquences
psychoacoustiques offre la possibilité d'approcher la aiguës biaise un peu la réalité perceptive de l'objet
perception de plusieurs dimensions musicales telles que sonore, en poussant irréellement les moyennes vers le
le temps […], la hauteur (rugosité, saillance […], etc.) et haut du spectre. Il semble donc permis de penser qu'une
le timbre (brillance, inharmonicité, enveloppe, clarté sélection préalable des fréquences les plus proéminentes
spectrale, etc.) » ([23] : 116). Une des bibliothèques la pourrait engendrer une corrélation plus fine avec la
plus connue et peut-être la plus ample est celle perception. Or, les fréquences les plus saillantes d'un
développée par l'Université Queen Mary de Londres, spectre se regroupent en ce que l'on appelle des
pour le logiciel Sonic Vizualizer [6]9. Un grand nombre formants, qui sont le résultat de pics d'énergie dans une
d'entre eux peut se montrer adéquat pour mettre en région plus ou moins étroite du spectre [8]. D'où il paraît
évidence le domaine du timbre que l'orchestration du logique qu'un calcul du centroïde des formants puisse
compositeur affecte le plus, ou celui qui offre le plus de mieux décrire la brillance de certains complexes
saillance à la perception. Le problème réside en fait dans sonores . Nous avons donc élaboré une fonction qui
la quantité de descripteurs disponibles, et l'hétérogénéité opère ce calcul, Formantic Centroid, que nous avons
des informations produites. En effet, il important de implémentée dans OpenMusic de manière à faciliter son
garder à l'esprit que le concept de base d'un descripteur inclusion dans le modèle d'analyse de l'orchestration11.
est d'« aplatir » un composant multidimensionnel, le Cette inclusion implique entre autres une normalisation
timbre, sur une seule dimension. En d'autres termes, sur le vecteur de complexité relative, pour laquelle il est
chacun opère une réduction orientée du signal, en nécessaire de fixer une valeur paradigmatique
fonction de l'information qu'il est censé retourner. Par maximum. Pour celle-ci, nous avons adopté le
conséquent, aucun n'est capable, tout seul, de fournir Formantic Centroid d'un bruit blanc (10.922,781 Hz),
l'ensemble des informations que nous souhaitons. L'idée que l'on peut considérer comme le son le plus complexe
est donc de constituer un réseau modulable de dans ce domaine. On obtient alors, par factorisation, le
descripteurs auxquels on ferait appel en fonction des Relative Formantic Centroid (RFC) de chaque Setup.
contextes10, et normaliser leurs résultats sur le même RFC doit encore passer par une batterie de tests, y
compris en comparaison avec le centroide spectral

9
Mais voir aussi [1, 3], entre autres. Jourdan et qui met en corrélation le centroïde, l'écart-type spectral et
10
Notre collaborateur Mikhail Malt développe un projet dans ce sens, l'amplitude [25].
11
qui regroupera soixante descripteurs. Pour l'instant, nous incluons dans C'est également à Mikhail Malt que nous devons le développement
notre liste le descripteur Bstd qu'il a développé avec Emmanuel de cette fonction.
conventionnel. Au cas où il s'avérerait réellement noirs : Relative Formantic Centroid; histogrammes
fonctionnel dans certains contextes, sa description gris : Relative Spectral Centroid.
détaillée fera l'objet d'une publication en temps
opportun. 4. CONCLUSION
Pour l'heure, la figure 8 montre l'évolution du RFC pour
le même extrait de Beethoven, mise en relation avec Ce court exposé n'a eu pour modeste objectif que de
celle obtenue par le calcul du Relative Spectral Centroid montrer l'ossature d'un modèle pour l'analyse de
(RSC), c’est-à-dire le calcul standard calibré sur l'échelle l'orchestration. Ce modèle constitue une sorte de guide
de complexité relative à partir du bruit blanc. Ceci pour le développement, non seulement d'une méthode et
permet de constater que les deux descripteurs retournent de ses outils informatiques auxiliaires, mais aussi,
des évaluations différentes. Dans la plupart des cas (les simultanément, d'une théorie. S'agissant d'une
exceptions sont les LSS 367 et 368), RFC retourne des dimension encore peu formalisée dans le domaine de
pondérations inférieures au calcul standard, ce qui l'analyse musicale, nous avons choisi une méthode
signifie qu'il tend à rebaisser le centroïde vers des empirique, qui consiste à tester systématiquement les
fréquences plus graves12. On constate très clairement composantes du modèle sur des œuvres tenues pour
cette différence d'analyse dans les premier et dernier LSS exemplaires, pour juger de leur éventuelle validité 13.
de notre fragment – représentés par les premier et dernier C'est donc une méthode qui se rétroalimente, dans la
histogrammes de la figure 8, et par les extraits de la mesure où les composants sélectionnés dépendent de
partition, figures 2 et 3. Dans les deux cas, RFC donne l'expérience sur les œuvres pour leur validation. Le but
plus de poids aux fréquences graves que RSC. Si, est de parvenir le plus tôt possible à un modèle assez
intuitivement, cela semble de fait satisfaire à cohérent pour produire des résultats pertinents, d'un
l'expectative que nous avons de la qualité sonore du point de vue musicologique, sur certains corpus, au sujet
premier LSS – où ne sont utilisés que les violoncelles et desquels on sait le rôle fondamental de l'orchestration
contrebasses à l'unisson, pianissimo – le résultat du LSS sans pour autant être en mesure de l'expliciter plus
final, qui correspond au tutti du début du 4e mouvement, rigoureusement.
demande une analyse plus approfondie. Ce recadrage
vers le grave (par rapport au calcul du centroïde 5. REFERENCES
standard, mais aussi par rapport aux LSS qui le
précèdent) est-il le reflet de l'introduction des trombones [1] Bogdanov, D. et al. « Essentia: An Audio Analysis
et contrebasson, en sus des timbales ff, à ce moment-là? Library For Music Information Retrieval » ,
Le piccolo, qui entre lui aussi au même instant, aurait-il Proceedings of 14th International Society for Music
moins d'impact sur la sonorité globale? En d'autres Information Retrieval Conference, Curitiba, ISMIR
termes, pourquoi le RFC « chute-t-il » à mesure que 2013, p. 493-498.
Beethoven épaissit son crescendo en élargissant le
spectre? Et pourquoi le RSC, par contre, ne varie [2] Berry, W. Structural functions in music, Dover, New
pratiquement pas dans ces derniers moments, pourtant si York, 1987.
contrastés aux oreilles de quiconque? [3] Cabrera, D., et al. « PsySound3: an integrated
On le voit, les questions restent nombreuses, qui environment for the analysis of sound recordings » ,
appellent à une continuation des expériences. Acoustics 2008: Proceedings of the Australian
Acoustical Society Conference, Geelong, 2008.
[4] Carpentier, G. "Aide logicielle à l'orchestration: Un
état des lieux". Musimediane, 2011, n. 6.
http://www.musimediane.com/spip.php?article134.
[5] Cogan, R. & Escot, P. Sonic Design: The Nature Of
Sound And Music. New Jersey: Prentice-Hal, 1976.
[6] Cook, N.; Leech-Wilkinson, D. A Musicologist's
guide to Sonic Vizualiser, King's College, London,
2009.
[7] Dalbavie, M.A. « Pour sortir de l'avant-garde » , Le
timbre, métaphore pour la composition (Barrière,
J.B., org.), Christian Bourgois, Paris, 1991, p. 303-
Figure 8. Le même extrait de Beethoven analysé par 334.
deux formules de calcul du centroïde. Histogrammes
[8] Diatkine, C. Audiosculpt 3.0 User Manual, IRCAM,
Paris, 2011.
12
Puisque le paradigme de complexité maximum est le bruit blanc à
10.922 Hz (valeur (1,0) de l'échelle), la hauteur des histogrammes
13
indique donc la hauteur relative de la fréquence du centroïde. L'axe Plusieurs œuvres orchestrales des XIXe, XXe et XXIe siècles sont
vertical a été ici ré-échelonné pour une meilleure visibilité. inscrites à notre cahier des charges.
http://support.ircam.fr/docs/AudioSculpt/3.0/co/Audi Lalitte, P. Edgard Varèse. Du son organisé aux arts
oSculptguideWeb.html. audio, L'Harmattan, Paris, 2008, p. 245-277.
[9] Dolan, E. I. The Orchestral Revolution. Haydn and [23] _____ . « Du son au sens : vers une approche
the Technologies of Timbre, Cambridge University sub-symbolique de l’analyse musicale assistée par
Press, Cambridge, 2013. ordinateur. » Musurgia, Vol. XVIII, p. 100.116, 2011.
[10] Erickson, R. Sound structure in music, [24] Maia, I. L.; Schaub, S. « Analyzing textural
University of Chicago Press, Berkeley,1975. progressions in Iannis Xenakis's Aroura (1971) for
twelve strings - Some Preliminary Results. », XXII
[11] Gentil-Nunes, P. Análise particional: uma
Congresso da Associação Nacional de Pesquisa e Pós-
mediação entre composição musical e a teoria das
Graduação em Música (ANPPOM), João Pessoa,
partições, Thèse de Doctorat. Universidade Federal do
ANPPOM, Vol. 1, p. 496-503, 2012.
Estado do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, 2009.
[25] Malt. M., & Jourdan, E. « Le « BStD – une
[12] Goubault, C. Histoire de l'instrumentation et de
representation graphique de la brillance et de l’ecart
l'orchestration, Minerve, Paris, 2009.
type spectral, comme possible representation de
[13] Guigue, D._____ , et al. « SOAL For Music l’evolution du timbre sonore. » in: Hashner, X., &
Analysis : A Study Case With Berio’s Sequenza IV », Ayari, M. L’analyse musicale aujourd’hui, crise ou
Actes des JIM05 — Journées d’Informatique Musicale, (r)évolution? Université de Strasbourg/SFAM,
CICM, Paris, 2005. Strasbourg, 2009 (document communiqué par les
http://jim2005.mshparisnord.org/articles.htm. auteurs).
[14] _____ Esthétique de la Sonorité. L'héritage de [26] Solomos, M. De la musique au son.
Debussy dans la musique pour piano du XXe siècle, L'émergence du son dans la musique des XXe-XXIe
L'Harmattan, Paris, 2009. siècles. Rennes: Presses Universitaires, 2013.

[15] _____ Sonic Object Analysis Library –


OpenMusic Tools For Analyzing Musical Objects
Structure. Software Documentation. Mus3, João
Pessoa, 2010. http://www.ccta.ufpb.br/Mus3.est
[16] ____ « Diário de bordo. Webern, Variações para
orquestra op. 30 », IV. Seminário Ciência Música
Tecnologia: Fronteiras e Rupturas, São Paulo,
ECA/USP, 2012.
http://www2.eca.usp.br/smct/ojs/index.php/smct/issue/
view/6 (visité en 07/2013).
[17] _____ . « Une méthode d'analyse de
l'orchestration: rapport de recherche appliquée aux
Variations op. 30 de Webern », Actes des Journées
d'Analyse Musicale, Société Française d'Analyse
Musicale, Rennes, 2014 (sous presse).
[18] Hummel, T. conTimbre. Software
documentation. 2014.
http://www.contimbre.com/index.php?option=com_co
ntent&view=article&id=51&Itemid=82&lang=en.
[19] Kaltenecker, M. « Confiture de neige. Le bruit
dans la musique du 19e siècle, entre discours esthétique
et pratique instrumentale » , Analyse Musicale, nº 56,
p. 60=72, 2007.
[20] Kim, J. Représentation et analyse musicale
assistée par base de données relationnelle de la
partition des Variations pour orchestre op. 30 d’Anton
Webern. Thèse de Doctorat, Université de Paris-IV-
Sorbonne, Paris, 2007.
[21] Koechlin, Ch. Traité de l'Orchestration, Max
Eschig, Paris,1954.
[22] Lalitte, P. « Densité 21,5 de Varèse : un
condensé d'harmonie-timbre » in: Horodyski, T. &

Vous aimerez peut-être aussi