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Cahiers d'outre-mer

L'industrie du sucre au Maroc


Jacqueline Bouquerel

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Bouquerel Jacqueline. L'industrie du sucre au Maroc. In: Cahiers d'outre-mer. N° 88 - 22e année, Octobre-décembre 1969. pp.
388-407;

doi : https://doi.org/10.3406/caoum.1969.2526

https://www.persee.fr/doc/caoum_0373-5834_1969_num_22_88_2526

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L'industrie du sucre au Maroc

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Le développement d'une telle industrie pourra non seulement enri¬


chir le secteur secondaire mais aussi favoriser, par un nouvel aména¬
gement agricole, la mise en valeur du sol. En diminuant les sorties
de devises, elle contribuera par ailleurs à équilibrer la balance commer¬
ciale. Ce triple rôle a conduit les pouvoirs publics et les techniciens à
mettre sur pied un « Plan sucrier » dont une réalisation partielle est
déjà accomplie. Ce programme hardi prévoit pour l'avenir plusieurs
créations d'usines en même temps que l'extension des cultures
sucrières ; il s'est fixé une série d'objectifs à longue échéance qui
doteront le pays d'unités industrielles dans un cadre régional
approprié (1).

I. — La consommation du sucre au Maroc et ses problèmes.


1. La consommation sucrière.

Grand consommateur et importateur de sucre, le Maroc fut, dans


un lointain passé, producteur et même exportateur de cette denrée.
La conquête arabe introduisit la culture de la canne à sucre en Syrie,
en Egypte, en Afrique du Nord et en Espagne ; dès le Xe siècle cette
plante était acclimatée au Maroc. Deux siècles plus tard, le Souss
produisait un sucre réputé, dont la saveur et la pureté étaient, selon
les auteurs anciens, inégalables.
La découverte de l'Amérique avec l'implantation de la canne aux

nistratives
Ingénieurs
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Projet
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Sucrières)
Sources
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1890 1920 1925 1930 1935 1940 1945 1950 1955 I960 1965 67
Fig. 1. — L'évolution de la consommation sucrière au Maroc de 1890 à 1967.

Antilles et au Mexique, dans un milieu tropical favorable, fit péricliter


les plantations africaines. Au cours du xvie siècle, la production maro¬
caine de sucre commença à diminuer pour finalement disparaître et
le sucre devint une denrée rare, d'un prix élevé. Le Maroc se fit
importateur, ses achats de sucre à l'étranger augmentèrent dans la
seconde moitié du xixe siècle, en même temps que l'importation du
thé vert de Chine qui transita longtemps par l'Angleterre. Avec la
consommation du thé, celle du sucre, devenu aliment de base, ne
cessa de se développer, passant de 1 200 tonnes en 1870 à 10 000 tonnes
en 1890, à 40 000 tonnes en 1900 pour atteindre 53 385 tonnes en 1912.
En 1939 on atteignait déjà 171 385 tonnes pour retomber à 140 000 ton¬
nes en 1949, par suite des difficultés de transport, conséquence de la
période des hostilités et de l'immédiat après-guerre. En 1956 elle dépas¬
sait 310 000 tonnes pour atteindre 358 000 tonnes en 1960, ce qui cor¬
respond à peu près à la consommation de 1967 (fig. 1).
A cette date la consommation mondiale de sucre était évaluée à
68 millions de tonnes, soit en moyenne 20 kilogrammes par personne.
Le Maroc consomme en moyenne 25 kilogrammes par habitant. Le
sucre en pains coniques constitue 85 % du total, soit 298 000 ton¬
nes, le sucre en granulés 12 %, soit 42 000 tonnes et le sucre en mor-
390 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

ceaux seulement 3 °/o, à peu près 10 000 tonnes. Cependant la consom¬


mation ne semble pas avoir progressé au même rythme que la
population et on constate ici une certaine stabilisation due à une
alimentation plus variée, conséquence d'une certaine élévation du
niveau de vie. De 1960 à 1967 l'évolution de la consommation sucrière
au Maroc présente les aspects suivants :

Année Sucre en pains Sucre blanc Sucre coupé TOTAL


1960 ........ 300 057 t. 50 143 t. 8 656 t. 358 856 t.
1961 ........ 301 180 t. 53 253 t. 8 979 t. 363 412 t.
1962 ........ 307 738 t. 54 759 t. 9 050 t. 371 547 t.
1963 ........ 314 295 t. 54 284 t. 10 265 t. 378 844 t.
1964 ........ 293 016 t. 45 859 t. 9 877 t. 348 752 t.
1965 ........ 291 700 t. 40 996 t. 9 430 t. 342 229 t.
1966 ........ 301 800 t. 39 500 t. 9 700 t. 351 000 t.
1967 ........ 298 000 t. 42 000 t. 10 000 t. 350 000 t.
Tableau I. — La consommation du sucre au Maroc de 1960 à 1967.

Pour l'ensemble des consommateurs l'achat de sucre représente


une dépense de 750 millions de dirhams (2) à l'heure actuelle. Les
prévisions pour 1968 témoignent curieusement d'une nette reprise de
la consommation : la demande intérieure étant estimée à plus de
372 000 tonnes. On pense que les besoins en 1973 s'élèveront à plus
de 437 000 tonnes.

2. La consommation du sucre et les importations.

En décembre 1958, le gouvernement marocain a créé un Office


National du Thé dont les attributions se sont étendues en 1963 au
sucre, et cet Office devint « l'Office National du Thé et du Sucre »
(ONTS) administré par un conseil que préside le ministre du Com¬
merce et de l'Industrie. Cet organisme utilise 540 agents pour le
conditionnement du thé et les services commerciaux. Il a le mono¬
pole des importations et de la vente du sucre comme du thé dans tout
le royaume.
Jusqu'en 1963, le Maroc était entièrement tributaire de l'extérieur
pour son approvisionnement en sucre brut et les dépenses dans ce
domaine étaient très importantes. De plus, le marché mondial du
sucre, compte tenu des accords signés entre Etats, des besoins inté¬
rieurs de chaque pays producteur, présente des cours très variables
(de 1,4 cents jusqu'à 12 cents la livre U.S. pour ces dernières années).
Les achats massifs de sucre brut à l'extérieur entraînaient pour le
Maroc une importante sortie de devises. A cela s'ajoutaient les ques¬
tions de transport. De 1964 à 1967 inclus, ont été importées en sacs
(2) 1 Dh = 1 franc environ.
l'industrie du sucre au Maroc 391

de 50 kilogrammes, 340 000 tonnes de sucre roux, en moyenne annuelle.


Ces importations étaient de : 380 000 tonnes en 1964, de 337 000 tonnes
en 1965, de 338 000 tonnes en 1966, et de 309 000 tonnes en 1967.
Un tableau des importations sucrières au Maroc et dans le reste
du monde pour les périodes 1952-1954 et 1963-1965 révèle la place que
prennent les achats de sucre brut dans l'économie marocaine. Les pré¬
visions établies pour 1975 font apparaître cependant une évolution pro¬
bable que l'adoption du « Plan sucrier » devrait entraîner :

Période
1952/1954 1963/1965 Prévisions
pour 1975
Total du Monde .... 13,2 17,8 (+ 4,6) 18,9 (+ 1,1)
Pays développés .... 10,2
3 14 (+ 3,8) 14,6 (+ 0,6)
Pays sous-développés 3,8 (+ 0,8) 4,3 (+ 0,5)
Maroc
(Maroc
seulinclus)
..........
.... 0,28 0,35 (+ 0,07) 0,23 (— 0,12)

Tableau II. — Les importations de sucre dans le monde et au Maroc


(en millions de tonnes).

Alors qu'en 1965, les importations de sucre brut représentaient


plus de 16 °/o de la valeur des importations totales, les diminutions
prévues pour 1975, ramènent ces importations à un chiffre très infé¬
rieur à celui de la période 1950. Ces pronostics se justifient par
l'implantation future d'une industrie sucrière nationale dont les débuts
sont marqués par d'importantes créations.

II. — Les premières réalisations industrielles.

L'industrie du raffinage, anciennement implantée au Maroc, a été


le point de départ d'un vaste programme. La principale raffinerie du
pays, la COSUMAR (Compagnie sucrière marocaine de raffinage) et
deux autres établissements de moindre importance, la CAAMSA et
l'OIM (Omnium industriel du Maghreb) bénéficient d'une expérience
acquise depuis de nombreuses années. Ces trois sociétés, installées
dans la région casablancaise, traitaient jusqu'à ces dernières années
uniquement du sucre importé (Pl. XXIX, A).
Créée en 1929, la COSUMAR, à l'origine COSUMA (Compagnie
sucrière du Maroc), fut d'abord une filiale des raffineries « Saint-
Louis », une des plus importantes sociétés françaises. Elle occupe
aujourd'hui, à la sortie de Casablanca, sur la route de Mohammedia,
une importante superficie de bureaux et aussi d'ateliers où se déroulent
les différentes opérations de raffinage. Mille tonnes de sucre brut par
jour sont raffinées. Le sucre roux, apporté à l'usine par camions, est
pesé sur une balance automatique avant d'être acheminé vers « l'em-
392 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

pâtage ». De cette opération sort un jus coloré et sucré, « l'égoût


riche », et un sirop plus clair mélangé au sucre brut. Entraînés vers
une essoreuse centrifuge, ces produits subissent encore diverses opé¬
rations de fonte, de carbonisation, de filtration mécanique qui arrêtent
les impuretés. Le sirop alors obtenu est décoloré au noir animal, soumis
à la « raffinade » sous vide, à la cristallisation, au malaxage avant d'être
envoyé au dosage. Il est ensuite conditionné en pains coniques dans
des « formes » spéciales où il se refroidit pendant huit heures, avant
l'emballage. La production de sucre en pains est de loin la plus impor¬
tante mais il existe des moules spéciaux pour le sucre en morceaux.
De 1960 à 1967 la production en sucre raffiné de la COSUMAR est
passée de 249 000 tonnes à 256 572 tonnes (fig. 2) (Pl. XXIX, B).
Jusqu'en 1967, le sucre brut traité par la COSUMAR était entière¬
ment importé du Brésil, de Cuba et des Antilles françaises. Depuis
1967, d'autres sources d'approvisionnement, comme la Pologne, se sont
ajoutées aux précédentes. Mais en même temps les importations étran¬
gères de sucre brut ont diminué grâce à la production en sucre brut
des nouvelles sucreries de betteraves du Rharb et du Tadla.
Tous les achats de la COSUMAR sont effectués par l'Office Natio¬
nal du Thé et du Sucre qui approvisionne aussi la CAAMSA et
l'OIM. Au total, c'est entre 300 et 350 000 tonnes de sucre brut de
canne ou de betterave que le Maroc fait encore venir de l'étranger.
En 1968, le Brésil s'est placé au premier rang des fournisseurs de
sucre roux de canne, et la Pologne a été le principal vendeur de sucre
brut de betterave.
Avant 1968, la COSUMAR exportait elle-même un peu de sucre
raffiné, surtout en Côte d'Ivoire. Ces ventes ont cessé l'année dernière
et toute la production de la raffinerie a été absorbée par le marché
intérieur. Ce sont les grossistes qui touchent chaque année des contin¬
gents fixés par l'Office du sucre pour approvisionner les villes et
redistribuer le sucre à travers le royaume. Les camions surtout en
assurent le transport dans les différents souks, mais le chemin de fer
cependant transporte annuellement 105 à 110 000 tonnes de sucre.
Grande entreprise industrielle à l'échelon national, la COSUMAR
employait au 31 juillet 1968, 2 870 ouvriers et cadres, ingénieurs ou
techniciens comprenant 57 personnes, la maîtrise, 157 spécialistes ; les
employés mensuels représentaient 615 salariés et les manœuvres,
2 041 journaliers. Les effectifs marocains rassemblaient 2 715 employés
et ouvriers, 156 étrangers étant conseillers techniques, envoyés de
France par la Compagnie générale sucrière qui a conservé d'impor¬
tants intérêts à la COSUMAR.
Les salaires ouvriers, dans cette dernière entreprise, varient sui¬
vant les cas de 1,04 dirham à 1,40 dirham de l'heure. La main-d'œuvre
ouvrière est originaire surtout des Doukkala, du Haouz et du Souss,
l'industrie du sucre au Maroc 393

280 000'

270 000'

250

230 000'

210000'

200 000'
1960 1961 1962 1963 1965 1966 1967 années
Fig. 2. — La production de la COSUMAR en sucre raffiné.
mais l'exode n'est pas récent pour la plupart qui sont employés depuis
longtemps dans la raffinerie. Ainsi celle-ci fait vivre environ 16 000 per¬
sonnes. Les ouvriers et leurs familles sont logés dans deux cités
ouvrières, construites au voisinage de l'usine, à des conditions avan¬
tageuses puisque le loyer mensuel varie de 600 à 2 000 francs anciens ;
ils bénéficient d'un service médico-social, d'une école dépendant de la
COSUMAR, d'une mutuelle et, pour les enfants, de colonies de vacances
à Aïn Leuh. Le personnel de maîtrise est formé par l'entreprise, les
ouvriers « alphabétisés » pouvant devenir chefs de chantier. En ce qui
concerne les conditions de travail, trois équipes se relaient pendant
vingt-quatre heures et un roulement sur une période de six semaines
répartit les équipes entre 6 heures et 22 heures (Pl. XXX, A et B).
La COSUMAR est actuellement de loin la plus grande raffinerie
du Maroc. Sa production annuelle en sucre raffiné représente
les deux tiers de la production nationale. En 1965, l'ensemble des
raffineries marocaines avaient fourni 300 000 tonnes de sucre raffiné.
En 1967, leur capacité de production avait atteint 430 000 tonnes, excé¬
dant la consommation qui se chiffrait à environ 350 000 tonnes.
Compte tenu des capacités de production des nouvelles unités sucriè-
res établies à Sidi Slimane et dans le Tadla cette capacité totale de
raffinage se répartissait ainsi :
394 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

— Sucre en pains ..........


347 000 tonnes
— Sucre en granulés ........
63 000 tonnes
— Sucre en morceaux ......20 000 tonnes
Pour cette dernière production seule la COSUMAR est équipée,
tandis que l'OIM ne peut fournir que du sucre en pains (environ
50 000 t) et la CAAMSA du sucre blanc granulé (13 000 t environ).
A ces raffineries fonctionnant depuis de longues années, sont
venues s'ajouter les sucreries implantées après 1960 et dont l'équi¬
pement permet une production modeste de sucre raffiné. C'est le cas
de la SUNAB qui peut fournir 37 000 tonnes de sucre granulé et de la
SUTA dont les possibilités dépassent 40 000 tonnes pour le sucre
cristallisé et plus de 7 000 tonnes pour le sucre en pains.
En fait la production effective des raffineries marocaines de 1960
à 1967 présente l'évolution suivante :

(En milliers de tonnes.)


Année Sucre en pains Sucre granulé Sucre coupé TOTAL
1960 ........ 223 303 50 143 19 104 292 550
1961 ........ 208 405 53 253 15 591 277 249
1962 ........ 235 844 54 759 17 873 308 476
1963 ........ 240 718 53 165 17 858 311 741
1964 ........ 272 763 48 582 15 418 336 763
1965 ........ 277 003 41 114 15 369 333 486
1966 ........ 287 652 46 864 15 237 349 753
1967 ........ 247 918 58 856 10 133 316907

Tableau III. — L'évolution de la production en sucre des raffineries


marocaines, de 1960 à 1967.

Le développement du secteur sucrier est ainsi dans la ligne que


se sont tracé les Pouvoirs publics pour la promotion économique
du royaume. Parmi les industries alimentaires celle du sucre a été
jugée digne d'un plan particulier dont la réalisation est à la fin de
1968 déjà très avancée.

III. — Le « Plan sucrier » et ses objectifs.

La nécessité de développer l'industrie sucrière s'est imposée aux


responsables marocains au lendemain de l'Indépendance. Il fut alors
décidé d'expérimenter dans quelques régions la culture de la betterave
à sucre. L'industrie du raffinage était déjà en mesure de satisfaire
en bonne partie la consommation nationale, mais il n'existait pas
encore d'usine produisant le sucre brut nécessaire aux raffineries. Le
Plan qui fut adopté prévoyait non seulement la construction de
l'industrie du sucre au Maroc 395

sucreries dans le Rharb, le Tadla, les plaines atlantiques, le Maroc


oriental, le Haouz, créant ainsi une véritable industrie nationale, mais
envisageait une exploitation à long terme de toutes les ressources en
matière de culture de plantes sucrières, betterave et canne.

1. Les cultures sucrières et le développement industriel.

Les conditions climatiques du Maroc ne permettent — à l'excep¬


tion de la région du Rharb, suffisamment pluvieuse — que des cultures
sucrières irriguées. Le potentiel de production de sucre est lié étroite¬
ment au potentiel hydraulique dont dispose le pays grâce aux barrages,
aux réseaux d'irrigation qui peuvent prélever d'importants volumes
d'eau aux dépens des oueds ou des nappes souterraines. Selon les
estimations actuelles ce potentiel serait de 13 milliards de mètres
cubes par an sur lesquels le volume disponible pour l'agriculture et
l'énergie hydraulique représenterait 10 milliards de mètres cubes par
an. Environ un million d'hectares supplémentaires pourraient être
irrigués, les zones déjà irriguées couvrant une superficie de
166 000 hectares dont 80 % appartiennent aux « grands périmètres
d'irrigation » (fig. 3). Il faut envisager de créer des réseaux neufs,
de moderniser les anciens et atteindre un rythme moyen de mise en
valeur de 25 000 à 30 000 hectares par an. Cela suppose un effort
considérable sur le plan technique et financier, par exemple le
démarrage rapide du projet de la « mission » Sebou et l'aménagement
de nouveaux périmètres. Il semble que le Maroc pourrait, dès 1972,
couvrir plus de la moitié de ses besoins en sucre par des cultures
nationales et en 1980, près de 80 %.
Pour la betterave à sucre, les superficies déjà plantées sont passées
de 3 500 hectares en 1963 à 13 500 hectares en 1966. A ces chiffres
correspondent des productions de 71 000 tonnes en 1963 et de
360 000 tonnes en 1966. Les deux régions productrices sont actuelle¬
ment le Rharb où 11 000 hectares sont plantés et où la culture se
fait en « sec ». 246 000 tonnes de betteraves sucrières y ont été récol¬
tées en 1967 avec un rendement de 23 tonnes à l'hectare. Dans le
Tadla, la culture se fait en terre irriguée et la première campagne
betteravière en 1966 a porté sur 4 290 hectares emblavés qui ont
fourni 146 000 tonnes de betteraves, les rendements variant de 30 à
45 tonnes à l'hectare. Pour la seconde campagne, en 1967, 8 200 hec¬
tares étaient mis en culture, et, en 1968, 10 000 hectares. Il est évident
que les rendements en culture irriguée sont nettement supérieurs. En
cas de sécheresse prolongée, la betterave perd de son poids, son
rendement en sucre est insuffisant et les frais d'investissement des
sucreries qui traitent par contrats avec les fellahs sont plus difficile¬
ment amortis. Un vaste programme d'expansion de la culture de la
betterave prévoit, pour 1970, 30 000 hectares dans le Rharb plantés
396 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

Fig. 3. — Les périmètres d'irrigation et les cultures sucrières


(d'après le Laboratoire de Géographie de Rabat).
i

Superficie totale des périmètres irrigués en 1968 : 162 000 hectares.


1. Réalisés. — 2. En projet.

en sec, et 22 000 hectares irrigués, ce qui permettrait d'obtenir, dans


l'ensemble, des rendements de 30 à 35 tonnes à l'hectare. Il semble
que la culture betteravière soit bien accueillie par le fellah qui en
retire un prix assez élevé et obtient que l'Etat prenne en charge
divers frais de culture. Dans le domaine purement agricole, elle amé¬
liore les assolements et ainsi, avec une production accrue de fourrages,
donnerait une impulsion à l'élevage.
Les évaluations faisant état des superficies irrigables d'ici 1975
admettent la possibilité pour le Maroc de disposer alors de 78 600 hec¬
tares de betteraves, mais c'est une sole de 121 000 hectares qui serait
nécessaire à cette date pour permettre au pays la couverture de ses
besoins en sucre.
La culture betteravière a été expérimentée dans les Doukkala, la
Basse Moulouya ; elle est prévue dans les périmètres irrigués du
l'industrie du sucre au Maroc 397

Haouz et du Tafilalet, mais aucun essai n'a encore eu lieu. Pratiquée


dans des assolements quadriennaux ou quinquennaux, la culture
betteravière représentera probablement de 1/6 à 1/7 des terres
irrigables.
Producteur de betterave sucrière, le Maroc, par sa latitude, son
climat chaud en été, ses ressources en eau, peut faire renaître une
culture sucrière, florissante dans le passé, celle de la canne à sucre.
Des essais entrepris dans le Rharb, la Basse Moulouya, la région de
Tétouan ont été très encourageants. On obtint des rendements à
l'hectare de 80 à 90 tonnes de canne effeuillée dont la teneur en
sucre était de 12 à 13 tonnes. Cette culture devrait être pratiquée
sur une assez vaste échelle après 1975 et pourrait occuper de 1/3
à 1/6 des terres consacrées au sucre. Quelques difficultés se présen¬
tent cependant pour la période des récoltes et le traitement de ces
plantes différentes dans les usines où la campagne betteravière dure
de 80 à 90 jours (celle prévue pour la canne durant de 100 à 110 jours).
Pour les sucreries mixtes, il faut nécessairement séparer les deux
périodes de traitement. Les expériences réalisées dans le Rharb,
montrent que la meilleure époque de récolte pour la canne se situe
d'avril à juin, pour la betterave de mai à juillet. Pour éviter le chevau¬
chement des campagnes et maintenir des dimensions économiques aux
sucreries mixtes, la « mission » Sébou, se basant sur certaines expé¬
riences réalisées en Espagne, dans la région de Malaga, propose de
récolter la betterave en avril, de la traiter jusqu'en juillet, et de
recevoir ensuite la canne jusqu'en octobre, en décalant de deux mois
la récolte de la canne par rapport à la période optimale. En outre,
pour ces usines mixtes, il faut prévoir deux entrées : outre l'entrée
des betteraves qui doivent être coupées, il faut prévoir une entrée
spéciale pour la canne à sucre qu'on entasse dans des moulins
broyeurs. Avec cette double entrée, l'équipement de l'usine peut servir
indifféremment à la betterave ou à la canne et traiter ainsi une quan¬
tité de sucre double de celle d'une usine « simple ». Le même ensemble
peut ainsi traiter 1 000 tonnes de betteraves et 1 400 tonnes de canne
à sucre par jour. La réalisation des sucreries et des sucreries-raffine-
ries est ainsi étroitement liée à l'aménagement des périmètres agricoles.

2. Les unités de traitement en fonction.


Sur les quinze usines prévues par le Plan sucrier, quatre fonction¬
nent actuellement, la plus ancienne remontant à 1963, les deux plus
récentes à 1968 (fig. 4).
La localisation des usines correspond aux grands périmètres des
cultures betteravières, ce qui simplifie les problèmes de transport et
permet de traiter rapidement la plante dès la récolte.
Dans le Rharb, la SUNAB (Sucrerie nationale du Beth) établie
398 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

iJetouan
Al Hoceima Zelouane
oKsarel Kebir
Sidi AllolTazi ftMechra bel Ksiri Berkhane
Sidi Slimane
Casablanca

El Khemis des Zemamral


Sidi Bennour
Mellal (Tadlaïï)
Soukes Sebt des Ouled Nemâa(Tadla I)

Haouz

Ziz O

O Draa

200km

Fig. 4. — La localisation des usines sucrières au Maroc.


1. Raffineries existantes. — 2. Sucreries en fonctionnement. — 3. Sucreries en
construction. — 4. Futures sucreries.
>

à Sidi Slimane fonctionne depuis 1963. Créée par les Polonais, premier
exemple d'une sucrerie au Maroc, elle a rapidement augmenté sa
capacité initiale pour traiter, fin 1967, 3 000 tonnes de betteraves par
jour, avec une production de 35 000 tonnes de sucre par an. Prévue
uniquement pour le traitement de la betterave, cette usine présente
de nombreux défauts : plan, équipement démodé ou partiellement
défectueux ; le personnel insuffisamment qualifié à l'origine contrôlait
mal les différentes phases de la fabrication. Les aléas de la récolte,
par exemple la sécheresse de 1967, tout en maintenant le prix de
revient du sucre à un prix élevé (1,33 Dh le kg), n'ont pas empêché
cette sucrerie, qui ne traitait en 1963 que 72 000 tonnes de betteraves
sucrières, de transformer en 1966, 235 000 tonnes. Sur un périmètre
de 12 000 hectares, la SUNAB peut actuellement traiter 300 000 ton¬
nes de sucre en granulés.
l'industrie du sucre au Maroc 399

Suivons quelques-unes des opérations par lesquelles débute en


mai la campagne betteravière à Sidi Slimane. Les betteraves sont
amenées par camions et les cultivateurs payés d'après le poids et la
teneur en sucre de la betterave. Pour ce, des échantillons sont prélevés
et analysés dans un laboratoire afin de déterminer le taux de leur
teneur en sucre. Puis les betteraves sont amenées, par bandes-trans¬
porteuses, jusqu'à un silo où elles sont entassées. Le tas de bette¬
raves est ensuite conduit jusqu'à des pompes, après élimination des
pierres, sable et feuilles collés aux racines. Nettoyées et rincées, les
betteraves sont ensuite découpées en cossettes pour faciliter l'extrac¬
tion du sucre. Cette opération s'effectue dans des tours de diffusion
d'une hauteur d'environ 20 mètres où circule de l'eau qui s'enrichit
de sucre ; ceci fait, les cossettes sont pressées dans des pressoirs-
séchoirs d'où elles sortent en « pellets » utilisés pour la nourriture
du bétail. Quant au jus produit par la « diffusion », il est épuré
mécaniquement et chimiquement. La chaux nécessaire au traitement
chimique du jus est produite sur place dans un four de 45 mètres
de haut. Le lait de chaux retient les impuretés du jus sucré qui sont
ensuite éliminées par de gros filtres rotatifs et pourront alors, mélan¬
gées aux déchets plus grossiers de la betterave, fournir un engrais
riche pour l'agriculture.
Le jus sucré, débarrassé de ses impuretés, est chauffé dans de
grands appareils « d'évaporation concentrée », cuit sous vide jusqu'à
la formation de cristaux de sucre, traité à nouveau dans des turbi¬
nes qui séparent les cristaux de sucre des résidus du jus. Ce sucre
brut est, à la fin du cycle d'opérations, acheminé vers les magasins
de stockage, après avoir subi une série de refontes et recuissons.
Fin juillet, après 80 jours, la « campagne » est terminée. La produc¬
tion en sucre granulé de la SUNAB, liée à la production bettera¬
vière, reflète les aléas de la récolte. En 1966, la sucrerie produisait
31 700 tonnes de sucre granulé atteignant presque sa capacité totale ;
en 1967, par suite de la sécheresse prononcée, la production tombe à
10 000 tonnes.
A la sucrerie de Sidi Slimane sont venues s'ajouter en 1968 deux
nouvelles usines implantées respectivement à Mechra Bel Ksiri et
Sidi Allai Tazi. D'une capacité nominale de production de 43 500 ton¬
nes de sucre brut chacune, ce n'est qu'après trois campagnes qu'elles
pourront fonctionner à pleine capacité. Elles appartiennent à la
société SUNAG (Sucreries nationales du Gharb) et leur construc¬
tion fut confiée à une entreprise allemande, la BMA-Buckau-
Wolf Lucks, l'un des plus importants groupes mondiaux de construc¬
teurs de sucreries. Ce groupe avait déjà édifié la sucrerie-raffinerie
de Souk es Sebt dans le Tadla. Les nouvelles unités peuvent traiter
journellement 4 000 tonnes de betteraves et avec Sidi Slimane elles
complètent l'équipement sucrier du Rharb.
400 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

A ces usines très bien aménagées, pourront ultérieurement s'adjoin¬


dre des installations de traitement et de raffinage de la canne à sucre
qui sera cultivée sur les terrains irrigués du Rharb. Chaque usine
pourra traiter environ 90 000 tonnes de canne soit environ la moitié
de la production totale prévue par le projet de mise en valeur du
bassin du Sébou que poursuit la mission de la F.A.O. Ce prolongement
d'activité des sucreries pourrait permettre, avec une diminution du
prix de revient, de maintenir toute l'année un personnel spécialisé.
Dans l'immédiat une production supplémentaire de 50 000 tonnes de
sucre brut doit permettre une économie annûelle de devises étran¬
gères correspondant au chiffre de 5 millions de dirhams. Ces nouvelles
sucreries sont comme les pôles dynamiques du développement éco¬
nomique du Rharb et d'importants jalons sur la voie de l'industriali¬
sation nationale.
L'usine de Mechra bel Ksiri, mise en service le 20 mai 1968, avait,
dès la fin juin, traité plus de 80 000 tonnes de betteraves et produit
12 500 tonnes de sucre brut. Fin juillet, elle avait traité 209 000 tonnes
de betteraves et produit 30 500 tonnes de sucre, dépassant les prévi¬
sions les plus optimistes. Cette unité emploie 500 salariés permanents
et environ 200 saisonniers pendant la campagne. Le projet d'aména¬
gement de l'oued Sébou et la mise en place d'un important réseau
d'irrigation doit donner à la région du Rharb de vastes possibilités
dans le domaine betteravier. Cet espoir a été, semble-t-il, déterminant
dans les négociations et la signature d'un accord entre le Maroc et
l'Allemagne fédérale en novembre 1966, fixant à 45 millions de dirhams
le crédit accordé par la République de Bonn pour financer la construc¬
tion de la sucrerie de Mechra bel Ksiri.
Contrairement à l'usine de Mechra bel Ksiri, dont la localisation
paraît bien choisie, le choix de Sidi Allai Tazi pour l'établissement
d'une autre sucrerie pose des problèmes de transport de betterave
ou de canne dont les frais plus importants, estimés annuellement à
quelque 3 millions de dirhams, peuvent grever les prix de revient. Réa¬
lisée dans le cadre du « projet Hassan II » (ex-projet Sébou), cette
dernière sucrerie, identique à celle de Mechra bel Ksiri, est due aussi
à la coopération technique et financière du Maroc et de la République
fédérale allemande. Mise en service le 15 juin 1968, elle fut inaugurée
le 26 juin par le ministre du Commerce et de l'Industrie. Conçue
pour traiter 320 000 tonnes de betteraves en une campagne, soit
4 000 tonnes par jour, elle peut fournir annuellement 45 000 tonnes
de sucre brut destinées dans leur totalité aux raffineries casablan¬
caises. L'usine, qui a coûté 87 millions de dirhams, couvre 43 hectares
et comprend, avec les bâtiments édifiés sur 21 000 mètres carrés, une
centrale électrique. Ses effectifs permanents groupent 280 ouvriers
et 200 agents saisonniers. Dès la fin de juin 1968, son rythme de
production représentait plus de 70 % de sa capacité totale.
Les Cahiers d'Outre-Mer - N° 88 Tome XXII, Pl. XXIX

A. — Vue aérienne de la COSUMAR ; à gauche, la cité ouvrière.

B. — La compagnie sucrière marocaine à Casablanca.


Une partie de la manufacture des pains de sucre.
Clichés B. Rouget.
Les Cahiers d'Outre-Mer - N° 88 Tome XXII, Pl. XXX

Clichés B. Rouget.
l'industrie du sucre au Maroc 401

Ainsi, le jumelage de ces deux sucreries présente les avantages


d'un équipement conçu par le même constructeur, d'une assistance
technique homogène, ce qui facilite la formation du personnel. Mais
tous ces avantages auraient été encore renforcés si au lieu de Sidi
Allai Tazi, on avait choisi Souk el Tleta du Rharb, beaucoup mieux
placé pour recevoir la matière première. Quoiqu'il en soit, l'industrie
sucrière, dont trois ensembles déjà fonctionnent, va marquer profon¬
dément la région du Rharb, région essentiellement rurale où la
culture de la betterave à sucre doit en favoriser d'autres (céréales,
agrumes) auxquelles elle fournira des engrais ou des assolements, et
développer l'élevage.
Première région du Maroc qui ait connu la culture de la betterave
à sucre, le Rharb est en passe de devenir la première région sucrière
du pays, avec un potentiel de production de 120 000 tonnes de sucre.
La région du Tadla peut devenir le second secteur sucrier après
le Rharb. Depuis 1966 a été constituée la SUTA (Sucrerie du Tadla)
dont l'usine établie à Souk es Sebt, à 22 kilomètres de Fquih Ben
Salah, est une sucrerie-raffinerie d'Etat, qui bénéficie de l'assistance
technique de la France. D'une capacité de traitement de 3 600 tonnes
de betteraves par jour, elle peut fournir quotidiennement 150 tonnes
de sucre. Cette usine a provoqué pour le Tadla des transformations
telles que la création d'un centre d'habitation et d'un centre agri¬
cole nouveau ; la betterave à sucre renouvelle la vocation agraire du
Tadla axée auparavant sur le blé et le coton.
Selon les prévisions des services agricoles, la production de bette¬
rave dans le « périmètre » du Tadla pourrait atteindre, au terme de
son aménagement, près d'un million de tonnes. Cela permettrait à
deux usines le traitement de 5 000 tonnes par jour et par usine. Depuis
1966, les surfaces cultivées en betteraves ont augmenté chaque année,
atteignant aujourd'hui 10 000 hectares et grâce à l'expérience acquise
le rendement a augmenté. Il est actuellement de l'ordre de 35 à
40 tonnes de betteraves à l'hectare. Il est incontestable que l'implanta¬
tion d'une culture industrielle comme la betterave à sucre aura une
influence sur la région tant au point de vue agricole qu'humain et
contribuera à l'élévation du niveau de vie des habitants.

3. Les projets en cours et les perspectives futures.


En 1968, avec les quatre premières sucreries en fonctionnement,
la production était estimée à 180 000 tonnes de sucre brut permettant
une économie de devises appréciable. Le Plan sucrier prévoit dans les
années à venir l'implantation de quinze sucreries pour l'ensemble du
pays (fig. 4). Deux unités sont en construction et leur mise en service
est prévue pour 1969. C'est ainsi que près de Beni Mellal, une sucrerie
(Tadla II), dont la première pierre a été posée en mai 1968, doit

Les Cahiers d'Outre-Mer 5


402 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

compléter la SUTA (Tadla I) et sera mise en service au printemps.


Sa capacité sera de 45 000 tonnes. Dans la région des Doukkala, à
Sidi Bennour, a été commencée le 11 août 1968 l'édification d'une usine
dont le projet remontait à 1965. C'est la Société sucrière des Doukkala,
entreprise mi-privée, mi-étatique, au capital de 2 milliards de dirhams.
Elle s'est constituée en partie grâce à la participation de la
COSUMAR, de la Raffinerie de Saint-Louis, société française, de la
Banque de Paris et des Pays-Bas, l'Etat marocain fournissant la moitié
du capital. Le coût de la sucrerie représente environ 55 millions de
dirhams et sa réalisation doit bénéficier d'un crédit financier avanta¬
geux de la part de l'Etat français et d'un autre de la B.N.D.E. (Ban¬
que Nationale pour le Développement Economique). Elle aura une
superficie de 7 hectares et la société française FIVES-LILLE-CAIL avec
laquelle collaborent des entreprises marocaines de charpente et de
chaudronnerie en a commencé le montage et l'équipement. Les plans
de cette sucrerie avaient été confiés par le Maroc au CERIS
(Centre d'Etudes, de Recherches et d'Informations Sucrières). Sa mise
en service est prévue pour le mois d'avril 1970 ; la sucrerie traitera
en principe 200 000 tonnes de betteraves et produira 30 000 tonnes
de sucre brut. A cette date la production nationale de ce sucre
pourrait atteindre 200 000 tonnes soit 50 °/o des besoins du pays. La
capacité de traitement de Sidi Bennour sera au début de 2 000 tonnes
par jour et pourra s'accroître ensuite jusqu'à 2 500 tonnes. Le sucre
roux produit sera livré en totalité à la COSUMAR. Une fois mise
en service, la sucrerie des Doukkala pourra employer environ 300 per¬
sonnes dont une centaine de spécialistes recrutés, dans la mesure du
possible, à El Jadida ou Marrakech. Pour ce personnel, on doit édifier
un centre d'habitation d'une centaine de logements à Sidi Bennour
ainsi qu'un centre de loisirs.
Cette usine, édifiée dans le cadre du Plan sucrier, va nécessiter en
1969 la culture en betteraves de 4 000 hectares dans la région des
Doukkala. Cette surface pourrait s'accroître en 1970 de 1 000 hectares.
La sucrerie est un puissant moteur de rénovation agricole dans ce
secteur, où de nombreux fellahs persistent à ne cultiver que des céréa¬
les sur les périmètres irrigués, malgré les efforts du gouvernement
marocain pour encourager, en dehors de la betterave, des cultures
riches comme le coton et le tournesol. L'Office de mise en valeur des
Doukkala a équipé 15 000 hectares et son budget a triplé pour attein¬
dre les objectifs du nouveau Plan quinquennal ; une telle superficie
permettrait dans l'avenir la création d'une seconde sucrerie.
La réalisation des sucreries et des raffineries est donc étroitement
liée à l'aménagement des périmètres agricoles. Le calendrier de cet
équipement industriel est fonction des réalisations rurales prévues
jusqu'en 1980. En 1969 et 1970 Tadla II et la sucrerie des Doukkala
constitueront un aboutissement de ce vaste programme. En 1971, la
l'industrie du sucre au Maroc 403

SUNAB de Sidi Slimane pourrait produire annuellement 63 000 ton¬


nes de sucre raffiné.
En 1973, c'est une autre région du Maroc, la Basse Moulouya qui
serait équipée de deux sucreries traitant journellement .1 500 tonnes
de betteraves
nes chacune et
annuellement.
dont la production
La sucrerie-raffinerie
de sucre attenduedeestBerkhane
de 15 000 sera
ton¬
une usine mixte pouvant traiter la canne à sucre lorsque celle-ci sera
cultivée. La sucrerie de Zelouane, après l'extension de la canne, aura
une production de 30 000 tonnes qu'elle enverra à la raffinerie de
Berkhane pour le façonnement en pains.
A partir de 1975, le programme n'est pas encore définitivement
établi, car la réalisation des sucreries équipées pour le traitement
de la canne est subordonnée aux essais qui devront être multipliés
sur la culture de cette plante. Ainsi, l'aménagement du Loukkos, où il
est prévu de faire uniquement de la canne à sucre sur une sole de
6 000 hectares permet d'envisager la création, à Ksar el Kebir, d'une
usine pouvant produire 30 000 tonnes de sucre brut. P'autres
projets encore plus lointains et très imprécis concernent l'implanta¬
tion d'unités sucrières dans le Haouz, la vallée du Draa, le Tafilalet,
le Souss, les régions de Tétouan et d'Al Hoceima.

IV. — L'orientation de l'industrie sucrière.

Les nouvelles créations, l'implantation des futures unités sucriè¬


res posent de nombreux problèmes parmi lesquels la présentation
du sucre à produire (pain, granulé), le « format » des usines et la
participation des entreprises marocaines à leur construction, enfin
l'utilisation des sous-produits. Ce sont des éléments majeurs qui
contribueront à déterminer le prix de revient du sucre marocain.
Si le taux de la consommation au Maroc reste constant, la capa¬
cité actuelle de production du sucre sera vite dépassée par une aug¬
mentation croissante de la demande, conséquence de l'essor démogra¬
phique (fig. 5). La question se pose de savoir s'il convient d'augmenter
la capacité de production des actuelles raffineries casablancaises ou
celle des nouvelles sucreries.

1. Des sucreries-raffineries mixtes.


Les études entreprises prouvent qu'il serait plus avantageux de
raffiner le sucre sur les lieux de production plutôt que de transporter
le sucre brut à Casablanca pour y être raffiné. On voit s'affirmer les
avantages d'une « intégration » industrielle permettant de diminuer
de 7 à 8 % le prix de revient, quand le sucre brut est raffiné dans
la même unité industrielle, sur les lieux de culture. Il semble par
404 LES CAHIERS D'OUTRE-MER

650 enmilliersdetonnes

550

450

400

350

300
1968 1970 1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1985 années

Fig. 5. — Les prévisions de consommation et de capacité de production de sucre


au Maroc jusqu'en 1985.
1. Prévisions de consommation. — 2. Capacité.

exemple que toutes les usines sucrières du Rharb devraient chacune


être complétées par un atelier de raffinage produisant toutes les
catégories de sucre. Dans les conditions actuelles le prix de revient
pour chaque catégorie serait à peu près le suivant dans une sucrerie-
raffinerie traitant 4 000 tonnes de betteraves par jour (en dirhams et
par tonne) : sucre brut, 887 ; sucre granulé, 1 030 ; sucre en morceaux,
1 073 ; sucre en pains, 1 144.
Si on compare ces prix aux prix actuels de la COSUMAR on
constate que dans cette entreprise le sucre en pains revient à
1 240 dirhams la tonne quand est utilisé le sucre brut local (seulement
861 dirhams pour le sucre brut importé). Le sucre granulé vaut
1 162 dirhams la tonne dans le premier cas (783 dirhams, dans le
second). Il apparaît que le sucre produit dans une usine intégrée
revient moins cher que celui produit à la COSUMAR à partir
l'industrie du sucre au Maroc 405

du sucre brut local, et que d'autre part le sucre granulé revient


beaucoup moins cher que le sucre en pains. Or la demande intérieure
se porte à 85 % sur ce dernier type et il serait souhaitable d'orienter
la demande vers le sucre granulé d'un prix de revient bien inférieur.
Une tentative de propagande dans ce sens, faite en 1962, n'a donné
aucun résultat.

2. Les investissements.

De toute manière les investissements à consentir pour le traite¬


ment des plantes sucrières sont très élevés, mais une grande partie
des dépenses entraîne une redistribution des revenus au Maroc par
les commandes à l'industrie marocaine, la création de nouveaux
emplois dans les raffineries, l'élévation des revenus agricoles. Le coût
d'une sucrerie mixte pouvant traiter 4 000 tonnes de canne par jour
peut être évalué à 116 millions de dirhams (dont 72 millions de
dirhams en devises et 44 millions de dirhams locaux). Une telle
sucrerie peut fournir 88 000 tonnes de sucre brut par an. Si une
raffinerie la complète, il faut envisager une dépense supplémentaire
de 46 millions de dirhams. Une sucrerie-raffinerie ne traitant que la
canne et fabriquant du sucre en pains ne nécessite qu'un investisse¬
ment de 93 millions de dirhams. A l'échelle régionale, en considérant
encore le cas du Rharb, qui doit, semble-t-il, rester dans l'avenir la
première région sucrière du royaume, le coût total de l'équipement
sucrier (usines achevées comprises), serait de 231 millions de dirhams,
en optant pour l'établissement de sucreries-raffineries mixtes. Le poids
de tels investissements se justifierait par une appréciable économie
de devises. De plus, le prix de revient du sucre qui est de 765 dirhams
la tonne dans une usine simple, serait de 650 dirhams dans une usine
mixte ; ce qui représente un élément de rentabilité important. Pour
qu'une affaire sucrière soit rentable il faut admettre un double
postulat : la construction en deux ans de l'unité sucrière et la pleine
utilisation de sa capacité de production au moins à partir de la sixième
campagne. Dans ces conditions, l'implantation d'une industrie sucrière
nationale est une opération rentable pour le Maroc, et l'implantation
de raffineries liées aux sucreries paraît d'autant plus nécessaire que
d'ici cinq à six ans les raffineries actuelles seront arrivées à saturation
et leur matériel devenu vétusté.

La mise en place d'une sucrerie nécessite bien sûr l'importation


d'un matériel spécialisé que seules quelques sociétés mondiales peuvent
fournir, mais le gros-œuvre d'une telle usine peut être fabriqué sur
place. Jusqu'à maintenant les entreprises nationales ont participé pour
50 % en travaux et fournitures à l'édification des sucreries ; elles pour¬
raient prendre dans l'avenir une part plus importante à la création de
406 LES CAHIERS û'OUTRE-MER

ces unités, notamment en ce qui concerne les charpentes métalliques,


la chaudronnerie, le montage des machines.

3. L'utilisation des sous-produits.

L'industrie sucrière doit encore apporter des revenus supplémen¬


taires grâce à l'utilisation des sous-produits, plus spécialement ceux
de la betterave à sucre. Le traitement de la betterave produit des
déchets, la pulpe et la mélasse, liquide résiduel obtenu au cours de
l'extraction du sucre et de son raffinage. En 1967 le tonnage produit
à la SUNAB (Sidi Slimane) et à la S13TA (Tadla) était de 21 645 ton¬
nes de pulpes et de 16 610 tonnes de mélasse. Pour la campagne
de 1968, les prévisions faisaient état d'une production de 43 000 ton¬
nes de pulpes et de 35 000 tonnes de mélasse. Les pulpes (60 à
70 kilos de pulpes séchées par tonne de betteraves peuvent être
vendues directement ou être mélangées à la mélasse dans une
proportion variable, et dans les deux cas servir à l'alimentation
du bétail. La production de mélasse d'une sucrerie est d'environ
50 kilos par tonne de betteraves ou de canne avec une teneur
en sucre de 50 % environ. Le marché marocain offre peu de débouchés
à ce sous-produit, mais celui-ci peut être exporté. Les sucreries exis¬
tantes sont déjà équipées d'installations de « mélassage » et on en a
prévu pour la sucrerie des Doukkala. Les pulpes séchées, mélangées à
la mélasse, pourraient fournir, en 1970, 113 000 tonnes d'aliment pour
le bétail. La mélasse elle-même, dont la production atteindrait
55 000 tonnes, pourrait avoir deux utilisations : 10 % mélangés à la
paille, aux collets et feuillets de betteraves, aux pulpes séchées, pour¬
raient être consacrés à la nourriture animale et le reste exporté. La
seconde sucrerie du Tadla qu'une société belge construit et qui doit
en principe fonctionner au printemps de 1969, sera équipée d'un atelier
de séchage et de compression des pulpes mélassées.

Conclusion

Le développement spectaculaire de l'industrie du sucre au Maroc


qui doit permettre à ce pays de produire en 1970, 60 % de sa consom¬
mation en sucre, présente des avantages multiples sur le plan de l'éco¬
nomie nationale. Du point de vue agricole, l'expansion de la culture
de la betterave à sucre dans des régions riches comme le Rharb ou
le Tadla, sous la direction des Services de la Recherche agronomique
qui conseillent les exploitants et les indemnisent le cas échéant, doit favo¬
riser les efforts de modernisation de l'agriculture marocaine. De l'enri¬
chissement du sol par la pratique des assolements et l'utilisation des
engrais doit naître un paysage rural nouveau dans les secteurs irrigués,
l'industrie du sucre au Maroc 407

consacrés aux cultures sucrières. A cette agriculture rénovée on pourra


associer un élevage plus rationnel et de meilleur rendement dans un
pays de vocation pastorale ancienne.
Sur le plan industriel, la création d'entreprises sucrières implan¬
tées volontairement dans des régions éloignées les unes des autres, et
parfois, du littoral atlantique, sera une étape très importante vers
l'industrialisation du Maroc. En échappant à l'attraction casablancaise
cette industrie fournit un excellent exemple de décentralisation
rentable.
Jacqueline BOUQUEREL.

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